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Sidérurgie

Bras de fer oligopolistique en Extrême-Orient


Raf Custers
Gresea
Juillet 2010
20.000 signes
[Mots clés: sidérurgie, fer, Rio Tinto, Vale, BHP Billiton, Chine, formation des pri
x, concentration, oligopoles, Cnuced, financiarisation, marchés à terme, matières prem
ières]
http://www.gresea.be/ED10RC07metalER.html
Braquée sur les Sommets des chefs d'Etat, la presse se fait myope sur d'autres cen
tres de décision pèsent sur le quotidien de ses lecteurs. Voir le cas du fer, une ma
tière première qui entre dans la plupart de produits de consommation et où trois entre
prises seulement dominent le cours des affaires. Ces dernières années, elles ont dû fa
ire face à la montée de la Chine. Cette grande économie émergente, devenue premier conso
mmateur de fer, ébranlait les Titans du Fer. Les sidérurgistes chinois parvenaient mêm
e à faire baisser le prix du fer. En 2010, cependant, le Dragon chinois a dû céder dev
ant le poids conjugué des "Big Three". On ne sort pas facilement des rangs dans l'
ordre mondial actuel.
Fin mars 2010, la société brésilienne Vale conclut un contrat de livraison avec Sumito
mo. Vale est le premier producteur de fer au monde, Sumitomo le troisième fabriqua
nt d’acier au Japon. C est un gros pavé lancé dans la mare. Car Sumitomo accepte de pa
yer Vale près de 90% plus cher par rapport au contrat précédent, soit entre100 et 110
dollars (76-84 euros) la tonne. L’innovation ne réside pas dans le doublement du pri
x du fer – récemment, en matière de chocs de prix, on en a vu d’autres. La vraie percée es
t dans la durée et dans les termes du contrat. Vale passe en effet à un contrat de l
ivraison trimestriel en faisant varier les prix sur ceux du marché "spot" (où se fon
t quotidiennement des achats hors contrats), qui sont à ce moment considérablement p
lus élevés.
Auparavant, et jusque-là, les livraisons de fer se faisaient selon des contrats an
nuels conclus au terme de négociations souvent tendues entre fournisseurs et achet
eurs. Cette manière de traiter avait été établie au début des années 60, lorsque les sidéru
stes japonais commencent à s’imposer et s assurent des approvisionnements à long terme
par le biais de contrats annuels. Dans le cadre de ce système, le premier contrat
annuel conclu devenait déterminant pour ceux qui allaient suivre en leur fixant u
n prix de référence (d’où son appellation de "Benchmark Pricing"). Ces contrats étaient nég
ciés en hiver pour démarrer réellement le 1er avril, début de l’année financière au Japon.
Mais, donc, début 2010 tout ce système bascule. Dorénavant les prix seront refixés tous
les trois mois, à partir du prix moyen sur le marché quotidien durant le trimestre p
récédent.
A la suite de Sumitomo, d’autres grands consommateurs de fer comme Nippon Steel (J
apon, deuxième producteur d’acier au monde - avec un tiers de la production d’ArcelorM
ittal) et Posco (Corée du Sud, quatrième sidérurgiste mondial) acceptent également le no
uvel arrangement.1
Côté fournisseurs, les concurrents de Vale - connu avant comme CVRD (Companhia Vale
do Rio Doce) – vont suivre le mouvement. Le 30 mars 2010, l’Anglo-Australien BHP Bil
liton annonce avoir conclu des contrats trimestriels avec “plusieurs clients asiat
iques”, alors qu il encaissait, selon certains, déjà 130 dollars pour sa tonne de fer,
soit une augmentation de 99,7% par rapport au contrat annuel de 2009. Le 9 avri
l 2010, c est au tour de l’Anglo-Australien Rio Tinto de déclarer avoir lui aussi “évolué
vers des contrats trimestriels”.
Iron Titans
Ainsi, la Trinité des Titans du Fer est complète. Le marché du fer mondial est dominé pa
r ces trois, Vale, BHP Billiton et Rio Tinto. En 2008, à eux seuls, ils représentaie
nt 34,6% de la production mondiale de fer. Leur domination apparaît encore mieux d
es exportations de fer par voie maritime (actuellement quelque 850 millions de t
onnes) où la part des "Big Three"était de 69% en 2008.2 On a, là, les contours d’un réel o
ligopole. Qui plus est, un oligopole qui se rétrécit davantage puisque, depuis lors,
BHP et Rio se font la cour (la Trinité risque de devenir un Duopole – nous y revien
drons). Et cet oligopole opère incontestablement dans un marché clé.
N’oublions pas que, dans le commerce mondial, le fer représente la deuxième "matière pre
mière" après le pétrole.3 On parlera donc difficilement d une marchandise superflue. A
jouter, et cela rend cette Trinité encore plus imposante, qu aussi bien Vale que R
io ou BHP sont des groupes miniers géants qui ne se limitent pas à l’extraction de fer
. Ils sont des poids lourds aussi dans l’aluminium, le charbon (autre "aliment de
base" de l’industrie de l’acier) et même le pétrole. Tout cela n’empêche pas ces géants d’i
er les "fondamentaux du marché” et leurs références obligées aux "lois" de l’offre et de la
demande pour justifier leurs diktats. On entendra ainsi Rio Tinto dire les prix
trimestriels reflètent mieux les "fondamentaux" que l’ancien système.4 No comment.
Il y a plus d’une contradiction dans ce dossier. Faisons un petit bond de côté, en dir
ection de la presse boursière, pour l’illustrer. Il y a deux ans, lorsque la société chi
noise Baosteel cédait devant Rio Tinto en acceptant une hausse du prix du fer de 9
6,5%, le Financial Times titrait: "Crainte renforcée d une inflation globale".5 A
utre son de cloche, le 1er avril 2010. Cette fois, le quotidien couleur saumon s
alue par une "carte blanche" la brèche ouverte dans le système de fixation des prix
du fer: "Le nouveau régime n’est pas parfait”, proclame le FT, "mais il est préférable à un
régime devenu obsolète".6 Le risque d’inflation aurait-il disparu?
Les grands consommateurs de fer ne sont pas du même avis, ils avancent des objecti
ons fermes. Le sidérurgiste allemand ThyssenKrupp dit préférer les prix de référence parce
qu’ils s accordent avec des relations commerciales de longue durée avec ses clients
, un commentaire qui, selon l’agence Reuters, fait écho aux réactions d ArcelorMittal.
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Ces préoccupations relayées par les lobbies de l’industrie de l’acier. "Une hausse de 10
0% des prix de fer est une insulte", s’exclamera Gordon Moffat, porte-parole de l’as
sociation des sidérurgistes européens Eurofer. Ce club, qui rassemble une soixantain
e d’entreprises dans 23 états-membres de l’Union européenne et produisant presque la tot
alité de l acier de l’UE, considère que le choc des prix "ne correspond pas du tout à la
situation du marché et ne peut être justifié par une quelconque demande". Eurofer sou
pçonne la Trinité des Titans du Fer d’avoir "illicitement coordonné les hausses de prix"
.8
Worldsteel, l’association mondiale de l’acier (représentant, selon ses dires, 85% de l
a production d’acier mondiale) n’est pas loin de qualifier la Trinité de cartel. "Les
sociétés minières ont la capacité d’imposer ce changement parce que le marché du fer export
ar voie maritime n’est pas compétitif. Vale a un monopole virtuel dans le bassin de
l’Atlantique, Rio et BHP ont un monopole virtuel dans le bassin du Pacifique". Wor
ldsteel demande si ce manque de compétitivité est dans l’intérêt général "vu le fait qu’on
uve l’acier dans presque tout aspect de l’économie moderne".9
"Nous sortons d’une des pires récessions et tout reste très fragile", dit un porte-par
ole de Worldsteel, "il est donc très surprenant de voir que de nouvelles hausses d
e prix soient imposées".10 La perspective de voir les sidérurgistes passer les augme
ntations à leur clientèle paraît imminente. D’où la réaction de l’ACEA, la fédération europ
constructeurs de voitures et de camions, selon laquelle "Vale, Rio et BHP ont l
e pouvoir d’imposer des prix d’un oligopole".11
Profits trimestriels
Qu’est-ce qui pousse les "Big Three"à imposer les contrats trimestriels? Worldsteel,
dans son communiqué du 1er avril 2010, donne une réponse qui ne manque pas de franc
hise: ils "veulent maximiser leurs profits à court terme". Le Raw Materials Group,
qui produit chaque année une analyse globale du marché du fer pour la Cnuced, tire
la même conclusion. "On a donné la prééminence aux profits trimestriels au détriment de co
nsidérations à moyen ou à long terme", écrit le groupe dans son dernier rapport.12
Pour augmenter leurs bénéfices, les Titans du Fer ont considéré qu’il fallait rapprocher l
es prix négociés du "spot price”, le prix au marché du jour. Ce segment s est considérable
ment étendu par rapport aux parts de marché détenues par les livraisons à long terme, po
ur atteindre 20 à 25% du marché mondial du fer.13 Le ‘marché spot’ est sollicité surtout pa
des sidérurgistes de moyenne ou modeste taille et le "spot price" a pris les deva
nts sur le prix des contrats annuels. Ainsi, fin mars 2010, le prix du fer sur l
e marché "spot" quotidien était de 150 dollars la tonne, là où le prix contractuel 2009-
2010 était de 60 dollars la tonne. Le prix du premier contrat trimestriel avec les
sidérurgistes japonais a ainsi été fixé en calculant la moyenne des prix du jour durant
le trimestre précédent (décembre 2009-février 2010) qui était de 119,3 dollars la tonne (
108 dollars la tonne, frais de transport exclus).14
S’aligner sur le prix du jour, prétendent les miniers géants, ne revient qu’à une "normali
sation". “Le fer devient une matière première comme tant d’autres”, dira le Chief Commerci
al Officer de BHP Billiton, Alberto Calderon au Financial Times et le quotidien
ajoute docilement que “le pétrole dans les années ’70, l’aluminium dans les années ’80 et l
harbon thermique début des années 2000 ont connu une évolution similaire”.15
Cette évolution est doublée d’une titrisation, à l’initiative des Big Three d’ailleurs “qui
ussent à remplacer le système rigide du prix de référence par un système actionné par des p
oduits dérivés”.16 (La titrisation, comme on sait, est une technique financière, consist
ant à émettre des valeurs boursières, souvent saucissonnées à l infini, qui tirent fictive
ment leur prix spéculatif des marchandises qu ils sont censés représenter.) Ainsi, en
2008, BHP Billiton a incité deux banques, Deutsche Bank et Crédit Suisse, à lancer un
nouveau produit financier, "l’Iron Ore Swap". Ces titres permettent aux acheteurs
et vendeurs de s’assurer, pour ainsi dire, contre une trop forte volatilité des prix
en fixant des mois d’avance les prix pour des cargaisons spécifiques dont la livrai
son réelle interviendra dans l’avenir. Mais cette titrisation a aussi un effet négatif
, puisqu’elle permet aux spéculateurs de parier sur la direction que prennent les pr
ix, sans qu’ils aient la moindre intention ni de recevoir physiquement ni de payer
les minerais de fer sur lesquels ils ont pris option. Là, il reste à voir lequel de
ces deux marchés prendra le dessus. De toute façon, il sera propulsé par le secteur f
inancier. Début 2010, ce nouveau marché financier des dérivés du fer représentait quelque
300 millions de dollars et, selon le Crédit Suisse, pourrait atteindre 200 milliar
ds de dollars en 2020.17 Le "Benchmark Pricing" ayant cessé de fonctionner, banque
s et courtiers ont exploité cette opportunité rêvée pour étendre ce segment.18 Fin juin 20
10, le Crédit Suisse et le Japonais Mitsui ajoutaient déjà un nouveau "iron ore swap" à
la gamme existante.19
Dragon du Fer
Deux raisons ont donc motivé les Titans du Fer à déclencher la révolution des contrats.
Primo, coller de plus près à l’évolution des prix et, secundo, créer un nouveau marché de p
oduits dérivés du commerce du fer. Mais d’autres facteurs d’ordre stratégique jouent.
A commencer par l’émergence de la Chine. En relativement peu de temps, la Chine s’est
classée parmi les plus grands producteurs, consommateurs et importateurs de fer. L
e pays essaye de faire rimer sa propre croissance et demande avec l’expansion de s
a production, mais se voit obligé d’accroître les importations. En 2003, la Chine dépass
e le Japon et devient le premier pays importateur de minerais de fer. En 2007, e
lle devient deuxième producteur de fer après le Brésil mais avant l’Australie.20 Globale
ment, les transports de fer par voie maritime doublent de 450 millions en 2000 à 9
00 millions de tonnes en 2009, et la part de la Chine dans ce commerce progresse
de 16% à 70%. Mais le pays diversifie son approvisionnement. En 2009, la Chine im
porte 630 millions de tonnes de fer, dont 64,4% proviennent du Brésil et de l’Austra
lie; ces pays voient leurs livraisons à la Chine croître de 41,5% et de 42,9% respec
tivement. Mais les importations d’une autre provenance croissent plus vite: +140%
de l’Afrique du Sud, + 150% de l’Ukraine, +130% du Canada. Notons que la Chine est f
rappée par la crise mondiale en 2009 et la valeur des importations de fer va s établ
ir à 50,14 milliards de dollars, une diminution de 17,4% par rapport à 2008.
La montée en puissance de la Chine aura des effets sur le marché mondial. Ainsi, les
premiers contrats annuels de 2005 sont conclus avec le Japon et la Corée du Sud.
Ce glissement vers l’Asie est mal digéré par Arcelor, dont le PDG Guy Dollé dira: "Je ne
comprends pas pourquoi, pour la première fois, les Asiatiques ont pris les devant
s dans les négociations, puisque les plus grands clients se trouvent en Europe".21
En 2006, Vale et Thyssenkrupp fixent le prix de référence en augmentant le prix de
19%. La Chine s’y oppose ouvertement et déclare que les Big Three amassent des "prof
its exorbitants et déraisonnables”. On soupçonne Beijing de renforcer sa position de nég
ociation. La surprise sera cependant de taille, pour le contrat de 2007, les Chi
nois mènent carrément la danse. En décembre 2006, la délégation de Baosteel arrive à un acc
rd avec Vale et fait avaler aux Brésiliens une augmentation de seulement 9,5%. A s
ouligner: Baosteel a négocié au nom de quelque 260 sidérurgistes chinois. “Les Brésiliens
acceptent”, écrit l’agence Bloomberg, “pour cimenter une relation de longue durée et pour é
iter que les sidérurgistes n’investissent dans leur propre capacité de production de f
er”.22
L évolution sera nette. De 2003 à 2007 le prix du fer sur le marché mondial bondit de
162,5%.23 Fin 2006 l’agence Bloomberg constate qu’en cinq ans le prix du fer a augme
nté de 189%.24 Tout va bien? Non. A partir de 2005, la tendance est à la baisse, ave
c des augmentations de seulement 71% en 2005, 19% en 2006 et 9,5% en 2007. C est
un mieux pour les consommateurs, c est une gifle aux géants miniers. Des géants qui
vont passer à l’offensive. A leur manière.
Discipliner le Dragon
En 2007 les géants miniers vivent dans le délire. Sur l’année, Vale enregistre un profit
de 11,8 milliards de dollars, contre 4,8 milliards en 2005. Le profit de BHP Bi
lliton atteindra 13,4 milliards de dollars, deux fois le profit de 2005. Les mar
ges sont tout simplement incroyables, 30% du chiffre d’affaires en 2006 pour BHP B
illiton. En novembre 2007, BHP Billiton – née de la fusion entre BHP et Billiton en
2001 – lance une offre d achat sur Rio Tinto. BHP Billiton – première entreprise minière
mondiale tous minerais confondus - est prête à mettre quelque 140 milliards de doll
ars (106 milliards d euros) sur la table pour acheter Rio Tinto, le numéro deux du
secteur minier. Rio Tinto va taxer l‘offre de BHP Billiton d’hostile et la repousse
au motif que BHP le sous-évaluerait. De leur côté, des pays et des lobbies puissants
tels que l’Allemagne et le Japon réagissent de manière furieuse contre la fusion. Un s
eul acteur joindra cependant la parole aux actes. Il s’agit de Chinalco, le géant ch
inois de l‘aluminium, qui veut augmenter sa part dans le capital de Rio Tinto à près d
e 15%. Pour certains observateurs, Chinalco et, derrière elle l’Etat chinois, ne che
rchent qu à bloquer le mariage entre BHP et Rio.
Les alliances vont prendre des allures inattendues. Rio va dans un premier temps
approuver la démarche de Chinalco, entre autres parce que Chinalco promet d inves
tir 19,5 milliards de dollars dans Rio. Puis, en juin 2009, Rio s oppose à ce que
Chinalco y renforce sa participation au-delà des 9% du capital déjà détenus. Les négociati
ons de fusion avec BHP Billiton, par contre, vont connaître une issue paradoxale.
Fin 2008, la crise économique incitant à plus circonspection, BHP Billiton abandonne
son offre d achat hostile sur Rio Tinto cependant que, en 2009, les deux rivaux
annoncent une collaboration intensifiée. BHP Billiton et Rio Tinto exploitent déjà de
s mines ensemble. Tels les gisements de titanium à Richards Bay en Afrique du Sud.
En juin 2009, ils mettent sur pied une nouvelle "joint venture" pour l’exploitati
on et la commercialisation du fer tiré de leurs mines à Pilbara, dans l’ouest de l’Austr
alie. Ce projet de partenariat rencontrera cependant tant de résistance des sidérurg
istes Tata Steel (Inde), Baosteel (Chine) et Posco (Corée du Sud) que le volet de
la commercialisation commune sera abandonné. Le volet de l’exploitation commune, par
contre, est maintenu. Il permet entre autres à la société Rio Tinto, fortement endettée
, de réduire drastiquement ses coûts.
Devant cette concentration des mineurs, le camp chinois ne sera pas en mesure de
maintenir une unité "nationale". En 2008, la Chine se verra obligée d’accepter une ha
usse du prix du fer de 80% en moyenne. En 2009, sous l’effet de la crise, Rio Tint
o accorde une démarque sur le prix de fer de 33% à Nippon Steel. En Chine, la demand
e d’acier se remet plus vite de la crise que prévu. Beijing se montre exigeant et ve
ut une démarque plus prononcée, de 40 à 45%, mais n’obtient pas gain de cause. Les négocia
tions avec la Chine ne seront jamais terminées.
Une situation de fait s installe. Toujours plus de consommateurs chinois vont se
ravitailler sur le marché quotidien. "On estime", dit le rapport 2010 de la Cnuce
d, "que 55% de toutes les importations par voie maritimes ont été achetées sur le marc
hé "spot"25 . Pas moins de 235 entreprises chinoises auraient importé du fer en 2009
et un tiers du volume total aurait été importé par des entreprises privées ou étrangères.2
Les entreprises de moyenne ou petite taille se livrent à une concurrence pour s’ass
urer des approvisionnements sur un marché tendu. Cette concurrence trouvera une il
lustration dans le procès à Beijing contre quatre employés du bureau de Shanghai de Ri
o Tinto. Arrêtés en juillet 2009, ils seront condamnés en mars 2010 à des peines de pris
on pour "corruption commerciale". Ils avaient reçu des pots-de-vin de sidérurgistes
chinois désespérés qui cherchaient à tout prix des livraisons garanties…27
Rien n’est définitif
Dans cette configuration, les Big Three ont réussi à discipliner leurs opposants les
plus puissants. Bien que la Chine se soit fortement opposée à la suppression des co
ntrats à prix de référence, Vale, Rio Tinto et BHP Billiton ont imposé leurs contrats tr
imestriels.
Le bras de fer est-il définitivement achevé? Il ne l’est pas. Quelques éléments susceptibl
es de changer la donne l indiquent. Fin juin 2010, le patron de Rio Tinto, Tom A
lbanese déclare que le nouveau système pourrait être abandonné. La raison de cette volte
-face: les prix "spot" qui déterminent le prix du contrat trimestriel prochain son
t descendus en dessous du prix du contrat en cours et les fournisseurs se voient
donc confrontés à une diminution imminente du prix du fer.28
La Chine est peut-être un géant aux pieds d’argile, mais il ne reste pas immobile. Bei
jing a pris, par exemple, des mesures pour contenir la spéculation immobilière, ce q
ui a refroidi le secteur de la construction et réduit la demande d’acier. En plus, "
les sidérurgistes chinois [font des tentatives] pour développer la production domest
ique de minerai de fer afin de s’affranchir au moins partiellement des diktats en
matière de prix des grandes compagnies minières australiennes et brésiliennes”.29
Que se passera-t-il si le secteur de l’acier en Chine se consolide, des entreprise
s non rentables disparaissent et la sidérurgie Chine ressurgit sous la forme d un
consommateur plus unifié? Elle aurait alors la capacité de s’éloigner du marché quotidien,
ce qui mettrait le prix déterminant les contrats trimestriels sous pression. Une
autre pression sur le prix est à attendre de nouveaux projets d’exploitation de fer.
En additionnant les capacités futures, la Cnuced obtenait un total de 600 million
s de tonnes entre 2008 et 2010 et une capacité de 360 millions de tonnes au-delà de
2010.30 Certains de ces nouveaux projets sont conçus par, ou en partenariat avec,
des entreprises chinoises: on a là encore un facteur susceptible de rendre la Chin
e moins dépendante des Big Three.
D autant qu eux, aussi, peinent à former un front commun. "Rio Tinto hésite entre le
"Benchmark System" et les contrats trimestriels, BHP Billiton reste l avocat nu
méro un du nouveau système tandis que Vale est pour l’ancien système’, note la Cnuced dans
son rapport 2010.31 Durant le procès de la "Bande des Quatre" de Rio Tinto, ce de
rnier a approché les autorités de Beijing dans le but de ressouder leurs relations.
Enfin, la "joint venture" associant BHP Billiton et Rio Tinto pour les gisements
de Pilbara n’a toujours pas obtenu le feu vert des autorités de la concurrence, ent
re autres celles de l’Australie… Comme disait Héraclite, dans ce monde comme dans d au
tres, rien n est stable.
Notes:
1 Top producers of steel in 2008, Iron Ore Pricing War interactive graphic, Fina
ncial Times, accédé en ligne le 12 novembre 2009.
2 Iron Ore Market 2007-2009, Trust Fund on Iron Ore Information, CNUCED, Genève ju
in 2008.
3 La valeur du pétrole et du gaz naturel produit en 2005 était estimée à 2,3 milliards d
e dollars (World Investment Report 2007, Cnuced, p. 85) tandis que la valeur du
fer et de l’acier commercialisés de 2003 à 2005 était de 249 milliards de dollars par an
(Davis, Graham A., Trade in Mineral Resources, World Trade Report 2010 Discussi
on Forum, mis en ligne le 12 février 2010, voir: http://www.wto.org/english/res_e/
publications_e/wtr10_davis_e.htm
4 “Benchmark pricing only works if it reflects market fundamentals, otherwise the
system would need to change”, Iron Ore Price Negotiations, Rio Tinto Press Release
, 9 avril 2010.
5 Chinese agree 96% jump in ore price, FT, 23 juin 2008.
6 A new direction for iron ore pricing, FT, 1 avril 2010.
7 ThyssenKrupp still wants benchmark prices, Reuters, 30 mars 2010.
8 Iron ore deal sparks European steel fury, FT, 1 avril 2010.
9 Statement on iron ore contracts, Worldsteel Association, 1 avril 2010.
10 Rio goes to quarterly iron ore contracts, Reuters, 9 avril 2010.
11 Iron ore deal sparks European steel fury, FT, 1 avril 2010.
12 Iron Ore Prices, chapitre extrait de : Iron Ore Market 2010-2011, CNUCED Iron
Ore Trust Fund, Genève juillet 2010.
13 Idem
14 Annual iron ore contract system collapses, FT, 30 mars 2010.
15 Idem
16 Vale/Nippon Steel iron ore supply deal 90% higher, Reuters 29 mars 2010.
17 Iron Ore Traders Bet on ‘Tipping Point’ in $200 Billion Market, Bloomberg, 23 févri
er 2010.
18 “Banks and brokers are gearing up to exploit the new iron ore pricing system”, Ir
on ore swaps could grow to $200bn, FT, 30 mars 2010.
19 Japan’s first iron ore swap agreed, FT, 28 juin 2010.
20 Iron Ore Market 2007-2009, Trust Fund on Iron Ore Information, CNUCED, Genève j
uin 2008.
21 Baosteel and Arcelor settle, BHPB holds out, Mining Journal, 4 mars 2005.
22 CVRD, Baosteel Agree to Benchmark Iron-Ore Price Rise, Bloomberg, 22 décembre 2
006
23 Nos calculs. Voir: Custers, Raf et Matthyssen, Ken, Africa’s Natural Resources
in a Global Context, IPIS, Août 2009.
24 O.c. Bloomberg, 22 décembre 2006.
25 Iron Ore Prices, chapitre extrait de : Iron Ore Market 2010-2011, CNUCED Iron
Ore Trust Fund, Genève juillet 2010.
26 China s iron-ore imports from S Africa, Ukraine, Canada up in 2009, Xinhua, 1
6 février 2010.
27 Rio four admit taking, not making bribes, Reuters, 23 mars 2010.
28 Rio Tinto could quit quarterly iron ore pricing system, 30 juin 2010. Voir:
http://www.steelorbis.com/steel-news/latest-news/rio-tinto-could-quit-quarterly-
iron-ore-pricing-system-540618.htm, consulté le 8 juillet 2010.
29 La baisse de la demande chinoise en minerai de fer affecte les prix, Les Echo
s, 15 juillet 2010.
30 Iron Ore Market 2007-2009, Trust Fund on Iron Ore Information, Cnuced, Genève j
uin 2008.
31 Cnuced, comme ci-dessus.

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