Précis – Discours commémoratif Muriel Driver
Nicol Korner-Bitensky
Nicol Korner-Bitensky, PhD, est professeure agrégée à la Faculté de médecine de l’École de physiothérapie et d’ergothérapie de l’Université
McGill, 3630 Promenades Sir-William-Osler, Montréal, Québec, H3G 1Y5. Courriel : nicol.korner-bitensky@mcgill.ca.
Téléphone : (514) 398-5457, télécopieur : (514) 398-8193
L’ergothérapie : un fil qui permet de tisser toute une vie
’histoire que je vais vous raconter sur ma carrière et sur
L la façon dont elle a influencé tous les coins et recoins de
ma vie vous permettra, je l’espère, de faire une réflexion
sur les façons dont notre profession a enrichi votre vie.
L’ergothérapie permet de tisser
une perspective sur la santé
et la capacité d’adaptation
Au début de l’âge adulte, nous avons généralement le
sentiment agréable d’être invincible. Si vous prêtez l’oreille
aux conversations d’un groupe de jeunes de 20 ans, vous les
entendrez rarement parler de problèmes de santé majeurs.
Pourtant, en tant qu’ergothérapeutes, nous sommes
confrontés dès le début de l’âge adulte au fait que les
problèmes de santé représentent une grande part de la vie de
certaines personnes; en effet, nos clients ont souvent des
problèmes de santé sévères et persistants.
Alors que j’étais encore une très jeune ergothérapeute, j’ai
compris que le fait d’être constamment exposée à des
personnes confrontées à d’énormes obstacles quotidiens
découlant de maladies sévères, de handicaps et de la douleur
était une expérience qui m’avait profondément transformée.
J’ai alors compris que j’étais devenue différente de mes amis et
voisins qui n’exerçaient pas des professions du domaine de la
santé. Cette expérience m’avait révélé que je devais être
reconnaissante de pouvoir marcher sur mes deux jambes et
voir avec mes deux yeux et d’avoir compris que l’esprit
humain avait une grande capacité d’adaptation face aux
problèmes de santé.
Les patients tissent une leçon
de vie quotidienne
Mes patients m’ont enseigné de nombreuses leçons très utiles.
Par exemple, je me souviens d’avoir traité un homme au
début de ma carrière qui ne pouvait tolérer la position debout
que pendant une ou deux minutes. Dès je parvenais à le faire
tenir debout, il me demandait de l’aider à s’asseoir. Un bon
matin, je lui ai demandé de me parler de ses intérêts. Il m’a
alors appris qu’il avait toujours aimé jardiner. Quelle belle
découverte pour moi; en effet, nous venions tout juste de
construire notre maison et je voulais vraiment savoir quoi
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planter et quels types d’arbres seraient indiqués aux endroits
ensoleillés et aux endroits ombragés. Lorsque j’arrivais chaque
matin avec une nouvelle série de questions, il me transmettait
avec une énergie de plus en plus grande les connaissances dont
j’avais tant besoin. Ces deux minutes de tolérance à la station
debout sont rapidement devenues 20 minutes; sans qu’il s’en
rende compte, sa force et son équilibre se sont rapidement
améliorés et, à mon propre insu, il m’a transmis un plaisir qui
est devenu une passion pour moi, celle de me plonger les mains
dans la terre réchauffée par le soleil d’été.
Dans la même période, j’ai eu la chance de rencontrer
une autre patiente qui m’a profondément marquée. Cette
patiente avait été victime d’un accident vasculaire cérébral
sévère et son bras droit et sa main droite n’étaient plus
fonctionnels. Lorsque je lui ai demandé quelles activités
étaient importantes pour elle et les aspects qu’elle souhaitait
travailler pendant les séances d’ergothérapie, voici ce qu’elle
m’a répondu : « J’ai toujours tricoté des bas et des chandails
pour les nouvelles générations. Je dois trouver un moyen de
reprendre cette activité. » Nous nous sommes donc assises
ensemble, elle, la tricoteuse expérimentée et moi, qui n’avais
jamais tricoté. Avec beaucoup de fierté, elle a réussi à adapter
sa manière de tricoter et elle m’a aussi enseigné des habiletés
que j’ai pu transmettre à mon tour. Ces habiletés allaient
beaucoup plus loin que le tricot; en effet, elles m’ont permis
de déterminer ce qui est important pour une patiente et de
travailler en vue de l’aider à atteindre cet objectif.
Aujourd’hui, plus de trente ans plus tard, les ergothérapeutes
ont un terme pour décrire l’essence de ce concept, soit la
« pratique centrée sur le client ».
L’ergothérapie permet de tisser une
perspective sur le rôle de parent
À tous ceux d’entre vous qui sont des parents, que je puis-je
dire! Oui, le parent ergothérapeute est une race à part.
Aujourd’hui, quand je regarde des photos de ma fille aînée
alors qu’elle était bébé, je ne peux m’empêcher de sourire
lorsque je la vois perchée sur un gros ballon, à l’âge de 2 mois
et demi, pendant que je veille à qu’elle suive le programme
d’exercice quotidien de Jean Ayres, qui était un gourou de la
pratique en pédiatrie dans les années 1970.
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ANADIAN
NORTH CAROLINA STATE UNIV on OURNAL OF
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Je dois avouer qu’il n’a pas toujours été facile pour mes
enfants d’avoir une mère ergothérapeute. En effet, chaque été,
j’envoyais aux moniteurs des camps de jour une série de lettres
qui embarrassaient profondément mes enfants. Ces lettres
commençaient souvent ainsi : « SVP, ne permettez pas à Jamie
(ou Randy ou Michael, selon le cas) de jouer sur le trampoline ».
Dans l’enveloppe, j’ajoutais aussi une photocopie d’un article de
journal récent indiquant l’augmentation du risque
d’hémorragie cérébrale chez les jeunes enfants s’amusant au
trampoline et les effets sérieux possibles qui pouvaient en
résulter.
À l’adolescence, mes enfants ont décidé avec leurs amis
que ce n’était pas très « cool » de porter un casque pour faire
du vélo ou du patin à roues alignées. J’avais alors pris
l’habitude de baisser la vitre de la voiture dans le voisinage
lorsque je voyais un enfant sans casque de vélo et de lui dire :
« Oups - je peux voir tes lobes frontaux. » Ma stratégie n’était
pas très professionnelle, mais j’ose croire qu’elle avait une
certaine efficacité.
L’ergothérapie permet de tisser une
perspective sur la maladie
Dans toutes les familles, il arrive un moment où la maladie
frappe un membre et assombrit le ciel. Ma famille n’est pas
différente des autres. J’ai eu la chance de pouvoir m’appuyer
sur la force que m’a donné la profession d’ergothérapeute
lorsque j’ai dû faire face à la maladie dans ma propre famille.
Alors que ma mère était dans la cinquantaine, on lui a
appris qu’elle était atteinte d’un cancer du sein. À son retour à
la maison après l’une des nombreuses chirurgies qu’elle a dû
subir, elle a exprimé le désir de ne plus jamais retourner à
l’hôpital. Je serai toujours reconnaissante du fait qu’à titre
d’ergothérapeute, j’ai réussi (avec l’aide constante de mon
père) à respecter sa dernière volonté.
L’ergothérapie permet de tisser un
fil qui est unique pour vous
Lorsque vous ferez une réflexion sur votre propre vie et sur la
façon dont le fil de l’ergothérapie vous a permis de tisser votre
propre vie, j’espère que vous éprouverez le même sentiment
d’émerveillement que j’ai ressenti face à notre profession.
J’espère aussi que ce discours vos permettra de ressentir de la
fierté face à la profession que vous avez choisie – une
profession qui parle si bien de la raison pour laquelle nous
sommes venus sur cette terre, c’est-à-dire pour redonner
quelque chose de substantiel au monde dans lequel nous
vivons.

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268 OCTOBRE 2009  REVUE CANADIENNE D’ERGOTHÉRAPIE  NUMÉRO 4  VOLUME 76 © CAOT PUBLICATIONS ACE
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