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Dans les Charmes, Paul Valéry fête l’intellect et évoque la tragédie de l’esprit. En effet, “la vie
de l’intelligence constitue un univers lyrique incomparable, un drame complet, où ne manquent
ni l’aventure ni les passions, ni la douleur, ni le comique, ni rien d’humain.” (Discours sur
Descartes)1. Ebauche d’un serpent appartient à ce recueil et, à travers ce poème, Paul Valéry
aborde un aspect de cette “vie de l’intelligence”, la tentation de la science. Ainsi, à l’origine, le
titre de ce poème aurait pu être : Ebauche d’un serpent ou la tentation de la connaissance
orgueilleuse. Paul Valéry s’inspire de la Genèse pour évoquer cette tentation de la science avec
le symbole même de la tentation : le serpent tentateur. Mais la particularité de ce texte est
l’emploi du pronom “je” : c’est le serpent le narrateur.
Bercé par la brise dans la ramure de l’arbre de la connaissance, le Démon, qui a pris la
forme d’un serpent, contemple le Paradis Terrestre, jardin à la végétation luxuriante et aux
eaux vives où Dieu plaça le premier couple : Adam et Eve. Il soutient qu’en créant le monde,
nécessairement imparfait, Dieu a commis une faute portant atteinte à son propre absolu. Le
serpent va, par la flatterie, par la conscience de soi et l’orgueil, amener les hommes à leur
perte. Il se plaît, dans les quelques strophes que nous présentons, peut-être inspirées du Jeu
d’Adam, à rappeler de façon assez ironique la tentation qui a inspiré à Eve le désir de mordre
au “fruit défendu”et d’accéder ainsi à un certain savoir.
Vers 201 à 210 : Dans cette première strophe, le serpent cite ce qu’il a dit à Eve pour la
convaincre de mordre le fruit défendu. Il a vanté à Eve les bienfaits du fruit qui lui apporterait
une “science vive”.
Vers 211 à 220 : Le serpent se décharge ici de toute responsabilité vis-à-vis de la faute
d’Eve, prétextant que “le plus rusé des animaux / qui te raille d’être si dure, / ô perfide et
grosse de maux, / n’est qu’une voix dans la verdure.” Il précise que caché dans l’arbre, il
n’était plus qu’une voix dans la verdure que personne n’était obligé d’écouter. “-Mais, sérieuse
l’Eve était / qui sous la branche l’écoutait.” Le vers 219 révèle, par le nom propre d’Eve
précédé d’un article, une nuance familière et moqueuse !
Vers 221 à 230 : Dans cette strophe, le serpent se présente comme une sorte de
Prométhée, bienfaiteur des hommes : “Sens-tu la sinueuse amour / que j’ai du Père
dérobée?” Il se vante d’avoir dérobé à Dieu l’un de ses attributs pour le bienfait des hommes,
comme Prométhée dérobe le feu aux dieux dans la mythologie grecque.
Vers 231 à 240 : “- Siffle, siffle! me chantait-il!” Dans ce vers 235, le serpent fait
référence à un appel qu’il entend. Mais comment interpréter cet appel ? Peut-être est-ce la voix
de Satan, du Mal qui lui dicte sa conduite ...? Cela pourrait se confirmer par les cinq vers
suivants qui décrivent la sensation du serpent à cet appel. Il entre dans une sorte de transe : “Et
je sentais frémir le nombre, / tout le long de mon fouet subtil, / de mes replis dont je
m’encombre : / ils roulaient depuis le Béryl / de ma crête jusqu’au péril !”.
Vers 241 à 250 : Ici, le serpent loue l’arrivée du moment où Eve va céder à la
tentation.”Génie! O longue impatience! / A la fin les temps sont venus, / qu’un pas vers la
neuve Science / va donc jaillir...” Du vers 245 au vers 250, il emploie des métaphores
précieuses qui décrivent le corps d’Eve prête à se mouvoir, à céder à la tentation.
Vers 271 à 280 : Dans cette strophe, le serpent parle de et à l’”Arbre des arbres”. La
connaissance, la science y sont symbolisées par cet arbre dont les racines puisent dans les
ténèbres de la terre les “sucs” que la sève élèvera jusqu’au ciel bleu.
Vers 291 à 300 : Le serpent s’adresse toujours à l’arbre, comme on le voit au vers 297 :
“Sur ton branchage vient se tordre”. Et aux vers 299 et 300, il prévoit clairement la Chute
prochaine de l’Homme “Il en cherra des fruits de mort, / de désespoir et de désordre!”.
Vers 301 à 310 : Dans ces vers, le serpent chante sa victoire. Mais les trois derniers vers
de cette strophe semblent être la réplique victorieuse du poète qui exalte la Science par laquelle
l’homme s’élève jusqu’à l’Être Suprême : “Cette soif qui te fit géant, / jusqu’à l’Être exalte
l’étrange / Toute-Puissance du Néant !”
e
1Cité dans Lagarde & Michard: XX , p.315, Bordas, 1962.
29
« Le serpent tente Adam et Eve ». Vitrail du Bon Samaritain, XIIIe s., Bourges (J.P.
Deremble)
***
III- Les conséquences de la faute.
A] Dans la Genèse:
1) Le cycle de la dénonciation :
“Ils entendirent le pas de Yahvé Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour, et l’homme et sa
femme se cachèrent devant Yahvé Dieu parmi les arbres du jardin. Yahvé Dieu appela l’homme : “Où es-tu?” dit-il.
“J’ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l’homme ; j’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché.”
Il reprit : “Et qui t’a appris que tu étais nu? Tu as donc mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de
manger !” L’homme répondit : “C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre, et j’ai
mangé !” Yahvé Dieu dit à la femme : ”Qu’as-tu fait là?” et la femme répondit : “C’est le serpent qui m’a séduite,
et j’ai mangé.” (Genèse, III, 8,13.)
Juste après avoir commis le péché, l’homme et la femme culpabilisent. Lorsque Yahvé
Dieu les appelle, ils ont honte et se cachent derrière les arbres du jardin. En effet, Adam et Eve,
éveillés à la concupiscence pour avoir mangé du fruit de la connaissance du bien et du mal, se
rendent compte de leur nudité et éprouvent un sentiment de honte. Pourtant, ils ne sombrent
pas totalement dans le mal puisqu’ils avouent leur sentiment à Yahvé : ils ont eu peur de leur
état. Ainsi Yahvé se rend compte qu’ils ont désobéi à son interdiction : “Tu as donc mangé de
l’arbre dont je t’avais défendu de manger!”, puisqu’ils peuvent désormais discerner ce qui est
honteux ou non, ce qui est bien ou mal.
Dans le récit de la Genèse, Adam, après son péché, entre en conflit avec sa femme. Il
l’accuse et la rend responsable de ce qui est arrivé : “C’est la femme que tu as mise auprès de
moi qui m’a donné du fruit, et j’ai mangé!”, dit-il à Dieu. L’homme se désolidarise de sa
femme. Le péché comme manque d’amour sera cause de bien des conflits familiaux. (Cf. Caïn
et Abel > IV La question de la culpabilité des premiers parents.) La seconde et ultime
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dénonciation est celle d’Eve vis-à-vis du serpent : “C’est le serpent qui m’a séduite, et j’ai
mangé.” On remarquera dans la suite du récit que l’ordre des interrogations divines n’est pas
gratuit. En effet, Eve accuse le serpent en dernier et Yahvé la croit puisqu’il ne laisse aucune
chance de s’expliquer au serpent, créature, par définition, inférieure à l’homme.
Au verset 14, le serpent est puni de son acte de tentation par son créateur, à la fois par
une souffrance morale : “Parce que tu as fait cela, maudit sois-tu entre tous les bestiaux et
toutes les bêtes sauvages”, et par une souffrance physique : “Tu marcheras sur ton ventre et
tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.
Au verset 15, le texte hébreu annonçant une hostilité entre la race du serpent et celle de
la femme oppose l’homme au Diable et à son “engeance”2, et laisse entrevoir la victoire de
l’homme. C’est une première lueur de salut : le “protévangile”3.
3) Le châtiment d’Eve:
“A la femme il dit : “Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. Ta
convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi.” (Genèse, III, 16.)
L’entente du couple Adam et Eve sera troublée à la suite du péché et la vie même du
couple humain sera désormais guettée par la souffrance et par les tentations passionnelles ou
dominatrices. C’est ainsi que la femme connaîtra les douleurs de l’enfantement et souffrira de
la domination de l’homme. A la suite de cela, l’égalité de l’homme et de la femme est brisée.
Ainsi s’affirme l’idéal divin de l’institution matrimoniale avant que le péché n’ait corrompu le
genre humain. Eve “la Vivante” est identifiée à la vie : à cause du péché, elle ne transmet la vie
qu’à partir de la souffrance, mais elle triomphe cependant de la mort en assurant la perpétuité
de la race ; et elle sait qu’un jour sa postérité écrasera la tête du serpent, l’ennemi héréditaire.
La “mère et l’épouse” sont inséparables. En appelant Eve sa femme, Adam signifie la vocation
de celle-ci à être mère de tous les vivants. “L’homme appela sa femme “Eve”, parce qu’elle
fut la mère de tous les vivants.” (Genèse, III,20.) Cette vocation s’accomplit, d’après la
Genèse, malgré les circonstances les plus défavorables.
4) Le châtiment d’Adam.
L’enseignement des préceptes religieux nous dit souvent, “par leur désobéissance nos
premiers parents perdirent la vie surnaturelle et le droit au bonheur du ciel. Il perdirent en
même temps toutes les faveurs extraordinaires que Dieu leur avait accordées.”4
“A l’homme, il dit : “Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je
t’avais interdit de manger, maudit soit le sol à cause de toi! A force de peines tu en tireras subsistance tous les jours
de ta vie. Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l’herbe des champs. A la sueur de ton visage tu
mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la
glaise.” (Genèse, III,17-19.)
Dès l’origine, l’homme a été créé pour dominer le monde, pour le cultiver et le garder
(Gn., II, 15b.) et aménager une société terrestre de plus en plus heureuse par un travail qui lui
permette de s’épanouir dans la joie : “Soyez féconds, emplissez la terre et soumettez-la” (Gn.,
I, 28.) Mais voilà que le péché abîme les œuvres de l’homme. Le travail, loin d’être
épanouissant, peut devenir aliénant. Au lieu de maîtriser de mieux en mieux la matière,
l’homme peut en devenir esclave.
Le récit de la Genèse nous montre de façon symbolique comment, à cause du péché,
l’univers devient hostile à l’homme. Par la faute d’Adam, le sol est maudit : “Maudit soit le sol
à cause de toi! [...] il produira pour toi des épines et des chardons.” (Gn. III, 17,18.)
L’homme, à cause de son péché, mangera son pain à la sueur de son front. ( Gn. III, 19).
L’homme tiré du sol est passible de la mort comme toute créature terrestre. Dieu le lui
rappellera après son péché : “Tu es glaise et tu retourneras à la glaise.” (Gn. III, 19b). Si
Adam a pu mourir, c’est qu’il était naturellement mortel. Pécheur ou non, il ne pouvait
parvenir à l’immortalité qu’en passant par la mort d’une condition terrestre corruptible à une
condition, dite céleste, incorruptible.
Les versets qui suivent exposent les considérations de Dieu exprimant sa crainte de voir
l’homme se saisir de l’arbre de vie et enfin l’expulsion finale d’Adam et Eve du lieu privilégié
qu’était le jardin :
“Puis Yahvé Dieu dit : “Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le
mal ! Qu’il n’étende pas la main, ne cueille aussi de l’arbre de vie, n’en mange et ne vive pour toujours !” Et Yahvé
Dieu le renvoya du jardin d’Eden pour cultiver le sol d’où il avait été tiré. Il bannit l’homme et il posta devant le
jardin d’Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l’arbre de vie.” (Genèse, III,
22,24).
B. Dans la littérature
A Villequier,
de Victor Hugo
Victor Hugo, pendant une période mystique de sa vie, fait quelque peu suivre à ses
poèmes le cours de la Genèse. Les Châtiments , moment de nuit et d’obscurité pour
Victor Hugo, pourraient expliquer, en parallèle, la vie du premier couple humain créé
par Dieu : Adam et Eve ont péché, ils sont punis et apparemment abandonnés par
l’amour de Dieu. Cette oeuvre entraînera une autre période, celle de la lumière qui
remplacera la nuit, celle des Contemplations : Hugo atteint une maturité dans la
souffrance ; cette souffrance qui pourrait devenir féconde aussi pour Adam et Eve, après
la dure punition du Créateur.
Ce poème A Villequier fait partie du recueil des Contemplations ; il se place dans le
quatrième livre qui compose ce recueil, Pauca Meae, écrit entre 1844 et 1848. Victor
Hugo pourrait ici être comparé au premier homme pécheur, qui, après avoir assouvi sa
soif de connaissance, se retrouve finalement bien seul sans l’Amour de Dieu. L’homme
souffre ici dans sa solitude, le peu de discernement qu’il a volé ne l’aide en rien : il est
perdu sans la lumière du Créateur pour le guider, lumière autrement plus intense et plus
rayonnante que la sienne. Il y a dans ce poème le malheur incompréhensible de
l’homme, voué quoi qu’il fasse à la soumission et à la dépendance à l’égard de Dieu.
Les cinq premiers quatrains, qui se rejoignent par l’anaphore de leur premier vers
Maintenant, montrent la nostalgie de l’homme abandonné qui cherche son âme et
retrouve les moments de paix offerts par Dieu au commencement. L’homme a en effet
gagné une pénible victoire dont il sort pâle : la maturité d’Adam fut longue ; et le
lecteur peut imaginer son repentir et son retour à la raison, non narré dans la Genèse.
L’homme seul s’imagine, ou revient sous les branches des arbres au vers 3, au bord
des ondes au vers 9, il regarde à nouveau les fleurs dans le gazon, enfin seulement
Maintenant, il est attendri par les divins spectacles au vers 17. Il y a dans ces quatrains
l’idée d’une prise de conscience de l’homme par rapport à sa situation passée qui était si
privilégiée, et surtout par rapport à sa relation avec Dieu : la douleur est féconde dans le
sens où l’âme de cet homme pécheur s’est élevée. Ainsi, il songe à la beauté des cieux
au vers 4, il sort de la bulle fermée de la punition, réfléchit sur sa condition même :
Maintenant je reprends ma raison devant l’immensité, au vers 20. Sa condition, sa
petitesse, sont révélées par la grandeur de Dieu dont il a tant besoin, du Seigneur son
guide.
Dans les deux derniers quatrains, l’homme orphelin de l’Amour divin fait une louange
au Père, dans le sens plein de ce dernier mot : comme un fils envers son créateur,
comme un homme perdu qui cherche un guide, comme un pécheur qui chercherait le
pardon. Donc, cet homme appelle Dieu, ou plutôt cherche à l’approcher, il a soif de sa
Lumière, de sa protection, de son savoir omniscient : Je viens à vous Seigneur, répété
aux vers 21 et 25.
Ce péché semblait avoir été commis par Adam et Eve dans une volonté d’indépendance,
de meilleure qualité de vie et tout simplement de bonheur, sans rien devoir à Dieu lui-
même ; la créature reniait le Créateur par cette envie d’autonomie. Ce poème montre un
renversement spirituel de l’homme seul dans sa dure réalité, comme l’enfant parti trop
tôt qui revient chez son père rassurant : ce poème est tout simplement un cri d’amour de
l’homme vers Dieu.
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LXXX.
Extrait des Poèmes Barbares, Œuvres de Leconte de Lisle, tome II, Les Belles Lettres, Paris,
1976.
Ce poème fait partie du recueil de Leconte de Lisle intitulé Poèmes Barbares (1862-
1878). La fin de l’homme, écrit en alexandrins, décrit les derniers jours d’Adam, ses dernières
réflexions et enfin sa prière. A travers la description de ses derniers instants, le poète rappelle
ce que furent les prémices de l’humanité : le jardin d’Eden, la création de l’homme et de la
femme, le péché originel et ses conséquences, Abel et Qaïn, Seth...
Vers 1 à 5 : La première strophe nous présente la situation des personnages bibliques :
Qaïn condamné à errer sur la terre après le meurtre de son frère Abel (v.1), Eve déjà morte
“Dans la terre muette Eve dormait, ...”, Seth dernier fils d’Adam et Eve encore bien jeune :
“Celui qui naquit tard, en Hébron, grandissait”, et enfin Adam, âgé et fatigué : “Comme un
arbre feuillu, mais que le temps émonde, / Adam, sous le fardeau des siècles, languissait.”
Vers 6 à 10 : Leconte de Lisle décrit d’abord l’homme “en sa gloire première”, tel que
Dieu le façonna, c’est-à-dire fort et beau, immortel, à l’âme pure. “Chair neuve où l’âme vierge
éclatait en lumière / Devant la vision de l’immortalité.” (v.9-10).
Vers 11 à 15 : Cette strophe s’oppose radicalement à la précédente. En effet, Adam y est
décrit comme un vieillard tremblant, triste et fatigué. Le vers 11 rappelle le péché originel par
l’expression “l’irréparable chute” et les conséquences de cet acte par “...et la misère et l’âge”.
Adam, par son péché, a été chassé du jardin d’Eden où le travail était joie et facilité, mais par
35
Dans ce magnifique poème, Leconte de Lisle a traité de la fin d’Adam en se fondant sur
le texte biblique décrivant le péché originel et ses conséquences et en se projetant dans
l’imaginaire mythique.
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Le péché a fait “boule de neige”5, entraînant avec lui une accumulation de malheurs :
travail, souffrance, mort. Il serait faux d’isoler le premier péché, le plus lourd de conséquences
qu’on puisse imaginer, du tableau que l’auteur de la Genèse a lui-même peint d’une succession
de chutes qui ont intensifié la première. Adam paraît porter la responsabilité de la situation
pécheresse et malheureuse de toute l’humanité, or ce sont tous les hommes qui, pécheurs
depuis les origines, sont responsables du péché du monde, que, selon la doctrine chrétienne, le
Christ est venu vaincre : “ ...il voit Jésus et dit : “Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché
du monde.” (Jn. I, 29).
D’après l’interprétation chrétienne, il n’y a jamais eu de temps où l’homme, devenu
capable d’option libre, n’ait été pécheur, sinon toute une partie de l’humanité n’aurait pas eu
besoin de la grâce rédemptrice du Christ et la rédemption opérée par le Christ ne serait pas
universelle.
Qu’on admette ou non l’historicité d’Adam comme premier pécheur, la chrétienté nous
rappelle souvent que la masse humaine a été pécheresse dès que ses membres ont été capables
de distinguer le bien du mal. Mais cela ne signifie pas que le premier acte libre posé par un
homme adulte ait été nécessairement un péché. Il suffit d’admettre qu’il n’y a jamais eu, aux
origines, d’homme adulte capable d’acte libre qui n’ait été pécheur durant son existence
terrestre. Nous ne pouvons savoir réellement quand l’homme, par l’éveil de sa raison et de sa
conscience, a été capable de pécher. Le ou les premiers hommes envisagés par les
paléontologues n’ont pu être le ou les premiers hommes envisagés par la révélation biblique.
Bien des générations ont dû passer avant que l’humanité ne devienne capable de commettre un
acte vraiment “peccamineux”6 tel qu’il est décrit symboliquement dans le récit de la Genèse.
Si le péché d’Adam et Eve raconté en Genèse II et III est l’original de tout péché commis par
l’humanité depuis ses origines, le récit du premier péché nous révèle ce qui est
fondamentalement notre péché comme rupture de notre relation filiale et amicale avec Dieu.
Le christianisme enseigne que tous les hommes naissent sans la grâce filiale, par
solidarité avec Adam et Eve pécheurs, c’est-à-dire avec toute l’humanité qui est pécheresse
depuis ses origines. Mais tous les hommes peuvent renaître fils de Dieu.
CONCLUSION :
Finalement, le péché des origines ne fut que le début d’une très longue histoire, celle d’une
humanité qui sera pécheresse jusqu’à la fin des temps. Certes les premiers hommes, par leur
faute initiale, ont inauguré le règne du péché dans le monde, mais ils ne firent que l’inaugurer :
le règne du péché se manifeste dès les premiers récits qui, dans la Genèse, suivent celui du
péché d’Adam. Les poèmes et les textes que nous avons traités dans notre dossier reprennent,
bien sûr, le thème du péché originel, mais plus largement l’idée que l’homme est uni à Dieu,
que ce soit dans sa création, dans sa faute, dans son châtiment, ou bien dans son repentir :
l’homme est dépendant de Dieu, comme le fils est dépendant de son père.
BIBLIOGRAPHIE
Dictionnaires:
Ä Dictionnaire culturel de la Bible, Cerf-Nathan, 1990.
Ä Encyclopédie Universalis, Dictionnaire du Judaïsme, art. “Adam”, art. “Eve”, Albin
Michel, 1998.
Collections littéraires:
Ä Bogaert et Passeron, Les lettres françaises, Moyen-Age, chap. sur le théâtre religieux,
Magnard, Paris, 1954.
Ä Lagarde & Michard: Moyen-Age, Bordas, 1960.
Ä Lagarde & Michard: XIX°, Bordas, 1968.
Ä Lagarde & Michard: XX°, Bordas, 1962.
Ä Leconte de Lisle, Poèmes Barbares, tome II, Critique par E. Pitch, Les Belles Lettres,
Paris, 1976.
Marc Chagall, « Adam et Eve chassés du Paradis terrestre », Message biblique, 1954-1967,
Nice.
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