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Tout d’abord, dès le début du poème, P.

Corneille exprime sa crainte du temps qui


passe. En effet, la personnification du temps « le temps aux plus belles choses / se plaît à faire
un affront » (V. 5-6) marquée par l’emploi du présent, souligne sa cruauté et son caractère
destructeur, notamment sur le corps. Le poète, en dressant son portrait, met l’accent sur son
vieillissement, comme en témoigne le champ lexical de la vieillesse : « si mon visage / a
quelques traits un peu vieux » (V. 1-2), « rider mon front » (V. 7-8) et attribue à ce dernier un
caractère universel, marqué par la métaphore des planètes aux vers 9-10 : « Le même cours
des planètes / Règle nos jours et nos nuits ». A travers ce présent de vérité générale, Corneille
montre l’immuabilité des choses et le caractère inexorable de la mort. De surcroît, cette
fatalité est accentuée par le topos du memento mori, que l’on retrouve à travers l’impératif
« souvenez-vous » au vers 3. Cependant, ce motif du carpe diem qui jalonne le poème semble
ici détourné par le poète, qui l’emploie afin de se venger Marquise, qui l’a éconduit. En effet,
si Corneille la complimente de prime abord, comme le montre le champ lexical de la beauté
du corps : « aux plus belles choses » (V.5), « des yeux qui me semblent doux » (V. 22),
« belle Marquise » (V.29) ou le lyrisme du poème marqué par l’emploi du « je » et du
« vous », il ne fait en réalité que souligner les effets néfastes du temps sur sa beauté. Ainsi, la
métaphore de la rose employée à la manière de Ronsard est ici contrebalancée par les
conséquences terribles du vieillissement : « Et saura faner vos roses » (V.7) ou encore « (…)
à mon âge / Vous ne vaudrez guère mieux. » (V.3-4) L’emploi du futur pour évoquer
Marquise contraste ici avec l’utilisation du passé composé lorsqu’il s’agit pour Corneille de
parler de lui-même. Par cette alternance des temps, l’auteur oppose leurs âges respectifs mais
dresse également le parallèle de leur destinée : Marquise est condamnée à lui ressembler.
Par ailleurs, si le motif du carpe diem semble employé aux fins d’une vengeance, il
n’en demeure pas moins qu’il est également un moyen pour le poète de célébrer sa grandeur.

En effet, le poème se présente d’une part comme une véritable argumentation dans le
but de pousser Marquise à céder aux avances de Corneille. Ce dernier tente de persuader la
jeune femme à la fois en lui rappelant le temps qui passe et sur lequel elle n’a pas d’emprise,
et en vantant ses propres mérites. De ce fait, Corneille affirme sa supériorité sur Marquise en
se présentant triomphant du temps qui passe. Les connecteurs logiques expriment cette
apparente contradiction et participent à la stratégie argumentative que l’auteur déploie :
« cependant » (V.13), « mais » (V.18), « quoiqu’un » (V.30). Comme Ronsard, il affirme
avec force que son nom passera à la postérité : « Pour n’avoir pas trop d’alarmes / De ces
ravages du temps. » (V.16) et met ainsi en valeur la pérennité de la figure du poète. D’autre
part, la célébration de son pouvoir passe également par le chantage qu’il exerce sur la jeune
femme. En effet, l’utilisation des pronoms personnels dans le poème, alternés de la même
façon que les temps passé et futur, montre bien la victoire de Corneille. Ainsi, le chiasme
grammatical aux vers 11 et 12 met en relief la domination du poète sur la femme courtisée  :
« on m’a vu ce que vous êtes / vous serez ce que je suis. ». Plus, loin dans le texte, le
chantage est plus explicite et la menace, construite en gradation ascendante, de plus en plus
directe : « Et dans mille ans faire croire / ce qu’il me plaira de vous » (V.23-24) appuyé par
« Chez cette race nouvelle / où j’aurai quelque crédit / vous ne passerez pour belle / qu’autant
que je l’aurai dit. » Il semblerait alors que le chantage soit le suivant : cédez à mes avances et
votre jeunesse sera éternellement préservée grâce à mon pouvoir de poète. N’y cédez pas, vos
attraits passeront et l’on vous oubliera. De plus, la dernière strophe, introduite par le conseil à
l’impératif adressé à Marquise « pensez-y » (V.29), clôt le poème en consacrant la gloire de
Corneille et sa supériorité : « comme moi. » (V.32). En somme, bien loin de l’idéalisation de
l’amour traditionnel ou de la célébration de la femme aimée, c’est en réalité lui-même que le
poète célèbre ici.
Enfin, ce poème de Corneille "Stances à Marquise" est marqué par une évidente
volonté de se venger, qui se justifie sans doute par le dépit du poète. Ayant été éconduit,
l'auteur dévalorise Marquise en mettant en avant ses propres qualités, notamment la grandeur
que lui confère son statut de poète. Pour ce, il a recours au motif du Carpe Diem, qu'il
détourne à son avantage.
On retrouve ici le même motif et le langage quelque peu provocateur de Ronsard dans
son célèbre sonnet adressé à Hélène : "Quand vous serez bien vieille..."

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