Ils reverdissent les déserts. Ils rendent leurs territoires autonomes en énergies
renouvelables. Ils imaginent des outils de démocratie directe. Ils construisent
des habitats coopératifs et implantent l’agriculture dans les villes. Ils créent
des circuits financiers éthiques et de nouvelles formes de travail, horizontales
et collaboratives. Et, partout dans le monde, ils échangent sans argent,
fabriquent, réparent, recyclent et mettent en place de nouveaux communs.
Qui sont-ils ? Des hommes et des femmes qui ont repris en main les enjeux
qui les concernent. Et qui, de New York à Tokyo, de Barcelone aux villages
du Burkina Faso et de l’Inde, inventent ce que pourrait être le monde de
demain.
À sa parution en 2012, ce livre a été le premier à décrire la dimension
mondiale de ces révolutions silencieuses. Il est devenu une référence pour
tous ceux qui se reconnaissent dans ces nouveaux modes de vie et a reçu le
Prix 2013 du Livre Environnement.
Avec cette deuxième édition enrichie, Bénédicte Manier poursuit son
voyage au sein de cette société civile innovante. Elle montre que de simples
citoyens peuvent trouver des solutions à la plupart des maux de la planète.
Des solutions qui dessinent les contours d’une société plus écologique, plus
participative, plus solidaire.
Bénédicte Manier
DU MÊME AUTEUR
Made in India. Le laboratoire écologique de la planète, Premier Parallèle,
2015.
L’Inde nouvelle s’impatiente, Les Liens qui Libèrent, 2014.
Le travail des enfants dans le monde, La Découverte, 2011.
Quand les femmes auront disparu. L’élimination des filles en Inde et en Asie,
La Découverte, 2008.
ISBN : 979-10-209-0036-4
© Les Liens qui Libèrent, 2016
Bénédicte Manier
Un million
de révolutions tranquilles
Comment les citoyens changent le monde
Et quidem mare commune omnium est et litora, sicuti aer (Car la mer
est commune à tout le monde, ainsi que le rivage, ainsi que l’air).
Justinien, Digeste, 535 av. J.-C.
L’eau est l’origine et la substance de la vie. Mais c’est aussi une ressource
qui s’épuise. L’accroissement de la population mondiale, ainsi qu’une
agriculture et une industrie boulimiques, menacent les ressources hydriques
du globe. Le cycle naturel (évaporation, précipitation, infiltration), seul
capable d’assurer le renouvellement des réserves, est perturbé par
l’urbanisation, la déforestation et le changement climatique, et la
désertification avance partout, en Afrique, aux États-Unis, en Espagne, en
Chine, en Inde et en Asie centrale. D’après la Banque mondiale, la moitié de
la population mondiale manquera d’eau de manière chronique d’ici à 2025 et
déjà, un peu partout sur la planète, le partage de l’eau provoque des tensions
géopolitiques.
L’un des pays les plus révélateurs de cet enjeu est l’Inde. La double
croissance – économique et démographique – y pèse lourdement sur les
réserves hydriques et, à elle seule, l’agriculture accapare 90 % de l’eau
consommée, menant les ressources fluviales et souterraines au bord de
l’épuisement1. Un quart de la population est touché par la sécheresse, le
rationnement d’eau est chronique – à New Delhi, les robinets ne coulent que
quelques heures par jour – et la plupart des études prévoient un épuisement
total des réserves du pays d’ici à 2030 ou 2035.
La validité des solutions low-tech
1 Voir Bénédicte Manier, « L’eau en Inde, un enjeu social et géopolitique », Le Monde diplomatique,
Planète Asie, 2010.
2 Voir sur http://www.nasa.gov/topics/earth/features/india_water.html.
3 « How One Woman Made 100 Villages in Rajasthan Fertile Using Traditional Water Harvesting
Methods », The Better India, 15 décembre 2015.
4 Avec les taankas (réservoirs) mis en place par l’association Gravis et la fondation France Libertés.
5 Voir la Water Literacy Foundation : www.waterliteracy.tk/.
6 Voir www.annahazare.org/ralegan-siddhi.html.
7 S. Vishwanath, « It is time to reduce the water footprint », The Hindu, 9 juin 2012.
8 Voir www.rainwaterharvesting.org/Rural/Traditional.htm.
9 Source : Programme des Nations unies pour l’environnement
(www.unep.or.jp/ietc./publications/urban/urbanenv-2/9.asp).
10 Shreya Pareek, « The Man Who Creates Artificial Glaciers To Meet The Water Needs Of Ladakh »,
The Better India, 6 novembre 2014.
11 « Las Amunas de Huarochiri. Recarga de los acuiferos en los Andes », Gestion social del agua y
ambiente en Cuencas (GSAAC), juin 2006.
12 Voir Grow New York : www.grownyc.org/openspace/rainwater-harvesting/map.
13 Yannick Nodin, « À Grenoble, l’eau de pluie stockée et redistribuée », Le Moniteur Hebdo,
9 septembre 2010.
14 Xavier Demeersman, « Les réserves d’eau douce souterraine de la planète sont mal en point »,
Futura Sciences, 19 juin 2015.
15 Au Mexique, par exemple, jusqu’à 900 000 personnes abandonnent leurs terres chaque année pour
migrer vers les villes ou les États-Unis. Voir la Convention des Nations unies pour la lutte contre la
désertification (UNCCD) : www.unccd.int/en/resources/Library/Pages/FAQ.aspx.
16 L’Onu estime que 80 % des conflits armés de la planète affectent des sociétés où les écosystèmes
sont dégradés par le manque d’eau.
17 Source : « L’Eau et l’emploi », Unesco, Paris, 2016,
http://unesdoc.unesco.org/images/0024/002441/244163f.pdf.
18 Voir Daniel Hofnung, « Pour un nouveau paradigme de l’eau », 2013 (https://blogs.attac.org/paix-
et-mutations/article/pour-un-nouveau-paradigme-de-l-eau), et M. Kravčík et alii, « Water for the
Recovery of the Climate – A New Water Paradigm »,
2007 (http://www.waterparadigm.org/download/Water_for_the_Recovery_of_the_Climate_A_New_Water_Paradigm.pd
19 Un documentaire a été réalisé en 2010 sur Yacouba Sawadogo : The Man Who Stopped the Desert
(www.1080films.co.uk).
20 « Innovation locale au Burkina Faso dans la vulgarisation agriculteur à agriculteur », portail du
développement du Burkina Faso (http://www.burkina-ntic.net/spip.php?article393).
21 Boukari Ouangraoua, « Burkina Faso : Ousséni Zoromé, le paysan-chercheur », Syfia, 11 mai 2005
22 Rapport du rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation Olivier de Schutter, Assemblée générale
des Nations unies, 20 décembre 2010.
23 L’association Kaab-Noogo, l’association des groupements zaï pour le développement du Sahel, ou
l’Association des écoles de zaï sur le terrain.
24 Comme les étangs traditionnels du Kerala (kulams), remplacés par des barrages qui ont dévasté des
zones autrefois bien irriguées. Sur ces savoirs vernaculaires, voir Anupam Mishra, Traditions de l’eau
dans le désert indien, L’Harmattan, 2001.
25 En 2016, Coca-Cola avait déjà fermé 5 de ses 24 usines d’embouteillage en Inde sous la pression
populaire et en raison d’une baisse de la consommation. La firme n’en reste pas moins leader du
marché de l’eau en bouteilles. Voir « Coca-Cola has closed 20 per cent of its bottling plants in India :
Report », Down to Earth, 21 mars 2016.
26 Bernard de Gouvello, Jean-Marc Fournier, « Résistances locales aux « privatisations » des services
de l’eau : les cas de Tucuman (Argentine) et Cochabamba (Bolivie) », Autrepart, no 21, IRD, 2002.
27 Ibid.
28 Regroupées dans l’association Asica-Sur – Asociación de Sistemas Comunitarios de Agua del Sur.
29 Système d’entraide lors des travaux agricoles et de la construction de maisons qui date des Incas. Le
principe est : hoy por ti, mañana por mi (aujourd’hui pour toi, demain pour moi).
30 Voir le site de la fédération des coopératives de cet État : http://abwaterco-op.com/.
31 Source : Kostas Nikolaou, « Another world exists : Thousands of water cooperatives on the planet »,
17 septembre 2014, www.fame2012.org/en/2014/09/17/water-cooperatives-on-the-planet/.
32 Leur nom dérive de l’arabe as saqiyah (canal). Venues du Maghreb et du Machrek, elles ont été
introduites en Espagne à partir du VIIIe siècle par la conquête arabe. Puis les conquistadors les ont
amenées de l’Ancien Monde au Nouveau Monde, vers les pays andins et le Mexique, où elles se sont
métissées avec les systèmes amérindiens.
33 Anup Sharma, « To Each According to His Needs », Infochange India, 2010.
34 www.lasacequias.org.
35 Notamment Grenoble, Paris, Rennes, Nice et Montpellier en France. Voir « Là pour durer : la
remunicipalisation de l’eau, un phénomène global en plein essor », rapport publié en 2014 par le
Transnational Institute (TNI), l’Unité de recherches internationales sur les services publics (PSIRU) et
l’Observatoire des multinationales.
L’agriculture, nouvelle frontière urbaine
L’apport de l ’hydroponie
Parallèlement aux fermes péri-urbaines, les espaces très urbanisés, où le
foncier manque, peuvent aussi recourir aux cultures verticales en hydroponie,
une technique qui utilise dix fois moins d’eau que la culture en terre. À
Montréal, elle permet déjà de produire des légumes frais toute l’année, alors
que le climat rigoureux du Québec oblige d’habitude la ville à importer la
majorité de ses légumes de Californie. C’est là que je suis allée rencontrer un
des pionniers de cette technique, Mohamed Hage.
Mohamed a posé sa première serre hydroponique, la Ferme Lufa, sur le toit
d’un immeuble industriel de Montréal. Sur 3 000 m2, des rangs de gouttières
micro-irriguées font surgir de longues tiges chargées de poivrons, de
courgettes et de tomates. Chaque jour, la serre produit ainsi 600 kg d’une
quarantaine de variétés de légumes, vendus par paniers sur place (70 % des
clients sont du quartier) et dans des relais en ville. Le succès a été immédiat :
« Dès la première semaine, 500 paniers ont été vendus », raconte Mohamed,
qui a dû s’associer à des producteurs bio de la région pour répondre à la
demande.
La serre Lufa est le prototype d’une culture qui allie technologie et
écologie. Pas de pesticides, mais des coccinelles et des abeilles pour assurer
la pollinisation. Elle utilise peu d’eau : la micro-irrigation est fournie par le
recueil de la pluie et de la neige sur la verrière. « Chaque fois qu’il pleut, nos
réservoirs sont pleins et nous n’utilisons plus l’eau du robinet pendant une
semaine », explique Mohamed – et l’eau est recyclée en circuit fermé. De
même, c’est la récupération de la chaleur de l’immeuble, associée au soleil,
qui chauffe la serre. Celle-ci fournit d’ailleurs une parfaite couverture
isolante, qui limite les pertes thermiques de l’immeuble en hiver et rend
inutile la climatisation en été.
À l’avenir, prédit-il, les villes seront « remplies de ces serres sur les toits. Il
ne faut que deux mètres carrés d’hydroponie pour alimenter un habitant toute
l’année, et Montréal, par exemple, a assez de toits pour être totalement
autonome ». Un modèle reproductible autant au Nord qu’au Sud : Mohamed,
qui s’est aussi implanté à Laval et à Boston, est sollicité par des pays comme
le Bangladesh ou l’Arabie Saoudite. Il est persuadé que, sans culture
intensive sur les toits, « on ne pourra pas nourrir neuf milliards d’humains ».
L’économie du don
Vous ne voulez plus jeter ? Alors donnez : le don et le partage constituent
aujourd’hui une véritable économie. Les objets encore utiles (électroménager,
jouets, CD…) profitent au réseau des Ressourceries et des communautés
Emmaüs, ou bien, sur le principe des frigos solidaires, peuvent être déposés
dans une Givebox, ces petites cabines faciles à installer dans son quartier,
avec quelques planches de bois et un écriteau indiquant qu’on peut y laisser
des objets ou se servir gratuitement. Là encore, c’est un Berlinois qui a eu
cette idée en 2001, avant qu’elle ne se répande dans toute l’Europe et au
Canada.
Comme elles, les gratiferias ont gagné plusieurs continents : ces vide-
greniers en plein air où tout est gratuit ont été lancés à Buenos Aires par un
jeune Argentin, Ariel Rodríguez Bosio, afin de promouvoir une autre
économie. Ils sont devenus un vrai phénomène de société, faisant retrouver à
chacun le plaisir de donner et de récupérer. Avant les gratiferias, les villes
nord-américaines connaissaient déjà des marchés similaires, les really, really
free markets, organisés dans des squares où livres, vêtements ou ordinateurs
sont donnés par des particuliers. De nombreuses villes ont aussi des give
away shops, où il faut amener un objet pour en emporter un autre, ainsi que
des free stores, des magasins gratuits, notamment installés à Détroit,
Cincinnati ou Baltimore.
En Allemagne, des « magasins pour rien » (Umsonstladen47) ont été lancés
à Hambourg en 1999 et sont désormais présents dans toutes les grandes
villes, ainsi qu’à Vienne (Autriche), Amsterdam, Lausanne, Mulhouse et
Paris (le Siga-Siga). Deux jeunes Sud-Africains, Max Pazak et Kayli Vee
Levitan, ont créé, eux, des magasins éphémères de rue, les Street Stores, où
l’on déploie vêtements et chaussures sur un mur, une palissade ou au coin
d’un carrefour pour les donner à ceux qui en ont besoin48.
En dehors de ces réseaux physiques, l’économie du don s’est évidemment
développée sur Internet : le réseau Freecycle réunit quelque 9 millions de
membres dans 170 pays49, et Freegle compte 1,3 million de membres au
Royaume-Uni. Sans compter Ozrecycle en Australie, les Donneries en
Belgique et les multiples sites de dons en France50, qui, d’ailleurs, ne
collectent pas que des objets. Les-ptits-fruits-solidaires.com ou lepotiron.fr,
par exemple, permettent de donner les surplus de votre jardin aux personnes à
faibles revenus.
Le don de livres, lui, est organisé par le réseau Circul-livre à Paris et la
Nuit mondiale des livres (World Book Night) au Royaume-Uni, aux États-
Unis et en Allemagne. Plus poétique est la pratique internationale du
bookcrossing51 : on laisse un livre dans un endroit public, avec un mot disant
qu’il est là pour être lu par d’autres, et une étiquette qui le suit dans tous ses
voyages.
Les bibliothèques de rue ont un peu le même esprit nomade : il suffit d’y
déposer un livre pour en prendre un autre. On les trouve dans
quelque 70 pays, notamment aux États-Unis (little free libraries52 ou
bookboxes), au Canada, au Mexique, au Japon, en Inde (bibliothèques
ambulantes), en Ukraine et un peu partout en Europe (Allemagne, Espagne,
Royaume-Uni, Pays-Bas, France53). L’essentiel, c’est d’être imaginatif : ces
micro-bibliothèques sont installées dans des palettes récupérées, des frigos
repeints ou sur des vélos (les Bibliorodas54 du Brésil), dans des cabines
téléphoniques (New York, Londres), des caisses déposées sur les trottoirs (les
Occupy Libraries américaines55), des troncs d’arbre évidés (Berlin), de vrais
rayonnages (Cologne), ou sont portées à dos de chameaux (Kenya).
Livres, vêtements, objets usuels… Dans ces circuits économiques
parallèles, les gratuivores peuvent trouver tout ce qu’ils veulent. Ils peuvent
aussi glaner ce que la nature leur offre : le foraging (glanage) se pratique
désormais librement dans les grandes villes du monde (San Francisco,
Melbourne, Montréal, Buenos Aires, Nairobi, New Delhi, Paris…). Cette
biodiversité des villes – fruits, herbes aromatiques, salades sauvages… – est
recensée quartier par quartier, partout dans le monde, sur le site participatif
Fallingfruit.org. Mais il suffit souvent de regarder autour de soi : chaque
année, les noisetiers de ma rue parisienne m’offrent leurs fruits, et il m’est
arrivé de trouver du tilleul à Manhattan et des mandarines à Rome.
Cette galaxie d’échanges ne permet pas seulement de repenser ses choix de consommation : elle
suggère aussi que nos sociétés saturées de biens n’ont plus besoin d’en acheter pour satisfaire leurs
besoins, mais qu’il suffit de les partager et de les troquer. Ce qui ouvre peut-être la voie à une
réduction de la consommation, même si d’autres estiment que cela constitue, au contraire, une
forme d’extension du champ consumériste75.
Quoi qu’il en soit, on assiste bel et bien à un déplacement des valeurs. Dans les pays
industrialisés, la conjonction historique de trois crises mondiales – sociale, économique et
climatique76 – a éveillé les critiques à l’égard du système consumériste, et une partie des classes
moyennes a adopté l’idée d’une vie plus simple, basée sur moins de possessions et plus de bio et
de local. Dès les années 2000, les premiers groupes sociaux à entamer cette transition ont été les
créatifs culturels77 Ils étaient alors estimés à 12 à 25 % de la population des pays industrialisés
(environ 50 millions d’Américains et de 80 à 90 millions d’Européens), mais ils sont sans doute
bien plus nombreux aujourd’hui, et la révolution post-matérialiste qu’ils ont amorcée s’est
confirmée.
Aux États-Unis, 80 % des ménages déplorent désormais la vacuité de la société de
consommation et 70 % valorisent une vie simple78. Avec une consommation réduite, un retour
aux marchés locaux, au do it yourself et à l’entraide, une sorte de « démondialisation » s’est
silencieusement mise en place dans la société américaine, constatent ainsi John Gerzema et
Michael D’Antonio79. La sociologue Juliet Schor80 observe elle aussi que de nombreux
Américains ont choisi une vie plus sobre et plus écologique, qui combine habitat en éco-
matériaux, énergies alternatives, auto-production alimentaire et usage des technologies open
source. Cette « économie de la plénitude » est un changement profond, durable, initié par des
groupes sociaux éduqués, que l’accumulation de biens n’a pas rendus plus heureux et qui ont
adopté les mots en « R » : refuse, reduce, re-use, recycle, repair, rot81. Cette évolution
s’accompagne d’une profusion de blogs, de forums, de sites Web et de magazines, tandis que le
declutterring (désencombrement) et le minimalisme deviennent des sujets de best-sellers82.
Au Japon aussi, les livres sur le danshari83 se vendent par millions. Cette philosophie de vie
minimaliste, adoptée par une jeune génération, s’inspire du dépouillement zen et vise à se libérer
du matérialisme. Idem au Québec : « Il n’y a plus grand monde qui ne sache pas ce qu’est la
simplicité volontaire », y constate Serge Mongeau, auteur du livre best-seller La Simplicité
volontaire84. Assis près de la cheminée de sa maison de Montréal, il observe que « de plus en plus
de gens se disent : je ne veux pas faire comme mes parents, embarquer dans ce système compétitif
et travailler dans une société juste pour faire gagner de l’argent à des millionnaires. Beaucoup vont
travailler dans le communautaire ou pour un écoquartier. Et ils simplifient leur vie. Ils vivent avec
moins, mais ils ont une vie qui a un sens ». En d’autres termes, ils privilégient l’être par rapport à
l’avoir.
Ce que Patrick Viveret appelle la « sobriété choisie » ne concerne sans doute qu’une minorité,
mais montre, estime Serge Mongeau, que « la société bouge par en bas. Tout ce monde-là
commence à se parler. Et le changement de société va se faire comme ça, par différentes zones qui
vont se connecter. Rien ne changera d’en haut. Mais de la base émerge maintenant une conscience
collective ».
La génération makers
Cette réappropriation collective de la technologie pour la mettre au service
de nouveaux modèles est également au cœur de l’esprit fab-lab. Dans ces
espaces de do it together, logiciels, machines-outils et imprimantes 3D
permettent de concevoir tous types d’objets, de tout réparer en produisant des
pièces détachées (pour combattre l’obsolescence programmée) et d’imaginer
tous les prototypes de matériel open source. Partis d’un premier local
expérimental dans le Bronx, les fab-labs sont aujourd’hui présents dans le
monde entier119 et ont donné naissance à un univers en constante expansion :
makerspaces, hackerspaces, living labs, open bidouille camps120 et autres
ateliers de bidouille collective, ainsi que les hackathons, hackdays et
hackfests, ces temps d’élaboration de solutions technologiques qui accélèrent
les innovations. Le « make » s’est imposé partout comme un processus
collectif d’une créativité sans limite, qui ouvre la possibilité de tout concevoir
et de tout fabriquer, dans des ateliers autonomes et décentralisés, aux
antipodes du modèle actuel de production standardisée.
À lui seul, le monde des makers rassemble toutes les caractéristiques des
innovations citoyennes. Il se situe en effet au carrefour de plusieurs cultures
d’opposition aux logiques économiques dominantes : l’esprit collaboratif,
l’ethos hacker (créativité, open data, solutions pour améliorer un
environnement social) et l’envie de construire une alternative basée sur le
DIY, le non-consumérisme et les coopérations horizontales. De même, il
mise sur l’intelligence collective en associant plusieurs acteurs (geeks,
bricoleurs, ingénieurs, artistes), mêle le high-tech au low-tech, et donne
autant d’importance à l’innovation pure qu’à l’utilité sociale.
La Fab Life a déjà fait reculer les frontières du possible dans de nombreux
secteurs, comme le travail, la santé ou l’habitat. Un fab-lab associé à l’Institut
d’architecture avancée de Barcelone, organisme à l’avant-garde des nouvelles
façons de concevoir la ville, a ainsi créé la Fab Lab House, une maison en
bois à énergie solaire devenue une icône de l’éco-construction. De son côté,
le réseau e-Nable, fort de plus de 5 000 bénévoles, conçoit et distribue des
prothèses de mains imprimées en 3D au coût de fabrication mille fois
inférieur à celui des appareillages classiques. L’impression 3D révolutionne
d’ailleurs la réparation des corps en fabriquant des parties organiques
(muscles, cartilage artificiel, os, peau) et des membres articulés contrôlés par
le cerveau.
Dans les pays en développement, les fab-labs sont aussi des espaces
d’empowerment qui réduisent la fracture numérique, dopent l’innovation
collective et servent d’incubateurs aux start-up121. L’Afrique et l’Asie savent
d’ailleurs, comme nul autre continent, constituer des réseaux de makers
alliant les nouvelles technologies aux savoirs de terrain de paysans ou
d’artisans122 pour fabriquer des objets utiles : outils agricoles low-tech,
innovations médicales, ordinateurs et imprimantes 3D en pièces recyclées,
installations solaires nomades, solutions mobiles de paiement ou de vente des
produits fermiers, etc.
En quelques années, l’esprit fab-lab a ainsi fait entrer la société civile dans
un nouvel « Âge du faire », pour reprendre le titre du livre que le sociologue
Michel Lallement a consacré à ces « zones d’autonomie, où se bricole une
autre manière d’innover, de produire, de collaborer, de décider, de façonner
son identité et son destin »123. À terme, fab-labs et autres ateliers
collaboratifs permettront à chacun de fabriquer l’objet dont il a besoin, pour
trois fois rien et en open source, d’autant que des fab-labs itinérants circulent
partout. L’un des analystes de ce secteur, Chris Anderson, y voit le début
d’une nouvelle révolution industrielle qui va rendre obsolètes la production et
la consommation de masse et modifier l’organisation du travail et la vie en
société124.
Pour le moment, hacking et fab-labs n’ont pas encore bouleversé le
système économique, mais ils marquent bien l’entrée dans une nouvelle
ère125, où la réflexion collective en Lab se généralise et où technologies,
objets et services sont désormais améliorés de façon permanente, grâce à une
collaboration décentralisée et sans hiérarchie. Michel Lallement y voit une
importante mutation du travail et estime que les fab-labs auront un impact sur
nos sociétés, car les « communautés utopiques ne sont pas des îlots d’illusion
dans un océan de réalisme. Elles savent secouer les mondes qui les entourent
et les traversent ».
Les fab-labs suscitent d’ailleurs de nouvelles dynamiques, comme les Fab
Cities, des villes où la fabrication digitale sera un jour enseignée dans chaque
collège et où chaque immeuble aura son atelier pour réparer et inventer une
solution à un problème local. Des micro-usines autogérées de quartier
produiront biens et services adaptés aux besoins des urbains, et des
laboratoires reliés en réseau pourront co-améliorer certains aspects de la vie
en ville : pollutions, services publics, espaces verts, mobilités intelligentes,
smart grids énergétiques, approvisionnement alimentaire, etc. Quelle que soit
l’appellation de ces nouvelles façons de co-réinventer la ville (sharing cities,
contributive cities, collaborative ou adaptive cities), l’appropriation
démocratique des technologies s’y fera par le partage des compétences de
pair à pair et l’utilisation de modèles open source126. La ville de Barcelone,
qui se projette en Fab City, a déjà créé des fab-labs de service public
(Ateneus de Fabricació) et en compte plusieurs dizaines d’autres, privés ou
associatifs127.
Partager le travail
Indissociables de l’esprit fab-lab, les espaces de coworking connaissent
eux aussi un développement rapide128, au point d’être regroupés en réseaux
continentaux (comme Coworking Europe) et en chaînes internationales, à
l’image de Copass, un réseau mondial de coworking, de co-living, de
hackerspaces et de fab-labs. Numa, un tiers-lieu né en France129 et dédié à
l’innovation numérique, qui associe coworking et incubation de start-up, a
essaimé à Barcelone, Casablanca, Moscou, Bangalore et Mexico. À côté des
espaces commerciaux, de nombreux autres sont gérés par des associations,
comme Coworkinglille, installée au Mutualab de Lille et qui complète le
coworking d’un fab-lab et d’un makerspace. D’autres ont pris le statut de
coopérative, comme Koala à Québec ou Ecto à Montréal, les coworkers étant
alors des membres associés.
Tous se veulent des hubs d’innovation qui permettent aux membres d’une
communauté – travailleurs nomades, télétravailleurs, auto-entrepreneurs – de
mutualiser leurs outils, de réfléchir ensemble à leurs projets et de développer
des réseaux communs. La plupart accueillent d’ailleurs des professionnels
d’un même secteur (architecture, nouvelles technologies, économie
collaborative) ou dotés d’une vision commune : entreprises de l’économie
sociale et solidaire, associations écologistes, médias engagés, etc. C’est
notamment le cas de La Ruche, qui accueille de jeunes entreprises porteuses
de solutions écologiques ou sociales dans plusieurs villes de France
(Montreuil, Marseille, Paris…). Et c’est vrai ailleurs, comme à Seattle avec
l’Impact Hubest, une B-Corp130 de coworking qui regroupe d’autres B-Corps.
Ou en Afrique francophone, où les espaces créés par l’association Jokkolabs
accompagnent les jeunes entrepreneurs sociaux dans leur recherche de
solutions pour la santé, l’agriculture ou l’éducation.
Dans les années qui viennent, le coworking poursuivra évidemment son
expansion, car il accompagne un phénomène croissant : l’atomisation du
travail. Le statut de travailleur free-lance est en effet celui qui se développe le
plus vite dans les pays industrialisés131, et les espaces de coworking leur
évitent d’être isolés tout en agrégeant leurs compétences et en participant à
ces nouvelles formes de travail collaboratives et non hiérarchisées. Déjà, à
Berlin, Agora Collective attire des artistes de tout le pays, pour ses ateliers
créatifs. Et aux Pays-Bas, Seats2Meet, né à Utrecht en 2005, a essaimé en un
réseau mondial de près de 2 500 lieux de coworking, où échangent des
dizaines de milliers de travailleurs indépendants.
Vers de nouveaux écosystèmes
Difficile de conclure définitivement sur ce que sera, demain, l’ensemble de
ces nouveaux modes de vie, qu’une société civile qualifiée et innovante fait
évoluer chaque jour. À l’évidence, ils traduisent un certain déclin de
l’individualisme et la montée d’un sentiment d’appartenance à une vaste
communauté informelle, dont les membres habitent à la fois la même ville et
un pays lointain, et se retrouvent dans les nouvelles tribus que sont ces
réseaux de consommation (coopératives ou Amap), d’échanges de savoirs et
de biens, de production (fab-labs, hackathons) et de mutualisation des
connaissances (sciences citoyennes, Wiki…). La vie s’articule désormais
entre plusieurs sphères collaboratives : on est à la fois membre d’une Amap,
d’un fab-lab et d’un site de covoiturage, tout en échangeant des biens sur
Internet et en passant ses vacances en slow travel dans une maison prêtée.
Ces nouveaux usages se jouent des paradoxes, puisqu’ils promeuvent à la
fois le ralentissement (l’esprit slow, les Amap, la décroissance) et
l’accélération (innovations open source, hackathons, fab-labs). Mais ils ont
en commun de penser « glocal », puisqu’ils valorisent autant l’économie
locale que l’appartenance à une communauté mondiale de citoyens en
réseaux. Ils contribuent enfin au déclin du modèle pyramidal et à l’émergence
d’une société qui remplace la concurrence par le « faire ensemble ».
Le spécialiste Michel Bauwens estime que cette reprise en main des
technologies et des circuits de production, ainsi que leur usage collaboratif,
font émerger une « économie post-capitaliste » qui redistribue « le travail, la
connaissance, le soutien financier ». Elle constitue même une nouvelle forme
d’organisation politique, une « démocratie non représentative » où les
citoyens « gèrent eux-mêmes leur vie sociale et productive au travers de
réseaux autonomes et interdépendants »132. Un modèle qui favorise la
production de communs : lien social, temps partagé, technologies open
source, communs de connaissances et actions utiles à la collectivité
(recyclage, agriculture bio… )133.
Par petites touches, ces nouveaux usages font ainsi émerger une société
fonctionnant en écosystèmes citoyens, horizontaux et cogérés. Ces reprises en
main polymorphes, dispersées, amorceront peut-être un jour une transition
plus globale, avec la connexion progressive de millions d’écosystèmes
intelligents et de réseaux économiques coopératifs à l’échelle mondiale.
1 En France, le chiffre d’affaires des hypermarchés baisse régulièrement et, aux États-Unis, les
shopping malls (centres commerciaux) connaissent un réel déclin, plusieurs ayant dû fermer. Voir Lisa
Millar, « Dead malls : Half of America’s shopping centres predicted to close by 2030 », ABC,
28 janvier 2015, et Maxime Robin, « Pourquoi les jeunes Américains désertent-ils les malls ? », Les
Inrockuptibles, 2 novembre 2014.
2 Voir www.slowfood.com, www.slowmovement.com et www.terramadre.org. Ce mouvement présent
dans 153 pays organise un sommet mondial annuel aux États-Unis (www.slowlivingsummit.org).
3 Cittaslow.net.
4 Pour les États-Unis, voir par exemple www.slowmoney.org/local-groups.
5 Livingeconomies.org.
6 Une étude effectuée à Portland (Maine) a montré que 100 dollars dépensés dans les commerces
locaux génèrent 58 dollars de plus dans l’économie locale, mais que l’impact n’est que de 33 dollars si
cette somme est dépensée au sein d’une chaîne nationale ou multinationale
(www.portlandbuylocal.org/news-events/study-buying-locally-pays-big-dividends/).
7 Elles sont déjà plus de 1,6 million aux États-Unis (Gar Alperovitz, « The New-Economy
Movement », The Nation, 25 mai 2011, www.thenation.com/article/160949/new-economy-movement).
8 Passant de 1 755 en 1994 à 8 268 en 2014 (US Department of Agriculture).
9 Source : Trends in U.S. Local and Regional Food Systems
(http://www.ers.usda.gov/webdocs/publications/ap068/51174_ap068_report-summary.pdf).
10 De 2004 à 2014 (source : National Farm to School Network, www.farmtoschool.org).
11 Avec des sites comme BigBarn.co.uk, http://www.farmtoschool.org, EatWild.com, etc.
12 Le site magasin-de-producteurs.fr en donne la liste. Certains fermiers y mettent en place un troc
interne de services : l’un transforme les fruits d’un autre en confiture et celui-ci, en retour, lui fabrique
ses yaourts. Quant aux sites Web, ils peuvent être locaux (Fermiers-Fermières près de Pau, les Paniers
de Thau dans l’Hérault, De la ferme au quartier à Saint-Étienne, etiktable.fr dans l’Ain, etc.) ou
nationaux (drive-fermiers.fr, chezvosproducteurs.fr, etc.).
13 Bruno Knipping, Francois Plesnar et Sébastien Pioli. Voir http://filiere-paysanne.blogspot.fr.
14 Cette plate-forme, présente dans plusieurs pays d’Europe, prélève une commission sur les ventes.
Elle est souvent critiquée par les concepteurs des Amap pour son caractère commercial et son
actionnariat, dans lequel figure Xavier Niel, fondateur de Free.
15 openfoodnetwork.org et openfoodfrance.fr.
16 Voir la carte sur www.localharvest.org/csa/.
17 www.reseau-amap.org/.
18 Annie Weidknnet a d’ailleurs écrit un livre : Amap, histoire et expériences, Nouvelles Éditions
Loubatières, 2011.
19 Voir l’étude comparative menée par les Paniers marseillais : http://lespaniersmarseillais.org/Etude-
de-prix-La-Bio-moins-cher.
20 Et auteur du livre Un projet de décroissance, Éd. Utopia, 2013.
21 www.reseaucocagne.asso.fr.
22 Voir Gaspard d’Allens et Lucile Leclaire, « Avec les Amap Bois, une autre forêt est possible »,
Reporterre, www.reporterre.net/Avec-les-Amap-Bois-une-autre-foret-est-possible.
23 Agnès Maillard, « Les épuisettes culturelles : un nouveau modèle économique au service des artistes
et des citoyens curieux », Bastamag.net, 2 avril 2015. Voir les initiatives de l’Amacca sur
http://amacca.org/category/repertoire-des-amacca/.
24 Plusieurs GASE existent en Bretagne, en Lozère, en Ardèche, à Paris, à Marseille… Voir
http://gase.parlenet.org/.
25 Les clubs Seikatsu ont reçu en 1989 le Right Livelihood Award, le « prix Nobel alternatif ».
26 Voir l’annuaire de ces coopératives locales sur www.ncga.coop/member-stores.
27 Source : European Community of Consumer Co-operatives (www.eurocoop.org).
28 Signe d’un changement de valeurs, les États-Unis, pays phare de l’agriculture industrielle, sont
devenus le premier consommateur mondial de bio, suivis par l’Europe. En France – troisième marché
national derrière les États-Unis et l’Allemagne –, le marché a doublé de 2007 à 2012 et progresse
d’environ 10 % par an. En Chine, la consommation a triplé de 2007 à 2012. En Inde, elle croît de 25
à 30 % par an, au Brésil de 20 %.
29 Kim Hyungmi, « Flux on Korean Consumer Cooperative Activities », iCOOP Co-operative
Institute, 2013.
30 Voir les chapitres sur l’habitat, l’usage de l’argent et la santé.
31 Heide B. Malhotra, « Community-Owned Stores on the Rise », The Epoch Times, 21 juillet 2009.
32 Sur ces épiceries coopératives nord-américaines, voir www.coopdirectory.org/,
www.foodcoopinitiative.coop/ et www.grocer.coop/coops (la cartographie donne une idée de leur
densité).
33 Voir les chapitres sur l’usage de l’argent et la santé.
34 Voir www.communityretailing.co.uk/shops.html.
35 www.pengwerncymunedol.btck.co.uk. De nombreuses reprises bénéficient de l’aide de la Fondation
Plunkett.
36 La Louve à Paris, Super Quinquin à Lille, La Cagette à Montpellier, la Chouette Coop à Toulouse,
Supercoop à Bordeaux, Bees Coop à Schaerbeek (Belgique), etc.
37 Voir https://coopaparis.wordpress.com/ et Nadia Djabali, « Une alternative à la grande distribution
en plein cœur de Paris », Bastamag.net, 29 mai 2014, www.bastamag.net/Une-alternative-a-la-grande.
38 Voir « Le Zeybu solidaire, l’équité alimentaire des producteurs aux consommateurs »
(www.alpesolidaires.org/le-zeybu-solidaire-l-equite-alimentaire-des-producteurs-aux-consommateurs).
39 Il existe plusieurs centaines d’épiceries sociales de ce type, en moyenne 20 % moins chères (voir la
liste sur epiceries-solidaires.org), dont certaines destinées aux étudiants, comme celles du réseau
Agoraé.
40 http://community-shop.co.uk/.
41 Voir « Un lieu participatif, à la fois épicerie bio et atelier de recyclage, pour restaurer, le monde de
demain », Bastamag.net, 30 janvier 2015.
42 www.cooperativebaraka.fr.
43 http://discosoupe.org/disco-boco/.
44 Parmi les nombreux documentaires sur ce sujet, on peut notamment voir sur Youtube « Prêt à jeter :
l’obsolescence programmée » ou « La mort programmée de nos appareils » du magazine Cash
Investigation.
45 Estimation de la Fondation Ellen MacArthur. Le plastique met jusqu’à quatre cents ans à se
dégrader, et il se désintègre en micro-particules, ingérées par le plancton et qui se retrouvent dans la
chair des poissons.
46 Voir la liste sur le site du Réseau Vrac, http://reseauvrac.fr/.
47 www.umsonstladen.de/.
48 Voir cette vidéo www.capetownetc.com/blog/culture/5-minutes-with-kayli-vee-levitan-from-the-
street-store/.
49 www.freecycle.org/about/background.
50 www.donnons.org ; http://donne.consoglobe.com ; http://jedonnetout.com ; www.partages.com ;
www.recupe.net ; www.lecomptoirdudon.com ; www.co-recyclage.com ; etc.
51 www.bookcrossing.com.
52 www.littlefreelibrary.org/.
53 La Bibliambule itinérante, la Boîte à lire à Bordeaux, etc. Voir
https://leslivresdesrues.wordpress.com/.
54 Voir Bibliorodas.wordpress.com.
55 https://occupypghlibrary.wordpress.com/.
56 En 2015, plus de 200 000 objets y avaient trouvé une seconde vie, ce qui avait évité l’émission
de 200 tonnes de CO (source : Repair-cafe.org). La mise à la décharge et le traitement des déchets sont
en effet d’importantes sources d’émission de carbone.
57 www.heureux-cyclage.org/Les-ateliers-velo-dans-le-monde.html. Cette communauté milite pour la
« vélorution » (réappropriation des villes par le vélo).
58 La liste est sur www.selfgarage.org.
59 www.latelierpaysan.org.
60 De nombreux sites offrent des idées et des tutoriels pour transformer les palettes en meubles ou en
maisons : 101palletideas.com, 1001pallets.com etc.
61 http://youandjerrycan.org/.
62 Voir http://emmabuntus.sourceforge.net/mediawiki/index.php/Emmabuntus:Communityportal/fr.
63 Voir Émilie Massemin, « Halte à l’obsolescence ! Les vieux ordinateurs reprennent vie avec le
système Emmabuntüs », Reporterre, 28 mai 2016.
64 De nombreuses vidéos sur ces coopératives et leur réseau national, le MNCR (Mncr.org.br), sont
disponible sur Youtube.
65 La vidéo est sur www.youtube.com/watch?v=ZPUFpEbkOoc. Sur cette vague créative dans
l’upcycling, voir Bénédicte Manier, Made in India. Le laboratoire écologique de la planète, Premier
Parallèle, 2015.
66 http://wecyclers.com/.
67 Le pourcentage d’utilisateurs est par exemple de 72 % des habitants aux États-Unis et de 50 % en
France.
68 Voir Consocollaborative.com, ou Ouishare.net/fr en France, Collaborative consumption.com aux
États-Unis, Consumocolaborativo.com en Espagne, Descolaai.com au Brésil, etc. Pour plus de détails,
nous renvoyons à l’importante bibliographie dans ce domaine, notamment Anne-Sophie Novel et
Stéphane Riot, Vive la co-révolution, Alternatives, 2012 ; Anne-Sophie Novel, La Vie Share,
Alternatives, 2013 ; Michel Bauwens, Jean Lievens, Sauver le monde, LLL, 2015 ; OuiShare et Diana
Filippova (dir.), Société collaborative. La fin des hiérarchies, L’Échiquier, 2015 ; R. Botsman, R.
Rogers, What’s Mine Is Yours. The Rise of Collaborative Consumption, Collins, 2011 ; Matthieu
Lietaert, Homo Coopérans 2.0. Changeons de cap vers l’économie collaborative (www.homo-
cooperans.net/).
69 Quelque 10 000 start-up et multinationales (eBay…) sont présentes sur ce marché mondial et leur
chiffre d’affaires devrait atteindre 335 milliards de dollars en 2025. Elles réorientent le collaboratif vers
le commercial en réintroduisant une forte médiation entre particuliers, en collectant les données
personnelles et en délocalisant leurs profits vers des paradis fiscaux. Leur présence déstabilise certains
secteurs : en utilisant d’innombrables actifs free-lance, Uber favorise l’émergence d’un post-salariat
précaire dans la gig economy (économie à la tâche). AirBnB, lui, fige dans la location permanente une
partie du parc immobilier des grandes villes.
70 Comme des machines à laver, avec www.lamachineduvoisin.fr.
71 Une liste de sites est visible sur : http://socialcompare.com/fr/comparison/comparatif-de-sites-de-
trocs-d-echanges.
72 Voir « Arcade City, le Uber-killer de la blockchain ? », blockchainfrance.net/2016/03/19/arcade-
city-le-uber-killer-de-la-blockchain/.
73 Voir notamment Laurent Lequien, « La blockchain libère les entraves de l’économie collaborative »,
La Tribune, 18 mai 2016 ; « La révolution blockchain en marche », Le Monde Éco & Entreprise,
19 avril 2016, et Michel Bauwens, « Conversation sur la blockchain »,
http://blogfr.p2pfoundation.net/index.php/2016/06/30/conversation-sur-la-blockchain/.
74 Michel Bauwens émet cependant de nombreuses réserves à l’égard des blockchains, notamment le
risque d’une « technocratie totalitaire » pouvant régir notre quotidien, avec des règles échappant au
débat démocratique. Voir Zeliha Chaffin et Jade Grandin de l’Epervier, « Espoirs et vertiges de la
révolution blockchain », Le Monde Éco & Entreprise, 19 avril 2016.
75 Voir Côme Bastin, « Consommation collaborative : le nouvel âge du consumérisme ? », Socialter,
septembre 2016, et Philippe Moati, La Société malade de l’hyperconsommation, Odile Jacob, 2016.
76 Chaque année, l’humanité consomme moitié plus de ressources que la Terre n’en fournit. Si rien ne
change, il nous faudra deux planètes en 2030 pour répondre à nos besoins (WWF, rapport Planète
vivante, 2012).
77 Voir Paul H. Ray et Sherry Ruth Anderson, L’Émergence des créatifs culturels. Enquête sur les
acteurs d’un changement de société, Yves Michel, 2001, et Ariane Vitalis, Les Créatifs culturels.
L’émergence d’une nouvelle conscience, Yves Michel, 2016.
78 Andrew Benett et Ann O’Reilly, Consumed : Rethinking Business in the Era of Mindful Spending,
Palgrave Macmillan, 2010 (livre basé sur l’étude de sept pays : Brésil, Chine, France, Royaume-Uni,
Japon, Pays-Bas, États-Unis), www.thenewconsumer.com/study-highlights.
79 John Gerzema et Michael D’Antonio, Spend Shift : How the Post-Crisis Values Revolution Is
Changing the Way We Buy, Sell, and Live, Jossey-Bass, 2010.
80 Juliet Schor, La Véritable Richesse. Une économie du temps retrouvé, Éd. Charles-Léopold Mayer,
2013.
81 Refuser, réduire, réutiliser, recycler, réparer, composter.
82 Comme ceux de la Japonaise Marie Kondo, qui évoque la joie du minimalisme et a donné son nom à
la méthode KonMari.
83 De dan (refuser), sha (jeter) et ri (se séparer).
84 Éd. Écosociété, 2005.
85 On peut visualiser leur multiplication sur www.bdtonline.org.
86 www.intersel-idf.org (site des Sel franciliens).
87 Elle édite la revue mensuelle Par Chemins (http://route-des-sel.org).
88 http://selidaire.org.
89 Voir le réseau mondial sur Lets-linkup.com.
90 Fureai : relation cordiale ; Kippu : ticket. La fondation Sawayaka Fukushi Zaidan, qui les a créés,
gère les comptes épargne-temps.
91 Depuis 2011, Couchsurfing n’est plus une ONG, mais une B.Corp, entreprise à responsabilité
sociale et environnementale. Mais les transactions d’argent demeurent proscrites.
92 Voir les deux réseaux internationaux sur www.wwoof.org.
93 www.bigapplegreeter.org.
94 www.globalgreeternetwork.info. On les trouve aussi dans plusieurs villes et régions françaises.
95 www.rers-asso.org.
96 Cofondateur du Forum social mondial.
97 Notamment Caroline Woolard, Or Zubalsky, Rich Watts et Louise Ma, animateurs du site de partage
OurGoods.com. Voir tradeschool.coop.
98 Pour s’y retrouver, on peut consulter les plates-formes mondiales Mooc-list.com, Coursera.org ou
FutureLearn, EdX.org (universités américaines), Udacity.com (ingénierie), Edraak (cours gratuits en
arabe), Ecolearning.eu (portail européen) ou Mooc.es (portail en espagnol). Pour la France : Mooc-
francophone.com, My-mooc.com (qui permet de noter les cours), Openclassrooms.com ou
http://www.sup-numerique.gouv.fr/pid33135/moocs-calendrier-des-cours-en-ligne-ouverts-et-
massifs.html.
99 Khan https://fr.khanacademy.org/. Ses vidéos, déjà vues par plus de 82 millions de personnes, sont
sous Creative Commons.
100 Elle aide en particulier les communautés indiennes d’Amérique à devenir autonomes en énergie
(www.solarenergy.org/native-american-communities).
101 Digitalgreen.org. L’équipe apprend aussi aux fermiers à manier la vidéo pour filmer eux-mêmes
leurs solutions.
102 Berkeley Open Infrastructure for Network Computing, Boinc.berkeley.edu ou Boinc-af.org.
103 Avec WildLab, iNaturalist, Beespotter, Big Butterfly Count, eBird, SeoBirdlife, etc. Les sites
www.scientificamerican.com/citizen-science/ ou, en France, www.naturefrance.fr/sciences-
participatives donnent une idée de la diversité de ces programmes.
104 www.observadoresdelmar.es (Institut des sciences de la mer de Barcelone).
105 Citoyens, biologistes, écologistes et chercheurs identifient ensemble les enjeux (pollutions
localisées, biodiversité en danger) et des informaticiens trouvent des solutions technologiques à ces
problèmes (http://aquahacking.com/).
106 Voir www.vacances-scientifiques.com ou www.conges-science-solidaire.com. L’OSI a un statut
consultatif spécial auprès du Conseil économique et social de l’Onu.
107 Voir Mapkibera.org et Laure Belot, « MapKibera, la carte pour rendre visibles les invisibles », Le
Monde, 2 avril 2015.
108 Publiées sur Voiceofkibera.org et Openschoolskenya.org.
109 Voir l’ONG Acaté : http://acateamazon.org/field-updates/january-2016-field-update-indigenous-
mapping/.
110 http://peopleslinguisticsurvey.org/.
111 Voir http://vosg.us/active-vosts/ et, en France, les Volontaires internationaux en soutien
opérationnel virtuel : Visov.org.
112 On trouve une liste indicative sur https://degooglisons-Internet.org/alternatives.
113 Voir aussi l’Open Building Institute, http://openbuildinginstitute.org/, et le chapitre sur l’habitat.
114 Comme Franciliens.net, http://neutrinet.be ou B4RN, créé par des fermiers britanniques du
Lancashire. Voir la liste sur www.ffdn.org/fr/membres et la carte sur https://db.ffdn.org/.
115 Carte sur https://muninetworks.org/communitymap.
116 Voir les travaux d’Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie 2009, et Benjamin Coriat (dir.), Le
Retour des communs, LLL, 2015.
117 Dans l’industrie, le modèle open source permet de créer de la valeur en répartissant les
compétences et les coûts. Elon Musk, qui dirige la firme automobile Tesla, a ainsi renoncé à ses brevets
pour laisser la concurrence et la société civile améliorer la technologie des voitures électriques –
améliorations dont Tesla profitera elle-même, évidemment. Par ailleurs, de nombreuses grandes
entreprises (Virgin, Amazon, eBay, IBM…) et de nombreux marchés boursiers (Londres, Chicago…)
se sont convertis à Linux.
118 Aux États-Unis, de nombreux secteurs publics, même sensibles (Maison-Blanche, Pentagone,
Agence fédérale de l’aviation civile…), tournent sous Linux, tout comme la Station spatiale
internationale de la Nasa. C’est le cas de nombreuses municipalités dans le monde (Munich, Mexico…)
et, en France, de plusieurs ministères, de l’Assemblée nationale ou de la Gendarmerie. De son côté, le
réseau de Villes en biens communs (Villes.bienscommuns.org) favorise les initiatives open source :
logiciels, ressources éducatives, semences libres, etc.
119 Carte mondiale sur www.fablabs.io/map.
120 En France, voir http://openbidouille.net/.
121 Ihub au Kenya, Ovillage à Abidjan, Mest et HubAccra au Ghana, Nahdet El Mahrousa en Égypte,
etc.
122 Pour l’Afrique, voir le réseau AfriLabs et, pour l’Inde, Bénédicte Manier, Made in India, op. cit.
123 L’Âge du faire, Seuil, 2015. Ce livre étudie le Noisebridge, un hackerspace de San Francisco.
124 Chris Anderson, Makers. La nouvelle révolution industrielle, Pearson, 2012.
125 Même si ses implications font débat, notamment parce que l’impression 3D rendra aussi possible la
fabrication décentralisée d’engins dangereux, dont des armes.
126 Voir Ewen Chardronnet, « En finir avec la Smart City », Makery, 20 septembre 2016.
127 Voir les contributions au Fab10 de 2014 à Barcelone et Raphaël Besson, « La Fab City de
Barcelone ou la réinvention du droit à la ville », Urbanews, 10 mars 2015.
128 En 2015, près de 8 000 espaces hébergeaient un demi-million de professionnels dans le monde, et
ils progressaient au rythme de +36 % par an, selon le Global Coworking Survey 2015-2016.
129 Leur carte est sur coworking-carte.fr. Ils étaient plus de 350 en 2016.
130 Label décerné aux États-Unis par l’ONG B Lab sur des critères sélectifs d’engagement
environnementaux et sociaux.
131 Aux États-Unis, 34 % des actifs sont des travailleurs indépendants. Leur nombre dépassera celui
des salariés d’ici à 2020.
132 Michel Bauwens, Jean Lievens, Sauver le monde, op. cit. Voir aussi les travaux de sa fondation, la
P2P Foundation.
133 Voir le livre de Benjamin Coriat (dir.), Le Retour des communs, op. cit.
Implanter une agriculture durable
Nourrir le monde
Avec leurs seed banks, les femmes ont reconstitué une vaste réserve locale
de graines qui fonctionne sur un mode coopératif : elles se prêtent
mutuellement les variétés qu’elles n’ont pas et, une fois les récoltes finies,
remboursent 1,5 à 2 fois le volume emprunté, tout en conservant de quoi
semer de nouveau l’année suivante. Les échanges sont en nature, sans
argent : « Les gens d’ici ont une relation très forte à la terre. Ils considèrent
que ces graines sont un don de la nature et qu’elles doivent être partagées, pas
vendues », explique Chandramma. Avec plusieurs centaines de variétés de
graines et de plants (dont plus de vingt types de millet et trente de
manguiers), ces femmes « sont devenues les dépositaires de la biodiversité.
Les seed banks sont en réalité des gene banks13, les réserves du patrimoine
génétique naturel de la région », dit P. V. Satheesh. Ce stock collectif, qui
s’agrandit au fil des récoltes, garantit l’autonomie alimentaire des fermiers
pour plusieurs années14.
En restaurant l’autonomie alimentaire de ce territoire densément peuplé,
les fermières de la région ont démontré concrètement que ce que l’Onu
appelle l’« intensification écologique » de l’agriculture peut nourrir le monde.
Dans un rapport intitulé « Réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard », la
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced)
appelle d’ailleurs à abandonner les monocultures industrielles au profit de
productions locales, bio et « régénératives » de ce type15. Une vingtaine
d’experts internationaux indépendants sont parvenus à la même conclusion,
estimant que seuls des systèmes agroécologiques diversifiés pourront nourrir
le monde16.
Des semences locales adaptées au climat, une polyculture en rotation, des
synergies entre plantes et arbres, ainsi que des sols vivants, restaurent en effet
les écosystèmes et garantissent une agriculture durable, qui va au-delà de
l’autosuffisance. « Je suis peut-être illettrée », résume Chandramma avec un
sourire, « mais je peux défier n’importe quel scientifique et lui démontrer
qu’avec de la fumure biologique et des semences autochtones, qui ne coûtent
rien, je produis une nourriture meilleure que n’importe quelle semence
moderne qui, elle, coûte cher. Et démontrer que les produits chimiques
épuisent les sols, alors que nous, nous les enrichissons. » Une régénération
devenue d’ailleurs un enjeu vital pour la planète : les terres arables
s’appauvrissent en effet à un rythme si alarmant que les rendements stagnent
ou reculent partout dans le monde, rappelle la FAO. Cette agence de l’Onu
appelle d’ailleurs elle aussi à changer les pratiques agricoles pour régénérer
les sols ; faute de quoi, leur capacité à nourrir l’humanité sera remise en
cause17.
La vie de Chandramma s’est métamorphosée au rythme de celle des
villages : ses récoltes abondantes lui ont permis d’acquérir 10 hectares et du
bétail supplémentaires, ainsi qu’une nouvelle maison et un restaurant près de
Pastapur qui sert une cuisine issue des produits frais de sa ferme. « Les
médecins déjeunent tous ici : ils disent que la nourriture est meilleure pour la
santé », s’amuse-t-elle. Elle est aussi allée parler de son modèle de résilience
agricole à l’étranger, au Sri Lanka, au Bangladesh, en Allemagne ou au
Canada. De son côté, la Deccan Development Society y a formé deux
millions de fermiers indiens et le diffuse maintenant sur plusieurs continents,
dont l’Afrique18. « Il ne suffit pas de dire qu’un autre monde est possible : il
faut désormais montrer qu’il existe », estime P.V. Satheesh.
Un modèle d ’émancipation
Les paysannes de Medak ont aussi transgressé l’ordre social en rendant aux
femmes la légitimité de leurs savoirs agricoles et en leur redonnant la maîtrise
des terres. Mais elles sont allées plus loin : les villages de la région sont
désormais tous autogouvernés par des femmes, un phénomène unique en
Inde. Chaque semaine, quelque 5 000 femmes élues se réunissent dans les
sangams de village19, où elles adoptent démocratiquement des mesures
d’intérêt général. Elles ont ouvert 25 crèches éducatives (balwadis), créé des
écoles du soir pour adultes et organisé plus de 5 000 groupes d’aide à
l’autonomie des femmes (self-help groups). Elles ont banni le plastique et
réintroduit la culture du jute, qui sert à faire des sacs biodégradables. Elles
sillonnent les villages pour expliquer aux fermiers les avantages des
semences locales, donnent des cours d’autosuffisance alimentaire dans les
écoles, réalisent des films anti-OGM et ont créé en 2008 une radio
communautaire, Sangam Radio, conçue comme un système de savoirs
participatifs : elle permet d’échanger des informations entre habitants sur
l’agriculture, la santé ou l’environnement.
Cette démonstration magistrale d’autodétermination met évidemment les
politiciens locaux mal à l’aise. « Ils sont contents de notre réussite agricole,
bien sûr, mais ils ne soutiennent pas vraiment les sangams. Parce qu’ils se
retrouvent dépossédés de leur pouvoir : les habitants n’ont plus besoin d’eux,
ils ne leur demandent ni canal d’irrigation, ni subventions, rien. Ce qui les
prive de l’occasion de venir jouer les bienfaiteurs dans les villages »,
explique P. V. Satheesh en riant. Avec cette souveraineté locale20, le district
de Medak montre que la gestion par les habitants de leurs propres intérêts est
plus efficace qu’une politique venue d’en haut. « Le développement socio-
économique, résume P. V. Satheesh, doit être un processus géré par les gens
eux-mêmes, dans l’intérêt de leur propre bien-être. »
Préserver la biodiversité
L’érosion des terres par la déforestation n’est pas le seul fléau qui affecte
l’agriculture : l’effondrement de la biodiversité est au moins aussi alarmant.
Selon la FAO, le monde a perdu en un siècle 75 % de sa biodiversité
agricole ; en d’autres termes, la plupart des légumes et céréales qui ont nourri
l’humanité pendant des générations ont disparu. La responsabilité en revient
notamment à la poignée de semenciers industriels qui contrôlent le marché
mondial (Bayer et Monsanto, Dow Chemicals-DuPont, ChemChina,
Cropscience, etc.)50. Leur lobbying particulièrement efficace leur a permis
d’obtenir que seules les variétés modernes, inscrites au catalogue officiel,
soient cultivables. Ces firmes ont aussi fait restreindre la possibilité de
ressemer ses propres récoltes51. Quant à leurs semences OGM, elles ont, pour
la première fois depuis que l’humanité sédentaire cultive, privé les plantes
d’une faculté propre au vivant : se reproduire. Leurs graines sont stériles,
obligeant les paysans à en acheter de nouvelles chaque année. Pourtant, cette
mainmise fait l’objet d’une contre-offensive partout dans le monde, menée
par des groupes citoyens qui diffusent des semences locales, adaptées aux
climats et libres de droits. Leur objectif : permettre aux paysans de rester
indépendants du marché, tout en préservant ce bien commun qu’est la
biodiversité.
Les banques de semences similaires à celles des femmes de Medak ont
ainsi essaimé sur tous les continents52 et, rien qu’en Inde, des mouvements
comme le Beej Bachao Andolan (Sauvons les semences)53 et Navdanya ont
fait un énorme travail en ce sens. Navdanya54, fondée en 1987 par Vandana
Shiva, a sauvé plus de 5 000 variétés adaptées aux climats du pays, qui
donnent des rendements supérieurs aux semences modernes et sont cultivées
par un réseau de 500 000 agriculteurs. Ces semences leur sont fournies
gratuitement en échange d’une redistribution à d’autres fermiers après les
récoltes ou d’un don aux réserves communes.
En France, le réseau Semences paysannes a lui aussi structuré des collectifs
régionaux pour fournir des semences aux agriculteurs55. Aux États-Unis, tout
un marché s’est organisé grâce aux nombreux sites de vente de semences,
similaires à celui de l’association Kokopelli en France, qui vend des variétés
traditionnelles tout en encourageant le don de semences aux agriculteurs
d’Afrique, d’Amérique centrale, d’Asie et d’Europe de l’Est.
Leur diffusion se fait aussi par l’échange entre particuliers, via des sites
comme Graines de troc, Solaseeds ou Plantcatching en France, les réseaux
d’intercambio de semillas en Espagne ou les groupes de seed savers aux
États-Unis. C’est d’ailleurs dans ce pays que les sachets de semences locales
ont fait leur apparition dans les bibliothèques publiques, pour se servir ou en
déposer. Ces seed libraries ont essaimé en France sous la forme de
grainothèques, portées par Graines de troc et les Incroyables Comestibles.
À terme, une plus grande distribution de ces semences restituerait au
monde paysan son autodétermination et rendrait aux populations leur pleine
souveraineté alimentaire : elles font en effet système avec l’agroécologie pour
multiplier les territoires agricoles autonomes.
Assurer l’alimentation mondiale de demain
Nous n’en sommes encore que vaguement conscients, mais la biosphère
terrestre est en train de basculer dans une nouvelle ère, dont le réchauffement
climatique n’est qu’un des aspects. L’agriculture industrielle porte une lourde
responsabilité dans ce changement critique, car elle a contribué à ce que la
Terre atteigne quatre de ses dix limites fondamentales56 : destruction de la
biodiversité, déforestation, perturbation de la composition des sols par les
engrais et concentration de CO2 dans l’air. Des limites qui remettent en cause
la capacité des terres à subvenir, dans le futur, aux besoins humains57.
Cette situation n’est pas – encore – irréversible. Mais elle le deviendra si
on ne généralise pas très vite les cultures bio, l’agroforesterie, la
permaculture et les banques de semences locales – en bref, les solutions qui
permettent aux populations de restaurer les écosystèmes agricoles, de se
réapproprier leur souveraineté alimentaire et de transmettre une agriculture
résiliente aux générations futures. Sans elles, il deviendra sans doute
impossible de nourrir une humanité de bientôt 9 milliards de personnes, de
vaincre la pauvreté rurale et de sauver la biosphère d’une dégradation
irrémédiable : les agences de l’Onu – Cnuced, FAO, PNUD – s’accordent
désormais sur cette urgence.
À l’opposé d’une agro-industrie aux monocultures centralisées et
dépendantes du pétrole, l’avenir repose donc sur des millions d’autonomies
alimentaires décentralisées, basées sur l’agroécologie. Car celle-ci est capable
de doubler la production alimentaire mondiale en dix ans58 non seulement en
régénérant les sols dégradés, mais aussi en stockant dans le sol les émissions
de carbone : si elle était étendue à toutes les terres arables du monde, elle
capterait 40 % des émissions mondiales de CO259.
Pour le moment, cette conversion globale de l’agriculture reste hors
d’atteinte : elle nécessiterait de convaincre des gouvernements encore
massivement favorables à l’agro-industrie et de combattre un secteur privé
qui ne cherche qu’à tirer profit des ressources agricoles. L’expansion de ces
solutions ne repose aujourd’hui que sur la société civile, la seule à avoir pris
la mesure de cet enjeu politique pour demain : l’agriculture doit-elle
continuer sur sa lancée destructrice, ou doit-elle changer de paradigmes et
devenir un commun mondial, autant destiné à nourrir les hommes qu’à sauver
la planète où ils vivent ?
1 www.coop57.coop.
2 Avec cet afflux, l’encours de la Coop57 est passé de 4,1 millions d’euros en 2008 à 30,3 millions
en 2015. Et la hausse se poursuit.
3 Les coopératives sont présentes de longue date en Catalogne. Interdites sous le franquisme, elles ont
repris leur essor après le retour de la démocratie.
4 Pascale-Dominique Russo, Les Cigales : notre épargne, levier pour entreprendre autrement, Yves
Michel, 2007.
5 www.garrigue.net.
6 Voir notamment « Les placements solidaires », Alternatives économiques -Finansol.
7 En 2015, l’épargne solidaire regroupait un million d’épargnants en France et son encours était
de 8,46 milliards d’euros (+24 % en un an), selon le baromètre Finansol. Cet encours n’était que
de 309 millions d’euros en 2002. Voir Céline Mouzon, « La finance solidaire poursuit son ascension »,
AlterEcoPlus.fr, 7 juin 2016.
8 Premier groupe bancaire coopératif du Québec avec 5,8 millions de membres. Voir le chapitre sur les
coopératives.
9 Voir http://all.rokin.or.jp/ et « Rokin Bank : The story of workers’ organizations that successfully
promote financial inclusion », OIT, 2011.
10 Passant de 25 milliards de dollars en 2007 à 41,7 milliards début 2010, selon la Coalition of
Community Development Financial Institutions.
11 L’encours de la banque allemande GLS a par exemple bondi de 37 % dans les deux ans qui ont suivi
la crise. Elle revendique aujourd’hui 2 000 nouveaux clients chaque mois.
12 De 2009 à 2014, le nombre de membres des credit unions est passé de 184 millions dans le monde
à 217,3 millions (+15 %) – dont 100 millions aux États-Unis –, selon le World Council of Credit
Unions.
13 Selon le rapport 2010 de la Social Investment Forum Foundation.
14 Selon l’Union nationale des credit unions américaines (http://Cuna.org).
15 http://mutuelle-solidarite.org.
16 En Inde, par exemple, le microcrédit est devenu lucratif et certains organismes le pratiquent à des
taux exorbitants.
17 Des usuriers aussi présents dans les pays industrialisés, où ils ciblent les immigrés : en Angleterre,
310 000 foyers sont ainsi tombés en 2010 sous la coupe d’usuriers pratiquant des taux allant
jusqu’à 130 %.
18 www.fundefir.org.ve.
19 En France, la légalisation du crowdfunding en 2014 a mis fin au monopole bancaire sur les prêts et
l’investissement.
20 C’est l’une des branches de la Self Employed Women’s Association (Sewa.org), fondée par Ela
Bhatt et qui a permis à 1,2 million de femmes, autrefois pauvres et illettrées, de vivre décemment d’un
métier autonome ou en coopératives.
21 Ateliedeideias.org.br et Camila Queiroz, « Banco Bem transforma a realidade de oito
comunidades », Adital, 31 mars 2011.
22 http://www.institutobancopalmas.org/ ; Joaquim Melo, Viva Favela !, Michel Lafon, 2009 ; Élodie
Bécu et Carlos de Freiras, « Au Brésil, le microcrédit sauve une favela », Le Monde 2, 28 février 2009 ;
Jean-Pierre Langellier, « Relocaliser l’économie et créer de la richesse sur place », Le Monde
Économie, 26 mai 2010.
23 Le site www.complementarycurrency.org/ccDatabase/ donne une idée de l’implantation de celles
qui ont été recensées.
24 Baptiste Giraud, « Juste lancé, le coopek est la première monnaie nationale d’intérêt local »,
4 octobre 2016, Reporterre.
25 Voir Guillaume Vallet, « Le WIR en Suisse : la révolte du puissant ? », Revue de la régulation,
20 décembre 2015, (http://regulation.revues.org/11463).
26 http://monnaie-locale-complementaire.net. De nombreux ouvrages les analysent, notamment
Philippe Derudder, Rendre la création monétaire à la société civile. Vers une économie au service de
l’homme et de la planète, Yves Michel, 2005.
27 Collectif créé après la publication du rapport de Patrick Viveret Reconsidérer la richesse, 2002, La
Documentation Française.
28 Maif, Macif, Crédit coopératif, groupe Chèque Déjeuner. Voir www.sol-reseau.org.
29 À hauteur d’un euro pour chaque euro converti en eusko. Wojtek Kalinowski, « Monnaies locales :
on voit les premiers effets réels sur l’économie locale », AlterEcoPlus.fr, 20 juillet 2016.
30 En 2015, la trentaine de monnaies de l’Hexagone comptaient chacune en moyenne 450 utilisateurs
et 90 commerçants ou producteurs, et une circulation équivalente à 26 000 euros, selon le rapport de
Jean-Philippe Magnen, Christophe Fourel et Nicolas Meunier, D’autres monnaies pour une nouvelle
prospérité, La Documentation française, 2015.
31 En général, l’économie réelle ne bénéficie que de 2 % de la masse monétaire existante. Voir « Les
monnaies locales complémentaires dynamisent l’économie locale », Le Labo de l’ESS, 20 mai 2016.
32 Voir Justin Sacks, The Money Trail, New Economics Foundation et The Countryside Agency, 2002,
http://b.3cdn.net/nefoundation/7c0985cd522f66fb75_o0m6boezu.pdf, et B. Masi, L. Schaller, M.H.
Shuman, « The 25 % shift. The Benefits of Food Localization for Northeast Ohio & How to Realize
Them », 2010, www.neofoodweb.org/sites/default/files/resources/the25shift-
foodlocalizationintheNEOregion.pdf.
33 Auteure d’Expulsions. Brutalité et complexité dans l ’économie globale, Gallimard, 2016. Voir aussi
Cécile Daumas, « Saskia Sassen : notre système économique n’incorpore plus, mais expulse »,
Libération, 5 février 2016.
Énergies : vers des milliers d’autonomies
locales
Un humain sur cinq n’a pas encore accès à l’électricité. Trois milliards
doivent aussi ramasser du bois et des déjections animales ou acheter du
charbon ou du kérosène pour cuisiner et se chauffer, contribuant d’autant aux
émissions de carbone. Cette pauvreté énergétique a pourtant une solution :
l’accès universel aux sources d’énergie inépuisables et disponibles partout –
eau, vent, soleil, énergie géothermique et hydrolienne –, solution que
l’urgence climatique rend désormais impérative.
L’accès aux énergies renouvelables (EnR) reste encore minoritaire dans le
monde, mais leur progression n’a jamais été aussi rapide. Et, même si elle
avance à des rythmes très différents selon les pays, et certainement pas assez
vite au regard de l’urgence climatique, la transition énergétique est désormais
engagée de manière irréversible1. Les investissements battent des records –
d’autant que le coût des équipements ne cesse de baisser –, et les plus gros
émetteurs de carbone y contribuent largement. À l’image de la Chine2,
premier investisseur dans ce domaine et leader mondial de la production de
panneaux photovoltaïques, qui installe d’immenses parcs solaires dans ses
zones désertiques, tandis que la production de son parc éolien dépasse déjà
celle des centrales nucléaires américaines. L’Inde suit la même voie : elle qui
possède déjà la plus grande centrale solaire d’Asie et le premier aéroport
mondial fonctionnant entièrement au solaire, à Cochin, projette d’atteindre
une capacité solaire de 100 GW d’ici à 2022, tout en développant son parc
éolien.
Aux États-Unis, les installations domestiques ont triplé sur la seule
période 2010-2014 et le nombre d’emplois dans l’énergie solaire progresse
vingt fois plus vite que dans le reste de l’économie. Plusieurs villes (San
Diego, San Francisco, Aspen, Burlington…) se voient totalement autonomes
en électricité d’origine renouvelable d’ici à 20353. De son côté, l’Union
européenne a vu la part des renouvelables dans sa production électrique
doubler entre 2004 et 20144. Le niveau d’équipement de l’Allemagne est déjà
élevé, le Portugal est potentiellement indépendant5, et l’Écosse, qui a déjà
couvert 100 % de ses besoins grâce à ses éoliennes, multiplie encore les parcs
offshore. Le reste du monde suit : en Uruguay, plus de 90 % de l’électricité
est de source renouvelable, et le Costa Rica, quasiment à 100 %, ambitionne
d’être un pays neutre en CO2 en 2021 grâce à l’hydroélectricité, la
géothermie et l’éolien. Les équipements solaires du Chili, qui ont triplé en
trois ans (2013-2016), produisent des excédents dans le Nord. Le Maroc s’est
doté d’une centrale solaire qui sera en 2020 la plus grande au monde
(580 MW).
Signes d’une transition industrielle en marche, les innovations
technologiques se multiplient elles aussi, et ont déjà créé des applications
concrètes qui, demain, seront notre quotidien : tuiles et vitrages solaires,
panneaux photovoltaïques souples et légers, batteries de stockage, mini-
éoliennes à grande capacité, centrales solaires capables de produire de
l’énergie la nuit, maisons à énergie positive, désalinisation de l’eau grâce au
soleil, etc. Les routes solaires, expérimentées avec succès aux Pays-Bas et
aux États-Unis, ouvrent la voie à une production photovoltaïque sur de larges
surfaces (autoroutes, pistes cyclables…) et à des chaussées intelligentes qui
afficheront des informations auto-éclairées.
Les pouvoirs publics et les entreprises sont cependant loin d’être les seuls
acteurs de cette transition : loin des grands investissements et des méga-
centrales, la société civile joue depuis longtemps un rôle essentiel dans la
transition des territoires. Elle a mené une action pionnière, nous allons le
voir, dans plusieurs pays industrialisés, et elle la poursuit là où les pouvoirs
publics sont réticents à s’engager. C’est aussi elle qui, dans les pays du Sud,
assure des milliers de petites révolutions énergétiques là où elles sont
nécessaires, à l’échelle des villages. Avant d’aborder les actions citoyennes
en Europe, allons donc d’abord voir en Asie comment les plus démunis
deviennent les acteurs de leur autonomie énergétique.
Quand le Sud invente ses propres solutions
L’exemple nordique
La taille de ces coopératives d’habitants varie de l’échelle du quartier (des
résidents qui se regroupent pour gérer un réseau de panneaux solaires sur
leurs toits) à celle de la région (pour gérer par exemple un parc éolien). Mais,
en examinant leur carte en Europe, une réalité saute aux yeux : les pays qui
en comptent la plus forte densité se trouvent au nord (Suède, Danemark,
Allemagne, Belgique, Pays-Bas). Et cette forte implication de la société civile
contribue à faire de certains d’entre eux les plus avancés en matière de
transition énergétique22.
C’est notamment vrai au Danemark, où les habitants ont été premiers à
s’organiser pour installer des équipements solaires et éoliens : dès 2001, plus
de 100 000 familles étaient déjà adhérentes de ces coopératives locales, et
celles-ci ont été à l’origine de 86 % des installations éoliennes du pays23. Le
parc offshore de Middelgrunden, implanté au large de Copenhague et qui ne
cesse de s’agrandir, est ainsi détenu pour moitié par une coopérative de
plusieurs milliers d’adhérents et pour moitié par la municipalité. La
croissance du nombre de coopérateurs est aussi soutenue par une loi danoise
qui impose que tout projet éolien soit détenu à hauteur d’au moins 20 % par
la population locale. Le pays est d’ailleurs résolument engagé dans la
transition énergétique, puisqu’il veut s’affranchir totalement des énergies
fossiles d’ici à 205024.
L’Allemagne est elle aussi avancée dans cette voie25. Déjà, en 2015, tous
modes de production confondus (solaire, biomasse, éolien…), les EnR
couvraient plus d’un tiers de la consommation d’électricité. L’engagement
des habitants y est, là encore, pour beaucoup : la moitié de la capacité
productive d’énergies renouvelables du pays est détenue par des citoyens
ordinaires26, qu’il s’agisse de panneaux photovoltaïques posés sur des
maisons, de coopératives locales d’éoliennes ou de centrales de
méthanisation installées par les agriculteurs.
Plusieurs localités allemandes ont d’ailleurs déjà atteint leur autonomie :
avec ses équipements éoliens, photovoltaïques, hydrauliques et de
méthanisation, Dardesheim (Harz), par exemple, produit quarante fois plus
d’électricité qu’elle n’en consomme et sert de modèle à une cinquantaine de
projets similaires dans le pays27. De même, la localité de Wildpoldsried
(Bavière) produit 500 % d’énergie de plus que sa consommation grâce à cinq
usines de production de biogaz, des panneaux photovoltaïques, onze
éoliennes et trois petites centrales hydroélectriques (sans compter un
chauffage urbain basé sur la biomasse et des systèmes solaires thermiques).
Des installations majoritairement cofinancées par les habitants, pour la
plupart des producteurs de lait, qui en perçoivent les bénéfices non seulement
énergétiques, mais aussi financiers, puisque la revente d’énergie fournit 80 %
des revenus de leurs exploitations28. Des dizaines d’autres localités suivent le
même exemple, et cette implication citoyenne, alliée à une impulsion
publique, contribue à faire de l’Allemagne un pays où la production
d’électricité solaire bat des records29.
Anticiper l’après-pétrole : les villes en transition
L’économie circulaire
L’économie actuelle répond à un modèle linéaire : on produit des biens en prélevant des
ressources naturelles, on les consomme, puis on les jette. Le concept d’économie circulaire, lui,
n’exploite plus les ressources naturelles et ne jette plus de déchets : il recycle au contraire les
matériaux et les énergies. Les rejets (gazeux, liquides, solides) d’une industrie deviennent ainsi la
source d’énergie ou la matière première d’une autre usine. Et les déchets que produit cette même
usine (eaux usées, vapeur, déchets organiques…) vont alimenter une autre unité productive, et
ainsi de suite. Les flux matériels et énergétiques circulent en cercle fermé, jusqu’à ne plus produire
de résidus finaux, ou presque. Au Danemark, le site de Kalundborg a été le premier à mettre en
place une telle symbiose industrielle, qui réduit les émissions de carbone et les coûts de
production.
Cette nouvelle architecture d’échanges horizontaux reproduit les écosystèmes (rien ne se perd,
tout est réutilisé), réduit l’exploitation des ressources naturelles et crée de nouvelles activités
porteuses d’emplois. Elle est défendue par la Fondation Ellen MacArthur sous le nom d’économie
circulaire, et par Gunter Pauli, fondateur du réseau Zero Emissions Research and Initiatives
(ZERI), sous le nom de blue economy. Des pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil ont
déjà pris de l’avance dans l’organisation de tels écosystèmes énergétiques.
1 C’est plus de sept fois le nombre de salariés des multinationales américaines dans le monde
(34,5 millions en 2011). Cette estimation de l’Alliance coopérative internationale a été revue à la
hausse : elle était de 100 millions en 2012 (www.ica.coop).
2 Movimiento Nacional de Fabricas Recuperadas (www.fabricasrecuperadas.org.ar).
3 « Informe del tercer relevamiento de empresas recuperadas por sus trabajadores » (ERT), Faculdad de
Filosofía y Letras, Programa Faculdad Abierta, université de Buenos Aires, 2010.
4 En 2013, elles étaient 350 (25 000 salariés). Le pays compte plus de 12 600 coopératives
employant 233 000 personnes.
5 Associação Nacional de Trabalhadores e Empresas de Autogestão.
6 +6 % de 2014 à 2015, contre +4 % pour les autres sociétés. Le nombre de Scop et de Scic a doublé en
quinze ans, passant de 1 426 en 2000 à 2 855 en 2015, et le nombre de salariés est passé
de 32 247 à 51 000.
7 Philippe Frémeaux, La Nouvelle Alternative ? Enquête sur l’économie sociale et solidaire, Les Petits
Matins, 2011.
8 En France, le taux de survie d’une Scop est de 74 % au bout de trois ans, contre 66 % pour une
entreprise classique.
9 Johnston Birchall, Lou Hammond Ketilson, « Resilience of the Cooperative Business Model in Times
of Crisis », OIT, 2009 (http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_emp/---
emp_ent/documents/publication/wcms_108416.pdf).
10 Ibid.
11 Entre Taroudant et Essaouira, les arganeraies couvrent environ 870 000 hectares et sont aujourd’hui
protégées pour leurs bénéfices écologiques, car l’arganier, avec ses racines profondes, entretient un
écosystème unique.
12 L’Union coopérative des femmes pour la production et la commercialisation de l’huile d’argan
(UCFA, 26 coopératives).
13 Selon l’Alliance coopérative internationale.
14 P. Develtere, I. Pollet, F. Wanyama, « Cooperaring Out of Poverty. The Renaissance of the African
Cooperative Movement », OIT, 2008.
15 Voir le chapitre qui y est consacré.
16 « GartenCoop, une ferme solidaire, autogérée par les agriculteurs et les consommateurs »,
Bastamag.net, 7 novembre 2014.
17 Au moins 81 millions de personnes sont membres de plus de 4 900 coopératives de santé
dans 43 pays (carte mondiale sur http://ihco.coop/2015/02/03/map-of-health-and-social-care-
cooperatives-worldwide/).
18 www.cooperativehospital.com/ et www.cooperativehospital.in/ en Inde,
www.rhodeislandhospital.org, www.ecchc.org/ ou www.ghc.org/ aux États-Unis,
www.coophealth.com/ au Canada, www.nhc.coop/ en Australie, etc.
19 http://thecoopschool.org/, http://oldfirstnurseryschool.org/, www.brooklynfreespace.org/home.html,
etc.
20 www.sungmisan.net. Voir You Chang-bok, « The Story of Sungmisan Village Offers Lessons on
Community Life », Koreana, vol. 26, juin 2012, et Wilfrid Duval, « Le village urbain Sungmisan à
Séoul », UrbaParis, 19 novembre 2015.
21 Bronx Cooperative Development Initiative à New York, Arizmendi Bakery à San Francisco,
Cooperation Texas à Austin, Prospera à Oakland, etc.
22 En France, elles sont regroupées dans le réseau http://www.cooperer.coop/.
23 Avec un statut sans but lucratif, mais non coopératif.
24 Coopaname et Oxalis ont aussi créé la Manufacture coopérative, une structure de recherche-action
qui accompagne la transformation en coopératives de tous types de collectifs (entreprises, groupes
d’usagers et de citoyens, associations…).
25 http://www.lemat.it et www.lemat.se.www.lemat.se. Le Mat fait partie de la Route européenne de la
culture coopérative : http://www.cooproute.coop.
26 Emmanuel Daniel, « Ni capitalisme ni État – la Coopérative intégrale s’épanouit à Barcelone »,
Reporterre, 18 mai 2015.
27 Dans un esprit proche, réseaux de coopératives et centres sociaux autogérés travaillent en Espagne,
dans une Fondation des communs, à élaborer un projet de société fondé sur l’autogouvernance et la
mise en commun des ressources (Fundaciondeloscomunes.net).
28 Elles échangent à l’intérieur du réseau Integrajkooperativoj.net.
29 Voir Emmanuel Daniel, « À Toulouse, une coopérative intégrale prépare l’après-capitalisme »,
Reporterre, 7 octobre 2013.
30 Selon l’étude de Virginie Pérotin, « What do we really know about worker co-operatives ? », Leeds
University Business School, 2015.
Habiter ensemble, autrement
Quelle est l’utilité d’une maison si vous ne pouvez pas l’installer sur
une planète vivable ?
Henry David Thoreau
L’essor des coopératives d’habitants
En 1977, à Montréal, une douzaine de mères célibataires, mal logées,
repèrent sur le Plateau-Mont-Royal une école désaffectée où l’une d’elles
avait autrefois étudié. Le grand bâtiment, plus que centenaire, est abandonné
depuis plusieurs années, mais encore en bon état. « Elles n’avaient pas un
sou, raconte Cécile Arcand, de l’Association des groupes de ressources
techniques du Québec (AGRTQ), mais elles ont décidé de la transformer en
logements pour s’y installer ». Après des années passées à obtenir les
autorisations et à trouver des financements, ces femmes vivent aujourd’hui
avec leurs enfants dans les 31 logements de l’ancienne école, devenue la
coopérative Le Plateau. Car le modèle coopératif sert aussi à créer une autre
façon de vivre ensemble qui, au Québec, est aujourd’hui celle de milliers
d’habitants.
Le plus souvent, leurs projets naissent spontanément : « Ça commence par
une ou deux personnes qui essaient de former un groupe, par le bouche-à-
oreille. Ce sont des familles à bas ou moyens revenus, qui cherchent un
appartement pas trop coûteux et qui veulent s’impliquer dans un mode de vie
convivial », explique Cécile Arcand dans son bureau de la rue Sherbrooke à
Montréal.
Et ces familles ne sont pas seules : les groupes de ressources techniques
(GRT) sont là pour les aider. Ces groupes de spécialistes (architectes,
travailleurs sociaux, gestionnaires de coopératives), sont une pure création de
la société civile : ils sont issus de la réaction des Québécois à la spéculation
foncière des années 1970, quand des milliers de locataires, dans plusieurs
villes, se sont opposés à une vague d’expulsions et à la démolition de vieux
quartiers. Ils ont alors organisé des groupes techniques pour rénover leurs
propres logements, devenus ensuite « des organismes de terrain, qui ont pour
mission de développer les territoires solidairement », résume Marcellin
Hudon, de l’association des GRT du Québec. « Les GRT repèrent des sites ou
des immeubles intéressants, puis mettent en contact toutes les parties
prenantes : futurs locataires, architectes, entreprises de bâtiment, banques,
programmes d’aides publiques », explique-t-il. Puis ils se chargent du
montage financier1, pendant que les futurs résidents conçoivent les plans avec
leurs architectes.
Depuis 1976, le réseau des GRT du Québec a réalisé plus
de 35 000 logements coopératifs pour des familles, des jeunes, des personnes
seules, âgées ou handicapées. Un tiers sont installés dans des immeubles
rénovés, comme d’anciens bâtiments publics ou industriels, avec de belles
réussites architecturales et sociales à la clé : dans la rue Parthenais à
Montréal, par exemple, une usine textile abandonnée est devenue une
coopérative de trente-trois logements habités par des artistes qui en ont fait un
lieu de création, d’expositions et d’animations2.
L’esprit d’une coopérative d’habitation est d’intégrer tous les résidents
dans un cadre de vie solidaire, avec une mixité ethnique, sociale et
générationnelle. « On mélange des familles avec enfants et des personnes
handicapées et âgées, qui sont autonomes grâce à la solidarité des voisins et à
l’intervention de services d’aide à domicile », explique Cécile Arcand.
Chaque immeuble compte au moins une salle communautaire où ont lieu des
repas, des jeux collectifs ou des ateliers d’aide aux devoirs pour les enfants.
Les logements sont détenus par une coopérative à but non lucratif dont les
locataires deviennent sociétaires. Ils ont alors une sécurité d’occupation sur le
long terme : si un membre quitte son appartement, celui-ci reste dans la
propriété collective et le bail peut être transmis à ses enfants. Les loyers sont
inférieurs à ceux du marché privé et ne dépassent pas le quart des revenus des
familles. Les logements ne peuvent être revendus sur le marché, mais
seulement à une autre coopérative, ce qui les garde hors des circuits
spéculatifs. Enfin, les résidents partagent les tâches d’administration et de
maintenance des immeubles, ce qui réduit leurs charges, et achètent en
commun assurances, équipements et électroménager. Les GRT les aident
aussi à réduire les coûts énergétiques en travaillant « avec des architectes
sensibles à la gestion de l’eau et des énergies, dans une optique d’engagement
écologique », précise Marcellin Hudon.
Dans tout le Canada, près de 92 000 personnes vivent dans
quelque 2 200 coopératives, organisées en fédérations pour s’entraider dans
la gestion des immeubles et peser davantage auprès des élus. La majorité se
situe au Québec (plus de 1 300 coopératives d’habitation et 60000 résidents3),
où la plus grande, le Village Cloverdale, près de Montréal,
abrite 4 000 habitants de 57 nationalités différentes. Et, en dépit de la baisse
des aides publiques, le modèle « progresse toujours, parce qu’il y a un
engouement pour les valeurs de convivialité et une demande de logements
peu chers4 », observe Marcellin Hudon. Ce qui attire les résidents est aussi
leur mission sociale, qui est de permettre à « des gens qui habitaient autrefois
des logements insalubres de vivre maintenant dans un habitat dynamique, qui
contribue à l’ouverture de jardins partagés ou de crèches collectives », ajoute-
t-il.
Au Québec, l’expérience réussie du petit village de Saint-Camille a
contribué à populariser ce mode de vie convivial et solidaire. En 2001, pour
lutter contre l’exode rural, cette localité de 500 habitants lance une réflexion
collective qui débouche sur une nouvelle dynamique dans l’habitat. Les
habitants convertissent l’ancien presbytère en coopérative de logements pour
les aînés et confient l’animation de la vie locale à un centre communautaire,
le P’tit Bonheur, qui organise spectacles, projets sociaux et repas collectifs.
La population se cotise aussi pour constituer un fonds éthique dédié au
développement local. Celui-ci finance notamment une coopérative5 qui
diversifie l’agriculture locale en produisant et transformant des légumes bio.
« Les habitants de Saint-Camille se sont définis comme une vraie
communauté rurale. Ils ont décidé de ce qu’ils voulaient et ne voulaient pas,
et privilégié une qualité de vie collective. En cinq ans, la population a
d’ailleurs augmenté de 17 %, avec l’arrivée de jeunes attirés par ces
valeurs », résume Jocelyne Béïque, auteure d’un livre sur la métamorphose
du village6.
Ces transformations locales entrent dans un mouvement plus large. Les
coopératives d’habitation, qui s’étaient développées au XIXe siècle en France
et aux États-Unis grâce au syndicalisme ouvrier7, connaissent un nouvel essor
depuis deux décennies, notamment en raison du coût croissant de
l’immobilier. Elles ne cessent de s’étendre au Japon (un million de résidents),
en Allemagne (trois millions), en Pologne (2,5 millions), en Suède (un
million), en Autriche, en Suisse, en Norvège, en République tchèque, en
Estonie et au Royaume-Uni, où certaines, comme celle de Sanford à Londres,
sont devenues des pionnières en matière d’énergies renouvelables.
Elles se développent aussi en Espagne (1,43 million de logements), en
Italie, au Portugal, en Hongrie, en Turquie (1,6 million), en Égypte, en Inde
(2,5 millions8), en Afrique du Sud et en Australie. Les États-Unis comptent
plus de 1,2 million de logements coopératifs, notamment à New York,
Washington, Chicago, Détroit et San Francisco9. L’Amérique latine connaît
un mouvement identique10 : au Brésil, par exemple, des groupes d’habitants
de São Paulo ont construit eux-mêmes des immeubles dans un esprit d’aide
mutuelle (mutirão), avec l’aide du collectif d’architectes Usina11. Ces
résidences autogérées abritent plusieurs milliers de familles et bénéficient de
services communautaires (boulangeries, crèches, bibliothèques, formations
professionnelles, etc.).
Un peu partout, la crise de 2008 a aussi dopé les récupérations collectives
d’immeubles. En Espagne, dans la foulée du mouvement des Indignés, des
groupes de citoyens expulsés, de sans-abri, d’artistes et d’architectes se sont
emparés d’immeubles inoccupés à Madrid ou Barcelone12 et les ont
réhabilités. Barcelone, en particulier, a vu la naissance de plusieurs de ces
coopératives, comme La Borda, qui a récupéré l’ancienne usine textile de
Can Batlló, ou l’immeuble autogéré Roig21, ouvert par la coopérative
intégrale catalane.
L’habitat coopératif effectue même une percée en France, malgré une forte
culture individualiste, avec des initiatives comme La Jeune Pousse à
Toulouse ou le Village vertical à Villeurbanne. Ce dernier, ouvert
en 2013 avec le soutien du réseau Habicoop, regroupe plusieurs familles, qui
contribuent en fonction de leurs ressources et mutualisent des espaces (jardin,
chambres d’amis) ainsi que des services (livraison de paniers de légumes bio,
gardes d’enfants, prêt de matériel, etc.). L’Hexagone compte plusieurs
centaines de projets citoyens de ce type, qui mettent en œuvre les mêmes
valeurs : logements abordables, gestion démocratique, solidarité entre
habitants, bâtiments écologiques et adaptés au handicap. Dans un domaine où
élus et urbanistes ont souvent échoué, cette conception renouvelée du vivre-
ensemble reçoit maintenant une écoute favorable de la part de plusieurs
collectivités urbaines.
Le co-habitat en propriété partagée
Cet habitat convivial est aussi le choix qu’a fait Guillaume Pinson,
professeur de littérature à l’université du Québec. Avec d’autres familles, il a
acquis un terrain dans la ville de Québec et co-construit un groupe
d’immeubles en bois local13, chauffé par la géothermie et doté d’une isolation
ultra-performante. Géré en propriété partagée, ce village urbain comporte une
maison commune qui offre salle à manger, salle de jeux et de sport,
buanderie, atelier de bricolage, chambres d’amis… Pour favoriser les
transports écologiques, il dispose d’un garage pour 120 vélos, mais de très
peu de places pour les voitures. « Le fait d’être en centre-ville nous permet
d’aller travailler et d’amener les enfants à l’école à pied. Et puis on veut
renoncer à la voiture individuelle et favoriser le covoiturage », précise
Guillaume. Modèle aussitôt imité par une dizaine d’autres immeubles au
Canada14. Guillaume voit d’ailleurs « une vraie demande émerger dans un
pays qui a pourtant une culture de l’habitat individuel : vu le succès que notre
projet a eu dans les médias, on se dit qu’on a façonné un modèle
reproductible ailleurs ».
Se regrouper pour concevoir des copropriétés participatives est également
fréquent aux États-Unis et en Europe du Nord. À Oslo, 40 % des logements
sont déjà participatifs. En Allemagne, les Baugruppen (groupes de co-
constructeurs) se multiplient dans des villes comme Berlin, Tübingen,
Hambourg ou Fribourg-en-Brisgau (surtout dans l’écoquartier Vauban,
construit à partir de 1996), où ils érigent des immeubles aux normes
environnementales élevées, souvent avec jardin et espaces partagés. En
Suède, les « kollektivhus », gérées par des associations ou des coopératives,
représentent plus de 700 000 logements (17 % du parc immobilier). En
France, une des plus anciennes copropriétés participatives est le Lavoir du
Buisson Saint-Louis, à Paris, ouvert en 1983, mais le modèle fait de
nombreux émules depuis une décennie, à l’image de Diwan, un habitat
groupé ouvert en 2008 à Montreuil, ou des Voisins du Quai à Lille15.
Vieillir ensemble
Au sein de ces nouveaux habitats participatifs, qu’ils soient en location ou
en copropriété, une tendance se distingue : celle des logements conçus par
des personnes âgées qui veulent une vieillesse dynamique et solidaire. Car le
co-habitat est une réponse intelligente au défi du vieillissement. Au Québec,
un immeuble coopératif conçu à New Richmond (Gaspésie) pour favoriser
l’autonomie de personnes âgées a suscité tellement de demandes qu’il a fallu
l’agrandir16. Des réalisations similaires ont vu le jour dans plusieurs autres
villes, souvent avec l’intention de mêler actifs et retraités.
En France, la pionnière a été la Maison des Babayagas, initiée par Thérèse
Clerc, une militante féministe de Montreuil. C’est en devenant septuagénaire
que Thérèse a pris conscience de l’absence d’accompagnement du grand âge
en France, et réalisé qu’elle ne voulait pas finir ses jours dans un lieu sinistre
et infantilisant . « Je voulais vivre une vieillesse autonome, à l’image de ma
vie. Alors, j’ai imaginé une anti-maison de retraite, une résidence innovante
où des femmes se prendraient elles-mêmes en charge et s’entraideraient pour
bien vieillir, tout en restant actives17. »
Avec deux autres femmes, elle crée une association baptisée les
Babayagas, ces sorcières des contes russes qui habitent des maisons de pain
d’épices. Elles cherchent partenaires et financements, tiennent bon face aux
obstacles (leur projet n’entre dans aucune case administrative), convainquent
peu à peu leurs interlocuteurs18 et après plus de dix ans de démarches, la
première pierre de la Maison des Babayagas est enfin posée, le 15 octobre
2011. Cet immeuble « autogéré, solidaire, écologique et citoyen » abrite vingt
et un logements à loyers modérés pour personnes âgées et jeunes de moins de
trente ans, avec des espaces et des moments communs, comme des
rencontres-débats avec des associations. Pour Thérèse, la Maison des
Babayagas est ainsi bien plus qu’un hébergement innovant : « c’est un projet
politique » qui veut modifier le regard porté sur la vieillesse, et un « pied de
nez » à une vision économique qui réduit les seniors à une charge pour la
société.
Plusieurs projets comparables sont nés à sa suite, comme à Saint-Priest
(Rhône), Saint-Julien-de-Lampon (Dordogne), Toulouse, Palaiseau ou Vaulx-
en-Velin. La cohabitation de plusieurs générations se développe aussi au sein
de projets comme l’écovillage du Hameau des Buis, fondé par Sophie Rabhi,
la fille de Pierre Rabhi, ou Ecoravie, dans la Drôme. Sur le même modèle de
solidarité active, l’association Simon de Cyrène crée des logements partagés
entre personnes handicapées et valides, comme à Vanves, Rungis ou Nantes.
Ces co-habitats restent toutefois moins nombreux en France qu’aux États-
Unis19, où ils sont fréquents, ainsi qu’en Suède, aux Pays-Bas (où se
développent les « Woongroepen », logements intergénérationnels autogérés),
au Danemark, en Allemagne (avec notamment les Oldies Leben Gemeinsam
Aktiv – Olga – de Nuremberg), en Belgique (avec la transformation
d’anciens bâtiments de type béguinage), en Espagne (avec l’association
Jubilares) ou en Italie (avec CoAbitare).
Quels que soient ses habitants, le co-habitat, conçu au Danemark en 1972,
ne cesse en tout cas de gagner du terrain en Europe (Suède, Allemagne,
Royaume-Uni, France, Belgique…), en Asie (Inde, Japon, Philippines…) et
en Amérique latine (Costa Rica, Mexique, Brésil… )20. Aux États-Unis, des
centaines de milliers d’Américains vivent en intentional communities, des co-
habitats regroupant des personnes aux intérêts communs (retraités, familles
monoparentales, écologistes, membres d’une même religion, artistes, etc.). Ce
secteur très organisé a d’ailleurs ses architectes spécialisés, ses sites Web, ses
blogs, ses magazines et ses livres. Structurés en quartiers de maisons
individuelles ou en immeubles, ces co-habitats se définissent plutôt comme
des neighbourhoods (communautés de voisins) et affichent plusieurs
principes : solidarité, mixité ethnique, tolérance, respect des règles communes
et impact écologique minimal. Ils reposent sur des structures non lucratives et
la prise de décision y est collective.
Les écovillages
L’une des formes les plus abouties de cet habitat groupé est l’écovillage,
pionnier de l’éco-construction, avec des maisons alimentées en énergies
renouvelables et équipées d’un recyclage total des eaux usées. Les
écovillages se multiplient partout : Argentine, Espagne, Allemagne,
Australie, États-Unis, Canada, Mexique, Sri Lanka, Inde, Chili, Brésil, Costa
Rica, Ghana21… Le Sénégal a créé une agence nationale pour transformer,
d’ici à 2020, quelque 14 000 villages en communautés écologiques,
socialement et économiquement soutenables. Le pays compte déjà une
centaine d’écovillages qui ont modélisé la souveraineté alimentaire et le
respect de l’écosystème local, dessinant là une voie d’avenir pour le Sud.
Aux États-Unis, parmi la centaine d’écovillages déjà construits, l’un des
plus connus est celui d’Ithaca. Cette ville située au nord de l’État de New
York et qui abrite l’université Cornell est une cité verte entourée de bois. Il
n’est pas rare, le soir, de voir passer des daims au fond des jardins. En
arrivant dans l’écovillage, construit sur 70 hectares sur les hauteurs de la
ville, la première impression est la paix qui y règne. Ici, pas de voitures, pas
de bruit, mais partout de la verdure, de grandes pelouses, des arbres. Dans la
chaleur de cet après-midi de juin, quelques habitants lisent, installés sous des
parasols, devant les maisons de bois d’architecture traditionnelle américaine,
bâties au bord d’un petit lac où des enfants se baignent. On n’entend que les
oiseaux, le clapotis de l’eau et, au loin, une conversation entre voisins.
« À peu près 160 personnes vivent ici », m’explique la fondatrice, Liz
Walker, en m’invitant à m’asseoir sur l’une des terrasses qui donnent sur le
lac. « Il y a des enseignants de l’université, des informaticiens, des retraités,
des écrivains, un avocat, des agriculteurs, des mères de famille. Tous
différents, mais liés par un vrai sens de la communauté et un engagement en
faveur d’une vie écologiquement saine. »
« Quand j’ai acheté ce terrain en 1992, avec un petit groupe de quinze à
vingt personnes, je voulais surtout offrir des maisons abordables d’un point
de vue financier et bâties dans une démarche écologique », ajoute cette
femme souriante, devenue une icône de l’habitat écologique aux États-Unis.
Les maisons sont pour la plupart orientées vers le sud et dotées de panneaux
solaires. Une isolation optimale réduit les déperditions de chaleur, si bien,
ajoute-t-elle, que « notre empreinte énergétique est de 40 à 60 % plus basse
que celle de la moyenne des maisons américaines. Mais nous améliorons
toujours ce modèle : les maisons du troisième lot ont un système de recyclage
de l’eau et sont énergétiquement passives ».
« Au début, les grandes banques ont évidemment été réticentes à nous
financer. Finalement, c’est une banque locale, qui connaissait l’un de nous,
qui a marché », enchaîne Steve Gaarder, un informaticien aux yeux bleus
rieurs qui fait partie du groupe de fondateurs. La forme juridique choisie a été
celle d’une coopérative à but non lucratif, qui est propriétaire du terrain et des
maisons. C’est donc en achetant des parts de cette coopérative que les futurs
habitants ont acquis leurs habitations. « J’ai acheté ma part 112 000 dollars
et, aujourd’hui, je ne paie pas de loyer pour ma maison, seulement les
charges pour l’eau, l’entretien des parties communes et Internet. »
Les maisons sont entourées de jardins, accessibles aux handicapés et
étudiées pour garantir « un bon équilibre entre la vie privée et la vie
collective, avec des cuisines donnant sur la rue et des parties plus privées côté
jardin », explique Steve. On se côtoie donc quand on veut et on respecte la
vie de chacun, même si, sourit-il, les maisons sont rarement fermées à clé.
Des dîners collectifs et des sessions de musique ont aussi lieu plusieurs fois
par semaine dans la grande salle de la maison commune, qui comprend des
espaces de jeux et des chambres pour les visiteurs. L’alimentation est le plus
possible bio et locale. « Beaucoup de résidents cultivent eux-mêmes des
légumes et les fermes bio des alentours nous fournissent le reste. Les
habitants participent d’ailleurs aux récoltes dans ces fermes », précise Liz.
Les résidents ont aussi organisé un service de covoiturage et implanté des
éoliennes sur le site.
« Au fond, résume Liz, les écovillages n’ont rien inventé. Ils ne font
qu’offrir un espace qui réunit les meilleures pratiques d’habitat écologique,
de préservation des terres, d’alimentation bio, d’énergies renouvelables et de
tous les aspects de la vie en commun. Nous y apprenons comment prendre
des décisions ensemble, résoudre les conflits ensemble, faire la fête ensemble
et nous soutenir les uns les autres. Et nous essayons d’intégrer la sagesse des
modes de vie traditionnels à l’usage des dernières technologies. Ce modèle,
nous l’avons créé pour montrer qu’il était possible de mettre en place une
culture humaine plus durable. »
Un modèle qui semble séduire de plus en plus : « Des journalistes et des
chercheurs viennent voir comment on vit, ajoute Liz. On vient de recevoir
des visiteurs du Japon et de Corée du Sud qui veulent reproduire ce mode de
vie chez eux. Et, aux États-Unis, les habitats de ce type se multiplient dans
des endroits comme New York, Seattle, San Francisco, Portland, Madison, ou
des États comme le Vermont. Tellement de gens veulent vivre autrement,
maintenant : ce n’est plus un mouvement marginal. »
Les éco-hameaux
L’idée d’un éco-habitat convivial gagne aussi du terrain en France. À
Saint-Antoine-l’Abbaye (Isère), village classé parmi les plus beaux de
France, quatorze familles ont construit l’éco-hameau de Chabeaudière.
« L’idée est née entre amis, membres d’une même Amap, qui voulaient
mettre leur mode de vie en cohérence avec leurs convictions écologiques, et
avec des valeurs d’entraide et de solidarité », explique Cyrille Lemaître,
directeur d’une PME de produits bio. Les propriétaires ont choisi des
agromatériaux locaux (terre pour le pisé, paille pour l’isolation et bois pour
l’ossature) qui donnent des maisons bioclimatiques, naturellement fraîches
l’été et chaudes l’hiver, qui demandent moins de chauffage et de ventilation.
Chaque famille a construit son logement, certaines se faisant aider par un
architecte, une entreprise, des amis ou des volontaires d’éco-chantiers. Ce qui
représente une forte économie : « En autoconstruction, les maisons
reviennent à 500 euros le mètre carré, alors que l’indice du coût de la
construction est de 1 470 euros le mètre carré construit », précise Cyrille. Les
maisons individuelles et les deux maisons communes – qui abritent chambres
d’amis, salles de réunion, ateliers et buanderies – sont complétées d’un
espace d’animation pour des rencontres et la livraison de paniers bio – Cyrille
soulignant la parenté du site avec « l’esprit des Colibris » de Pierre Rabhi22.
À l’image de Chabeaudière, plusieurs centaines d’écolieux23 (habitats
alternatifs, écologiques ou autogérés) sont aujourd’hui construits ou en
chantier en France. Pour les aider à voir le jour, François Plassard, un militant
au parcours éclectique (il est ingénieur en agriculture et docteur en
économie), a monté la structure AES (Auto-éco-constructeurs de l’économie
solidaire24) en 2004 à Toulouse. Cette équipe d’architectes et d’artisans joue
auprès des projets d’éco-hameaux le rôle des groupes de ressources
techniques au Québec : « On apporte une cohérence administrative,
architecturale, écologique, technique », explique-t-il. Conçu comme un
réseau d’entraide, AES élabore le projet d’habitat avec les futurs habitants et
les communes, « en ayant en tête la vision d’un bien commun, qui combine
espaces privés et espaces collectifs sans voitures, avec en périphérie un
parking, des vergers et des jardins ».
Un modèle reproductible
Elango n’a adhéré à aucun parti et n’a jamais voulu faire une carrière
politique. Au terme de deux mandats, il a quitté son siège de maire pour se
consacrer à la diffusion de son modèle de gouvernance. Il a ouvert une
Panchayat Academy, une structure de formation des maires qui accueille des
élus confrontés aux mêmes défis que Kuthambakkam et les aide à trouver des
solutions locales, basées sur les mêmes principes démocratiques. Cette
structure a déjà formé un millier de maires venus de toute l’Inde et en forme
une vingtaine de plus chaque mois. Elango a ainsi mis sur pied un réseau
de 2 000 élus qui partagent ses convictions. Et, à terme, il se donne pour
objectif de développer « un réseau de 20 000 villages » qui, d’ici à 2020,
reproduiraient ce modèle d’autogouvernance en constituant une fédération de
« petites républiques villageoises » sur le modèle gandhien. « Je veux
montrer que c’est possible. Si le changement a pu se faire ici, pourquoi pas
ailleurs ? Tout cela peut être reproduit à grande échelle. Parce que nous
sommes dans une démocratie qui permet cette co-gouvernance des villages.
Et parce que, socialement, il y a un besoin. »
L’ancien maire, qui a reçu plusieurs récompenses internationales, a été
invité à raconter son expérience en Grande-Bretagne et aux États-Unis. En
Inde même, l’existence de plusieurs autres villages modèles (tels Hiware
Bazar dans le Maharashtra, Kethanur dans le Tamil Nadu…), autogérés et
bénéficiant d’une démocratie directe et d’une autosuffisance économique,
prouve que le processus démocratique qui a transformé la vie de
Kuthambakkam est reproductible ailleurs.
Plus impensable encore, Elango a radicalement transformé le vivre-
ensemble. En misant sur le dialogue, la tolérance et l’entraide, il a permis la
cohabitation paisible de catégories socio-religieuses qui s’ignoraient,
s’évitaient ou se détestaient. Au sein de la localité, les affrontements entre
castes et la délinquance ont disparu. Mettre fin à la violence et aux ghettos,
réussir la mixité sociale et confessionnelle : là encore, bien des élus
occidentaux aimeraient pouvoir se vanter de tels résultats.
L’économie en réseau mise en place à Kuthambakkam et dans les localités
voisines est également porteuse de leçons. Hormis pour les voitures,
l’essence et l’informatique, les habitants y sont autosuffisants, ce qui rend
leur économie imperméable aux aléas des crises et profite à l’emploi local.
Ce type d’économie « dé-mondialisée » est-il transférable à d’autres pays,
dans d’autres contextes et avec d’autres niveaux de vie ? La question mérite
d’être posée. À l’heure où bien des maires ruraux d’Europe se désespèrent de
la dégradation de leur tissu agricole et industriel, Elango a montré qu’une
relocalisation de l’économie est possible, en équilibrant offre et demande
locales et en soutenant le développement de productions autochtones bien
pensées et complémentaires. Ce modeste maire d’une petite localité indienne
a ainsi réalisé le rêve de bien des habitants et élus des pays industrialisés :
une économie locale prospère.
L’essor des expériences participatives
Le processus mis en œuvre à Kuthambakkam plonge ses racines dans la
demokratia grecque, le pouvoir du peuple. « En votant, chacun doit pouvoir
se dire : j’ai un véritable pouvoir », dit Elango. Qui ajoute que la démocratie
n’a rien à craindre de la participation libre et égalitaire de chaque citoyen :
même s’il a fallu, au début, « dépasser les intérêts individuels », les habitants
ont su créer un esprit de responsabilité commune qui a métamorphosé la
petite ville.
Cette réinvention de la démocratie est la clé pour rénover des systèmes
politiques figés, aujourd’hui critiqués un peu partout. Les citoyens reprochent
à leurs dirigeants d’être davantage à l’écoute des lobbies économiques que
des besoins de la société, d’être incompétents face aux crises, obnubilés par
les calculs politiciens et coupés des réalités. Quelque 80 % des Français
jugent ainsi les citoyens plus capables que les élus de trouver des solutions à
leurs problèmes et à ceux du pays, et 74 % pensent que les idées doivent
venir des citoyens6.
Cette crise de la représentativité fait finalement progresser l’idée que les
droits des citoyens vont au-delà du seul bulletin de vote. Certaines
collectivités le comprennent et utilisent déjà des outils de participation
directe. Et, là où ils n’existent pas, la société civile en invente.
1 Le film Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent (2015), a repris cette initiative, à partir de ce livre.
2 Toile de coton nouée autour de la taille.
3 Ces assemblées citoyennes, distinctes des conseils municipaux, sont autorisées par le 73e
amendement à la Constitution indienne, qui encourage l’auto-gouvernance des villages dans l’esprit des
« républiques villageoises » souhaitées par Gandhi. Adopté en 1992, ce texte instaure par ailleurs un
quota de basses castes et de femmes au sein des conseils municipaux.
4 L’indépendance économique des femmes, leur organisation en groupes de micro-finance, le plein
emploi des hommes et les actions de sensibilisation lancées par le maire ont en quelques années permis
d’éliminer la violence domestique qui sévissait dans le village.
5 Sur le site de la municipalité, il a fait figurer cette phrase de Gandhi : Be the change you want to see
in the world (Soyez le changement que vous voulez voir advenir dans le monde).
6 Emmanuel Galiero, « Selon un sondage, 80 % des Français font confiance aux citoyens plutôt qu’aux
politiques », Le Figaro, 8 mars 2016, et « Seuls 24 % pensent que les idées doivent venir des élus »,
sondage OpinionWay pour 20 Minutes et Soon Soon Soon, 15 septembre 2015.
7 Raul Pont, « L’expérience du budget participatif de Porto Alegre », Le Monde diplomatique,
mai 2000.
8 Voir la carte sur https://democracyspot.net/2012/09/10/mapping-participatory-budgeting-and-e-
participatory-budgeting/.
9 Voir sur Youtube le documentaire de Yannick Bovy, « Marinaleda. Les insoumis », et Stefano
Vergine, « Marinaleda, son maire communiste et son taux de chômage à 0 % », L’Espresso-Courrier
international, 24 juin 2010.
10 Marion Guyonvarch, « Trémargat, laboratoire d’alternatives et de démocratie participative à ciel
ouvert », Bastamag.net, 11 décembre 2014, et Raphaël Baldos, « Trémargat, village bio et solidaire »,
La Croix, 4 mars 2016.
11 Voir le site de la mairie de Saillans et Gaspard d’Allens et Lucile Leclair, « À Saillans, les habitants
réinventent la démocratie », Reporterre, 17 octobre 2015.
12 « Nous, les citoyens » (www.wethecitizens.ie).
13 David Commeillas, « Coup de Balai citoyen au Burkina Faso », Le Monde diplomatique, avril 2015.
14 Il s’agissait d’accepter ou non le remboursement par l’Islande des 3,9 milliards d’euros avancés par
Londres et La Haye après la faillite de la banque Icesave en 2008.
15 Voir www.yrpri.org et https://www.youtube.com/watch?feature=playerembedded & v=2oLlzPqtpQ.
16 Ainsi que la réforme du droit d’auteur pour un accès libre aux données et la protection de la vie
privée sur Internet.
17 Liste complétée par des primaires citoyennes ouvertes à tous.
18 https://participez.nanterre.fr/.
19 Voir sa vidéo, devenue virale :
http://www.ted.com/talks/pia_mancini_how_to_upgrade_democracy_for_the_internet_era.
20 www.youtube.com/watch?v=3eQ4XrgBQBE.
21 www.meurio.org.br et www.fundadores.nossas.org .
22 www.Ipaidabribe.com, www.youtube.com/watch?v=3PwxM8CmH0 et www.Ichangemycity.com.
23 En général sponsorisés par de grandes entreprises comme Google ou Microsoft, parfois par des
fondations. Certains sont soutenus par des universités.
24 www.d21.me/. Lire l’interview de son fondateur sur
www.paristechreview.com/2015/09/29/democratie-2-1-mathematiques-politique/.
25 La fondation chilienne Ciudadano Inteligente est à l’origine de cette initiative, tout comme de Vota
Inteligente.
26 Loïc Blondiaux suggère par exemple que la « démocratie contributive » soit une des branches du
gouvernement. Voir son livre Le Nouvel Esprit de la démocratie, Seuil, coll. « La République des
idées », 2008.
27 Concept apparu à la fin des années 2000 pour désigner un modèle mixte mêlant élections classiques
et participation citoyenne. Voir Dominik Shiener, « Démocratie liquide : la vraie démocratie du XXIe
siècle », 3 décembre 2015 (www.abondance.info/democratie-liquide-la-vraie-democratie-du-21e-siecle-
medium/).
Des centres de santé citoyens
1 www.ithacahealth.org.
2 Déductibles des impôts.
3 Ces cliniques, dont certaines ont des aides fédérales, sont regroupées depuis 2001 dans la National
Association of Free and Charitable Clinics (www.nafcclinics.org).
4 www.berkeleyfreeclinic.org.
5 www.sffc.org.
6 Source : https://solidaritefrancogrecque.wordpress.com/liste-des-dispensaires-sociaux-2/. Source :
https://solidaritefrancogrecque.wordpress.com/liste-des-dispensaires-sociaux-2/.
7 Voir leurs fédérations : www.maisonmedicale.org ; www.vwgc.be.
8 http://gvhv-mplp.be.
9 http://www.health.gov.on.ca/fr/public/programs/ohip/.
10 Ruchi Choudhary, « All Power is Within You », India Together, 7 juin 2011,
www.indiatogether.org/2011/jun/hlt-medbank.htm.
11 Le fonctionnement de ces hôpitaux et de ces réseaux innovants est détaillé dans : Bénédicte Manier,
Made in India, op.cit.
12 L’Union des réseaux du progrès des femmes en milieu urbain (Ur-Profemu). Voir « Micro-assurance
santé. Guide d’introduction aux mutuelles de santé en Afrique », Bureau international du travail, 2000.
Conclusion
En notre temps, la seule querelle qui vaille est celle de l’homme. C’est
l’homme qu’il s’agit de sauver, de faire vivre et de développer.
Charles de Gaulle,
conférence de presse, 25 mars 1959
Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue.
Victor Hugo
La génération du passage à l’acte
Que conclure de ce foisonnement planétaire d’actions citoyennes ?
D’abord que la reprise en main par la société civile des enjeux qui la
concernent ne cesse de s’amplifier. Elle constitue aujourd’hui un phénomène
polymorphe, silencieux, mais qui se développe partout autour du globe. Nous
sommes entrés dans l’âge de la société civile agissante, dont les initiatives ne
cessent de s’étendre : villes en transition, coopératives, groupes de
permaculture, fab-labs, communauté du libre, systèmes collaboratifs forment
maintenant des réseaux mondiaux qui s’organisent, se rencontrent. La
cartographie mondiale de ces initiatives s’enrichit, les rendant plus visibles et
montrant qu’elles constituent une réaction collective à une crise mondiale
inédite, dont les quatre facettes – économique, sociale, démocratique et
écologique – sont indissociables.
La planète a en effet basculé dans une époque critique. Le dérèglement du
climat, le pillage illimité des ressources, l’épuisement des terres arables, la
dégradation des écosystèmes, la déforestation et le manque d’eau menacent
sa survie. La faune terrestre est entrée dans une nouvelle phase d’extinction
de masse et à terme, les humains pourraient faire partie des espèces qui
disparaîtront1. Enfin, le mode de développement actuel continue d’accroître
les inégalités2 et maintient des milliards de personnes dans la pauvreté.
Pourtant, d’autres signes émergent. Jamais le monde n’a eu une population
aussi informée, aussi qualifiée, aussi mobile, aussi connectée, aussi
consciente des enjeux planétaires. Elle est aussi la plus active et la plus
inventive de l’Histoire. C’est particulièrement vrai de la génération des
Millennials, ces jeunes devenus adultes avec le nouveau siècle : nés dans la
culture numérique, ils constituent à eux seuls un groupe mondial
multiculturel, connecté et engagé dans une logique de changement. Rien
qu’aux États-Unis, cette génération fait preuve du niveau d’engagement
civique le plus élevé depuis les années 1930, et exprime à une forte majorité
(84 %) son ambition de « faire quelque chose de positif pour changer le
monde »3.
Le phénomène est sans aucun doute typique des périodes de crise
planétaire. Déjà, en 1929, Freud expliquait dans son livre Malaise dans la
civilisation que lors des crises collectives, les hommes cherchent des
solutions à leur souffrance en adoptant deux comportements opposés : soit le
rejet de l’autre et le repli sur soi, soit l’ouverture et la coopération. C’est ce
que nous sommes en train de vivre. En l’espace de deux décennies, le repli
identitaire et la montée des périls géopolitiques se sont confirmés. Mais,
parallèlement, a émergé une société d’« activistes agissants » (activist
doers)4, une génération positive qui pense au futur. Partout dans le monde,
elle tente de réduire son impact sur la biosphère et de modifier les paradigmes
de l’économie. Et dans un monde saturé d’incertitudes, ses réussites – la
régénération d’écosystèmes, l’émergence de biens communs, le
développement d’une agriculture écologique, des modes de vie et de
production coopératifs, la réduction des énergies fossiles – sont les signes
tangibles que d’autres voies sont possibles.
Du Nord au Sud, ces citoyens montrent que des solutions existent. Des
solutions simples, facilement reproductibles sur tous les continents. Des
solutions qui déjouent le sentiment d’impuissance. Car, chaque fois qu’ils
reprennent le contrôle sur leur environnement, leur travail, leur monnaie, leur
consommation, ces citoyens déconstruisent une mondialisation qui ne leur
convient pas et façonnent autour d’eux le monde idéal qui leur échappe à
l’échelle globale. Ils donnent ainsi un visage concret au changement et
prennent conscience de leur pouvoir d’action.
Pour agir, cette société civile n’a jamais disposé d’autant d’outils : réseaux
sociaux, informations planétaires en temps réel, technologies open source,
financements participatifs ou mutualisation des compétences ont changé la
donne. Ces outils d’empowerment ont modifié les modes d’action, accéléré
les échanges intellectuels et matériels, renforcé l’expression démocratique.
Une sorte de contrepouvoir qualifié, horizontal et sans leader, s’est ramifié
autour du globe, qui partage et reproduit les solutions de terrain. Peu à peu se
construit une intelligence collective qui commence à intéresser les pouvoirs
publics et inspire les entreprises innovantes5. Mais surtout, cet élan de
transformation bottom up fait aujourd’hui de la société civile une actrice
essentielle du changement social, face à des pouvoirs publics qui semblent de
moins en moins capables de penser le bien commun.
Vers de nouveaux communs
La multiplication planétaire de ces initiatives, en un temps historique très
court, laisse penser que leur essor va continuer. Tout d’abord parce que leur
base sociale n’est pas constituée de groupes marginaux, mais de classes
moyennes bien intégrées, ayant les moyens matériels et intellectuels d’agir et
porteuses d’un fort désir de transformer la société, en créant de nouvelles
façons de travailler, d’habiter les villes, de consommer et de vivre ensemble.
Or, de tout temps, les classes moyennes ont été les trendsetters, les groupes
sociaux qui ont déterminé les tendances à venir. Il est d’ailleurs intéressant de
voir que les plus à l’avant-garde de ce mouvement sont les classes moyennes
d’Amérique du Nord et d’Europe, celles qui ont, par le passé, été les
précurseurs d’autres grands changements de société : la première et la
deuxième révolution industrielle, et l’adhésion au capitalisme industriel et au
modèle consumériste. Leur changement actuel de valeurs suggère donc que
nous sommes au début d’un changement profond et durable.
Autres éléments qui plaident en faveur d’une poursuite de leur
développement : ces initiatives répondent à des besoins réels – elles ont
d’ailleurs changé la vie de dizaines de millions de personnes – et elles
résolvent en grande partie la crise du sens. Enfin, l’expansion mondiale des
comportements collaboratifs laisse penser que les nouveaux réseaux
d’individus et de ressources – des « réseaux pensants », comme dit Patrick
Viveret – vont continuer à se multiplier. D’abord au niveau des territoires, là
où le changement est le plus à portée de main. C’est d’ailleurs là que se pense
déjà une économie à l’échelle humaine (concept appelé community-scaled
economy aux États-Unis) et que se mettent en place de nouveaux communs
interdépendants : agriculture et environnement sains, réseaux d’énergies
renouvelables, habitats écologiques et conviviaux, circuits financiers
éthiques, biens et services issus de formes de travail collaboratives, plus
grande démocratie locale, etc.
La prochaine frontière est sans doute d’articuler les initiatives entre elles,
en réunissant leurs acteurs, afin de constituer des leviers puissants pour la
transition des territoires. Un par un, de nombreux territoires, dans plusieurs
pays, pourraient ainsi montrer des changements visibles.
La crise polymorphe que vit la planète est de toute façon une transition en
elle-même, qui nous obligera à mettre en place de nouveaux modèles. De gré
ou de force, l’homme devra s’inscrire dans une interaction intelligente,
résiliente, avec la biosphère. Ce changement radical de vision passera,
résume Serge Latouche, par au moins huit actions interdépendantes :
« réévaluer, reconceptualiser, restructurer, relocaliser, redistribuer, réduire,
réutiliser, recycler6 ». L’épuisement prévisible des ressources et les
conséquences dramatiques du réchauffement climatique, notamment,
devraient ainsi nous faire passer d’une logique de flux mondiaux d’échanges
à une logique de territoires autonomes en travail, en alimentation et en
énergie. De manière pragmatique, il faudra aussi mêler les solutions du Nord
et du Sud et recourir autant au high-tech qu’au low-tech7.
Cette transition, dont la société civile a été la première à se saisir, nul n’en
connaît encore l’issue. La remise en cause des logiques actuelles se heurte à
d’importants groupes d’intérêts (pétroliers, financiers...) et les convulsions du
monde rendent l’avenir imprévisible. Mais la société civile a
incontestablement découvert sa force de transformation et elle esquisse déjà,
en de multiples endroits de la planète, les contours d’une société plus
écologique, plus participative, plus solidaire. Ce sont peut-être les prémices
du futur, qui émergent et s’organisent.
1 Selon une étude publiée par des experts de Stanford, Princeton et Berkeley : Gerardo Ceballos et alii,
« Accelerated modern human-induced species losses : Entering the sixth mass extinction », Science
Advances, 19 juin 2015.
2 Un groupe de 67 milliardaires détient autant de richesses que la moitié de la population du globe.
3 Dan Schawbel, « 74 of the Most Interesting Facts About the Millennial Generation », 25 juin 2013,
http://danschawbel.com/blog/74-of-the-most-interesting-facts-about-the-millennial-generation/.
4 Andrea Stone, « Civic generation rolls up sleeves in record numbers », USA Today, 19 avril 2009, et
Pew Research Center, « Portrait of the Millennials », www.pewresearch.org/2010/03/11/portrait-of-the-
millennials/.
5 Elles remplacent en effet, avec succès, le modèle pyramidal par une gestion participative qui valorise
les compétences, comme l’entreprise Buurtzorg à Rotterdam (10 000 employés). Sur ce nouveau mode
de gestion, voir Frédéric Laloux, Reinventing Organizations. Vers des communautés de travail
inspirées, Éd. Diateino, 2015.
6 Serge Latouche, « La voie de la décroissance. Vers une société d’abondance frugale », in Alain
Caillé, Marc Humbert, Serge Latouche, Patrick Viveret, De la convivialité. Dialogues sur la société
conviviale à venir, La Découverte, 2011.
7 Voir Philippe Bihouix, L’Âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable,
Seuil 2014.
Postface
Quelles seraient les conditions nécessaires pour que ces initiatives diverses
constituent une réponse globale ?
L’enjeu n’est-il pas aussi que ces initiatives, qui illustrent ces mutations
naissantes, atteignent une masse critique pour peser sur les choix
politiques ?
1 Concept écologique et démocratique développé par les populations indigènes d’Amérique latine
(Pérou, Équateur, Bolivie…) et qui implique à la fois un équilibre avec la nature (production suffisante
pour tous, mais sans accumulation) et un équilibre social reposant sur la participation égale de tous les
citoyens.
REMERCIEMENTS
Ouvrage réalisé
par Les Liens qui Libèrent et le Studio Actes Sud
Couverture
Présentation
Bénédicte Manier
Préface
L’apport de l ’hydroponie
Réduire le gaspillage
L’économie du don
La société collaborative
La génération makers
Partager le travail
Nourrir le monde
Un modèle d ’émancipation
Préserver la biodiversité
L’exemple nordique
L’économie circulaire
Le modèle coopératif
Les empresas recuperadas d’Argentine
Un secteur dynamique
Un outil d’indépendance
Vieillir ensemble
Les écovillages
Les éco-hameaux
Un modèle reproductible
Remerciements