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Izard Michel. Les Kurumba et la Mission Lebaudy-Griaule (1938-1939). In: Journal des africanistes, 2001, tome 71, fascicule 1.
Les empreintes du renard pâle. pp. 113-119;
doi : https://doi.org/10.3406/jafr.2001.1254
https://www.persee.fr/doc/jafr_0399-0346_2001_num_71_1_1254
Les Kurumba
et la Mission Lebaudy-Griaule
(1938-1939) i
procède Au
à unlong
relevé
dede
son
chantiers
périple,ethnographiques
la Mission Dakar-Djibouti
vierges. Il appartiendra
(1931-1933)par la
suite aux « missions Griaule », pour une part variable selon les cas,
d'exploiter certains de ces chantiers parmi les plus prometteurs, à quoi vont être
consacrées les enquêtes de terrain des années 1935 à 1939, puis 1946 à
1956 2. La dernière des trois missions de l'avant-guerre date de 1938-1939.
La Mission Lebaudy-Griaule, c'est son nom officiel, réunit Marcel Griaule
et Jean Lebaudy, qui en assurent la direction, Germaine Dieterlen, Solange
de Ganay et Jean-Paul Lebeuf. « Au Soudan Français, la mission s'est
attachée à étudier les Tellems ou Kouroumba et les Dogons de la plaine. Ces
études ont porté sur les fondations de villages, les migrations, l'organisation
sociale, la mythologie, la religion, la divination, les jeux, les techniques, la
langue 3 », autant dire sur tous les aspects d'une démarche monographique
d'intention exhaustive, comparable à celle qui prévaut chez les Dogon
depuis 1935 et, à l'articulation des années trente et quarante, nous vaut une
profusion d'œuvres 4. La nouvelle série d'enquêtes ne pourra manquer
d'être conduite selon les méthodes de travail qui ont précisément fait leur
preuve en pays dogon : spécialisation des enquêtes individuelles, souci
constant de la restitution des « textes » oraux, mise en commun des maté-
21* G.
Je
Laboratoire
tiens
Dieterlen,
à remercier
d'anthropologie
« Les résultats
Marc-Henrides
sociale,
missions
Piault52,pour
rue
Griaule
une
du Cardinal
première
au Soudan
Lemoine
lecture
Français
de75005
cet(1931-1956)
article.
Paris. »,
riaux, examen systématique des faits nouveaux à la lumière des données déjà
enregistrées dans le contexte d'une enquête de longue durée dont le terme
seul assigne à l'information sa valeur de vérité. Comme l'on sait, en raison
des événements, l'enquête sur les Kurumba (sing. Kurumdo) 5 tournera
court : les membres de la mission rentrent en France en juin 1939, et sept
années plus tard, en 1946, les conditions ne sont apparemment plus réunies
pour que le projet d'avant-guerre retrouve son actualité, mais, au début des
années soixante, ce sera en se réclamant explicitement de l'inspiration des
enquêtes de 1938-1939 que Wilhelm Staude et Annemarie Schweeger-Hefel
découvriront le pays kurumdo 6.
5 Nous distinguons les singuliers kurumdo, fulga et moaga des pluriels kurumba,fulse et moose,
le modèle singulier / pluriel de la forme -gai -se ou -si étant caractéristique de l'ethnonymie du
moore, la langue des Moose ; cf. aussi gulmanceba, pluriel de gulmance ; les ethnonymes
« dogon », « tellem » et « sonray » sont ici invariables ; l'ethnonyme « peul » suit la règle du
lexique français.
6 W. Staude : « La guerre de 1939 a malheureusement interrompu les recherches [conduites par
l'équipe Griaule] relatives aux Kouroumba. À la faveur de diverses circonstances, j'ai pu
reprendre les travaux de mes devanciers, décidé à mener une recherche intensive dans une
région qui se trouve juste au sud du chemin parcouru par le groupe dirigé par Marcel Griaule »,
in « La légende royale des Kouroumba », Journal de la Société des africanistes XXXI (2), 1 96 1 :
209-259, cf. pp. 209-210.
7 Walter Pfluger, dans un texte inédit, Notes ethnographiques sur l'histoire des Tellem et des
Kurumba, ms., 1986, rend bien compte de cette complexité ; cf. aussi de cet auteur l'étude
consacrée au commandement fulga de Ronga (Yatenga) : Ronga. Ein beispiel politischer
Organisation als System der Komplementář itat, Stuttgart, Franz Steiner, 1988. Ce qui est
finalement en cause dans l'histoire du peuplement, c'est la question de l'identité. Jacky Bouju,
dont l'étude sur les Dogon Karambé {Graine de l'homme, enfant du mil, Paris, Société
d'ethnographie, 1984) propose une approche novatrice de l'univers dogon qui s'inscrit dans le sillage de
l'œuvre de Denise Paulme, s'est employé à répondre à la question « Qu'est-ce que l'ethnie
dogon ?» — Cahiers des sciences humaines 31 (2), 1995 : 329-363 — , malheureusement sans
s'appuyer, dans une perspective critique, sur la partie opératoire à cet égard de l'immense
littérature disponible.
neuve ethnologie des Kurumba, dont les thèmes font écho à ceux qu'à une
tout autre échelle, l'ethnologie des Dogon traite alors. Comme son titre
l'indique, le premier texte cité fait fonction d'introduction à cet ensemble, en
raison notamment de la place qu'y occupe l'histoire du peuplement. Ces
quatre articles sont remarquables en ce qu'ils nous présentent vraiment une
ethnologie en train de se faire, avec une fraîcheur de ton qui pourrait parfois
être celle d'un premier jet. Griaule n'hésite pas à qualifier d'« incomplète »
son étude sur le Domfé, « esprit de l'eau et de la végétation » ; à propos de
l'article de 1942, Germaine Dieterlen et Griaule rappellent que les
documents recueillis « constituent le résultat d'une première enquête » et « ne
donnent qu'un aperçu de ces questions importantes [l'âme, la mort, les
funérailles], ne prétendent avant tout qu'à attirer l'attention sur elles ».
L'équipe a principalement travaillé à Yoro et à Aribinda 14 (et découvert que
les Kurumba se réfèrent à deux « Mande », celui de l'Est à Aribinda, celui de
l'Ouest à Yoro...), mais plusieurs autres lieux d'enquête sont indiqués dans
les textes publiés, qui dessinent un espace kurumdo notoirement différent de
celui qui nous est familier aujourd'hui, en raison principalement des hasards
de l'enquête qui n'ont pas permis d'assigner à la localité de Mengao
(cependant citée par Germaine Dieterlen à l'égal des centres politiques sonray
anciens de Filyo et de Tinye) son statut de localité résidentielle (tardive) du
souverain du royaume kurumdo du Lurum (le Lurum ayo des Kurumba ou
le Lurum naaba des Moose), dont le territoire dernier s'étendait sur une
partie des espaces du Yatenga et du Jelgoji d'aujourd'hui.
Les cas dogon et kurumdo qui, d'un certain point de vue, font système
l'un avec l'autre, appellent à réfléchir sur la façon dont, sur un même terrain
S. de Ganay, « Le génie des eaux chez les Dogon, les Kouroumba et les Sara », Comptes rendus
sommaires des séances de l'Institutfrançais d'anthropologie, 1940-1943 [1949] :4-5 ;M. Griaule,
« Note sur les masques des Kouroumba », Journal de la Société des africanistes XI, 1941 :
224-225 ; J.-P. Lebeuf, « La circoncision chez les Kouroumba », Comptes rendus sommaires des
séances de l'Institut français d'anthropologie, 1940-1943 [1949] : 11.
14 Aribinda est la localité centrale d'une région du Burkina Faso septentrional située entre
l'Udalan et le Liptako, à l'est, le Jelgoji, à l'ouest. Il est acquis que ce pays a été anciennement
peuplé par les Kurumba, mais ceux-ci ne constituent plus aujourd'hui qu'une composante
parmi d'autres d'une population très hétérogène, situation qui a certainement contribué au
déplacement vers l'ouest (le Lurum) de l'épicentre des enquêtes de ces dernières décennies sur
les Kurumba. La géographie, l'histoire et l'anthropologie n'ont rien perdu à ce changement de
perspective, si l'on en juge par l'importance du travail effectué sur le pays d'Aribinda par
Dominique Guillaud et Georges Dupré ; cf. du premier auteur, L'ombre du mil. Un système
agropastoral en Aribinda (Burkina Faso), Paris, Éditions de l'ORSTOM, 1993, des deux
auteurs, notamment « Archéologie et tradition orale : contribution à l'histoire des espaces du
pays d'Aribinda », Cahiers des sciences humaines 22(1), 1986 : 5-48, en attendant la parution
d'une étude d'ensemble, historique et anthropologique, de Dupré, annoncée par plusieurs
articles.
15 Sauf erreur, la première étude imprimée de Staude dans le domaine qui nous occupe ici est
« La légende royale des Kurumba » {cf. note 5). Bien qu'il ne relève pas à proprement parler de
l'anthropologie politique, cet article, avec quelques autres d'inspiration comparable
{cf. note 8), a certainement joué un rôle de repère pour des chercheurs comme Pfluger ou
Bertrand Gérard ; cf. de ce dernier, entre autres, Histoire et tradition orale chez les Kurumba du
Lurum, Paris, ORSTOM, 1984, multigr. L'œuvre de Wilhelm Staude et plus encore celle
d'Annemarie Schweeger-Hefel sont considérables ; l'essentiel de l'apport commun de ces deux
chercheurs est publié dans Die Kurumba von Lurum, Vienne, A. Schendl, 1972.
16 G. Holder, Le système politique sama. Parcours et relations d'une société guerrière dans la
Boucle du Niger : analyse comparative, thèse de doctorat, université Paris X, Nanterre, 1999,
2 vol., multigr.
17 Cf. note 8.
18 Outre Les âmes des Dogons (1941) et « La mort chez les Kouroumba » (1942, en coll. avec
Marcel Griaule), déjà cités : « La personnalité chez les Dogons, autels individuels »,
L'Anthropologie XLIX (6), 1940 : 829-831 ; Le génie des eaux chez les Dogons, Paris, Paul Geuthner,
1942 (en coll. avec Solange de Ganay) ; « Notes sur les génies des eaux chez les Bozo », Journal
de la Société des africanistes XVII, 1942 : 149-155 ; « La personne chez les Bambara », Journal
de psychologie normale et pathologique XL(1), 1947 : 45-53.
en considérant la manière dont, pour trois auteurs (un texte est écrit en
collaboration avec Griaule, un autre avec Solange de Ganay), se combinent
thèmes (personne, mort, génie des eaux) et populations (Dogon, Kurumba,
Bozo, Bambara), mais aussi, en un autre langage, s'articulent l'un à l'autre
un seul regard et un seul monde.