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Jean-François Hersent
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Jean-François Hersent
Joanna Nowicki
Michel Maslowski
Xu Jun
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Barbara Cassin
Jean-Marc Lévy-Leblond
Jean-François Hersent
Direction du livre et de la lecture, ministère de la Culture et de la Communication
TRADUIRE : RENCONTRE
OU AFFRONTEMENT ENTRE CULTURES ?
« L’histoire de toutes les cultures est celle des emprunts culturels. Les cultures ne sont pas imperméa-
bles. La science occidentale a emprunté aux Arabes, qui ont emprunté à l’Inde et à la Grèce. Et il ne s’agit
jamais d’une simple question de propriété et de prêt, avec des débiteurs et des créanciers absolus, mais
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En deuxième lieu, parce que c’est méconnaître la structuration du monde telle qu’il est et ignorer la
mondialisation culturelle : aujourd’hui, les œuvres qui dominent le marché sont, dans leur majorité,
formatées selon des critères commerciaux avec pour effet de limiter la diversité des contenus et de
concourir à la diffusion d’un mode de représentation du monde, d’un mode de pensée et d’un mode de
vie qui tendent à s’uniformiser. Dans ces conditions, « les langues ont, sociologiquement parlant, un statut
différent selon qu’elles n’ont de locuteurs que dans un pays ou une aire culturelle, ou au contraire dans un
espace transfrontière, comme l’anglais, l’espagnol ou le français qui peuvent servir de langues de commu-
nication à diffusion universelle et de véhicule à une culture cosmopolite » (Colas, 1992, p. 104). Le
dialogue entre cultures est biaisé dès lors qu’un modèle culturel dispose des moyens économiques pour
dominer les autres propositions.
C’est pourquoi, « en tant que transfert culturel, la traduction suppose d’abord un espace de relations
internationales, constitué à partir de l’existence des États-nations et des groupes linguistiques liés entre
eux par des rapports de concurrence et de rivalité. Pour comprendre l’acte de traduire, il faudrait donc
l’analyser comme imbriqué dans des rapports de force entre des pays et leurs langues, et, par conséquent,
le situer dans la hiérarchie internationale », proposent Johan Heilbron et Gisèle Sapiro (2002, p. 4) dans
une perspective proche de celle développée par Pascale Casanova dans La République mondiale des lettres
(Casanova, 1999).
À cet égard, le bilan de l’évolution de l’intraduction d’ouvrages de littérature et de sciences humaines
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(qu’est-ce qu’on traduit ? qu’est-ce qu’on publie ? qui traduit ? qui publie ?) ; une opération de marquage
(d’un produit préalablement « dégriffé ») à travers la maison d’édition, la collection, le traducteur et le
préfacier (qui présente l’œuvre en se l’appropriant et en l’annexant à sa propre vision et, en tout cas, à une
problématique inscrite dans le champ d’accueil et qui ne fait que très rarement le travail de reconstruction
du champ d’origine, d’abord parce que c’est beaucoup trop difficile) ; une opération de lecture enfin, les
lecteurs appliquant à l’œuvre des catégories de perception et des problématiques qui sont le produit d’un
champ de production différent. » (Bourdieu, 2002, loc. cit.).
Il apparaît alors que les problématiques relevant de la circulation des idées et des transferts culturels,
tant sur le plan national qu’international, qu’entre groupes sociaux ou civilisations différentes rejoignent
celles qu’on a coutume de poser quant à la traduction (Hersent, 2003). Il faut par conséquent passer au
crible de l’analyse sociologique et/ou historique les processus de diffusion, d’assimilation et d’ajustements
qui interviennent lors des changements culturels au sein d’une société ou d’un groupe dont les frontières
sont perméables aux influences extérieures : le passage d’une culture vers une autre (ou des valeurs d’un
groupe vers un autre) entraîne brasses et mélanges et peut déboucher sur le multiculturalisme. « Dans le
domaine du livre, relève Bernadette Seibel, étant entendu que le sens et la fonction d’un texte étranger
sont déterminés autant par le champ d’accueil que par le champ d’origine, la connaissance de la situation
respective des deux champs de production nationaux et de leur position dans le marché international du
livre est un préalable à toute analyse de la catégorie d’agents de cette internationalisation que sont les
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Mais il ne suffit pas de proclamer que « l’humanité (ou le monde occidental, ou l’Europe, ou l’Islam,
etc.) est forte de ses diversités ». C’est que le défi à relever est bien celui de « la réalisation d’un consensus
qui ne repose pas sur un vague concept d’essence humaine prédéterminée, mais qui soit le résultat actif du
dialogue et de la lutte. C’est aussi le pari de la culture elle-même, qui ne doit pas craindre de s’ouvrir pour
mettre au jour (et remettre en question) son caractère universel » (Robbins, 2002, p. 41).
Les choses se compliquent dès lors qu’il s’agit de transposer dans les anciens pays coloniaux les struc-
tures constitutionnelles et politiques héritées de la puissance coloniale. La transplantation d’une culture
constitutionnelle ne va pas de soi, tel est le fond de l’argumentation de Ranabir Samaddar (2002) suggérée
par les usages politiques et sociaux de l’ouvrage testament de Rabindranath Tagore publié en 1940,
La Crise de la civilisation. La traduction des œuvres littéraires obéit à des lois de fonctionnement exposées
plus haut de manière succincte, même si, dans le cas de la traduction des Mille et une Nuits, les difficultés
à la fois complexes et spécifiques relèvent peut-être moins du « texte » que du « phénomène littéraire ».
Il n’en reste pas moins vrai que depuis la traduction d’Antoine Galland au XVIIIe siècle – première version
européenne du recueil – « les Européens se sont “approprié” les Mille et une Nuits et les ont adaptées à
leurs propres goûts. » (Van Leeuwen, 2002, p. 91). Non seulement il faudra attendre la fin du XXe siècle
pour pouvoir établir un panorama exhaustif des différents textes – le manuscrit que Galland avait acquis
ne contenait que 281 Nuits –, mais la complexité de la genèse des Mille et une Nuits reste un obstacle
redoutable pour le traducteur moderne, qui ne dispose pas encore aujourd’hui d’un texte de référence
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est l’objet de divergences. Le problème le plus important – au-delà du problème technique de traduction,
qui n’est pas insurmontable – concerne certains concepts, non pas dans leur dimension terminologique,
mais dans leur référence culturelle : en matière de liberté de croyance et de religion, notamment. Dès lors
se pose le problème théorique de la traduction : doit-elle être littérale ou doit-elle transposer et faire passer
le message ? Dans ce second cas, le traducteur, en tant qu’intermédiaire entre l’auteur et le lecteur, joue-
t-il le même rôle ou a-t-il une responsabilité particulière ? La traduction en arabe des droits de l’homme
et les nombreux remous qu’elle a suscités dans les instances internationales illustre la difficulté d’habituer
des personnes appartenant à « des cultures différentes à écouter l’autre, à respecter son point de vue, à
essayer de comprendre son message et à instaurer une véritable communication, un véritable échange
pour s’enrichir mutuellement, dans un esprit de tolérance » (ibid., p. 105).
Toutes choses qui rejoignent les nombreux travaux de terrain de l’anthropologie culturelle qui ont
montré que la vision de l’Autre a toujours été étroitement dépendante d’une « appréhension médiée des
cultures à travers le prisme des récits d’exploration, des rapports d’administrateurs coloniaux et des
journaux de missionnaires » (Amselle, 2002).
indépendamment » (ibid.) : la traduction n’est possible que si l’« original » et le traducteur s’en trouvent
transformés, et que si le résultat – le traduit – coexiste avec son « original » différé et transformé.
Traduire, c’est penser la culture comme rapport entre les cultures. C’est pourquoi, il ne peut être
question d’une culture homogène. Les différences sont présentes au sein d’une même culture et entre les
cultures, comme elles le sont au sein d’une même langue et entre les langues. Ainsi traduire entre les
cultures constitue bien un enjeu de civilisation, surtout dans le contexte idéologique actuel, qui fait de la
référence à la « guerre des civilisations » le discours dominant et partout implicite (Wallenstein, 2002 ;
Robbins, 2002). Plus que jamais, il convient de penser les décalages entre culture et civilisation, entre alté-
rité et clôture. Et de ne pas occulter non plus les différents incontournables et la question pendante de
l’incompatibilité, du différent, de l’intraduisible, autant de facteurs de guerre plutôt que de paix.
Travailler sur la traduction des cultures, c’est non seulement se demander ce que l’on traduit, pour-
quoi l’on traduit, comment on traduit, c’est aussi s’interroger sur les récits contemporains de l’intradui-
sible et, par là, mettre en question la thématique de l’incompatible, celle de l’original/originel (Crépon,
2002) et de la traduction/trahison : Tradutore, traditore10.
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1. L’espéranto a été composé à la fin du XIXe siècle par Ludwik Lejzer Zamenhof qui publie la première grammaire en langue
russe de la Langue Internationale en juillet 1887. En 1905, se tint à Boulogne-sur-Mer le premier congrès mondial d’espé-
ranto. Si l’espéranto n’est la langue officielle d’aucun pays, c’est la langue de travail de plusieurs associations, principale-
ment des associations d’espéranto. La plus importante est l’Association mondiale d’espéranto (UEA) qui entretient des
relations officielles avec les Nations unies et l’Unesco dans un rôle consultatif.
2. L’espéranto est avec l’anglais et l’espagnol une des trois langues officielles des congrès de l’AIT (Association internationale
des travailleurs, anarcho-syndicaliste).
3. Gisèle Sapiro : intervention le 23 janvier 2007 à la table ronde n° 10 « Ouverture au monde et rayonnement international
par le livre », dans le cadre de la manifestation « Objectif livre 2010 », organisée par la Direction du livre et de la lecture
du ministère de la Culture et de la Communication.
4. Pourtant, une illusion de diversité culturelle subsiste encore grâce à de petits producteurs ou distributeurs indépendants,
ainsi qu’avec des niches commerciales entretenues par les grandes entreprises dans le domaine de la culture élitaire ou dans
celui d’une culture identitaire sans prise avec le monde.
5. À la réserve près que M. Vovelle se situait alors au carrefour d’une problématique marxiste confrontée au couple décultu-
ration-acculturation, notamment à propos des rapports entre « culture populaire » et « culture d’élite », contribuant à en
affaiblir la distinction ; voir aussi les actes d’un autre colloque, plus récent (2000) qui s’est tenu à l’Université de Marne-la-
Vallée (Benat-Tachot et Gruzinski, 2001). Voir également, quoique dans une perspective différente, Cooper-Richet,
Mollier et Silem (2005).
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6. Dans le même passage, le sociologue ajoute : « C’est une proposition que Marx énonce en passant dans Le Manifeste du
Parti communiste, où il n’est pas de règle d’aller chercher une théorie de la réception… Marx fait remarquer que les
penseurs allemands ont toujours très mal compris les penseurs français, parce qu’ils recevaient des textes qui étaient
porteurs d’une conjoncture politique comme des textes purs et qu’ils transformaient l’agent politique qui était au principe
de ces textes en sujet transcendantal. »
7. Pour citer encore Bourdieu : « Il faut donc se demander quelle est la logique des choix qui font que tel éditeur ou tel auteur
se désigne pour devenir l’importateur de telle ou telle pensée. Pourquoi est-ce untel qui a publié untel ? Il y a évidemment
les profits d’appropriation. Les importations hérétiques sont souvent le fait de marginaux dans le champ, qui importent un
message, une position qui a de la force dans un autre champ, avec pour effet de renforcer leur position de dominés dans le
champ. Les auteurs étrangers sont souvent l’objet d’usages très instrumentalistes. […] une bonne part des traductions ne
peuvent être comprises que si on les resitue dans le réseau complexe d’échanges internationaux entre détenteurs de posi-
tions académiques dominantes, échanges d’invitations, de titres de docteur honoris causa, etc. Il faut donc se demander
quelle est la logique des choix qui font que tel éditeur ou tel auteur se désigne pour devenir l’importateur de telle ou telle
pensée. Pourquoi est-ce untel qui a publié untel ? » (Pierre Bourdieu, loc. cit.)
8. Lévi-Strauss est en un sens l’héritier de l’anthropologie culturelle américaine, mais il s’en démarque en cherchant à dépasser
l’approche particulariste des cultures : par delà l’étude des variations culturelles, il entend analyser l’invariabilité de la
Culture. Pour lui, les cultures particulières ne peuvent être comprises sans référence à la Culture, « ce capital commun » de
l’humanité dans lequel elles puisent pour élaborer leurs modèles spécifiques.
9. C’est ce qu’a magistralement montré Edward Said (2005). Sa thèse est connue : l’Orient est une fabrication des Occiden-
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