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EN MARGE DE LA QUESTION ARÉOPAGITIQUE : LA LETTRE XI DE DENYS À APOLLOPHANE

Author(s): Paul Canart


Source: Byzantion, Vol. 41 (1971), pp. 18-27
Published by: Peeters Publishers
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44170303
Accessed: 13-03-2019 15:58 UTC

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EN MARGE DE LA QUESTION AEÉOPAGITIQÜE :
LA LETTRE XI DE DENTS A APOLLOPHANE O

Le tome 3 de la Patrologie grecque de Migne présente,


dans une version latine assez élégante, une XIe Lettre de
Denys l'Aréopagite, adressée au philosophe Apollophane (Ł) ;
le texte est emprunté à l'édition de 1755 du corpus aréopa-
gitique (2) ; il est accompagné de notes, attribuées à Pierre
Lanssel. D'où vient ce texte, quel est le contenu de la
Lettre, dans quelle langue, où et quand a-t-elle été rédigée?
Nous allons tâcher de répondre à ces différentes questions.
Dans le champ immense des études dionysiennes, elles se
situent en marge. Il n'y a pas de doute, en effet, que la
XIe Lettre soit un apocryphe «au carré», l'œuvre d'un
« pseudo-pseudo-Denys ». Néanmoins, tout problème mérite
d'être résolu. La solution de celui-ci intéresse, comme on
verra, l'histoire des relations culturelles entre l'Orient hellénisé
et l'Occident du haut Moyen Âge (3).

(♦) Cette note reproduit, avec quelques modifications, une commu-


nication présentée à la quatrième Conférence patristique d'Oxford,
en 1963. Notre intention était de l'intégrer dans une étude plus
vaste, consacrée à la naissance et à la diffusion des légendes hagio-
graphiques grecques concernant Denys l'Aréopagite. C'est le P.
R.-J. Loenertz qui nous avait proposé de prolonger une enquête
entamée par lui avec succès, et il nous a prodigué renseignements,
suggestions et encouragements. Diverses circonstances ont retardé
et retardent encore l'achèvement du travail. C'est pourquoi nous
nous décidons aujourd'hui à offrir à notre maître etami ce témoignage
- bien indigne - de notre reconnaissance.
(1) P.G., 3, 1119-1122.
(2) On trouvera la liste et la description de toutes les éditions
du pseudo-Denys dans le recueil anonyme publié par les moines de
Solesmes : Dionysiaca. Recueil donnant l'ensemble des traductions
latines des ouvrages attribués au Denys de l'Aréopage etc., t. I, s.l.,
1937, pp. xxi-Lviii. L'édition de 1755, décrite p. liv, porte le n° 130
de la liste.
(3) Nous ne sommes évidemment pas le premier à nous occup
de la Lettre XI. Les études suivantes ont apporté une contribution
à l'interprétation de ce document ; nous les citons dans l'ordre chrono-

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EN MARGE DE LA QUESTION ARÉO P AGITIQUE 19

La XIe Lettre de Denys nous est conservée seulement


par les Areopagitica d'Hilduin, la vie de Denys que le célèbre
abbé de Saint-Denys, à la demande de Charles le Chauve,
composa aux environs de 835 i1). Au chapitre XIV, Hilduin
reproduit intégralement le texte dans une version latine,
sans rien dire sur sa provenance. Sans parler des nombreux
manuscrits des Areopagitica (2), le texte d'Hilduin a circulé

logique. S. Albert le Grand a écrit un commentaire de la Lettre :


B. Alberti Magni ... Opera omnia ... cura ac labore Augusti Borgnet,
t. XIV. Commentarii in opera b. D. Areopagitae, Paris, 1892, pp. 1019-
1027. Au xviie siècle, Pierre Halloix ajoute à sa traduction latine
de la Lettre des scolies qui postulent un original grec et défendent
l'authenticité : P. Halloix, Illustrium Ecclesiae Orientalis scrip -
torům ... vitae et documenta , IDouai, 1633, pp. 15-17, 239-240. Au
xvine siècle, Nicolas Le Nourry consacre les deux derniers para-
graphes de sa Dissertatio decima de operibus S. Dionysii Areopagitae
(qui fait partie de l'ouvrage Apparatus ad bibliothecam maximam
veterum Patrům , et antiquorum Scriptorum ecclesiasticorum, t. I,
Paris, 1703, coll. 169-210) à la Lettre XI (col. 210). Parmi les tra-
vaux récents sont à signaler : P. Peeters, L'histoire de S. Denys
VArêopagite et sa lettre à Apollophane [en arabe], dans al-Machriq,
t. 12 (1909), pp. 118-127 ; du même, La vision de Denys VArêopagite
à Héliopolis , dans Analecta Bollandiana , t. 29 (1910), pp. 302-322
(v. pp. 310-313) ; P. Lehmann, Zur Kenntnis der Schriften des Diony-
sius Areopagita im Mittelalter , dans Revue bénédictine , t. 35 (1923),
pp. 81-97 (v. pp. 91-92 et 97) [article reproduit dans P. Lehmann,
Erforschung des Mittelalters , t. IV, Stuttgart, 1961, pp. 128-141] ;
G. Théry, Hilduin et la première traduction des écrits du Pseudo-
Denis , dans Revue d'Histoire de l'Église de France , t. 9 (1923), pp. 23-
39 (v. pp. 34-38) ; F. Cumont, Regula Philippi Arrhidaei , dans
Isis , t. 26 (1936-37), pp. 8-12 ; M. Buchner, Die Areopagitika ...,
dans Historisches Jahrbuch , t. 58 (1938), pp. 61-71 (ignore Cumont) ;
O. Neugebauer, Regula Philippi Arrhidaei , dans Isis , tē 50 (1959),
pp. 477-478.
(1) BHL , 2175. L'œuvre d'Hilduin a fait l'objet de nombreuses
études ; celles qui intéressent notre sujet seront citées plus bas.
Les Dionysiaca , comme nous avons dit, énumèrent toutes les éditions
de la Lettre à Apollophane, en précisant à chaque fois qui est l'auteur
de la version. Le texte d'Hilduin a été édité deux fois au xve siècle,
neuf fois au xvie, deux fois au xvne, une fois au xixe, trois fois au
xxe ; il est facilement accessible au t. 106 de la Patrologie latine de
Migne, col. 33-34. Sans parler d'autres fautes, qui remontent plus
haut, la Patrologie a imprimé fagitatione pour fatigatione (P.L.,
106, 33 D 9).
(2) Camilla Weltsch-Weishut en a dressé la liste dans une disser-
tation de Munich : Der Einfluss der « Vita S . Dionysii Areopagitae »

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20 P. CAN ART

au Moyen Age sous forme de


la faveur de légères différences d
pour une traduction de Jean S
fait, comme le P. Théry l'a montré
reproduisent mot pour mot le
En 1498, Jacques Lefèvre d'Étapl
corrigée du corpus aréopagitique
versali (3). La première édition,
ne présentait que les dix Lettr
fait son apparition en 1498, sa
sur sa provenance. Mais ce n'e
1439, qui aura fourni la nouve
l'addition est sans doute Lefèvr
ci ne déclare-t-il pas dans sa p
version latine parfois défectu
a eu recours à d'« anciens origi
que lui ont obligeamment comm
Denys (5)? C'est dans le milieu
apparue la Lettre à Apollophan
bablement, qui en ont révélé l'ex
çais. Le texte que donnes celui-
celui d'Hilduin, dont il garde c
ristiques (#) ; mais l'éditeur par

des Abtes Hilduin von St. Denis auf


Munich, 1922, pp. 19-23. Du ix« au
(1) Voir Théry, Hilduin et la prem
n. 47.
(2) Ibid.
(3) Cette édition porte le n° 6 sur la liste des Dionysiaca, p. xxiii ;
v. aussi le répertoire de Hain, n° 6233, et le Gesamtkatalog der Wie-
gendrucke, t. VII, n° 8409. La Lettre à Apollophane est au Í. 101r-v,
suivie, aux ff. 101v-102r, des scolies de Lefèvre d'Étaples.
(4) Cette édition est le n°. 4 des Dionysiaca, p. xxii ; cf. Hain,
n° 6232, Gesamtkatalog, n°. 8408. Contrairement à ce qu'indiquent
les auteurs des Dionysiaca, le volume ne contient que 10 lettres,
et non 11. Nous remercions vivement notre collègue Ch. Astruc, de
la Bibliothèque Nationale de Paris, qui a bien voulu vérifier pour
nous le contenu exact de l'incunable.
(5) Fol. <Aiiij> de l'édition.
(6) Cf. p. ex. (H = Hilduin, L = Lefèvre ; nous renvoyons
aux colonnes et aux lignes de P.L., 106) ; 33 B 4-5 : a Domino hominem
de limo factum, et transgressiones ejus cataclysmo piatas (H) -
hominem a Deo de limo factum ... et hominis transgressiones cata-

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EN MARGE DE LA QUESTION ARÉOPAGITIQUE 21

élégant des Areopagitica. Au xvne siècle, enfin, apparaît, dans


la biographie de Denys par le P. Halloix, une nouvelle traduc-
tion, qui améliore, du point de vue du style, celle de Traver-
sali (*) ; bien qu'Halloix soit muet sur son origine, il n'y a
guère de doute qu'elle soit sortie de sa plume. Le Père jésuite
enrichit aussi sa version de quelques notes. Traduction et
notes passeront dans l'édition de 1755 (2) et de là dans la
Patrologie (s). Par suite d'une bévue inexplicable, les scolies
d'Halloix seront, dans cette dernière, mises sous le nom de
Pierre Lanssel (4). Tout au long du Moyen Âge et des
siècles suivants, jamais on n'a relevé la trace d'un original
grec ; les recherches contemporaines l'ont confirmé : si celui-
ci a existé, il a disparu et cela dès le ixe siècle (5).
La Lettre à Apollophane peut se résumer comme suit.
Après avoir félicité le sophiste de sa conversion, Denys évoque
la longue résistance que son ami opposa à son argumentation,
qui s'appuyait sur l'histoire de l'Ancien Testament et les
prophéties messianiques. Il rappelle à Apollophane comment,
devant l'incrédulité persistante de ce dernier et ses reproches
de trahison, il lui remit en mémoire le miracle de l'éclipsé
d'Héliopolis. Ce prodige a été à l'origine de sa propre conver-
sion. Il se réjouit qu'à son tour, Apollophane se soit incliné
devant l'être véritable. Il termine en exhortant son ami
à rester fidèle.

clysmo diluvioque pialas (L) ; 33 B 14-15 : Paulum vero hominem


mundi circuilorem (H) - Paulum mundi circuilorem (L) ; 34 B 7 :
et accuminatis spiculis tenebrare ( sic ; lire : terebrare) (H) - et quasi
acuminatis terebrare spiculis (L).
(1) Halloix, pp. 15-17.
(2) Voir plus haut, p. 18, n° 2.
(3) P.G., 3, 1119-1122. Par suite d'une distraction, cette dernière
réimpression n'est pas signalée dans Dionusiaca.
(4) P.G., 3, 1121-1122 : Petri Lansselii notae. Migne indique sa
source : l'édition de Venise de 1755 (qui se contente de reproduire
le chapitre d'Halloix consacré à Denys). Or celle-ci ne porte pas
d'indication d'auteur. La précision de Migne, inventée par lui,
est contredite par le titre de l'œuvre d'Halloix, qui attribue les
notes à ce dernier (... Item Notationes et quaestiones quaedam ad
vitarum confirmationem et illustrationem pertinentes). D'ailleurs,
on ne trouve trace ni chez Lanssel ni chez Cordier, qui ont précédé
l'édition de 1755, du texte de la Lettre XI ou des notes qui s'y
réfèrent.
(5) Sinon Jean Scot Érigène aurait refait la traduction d'Hilduin.

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22 P. CANART

Du point de vue du conten


paraphrase et une amplific
VII à Polycarpe. Son but sem
détails supplémentaires sur la
faire la curiosité concernant
d'un happy end conforme a
détails concrets sont à relev
Denys a 25 ans : l'auteur re
donnée de fait, une hypoth
la Lettre X, c'est-à-dire par J
blement i1). A la fin du phé
soigneusement la date ; au m
il la confronte avec celle de la mort du Sauveur : la coïnci-
dence provoque sa conversion. Le pseudo-Denys « authenti-
que » insinuait simplement, dans une incise, que le phénomène
d'Héliopolis était identique à celui qui marqua la mort du
Sauveur (2). L'affirmation fut immédiatement explicitée par

(1) La scolie en question est reproduite au t. 4 de la Patrologie,


col. 573 B3-D5 (inc. 'H juèv émaxoXi¡ aĶia rfjç âQxaiôrrjroç , des. Tiç
6 aœCojbievoç nXovaioç). L'auteur y calcule l'âge de Penys au moment
de la rédaction de la Lettre. Il part de l'hypothèse qu'à l'époque
de l'éclipsé d'Héliopolis, Denys avait 25 ans, puisqu'il était encore
aux études : 'Ynodcojueda ôè xai ròv deiov Aiovvaiov, ôre rà ènl rœ
aravqœ rov KvqLov elôev, eîvai xe êrœv, āre olļiai , xai en âvayi-
vœaxovra . Comme 64 ans et 7 mois se sont écoulés de la mort de
Jésus à l'exil de Jean, l'Aréopagite avait près de 90 ans lorsqu'il
prédisait à l'apôtre la fin de son bannissement. La scolie est attestée
en syriaque, dans l'édition de Phocas bar Sergius, qui l'attribue
explicitement au « scolastique » Jean de Scythopolis, commentateur
du viie siècle. Sur celui-ci et son œuvre de scoliaste, on trouvera
tous les renseignements nécessaires dans l'étude fondamentale de
H. Urs von Balthasar, Das Scholienwerk des Johannes von Scytho-
polis, publiée dans Scholastik , t. 15 (1940), pp. 16-38 ; Balthasar
en a reproduit l'essentiel en appendice à la deuxième édition de
son livre sur Maxime le Confesseur : Kosmische Liturgie. Das Welt-
bild Maximus ' des Bekenners , Einsiedeln, 19612, pp. 644-672. Il
y a ajouté quelques remarques (pp. 671-672), qui tiennent compte
d'observations de J. M. Hornus et de P. Sherwood. Dans la scolie
573 B3-D5, la prudence des formules, l'appel aux. autorités patristi-
ques sont conformes aux habitudes de Jean de Scythopolis. Ce
fait, joint au témoignage de l'édition syriaque, rend très probable
l'attribution du calcul au « scolastique » de Scythopolis.
(2) Lettre VII (P.G., 3, 1081 All-12) : ... rfjç èv oœrrjQÎco arav-
Q(p yeyovvi aç èxXeixpecoç.

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EN MARGE DE LA QUESTION ARÉOPAGITIQUE 23

les scoliastes (x). Notre auteur va plus loin : il fait de la


coïncidence un motif, sinon le motif de la conversion de
Denys ; ici encore, par un procédé assez facile, il frappe
l'imagination de son lecteur.
En bref, la Lettre XI apparaît clairement comme une
fabrication à visée anecdotique et spectaculaire, étrangère
à la discrétion subtile du «vrai» pseudo-Denys. Son niveau
intellectuel est cependant supérieur à celui d'un autre apo-
cryphe : l'autobiographie de Denys. Celle-ci, qui n'est con-
servée que dans des traductions orientales, remonte au moins
au vme siècle (2). Elle se caractérise, pour reprendre les termes
du P. Paul Peeters, par une « liberté d'invention audacieuse
et grossière » (3) : c'est ainsi qu'« Arios Pagos » devient chef
des démons, tandis que Denys est le fils du noble Socrate ...
D'autre part, la description de l'éclipsé trahit, chez l'auteur
de la Lettre, certaines connaissances astronomiques. Il a
pu s'inspirer de la longue scolie à la Lettre VII (4), mais
c'est de lui, semble-t-il, que vient l'idée du recours à la « table
(regula = naváv) de Philippe Arrhidée». L'explication la
plus probable de cette expression est celle qu'a fournie 1' emi-
nent spécialiste 0. Neugebauer (5). Pour vérifier si une éclipse
doit se produire normalement à cette époque, Denys consulte
des «tables faciles», identiques ou apparentées à celles
de Ptolémée. Depuis celui-ci, les tables prenaient comme
point de départ le règne de Philippe Arrhidée. Une confusion
entre l'ère des tables et leur auteur n'a dès lors rien de surpre-
nant. Certes, l'auteur de la Lettre XI n'explique pas comment
calculer une éclipse à partir de la table ; cependant, il connaît
l'existence de celle-ci et sait qu'on peut l'utiliser pour un
tel calcul. Dans l'autobiographie, Denys, après avoir fait

(1) P.G., 4, 541 C-D.


(2) Les études fondamentales sur les différentes versions de
l'autobiographie sont dues au P. Paul Peeters ; v., outre les deux
citées ci-dessus, p. 19, n. 3 de la p. 18 : La Version géorgienne de l' auto-
biographie de Denys l' Aréopagite, dans Anal. Bolland., t. 31 (1912),
pp. 5-10 ; La version ibéro-arménienne de l'autobiographie de Denys
l' Aréopagite, ibid., t. 39 (1921), pp. 277-313.
(3) Peeters, La vision de Denys, p. 302.
(4) P.G., 4, 541C-544 B.
(5) Neugebauer, Regula, pp. 477-478.

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des calculs sur les orbites c


de l'astronomie » ou à un « liv
siones ) des étoiles » (2) ; si l
plus de détails, il mélange d
astrologiques de moindre val
La version latine de la Lett
du grec. Le fait avait été r
Celui-ci, toutefois, avait aff
était caractéristique du vér
prise de position a comprom
Après Halloix, le P. Théry,
grec : il n'a pas soutenu pu
l'a exprimée dans une lettr
du vocabulaire et du style m
d'Hilduin est calqué sur un or

il) Version syriaque A : « Je pr


[littéralement : intérieurs], et parcourus les cours supérieurs des
lieux de passage du Soleil ... (M. A. Kugener, Une autobiographie
syriaque de Denys VAréopagite , dans Oriens Christianus , t. 7, 1907,
p. 305, 2-4 ; cf. la version syriaque B, presque identique, p. 327,
13-15) ; version ibéro-arménienne : Coepi igitur radones ducere ...
atque ingressus sum interiora curricula caelestium conversionum
(Peeters, La version ibéro-arménienne , p. 302, § 9) ; version arabe :
Accepi igitur Librum Numerorum et decurri viam solis ... (Peeters,
La vision de Denys , p. 319, § 9). Le texte copte du passage n'est
pas conservé.
(2) Versions syriaques : « ... j'ordonnai à Asklépios, mon notaire,
de m'apporter le « livre des sphères », que les Grecs appellent, dans
leur langue, livre de l'astronomie » (Kugener, Une autobiographie ,
pp. 305, 31-307, 2 ; dans la version B, p. 329, 23-24 : « le livre des
sphères, celles de l'astronomie ») ; version ibéro-arménienne : I taque
discipulum meum Asliphos compellavi : qui mihi attulit ( librum )
de conversionibus stellarum (Peeters, La version ibéro-arménienne ,
p. 304, § 10) ; la version arabe, abrégée, n'a pas de passage correspon-
dant ; celui du copte est perdu.
(3) Halloix, pp. 239-240 (= P.G., 3, 1121): Illa S . Dionysii
epistola ad Apollophanem jam Christianům rudiore stilo primi tus
e graeco in latinům conversa fuit , ut quidem repraesentatur ab Hil -
duino Abbate , in vita S . Dionysii ... Et stilus vix latinus , ac ne
vix quidem arguii e graeco esse versam.
(4) Accedit, quod tam argumentum ipsius epistolae , quam stili
graeci vestigia ... spiritum et orationem spirent S. Dionysii (ibid., p.
240; P.G., 3, 1122).
(5) Cumont, Regula , p. 8.

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EN MARGE DE LA QUESTION ARÉO P AGITIQUE 25

rons ici que l'argument le plus frappant, décisif à notre sens.


L'auteur de la Lettre XI décrit l'éclipsé miraculeuse en
termes poétiques, assez difficiles à comprendre. Commençons
par traduire le membre de phrase qui nous intéresse. « La
lune, écrit-il, faisant avancer l'obscurité qu'elle avait engendrée
jusqu'à l'extrémité du soleil, finissait par cacher la partie
occidentale de l'astre source de lumière ». En latin : tune
autem lucigenos thesauros calígines quas genuerat (ed. : genue
rant ) usque in iliacos terminos, ut putavimus, profe-
rentem (ed. : proferentes ) recondere occidentis ^). L'expression
iliacos terminos n'a qu'une interprétation possible : « l'extré-
mité du soleil». Quel est ce mystérieux adjectif iliacos ?
Il n'a rien à voir avec Ilion, comme le conjecturait un Buchne
mal inspiré ( ) ; encore moins faut-il, comme dans Migne,
corriger iliacos en Itálicos (3). Iliacus n'est que la transcription
du grec fjfaaxóç. Nous disposons d'ailleurs d'un parallèle
dans la description de l'éclipsé dela Lettre VII : ... xal fiè%Qi
T ov fjfaaxov îiéoaToç è?.6ovaav écrit le pseudo-Denys (4) ; e
usque ad iliacum terminům venientem, traduit bravemen
Hilduin (5), qui, visiblement, n'a que de très vagues notion
d'astronomie ... On ne nous fera pas croire qu'écrivant
directement en latin, notre pseudo-pseudo-Denys aurait
utilisé cet adjectif incompréhensible.
La Lettre XI à Apollophane a donc été rédigée en grec.
Où et quand ? La thèse classique (#) soupçonne fortemen
Hilduin d'être le responsable : on ne prête qu'aux riches
et l'abbé de Saint-Denys jouit d'une réputation de faussair
au moins partiellement justifiée ('). Mais faut-il croire alors,
avec le P. Théry, qu'Hilduin, par une ruse diabolique, a
fait écrire en grec un document, puis en a tiré une mauvais

(1) P.L., 106, 33D-34A.


(2) Buchner, Die Areopagitika, p. 66, n. 171.
(3) P.L., 106, 34 Al.
(4) P.G., 3, 1081 B5.
(5) Dionysiaca, t. II, p. 1496.
(6) Avec des nuances différentes, elle est défendue par Peeters,
La vision de Denys, pp. 310-313 ; Théry, Hilduin et la première
traduction, pp. 37-38 ; Cumont, Regula, pp. 8-9 ; Buchner, Die
Areopagitika, pp. 69-70.
(7) Encore qu'il soit loin d'être responsable de tous les faux que
lui impute Buchner.

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26 P. CANART

traduction latine pour l'uti


difficile à admettre. L'hyp
maintenant rend compte pl
Il existe, entre l'autobiogra
un point de contact qui ne sem
Denys, pour expliquer l'éclips
d'astronomie. Il note alors
et l'heure du phénomène. Plu
de saint Paul, il fait le rapp
qui ont accompagné la mort d
il a assisté : la coïncidence entraîne sa conversion. Cette
circonstance n'a probablement pas été inventée deux fois de
manière indépendante. Le P. Peeters en a déduit que la
Lettre s'inspire de l'autobiographie (x) ; mais on peut retourn
le raisonnement : n'est-ce pas la Lettre qui a influencé l'aut
biographie ? On notera, en effet, le point suivant : l'auteur
la Lettre, plus au fait des problèmes scientifiques que ce
de l'autobiographie et qu'Hilduin, sait l'usage qu'on peut
faire des tables faciles. Or, pareille utilisation a été relev
par Neugebauer dans un texte syriaque du vne siècle (2
Nous proposons donc la solution que voici. Entre le milie
du vie siècle et la fin du viie, naissent, dans le milieu palestin
syrien, attentif aux controverses diony siennes, une sér
d'apocryphes. Parmi eux, la Lettre à Apollophane. Celle

(1) Peeters, La vision de Denys, pp. 310-313. D'après le P.


Peeters, Hilduin est probablement le responsable de la Lettre XI.
Pour la composer, il aurait fait usage d'une version grecque ou orien-
tale de l'autobiographie, passée en Occident dans le courant d'échanges
entre le Proche-Orient et la Gaule. Un indice supplémentaire de
cette influence serait le suivant : dans l'autobiographie comme dans
les Areopagitica, Denys est présenté comme le chef suprême de l'Aréo-
page. L'explication n'est pas sans attrait. Buchner a objecté :
pourquoi Hilduin, tellement soucieux d'invoquer ses sources et ses
autorités, a-t-il passé sous silence l'autobiographie? Mais le même
Buchner a fourni une réponse valable : le caractère trop visiblement
fabuleux de l'autobiographie a incité Hilduin à la prudence ; à un
témoignage d'origine non suspecte, mais de teneur compromet-
tante, il a préféré substituer une fabrication de provenance mysté-
rieuse, mais de contenu acceptable ( Die Areopagitika, pp. 69-70).
Reste cependant la difficulté évoquée plus haut : Hilduin a-t-il
poussé l'astuce jusqu'à forger un document en grec? Le P. Peeters
ne semble pas s'être posé le problème.
(2) Neugebauer, Regula, pp. 477-478.

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EN MARGE DE LA QUESTION ARÉO P AGITIQUE 27

utilise les scolies de Jean de Scythopolis (x) et - est-ce pure


coïncidence? - témoigne de connaissances astronomiques
attestées en Syrie au viie siècle. A son tour, elle donne nais-
sance à un roman plus développé, l'autobiographie de Denys :
celle-ci conserve le thème de la consultation des tables et de
la conversion provoquée par le prodige, mais remplace les
premières par un ouvrage d'astrologie et ajoute au calcul
une vision prémonitoire. A une époque non précisée, la
Lettre à Apollophane, dans sa version grecque, passe en
Occident, probablement par la Gaule méridionale (2). Hilduin,
dont les contacts avec des Syriens semblent établis (3), en
prend connaissance et la fait traduire. Le texte grec, que
personne ne songe à recopier ou qui ne suscite plus d'intérêt,
disparaît (4).
Si notre hypothèse est juste, nous avons fait rentrer la
Lettre XI du pseudo-Denys dans le champ des études byzan-
tines. De plus, nous tiendrions là un témoin précieux de
rapports directs entre l'hagiographie syrienne et l'occiden-
tale (5). Cela justifie peut-être l'attention accordée à une
pièce marginale du dossier aréopagitique.
Bibliothèque Vaticane . Paul Canart.

(1) Pour l'explication de l'éclipsé et l'âge de Denys au moment de


celle-ci.
(2) Sur cette voie de passage, v. P. Peeters, Orient et Byzance.
Le tréfonds oriental de l'hagiographie byzantine ( Subsidia hagio -
graphica, 26), Bruxelles, 1950, p. 175 et ibid., n. 1.
(3) Buchner, Die Areopagitika , pp. 58-59, n. 147.
(4) Selon cette hypothèse, il n'est plus indispensable de postuler
qu'Hilduin ait eu connaissance de l'autobiographie. Il est vrai que,
comme cette dernière, il fait de Denys le chef de l'Aréopage ; mais
cette idée pouvait sembler insinuée déjà par le prologue de Jean
de Scythopolis ; elle a pu germer indépendamment dans le cerveau de
l'abbé de Saint-Denys et dans celui du responsable de l'autobio-
graphie. Hilduin a pu avoir sous les yeux une version de celle-ci ;
mais, dans ce cas, aurait-il résisté à la tentation de lui emprunter
quelque détail supplémentaire sur la jeunesse de Denys? Il a bien
eu l'idée baroque de faire du qualificatif ¡uaxágiog le prénom de
l'Aréopagite. Aurait-il su se garder de toutes les naïvetés de l'auto-
biographie ?
(5) D'autant plus précieux que, comme le fait remarquer Peeters,
Le tréfonds, p. 175, «nous ne connaissons aucun exemple certain de
légendes importées directement en Occident par la voie de la litté-
rature ou de la tradition syriaques ».

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