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Commentaire de Texte Cyrano de Bergerac
Commentaire de Texte Cyrano de Bergerac
Introduction
Le drame romantique a connu ses heures de gloires grâce à Victor Hugo à la
moitié du XIXème siècle, dans des pièces comme Hernani ou encore Ruy Blas. Si
ce genre paraît disparaître au commencement d’un nouveau siècle, certains
dramaturges font perdurer ce style d’écriture sur les scènes françaises. Edmond
Rostand fait partie de ces jeunes écrivains qui ne redoutent pas de suivre le
modèle de leur père hugolien, tout en s’inspirant du mouvement symboliste de
l’époque. Dans Cyrano de Bergerac, « comédie héroïque », le personnage principal
est amoureux de sa cousine Roxane, qui elle-même aime un jeune gascon du nom
de Christian. Grave dilemme lorsqu’il s’agit de protéger l’amoureux de celle qu’on
aime ! Cyrano propose alors un contrat avec Christian : celui-ci sera la beauté et
Cyrano sera l’esprit, afin de séduire la belle. Christian meurt à la guerre, le héros
ne dévoilera pas leur secret mais restera une présence discrète et quotidienne
auprès d’une Roxanne entrée au couvent. Dans la dernière scène de la pièce, on
assiste à une scène de révélation, dans laquelle Roxane découvre que celui qui lui
écrivait des lettres d’amour était Cyrano, qui meurt suite à la réception d’une
poutre reçue sur la tête, lors d’un piège tendu par ses ennemis. En quoi ce
dénouement correspond-il aux caractéristiques attendues ? Si dans sa
rhétorique, Cyrano considère la dualité de la mort, il n’en reste pas moins un
poète plein d’esprit, qui joue sur la corde du registre pathétique.
Développement
I- La dualité de la mort
a) La mort comme ennemie
La révélation qui a eu lieu précédemment laisse Roxane présente sur scène mais
celle-ci n’intervient que deux fois dans cet extrait au vers 2554, pour prononcer
le nom de Cyrano avec une ponctuation expressive, et au vers 2571 pour poser
une question. Cyrano, entouré de cette femme qu’il a toujours aimé (la scène se
déroule 15 ans après le début de la pièce) et de ses amis Le Bret et Ragueneau,
est pourtant seul dans l’épreuve qu’il subit. Ce passage est presque un monologue
tant les autres personnages sont muets. Il va alors s’adresser à la Mort et
l’attendre de pied ferme. Les didascalies montrent la force de caractère du
personnage, pourtant affaibli par son accident : « est secoué d’un grand frisson
et se lève brusquement », « Il se raidit », « Il tire l’épée », « Il lève son
épée », « Il frappe de son épée le vide », « Il frappe », « Il fait des moulinets
immenses et s’arrête haletant », « Il s’élance l’épée haute ». Tous les verbes
d’action montrent une énergie hors du commun qui donne une idée très précise de
la détermination du personnage à affronter la Grande Faucheuse. Il la voit
cependant comme une ennemie qu’il faut abattre et son côté guerrier (c’est un
soldat gascon après tout) reprend le dessus. Il la désigne avec un pronom
personnel très innocent « elle » (v.2551, 2552, 2554, 2555). Elle semble guetter
le bon moment pour venir à bout de ce héros coriace. Le champ lexical qui se
rapporte à elle est présent tout au long de sa longue réplique : « botté de
marbre », « ganté de plomb », « vous me mettrez à bas », « Dieu », « mon
salut ». La mort est représentée sous forma d’allégorie et devient une entité
entière dans l’esprit halluciné de Cyrano. Il l’évoque aussi avec le groupe nominal
« cette Camarde » (v.2555), représentation allégorique de la mort sous les traits
d’un squelette. Et cette ennemie, il se doit de la combattre, d’où le jeu incessant
de l’épée qu’il conserve auprès de lui et agite pour faire barrière entre elle et lui.
Cette épée est d’ailleurs le symbole de Cyrano, en tant que soldat et homme
tenace, courageux et intrépide. Elle ne l’abandonne que quand il rend son dernier
souffle, comme l’indique la dernière didascalie « L’épée s’échappe de ses mains ».
La répétition de « Je me bats ! » vers 2565 est un indice supplémentaire de la
force de caractère de Cyrano qui n’est pas impressionné par celle qui doit le
terrasser. Il ironise d’ailleurs sur son geste en disant que « c’est bien plus beau
lorsque c’est inutile » (v.2558). Il n’est pas dupe, il sait ce qui l’attend.
b) Les compagnons de la mort
Si la vie de Cyrano est en danger et qu’il doit lutter contre une mort inéluctable,
il rencontre d’autres éléments qui vont le trouver sur le seuil de la tombe. Ainsi,
il s’adresse aussi à plusieurs allégories : le Mensonge, les Compromis, les
Préjugés, les Lâchetés, la Sottise (v.2561, 2562, 2563). Durant toute sa vie,
Cyrano a du se défendre avec son arme favorite, à savoir l’esprit, contre toutes
ces entités. En effet, il est laid, ce qui a joué en sa défaveur envers Roxane. Son
plus grand handicap, il le nomme lui-même « mon nez » (v.2555). Il en joue, le
maltraite oralement, ironise sur ce point, notamment dans la tirade du nez dans
l’Acte I, scène 4. Il soufflette, se bat et tue pour lui. Ce qui engendre moult
commentaires sur ce personnage haut en couleur qui prend ombrage des critiques
de manière aussi virulente. Il termine bien à propos sur la Sottise, grand mal
humain, puisque celle-ci ne voit pas plus loin que le paraître et l’apparence. Tous
ces maux sont désignés sous le groupe nominal « vieux ennemis » (v.2560),
précédés de l’interjection « Ah ! », comme si leur présence était une bonne
surprise. Le pronom « vous » les présente comme un groupe indissociable. La
Sottise, placée en fin de vers, est quant à elle séparée des autres (v.2563) et il
la tutoie. Cette intimité présente une habitude entre eux, car Cyrano estime
l’avoir suffisamment côtoyer dans sa vie. L’évocation de deux éléments végétaux
« le laurier et la rose » (v.2566) fait référence à deux symboles
particulièrement forts : la gloire, la victoire pour le premier (élément d’Apollon
qui plus est), du secret, du sacrifice, du renouveau, de l'amour, de l’étincelle
spirituelle pour la seconde. Il perd tout face à eux, or il les provoque grâce à
l’impératif : « Arrachez ! » (v.2567). Il semble ne pas connaître la peur puisque il
gardera avec lui une chose qui lui tient à cœur et qui clôt la scène : « Mon
panache » (v.2571 : brio et bravoure extraordinaires). Le dernier vers,
fragmenté selon le schéma suivant 6/2/1/3, laisse planer le suspense jusqu’au
bout et on assiste, éberlué, à la mort souriante du héros qui paraît avoir joué son
dernier bon tour.
TRANSITION
Cyrano est donc un héros prêt à mourir et même si cette disparition n’est pas
voulue, il ne tombe jamais dans le registre élégiaque et affronte cette épreuve la
tête haute. La mort n’est qu’une simple bagatelle qu’il traite comme il l’a fait avec
ses ennemis, sur le champ de bataille. Malgré la douleur et le froid qui
l’envahissent, il demeure toutefois un poète dans l’âme qui manie la rhétorique et
les mots avec brio.
CONCLUSION
Au terme de ce commentaire, force est de constater que la disparition de Cyrano
a lieu comme sa vie s’est déroulée, avec brio et intensité. Dans ce dénouement, on
retrouve toutes les caractéristiques du genre puisqu’il est nécessaire, rapide et
complet. L’aveu a eu lieu, la mort est intervenue à sa suite et l’intrigue amoureuse
est résolue, même si elle laisse une certaine amertume auprès des personnages
restants. Tout comme Ruy Blas, le héros disparaît au moment où son amour
pourrait enfin se concrétiser. Du personnage tragique au héros romantique, le
décès est-il inévitable ?