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Cours 2

Le théâtre d’avant-garde
Précurseurs du Théâtre de l’absurde (TA)

Dans la seconde moitié du XXe siècle, la dramaturgie traverse de nouveau


une crise aiguë liée à la représentation théâtrale. Le théâtre traditionnel, miroir
du vérisme et de l’intellectualisme est considéré comme révolu, désuet,
inefficace. Le théâtre bourgeois est devenu une activité commerciale. E. Ionesco
va dénoncer la vacuité, l’irréalité des philosophies (de droite, de gauche ou de
centre) des idéologies, de tout courant d’idées.

A la fin du XIXe siècle déjà, Maeterlinck (1891), puis Jarry (1896)


affirmaient la supériorité de la marionnette sur l’acteur humain. La magie du
cirque séduit les auteurs dramatiques qui introduisent dans leurs pièces des
éléments grotesques, les pantomimes (Apollinaire et Cocteau tentent l’aventure
du « le théâtre rond » qui exploite le burlesque propre au cirque). Mais les
principes du cirque conviennent mal à la représentation théâtrale traditionnelle
sur la scène à l’italienne. En revanche, le music-hall (comme art populaire né
dans les grandes cités industrielles) se combine facilement avec le théâtre
traditionnel et génère des œuvres d’avant-garde qui font date dans l’histoire du
théâtre grâce à la verdeur et au dynamisme de la commedia dell’arte, à l’esprit
libre et carnavalesque, à la saveur du « balangan » russe (théâtre de foire) – v.
l’étude polémique de Meyerhold, Balangan (1912) et le virulent manifeste du
futurisme de Marinetti, Music-hall (1913).

Apollinaire ouvre le feu en 1917 en faisant jouer Les Mamelles de


Tirésias, drame surréaliste ou « vaudeville grotesque », une farce qui accumule
les procédés de la surprise chers aux futuristes :
« Il est juste que le dramaturge se serve
De tous les mirages qu’il a à sa disposition… »
La pièce débute par l’apparition d’un personnage féminin rebelle,
Thérèse, qui refuse sa féminité et décide d’être bel et bien un homme, puis
député, avocat, sénateur, ministre, médecin, mathématicienne, philosophe,
chimiste, groom dans les restaurants, télégraphiste, bref, d’avoir des métiers

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masculins. Ses seins, sous forme de ballons d’enfants, l’un rouge et l’autre bleu,
s’envolent, elle « se pantalonne », devient un « homme-madame ». Elle le dit :
«  - Envolez-vous oiseaux de ma faiblesse
Et caetera
Comme c’est jolis les appas féminins
C’est mignon tout plein
On en mangerait. »
Son mari se travestit en jeune fille et se fait ainsi courtiser par le
gendarme Zanzibar. Il se résigne et se résout à faire la femme :
« Ma foi il a raison
Puisque ma femme est homme
Il est juste que je sois femme
(Au gendarme, pudiquement)
Je suis honnête femme-monsieur
Ma femme est un homme-femme »
Et le mari, animé par l’idéal de repeupler le pays, arrive à donner naissance à
40. 049 enfants en un seul jour.
Apollinaire fait de Tirésias (personnage de la mythologie grecque,
prophète célèbre) un fantoche cocasse. L’atmosphère parodique de la pièce est
de kermesse.
La même année, Cocteau monte Parade (décors de Picasso, music de
Satie) – ballet avec 3 numéros de music-hall dans un théâtre forain. Ensuite, il
donne : Le Bœuf sur le toit (1920) – farce mimée par une troupe de clowns et
Les Mariés de la tour Eiffel (1921) – montage burlesque des scènes
stéréotypées, interprété par les Ballets suédois sur une musique du groupe des
Six.
Il y a un théâtre de continuité dans la première moitié du siècle auquel
s’opposera le Nouveau théâtre (anti-Th, le Th de l’absurde) dans la seconde
moitié du siècle. Cohérence et logique vs rupture et discrédit des valeurs
traditionnelles.
La crise de la représentation vient d’une attitude anti-mimésis de l’art en
en général – on assiste à un « trouble généralisé ». R. Abirached observe que les
novateurs refusent la représentation directe du monde, rejettent le réalisme

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abâtardi du théâtre bourgeois, grosso modo, « l’idéologie de l’illusionnisme
théâtral ».
Il est donc le temps d’essayer de régénérer l’art du spectacle théâtral, de
faire appel aux autres types de spectacle (music-hall, cabaret, cirque, guignol,
théâtre populaire ou de foire). Une véritable campagne se déclenche dans toute
l’Europe et la Russie, afin de revitaliser le théâtre et de le mettre en accord avec
une nouvelle vision du monde et une nouvelle conception de l’art. Il faut créer
un « théâtre total », « re- théâtraliser le théâtre » déclarent les théoriciens tels
que :
- l’Allemand Georg Fuchs dans Le théâtre de l’avenir (1904); La
révolution du théâtre (1909)
- l’Anglais Gordon Craig dans L’art théâtral (1905);
- le Suisse Adolphe Apia dans La gymnastique rythmique et le théâtre
(1912); L’œuvre d’art vivant (1912)
- le Russe Vsevolod Meyerhold dans Le Balangan (1912)
- l’Italien Marinetti, Music-hall (1911), Le théâtre futuriste synthétique
(1915).
En France, dès la fin du XIXe siècle, le terme avant-garde est lié au nom
d’André Antoine, promoteur d’esprit nouveau dans l’activité théâtrale
parisienne. Il crée le Théâtre libre (1887). Le poète Paul Fort crée le Théâtre
d’Art (dès 1890. Un autre grand animateur de la scène parisienne est Aurélien
Lugné-Poe, fondateur du Théâtre de l’Œuvre où est monté Ubu roi d’Alfred
Jarry, farce iconoclaste, subversive, surréaliste et absurde avant la lettre.
L’expressionnisme (la peinture de l’Autrichien Oskar Kokoschka, du
Russe Wassily Kandinsky) comme mouvement contestataire flou et fou
influence le nouveau théâtre par son esthétique du paroxysme, de la distorsion,
de la violence et d’une certaine « cruauté », par un art du trompe-l’œil comme
expression d’une métaphysique, d’un cri/d’une crise du monde contemporain.
Les farces tumultueuses d’Alfred Jarry se constituent en véritable pièces
absurdes avant la lettre. Jarry est un génial poète dramatique de l’avant-garde.
Il ose inventer dans Ubu roi (1896) un personnage qui est l’image archétypique
d’une humanité étrange et déconcertante ; il l’affuble d’un masque, le pourvoit
d’une brosse à waters qui lui tienne lieu de sceptre, le fait parler d’une voix
monocorde. C’est la caricature féroce du bourgeois égoïste et brutal, cruel et

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stupide, une vraie « bête humaine ». Les suites sont : Ubu cocu (1898),
L’Almanach du Père Ubu (1899).

Les dadaïstes et les surréalistes composent des pochades fantasques : Le


Cœur à gaz de T. Tzara, S’il vous plaît de Breton et Soupault, L’Armoire à glace
un beau soir et Au pied du mur d’Aragon. L’attitude anti-mimésis se poursuit
dans les pièces de Georges Ribemont-Dessaignes : Le serin muet, L’Empereur
de Chine et Le Bourreau du Pérou.

Un auteur original, voire génial est Roger Vitrac. Il est l’adepte de la


théorie freudienne selon laquelle la vie subit les effets du rêve (dans l’effet
hallucinant du rêve, on peut découvrir et comprendre les vérités profondes et
mystérieuses de l’homme). Il propose d’images vivantes, oniriques : « Le rêve
peut se raconter grâce aux architectures monstrueuses qui ne sont guère que le
mots revenus à l’état sauvage [… Il découvrira [à son réveil] des symboles à sa
tristesse, à ses joies, à son désespoir… »
Il donne :
- un premier cycle nommé Le Théâtre de l’incendie ou « théâtre de la
cruauté », composé de : Le Peintre (1921), Entrée libre (1922) et Les
Mystères de l’amour (1924)
- une trilogie d’essence autobiographique : Victor ou les enfants au
pouvoir (1928), Le coup de Trafalgar (1930) et Le Sabre de mon père
(1950) ;
- un dernier cycle, nommé La Vie comme elle est, composé de : Les
Demoiselles du large (1935), Le Camelot (1936), La Bagarre (1938), Le
loup-garou (1940) et Le Condamné (1945).
Retenons comme pièce importante : Victor ou les enfants au pouvoir
(1928)
C’est une parodie burlesque et grotesque, fantastique et métaphorique
d’un drame bourgeois, avec ses mœurs et ses mentalités : hypocrisie,
démagogie, conformisme, trahisons et lâchetés. Le jour de son 9 e anniversaire,
Victor, l’enfant espiègle, d’une précocité physique (il mesure 1m80) et mentale,
déclare « Et le fruit de vos entailles est béni. » Cette phrase mystérieuse et
imagée calquée de la Bible ouvre la pièce. Victor choisit se conduire comme un

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monstre afin de faire les autres expurger leurs péchés. L’enfant modèle devient
diabolique. Il commence par casser des objets précieux qui sa famille conservait
jalousement. Il semble connaître les secrets de la vie et de la mort. Il sème la
terreur dans les âmes des adultes qui en sont effrayés, puisque, il le répète : il
est monstrueusement intelligent, et il veut « faire dans le genre carnivore ». Il
fait des allusions aux adultères et aux mensonges, provoque un état de malaise
généralisé. Il s’avère que sa compagne de jeux, Esther est sa demi-sœur. Dans
une tirade que l’on peut interpréter comme un auto-réquisitoire ou une comédie
pleine de sarcasmes), il a des remords, désire quitter le foyer familial et y
revenir à 25 ans (acte 1 er). Les convives souhaitent arriver un miracle qui mettre
fin à cette farce grotesque, qui apparaît comme un fantôme, dans la personne
d’Ida, une amie d’enfance de sa mère, qui quoique très belle et riche, souffre
d’un mal terrible (ne peut contenir ses « gaz d’échappement »). Un vrai
imbroglio qui donne le vertige. Les répliques de Victor et d’Ida sot doublées de
sous-entendus lucides, visionnaires. Victor demande même à Ida de l’initier
dans l’art de faire l’amour (acte 2). Après le départ des invités, les Paumelle sont
surexcités, Victor vient dans leur chambre continuer sa charade affolante. Fin
tragique pour Victor, qui croyant se destiner à l’UNIQUAT, meurt : « Je meurs
de la Mort. C’est le dernier ressort de l’Uniquat ». Devant le suicide punitif de
leur fils, il ne reste aux parents que de sombrer dans la folie.
La pièce est surréalisme par sa dimension scandaleuse, élément qui
réveille, émeut, fait réflexion. Les critiques ont vu dans Victor l’enfant que l’on a
tué e nous.

Antonin ARTAUD – pionnier (précurseur) génial du Th de l’absurde 


Crédos :
o « tout démolir pour revenir à l’essentiel » ;
o « Briser le langage pour toucher la vie, c’est faire ou refaire le théâtre »
o le nouveau théâtre – « à mi-chemin entre geste et pensée »

Le théâtre et son double est un recueil qui réunit de conférences et d’articles


des années ’30 où Artaud prêche l’avènement du théâtre pur. Cet ouvrage
prépare le climat propice à la naissance d’un « autre théâtre ».
Titres :

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 Le théâtre et la peste ; idées : la peste, tout comme le spectacle =
désagrégation du corps social, prolifération des délires, absurdité et
gratuité des conduites, frénésie érotique ; le théâtre devrait agir comme
un fléau vengeur, une crise salutaire ; par la destruction, il opère une
action bienfaisante, démasque l’hypocrisie, secoue l’inertie
 Le théâtre et la cruauté ; idée : « Le théâtre de la Cruauté a été créé pour
ramener au théâtre la notion d’une vie passionnée et convulsive »
 Le théâtre de la cruauté. Premier Manifeste (1932)  et Le théâtre de la
cruauté. Second Manifeste (1933) un théâtre de cruauté (le mot n’est
pas entendu dans son sens primaire, sanguinaire, mais il est pris dans
l’acception religieuse et magique, « d’avide pureté morale », de « rigueur
violente »), de profonde résonance, grave, magnétique, thérapeutique,
qui recherche la poésie qui est dans les fêtes et dans les foules, le lyrisme
et la liberté magique et terrible des rêves.
Artaud propose un programme cohérent, technique et pratique du nouveau
théâtre.
 En finir avec les chefs d’œuvre  (texte mi-pamphlet, mi-manifeste);
 Le théâtre alchimique ; idée : le théâtre, comme l’alchimie, est un art
virtuel
 La mise en scène et la métaphysique ; idées : dénonciation violence du
théâtre occidental fondé sur la parole et le dialogue, voué à la psychologie
et à l’étude des caractères, des passions et des conflits individuels.
 Le théâtre oriental et le théâtre occidental ; Il fait la distinction entre le
théâtre occidental (qui subordonne le spectacle à l’auteur, qui s’appuie
sur l’expression verbale ou discursive) et le théâtre oriental (où tout se
passe sur la scène), qui privilégie le langage physique et plastique. Il faut
renouer avec le spirituel.
 Sur le théâtre balinais.

Artaud propose un art nouveau qui s’appuie sur la puissance de choc des
images, usant d’un langage physique et plastique. Le nouveau théâtre doit être
audio-visuel, basé moins sur le langage verbal, référentiel, mais sur le
paraverbal : les gestes, les cris, les sons, les modulations de la voix. L’éclairage et
le décor, les instruments de musique anciens, les objets insolites (les

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mannequins géants, des masques à proportions singulières) apparaissent pour
déconcerter et doubler l’effet assigné aux paroles. La parole doit être
méthodiquement déformée. La scène sera un lieu unique sans frontières, avec le
spectateur au centre
Il invente le syntagme « le théâtre de cruauté » qui s’adresse aux sens et
agit sur eux. Il plaide pour le retour au concret, aux signes théâtraux, pour le
retour de la poésie au théâtre.
Artaud recommande aux poètes dramatiques de s’inspirer de la danse
balinaise, de l’opéra chinois, du kathakali indien, du nô japonais, qui sont
éminemment des manifestations et des représentations théâtrales des signes
vivants (les acteurs comme des « hiéroglyphes animés ») afin de créer un
théâtre scénique, physique, plastique.

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