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CONSTRUCTION TRANSACTIONNELLE
Jean Foucart
2009/3 - n° 22
pages 13 à 27
ISSN 1376-0963
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L’accompagnement :
dispositif de bienveillance
et construction transactionnelle
Jean FOUCART 1
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L’auteur est docteur en sociologie, chargé de cours, chercheur et responsable de la revue à
l’École sociale de Charleroi, Haute École Louvain-en-Hainaut.
DOI: 10.3917/pp.022.0013 13
1. Introduction
Depuis un quart de siècle environ, une pratique nouvelle fait florès : l’ac-
compagnement. Cette pratique traverse de multiples sphères de la vie sociale.
On parle de l’accompagnement des cadres dans la sphère de l’entreprise, de
l’accompagnement spirituel dans la sphère religieuse, de l’accompagnement
scolaire, de l’accompagnement des mourants, des handicapés, des chômeurs,
etc.
Là où se manifestent des situations socialement et psychiquement intoléra-
bles caractérisées par une rupture des virtualités ayant une valeur existentielle
(échec scolaire, deuil…), se mettent en place des dispositifs d’accompagne-
ment. L’émergence de ceux-ci est bien souvent le résultat d’initiatives individuel-
les inscrites dans des mouvements plus profonds. Ces différentes pratiques
d’accompagnement sont homologues. Elles sont à inventer et sont relative-
ment incertaines.
Notre sentiment est que la notion de transaction, comprise comme para-
digme méthodologique à fonction heuristique, peut aider à rendre compte de
ces dispositifs d’accompagnement, en raison notamment de son intérêt pour
saisir les situations complexes et peu structurées, où les partenaires produi-
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entre l’accompagnant et l’accompagné devient le principal enjeu de la relation,
ce qui induit un type particulier de transaction.
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Cette dernière théorisation postule que les dispositifs qui entourent les
êtres humains constituent autant d’espaces transitionnels comparables à
celui que développent la mère et le nourrisson à la naissance. Ces espaces
transitionnels sont à comprendre comme des espaces intermédiaires entre la
relation fusionnelle à la mère et l’ouverture au monde. Ils constituent des envi-
ronnements « bienveillants », tolérants à l’erreur, et procurent un espace de
jeu et de liberté dans lequel les actions et les expériences ne sont pas sanc-
tionnées. En autorisant une relâche partielle de la gravité du réel, ils facilitent
l’expérience du monde extérieur en permettant d’entretenir avec lui un rapport
plus serein. Dans ces espaces, l’expérience de la séparation (notamment avec
la mère) n’est alors plus à comprendre comme une coupure nette et radicale.
Les frontières entre intérieur et extérieur sont temporairement suspendues, ce
qui ouvre la voie à une articulation de ces deux mondes. Dans ces espaces,
le registre de l’imaginaire peut se déployer pour représenter la réalité et lui
donner du sens, de sorte que le dehors est rendu commensurable au-dedans.
C’est pourquoi, dans cette perspective, il est fondé de parler de fonction mater-
nelle des dispositifs et des environnements techniques.
Nous parlerons, à la suite de Belin (2002), de dispositif de bienveillance.
En ce sens, on s’inscrit dans une sociologie des espaces potentiels. Le terme
bienveillance n’est pas pris dans un sens éthique (par exemple, un amour
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n’est guère facile d’arbitrer entre les prévisions apocalyptiques des uns et la
relative indifférence de ceux qui ont intérêt à sous-estimer les problèmes. Dans
la mesure où la complexité et l’indétermination des sociétés modernes crois-
sent sans cesse, la question est moins de trouver la meilleure solution dans
un environnement valablement informé, mais bien de savoir quelle dynami-
que décisionnelle produire dans un contexte où les données de la situation se
modifient constamment, où des surprises sont toujours à attendre et où il s’agit
moins de prendre une série de décisions ponctuelles que de s’engager dans
un processus de maîtrise continue d’un problème et d’être prêt à réagir au
moment imprévisible (Remy, 2004).
Dans la transaction, le réel est supposé être toujours plus complexe que
n’importe quel modèle d’explication. Cette complexité n’apparaît pas comme
subsidiaire, comme si elle donnait un peu de flou à une explication fondamen-
tale s’imposant d’elle-même. La complexité étant au cœur de l’explication, les
situations peu codées revêtent un intérêt particulier. Dans les circonstances où
la relation sociale est peu structurée, les individus et les groupes sont produc-
teurs de la norme, voire des règles du jeu, ou, au minimum, ils sont le lieu d’une
réinterprétation. Ils aboutissent souvent à produire une identité commune ou à
redéfinir celle-ci à travers une recherche tâtonnante (Remy, 1994).
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ambivalente et sémiotique, où les risques sont dus pour une part au déclin du
pouvoir des sociétés face aux multiples flux planétaires « non humains » et aux
multiples réseaux.
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thématiques et situations qui exigent force et courage. Le jeu n’est pas évident.
Il est incertain, risqué, aléatoire. Tendanciellement l’insupportable prédomine.
Le jeu n’est plus source de plaisir, d’illusion, mais d’angoisse, de terreur
existentielle. Angoisse renforcée par la crainte de l’échec qui, dans un modèle
d’individualisme par déliaison, est attribué à l’individu. Le mal, le monstrueux
n’est plus situé à l’extérieur, mais dans la construction des jeux. Cela explique
pourquoi, alors que nous ne souffrons pas plus aujourd’hui qu’hier, nous nous
sentons écrasés par le thème de la souffrance.
À l’arrière-plan des expériences qui surgissent sur les scènes des divers
accompagnements, il y a des situations sociales considérées comme incertai-
nes et problématiques. Elles sont considérées comme ayant perdu certaines
de leurs qualités, celles-là même mises en lumière dans la conception goff-
manienne et décrites comme une forme typique et stabilisée d’environnement
organisant a priori l’action qui doit, à un moment ou un autre, venir s’y dérouler.
Envisagée de la sorte, la situation circonscrit un univers d’intelligibilité relative-
ment défini et reproductible ; et c’est parce que cet univers et les règles qui le
gouvernent leur sont directement disponibles que les individus peuvent ajuster
leur conduite (Giuliani, 2005, p. 197).
Caractérisées par une forte instabilité, les situations auxquelles sont confron-
tés les accompagnants sont difficilement sujettes à une typologie. Elles forment
un environnement hostile, qui trouble et désoriente celles et ceux qui s’y trou-
vent confrontés. Ces dispositifs placent le faisceau lumineux sur le sujet d’une
expérience. Ils privilégient l’expérience des personnes à travers ce qu’elles
sont amenées à dire, à faire et à penser lorsqu’elles vivent telle ou telle situa-
tion. L’approche mobilisée par les accompagnants instaure une scène où l’ex-
périence d’autrui se donne à entendre, à voir et à ressentir.
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4.2. Un dispositif secondaire
tervention.
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Le chômeur accompagné, le bénéficiaire du RMI, la personne gravement
malade sont-ils vraiment en mesure d’exprimer leur consentement ferme et
éclairé pour s’engager dans une volonté contractuelle ? Le rapport qui s’établit
entre l’individu et le dispositif qui lui demande de s’engager dans le contrat
d’accompagnement, est un rapport fortement inégalitaire. D’un côté, un indi-
vidu qui se trouve le plus souvent en situation de précarité et/ou de faiblesse,
et de l’autre, un accompagnant qui, dans certains cas, est représentant des
pouvoirs publics. Loin de la théorie de « l’autonomie des volontés » du siècle
des Lumières, ces situations relèvent dans bien des cas de l’adhésion à un
contrat unilatéral pour lequel on peut douter que le consentement soit toujours
éclairé.
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4.8. Des espaces intermédiaires
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5. L’entrée par le concept de transaction :
une transaction fondée sur l’oralité et la sollicitude
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confondent ici. L’accompagnement a affaire à des sujets « en souffrance ». Là
est son objet. Dans cet espace douloureux circulent effectivement des deman-
des, des questions existentielles et toutes les conséquences pour les subjecti-
vités des ratages symboliques de l’« assemblage ».
La transaction porte sur l’individu, elle cherche à le transformer. Et ce sont
les objets mobilisés dans la transaction qui sont au service de cette finalité et
non la transaction qui est au service des objets. Il s’agit de transactions identi-
taires.
L’oralité est plus ou moins invisible parce que son domaine d’élection est
le microsocial, parce qu’elle n’a pas de support physique durable (ce peut être
une parole, une expression faciale, un silence) et parce qu’elle a vocation de
spécificité. Elle est censée être affaire de circonstances, répondre au besoin
du moment, ne pas avoir de sens et de portée au-delà de celui-ci.
Les pratiques des intervenants sont davantage fondées sur le « savoir-
être », la personnalisation ou les compétences que sur la qualification. L’accom-
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5.4. L’implication
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permet de discerner les difficultés de l’usager, ce qui le déstabilise. C’est à par-
tir de cette attention que l’accompagnant dégagera l’essentiel de l’accessoire,
l’urgent du secondaire et enfin les potentialités de l’usager.
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d’attitudes, de paroles, articulant un régime de proximité et une appartenance
institutionnelle. Cette compétence essaye de créer chez l’usager une confiance
en la justice de l’institution.
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5.10. Conclusion : la possibilité transactionnelle
Jean FOUCART
Rue Puissant 1
B-6000 Cbarleroi
Tél./Fax : 00 32 71 340 161
E-mail : foucart.jean@skynet.be
Bibliographie
BELIN E., 2002, Une sociologie des espaces potentiels, Bruxelles, De Boeck.
BÉRAUD C., 2007, Prêtes, diacres, laïcs, Paris, Puf.
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