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DOCTORAT EN DESIGN
2015/1 n° 1 | pages 58 à 67
ISSN 2428-3711
ISBN 9782130729570
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2015-1-page-58.htm
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© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 200.116.194.235)
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du doctorat en brule.emeline@gmail.com
design
Anthony Masure
Docteur en esthétique (spécialité design),
UFR Arts Plastiques,
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Professeur agrégé normalien en arts appliqués
Membre de l’association Design en Recherche
anthonymasure@gmail.com
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Keywords Design
PhD dissertation
Format
Norm
Publishing
58
Résumé
Prenant acte d’une spécificité du design quant au travail des supports
d’expression, cet article se donne comme champ d’étude les formes et for-
mats de thèses dans le contexte de la recherche en design. Nous considé-
rerons ici la thèse comme un « type » de document ayant intégré au fil du
temps un certain nombre de conventions qui ne sont que trop rarement
interrogées. Nous reviendrons tout d’abord sur son évolution historique
et discuterons des conventions et normes des thèses en design à l’heure
actuelle. Nous étudierons ensuite la manière dont ces dernières structurent
le travail de recherche pour nous demander si la recherche en design se doit
d’en créer d’autres, ou si elle doit œuvrer à les déconstruire. Enfin, nous nous
01. demanderons si le design peut être vu comme un « laboratoire » permettant
Réseau de jeunes
chercheurs en design de déplacer les façons de faire de la recherche, au sens large.
francophones
créé en décembre
2013, en ligne :
Abstract
designenrecherche.org Design has specific ways of doing things. This article studies PhD
thesis forms and formats in the context of design research. We consider
02.
« L’art s’insère à mi- the thesis as a kind of document built over time from many conventions that
chemin entre la con- are too rarely questioned. First of all, we discuss historical evolutions and
naissance scientifique
et la pensée mythique the restrictions of doctoral dissertations. We then study how conventions
ou magique ; car tout frame research to ask if design research must create others norms, or try
le monde sait que
l’artiste tient à la fois
to deconstruct them. Finally, we pose the question whether design can be
du savant et du bri- seen as a « laboratory » for changing the ways in which research is done.
coleur : avec des
moyens artisanaux,
Sciences du Design — 01 — Mai 2015
il confectionne un objet
matériel qui est en
même temps objet
de connaissance. »
(Lévi-Strauss, 1962).
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oui, comment ? Que viendrait faire le design dans cet environnement semblant
hermétique aux changements techniques, et qui pourtant permet l’existence des
thèses ? Comment faire valoir des spécificités propres au design si le travail de
la forme n’est bien souvent même pas une question ? Quelles places y a-t-il pour
le design au sein des formes de la recherche ?
Si une thèse en design — comme n’importe quelle thèse — est essentielle-
ment du texte, rares sont celles qui se limitent à cela. En fonction des disciplines
de rattachement — arts plastiques, anthropologie, sciences de l’information
et de la communication, sciences de la conception, sciences de l’ingénierie,
etc. 05 — , la thèse peut ainsi comprendre une partie iconographique, mais aussi 05.
Sur les tensions entre
être accompagnée de productions diverses pouvant nourrir, éclairer, déplacer un mode de recherche
ou incarner le registre discursif. C’est précisément des tensions entre la forme en design « acadé-
mique » empruntant à
« conventionnelle » de la thèse et des spécificités propres au design que provient d’autres disciplines et la
l’intérêt de la recherche en design. nécessité de développer
une approche et des
Nous reviendrons tout d’abord sur la nécessité d’organiser la lecture modes d’expression
et la transmission du savoir par la mise en place d’un ensemble de conventions, spécifiques au design,
de formats et d’habitudes qui ne sont que trop rarement interrogés. Nous étudie- voir Marc Monjou
(2014, p. 53-62).
rons ensuite la notion de « norme » pour nous demander si la recherche en design
se doit d’en créer d’autres, ou si elle doit œuvrer à les déconstruire. Enfin, nous 06.
Sont apparus la même
nous demanderons si le design peut être vu comme un « laboratoire » permettant année Le Journal des
de déplacer les façons de faire de la recherche, au sens large. sçavans à Paris et le
Philosophical Transa-
ctions of the Royal
Society à Londres.
Le Journal des sçavans
est consultable en ligne :
de la thèse 07.
Notamment les frères
Bernoulli, Clarke,
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notamment celles de mise en page. Le design, dans tout cela, peine encore
11.
Loughborouh University, à ouvrir les formes possibles des doctorats s’en réclamant. En témoignent diffé-
« Code of Practice on rents articles et conférences débattant de ces problématiques depuis maintenant
Research Degree
Programmes », en ligne : plus de 10 ans 10.
http://goo.gl/3tRRBL Pourtant, divers exemples démontrent qu’il est tout à fait possible de
(consulté le 25.10.14).
sanctionner des doctorats dont l’objet ou la forme dérogent à ces règles ou en
12. proposent d’autres. C’est le cas de la Loughborough University, qui sanctionne des
« L’objet technique
est donc la condition
thèses accompagnées d’artefacts (voir Pedgley & Wormald, 2007), ou consistant
de lui-même comme à développer un média « non conventionnel » — sous réserve de justifier de sa
condition d’existence nécessité pour que la recherche « atteigne son plein potentiel » 11. Cette ouverture
de ce milieu mixte,
technique et géo- pose la question de savoir quelles normes sont nécessaires pour l’évaluation et
graphique à la fois. » la comparaison des travaux de recherche(s).
(Simondon, 1958).
Le design n’est pas le seul domaine de recherche à s’interroger sur
13. lui-même : les (re)définitions des formes de la recherche sont au cœur des
Le droit à la citation
de la législation
Humanités Numériques. Les méthodes et techniques de reproduction et la circu-
française ne s’applique lation des documents numériques (et/ou numérisés) ont permis la constitution
pas aux documents de corpus très différents, nécessitant l’usage et l’invention de systèmes et de
audiovisuels (images
etc.), ce qui contredit modes d’analyse nouveaux. Ces poussées techniques ont profondément modifié
les exigences de la le « milieu mixte » 12 dans lequel les manières de construire et transmettre
recherche scientifique.
La loi DADVSI a cepen- des savoirs se sont constituées — ce qui ne va pas sans poser des problèmes
dant introduit une de standards et de droits (d’auteurs, d’images et de citations). Ces contraintes
exception de déclaration
auprès des titulaires de
empêchent d’emblée certains types de recherche de pouvoir exister : il n’y a pas
droits dans le contexte de « courte citation » possible pour une image par exemple. Comment, dans
de la mise en ligne des
thèses, « à la condition
ce cas, analyser et publier des analyses d’objets sans avoir la possibilité légale
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2. — Un monde
de normes
Comme nous l’avons vu précédemment, il n’existe pas de transmission
de savoir sans forme standardisée, sans « formats » de référence. Il a ainsi fallu
attendre le développement des supports imprimés pour que puissent exister des
journaux académiques. Comme l’indique Patricia Falguières (2010), la prolifération
des normes va de pair avec le développement de la standardisation industrielle.
Ainsi, la machine à écrire exige un papier à lettre standardisé, qui ne doit pas être
lié à une machine en particulier 17. La norme est donc un énoncé performatif qui 17.
Le format de papier DIN
n’a de légitimité que dans un milieu technique donné. Elle est une problématique (A0, A1, A2, A3, A4, etc.)
de production. fut inventé en 1922 par
La puissance des normes repose sur leur inscription dans la culture d’une le Dr Walter Porstmann.
époque. Leur efficacité est directement reliée à leur invisibilité. Comme le dit
Patricia Falguières : « qui s’interroge sur le format du papier A4 ? les différents
calibrages de la gamme colorée d’une photocopieuse aux USA et en Europe ?
ou le nombre de points d’attaches d’un fauteuil de bureau ? » Alors que nos pra-
tiques sont pour une grande part dirigées, orientées voire conditionnées par des
gabarits, formats, normes et standards, « nous n’en prenons conscience que par
exception : lorsqu’ils changent » :
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et par “consensus” ? La prolifération des normes et des standards est un
aspect essentiel de la crise de légitimité qui affecte aujourd’hui l’autorité
de l’État » (Falguières, 2010, p. 2).
3. — Analyse de
cas : repenser
le design de thèse
Parmi les formes (acceptées dans la plupart des disciplines) qui ne soient
pas des textes formatés en A4 d’une manière qui semble neutre (et qui, comme
nous l’avons montré, est loin de l’être), on trouve d’une part les images et schémas,
et d’autre part, les posters.
Les images, si elles ne peuvent être détachées de leur contexte (légende,
expérimentation, etc.), constituent depuis longtemps des documents de recherche :
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Fig. 1. — Dessins réalisés par Marine Royer lors de son terrain d’observation
dans le cadre de son doctorat en anthropologie et en design.
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Fig. 2. — Lev Manovich (2013), capture d’écran du site web Selfie City
permettant de trier les photographies par types.
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Fig. 3. — « Le jeu de l’imprévu, une fiction curatoriale », par Anthony Masure (2014, p. 450-451).
Mode d’exposition du projet Rekall de Clarisse Bardiot : « Le programme permet
aux visiteurs de documenter l’exposition. Ils peuvent, depuis leur téléphone, ajouter leurs propres
photos et vidéos, noter leurs impressions ou commenter les œuvres. Ces archives des différentes
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propositions donnant à voir son résultat. Mais il y a également les expositions,
comme par exemple Les Immatériaux, coordonnée par Jean-François Lyotard 25.
Fondatrice dans le domaine des arts numériques, cette exposition rassemblait
de nombreuses œuvres constituant par leurs relations un discours pluriel, élargi
par la forme éditoriale du catalogue. Inspiré par ce type de démarche, Anthony
Masure (2014, p. 439-461) a développé au sein de sa thèse une « fiction cura-
toriale » portant sur « le design des programmes ». Cet « appendice » constitue
une proposition d’exposition sous forme d’une série de planches présentant
divers artefacts physiques ou numériques qui incarnent « des façons de faire du
numérique » (Fig. 3,) étudiées au sein de la thèse, elle-même consultable en ligne
sous forme d’un site web dédié.
L’édition, forme normée et reconnue dans la recherche académique, peut
donc elle aussi être le lieu d’expérimentations tant typographiques qu’iconogra-
phiques, depuis le samizdat jusqu’à l’édition numérique ou les éditions hybrides.
Citons pour exemple le projet AIME 26, un dispositif intégrant des éditions im- 26.
An Inquiry of Modes
primées et numériques basées autour d’une enquête philosophique menée par of Existence,
Bruno Latour à partir de 2012. Il y aurait encore beaucoup à dire à propos des en ligne : http://www.
recherches sur les formes d’écriture déplacées par l’hypertexte, les blogs ou modesofexistence.org
(consulté le 17.11.14).
encore l’utilisation des réseaux sociaux — autant de champs et de possibles
à investiguer, non seulement pour la recherche en design, mais aussi pour les
horizons qu’elle ouvre à la recherche académique ou pour la transmission du savoir
en général. Si la recherche en design s’opère fréquemment par des emprunts
à d’autres disciplines, elle est aussi source de renouvellement pour des domaines
« installés », qu’il s’agisse des sciences humaines, sciences sociales ou sciences
Conclusion
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REMERCIEMENTS LATOUR, B. (2007), « La connais-
sance est-elle un mode
Les auteurs de cet article tiennent d’existence ? », in Vie et
à remercier Annie Gentes pour expérimentation, Peirce,
ses relectures et ses précieuses James, Dewey, Paris, Vrin.
remarques, Robin de Mourat
pour ses références concernant le LÉVI-STRAUSS, C. (1962),
design d’information, Jean-Baptiste La pensée sauvage, Paris, Plon.
Labrune pour son séminaire
2013-2014 sur les formes de MANOVICH, L. (2013), Selfie City,
la recherche en design à l'École en ligne : www.selfiecity.net
nationale supérieure des Arts (consulté le 16.11.14)
Décoratifs, ainsi que Maxime Mollon,
Jeremy Boy, Jéremie Lasnier, Pauline MARGOLIN, V. (2010), « Doctoral
Gourlet, Ferdinand Dervieux et Education in Design : Problems
Louis Eveillard pour l’état de l’art and Prospects », reproduit
réalisé dans le cadre de ce cours. dans Azimuts, n°40-41, 2014,
p. 199-203.
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