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« Des Volubilis, j’ai toujours voulu en faire, mais j’ai jamais réussi. »
Moi, Volubilis, je savais bien que c’était une fleur, mais à quoi elle ressemblait, où elle
poussait, ça m’importait peu.
Non, moi ce qui m’intéressait, c’était les ruines, vestiges de la Grèce antique.
Je connaissais, de nom, la ville, Volubilis, près de Fez au Maroc, où se trouvaient ces ruines.
Le mot, aussi, le mot ! J’aimais beaucoup le mot, il ressemble à une fleur, il s’enroule
comme une tige, s’ouvre au milieu, comme une éclosion, et s’achève en sifflant.
Enfin dans ma tête, Volubilis, c’était, l’évocation de ruines Gréco-romaine, un joli mot à
prononcer, et une petite douleur, au souvenir de cet ami.
C’est au marché que ça m’est retombé dessus. A l’étal de la marchande de fleurs, j’ai eu l’œil
attiré par d’étrange fleurs dans les bleu / violet, ouvertes en forme de corolle.
Ca m’a intriguée, je ne sais pas ce qu’il m’a pris, j’ai demandé le nom de cette fleur ;
Il était derrière moi. De quoi il se mêlait, celui- la ? D’habitude, c’est moi qui m’introduis
dans les conversations. Je me retourne, mi surprise, mi amusée pour, au moins, voir qui se
permettait de « marcher sur mes plates-bandes ».
C’était un petit bonhomme, replet, avec une barbe blanche en collier. Il avait l’air sorti d’un
conte de Perrault, ou Grimm……, mais non, il était bien réel, et il continue son histoire :
« Je suis jardinier, vous comprenez ! » ben non, je ne comprenais pas. Vraiment j’étais bien
la dernière personne à qui il fallait expliquer pourquoi on ne pouvait pas « faire » des volubilis. Je ne
l’écoutais plus …… derrière moi, quelqu’un disait : « j’aimerais bien retourner au Caraïbes »
Le jardinier me tape sur l’épaule, il voulait vraiment que je l’écoute : « je m’appelle Michel »
qu’il me dit.
« Et alors, vous avez perdu votre chat » que je lui réponds. C’est vrai, j’étais déjà partie dans
les Caraïbes derrière l’autre gars.
Il était déjà parti, je me suis retrouvée toute seule, au milieu du marché. Et c’est là que ça
m’est revenu : « Ah oui, les volubilis ».
Qu’est-ce qu’il avait voulu me dire le petit bonhomme ? Qu’est- ce que c’était cette histoire
de volubilis. C’était bizarre que, juste au moment où mon œil était attiré par cette fleur, un jardinier
se pointe pour me dire, à moi, qu’il avait toujours voulu « faire » des volubilis.
Je retournai dans la foule du marché, pour voir si je ne le retrouvais pas. Je remontais l’allée
principale du marché. Il était là, assis sur un banc, comme s’il m’attendait. Il voulait vraiment me dire
quelque chose.
Je n’étais pas vraiment intéressée, écouter des gens me raconter leur vie, ça m’arrivait tout le
temps.
Mais cette fois, ce n’était pas comme d’habitude, il y avait quelque chose de bizarre, quelque chose
qui m’attirait, malgré moi. Je me dirigeais vers son banc, et m’assis à côté de lui.
Alors, il a commencé à parler : « Vous savez, a-t-il dit, j’ai eu plusieurs vies.
Mes parents étaient dans le commerce. Ils tenaient un magasin d’animaux exotiques. Enfant, j’étais
fasciné par les perroquets, et autres aras, aux plumes multicolores. Parfois mon père s’amusait à
apprendre à parler à l’un deux. On voyait bien que l’animal faisait des efforts, mon père aussi. Il y
avait aussi des tortues d’eau qui se déplaçaient petit à petit. Je restais des heures à les observer.
J’essayais de repérer le chemin parcouru dans la journée. Un si petit chemin ! Quand je rentrais de
l’école, je découvrais qu’elles s’étaient à peine déplacées. J’étais toujours déçu. J’adorais aussi les
autres animaux: canard Mandarin, Tapir, Crevettes roses, hippocampe, et autres macaque et panda.
Je ne sais quelle influence a eu cet environnement sur mon envie de partir. Je me doute qu’il a eu un
rôle, mais je n’ai pas envie de savoir lequel. Pourquoi faire ? Ce dont je me souviens c’est d’une
furieuse envie de partir, de me tirer de là. Je me disais : « dès que je suis assez grand, je me barre ».
Et puis ça s’est précisé, en avançant en âge. C’est devenu : « dès que j’ai 18 ans, je me barre ».
Bon j’en avais déjà assez entendu. J’avais une impression de « déjà vu » « déjà entendu ».
« Stop ! Je lui dis, vous n’allez pas me refaire le coup de Marius, et de l’appel de la mer, l’envie
d’ailleurs!
Ah alors vous avez reconnu ?, j’essaie toujours, pour voir. Vous savez, y a pas beaucoup de monde
qui reconnaît, l’histoire de Pagnol.
Mais non mon histoire c’est pas du tout ça, mes parents n’étaient pas du tout commerçants,
ni petits ni gros. Mon père était P.D.G. d’une grosse entreprise, ma mère ne travaillait pas, elle avait,
disait-elle, « des occupations » nombreuses d’après elle, et que je ne devais pas déranger. Je vivais
dans l’opulence, voyez-vous. Je croyais être heureux….. Non, j’étais heureux. Mais peut-être trop
heureux ! Peut-être aussi que je m’ennuyais un peu ! C’est à ce moment- là que j’ai commencé à
mentir. Au début, je me mentais à moi-même, je m’inventais des histoires. (dont j’étais le héros. )
Je lisais beaucoup aussi, bien sûr, quand on est tout seul, dans un grand parc, sans que les adultes se
préoccupent trop de savoir ce que vous faîtes, ni où vous êtes, il faut bien passer son temps.
J’écumais la bibliothèque de mes parents à mon niveau bien sûr. C’était un gouffre….. je ne crois pas
l’avoir jamais explorée toute entière. J’ai lu toute la « bibliothèque Rose » : tous les romans de la
Comtesse de Ségur. Camille, Madeleine, la vilaine Sophie et le petit Paul étaient mes meilleurs amis.
Un peu plus tard, je me suis jeté sur la « Bibliothèque Verte » : Croc Blanc, les Pêcheurs d’Islande ont
remplacé « les petites filles modèles ». La lecture était ma seconde vie, non ma vie. Quand j’étais
« dans un livre », comme on dit, plus rien ne comptait, je n’entendais plus rien. Il fallait me trouver et
venir me chercher pour que je vienne à table, que je m’alimente.
Personne ne me faisait de réflexion sur mon comportement. D’ailleurs, je ne posais aucun problème
à mes parents. Je faisais ce qu’on me disait de faire, Je travaillais juste ce qu’il faut à l’école, pour
qu’on ne se plaigne pas de moi. J’étais obéissant, je me brossais les dents, j’allais au lit quand c’était
l’heure. En y réfléchissant maintenant, je crois que j’aspirais surtout à ce qu’on me foute la paix.
J’étais prêt à tout pour qu’on me laisse en paix.
Comme j’en avais pris l’habitude enfant, en grandissant je dévorais tout ce qui me tombait sous la
main, je me passionnais pour tous les grands auteurs qu’on me faisait découvrir au lycée, en lettres
classiques, je passais parfois mes dimanches à traduire Tite-Live ou Salluste. J’y avais même entrainé
quelques amis. A travers ce curieux amusement, je n’étais plus seul. On s’énervait sur « l’art
d’aimer » d’Ovide sans jamais trouver les détails croustillants qu’on recherchait.
Oui, je crois que c’est la lecture qui m’a appris à mentir, vraiment ! Et à y prendre grand plaisir. Les
écrivains inventaient des histoires dans lesquelles vivaient des personnages fictifs. N’était-ce pas les
meilleurs modèles du mensonge?
Je fis mes premières armes auprès de mes copains de la horde de scout où mes parents m’avaient
inscrit. Je les entends encore : « On t’a inscrit chez les scouts, il faut que tu fréquentes un peu les
autres enfants, que tu fasses tes expériences, que tu te débrouilles tout seul, dans la nature » ! C’est,
à peu près, ce qu’ils savaient des projets des groupes de scouts, c’est ce que leur avaient raconté des
couples de leurs amis.
Moi, comme vous l’avez compris, je faisais ce qu’on me disait de faire. Me voilà donc chez les scouts.
J’étais plutôt content, sans vraiment le savoir, j’étais heureux de sortir de ma solitude. On me
trouvait bien un peu bizarre, mais comme je ne me mettais jamais en rivalité avec les leaders. J’étais
bien accepté dans le groupe.
Un beau soir, lors d’une veillée sous la tente, j’inventais que j’étais né dans un avion. C’était un très
gros mensonge, bien sûr, mais tout le monde m’a cru. Mes copains semblaient passionnés, « ça
c’était une drôle d’histoire ! » Je racontais, je racontais : « Que ma mère avait perdu les eaux dès le
décollage, puis avait ressenti les premières douleurs peu de temps après. C’était l’affolement dans
l’avion. On cherchait un médecin il y en a bien un qui s’est manifesté, en disant : « mais moi, je suis
cardiologue, j’y connais rien aux accouchements ». Plus j’inventais de détails, plus ils me croyaient.
C’était magique ! Cette nouvelle a fait le tour du camp, j’étais devenu une vedette, impossible de
revenir en arrière! C’est comme ça le mensonge, quand on a commencé, on ne peut plus s’arrêter,
revenir en arrière. c’est une drogue !
Bien sûr, on apprend à mentir en lisant, mais mentir c’est quelque chose de mieux que lire. Le secret
c’est qu’on devient son propre héros. Il n’y a rien de plus jouissif que d’être le héros de l’histoire
qu’on raconte.
J’ai eu un peu peur, la drôle d’impression qu’il avait oublié ma présence, et qu’il se
parlait à lui-même, perdu dans un autre monde. Un monde où je n’avais pas de place, ni
moi, ni personne d’ailleurs. En l’écoutant parler de ses mensonges, j’entendais comme une
petite musique. « Qu’est-ce que tu fous là ? T’as vraiment rien d’autre à faire ? »
Ben, si, j’avais sûrement trente- six mille choses sur le feu. Il fallait que je parte, que je me
lève et que je parte…
Mais non, je n’y arrivais pas, mes jambes, si légères d’habitude, si promptes à m’emmener
où je désirais me rendre, cette fois, mes jambes ne m’obéissaient plus, pire, elles pesaient
une tonne.
J’étais clouée sur place. Moi qui suis toujours en mouvement. Curieuse sensation ! C’était
comme si j’étais envoûtée, mais en même temps ce ne pouvait être ça, puisque je m’en
rendais compte, et de plus j’étais consentante. Je restais donc !
On était tous les deux coincés, englués sur ce banc. Sur la place, le marché avait disparu. Est-
ce que j’étais la seule à m’en apercevoir ?
Il me revenait en tête les vieux téléfilms des années soixante-dix, la série : « la quatrième
dimension ».
Pendant que je me posais toutes ces questions, le vieux continuait à parler de lui, de ses
états d’âme. Il avait perdu de vue les Volubilis…. mais pas moi ! C’était à cause d’eux que je
l’avais suivi, à cause du mot, ou de la fleur ? Je ne savais plus, sûrement un peu des deux. En
tout cas, c’était pour en savoir plus.
Au lieu de ça, j’étais là à écouter des histoires que je n’aurais jamais du écouter, à une place
où je n’aurais jamais dû être. Mais j’étais là, et il parlait, et moi, j’écoutais…… :
J’y songe, J’y songe, mais le plus tard possible. Ce n’est pas d’actualité pour le
moment.
D’ailleurs, regardez, encore une fois, aujourd’hui, je suis sorti, sans vraie raison, sans
vrai besoin, juste parce que c’est impossible de « rester à la maison ». Ce serait comme une
punition, une auto punition ? Quelque chose que je m’imposerais, justement du dedans, ce
« dedans » où je ne veux pas rester. Juste pour faire comme tout le monde.
- « ouais ! pourquoi pas, ça vous ennuie pas ? au fait, comment vous vous appelez, je
vais vous emmenez chez moi et je ne connais même pas votre nom. » je lui réponds
sèchement :
- « On m’appelle Sasha » j’avais hâte d’en finir. Je sais qu’il aurait aimé que je lui
demande à mon tour : « et vous comment vous vous appelez ? » mais non, je n’en avais pas
envie…….Trêve d’amabilité avec ce bonhomme ! Allez en route !
Je commençais à ne pas être trop rassurée, déjà la campagne, c’était pas mon truc,
mais en plus je suivais ce bonhomme, cet inconnu dont je ne connaissais même pas le nom.
Des drôles de pensées me venaient en tête….des histoires à la Landru, des histoires de
maisons isolées et de cheminées qui rejettent des fumées noires.
Je me pressais pour le rejoindre, après tout, il valait mieux faire la bonne fille, et
surtout, surtout ne pas montrer que j’avais peur.
Au bout de toute cette verdure, plate et uniforme, enfin pour moi, je devinais, au
loin, une sorte de rideau d’arbre. A- t-il senti que je flanchais ? Il attendit que je le
rejoigne.
« Voyez là- bas, les arbres, on va entrer dans une forêt……ma maison est
dedans… ! »
Allez « mode warrior!» Je me suis dit, histoire de me remobiliser. J’allais vers lui,
et marchais à ses côtés.
La forêt débouchait sur une clairière, Je croyais rêver ! C’était une clairière
ensoleillée, l’herbe y semblait douce, et tendre au milieu trônait une petite maison.
« Faîtes pas attention au ménage » dit- il en rigolant un peu, bien conscient qu’il
me servait la phrase que toutes les bonnes ménagères disent en accueillant un
visiteur.
Il me fit traverser la pièce principale pour ouvrir une petite porte qui donnait sur
le jardin.
Et quel jardin ! C’était plus qu’un jardin fleuri, c’était un jardin de fleurs.
J’étais Alice au pays des merveilles. Alice, quand devenue toute petite, elle
regarde un jardin merveilleux, à travers le trou de la serrure dont elle a oublié la clef
sur la table, maintenant inaccessible.
Les trois côtés du jardin étaient garnis d’allées de roses de toutes couleurs, des
roses rouges, côtoyaient toutes les nuances de roses, roses, blanches, ou jaunes.
« Vous reconnaissez ces fleurs ? » Mais non, moi je n’y connaissais rien en fleur.
Le spectacle se suffisait à lui-même.
« Les bleus, là- bas ce sont des Iris, à coté le parterre oranger, ce sont des Soucis,
il y a des Zinias, qui explosent de toutes leurs couleurs, les blanches à côté, ce sont
des Reines-Marguerites, Au fond, sur leurs grandes tiges mauves, ce sont des Asters,
et à vos pieds, faites, donc attention ne pas marcher dessus, il y a des myosotis, et sur
le mur, c’est un Bougainvillier ! »
Il me regarda pour voir ma réaction. Je restais sans voix, au fond je m’en foutais
du nom des fleurs.
« ya rien qui vous étonne ? » j’étais émerveillée, mais pas étonnée. Il reprend,
un peu agacé, croyant que je n’avais pas compris : « Y a rien qui manque ? »
Alors, lui, « Eh ben, les Volubilis ! Je vous ai bien dit que j’ai jamais réussi à en
faire ! »