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À L’ÉPREUVE DU COMPARATISME
BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES
SCIENCES RELIGIEUSES
VOLUME
175
© BREPOLS PUBLISHERS
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PUISSANCES DIVINES
À L’ÉPREUVE DU COMPARATISME
CONSTRUCTIONS, VARIATIONS
ET RÉSEAUX RELATIONNELS
Sous la direction de
Corinne Bonnet
Nicole Belayche
Marlène Albert Llorca
Alexis Avdeeff
Francesco Massa
Iwo Slobodzianek
H
F
La Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences religieuses
D/2017/0095/196
ISBN 978-2-503-56944-4
e-ISBN 978-2-503-56945-1
10.1484/M.BEHE-EB.5.111590
Youri Volokhine
Puissance divine
1. Voir B. Ockinga, Die Gottebenbildlichkheit im alten Ägypten und um Alten Testament, Wiesbaden
1984 (Ägypten und Altes Testament 7) ; W. Ramadan, « Les désignations des statues dans l’Égypte
ancienne », Discussions in Egyptology 59 (2004), p. 61-66 ; E. Hornung, « Der Mensch als ‟Bild
Gottes” in Ägypten », dans O. Loretz, Die Gottebenbildlichkeit des Menschen, Munich 1967,
p. 123-175, spécialement p. 139-141.
2. J. F. Borghouts, « Divine Intervention in Ancient Egypt and its Manifestation (b3w) », dans
R. J. Demaree, J. J. Janssen (éd.), Gleanings from Deir el-Medîna, Leyde 1982, p. 1-70. Pour
la notion de ba, cf. L. Žabkar, A Study of the ba-concept in Ancient Egyptian Texts (SAOC 34),
Chicago 1968.
10.1484/M.BEHE-EB.5.114099 407
Youri Volokhine
La figure de l’Autre
En 1985, Jean-Pierre Vernant publiait La mort dans les yeux 3. Ce petit livre
de moins de cent pages constitue néanmoins une contribution importante pour
une approche renouvelée, articulée et repensée, de plusieurs figures divines de
la Grèce ancienne, notamment Artémis et Gorgô. Il s’agit d’une approche pro-
blématisée qui aboutit à la reconnaissance d’un aspect de la pensée grecque :
la figure de l’Autre ; une anthropologie de l’identité, sur ce qui la constitue et la
dit dans le champ des panthéons. Ce livre fut le produit d’une réflexion entre-
prise lors des cours de Jean-Pierre Vernant au Collège de France 4. « La figura-
tion des dieux » est au cœur du programme, non pas uniquement conçu comme
une histoire des formes ou des images, mais réellement comme une anthropo-
logie du monde grec ; ou si l’on préfère, une anthropologie de l’image, au sens
donné par Hans Belting, lequel d’ailleurs se réfère aussi à Vernant 5. Dans cette
anthropologie, un objet émerge : la frontalité. Celle-ci implique la figure des
dieux, la représentation du divin, passant par le médium du visage, non seule-
ment dans la plastique, mais aussi dans les idées. Les valeurs du visage, dans
le cadre de la pensée grecque, ont été étudiées aussi par Françoise Frontisi 6.
Ses fines analyses permettent de dépasser l’édifice touffu mis jadis en place
par Waldemar Deonna autour des valeurs du regard et de l’œil, une enquête
pionnière (riche en références) et comparatiste (tous azimuts, mais avec une
attention particulière portée sur le Proche-Orient) 7.
3. J.-P. Vernant, La mort dans les yeux (Paris 1985), repris dans Œuvres. Religions, rationalités, poli-
tique, Paris 2007, 2 vol., II, p. 1473-1519.
4. J.-P. Vernant, Figures, idoles, masques. Conférences, essais et leçons du Collège de France
(Paris 1990), repris dans Œuvres II, p. 1521-1661. Il s’agit des cours des années 1975 à 1984.
5. H. Belting, Pour une anthropologie des images, Paris 2004, notamment p. 214-217.
6. F. Frontisi-Ducroux, Du masque au visage. Aspects de l’identité en Grèce ancienne, Paris 1995.
7. W. Deonna, Le symbolisme de l’œil, Paris 1965 (École française d’Athènes, Travaux et Mémoires
des anciens membres étrangers de l’École 15). Cf., du côté de l’histoire de l’art, J. Clair, Méduse.
Contribution à une anthropologie des arts du visuel, Paris 1989.
8. Cf. M. Detienne, Les jardins d’Adonis. La mythologie des aromates en Grèce, Paris 1972, p. 9-15.
9. M. L. West, The East Face of Helicon: West Asiatic Elements in Greek Poetry and Myth, Oxford
1997.
10. B. Goldman, « The Asiatic Ancestry of the Greek Gorgon », Berytus 12 (1961), p. 1-23.
11. S. Marinatos, « Gorgones kai gorgoneia », Arch. Eph. (1927-1928), p. 7-41 ; cf. N. Marinatos,
The Goddess and the Warrior. The Naked Goddess and Mistress of Animals in Early Greek
Religion, Londres – New York 1999 (spécialement le chap. iii). Cet ouvrage est paru après le livre
de J.-P. Vernant, mais, comme l’a fait remarquer V. Pirenne-Delforge (L’Antiquité Classique, 70l
(2001), p. 376), il est dommage que l’auteur n’ait pas tenu compte pour son sujet des études du
savant sur Gorgô.
12. É. Will, « La décollation de Méduse », Revue archéologique 27 (1947), p. 60-76.
13. Je n’entre pas ici dans le débat sur les relations, échanges et autres transferts éventuels ou avé-
rés entre les Bès et la figure de Gorgô. Notons que l’on a proposé de reconnaître un lien fonda-
mental entre l’entité « Aha » féminine (type « Bès », nue, tenant des serpents, de face, connue dès
le Moyen Empire sur les « ivoires magiques ») et le type iconographique de la « Maîtresse des
animaux » proche-orientale, cf. J. Wegner, « A Decorated Birth-Brick from South Abydos: New
Evidence on Childbirth a Birth in the Middle Kingdom », dans D. P. Silverman, W. K. Simpson,
J. Wegner (éd.), Archaism and Innovation. Studies in the Culture of the Middle Kingdom Egypt,
New Haven – Philadelphie 2009, p. 447-496, spécialement p. 466-471. Sur Bès à Chypre, dans le
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Youri Volokhine
qu’il est représenté dans l’art assyrien (Clark Hopkins 14). Nous avons évoqué
ces travaux en soulignant qu’en dépit de leur intérêt ils manquent ce qui
constitue à nos yeux le fait essentiel : la spécificité d’une figure qui, quels
qu’aient pu être les emprunts ou les transpositions, se profile comme une créa-
tion neuve, très différente des antécédents qu’on invoque. Son originalité ne
saurait être saisie en dehors des relations qui, au sein de l’archaïsme grec, la
lient à des pratiques rituelles, à des thèmes mythiques, à une Puissance sur-
naturelle enfin qui se dégage et s’affirme en même temps que se construit et
se fixe le modèle symbolique qui la représente dans la forme particulière du
masque gorgonéen 15.
sillage de la « Grande Déesse » (elle-même pouvant être appréhendée comme actualisation de l’Ha-
thor égyptienne), voir notamment A. Carbillet, La figure hathorique à Chypre (iie-ier mill. av. J.-C.)
à Chypre, Münster 2011 (AOAT 388), cf. I. Tassignon, « Les statues du “Bès chypriote” », Cahiers
du Centre d’Études chypriotes 31 (2001), p. 59-67.
14. C. Hopkins, « Assyrian Elements in the Perseus-Gorgon Story », AJA 38 (1934), p. 341-358 et « The
Sunny Side of the Greek Gorgon », Berytus 14 (1961), p. 25-35.
15. J.-P. Vernant, Figures, idoles, masques, dans Œuvres II, p. 1576-1577.
16. D. Agut-Labordère, « Plus que des mercenaires ! L’intégration des hommes de guerre grecs au
service de la monarchie saïte », Pallas 89 (2012), p. 293-306.
17. Y. Volokhine, La frontalité dans l’iconographie de l’Égypte ancienne, Genève 2000 ; Id., « Dessins
atypiques : entorses aux proportions classiques et frontalité », dans G. Andreu-Lanoë (éd.), L’art
du contour. Le dessin dans l’Égypte ancienne, Paris 2013, p. 58-65.
18. Il faut citer aussi la « déesse nue » frontale, dont les représentations circulent entre le Proche-Orient
et l’Égypte, sans cesse réinterprétée selon les contextes (cf. ci-dessus, n. 13).
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Youri Volokhine
19. R. Tefnin, Les regards de l’image. Des origines jusqu’à Byzance, Paris 2003.
20. A. P. Kozloff, dans Aménophis III. Le Pharaon-Soleil, Paris 1993, notamment p. 290-300
(« Instruments rituels ») et p. 340-343 (« Récipients et figurines »),
21. Turin. Inv. no 3368, diam. 6,5 cm ; h. 2 cm. Reproduction notamment dans E. Scamuzzi, Egyptian
Art in the Egyptian Museum of Turin, Turin 1964, pl. LV et LVI. Cf. par exemple le bol (fragment)
UC 38094 (Petrie Museum).
22. Berlin Ägyptisches Museum 4562 ; cf. A. P. Kozloff, Aménophis III, p. 352. Ce sont des tilapia,
poissons qui procèdent du symbolisme de la renaissance et qui évoluent donc dans un contexte
« hathorique ».
23. Dans d’autres cas, la face hathorique (ou celle de Bès) peut décorer des jarres à vin.
Un indice menant vers une réponse possible se trouve dans des coupes
de style différent et provenant d’un contexte autre. Par exemple, une coupe
conservée au Louvre (trouvée à Ougarit) révèle en son fond un motif gra-
phique composé par des signes hiéroglyphiques (figure 1) 24.
Or, il s’agit d’un calligramme, lequel compose avec des signes d’écriture
un motif, en l’occurrence un visage 25. On peut facilement lire et voir simul-
tanément ce visage « parlant » : « contempler toute beauté » 26. Le même type
de calligramme orne des objets analogues : ainsi, une coupe trouvée à Lakish
compose pour sa part une phrase identique 27. Si l’on rencontre ce type de cal-
ligramme dans d’autres circonstances, en tout cas, en ce qui concerne les bols,
leur présence confirme ce que nous avons observé sur quelques coupes hatho-
riques : l’invitation d’un regard (d’un visage). Au fond de ces bols et coupes,
un visage, un regard, un œil, fixe donc parfois le buveur. Associés (ou en
variations) à d’autres thèmes, ces visages que le buveur aperçoit au travers du
liquide imposent une présence symbolique dans l’acte de boire. Néanmoins,
on est en droit de se demander pour quelles raisons les artistes décorateurs
de ces objets ont choisi de mettre en évidence le thème du regard, soit par la
frontalité du visage hathorique qui y invite directement, soit par une évoca-
tion du regard au moyen d’un motif incluant des yeux. Il y a ainsi une insis-
tance particulière sur la vision, ce qui a priori ne semble pas en corrélation
directe avec le fait de boire. On pourrait émettre l’hypothèse que c’est plus
24. Louvre AO 15727 ; diam. 12,2 cm ; h. 5.10 cm ; Minet el Beida (Ougarit), tombe 6. xiiie siècle
av. J.-C.
25. Sur ce jeu graphique, cf. B. Mathieu, « “Et tout cela exactement selon sa volonté”. La conception
du corps humain (Esna no 250, 6-12) », dans A. Gasse, F. Servajean, C. Thiers (éd.), Et in Aegypto
et ad Aegyptum, Recueil d’études dédiées à Jean-Claude Grenier, Montpellier 2012 (CENiM V/4),
p. 499-515, ici p. 511-512. Voir aussi H.-G. Fischer, Varia Nova. Egyptian Studies III, New York
1996, p. 43-44.
26. Louvre AO 15727 ; provenance : Ougarit (Minet el-Beida, tombe 6). xiiie siècle av. J.-C.
Diam. 12.2 cm.
27. Bol en faïence, Lakish (Tell ed-Duweir), Israel Museum, ve-xiiie siècle av. J.-C.
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Youri Volokhine
précisément sur l’acte de pencher son visage vers une surface liquide – qui
serait susceptible de refléter la face du buveur – qu’interviendrait cette pré-
sence symbolique. En tout cas, en ce qui concerne les beaux bols en faïence,
cette présence/puissance divine procède de « l’hathorisme » : une force de vie.
On a l’habitude de penser que les associations iconographiques sur les objets
du quotidien procèdent nécessairement de l’apotropaïque. Cela est vrai, dans
une large mesure. Néanmoins, d’autres idées, plus complexes, semblent aussi
convoquées, comme nous allons le voir à présent.
Suave et inquiétant
Les petits objets de luxe que nous venons d’évoquer font partie de ce
monde du « beau », du raffiné et de l’élégant, que l’élite égyptienne appré-
ciait au plus haut point. De façon générale, tout ce qui implique la sphère cor-
porelle, les objets cosmétiques et tous les « objets du corps », s’inscrit dans
ce monde suave qu’est l’univers hathorique. Mais ce monde n’est pas celui
d’une mièvre béatitude. Au contraire, il laisse entrevoir des contours parfois
plus inquiétants, menant de la séduction à la monstruosité 28. C’est ainsi que le
monde du « beau » par excellence est celui de la chasse, le loisir le plus prisé
par l’élite sociale, pratiqué comme il se doit par le roi lui-même. Or, comme
l’iconographie le montre, le monde de la chasse n’est pas bien différent de
celui de la guerre. Les chasses aux fauves et celles aux ennemis sont traitées
de manière parfaitement analogue, et souvent symétriquement, comme on le
voit par exemple sur un beau coffret en bois appartenant à Toutankhamon 29.
Le monde de la guerre, traité par l’iconographie pharaonique, comporte des
motifs obligés : mise à mort de l’ennemi sur le champ de bataille, mutilation
(la tête, les mains, le phallus), agonie suggérée par les corps tordus au sol et
les têtes grimaçantes tournées souvent de face, pour en exagérer encore le
grotesque. Ce monde de la guerre est celui du triomphe de la force royale, et
simultanément celui de l’horreur et de l’horrible. En fait, lorsque l’on s’avise
de faire le répertoire de motifs attestés sur les objets cosmétiques, on réalise
rapidement une certaine forme de polarité conduisant de la beauté à la laideur.
Il suffit de prendre en considération, par exemple, les belles cuillères à fard
ouvragées de la xviiie dynastie. Les thèmes favoris sont d’une part les belles
jeunes filles 30 et, en contraste, les vilains serviteurs étrangers (les Syriens,
chauves et barbus) 31 ; ou encore de beaux jeunes hommes élégants et, à l’op-
posé, de vieux serviteurs contrefaits. On peut admettre que, dans tous les cas,
ces motifs personnifient les serviteurs qui sont appelés à aider à la toilette. Il
faut aussi remarquer que ces objets cosmétiques sont très souvent associés
avec le dieu Bès, lequel est un type de divinité, plutôt qu’une seule entité.
Hybride d’un nain, d’un avorton, d’un lion, d’un singe, grimaçant et gesticu-
lant, il prête son apparence notamment aux étuis à khôl, aux jarres à vin, aux
miroirs, et à de multiples figurines. Les Bès, les Hathor, les animaux du désert
(bouquetin, gazelle, oryx), les singes et les lions, sont tous associés aux renou-
vellements de la vie, et c’est pourquoi ils sont déclinés sur de multiples objets
cosmétiques et de la vie courante 32. La gamme des représentations (liées au
monde hathorique) attestées sur ce matériel révèle deux pôles : le monde du
suave, de l’élégant, de la beauté, de la délicatesse, et le monde de l’inquiétant,
du difforme, de l’altérité.
Visages et miroir
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Youri Volokhine
(mȝw ḥr) », expression que l’on pourrait aussi comprendre comme « apparence/
aspect du visage » 37. Le rapport entre l’idée de vie et le fait que le miroir fasse
partie du viatique funéraire dès l’Ancien Empire est à prendre en compte : les
Égyptiens avaient sans doute perçu dans cet objet un caractère lié à la préser-
vation de l’identité 38, à la préservation des traits du visage, à la perpétuation
de l’être. Mais il faut aussi préciser que, si ces objets cosmétiques sont forte-
ment ancrés dans le monde du féminin 39, les miroirs se rencontrent pourtant
également dans le viatique funéraire qu’un homme est susceptible d’emporter
dans sa tombe 40. Enfin, d’autres désignations, le plus souvent sous forme d’ex-
pressions composées, peuvent servir pour les miroirs, par exemple, le terme
wnt-ḥr (var. wn-ḥr) – « Celle (celui) qui révèle le visage » 41. Ce nom du miroir
apparaît à l’époque saïte et devient une expression commune pour désigner
l’objet dans les rites d’offrandes ptolémaïques. On relèvera les graphies au
duel : wnwy-ḥr, wnty-ḥr, ainsi que le fait que le mot est parfois doublement
déterminé par le signe du miroir 42. Il est possible que ce phénomène ne soit
pas purement graphique ou lié au fait que, lors du rite, on offre souvent deux
miroirs à la divinité ; ce duel pourrait se rapporter à la nature « bifaciale » de
cet objet plat 43, ou, mieux encore, à la dualité qu’implique l’idée même du
reflet.
Un mythe du reflet ?
37. Cf. C. Lilyquist, Ancient Egyptian Mirrors, p. 71. Cf. Wb II, 15.
38. C. Husson, L’offrande du miroir, p. 38 : « ce nom qui peut signifier “vivant” est donné à l’objet
dont la propriété est de faire vivre les traits du visage humain » ; dans ce sens A. P. Kozloff, dans
Aménophis III, p. 295. La question du rapport entre le signe ankh et le miroir est débattue depuis
longtemps ; V. Loret, Sphinx 5 (1902), p. 138, proposa le rapprochement entre ankh et miroir.
39. Cf. F. Frontisi-Ducroux, J.-P. Vernant, Dans l’œil du miroir, Paris 1997, p. 82-83 pour cette notion.
40. Voir C. Müller, LÄ V, 1984, col. 1148, n 11.
41. Wb I, 313,7. Voir C. Husson, L’offrande du miroir, p. 37 ; p. 35-36 pour les différents noms du
miroir et leur historique.
42. C. Husson, L’offrande du miroir, p. 37.
43. Selon D. Meeks (AnLex 77.0925), la graphie wnty-ḥr est bien un duel. Le plus souvent, le miroir
est poli et réfléchissant sur les deux faces, voir G. Bénédite, Miroirs, Le Caire 1907, p. viii.
44. E. Hornung, Der Ägyptische Mythos von der Himmelskuh, Göttingen 1982 (OBO 46), p. 8 (ver-
sion du tombeau de Séthi Ier [23], avec traduction p. 40) ; cf. N. Guilhou, La vieillesse des dieux,
Montpellier 1989, p. 9 ; P. Germond, Sekhmet et la protection du monde, Genève 1981 (AH 9),
p. 138-140, et p. 143 ; Id., BSEG 4 (1980), p. 40.
45. Par exemple, Caire CG no 52.663 (tombe de Sathathoriounet, Ilahoun, xiie dynastie).
46. C. Derriks, Les miroirs cariatides égyptiens en bronze : typologie, chronologie et symbolique,
Mayence 2001 (MÄS 51) ; Id., « Les miroirs cariatides : une forme aboutie de la statuaire féminine
en bronze », dans H. Györy (éd.), « Le lotus qui sort de terre ». Mélanges offerts à Edith Varga,
Budapest 2002, p. 49-56. Cf. J.-F. Quack, « Das nackte Mädchen im Griff halten: zur Deutung der
ägyptischen Karyatidenspiegel », Die Welt des Orients 33 (2003), p. 44-64.
47. Par exemple, Caire CG no 44.087 et 44.088.
48. Par exemple CG no 44.047 (un Bès sculpté tient lieu de manche) ; CG no 44.017 (une face de Bès
sur une ombelle de papyrus supporte la plaque réfléchissante) ; cf. J. Vandier d’Abbadie, Les objets
de toilette égyptiens au Musée du Louvre, Paris 1972, p. 170-171, no 760.
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Youri Volokhine
l’instar de ce que l’on constate dans le monde grec 49, le miroir égyptien est éga-
lement porteur d’une virtualité fallacieuse que rappellerait cette face bestiale
figurée sur l’objet, et que celui qui se contemple croise du regard.
Reflets ambigus
On ne peut voir soi-même son propre visage, à moins de recourir à des arti-
fices. Dans le monde antique, ceux-ci sont limités : le miroir ou l’eau. Ces deux
surfaces réfléchissantes sont évoquées dans un passage du « Dialogue entre
Ipou-our et le Maître Universel » (papyrus Leyde I 344 recto). Dans le monde
inversé que décrit ce texte littéraire (datant de la xixe dynastie, mais rédigé ini-
tialement probablement bien avant), les pauvres deviennent riches : « Celle qui
regardait son visage dans l’eau (le regarde maintenant) dans un miroir » 55. Ce
texte confirme que le fait de posséder un miroir, qui est un objet de luxe, consiste
en un évident signe d’élévation sociale. Mais dans les deux cas (eau ou miroir), la
vision offerte est néanmoins brouillée, plus ou moins altérée. Dans le plan d’eau,
les traits évanescents s’altèrent au moindre frémissement. Et lorsque c’est sur
une plaque métallique que l’on se contemple, l’image est certes plus stable, mais
le reflet n’est néanmoins pas aussi fidèle qu’avec nos miroirs contemporains.
Le métal (le bronze), même très bien poli, déforme plus ou moins légèrement
les traits, selon les imperfections du polissage, jamais parfait. Quant à l’objet
lui-même, il s’altère rapidement par oxydation. En Égypte, comme un peu par-
tout ailleurs, le miroir se révèle facilement menteur et trompeur. L’imperfection
de l’image réfléchie s’ajoute donc à l’inversion fondamentale qui est celle du
reflet. Cet aspect ambigu semble bien confirmé par le manuel d’onirocritique de
Deir el-Médineh (P. British Museum no 10683), une « clé des songes » datant de
la xixe dynastie 56. Dans la liste qui y figure, deux rêves mentionnent le fait de
contempler son propre visage : dans un cas dans de l’eau, dans un autre par le
biais d’un miroir. Les deux actes sont associés à un pronostic négatif 57 :
Si l’on regarde son visage sur l’eau : cela est mauvais ; (cela signifie) passer son
temps (de vie) avec une autre vie 58.
(Si un homme se voit lui-même en rêve) voyant son visage dans un miroir :
cela est mauvais ; (cela signifie) une autre femme 59.
55. P. Leyde I 344 recto 8.5 ; cf. R. Enmarch, The Dialogue of Ipuwer and the Lord of All, Oxford 2005,
p. 40-41 ; cf. Id., A World Upturned. Commentary and Analysis of the Ancient Egyptian Dialogue
of Ipuwer and the Lord of All, Londres 2008, p. 140.
56. S. Sauneron, « Les songes et leur interprétation dans l’Égypte ancienne », dans Les songes et
leur interprétation, Paris 1959 (Sources Orientales 2), spéc. p. 33-38. Sur les rêves en Égypte,
cf. E. Bresciani, L’Égypte du rêve, Paris 2006 ; K. Szpakowska, Behind Closed Eyes: Dreams and
Nightmares in Ancient Egypt, Swansea 2011.
57. Il faut tenir compte du fait que les pronostics négatifs ou positifs sont en général inverses de la valeur
normale de l’acte évoqué. Ainsi, rêver que l’on meurt est un bon pronostic et présage au contraire
d’une longue vie. Dans le cas du miroir, le fait que les deux pronostics soient défavorables n’im-
plique donc pas que le fait de se regarder dans un miroir soit néfaste (au contraire) ; néanmoins,
les pronostics livrent des éléments sur le statut particulier du reflet.
58. A. Gardiner, Hieratic Papyri in the British Museum III, Londres 1935, pl. 7, recto 9.20 et p. 18.
59. P. BM 10683, A. Gardiner, HPBM III, pl. 6, recto 7.11.
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Youri Volokhine
Le fait que l’homme contemplant son visage dans un miroir soit suscep-
tible d’y voir « une autre femme » est une allusion étonnante. À l’instar de la
contemplation dans l’eau, le reflet est trompeur. Il implique une dualité mena-
çante et, même, une inversion. On se voit en effet « à l’envers ». C’est sans
doute pour cela que l’homme se voit, dans le miroir, femme et non homme :
non seulement un dédoublement, mais aussi une inversion de genre. Les puis-
sances divines convoquées matériellement sur ces objets – la face d’Hathor,
le visage léonin d’un Bès, etc. – protègent contre ce péril : soit par la beauté
hathorique, soit par la grimace apotropaïque.
Horizons comparatistes
Abréviations
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Fig. xxvi. Le médium de
Varte tient sur sa langue une
lampe à huile allumée, février
2015, Udupi (M. Carrin).
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