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Prophétie - page 1

Les textes prophétiques du premier millénaire

Il n'est pas aisé d'aborder les textes prophétiques du premier millénaire, et ce, pour
diverses raisons. La première, et peut-être la moins évidente a priori, tient au risque
comparatiste. Le premier millénaire avant notre ère voit la naissance et le développement du
prophétisme biblique. On connaît particulièrement les prophéties de Daniel, situées par leur
auteur dans le milieu culturel babylonien, au cours de l'exil. Toute approche des prophéties
mésopotamiennes se verra automatiquement mise en rapport avec les oeuvres bibliques et
interprétée en fonction de celles-ci. La seconde raison tient aux sources cunéiformes elles-
mêmes. Les textes dits prophétiques n'ont été repérés en tant que tels qu'assez récemment, à
partir de 1964. Depuis, d'autres ont été redécouverts dans les vastes collections de tablettes
cunéiformes des musées ou remis au jour par les fouilles archéologiques. Cependant, et c'est
une troisième difficulté, l'état de conservation de ces tablettes laisse largement à désirer. La
plupart d'entre elles, sinon toutes, sont endommagées, fragmentaires, donc difficiles à traduire
et à interpréter. Quelques-uns de ces textes sont connus par plusieurs manuscrits, souvent
délicats à comparer, avec des variantes nombreuses. Leur date de rédaction est également
difficile à préciser. Leur contenu, souvent répétitif, pose de lourds problèmes d'interprétation.
Toutes ces difficultés ont fait que ce genre de textes est resté marginal, voire négligé, dans le
monde de l'assyriologie. Pourtant, les textes prophétiques du premier millénaire, très différents
de ce que l'on connaît mille ans plus tôt, à Mari principalement, nous révèlent bien des choses
sur l'esprit des lettrés mésopotamiens de cette époque. Ils nous laissent entrevoir comment
ceux-ci ont perçu l'écroulement de leur univers, les changements profonds que subissait le
Proche-Orient au cours de ces siècles décisifs.
Aux textes prophétiques ou peut-être même apocalyptiques (voir plus loin) proprement
dits, il faut ajouter une autre catégorie, plus proche de ce que nous a laissé la documentation
du deuxième millénaire. Cette catégorie peut être décrite comme une littérature oraculaire et
nous est attestée à la fois dans des compilations, des séries d'oracles regroupés, et, de
manière apparemment plus directe et spontanée, dans des lettres, comme c'était déjà le cas
dans la documentation de Mari.

A. Les textes prophétiques

Les textes dits prophétiques sont au nombre de six (ou sept si l'on ajoute un fragment
dont l'appartenance au genre prophétique a été mise en doute). Il faut souligner immédiatement
leur caractère éminemment littéraire. Ils sont rédigés dans ce que les grammairiens appellent le
«dialecte hymnico-épique∞ (ou «Standard Babylonian∞), commun à la quasi-totalité de la
production littéraire mésopotamienne. Leur style les rapproche des chroniques et des textes
divinatoires, ces grandes listes de présages compilées et recopiées par les lettrés tout au long
de l'histoire mésopotamienne. On a pu montrer que certains d'entre eux étaient directement
liés, par leur style, aux documents astrologiques et astronomiques dont se servaient les
savants attachés aux cours des royaumes du premier millénaire. Il s'agit donc d'une littérature
savante, réservée aux élites intellectuelles de l'époque, qui seules étaient en mesure de les lire
et de les comprendre.
On a pu montrer combien était important le rôle de ces savants, astrologues, devins,
médecins et exorcistes, à la cour des rois, surtout assyriens mais sans doute aussi néo-
babyloniens. Ils composent l'entourage restreint du roi et sont en perpétuelle communication
avec lui, comme l'illustre remarquablement l'abondante correspondance que nous possédons
pour les rois néo-assyriens Assarhaddon (680-669) et Assurbanipal (669-627). Leur tâche est
d'informer le roi des messages que les dieux envoient aux hommes sous la forme de présages
divers: éclipses, phénomènes atmosphériques ou astronomiques, naissances anormales,
curiosités naturelles ou humaines de toutes sortes. Tout phénomène, quel qu'il soit, peut être
de nature à annoncer un événement important pour le roi ou le royaume. Afin de disposer d'un
matériel de référence le plus complet possible, les lettrés mésopotamiens ont rassemblé au fil
du temps une documentation impressionnante faite de listes décrivant les phénomènes et les
situations qu'ils annoncent. C'est ce souci qui est à la base de la mise sur pied de la plus
célèbre bibliothèque du Proche-Orient ancien, celle d'Assurbanipal, dont le contenu est
aujourd'hui au British Museum.
Il ne faut donc pas s'étonner que les auteurs de nos textes prophétiques aient puisé dans
cette littérature qui leur était familière les modes d'expressions et, de manière plus générale, le
style qui en est caractéristique.
Quant au but poursuivi, il n'est guère aisé à retrouver. Il apparaît assez clairement,
lorsque le texte est suffisamment bien conservé, que la pratique la plus courante était de
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commencer par une série de pseudo-prédictions, évoquant en fait des événements passés
(vaticinia ex eventu), ceci afin d'assurer la crédibilité de la suite du texte. Il n'est
malheureusement pas simple pour nous de percer les allusions qui devaient être claires pour
les auteurs et leurs lecteurs et leur permettre d'identifier les règnes du passé. Après quelques
pseudo-prophéties de ce type, l'auteur passe à la «vraie prophétie∞ pour annoncer les
événements futurs. La charnière entre le passé et le futur devrait nous permettre de dater la
rédaction du document.
Parmi les six textes prophétiques, nous commencerons par en examiner deux dont la
datation et la structure sont suffisamment claires: il s'agit de la prophétie dite d'Uruk et de la
Prophétie Dynastique.

La Prophétie d'Uruk a été découverte en 1969 par la mission archéologique


allemande qui travaille sur le site d'Uruk (Warka), en Basse Mésopotamie. Elle fut retrouvée
dans des niveaux parthes, mais remonte vraisemblablement à l'époque perse, peut-être au
règne de Darius I (521-486). La face de la tablette est très endommagée et il est impossible
d'en tirer un sens suivi. Voici la traduction de la partie intelligible du texte [les chiffres entre
parenthèses distinguent les divers épisodes 1]:

(1) Le roi sera emprisonné dans son palais pendant plusieurs mois.

(2) [Un prince] attaquera et régnera sur un pays totalement dévasté. [Ce sera] un
roi issu du Pays de la Mer2 qui exercera le pouvoir à Babylone.

(3) Après lui, un roi se lèvera, mais il ne fera pas régner pas la justice dans le
pays, ni ne prendra les justes décisions pour le pays. Il dépouillera Uruk de son
antique divinité protectrice et la fera séjourner à Babylone. Il installera dans le
sanctuaire une divinité qui ne sera pas la Protectrice d'Uruk et lui dédiera des gens
qui ne lui sont rien. Il imposera aux gens d'Uruk de lourdes taxes. Il dévastera
Uruk, laissera les canaux s'emplir de boue et les champs aller à l'abandon.

(4) Après lui, un roi se lèvera, mais il ne fera pas régner la justice dans le pays, ni
ne prendra les justes décisions pour le pays.

Idem, idem, idem, idem, idem.

Il emporta en Assyrie les biens du pays d'Akkad.

(5) Après lui, un roi se lèvera, mais il ne fera pas régner la justice dans le pays, ni
ne prendra les justes décisions pour le pays. Il soumettra les Quatre Régions et le
monde tremblera à l'énoncé de son nom.

(6) Après lui, un roi se lèvera dans Uruk. Il fera régner la justice dans le pays, et
prendra les justes décisions pour le pays. Il rétablira dans Uruk les rites du culte
d'Anu. Il enlèvera de Babylone l'antique déesse protectrice d'Uruk et la réinstallera
dans son sanctuaire d'Uruk. Il lui dédiera les gens qui lui conviennent. Il
reconstruira les temples d'Uruk et redonnera leur juste place aux temples des
dieux. Il rénovera Uruk et construira les portes de la ville d'Uruk en lapis-lazuli. Il
emplira les canaux et les champs de prospérité et d'abondance.

(7) Après lui, un roi, son fils, se lèvera dans Uruk. Il régnera sur les Quatre
Régions. Il exercera la souveraineté et la royauté dans Uruk et établira sa dynastie
pour l'éternité.

(8) Les rois d'Uruk exerceront la royauté comme les dieux.

Ce texte est certainement l'un des plus intéressant qui nous soient parvenus, dans le
domaine prophétique. Il est aussi remarquable par les interprétations historiques très diverses
qu'il a reçues. H. Hunger et St. Kaufman, les premiers éditeurs du texte, voyaient dans les
prédictions (1) et (2), avec la partie fragmentaire qui précède, une allusion à deux rois de
1 Épisodes cités ici, compte non tenu des passages fragmentaires.
2 La région des marais, à l'extrême sud de la Mésopotamie.
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Babylone, Marduk-balassu-iqbi (818-813) et Baba-aha-iddina (812-?), qui furent tous deux


vaincus par le roi d'Assyrie Shamshi-Adad V (823-811). La prédiction (3) s'appliquerait alors à
Erîba-Marduk (769-761). Celui-ci régna en effet sur un pays affaibli par des années de guerre
avec l'Assyrie. De plus, nous savons par les chroniques qu'il était issu du Pays de la Mer, de la
tribu de Bît-Yakin. Les traditions plus récentes et les inscriptions de Nabuchodonosor II et de
Nabonide ont gardé le souvenir d'un changement dans l'organisation du culte à Uruk sous le
règne d'Erîba-Marduk.
Après ce règne, l'interprétation se complique par l'apparition de cinq «idem∞, ce qui
pourrait suggérer les cinq rois presque inconnus, successeurs d'Erîba-Marduk, qui tous
luttèrent contre Téglath-Phalazar III (744-727). Celui-ci correspondrait assez bien à la
description que donne la prophétie (5). Le roi d'Uruk cité en (6) serait, toujours pour Hunger et
Kaufman, Nabuchodonosor II (604-562), lequel mentionne dans ses inscriptions le
rétablissement de la déesse protectrice d'Uruk. Le texte aurait été composé sous son règne ou
sous celui de son fils, Awêl-Marduk (561-560). Les sections (7) et (8) sont alors à considérer
comme une «vraie∞ prophétie, annonçant le règne d'Awêl-Marduk comme un règne heureux et
la suite des temps comme un paradis.
Cette interprétation a été critiquée par W.G. Lambert qui en a proposée une vue très
différente: (2) = Mérodach-Baladan II (721-710); (3-5) = les Sargonides (Sargon II (721-705),
Sennachérib (704-681), Assarhaddon (680-669) et Assurbanipal (668-627)); (6) =
Nabopolassar (626-605), fondateur de l'empire néo-babylonien.
Finalement A.K. Grayson a proposé tout récemment une autre répartition, à laquelle je
me rallie. Il interprète la prédiction (2) comme faisant référence à la 2ème Dynastie du Pays de
la Mer (1026-1005). La section (3), comme le proposaient Hunger et Kaufman, doit être une
allusion au règne d'Erîba-Marduk, connu pour avoir opprimé la ville d'Uruk. Puisque la
prédiction (4) décrit la destruction du pays d'Akkad par un Assyrien, elle devait évoquer le
célèbre sac de Babylone par Sennachérib en 689. Le bâtisseur d'empire qu'annonce la section
(5) est alors Nabuchodonosor II, restaurateur des temples d'Uruk comme le prétendent ses
propres inscriptions et les rappels qu'en fait Nabonide, le dernier roi néo-babylonien.
Selon Grayson, à partir du paragraphe (6), nous entrons dans le domaine de la «vraie∞
prédiction, avec l'annonce de la venue d'un roi d'Uruk qui lui redonnera la prospérité, et de son
fils (7) qui établira une dynstie éternelle. Avec la dernière prédiction (8), nous touchons,
toujours selon Grayson, à l'eschatologie et au genre apocalyptique, avec l'annonce de la
transformation de la royauté terrestre en une royauté divine.
Si l'on accepte cette interprétation, la prophétie d'Uruk représenterait une réaction des
milieux intellectuels urukéens du début de l'époque perse à la fois au transfert du pouvoir à des
étrangers à la tradition mésopotamienne (les Perses) et à la lente disparition de la culture
babylonienne qui s'amorce à ce moment (rôle grandissant de la langue araméenne). Il faut se
souvenir que c'est à Uruk que les intellectuels babyloniens ont maintenu le plus tard le
flambeau de la tradition proprement mésopotamienne, qui finira par disparaître dans le courant
du premier siècle après Jésus-Christ. Le modèle qui servit à décrire les deux rois futurs d'Uruk
est certainement celui de Nabopolassar et de son fils Nabuchodonosor II, les vainqueurs des
Assyriens et les fondateurs de l'empire néo-babylonien.
La prophétie d'Uruk est certainement quelque peu particulière dans le petit groupe des
textes prophétiques akkadiens. C'est la seule en effet qui fasse référence à une certaine forme
d'eschatologie et au retour de la royauté aux cieux d'où elle était descendue, à l'aube des
temps, selon la tradition babylonienne. Vue sous cet angle, elle pourrait être aussi la seule à
autoriser réellement une comparaison avec la prophétie biblique du livre de Daniel, née dans
les mêmes milieux.

La Prophétie Dynastique est vraisemblablement plus récente et remonterait à


l'époque séleucide. Le texte en est, lui aussi, fort fragmentaire, et seules les sections centrales
sont suffisamment intelligibles. À la différence de la précédente, celle-ci donne pour chaque roi
la longueur de son règne, ce qui facilite quelque peu les identifications. Voici la traduction des
passages les mieux conservés:

[la première partie pourrait faire référence à la chute de l'empire assyrien et au


début de l'empire néo-babylonien]

(1) [Un prince se lèvera …]. Il régnera 3 ans … Après lui, son fils montera sur le
trône, mais il ne gouvernera pas le pays.
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(2) Un prince se lèvera … [Il établira (?)] la dynastie de Harrân. Il régnera 17 ans. Il
opprimera le pays et n'accomplira pas (?) la fête de l'Esagil. Il bâtira (?) une
forteresse dans Babylone et complotera contre le pays d'Akkad.

(3) Un roi d'Élam se dressera … Il le (= le roi de Babylone) chassera de son trône.


Lui-même montera sur le trône et, celui qu'il en avait chassé, il l'installera dans un
autre pays. Ce roi opprimera le pays … Tous les pays lui apporteront leur tribut …
Pendant son règne, le pays d'Akkad ne vivra pas en paix … (lacune)

(4) … Il régnera 2 ans.

(5) Un eunuque assassinera ce roi. Un prince quelconque se dressera et prendra


le pouvoir. Il régnera 5 ans.

(6) L'armée des Hanéens (= les Macédoniens) se lèvera (et vaincra ?) son armée.
Ils (les Hanéens) le dépouilleront et le pilleront. Ensuite, il (le roi de Babylone)
réorganisera son armée et brandira les armes. Enlil, Shamash et Marduk
marcheront à ses côtés: il provoquera la déroute de l'armée des Hanéens. Il fera
un grand pillage qu'il rapportera dans son palais. La population qui avait connu le
malheur connaîtra alors le bonheur. Le coeur du pays sera content (?) … (lacune)

(traces d'au moins trois règnes)

Si la première partie fait bien référence aux empires néo-assyrien et néo-babylonien, le


règne de trois ans cité dans la section (1) doit être attribué à Nériglissar (559-556). À
Nériglissar succède son fils Labashi-Marduk, pour un règne extrêment bref (trois mois) pendant
lequel nous savons qu'il ne put contrôler l'ensemble du royaume et que plusieurs villes lui
échappèrent. Une révolution de palais mit alors sur le trône Nabonide (555-539) auquel
correspond fort bien la section (2). En effet, Nabonide, fervent adorateur du dieu Sîn, parvint à
récupérer la ville de Harrân et son célèbre sanctuaire du dieu-Lune, passés aux mains des
Mèdes lors de la chute de l'empire assyrien. Il y fit de nombreuses restaurations et y laissa des
inscriptions. Nabonide est également célèbre pour avoir quitté Babylone pendant une longue
période et s'être retiré dans l'oasis de Teima, au coeur de l'Arabie. Pendant cette absence, la
très célèbre et très importante fête du Nouvel An ne put être célébrée, ce qui lui attira la haine
des milieux sacerdotaux de Babylone.
Le roi d'Élam de la prophétie (4) est Cyrus le Grand, qui conquiert Babylone en 539. Les
milieux babyloniens l'accueillirent avec soulagement et la prise de Babylone eut lieu sans coup
férir. La propagande des milieux intellectuels se déchaîna contre Nabonide dans la célèbre
inscription de Cyrus et le fameux «Verse Account of Nabonidus∞. On peut noter au passage
que la Prophétie Dynastique vient appuyer les dires de Bérose quant au sort de Nabonide.
Celui-ci raconte en effet que l'ex-roi de Babylone ne fut pas mis à mort, comme le décrit
Xénophon, mais exilé en Carmanie, une lointaine province de l'est de l'Iran, dont il devint le
gouverneur. Cependant, l'auteur de la prophétie continue en s'écartant de la vue traditionnelle
qui tend à présenter Cyrus sous un jour favorable. Peut-être les Babyloniens, une fois oubliée
l'euphorie de la chute de Nabonide, durent-ils affronter la dure réalité de ne plus être au centre
du monde, et de n'être plus qu'une province de l'empire perse.
Après une lacune, la section (4) concernerait l'avant-dernier roi perse, Arsès(337-336),
qui fut assassiné par l'eunuque Bagoas. Le «prince quelconque∞ de la section (5) est alors
Darius III (335-331) qui n'appartenait pas à la branche principale des Achéménides. La
prédiction (6) concerne toujours Darius III, mais annonce l'arrivée d'Alexandre. Celui-ci n'est
pas directement cité et l'auteur a choisi pour désigner les Macédoniens de recourir à un très
ancien terme, Hanû, qui désignait les nomades amorites au deuxième millénaire av. J.-C. Ce
même terme est utilisé dans les chroniques et une référence à l'assassinat de Séleucos I «dans
le pays des Hanéens∞ assure qu'il s'agit bien de la Macédoine ou de la Thrace. Après une
première défaite devant les Macédoniens, le roi réorganise sous armée et, avec le soutien des
dieux, vainc l'armée d'Alexandre ! Le texte est abîmé à cet endroit, mais nous lisons clairement
«il [infligea] une débâcle à l'armée des Hanéens∞. Nous aurions ici un cas patent de
falsification des événements qu'il est difficile de comprendre. Peut-être l'usage, fort obscur, du
terme «hanéen∞ pour désigner l'armée macédonienne est-elle une tentative de masquer la
réécriture de l'histoire que nous constatons dans cette section. Après cette victoire, le pays
d'Akkad connaîtra la paix et la prospérité. Le reste du texte est perdu et seules quelques lignes
fragmentaires subsistent.
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On considère généralement que ce texte date de l'époque séleucide et que les dernières
lignes concernent les rois Philippe Arrhidée (323-316), Alexandre IV (316-313) et Séleucos I
(312-281). Cependant, leur état de conservation est tel que rien de probant ne peut en être dit.
On pourrait avancer l'hypothèse que la Prophétie Dynastique date du règne de Darius III lui-
même et qu'avec le récit de sa victoire sur Alexandre le Grand nous avons quitté le domaine de
la pseudo-prophétie pour entrer dans celui de la «vraie∞ prophétie. Il serait cependant étonnant
de trouver encore l'annonce d'au moins trois règnes après cette victoire espérée. Le problème
devra attendre la découverte d'un autre manuscrit ou d'un autre fragment qui nous donnera la
clef de la fin du texte.

Le troisième texte, dit Texte A, est représenté par un seul manuscrit découvert au début
du siècle dans la ville d'Assur. Comme presque tous les autres, son état de conservation laisse
à désirer. Il semble que la prédiction elle-même ait été précédée d'une introduction
mythologique (ce pourrait être aussi le cas de la Prophétie d'Uruk). Comme dans la Prophétie
Dynastique, les rois cités sont pourvus d'une durée de règne, mais à la différence de cette
dernière, il est nettement plus délicat de les identifier.

La colonne 1 (l'introduction mythologique ?) est presque entièrement perdue.

(1) Un prince se lèvera et régnera 18 ans. Le pays vivra en sécurité, le coeur du


pays sera content, la population connaîtra l'abondance. Les dieux prendront des
décisions pour le bien du pays, les vents seront favorables. Les palmiers (?) et les
sillons fourniront leur récolte, Shakkan et Nisaba3 … dans le pays. Il y aura des
pluies et des crues. Le pays connaîtra la fête. Ce prince sera assassiné au cours
d'une révolte.

(2) Un prince se lèvera et régnera 13 ans. Il y aura une attaque de l'Élam contre le
pays d'Akkad et le butin d'Akkad sera emporté. Les sanctuaires des grands dieux
seront dévastés, la défaite d'Akkad sera décrétée. Il y aura le trouble, la confusion
et le malheur dans le pays. Le grand sera amoindri.

(3) Un autre, dont le nom n'a pas été prononcé, se lèvera, il s'emparera du trône
comme un roi et assassinera ses nobles. Il emplira les vallées du pays de
Tupliyash4, la steppe et la campagne, de la moitié de la vaste armée d'Akkad (scil.
de leurs cadavres), et ainsi la population connaîtra une sévère famine.

(4) Un prince se lèvera, mais ses jours seront brefs et il ne gouvernera pas le
pays.

(5) Un prince se lèvera et il régnera 3 ans. Les canaux seront remplis de boue …
(lacune)

(6) [Un prince se lèvera et régnera x ans] … Ce prince régnera sur les Quatre
Régions, son peuple connaîtra la prospérité. Les offrandes aux dieux qui avaient
été interrompues, il les rétablira. Les vents seront favorables, il y aura abondance
et le coeur du pays sera content (?), le bétail paîtra en paix dans la campagne. Les
pâturages d'hiver dureront jusqu'à la moisson et la moisson durera jusqu'en hiver.
Les petits du bétail [se multiplieront].

(7) Un prince se lèvera et régnera 8 ans … (lacune)

(8) Un prince se lèvera et régnera x ans … (lacune)

(9) Un prince se lèvera et régnera 3 ans. Il ramènera dans leurs maisons le reste
de la population. Les villes abandonnées seront habitées à nouveau … Il y aura
des révoltes … hostilité envers le pays d'Akkad … Les rites de l'Ekur5 et de Nippur
seront emportés dans un autre pays … Ce prince abattra le pays amorite6 …
3 Divinités du bétail et du grain.
4 Région située à l'est du Tigre à hauteur de Bagdad.
5 Nom du grand temple d'Enlil à Nippur.
6 La Syrie.
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(10) Un prince se lèvera et régnera 8 ans. Les sanctuaires des dieux seront
restaurés sur son conseil (?). Les rites des grands dieux seront remis en place, il y
aura des pluies et des crues dans le pays. Les gens, qui avaient connu le malheur,
connaîtront l'abondance (?). Les riches deviendront pauvres, les pauvres riches.
Le riche (?) tendra la main au pauvre. Les anciens(?) siègeront et prodigueront
leurs conseils au pays. Mais les sauterelles (?) dévoreront le pays et le roi
opprimera son pays … (reste perdu).

R.D. Biggs, qui a étudié le texte A, insiste sur les rapports étroits qu'il présente avec la
littérature astrologique et n'est pas convaincu qu'il faille tenter de retrouver dans les règnes
annoncés par la prophétie de véritables rois historiques. W.W. Hallo, par contre, retrouve les
deux souverains annoncés par les sections (1-2) dans la 2ème Dynastie d'Isin avec Marduk-
nâdin-ahhê (1100-1083) et Marduk-shâpik-zêri (1082-1070), auxquels les listes royales royales
donnent des règnes respectifs de 18 et 13 ans. Le premier se rendit célèbre par une campagne
victorieuse en Assyrie et le pillage de la ville d'Ekallâtum. Il fut cependant vaincu ensuite par
Téglath-phalazar I (1115-1077) et disparut, ce qui pourrait s'accorder avec la mention finale de
notre texte selon laquelle il fut assassiné lors d'une révolte. Il faut cependant signaler que rien
dans les chroniques ou ailleurs ne laisse entendre que son successeur, Marduk-shâpik-zêri, eut
un règne malheureux. Au contraire, on lui attribue la signature d'une alliance avec le roi
d'Assyrie Assur-bêl-kala (1074-1057). Les arguments de Hallo semblent ici un peu forcés.
Quant à la mention d'une attaque élamite, il est vrai que cette période est marquée par des
guerres incessantes avec l'Élam. Il fut suivi par Adad-apla-iddina (1069-1048), qualifié par les
chroniques d'usurpateur araméen. Son règne fut marqué par des troubles continuels dus aux
nomades soutéens et araméens. La prophétie (4) correspondrait assez bien à son successeur,
Marduk-ahhê-erîba, lequel ne régna que 6 mois (1047). Mais là, la liste s'interrompt, car le
souverain suivant de cette dynastie, bien peu connu à vrai dire (même son nom n'est pas
assuré, Marduk-zêr-x), aurait régné 12 ans, au lieu des 3 années «annoncées∞ par la
prophétie (5).
À partir de la section (6), malheureusement, on ne retrouve plus de correspondance avec
des situations historiques connues. Les sections (7-8) sont d'ailleurs presque entièrement
détruites. Après un règne malheureux (9), il n'est pas impossible que nous entrions dans le
domaine de la «vraie∞ prédiction avec la section (10), dont la phraséologie pourrait évoquer la
mise en place d'un certain «âge d'or∞. Il faut cependant noter que la dernière phrase,
malheureusement endommagée, semble prédire que la fin du règne sera marquée par le
désastre. Les mentions de l'Ekur et de Nippur pourraient être un indice de l'origine du texte.

Avec le Texte B, nous sommes en présence d'une oeuvre qui a connu une plus large
diffusion. Elle est attestée par une dizaine de manuscrits provenant de la Bibliothèque
d'Assurbanipal à Ninive, de Babylone et de Nippur. À la différence des précédents, certaines
prédictions sont annoncées par un événement astronomique, ce qui a jeté un doute sur
l'appartenance du Texte B au genre prophétique. Il ne s'agit cependant pas d'une liste normale
de présages astronomiques ou astrologiques.
Le Texte B débute par une observation astronomique et une introduction mythologique
dans laquelle le dieu Anu ordonne au dieu Enlil de promulguer un édit de remise des dettes,
grâce auquel le pays connaîtra la prospérité. Cette introduction n'est pas sans rappeler la
dernière section (10) du Texte A. Il faut encore noter que le Texte B faisait partie d'une «série∞
puisque son colophon contient le nom de la tablette suivante. Voici la traduction des passages
les mieux conservés (la distinction en épisodes n'est pas aussi claire que dans les textes
précédents):

(1) Si l'étoile x se lève et passe d'est en ouest, … elle hurle et le pays l'a entendue
… Il y a un feu de soufre et les … vont à ses côtés. Son nom est dans le feu. Le
messager d'Enlil a présenté ses salutations au Grand Anu et un messager a
apporté les salutations du Grand Anu à Enlil. … le bruit des portes du ciel que le
pays a entendu.
Anu ordonna à Enlil de promulguer la remise des dettes et la remise des dettes a
lieu. La confusion disparaîtra, les troubles seront apaisés, les dispersés se
rassembleront, les déportés se rassembleront, les justes recevront justice … Ceux
qui n'ont rien deviendront riches, ceux qui sont riches deviendront pauvres, le bien
de celui qui a peu sera à l'abri, celui qui a une fonction retrouvera sa fonction, …
l'accusateur sera exécuté dans le poste de garde (variante: dans la prison) et …
Prophétie - page 7

(2) Le roi provoquera le mécontentement de son pays, le roi d'Ur ne réussira pas
ses entreprises, le roi de Babylone sera assassiné. Le pays tout entier se révoltera
contre le fils du roi qui montera sur le trône et il ne vaincra pas ses ennemis. Un
ennemi assassinera le roi et ses conseillers dans le palais. Les villes seront en
guerre avec les villes, les maisons avec les maisons. Le frère abattra son frère,
l'ami son ami. Les biens du palais s'en iront. Le coffre de la maîtresse de maison
sera ouvert et les gens du pays le pilleront. Le Préposé d'Enlil et le roi seront
passés par les armes. Les sanctuaires des grands dieux seront anéantis. Il y aura
réduction de la population de Nippur par les armes.

(3) Les grands dieux se consulteront tous ensemble et se donneront l'un à l'autre
conseil. Alors, ils remettront le roi à sa place, le butin du Yamutbal7 sera emporté.

(4) Un fils de roi dont le peuple ignorait le nom paraîtra et s'emparera du trône. Le
fils du roi dirigera les temples des dieux. Il y aura un massacre parmi les animaux
de Shakkan8. La puissante arme d'Erra9 occupera le pays mais la population du
pays ainsi que les fils du roi (?) qui ont connu la famine connaîtront le bonheur.
Cette période sera de sept ans. Fin du règne.

(5) Plainte du pays. Chute du roi et de sa famille. L'opinion du pays changera.


Dans le pays tout entier il n'y aura plus que les armes: un trône renversera l'autre.

(6) Les grands dieux se consulteront tous ensemble et le règne du roi sera écourté
(?) … ou bien il y aura plus tard une attaque amorite contre le pays; destruction
des sanctuaires, destruction du roi; destruction du pays et de sa population.
Ce présage concerne Eshnunna10. Eshnunna sera habitée … Le coeur du pays
sera content. Destruction de l'Élam et de sa population …
Il y aura … dans Éridu, Ur, Uruk et Adab.

(7) Si un météore passe depuis le haut du ciel vers l'horizon … et brille très fort, et
qu'au même moment le tonnerre gronde, toute la journée … on ne pourra plus voir
… pour Enlil.
Ce présage concerne l'Élam. L'Élam sera dévasté, ses sanctuaires seront détruits.
Les offrandes aux dieux seront interrompues … Le marché s'effondrera, le pays
aura un autre maître. son … sera aperçu le 20ème jour du 9ème mois.
(lacune)

(8) Si une étoile brille toute la journée …

(9) Si une grande étoile qui est comme une torche … Son apparence est sombre
… Une étoile non répertoriée … Une grande famine sévira dans le pays et la mère
fermera la porte à sa fille …

(10) Enlil ramènera le bonheur dans le pays et les silos vides seront à nouveau
remplis. Les gens qui ont connu la famine seront comblés de nourriture …

(11) Si l'Étoile du Poisson s'approche de Jupiter …

(12) Si Vénus pénètre dans la Lune et que la garde de nuit prend fin, cris (?),
trouble, confusion et malheur surgiront dans le pays. Les gens vendront leurs
enfants pour de l'argent … Le roi d'Élam sera assiégé dans son palais …
Destruction de l'Élam et de sa population … Absence de grain et de paille … les
gens, les boeufs et les moutons …

(13) Si l'Étoile du Poisson s'approche de l'étoile …, un roi puissant … (reste


lacuneux)
7 Une région de Haute Mésopotamie.
8 Divinité du bétail.
9 Le dieu de la peste.
10 Une ville importante à l'est du Tigre dans la région de la Diyala.
Prophétie - page 8

(tablette suivante:) Si l'Étoile du Loup s'approche de l'Étoile du Démon-à-la-


Gueule-Ouverte.
Copié d'après un original ancien de Nippur.

Après l'introduction mythologique annoncée par un phénomène astronomique (une


comète ?), le texte décrit le désastre qui frappe le pays en des termes très généraux qui
rappellent les apodoses des textes de présages courants. Aucun élément précis n'est évoqué
qui permette de relier la prédiction à un événement précis. Ur, Nippur et Babylone sont citées
sans détail. Il se pourrait d'ailleurs que l'auteur cherche à rester dans le domaine mythique,
puisque la section suivante (3) annonce le redressement de la situation suite à une décision
divine. La section (4) rappelle le texte A (3) qui, selon Hallo, évoquait Adad-apla-iddina. Mais
les termes sont vagues et le chiffre de sept ans de prospérité est certainement de nature
magique.
La section (5) n'est qu'une suite d'apodoses divinatoires courantes, sans lien syntaxique
entre elles. Même situation en (6) où, après décision divine, le pays est détruit. La mention de
la ville d'Eshnunna (détruite à l'époque paléo-babylonienne !), de l'Élam et d'autres cités du sud
mésopotamien vient donner comme un semblant de réalisme à cette suite de prophéties
traditionnelles.
En (7), un autre phénomène atmosphérique, un météore, annonce la dévastation de
l'Élam et une crise économique. Il faut remarquer l'apparition d'une date précise (le 20ème jour
du 9ème mois), mais d'autres exemples sont attestés dans les présages astrologiques (par
exemple, «pendant la troisième année, le 10 du 3ème mois, l'ennemi prendra la porte
d'Akkad∞). La suite du texte reste tout aussi vague, avec de ci de là des topoi bien connus du
genre littéraire prophétique («la mère fermera la porte à sa fille∞, «les gens qui ont connu la
famine seront comblés∞ …).
Le Texte B se situe donc nettement dans la tradition des présages astrologiques par
l'enoncé très vague et très général des prédictions qu'il contient. Cependant, ces textes
divinatoires ne présentent pas normalement des apodoses aussi longues que celles du Texte
B. On peut donc se demander si notre texte ne se situe pas à la charnière entre les deux
genres. Il illustre peut-être le cheminement qui a mené les auteurs depuis les listes de
présages jusqu'à l'élaboration prophétique.

Il existe un autre fragment (LBAT 1543), très proche par le style du Texte B, mais dont
l'état de conservation est tel que son appartenance au genre prophétique a été un moment
mise en doute. Il se distingue néanmoins par le fait qu'il paraît donner aux règnes des
longueurs précises. Plusieurs rois sont attestés dans ce fragment et certaines caractéristiques
sont intéressantes, notamment l'annonce de la mort d'un roi par une piqûre de scorpion.

Les deux derniers documents appartenant au genre prophétique proprement dit font
partie d'une même série et se suivaient l'un l'autre, comme l'indique le colophon du premier. Ils
sont nettement distincts des précédents par le fait que le prophète s'y exprime à la première
personne et qu'il s'agit, dans le premier cas, du dieu Marduk et dans le second, du roi divinisé
Shulgi. Ils suivent tous deux un plan analogue en commençant par une section «historique∞ où
ils décrivent les «événements∞ de leur propre règne, avant de passer à la prophétie
proprement dite et à l'annonce du futur.

Le premier d'entre eux, la Prophétie de Marduk, a été reconstitué de manière


magistrale par R. Borger grâce à de nombreux fragments publiés et inédits provenant de la
Bibliothèque d'Assurbanipal. On en connaît néanmoins deux autres exemplaires, dont un
provient de la ville d'Assur. Le texte en est assez long et relativement bien conservé. À la
différence des précédents, la Prophétie de Marduk n'annonce qu'un seul souverain,
probablement Nabuchodonosor I (1126-1105), 4ème roi de la 2ème Dynastie d'Isin. Ce roi était
particulièrement célèbre dans l'historiographie babylonienne, notamment grâce à sa victoire sur
l'Élam et le fait qu'il en avait ramené la statue du dieu Marduk enlevée lors de la chute de la
dynastie kassite. On situe également sous son règne un changement théologique majeur en
faveur du dieu Marduk, de même que de nombreuses rénovations dans les diverses villes du
pays d'Akkad. Si Borger a raison de dater ce texte du 12ème siècle, il serait alors le plus ancien
dans le groupes des documents prophétiques.

(1) Haharnum, Hayashum, Anum, Enlil, Nudimmud, Éa, Muati, Nabû, apprenez
mes secrets (?). Après avoir ceint ma taille, je prononcerai mes paroles !
Prophétie - page 9

(2) Je suis Marduk, le grand seigneur, le guetteur(?), le surveillant, qui parcourt les
montagnes, celui qui guette (?), qui surveille, qui piétine les pays, celui qui
parcourt tous les pays d'est en ouest, c'est moi !

(3) Je donnai ordre et j'allai au pays de Hatti. Je mis les Hittites à l'épreuve.
J'installai là le trône de ma toute-puissance. Je séjournai là 24 ans et je traçai les
routes des gens de Babylone. Ses (= du Hatti) (…), ses biens et ses richesses
prirent la direction (?) de Sippar, de Nippur et de Babylone.

(4) Un roi de Babylone parut et prit [ma main (?)11] … Les larges rues de Babylone
étaient sûres, la tiare de ma toute-puissance et la statue … l'eau et la pluie … 3
jours … la tiare de ma toute-puissance et la statue … sur mon corps …

(5) Je rentrai à Babylone et je dis: «Apportez-moi vos tributs, ô pays, à Babylone


même … !∞

(Marduk se rend à Assur/Baltil)

(6) Baltil (= Assur) était bien … le temple de Baltil … Je fis resplendir ses temples
comme des pierres précieuses. Les … étaient abondants … Chaque jour, chaque
mois, chaque année, je le12 bénissais. Je ceignis la taille du peuple d'Enlil avec lui
et je le dotai d'ailes comme les oiseaux. Il combla tous les pays. Les … furent
abondants et je bénis l'Assyrie. Je lui offris [la tablette (?)] des destins et lui donnai
mon ferme assentiment.

(7) Je rentrai à Babylone et je dis: «Apportez-moi vos tributs, ô pays, à Babylone


même … !∞

(8) Je suis Marduk, le grand seigneur, le maître des destins et des décisions, c'est
moi ! Qui donc a accompli un tel voyage ? Je suis revenu de l'endroit où j'étais
allé.

(9) Je donnai ordre et j'allai au pays d'Élam: tous les dieux y allèrent. Moi-même,
j'en donnai l'ordre. Moi-même, je partageai les offrandes des temples. Je fis
monter aux cieux Shakkan13 et Nisaba14, Siris15 rendit malade le coeur du pays: les
cadavres des gens bloquaient les portes, le frère dévorait son frère, l'ami, de son
arme, abattait son ami, les riches portaient la main sur les pauvres, les entraves
paralysaient le pays, des rois (incapables ?) amoindrissaient le pays, les lions
interdisaient tout voyage, les chiens (étaient enragés ?) et mordaient les gens:
ceux qu'ils mordaient ne guérissaient pas et mouraient.

(10) Les jours et les années se multiplièrent. Mon esprit se tourna (?) vers ma ville
de Babylone et le temple de l'Ésagil16. Moi-même, j'appelai toutes les déesses.
J'ordonnai: «Apportez-moi vos tributs, ô pays, à Babylone même … !∞

(11) Un roi se lèvera dans Babylone, il rénovera les temples … et l'Ésagil. Il


dessinera dans le temple de l'Ésagil les plans du ciel et de la terre. Il doublera les
crues et fixera les privilèges de ma ville de Babylone. Il prendra ma main et me
fera entrer pour l'éternité dans ma ville de Babylone et dans le temple de l'Ésagil. Il
rénovera la barque Matusha, couvrira de métal (?) ses rames et décorera d'or ses
flancs. Les marins y monteront pour le diriger et se tourneront à droite et à gauche.
Le roi, comme l'étoile (?) du temple de l'Ésagil, …

11 L'expression «prendre la main de Marduk/Bêl∞ fait référence à l'une des cérémonies les plus
importantes de la Fête du Nouvel An babylonien.
12 Un roi d'Assur ?
13 Le dieu du bétail.
14 La déesse du grain.
15 Le dieu de la bière.
16 Nom du grand temple de Marduk à Babylone.
Prophétie - page 10

Pour l'éternité … [Il rénovera] la barque Madahhedu, [couvrira de métal (?)] ses
rames et [décorera d'or] ses flancs. Les marins y [monteront pour le diriger]. Nabû,
le fils … Ce prince, [les dieux le regarderont avec faveur (?)] …

(Un duplicat provenant d'Assur permet de combler en partie une lacune du texte
principal:)

Ce prince, les dieux le regarderont avec faveur et les jours de son règne
seront longs.

Il fera resplendir le temple Egißnugal17 comme une pierre précieuse. Le


temple de Ningal, le temple de Sîn, ainsi que son argent, ses biens, ses
possessions, à la porte de … Avec Sîn … de l'Egißnugal… Le pays sera
unifié … Ce prince sera puissant et n'aura aucun rival.

Il restaurera la ville, rassemblera les gens éparpillés. Il fera resplendir le


temple Egalmah et les autres temples comme une pierre précieuse. Il fera
revenir Ningal, Gula, Kurnunîtum de la ville de Hariddi, ces déesses ainsi
que les temples, dans leurs séjours joyeux. Ce prince nourrira son pays de
pâtures abondantes, ses jours seront longs.

… Il fera resplendir les temples comme une pierre précieuse et fera revenir
tous leurs dieux. Il rassemblera le pays éparpillé et en assurera les
fondations. Les portes du ciel seront constamment ouvertes (?) …

Ningirsu18 régnera et les rivières donneront du poisson, les champs seront fertiles,
les pâturages d'hiver tiendront jusqu'à la moisson et la moisson jusqu'à l'hiver. La
moisson du pays sera bonne et le marché florissant. Le mal sera aboli, les
agitateurs seront purifiés, les méchants éclairés. Les nuages s'ouvriront. Le frère
aimera son frère, le fils révèrera son père comme un dieu, la mère … sa fille,
l'épouse sera voilée et révèrera son époux, l'amour régnera parmi les gens, le
jeune homme aura un revenu stable (?).
Ce prince régnera sur tous les pays.

(12) Alors moi-même, ainsi que tous les dieux, je serai en paix avec lui. Il détruira
l'Élam, dont les villes seront anéanties, il démolira (?) ses forteresses. Il fera se
lever le Grand Roi de Dêr19 de là où il n'avait pas le droit de s'asseoir. Il changera
l'état dévasté (de son pays) et en rendra sacré (?) l'état désacralisé. Il prendra sa
(= le roi de Babylone) main et le fera entrer pour l'éternité dans la ville de Dêr et
dans le temple Dimgal-kalama.

(lacune) … Chaque mois, chaque jour et chaque année je le bénirai.

Colophon: Copié et collationné d'après un polyptique provenant de Babylone.


Palais d'Assurbanipal, roi de l'Univers, roi d'Assyrie.

La Prophétie de Marduk est un texte difficile et la répartition en épisodes proposée ici est
sujette à révision. Il débute par une invocation aux dieux, dont les deux premiers, Haharnum et
Hayashum sont quasiment inconnus. Marduk passe ensuite à son autobiographie. Il semble
bien que les trois voyages du dieu soient à interpréter comme les trois moments de l'histoire où
la statue de Marduk a été enlevée du temple de Babylone par des envahisseurs: 1) le Hatti,
pays des Hittites, dont le roi Mursil I conquit Babylone vers 1595; 2) l'Assyrie, avec la prise de
la ville par Tukulti-Ninurta I (1244-1208); 3) l'Élam, lors de la chute de la dynaste kassite vers
1160. Dans les trois cas, la disparition de la statue est décrite comme un voyage du dieu,
entrepris de sa propre initiative. Le dieu Marduk n'est pas enlevé par l'envahisseur, mais quitte
Babylone de son propre chef. On se souvient de la manière analogue dont Nabonide se sert,
dans ses inscriptions, pour décrire le sac de Babylone par les Assyriens sous Sennachérib:

17 Temple du dieu-lune Sîn à Ur.


18 Ancienne divinité tutélaire de la ville de Lagash à l'époque présargonique. Ningirsu fut assimilé plus
tard à Ninurta, dieu de la guerre. Ici apparemment dans le rôle d'un dieu de l'agriculture.
19 Ville importante à proximité de l'actuelle Badra, non loin de la frontière iranienne.
Prophétie - page 11

Marduk a abandonné les Babyloniens en raison de leurs crimes et s'est servi des Assyriens
pour punir sa propre cité. L'envahisseur est présenté comme le moyen que le dieu utilise pour
accomplir sa volonté. Dans notre texte, Marduk bénit à chaque fois sa patrie d'adoption. Il y
apporte la prospérité puis décide de rentrer chez lui. Chaque voyage se termine par l'injonction
faite aux pays étrangers d'apporter leur tribut à Babylone. Le troisième voyage (9), en direction
de l'Élam, reçoit un traitement particulier. De nombreux topoi littéraires sont utilisés pour décrire
la dévastation de l'Élam. Certains d'entre eux se retrouvent dans les autres textes
prophétiques. De plus, Marduk ne bénit pas l'Élam, ennemi acharné de la Babylonie au cours
de la 2ème Dynastie d'Isin.
C'est à ce moment que Marduk quitte le récit au passé pour entrer dans le domaine de la
(pseudo-) prédiction. Il annonce (11) la venue d'un roi qui rénovera Babylone et lui rendra sa
grandeur. Il rétablira les cultes, établira les privilèges et restaurera les barques processionnelles
de la Fête du Nouvel An. Le duplicat d'Assur annonce également des travaux de restauration
dans la ville d'Ur, siège du dieu-Lune, et le retour dans leurs sanctuaires des déesses de
l'entourage de Sîn. D'un ton inspiré, en faisant appel au nom d'un dieu archaïque, Marduk
annonce la venue d'une sorte d'âge d'or. Les termes, là aussi, rappellent d'autres prophéties.
La fin du texte (12) est à nouveau à la première personne. Marduk lui-même anéantira
l'Élam et fera entrer le roi de Babylone dans la ville de Dêr dont il aura au préalable chassé le
souverain. La ville de Dêr, au nord du Tigre, près de l'actuelle frontière iranienne, était sous
l'obédience élamite. Marduk procure ainsi à Babylone la clef stratégique qui permet de couper
la route à l'envahisseur venu d'Élam.
Si Borger a raison de dater notre texte de l'époque de Nabuchodonosor I, nous pouvons
y voir la justification, sur un plan mythique, du coup d'arrêt donné par ce dernier à la puissance
élamite. Les péripéties de cette campagne militaire nous sont connues par le récit qu'en a
laissé un commandant de char et nous y voyons que l'armée babylonienne a occupé Dêr avant
de vaincre le roi élamite Hutelutush-Inshushinak. L'impact de cette victoire a dû être fameux et
entraîner un renouveau particulièrement brillant des affaires babyloniennes. Sur le plan
théologique, l'élévation du dieu Marduk à la tête du panthéon babylonien et la mise en avant de
son fils Nabû ont été, à cette époque, l'objet des travaux des intellectuels et des prêtres. Il est
fort possible, en effet, que le très fameux Mythe de la Création, Enûma Elish, qui entérine
définitivement la toute-puissance de Marduk, date de cette époque.
Le colophon nous apprend que ce texte fut copié, à destination de la Bibliothèque de
Ninive, d'après un original babylonien. Il donne aussi, selon l'usage, le début du texte suivant
dans la série: «Je suis Shulgi∞, ce qui établit de manière sûre l'existence d'une compilation
d'au moins deux textes prophétiques de ce type. La fin de la Prophétie de Shulgi étant perdue,
nous ignorons si cette série comportait d'autres textes du même genre.

La Prophétie de Shulgi présente une structure analogue à celle de Marduk. La


différence, et elle est de taille, est que son «auteur∞ est le roi Shulgi, deuxième roi de la 3ème
Dynastie d'Ur, qui régna de 2093 à 2046. Son nom est ici écrit avec le déterminatif des noms
divins, il est donc divinisé, fait particulièrement rare dans la tradition mésopotamienne. Le texte
est assez fragmentaire et la fin est perdue.

(1) Je suis fiulgi, l'aimé d'Enlil et de Ninlil. Comme le héros Shamash m'avait
appelé, Ishtar, ma Reine, m'a envoyé la révélation. … Tout ce qui est issu de la
bouche des grands dieux, mon père (?) l'a entendu … Que la ville d'Ur chante (?),
que Larsa … De ses toits descendent … des toits de la grand-porte … les aurochs
et les onagres … (longue lacune)

(2) Je gouvernai les Quatre Régions, d'est en ouest, moi-même ! Je fondai Nippur-
Duranki.
ˆ dieux, écoutez ma parole ! Grâce à mes propres pluies, j'ai construit ce rempart
et je l'ai assuré.

(3) Enlil me parla: «Construis … !∞


Enlil me parla et je détruisis …
Enlil me parla: «Livre bataille !∞
Enlil me parla et je détruisis … Parmi son clan (?), je … sur l'Univers.
Ninlil me parla: «Range en ligne de bataille (?) le dieu Humba !

(4) Babylone … les citoyens de Nippur et de Babylone. Ce … ne peut se dresser.


Il/Je lui … Je lui donnerai (?) un règne … l'Univers … Comme il a négligé les
Prophétie - page 12

citoyens de Nippur et de Babylone, ne leur a pas accordé une remise de dettes, ce


prince connaîtra sans cesse le malheur. Ses pays seront donnés tous ensemble
au roi de Babylone et de Nippur.

(5) Quelque roi qui se lèvera après moi … l'Élam sera balayé tout entier vers l'est.
Les Hittites … Babylone …

(6) Dans les environs de Babylone, le constructeur de ce palais sera inquiet, ce


prince connaîtra l'amertume et son coeur ne sera pas en paix. Pendant son règne,
guerre et bataille ne connaîtront pas de fin. Pendant ce règne, le frère dévorera le
frère, les gens vendront leurs enfants pour de l'argent, les pays seront balayés
tous ensemble, le jeune homme abandonnera la jeune fille et la jeune fille
abandonnera le jeune homme, la mère fermera la porte à sa fille, les biens de
Babylone s'en iront au Subartu et en Assyrie, le roi de Babylone livrera (?) les
biens de son palais et ses possessions au prince d'Assur, en Assyrie …

(7) … l'ami abattra son ami de son arme, le compagnon fera disparaître son
compagnon de son arme, le pays tout entier sera anéanti, les grands seront
amoindris (?), Nippur sera abandonnée. Ce prince élèvera la tête. La ville qui se
trouve au bord du Tigre et de l'Euphrate … Sur l'ordre d'Enlil, le règne du roi de
Babylone se terminera. …

(8) Quelqu'un se lèvera (?) … Girsu et Lagash seront restaurées et les sanctuaires
des dieux seront reconstruits. Il établira des offrandes pour les grands dieux. Il
remettra à leur place les … et les lieux de culte. Les sanctuaires de Nippur …

L'introduction nous informe que Shulgi a reçu la révélation de la déesse Ishtar, sur l'ordre
du dieu-Soleil Shamash. Le roi divinisé s'adresse également aux dieux (2), comme le faisait
Marduk dans le texte précédent. Grâce aux ordres d'Enlil, Shulgi a été heureux au combat (3).
Avec la section (4), il semble, bien que le texte soit fort lacuneux, que l'on se situe dans le
domaine de la pseudo-prophétie, avec le règne d'un roi injuste. Le passage suivant, qui cite les
Hittites, pourrait faire référence à la prise de Babylone par Mursil I vers 1595. Même ton dans la
section (6), mieux conservée, où il s'agit d'un roi de Babylone qui ne connaîtra que guerres et
malheurs et dont les biens seront pillés par le roi d'Assyrie. Borger y voit le roi Kashtiliash qui
fut vaincu par Tukulti-Ninurta I (1244-1208). On remarquera les nombreux thèmes du
désespoir, présents dans plusieurs autres prophéties. La section suivante reste dans le même
registre, avec l'annonce de désastres supplémentaires et de la destruction de Nippur.
C'est sans doute en (8), malheureusement peu de lignes avant l'interruption du texte, que
débute la «vraie∞ prophétie ou l'évocation du roi régnant au moment de la rédaction. Il y est
question de la restauration de Girsu et de Lagash, deux agglomérations fort anciennes qui
composaient l'état de Lagash, ainsi que de la rénovation de Nippur. On dispose ici de trop peu
d'éléments pour tenter une identification, bien que le fait qu'on retrouve ce texte à la suite de la
Prophétie de Marduk pourrait laisser supposer qu'il fut rédigé à une époque comparable,
quelque part entre la fin de l'époque kassite (milieu du 12ème siècle) et le règne de
Nabuchodonosor I (1126-1105).

On peut constater, grâce à ce bref aperçu, que les textes dits «prophétiques∞ présentent
une large diversité d'approches. On y trouve des écrits rédigés à la première personne et
censés émaner d'êtres surnaturels. D'autres sont plus proches du style sec et dépouillé des
grandes listes de présages, surtout astrologiques. Ils se répartissent chronologiquement entre
l'extrême fin du 2ème millénaire et l'époque séleucide. Certes, des prophéties comme celles de
Marduk et de Shulgi laissent entrevoir des motivations plus laudatives que prophétiques et
cherchaient probablement à mettre l'accent sur les hauts faits du souverain régnant, en les
présentant comme s'ils avaient été «annoncés∞ par les dieux eux-mêmes. Ce type d'approche
n'est pas sans rappeler la phraséologie des annales assyriennes. C'est là un thème que l'on
trouve déjà présent dans les inscriptions royales présargoniques, où l'on peut lire que le roi a
été choisi par le dieu principal et amené ainsi aux plus hautes fonctions.
Les autres prophéties, particulièrement celle d'Uruk et la Prophétie Dynastique, ont dû
naître d'une volonté d'affirmer la tradition et la culture babyloniennes face à la pression de
l'extérieur. Elles touchent ainsi au genre de l'apocalypse, en annonçant une ère nouvelle,
meilleure, au cours de laquelle les soucis du temps présent auront disparu.
Prophétie - page 13

B. Les textes oraculaires

Avec les textes oraculaires, nous pénétrons dans un domaine fort différent. Certes, tout
comme les textes prophétiques, ils sont l'expression d'une culture écrite, mais on peut
supposer qu'à la source de nos textes se trouve cette fois une expression orale. En partie tout
au moins. Les textes oraculaires sont exclusivement assyriens et tous nos documents datent
de la période des Sargonides (721-), essentiellement des règnes d'Assarhaddon (680-669) et
d'Assurbanipal (669-627). Cette période est bien connue grâce d'une part à l'imposante masse
de renseignements contenus dans les annales et d'autre part à la très abondante
correspondance retrouvée dans le palais d'Assurbanipal à Ninive. Cependant, les annales et la
correspondance sont relativement peu bavards en ce qui concerne notre sujet et les recueils
d'oracles eux-mêmes ne donnent que peu sinon pas de détails sur les circonstances dans
lesquelles les prophètes ou les voyants se sont exprimés.
Les Sargonides sont connus pour avoir fait appel très largement à la divination. Il faut
sans doute se garder de trop considérer cela comme une caractéristique de leur époque, ou de
leur mentalité propre. Il s'agit simplement du hasard de nos sources. Comme c'est le cas pour
Mari au 2ème millénaire, la lumière apportée par une aussi vaste correspondance peut parfois
être quelque peu aveuglante. Il est donc probable que les mêmes pratiques avaient lieu à la
cour des prédécesseurs des Sargonides.
Comme je l'ai déjà souligné plus haut, tout phénomène était susceptible d'être interprété
comme un présage. Mais d'autres types de divination avaient cours également, comme la
question oraculaire, surtout adressée au dieu-Soleil, Shamash, et au dieu de l'Orage, Adad. De
nombreux textes reprenant les questions posées aux dieux ont été retrouvés. Le dieu répondait
par l'intermédiaire de l'haruspice qui examinait les entrailles, surtout le foie, d'un mouton
sacrifié.
À titre d'exemple, voici une question oraculaire adressée à Shamash par Assurbanipal
concernant l'envoi d'un messager à Arvad, en Syrie (I. Starr, SAA IV, 89):
ˆ Shamash, grand seigneur, donne-moi une réponse ferme à la question que je te
pose. Assurbanipal, fils d'Assarhaddon, roi d'Assyrie, doit-il envoyer le
commandant Nabû-sharra-usur auprès d'Ikkalû qui habite la ville d'Arvad ? S'il
l'envoie, Ikkalû écoutera-t-il et se conformera-t-il au message qu'Assurbanipal
envoie à Ikkalû par l'intermédiaire de Nabû-sharra-usur ? Ta grande divinité le sait-
elle ? Est-ce dit et confirmé favorablement sur l'ordre de ta grande divinité ? Celui
qui peut voir verra-t-il ? Celui qui peut entendre entendra-t-il ?
Compte non tenu de la présente formulation, qu'elle soit correcte ou fautive, et du
fait que le temps est couvert et qu'il pleut.
Compte non tenu du fait qu'une personne impure a pu toucher le mouton du
sacrifice ou couper la route du mouton du sacrifice.
Compte non tenu du fait qu'un homme impur ou une femme impure a pu approcher
de l'endroit de l'hépatoscopie et le rendre impur.
(…)
Sois présent dans ce bélier. Mets-y une réponse ferme et positive, des aspects
favorables, des signes bons et favorables, sur l'ordre de ta grande divinité, afin que
je les voie. Puisse cette question atteindre ta grande divinité, ô Shamash, grand
seigneur et puisse un oracle y répondre.

Ces questions oraculaires suivent un protocole très strict et concernent tous les aspects
de la vie privée ou publique du roi. Nous avons également conservé plusieurs lettres envoyées
aux rois d'Assyrie et censées avoir été écrites par les dieux eux-mêmes. Ce genre de lettre est
déjà attesté à l'époque paléo-babylonienne, notamment dans les archives de Mari.
On peut citer à titre d'exemple un long texte de l'époque d'Assurbanipal qui relate les
paroles que le dieu Assur adressa au roi suite à la guerre civile qui l'avait opposé à son frère
Shamash-shum-ukîn, roi de Babylone. En effet, selon la volonté de leur père, Assarhaddon,
Assurbanipal avait reçu en héritage le royaume d'Assyrie, tandis que son frère devait faire
office de roi de Babylone. L'arrangement ne dura guère et Assurbanipal dut mener une guerre
difficile avant de l'emporter. Il semble que le texte qui suit (K 2647+ = SAA III, 44) soit une
réponse du dieu à un rapport envoyé par le roi. Le colophon du texte est en partie perdu, mais
on peut lire «Copie des paroles des …∞. Ceci laisse entendre que la réponse divine a pu être
transmise par l'intermédiaire d'un individu, prophète ou voyant, comme c'est le cas des oracles
dont il sera question plus loin.
Prophétie - page 14

Grâce à mon grand secours qui t'a mis en confiance … celui qui rivalisait avec toi
pour le pouvoir. À cause de ces actes méchants que Shamash-shum-ukîn a dirigé
contre toi, j'ai arraché les fondements de son trône royal, j'ai mis fin à son règne et
j'ai ordonné la destruction de tout le pays d'Akkad.
J'ai décrété que ton destin serait de parfaire les sanctuaires des grands dieux, de
rénover …, d'offrir des sacrifices, de révérer ma divinité et [de profiter ainsi ?] d'un
bon règne …
Shamash-shum-ukîn, qui n'a pas respecté mon traité, mais au contraire a commis
un crime à l'encontre du bien que lui avait montré Assurbanipal, l'aimé de mon
coeur, je l'ai emprisonné dans une rude prison et je l'ai entravé … J'ai enchaîné
ses nobles et les ai fait conduire en ta présence.
Je t'ai confié la tâche d'aider les rois, de renverser les ennemis, de repeupler les
sanctuaires, … d'être le juste pasteur du peuple d'Enlil.
Les paroles des dieux de … [avaient annoncé (?)] la fin de sa vie et la destruction
du pays d'Akkad. Shamash-shum-ukîn [négligea ?] la souveraine malédiction que
j'avais jetée sur lui. Il ne prêta pas attention au bon conseil qui aurait pu lui sauver
la vie.
… Il provoqua la colère de tous les dieux … et commit des actes auxquels on ne
peut survivre.
Je prononçai le destin funeste de Shamash-shum-ukîn, qui avait emporté les biens
des dieux …
En raison des ces actes méchants qu'il ne cessait de commettre, les dieux se
mirent en colère contre lui, l'abandonnèrent et partirent à l'étranger.
Sur l'ordre de ma grande divinité, tu conquis leurs villes, tu pillas leur imposant
butin et tu l'emmenas en Assyrie.
Grâce à mon grand secours, tu défis ses guerriers. Tu me livras les survivants. Tu
les mis à mort dans Ninive, ta capitale.
J'ordonnai que marchent devant toi mes armes furieuses, à la conquête des
ennemis.
À l'énoncé de ton nom, que j'ai magnifié, tes troupes volent de victoire en victoire
partout où il y bataille.
Grâce aux prières et aux supplications que tu as adressées à ma grande divinité,
je me tiens à tes côtés et je répands le sang de tes ennemis.
(…)
Je te confiai la tâche de restaurer ces dieux et de pourvoir à l'entretien de leurs
sanctuaires.
Ils l'ont appris dans leur assemblée et, depuis, bénissent sans cesse ta royauté. Ils
ont dit grand bien de toi en ma présence. Les autres ennemis qui ne craindraient
pas ma grande divinité, je les remettrai entre tes mains d'une manière identique.
Tu as fait porter en présence de ma divinité une tablette de grande joie et de paix !

D'autres modes de communication, peut-être plus spontanés, nous sont également


attestés. Comme à Mari, il semble bien qu'à l'époque des Sargonides tout au moins, on ait
connu des voyants ou des extatiques à travers lesquels les dieux pouvaient s'exprimer et se
manifester. Un autre moyen encore est le rêve, où la divinité apparaît et transmet un message
au roi. Le topos du roi à qui les dieux s'adressent pendant son sommeil est bien attesté en
Mésopotamie, depuis Gudéa de Lagash jusqu'à Nabonide. Il ne nous concerne pas directement
ici.

Avant d'aborder les recueils d'oracles qui nous sont parvenus, nous verrons d'abord un
passage des annales d'Assurbanipal et quelques lettres de la même époque qui évoquent, par
leur style ou leur contenu, les prophéties des voyants.

Dans le Cylindre B des Annales d'Assurbanipal, figure le récit de la septième


campagne, en 653, dirigée contre le roi d'Élam Tempt-Humban-Inshushinak, que les Assyriens
appelaient Te'ummân. Alors que la bataille décisive est sur le point de s'engager sur les bords
de la rivière Ulaï (aujourd'hui le Karun), Assurbanipal s'est adressé en prières à la déesse
Ishtar d'Arbèles (aujourd'hui Erbil) et l'a implorée de lui donner la victoire. Les annales
racontent alors (col. V. 46sqq)20:

20 R. Borger, Beiträge zum Inschriftenwerk Assurbanipals, Wiesbaden, 1996, p. 100-101 et 225.


Prophétie - page 15

Ishtar m'entendit: «Ne crains rien !∞, me dit-elle en m'encourageant, «Comme tu


as levé les mains vers moi et que tes yeux se sont emplis de larmes, j'ai eu pitié de
toi∞.
Pendant cette même nuit où je m'étais présenté devant elle, un voyant se coucha
et eut un songe. Il se réveilla en sursaut et Ishtar lui fit voir une vision nocturne. Il
vint me la raconter: «La déesse Ishtar qui séjourne à Arbèles entra, portant à
gauche et à droite des carquois. Elle tenait un arc dans la main et brandissait un
glaive aiguisé prêt au combat. Tu te tenais devant elle, et elle, comme une vraie
mère, s'adressait à toi. Ishtar t'appela, la plus éminente des déesses, pour te
donner les instructions suivantes: «Regarde-moi faire la guerre, car là où tu veux
aller, moi-même je m'élance !∞. Toi, tu lui dis: «Où tu iras, je veux aller avec toi, ô
Reine des déesses !∞ Elle te répéta alors: «Reste là où tu es maintenant, dans la
demeure de Nabû. Mange, bois du vin, fais une fête, révère ma divinité, pendant
que je vais accomplir cette tâche et te faire obtenir ce que souhaite ton coeur. Ton
visage ne doit pas pâlir, ni tes jambes trembler, tu ne devras pas essuyer ta sueur
au milieu du combat∞. Elle te tint doucement dans ses bras (comme un enfant) en
protégeant tous tes membres. Son visage s'éclaira comme une flamme et, pour
vaincre l'ennemi, elle sortit en colère contre Te'ummân, le roi d'Élam.

On peut noter dans ce passage l'utilisation de la formule «Ne crains rien !∞ qui paraît
avoir été caractéristique du message oraculaire. On y retrouve également le thème de la
déesse maternelle et protectrice qui va au combat à la place du roi, dépeint comme un enfant.
Les lettres ne contiennent pas toujours une description aussi complète des événements
et les oracles qu'elles relatent sont parfois obscurs. La lettre suivante fut envoyée au roi le 16
mai 669 par trois éminents personnages de la cour: le Chef-Scribe et Grand Conseiller, le Chef
des Exorcistes et l'exorciste personnel d'Assarhaddon. Elle concerne le retour à Babylone de la
statue de Marduk que Sennachérib avait «déportée∞ en Assyrie lors du sac de la ville (K 527)
21
:

Au roi, notre seigneur, tes serviteurs Ishtar-shumu-êresh, Adad-shuma-usur et


Marduk-shâkin-shumi. Salutation au roi, notre seigneur. Que Nabû et Marduk
bénissent le roi, notre seigneur.
Le 16 mai, le dieu Bêl ainsi que les dieux qui l'accompagnent se trouvait dans la
ville de Labbanat22. Tout va très bien.
Bêl-erîba et Nergal-shallim, serviteurs de la maison du prince héritier qui
dépendent du gouverneur de la ville de Shamash-nâser23, se tenaient auprès d'un
puissant étalon harnaché à la mode du pays de Kush, prêts à entrer dans la ville
de Labbanat. Nergal-shallim prit le pied de Bêl-erîba et l'aida à monter sur le
cheval. Voyant cela, on se saisit de lui et on l'arrêta. Il dit alors: «Bêl et Sarpanîtu 24
m'ont envoyé, Babylone sera directement le butin de Kurigalzu∞.
[Untel] déclare: ∞ Moi, je sais ! Ce sont des pillards qui attendent dans la ville de
Dûr-Kurigalzu25 !∞
Que dit le roi de tout cela ?

Le contexte est donc celui d'une expédition destinée à ramener la statue de Marduk à
Babylone, à l'extrême fin du règne d'Assarhaddon (celui mourra en novembre de la même
année). L'étalon harnaché à la mode kushite devait vraisemblablement être attelé au char du
dieu. L'affaire est obscure, mais il semble bien que le geste des deux serviteurs du prince
héritier fut interprété par les autres membres de l'expédition comme un sacrilège. L'auteur des
faits déclare avoir été mandé par le couple divin lui-même et se met à vaticiner. Ses paroles
sont interprétées par un individu dont le nom est perdu comme l'annonce d'une attaque contre
le convoi. L'expédition a dû être annulée suite à cet événement, puisque nous savons que la
statue regagnera Babylone l'année suivante, après l'accession d'Assurbanipal.

21 Publiée dans Parpola S., Letters from Assyrian and Babylonian Scholars, State Archives of Assyria X,
1993, n°24.
22 Une ville ou une forteresse à la frontière entre la Babylonie et l'Assyrie, probablement dans les environs
de Bagdad.
23 Dans la région de la Diyala.
24 La parèdre du dieu Bêl/Marduk.
25 Site actuel de la célèbre ziggurat d'Aqarquf, non loin de Bagdad.
Prophétie - page 16

La lettre suivante fut envoyée par le Chef-Exorciste à Assurbanipal en 667 (K 2701a) 26:

Au roi, maître des rois, mon seigneur, (et) à Assur, Enlil des dieux, qui de sa parole
pure et inaltérable … a décrété mille ans de vie pour le roi, mon seigneur, de la
part de ton serviteur Marduk-shuma-uΩur.
Que Sîn et Shamash veillent à la bonne santé du roi, mon seigneur. Que Nabû et
Marduk procurent gloire et descendance au roi, mon seigneur. Que la Dame de
Ninive et Ishtar d'Arbèles te guident comme une mère et une soeur.
Assur, dans un rêve, s'est adressé au grand-père du roi, mon seigneur, le sage —
le roi, maître des rois, est lui-même l'héritier d'un sage et d'Adapa: tu as surpassé
la sagesse de l'Apsû27 et l'ensemble des sciences. Lorsque le père du roi, mon
seigneur, est allé en Égypte, on construisit un temple de cèdre aux abords de la
ville de Harrân. Sîn y est appuyé sur l'emblème du sceptre, il porte deux
couronnes sur la tête et Nusku se tient devant lui. Comme le père du roi, mon
seigneur, y était entré et qu'il avait placé [la couronne ?] sur sa tête, (il lui fut dit):
«Tu iras conquérir le monde avec elle∞. Il s'en alla alors et conquit l'Égypte. Le roi,
maître des rois, conquerra le reste des contrées qui ne se sont pas soumises à
Assur et à Sîn. Qu'Assur, Sîn, Shamash, Adad, Bêl et Nabû, Ninurta, Nergal et
Nusku, Ishtar de Ninive et Ishtar d'Arbèles, donnent [au roi, maître des rois,] un
règne éternel …

Malgré la lacune qui nous prive de la fin de la lettre, il y est fait référence à un oracle
proféré par le dieu Nusku à Assarhaddon dans le temple de Sîn à Harrân. La mention de
l'apparition du dieu Assur à Sennachérib, le grand-père d'Assurbanipal, n'est pas claire. Peut-
être était-il question dans ce songe de la construction du temple de Sîn ? Quoi qu'il en soit,
lorsqu'Assarhaddon passa par Harrân, il semble que, frappé par le fait que la statue divine
portait deux couronnes, il en plaça une sur sa propre tête. Sîn lui annonça alors le succès de
son expédition en Égypte.

Enfin, pour en terminer avec les lettres, en voici une qui fut adressée au roi par le Chef-
Exorciste en second, Nabû-nâdin-shumi. Il y cite un oracle d'Ishtar dont le style est très proche
des compilations que nous aborderons ensuite. Cette missive daterait de 670, en l'an 11
d'Assarhaddon. Le début en est perdu, à part l'adresse (K 1033) 28:

… S'il (un personnage dont le nom est perdu) est devenu désagréable, que le
beau visage du roi, mon seigneur, se détourne de lui ! En effet, c'est conforme à ce
qu'ont dit Ishtar de Ninive et Ishtar d'Arbèles: «Ceux qui ne sont pas loyaux envers
le roi, notre seigneur, nous les extirperons de l'Assyrie !∞. C'est vrai, il faut qu'il soit
exirpé d'Assyrie !
Puissent Assur, Shamash, Bêl et Nabû se préoccuper de la bonne santé du roi,
mon seigneur !

Le fait que le message divin contienne la formule «notre seigneur∞ laisse entendre qu'il
fut proféré par les prophétesses des deux Ishtar principales du royaume.

La bibliothèque d'Assurbanipal contenait une douzaine de tablettes rassemblant un


nombre variable d'oracles. Certains documents n'en contiennent qu'un seul, les autres
représentent des compilations. La plupart d'entre eux émanent des deux Ishtar d'Arbèles et de
Ninive, sont émis par des prêtresses (prophétesses) et adressés au roi. Ils remontent tous aux
règnes d'Assarhaddon et d'Assurbanipal. Cette situation n'a rien d'étonnant, comme on l'a déjà
noté plus haut. Il est normal que nous possédions un plus grand nombre de textes datant de la
fin de l'occupation de cette partie du site de Ninive. Ces compilations contiennent jusqu'à une
vingtaine d'oracles de provenances diverses. Le style en est assez uniforme: le dieu ou la
déesse s'adresse au souverain à la première personne et l'assure de son soutien. La plupart du
temps, lorsque la tablette est suffisamment bien conservée, nous pouvons y lire le nom des
prêtresses et le lieu où a eu lieu la prophétie. La longueur des oracles est variable, de quelques
26 Publiée dans Parpola S., Letters from Assyrian and Babylonian Scholars, State Archives of Assyria X,
1993, n°174.
27 L'Abysse, demeure du dieu Ea, dieu de la sagesse et des sciences exorcistiques et médicales.
28 Publiée dans Parpola S., Letters from Assyrian and Babylonian Scholars, State Archives of Assyria X,
1993, n°284.
Prophétie - page 17

phrases à plusieurs dizaines de lignes. Ils sont en général séparés les uns des autres par des
lignes horizontales.
Au point de vue linguistique, ils se distinguent nettement des textes prophétiques par le
fait qu'ils sont rédigés en dialecte assyrien, une langue fort différente de l'akkadien littéraire. Cet
élément nous laisse entendre qu'il s'agissait réellement de la notation, probablement un peu
remaniée, d'un discours en langue vernaculaire. Ces textes, d'une importance capitale pour un
aspect jusque là fort mal connu de la religion assyrienne viennent d'être édités et traduits par
Simo Parpola dans la collections State Archives of Assyria. 29
Il faut regretter que beaucoup de ces textes nous soient parvenus dans un état
fragmentaire. Ne seront repris ci-dessous que quelques passages parmi les mieux conservés.

Le texte qui suit date du règne d'Assarhaddon et contient les paroles d'Ishtar d'Arbèles,
de Marduk et de Nabû, adressées au souverain et à la reine-mère (K.4310 = SAA IX, 1):

(1) Assarhaddon, roi des pays, ne crains rien ! Ce vent qui souffle contre toi, ne lui
ai-je pas coupé les ailes ? Tes ennemis rouleront sous tes pieds comme des
pommes au mois de juin.
Je suis la Grande Reine. Je suis Ishtar d'Arbèles, celle qui renverse tes ennemis
devant toi ! T'ai-je jamais adressé un message auquel tu n'as pas pu faire
confiance ? Je suis Ishtar d'Arbèles. J'écorcherai tes ennemis et je te les livrerai.
Moi, Ishtar d'Arbèles, je marcherai devant toi et derrière toi. Ne crains rien ! Si toi,
tu es paralysé, moi, je me dresserai au milieu de la détresse et je prendrai place à
tes côtés.
De la bouche d'Ishtar-lâ-tashiyat, femme d'Arbèles.

(2) ˆ roi d'Assyrie, ne crains rien ! Je te livrerai les ennemis de l'Assyrie pour qu'ils
soient massacrés. (texte lacunaire)
De la bouche de Sinqisha-amur, femme d'Arbèles.

(3) Je me réjouis d'Assarhaddon, mon roi ! Elle se réjouit, Arbèles !


De la bouche de Rîmute-allate, femme de Darâhûya, forteresse montagneuse.

(4a) Ne crains rien, Assarhaddon ! C'est moi, Bêl, qui te parle. Je veille sur les
poutres de ton coeur. Lorsque ta mère t'a fait venir à l'existence, 60 grands dieux
m'accompagnaient et te protègaient de tous côtés. Sîn était à ta droite, Shamash à
ta gauche. 60 grands dieux se dressaient autour de toi et te langeaient.
(4b) N'aie pas confiance en l'homme ! Lève les yeux vers moi, ne regarde que
moi ! Je suis Ishtar d'Arbèles. J'ai attiré sur toi la faveur d'Assur. Je t'ai choisi
quand tu étais enfant. Ne crains rien ! Révère-moi !
(4c) Quel ennemi t'a jamais attaqué alors que je restais muet ? Le futur sera
comme le passé. Je suis Nabû, seigneur du calame. Révère-moi !
De la bouche de Bayâ, femme d'Arbèles.

(lacune)

(6) Je suis Ishtar d'Arbèles. ˆ Assarhaddon, roi d'Assyrie ! Dans les villes d'Assur,
de Ninive, de Kalah, d'Arbèles, je donnerai à Assarhaddon, mon roi, des jours sans
fin, d'éternelles années ! Je suis ta grande sage-femme. Je suis ta bonne nourrice.
Je suis celle qui, pour des jours sans fin et des années éternelles, assure ton trône
sous le vaste ciel. Je veille sur toi depuis la chambre d'or, au milieu du ciel. Je ferai
briller une lampe d'ambre devant Assarhaddon, roi d'Assyrie. Je veillerai sur lui
comme sur ma propre tiare.
Ne crains rien, ô roi ! Comme je me suis adressé à toi, je ne t'ai pas menti, je t'ai
rendu confiance, je ne te laisserai pas être humilié. Je te ferai traverser le fleuve
sans danger.

29 Parpola S., Assyrian Prophecies, State Archives of Assyria IX, 1997. Noter également le volume de
Martti Nissinen, References to prophecy in Neo-Assyrian Sources, State Archives of Assyria Studies VII,
1998.
Prophétie - page 18

ˆ Assarhaddon, héritier légitime, fils de Mullissu30. J'anéantirai tes ennemis de mes


propres mains avec une mchante dague. ˆ Assarhaddon, roi d'Assyrie, verre rempli
d'herbes alcalines, hache de deux sicles.
ˆ Assarhaddon, dans la ville d'Assur je te donnerai des jours sans fin et des
années éternelles.
ˆ Assarhaddon, dans la ville d'Arbèles je suis ton excellent bouclier.
ˆ Assarhaddon, héritier légitime, fils de Mullissu, je pense à toi sans cesse parce
que je t'aime très fort.
Je te tiens par les boucles de tes cheveux (?) dans les vastes cieux. À ta droite, je
fais brûler de l'encens, à ta gauche, je nourris le feu.

(lacune)

(7) … Les belettes et les rats (?) qui conspirent, je les taillerai en pièces à ses
pieds. Toi, tu 31 est toi. Le roi est le roi.
De la bouche d'Ishtar-bêl-da'ini, femme consacrée par le roi.

(8) Je suis la Reine d'Arbèles. À la reine-mère: Tu m'as implorée en disant: «Celui


qui est à droite, celui qui est à gauche, tu le tiens dans ton sein. Mais où est ma
progéniture ? Tu le fais courir partout dans la steppe !∞ Maintenant, ô roi, ne crains
rien ! La royauté t'appartient. La puissance t'appartient.
De la bouche d'Ahat-abisha, femme d'Arbèles.

(9) La paix soit sur Assarhaddon, roi d'Assyrie. Ishtar d'Arbèles est partie en
campagne. Elle envoie de bonne nouvelle à son rejeton, en ville … (lacune)

(10) Je suis la Dame d'Arbèles. ˆ Assarhaddon, Ishtar d'Arbèles a rempli ton coeur
de faveurs. N'as-tu pas pu t'appuyer sur l'oracle précédent que je t'ai envoyé ?
Maintenant, tu peux t'appuyer sur ce nouvel oracle ! Révère-moi ! Alors que le jour
décline, que l'on tienne des torches devant moi. Révère-moi ¡ Je bannirai la peur
de ton palais. Tu mangeras la meilleure nourriture, tu boiras la meilleure eau. Tu
seras parfaitement bien dans ton palais. Ton fils et le fils de ton fils exerceront la
royauté dans le sein de Ninurta 32.
De la bouche de La-dagil-Ilu, homme d'Arbèles.

La série suivante est organisée de manière légèrement différente (K 2401 = SAA IX, 3):

(texte endommagé)

(2) Je lui livrerai les Cimmériens. Je bouterai le feu au pays d'Ellipi. Assur lui a
donné la totalité des Quatre Régions. De l'Orient à l'Occident, il n'y a aucun roi qui
puisse l'égaler, il brille comme le soleil.
Ceci est l'oracle favorable déposé devant Bêl-Tabasi et les dieux.

(3) Voilà maintenant que ces rebelles ont comploté contre toi, ont pris fait et cause
contre toi et t'ont mis en difficulté. Mais toi, tu as ouvert la bouche: «Écoute-moi,
Assur !∞. Alors moi, j'ai entendu tes plaintes. Je suis apparu comme une aura
brillante à la porte des cieux pour jeter le feu et les dévorer.
Toi tu te tenais parmi eux. Je les ai chassés de devant toi et les ai fait fuir dans les
montagnes. J'ai fait pleuvoir sur eux la grêle et le feu. J'ai massacré tes ennemis et
j'ai rempli les rivières de leur sang: Qu'on le voie, qu'on me révère, parce que je
suis Assur, le seigneur des dieux.
Ceci est l'oracle favorable qui est devant l'Image.
La tablette de l'alliance d'Assur entre en présence du roi sur un coussin. On verse
de l'huile odorante, on fait des sacrifices, on brûle de l'encens et on la lit devant le
roi.

30 L'épouse du dieu Assur, assimilée à l'aspect maternel de la déesse Ishtar. Nom assyrien de Ninlil,
l'épouse d'Enlil. Cette épithète assimile le roi à Nabû, le Dieu-Fils.
31 Le pronom est féminin, l'oracle s'adresse vraisemblablement à la reine-mère.
32 L'aspect guerrier de Nabû, le Dieu-Fils.
Prophétie - page 19

(4) Parole d'Ishtar d'Arbèles à Assarhaddon, roi d'Assyrie:


Approchez, dieux, mes pères et mes frères, vers l'alliance … (lacune)
Elle a rempli un vase d'un litre avec de l'eau fraîche et le leur a donné en disant:
«Vous vous dites en vous-mêmes "Ishtar est fine", vous retournerez dans vos villes
et provinces, vous mangerez votre pain et vous oublierez cette alliance. Mais
lorsque vous boirez de cette eau, vous vous souviendrez de moi et vous garderez
cette alliance que j'ai faite au profit d'Assarhaddon∞.

Les thèmes utilisés dans ces oracles rappellent en partie les prophéties de Mari et
s'écartent assez nettement de ce qu'on peut lire dans les textes prophétiques. Il s'agit, dans la
majorité des cas, de phrases rassurantes. La divinité met l'accent sur son aspect protecteur, sur
la constance de son attention. On retrouve le thème du dieu ou de la déesse qui part au
combat en lieu et place du roi. Les références à des situations réelles et identifiables sont rares,
mais présentes. On relève la mention des Cimmériens et du pays d'Ellipi. Mais il pourrait s'agir
là de termes exemplatifs, vagues et sans lien direct avec un événement politique précis.
Elles sont prononcées en majortié par des femmes ou des eunuques et sont rédigées
dans le dialecte vernaculaire néo-assyrien. Même si l'on a affaire à des compilations, des
recueils, il est vraisemblable que les oracles ont été notés tels que les prophétesses et
prophètes les ont émis.
Il faut également remarquer que dans la prophétie n° 4 de K.4310 ci-dessus, la
prophétesse Bayâ s'exprime par trois phrases successivement issues de la bouche des dieux
Bêl (=Assur/Marduk), Ishtar et Nabû, soit le Père, la Mère et le Fils, et ceci sans aucune rupture
dans l'expression. De telles déclarations, où la même divinité paraît s'exprimer sous trois
aspects différents, laissent entendre qu'il existait, dans les milieux intellectuels de Ninive, un
mouvement hénothéiste centré sur la personne du dieu Assur 33. L'étude des textes
prophétiques assyriens permettra donc peut-être de jeter bientôt une lumière nouvelle et
inattendue sur la religion mésopotamienne du premier millénaire avant notre ère.

La littérature néo-assyrienne est encore relativement mal connue. Ce sont surtout les
grands textes tels que le Mythe de la Création, l'Épopée de Gilgamesh, etc., inlassablement
recopiés, qui nous sont parvenus suffisamment bien conservés pour que nous puissions en
apprécier la teneur. Mais des travaux récents révèlent de nombreux fragments de ce qu'on
pourrait appeler une littérature «ésotérique∞, au contenu souvent obscur. Tous ces éléments,
joints à ce que nous connaissons de la religion mésopotamienne, ont dû être le ferment dans
lequel les auteurs ont puisé pour composer leurs prophéties.

Les textes prophétiques représentent un genre littéraire essentiellement caractéristique


des époques tardives. Comme on l'a souligné plus haut, c'est probablement la situation
politique et culturelle de la fin de la civilisation mésopotamienne qui en a été le facteur
d'inspiration.
Les textes oraculaires sont, jusqu'à présent, limités à l'Assyrie. Ils représentent
certainement une tendance bien différente des prophéties. Rédigés en dialecte assyrien, les
oracles pourraient être une manifestation particulière du sentiment religieux des régions du
nord de la Mésopotamie. Le ton employé est analogue aux oracles que nous lisons dans les
textes de Mari, à l'époque amorite. Mais il est, bien entendu, dangereux de trop déduire d'une
analogie qui pourrait être fortuite, étant donné le long laps de temps qui sépare les deux
époques.
Quant aux analogies qui existent, sans aucun doute, avec la prophétie biblique et, plus
particulièrement, avec les visions du Livre de Daniel, on ne peut que souligner le fait qu'elles se
manifestent dans la même ambiance et illustrent peut-être un même sentiment de malaise
devant un monde en mutation.
À titre d'exemple seulement, je voudrais pour terminer citer ici un extrait d'un texte
assyrien dont le caractère fragmentaire nous empêche d'apprécier la motivation, mais dont le
style se rapproche curieusement des visions de Daniel. Il s'agit de ce que nous appelons
aujourd'hui «la vision du monde infernal∞. D'après les passages les mieux conservés, il s'agit
d'un prince nommé Kummâ qui, au cours d'un rêve, descend aux Enfers. Le dieu Nergal lui

33 Voir, à ce propos, la longue introduction au volume de S. Parpola, Assyrian Prophecies, SAA IX, et, du
même auteur, l'article "Monotheism in Ancient Assyria", dans B. Porter (éd.), One God or Many ?, p. 165-
210.
Prophétie - page 20

reproche d'avoir négligé la déesse des Enfers et de ne pas avoir tenu compte des conseils de
son père, un roi sage et avisé. Seule nous intéresse ici la description que le prince donne des
habitants du monde infernal, qui illustre peut-être une certaine communauté d'expression entre
la prophétie de Daniel et l'ésotérisme mésopotamien 34:

(…) Je vis Namtar, le vizir des Enfers, celui qui crée les signes divinatoires. Un
homme se tenait devant lui, il tenait ses cheveux dans la main gauche et
brandissait une dague de la main droite.
Namtartu, son épouse, avait la tête d'un chérub, ses mains et ses pieds étaient
ceux d'un humain.
La Mort avait la tête d'un dragon, les mains d'un homme, les pied d'un …
Le Démon avait la tête et les mains d'un homme, il portait une couronne et avait
les pieds d'un aigle. De son pied gauche, il piétinait un crocodile (?).
Alluhappu avait une tête de lion, quatre mains et les pieds d'un homme.
Celui-qui-fracasse-la-tête avait une tête d'oiseau, les ailes étendues, il volait de ci
de là. Ses mains et ses pieds étaient ceux d'un humain.
Emporte-vite, le nocher des Enfers, avait la tête d'Anzû35, ses quatre mains et ses
pieds …
Le Fantôme avait une tête de taureau, les membres d'un humain.
Le Mauvais Génie avait la tête d'un lion, les mains et les pieds d'Anzû.
Shulak était un lion, dressé constamment sur les pattes de derrière.
Le Serment avait la tête d'un bouc, les mains et les pieds d'un homme.
Nedu, le portier des Enfers, avait la tête d'un lion, les mains d'un homme, les
pattes d'un oiseau.
(…)
Muhra avait trois pattes, dont les deux antérieures étaient d'un oiseau et celle de
derrière était d'un taureau. Il émanait de lui terreur et aura divine.
De deux dieux dont je ne connais pas les noms, l'un avait la tête, les mains et les
pattes d'Anzû; dans sa main gauche, il … Le second avait une tête d'homme et
portait une couronne. Il tenait dans la main droite une massue, sa main gauche
était tendue (?) devant lui. (…)

Tous ces textes puisent largement dans la tradition intellectuelle et religieuse plusieurs
fois millénaire que les lettrés ont maintenue vivante et enrichie tout au long de l'histoire de la
Mésopotamie. Ils ne représentent qu'une infime partie de la richesse extraordinaire de la
littérature assyro-babylonienne.

Philippe Talon
Université Libre de Bruxelles

Bibliographie sommaire

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