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Dottin G. La langue des anciens Celtes. In: Revue des Études Anciennes. Tome 7, 1905, n°1. pp. 33-64;
doi : https://doi.org/10.3406/rea.1905.1374
https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1905_num_7_1_1374
ι . Sur les langues et les littératures celtiques, voir Revue de synthèse historiaue,
t. III, p. 60-97 i *· VI, P· 3i7-36a ; t. VIII, p. 78-104.
LA LANGUE DES ANCIENS CELTES οη
elles, d'abord, puis la comparaison avec les autres langues
indo-européennes, ensuite, permettra d'établir la présence
ancienne. Ainsi, si l'on compare l'irlandais sèt « chemin »
au breton hent qui a le même sens, on remarque qu'à 1'*
irlandais répond un h en breton, et que ni breton est représenté
en irlandais par t, avec allongement compensatif de la voyelle
précédente. Ces phénomènes ne sont pas propres au seul
mot sèt — hent. On a de même pour s=h : irl. sen «vieux»,
bret. hen; irl. samail «semblable», bret. hével; irl. salann
« sel », gall, halen; irl. sir « long », bret. hir, gall, hir; et pour
i=.nt : cet «cent», gall, cant; irl. dét «dent», gall, dant,
bret. dant. On sera donc fondé à restituer sento- comme la
forme celtique antérieure à sét et à hent. C'est sans doute ce
mot qui a formé la seconde partie de Gabro-sentum, nom d'une
ville de Grande-Bretagne. Les restitutions de ce genre nous
donneront des formes celtiques antérieures même aux plus
anciens exemples que nous puissions recueillir de la langue
des Celtes. On a pu dresser le vocabulaire vieux celtique que
la méthode comparative permet d'établir1. Ce vocabulaire
compte environ 2,25o mots. Outre l'intérêt de curiosité qu'il
présente, il est indispensable pour déterminer l'origine et
l'étymologie des mots qui nous sont donnés comme celtiques
par les écrivains anciens, ou que l'on suppose tels dans les
inscriptions. Mais il ne faut pas dissimuler que ce vocabulaire
est loin de contenir tous les mots du vieux celtique, et qu'on
ne saurait conclure à la non-celticité d'un mot du fait qu'il
ne coïncide avec aucun mot du vocabulaire vieux celtique
restitué. D'autre part, les seules langues celtiques qui aient
persisté jusqu'à nos jours sont les langues des Iles
Britanniques, et elles ne nous fournissent aucun renseignement direct
sur l'état du celtique continental.
Le premier recueil des mots celtiques que l'on peut relever
chez les auteurs de l'Antiquité est dû à Diefenbach, Celtica, I,
Stuttgart, 1839. Mais l'étude du vocabulaire vieux celtique,
d'après la méthode comparative historique, a été faite pour
Les auteurs anciens ne nous ont pas donné le sens des mots
suivants :
gabalus «gibet» (Varron, Sat. Men., p. i65, 24), irl. gabul, bret.
gavl « fourche ».
carpentum « char », mot latin sans doute emprunté aux Gaulois
(cf. Arrien, Tact., 33), en tout cas identique à l'irlandais carpat; cf.
fr. charpente.
carrus « char » (Tite-Live, X, 28, 9), en irlandais et en gallois carr,
français char; on ne peut décider si ce mot n'est pas venu aux langues
celtiques par le latin.
cantus, cercle de fer de la roue (Quintilien, Inst., I, 5, 8), en breton
kant « cercle », gallois cant « bord d'un cercle », prête à la même
observation.
nausum, sorte de navire (Ausone, Epist., XXII, 1), peut être comparé
à l'irlandais nau « navire ».
DO REVUE DES ÉTUDES ANCIENNES
cattus « chat » (Martial, XIII, 69, 1), nom propre gaulois Cattos, en
irlandais cat, gallois cath, breton caz, mais existait aussi dans les
langues romanes et n'est pas nécessairement d'origine celtique.
beber «castor» (Priscien, V, il\), gaélique beabhar, comique befer,
en français bièvre. Cf. Bebriacum* «locus castorum» (Tacite, Hist., II,
aa; Juvénal, II, 106).
para-veredus « cheval de trait» (God. Justinien, XII, 5o, a), conservé
dans les langues romanes, fr. palefroi, prov. palaj re, est un mot hybride,
dont la seconde partie -veredus correspond au gallois go-rwydd « coursier » .
tannare «tanner» (Corpus gloss, lat., II, p. 566, i4) est peut-être
apparenté au breton tann « chêne ».
capanna « cabane » (Isidore, Orig., XV, ia, a) peut être la forme
ancienne du gallois caban « hutte », si ce dernier n'est pas emprunté
au latin.
cumba « locus imus navis » (Isidore, Orig., XIX, a, 1), gall, cwm
«creux», fr. combe.
drungos: drungos hoc est « glpbos »(Végèce, Epit. rei mil., III, 16);
irl. drong « troupe ».
berula «cresson», donné comme latin par Marcellus (De medic.
XXXVI, 5i), répond à l'irlandais birur, bilar; bret. bêler; fr. berle.
D'autres ne sont conservés que par les langues romanes,
et on ne peut donner aucune preuve de leur origine celtique.
alausa « alose » (Ausone, Mos., 137).
tinca « tanche » (Ausone, Mos., ia5).
gamba «jambe » (Végèce, Vet., I, 56).
gunna « robe » (Anthol. lat., 309, 4),v.fr. gonne, d'où le gallois gwn
par l'intermédiaire de l'anglais gown.
A leg nato Drutei urdum Coisis Drutei f frater eius minimus locauit
et statuti.
Ateknati Trutikni karnitu artuas Koisis Trutiknos.
ι . Inscription de Vaison :
Σεγομαρος Ουιλλονεος τοουτιους Ναμαυσατις ειωρου Βηλησαμι σοσιν
νεμητον (C. /. L., XII, ρ. 1 6a).
s'explique sans doute par bis /.»νταύρειον και (Ss) άναλάδης bis
κενταύρειον καταλαγ^ς, et n'offre, en tout cas, aucun mot celtique.
Rien n'autorise à regarder comme celtiques les formules
magiques sur plaques de plomb trouvées en France et étudiées
par M. C. Jullian (Revue celtique, t. XIX, p. 168-176, et Revue
des Études anciennes, t. H, p. 47-55, i36-i4i), car on n'en peut
expliquer aucune partie par les langues celtiques.
Parmi ces mots, les plus intéressants pour nous sont ceux
que l'on peut attribuer au celtique continental. Les seuls mots
celtiques dont l'existence sur le continent puisse être
démontrée sont ceux qui ont persisté à la fois dans les langues
celtiques et dans celles des langues romanes qui sont parlées dans
des pays jadis occupés par les Celtes. Nous nous bornerons ici
à relever les mots qui existent à la fois dans les langues
celtiques et en français et dont une liste dressée avec soin figure
dans le Dictionnaire général de la langue française de Darmsteter,
Hatzfeld et A. Thomas. L'étude des mots français présente une
difficulté particulière parce qu'une langue celtique, le breton,
est encore parlée en France et que le breton a emprunté au
français un grand nombre de mots, tandis que le français
lui-même empruntait quelques mots au breton. Lorsqu'un
mot existe à la fois en français et en breton, il est donc
possible que ce soit un mot d'emprunt dans l'une ou l'autre
langue; la phonétique historique permettra le plus souvent
de résoudre la question. La présence du mot en question
en gallois peut, dans une certaine mesure, démontrer l'origine
celtique; il est toutefois possible que le mot gallois soit un
terme anglo- normand emprunté à l'anglais. L'hypothèse d'un·
tel emprunt sera moins vraisemblable en irlandais. La plus
grande somme de probabilité en faveur de l'origine celtique
sera donc réalisée seulement quand un mot sera conservé à la
fois en gaélique, en brittonique et en français. Voici les prin-
paux mots vieux celtiques que l'accord du français et des
langues celtiques permet de restituer1 :
* barga- : irl. bare «barque » ; fr. barge.
*barica- : fr. berge; en gallois on a bargod = * barieât «bordi).
* bilio- : irl. bile « tronc d'arbre » ; fr. bille.
* branno- : gall, brann; bret. brenn «son» ; fr. bran.
* bris- : irl. brissim ; fr. briser.
* brozdo-: irl. brot «pointe, aiguillon »; bret. broz «jupe»; fr. broder.
* clëta- : irl. cliath ; gall, clwyd «claie», d'où le bas-latin clëta;
fr. claie.
t. Voir un article de H. d'Arbois de Jubain ville, Revue Celtique, t. XVIII, p. 103-107.
LA LANGUE DES ANCIENS CELTES 63
* camino- : n'est conservé que dans les langues romanes ; fr. chemin;
mais est certainement apparenté à l'irl. céimm ; bret. kamm « pas » .
* derveiia : br. dervoed dartres ; fr. dertre, dartre.
* drillo- : gall, dryll « morceau » ; fr. drille, lambeau d'étoffe.
* dlûto-: irl. dlath « épais »; fr. dru.
* garrì- : irl. gairri « mollets » ; bret. garr «jambe » ; gall, garr
« jarret», d'où le dérivé fr. jarret.
* gobo- : irl. gob « bec, » d'où en français gober, gobe t.
* gravo- : gall, grò « sable, » d'où la forme féminine fr. grève.
*ivo- : irl. eo; gall, yw ; fr. if.
* landa-: irl. /and, gall. Ian «cour»; fr. lande.
* mesga : irl. medg « petit lait » ; gall, meidd; fr. megue.
* mue- : irl. mûchaim «je cache» ; v. fr. mucier.
* rocca : bret. roe'/i; fr. roche.
*rusca : v. M. ruse «écorce»; fr. ruche; le breton rusk «écorce,
ruche» a subi l'influence du mot français, car à α irlandais répond
i breton, et la forme galloise est rhisg.
* socco- : v. irl. socc; bret. soe'h; fr. soc.
* verno- : irl. fern «aulne»; gall. gwern;Îr. venie. Cf. les noms
gaulois en Verno-.
CONCLUSION
G. DOTTIN.