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7 minutes, 12 secondes

« Ça, là, ce serait mieux mort, ça. »

Publié le 30 septembre 2020 à 6h00


ISABELLE HACHEY LA PRESSE

Eh bien, voilà, elle est morte. C’est bien ce que vous lui souhaitiez, non ? En autant
de mots, clairs et implacables ?
Elle est morte.
Joyce Echaquan était une femme atikamekw. Elle était aussi une mère, une fille,
une soeur.
Un être humain.
Je prends soin de l’écrire, parce que ce n’est pas évident quand on vous écoute
dans la vidéo qu’elle a enregistrée, lundi, peu avant que son coeur ne flanche.
« Je pense que tu as de la misère à t’occuper de toi. Fait qu’on va le faire à ta place,
OK ? » s’est exaspérée l’une de vous deux, après être entrée dans sa chambre.
Vous avez fait tout le contraire.
Tout est bouleversant dans cette vidéo. Votre mépris. Votre condescendance.
Vos préjugés. Votre racisme crasse, ronronnant, satisfait. Votre hargne.
Et puis, les appels à l’aide de Joyce Echaquan. Ses hurlements. Sa respiration
haletante. Sa détresse criante, flagrante.
Votre totale indifférence.
L’une de vous deux, infirmière, a été congédiée mardi. L’autre ? Mystère. On vous
entend pourtant bien toutes deux proférer des grossièretés racistes.
***
« Esti d’épaisse de tabarnak. […] T’as-tu fini de niaiser, t’as-tu fini, là ? Câlisse ! »
Ce sont les derniers mots que Joyce Echaquan a entendus avant de mourir. Les
vôtres.
Elle s’était rendue à l’hôpital de Joliette, jeudi, en raison de douleurs à l’estomac.
Elle est morte lundi, attachée à une civière, après s’être fait abreuver d’injures par
vous, dont la tâche était de la soigner.
C’est tout ce qu’on vous demandait. Ça, et un minimum d’empathie. Vous avez
échoué sur toute la ligne.
« Venez me chercher quelqu’un, venez me chercher », supplie votre patiente dans
la vidéo diffusée sur Facebook, comme une bouteille à la mer. Fragile du coeur, elle
craignait la surdose de médicaments.
L’enquête du coroner révélera si la mort de Joyce Echaquan aurait pu être évitée.
Mais on sait déjà que les circonstances abjectes entourant sa mort auraient dû l’être.
***
« Heye, t’es épaisse en câlisse ! »
C’est la réponse que vous avez donnée à votre patiente lorsqu’elle a tenté de vous
prévenir de son état de santé. Mais vous ne l’écoutiez pas. Vous l’avez traitée
d’épaisse.
« J’aime pas ça qu’on me dise que je niaise là-dessus », vous a-t-elle rétorqué.
Votre réponse a fusé : « Ben, t’as fait des mauvais choix, ma belle ! »
Son pire choix, en rétrospective, aura été de se rendre à l’hôpital de Joliette
pour s’y faire soigner.

Triste coïncidence, il y a un an était publié le rapport de la Commission d’enquête


sur les relations entre les Autochtones et certains services publics.

Un rapport qui constatait entre autres que « les préjugés envers les Autochtones
demeurent très répandus entre les soignants et les patients ».
Et que « ces préjugés se traduisent parfois en pratiques discriminatoires et peuvent
avoir des conséquences tragiques pour les patients autochtones », notamment des
« refus d’évaluation médicale ».
Vous n’avez sans doute pas lu ce rapport.
Vous devriez.
***
« Qu’est-ce qu’ils penseraient, tes enfants, de te voir comme ça ? Pense à eux
autres un peu… »
Encore votre condescendance. Votre insupportable sentiment de supériorité.
La réponse de Joyce Echaquan brise le coeur : « C’est pour ça que je suis venue
ici… »
À Manawan, sept enfants ont perdu leur mère.
***
« Ben meilleure pour fourrer que pour d’autres choses. Surtout que c’est nous autres
qui payent pour ça ! Qui tu penses qui paie pour ça, toé ? »
Vous lui avez vraiment demandé ça.
Pendant qu’elle agonisait sur son lit d’hôpital.
On reste sans mot devant une telle cruauté. À vous entendre véhiculer ces préjugés
éculés, on croit avoir affaire à une caricature tragique d’Elvis Gratton.
Mais non, vous l’avez bien dit.
Vous avez affirmé à votre patiente qu’elle n’était bonne qu’à « fourrer ». Vous lui
avez reproché de vivre aux crochets de la société.
Rien que Ghislain Picard n’a pas entendu mille fois.
Pour le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), le
racisme est « partout dans les services publics, dans les hôpitaux, les services
policiers, dans les centres jeunesse et même dans les écoles ».
Autre triste coïncidence, l’APNQL a lancé mardi son plan de lutte contre le racisme
et la discrimination à l’endroit des Autochtones.
Le chef Picard a rappelé ce que Jacques Viens et ce qu’une tonne d’autres ont
conclu avant lui : le racisme institutionnel existe au Québec. Il a été documenté,
analysé et compilé dans des rapports qui s’empoussièrent.
On ne peut plus fermer les yeux.
On n’a plus le temps de débattre sur des mots. Est-ce du racisme systémique ? Du
racisme tout court ?
Au-delà du débat sémantique, ça n’a juste pas de bon sens que deux
professionnelles de la santé comme vous aient jugé acceptable de traiter une
patiente de la sorte – parce qu’elle était autochtone.
Comme si c’était normal. Banal, même.
***
« Son esti de cell, là… »
Ce sont les derniers mots qu’on vous entend prononcer dans la vidéo de 7 minutes,
12 secondes.
L’une de vous s’est emparée du cellulaire et a coupé l’enregistrement, diffusé en
direct sur Facebook.

Joyce Echaquan est morte quelques minutes plus tard, selon ses proches.
On n’en aurait jamais entendu parler, sans cette vidéo.
Vous seriez encore toutes deux en poste.
La seule différence entre cette tragédie et toutes les autres, a souligné Ghislain
Picard, c’est que celle-ci a été filmée.
« C’est notre George Floyd », m’a écrit une collègue autochtone, bouleversée.
Espérons-le.
Espérons que les 7 minutes et 12 secondes de cette vidéo provoquent la même
prise de conscience au Québec que les 8 minutes et 46 secondes qui ont asphyxié
l’Afro-Américain George Floyd sous le genou d’un policier blanc de Minneapolis.
Espérons que le scandale dont vous êtes à l’origine, mesdames, ne s’éteigne pas
dans le confort de notre indifférence.
La méchanceté est un prétexte
commode
Aurélie Lanctôt 2 octobre 2020 Chronique
Chroniques

Au téléphone, Nathalie Stake-Doucet, présidente de l’Association québécoise des


infirmières et des infirmiers, ne mâche pas ses mots : « On a toutes été témoins de
racisme quelque part dans le réseau de la santé », me dit-elle au lendemain de la
mort de Joyce Echaquan sous une pluie d’insultes racistes à l’hôpital de Joliette. «
J’ai travaillé à l’urgence, en psychiatrie et oui, il est arrivé que je contribue au
racisme systémique », admet Mme Stake-Doucet. « Lorsque je ne suis pas
intervenue pour défendre un patient. Lorsque je n’ai pas décelé un commentaire
empreint de préjugés. On a toutes une part de responsabilité, même si on n’était pas
à Joliette ce soir-là. »
Un incident du genre, ça ne sort pas de nulle part. Impossible de l’interpréter comme
un événement aberrant qui assombrit un tableau autrement sans tache. Car si le
racisme ne se manifeste pas toujours de façon aussi grossière et décomplexée, il
teinte les pratiques dans le réseau de la santé, qu’on veuille l’admettre ou non, et
même sans mauvaise intention.

Amélie Perron, professeure agrégée en sciences infirmières à l’Université d’Ottawa


et coprésidente de l’Observatoire infirmier, fait un constat similaire. Le cas présent
est frappant, m’explique-t-elle, mais le racisme opère aussi de façon sournoise. « La
fréquence à laquelle on va voir un patient dans le besoin, par exemple, ou alors le
fait d’éviter certains patients ». Ou encore lorsqu’on minimise les symptômes des
patients autochtones, ou qu’on présume qu’ils ont des problèmes de consommation.
La relation de confiance entre les Autochtones et le système de santé est sans
cesse mise à l’épreuve au Québec.

Les biais dans les institutions

Le rapport de la commission Viens est d’ailleurs très clair à ce sujet. On y écrit, noir
sur blanc, que « les voix entendues sont assez nombreuses pour affirmer que
beaucoup de membres des Premières Nations et les Inuits ne se sentent pas en
sécurité lorsque vient le temps de mettre leur santé entre les mains des services
publics ». Quiconque l’ayant lu ne peut pas s’étonner de ce que l’on déplore
aujourd’hui. Encore moins un gouvernement qui prétendait avoir pris ce rapport au
sérieux.
On ne peut pas imputer la mort de Joyce Echaquan à la méchanceté d’une seule
personne. Il ne faut pas brandir cette infirmière comme épouvantail pour éviter de
poser un regard critique sur les biais, conscients ou inconscients, à l’œuvre au sein
des institutions. « Pour qu’une infirmière se soit rendue là, il faut qu’elle ait été
nourrie par des collègues », dit Nathalie Stake-Doucet. Ne serait-ce que par
omission. Joyce Echaquan a crié à l’aide. On lui a prescrit de la morphine en dépit
de ce que disait son dossier médical. L’infirmière sur la vidéo n’était pas seule sur le
terrain. Pourquoi personne n’est intervenu ? « C’est la question qu’il faut se poser
comme professionnels, car le problème est là »,tranche Stake-Doucet.
Sauf qu’on n’y est pas tout à fait. Il a fallu deux jours pour que l’Ordre des infirmières
publie un communiqué timoré, intitulé « Des soins de santé respectueux et humains
pour tous » avec, en sous-titre seulement, « L’OIIQ dénonce le racisme dont a été
victime Joyce Echaquan. » Une réaction jugée insatisfaisante. « Je m’attends à ce
qu’un ordre professionnel soit capable de prendre une position très claire, pas une
position prudente et peureuse. L’OIIQ devrait avoir un message beaucoup plus fort
et rassurant pour les communautés racisées », lance Amélie Perron, soulignant que
la réaction est tellement plus forte lorsque, par exemple, un enfant blanc passe entre
les mailles de la DPJ…

Des siècles de pratiques coloniales et racistes

D’accord, mais pourquoi faudrait-il faire porter aux infirmières — elles-mêmes sans
cesse mal menées par des décisions politiques méprisantes — des siècles de
pratiques coloniales et racistes en santé? Après tout, les infirmières elles-mêmes ont
historiquement été soumises à des conceptions patriarcales de la médecine et
traitées comme des subalternes, ce qui se reflète encore dans le traitement qu’on
leur réserve.
Peut-être parce que les infirmières sont un pilier du réseau de la santé. Ce sont les
professionnelles les plus nombreuses et les plus proches des patients. Elles peuvent
donc agir soit comme une courroie de transmission pour le racisme systémique ou,
au contraire, comme une force pour transformer les pratiques. Pour Amélie Perron,
les infirmières doivent être conscientes du rôle qu’elles peuvent jouer: « À cause de
notre position dans le réseau, on devrait être encore plus sensibles à ça qu’un
médecin ou qu’un gestionnaire, notamment parce qu’on subit aussi du mépris. »
Quelque chose, oui, comme une expérience commune de l’oppression, qui peut
servir de base pour changer les choses.
Mais la première étape, c’est de reconnaître qu’un problème existe et qu’il ne se
limite pas aux inconduites de quelques individus. « Il faut s’engager à arrêter d’être
complice, dit Nathalie Stake-Doucet. Comment espérer que nos concitoyens
autochtones nous fassent confiance lorsque, même après un événement
explicitement raciste, les organisations infirmières se contentent d’offrir leurs
condoléances à la famille ? » La crise de confiance est profonde. Et elle s’aggrave
chaque fois qu’on hurle sur toutes les tribunes que le racisme systémique n’existe
pas, qu’il n’y a rien d’autre que de rares individus hostiles, même lorsqu’on a sous
les yeux la preuve du contraire.
Le racisme systémique a tué Joyce
Echaquan
Plus tôt cette semaine, Joyce Echaquan, une femme atikamekw de la
communauté de Manawan, a enregistré une vidéo exposant la violence raciste
et sexiste dont elle a été victime en tant que femme autochtone à l’hôpital de
Joliette. Elle est morte quelques moments plus tard. Elle avait 37 ans et laisse
toute une communauté en deuil. Nous ne devons jamais oublier son nom.

Publié le 3 octobre 2020 à 11h00


NAZILA BETTACHE ET SAMIR SHAHEEN-HUSSAIN RESPECTIVEMENT
INTERNISTE ET PROFESSEURE ADJOINTE À L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL,
ET URGENTISTE PÉDIATRIQUE ET PROFESSEUR ADJOINT À L’UNIVERSITÉ
MCGILL, AINSI QUE PLUS DE 250 AUTRES SIGNATAIRES*

Ce n’est pas la première fois qu’une histoire aussi horrible fait la une des journaux.
En 2016, Kimberly Gloade, une femme mi’kmaq vivant à Montréal, est morte
quelques semaines après s’être vu refuser des soins d’urgence au Centre
universitaire de Santé McGill parce qu’elle n’avait pas sa carte de la RAMQ. En
2008, Brian Sinclair, un homme anishnaabe vivant à Winnipeg, a été « ignoré
jusqu’à la mort » dans la salle d’attente des urgences du Health Sciences Centre.
Pourtant, pour toutes les histoires qui font les premières pages des journaux, il y en
a des milliers d’autres qui restent dans le silence.
Les personnes autochtones dans les salles d’urgence sont physiquement mises en
contention alors que des patients non autochtones seraient rassurés ; on leur refuse
des analgésiques parce qu’on présume qu’elles sont « à la recherche de drogues » ;
elles sont contraintes à interrompre une grossesse ou à subir une ligature des
trompes ; elles sont qualifiées de « non compliantes » aux traitements prescrits ou
aux rendez-vous de suivi alors que des enjeux structurels – manque de services de
santé dans ou à proximité des communautés autochtones, barrières linguistiques et
culturelles, etc. – les empêchent d’obtenir les soins dont elles ont besoin.
Celles et ceux d’entre nous qui travaillons dans le domaine de la santé savent très
bien que ce que Joyce Echaquan a subi n’était pas un incident isolé.

Le racisme systémique envers les personnes autochtones n’est pas


seulement endémique au sein du système de santé, il est normalisé et
perpétué dans le « curriculum caché », un ensemble informel de normes
culturelles et de comportements faisant en sorte que les nouvelles
générations de soignants intègrent un schème de pensée raciste.

C’est le résultat d’un colonialisme médical enraciné de longue date où les


prestataires de soins de santé, des médecins souvent au premier plan, ont joué un
rôle déterminant dans le projet colonial : des pensionnats autochtones aux «
hôpitaux d’Indiens » ; des évacuations massives de tuberculose aux programmes de
stérilisation forcée ; des expérimentations nutritionnelles aux procédures
chirurgicales abusives. Pour les communautés atikamekw de la région de la Haute-
Mauricie, au Québec, notamment à Manawan, il y a une plus longue histoire de
pratiques médicales génocidaires à l’hôpital de Joliette : selon un reportage de
l’émission Enquête, en 2017, pas une seule famille de ces communautés n’a été
épargnée par l’horreur d’un enfant disparu dans le système médical au cours des
années 60 et 70.

Il y a un an, le rapport de la commission Viens

Il y a exactement un an, la commission Viens a publié son rapport final. Bon nombre
de ses 142 recommandations s’appliquent au secteur des soins de santé, dont
l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples
autochtones, qui garantirait le droit des Autochtones « d’accéder sans aucune
discrimination à tous les services sociaux et de santé ». La Commission royale sur
les peuples autochtones (1996), la Commission de vérité et réconciliation (2015),
l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et
assassinées (2019), entre autres, ont émis un nombre important de
recommandations, dont plusieurs spécifiques au système de santé et au contexte
québécois.
Plusieurs appels ces derniers jours exigent une enquête, et l’une des infirmières qui
ont crié des insultes racistes à Joyce Echaquan ainsi qu'une préposée aux
bénéficiaires ont été congédiées. Mais ce qui est profondément nécessaire n’est pas
un rapport de plus. Bien que les individus doivent être imputables de leurs actions,
se limiter aux quelques « pommes pourries » ne permettra pas de résoudre les
problèmes structurels.
Le déni du premier ministre François Legault de l’existence du racisme systémique
au Québec ne tient pas seulement de la pensée magique ; il permet à la
discrimination de persister. Nous ne pouvons plus débattre de l’existence du racisme
systémique. Non seulement il existe, mais il est mortel. Nous devons agir
maintenant pour y mettre un terme. Sans des actions immédiates, des vies
autochtones vont continuer d'être perdues.
Le racisme « systémique »
québécois, une fabrication
Pour les auteurs de cette lettre, « associer le Québec à l’héritage ségrégationniste
américain est carrément malhonnête. Le mouvement “Black Lives Matters” de
souche américaine n’a pas de racines québécoises. »

Depuis le meurtre crapuleux de George Floyd par des policiers de


Minneapolis, auquel vient de s’ajouter l’assassinat d’un autre noir à Atlanta, la
thèse voulant que le « racisme systémique » ait fait son nid au Québec
rebondit une nouvelle fois chez certains intellectuels et mouvements sociaux,
notamment du côté de la gauche communautariste.

Publié le 18 juin 2020 à 10h00


ANDRÉ LAMOUREUX ET MICHÈLE SIROIS RESPECTIVEMENT POLITOLOGUE
À L’UQAM ET ANTHROPOLOGUE ET MILITANTE FÉMINISTE

Prétendant s’appuyer sur des observations scientifiques, cette vision des choses ne
tient pas la route lorsqu’on décortique le moindrement les choses. Elle fait grincer à
juste titre au Québec, car elle se révèle de plus en plus comme une conception
idéologique et faussée.

Racisme et discrimination systémique : deux choses distinctes

Première mise au point. Le racisme est à la fois une idéologie et un système


d’oppression qui a très souvent servi à justifier l’esclavage. L’idéologie raciste
soutient qu’il n’existe pas qu’une seule espèce humaine, mais bien des « races »
dont certaines seraient inférieures et d’autres supérieures et vouées à dominer les
autres. Pour Joseph Goebbels, la race allemande était chargée de dominer et
d’éradiquer les juifs. Pour sa part, le chercheur sénégalais Tidiane N’Diaye a établi
que la traite des Noirs par les empires arabo-musulmans a duré plus de mille ans et
fut pire que la traite transatlantique, dont ont bénéficié largement les pays
occidentaux. Il a pourri les relations entre « Blancs » et « Noirs » jusqu’à nos jours,
notamment aux États-Unis.
Malgré les formes multiples qu’il peut prendre, le racisme est un acte conscient et le
plus souvent organisé. Le KKK était conscient de ses actes ; Adrien Arcand et son
Parti national social-chrétien aussi ; les mouvements suprémacistes blancs de la
mouvance « White Power » ont toujours agi en connaissance de cause.
Conséquemment, prétendre que le racisme « systémique » procéderait de pratiques
inconscientes et neutres en apparence est un non-sens. On ne peut pas être raciste
et être inconscient de cette posture idéologique. C’est impossible.

En fait, les tenants du « racisme systémique » confondent le racisme et la «


discrimination systémique ».
Cette dernière existe et sous-tend effectivement des comportements, pratiques ou
processus institutionnels apparemment neutres qui engendrent certaines
discriminations et affectent à la fois les femmes, les handicapés et certaines
minorités. Depuis les années 80 au Canada, les cours de justice ont confirmé ce
phénomène. Cette discrimination peut prendre racine dans la socialisation, les
familles, le système scolaire, et être renchérie par les médias ; ou encore dans les
pratiques de certaines entreprises qui engendrent des préjugés discriminatoires qui
se manifestent de diverses façons. Et ça ne concerne pas que les personnes dites «
racisées », un autre concept tout aussi vaporeux.
On se rappelle un des premiers cas de discrimination systémique au début des
années 80 : la différence salariale entre les couturières et les vitriers dans les
hôpitaux. Ou les cas patents de discrimination systémique sur le plan salarial qu’ont
vécu les téléphonistes de Bell Canada, elles qui ont finalement obtenu gain de
cause devant les tribunaux. Sans oublier les handicapés qui se sont retrouvés dans
des stations de métro sans ascenseur, révélant par le fait même un fait systémique
discriminatoire à leur endroit.
Concernant les nouveaux arrivants provenant de diverses communautés culturelles,
il peut aussi y avoir des préjugés systémiques, parfois des discriminations à
l’embauche, mais pas toujours ; et sans que cela soit assimilable à du « racisme ».
Ceux-ci peuvent être sous-représentés dans les organismes publics, mais est-ce là
toujours la preuve d’une discrimination systémique ? Pas nécessairement.
L’explication est très souvent attribuable à des facteurs économiques, comme les
équivalences de diplômes, d’expériences professionnelles, aux compétences
linguistiques et aussi aux restrictions budgétaires sévères qui ont longtemps
restreint l’emploi dans la fonction publique au cours des dernières décennies. La
grande phase d’embauche dans la fonction publique s’est faite dans une période de
prospérité économique s’étendant jusqu’aux années 80 où des milliers d’immigrants
sont venus occuper des postes au Québec, comme un très grand nombre
d’infirmières, d’enseignants et de médecins haïtiens. Pour l’avenir, en contexte de
vieillissement, il apparaît certain qu’une masse de nouveaux arrivants viendront
pourvoir une multitude de postes.

Non au communautarisme victimaire et au dénigrement du peuple


québécois

Dans l’histoire du Canada, il y a eu bel et bien du racisme « systémique », nourri


notamment par l’État et les institutions canadiennes. Le racisme envers les
autochtones et les Métis (la Loi sur les Indiens) ; l’oppression nationale et le mépris
envers les Québécois ; le racisme virulent affectant les Chinois jusqu’aux années 30
; les Canadiens d’origine japonaise placés dans les camps de concentration au
cours de la Seconde Guerre mondiale ; ou encore les Noirs avant les années 60 à
qui l’immigration était interdite par législation. Dans ces cas, on pouvait
effectivement parler de réel racisme systémique. En Afrique du Sud du temps de
l’apartheid, il y avait aussi un racisme épouvantable. Aux États-Unis, au temps fort
de la ségrégation raciale, il y avait un racisme organisé en système et il en reste
encore des traces aujourd’hui, d’où la série d’assassinats de personnes noires.
Par contre, associer le Québec à cet héritage ségrégationniste américain est
carrément malhonnête. Le mouvement « Black Lives Matters » de souche
américaine n’a pas de racines québécoises.

On ne peut pas plaquer la ségrégation américaine à la situation québécoise.


Le peuple québécois n’a jamais été colonisateur ni esclavagiste. Au contraire,
il a lui-même été colonisé. Globalement, il a aussi toujours été ouvert aux
immigrants et aux autres cultures.

Du racisme au Québec, il y en a déjà eu. Il en reste encore à la marge. Par contre, il


n’y a aucun organisme public, aucune institution d’enseignement ou entreprise qui
soutienne actuellement l’idéologie raciste, dans ses postulats comme dans ses
procédures d’embauche. Tout au contraire, il y a un cadre législatif qui assujettit les
organismes publics à des programmes d’accès à l’égalité pour les membres des
minorités. La laïcité non plus n’a rien à voir avec le racisme, malgré ce qu’affirme la
nouvelle gauche multiculturaliste.
Y a-t-il du racisme systémique au Québec ? La réponse, c’est non. De la
discrimination systémique ? Oui, certainement, beaucoup moins qu’auparavant,
mais il faut toujours travailler à l’enrayer sur tous les plans. Les femmes en savent
quelque chose.
Les racines du mal
Geneviève Sioui
Membre de la Nation Huronne-Wendate et coordinatrice de l’engagement communautaire
autochtone à l’UniversitéConcordia
1 octobre 2020

Dans les prochains jours et semaines, les décideurs tenteront de nous convaincre
que la mort de JoyceEchaquan à l’hôpital de Joliette est un cas isolé, que le renvoi
de l’infirmière fautive réglera pour de bon la situation. Or, il n’en est rien. Les
individus sont issus d’un système et ils contribuent à formater ce même système, qui
a été biaisé dès la colonisation. Il faut un effort concerté, des mesures concrètes et
un suivi rigoureux pour s’attaquer aux racines profondes du racisme systémique.

Condamner est nécessaire, renvoyer les fautifs également, mais sans plan d’action
précis pour Joliette et le Québec, nous allons continuer à perpétuer ce système.

J’ai travaillé auprès des Attikameks au Centre d’amitié autochtone de Lanaudière et


au cégep régional de Lanaudière à Joliette jusqu’en 2018.

Je n’ai jamais nommé le racisme parce que je savais que je ne faisais pas le poids
contre mes interlocuteurs. Il est justement là, le problème, lorsqu’un groupe détient
autant de pouvoir qu’il fait peur et qu’il empêche tout changement. Je sais aussi que
malgré tout, cette ville est l’endroit où plusieurs amies attikameks ont élu domicile.
Elles doivent trouver une manière d’y vivre malgré tous les obstacles qu’on met sur
leur chemin.

Aujourd’hui, j’ai besoin de dire ce que j’ai vu et entendu à Joliette, car la mort de
Joyce ne peut pas être en vain. Ce qui s’est produit à Joliette est la culmination
d’événements de racisme au quotidien dans cette ville. Dénonçons ce qui est arrivé
à l’hôpital de Joliette et nommons la vérité : les Autochtones sont victimes de
racisme tous les jours à Joliette. Ce n’est pas uniquement l’hôpital de Joliette qui est
gangrené, ce sont aussi les professeurs qui ne veulent pas que leurs élèves parlent
en attikamek par crainte qu’ils complotent contre eux, la quasi-absence d’employés
autochtones dans les commerces, les compagnies qui ont le monopole des
logements et louent des appartements en mauvais état, les élèves attikameks
surreprésentés dans les classes d’adaptation scolaire, les enfants séparés et placés
dans des familles d’accueil blanches, le manque de soutien des institutions lorsqu’on
signale une situation inquiétante pour un jeune Autochtone, les directions scolaires
qui ferment les yeux ou excusent des comportements racistes, les dentistes qui
refusent des clients autochtones, les services médicaux bâclés, les diagnostics faits
en vitesse, les évaluations scolaires teintées de racisme, les regards lorsqu’on se
promène et toutes les arnaques possibles pour soutirer plus d’argent aux clients
autochtones.

Ça fait longtemps que la situation me préoccupe, qu’elle me met en colère et me


décourage. Le 20 mars2013, Radio-Canada écrivait à propos de la difficulté de
trouver un logement salubre lorsqu’on est autochtone à Joliette. L’ancien maire
René Laurin affirmait que les Autochtones « ont aussi souvent une mauvaise
réputation de vie sociale. Plusieurs s’adonnent à l’alcool, d’autres à certaines
drogues. Alors, cette réputation les suit […] Moi, je suis déjà allé à la Manawan. Pis
j’ai vu des gens démolir leur perron de bois pour se chauffer, c’est souvent qu’on a
vu ça. Parce qu’ils [les Autochtones] sont habitués de vivre dans des tentes, dans
des abris de fortune qu’ils ont fabriqués eux-mêmes », disait-il.

Ces propos, tenus il y a sept ans, semblent sortis d’un autre siècle.

Le racisme perdure dans les villes comme Joliette, car il n’y a pas de représentants
autochtones dans les instances dirigeantes. Aucun élu autochtone, aucun parent
autochtone dans les conseils d’établissements scolaires, aucun Autochtone dans
l’équipe de direction du CISSS Lanaudière. Le système est pensé pour et par des
non-Autochtones.

Il faut nommer le racisme et il faut imposer un changement en choisissant de


s’éduquer, en dénonçant et en instaurant des mécanismes pour restaurer une
justice sociale. Par où commencer cette transformation du système ? En cherchant
les causes profondes des problèmes que nous avons déterminés. Pourquoi si peu
de jeunes Attikameks obtiennent-ils leur diplôme d’études secondaire? Voici des
indices. Étudier dans une école où notre langue maternelle est dévaluée, où la
majorité des professeurs et élèves n’ont jamais mis les pieds dans une communauté
autochtone, où tout le personnel est non autochtone, où on enseigne que les
Autochtones sont soit sédentaires soit nomades (comme si ces modes de vie
n’avaient pas évolué !), où on fait redoubler la majorité des élèves attikameks, où on
permet la transmission d’un tas de préjugés et de stéréotypes, ça ne donne pas
envie de s’investir, de tisser des liens, de persévérer.

C’est assez, c’est inacceptable, c’est lourd et il faut que ça cesse.

Il faut offrir de la formation continue, s’éduquer en consultant des documents comme


la Trousse pour les alliées aux luttes autochtones et se doter de plans ambitieux
dans l’espoir qu’un jour, la directrice du CIUSSS Lanaudière soit une Echaquan, une
Petiquay ou une Ottawa.
Mort de Joyce Echaquan

Le racisme systémique, c’est ça


L’histoire tragique de Joyce Echaquan, morte à l’hôpital de Joliette après avoir
été traitée de façon barbare par des employées censées la soigner, n’est pas
un simple accident de parcours.

Publié le 2 octobre 2020 à 5h00


AGNÈS GRUDA LA PRESSE

Ce drame révoltant est la conséquence extrême d’une culture de discrimination à


l’égard des Autochtones qui se rendent à cet hôpital – surtout des Atikamekw
originaires de la communauté de Manawan, à 180 kilomètres au nord de Joliette.
Ce problème a été largement documenté par la commission Viens, qui a entendu
plus d’une vingtaine de témoignages à ce sujet à l’automne 2018. Notamment celui
de Francine et Louise Moar dont le père, atteint de cancer, a été tellement
traumatisé par son séjour à cet hôpital qu’il a refusé tout traitement juste pour ne pas
avoir à y retourner. Il est mort six mois après son diagnostic.
Les témoignages recueillis par la commission Viens sont pleins d’histoires de ce
genre. Des Autochtones qui se sont fait refuser l’accès à leur enfant mort, d’autres
qui n’ont pas pu accompagner leur proche mourant, d’autres qui n’ont rien compris à
ce qui se passait parce que l’hôpital a jugé qu’ils n’avaient pas besoin d’un
interprète.
Quand elle a interrogé la représentante du CISSS de Lanaudière, Maryse Olivier, à
ce sujet, la procureure Edith-Farah Elassal a noté que des incidents discriminatoires
ou racistes se produisaient chaque année dans tous les services de l’hôpital.

« Il y aura des actions, des sensibilisations, on va s’attendre à ce qu’il y ait une


amélioration de la part de tout le monde », a promis Mme Olivier.
C’était en septembre 2018. La vidéo insupportable où on voit M me Echaquan implorer
de l’aide avant de se faire insulter comme une moins que rien montre que le
problème est loin d’avoir été réglé.
Le PDG du CISSS de Lanaudière, Daniel Castonguay, s’est dit consterné par ces
images. Pourtant, M. Castonguay était en poste au moment de la commission Viens.
Il ne pouvait pas ne pas savoir !
***

Quand on relit ces témoignages qui datent d’il y a tout juste deux ans, quand
on entend les propos dégradants du personnel de l’hôpital, on ne peut que se
dire : voilà, le racisme systémique, c’est ça.

Cela ne signifie pas que tout le personnel de l’hôpital soit systématiquement raciste.
Mais ça veut dire que le « système » tolère des comportements intolérables.
Ça veut dire qu’on peut se montrer insensible devant une Autochtone qui hurle de
douleur, parce qu’on la croit responsable de son état et qu’on ne croit pas un mot de
ce qu’elle dit. Ça laisse supposer que d’autres Autochtones ont peut-être subi des
traitements inacceptables, eux aussi, mais n’ont pas eu la présence d’esprit de
filmer leur souffrance sur Facebook.
Encore aujourd’hui, deux ans après que les audiences de la commission Viens ont
permis de mettre cette culture toxique au jour.
***

Voilà pourquoi les autofélicitations de la ministre responsable des Affaires


autochtones, Sylvie D’Amours, qui se réjouissait cette semaine des progrès
accomplis un an après la publication du rapport Viens, sonnent tellement creux.

Où sont ces progrès si les préjugés et le mépris peuvent toujours s’exprimer


de façon aussi abjecte ?

Où sont ces progrès si les principaux porte-parole des peuples autochtones au


Québec estiment que rien n’a été fait depuis un an ?
C’est vrai, le gouvernement Legault a rapidement donné suite à « l’appel à l’action
numéro 1 » du rapport Viens. Il a présenté ses excuses aux Premières Nations.
Il a aussi donné suite à la deuxième demande, celle d’adhérer à la Déclaration des
Nations unies sur les droits des peuples autochtones, avec une motion adoptée par
l’Assemblée nationale.
Mais François Legault a reculé quelques mois plus tard en refusant de mettre cette
motion en oeuvre, de crainte qu’elle ne compromette le développement économique
du Québec. Retour à la case départ.
Pour le reste, à part quelques petits progrès ici et là, le rapport de la commission
Viens a rejoint les autres rapports sur les relations avec les Premières Nations sur la
tablette des résolutions non tenues.
Si on veut s’attaquer au racisme sournois qui entache nos relations avec les
Premières Nations, il n’y a pas 36 000 solutions : il faut d’abord reconnaître qu’il
existe. Puis, il faut dépoussiérer le rapport Viens et commencer à le mettre en
application. Réellement.

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