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Dino Campana

Voyage au bout de l'Ailleurs


Alessandro Marignani
Aix-Marseille Université

Résumé
Dino Campana est un poète majeur du xx• siècle, et sa place dans la littérature italienne
mérite une nouvelle mise en valeur. Sa poésie incarne une constante transfiguration de l'élé-
ment topographique; ainsi, au-delà de la situation du départ, il s'agit d'un Ailleurs auquel
il est constamment fait référef!ce. Pour autant, la poésie de Campana prend l'aspect d'une
sorte de voyage (même quand elle ne traite pas explicitement la thématique du voyage) qui
part d'une dimension concrète pour atteindre une dimension abstraite, riche de symboles
très différents (d'ordre chromatique aussi bien que musical, visuel et psychologique) qui
arrivent à impliquer jusqu'à leurs racines les structures mêmes de la langue et de la prosodie.

Che cosa ci riporta a casa, la voglia di tornare


pcr sem pre, navi morte, al porto
dell' ultimo uragano
o la paura di partire
ancora, di non sa pere più tomare ?
Roberto Roversi'

Dino Campana, quatre-vingts ans après sa mort2, demeure une énigme, d ans
le panorama de la poésie italienne, à tout p oint de vue. Sa figure auctoriale est,
depuis toujours, le résultat de deux aspects problématiques qui s'entremêlent
sans solution de continuité: Je mystère de sa personnalité et le mystère de sa
poésie. TI serait impossible de parler de l' une sans faire référence, continuel-
lement, à l'autre. Néanmoins le lecteur, malgré le fait qu'il soit bien avisé,
se rend bientôt compte que le secret fondamental de l'univers de Campana
demeure insaisissable. Deux questions se posent donc à ceux qui se plongent
dans ces pages: qui est Campana? Qu'est-ce que sa poésie? Il s'agit de deux
questions qu'on doit toujours garder présentes, même en sachant qu' une
réponse ultime est destinée à rester sans ré ponse.

Dopo C~~rnpoformio, « li sogno di Costantino », dans Roberto Roversi, Tre poesie e t~lcr11u prose, Marco
Giovenale, éd., Roma, Sossella, 2008, p. 11 7.
2 li était né en 1885 à Marradi, un petit village perché dans les forêts de 1'Apennin, e t mourut en 1932
dans l'hôpital psychiatrique de Castel Pulci .
Alessandro Marignani

~e~ notices_ biographiques _s~r D_ino Campan~, aussi bien les notices qui au pre
ont ete transmises pa r ceux qUI 1ava ient rencontre que celles qu' il a lui-même giomo,
contribué à diffuser, présentent toutes les ingrédie nts nécessaires pour bâtir la du xX"
my thologie de Campana. Campana - cc poète qui passa les quinze dernières parfêl i
années de sa vic d ans un asile de fous, le ' poète-comè te' auteur d' tm seul même
ou vrage ne comptant qu' tme quinzaine de poèmes e t quelques di zaines invali<
de pages en prose, et enfin le poète qui, parce que l' unique exemplaire de finalet
ses poèmes avait é té perdu par Pap ini e t Soffici, l'a réécrit entièrement << de JI pirl
mémoire» (comme ille d it lui-mêm e dans une le ttre en français à Giovanni notes,
Boine)3 - é tait prê t à incarner la symbole tragique du poète fou, incompris, deUX !
déraciné, souffrant et maudit que la cu lture d e l'entre-deux-siècles avait le poè
espéré, cherché, attendu. Et la critique e t la philologie les plus récentes, qui se Camp
sont efforcées de rattacher Campana à une perspective p lus objecti ve, ne sont toujoL
pas parvenues à supprimer com plè tement cette image-là du poète. ti vem'
Tout d'abord, Campana ne fut pas un enfant prodige ; le seul livre qu' il 15 de
nous ait laissé, Canti orfici, a été imprimé en 1914, alors que le poète avait de fra
29 ans, et le peu de textes qu' il avait publiés d ans d es revues spécialisées co mm
montrent un apprentissage poétique marqué par l' infl uence de Carducci (le recuei
chan tre, aujourd'h ui sur la voie de l' oubli, de l'Italie unifiée et le père presque dn prir
involontaire du symbo lisme ct du décadentisme italiens) et nourri de l'air du avec 1
temps, du chromatisme de Pascoli à la musicalité extérieure d e D'Annunz io e t des rE
Lucini, ma is aussi des jeux expressifs d es premiers futuristes et du pré-he rmé- textltE
tisme florentin (Marinetti, Palazzeschi, Pap ini e t Soffici), comme Eugenio elle s'
Montale le montre dans un a rticle de 1942 qui reste l' une des étud es les p lus
limJ?ides et sensibles consacrées à Campana 4 •
A côté de cela, à chaque fois que des cahiers, d es feuilles, des notes étaient
j insatü
sont 1
plus <
retrouvés et aussitôt publiés, l' image d es Chants orphiques comme livre unique les ex
et orphelin, réd igé à l' aide de la mémoire seulement, dans l'élan de quelques déchiJ
semaines, se trouvait remise en question, voire désavouée. Néanmoins, si d' w1
côté les recherches et les nou veaux repères démythifiaient le portrait trad itionnel 1 . n' a un
des p
ct séduisant de Campana, de l'autre, paradoxalement, ils l'ont renforcé, justifié,
confirmé. En fait, tous les manuscrits qui surgissaient finissaient par mon trer l Clin nt.
dix ar
comment les racines des poèmes et des proses des Chants orphiques n'étaient
que ra rement reconnaissables, et illustraient ainsi la fixation psychologique de
certaines théma tiques, de certain es images, de certaines solutions stylistiques,
l rien ir
apper

et le labor limae incessant auquel l'au teur soumettait ses textes. Finalement, ) Vo
[qu
ces originaux à l'état brut et très partiels n'ont pas effacé J'image des Chants
orphiques comme texte unique, mais, en revanche, ils ont démontré la nature
instable, précaire, mercuriale, inachevée du recueil. Une étape fondamentale de
1 6
On
ri s~
((/.
l' histoire textuelle tourmentée des Chnuts a été marquée par la découverte, en ) 0/:fo
~d.
1972, du fameux m anuscrit perdu : le cal1ier que Campana avait remis à Papini ~,
Va:
en espé ran t une publication dans la revue « Lacerba », et qui est resté pen dant aur
des décennies au fond d1un tiroir chez i\rd cngo Soffici. Ces 74 feuilles écrites sou
le c
térr
Lellre du 18 janvier 19 16, dans Dino C<m1pana, u, po' rùl mio Sllllgue, textes recueill is par COL
Sebastiano Vassalli, Milano, Rizzoli, 2005, p. 2 15.
Il s
4 Eugenio Montale, «Sulla pocsia di Campana», /, '/tafia che scrive, maintenant in Il seconda mestiere.
Fee
Prose 1920-1979, éd. parG. Zarnpa, Milano, Mondadori, 1997, vol. 1, p. 569-581.
Dino Campana. Voyage au bout de l'Ai/lerm

s qui au propre, avec de rares ratures et corrections, qui portent le titre de Il più lunga
1ême giorno, allaient combler la lacune la plus légendaire de l'histoire littéraire italienne
itir la du )()('siècle. Les mythes du livre perdu à jamais et du livre parfait- tellement
ùèrcs parfait que Campana le réclama avec insistance aux deux Florentins, arrivant
seul même à les menacer de mort et à les provoquer en duel5 - étaient sans doute
aines invalidés, mais le mythe des Chants orphiques comme livre unique se trouvait
re de finalement confirmé. Les différences, aussi bien que les correspondances, entre
:« de Il più lunga giorno et les Chants orphiques montrent clairement l'existence de
/ aJUÙ notes, d'épreuves, de rédactions communes qui avaient dû serv ir de base aux
1pris, deux recueils; cependant, le peu de feuilles échappées à la destruction à laquelle
avait le poète les condamnait systématiquement, montrent clairement le travail de
lui se Campana sur les textes, qui était justement un travail, comme nous l'avons dit,
! sont toujours remis en question, inaccompli. Et donc les Chants orphiques sont effec-
tivement un livre unique : son corpus est presque redoublé (29 textes contre les
qu' il 15 dell più lunga giorno), et les textes mêmes ont été refaits et remaniés à partir
avait de fragments différents, qui ont été corrigés, coupés, démontés. Finalement,
li sées comme le dit Giorgio Grillo, qui a établi l'édition critique des Canti orfici en
:ci (le recueillant tous les man uscrits qui avaient survécu et en les comparant au texte
?squc imprimé à Marradi en 1914, «l'entrelacement des exigences de reconstruction
tir du avec les exigences d' innovation conduit souvent, dans les Chants orphiques, à
zioet des résultats textuels même complètement inattendus6 » . En outre, l'hlstoire
?rmé- textuelle du livre ne se termine pas par l'édition de Marradi, mais au contraire
genio elle s'est enrichie par des faits qui renforcent cette idée de création toujours
; plus insatisfaite et incessante, et donc de livre éternellement inachevé. Nombreux
sont les témoins de l'époque (Soffici, Papini, Cecchl, pour ne citer gue les
taient plus connus et les plus fiables) qui parlent de ce Campana qui, en vendant
nique les exemplaires des Chants orphiques dans les cafés littéraires de Florence, en
!Igues déchlrait des pages (avec le prétexte d'en éliminer les parties gue l'acheteur
i d 'tm n'aurait pas comprisesi), changeait à l'aide d'un crayon des vers, ou y rajoutait
onnel des poèmes manuscrits. Bino Binazzi, en préparant la deuxième éd ition des
tstifié, Chants en 1928 O'auteur étant toujours vivant, mais déjà aliéné- interné depuis
)ntrer dix ans à l'hôpital psychiatrique de Castel Pulci, où il mourra en 1932- et en
taient rien intéressé, désormais, par ses poèmes), fut donc contraint d'y ajouter un
ue de appendice de cinq poèmes, repérés çà et là dans différents exemplaires8 :il ne
tques,
ment, 5 Voir la lettre, longue el délirante, de Campana à Emilio Cccchi du 13 mars 191 6: « Li ho mandati
~hants [quci fioreutini] a sfidarc 4 volte in due armi scnza risultato. Ho sfidato pcrsino il prodc Marinetti. f... ]
ta ture Ora che Soffici è lenentc spcmvo che non avrebbc rifiulato di ballersi. Ma ho seritto a casa sua senza
ale de risposta. », Un po' del mio sangue, op. cil., p. 2 17.
·tc, en 6 «L 'illfrecciarsi delle esigenze di ricostruzione con quelle di innovazione p orl[a] spesso [nei Canli
mficiJ anche a esiti tcstuali assolutamente non previsti », introduction à Dino Campana, Canli o'fici,
>apini éd. établie et annotée par G. Grillo, Firenze, Vallccchi, 1990, p. XXXI-XXXII.
ndant 7 Vassal li déclare ne croire qu'en partie à celle légende ct suppose que la seule déchirure que Campana
~crites aurait fait aux Canti orfici était celle de la dédicace incongmc à l'empereur allemand Guillaume Il ct du
sous-titre(« Di~: Tragôdie des lctzcn Gcnnanen in Italien », la tragédie du dernier Allemand en llalic);
le débat sur cc sujet ne semble pas destiné à une solution définitive. L' anecdote la plus connue que les
!lis par témoins nous ont transmise concerne l' exemplaire de Marinetti, auquel Campana n ' aurait laissé que la
couverture, en commentant qu' il n' aurait pas pu comprendre le reste.
restierc. 8 Il s'agit des quatre exemplaires ayant appartenu à Sibilla Alcramo, Emilio Cccchi, Luig i Fallacara ct
Federico Ravagli.
Alessandro Marignani

s'agit donc pas d'un choix arbitraire d e l'éditeur, commeGrilli le souligne, mais fit, per~
d' une volonté de l'auteur. Finalement, cette histoire textuelle longue, complexe orphiqu
et jamais résolue finit par confirmer la nature imparfaite des Chants orphiques ; l' inquü
et la d écouverte d e Il più lunga giorno a même fini par consolider le mythe du d'ache'
manuscrit perdu : qui ne correspond plus au texte possédé par Soffici, mais se posE
doit être identifié à un texte qui n'a jamais existé, ce texte idéal dont Campana son eni
a essayé, sa vie durant, de se rapprod1er, sans jamais y arriver. L' accumulation ne peu
effrénée de variantes, de réécritures, de découpages et de déchirures sont donc intime1
les différentes élapes de la recherche du livre tùtime et parfait (le 'Livre' de à cet a·
Mallarmé nous vient à l'esprit: l' œuvre totale qui, hantée par un idéal de pléni- pou r d
tude et d'exhaustivité, ne peut être que tentée, fragmentaire, esquissée, inter- de sa f
rompue, imparfaite). Ou mieux, compte tenu de l' indépendance qui souvent existen
caractérise les variantes, nous pouvons dire qu' il ne s'agit pas d'étapes, mais de pour (
moments singuliers de fixation écrite: de ce point de vue (qui ne doit pas impli- qu'une
quer une fascination romanesque, mais une position herméneutique précise et de sa v
fondamentale) les cahiers ne valent plus en tant que témoins de l' accumulation Mê1
progressive de variantes, mais chacun s'impose comme une version unique du pondm
Livre, un essai, une réalisation éphémère, une approximation destinée à rester tr~n s p.

vaine, car un livre de cette portée ne peut exister que dans un Ailleurs insaisis- comm1
sable: et Campana, comme le dit Montale,« s' arrête sur le seuil d'une porte qui Orphé
ne s'ouvre pas, ou qui parfois ne s'ouvre que pour lui 9 >> et qui est destinée à de la ~
garder pour toujours le secret d e sa po.ésie. mais il
« C'est pour tout écrivain une surprise toujours neuve que son livre, dès . sa fern
qu'il s'est séparé de lui, continue à vivre lui-même d'une vie propre ; il a grâce~
l' impression qu' aurait un insecte dont une partie se serait séparée pour aller font qt
désormais suivre son propre chemin 10 », écrivit en 1886 N ietzsche dans w1 (parC
aphorisme très célèbre (le n° 208) de Humain, trop humain, en d éfinissant le de son
rapport entre l'auteur ct son ouvrage, que Campana a sans doute consulté 11 • une pt
On dirait que Campana établit avec son livre une liaison si profonde qu' une à Gius
' public
telle séparation, aussi profonde que naturelle, s'avère impraticable sinon
épouvantable : le poè te et sa poésie ne font qu'une seule entité, soudés Ma
dans une forme supérieure qui participe des deux natures originaires mais d e per
reste «autre>>. à ce <
La vie et l'œuvre d e Campana forment donc un ensemble unique oü d e res
l'on n e peut pas distinguer !'une de l'autre. Cette qualité est évidente, par qu'ace
exemple, qua nd on pense à la fure ur qui marqua la composition de chaque chant,
poème et du liv re, nous pensons notamment aux semaines où le poète s'isola sa sph
dans ·les forêts de l'Apennin pour réécrire son ouvrage, ou a ux derniers cognit
ajouts qu'il imposa au x épreu ves et à ces corrections et interpolations qu' il néant
Je véri
9 « Dove Campana si arresta alle soglie di una porta che 110 11 s' apre, o talora s ' apre per lui solo)), dans
Or
Eugenio Montale, «Sulla pocsia di Campana», L' ltalia che scrive, 1942, maintenant dans JI secundo Le titr
mestiere, Milano, Mondadori, 1997, vol. 1, p. 5!!0. idéal 1
JO Humain, rrop humain, traduction Alexandre-Marie Oesrousseaux, Mercure de France, Paris, 1906'. dans t
Il La référence fondamentale de Campana fut la pensée de Niet:7.,.schc, « il suo fi losofo >> comme le définit
Federico Ravagli (cf. Dino Campana e i golim·di del suu tempo, Firenze, Marzocco, 1942); l' influence
du philosophe allemand sur l' univers du poète a été attentivement examinée par Susanna Sitzia,
12 «M
poe•
«Nietzsche c l' orfismo nclla poctica di Oino Campana )), Armali della Facolrà di Le/lere e Filosofia
p. 1
deii'Universilà di Cagliari. vol. LI X, 2004, p. 13 1- 174.
Dino Campana. Voyage au bout de l'Ai/Leurs

11ais fit, personnellement, aux exemplaires offerts ou vendus. Les textes des Chan ts
1lexe orphiques traduisent, aussi bien sur le plan de la forme que sur celui du fond,
ues; l'inquiétude qui caractérisa le poète d epuis son plus jeune âge. L' impossibilité
e du d'achever le livre correspond à l'impossibilité pour Campana d e s'arrêter, de
:nais se poser, de terminer le voyage. Dans cette perspective, la coïncidence entre
)ana son entrée définitive à l'hôpital psychiatrique et son désintérêt pour l'écriture
ttion ne peut pas être due au hasard, mais répond à une urgence et à une nécessité
lonc intimes du poète et d e sa poésie. il ne s'agit pas, pour Campana, d e la réponse
( de à cet appel qui, après le Romantisme, parcourut tous les coins d e l'Europe,
léni- pour devenir un Gesamtkunstwertke vivant, en vivant 'en artiste' et en faisant
1ter- de sa propre vie une œuvre d'art; mais il s'agit plutôt d' un inévitable repli
vent existentiel, où poésie et vie se rencontrèrent dans un court-circuit gui d evint,
is de pour Can1pana, le piège d'une illusion destinée à rester toujours déçue: l' idée
:tpli- qu'une fois trouvés l'ordre et le sens du livre il aurait trouvé l'ordre et le sens
se et de sa vie.
ttion Même le titre que Campana a choisi pour son recueil confirme cette corres-
e du pondance entre vie et œ uvre. Chants orphiques, en effet, contient une a llusion
~s ter transparente et immédiate au mythe d'Orphée que le Symbolisme avait ch oisi
tisis- comme emblème de la poésie . Orphée est le chantre qui charma (« le charmant
~ qui Orphée», comme l'appelle Corneille dans sa M édée), avec sa lyre, le gardien
tée à de la Toison d'or, et qui aida ainsi Jason dans son entreprise audacieuse ;
mais il est surtout celui qui descendit aux Enfers pour ramener vers le monde
dès sa femme Eurydice, morte prématurement, et séduisit les dieux souterrains
il a grâce à la beauté de son chant. Déjà dans le mythe grec Orphée et la poésie ne
aller font qu' un; et cette équivalence nous la retrouvons réaffirmée chez Campana
s un (par Campana), qui a souvent revendiqué la nature radicalement poétique
nt le de son œuvre : « je mérite d'être édité car ce peu de poésie que je sais faire a
lté 11 • une pureté d'accent qui, de nos jours, n'est pas courante chez nous 12 »,écrit-il
' une à Giuseppe Prezzolini au d ébut d' année 1914 (donc quelques mois avant la
in on publication des Chants).
.tdés Mais l'adjectif 'orphique' ne se réfère pas qu'à une idée d'authenticité et
:nais d e perfection de la voix poétique; orphiques étaient aussi les cultes associés
à ce chantre mythique, grâce auxquels les initiés auraient été capables
~ où d e ressusciter de la mort, selon un parcours rituel symbolisant le voyage
par qu'accomplit Orphée dans l' outre-tombe pour défier et vaincre, p ar son
tque chant, la loi de Pluton. Orphique, donc, dans cette perspective, résume dans
:sola sa sphère sémantique la vertu libératrice et é ternelle de la poésie, la qualité
liers cognitive et salutaire du voyage, e t le défi de l' homme contre la mort et le
=J.U'il néant ; un Orphée en somme qui rappelle de près le Z arathoustra de Nietzsche,
le véritable dieu tutélaire de Campana.
, dans Orphée incarne simultanément la poésie, le voyage, le défi d e l'inconnu.
~ondo Le titre Chants orphiques propose d onc une formule synthétique réunissant cet
idéal de poésie pure ct salutaire, ct l'idée du poème commê voyage extrême
)67.
dans un territoire qui est forcément ailleurs (qui est l'Ailleurs) et donc comme
Jéfinit
ucnce
)itzia, 12 «Mcrito di csscrc stampato perché quel poco di poesia che so fare ha una purità di accento che è oggi
osojia poco comunc da noi 1>, lettre du 6 janvier 19 14, dans Di no Campana, Un po' de/mio songue, op. cil.,
p. 194.
Almnndro Mnrignmzi

expérience de la limite - limite de la parole, de la connaissance, de la vic en le sen


tant que chaîne syntagmatique d'évènements; limite en somme du poème orphi4
et du voyage mêmes. Orphiqu es, dans cette acception si vaste et riche, sont limite
donc aussi bien les poèmes de Campana que sa vie elle-même, et tous les Le
deux sont la réalisation d'un voyage gui voudrait tenter sans cesse de franchir dé mo
une frontière, pour permettre au poète d'arriver «au fond de l'inconnu » ct uned
d' habiter intégralement dans cet Ailleurs gui lui est naturel. Sauf <
Si le titre implique profondément cette liaison entre vie et livre mais la une e
laisse sous un niveau latent, les textes en revanche la déclarent ouvertement: et le 1
c'est là que cette correspondance est visiblement inévitable. Il est évident que, conh·;
lorsque Campana insiste pour gue Papini et Soffici lui rendent son manuscrit, pense
et qu'il argumente son obstination en affirmant que ces poèmes« sont la seule (les p
justification de ma vie13 », il ne tombe pas dans une hyperbole puérilement un él·
sentimentale, mais définit avec une innocence spontanée et déconcertante /mnge
cette identité radicale entre poésie et existence, qui n'a rien - nous insistons situe
-de la pose intellectuelle, mais se perd dans les raisons mêmes de son être et ment
de son identité. Nous comprenons mieux, dans cette perspective, le sens de SOU V<
profond désarroi dan~ lequel la perte du manuscrit jeta le poète: ce fut comme enm<
si tout un parcours de recherche de sens s'était soudain effacé, comme si toute le dé·
une existence avait été tuée (et les idées de finir mort et d'être assassiné sont tell en
évoquées par Campana même tout de suite après le passage que nous venons de pe
de citer 14 ). Le poète partage son destin avec son livre : perte du livre et perte Lé
de soi vont de pair, de même què les tourments, la souffrance et l'incom- ma cr•
préhension de l'un sont les tourments, la souffrance et l'incompréhension de re fen
l'autre. Ainsi, les voyages que le recueil met en scène (voyages dans des pays est u1
que Campana avait vraiment traversés, comme l'Argentine, ou qu'il n'avait la de1
visités que dans son espri t) finissent-ils par dépasser les motifs mémoriaux de quoi<
l'expérience concrète, et tout lien avec l'actualité vécue est transcendé dans un Chrü
sens plus élevé : les poèmes ne racontent pas des voyages, mais Je poème est dans
le voyage, et ce voyage n'est pas le trajet d'un point vers un autre point, mais offre
une tension toujours renouvelée vers quelque chose, vers un domaine qui le po
n'a plus de coordonnées topologiques, mais qui est devenu une direction de deco
recherche pure - le voyage vers un Ailleurs que les sens matériaux ne peuvent dela
pas connaître et que le poète et son poème tentent de faire ensemble. Le titre
Chants orphiques signifie donc aussi 'chants de voyage' ; et, par cette identité
entre le livre et son auteur, c'est le voyage de cet Orphée qu'est le poète et de 15 fe
la poésie. Comme l'a dit Fernando Bandi.ni, « dans l'idée du voyage [réside] se.
p.
16 lri
co
13 Nous cilons, ici, la mê me lettre à Cccchi du 13 mars 1916 («Dovcvano csscrc la gius tificazionc della
De
mia vila»); mais l'idée du livre comme «justiticatioH>; de sa propre vic revient plusieurs fois dans les
17 Sc
lettres du poète. Nous remarquons aussi la polysémie de ce mot-clef, «giustificazione», impliquant
dl
l' idée que tes poèmes autorisent la vie et, en même temps, qu'ils l' excusent ; qu' ils en sont autorisés et
il<
excusés ; ct, enfin, qu'ils la rendent juste.
le:
14 Nombreuses, dans les lcllrt::s, sont les manifestations de la manie de persécu<ion paranoïaque du poète;
en
à titre d' exemple. nous ne citerons que ces trois passages tirés de la lettre à Cccchi : « (... 1prima che
M
finiss i di morirc assassinato colla complicità del govcmo»; « 1 poliziotti mi seguivano c mi faccvano
18 D
insultarc dovunquc andavo c Papini c Soffici si feccro complici dcgli a~snssini»; ct «l'ra Papini c gli
p.
assassini del mio paese c 'è un a strclta rc lazione (lo posso provare) sem pre per mezzo della poli zia. »,
(Un po' del mio sangue, op. cil., p. 218-220). 19 Cl
Dino Campana. V0yage au bout de l'Ailleurs

la vie en le sens de l'orphisme de Campana » : ce serait d onc un véritable voyage


J poème orphique car il s'agit toujours d' un voyage vers l'inconnu, « au-delà des
.:he, sont limites humaines 15 ».
tous les Les Chants orphiques, comme la jeune critique Irène Gayraud l'a récemmen t
franchir d émontré'6, sont même structurés comme le voyage orphique, et donc comme
mnu » et une d escen te aux enfers: et nous pensons évidemment à Une saison en enfert 7•
Sauf que pour Orphée, tout comme pour Rimbaud, la descente correspond à
~ mais la une expérience de connaissance qui reste toujours consciente et d éterminée,
rtement : et le retour est la conclusion nécessa ire de ce parcours. Pour Campana, au
ient que, contraire, la catabase est toujours suivie par une anabase manquée : nous
anuscril, pensons à la prose intitulée La Verna, où souvent la parole se rend au silence
t la seule (les points de suspension qui occupent des lignes en tières, et qui deviendront
~rilement un élément omniprésent de la langue et même du paysage d ans le poème
1certante Images du voyage et de la montagne), et où le retour, la remontée à la lumière, se
insistons situe entre une vision de l'Enfer de Dante(« Dante, toute sa poésie d e m ouve-
)n être et ment m c revient en m émoire 18 »)et un repli progressif vers la dimension du
~ sens d e souvenir, qui reste désormais insaisissable («Ainsi je sais une d ouce musique
tt comme en mon souvenir sans même m'en rappeler une note: je sais qu'elle se nomme
e si toute le d épart ou le retour [.. .] mon souvenir est comme l'cau », p. 75) et qui a
siné sont teiJem ent p erdu sa force consolatrice qu' il peut révéler un sentiment funèbre
tsvenons de perte irrémédiable (« Je pense à mon enfance .. . », p. 77).
~ et perte La condamnation à un retour impossible est aussi exprimée, a u niveau
l'incom- macro-structurel, par l'ensemble des Chants orphiques, qui s'ouvrent et se
msion de referment sur une vision nocturne. Pour Campana, la d escente dans la nuit
des pays est un chemin inévitable, et le retour au jour (le soleil qu'on s'attendrait dans
il n'avait la dernière partie des Chants, celle que le poète appelait « méditerranéenne»),
oriaux de quoique tenté d e toutes ses forces, lui est nié; et effectivement, comme le dit
é d ans un Christophe Milesch.i, « le recueil débouche sur une défaite, sur une plongée
Joèm e est dans une nuit sans fond 19 ». L'image d e la Méditerranée que Campana n ous
)Înt, mais offre correspond en tout point à l'anéantissement irréparable de l'existence:
naine qui le port endormi qu' il d écrit à la fin des Chants résonne de crissements sinistres
·cction de de cordes (on dirait un bruit de pendus) et reste prisoiUlier du silence, du noir,
~peu vent de la solitude et du désespoir les plus é pais :
e. Le titre
e identité
oète et de 15 Femando 13andini, « Note sulla lingua poetica di IJino Campana», dans /Jino Campana alla fine del
,e [réside] secolo, textes recueill is par A.R. Gcntil ini, Bologna, il Mulino, 1999 ; nos citations sont tirées de la
p. 49 ; la traduction est de notre main.
16 Irène Gayraud, « Déplacements orphiques dans la poésie de G uillaume Apollinaire et Di no Campana»,
cazionc della communication présentée au 4' Congrès international REELC/12NCLS Literary Dislocations,
; fois dans les Déplacements illléraires, Skopj e-Ohrid (Macédoine), septembre 20 11, à paraître.
», impliquant 17 Sous l' influence de Soffici, qui appela Campana« fratcllo di vila e di spirito» de Rimbaud (dans Ricordi
11 autorisés el di vila artis/ica e /el/eraria, Firenze, Vallecchi, 193 1), et de Contini, qui le vil comme « un Rimbaud
italiano » (« Dino Campana», in G. Contini, Esercizidi le/lura, op. cil., p. 18), Je rapprochement entre
1uc du poète ; les deux poètes est toujours pam inévitable. Toutefois la critique a récemfncnl contes té cette proximité.
.. ) prima che e n raison du fait que le poète italien n' avait pas connu l' œuvre du poète français (cf., entre autres, Paolo
: mi faccvano Maccari, Il poe/a sollo esame, l'assig li, Firenze, 2012, p. 45-56).
·a Papini e gli 18 Dino Campana, Chants orphiques, trad. de Claude Gall i, Marseille, Éditions Via Valeriano, 1992,
; lia polizia. )), p. 73 . Les deux citat ions s uivantes sont tirées des pages 75 cl 77.
19 C hristophe M ilesehi, Dino Campana. Le mystique du chaos, Lausanne, L' Âge d ' Homme, 1998.
Alessandro Marignani

Le vaste port d'endort. qui e1


Des cheminées s'élève le nuage renee·
Alors que le port en un doux crissement mai s
Des cordages s'endort: et que la force JUSqu
Dort, que dort la tristesse berceau sorte•
Inconscient des choses qui seront ct le ·
Et le vaste port oscille en un rythme
il va ;
Fatigué et l'on sent
Le nuage qui se forme dans un vomissement silencieux. en St
[... ] déco'
Crissait crissait crissait de ses chaînes té mo
La grue sur le port dans la profondeur de la nuit sereine: font ·
Et dans la profondeur de la nuit sereine rec01
Et dans les bras de fer se di
Le faible cœur battait d'une plus vive palpitation: toi - écr
La fenêtre tu avais éteint : est r;
Là-haut, nue mystique profonde, de s'
Était la nuit tyrrhénienne, dévastation infiniment ocellée20 voyë
Les Chants, donc, comme voyage orphique, mais un voyage sans issue, parce à nd
que sans solution avait été la vic même de Campana, orphique elle-même, en fe
identifiée à un voyage interminable, une recherche que rien ne peut accomplir. car!
Retraçons-en quelques faits, juste ceux qui p euvent servir à la compréhension d es•
de sa poésie. corn
Comme le rappelle Vassalli, au centre de la vic de Campana se situent pui~
les dissensions avec la mère qui, dès la naissance du frère cadet en 1887, n on trav
seulement commença à négliger Dina, mais n'évita jamais de lui montrer d e la puü
désaffection, voire d e l'intolérance. L'ambiance familiale s'exacerbe et le père, boi~
au nom de la respectabilité sociale qui lui impose la solidarité avec l'épouse, en Suit
accuse publiquement le fils et son« impulsivité brutale et morbide 21 ». Bientôt Ma1
la famille et les gens d e Marradi commencent à inca rner pour Campana les vi t t
sentiments d e réclusion e t d'exclusion, et une image de son village comme d éF
d'un ici inadapté qui nie tout sentiment d'appartenance. Ainsi, à la d éfinition d e·
de soi, établie en contraste avec les autres qui personnifient la méfiance la tou
séparation et l'altérité, correspond une vision du monde à l'extérieur de «SE
Marradi comme seule possibilité de vie pour le poè te ; et cet Ailleurs, dont au
les coordonnées sont destinées à res ter variables et indéfinissables, d evient le à 4'
seul univers où la connaissance est envisageable (et où la poésie p eut trouver un
son affirmation authentique). de
... Déjà élève sérieux ct vif d'es prit, parce scntimcntd'inappartenance radicale Ca:
il commence à rencontrer de grosses difficultés dans ses études. Il est admis Olt
à l'Académie mililaire, mais il n'est pas reçu à J'examen final e t doit donc la s'a
quitte r; pressé p ar la famille, il s'inscrit à la Faculté de chimie à Bologne mais,
d émotivé, il n'arrive pas à préparer un seul examen. Il passe dont! à Florence,
où, en 1906, il soutient deux examens, avant d'échoue r à nouveau : c'est alors 22
que la fuite (de Marradi, de Florence, de sa famille, de toutes les obligations

23
20 Cc sont les tout. derniers vers des Chants orphiques, op. cil., p. 165-66. 24

21 Cité dans Di no Campana, Un po ' de/mio sangue, op. cil., p. 16.


Dino Campana. VtJyage au bout de l'Ailleurs

qui empêchaient sa réalisation e t de tous les éch ecs qui d éclaraient sa diffé-
rence) devient p our Cam pana non pas seulement un moyen pour s'échapper,
mais plutôt le moyen pour trouver, pour réaliser sa recherche. Dorénavant,
jusqu'à son internement en 1918, il fait « toute sorte de voyages» et «toute
sorte de trava ux22 ».Et à chaque fois, la police l'arrête, sans argent ni papiers,
ct le renvoie à Marradi : tout cela devient son histoire quotidie!Ule. D'abord
il va à Gênes; ensuite il s'échappe à Bologne, puis à Milan et, à pied, il arrive
en Suisse, d'où il passe en France, arrivant jusqu'aux portes de Paris ; il est
découvert sans papiers e t accompagné à la frontière. Ses parents, g râce aux
témoignages de certains concitoyens, obtietu1ent un certificat de « folie» et Je
font interner à Imola. Libéré au bout d e que lques mois par le directeur qu i n e
reconnaît chez Dino aucun véritable signe d'aliénation, il part à Florence, où il
se dispute avec des carabiniers ct se retrouve encore une fois interné: « L'asile
-écrit Campana- est comme une prison : d ès qu'on y est rentré une fois, on y
est ramené pour n'importe quoi 23 ».Les membres de sa famille, dans l'esp oir
d e s'en débarrasser pour toujours, lui procurent u n passeport spécial pour un
voyage d'aller simple à Buenos Aires. Au bou t de quelqu es mois il s'enfui t
1arce à nouveau pour rentrer en Europe ; clandestin, il est arrêté en Belgique et
ême, enfermé dans un asile local, où il est contraint de séjourner p endant d es mois
tplir. car ses parents refusent d e d emander son extrad ition. Grâce à l'intervention
lSion d e son oncle, il peut rentrer à Marradi, e t choisit comme demeure la forêt, où il
commence à vivre de plus en plus régulièrement; à pied, il va jusqu'à Bologne,
tuent puis à Florence, à la Verna, et enfin encore à Gênes. Les premières traces de son
, non travail littéraire remontent à cette époque. U habite quelques temps à Gênes,
dela puis à Florence où il présente et perd son manuscrit ; ensui te il rentre dans les
père, bois de Marradi pour réécrire son ou vrage, terminé probablement à Berne, en
se, en Suisse. Puis il se rend à Turin, à Pise, en Sardaigne, et finalement il rentre à
ientôt Marradi pour imprimer (à ses frais) son livre. JI souffre d' une hémiparésie ct
1a les vi t une relation brève et tumultueuse avec Sibilia Aleramo (plus âgée que lui et
>mme d éjà très célèbre) en 1916. Obsédé par cet amour et par un sens parfois délirant
nition de persécution, il est mis plusieurs fois à l'hôpital psychiatrique, d'où il est
nee la toujours exclu car il «ne présente pas les signes de la maladie mentale» ou
ur d e «se présente guéri », comme le montrent les rapports m édicaux. Finalement,
, d ont au d ébut d e l'année 1918, on réussi t à l'interner à Castel Pulci, où il mourra
ient le à 47 ans, en 1932, après 14 ans pendant lesquels il n'écrivit plus rien ct d ont
·ou ver un précieu x témoignage reste une étude de son psychiatre, Vies non romancées
de Dùw Campana, écrivain et d'Evaristo Boncinelli, sculpteur'l-4• Effectivemen t,
tdicale Campana n'était peut-être pas fou ; il fut la victime, à la fois, d'un e époque
admis où les études psych ologiqu es é taient encore sommaires c t où les médecins
.one la s'appuyaient trop souvent sur l' électrochoc, d es préjudices et de la cruauté
~ mais,
>renee,
;t alors
22 Nous renvoyons à Gabriel Gacho Millet, Dino Campanajuorilegge, Palcmio, Novecento, 1985, ot'r
~a ti ons sont recueillis tous les documents et les feuilles de route qui à chaque fois imposaient à Campana de
rentrer à Marradi.
23 Ibidem, p. 226.
24 Carlo Pariani, Vite non romanzate, di Dino Campana scrittore e di Evaristo Boncinelli scultore,
Firenze, Vallecchi, 1938.
Alessandro Marignani

de sa famille et de ses concitoyens, et, comme le présume Vassalli25, de la poète dans un


syphilis, dont les effets ressembleraient à ceux diagnostiqués comme la folie reconnaissable
de Campana. Mais certes, quelle qu' en fût la cause, les délires de plus en plus localisation exa
fréquents dans lesquels le poète tombait étaient dénoncés par tous ses proches l'ici dans les co
(« je suis ce type que Monsieur Soffici, à l'exposition futuriste, vous a présenté tant les élémen
comme un dérangé26 >>, écrit-il dans la lettre à Prezzolirù du 6 janvier 1914 et que seu l lep(
que nous avons déjà citée), et sa psychose, pour naturelle ou induite qu' elle Néanmoins,
fût, nous reste clairement lisible dans ses le ttres. Campana avait sans doute (et parfois frisai
raison quand il se plaignait : « lls font tout ce qu' ils peuvent pour faire d e tion obstinée dt
moi un fou >> . Les données biographiques d e Campana montrent en somme chez Campana
un esprit qui vécut profondément et avec souffrance, toujours plongé dans qui restent bien
un sentiment d'altérité et d'opposition aux autres, qui d'ailleurs ont tout fait tendent (mais o
pour faire de lui un aliéné, pour le rejeter, et pour limiter sa géograph ie (aussi p remiers. En so
bien comme espace physique que mental) débordante et incontrôlable dans les rues, ainsi q1
l'enceinte limitée d' un lieu de réclusion. - restent tels qu
Les Chants orphiques portent profondément les marques de cette biographie pas des symbol
tourmentée27, aussi bien du point de vue d e la sh·ucture que du point de vue u n appui pour
du fond des poèmes. Nous y trouvons plusieurs éléments-clés de la notion l' impression qu
d'Ailleurs : ses fuites d'un bout à l' autre du monde, les paysages mystiques et à l'usage, typiq
les villes modernes visitées ou juste aperçues ou même imaginées, les jeunes le soir d'a mour
filles protégées dans un amour pur e t silencieux, et les prostituées âgées et les yeux de vio
graves, éclatées en couleurs et en bruits. mélodie de care
Selon la célèbre distinction d e Contini, « Campana n'est pas un voyant ou la cob/a capji11ida
tm visionnaire : c'est un visuel28 >> ; et ses Chants sont effectivement envahis Sou rces sourc
d'images, de formes et de couleurs; il suffit de"pense r à Voyage àMontevidéo29 où, Sources, sou r•
au cours de cinquante vers, nous comptons au moins 25 notations chromatiques Sources qui S<
(souvent répétées, obsédantes: le vert, l'or, le brun, le bleu, le violet, le céleste, Que les esprit
l' azur, le blanc, etc.). Leur racine est dans le souvenir : un souvenir qui s'est Écoute: la lur
cristallisé dans son contour concret et réel, bien avant de se dissoudre dans un 11 advien t aussi
sens symboliqu e aléatoire, bien avant de devenir écho délirant. L' ouverture des du moins à im]
Chants orphiques, avec la section « La nuit >> du poème éponyme, met en relief, mystè-re même,
en début de texte, le mot « ricardo », souvenir : «Ricardo una vecchla città » éterne lle et pou
(«J'ai le souvenir d'une antique cité »), qui continue ainsi: « J'ai le souvenir
d' une antique cité, aux murs rouges hérissés de toms, brûlante au-dessus de la Oh ! souveni1
couturières pc
plaine infinie en ce mois d'août torride, avec sm le fond la lointaine fraîchew-
par l'anxiété c
de vertes et molles collines.30 >> À partir du début, le lectew- est amené par le ma foi , m a vi<
l'abîme>>. J'ét
25 Cf. notamment l'introduction de Un p o' de/m io sangue, op. cil., p. 12- 13. larves J u my5
26 «Jo sono quel tipo che le fui presenta/a da/ signor Soffici all 'esposizionc futuri sta corne uno s poslalO >>,
in Dino Campana, Un po' del mio sang ue, op. cil., p. 194. 1.e voyage orp
27 Une biographie que le sous-titre qualifie de « 1'r agodie » : dans le sens étymologique de ce mot se nocturne el sou
concentrent l 'idée de chant {ôidè) ct celle du bouc émissaire (tragos), avec lequel, donc, le poète troisième fragm
s'identifie. et on pourrait .
28 11 Campana non è 1111 veggen/e o 1111 visionario : è 1111 visivo », écril-il dans son article 11 Dino Campana», ., l'aspect (illusoir
Lelleratura, l, 1937, repris dans Esercizi di /ellura, sopra autori contemporanei con 1m 'appendice su
tesli non conlemporanei, Firenze, Le Monnier, 1947 el Torino, Einaudi, 1974 ; contre celte définition
trop limitative, cf. Mileschi, op . cil., p. 229.
29 Chants orphiques, op. cil., p. 84-85. 31 1/ndcm. p. 56
30 i bidem, p. 33. 32 Ibidem. p. 42.
Dino Cttmpana. Voyage au bout de L'Ailleurs

poète dans un espace qui ne correspond pas forcément à une topographie


reconnaissable (ou du moins, qui n'a pas son intérêt dans la d éfinition d 'une
localisation exacte), mais qui efface - constamment - la dimension concrète d e
l' ici dans les contours confondus d'un Ailleurs. Dans cet espace ce ne sont pas
tant les éléments physiques qui comptent, mais plutôt les sens qu'ils évoquent
et que seul le poète p eut comprendre.
Néanmoins, nous ne trouvons jamais, chez Campana, l'association imagée
(et parfois frisant l'aléatoire) d'un Rimbaud ou d'un Lautréamont, ru la sublima-
tion obs tinée du sens dans la figure, qui est le signe d' tm Mallarmé. En revanche
chez Campana nous avons d' un côté des éléments du paysage qui reviennent et
qui restent bien reconnaissables, et de l'autre des sens, des symboles, figés, qui
tendent (mais ce n'est qu'une tension, une intention) à s'incruster à ces élémen ts
premiers. En somme : les tours, les murs, les places, les fontaines, les bâtiments,
les rues, ainsi que les bois, les fleuves, les prés- et la mer, la mer et encore la mer
-restent tels quels, et quand ils rentrent dans la poésie de Campana ils ne sont
pas d es symboles déjà abstraits d'un sens caché, mais, au contt:aire, ils offrent
un appui pour une recherche symbolique qui est à faire, et dont on a souvent
l' impression qu'elle est accomplie sous nos yeux. Nous pensons notamment
à l'usage, typique chez Campana, de la répétition : « et non pas un Dieu dans
le soir d' amour de violette: mais toi dans le soir d' amour de violette: mais toi
les yeux de violette baissés, toi qui avais volé à un ciel nocturne inconnu une
mélodie de caresses. Je me souviens chéries [ .. .] » qui arrive jusqu'à la forme de
n
la cobla capfinida de ces vers du 'nocturne' intitulé ~anto della tenebra :
Sources sources il nous faut écouter,
Sources, sources qui savent
Sources qui savent que les esprits sont
Que les esprits sont à l'écoute ...
Écoute: la lumière du crépuscule (.. .)31
n advient aussi que ce mys tère que la poésie doit chercher à exprimer, ou
du moins à implique r dans sa trame, ne soit désormais que le souveni r du
mystère même, ce derrtier é tant condamné à rester une énigme opaque,
éterne lle et pour autant atemporelle :
Oh ! souvenir ! : j'étais jeune [... ). Je confiais alors mon mystère aux jeunes
couturières polies et souples, consacrées par mon anxiété de l'amour suprême,
par l'anxiété de mon adolescence tourmentée assoiffée. Tout était mystère pour
ma foi, ma vie n'était « qu'anxiété du secret des étoiles, que regard tendu vers
l'abîme>>. J'étais beau de tourment, inquiet pâle assoiffé errant derrière les
larves du mystère. Puis je m'enfuis32•
Le voyage orphique de Campana commence donc dans cette dimension
noctume et sous le signe du souvenir ct d e l'inconscient (le detqcième et le
troisième fragment de La nuit commencent par le mot « inconsciemment>>);
et on pourrait peut-être dire que le «symbolisme» de Campana, à savoir
l'aspect (illusoirement) voyant e t visionnaire de sa poésie, réside entièrement

31 Ibidem, p. 56.
32 Ibidem, p. 42.
Alesstltuiro M arignrmi

ici. Le reste de sa poésie est con stitué par le registre des choses, sur lesquelles Q uelle que soit
le souvenir p ermet la s uperposition d 'un sens (un sens beaucoup plus provi- le s igne et le sy1
soire que le sen s qui s'impose à Ma lla rmé, parce qu' il dure Je temps d' un le poète a visi té<
regard, et n'a pas la durée figurative et psychologique d 'Lme « illumination »). n aît, avons-now
C'est cette dimension du souvenir (s ur laquelle, nous l' avons v u, Campana s i l'on donne ur
ins iste m êm e d' un point d e vue linguistique) qui condamne les choses du comme le plus é
monde à LUle altérité irrécupérable, et c'est cet inconnu, cette inconscience, qui Cette d is tan<
les conserve à une dis tance que rien ne pourra abréger. La secti on s uivante, poés ie de Cam1=
qui d éjà par son titre (« Nocturnes») reprend la thématique de la nuil, s'ouv r e l' altérité non p;
avec le poèm e le plus connu de Campana, La Chimère, qui est un véritable a ussi comme 1'1
manifeste . De n ombre uses interprétations ont été données sur Je sens que son linguistique qL
allégorie recèle : n ous croyon s que l' image dominante es t celle de la lune ; aulom11al (Flore
néanmoins, nous devons r em arquer la dis tance que ce poème établit avec d ans le souven
les lunes romantiques ct les clairs de lune d e la tradition du symbolism e qu e Montale (
tardif, et adme ttre que le r éseau abstrait et fuyant de ses expressions e t de « talism an ») lE
ses m étaphores p eut facilement subsumer la Vierge des rochers de Léonard de Ca mpana » ; ic
Vinci, aussi bien que la beauté féminine, o u la mus ique, o u encore la pureté lemiroi rsu rle
incorruptible de l' idéal. Son d ébut (« Io non so ») déclare, à nouveau, cette et imaginé, de;
prise d e conscience de l' inconnu dont n ous venons de p arler, en tant q u e On entendu
signe rad ical d e la dis tance et de l' AiUeurs : Qui monte c
Je ne sais si entre les rochers ton pâle Dans les sat
Visage m'apparut, ou bien si sourire Demeurent
D'éloignements inconnus Retournées
Tu fus, l'échine éburnéenne Et du profo
Front resplendissant ô jeune Tendre et g
Sœur de la Joconde : Naît et ha lè
C des printemps Surgit e l so
Éteints, par tes pâleurs mythiques Et dans l'ar
C Reine, ô Reine adolescente : Dans l'arôr
Mais pour ton poème inconnu Entre les st
De volupté ct de douleur Elle m'app
Musique enfantine exsangue, Le souven ir,
Marqué d' un linéam ent de sang
et des ch ose~
Dans un cercle de lèv res sinueuses,
Reine de la Mélodie : trumcnt cap;
Mais pour ta tête virginale d evenir le tr;
Inclinée, moi le poète nocturne toujou rs dan
)'ai veillé les étoiles vibrantes dans la vaste mer du ciel un élément J
Moi pour ton doux mystère fait naître et
Moi pour ton devenir taciturne. est mise en
Je regarde les blanches roches sou rces muettes des vents Etchegarray).
Et l' immobilité des firmaments Argenti ne,
Et les ruisseaux gonflés qui vont pleurant complètemc
Et les ombres d u labeur htunain courbées sur les tertres glacés
.,
filles aperçr
Et puis lointaines ombres clai res dans les tend res cieux
perfection •
Et toujou rs je t'appelle je t'appelle Chimèrell.
importeqw

31 Ibidem, p. 5 1-52. 34 lbtdem, p.


D{no Campana. Voyage au bout de l'Ailleurs

;quelles Quelle que soit la référence concrète que ces vers traduisent, La Chimère est
s provi- le signe et le symbole de cette distance où la poésie naît : cette distance que
ps d' un le poète a visitée, point de départ et d' arrivée de son voyage. Là où la poésie
ltion >>). néÛt, avons-nous dit ; et il faudra prendre cette expression au pied de la lettre,
1mpana si l'on donne un peu de crédit à ce que Campana même a dit, en l' indiquant
oses du comme le plus ancien et le plus naïf de ses poèmes.
nee, qui Cette distance, cet Ailleurs, se rév.èle d onc comme la racine profonde de la
1ivante, poésie de Campana ; ses vers en sont tellement pénétrés qu' on p eut considérer
s'ouvre l' altérité non pas seulement comme le signe distinctif de tout paysage, mais
éritable aussi comme l' horizon spéculatif que le paysage implique, et comme le signe
que son linguistique qui le traduit. Cette transfiguration est exemplaire dan s jardin
a lune; automnal (Florence), où les données sensibles sont complètement transfigurés
•lit avec dans le souvenir, et où tout est évaporé dans une dimension ultérieure te lle
bolisme que Montale (qui devait y recoru1aître une anticipation de sa p oétique du
:lS et de « talisman >>) le définit comme« le poème le plus détaché et le plus parfait de
nard de Campana >>; ici le monde actuel et présent n'est p as seulement, pour le poète,
1 pureté le miroir sur lequel projeter ses souvenirs: il est le produit-même, à la fois réel
m, cette et imaginé, des souvenirs :
ant que On entend une fanfare
Qui monte déchirante : le fleuve disparaît
Dans les sables dorés : dans le silence
Demeurent les blanches statues en tête des ponts
Retournées : et les choses déjà ne sont plus.
Et du profond silence, comme un chœur
Tendre et grandiose
Naît et halète
Surgit ct soupire tendu vers mon balcon :
Et dans l'arôme du laurier,
Dans l'arôme de l'âcre laurier languissant,
Entre les statues inunortelles dans le coucher de soleil
Elle m'apparaît, présentel-1•
Le souvenir, donc, n'est p as simplement le réservoir des expériences vécues
et des choses vues (les choses qui « déjà ne sont plus»), mais c'est aussi l'ins-
trument capable de remplir les v ides, les lacunes de la vie, sans pour autant
devenir le travestissement en images d'une pensée hallucinée, mais en restant
toujours dans un niveau de création linguistique et figurative, avant de devenir
un élément psychologique. Cette même cap acité démiurgique d u sou venir qui
fait naître et surgir (un souvenir en somme qui supplée une absence inexorable)
est mise en scène dans la prose intitulée Dualisme (Lettre ouverte à M anuelita
Etchegarray), où Campana écrit à une fille qu'il avait effectivement vue en
Argentine, mais dont il ne connaissait même pas le prénom. Son souvenir
complètement imaginé, auquel se superposent les souverjrs d'autres jeunes
filles aperçues lors de l'arrivée du poète à Paris, devient ainsi l'emblème d'une
perfection qui est défmie jus tement par le fait de rester insaisissable. Peu
importe que cette perfection, qui appartient entièrement à l'espace de l'Ailleurs,

34 Ibidem, p. 53.
Almrmdro Marif!tani

corresponde à Manuelita, ou aux fillettes des Bohémiens, ou à Bahia Blanca, ou à éternelles et s


Paris- au contraire, une identification exacte la détruirait : à une imperf
Vous m'apparaissez de nouveau dans un lointain souvenir[ ... ]. Des souvenirs de vérité que
perdus, des images mortes déjà se créaient alors que plus profond était Je ses pas jusqt
silence.[ ... ] Les fillettes des Bohémiens, les cheveux défaits, les yeux brûlants souvenirs d't
et profonds figés en une amère langueur ambiguë autour du bassin lisse et
désert. Et enfin Elle, sans mémoire, lointaine, l'amour, son visage tzigane dans
l'onde des sons el des lumières qui se colore d'un enchantement irréel [... ].
Et si lointaines de vous passaient ces heures de rêve, heures de profondeurs
mystiques et sensuelles qui dissolvaient en tendresse les plus âcres gmmeaux
de la douleur, heures de bonheur parfait qui abolissait le temps et le monde
entier, longue gorgée aux sources de l'Oubli 35 !
Le voyage de Campana (et notre voyage dans sa poésie) parvient alors à
son but. Au fur et à mesure que souvenirs délirants et mémoire se tressent
ensemble et s'effacent les lieux topographiques dans l'horizon impalpable
d'une langue qui est à la fois riche, répétitive et hantée par le silence, et
au fur et à mesure qu'un univers symbolique multiplie les liens internes
mais renonce à l'affirmation d'une dimension structurée du sens, l'intégrité
même du sujet et le statut de vérité du je poétique se trouvent démentis.
Campana, comme l'Orphée du mythe, à la fin de son voyage est déchiré,
aussi bien pour ce qui est de sa personnalité d'homme, que pour ce qui est
de son ambition littéraire- faut-il répéter l'urùté, singulièrement radicale,
entre vie et œuvre chez Campana? Les derniers mots qui scellent le poème
et l'éphémère parabole poétique de Campana sont empruntés, comme
nous l'avons déjà dit, à Whitman. Leur valeur testamentaire est soulignée
par Campana lui-même : «Si, de mon vivant ou après ma mort - écrit-il à
Cecchi- vous vous occupez encore de moi, n'oubliez pas, je vous en prie, les
derniers mots They were all torn and covered with the boy's blood, qui sont les
seuls importants du livre» : «ils étaient tous déchirés et couverts du sang
du jeune homme» . Cette déclaration ne peut être le sens ultime du livre,
mais représente sans doute la véritable arrivée du voyage: celte arrivée qui
exclut le mouvement circulaire, qui nie le salut et qui consigne Campana à
son destin de véritable Orphée. Le voyage est l'arrivée au bout de l'Ailleurs,
d'où l'on ne peut plus revenir, et où tout - le monde, l'être- glisse dans une
nuit éternelle, dans le silence, dans la perte.
La parabole poétique de Campana et toute sa vie sont, sans doute, entière-
ment orientées vers la recherche et la défirùtion d'un Ailleurs qui serait le seul
espace o}! les deux, le poète et ses poésies, trouvent une justification possible.
Cet Aillèurs est la force d'attraction et de tension nécessaire à la poésie de
Campana, c'est le lieu (ou mieux, le non-lieu) où même son existence biolo-
gique pourrait se réaliser complètement. Cet espace pour Campana ne doit
pas rester un espoir, tme simple aspiration dont le poète ne peut qu'affirmer
la nature insaisissable; au contraire, Campana l'a cherché partout et a cru le
reconnaître, éparpillé et fragmenté, dans tous les pays qu'il a visités. Ses fuites

35 Ibidem, p. 103-105.
Dino Campttntl. Voyage au bout de l'Ailleurs

éternelles e t sa poésie, soumise à un état instable et variable qui la condamne


à une imperfection irré parable et définitive, témoignent d e cette recherche
d e vérité que Campana a accomplie, dans sa vie et dans ses vers, en poussant
ses pas jusqu'au bout du monde et en nous racontant ses visions ct ses
souvenirs d'un Ailleurs qui l'a toujours appe lé, séduit, protégé.

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