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Congo et du Nil, dans la région
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appelée « les grands lacs », dont le lac Tanganyika. C’est une région de hauts plateaux, proche du Rwanda au nord.
Les deux pays se ressemblent, à la fois par les ethnies qui les peuplent, dont trois principales, les Hutus, à l’origine
agriculteurs, les Tutsis, à l’origine pasteurs, et les Pygmées, moins nombreux, par les langues parlées et par une même histoire
partagée.
L'histoire Une remarquable vidéo récapitulant l'histoire du Burundi
De la colonisation à l’indépendance
Pendant des siècles, toutes les ethnies ont cohabité pacifiquement, en se partageant le pouvoir, même si les Tutsis, qui
possèdent le bétail sont considérés comme des « aristocrates ». L’isolement du pays lui a permis d’échapper aux trafics
négriers, et il a été colonisé tardivement, d’abord par les Allemands, puis, après la défaite de l’Allemagne à la fin de la 1ère
guerre mondiale, par les Belges : le Burundi, comme le Rwanda sont intégrés au vaste ensemble formant le « Congo belge ».
C’est alors que se met en place une forme de racisme qui sépare les « Tutsis évolués », qui disposent de l’appui du
colonisateur, des « Hutus faits pour obéir », donc largement exploités.
Or, c’est cette élite tutsie, plus cultivée, qui, après la seconde guerre mondiale, entreprend de lutter pour obtenir
l’indépendance. Cela entraîne une conséquence : comme les Tutsis sont jugés rebelles, « ennemis » de l’État, le colonisateur
favorise les Hutus. Les tensions entre ces deux ethnies s’accentuent donc, notamment quand, en 1959, éclate au Rwanda une
guerre civile : les Tutsis sont pourchassés, massacrés, contraints à l’exil dans les pays voisins, dont le Burundi. Inquiets de
cette situation, les Tutsis du Burundi accaparent le pouvoir politique et militaire – par précaution en quelque sorte.
L’Indépendance y est proclamée le 1er juillet 1962, avec installation d’une monarchie constitutionnelle, et le français reste la
langue officielle.
Le temps de la violence
Mais la situation politique du Burundi reste tendue, les coups d’État se succèdent de la part des militaires tutsis, auxquels
répondent des insurrections hutues, avec d’incessants massacres : en 1965, suivi de l’abolition de la monarchie et de
l’établissement d’une République, puis en 1972, où les Tutsis massacrent entre 100000 et 130000 Hutus, ensuite exclus
totalement de toute administration et de tout pouvoir, enfin en 1988, en 1992… Quand est élu pour la première fois, en 1993,
un président hutu, il est assassiné quelques mois plus tard, et ce sont à leur tour les Tutsis qui se trouvent massacrés.
La situation devient explosive quand, le 6 avril 1994, le président hutu
suivant est lui aussi assassiné, avec le président du Rwanda, dans
un « accident d’avion », attentat causé par deux missiles… Au Rwanda
s’ajoute, en effet, à la tension, depuis 1990, l’action du Front Patriotique
Rwandais, créé par de jeunes Tutsis, exilés, qui veulent reprendre le
pouvoir. La mort des deux présidents met le feu au poudre : la radio
rwandaise appelle alors chaque Hutu à tuer tous les « cancrelats ». Ainsi,
se déchaîne le génocide des Tutsis au Rwanda, au moins 600 000 morts en
Violence
trois mois, qui rejaillit sur le Burundi voisin : il exacerbe la vengeance que
les Tutsis vont exercer contre les Hutus du Burundi …
Une pièce d’un des six monuments commémoratifs du génocide du Rwanda, à Murambi, fondé en 1995
L’engrenage des massacres semble donc sans fin… Il ne s’arrête qu’en 2000 après un accord conclu sous la protection de
l’ONU, mais la situation est loin d’être paisible encore aujourd’hui.
Il pénètre ensuite l’école : les qualificatifs « Hutu » et « Tutsi » sont lancés comme des insultes entre enfants. La chute du
prologue fait sourire, par l’allusion au nez de Cyrano, qui deviendrait alors Hutu… mais le jeu de mots final, « Le fond de
l’air avait changé. Peu importe le nez qu’on avait, on pouvait le sentir », laisse planer une menace.
Présentation du roman
Le titre
Le pays est géographiquement petit, largement ignoré du reste du monde qui ne sait même pas le situer sur une carte,
tellement « petit » que les massacres qui s’y sont déroulés n’ont guère fait l’objet d’une implication internationale.
Mais l’auteur donne lui-même deux autres sens à cet adjectif :
un sens affectif (hypocoristique) : c'est une marque de la tendresse qu'il lui porte ;
pour le mettre à la taille du personnage-narrateur, lui-même enfant : c’est le « petit monde » dans lequel il grandit,
comme dans une sorte de cocon.
On peut enfin penser à un sens métaphorique : ce « petit pays » est celui que l’auteur s’est construit, métis entre deux
cultures, une sorte de territoire commun, réduit aux dimensions de la conscience mais qui peut être partagé avec d’autres :
« celui d’une quête d’un espace commun de citoyenneté, une utopie située entre plusieurs "pays" qui formerait un "petit
pays" non délimité par des frontières étatiques ou sociales », interprétation intéressante proposée par Florian Alix, dans
Afrique contemporaine (2016/1, N° 257).
La structure
Un récit encadré
Les 31 chapitres du roman, sans titres, sont encadrés, de façon symétrique, par
Au début, le prologue, suivi d’un passage en italique. Après la voix de l’enfant, dans le prologue, l'italique laisse la place
au narrateur adulte, qui évoque sa vie en exil, en France, et sa nostalgie du pays perdu. La phrase d’ouverture, « Il m’obsède,
ce retour. », est répétée et précisée, « Je le repousse, indéfiniment, toujours plus loin. » Mais, contrairement à sa sœur, qui
rejette catégoriquement ce « pays maudit », le narrateur le porte en lui, se sent double : dans cette « ville nouvelle », il
transporte son passé.
À la fin, un passage en italique, suivi d’un bref épilogue.
- Le passage en italique nous ramène d'abord dans le bureau du narrateur adulte, en proie à ses
souvenirs nostalgiques : « Je tangue entre deux rives, mon âme a cette maladie-là », explique-t-il,
phrase qui semble avoir été la source de l’image en première de couverture dans l’édition Grasset,
cette silhouette en équilibre plus qu’instable, à la façon d’un funambule, sur une passerelle qui se
rétrécit au fur et à mesure de son avancée. Brusquement, nous le suivons dans son retour à
Bujumbura, et dans ses retrouvailles avec les lieux et avec son ancien ami, Armand : « J’ai Violence
l’impression d’un voyage à rebours », explique-t-il, avant de retrouver sa mère, enfoncée dans sa folie
traumatique, et qui le prend pour son cousin, massacré au Rwanda.
- L’épilogue se présente comme antérieur au roman, dont il annonce l’écriture : « Le jour se lève et
j’ai envie de l’écrire. Je ne sais pas comment cette histoire finira. Mais je me souviens comment tout a
commencé. »
Le corps du récit : 31 chapitres
Le roman est nettement divisé en deux parties, mises en valeur dans la bande-annonce du film qu’en a tiré d’Éric Barbier, sorti
en 2019.
La 1ère partie, des chapitres 1 à 15
Elle offre un récit d’enfance conforme au topos du « paradis perdu », un royaume illustré par le paysage africain, dont toutes
les sensations sont restées gravées dans la mémoire. C’est le temps « du bonheur », au sein de la famille, à l’école, avec la
bande des copains… Mais deux failles déjà au sein de ce bonheur :
la séparation des parents, à la fin du chapitre 3 : la perte de la mère est un thème récurrent dans le roman, pour le
personnage, comme pour ses amis, Armand et Gino.
le vol du vélo reçu à Noël (chapitre 4) : après un long périple pour le retrouver, Gaby le reprend au paysan pauvre qui l’avait
acheté (chapitre 8), et découvre alors le remords.
La visite, au chapitre 9, à l’arrière-grand-mère rwandaise, exilée qui vit dans l’image idéalisée du Rwanda, la décision du
cousin Pacifique de partir se battre pour reconquérir ce pays perdu (chapitre 11), puis les tensions politiques croissantes au
Burundi à l’occasion des élections, aux chapitres 11, 12 et 13, insèrent progressivement la violence dans le roman. Elle est
symbolisée, au niveau des enfants, par leur conflit avec « Francis », perçu comme un dangereux ennemi.
La 2nde partie, des chapitres 16 à 31
La seconde partie pourrait, elle, s’intituler « le temps de la peur ». Le tremblement de terre qui secoue Bujumbura au chapitre
15 est symbolique de la violence qui va se déchaîner, à partir d’un coup d’État contre le président nouvellement élu, au
chapitre 16 : c’est la fin de l’enfance insouciante, et l’entrée dans l’Histoire, avec les premiers massacres, le couvre-feu, les
exactions commises par les gangs qui contrôlent la ville…
En contrepoint de la situation au Burundi, la situation au Rwanda est encore pire… jusqu’à l’explosion du chapitre 22, avec
l’attentat contre l’avion des deux présidents, le 6 avril 1994.
La fin du roman rapproche progressivement du personnage-narrateur les horreurs du conflit : du Rwanda, elles passent au
Burundi, puis à sa capitale ; des quartiers éloignés de la ville, elle entre dans « l’impasse » où vivent le héros et ses camarades,
contamine la mère, qui sombre dans la folie et disparaît, pénètre enfin dans la parcelle où vit la famille (chapitre 28). Gabriel
lui-même se trouve atteint, quand il est obligé d’immoler par le feu un présumé assassin, au chapitre 29. Après la mort du
cuisinier, le dernier chapitre détermine le départ des enfants pour la France. Haut
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Les lettres
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Un des aspects importants dans cette structure est l’insertion de courriers, qui tissent des liens entre le Burundi, la France et
le Rwanda.
Entre Laure et Gaby
Au chapitre 7
La lecture des deux lettres permet de les comparer : celle de Laure reste très enfantine, tout en donnant, dans sa question,
« As-tu reçu le riz qu’on vous a envoyé ? », une image de l’Afrique plongée dans la misère et « assistée » par l’Europe ; la
réponse, au-delà de son énonciation enfantine, met en évidence le regard particulier, et original, que Gaby jette sur le
monde, par exemple à propos des « noms », de la couleur de peau ou de son futur métier…
Au chapitre 13
Une autre lettre de Gaby à Laure est introduite, où il lui donne son sentiment sur le résultat des
élections. Mais la distanciation due au jeu sur le regard distancié de l’enfant, par exemple son
jugement sur le nouveau président qui « se tient bien, ne met pas les coudes sur la table », fait
ressortir les remarques critiques : elles annoncent les conflits à venir, par exemple le désaccord
entre les deux employés, d’ethnie différente, ou le fait que le président « ne soit pas militaire »…
Au chapitre 14
Seul figure le texte bref de la carte postale envoyée par Laure, dont le langage reproduit le ton d’une
jeune enfant : « Coucou », « super chouettes », « c’est rigolo », « Bisous ». L’intérêt vient de la
réaction de Gaby, une première prise de conscience du poids des mots, avant qu’il ne commence à
Le président Melchior Ndadaye découvrir la lecture grâce aux livres prêtés par Mme Economopoulos : « pour la première fois de ma
vie j’avais l’impression de pouvoir exprimer mes sentiments à quelqu’un ».
Le chapitre 30 Émeutes à Bujumbura
La dernière lettre, qui occupe tout le chapitre, n’a la destinatrice que comme
prétexte, même s’il y a une allusion au métier de « mécanicien » ou aux
« sacs de riz humanitaire », car cette lettre est, en réalité, un long poème,
scandé par un refrain : » Des jours et des nuits qu’il neige sur Bujumbura. »
Même si l’enfance du personnage peut expliquer cet univers métamorphosé,
comme dans un conte fantastique, les images de la ville et de ses habitants
mettent toutes en valeur le blanc, couleur du deuil en Afrique. La
mort envahit donc ce texte, jusqu’à sa conclusion, destruction totale de la
ville, « Bujumbura est immaculée », phrase à laquelle fait écho le début du
chapitre suivant, « La guerre à Bujumbura s’était intensifiée. »
La lettre à Christian
Quand Gaby écrit cette lettre, qui occupe tout le chapitre 27, il sait que le destinataire est mort : « Tu ne viendras pas. », « tu
Violence
ne diras plus jamais rien ». L’affirmation redoublée, « J’ai tardé à t’écrire », nous interroge sur la fonction de cette lettre. Il y
exprime, dans d’ultimes confidences, le chagrin d’avoir perdu ce cousin. Mais on retrouve aussi ce rôle des mots,
précédemment évoqué, un moyen d'exprimer, et d'abord à soi-même, ce que l’on ne peut dire à personne : son amour pour
Laure, dont il « n’ose pas […] parler aux copains », qui « [s]’éloignent […] chaque jour un peu plus ». Cette lettre est donc
également un long monologue intérieur, qui prend encore plus de sens si on le rapproche de la dernière phrase du passage
final en italique, où la mère ne reconnaît pas son fils qu'elle nomme « Christian ».
Pour lire les paroles de la chanson
Histoire des arts : de la chanson au cinéma
Chanson de Gabriel Faye, "Petit pays", 2013
Gaël Faye - Petit Pays
L'écriture de cette chanson de rap-hip-hop, qui fait partie de
l'album Pili-Pili sur un croissant au beurre, précède l'écriture
du roman, en 2015, mais à la fois en annonce les contenus et
en explique l'écriture.
Une première écoute permet de percevoir le croisement
des deux langues, le kirundi, langue dominante au Burundi,
et le français. On perçoit donc immédiatement le métissage
de Gaël Faye, qui se reconnaît aussi dans le titre de l’album, le
« pili-pili » étant une variété de piment rouge, très piquant,
qui assaisonne la cuisine africaine, arrosant le « croissant au
beurre », emblématique d’un petit-déjeuner français.
Les premières impressions sont dégagées. L’attention est attirée sur le glissement du bureau, où l’auteur observe des photos,
au paysage natal, dans lequel il s’insère pendant la durée du clip, et sur l’introduction, à la fin de la chanson de l’instrument de
bois frotté africain, sur l’omniprésence enfin des enfants, sur lesquels se termine le clip. Tout se passe comme si l’auteur
plongeait progressivement dans ce pays qu’il porte en lui, dans une enfance retrouvée, avec l’innocence des sourires et des
jeux joyeux, avant que ne se déchaîne la violence de la guerre.
Une seconde écoute, accompagnée du texte, met en relation les images et les mots. On soulignera à nouveau
l’entrelacement des souvenirs africains avec l’exil français et, à propos de ces souvenirs, l’opposition entre ceux qui relèvent
de la beauté, notamment à travers la mention des sensations, lumières, couleurs, odeurs…, et ceux qui renvoient à la guerre, à
ce « maudit mois d’avril » où a commencé le génocide rwandais. Le dernier élément d’analyse mettra en valeur le rôle
cathartique de l’écriture : « Une feuille et un stylo apaisent mes délires d'insomniaque », « L'écriture m'a soigné quand je
partais en vrille », « J'ai gribouillé des textes pour m'expliquer mes peines ».
Bande-annonce du film d’’Éric Barbier, 2020 Haut
Ce film réalisé par Éric Barbier et co-écrit par Gaël Faye le plus
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Ce film, réalisé par Éric Barbier, et co-écrit par Gaël Faye, le plus
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Le cadre spatio-temporel
Temps et durée
Le premier chapitre
La récurrence de la formule « au temps d’avant » montre que le premier chapitre précède les faits racontés au cœur du
roman : ce narrateur, qui évoque le mariage des parents, juge leur caractère et l’évolution de leur amour avec la naissance des
enfants, n’est pas l’enfant, mais l’adulte qui s’apprête à débuter son récit, celui des événements qui vont peu à peu détruire
« le temps du bonheur ».
La durée du récit
Quelques dates permettent de mesurer la durée des événements racontés, telle la lettre de Laure, datée du 11 décembre 1992,
Violence
associée à la mention, au chapitre 2, de la « Saint-Nicolas », donc le récit débute le 6 décembre 1992. La date de l’élection du
président Ndadaye n’est pas mentionnée – au lecteur de la rechercher –, en revanche, celle du coup d’État, qui marque le
début des violences militaires, est précisée dans le chapitre 16 : le 21 octobre 1993. Le chapitre 22 s’ouvre sur la date qui
marque le commencement des massacres au Rwanda, « le 7 avril 1994 », et ce chapitre en résume la durée : « D’avril à juillet
1994, nous avons vécu le génocide qui se perpétrait au Rwanda ». Mais, après une allusion au retour de la mère du Rwanda,
« le jour de la rentrée des classes », plus aucune date n’est donnée, pas même celle du départ pour la France.
Ainsi, le roman s’inscrit dans le temps historique, sur une durée de deux ans où tout l’univers de l’enfant – et le pays entier –
bascule.
Une durée intérieure
L’intérêt de roman, fiction autobiographique, est le fait que le point de vue du récit est celui de l’enfant : c’est lui qui observe,
qui exprime ses sensations, qui écoute les voix, et qui porte des jugements. Cela explique que la durée aussi soit perçue de ce
point de vue, donc intériorisée, l’accent étant mis, notamment, sur les moments à l’école, sur les temps forts en famille, le
cadeau d’un vélo à Noël ou une journée d’anniversaire, sur les excursions ou la rupture des parents, sur les événements vécus
par « la bande des cinq ».
C’est particulièrement le cas dans la première partie, où chaque chapitre a sa cohérence interne, à la façon d’une courte
nouvelle conduisant, par étapes, à une « chute » finale. On peut, par exemple, observer cela en mettant en regard les
chapitres 4 (le cadeau du vélo, et l’excursion chez les Pygmées, qui se ferme sur le vol du vélo) et les péripéties de la quête du
vélo volé, au chapitre 8, qui conduit l’enfant à prendre conscience de la faute commise en récupérant, contre le conseil de
Donatien, son vélo, au lieu de le laisser à la famille pauvre qui l’avait acheté : « j’avais honte de cette histoire, j’étais passé de
victime à bourreau en voulant simplement récupérer quelque chose qui m’appartenait. » (chapitre 9) L'importance accordée à
cet événement dans le récit montre à quel point il a marqué l'enfance heureuse, en y introduisant une faille sociale.
Dans la seconde partie, l’irruption de la violence, qui concerne de plus en plus à la fois la famille même, avec les
événements du Rwanda ou par le biais de leurs différents employés, et les enfants, qui en partagent les conséquences,
complexifie les chapitres. Chacun d'eux multiplie davantage les événements et les voix du récit : par exemple, au chapitre 23,
celle de Mme Economopoulos à propos de la lecture forme un saisissant contraste avec celle de Francis, agressive ; au chapitre
24, celle de la mère, qui raconte ce qu’elle a vécu au Rwanda, prolonge le récit de Jacques, sur le camp de réfugiés à Bukavu.
Lieux et décors
L'image de la France
Le métissage du narrateur-personnage n’apparaît que très peu dans le corps du récit. Seule la mère voit ses enfants comme
« de petits blancs, à la peau caramel, mais blancs quand même ». La France y est rarement évoquée, seulement au retour des
vacances quand certains enfants reviennent à l’école « avec des habits et des chaussures à la mode » (chapitre 15) et Haut
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Violence
Mais, avec Ce
la montée
site a été de tensions
conçu naît le sentiment
sur la plateforme de création d’une
de sitesmenace.
internet Ce lieu à part,
.com. Créez il fautsite
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protéger, d’où la décision de « créer
Commencez
cette frontière invisible avec le monde extérieur en faisant de notre quartier une forteresse et de notre impasse un enclos. »
(chapitre 10)
Quand est évoqué, à la fin du roman, le retour à Bujumbura, « vingt ans plus tard », l’impasse retrouvée après des années de
guerre a perdu sa magie : « Les grands arbres du quartier ont été rasés. […] Des murs de parpaings surmontés de tessons de
bouteilles et de fil barbelé ont remplacé les haies colorées de bougainvilliers. L’impasse n’est plus qu’un morne couloir
poussiéreux, ses habitants des anonymes confinés. » Le narrateur ne peut alors que conclure que, plus que d’un pays, il est
exilé de son « enfance ».
Le narrateur
Gaël, Gabriel… Il est tentant pour le lecteur, en raison de cette ressemblance des prénoms, de confondre l’auteur et son
personnage, tentation renforcée par la prise de parole d’un narrateur, dans les passages en italique qui encadrent le récit :
ils nous invitent aussi à l’identifier à la fois à l'écrivain et à son héros. Or, dans ses interviews, le romancier a nié cette
dimension autobiographique. Il est cependant évident que le récit est nourri de ses propres souvenirs, ce dont témoigne la
présentation qu’il en fait, avec l'emploi de "nous" : « J’ai écrit ce roman pour crier à l’univers que nous avons existé, avec nos
vies simples, notre train-train, notre ennui, que nous avions des bonheurs qui ne cherchaient qu’à le rester avant d'être
expédiés aux quatre coins du monde et de devenir une bande d’exilés, de réfugiés, d’immigrés, de migrants. » Cette phrase met
en évidence également le contraste entre les « bonheurs » et ces « exilés », écho à une question actuelle, celle des migrations
venues du continent africain.
Le narrateur adulte
L'exil : le temps de la nostalgie
Dans le chapitre introducteur
Dans ce passage en italique, nous découvrons le narrateur en proie à la nostalgie, au sens étymologique de ce mot, le "mal du
retour", inscrit dans la littérature depuis le long périple d’Ulysse pour rejoindre Ithaque raconté dans L’Odyssée d’Homère : « Il
m’obsède, ce retour. Pas un jour sans que le pays ne se rappelle à moi. » La mémoire se réveille à partir des sensations qui s’y
sont gravées : « Un bruit furtif, une odeur diffuse, une lumière d’après-midi, un geste, un silence parfois, suffisent à réveiller le
souvenir de l’enfance. » Mais cette phrase révèle la face double de la nostalgie : celle des lieux – mais seront-ils restés
inchangés, en cas de retour ? –, et celle d’un temps, ici, l'enfance irrémédiablement perdue.
Dans le chapitre final
Nous retrouvons le narrateur un peu avant son retour, en fermeture du roman, avec ce même sentiment de nostalgie, nourri
par les souvenirs enfermés dans un « petit coffre en bois », qui font écho à plusieurs passages du roman. Plus important
encore est la citation de Jacques Roumain (1907-1944), auteur haïtien, que le roman a introduit comme le cadeau d’adieu à
l’enfant de Mme Economopoulos : « « Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l’a dans
les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de sesViolence
rivières,
son ciel, sa saveur, ses hommes et des femmes… » (Gouverneurs de la rosée) Or, celle-ci l’avait accompagné d’« intarissables
conseils » : « prends garde au froid, veille sur tes jardins secrets, deviens riche de tes lectures, de tes rencontres, de tes
amours, n’oublie jamais d’où tu viens. » Écrire Petit Pays fait donc figure de réponse, venant prouver que rien n’a été oublié,
que ce pays se porte en soi, et ne se dira donc que par l’écriture, ces mots dont il a appris le rôle salvateur dans les lettres
écrites.
Dans le cours du récit
Ce narrateur-écrivain adulte s’efface, dans le cours du récit, devant le narrateur-enfant, qui, tout en apportant au récit son
regard distancié, souvent empreint d’humour, se confond avec le personnage.
Mais, par instants, l’adulte perce sous l’enfant, par exemple dans le chapitre 2, où l’évocation du mariage de ses parents, de
leur vie de jeune couple, ne peut avoir été explicitée que par l’adulte, ou, plus ponctuellement, dans cet aveu : « Il y avait des
fractures invisibles, des soupirs, des regards que je ne comprenais pas. », « Plus tard, j’ai appris que c’était une tradition de
passer de la musique classique à la radio quand il y avait un coup d’État. » L'exil, en ravivant la mémoire, a donc aussi permis
une plus grande lucidité.
Le retour à Bujumbura
Le premier sentiment exprimé est la déception, car la réalité ne correspond pas à ce que la mémoire, celle d’un enfant, avait
conservé : « Mes souvenirs se superposent inutilement à ce que j’ai devant les yeux ». Outre « l’impasse » qui « a
changé », même avec Armand, l’ami retrouvé, la conversation est malaisée : « Les années ont passé, on évite certains sujets. »
Mais, dans le cabaret "maquis", dans un deuxième temps, ce monde d’autrefois
renaît « dans la même obscurité d’autrefois », qui aide à effacer les changements,
en créant une forme de bien-être : « j’ai l’impression d’un voyage à rebours. Les
clients ont les mêmes conversations, les mêmes espoirs, les mêmes divagations
que dans le passé. », « Je retrouve un peu de ce Burundi éternel que je croyais
disparu. Une sensation agréable d’être revenu à la maison s’empare de moi. »
La dernière étape est comme une réponse à la faille initiale vécue par l’enfant, la
disparition de sa mère, progressive puis définitive, avec sa folie à son retour du
Rwanda après le génocide. Il la retrouve là, au fond de la cabane : « Je la retrouve
vingt ans plus tard, qui ont compté cinquante ans sur son corps
méconnaissable. J’ai l’impression qu’elle me reconnaît ». Mais la chute de ce
chapitre est terrible, puisque son identité de fils est alors définitivement perdue,
effacée par le souvenir traumatisant de la mort de son cousin, Christian.
Un « maquis » dans la nuit africaine
Le narrateur-personnage Haut
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d’une famille unie, avec un entourage amical, les « Kinanira Boyz », à la découverte de la violence du monde adulte, de cette
« politique » dont son père ne voulait pas que les enfants s’en occupent.
L'innocence de l'enfant Jeu d'enfant : image du clip de la chanson
"Petit Pays", 2013
Dans la première partie, l'innocence est mise en évidence : ce sont des moments de joie, une
excursion partagée avec son père, le cadeau du vélo rouge à Noël, le pillage des mangues,
ensuite savourées avec les copains…Certaines scènes font sourire, tels le récit de la
circoncision (chapitre 5), raconté par les jumeaux, les observations du matin après un brusque
réveil dû au perroquet imitant la voix du père (chapitre 6). Le point culminant est, au chapitre
14, la fête d’anniversaire improvisée après la mort du crocodile : « ce soir-là je savourais le
bonheur d’être entouré de ceux que j’aimais et qui m’aimaient. »
Mais, à côté de cette joyeuse insouciance, de premières failles obscurcissent l’univers
enfantin. D’abord, il y a le départ de la mère, et surtout, son passage à la maison, au premier
de l’an : « elle a aussitôt redémarré sa moto et est partie avant même que je n’aie eu le temps
de l’embrasser et de lui souhaiter une bonne année. […] elle m’avait oublié. » Ensuite, l’enfant
se découvre capable d’injustice, en reprenant son vélo à la famille pauvre qui l’avait acheté.
La question de l'identité
L’enfant métis vit dans l’inconscience, à la fois de ses origines, mais aussi des origines de ceux qui l’entourent, un employé
zaïrois, un cuisinier hutu, un autre employé tutsi…. Tout cela ne lui parle pas.
Mais la violence qui explose va lui imposer cette question de l’identité,
tel ce tremblement de terre qui ébranle la ville à la fin du chapitre 15. Cela
commence par une bagarre entre les deux employés, Innocent et Prothé,
cela se poursuit par une bagarre à l’école où les insultes fusent : « Sales
Hutu », « Sales Tutsi ». C’est alors une véritable initiation que vit l’enfant :
« Cet après-midi-là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde
de ce pays. J’ai découvert l’antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de
démarcation qui obligeait chacun à être d’un camp ou d’un autre. Ce camp, tel un prénom
qu’on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais. Hutu ou tutsi.
C’était soit l’un soit l’autre. Pile ou face. Comme un aveugle qui recouvre la vue, j’ai alors
commencé à comprendre les gestes et les regards, les non-dits et les manières qui
m’échappaient depuis toujours. […] Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais
né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais. »
(chapitre 18)
Scène de violence à Bujumbura
Les jeux prennent fin, remplacés par d’interminables discussions sur la guerre, la nécessité de devenir un gang pour protéger
l’impasse, de choisir son camp, ce que refuse Gaby, de plus en plus énergiquement : « Je ne suis ni hutu ni tutsi […] Ce ne sont
Violence
pas mes histoires. Vous êtes mes amis parce que je vous aime et pas parce que vous êtes de telle ou telle ethnie. » (chapitre 25)
Cependant ce basculement ouvre un nouvel espace, celui des livres, qui transporte dans des mondes imaginaires : « Grâce à
mes lectures, j’avais aboli les limites de l’impasse, je respirais à nouveau, le mode s’étendait plus loin, au-delà des clôtures qui
nous recroquevillaient sur nous-mêmes et sur nos peurs. » (chapitre 23) Découverte de la magie des livres, de la magie des
mots : « Je découvrais que je pouvais parler d’une infinité de choses tapies au fond de moi et que j’ignorais. » Les livres
permettent donc de se définir soi-même, en toute liberté, loin des contraintes imposées...
La fin de l'enfance
Cette initiation est, avant tout, un apprentissage de la mort : « La mort
n’était plus une chose abstraite et lointaine. Elle avait le visage banal du
quotidien. Vivre avec cette lucidité terminait de saccager la part d’enfance
en soi. » (chapitre 28) Après la mort du père d’Armand, assassiné par des
Hutus, « je n’avais plus le choix », conclut le héros, qui rejoint alors, avec
sa bande, le gang tutsi des « Sans Défaite » Renvoyé à son identité métisse
car traité de « petit Français », les menaces pleuvent sur lui, pour l’obliger
à mettre le feu à celui qui, considéré comme l’assassin, a été placé dans
une voiture arrosée d’essence.
La mort omniprésente : Bujumbura, le 9 décembre 2015
La scène, terrible, fait de l’enfant, à son tour, un meurtrier, le symbole de « toutes les innocences de ce monde qui se
débattaient à marcher au bord du gouffre. » C’est la fin de l’enfance, « la pureté gâchée par la peur dévorante qui transforme
tout en méchanceté, en haine, en mort. » De cette scène, il ne reste, entre les mains de celui qui se fera narrateur-adulte, que
« la carte d’identité », celle qui a été enfermée parmi les souvenirs dans le « petit coffre en bois ».
C’est ce qui se concrétise dans les récits de la mère, au chapitre 24, et surtout, au chapitre 26, quand elle raconte, pendant la
nuit, le cauchemar qui la hante, ces taches de sang qu’elle ne parvient pas à faire disparaître, « ces taches qui ne partiront
jamais. »
Au Burundi
Violence
Dans ce pays également, c’est la politique qui ravive les plus anciens conflits ethniques. Le chapitre 12 s’ouvre sur
l’opposition entre deux partis : « Frodebu. Uprona », le premier, regroupant les Hutus, cherchant à reprendre le pouvoir, le
second représentant les « trente années d’un règne sans partage » des Tutsis. Ce partage est illustré, au sein même de la
famille par Prothé, le cuisinier, hutu, et Innocent, l’homme à tout faire, tutsi. Cependant, le récit évoque d’abord un temps
d’espoir, un « vent de renouveau », l’élection, exercice démocratique : « Cette élection mettait fin au parti unique et aux coups
d’Etat. Chacune était enfin libre de choisir son représentant. »
D’où le contraste des paroles du père, le lendemain. Quand le résultat met au pouvoir un président hutu, l’anxiété l’emporte :
« Ils paieront cet affront tôt ou tard. » De façon symbolique, le tremblement de terre, au chapitre 15, ressemble à un signe
prémonitoire :
« Les hommes de cette région étaient pareils à cette terre. Sous le calme apparent, derrière la façade des sourires et des grands discours d’optimisme, des
forces souterraines, obscures, travaillaient en continu, fomentant des projets de violences et de destruction qui revenaient par périodes successives comme
des vents mauvais : 1965, 1972, 1988. Un spectre lugubre s’invitait à intervalle régulier pour rappeler aux hommes que la paix n’est qu’un court intervalle
entre deux guerres. Cette lave venimeuse, ce flot épais de sang était de nouveau prêt à remonter à la surface. Nous ne le savions pas encore, mais l’heure du
brasier allait lâcher sa horde de hyènes et de lycaons. »
(chapitre 15)
Dans toute la seconde partie du roman, la violence s’impose, graduellement, d’abord lointaine, « d’importants massacres
dans le centre du pays », et indirectement perçue, à travers des conversations entendues : « La guerre n’était encore qu’un
simple mot. Nous avions entendu des choses, mais nous n’avions rien vu. » (chapitre 17)
Puis « la nuit on entendait des coups de feu au loin », et les
journées « ville morte » voient les premiers massacres dans les
rues de la capitale, mais ce n’est qu’au chapitre 24 que le
narrateur ne peut plus échapper à la violence malgré l’effort de
son père : « Lorsqu’un corps se trouvait sur le bas-côté de la route,
Papa nous ordonnait de détourner le regard. » Il assiste même au
« lynchage » d’un homme, finalement massacré à « coups de
pierre ». Scène de violence dans la ville :
film d'Éric Barbier, 2020
Enfin, la violence fait irruption dans la paix de la villa, avec l’entrée de cinq hommes, dont l’un porte une kalachnikov et
menace les enfants, puis enfonce « le canon de son arme dans la bouche » de Prothé, coupable d’être hutu, et qui sera
finalement tué, au chapitre 31… Le récit s'arrête avec le rapatriement des enfants, et nous n’apprenons la mort du père « dans
une embuscade » que dans chapitre en italique qui ferme le roman.
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Explications d'extraits : chapitre 3 - chapitre 8 - chapitre 13 - chapitre 15
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Explications d extraits : chapitre 3 chapitre 8 chapitre 13 chapitre 15
- chapitre 23 - chapitre 28
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Le narrateur adulte
Mais c’est à présent le narrateur adulte qui prend le relais car seul lui a pu mesurer le traumatisme alors vécu, et la valeur
fondatrice de cette scène. Guettant sous la moustiquaire
Chapitre 8, de "Gabriel, par pitié..." à "... honte grandissait en moi.": le vélo volé
Le roman de Gaël Faye, paru en 2016, se présente comme un récit autobiographique, Pour lire l'extrait
fiction, comme l’a déclaré l’auteur, mais nourrie des souvenirs d’une enfance au
Burundi. Un des premiers événements racontés est la séparation des parents, premier
chagrin vécu par le narrateur, Gabriel, alors âgé de dix ans. Un second moment
marquant dans l’évolution du personnage est le vol du magnifique vélo BMX rouge,
cadeau reçu à Noël, par le serviteur Calixte. Mais deux de ses amis ont repéré le vélo
à Cibitoke, loin de la capitale dans le nord du pays, et les deux serviteurs de la
famille, Donatien et Innocent, partent avec l’enfant pour le récupérer. Après bien des
étapes, le vélo, qui est passé de main en main, est finalement retrouvé chez une
famille d’agriculteurs du village de Gitaba. Alors qu’Innocent vient de le charger dans
la camionnette, Donatien intervient.
Image du vélo BMX rouge volé
Violence
Comment cette scène met-elle en valeur les tensions qui règnent au sein de la société coloniale ?
DEUX SERVITEURS EN CONFLIT
Deux serviteurs accompagnent l’enfant, et leur discussion permet de mesurer les divisions entre les Africains eux-mêmes.
Le personnage de Donatien
Il a été présenté dans le chapitre 6 : âgé de quarante ans, d’origine zaïroise, immigré au Burundi, il a un baccalauréat, est père
de trois enfants, fait fonction de contremaître du père, « depuis vingt ans, son plus fidèle employé », et est toujours en train de
lire des passages de la Bible. C’est ce qui explique son intervention, car il a forcément un ascendant à la fois sur l’enfant et sur
l’autre serviteur, bien plus jeune, et qui n’est que l’« homme à tout faire ».
Il représente la conscience morale, en mettant en avant deux arguments :
Il rappelle d’abord les réalités sociales vécus par les paysans, leur
profonde misère. C’est ce qu’il explique au narrateur, Gabriel : « Lui est très
pauvre et son père a travaillé dur pour lui offrir ce cadeau. Si nous partons avec le
vélo, il n’aura plus jamais la chance d’en avoir un autre. »
Dans le même but, il fait appel à Innocent, qu’il tente d’impliquer par le
pronom « nous » et l’appellation « mon ami » : « Innocent, toi et moi avons grandi
dans la pauvreté. Nous savons qu’ils ne récupéreront jamais l’argent et qu’ils
auront, au final, injustement perdu les économies de plusieurs années. Tu sais très
bien comment cela se passe, mon ami. » Ce passage souligne une forme de
fatalité : les paysans n’ont aucun recours devant la justice, même quand ils sont
La misère d'un village au Burundi
victimes, ils sont condamnés à la pauvreté.
Il s’appuie sur ses convictions religieuses, qui guident un choix moral, aider ceux qui souffrent : « Dieu nous pardonnera car
c’est pour faire le bien. Pour aider un pauvre enfant. » Il distingue alors ici deux sortes de mensonges, le mensonge pour nuire,
et celui qui, au contraire, est un « pieux » mensonge.
Le personnage d'Innocent
Lui aussi présenté dans le chapitre 6 : Plus jeune, il a 20 ans, et son portrait est péjoratif : « humeur exécrable » « hautain
avec les autres employés ». Il n’a pas de métier fixe : « homme à tout faire ».
Son comportement contraste totalement avec celui de Donatien, envers lequel il fait preuve d'abord d’agressivité : son
regard traduit sa violence : il « a fusillé Donatien du regard ». Son rejet exclamatif est violent : « Je ne suis pas ton ami ! » Mais
nous notons aussi son ironie, à travers les interrogations et la comparaison : « Rien que ça ? », « À quoi tu joues ? Tu te prends
pour Robin des Bois ? », bandit anglais qui prenait aux riches (ici les Blancs) pour donner aux pauvres, le vélo laissé au paysan.
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Il ’ d lid ité t i t d t i d E é
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Il n’y a donc aucune solidarité entre ceux qui, tous deux, sont au service des Européens.
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son argumentation : Commencez
Il rejette l’argument de Donatien, en insistant, dans sa question, sur l’interdiction du vol : « Parce que cette famille est
pauvre, on devrait lui laisser un bien qui ne lui appartient pas ? » Il joue donc l’honnêteté.
Le deuxième argument traduit son mépris envers ces paysans qu’il juge avec sévérité : « Et un conseil : arrête d’avoir pitié
de ces gens. Ils sont tous plus menteurs et voleurs les uns que les autres. » De même, le mépris ressort de l’insulte violente :
« De toute façon, ce n’est qu’un foutu paysan, le môme, qu’est-ce qu’il va faire avec un BMX ? » Au service d'un Blanc, il e place
en position de supériorité.
Il renvoie à Donatien, avec une ironie que le possessif rend méprisante, sa contradiction religieuse : « Tu as l’intention de
mentir ? a dit Innocent. Je croyais que ton bon Dieu l’interdisait ? »
Finalement, Innocent juge ses concitoyens avec le même mépris que celui dont font preuve les Européens (tel Jacques) à leur
égard. Il n’y a pas d’union, pas d’alliance possible donc, entre ceux qui sont pourtant tous des « colonisés ».
L’ENFANT DU COLONISATEUR
Les serviteurs face à l'enfant du patron
Donatien et Innocent n’adoptent pas le même comportement face à l’enfant.
Donatien
Il tente de faire appel à ses sentiments, à son cœur : « Gabriel, par pitié, ne prenons pas le vélo. Ce que nous sommes en train
de faire est pire que du vol. Nous brisons le cœur d’un enfant » , qu’il qualifie ensuite de « pauvre enfant ». Par le choix du
pronom « nous », il essaie de le persuader en lui faisant partager son point de vue, de lui ouvrir les yeux sur la chance qu’il a
d’être un petit « blanc », le fils d’un homme riche : « ce vélo a moins d’importance pour toi que pour cet enfant, a poursuivi
Donatien. », « Gabriel, a dit Donatien en se tournant à nouveau vers moi. On peut dire au patron que nous n’avons pas retrouvé
ton vélo et il t’en achètera un autre ».
Innocent
Lui, il considère que Gabriel est le fils du patron, ce qui lui donne tous les droits, et il reste totalement indifférent à l’idée de
le faire évoluer, de l’amener à réfléchir. Pour lui, un Blanc reste un blanc, enfant comme adulte. Il se range donc du côté de
Gabriel, du possesseur de la richesse en fait : « Laisse Gabriel tranquille, arrête de le culpabiliser. » Son injonction, « On y
va ! », tranche le débat.
Les réactions de l'enfant
Le récit se construit sur une opposition.
Dans un premier temps, il résiste à l’argumentation de Donatien, en reprenant mot pour mot son argument : « Et moi,
alors ? j’ai répondu, contrarié. J’ai aussi eu le cœur brisé quand Calixte a volé mon vélo. » Il réagit en enfant frustré, qui veut
récupérer son cadeau de noël. Il est donc plutôt satisfait qu’Innocent l’emporte dans la discussion, puisque celui-ci lui donne
raison : « Notre mission était accomplie. Nous avions retrouvé mon vélo. Le reste n’était pas notre affaire, comme disait
Innocent. »
Dans un second temps, on sent monter son trouble, une gêne que révèle le fait de regarder droit devant lui : « Je n’ai pas
Violence
voulu me retourner ou regarder dans le rétroviseur. » Ce trouble est renforcé par l’incident, « Quand nous nous sommes
enlisés », que Donatien va présenter comme un châtiment divin : « il a récité un passage de la Bible qui parlait des temps
difficiles, des hommes égoïstes, des derniers jours, et il disait à voix basse toutes sortes de choses qui m’effrayaient. Il a sous-
entendu que c’était Dieu qui nous punissait de notre mauvaise action. » Il conduit ainsi l’enfant à réfléchir à l’idée que tout
acte a des conséquences. L’enfant perçoit alors la distinction entre « faire le bien » et une « mauvaise action », mais, malgré
sa peur de cette intervention divine punitive, il résiste encore en « essay[ant] de trouver une justification à notre acte », le
possessif montrant la distance qu'il essaie encore de prendre.
Mais, à la fin de l’extrait, c’est Donatien qui triomphe. Le comportement de Gabriel révèle pleinement sa gêne, « Durant tout
le trajet, j’ai fait mine de dormir pour éviter de croiser son regard. » L’aveu est finalement prononcé : « une honte grandissait
en moi. »
CONCLUSION
Ce passage est important dans le roman, car il amène l’enfant à se situer dans le système colonial. Fils d’un Blanc puissant,
patron et riche, au début du texte il revendique ses droits. Mais la situation le conduit à voir sous un autre angle la situation, à
percevoir l’écart social, à considérer le poids de la misère qu’il a eue sous les yeux. Il s’éveille ainsi à la notion d’injustice.
Cette « honte », ressentie, marque une évolution : il comprend que, dans cette société, il n’est pas forcément dans le bon
camp car « victime » d’un vol il se sent, à la fin de l’extrait « coupable » d’une faute, d’un manque de cœur.
C’est ce qui sera formulé dans le chapitre suivant, alors qu’il questionne son cousin Pacifique, prêt au sacrifice, qui s’apprête à
aller combattre au Rwanda : « Depuis hier, je me sentais égoïste et vaniteux, j’avais honte de cette histoire, j’étais passé de
victime à bourreau en voulant simplement récupérer ce qui m’appartenait. » Mais cette phrase prend un sens prémonitoire au
niveau du pays : ceux qui ont été victimes, qui veulent récupérer un pays qui leur appartient, ne se changeront-ils pas, eux
aussi, en bourreaux en accomplissant de terribles massacres.
Chapitre 13, de "Après l'hymne..." à "... On verra bien" : Les élections Pour lire l'extrait
Après le prologue, où le dialogue entre le père du narrateur et son fils présente les conflits ethniques au Burundi, notamment
entre Hutus et Tutsis, le récit nous fait partager la vie du héros-narrateur, Gabriel, entre sa famille, l’école, et sa bande d’amis.
Mais au chapitre 11, nous apprenons que la guerre a recommencé au Rwanda, pays d’origine de sa mère, tandis qu’au Burundi,
où vit la famille, des élections démocratiques sont prévues, le Ier juin 1993. Deux partis s’affrontent : l’Uprona, parti qui
exerce le pouvoir depuis « trente années d’un règne sans partage », contrôlé par les Tutsis, et le Frodebu, parti des Hutus qui
entendent bien conquérir à leur tour ce pouvoir. Cette division s’installe même au sein de la famille, puisque le boy Prothé est
hutu alors qu’Innocent est tutsi. Cependant, le chapitre 13 s’ouvre sur l’espoir d’un pays enfin réconcilié par cette « journée
historique ».
Mais comment les trois étapes de ce récit remettent-elles au premier plan la menace de violence ?
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LE RÉSULTAT DES ÉLECTIONS
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LE RÉSULTAT DES ÉLECTIONS
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Une annonce solennelle
La dimension solennelle du moment est mise en évidence au début de l’extrait. L’annonce du résultat est précédée, en effet, de
« l’hymne national », et l’annonce est faite par celui qui est le garant de la paix civile, « le ministre de l’Intérieur ».
Un contraste est ensuite introduit, entre deux réactions. Le silence, en accord avec la solennité, se traduit dans l’énumération
ternaire rythmée par les négations, dans une phrase non verbale comme pour illustrer l’absence d’action : « « aucun cri, aucun
klaxon, aucun pétard ». L’atmosphère du quartier central de la ville, où habitent les plus riches, Européens ou Tutsis, est
inhabituelle par ce silence, qui paraît pesant. On ne ressent donc pas de joie, par opposition au bruit lointain évoqué, dans les
quartiers populaires où vivent davantage les Hutus : « J’ai cru entendre une clameur au loin, là-haut, dans les collines. Était-
ce mon imagination ? »
Ainsi est déjà suggérée une division au sein même de la population. Le temps semble comme suspendu.
La réaction du père
Cette menace est figurée par le comportement du père, lui aussi silencieux : Mais le fait de d’« allum[er] une cigarette »
trahit une forme de nervosité, masquée par son visage « impassible ». On sent en lui une inquiétude, que confirme sa volonté
de « laisser les enfants en dehors de la politique », une fuite suggérée par le verbe « se réfugier ».
Le romancier veut restituer la perception du narrateur-enfant, curieux :
« À travers la porte, j’entendais des phrases que je ne comprenais pas. »
Mais le narrateur-adulte, lui, connaît l’importance de ce moment, qui
fait renaître la division entre Tutsis et Hutus, et apporte les clés
indispensables au lecteur, l’interprétation du résultat : « Ce n’est pas
une victoire démocratique, c’est un réflexe ethnique ». Européen depuis
longtemps dans le pays, c’est avec un autre Européen qu’il dialogue,
comme le révèle son jugement sévère sur le fonctionnement de la
politique africaine, où dominent des dictatures militaires : « Tu sais
mieux que moi comment ça se passe en Afrique, la Constitution n’a pas
de poids… », « Dans ces pays-là, on ne gagne pas une élection sans être
le candidat de l’armée… » Le conflit est donc annoncé, en rappelant la
puissance des Tutsis, « L’armée soutient l’Uprona ». La dernière phrase,
avec ce « ils » qui reste indéfini, renvoie clairement à l’idée qu’un
Les élections sous contrôle militaire au Burundi nouveau massacre est inévitable : « Je n’ai pas ton optimisme… Ils
LE JOURNAL TÉLÉVISÉ paieront cet affront, tôt ou tard… »
Chapitre 15, de "J'étais en train de..." à "... de lycaons.": le séisme Pour lire l'extrait
Après le prologue, où le dialogue entre le père du narrateur et son fils présente les conflits ethniques au Burundi, notamment
entre Hutus et Tutsis, le récit nous fait partager la vie du héros-narrateur, Gabriel, entre sa famille, l’école, et sa bande d’amis.
Mais au chapitre 11, nous apprenons que la guerre a recommencé au Rwanda, pays d’origine de sa mère, tandis qu’au Burundi,
où vit la famille, des élections démocratiques se préparent, mais le pays est déstabilisé et les enfants ressentent la menace,
que le résultat des élections suggère également.
En quoi cette scène, qui ferme le chapitre 15, au cœur même du roman, marque-t-elle un tournant dans le récit ?
LE TREMBLEMENT DE TERRE
Le séisme menaçant
Rien ne permet, à première lecture, de comprendre d’où vient ce « grondement », terme déjà inquiétant, événement au passé
composé qui interrompt la réflexion du narrateur, Gabriel. L’inquiétude est confirmée par le comportement du « père de
Gino », camarade de Gabriel, avec sa précipitation, « en courant », et le ton de voix : il « a crié ». Cependant la comparaison
« comme une brebis apeurée », plutôt cocasse, rend la scène plutôt ridicule. C’est ce qui explique la réaction des enfants,
soulignée par le participe passé mis en valeur par l’apposition : « amusés », et leur interprétation, « on aurait dit qu’il avait vu
un fantôme », donne l’impression que cette peur est sans fondement.
De l'ignorance à l'explication
La suite du récit repose sur l’opposition entre l’ignorance, traduite par la
négation, « sans savoir ce qui venait d’arriver », et la connaissance : « on
Violence
a compris ». Cette connaissance est d’abord acquise par la description,
dont le lexique amplifie le constat : « l’épaisse fissure qui lézardait le mur
du garage dans toute sa longueur ». Vient ensuite l’explication, dans une
phrase brève où l’adverbe, détaché en fin de phrase, souligne l’aspect
insidieux du séisme : « La terre avait bougé sous nos pieds,
imperceptiblement. »
L’étape suivante apporte l’explication géologique : le pays se situe « sur
l’axe du grand rift », un fossé, une fracture qui sépare deux plaques
tectoniques, à l’ouest et à l’est. D’où une menace qui semble incessante
puisqu’elle se produit « tous les jours dans ce pays ». La précision « dans
ce coin du monde » fait directement écho au titre même du roman : c’est
un « petit pays », comme à l’écart, tellement isolé que nul ne le connaît
réellement. Mais la formule finale, « à l’endroit où l’Afrique se fracture »
semble déjà se charger d’un double sens : c’est une « fracture » de
l’écorce terrestre, certes, mais n’est-elle pas l’image aussi de la
La faille du grand Rift, sur la région des grands lacs « fracture » ethnique qui secoue ces pays, tels le Burundi ou le Rwanda ?
C’est cette image que va développer le second paragraphe.
LA FRACTURE HUMAINE
Le règne de la violence
Le paragraphe s’ouvre sur une comparaison entre ce qui se passe au sein de la terre et ce qui se passe à la surface, parmi les
hommes : « Les hommes de cette région étaient pareils à cette terre. » Comme dans le paragraphe précédent, nous retrouvons
une même opposition.
D’un côté, est mise en évidence une apparence paisible, et même heureuse : « le calme apparent, derrière la façade des
sourires et des grands discours d’optimisme ». Le pays vient de vivre, en effet, pour la première fois, des élections qui sont
un signe d’espoir et de réconciliation.
De l’autre, il y a l’agitation qui déstabilise, mais, là aussi, le lexique, les adjectifs notamment, avec l’apposition, le
redoublement nominal, et l’indice temporel, dans une phrase en gradation, souligne à quel point cela se fait de manière
insidieuse : « des forces souterraines, obscures, travaillaient en continu, fomentant des projets de violences et de
destruction qui revenaient par périodes successives ». À cela s’ajoute la comparaison, « comme des vents mauvais » : elle
renforce la menace, qui semble pouvoir balayer tout sur son passage.
Les dates données rappellent la situation historique du Burundi après son indépendance, proclamée le 1er juillet 1962, qui a
mis au pouvoir les Tutsis, puissants politiquement et militairement. Mais les coups d’État se sont succédé, avec des massacres
de Hutus révoltés par les Tutsis, en 1965 quand la monarchie a été remplacée par une république, puis en 1972, avec entre Haut
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100000 et 130000 morts hutus, exclus ensuite totalement de toute administration et de tout pouvoir, et à nouveau en 1988. La
sécheresseCe site a été conçu sur la plateforme de création de sites internet
des faits historiques est complétée par l’image sinistre qui .com. Créez votre site aujourd'hui. Commencez
suit, celle d’une mort omniprésente : « Un spectre
lugubre s’invitait à intervalle régulier pour rappeler aux hommes que la paix n’est qu’un court intervalle entre deux guerres. »
Le choix du verbe pronominal donne même l’impression que tout cela se fait indépendamment de l’action humaine, telle une
fatalité tragique. Gaël Faye reprend ici, en l’accentuant par l’adjectif « court », la définition connue, formulée par le
personnage de Sosie dans Amphitryon 38, pièce de théâtre de 1929 : « De ce qu’on appelle la paix, de l’intervalle entre deux
guerres ! »
Une remarquable vidéo récapitulant l'histoire du Burundi
La prolepse
La fin de l’extrait repose sur une prolepse, c’est-à-dire une anticipation chronologique, autre preuve que ce n’est plus le
narrateur enfant qui raconte, mais l’adulte qui, lui, connaît la suite des événements : « nous ne le savions pas encore. » Mais,
si ce n’est, en effet, qu’après coup que l’historien peut déterminer le point de départ d’un événement, il est frappant de
constater que c’est ce séisme géologique qui devient l’annonce de la guerre civile à venir. C’est ce dont témoigne le choix des
images, signe d’une terrible violence : « Cette lave venimeuse, ce flot épais de sang était de nouveau prêt à remonter à la
surface ». Les choix verbaux, passé proche, « venait de sonner », puis futur proche, « allait lâcher », marquent une
accélération du temps, dont d’autres images annoncent l’aspect terrible. « L’heure du brasier » évoque un incendie qui va tout
détruire, et l’allégorie finale, « la nuit allait lâcher sa horde de hyènes et de lycaons », impose l’image de la mort, en
transformant les hommes en animaux sauvages, acharnés à détruire, tels des chasseurs après leurs proies, et allant même,
telles les « hyènes » s’acharner sur des cadavres.
CONCLUSION
Cet extrait offre un double intérêt.
D’une part, il montre le procédé d’écriture, emprunté à l’autobiographie, le jeu entre un narrateur enfant et un narrateur
adulte, même si Gaël Faye a insisté sur le fait que son roman, s’il est nourri de souvenirs, n’est pas pour autant
autobiographique.
D’autre part, il installe un parallélisme entre les diverses fractures qui parcourent le roman : la première est celle
marquée par le départ de la mère, qui fait s’écrouler le monde de l’enfant ; la seconde est la fracture politique, symbolisée
par le séisme ici décrit, qui va marquer l’écroulement du pays, et l’exil alors imposé à l’enfant.
Chapitre 23, de "Moi ? Je ne veux rien avoir à faire ..." à "... tournaient en rond" : la
rupture de l'amitié Pour lire l'extrait
Après la première fracture dans l’univers du narrateur, la rupture entre ses parents, c’est son pays, le Burundi, qui se trouve
fracturé. Les élections démocratiques, qui ont porté au pouvoir un président hutu, déchaînent la colère des Tutsis, jusqu’alors
détenteurs d’un pouvoir qu’ils ont exercé avec de nombreux massacres au fil des ans. L’assassinat de ce président inverse les
massacres : ce sont les Hutus qui se vengent en tuant les Tutsis.
Au milieu de cette guerre civile, la petite bande des enfants, rattachés à l’ethnie tutsie, se trouve, à son tour, ébranlée : les
jumeaux quittent le pays, et Francis, jusqu’alors leur ennemi, s’impose comme chef de ce qu’il veut transformer en unViolence
« gang »
combattant. Les discussions sont incessantes.
Comment l’alternance du dialogue et du récit fait-elle ressortir les réflexions du narrateur, le conduisant à une nouvelle
rupture ?
UNE DISCUSSION ENFANTINE
Le conflit ethnique
C’est Gino qui mène le débat, en mettant en valeur, par son exclamation et la reprise verbale en chiasme, le conflit qui oppose
les deux ethnies : « Ils tuent des Hutu, Gaby, et les Hutu nous tuent ! ». Pour justifier sa volonté d’entrer dans ce combat, il
invoque deux arguments :
Le premier interpelle le narrateur, en reprenant la loi dite du talion, qui tire sa force de son origine, la Bible : « Œil pour
œil, dent pour dent, tu connais ? »
Le second repose sur la situation personnelle de Gino, qui avoue, pour la première fois, la mort de sa mère, tutsie, à
l’occasion des massacres au Rwanda : « Tu as vu ce qu’ils ont fait à nos familles au Rwanda, Gaby ? a repris Gino. Si on ne se
protège pas, c’est eux qui vont nous tuer, comme ils ont tué ma mère. » Par la récurrence du verbe « tuer », il tente ainsi de
persuader le narrateur Gabriel, pris à témoin, car sa mère, tutsie elle aussi, a fui le Rwanda pour se réfugier au Burundi.
Ce conflit ethnique est rendu plus complexe en raison des migrations générées par les massacres. Ainsi, il y a eu des Tutsis
qui, eux, ont fui au Zaïre, comme l’explique Francis, qui se définit alors comme « zaïrois tutsi ». Il fait partie des exilés qui ont
même reçu une appellation spécifique : « On nous appelle les Banyamulenge ».
Ce dialogue, même mené par des enfants, souligne à quel point les questions ethniques sont prépondérantes dans des pays
où la colonisation a profondément divisé les ethnies.
Une discussion d'enfants
Le dialogue fait parallèlement ressortir la façon dont les enfants interprètent la situation, à travers le ton adopté et les
réactions d’Armand.
Le dialogue, déjà par le choix d’un lexique familier, tranche avec l’aspect dramatique du conflit : phrase elliptique
(« Jamais entendu parler »), reprise avec l’inversion syntaxique (« Ça non plus, jamais entendu parler »), élisions (« t’es » ou
« Ya »), argot (« Ouais ») et ironie qui marque le doute, soulignée par l’exclamation : « Tiens voilà autre chose ! »
L’aspect enfantin de la discussion est particulièrement mis en valeur par le personnage d’Armand, qui semble ne rien
prendre au sérieux. Ainsi, il se lance dans une parodie de la Bible, désacralisée par la comparaison à une chanson, qui joue sur
les sonorités : « Je connais la chanson de ndombolo : « Œil pour œil, Cent pour cent ! Cent pour cent ! Oh ! Oh ! Oh ! » La notion
de justice vengeresse se trouve alors remplacée par une allusion peut-être au paiement d’une dette financière. La puérilité est
également signalée par le portrait que le narrateur fait d’Armand : « en pouffant de rire », « Armand a cessé de faire le pitre ».
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La petite bande de copains vit donc, elle aussi, un conflit entre ceux qui prennent la division ethnique au sérieux, Francis et
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16/03/2021 Faye-PetitPays | aimerlalitterature
Gino, et celui qui continue à vouloir en rire, Armand.
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UNE DISCUSSION ENFANTINE
Entre ces deux comportements, ressort celui du narrateur-personnage, à la fois conscient de la gravité de la situation, mais
voulant rester en marge.
Une contre-argumentation
Il a tout à fait conscience de la gravité de la situation. C’est pour cela qu’il réagit devant le comportement infantile d’Armand :
« Arrête, Armand ! j’ai dit, agacé. Ya rien de drôle. » Mais il mesure parfaitement que, dans ce conflit, c’est de mort qu’il est
question, et d’une mort infligée par les Tutsis, blâmés par le qualificatif et l’insistance, « tous ces assassins », aux Hutus, dont
il souligne l’innocence : « La seule chose qu’ils savent faire, c’est tuer des pauvres boys qui rentrent du travail. » La réponse à
une injustice est donc, à ses yeux, une autre forme d’injustice.
Mais, dans la discussion, il n’oppose pas d’argument à celui, personnel, de Gino. C’est par le biais du conditionnel passé,
« J’aurais voulu dire à Gino », que, dans le récit, le narrateur explicite sa conception critique de la guerre : « il se trompait »,
« il généralisait », « si on se vengeait chaque fois, la guerre serait sans fin ». Son silence traduit l’attention qu’il porte aux
sentiments de son ami : « j’étais perturbé par ce qu’il venait de révéler sur sa mère. Je me disais que son chagrin était plus fort
que sa raison. » L’image qui ferme le paragraphe, empruntée au jeu de cartes bien connu confirme ce choix du silence, en
insistant sur le pouvoir absolu de « la souffrance » personnelle, qui rend impossible toute argumentation rationnelle : « La
souffrance est un joker dans le jeu de la discussion, elle couche tous les autres arguments sur son passage. » Sa brève
conclusion assertive, « En un sens, elle est injuste. », ramène la discussion du plan collectif, celui du pays, au plan individuel,
celui de l’individu directement touché.
Un refus qui marginalise
Face à l’appel au combat de Gino et de Francis, il affirme énergiquement son refus : « Moi ? je ne veux rien avoir à faire avec
tous ces assassins ». Mais, il est rappelé à l’ordre par Francis, qui, plus âgé, joue le rôle de chef dans le groupe, illustré par son
comportement plutôt méprisant, « Francis envoyait des ronds de fumée au-dessus de nos têtes. », perçu par le narrateur qui
s’indigne de « son air de monsieur-je-sais-tout qui m’irritait au plus haut point ». Francis veut, en effet, imposer à chacun un
choix clair dans le conflit, par une exclamation péremptoire : « Gino a raison. Dans la guerre, personne ne peut être neutre ! »
Le narrateur résiste encore, mais la formulation interrogative, et le pronom « on » qui le met à distance, traduisent déjà une
fragilité : « Et si on ne veut pas choisir de camp ? j’ai demandé. » La riposte de Gino est violente, « On n’a pas le choix, on a
tous un camp », et la précision physique, « avec un sourire hostile », un oxymore, montre que la guerre s’est implantée au sein
même de la bande de copains. Si le narrateur refuse de se ranger nettement dans le camp des Tutsis, il devient, de ce fait,
l’ennemi (sens étymologique en latin du mot « hostile ») à abattre.
La rupture
La fin de l’extrait raconte la rupture du narrateur-enfant avec la bande d’amis : « J’ai décidé de me rendre moins souvent à la
planque. J’ai même commencé à éviter les copains ». Le temps des plaisirs et des jeux est, en effet, terminé, et le narrateur se
met alors en marge : « Ces discussions m’ennuyaient, cette violence qui fascinait Francis et Gino ». Son blâme se traduit par le
Violence
lexique péjoratif : « leur délire guerrier ».
Le sentiment qui est mis en évidence est une forme d’étouffement, comme s’il se sentait emprisonné dans une appartenance
ethnique dans laquelle, vu son métissage, un père français, une mère tutsie, il ne se reconnaît pas : « J’avais besoin de
respirer, de me changer les idées. », « je me sentais à l’étroit ». La rupture est mise en évidence par l’indice temporel, « Pour la
première fois de ma vie », et par les images associées au lieu qui était celui de l’enfance, le cocon protecteur, « l’impasse » qui
est alors qualifiée de façon péjorative : « cet espace confiné où mes préoccupations tournaient en rond. » C’est donc sa liberté
qu’il cherche à conquérir, en échappant au conflit ethnique.
CONCLUSION
Après la rupture au sein de la famille, puis celle qui déchire le pays, c’est à présent le monde de l’enfance qui achève de se
déchirer, quand les jeux et l’insouciance sont remplacés par les conflits politiques, par ce monde adulte qui pénètre celui des
enfants.
Mais, à travers cette discussion menée par des enfants, le romancier pose une double question.
D’une part, sommes-nous définitivement déterminés par nos origines, ethniques, religieuses aussi, ou bien sommes-nous,
librement, ce que nous choisissons d’être ?
D’autre part, quand une société vit un conflit, une guerre parfois, est-il possible de rester « neutre » ? Cela n’est-il pas une
solution de facilité, voire de lâcheté, ou bien l’affirmation d’une liberté voulant résister à toute violence imposée ?
La question s’est souvent posée au moment des guerres, de la part de ceux qui se nommaient « objecteurs de conscience »,
refusant de se battre, mais étaient considérés comme des déserteurs… Même au sein d’une classe, quand des « clans » se
forment, la question peut se poser…
C'est à l'issue de cette discussion que le jeune Gabriel va découvrir le moyen d'échapper à cet étouffement, la lecture, qui lui
ouvre, à travers les personnages, les lieux découverts, les aventures racontés, de vastes horizons. Elle lui permet aussi
d'échapper à ce que peut lui imposer son origine ethnique en mesurant ses goûts propres, en apprenant à juger par lui-même.
Chapitre 28, de "Les opérations..." à "... me débusquer" : la peur Pour lire l'extrait
Le roman de Gaël Faye, nourri de ses souvenirs d’enfance même s’il insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une autobiographie, a
raconté la montée progressive de la violence : d’abord au sein de la famille, avec le départ de la mère, puis dans la société, où
le conflit ethnique entre Hutus et Tutsis, réactivé au Burundi comme au Rwanda voisin, provoque une véritable guerre civile,
enfin au sein même de la petite bande de copains. Refusant de prendre parti, le narrateur-personnage trouve refuge dans la
lecture.
Comment les étapes de ce récit mettent-elles en évidence les sentiments contrastés de l’enfant ? Haut
UNE IMAGE DE LA GUERRE
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16/03/2021 Faye-PetitPays | aimerlalitterature
UNE IMAGE DE LA GUERRE
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Le coup d’État qui a tué le président hutu nouvellement élu, a été suivi de la mise en place, par un « Comité national de salut
public », de mesures destinées à éviter les massacres, notamment d’un « couvre-feu sur toute l’étendue du territoire de dix-
huit heures à six heures du matin ». À cela s’ajoutent les « opérations ville morte » qui paralysent la capitale, Bujumbura.
Dans le premier paragraphe, le choix de décrire les combats de nuit fait de la guerre un « spectacle », où toutes les
sensations se mêlent. Il y a, en effet, le bruit, « les explosions retentissaient », avec « les « rafales » et les « crépitements des
armes automatiques », l’odeur des « épaisses fumées », et les couleurs : « La nuit rougeoyait de lueurs d’incendies », les
« balles traçantes ». Finalement, les précisions, « On était tellement habitués […] que l’on ne prenait même plus la peine de
dormir dans le couloir », « Allongé dans mon lit », effacent la violence. L’irréel du passé, « En d’autres temps, en d’autres lieux,
j’aurais pensé voir des étoiles filantes », transfigure même l’impression infernale en une sorte de magnifique feu d’artifice
que l’on peut « admirer », et qui fait rêver en illuminant le ciel.
LES SENTIMENTS DE L'ENFANT
La peur
C’est sur le sentiment de peur que s’ouvre le deuxième paragraphe. Dans cette atmosphère, l’enfant ressent la menace qui
pèse sur la ville, mais, paradoxalement, le comparatif montre que ce n’est pas le temps des combats qui effraie le plus, mais
l’attente : « Je trouvais le silence bien plus angoissant que le bruit des coups de feu. » La répétition du mot « silence »
souligne, en effet, le rôle de l’imagination : il « fomente des violences à l’arme blanche et des intrusions nocturnes qu’on ne
sent pas venir à soi. » Le lexique met en valeur l’aspect insidieux de la menace, qui provoque la peur, décrite par une allégorie,
tel un ennemi intérieur : « La peur s’était blottie dans ma moelle épinière, elle n’en bougeait plus. » Le choix de la « moelle
épinière » souligne la profondeur de cette peur, installée au centre même du système nerveux. La comparaison à « un petit
chien mouillé et grelottant de froid », met en évidence la fragilité pathétique de l’enfant. L'insécurité domine donc, le monde
extérieur ne pouvant qu’être dangereux, même « l’impasse » qui représentait le terrain de jeux des enfants, un lieu protégé :
« Je restais calfeutré chez moi. Je n’osais plus m’aventurer dans l’impasse ». C’est aussi la peur qu’illustre la mise en
apposition de l’adverbe au superlatif : « très rapidement ».
Le rêve
La seconde partie du paragraphe contraste avec la première, en montrant le rôle de la lecture, un refuge, comme l’illustre
l’image guerrière : « je revenais m’enfoncer dans le bunker de mon imaginaire. » Le livre n’est plus alors un objet extérieur, il
devient un lieu intime, que l’on s’approprie, dans lequel même on peut pénétrer pour échapper à la réalité: « au fond de mes
histoires, je cherchais d’autres réels plus supportables ». L’image, qui personnifie les livres, devenus ses « émis », traduit ce
pouvoir quasi magique de la lecture : ils « repeignaient mes journées de lumière. »
La longue phrase, en gradation, déroule le rêve qui naît de la lecture, en reproduisant, par son rythme, cette reconstruction
d’un futur où tout pourrait redevenir comme dans le passé, avant les ruptures racontées dans le roman, en abolissant alors le
temps. Les composantes du rêve reprennent les fractures successives, à commencer par la séparation des parents : « Maman
serait de retour, dans sa belle robe fleurie, sa tête posée sur l’épaule de Papa ». L’harmonie familiale serait alors restaurée,
Violence
symbolisée par les dessins de la petite sœur, qui redeviendraient ceux d’une enfant joyeuse : « Ana dessinerait à nouveau des
maisons en brique rouge avec des cheminées qui fument, des arbres fruitiers dans des jardins et de grands soleils brillants ».
Enfin, l’amitié aussi, à présent détruite, reprendrait sa force, reproduite par l’allongement de la description de ces moments
heureux : « les copains viendraient me chercher pour descendre la rivière Muha comme autrefois sur un radeau en tronc de
bananier, naviguer jusqu’aux eaux turquoise du lac et finir la journée sur la plage, à rire et à jouer comme des enfants. » La
comparaison finale, « comme des enfants », révèle pleinement la principale fracture vécue par le narrateur : le passage de
l’innocence enfantine à la conscience douloureuse de l’âge adulte.
LE REFUGE IMPOSSIBLE
Mais le dernier paragraphe forme un contraste, qui fait ressortir l’impuissance humaine face au « réel », en l’occurrence ici à
l’histoire millénaire : « J’avais beau espérer, le réel s’obstinait à entraver mes rêves. » Les indices spatiaux accentuent cette
présence du réel, qui constitue une menace de plus en plus proche : « le monde » d’abord, le plus vaste, puis « l’impasse »,
enfin « le lit », tous ces lieux sont associés à la « violence ». Les images expriment l’effacement des protections : « Notre
impasse n’était plus le havre de paix », « même dans mon lit-bunker, les copains et tous les autres ont fini par me débusquer. »
L’insistance sur le rôle des « copains » est intéressante, car ce sont eux qui imposent leur contrainte, le choix d’un camp, et le
verbe « débusquer » transforme l’enfant en un gibier poursuivi par des chasseurs.
CONCLUSION
Ce passage marque une ultime évolution de l’enfant. Face à la peur, face à l’aliénation de sa liberté, il trouve refuge dans les
livres, mais finit par accepter l’idée que le réel est plus puissant que l’imaginaire, dont l’écriture du récit, sous la forme d’une
plongée dans le rêve, a tenté de reproduire l’importance.
Mais la violence s’impose dans ce passage, par le lexique, par les images, jusqu’à la fin du texte, qui ouvre un horizon
d’attente inquiétant, la menace pesant sur l’enfant de façon plus directe, plus personnelle, et de la part de ceux qui pour lui ont
tant de prix, les « copains ».
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16/03/2021 Faye-PetitPays | aimerlalitterature
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Ghislaine Cotentin
Professeure agrégée de Lettres classiques
Violence
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