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A. Burguiere - Inventarea Științelor Sociale (Articol in Anale)
A. Burguiere - Inventarea Științelor Sociale (Articol in Anale)
Abstract
The building of a centralized State and the making of Social Sciences in France. Travellers and statisticians in late 18th century.
A. Burguière.
A new kind of French travellers appears at the eve of the Revolution of 1789 recording their journey in the French countryside in
an ethnographical way. This ethnographical insight in the cultural diversity of French peasantry grew up during the Revolution
and the Empire but turned, with the scholarly activities of the Académie Celtique, into a reductionnist explanation by a Celtic
background. By emphasizing the vestiges of a very old Celtic culture (older than the Greek or the Roman one) instead of the
national character inherited from their Gallic ancestors, they expressed their preference for an universalist conception of Culture.
This preference that can be explained by centralized structure of the State in France and its unitarian conception of society,
oriented the development of a scientifical insight in French society toward a quantitative and sociological approach instead of an
anthropological one.
Burguière André. La centralisation monarchique et la naissance des sciences sociales. Voyageurs et statisticiens à la recherche
de la France à la fin du XVIIIe siècle. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e année, N. 1, 2000. pp. 199-218.
doi : 10.3406/ahess.2000.279839
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2000_num_55_1_279839
ENQUETES ET ETHNOGRAPHIE
FRANCE ET RUSSIE
LA CENTRALISATION MONARCHIQUE
ET LA NAISSANCE DES SCIENCES SOCIALES
la du 18e siècle
André BURGUI RE
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Annales HSS janvier-février 2000 no pp 199-218
ENQU TE ET ETHNOGRAPHIE
Par exemple J.-B LEGRAND AussY Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant
Haute et Basse-Auvergne Paris an III vols RAMOND DE CARBONNI RES Observations faites
dans les Pyrénées pour servir de suite des observations sur les Alpes Paris 1789 DUSSAULX
Voyage Barège et dans les Hautes Pyrénées fait en 1788 Pans 1826 CAMBRY Voyage
en Finistère fait en 1795] Paris-Genève rééditions Slatkine 1979
Marie-Noëlle BOURGUET Déchiffrer la France la statistique départementale époque
napoléonienne Paris ditions des Archives contemporaines 1988
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Le climat est moins rude intérieur des terres écrit Cambry propos
de la Bretagne dans un espace de trois lieues vous apercevez une différence
très prononcée dans habitude du corps dans la manière être dans les
traits des habitants du même pays homme des terres le teint frais de
la mollesse dans la démarche une langue douce et sonore Armoricain
la voix dure le regard per ant et assuré son front ses joues sont
sillonnés dès la jeunesse sa barbe est rude et son teint olivâtre Ces
hommes cependant sont frères vivent sous les mêmes lois ont les mêmes
usages une différence presque nulle de la position sur le globe produit
cette étrange variation7
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ENQU TE ET ETHNOGRAPHIE
codification des rapports entre hommes et femmes les pratiques festi ves
varient un pays autre comme Legrand Aussy observe entre la
haute et la basse Auvergne ou Cambry dans les différentes parties du
Finistère est un même facteur celui du cadre géographique com
mande leur variabilité
La notion de région été enrichie et activée sous la Révolution par les
délibérations préparatoires la délimitation des départements qui efforcent
de remplacer le découpage politique artificiel et despotique de Ancien
Régime par un découpage naturel Elle triomphe chez les préfets du
Consulat et de Empire rédacteurs des Statistiques départementales qui
utilisent non pour justifier la configuration du département mais pour
faire ressortir son articulation naturelle Elle est reprise enfin par les
idéologues et les fondateurs de la Société des observateurs de homme
qui veulent donner enquête régionale comme inventaire des relations
locales entre traits naturels et traits moraux un statut scientifique8
idée un déterminisme régional commandé par le climat est critiquée
par certains en particulier par Ramond de Carbonnières auteur un Voyage
dans les Pyrénées au nom une approche scientifique de la variabilité
des sociétés
ai été tenté de croire ajoute-t-il que les races étaient dans histoire
de homme une donnée primitive que les climats ont eu sur elles
depuis les temps historiques que des effets peu sensibles en comparaison
de ceux du mélange et que ces mélanges ont créé les races intermédiaires
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explication par histoire est pas une innovation la fin du 18e siècle
est même la fa on la plus répandue de rendre compte de la diversité
des usages Elle appartient la tradition antiquaire qui est que la forme
vulgarisée des procédures de histoire savante forgées par les moines
bollandistes la fin du 17e siècle partir de érudition ecclésiastique
Elle se traduit par une curiosité désordonnée éthymologique archéologique
folklorique pour les traces un passé lointain
Cette curiosité retrouve en le sécularisant un autre secteur de la culture
ecclésiastique attention aux superstitions dont la théorie originellement
formulée par saint Augustin été largement remaniée et amplifiée par les
réformes religieuses des 16e et 17e siècles Luther et Calvin ont été selon
Van Gennep les premiers ethnographes Leur lutte contre le culte des
saints et les mauvaises croyances isole dans les pratiques religieuses une
sphère usages qui sont bannir parce ils relèvent de la pensée magique
et non rationnelle La doctrine catholique ajoute la notion de survivance
les superstitions sont des vestiges des croyances païennes manipulées par
le Malin
Engagée dans une Jlutte généralisée contre les anciennes formes de la
dévotion populaire Eglise post-tridentine dénonce désormais non seule
ment leur irrationalité mais leur caractère indécent Tout ce que la culture
populaire pouvait avoir de festif et de facétieux est ainsi mis index
Mais dans leur zèle débusquer et inventorier par une observation
minutieuse les pratiques délictueuses les clercs censeurs de la religiosité
populaire se transforment en enquêteurs de terrain Un ouvrage tel que le
Traité des superstitions concernant les sacrements de abbé Thiers
peut être considéré comme le premier manuel du folklore fran ais
Une inversion générale des valeurs accompagne au cours du 18e siècle
chez les élites lettrées le déclin de attachement religieux Les usages
paysans suscitent intérêt pour leur bizarrerie et leur ésotérisme parce
ils avaient suscité la réprobation de Eglise mais surtout parce ils
avaient été taxés de survivances païennes La culture paysanne est pas
une culture autre est la culture hier submergée par les invasions
successives de la romanité et du christianisme où sa fragmentation
actuelle Ces fragments sont les vestiges un passé détruit
est dans les régions protégées par des obstacles naturels donc les
plus isolées que ces vestiges se sont le mieux conservés Pour retrouver
la culture paysanne nos voyageurs ethnographes la fin de Ancien
Régime choisissent de préférence les régions montagneuses comme Au
vergne les Pyrénées les Alpes ou périphériques comme la Bretagne Mais
ce sont les îles qui sont les meilleurs conservatoires de cette culture abolie
comme tente de nous en persuader la Description générale de la France
de Piganiol de La Force Ses rééditions successives tout au long du siècle
nous permettent de suivre la progression de cette curiosité antiquaire et
bientôt ethnographique par augmentation régulière des notations sur la
bizarrerie des coutumes locales
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Or est pour les îles que ces notations sont les plus nombreuses afin
de souligner archaïsme et exotisme des usages auteur les décrit comme
inverse des nôtres Ainsi propos de île de Groix évoquant le rituel
de la demande en mariage il décrit la fille venant faire sa demande au
domicile de son galant demande que celui-ci écoute peu virilement allongé
sur un lit de repos inversion des usages et même ici des rôles sexuels
crée étrangeté et suggère ancienneté
idéalisation du passé devient dans la seconde moitié du siècle sous
influence du primitivisme rousseauiste nostalgie des origines voquant
la singularité des communautés familiales de basse Auvergne dans le
chapitre il consacre aux Guittard-Pinon Legrand Aussy les définit
comme des républiques familiales vestiges de organisation harmo
nieuse des sociétés antiques10 Et comme la culture paysanne semble restituer
ces observateurs lettrés image brouillée de enfance du monde ils
associent naturellement au monde de enfance voquant les paysans de
Plougasnou une commune du Finistère il visite pendant la convention
thermidorienne Cambry écrit
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Mais la Bretagne est surtout pour lui la terre élection des Celtes qui
sont restés présents par la langue étrangeté des urs et des croyances
paysannes éloquence poétique que on per oit dans les chansons comme
dans les simples formules adresse attestent la prégnance particulière de
ce passé enseveli Pourtant puisant dans sa solide connaissance de la
littérature de voyages comme lecteur et comme auteur il écrit un Voyage
en Suisse et en Italie) Cambry note bien des similitudes avec des usages
observés ailleurs
Devenu préfet de Oise sous le Consulat il rédige la Statistique du
département sur le modèle de son Voyage en Finistère en accordant une
large place aux aspects ethnographiques et retrouve chez ses administrés
bien des coutumes et pratiques festives déjà observées en Bretagne ai
retrouvé dans ces contrées écrit-il les restes un usage qui était établi
dans les Gaules et dont on voit encore les traces dans les Etats vénitiens
il tenait aux mystères de la religion druidique mais ce est un jeu
dans cette partie de la Picardie On le nomme soûl ou choules ai fait
connaître dans le Voyage en Finistère origine et le sens de cette fête
dégénérée qui rappelle la marche des mondes uf des druides la
prudence ordinatrice de univers comme le menuet danse jadis sacrée
représentait les positions du soleil et de la lune ... Les prêtres catholiques
avilirent les fêtes de la soûl en appliquant au mardi-gras 17
Mieux conservé en Bretagne ailleurs le celtisme constitue en fait
le soubassement de toute la culture paysanne qui représente elle-même
face la civilisation du monde citadin et lettré une culture des origines
celle qui produit le caractère national Par cette identification du national
au populaire est-à-dire au paysan Cambry retrouve la première résurrec
tion des Gaulois opérée au 16e siècle par les historiens de histoire
parfaite pour qui héritage linguistique juridique festif des Gaulois
encore présent dans les usages populaires constituait les bases de identité
nationale Pourquoi ne est-il pas arrêté cette conception confondant
âme du peuple le Volkgeist allemand et le génie national Pourquoi
est-il pas devenu le Herder fran ais
Influencé par la celtomanie ésotérique de son époque Cambry ne
voit pas les Gaulois comme les ancêtres des Fran ais mais comme les
représentants du monde celte porteurs une des grandes civilisations de
Antiquité aussi grande que la grecque ou la romaine et plus ancienne
elles puisque les Celtes sont censés être installés en Gaule juste
après le Déluge Notre voyageur reste visiblement attaché la culture
historique dominante qui ne con oit histoire mémorable que de Anti
quité modèle indépassable fondement de la civilisation Le seul moyen
pour rendre histoire des Gaulois digne intérêt est de la faire entrer
dans le cercle magique du monde gréco-romain Et ils ne nous sont
connus que par les textes latins de la conquête en particulier la guerre
des Gaules de Jules César comme le peuple qui était déjà là la culture
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celte est antérieure celle des Grecs et des Romains elle est la mère des
grandes civilisations antiques
Les paysans sont les dépositaires actuels de cette sagesse antique
comme atteste archaïsme de leurs usages et leur tour esprit particulier
dominé par imagination et le goût du symbolisme Mais ce dépôt est
pas une simple survivance Il recèle un message universel qui su résister
aux assauts de intolérance Les prêtres catholiques écrit Cambry dans
la Statistique de Oise propos des fêtes que les villageois célèbrent au
pied des chênes ont pu détruire ancien respect de nos ancêtres pour
cet arbre religieux Il était emblème de la force de la durée de Etre
suprême
Cette évocation comme celle des origines de la soûl analysent avec
finesse la folklorisation de la religion populaire ses croyances se sont
réfugiées dans le festif ou le facétieux pour résister la répression et au
dénigrement de glise et de la culture dominante leur encontre Cambry
révèle également ambivalence de son attitude qui est celle du monde
lettré égard de la société paysanne Même si sa curiosité et sa sympathie
pour les particularités de la culture paysanne procèdent un renversement
de la vieille notion ecclésiastique de superstition il en conserve les préjugés
Les croyances les pratiques festives ou langagières des paysans sont pour
lui les débris survivants de ancienne sagesse des druides mais elles ont
aussi toujours quelque chose absurde et de naïf
La résistance que les paysans ont su opposer la répression du catholi
cisme valorise leur culture en ajoutant une dimension héroïque mais elle
peut exprimer également entêtement voire aveuglement de ignorance
Donner au particularisme culturel des paysans une assignation purement
nationale qui les enferme dans une culture des origines est les condamner
au rôle de survivants incarnant une sorte enfance prolongée et donc
régressive de humanité Cambry sent on ne pourra pleinement réhabili
ter la culture paysanne si on ne lui permet pas de dépasser horizon
strictement national pour apparaître porteuse un message universel celui
de la sagesse druidique
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dissidence vendéenne Barere dénonce dans les patois les refuges de obscu
rantisme et de la contre-révolution Mais dès thermidor la résistance que
les paysans ont opposée la fureur montagnarde est assimilée celle ils
opposaient naguère au catholicisme et mise au crédit une fidélité leurs
traditions ancestrales
Une hésitation analogue observe dans les volumes de la Statistique
départementale entre le désir de fournir un état des lieux la sortie de
Ancien Régime en faisant inventaire des diversités qui composaient la
France et le souci aboutir une vision unifiée de la réalité nationale
la fois pour marquer la rupture de la Révolution avec un passé de divisions
et pour adapter au point de vue une pensée gestionnaire Chez les
responsables de entreprise de Fran ois de Neufchateau qui en con
le projet Chaptal qui en fixé le questionnaire et organisé exécution
est le souci encyclopédique un inventaire des particularités qui domine
Celui qui dira le plus de faits positifs est celui qui atteindra le mieux le
but affirme Chaptal dans une circulaire qui exhorte fournir la fois
des tableaux récapitulatifs et des détails19
Mais la réalisation étalée sur le Consulat et Empire révèle une grande
hétérogénéité inspiration qui tient aux différences de tempérament des
préfets auteurs des ouvrages certains plus strictement administrateurs
autres plus lettrés encyclopédistes voire antiquaires Elle tient aussi au
statut incertain du savoir que on peut tirer un regard panoptique sur le
milieu naturel et humain Faut-il insister sur les survivances Les particula
rités du local Sur les changements Et dans ce cas les préfets hésitent
entre les effets positifs et négatifs de la rupture révolutionnaire Ou bien
ne faut-il retenir que ce qui est comparable mesurable et constitutif du
développement national
histoire de Académie celtique ses curiosités ses formes interpréta
tion et sa dissolution précoce sont particulièrement révélatrices des contra
dictions et des impasses de ce regard ethnographique sur la France20
Société savante vouée étude des vestiges de la civilisation celtique en
France ses préoccupations sont dépourvues dès le départ un quelconque
objectif administratif Mais le tiers de ses correspondants sont des adminis
trateurs dont de Neufchateau et Peuchet qui ont joué un rôle important
dans la conception de la Statistique départementale
Dans la présentation du questionnaire que Académie propose comme
guide de recherche aux savants et érudits qui voudront associer ses
travaux Dulaure affirme pour expliquer appel la collaboration de
correspondants étrangers que le monde gaulois est étendu bien au-delà
des frontières de la France Mais il ajoute non sans un rien de révérence
courtisane pour le nouvel empereur que les frontières actuelles de empire
le recouvrent
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Des membres prépondérants écrit-il con urent sur les Celtes un système
plus séduisant que solide Pour appuyer ils ne trouvèrent point dans les
notions que histoire nous fournit sur ce peuple des preuves suffisantes
alors ils se jetèrent dans le champ illimité des conjectures ... Les Celtes
suivant eux étaient élevés au plus haut degré des sciences des arts et
de la civilisation ils soutenaient ce qui est très douteux que le dialecte
des Bas-Bretons était la langue que parlaient les Celtes Ils égaraient
dans de fausses routes et avan aient ces paradoxes avec ce ton qui semble
présager au contradicteur une lutte désagréable ce qui déplut certains
membres qui aimèrent mieux éloigner que combattre
Le plus significatif pour notre propos est pas que effort pour penser
la singularité des usages paysans partir un contexte écologique le
milieu régional ou historique se soit replié sur une explication par origine
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