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N ° 334

LIEUX TEMPORAIRES n RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT


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RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT :


MONDES DU TOURISME SUR LE PORTAIL SCIENTIFIQUE REVUES.ORG

334
GARES, STATIONS DE MÉTRO, AÉROPORTS…
SOMMAIRE
DOSSIER PAGE 4

LIEUX TEMPORAIRES
DE COMMUNICATION
OU D’INFORMATION

Internet a profondément bouleversé les secteurs de la distribu-


tion, de l’information et de la communication. Le lieu physique
change de fonction tandis que la mobilité devient la nouvelle
norme. Le lieu éphémère, qu’il soit pop-up store ou office de tou-
risme mobile, s’impose progressivement.

8 KLÉPIERRE ET QUALIQUANTI

12 THIERRY BISSELICHES

16 ÉMILIE ROY

20 JOSÉ-LOUIS PEREIRA

24 JEAN-PIERRE MARTINETTI ET ÉRIC OLIVE

29 NATHALIE BELLOIR, BAPTISTE BRIAND ET ISABELLE SIRE

32 JEAN-LUC BOULIN

37 DIDIER CHAPPAZ

42 BERTRAND ONFRAY

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RENOUVEAU DES
CAHIER PAGE 47

LIEUX DE TRANSIT
Si le lieu de transit est un lieu ordinaire de la mobilité, il est aussi un lieu de
symbole : symbole de progrès, souvent, mais également symbole de l’excellen-
ce de tel ou tel mode de transport. Gares, stations de métro et aéroports sont
repensés autour de deux axes majeurs : s’ouvrir sur leur territoire d’implanta-
tion, d’une part, et devenir de véritables lieux de vie, d’autre part.

50 SYLVIE LANDRIÈVE ET 86 VÉRONIQUE RICHET

CHRISTOPHE GAY 92 CÉCILE DESCLOS

60 LAURENT GUIHÉRY 98 PATRICE BÉLIE

64 NASSIMA HAKIMI 102 FRANCK AVICE

70 GILLES BALLERAT ET 108 MARIE-CAROLINE BÉNEZET

ANTOINE NOUGARÈDE 112 ALEXANDRE LARGIER

76 NICOLAS OUDIN ET

JULIE BRANCHEREAU

80 STÉPHANIE JANKEL

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 3
DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

© victorgrow

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DOSSIER

LIEUX
TEMPORAIRES
de communi-
cation ou
d’information

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

Le pop-up store,
territoire d’expression de la marque
KLÉPIERRE ET QUALIQUANTI 8

Le pop-up store, un commerce éphémère


qui répond à des règles précises
THIERRY BISSELICHES 12

Le Pays basque va à la rencontre de Paris


“en mode basque”
ÉMILIE ROY 16

Les marchés flottants du Sud-Ouest.


Une promotion innovante de près de vingt ans
JOSÉ-LOUIS PEREIRA 20

Des champs de lavande en ville


pour promouvoir la haute Provence
JEAN-PIERRE MARTINETTI ET ÉRIC OLIVE 24

Voyageurs du Monde. Des pop-up stores


comme autant d’incitations au voyage
NATHALIE BELLOIR, BAPTISTE BRIAND
ET ISABELLE SIRE 29

Le jour où…
l’office de tourisme est sorti de ses murs
JEAN-LUC BOULIN 32

Van’iti, l’office de tourisme qui va à la plage


DIDIER CHAPPAZ 37
Un pilote pour le tourisme nazairien
BERTRAND ONFRAY 42
© victorgrow

DOSSIER DIRIGÉ PAR CLAUDINE DESVIGNES

6 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
ÉDITORIAL

I
nternet a profondément bouleversé les secteurs de la distribution,

de l’information et de la communication. Avec l’apparition des canaux

numériques, le lieu physique change de fonction. Il perd son rôle

utilitaire et devient un lieu de séduction et de communication, un lieu de

présentation de l’ensemble de la gamme d’offre : les grandes enseignes

créent des concept-stores, les offices de tourisme se transforment en

lieux multiservices ou en espaces scénographiés…

Dans le même temps, la mobilité devient la nouvelle norme. Le lieu éphé-

mère, qu’il soit pop-up store ou office de tourisme mobile, s’impose pro-

gressivement. À travers le storytelling, la gamification, les collaborations

artistiques…, il favorise l’immersion du client dans l’univers de la marque.

Il permet aussi, dans certains cas, de mener des opérations de vente réus-

sies. Ainsi, à l’heure de la vente et de l’information en ligne, le lieu éphé-

mère (ou mobile) renouvelle le monde du commerce, de l’information et de

la communication. n

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

LE POP-UP STORE
TERRITOIRE
D’EXPRESSION
DE LA MARQUE
(*) Cet article est extrait de : KLÉPIERRE et QUALIQUANTI, Pop-up store, la conquête d’un territoire d’expression
pour les marques. Un livre blanc édité par Klépierre avec Qualiquanti, nov. 2015. Il est reproduit ici avec
l’aimable autorisation des auteurs et éditeurs.
http://www.klepierre.com/content/uploads/2016/02/Livre_Blanc_Pop-up_Store1.pdf

< www.klepierre.com >

Le pop-up store, boutique éphémère, s’impose progressive-

ment dans le monde de la communication de marque. En effet,

il crée une relation privilégiée inédite entre clients et marques,

permettant à ces dernières de rencontrer leurs clients. À

l’heure de la vente en ligne, le pop-up store favorise l’immer-

sion du consommateur dans l’univers de la marque, à travers

la théâtralisation du parcours client via le storytelling, la gami-

fication, les collaborations artistiques…

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KLÉPIERRE ET QUALIQUANTI

éfinir le pop-up store exclusive- Le personnel sur place doit être disponible et

D ment comme une boutique à


durée de vie limitée ne saurait
rendre compte de la richesse du
phénomène. Comme les der-
nières évolutions numériques, le pop-up store
crée une relation privilégiée inédite entre clients
et marques, permettant à ces dernières de
en nombre : plus que des vendeurs, ce sont de
véritables ambassadeurs au service de la
marque. Habillés à ses couleurs, ils portent
parfois un badge marqué “staff” (comme dans
un concert) pour signifier un rôle qui va au-
delà de la fonction commerciale.
Le pop-up store attire les foules... Sa struc-
s’adresser directement au consommateur. ture doit donc être pensée en fonction du
Il offre des possibilités créatives infinies pour volume de visiteurs prévu : par exemple, en
les marques. Il permet à la marque d’incarner entonnoir, avec plusieurs entrées, une capacité
son identité culturelle de façon vivante et de d’accueil significative et une gestion intelli-
se démarquer de ses concurrents. Il favorise gente de la file d’attente. Dans certains cas,
l’immersion du consommateur dans l’univers faire payer une somme modique permet d’évi-
de la marque, à travers la théâtralisation du ter les pique-assiettes.
parcours client. Le visiteur se retrouve plongé EXPÉRIENCE INÉDITE. Le pop-up store marque
dans une atmosphère symbolique, sensorielle les esprits s’il parvient à se différencier des bou-
et émotionnelle, absolument unique. tiques traditionnelles et à offrir une expérience
LE BON ESPACE, AU BON MOMENT. Pour réus- inédite. A contrario, la banalité le dévalorise.
sir, le pop-up store doit s’installer dans le bon Une expérience pauvre ou médiocre est un fac-
espace, au bon moment. Il doit respecter les teur de déception. Ici, la marque est attendue
contraintes du genre en matière d’emplace- et évaluée dans sa capacité créative.
ment, de lien avec le site investi et de tempo- La scénographie doit être attractive. La cou-
ralité. L’emplacement doit faire se rencontrer leur est l’un des éléments les plus importants de
les exigences du client (le lieu doit être acces- la mise en scène, de même que la structuration
sible et plaisant) avec celles de la marque (envi- de l’espace. Celui-ci doit être original : la
ronnement en affinité culturelle avec son uni- marque doit construire un univers propre à la
vers). Dans la rue comme dans un centre vente éphémère et proposer une immersion
commercial, l’espace environnant est donc un riche dans tout ou partie de sa culture.
premier critère à prendre en compte. Espace de convivialité, le pop-up store per-
Le pop-up store pose la question de l’ap- met une plus grande interaction avec le
propriation de l’espace. Il s’agit de créer un consommateur à condition d’être animé.
espace qui soit pertinent d’un point de vue Divertissement, participation à un atelier,
esthétique et symbolique, par sa relation avec démonstration autour d’un produit, person-
son environnement, par résonance ou par nalisation, cocréation… Tous les moyens sont
contraste. bons pour impliquer le visiteur.
La boutique éphémère doit s’accorder au Pour marquer les esprits par son originalité,
rythme du consommateur (saison estivale, fêtes le pop-up store peut s’approprier des lieux
de fin d’année…) et à la temporalité de la étonnants, porteurs d’une charge émotionnelle,
marque (formats événementiels pour ses lan- utiliser des formes spectaculaires, notamment
cements, par exemple). Le pop-up store s’ins- via l’installation d’objets publicitaires monu-
talle de quelques jours à un an. S’il reste trop mentaux au cœur des villes… Plus subtil, le
peu, il ne permet pas au bouche à oreille de recours au contraste, au décalage, est un ressort
fonctionner, frustre les retardataires, mais ren- de surprise qui donne de la profondeur et enri-
force le sentiment d’exclusivité. Au-delà d’un chit l’univers de la marque. Il permet de :
an, le consommateur ne considère plus le – rompre avec le milieu environnant, en ins-
magasin comme éphémère. taurant une certaine hétérogénéité. L’objectif est

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

Le pop-up store marque les esprits – garantir une haute qualité d’exécution, essen-
tielle à l’expérience, grâce à des experts. Si les
s’il parvient à se différencier pop-up stores Little Havana, Café A ou Ben
& Jerry’s sont si réussis, c’est parce qu’ils ont
des boutiques traditionnelles et à offrir fait appel à des scénographes professionnels
et à des décorateurs de cinéma ;
une expérience inédite. Une expérience – enrichir l’univers de la marque par de nou-
veaux regards et apports.
pauvre ou médiocre est un facteur de Selon Melissa Gonzalez, auteur de The Pop-
Up Paradigm, le recours aux nouvelles tech-
déception. nologies permet de créer des expériences
immersives riches au sein du pop-up store.
de sortir le consommateur de ses habitudes Parangon de modernité, il ancre la conver-
pour le propulser dans un monde imprévu et gence du physique et du numérique. Parmi les
insoupçonné de lui ; tendances récentes en la matière, on peut citer :
– nouer des partenariats entre des marques – la réalité augmentée, qui consiste en une
complémentaires ou éloignées, celles-ci s’ap- hybridation d’éléments existant dans l’espace
propriant réciproquement leurs qualités res- physique et d’éléments virtuels, accessibles via
pectives (par exemple, Tati et Chantal Thomass son téléphone. En quelques clics, le client se
à la gare Saint-Lazare ; Vitra et Camper au renseigne sur l’histoire de la marque, obtient
Vitra Design Museum ; Chanel et Colette rue des informations sur un produit, compare les
Saint-Honoré à Paris…). prix... Des applications permettent même d’es-
Le renouvellement permanent reste le moyen sayer virtuellement certains produits ;
le plus sûr de surprendre le consommateur. – les vitrines et murs connectés, qui réagissent
Ainsi, les “guerilla stores” Comme des Garçons de façon interactive avec le consommateur, le
créent dans chaque lieu un univers esthétique plus souvent via un écran tactile. L’objectif est
radicalement différent qui s’adapte au site de simplifier les achats, mais aussi de proposer
investi. aux clients les produits et promotions les plus
Le consommateur apprécie de pouvoir repar- adaptés à leurs besoins. Des dispositifs plus
tir chez lui avec des réalisations personnelles complexes peuvent faire de ces vitrines des
(photos relatives à l’univers de la marque) ou œuvres symboliques ou artistiques ;
des échantillons. Le pop-up store, événement – l’impression en 3D permet, en temps réel, de
éphémère par excellence, doit prévoir des créer et de délivrer un produit en petites quan-
séances photo afin de laisser des traces pour tités (l’idéal pour une production sur place, en
la postérité. direct et personnalisable, en parfaite affinité
CRÉATIVITÉ. La surprise étant un ressort avec le pop-up store).
essentiel du pop-up, celui-ci se doit d’être inno- COMMUNICATION. Dans la mesure où le pop-
vant. Sa capacité à faire preuve de créativité up store est éphémère, la communication
est donc fondamentale. Cette créativité est un s’avère fondamentale pour sa visibilité, que ce
défi pour une marque : elle témoigne de son soit dans la presse, via les réseaux sociaux, les
aptitude à innover et constitue une démons- blogs… L’un des principaux regrets des
tration de la richesse de son univers. consommateurs se situe souvent dans le
Storytelling, gamification, collaborations manque d’informations relatives à l’arrivée
artistiques, scénographie, nouvelles technolo- prochaine de ce type de dispositif. Le caractère
gies… Les axes de créativité semblent illimi- temporaire du lieu implique des rituels d’ou-
tés. Le recours à des univers annexes, tech- verture et de fermeture (inauguration, discours,
niques ou artistiques, aide à : vernissage, cocktail…), qui sont autant de

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KLÉPIERRE ET QUALIQUANTI

moments exploitables pour créer l’événement


et de sujets de communication. L’ÈRE DU COMMERCE POST-NUMÉRIQUE
Parce que le pop-up store est une expérience
de courte durée, qui doit produire un effet à
vant la révolution numérique, une boutique était avant tout un

A
long terme, le retour sur investissement ne doit
pas s’évaluer uniquement au regard des ventes
directes. lieu fixe, une adresse. Le consommateur était mobile et le shop-
En effet, ce type de dispositif contribue au
développement de la marque : il participe à la ping était l’occasion d’une balade, d’une observation des tendances et
construction de son image, accroît sa notoriété
(partage via les réseaux sociaux), permet de d’une sociabilité particulière. La révolution numérique a partiellement
faire connaître ses produits, favorise la collecte
de données et d’informations en direct (retour dévalorisé les lieux physiques. Avec leurs sites internet et leurs e-bou-
des clients, approfondissement des connais-
sances relatives aux tendances et aux modes tiques, les marques reconstruisent sur l’écran un lieu virtuel, qui conserve
de consommation…). Autant de bénéfices qua-
litatifs qui peuvent mener à une progression les fonctions commerciales du magasin physique. Il offre même des
des ventes dans une temporalité plus longue.
■ ■ bénéfices supplémentaires : plus pratique et plus rapide (puisque sans
Au-delà de sa rareté constitutive, le pop-up
store pose la question du mode de présence déplacement), il propose aussi davantage de choix que dans un espace
des marques à l’ère du commerce post-numé-
rique. À ce titre, c’est avant tout un espace physique nécessairement limité. La mobilité du consommateur lors du
d’intensification de l’expérience.
Les pop-up stores peuvent se déployer de shopping cède la place à la sédentarité de l’achat numérique.
mille manières dans l’espace urbain. L’aspect
provisoire et éphémère de leur structure leur Le numérique, cependant, ne suffit pas à remplir toutes les fonctionna-
confère une grande liberté. Ce qui frappe, en
voyant défiler ce nouveau paysage, c’est sa lités d’un lieu physique : loisirs, promenade et sociabilité disparaissent
diversité. Diversité des expériences, des formes
et des fonctions : voilà qui vient chahuter et avec lui. Cette perte doit être compensée par le développement d’un
compléter avantageusement des boutiques
standardisées. Le pop-up store apporte de la nouveau type de commerce, dont l’objectif premier n’est pas l’achat,
couleur, du jeu et de la joie de vivre dans le
commerce classique. Plus encore : il crée la mais la flânerie, l’expérience et la découverte. Avec les concept stores puis
surprise, en appelle à la participation des
consommateurs et transmet une énergie posi- les pop-up stores émerge l’ère du commerce post-numérique, qui intègre
tive.
Cette créativité foisonnante est une des clés les acquis de la mobilité, en mêlant le physique et le numérique.
de l’avenir du commerce. Les possibilités sont
infinies, car tout est permis quand c’est éphé- Progressivement, les fonctionnalités de la ville et de l’écran convergent,
mère ! Les arts plastiques et vivants, les décors
de théâtre ou de cinéma, mais aussi l’humour la première devenant, comme le second, fluide, en perpétuel renouvel-
et l’autodérision sont autant de sources d’ins-
piration. Le pop-up est un champ d’explora- lement. L’espace urbain n’est plus fixe et rigide : il s’autorise à faire
tion immense pour les marques, avec un poten-
tiel d’invention quasi illimité. ■ apparaître et disparaître des lieux éphémères. ■

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

LE POP-UP STORE
UN COMMERCE
ÉPHÉMÈRE QUI
RÉPOND À DES
RÈGLES PRÉCISES
THIERRY BISSELICHES
Directeur associé, My Pop Up Store
< thierry@mypopupstore.fr >

Le concept de commerce éphémère, qu’il soit installé sur une

place de marché ou dans un caravansérail, est très ancien,

voire plus ancien que celui du commerce sédentaire. Pourtant,

paradoxalement, il apparaît aujourd’hui comme une innovation

majeure, révolutionnant le monde du commerce de détail et

de la communication. Cela étant, un pop-up store coûte cher et,

quelle que soit sa performance médiatique, sa rentabilité com-

merciale n’est jamais assurée. En réalité, seules quelques

configurations spécifiques (ventes saisonnières, déstockage…)

permettent de rentabiliser les boutiques éphémères.

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THIERRY BISSELICHES

a petite histoire veut que le renou- disparaissent, au profit des enseignes de

L veau actuel du commerce éphémère


soit apparu à New York, en 2001 :
une enseigne discount américaine
du nom de Target n’avait pas trouvé
de boutique lui convenant à Manhattan pen-
dant la période de Noël. Elle s’est donc réso-
lue, contre mauvaise fortune bon cœur, à ouvrir
marque, plus à même de proposer une expé-
rience forte et bénéficiant de meilleures marges
commerciales.
Cette évolution pousse les marques à consi-
dérer davantage les boutiques comme des véhi-
cules d’expérience et d’image. Elles redécou-
vrent que la boutique est non seulement un
une boutique temporaire sur une péniche. Elle canal de distribution, mais aussi un média, et
fut la première surprise de voir son initiative ce à plus d’un titre :
couronnée d’un succès commercial et média- – l’affichage. La boutique offre une visibilité
tique spectaculaire. Le terme de “pop-up store” extérieure par son enseigne et sa vitrine ;
est alors adopté par la presse : il fait écho au – l’expérience. La boutique permet au client
langage d’internet et désigne une boutique qui, de s’immerger dans la marque ;
bien que disparaissant aussi vite qu’elle appa- – les relations presse. La boutique, si elle pro-
raît, crée la surprise, une expérience originale pose un modèle original, peut susciter l’intérêt
et suscite le buzz. Il est désormais usité pour des médias et faire parler d’elle.
désigner tout type de boutique éphémère. OBJECTIF COMMERCIAL. Cela étant, au-delà
RÉVOLUTION. Un pop-up store est une bou- de la communication, certains pop-up stores
tique physique à durée limitée. Il peut être créé peuvent être ouverts dans un objectif com-
pour monter une opération commerciale ou mercial, avec un souhait de rentabilité immé-
mener une opération de communication et, diate. L’“événementialisation” du point de vente
dans les deux cas, il s’inscrit dans la révolution sert alors à vendre davantage.
induite par le développement d’internet. En réalité, seules quelques configurations
Internet a permis la mise en place de canaux spécifiques permettent de rentabiliser des opé-
de distribution alternatifs, ultra efficaces et rations de boutiques éphémères. Car un pop-up
totalement dématérialisés, faisant disparaître store coûte cher et sa rentabilité commerciale
des champs entiers de commerce physique. n’est jamais assurée. En effet, prorata temporis,
Mais il a aussi poussé les enseignes à proposer son loyer est plus élevé qu’une boutique pérenne
une expérience “différenciante”, à justifier leur et son aménagement doit être amorti sur une
existence autrement que par la simple présence période très courte. Par ailleurs, il demande
d’un produit à vendre. Il s’agit d’apporter du qu’on lui consacre un fort investissement en
conseil, de faire vivre une expérience à la hau- temps et en énergie. Enfin, son potentiel com-
teur de la marque. Parfois même, de manière mercial, même à emplacement de choix, ne
surprenante, l’exigence de rentabilité est relé- bénéficie pas de l’habitude des consommateurs.
guée au second plan, au profit de l’image de Ventes saisonnières. Les produits saisonniers
marque. ou calendaires sont les premiers intéressés par
Parallèlement, le comportement des consom- le concept. Aux États-Unis, les enseignes spé-
mateurs s’est modifié. Ils font les courses moins cialisées dans le déguisement peuvent faire jus-
par besoin que par plaisir. En Occident, le shop- qu’à 80 % de leur chiffre d’affaires au moment
ping est devenu un terme désignant une acti- de Halloween. Multiplier ses points de vente
vité de loisirs qui concurrence la télévision ! Le à ce moment-là et aller vers le consommateur
commerce physique a été contraint de s’adap- peuvent radicalement changer le business d’une
ter ; l’urbanisme commercial en a été méta- enseigne. Même chose pour les jouets au
morphosé, avec une très grande polarisation moment de Noël ; depuis près de dix ans,
des zones de commerces en centre-ville, au détri- Toys“R”Us ouvre aux États-Unis plus de
ment des quartiers. Les boutiques multimarques 300 magasins éphémères avant les fêtes de fin

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

Le pop-up store permet à la marque d’aller à la rencontre de leur clientèle là où elle


se trouve au moment précis où elle s’y trouve
de se montrer uniquement lorsqu’elle – Saint-Tropez en été, ou Courchevel en hiver,
par exemple.
a “quelque chose à dire” et qu’elle Test commercial. Le pop-up store permet éga-
lement de faire le test d’un emplacement ou
souhaite un focus médiatique. d’une zone avant de s’y implanter. Les nou-
velles règles du bail commercial permettent
notamment de prévoir des clauses de sortie
d’année. En France, les boutiques des marchés anticipée qui, de fait, transforment la boutique
de Noël, par exemple, s’inscrivent dans la même en pop-up avant d’être pérennisée.
dynamique. COMMUNICATION ÉVÉNEMENTIELLE. Les pop-
Déstockage. Les déstockeurs et autres com- up stores dont l’objectif est la communication
merçants low cost sont également intéressés événementielle obéissent à des logiques très dif-
par le concept de boutique éphémère. Ils en férentes. Leur objectif n’est pas la rentabilité
tirent le meilleur profit car ils sont capables à commerciale immédiate, souvent impossible à
la fois de proposer une offre très attractive (avec atteindre pour des marques qui n’ont juste-
un caractère d’urgence important) et de maî- ment pas de boutiques en propre parce qu’elles
triser leurs coûts. Ils le font de plusieurs façons : n’ont que trop peu de références ou qu’elles
– réactifs et flexibles, ils saisissent les opportu- commercialisent des produits nécessitant des
nités de locaux vacants, pour lesquels ils payent volumes de vente colossaux (par exemple, des
des loyers faibles ; barres chocolatées).
– ils limitent leur aménagement au strict mini- Dans un contexte d’“événementialisation”
mum ce qui, paradoxalement, favorise leur du retail, le pop-up store permet à la marque de
activité (image de bonnes affaires à faire). se montrer uniquement lorsqu’elle a “quelque
Créateurs. Les “artisans”, qui utilisent quasi chose à dire” et qu’elle souhaite un focus média-
exclusivement leurs propres ressources pour tique. Il permet surtout d’éviter l’écueil de cer-
monter une opération, font le gros du volume tains flagships, ces magasins de représentation,
des boutiques éphémères. C’est le cas notam- dont la vocation est l’image ou la présentation
ment des créateurs de mode ou d’accessoires de la gamme complète de la marque, qui pei-
qui fabriquent leurs produits, font leurs propres nent à retenir l’attention du public au-delà de
aménagements, vendent en direct et assurent l’ouverture ou se ruinent en animations artifi-
leur communication. Ils donnent de leur temps cielles.
mais réduisent leur investissement au maxi- La vente n’est alors qu’un prétexte pour com-
mum. Leur opération peut être d’autant plus muniquer avec son public et une manière d’éva-
vertueuse s’ils se fédèrent avec d’autres arti- luer sa réceptivité à un produit. En général, les
sans et mutualisent ainsi le coût de l’opération, objectifs de communication poursuivis sont :
sa promotion et la présence en magasin. le besoin de notoriété générale, le renforcement
Luxe. Les enseignes de luxe sont parmi les du lien avec son marché, le lancement d’un
seules capables de rentabiliser des opérations produit. Selon les objectifs, l’opération est cen-
de pop-up store tout en investissant massive- trée sur le “bruit” qu’elle peut susciter (rela-
ment, tant sur le lieu que sur la scénarisation. tions presse et relations publiques), sur l’expé-
En effet, elles pratiquent de tels prix et de telles rience proposée (accent sur les valeurs de la
marges qu’elles n’ont pas besoin d’un volume marque et sur son environnement propre) ou
important de vente pour rentabiliser une opé- sur la visibilité de la marque (très grande expo-
ration, mais d’une sélection de clientèle très sition visuelle et, le cas échéant, maillage fin
qualifiée. Et le magasin éphémère leur permet sur tout un territoire). ■

14 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
THIERRY BISSELICHES

EXEMPLES DE LIEUX ÉPHÉMÈRES

OBJECTIF DE COMMUNICATION
Pokémon Center Paris (du 4 au 21 juin 2014)
→ Installation du premier Pokemon Center en Europe pour 18 jours.
→ Objectif : faire le buzz pour lancement d’un nouveau jeu vidéo,
via des produits collector.
→ Résultat : beaucoup plus grand succès qu'escompté en matière de
flux et de couverture média.

BIC 40 years (mai-juin 2013)


→ Installation d’un pop-up pendant dix jours pour célébrer
les quarante ans du briquet Bic.
→ Objectif : renforcer le lien de BIC avec son public et faire le buzz.
→ Challenge : parler du briquet, sans parler de son usage principal,
la cigarette.
→ Résultat : grand succès auprès du public, flux important et
succès médiatique.

Krug (groupe LVMH) (décembre 2011)


→ Krug en Capitale, édition n°1. Restaurant éphémère
pendant dix jours au sommet d’un immeuble en chantier.
→ Objectif : célébrer l’un des meilleurs champagnes du monde
au travers d’une expérience hors du commun.
→ Challenge : créer une expérience élitiste avec une résonance globale.
→ Résultat : expérience hors du commun, forte couverture médiatique.

OBJECTIF DE VENTE
Birchbox (décembre 2014)
→ Birchbox, marque leader des coffrets beauté aux États-Unis,
installe un pop-up store durant trois semaines pour mieux
se faire connaître en France.
→ Objectif : faire découvrir et tester les produits en réel.
→ Résultat : très beaux résultats commerciaux et grand buzz.

Elizabeth Arden (septembre - décembre 2015)


→ Boutique test de quatre mois à Passy Plazza.
→ Objectif : tester une boutique en propre et faire ses preuves
pour revenir dans les grands magasins.
→ Résultat : test concluant, la boutique est désormais pérenne.

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

LE PAYS BASQUE
VA À LA RENCONTRE
DE PARIS
“EN MODE BASQUE”
ÉMILIE ROY
Responsable marketing et communication
Comité départemental du tourisme Béarn - Pays basque
< e.roy@tourisme64.com > < www.paysbasque-tourisme.com >

Depuis trois ans, le comité départemental du tourisme Béarn -

Pays basque mène une communication spécifique sur le mar-

ché parisien, un des principaux bassins émetteurs du tourisme

au Pays basque. Pour cela, il investit une sélection de lieux

éphémères (le Village Saint-Germain, le parvis de La Défense…),

marquant ainsi sa volonté de se distinguer des autres desti-

nations touristiques. Cette distinction, qui est devenue une

marque de fabrique partagée avec les acteurs basques du

tourisme, trouve son écho auprès de la clientèle. Retour sur les

dispositifs mis en place et sur l’origine de ces choix.

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ÉMILIE ROY

u printemps 2014, le comité casion (Le Bayonne, Le Biarritz, etc.) et décoré

A départemental du tourisme
(CDT) et les offices de tourisme
(OT) du Pays basque(1) décident,
dans le cadre de leur stratégie de
communication partenariale, de mettre en place
un événement fort pour appuyer la notoriété de
la destination. Pendant trois jours, au mois de
(devanture et intérieur) aux couleurs de la des-
tination. Plusieurs animations sont mises en
place : dégustations, jeux (dont notamment
un jeu concours).
C’est le vendredi soir qu’a lieu la grande soi-
rée, organisée dans l’esprit des fêtes de
Bayonne : dress code imposé blanc et rouge,
mai, ils prennent possession du Village Saint- distribution de foulards (avec parrainage de
Germain, un quartier du 6e arrondissement de l’enseigne 64), concours de tapas, initiation
Paris bien connu de ceux qui aiment retrou- aux danses basques, chorale allant de bar en
ver l’esprit de la fête et du rugby du Sud-Ouest. bar… Le public, conquis, n’hésite pas à tester
Les rues Princesse et Guisarde sont habillées le paquito (jeu consistant à se faire porter par
en vert, rouge et blanc, et tout l’art de vivre une chaîne humaine) géant lancé par les deux
du Pays basque y est décliné : la gastronomie, bandas.
la culture, les loisirs, le surf et bien entendu la À la suite de cet événement au cœur du
fête, la féria, la fiesta… L’objectif de cette opé- Village Saint-Germain, 2015 est une année de
ration est de proposer aux Parisiens un avant- transition au cours de laquelle le CDT et ses
goût de vacances au Pays basque. partenaires installent un nouveau message :
L’ESPRIT DES FÊTES DE BAYONNE. Plusieurs “Passez #enmodebasque”. Une campagne de
temps forts ponctuent ces deux journées dont, communication en ligne privilégiant les réseaux
en ouverture le jeudi après-midi, un workshop sociaux est mise en œuvre afin d’ancrer ce mes-
consacré tant aux journalistes parisiens qu’aux sage de l’asseoir sur un socle solide. Des blo-
agences événementielles et d’incentive. Les geurs sont, les premiers, invités à tester sur
organisateurs, mais aussi les associations place ce “passage en mode basque”.
Thalasso Côte basque et Sites et musées en MÉTAMORPHOSE EN “MODE BASQUE”. En mars
Pays basque, les thermes de Cambo-les-Bains, 2016 est menée l’opération “Box”. Pendant
trois agences réceptives (Be Bask, Passion Côte trois jours, une énorme boîte de dix mètres sur
basque et Sud Emotion) et les éditions Atlantica cinq est installée sur le parvis de La Défense.
y accueillent près de cent visiteurs (deux tiers Des spectateurs choisis “au hasard” par un
de journalistes, un tiers d’agences) venus mal- animateur en ressortent métamorphosés en
gré les grèves qui bloquent bus et métro ce “mode basque”. Par exemple, un homme d’af-
jour-là… faires “costume-cravate-tablette” pénètre dans (1) Les offices de tourisme
À l’issue de cette présentation, une soirée la boîte et en ressort quasiment instantané- de : Bayonne, Anglet,
privative permet de partager un temps festif ment en surfeur, une planche sous le bras. Biarritz, Bidart, Hendaye,
avec les invités au workshop et de nombreuses Cette opération de communication investit Saint-Jean-de-Luz, Terre-
personnalités parisiennes du monde des médias, un lieu public symbolique, le parvis de La et-Côte basques (Ahetze,
du monde économique… Un joli moment au Défense, dont la fréquentation est en adéqua- Arbonne, Guéthary, Ciboure,
cours duquel Pierre Oteiza, la maison Pariès, tion avec la cible du Pays basque (une popu- Urrugne, Biriatou, Ascain,
la cave d’Irouléguy et Izarra régalent les lation jeune, active, de CSP+). Elle permet d’al- Sare, Ainhoa, Saint-Pée-
convives, sur fond musical de la banda ler directement à la rencontre des clients de la sur-Nivelle), Espelette,
Kalimutxo et des chœurs d’Errobi Kanta et de destination et de leur proposer une opération Cambo-les-Bains, Bidache
Gorka Robles. insolite et inédite pour “passer en mode et la Montagne basque
Dans le même temps, chaque office de tou- basque”. L’enjeu du dispositif est surtout un (Iraty, Saint-Jean-Pied-de-
risme partenaire anime un bar de la rue enjeu de communication : l’opération est fil- Port, Mauléon, Saint-Palais,
Princesse ou de la rue Guisarde. Chaque bar mée et donne lieu à une courte vidéo, relayée Hasparren, La Bastide-
associé à l’opération est rebaptisé pour l’oc- par un plan de communication numérique de Clairence).

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

du workshop presse et des deux journées d’ex-


position.
Lors de ces trois opérations – le Village Saint-
Germain, la “Box” sur le parvis de La Défense
et le pop-up store en mode basque –, différents
outils de communication ont été créés pour
soutenir l’événement (des affiches, un maga-
zine, un jeu sur Facebook…), des espaces publi-
citaires ont été achetés. Si tous avaient voca-
tion à convier les Parisiens à se rendre à
l’événement, ils renvoyaient également vers le
site internet Pays basque(4) lancé simultané-
ment. L’opération éphémère est d’abord et sur-
tout un moyen de communiquer largement sur
la destination.
façon à créer un buzz maximal au niveau natio- Ces trois opérations ont fait l’objet de mon-
nal ; sur Youtube, la vidéo a ainsi été visionnée tages différents. En 2014, lorsque le Pays
plus de 460 000 fois(2). Outre son inventivité(3), basque s’invite au cœur du Village Saint-
la réussite de cette opération de communication Germain, l’organisation de la manifestation
éphémère réside dans le fait qu’elle est la maté- est gérée en interne par le comité départemental
rialisation directe de la promesse de “passer du tourisme, qui se transforme durant quelques
en mode basque” et qu’elle est en synergie avec semaines en agence événementielle, avec une
l’ensemble de la communication du Pays équipe de trois personnes affectée à l’opéra-
basque. En effet, le positionnement du Pays tion et une émulation au sein de la structure.
basque met en avant la créativité de la desti- L’opération “Box” sur le parvis de La Défense,
nation, “pays d’audace où l’innovation et la quant à elle, est l’aboutissement de deux années
(2) https://www.youtube.co création s’appuient sur l’héritage”. de campagne de communication ; son organi-
m/watch?v=8icCRIPKDnk POP-UP STORE DES CRÉATEURS. Le pop-up sation été prise en charge par l’agence de com-
(3) Après un 1er prix aux store 2016, imaginé par Atlantica Commu- munication du CDT, Horizon Bleu, à l’origine
Trophées de la com’ Sud- nication, permet d’illustrer, voire de prouver, ce de l’idée ; elle s’est associée les services de
Ouest à Bordeaux, le comité positionnement en permettant au public d’al- JC Decaux Live, qui a orchestré l’événement.
départemental du tourisme ler à la rencontre de l’effervescence créatrice Enfin le pop-up store “en mode basque” a été
Béarn-Pays basque a du Pays basque. pensé et monté en total partenariat avec une
obtenu une récompense de Le principe même du lieu éphémère permet structure locale porteuse de l’initiative :
niveau national, lors des une déclinaison en adéquation totale avec les Atlantica Communication.
15es Trophées de la couleurs de la destination et offre un cadre En 2017, le Pays basque poursuit sa straté-
communication : la souple, une zone d’expression large aux por- gie de rencontre avec le public parisien “en
communication de la teurs des valeurs que peuvent être des artisans, mode basque”. Les 16, 17 et 18 mars 2017,
destination Pays basque des créateurs, des chefs cuisiniers, etc. C’est au il investit la mairie du 13e arrondissement de
“Passez #enmodebasque” a fronton Chiquito de Cambo, équipement spor- Paris, place d’Italie. Au programme : des
reçu le 1er prix dans la tif consacré à la pelote basque situé dans le concerts, un pop-up store de créateurs, des
catégorie : meilleure action 16e arrondissement de Paris, que s’est tenu le conférences économiques, des animations fes-
de communication sur un premier pop-up store des créateurs du Pays tives et gourmandes, des rencontres avec les
thème précis réalisée par basque. Une vingtaine d’artisans créateurs ont offices de tourisme et acteurs du territoire, etc.
un organisme public. répondu présents au marché d’artisanat d’art. MUTUALISATION DES RESSOURCES ET DES
(4) www.paysbasque- Le tourisme s’est associé à ce marché éphé- COMPÉTENCES. Si chacune de ces opérations a
tourisme.com mère pour présenter l’offre touristique, lors eu un mode d’organisation distinct, la réussite

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de chacune est due à un élément stratégique Nous investissons leur lieu de vie afin de leur
clé : la collaboration et la mutualisation des faciliter l’accès à l’information et à la destina-
ressources et des compétences de l’ensemble tion. Nous leur offrons la possibilité de tou-
des offices de tourisme du Pays basque et des cher, sentir, entendre, vivre des émotions et des
partenaires de la destination. En effet, tous ces expériences avant même leur arrivée au Pays
événements ont été pensés et financés en par- basque. Le défi alors est de les faire entrer dans
tenariat avec les offices de tourisme du Pays l’ambiance. Ce dessein est facilité en ce qui
basque qui ont apporté idées, savoir-faire, concerne le Pays basque par la qualité et la
réseau de contacts et contribution financière. quantité d’atouts identitaires propices au par-
Cette mobilisation des partenaires a permis de tage : gastronomie, culture, sports, loisirs…
représenter la destination dans son ensemble, Avec ce nouvel exercice, nous partageons et
avec toutes les facettes qui la composent. Cette transmettons en direct nos valeurs, nous
mutualisation a requis une organisation adap- sommes dans la proximité, voire la connivence,
tée : en 2014, plusieurs commissions de tra- avec nos clients.
vail réunissant des représentants du CDT et En investissant des lieux éphémères pour la
d’OT ont travaillé de janvier à mai sur les dif- promotion de la destination Pays basque, nous
férents aspects (communication, organisation, faisons également le choix de nous distinguer,
magazine, workshop, site internet…). tant sur le fond que sur la forme. Le position-
Par le passé, nous avons mené des cam- nement marketing de la destination Pays basque
pagnes de promotion plus traditionnelles. Des fait état des valeurs fortes que sont l’audace, la
plans média efficaces, des publicités aux codes créativité, l’innovation, l’héritage, le partage,
bien maîtrisés, des achats de stand dans des l’effervescence, la vibration, le savoir-vivre, l’élé-
salons à forte audience nous ont offert de belles gance discrète… Il porte haut “la distinction,
visibilités. Depuis trois ans, nous faisons le la qualité et la modernité” du territoire. Nous
choix de ne pas être juxtaposés (associés ?) à avons souhaité être cohérents avec ces valeurs
d’autres marques dans les couloirs d’un métro en créant des événements, à notre sens plus
ou sur un salon de tourisme… mais de monter “distinctifs, de qualité et modernes” que des
des opérations éphémères. En cela, nous ne opérations de communication plus classiques.
faisons pas le choix de la facilité. Pourquoi ce Et puis, il nous semblait plus audacieux de par-
choix ? tir ex nihilo, de conquérir un espace… L’audace,
Parce que ces événements nous permettent encore une valeur forte du positionnement du
d’aller à la rencontre de vacanciers potentiels. Pays basque ! ■

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

LES MARCHÉS FLOTTANTS


DU SUD-OUEST
UNE PROMOTION
INNOVANTE DE
PRÈS DE VINGT ANS
JOSÉ-LOUIS PEREIRA
Directeur du comité départemental du tourisme, Destination Gers
< direction@tourisme-gers.com >

Chaque année, depuis 2000, les départements du Gers, du

Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne organisent sur les quais

de la Seine une opération de promotion éphémère : les Marchés

flottants du Sud-Ouest. Ceux-ci, qui s’appuient sur les valeurs

du Sud-Ouest (la générosité, l’esprit de la fête, la bonne

chère…), accueillent en trois jours quelque 250 000 visiteurs

sur un espace privatisé. Vente de produits locaux, distribu-

tion gratuite de fruits, miniconcerts, animations gourmandes

et ludiques, information touristique… font de ces Marchés un

moment festif, rythmé par la musique des bandas.

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JOSÉ-LOUIS PEREIRA

n 1992, le Gers, le Lot-et- les connecter entre elles : l’objectif est aussi de

E Garonne et le Tarn-et-Garonne
se regroupent dans une institu-
tion appelée Pôle Sud-Ouest.
L’objectif de ce regroupement
interdépartemental et interrégional est de
mutualiser les actions en matière économique
(agriculture, éducation et tourisme). Le tou-
promouvoir le tourisme fluvial dans le Sud-
Ouest.
Les quais de Seine semblent une évidence.
Diverses solutions en bord de Seine sont entre-
vues avec nos partenaires (mairie de Paris et
Ports de Paris). Nous souhaitons retenir un
lieu emblématique, cohérent avec notre pro-
risme est l’un des axes forts du plan d’action pos : à savoir l’excellence de nos destinations,
de l’institution ; il l’est encore aujourd’hui et la typicité de notre patrimoine et l’esprit de la
unit l’action de ces trois départements. Le culture que nous véhiculons. Après une
plan d’action touristique de l’institution est recherche longue et minutieuse, notre choix
bien entendu complété par des orientations se porte sur les quais de Montebello et de la
propres à chacun des départements et Tournelle (l’un prolongeant l’autre), face à la
conduites séparément par chacun des comi- cathédrale Notre-Dame de Paris. Le format
tés départementaux du tourisme (CDT). retenu pour l’événement est celui d’un grand
Les objectifs affichés dès le départ sont d’af- marché gourmand et festif.
firmer le Sud-Ouest sur un marché touris- La marque “Marchés flottants du Sud-
tique de plus en plus concurrentiel, de créer Ouest” est déposée à l’Inpi par le Pôle Sud-
de nouveaux flux et de produire des retom- Ouest et l’agence de communication. La notion
bées économiques pour les trois départe- de “marchés flottants” renvoie à l’image des
ments. Une opération emblématique naît très marchés flottants asiatiques, qui sont vivants,
rapidement : les Marchés flottants du Sud- colorés, sonores, goûteux… L’enjeu est alors
Ouest, opération qui a fêté en 2016 sa 17e édi- pour nous de donner à cet événement un
tion. contenu à la hauteur de l’image de cette réfé-
UN ÉVÉNEMENT FORT, VISIBLE ET PORTEUR rence.
DE SENS. Le choix de la localisation de la Cette manifestation doit échapper à la bana-
manifestation n’est pas neutre. En effet, Paris lité d’une simple rencontre proposée aux visi-
et l’Île-de-France représentent pour chacun teurs. Elle doit s’adosser aux valeurs portées
de nos départements entre 16 et 22 % de la par nos territoires et faire preuve de vérité,
clientèle touristique. Ce marché, prioritaire d’authenticité. L’image du Sud-Ouest renvoie
pour nombre de régions et départements fran- aux notions de partage, de générosité, d’hu-
çais, fait l’objet de maintes sollicitations et mour, de sens de l’accueil, d’ouverture à l’autre,
opérations événementielles visant à séduire d’esprit de la fête, de bonne chère, d’art de
et à fidéliser cette clientèle urbaine. C’est vivre, d’amour de la terre, du travail bien fait,
pourquoi, dès le départ, il nous semble impor- de fierté, d’excellence des produits du terroir,
tant de créer un événement fort, visible et de convivialité… Mais cela doit se traduire en
porteur de sens, avec des contenus relayant actes, en propositions…, et ce dès la première
l’esprit du Sud-Ouest, notre ADN commun. édition des Marchés flottants du Sud-Ouest,
Par ailleurs, le lieu choisi doit répondre à en septembre 2000.
notre positionnement de qualité ; il doit être Pourquoi septembre ? D’abord parce que
de taille humaine (pour favoriser la proxi- nous souhaitons, après les vacances estivales,
mité, les échanges, l’esprit de convivialité) et redire à nos visiteurs que nos destinations sont
être lié à l’eau. En effet, nos conseils géné- accessibles toute l’année, que l’automne, l’hi-
raux respectifs lancent alors une politique ver et le printemps sont propices à des activi-
d’équipement volontariste visant à rendre à tés, tels l’œnotourisme ou l’itinérance, par
nouveau navigable nos voies fluviales, et à exemple. Ensuite, cet événement complète

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

diverses présences printanières à Paris (Salon tures du Sud-Ouest : restauration, distribu-


de l’agriculture, salons de tourisme, rencontres tion gratuite de fruits du Sud-Ouest, bar à
presse…). Enfin, la mairie de Paris de l’époque, vins… Les quais accueillent également la par-
qui souhaite valoriser la Seine comme tracé tie technique du dispositif, à savoir les zones
structurant les deux rives de la capitale, lance de stockage, les parkings, l’équipe technique
les Fêtes de la Seine. Notre événement intègre et de sécurité.
le programme parisien, au point d’en être une EXPÉRIENCE INTENSE. La culture du Sud-
composante essentielle. Cette alliance d’inté- Ouest, et notamment la musique et le chant
rêts entre Paris et le Sud-Ouest s’illustre par (bandas, miniconcerts à l’heure de l’apéri-
un feu d’artifice organisé par la mairie de Paris tif…), complète le dispositif durant les trois
à proximité immédiate des quais occupés par jours de la manifestation, le tout accompagné
les Marchés flottants. de dégustations (entre 800 et 1 000 cocktails
Au fil des années, l’organisation des Marchés distribués chaque soir gracieusement). On
flottants se rode. Elle est confiée directement vient y vivre une expérience intense de
aux CDT, par présidence tournante. La mobi- 10 heures à 22 h 30, du vendredi au dimanche.
lisation financière des trois collectivités se sta- Le site prestigieux de la manifestation, face
bilise à hauteur de 225 000 euros (soit 75 000 à Notre-Dame, est une exclusivité encore
euros par département). aujourd’hui. Un cahier des charges rigoureux,
OBJECTIF TOURISTIQUE. Si la gastronomie et imposé par Ports de Paris, la préfecture de
la bonne chère marquent l’identité de nos des- police et la mairie, nous oblige à renouveler
tinations, il ne s’agit pas pour autant d’orga- constamment l’excellence de nos contenus.
niser un marché de producteurs ou un salon Par ailleurs, les quais font partie du site “Paris,
classique de produits : l’objectif est bien un rives de la Seine”, désormais inscrit sur la liste
objectif touristique. Cependant, nous partons du Patrimoine mondial de l’Unesco. Il nous
du postulat que l’image de nos destinations est donc demandé de proposer dans notre pro-
rurales est liée à celle de leurs produits locaux grammation des activités culturelles.
emblématiques (pruneaux d’Agen, chasselas de Devenus incontournables dans la pro-
Moissac, melon de Lectoure, ail blanc de grammation parisienne, les Marchés flottants
Lomagne, armagnac, foie gras…) et que, par du Sud-Ouest accueillent chaque année entre
ailleurs, l’excellence de ces produits fait écho 200 000 et 250 000 visiteurs sur un espace
à l’attractivité de nos destinations. privatisé répondant aux normes de sécurité
Au-delà de l’espace de producteurs et de et à un cahier des charges strict visant à res-
l’espace tourisme, nous illustrons la généro- pecter les lieux. Le maire de Paris inaugure
sité, l’empathie, la connivence et la convivia- chaque année cet événement, qui accueille
lité des destinations en distribuant à la main immanquablement des personnalités du
(en geste d’accueil significatif) plus de monde politique, des arts, du journalisme…
10 tonnes de fruits produits dans le Sud-Ouest. DISPOSITIF DE COMMUNICATION. Chaque édi-
Ce geste gratuit et généreux se fait à bord tion bénéficie d’un dispositif de communica-
d’une péniche amarrée quai de Montebello. tion important : affichage dans le métro, invi-
L’événement se structure autour de divers tations distribuées dans les boîtes aux lettres de
pôles. Le long des deux quais, ce sont 42 étals cinq arrondissements parisiens (tirage de
de producteurs (14 par département), sélec- 100 000 exemplaires), informations via un
tionnés rigoureusement pour leur qualité, qui partenariat avec la ville de Paris (annonces sur
prennent place autour d’un espace tourisme les panneaux d’affichage électronique, paru-
animé par nos trois destinations. Ce disposi- tions sur le site internet de Paris.fr ainsi que
tif est doublé quai de la Tournelle par un dans le magazine municipal…), dépliant tou-
espace s’organisant autour du goût et des cul- ristique commun aux trois départements, site

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JOSÉ-LOUIS PEREIRA

internet spécifique, flyers des producteurs et


sets de table… Les CDT envoient aux clients
de la destination, par e-mail (base de données
de 450 000 adresses), des invitations à parti-
ciper à la manifestation. Un travail particulier
est également mené en direction des médias :
des accueils de presse sont organisés sur place
durant deux jours, complétant le travail d’in-
formation mené en amont auprès de la presse
écrite, audiovisuelle et des blogueurs. Enfin,
la force de diffusion et de partage des réseaux
sociaux occupe une place centrale dans le dis-
positif de communication : les comptes Twitter,
Facebook, Instagram, Flickr, Youtube… de
nos destinations sont très actifs en amont et
durant la manifestation.
SUCCÈS JAMAIS DÉMENTI. Aujourd’hui posi-
tionnés dans le cadre de dates calendaires
emblématiques, les Journées du patrimoine,
les Marchés flottants du Sud-Ouest rencon-
trent un succès qui ne s’est jamais démenti.
Constamment renouvelés pour toujours sus-
citer l’intérêt des visiteurs, pour coller au rajeu-
nissement de ces derniers, également à l’exi-
gence et aux attentes des clientèles locales mais
également internationales…, les Marchés flot-
tants sont un événement rentable et porteur
pour le Gers, le Lot-et-Garonne et le Tarn-et-
Garonne.
Le coût total de l’opération (aux environs
de 300 000 euros) est au moins égalé par le
chiffre d’affaires réalisé par les producteurs
et les filières partenaires. Par ailleurs, les per-
formances des trois destinations touristiques
auprès des clientèles du Bassin parisien sont
excellentes et en hausse. En effet, chaque
département a affirmé au fil des années sa
place sur ce marché. La manifestation bénéficie
en outre de la fréquentation de le clientèle tou-
ristique (nationale et internationale) de Paris,
ce qui permet de renforcer la notoriété et
l’image de nos trois destinations au-delà de la
région parisienne.
Les Marchés flottants du Sud-Ouest sont
devenus au fil des années un événement
éphémère incontournable de la rentrée pari-
sienne ! ■

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

DES CHAMPS DE
LAVANDE EN VILLE
POUR PROMOUVOIR
LA HAUTE
PROVENCE
JEAN-PIERRE MARTINETTI ÉRIC OLIVE
Ancien directeur des services du tourisme Pôle manager communication web et hors web
dans les Alpes-de-Haute-Provence ADT des Alpes-de-Haute-Provence
< jp.martinetti@cctd.eu > < eric.olive@alpes-haute-provence.com >

Au début des années 2000, les organismes touristiques de

haute Provence ont mené, en partenariat avec les entreprises

locales, des opérations de promotion spectaculaires : la créa-

tion de champs de lavande éphémères sur la place des Vosges

(Paris), en 2001, ou sur la Grand-Place (Bruxelles), en 2006.

Le concept de l’événement s’est inscrit dans une logique glo-

bale et partenariale valorisant l’identité et l’authenticité du ter-

roir à partir de la lavande, plante emblématique à forte notoriété.

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JEAN-PIERRE MARTINETTI ET ÉRIC OLIVE

a place des Vosges et le Stade de PAYSAGES EMBLÉMATIQUES. C’est dans les

L France à Paris, en 2001 et 2004 ; la


Grand-Place de Bruxelles et la Cité
des sciences et de l’industrie à Paris,
en 2006 ; le Vieux-Port de Marseille,
en 2013... De grandes villes, de belles places,
des lieux insolites ont accueilli quelques jours
durant des champs de lavande. Ces opérations
Alpes-de-Haute-Provence et dans les départe-
ments voisins que se situent les champs de
lavande, paysages emblématiques d’une excep-
tionnelle beauté et à forte attractivité touris-
tique. En effet, nulle part ailleurs l’on retrouve
ces fascinantes vagues bleues qui couvrent les
flancs des montagnes et d’immenses plateaux de
de promotion éphémères et spectaculaires ont l’arrière-pays provençal.
été l’occasion de présenter les spécificités, la Cette culture agricole est à l’origine d’une
mémoire, la vie et les activités des territoires de activité économique très diversifiée (saveurs,
lavande et de leurs habitants. senteurs...), couvrant une large gamme de pro-
Le département des Alpes-de-Haute- duits et services, de l’artisanat à l’entreprise
Provence, qui venait d’adopter son schéma de internationale (L’Occitane). Omniprésente, jus-
développement touristique 2000-2016, avait qu’à colorer murs et volets du bâti local, elle
constaté un déficit de notoriété lié notamment revêt une dimension culturelle par sa présence
à une image floue et duale d’espaces et de pay- dans le patrimoine paysager et au sein de nom-
sages contrastés. Alpes et Provence, deux breux événements, fêtes, musées, publications
marques très fortes mais largement antino- et œuvres littéraires... Tout est prétexte à l’évo-
miques et sources d’une ambiguïté qui handi- cation de cette plante incarnant l’identité locale
capait l’identification et, bien sûr, la promotion dans la Provence des hautes terres, celle de Jean
de ce vaste territoire de la Provence intérieure. Giono pour qui “la lavande est l’âme de la haute
Transcendant cette dualité d’images, la Provence”. Une enquête BVA réalisée près d’un
démarche de cohérence et d’unité mise en œuvre demi-siècle plus tard(2) confirme que, pour les
par la “famille lavande”est exemplaire. visiteurs du département, l’image dominante
L’industrie des parfums, arômes, senteurs et perçue est celle de la lavande sous le soleil.
saveurs est en effet une des filières les plus dyna- ENJEUX ÉCONOMIQUES. Les enjeux écono-
miques de la région, les entreprises qui y parti- miques sont donc très importants pour les ter-
cipent sont en développement et fortement ritoires de la lavande, comme le soulignait une
exportatrices, leur dynamisme ayant été reconnu étude réalisée en 2004 à la demande de
en 2005 par l’obtention du pôle de compétiti- l’Onippam (Office national interprofessionnel
vité Pass (parfums, arômes, saveurs, senteurs). des plantes à parfum, aromatiques et médici-
La lavande fine, plante sauvage des Alpes du nales, devenu depuis un département de France
Sud, a évolué vers une forme cultivée sur les Agrimer). La lavande, c’est tout à la fois :
plateaux et le piémont de la haute Provence. – une production agricole qui permet de valo-
De son croisement avec la lavande aspic de la riser des terrains pauvres et caillouteux des
garrigue est né un hybride stérile, le lavandin. La zones de montagne sèches méditerranéennes ; (1) La France produit 90 %
première, à la délicate fleur d’un bleu pâle, est – un moyen de maintenir une activité écono- de la production mondiale
réservée à la filière parfums et cosmétiques ; la mique dans des secteurs ruraux de montagne. d’huiles essentielles de
seconde, à la floraison très spectaculaire, d’un La culture de la lavande joue un rôle détermi- lavandin et 50 % de la
bleu violacé à forte intensité, produit des bou- nant dans l’aménagement du territoire. La filière production mondiale
quets et fleurs séchées, alimente un artisanat lavande-lavandin rassemble près de 2 000 pro- d’huiles essentielles de
local et les secteurs des lessives et désodorisants. ducteurs cultivant 20 000 hectares sur quatre lavande.
Les deux filières s’entrecroisent, produisant cha- départements (Alpes-de-Haute-Provence, (2) BVA, Étude d’image et
cune, par distillation, des huiles essentielles spé- Hautes-Alpes, Drôme, Vaucluse) ; de notoriété des Alpes-de-
cifiques dont la France constitue un acteur – la fabrication de produits diversifiés (huiles Haute-Provence, CDT 04,
majeur du marché mondial(1). essentielles, fleurs et bouquets...) qui s’expor- 2001.

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

tent dans le monde entier, avec une appellation Mises sur pied en 2001, ces opérations se sont
d’origine contrôlée (AOC) “huile essentielle de appuyées sur un socle et un concept à la fois
haute Provence” et une production certifiée en innovants et évolutifs.
agriculture biologique ; Le concept de l’événement Champ de lavande
– le support d’une offre touristique qui s’ac- s’est inscrit dans une logique globale et parte-
croît, se structure, grâce notamment aux actions nariale valorisant l’identité et l’authenticité du
conjointes des agences et comités départemen- terroir à partir de sa plante emblématique et à
taux du tourisme et de l’association Les Routes forte notoriété. Un mandat clair a été donné
de la Lavande. Cette dernière rassemble des par l’exécutif départemental aux services du
producteurs, des distillateurs, des hôteliers, des tourisme pour concevoir et conduire ce type
restaurateurs, des entreprises qui proposent une d’événement d’envergure, sur la base d’une note
gamme d’activités et de services autour de la d’opportunité spécifique à chacun d’entre eux.
thématique lavande (bien-être, découverte des Nous présenterons ici plus particulièrement
savoir-faire, gastronomie, activité culturelle…) ; l’opération de Bruxelles, qui s’est donc tenue
– le ciment de l’identité provençale, notamment sur la Grand-Place en 2006. Après le succès
dans l’arrière-pays provençal. remporté par les opérations de la place des
À ces réalités s’ajoutait au début des années Vosges et du Stade de France à Paris, le projet
2000 un contexte spécifique, favorable à une bruxellois a été évoqué en septembre 2005 au
action commune : cours d’une réunion à laquelle participaient
– la menace pesant sur la filière lavande fran- notamment le président du conseil général des
çaise liée à la préparation de mesures régle- Alpes-de-Haute-Provence, Jean-Louis Bianco,
mentaires européennes Reach(3), dans un mar- le président du conseil général de la Drôme,
ché mondial de plus en plus concurrentiel Didier Guillaume, et le directeur de Maison de
(Chine, Bulgarie, Ukraine) ; la France à Bruxelles, Patrick Goyet. Après une
– des convergences entre démarches publiques rencontre de Jean-Louis Bianco et de Freddy
et privées (sauvegarde d’une économie struc- Thielemans, bourgmestre de Bruxelles, suivie
turante, promotion de la démarche AOC, valo- de longues négociations avec les services de la
risation de l’identité et de l’authenticité pro- capitale belge, un accord a pu aboutir en
vençale) ; décembre 2005 pour la réalisation d’une mani-
– des possibilités de financements public et privé, festation, les 16, 17 et 18 juin 2006, sur la
locaux et européen ; Grand-Place de Bruxelles. L’autorisation était
– la présence, dans le département des Alpes- donnée à titre tout à fait exceptionnel. Cette
de-Haute-Provence, du siège de l’Onippam manifestation a été jumelée avec celle de la Cité
– la présence également d’une entreprise en des sciences et de l’industrie de Paris, prévue
plein essor, L’Occitane, souhaitant valoriser son pendant la même période. La proximité entre les
identité et ses racines provençales ; deux manifestations (16-18 juin pour Bruxelles
– la capacité d’initiative, de portage de projets et 23-25 juin pour la Cité des sciences et de l’in-
et d’animation de réseaux de l’entité départe- dustrie) devait permettre une résonance média-
mentale du tourisme des Alpes-de-Haute- tique accrue.
Provence. L’opération de Bruxelles ciblait à la fois les
ÉVÉNEMENTS D’ENVERGURE. Les opérations responsables de la Commission européenne,
“Champ de lavande” ont été des occasions les médias, les relais d’opinion et le grand public.
uniques pour la filière lavande et ses territoires C’était une manifestation à dominante rela-
de démontrer la multifonctionnalité (agricul- tions publiques, qui visait à sensibiliser, par un
(3) Registration, Evaluation, ture, tourisme, industrie, culture) de cette pro- événement dans la ville et un colloque, les déci-
Autorisation and Restriction duction et de témoigner de la nécessité de la deurs européens, les médias et les relais d’opi-
of Chemicals (Reach). préserver, de l’encourager et de la promouvoir. nion à l’importance de la filière lavande et du

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JEAN-PIERRE MARTINETTI ET ÉRIC OLIVE

pôle de compétitivité. En effet, la nouvelle règle- Quelque 6 000 pieds de lavandin et


mentation européenne (Reach) était susceptible
de fragiliser la filière à court ou moyen terme. huit oliviers de plus d’une tonne chacun
Il convenait aussi, et dans le même temps, d’in-
former et de séduire un très large public belge ont été installés au petit matin sur la
et international en évoquant les paysages et la
civilisation lavande des hautes terres proven- Grand-Place de Bruxelles.
çales. Les partenaires souhaitaient engager une
action de communication globale (valorisant
les synergies tourisme, agriculture, industrie, de développement touristique des Alpes-de-
patrimoine), contribuant à la notoriété de la Haute-Provence dans le cadre d’un projet au
destination, et promouvoir une image de qua- budget de 400 000 euros mobilisant de nom-
lité favorisant la commercialisation de séjours breux cofinanceurs.
et de produits locaux. À Bruxelles, la lavande et l’olivier, symboles
SOLLICITER LES CINQ SENS DES VISITEURS. Il de la haute Provence, ont accueilli le grand
s’agissait bien d’évoquer et de partager, le temps public, le 16 juin 2006, à partir de 14 heures.
d’un week-end, l’esprit et les réalités de lieux Pour renforcer l’impact visuel et olfactif du
de vie, d’accueil et de bien-être en Provence, au champ, le choix de faire un champ de lavan-
caractère marqué par la lavande et quelques din (et non de lavande fine comme cela avait
autres choses... Pour cela, la scénographie de été le cas pour la place des Vosges) avait été
l’événement visait à solliciter les cinq sens des retenu. Ce sont donc 6 000 pieds de lavandin et
visiteurs avec un champ de lavande, des décors huit oliviers de plus d’une tonne chacun qui
et des animations. ont été installés au petit matin sur la Grand-
Prolongeant cet événement, l’opération de la Place pour trois jours. Au centre du champ,
Cité des sciences comprenait à la fois une action quatre espaces d’accueil pour découvrir la
de relations publiques (ciblant les acteurs et Provence des lavandes, à partir de magnifiques
décideurs parisiens concernés par la filière) et paysages sur de vastes supports de toile légère
une communication en direction du grand rythmaient et structuraient les espaces. Deux
public (espace lavande autour de la Géode et d’entre eux étaient consacrés au tourisme (les
exposition de six mois sur la thématique des quatre organismes départementaux et les deux
plantes à parfums et des plantes médicinales, CRT y diffusaient une documentation touris-
avec mise en place de temps forts et d’anima- tique, avec possibilité de réserver des séjours
tions). “coup de cœur”). Les deux autres espaces
L’organisation de ces deux manifestations de étaient réservés aux partenaires de la filière,
grande envergure, menées conjointement par avec une série d’animations et d’ateliers cen-
les quatre départements concernés par la trés sur la lavande et ses produits dérivés (mode-
Provence des lavandes (Alpes-de-Haute- lages relaxants des mains et de la nuque avec
Provence, Hautes-Alpes, Vaucluse et Drôme) des produits à base d’huiles essentielles de
et les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et lavande, ateliers sur les odeurs, fabrication des
Rhône-Alpes, en partenariat avec l’association savons, peinture…). Un alambic installé par la
Les Routes de la Lavande, l’Onippam, l’UESS distillerie Bleu Provence a diffusé pendant la
(l’Université européenne des saveurs et senteurs) manifestation sur toute la Grand-Place une puis-
et des partenaires privés, exige à la fois un por- sante odeur de lavande.
tage unique du projet et une démarche partici- Le colloque organisé par l’Onippam, avec le
pative. Le portage technique et financier de la soutien des partenaires de la Provence des
double opération Provence des lavandes, à lavandes, en relation avec des fonctionnaires
Bruxelles et à Paris, a été assuré par l’agence de la Commission européenne, des producteurs

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

et des industriels européens de la filière des et favorisée par une météo aux températures
huiles essentielles, s’est déroulé dans la salle de provençales, a incité les Belges et les touristes
conférences de l’hôtel de ville de Bruxelles. Ce étrangers à venir en nombre découvrir le champ
rendez-vous réservé aux professionnels a permis de lavande. Quelques chiffres, tirés du bilan
de sensibiliser de nombreux acteurs écono- croisé établi, confirment le succès de l’événe-
miques et politiques européens à deux thèmes ment auprès des visiteurs, avec, sur trois jours,
d’actualité de la filière : l’application de la régle- un total d’environ 200 000 personnes qui ont
mentation Reach et ses conséquences pour les visité, vu ou participé aux activités et anima-
filières des huiles essentielles ; le développement tions. Fait exceptionnel pour ce type d’événe-
durable des plantes à parfum et aromatiques ment à effet généralement différé, un impact
en Provence. direct et quasi immédiat a pu être relevé à par-
Dans le cadre d’un partenariat avec Maison tir de plusieurs indicateurs de conjoncture et
de la France (désormais Atout France), les rela- d’une opération test de courts séjours. Enfin
tions presse pour la manifestation de Bruxelles plusieurs éléments d’appréciation, relevés à l’oc-
avaient été confiées à une agence de presse casion de séances de travail post-événement et
bruxelloise, et une campagne de communica- de contacts de terrain, ont permis de constater
tion dans le bus et le métro a été menée à sur le un retour très favorable des populations et
thème de la Provence des lavandes. À l’issue de acteurs locaux sensibilisés et informés par la
la manifestation, 1 000 pieds de lavande ont presse régionale.
été remis à l’Hôpital des enfants de Bruxelles Les opérations Champ de lavande ont per-
afin d’améliorer le quotidien des enfants mis de montrer l’existence d’une véritable filière
malades. économique, avec ses réalités humaines et ter-
FRANC SUCCÈS. Cette opération, soutenue par ritoriales, bien au-delà des clichés photogra-
une campagne de communication dynamique phiques… ■

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NATHALIE BELLOIR, BAPTISTE BRIAND ET ISABELLE SIRE

VOYAGEURS DU MONDE
DES POP-UP STORES
COMME AUTANT
D’INCITATIONS AU VOYAGE
NATHALIE BELLOIR BAPTISTE BRIAND ISABELLE SIRE
Directrice de la communication Rédacteur Responsable édition
Voyageurs du Monde Voyageurs du Monde Voyageurs du Monde
< nbelloir@voyageursdumonde.fr > < bbriand@voyageursdumonde.fr > < isire@voyageursdumonde.fr >

Installée rue Sainte-Anne, dans le 2e arrondissement de la capitale, la

librairie Voyageurs du Monde accueille, depuis le début de l’année

2016, une série de boutiques éphémères présentant le travail de dif-

férents créateurs de mode, d’accessoires et d’objets en lien plus ou

moins direct avec le voyage. Parmi les objectifs affirmés : tisser un

pont entre deux univers pas si éloignés l’un de l’autre.

mplantée au départ au sein du point de voyage. Un an plus tôt, Voyageurs du Monde

I vente historique (1) de Voyageurs du


Monde, le tour-opérateur spécialiste du
voyage sur mesure, la librairie Voyageurs
a déménagé en 2014 de l’autre côté de
la rue, de façon à proposer plus d’espace aux
guides, romans, beaux livres et accessoires de
avait fermé sa boutique de vente de produits
de l’artisanat du monde – un grand regret pour
tous les amateurs de petits et grands trésors que
dénichaient les voyageurs professionnels de
l’agence. Au sein d’un espace de vente et d’ex-
position, la boutique présentait chaque année

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 29
DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

aussi l’occasion d’offrir une visibilité nouvelle à


de jeunes créateurs français (Someone,
Kilomètre, Atelier Bartavelle) ou étrangers
(Mark Eden Schooley et ses lampes Koushi).
Naviguant hors des canaux de distribution clas-
siques, ces entreprises individuelles ou de très
petite taille sont adeptes de la vente directe. La
librairie Voyageurs met à leur disposition un
lieu de vente ayant pignon sur rue, sans aucune
compensation ni commission. Sur place, à elles
de gérer entièrement l’organisation de l’accueil
différentes régions du monde à travers le tra- et de la vente (livraison, mise en place, présen-
vail de leurs artisans. Si la librairie Voyageurs a tation, comptabilité).
continué à vendre quelques accessoires indis- Voyageurs du Monde met en avant ces pop-
pensables au grand voyageur (valises, sacs, car- up stores dans ses différents outils de commu-
nets, etc.), il semblait naturel que la création, nication : newsletters, flyers, magazine
la mode, les beaux objets retrouvent un jour le Vacance…, valorisant ainsi l’événement auprès
chemin de sa vitrine et de ses rayons. L’idée de d’un réseau d’environ 500 000 contacts.
créer un pop-up store, boutique éphémère Échange de bons procédés, les entreprises par-
comme l’est un voyage, a donc germé tout natu- tenaires partagent leurs fichiers avec Voyageurs
rellement. du Monde.
La librairie a choisi, dès février 2016, de rou- Le rapprochement entre l’univers de
vrir temporairement ses portes à d’anciens habi- Voyageurs du Monde et celui des marques invi-
tués de la boutique d’artisanat. Le principe de tées se fait de manière naturelle à travers leur
son fonctionnement est simple et présenté dans intérêt commun pour le voyage, pour un conti-
un cahier des charges : “[…] Voyageurs du nent ou un pays (par exemple, El Camino pro-
Monde met gracieusement à disposition des pose des accessoires conçus par des tisserandes
exposants un espace dans la librairie Voyageurs. du sud du Mexique, Secret Berbère chine les
En contrepartie, les marques s’engagent à ani- créations traditionnelles de femmes berbères
mer leur pop-up store durant toute l’exposi- au Maroc…). Autre dénominateur commun
tion ; de se caler au plus près aux horaires de la essentiel : la dimension éthique et sociale des
librairie (9 h 30 -19 heures, du lundi au samedi) différents projets. Attaché à une forme de
; de fournir le matériel pour l’encaissement (ter- voyage respectueuse des populations et des envi-
minaux bancaires) ; d’assurer et d’assumer la ronnements visités, Voyageurs du Monde sou-
surveillance de leur marchandise durant toute haite accompagner des projets solidaires, qu’il
la durée du pop-up. La mise en place de l’es- s’agisse de l’association Les Filles du facteur,
pace éphémère, la mise en scène de la vitrine et des ateliers de couture et de broderie de la
la réalisation des supports de communication Fondation Orient-Occident ou du label
sont faits en étroite collaboration avec Voyageurs Migrants du monde…
du Monde.” Ces boutiques éphémères, une Ainsi ce projet de boutiques éphémères s’ins-
dizaine au total en 2016, sont installées pour crit dans la stratégie globale de Voyages du
une durée allant d’une semaine à un mois. monde. Si éphémères soient-elles, les boutiques
C’est dans ce cadre qu’Amit Zadok, grande de la librairie Voyageurs devraient avoir de
spécialiste de l’Inde, a lancé un rendez-vous longs jours devant elles, même s’il est impos-
(1) Voyageurs du Monde autour des tissus (ikat, shibori, block print, sible à ce jour de quantifier concrètement les
compte désormais quinze batik) et des multiples techniques traditionnelles retombées directes de cette opération pour
points de vente en France. de tissage et de teinture. Ces boutiques sont Voyageurs du Monde. ■

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NATHALIE BELLOIR, BAPTISTE BRIAND ET ISABELLE SIRE

QUELQUES POP-UP STORES DE LA LIBRAIRIE VOYAGEURS

Facteur Céleste (du 28 au 30 janvier 2016)


L’association Les Filles du facteur, via sa marque Facteur Céleste, s’engage pour
l’autonomie des femmes et le respect de l’environnement à travers la promotion
d’un artisanat de qualité. L’association propose une sélection d’objets uniques (de
mode et de maison) réalisés au crochet à partir de sacs plastique recyclés par des
femmes du Burkina Faso.

Secret Berbère (du 8 au 20 février 2016)


Secret Berbère a été fondé par Wilfrid et Lamia, un duo d’amoureux d’art berbère. Leur
amour pour cette culture rapproche les créations traditionnelles des femmes ber-
bères et les passionnés de design et de vintage à travers des tapis d’exception. Des
pièces uniques, anciennes et précieuses.

Migrants du monde (du 13 au 18 avril 2016)


“Migrants du monde” est le label solidaire de l’atelier de couture et de broderie de la
Fondation Orient-Occident. L’atelier accueille des femmes réfugiées et migrantes
subsahariennes, afghanes, irakiennes, ayant fui des pays en guerre ou en proie à la
misère. La violence leur a tout enlevé sauf leur identité. Avec leur aiguille et leur
mémoire, elles la reconstituent, la modernisent et la transmettent en créant des
modèles en lin, coton et mlifa de haute qualité.

Tissé main indien (du 24 au 28 mai 2016)


Voyageuse et amoureuse des textiles, Amit Zadok propose une sélection unique et
authentique, un brin contemporaine. Une multitude de teintures et techniques tradi-
tionnelles se déclinent autour du bleu indigo et de fines mousselines de coton blanc
(couvre-lits, coussins, écharpes et kurta brodées…).

El Camino (du 11 au 18 juin 2016)


Les tisserandes du Chiapas et les designers françaises d’El Camino élaborent ensemble
une collection textile unique, alliant design contemporain et patrimoine maya. Ces tis-
sages, réalisés sur métier à ceinture préhispanique, sont créés dans le respect du
savoir-faire et des motifs traditionnels, tout en proposant un renouvellement du
design et une gamme de couleurs raffinée sur coton grand teint.

Maisons des rêves (du 18 au 29 octobre 2016)


Thierry Teyssier, créateur des hôtels Maisons des rêves, esthète passionné de cuisine
et de décoration, présente des objets issus de sa collection privée chinés dans le
monde entier. Mais aussi la première collection de thés Maisons des rêves, les créa-
tions exclusives d’Olivia Giacobetti pour Dar Ahlam, le linge délicat de la Maison
Bertozzi créé pour la Route du Sud, ainsi que les dessins et papiers découpés de
l’artiste Laetitia Disone.

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

LE JOUR OÙ…
L’OFFICE DE TOURISME
EST SORTI
DE SES MURS
JEAN-LUC BOULIN
Directeur de la Mission des offices de tourisme Nouvelle-Aquitaine (Mona)
< jean-luc.boulin@aquitaine-mopa.fr >

Les offices de tourisme mobiles, lieux d’accueil éphémères

et déplaçables, font aujourd’hui partie du paysage touristique

local. Ils témoignent du renouveau de l’accueil touristique et sont

les précurseurs d’une tendance lourde de l’organisation de

l’accueil en France. Élément d’identité et d’animation, le rôle de

l’office de tourisme mobile est complémentaire de celui de

l’office de tourisme central, auquel il ne se substitue pas.

n 2011, la commission prospective correspond pas forcément à une réalité com-

E d’Offices de tourisme de France


enclenche une réflexion sur l’or-
ganisation de l’accueil sur un ter-
ritoire. Jusqu’alors, le principe est
simple : un office de tourisme a au minimum
un bureau d’accueil, dont l’emplacement ne
merciale. Du coup, le nombre de visiteurs
accueillis dans le local est parfois très faible,
notamment en milieu rural. À l’occasion des
regroupements d’offices de tourisme, qui se
sont accélérés ces dernières années, la rationa-
lisation de ces bureaux d’accueil à faible fré-

32 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
JEAN-LUC BOULIN

quentation est à l’ordre du jour de cette À Toulouse ou à Montpellier, un conseiller en


réflexion. C’est de là que naît l’idée du Sadi, séjour circulant en triporteur renseigne les visi-
pour “schéma d’accueil et de diffusion de l’in- teurs sur la place du Capitole. Ce sont les pre-
formation”, méthode de réflexion et de plani- miers offices de tourisme mobiles identifiés dans
fication de l’accueil sur un territoire. l’Hexagone, même si d’autres initiatives com-
La première étape du Sadi consiste à bien parables ont existé dans le passé(3).
connaître sa clientèle : quelles sont les demandes En janvier 2014, la Mopa (Mission des offices
formulées ? quelle est la saisonnalité des de tourisme et pays touristiques d’Aquitaine)
demandes d’information ? quelle part des tou- organise à Bordeaux une journée technique sur
ristes passe à l’office de tourisme, quelle part “la révolution de l’accueil”. Le thème de l’office
se renseigne auprès de l’hébergeur ou de l’ha- de tourisme mobile, avec plusieurs illustrations
bitant ? La deuxième consiste à analyser les (Cap d’Agde, Toulouse, Saint-Gervais) est un
flux sur le territoire. C’est là que l’on se rend moment fort des échanges auxquels assistent
compte que tel lieu de baignade, tel événement 200 personnes. Cela marque le début des offices
qui drainent des milliers de visiteurs ne sont de tourisme mobiles en France. S’ensuit une
pas équipés, même ponctuellement, d’outils déferlante d’initiatives durant les étés 2014 et (1) La Mona, créée en
d’information, tandis que le local de l’office de 2015. janvier 2017, regoupe les
tourisme, situé à quelques centaines de mètres, ACCUEIL MOBILE. Au cours de l’été 2014, la anciennes fédérations
ne voit personne franchir son seuil… Mopa lance une enquête auprès des offices de régionales des offices de
La troisième étape consiste à faire l’état des tourisme ayant déployé un office de tourisme tourisme d’Aquitaine,
lieux de tous les outils d’accueil disponibles sur mobile. Quinze d’entre eux ont participé à l’en- Poitou-Charentes et
le territoire, qu’ils soient physiques ou déma- quête(4). Les résultats font apparaître trois formes Limousin.
térialisés (site web, bornes d’information), dans principales d’accueil mobile : (2)
les murs ou hors les murs. C’est à partir de cette – accueil déporté mais fixe. Il se caractérise par https://skift.com/2013/05/1
troisième étape que l’office de tourisme peut un élément fixe (kiosque, stands, tables…) dans 5/the-new-generation-of-
construire une stratégie visant à sortir de son un lieu défini (marché, places, camping, etc.) mobile-visitor-centers-road-
local permanent, à renforcer les outils d’infor- où des conseillers en séjour sont présents pour tripping-the-u-s/?viewall=1
mation chez les prestataires, etc. répondre aux questions des visiteurs. L’office (3) Par exemple, dans les
Le Sadi est aujourd’hui une méthode bien de tourisme est identifiable grâce à des logos, années 1980, l’office de
rodée, développée notamment par la Mona tenues, badges, bannières... et il peut, le cas tourisme de Vieux-Boucau
(Mission des offices de tourisme Nouvelle- échéant, faire de la billetterie ; (Landes) sillonnait le
Aquitaine)(1), qui est utilisée par de nombreux – accueil mobile à pied. Des conseillers en séjour département des Landes
territoires un peu partout en France. à pied, identifiables grâce à des éléments de avec un camion-vitrine
PRÉOCCUPATION INTERNATIONALE. La réflexion marque, déambulent dans les rues. Ils abordent aménagé spécifiquement
menée dans l’Hexagone il y a cinq ans s’est avé- ou non les passants ; pour diffuser l’information
rée répondre à une préoccupation internatio- – accueil mobile avec un véhicule attractif. Les touristique.
nale. Par exemple, le magazine en ligne Skift a conseillers en séjour utilisent des véhicules pour (4) Sète, Toulouse, Notre-
publié, en mai 2013, un article sur “la nouvelle attirer les passants. Ce peut être des véhicules Dame-de-Monts, Pays
génération des offices de tourisme mobiles par- légers (triporteurs, vélos, gyropodes…) qui per- d’Ancenis Val de Loire,
courant les États-Unis(2)” ; outre-Atlantique, mettent de déambuler facilement pour attirer les Grand Lyon, Dinan-Vallée de
des villes s’équipaient alors de camions afin regards et d’être facilement repérables. Le tri- la Rance, Cap d’Agde,
d’atteindre les visiteurs “là où ils étaient”. porteur est l’outil qui semble avoir le plus de Berck-sur-Mer, Baie de
C’est à cette époque que les offices de tou- succès (7 des 15 offices de tourisme répondants Morlaix, Île de Noirmoutier,
risme mobiles font leur apparition en France. À en sont équipés). Ce peut être aussi des véhi- La Tranche-sur-Mer, Val de
l’été 2013, l’office de tourisme du Cap d’Agde cules “lourds” (camions, voitures électriques...) : Villé, Chartres, Vallée de la
s’équipe d’une Twizy, petite voiture électrique des conseillers en séjour les utilisent pour être Dordogne, Pays de Saint-
qui parcourt la station tout au long de la saison. identifiés rapidement (véhicule aux couleurs de Gilles.

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

l’office ou des valeurs qu’ils veulent transmettre) sont amusés de voir une si petite voiture venir
et pour transporter facilement de la documen- à leur rencontre”.
tation. Le Tub de l’office de tourisme Vallée de la
NOUVEAUTÉ. L’enquête a permis d’établir tout Dordogne reçoit lui aussi un excellent accueil de
d’abord que la nouveauté interpelle les usa- la part des touristes, des locaux, des presta-
gers : l’office de tourisme mobile ne passe pas taires… “L'idée d’aller à leur rencontre, qui
inaperçu. plus est avec ce type de camion totalement
“Au début j'avais l’impression d'être une décalé, plaît énormément.”
extraterrestre... Mais ça va, ils apprécient le À Notre-Dame-de-Monts, “le triporteur attire
fait qu’on vienne à eux” (office de tourisme l’œil et intrigue les enfants. Son passage et l’ar-
Notre-Dame-de-Monts). rivée sur site constituent déjà une animation.”
“Les touristes étaient étonnés et surpris dans Les jeux et animations organisés par l’office
un premier temps. Le vélo interpelle et faci- de tourisme de Berck-sur-Mer “attirent du
lite l’approche. Et rapidement très heureux monde. Ensuite, des approches ciblées (familles,
de voir que l’office sort de ses murs ! De très profils sportifs, etc.) permettent d’apporter des
bons retours” (office de tourisme du pays informations jugées intéressantes par un public
d’Ancenis). ne se rendant pas dans les offices de tourisme”.
“Les triporteurs interpellent, attirent et peu- IDENTIFICATION. L’identification rassure. Ainsi,
vent de prime abord laisser penser qu’il s'agit l’accueil mobile doit être très visible et très iden-
d'une opération commerciale ambulante. tifiable pour éviter, par exemple, d’être pris
Une fois le dispositif présenté, l’accueil est pour un marchand de glaces… La tenue per-
très positif” (office de tourisme du pays de met d’identifier le conseiller en séjour qui s’ap-
Saint-Gilles). proche du public et le rassure (“Bonjour, je suis
“Les touristes sont surpris mais ravis que Léa, de l’office de tourisme de Sète”). La média-
nous venions à leur rencontre” (office de tou- tisation dans la presse locale peut contribuer à
risme de Notre-Dame-de-Monts). cette identification. “Après qu’un article sur
“La voiture attire la curiosité, mais les gens l’opération a été publié dans le journal local,
n’osent pas venir d’eux-mêmes. La première les gens nous identifiaient tout de suite et
‘crainte’, c'est qu'on les sollicite pour leur venaient plus spontanément à nous (office de
vendre quelque chose. Une fois les explica- tourisme de la baie de Morlaix).
tions données sur l’opération, les gens sont Notons que, dans les offices de tourisme
rassurés et l’accueil de l’opération est très “déportés”, le comportement de l’usager est
positif” (office de tourisme de la baie de identique à celui d’un office de tourisme fixe.
Morlaix). “Sur un accueil fixe comme celui installé sur le
“Tout d’abord étonnement, puis bonnes réac- parvis de la basilique de Fourvière, les touristes
tions de la part des touristes” (office de tou- ont une démarche active, ils viennent à notre
risme de Chartres). rencontre dans le kiosque d’information. Ils
ORIGINALITÉ. L’originalité attire, indéniable- sont très satisfaits d’y trouver de l'information
ment. Lorsque l’office de tourisme mobile et des conseils dans un lieu qui constitue souvent
devient en lui-même une animation ou une pour eux le point de départ de leur visite de la
attraction, le pari est gagné. Si c’est en plus l’oc- ville” (office de tourisme de Lyon).
casion de faire un selfie et de le publier sur les Après la vague de développement rapide des
réseaux sociaux, c’est encore mieux ! La Twizy offices de tourisme mobiles un peu partout en
du Cap d’Agde, par exemple, suscite des réac- France, de nouvelles réflexions s’enclenchent. En
tions très positives : “quelle belle idée !” ; “c’est janvier 2016, la Mopa renouvelle la rencontre
bien que ce soit électrique” ; “c’est bon pour professionnelle sur le thème de la révolution
l’environnement et très pratique” ; “les enfants de l’accueil. Un atelier de prospective sur l’ac-

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JEAN-LUC BOULIN

cueil en mobilité y est organisé. Les participants LES LYON CITY HELPERS
réfléchissent à la notion d’office de tourisme
mobile événementiel. Y est évoquée la notion de
lieux alternatifs éphémères et mobiles. Ici, l’ob-
jectif est de proposer aux visiteurs, outre de e dispositif Lyon City Helpers, créé en 2010, comprend une équipe de six
l’information touristique, une expérience dans
un lieu étonnant, avec un moment de détente et
d’échange avec des locaux, qu’ils soient experts
L jeunes volontaires en service civique. Leur mission est d’arpenter les

de l’office de tourisme ou habitants. rues de la ville au niveau des points de fréquentation touristique les plus impor-
Les caractéristiques de ce lieu éphémère
ambulant pourraient être les suivantes : trans- tants afin d’informer les visiteurs, de les orienter et de leur fournir de la docu-
portable facilement, attractif, léger, adapté à
l’environnement et aux circonstances, identi- mentation. Ces actions se font en itinérance et en binôme. Les jeunes sont
taire… Ce lieu crée l’événement et s’installe
dans un site agréable et attractif : au bord d’une vêtus d’un uniforme rouge siglé d’un logo "i" rappelant leur rôle d’informa-
rivière, dans une cour de château, sur une place
de village… Il est désinstitutionnalisé – on a teurs touristiques.
l’impression de rendre visite à quelqu’un, et
non de se rendre dans un office de tourisme –, Les Lyon City Helpers contribuent également à la promotion des activités de loi-
tout comme son nom, qui est “marketé” (par
exemple, “Van’iti, le marchand de bons plans”). sirs dans le Grand Lyon dans le cadre de manifestations diverses sur son ter-
Utile et pratique, il propose des services (élec-
tricité, wi-fi et impression), voire un espace de ritoire. Il s’agit notamment de faire la promotion du site internet Mon week-
coworking. Il propose des bons plans, des jeux
de type quizz pour une meilleure connaissance end à Lyon, dont la vocation est d’informer les habitants sur l’offre
du territoire… Les projets sont encore à l’étude
sur plusieurs territoires, mais gageons que cette événementielle du Grand Lyon.
nouvelle génération d’offices de tourisme
mobiles ne tardera pas à éclore. Une journée type s’organise en parcours autour de différents points straté-
■ ■
En conclusion, il est important de rappeler giques de la ville, répartis entre les trois binômes. D’une durée de deux heures,
que l’office de tourisme mobile n’est pas seu-
lement un vélo avec quelques autocollants ni un parcours consiste à arpenter un secteur bien défini à la rencontre des visi-
une voiturette électrique qui parcourt les rues
de la station : c’est un élément d’une stratégie teurs en quête d’informations. Les quartiers concernés sont situés à l’intérieur
d’accueil qui doit s’inscrire dans une dynamique
globale et réfléchie. Sinon cela ne marche pas. du secteur classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Cela comprend entre
C’est un élément d’identité et d’animation : le
cheval à Fécamp, le van de surfers sur la côte autres : le Vieux-Lyon, la place des Terreaux, la Croix-Rousse, la place Bellecour
landaise, l’Estafette dans le vignoble borde-
lais… Son rôle est complémentaire de celui de et le parvis de la basilique de Fourvière. Sur ce dernier site, un kiosque d’in-
l’office de tourisme central, auquel il ne se sub-
stitue pas, et sa gestion est relativement com- formation permet un accueil fixe des visiteurs. Dans les autres secteurs, l’ac-
plexe (personnel, entretien du véhicule, etc.).
Enfin, nous insisterons sur le fait que le “hors cueil se fait en itinérance, les City Helpers s’affairent à repérer et à porter assis-
les murs” est une tendance lourde de l’organi-
sation de l’accueil en France. ■ tance aux touristes semblant être en quête d’informations.

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

LES CONSEILLERS EN SÉJOUR MOBILES DE SÈTE

es conseillers en séjour mobiles de l’office de tourisme de Sète sont vêtus d’un T-shirt identitaire

L (celui utilisé dans l’office de tourisme qui signale son appartenance au réseau avec le logo OTF au dos

et un message en français et en anglais : “Un conseil ?” et “May I help you ?”). ils portent un chapeau

panama, une casquette ou un canotier aux couleurs de Sète. Ils sont équipés de tablettes avec albums photo

embarqués et transportent quelques documents de promotion incontournables (agenda, miniplan...).

Ils se rendent, seuls ou en binômes, dans des lieux stratégiques (les marchés, les halles, à bord des

navettes maritimes…), dans le camping de Sète (le lundi matin, en juillet et août), sur l’aire de station-

nement des camping-cars (le lundi après-midi, en juillet et août), à la sortie de l’hypermarché de la ville

(le lundi en fin de soirée)…

LE TUB DE LA VALLÉE DE LA DORDOGNE

office de tourisme de la vallée de la Dordogne dispose de 7 (hiver) à 11 (été) bureaux d’accueil sur

L’ un territoire de 82 communes. L’office de tourisme mobile a notamment pour objectif d’aller “cher-

cher” le touriste. Pour le véhicule, il fallait obligatoirement un modèle à moteur, mais l’idée était de trou-

ver un véhicule représentatif de notre territoire (et, finalement, du monde de la campagne). D’où l’idée d’un

camion d’épicier qui sillonnait les routes autrefois, et donc du fameux Tub de chez Citroën (le HY pour

être précis). Pour pousser le concept encore plus loin, l’aménagement intérieur et extérieur a exploité le

côté vintage de ce type de camion. Quant aux tournées, leur organisation respecte quelques règles pré-

cises : aller dans des sites à forte fréquentation (marchés, événements…) à condition qu’il n’y ait pas

de bureau d’accueil sur place.

36 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
DIDIER CHAPPAZ

VAN’ITI, L’OFFICE
DE TOURISME
QUI VA À LA PLAGE
DIDIER CHAPPAZ
Directeur de Côte Landes Nature Tourisme
< direction@cotelandesnaturetourisme.com >

Van’iti est le nom donné par l’office de tourisme Côte Landes Nature

au van Volkswagen qu’il utilise pour aller à la rencontre des touristes sur

l’ensemble de son territoire. Plages, marchés, événements… sont

quelques-uns de ses spots favoris. Au grand bonheur des touristes,

mais aussi des prestataires et des élus, satisfaits de constater que

l’office de tourisme n’hésite pas à quitter le confort de ses bureaux

pour promouvoir les activités, animations et services de la destination.

ôte Landes Nature est une petite verte à 85 % de forêts de pins maritimes

C communauté de communes du
littoral landais née il y a une quin-
zaine d’années. Avec ses 12 000
résidents à l’année pour 10 com-
munes, soit 17 habitants au kilomètre carré,
c’est un territoire rural ; sa surface est cou-
exploitées. Elle est bordée à l’est par l’A63 qui
relie Bordeaux à Bayonne et à l’ouest par
27 kilomètres de façade océanique.
Les communes balnéaires de Côte Landes
Nature n’ont pas la notoriété de leurs proches
voisines (Mimizan, Moliets ou Vieux-Boucau),

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 37
DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

tourisme familial qui profite de notre région


durant les périodes de vacances scolaires et
qui séjourne, pour l’essentiel, dans des cam-
pings de grande capacité.
En janvier 2013, la prise de la compétence
tourisme par la communauté de communes
s’est traduite notamment par la création d’un
office de tourisme communautaire sous la
forme d’un établissement public à caractère
industriel et commercial (Épic), qui a pris en
charge les missions d’accueil et d’information
des touristes sur la totalité du territoire.
Entre le souhait des élus de maintenir un
bureau touristique sur leurs communes res-
mais certaines sont malgré tout connues en pectives et la réalité du terrain – niveau de fré-
dehors des frontières landaises. C’est le cas quentation, vétusté des locaux à disposi-
pour Léon (ville étape sur la Vélodyssée), de tion… –, nous avions un défi important à
Vielle-Saint-Girons, de Lit-et-Mixe et de Saint- relever rapidement. Une petite marge de négo-
Julien-en-Born. Ces trois dernières communes ciation nous était ouverte avec la nécessité
possèdent chacune un “quartier” balnéaire d’obtenir rapidement le classement de notre
proposant un accès direct à l’océan : Contis, office de tourisme en catégorie I. Cette obli-
pour Saint-Julien-en-Born, le Cap de L’Homy gation, notifiée dans notre première convention
pour Lit-et-Mixe et Saint-Girons-Plage. d’objectifs, nous a permis de mener simulta-
TOURISME FAMILIAL. La topographie touris- nément deux dossiers : la rénovation de nos
tique de Côte Landes Nature est très large- plus importants bureaux touristiques (Léon
ment marquée par le travail de la Mission et Lit-et-Mixe) et la création d’un office de
interministérielle d’aménagement de la côte tourisme mobile.
Aquitaine (Miaca). En effet, à la fin des années ATOMISATION. La topographie de notre ter-
1970, la totalité du territoire situé entre les ritoire est un atout touristique indéniable – un
courants de Contis et d’Huchet a été classé littoral peu urbanisé –, mais aussi un incon-
(1) Didier CHAPPAZ, Outils par la Miaca en secteur d’équilibre naturel, ce vénient – l’atomisation de la fréquentation.
d'aide à la définition d'une qui a interdit l’installation de tout équipement Un état des lieux(1) du tourisme sur Côte
politique touristique sur la touristique lourd. Cette décision, accentuée Landes Nature nous a fourni plusieurs indi-
côte Landes nature, par la loi Littoral de 1986, a indéniablement cateurs de la fréquentation touristique esti-
mémoire de DESS modelé l’aménagement touristique local. vale. Ce travail nous a appris, entre autres,
Aménagement et gestion Les préconisations de la Miaca ont été sui- que plus de 1,5 million de personnes se ren-
des stations touristiques vies à la lettre, avec la mise en œuvre de “plans dent sur les plages océanes de Saint-Julien-en-
(Bordeaux 3), 2005. plages” permettant de canaliser le flux des Born, de Lit-et-Mixe et de Saint-Girons durant
(2) Données établies à vacanciers avec deux objectifs principaux : les mois de juillet et août(2). Les études(3) du
partir des chiffres de orienter le public vers des zones de baignade comité départemental du tourisme des Landes
fréquentation journalière surveillée et éviter la dégradation de la dune nous ont appris que, si les touristes du dépar-
transmis par les CRS de protection littorale. tement étaient fidèles à la destination, ils
maîtres nageurs Forte de 50 000 lits touristiques, la desti- l’étaient aussi à leur plage.
sauveteurs. nation voit la population estivale de la Côte Ainsi, les “têtes de plage” sont les zones de
(3) Enquêtes menées sur le Landes Nature se multiplier par cinq en très passage les plus fréquentées de Côte Landes
littoral au cours de l’été haute saison (deux millions de nuitées mar- Nature, bien avant les marchés et autres mani-
2013. chandes comptabilisées par saison). C’est un festations temporaires. Mais nos bureaux tou-

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DIDIER CHAPPAZ

ristiques permanents se situent dans les bourgs n’est pas formé à ce type de contact “de rue”,
rétro-littoraux, qui sont distants de plusieurs très différent d’un accueil en office de tou-
kilomètres des quartiers balnéaires. Il faut risme. Nous constatons cependant que, sur
noter que ces quartiers sont désertés de la fin des espaces à fort passage, bien identifiés, nous
de l’automne au début du printemps, parfois pourrions toucher une nouvelle clientèle – celle
plus, et que toutes les tentatives de création qui ne franchit pas les portes d’un office de
de bureaux touristiques dans ces zones se sont tourisme. La réflexion s’engage alors avec les
soldées par des échecs, que ce soit par manque élus pour créer un office de tourisme itinérant
de volonté, de locaux disponibles ou de finan- sur le territoire de Côte Landes Nature.
cement. Le vote du budget primitif de notre établis-
DÉCALAGE. En janvier 2014, nous partici- sement public, fin 2014, permet de proposer
pons à la première journée sur le thème de la aux élus la création d’un bureau touristique
“révolution de l’accueil”, organisée par la mobile, sous la forme d’un véhicule itinérant,
Mission des offices de tourisme et pays tou- pour la saison 2015. Achat ou location ? C’est
ristiques d’Aquitaine (Mopa) à Bordeaux. À finalement l’option location qui est choisie
l’ordre du jour, la présentation de nouvelles pour faire plus facilement évoluer le concept
expériences qui voient le jour dans le domaine dans le temps. Un deuxième impératif est for-
de l’accueil. La notion d’accueil “hors les mulé par les élus : aucune embauche supplé-
murs” fait partie des pistes évoquées afin de mentaire par rapport à l’année précédente.
développer l’information touristique sur un Nous proposons aux élus de remplacer le
territoire. Le compte rendu de cette réunion bureau saisonnier de la commune de Linxe,
est l’occasion de faire prendre conscience au vétuste et mal localisé, par une permanence
personnel et aux élus du décalage important du nouvel office de tourisme mobile tous les
qui existe entre notre forte fréquentation esti- matins sur la place du marché. Cela nous per-
vale et le faible nombre relatif de personnes met par la même occasion de récupérer le poste
se rendant dans nos cinq bureaux touristiques de personnel nécessaire.
(environ 32 000 renseignements donnés en Le bureau mobile se déplacera ensuite,
face à face par an). chaque après-midi, sur nos principales têtes
SOLUTIONS ALTERNATIVES. Dès lors, nous de plage. Il assurera également une présence,
engageons une réflexion collective en évo- en soirée, lors des Marchés de producteurs de
quant, entre autres, les solutions alternatives pays qui attirent des touristes, mais aussi de
qui existent pour se rendre au plus près des nombreux autochtones à qui il est important
touristes. Nous nous posons la question de la de faire connaître cette nouvelle forme d’ac-
façon dont nous pourrions reprendre à notre cueil du public.
compte l’exemple du Tub de la vallée de la Une conseillère en séjour propose sponta-
Dordogne (office de tourisme mobile dans un nément de tenir ce bureau itinérant. Sa bonne
ancien camion d’épicier Citroën). connaissance de l’ensemble du territoire est
Notre office de tourisme est gestionnaire du un vrai gage de la qualité du service et per-
service des bus des plages, qui permettent à mettra une analyse correcte de l’expérience.
plus de 50 000 personnes chaque été de VÉHICULE VINTAGE. Trouver un véhicule
rejoindre nos plages océanes depuis les bourgs adapté à notre image n’a pas été chose aisée.
rétro-littoraux. Nous décidons de nous rendre Finalement, nous dénichons la perle rare, un
aux départs de ces navettes pour rencontrer van Volkswagen, un T2 Bay Window généra-
les usagers. Les résultats sont mitigés : nous tion 1974, que le propriétaire accepte de mettre
sommes dans l’espace public ; nous allons au- à notre disposition pour la saison. Ce véhicule
devant d’un public qui n’est pas spécialement vintage prisé des surfers correspond bien à
demandeur d’information, et notre personnel l’image touristique de notre littoral landais.

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 39
DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

Le personnel est mis à contribution pour lui senté officiellement aux élus du comité de
trouver un “petit nom” : Van’iti (van itiné- direction de l’Épic. Les premières photos, in
rant) recueille la majorité des votes. situ, permettent d’illustrer le communiqué de
Les emplacements et les horaires des per- presse et les outils de promotion(4) nécessaires
manences sur les plages sont négociés avec les au lancement de l’opération. Quelques soucis
élus municipaux. Le choix du lieu est straté- de carburateur ne facilitent pas les premiers
gique, car nous allons vite constater que, à déplacements, mais il en faudrait plus pour
quelques dizaines de mètres près, la fréquen- entamer le dynamisme de l’équipe chargée du
tation du point d’accueil n’est pas du tout la projet.
même. Nous optons pour une présence en fin Nous tirons un bilan positif de l’expérience
d’après-midi, lors du retour des baignades. de la première saison, avec une fréquentation
Dans la mesure du possible, nous nous pla- correcte et, surtout, avec des retours bien-
çons à proximité immédiate du poste de sur- veillants des touristes, des habitants et des par-
veillance des MNS (maîtres nageurs sauve- tenaires, satisfaits de voir l’office de tourisme
teurs) ou sur l’allée principale menant à la sortir de ses bureaux. Les élus communau-
plage. Nous anticipons également les lieux de taires et municipaux reconnaissent rapidement
repli en cas de météo défavorable. La signalé- le bien-fondé de cette nouvelle approche et
tique permettant d’identifier le véhicule en tous souhaitent la reconduction de cette opé-
tant le point d’accueil doit être facilement ration pour les années à venir.
maniable par le personnel. Il y a un parasol, Les instances départementales et régionales
bien sûr, mais aussi une table, des chaises, des sont très attentives à cette nouvelle forme d’ac-
présentoirs, des oriflammes. Il faut prévoir cueil et nous sollicitent régulièrement afin que
l’approvisionnement en brochures (comme nous fassions part de notre expérience. Enfin,
pour un bureau classique), mais aussi l’ap- la Mopa met en avant notre démarche lors de
provisionnement en carburant car, à son âge la journée “Révaccueil saison 2”, organisée
avancé, Van’iti est quelque peu gourmand. en janvier 2016 à Bordeaux.
Une tablette connectée doit permettre, le cas En janvier 2015, nous obtenons la marque
échéant, de compléter l’information (là où le Qualité Tourisme et, enfin, le Graal du clas-
réseau est présent…). Nous évoquons égale- sement de l’OT en catégorie I en août 2015.
ment les conditions de travail du personnel Lors des entretiens annuels d’évaluation, tout
qui doit travailler sur un espace aux commo- le personnel cite la création de ce nouveau
dités réduites. bureau comme une des réussites de l’année, la
Le début de la haute saison estivale 2015 plaçant au même niveau que le classement en
reste gravé dans nos mémoires. Nous avons catégorie I.
dû, entre autres, organiser de petites forma- À l’été 2016, Van’iti et Bénédicte repren-
tions à la conduite de ce véhicule de collec- nent du service avec le même dynamisme. Le
tion. Le frein à main à hauteur du tableau de propriétaire du véhicule nous le confie à nou-
bord et une conduite pas assistée du tout ne veau, après avoir pris le soin de lui donner un
sont plus de mise sur les voitures actuelles, et coup de peinture (nécessaire). La fréquenta-
l’inquiétude régnait parmi le personnel qui tion du bureau mobile double par rapport à
allait utiliser Van’iti. celle de la saison 2015 ! ■
PROMOTION. Le lundi 6 juillet 2015 au matin,
Bénédicte, la conseillère en séjour affectée à (*) Un grand remerciement à l’ensemble du personnel ainsi
cette opération, et Van’iti sont en place sur le qu’aux élus de l’office de tourisme pour la réalisation de ce
(4) Van’iti en action sur Côte marché de Linxe ; en fin d’après-midi, ils pren- projet, et plus spécialement à Céline Vignes, responsable
Landes Nature : nent la direction de Saint-Girons-Plage. Dans qualité-accueil, et à Bénédicte Labrit, conseillère en séjour
https://youtu.be/j8mP8fvkroc la foulée, le bureau touristique mobile est pré- “mobile” de Côte Landes Nature Tourisme.

40 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
Contis Plage du Cap de L’Homy Plage du Cap de L’Homy
© Bénédicte Labrit © Bénédicte Labrit
DIDIER CHAPPAZ

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

UN PILOTE
POUR LE TOURISME
NAZAIRIEN
BERTRAND ONFRAY
Directeur délégué de Saint-Nazaire Tourisme et Patrimoine
< onfrayb@saint-nazaire-tourisme.com >

À Saint-Nazaire, l’office de tourisme mobile s’appelle Pilote

(PilOTe). C’est une fourgonnette qui a été conçue spécifique-

ment, à la suite d’une réflexion approfondie, pour transpor-

ter les outils d’information et d’accueil à l’intention des habi-

tants et des touristes. Si l’office de tourisme mobile permet

d’aller rencontrer les touristes là où ils sont, quand ils y sont,

il permet aussi de montrer aux Nazairiens que leur ville est

touristique et qu’elle bénéficie de nombreux atouts.

i vous passez l’été à Saint-Nazaire Les pilotes de la Loire sont les marins qui

S ou si vous y venez à l’occasion


d’un événement particulier, vous
y croiserez sûrement un petit
camion d’aspect sympathique,
baptisé Pilote. Il s’agit du bureau ambulant de
l’office de tourisme.
guident dans le chenal les navires qui se ren-
dent au port ou qui remontent la Loire. Ces
pilotes montent à bord des navires et assurent
les manœuvres et la communication avec les
autorités portuaires. Depuis l’été 2015, Pilote,
lui, guide le public sur son territoire.

42 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
BERTRAND ONFRAY

QUESTIONS DE GÉOGRAPHIE ET D’IMAGE. Pilote touristique de Saint-Nazaire ; un poste d’ad-


est une fourgonnette qui transporte des outils joint au tourisme est créé au sein du conseil
d’information et d’accueil à l’intention des municipal. L’office de tourisme ouvre deux
habitants et des touristes. Le conseiller en séjour antennes temporaires fixes, l’une au cœur du
qui l’anime présente à ces derniers les activi- centre-ville commerçant, l’autre dans le quar-
tés, visites et centres d’intérêt de la ville et, plus tier de Saint-Marc-sur-Mer. Ces deux opéra-
largement, les points d’intérêt et activités à tions tests permettent de mettre en place très
proximité. La mise en place d’un office de tou- rapidement (moins de deux mois de prépara-
risme mobile permet de répondre à des ques- tion) des outils adaptés pour aller accueillir et
tions de géographie et d’image de la ville. rencontrer le public dans différents quartiers.
Saint-Nazaire, située entre l’estuaire de la L’équipe de l’OT constate qu’il est impératif
Loire et l’océan Atlantique, est une sous-pré- d’avoir une documentation extrêmement pré-
fecture de Loire-Atlantique (environ 70 000 cise et localisée. Elle constate aussi que, selon
habitants). Son économie est principalement le lieu où se situe le point d’accueil, les publics,
fondée sur la présence de grosses entreprises les questions posées et les rythmes de fré-
industrielles, en particulier en construction quentation sont différents. Enfin, contraire-
navale et en aéronautique. Le territoire nazai- ment aux idées reçues, l’office de tourisme ne
rien est de forme ovoïde, d’environ 11 kilo- crée pas de flux. C’est l’inverse : l’office de tou-
mètres sur 7 dans ses plus grandes dimensions. risme rend un service aux visiteurs et doit se
Le quartier balnéaire (Saint-Marc) est situé à placer là où sont les flux.
presque 7 kilomètres du centre-ville et du quar- AMBASSADEURS DU TERRITOIRE. Par ailleurs,
tier du port, secteurs qui concentrent une offre si le fait d’aller dans les quartiers est utile pour
importante de loisirs et où est implanté l’of- les touristes, il l’est aussi pour les habitants et
fice de tourisme. La ville développe une poli- les commerçants, qui redécouvrent leur envi-
tique offensive pour développer les accueils de ronnement sous un aspect différent. Ces der-
paquebots de croisière en escale. Or les navires niers connaissent la destination et ont envie
stationnent à quelques kilomètres du centre- de la faire découvrir. Nous constatons qu’ils
ville et il est important d’accueillir les passa- souhaitent jouer un rôle d’ambassadeurs du
gers et les équipages sur le lieu de leur arrivée. territoire et qu’ils doivent donc avoir accès à la
L’image de la ville de Saint-Nazaire évolue. documentation et à l’offre touristiques. Intégrer
Après avoir été lourdement touchée par la cela à la stratégie permet de changer l’image
guerre, puis par les difficultés économiques et et la perception que les habitants et commer-
sociales des années 1970 et 1980, elle se redé- çants ont de la ville et de démultiplier la dif-
couvre et se revendique comme une ville fusion de l’information.
agréable à vivre. Bien située, à la fois sur le lit- Dès la fin de l’été, nous échangeons avec
toral atlantique et sur l’estuaire d’un très beau l’élu chargé du tourisme sur les enseignements
fleuve, elle a aussi la chance de faire partie du liés à l’ouverture de ces deux antennes tem-
parc naturel régional de Brière. Elle dispose poraires et convenons que la solution la plus
de nombreux atouts et d’un savoir-faire indus- adaptée à notre ambition et à la configuration
triel, source de fierté et d’une reconnaissance géographique est une solution mobile.
mondiale. Depuis plus de dix ans, la ville et Nous accentuons la veille sur les solutions
l’office de tourisme œuvrent pour que les habi- possibles et multiplions les échanges avec les
tants et les commerçants regardent la ville telle équipes pour proposer des solutions d’offices
qu’elle est aujourd’hui, qu’ils modifient leur de tourisme mobiles (et les coûts associés à ces
façon de la vivre et d’en parler. dernières). Nous nous rapprochons de col-
ANTENNES TEMPORAIRES. En 2014, la nou- lègues d’autres régions (en particulier Stéphanie
velle municipalité souhaite valoriser l’identité Tonon, de l’OT de Cognac, et Didier Josephe

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DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

de l’OT Saint-Gervais Mont-Blanc) pour béné- tions sont posées : faut-il une sonorisation ?
ficier de leur expérience. Fin décembre 2014, un chauffage ? une climatisation ?
nous obtenons de la mairie l’accord formel de C’est avant tout un bureau mobile qui doit
subventionnement d’un “camion, office de tou- être réalisé, un outil de travail pratique et fiable,
risme mobile” à hauteur de 80 000 euros ; ce utilisable dès que nous le souhaitons. Ainsi,
dernier devant être opérationnel pour l’été sui- l’ouverture totale d’un des côtés envisagée pen-
vant – soit un délai très serré. dant un temps est délaissée au profit d’une
CAHIER DES CHARGES. Il nous faut tout ouverture partielle présentant plus de garan-
d’abord formaliser le cahier des charges et ties pour une utilisation à l’année, notre côte
sélectionner un prestataire capable de réaliser pouvant parfois subir une météo capricieuse.
l’outil. Concevoir le cahier des charges d’un Le système de climatisation n’est pas retenu,
outil nouveau dont on ne maîtrise ni les publics, car trop gourmand en électricité : nous vou-
ni les lieux d’implantation, ni les modes de lons pouvoir utiliser Pilote partout sur notre
fonctionnement n’est pas chose aisée. Tout est territoire, y compris lorsque nous devons être
à concevoir, tout est possible, imaginable… totalement autonomes en courant. En
Nous souhaitons un véhicule permettant de revanche, il est équipé d’un système de chauf-
promouvoir la destination par tous les temps fage soufflant pour l’hiver et d’un petit frigo
et partout, sur notre territoire ou plus loin ; pour que le personnel puisse avoir de l’eau
nous voulons également un outil fiable qui fraîche ou conserver son déjeuner au frais l’été.
puisse sortir tous les jours pendant l’été. Sont Il est équipé également d’un ordinateur, d’une
ainsi éliminés les véhicules anciens, très sym- tablette et d’un écran de télévision ; il est
pathiques et porteurs d’image, mais peu fiables, connecté à internet pour la diffusion de vidéos
ainsi que la motorisation électrique, peu adap- de promotion, des infos sur la météo, sur les
tée à de longs déplacements. horaires des marées…
Le véhicule doit pouvoir être conduit avec L’électricité est fournie par des batteries
un permis B, ce qui a une influence tant sur sa rechargeables (panneaux solaires situés sur le
conception que sur sa capacité à embarquer toit) ou par branchement direct sur secteur.
de la documentation pour ne pas dépasser le Au cours des deux mois de l’été où Pilote a été
poids total autorisé en charge (PTAC). L’appel utilisé tous les jours, l’électricité obtenue avec
à candidatures suscite quatre réponses : deux les panneaux solaires a été suffisante pour tra-
de concessionnaires locaux en véhicules utili- vailler en autonomie totale sans avoir besoin de
taires, qui s’adjoignent des spécialistes de la recharge sur secteur.
carrosserie pour le caisson ; deux de carros- Nous voulons un outil pour aller chercher
siers régionaux spécialistes de véhicules pro- des publics, pas un nouveau bureau qu’on
fessionnels. Le jury retient un carrossier spé- déplace et où l’on distribue de la documenta-
cialisé pour sa capacité à s’engager sur les délais tion touristique. Le lieu et le public rencontré
de réalisation, son expérience dans le domaine changent, nous devons nous aussi changer nos
et ses tarifs plus contenus. Le véhicule choisi pratiques professionnelles et en inventer de
est un diesel, neuf et confortable. nouvelles, adaptées à Pilote. C’est pourquoi,
Il faut choisir l’emplacement des portes, leur lors de la conception du véhicule, nous sommes
nombre, les fenêtres, le type de matériel embar- vigilants à ne pas avoir un mur de documen-
qué, les aménagements de placards et d’un tation en libre-service. Il n’y a pas de banque
bureau, les besoins électriques et l’emplace- d’accueil, nous avons prévu une tablette
ment des prises de courant ou des supports de dépliable qui se range sous un plan de travail,
documentation… En fonction du type d’utili- mais nous l’utilisons très rarement. De même,
sation souhaité, les choix des équipements et il n’est pas nécessaire de monter à bord, le
leurs coûts sont différents. De multiples ques- conseiller en séjour se place plutôt à l’extérieur

44 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
BERTRAND ONFRAY

du véhicule et va au-devant du public. Nous Nous avons eu à résoudre un souci de mani-


installons devant Pilote une petite table, des pulation du plancher s’ouvrant sur le côté. Le
transats, des petits paniers colorés contenant la réglage initial des vérins nécessitait, pour l’ou-
documentation… Nous n’accueillons pas le verture et la fermeture, d’être relativement cos-
public : nous allons au-devant de lui. taud. C’est un point qui demande de l’atten-
Pour ce qui est de l’esthétique, le parti pris tion lors de la conception du véhicule, sur
retenu est : épuré, simple et beau. Le film lequel l’OT de Saint-Gervais avait déjà attiré
externe du caisson, conçu par notre graphiste, notre attention. Le plancher de Pilote est
respecte la charte graphique de l’office de tou- “léger”, mais le réglage des vérins a été un peu
risme. délicat. Aujourd’hui ce point est résolu, et tout
Nous réfléchissons aussi aux contenants, le monde peut manœuvrer ce plancher.
qui doivent être adaptés à l’ensemble de la Depuis l’été 2016, une personne est affectée
documentation embarquée. En effet, lors des à temps plein à l’utilisation de Pilote pendant
temps de déplacement, les brochures qui ne la saison (CDD de six mois), et les autres
seraient pas bien rangées dans des contenants conseillers en séjour y travaillent ponctuelle-
adaptés pourraient s’abîmer et se mélanger. Il ment : moyennant quoi, il est en service tous les
faut également prévoir des revêtements anti- jours pendant l’été.
dérapants dans les tiroirs. DÉCOUVERTES. Il faut repérer et tester régu-
Il faut aussi penser au nettoyage de l’exté- lièrement les sites où il peut être intéressant de
rieur et de l’intérieur du véhicule, y compris s’installer, puis obtenir les autorisations néces-
en cours d’utilisation s’il pleut… Et il faut pré- saires. Certains emplacements sont assez évi-
voir un garage adapté pas trop éloigné de l’of- dents ; d’autres le semblent au premier abord,
fice de tourisme pour qu’il soit simple et rapide mais ne rencontrent en réalité pas l’utilité que
de l’utiliser ou d’y ajouter de la documenta- nous imaginions. Les spots peuvent aussi varier
tion. au cours du temps ou selon les années.
Enfin, nous devons aussi confesser un petit Accueillir le public hors les murs, c’est aller
problème de conception concernant l’accessi- continuellement à la découverte de besoins
bilité au public handicapé. Nous avons fait nouveaux qui demandent qu’on s’y adapte.
concevoir des rampes censées permettre aux Quelques soucis existent avec des zones où il
personnes en fauteuil de monter à bord, mais est impossible d’avoir une réception internet
le résultat n’est pas concluant. La pente est correcte et stable. Elles ne sont pas toujours
trop forte et les rampes pas assez sécurisantes bien connues et déterminées sur le territoire,
pour les personnes en fauteuil. Toutefois, au et l’expérience apporte parfois de grands
quotidien, cela ne gêne pas, car l’accueil du moments de solitude aux conseillers en séjour.
public se fait principalement devant Pilote, pas Être mobile sur le territoire, c’est découvrir
à l’intérieur. des actions, des services qui existent à divers
APPRÉHENSIONS LÉGITIMES. Après la concep- endroits, mais qui ne sont pas encore liés à
tion du véhicule vient la phase d’utilisation. l’action de l’office de tourisme. Ce lien étroit
Nous avons rencontré au départ une appré- avec le territoire est très précieux et enthou-
hension des salariés du fait des dimensions du siasmant au quotidien.
véhicule : ils ne sont pas rassurés à l’idée de le Nous sommes encore timides quant à la
conduire et de le manœuvrer. Ces appréhen- mutation dans les pratiques professionnelles.
sions légitimes disparaissent assez rapidement L’apprentissage du conseil en mobilité est une
après la prise en main. Le volume du véhicule aventure longue, d’autant qu’il demande de
est important, mais il se conduit facilement. Il construire au fur et à mesure les outils perti-
faut laisser le temps à chacun de s’habituer et nents selon les lieux où l’on se trouve. L’accueil
de se sentir à l’aise au volant. mobile, c’est inventer une nouvelle approche

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 45
DOSSIER LIEUX TEMPORAIRES DE COMMUNICATION OU D’INFORMATION

du public, préalable à la mission plus clas-


sique de conseil en séjour. Il faut aller vers le
public et lui expliquer notre présence et notre
utilité avant d’aborder la connaissance de ses
besoins. C’est un travail qui est beaucoup plus
qualitatif que quantitatif. L’important n’est
pas le nombre de renseignements donnés, mais
les lieux et les types de besoins rencontrés. Il
faut s’assurer aussi que ces éléments qualita-
tifs concernant le territoire sont bien parta-
gés au sein de l’équipe afin d’augmenter la
connaissance collective du territoire et de ses
publics.
UTILISATION DU NUMÉRIQUE. En 2016, nous
avons complété l’équipement du véhicule de
façon à nous inscrire dans le dispositif “e-
mobile” d’Offices de tourisme de France :
Pilote est désormais un point d’accès gratuit
au wi-fi pour le public.
À l’avenir, nous voulons continuer à utiliser
Pilote pour informer les visiteurs lors des escales
de paquebots, des festivals et des événements
en ville. Nous devons progresser sur l’utilisa-
tion du numérique et des outils correspon-
dants, ceux qui servent réellement face au
public afin de montrer et d’illustrer notre ter-
ritoire plutôt que de le décrire. Dans cet esprit,
nous avons créé, en partenariat avec une start-
up locale, une petite application internet qui
permet en quelques clics de découvrir un quar-
tier, de répondre à un quizz et de partager son
score sur les réseaux sociaux.
L’avenir immédiat consiste aussi à utiliser
cet outil mobile au profit des autres communes
de l’agglomération. Cela demande de
construire une connaissance et des outils adap-
tés aux lieux investis mais, à l’heure des mutua-
lisations et des optimisations budgétaires, dis-
poser d’un véhicule mobile permettant de
couvrir un large territoire est incontestable-
ment un avantage.
La suite s’écrit avec et par les conseillers en
séjour et le public. C’est l’humain qui fait la
force de l’outil. Il faut maîtriser le territoire et
aller au-devant du public pour le servir. Le
reste est une histoire de rencontres et d’expé-
riences qu’il faut écrire et vivre… ■

46 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
CAHIER

RENOUVEAU
DES LIEUX
DE TRANSIT
© alice_photo

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 47
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

LIEU DE SYMBOLE
Les lieux de transit, symboles des inégalités en matière de mobilité
50 SYLVIE LANDRIÈVE ET CHRISTOPHE GAY

Les autocars (Macron) sont là, mais où sont les gares (routières) ?
60 LAURENT GUIHÉRY

Le renouveau des gares marocaines. Entre discours et réalité

LIEN AVEC LE TERRITOIRE


64 NASSIMA HAKIMI

Faire de la gare le centre de… la ville


70 GILLES BALLERAT ET ANTOINE NOUGARÈDE

Les gares redécouvrent leur environnement urbain


L’exemple du Sud-Est parisien
76 NICOLAS OUDIN ET JULIE BRANCHEREAU

Les gares du Grand Paris Express redessinent la métropole


80 STÉPHANIE JANKEL

À Plaine Commune, les Abribus servent de support


à des itinéraires de découverte touristique

LIEU DE VIE
86 VÉRONIQUE RICHET

Commerces et services dans les zones de flux. Un marché d’avenir


92 CÉCILE DESCLOS DOSSIER DIRIGÉ PAR CLAUDINE DESVIGNES

Le lieu de transit, immense terrain de jeu


de la transformation numérique
98 PATRICE BÉLIE

La station RATP : un lieu de transit,


mais aussi un espace vivant et accueillant !
102 FRANCK AVICE

Le renouveau des gares passe aussi par le numérique !


108 MARIE-CAROLINE BÉNEZET

Les espaces de coworking des agents de la SNCF


Des lieux de construction de nouvelles pratiques professionnelles
112 ALEXANDRE LARGIER

48 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
S
ÉDITORIAL

i le lieu de transit est aujourd’hui un lieu ordinaire de la

mobilité, il est aussi un lieu de symbole : symbole de

progrès, souvent, mais également symbole du mode de

transport qu’il incarne (l’avion, le train, l’autocar, le métro…). La

taille d’un lieu de transit, la puissance de son architecture, la

qualité et le nombre des services qui y sont proposés témoignent

de la relation que le lieu entretient (ou pas) avec son territoire,

avec ses voyageurs et avec les autres modes de transport (inter-

modalité). Depuis une quinzaine d’années un vaste mouvement

de rénovation des lieux de transit est engagé. Gares, stations de

métro et aéroports sont repensés autour de deux axes majeurs :

s’ouvrir sur leur territoire d’implantation, d’une part, et devenir

de véritables lieux de vie, d’autre part. Ce vaste mouvement en

faveur du renouveau des lieux de transit témoigne de la place

majeure occupée par la mobilité dans nos sociétés. n


© alice_photo

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 49
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Les lieux de transit,


symboles des inégalités
en matière de mobilité
SYLVIE LANDRIÈVE ET CHRISTOPHE GAY
Codirecteurs du Forum Vies mobiles
<sylvie.landrieve@sncf.fr> < christophe.gay@sncf.fr > < http://forumviesmobiles.org >

Nous ne sommes pas égaux face à la mobilité. Il existe une véritable


hiérarchie des voyageurs, établie selon des critères qui vont du mode
de transport (prendre l’avion, c’est “mieux” que prendre le train) au
niveau de revenu (la classe business, c’est “mieux” que la classe
éco), en passant par la nationalité (un passeport américain, c’est
“mieux” qu’un passeport syrien). La conception et la gestion des
lieux de transit respectent cette hiérarchie des voyageurs, ainsi que
le démontre l’analyse comparée du fonctionnement de l’aéroport de
Schiphol (Amsterdam) et de la gare du Nord (Paris). À l’heure où les
enjeux de sécurité, d’une part, et de durabilité, d’autre part, remettent
en cause cette hiérarchie, il est essentiel de se poser la question du
droit à la mobilité et de l’équité cinétique. Les lieux de transit de
demain seront le reflet des nouvelles hiérarchies de la mobilité.

50 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
SYLVIE LANDRIÈVE ET CHRISTOPHE GAY

ller toujours plus vite pour aller tique. Les différenciations qui en découlent

A plus loin plus souvent, et cela pour


un prix spectaculairement bas.
Voilà quelques traits de la société
contemporaine. L’économie mon-
diale s’est globalisée au XXe siècle, entraînant
une explosion de la mobilité internationale des
objets, des idées et des personnes. À tel point
sont profondément révélatrices du fonction-
nement de nos sociétés contemporaines et nous
invitent à anticiper le futur.
EXPÉRIENCES DIFFÉRENCIÉES. Alors que les
flux continuent d’augmenter et que le contexte
actuel favorise un plus grand contrôle et une
hiérarchisation plus importante des mouve-
qu’aujourd’hui les déplacements et les télé- ments, notamment pour des raisons de sécurité,
communications ont pris une place centrale il est important de s’interroger sur les futurs
dans l’organisation sociale et les modes de vie. possibles de la production des mobilités au
À titre d’exemple, les mobilités internationales, sein des lieux de transit. Pour étudier ces der-
qu’elles soient touristiques ou professionnelles, niers et mieux comprendre les nouveaux méca-
ont été multipliées par quarante depuis les nismes de la production du mouvement, le
années 1950, alors que la population croissait Forum Vies mobiles a confronté l’analyse de
moins de trois fois dans le même temps. Mais deux experts, Tim Cresswell, géographe bri-
cette croissance exceptionnelle de nos capaci- tannique, théoricien majeur de la mobilité, et
tés de déplacement, qui a permis d’accéder à un Mikaël Lemarchand, directeur des gares
niveau de mobilité encore jamais atteint, est fon- d’Eurostar. Cette confrontation a donné lieu
dée sur l’établissement et le contrôle d’une hié- à un ouvrage : Ne pas dépasser la ligne !(1)
rarchie cinétique très fine. Touriste, migrant, Ils y analysent comment sont produites des
voyageur VIP ou simple navetteur du quotidien expériences différenciées du mouvement au
ne font pas la même expérience du déplacement. sein de l’aéroport international de Schiphol à
NOUVELLES FRONTIÈRES. Pour accompagner Amsterdam, mondialement reconnu pour l’ef-
l’explosion de nos déplacements, un système ficacité de sa gestion des flux, et de la gare du
de transport collectif de masse sans précédent Nord à Paris, principale gare européenne en
(dits de mass transit) a été développé. Au cœur termes de trafic et porte de sortie de l’espace
de ce système, les lieux de transit (gares, ports Schengen avec le service Eurostar reliant Paris
et aéroports) constituent de nouvelles fron- et Londres. À travers leur gestion de la signa-
tières. Les mobilités qui y prennent place ne létique, de l’organisation de l’espace, de la mise
sont pas le fruit du hasard. Au contraire, elles en place de dispositifs commerciaux ou des
naissent de constructions politiques et écono- enjeux de sécurité, ces deux grands carrefours
miques : elles sont le fruit de la rencontre entre sont deux bons exemples des enjeux pratiques
des politiques européennes et internationales, et organisationnels, mais aussi politiques et
entre des politiques de sécurité et des politiques sociaux, que l’on retrouve au sein des lieux de
commerciales. transit internationaux.
Ces lieux de transit se matérialisent dans des Les voyageurs de l’aéroport international de
dispositifs architecturaux, signalétiques ou Schiphol disposent d’un vaste espace ; les sur-
technologiques (l’utilisation des techniques faces y sont propres et nettes, voire aseptisées.
biométriques pour le contrôle des accès, par Ceux de l’historique gare du Nord parcourent
exemple). Ces dispositifs orientent, canalisent, un espace qui semble beaucoup plus restreint,
facilitent ou empêchent nos mouvements, et dont les sols paraissent usés et où la peinture
hiérarchisent les personnes et leur corps. Les s’écaille. Cette première impression est confir-
lieux de transit produisent ainsi des expériences mée par les chiffres : la superficie de la gare
sociales du mouvement et des formes diffé- du Nord est six fois moins importante que celle
renciées de citoyenneté à travers l’établisse- de l’aéroport de Schiphol, alors qu’elle accueille
ment et la mise en œuvre d’une hiérarchie ciné- cinq fois et demie plus de passagers.

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 51
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Si l’on ramène le flux quotidien de visiteurs placement de sa porte et sur les possibilités
à la surface, à Schiphol, virtuellement, un usa- d’achat en chemin. L’emplacement de la signa-
ger dispose de 3,3 m2, quand la gare du Nord ne létique est déterminé en fonction des différents
lui offre que 0,11 m2. Il y a là une première flux dans l’enceinte de l’aéroport. Elle n’est pas
source sous-estimée d’inégalité en termes d’ex- conçue pour que l’on voie immédiatement où
périence de mobilité entre ceux qui prennent le se situe notre porte, mais comme une suite
train et ceux qui prennent l’avion (cf. schéma 1). logique de décisions qui nous y amènent :
Certes le temps passé dans chacun de ces espaces départ / arrivée ; enregistrement / embarque-
diffère et cette inégalité est minorée dès lors que ment ; portes 0 à 10 / portes 10 à 20 ; etc. La
l’on regarde plus spécifiquement les mobilités même logique s’applique aux aménités ou aux
internationales. Mais le différentiel de mètre services qui entourent l’aéroport, comme les
carré par visiteur reste cruel. Pourtant, pour un hôtels par exemple. Un touriste en transit ne
touriste, arriver à la gare du Nord, espace sou- souhaite pas savoir où se trouve précisément
mis à de nombreuses contraintes mais chargé son hôtel : il voudra savoir dans quelle direction
d’une histoire dont l’architecture est le meilleur aller, à quelle distance (en temps) il se trouve.
témoin, ne laisse pas du tout la même impres- C’est le designer néerlandais Paul Mijksenaar
sion qu’arriver dans un aéroport international qui a créé la signalétique de Schiphol. Les prin-
moderne comme celui de Schiphol. cipes qu’il a retenus ont ensuite été largement
Au-delà de cette différence initiale, ce sont exportés. Il a imaginé sa signalétique comme
bien les mêmes logiques que l’on retrouve à une sorte de langage universel dans un monde
l’œuvre dans l’organisation de ces deux polyglotte. Outre les différences linguistiques,
espaces ; la question des dispositifs matériels il a pris en compte les personnes aveugles, celles
et de la signalétique en est un particulièrement à mobilité réduite, ou celles simplement
bon exemple. anxieuses. On peut noter que, malgré leur ingé-
SIGNALÉTIQUE. La signalétique est un élément niosité, les symboles de Schiphol restent pro-
central dans le bon fonctionnement des lieux fondément européens : assiette, couteau et four-
de transit modernes. Au sein de ces lieux souvent chette pour un restaurant ; jupe trapèze pour
gigantesques, non seulement il ne faut pas que désigner une femme ; “arrivée” et “départ”
les voyageurs se perdent mais, en plus, il faut indiqués selon une logique vectorielle de sys-
que leurs déplacements soient le plus fluides tème d’alphabétisation se lisant de la gauche
possibles. Les indications directionnelles sont vers la droite.
rarement admirées – la plupart d’entre nous ne La signalétique de Paul Mijksenaar com-
les remarquent même pas. Tandis que ces signes bine principalement anglais et pictogrammes
fonctionnent parce qu’ils sont vus, leur évidence innovants pour symboliser la fonction dési-
les rend paradoxalement presque invisibles. Il gnée. Il a également mis en place un code cou-
ne faut pas avoir besoin d’un plan pour se repé- leur très précis pour hiérarchiser les informa-
rer au sein des lieux de transit ; il faut pouvoir tions : fond jaune et lettre ou symbole en noir
se laisser guider par une signalétique placée aux pour les informations les plus importantes,
points où sont situées les prises de décision essen- c’est-à-dire la gestion des flux (processus pri-
tielles. D’une certaine manière, la signalétique ne maire qui indique où se rendre) ; fond noir et
représente pas seulement l’espace, elle le crée. lettre ou symbole en jaune pour tout ce qui est
Lorsqu’un touriste arrive à Schiphol, il en rapport avec l’attente ou l’arrêt (processus
pénètre dans un univers rempli de signes qui secondaire) ; fond vert pour les sorties de
lui indiquent comment se rendre à l’endroit secours (fonctions d’urgence) ; fond bleu et
voulu. De la même façon, une fois passé par plus bas dans l’espace (sur l’horizon inférieur
le contrôle de sécurité et entré dans la zone des du champ de vision) pour tout ce qui concerne
départs, il est entouré d’indications sur l’em- le shopping et les restaurants.

52 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
SYLVIE LANDRIÈVE ET CHRISTOPHE GAY

Si la signalétique hiérarchise les informa-

© Forum Vies mobiles


tions et guide les voyageurs au sein des lieux de
transit, elle contribue également à la sépara-
tion des flux entre les individus : en fonction du
niveau de service pour lequel ils ont payé, mais
en fonction aussi de leur passeport.
ACCORD DE SCHENGEN. L’explosion des dépla-
cements internationaux que nous avons connue
depuis les années 1950 s’est accompagnée de
l’intervention croissante des États, tout spé-
cialement en Europe, avec la mise en place de
l’espace Schengen. Des lieux tels que Schiphol
et la gare du Nord, avec son terminal Eurostar,
offrent un point d’observation privilégié sur
la mise en pratique de l’accord de Schengen et
sur ses conséquences. L’accord, signé en 1985
et mis en œuvre par la plupart des États euro-
péens durant la décennie suivante, a changé
en partie le modèle d’organisation historique
de ces deux lieux de transit.
L’objectif général de cet accord était de sti-
muler le libre jeu des forces du marché en rédui- Schéma 1
sant le temps et les efforts nécessaires à la cir- Schiphol/gare du Nord : surfaces et trafic comparés
culation des personnes. “L’accord de Schengen
était également sous-tendu par un engagement
© Geraldine Lay – Forum Vies mobiles

idéologique au service d’une ‘communauté’


européenne qui transcenderait les apparte-
nances nationales et réduirait le risque de
conflits entre les États membres (2)”.
Parallèlement à cet engagement pour la liberté
de mouvement à l’intérieur de l’espace
Schengen, un second objectif visait à renfor-
cer les frontières extérieures de l’Europe pour
empêcher l’immigration illégale, le terrorisme
et le trafic de drogue. “L’accord de Schengen est
présenté comme abolissant les frontières, mais
© Geraldine Lay – Forum Vies mobiles

il peut tout aussi bien être vu comme multi-


pliant ces dernières et comme constituant de
nouvelles sortes de limites. Dans le même
temps, de nouvelles mobilités ont été créées :
tandis qu’il devenait plus facile pour l’homme
d’affaires italien d’aller en Allemagne ou pour
le touriste belge de se rendre en Grèce, il était
nettement plus difficile d’entrer en Europe
depuis l’extérieur(3)”. Ainsi, “c’est dans ces
nœuds de transport que l’espace Schengen est La signalétique des lieux de transit (ici, Schiphol)
mis en vigueur et, de fait, constitué matériel- est une sorte de langage universel dans un monde polyglotte

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 53
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

lement(4)”. À ce titre, on peut même considé- contrôle d’immigration (entrée/sortie de


rer “[qu’]en se déplaçant régulièrement dans Schengen), contrôle d’entrée au sein du terri-
[les lieux de transit], les citoyens réalisent leur toire britannique (accord pour que la frontière
identité européenne.”(5) se situe sur le territoire français), contrôle de
Au sein de l’aéroport de Schiphol comme sécurité des bagages et des individus. Il s’agit là
dans d’autres aéroports européens, l’accord de d’une rare concentration de contrôles en un
Schengen a donné naissance à toute une série même point, qui a des conséquences impor-
de problèmes à gérer. Historiquement, Schiphol tantes sur l’organisation, pour l’opérateur de
avait été pensé comme un hub, c’est-à-dire une transport, et sur l’expérience du voyageur. À
plate-forme aéroportuaire qui accueillait prin- cela s’ajoute un dispositif supplémentaire de
cipalement une clientèle internationale qui pas- gestion des flux issu de la politique commer-
sait d’un vol à un autre. Son architecture avait ciale d’Eurostar.
alors été organisée afin de rendre ces corres- POLITIQUES COMMERCIALES. Au sein de l’aé-
pondances le plus fluides possibles au sein d’une roport de Schiphol comme au sein de l’espace
aérogare unique. Avec l’arrivée de Schengen, Eurostar et de la plupart des lieux de transit
il a fallu repenser l’organisation de cette aéro- internationaux, hormis la différenciation entre
gare et la diviser en trois terminaux distincts passagers sur la base de leur nationalité, on
afin de différencier les ressortissants de l’es- retrouve une forte différenciation au niveau
pace Schengen des autres – une rupture majeure de l’organisation en fonction du niveau de ser-
dans son organisation physique. vice que les voyageurs ont acheté (touriste avec
Au sein de la gare du Nord, l’espace un billet en classe économique ou business-
Schengen est matérialisé par l’absence, juste- man avec un billet Premium). Les opérateurs
ment, de contrôle pour un touriste ou un doivent ainsi relever un double défi : parvenir
homme d’affaires se déplaçant vers la Belgique à faire fonctionner au sein d’un même espace
ou les Pays-Bas (avec Thalys, par exemple). une logique d’écoulement des flux et une
Hormis les contrôles de sécurité qui se sont logique de service personnalisé. L’exemple de
renforcés ces derniers mois, il n’y a aucune dif- l’espace Eurostar est particulièrement intéres-
férence avec les voyages en train à l’échelle sant, puisqu’il s’agit de parvenir à maintenir
nationale. Le service Eurostar, qui relie la cette double logique au sein d’un espace par-
France et le Royaume-Uni, fonctionne quant ticulièrement “contraint”.
à lui de façon très différente. Il a en effet la par- Comme on peut le voir sur le schéma 2, si
ticularité de franchir la Manche pour desser- les personnes appartenant à la catégorie
vir un pays qui ne fait pas partie de l’espace Business Premier ne sont pas exemptées de
Schengen, ce qui implique un dispositif d’en- contrôles, elles bénéficient de la possibilité de
trée et de sortie comparable à ce qui se passe à franchir l’ensemble sans faire la queue, ce qui
Schiphol et dans tout aéroport international. leur assure un passage en moins de dix minutes,
L’espace Eurostar occupe ainsi une place par- dit fast track. Ce service doit pouvoir être pro-
ticulière au sein de la gare du Nord. Clairement posé sans pour autant gêner l’écoulement du
isolé du reste de la gare, son espace d’accueil flux global.
et de contrôle se trouve en mezzanine. Cette De la même manière, les espaces d’attente
séparation est également organisée grâce à un ne sont pas les mêmes. Les espaces Business
dispositif complexe comprenant un ensemble Premier offrent un service personnalisé dans
de marquages au sol, de vitres et de grilles de un cadre très confortable afin de modifier la
séparation au niveau des voies, etc. perception du temps d’attente et d’en faire un
L’application de l’accord de Schengen moment agréable ou utile, là où l’espace éco-
implique la juxtaposition d’une série de nomique offre un cadre et une expérience d’at-
contrôles : contrôle commercial des billets, tente assez classiques.

54 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
SYLVIE LANDRIÈVE ET CHRISTOPHE GAY

De son côté, l’aéroport de Schiphol a été

© Forum Vies mobiles


précurseur dans l’utilisation des données bio-
métriques pour filtrer les mouvements des indi-
vidus ; il propose aux clients VIP de payer pour
enregistrer leurs données et accéder ainsi à des
contrôles d’identité accélérés (grâce à un dis-
positif qui scanne l’iris du voyageur).
Il faut noter que cette inégalité cinétique
entre voyageurs ne s’arrête pas là. Gare du
Nord, par exemple, les lignes à grande vitesse,
et notamment Eurostar, bénéficient, propor-
tionnellement au nombre de personnes les
empruntant, de plus d’espace que celles des-
servant la banlieue, dont les quais sont le plus
souvent souterrains et de moindre qualité.
Ainsi, alors qu’il n’accueille que 3 % du tra-
fic de la gare, l’espace Eurostar représente 15 %
de l’espace total de cette dernière. À Schiphol
comme à la gare du Nord, les stratégies mar-
keting organisent un traitement différencié des
espaces et des conditions d’accueil entre les
passagers selon le niveau de leur contribution Schéma 2
financière. Ce traitement tend à réintroduire Succession des contrôles au sein du terminal Eurostar
au sein du trafic longue distance les différences
de classe qui ont été abandonnées dans les
transports dits du quotidien.
HIÉRARCHIE DE LA MOBILITÉ. Dispositifs poli-
tiques et commerciaux s’additionnent pour
organiser une véritable hiérarchie de la mobi-
lité : quand les uns jouissent d’une libre circu-
lation, aisée et confortable, où sont abolis les
obstacles habituels que présente l’espace phy-
sique comme institutionnel, la mobilité des
autres reste entravée par ces mêmes obstacles.
© Forum Vies mobiles

D’une certaine façon, la mobilité des premiers


est liée aux difficultés de déplacement des
seconds. La mobilité est donc bien au cœur
des inégalités politiques (entre ceux qui sont
autorisés à circuler et ceux qui ne le sont pas)
et sociales (entre ceux qui circulent conforta-
blement et ceux qui ne le peuvent pas) : elle
les traduit, mais les produit aussi, en contri-
buant à forger très concrètement les différences
que chacun expérimente dans ses déplace-
ments. Plus ou moins aisés et confortables pour
les uns, plus ou moins pénibles et dangereux, Schéma 3
voire mortels, pour les autres. Des expériences différenciées de mobilité

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 55
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Cette hiérarchie cinétique peut s’illustrer de sur des logiques de plus en plus probabilistes,
manière très simple au sein d’un avion : les pas- grâce notamment à l’émergence de nouvelles
sagers de classe affaires sont à l’avant avec plus technologies. Des technologies qui peuvent en
de place pour les jambes et de meilleurs repas ; effet s’appuyer sur la transmission de données
derrière, la classe économique est plus tassée, personnelles et sur une exploitation de plus en
bénéficie de moins d’oxygène et de toilettes ; plus fine de celles-ci. Elles permettraient alors
dans le pire des cas, on peut trouver dans le de repérer et de différencier les individus estimés
train d’atterrissage une personne qui n’avait “suspects” ou, au contraire, ne représentant
simplement pas les bons papiers pour embar- qu’un risque faible. La hiérarchie cinétique déjà
quer légalement dans l’avion et qui tente sa en place se verrait renforcée : de plus en plus
chance au péril de sa vie (cf. schéma 3). d’individus ne répondant pas aux critères clas-
ENJEUX DE SÉCURITÉ. Si la question de la pro- siques de l’“homme mobile”, dont le busi-
tection des infrastructures de transport et de nessman est la meilleure incarnation, verraient
leurs utilisateurs a toujours été un enjeu cen- leur mobilité entravée. Plus étonnants encore,
tral dans le bon fonctionnement de nos sys- certains systèmes sont déjà capables d’étudier
tèmes de mobilité, elle se pose avec une acuité la démarche des individus au sein de l’espace
renouvelée ces derniers mois du fait du risque public. Ils permettent de repérer les personnes
accru d’attentats. Les lieux de transit sont des sortant de la norme, donc potentiellement sus-
cibles de choix par leur densité en public et leur pectes. Où s’appliquera cette norme ? Qui sera
portée symbolique (touristes étrangers, tra- susceptible d’être suspecté ou pas ?
vailleurs locaux...). Alors qu’en temps normal les limites posées
Les pouvoirs publics le savent bien et c’est à nos déplacements sont définies sur la base de
pour cela qu’ils ont demandé l’installation de critères de droits nationaux et internationaux
contrôles de sécurité de type aéroportuaire au bien précis, le risque est de voir apparaître de
sein des gares françaises. L’exemple le plus nouveaux critères implicites ou arbitraires.
archétypique est peut-être le débat qui a accom- L’urgence ne doit pas faire oublier l’impératif
pagné la mise en place de portiques de sécu- démocratique qui sous-tend ces questions. Il
rité sur les quais du Thalys gare du Nord – une nous semble que cela devrait également nous
gare qui voit passer chaque jour plus de amener à nous interroger sur le niveau d’in-
700 000 visiteurs dans un espace très égalité cinétique que nous sommes prêts à
“contraint” et, donc, très sensible. accepter. Cette question est cruciale car, à l’heure
Si notre système de mobilité a longtemps où le niveau de différenciation augmente, Tim
fonctionné sur la base d’une hiérarchie ciné- Cresswell et Mikaël Lemarchand ont montré
tique qui n’était pas sans poser un certain que cette question dépassait les “simples”
nombre de problèmes – mais qui était globa- enjeux de service de transport, pour impacter
lement acceptée –, le développement spectacu- directement les identités sociales et politiques
laire des lieux de transit et de leur trafic, couplé ainsi que la qualité des modes de vie qui en
à ces nouveaux enjeux de sécurité, aboutit à dépendent.
un renforcement du contrôle des déplacements Or, comme l’illustre l’actualité dramatique
– ce contrôle étant fondé sur des règles plus dis- de l’année 2015, il y a sans doute une limite
criminantes pour les voyageurs. On le voit déjà aux discriminations des mobilités que l’on peut
avec la remise en cause de l’espace Schengen et imposer aux gens du fait de leur identité poli-
la réapparition des frontières nationales, avec tique. Quelle que soit la qualité de leur orga-
leur lot de spécificités dans la gestion du mou- nisation, les lieux de transit ne peuvent pas
vement. matériellement discriminer les mouvements des
Le risque est également que, à toutes les réfugiés en situation de crise qui se retrouvent
échelles, le renforcement des contrôles soit fondé contraints de prendre d’assaut les trains dans les

56 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
SYLVIE LANDRIÈVE ET CHRISTOPHE GAY

gares autrichiennes ou hongroises, pour ne citer peine de dilapider le reste du budget carbone
que cet exemple. Se produit alors une turbu- dont dispose l’humanité et de s’exposer à un
lence que le système actuel ne peut plus gérer. changement climatique d’ampleur catastro-
Il devient dès lors nécessaire, pour continuer à phique, même si, à l’heure où la construction de
canaliser ces mouvements, de faire appel à une plus de 350 nouveaux aéroports est déjà pla-
force policière ou militaire exceptionnelle. Or, nifiée en Chine, en Inde et en Indonésie, la tâche
le droit à la mobilité de la personne en danger ne sera pas aisée.
nous semble devoir être défendu comme un D’aucuns ne manqueront pas de relever la
attribut essentiel de la personne humaine. contradiction qu’il y a à plaider, d’une part,
NOUVEAUX CRITÈRES DE RÉGULATION. Un pour une mobilité de meilleure qualité pour
autre enjeu d’importance est celui de la sou- tous, et donc une meilleure répartition du droit
tenabilité de nos vies mobiles, à l’heure où la à la mobilité, et, d’autre part, pour une réduc-
lutte contre le réchauffement climatique est tion du trafic aérien, alors qu’une énorme par-
plus que jamais devenue cruciale. Chaque tie de l’humanité n’y a pas encore accès. Le
époque valorise un certain type de mobilité. futur de nos vies mobiles n’est pas écrit, et il
La nôtre promeut l’avion, incarnation d’une n’est pas dit que les critères qui déterminent
société nomade et cosmopolite ; elle incite au aujourd’hui les hiérarchies cinétiques dans les
tourisme de masse, favorisé par le développe- lieux de transit seront ceux qui prévaudront
ment du low cost dans le secteur aérien, ou à demain. On peut en imaginer de nouveaux,
un tourisme plus “exotique” impliquant bien tout à la fois souhaitables et soutenables. Peut-
souvent le recours à des vols long-courriers. être qu’une nouvelle échelle de vie sera à inven-
D’où l’important développement programmé ter, favorisant les mobilités à un niveau plus
des aéroports pour les années à venir. Nous local ou régional ? Une diminution des dépla-
pensons qu’il convient désormais de réfléchir cements physiques pourrait entraîner une cer-
à une hiérarchie des mobilités en fonction de taine décélération des modes de vie.
leur soutenabilité, au regard des émissions de Les rythmes sociaux s’en trouveraient chan-
CO2 qu’elles produisent. gés. Les déplacements courts et lointains (pour
Le secteur des transports est aujourd’hui le affaires, par exemple) seraient limités. Cela
deuxième émetteur de CO2 (23 %) dans le pourrait également avoir une incidence sur les
monde, après le secteur de l’énergie. Ses émis- déplacements liés au tourisme : peut-être ne
sions, qui ne cessent d’augmenter, proviennent nous rendrons-nous plus dans des lieux “exo-
essentiellement de la route (74 %), l’aérien y tiques” aussi fréquemment qu’aujourd’hui ;
contribuant à hauteur de 12 %, soit 2 à 3 % des peut-être alors le ferons-nous pour des durées
émissions mondiales, alors même que 5 % seu- plus étendues, six mois, un an, voire plus.
lement de la population mondiale vole. Parmi Faudra-t-il ainsi repenser l’organisation de la
ces 5 %, ce sont essentiellement les voyageurs vie professionnelle pour permettre des congés (1) Tim CRESSWELL et Mikaël
fréquents (des universitaires allant d’un col- moins fréquents mais plus longs ? À cela LEMARCHAND (photographies
loque international à un autre, des hommes s’ajouterait une régulation qui pourrait éga- de Géraldine LAY), Ne pas
d’affaires, des cadres de grandes entreprises qui lement se faire selon la vitesse des modes de dépasser la ligne ! Fabrique
ne se contentent pas d’emprunter les lignes régu- transport : les hélicoptères et les avions pour des identités et contrôle du
lières mais ont de plus en plus recours à des jets les urgences, les trains pour les voyages… Le mouvement dans les lieux
privés) qui font le plus de voyages et émettent réseau ferré pourrait en outre être systémati- de transit, coédition Loco-
le plus de CO2. Sachant qu’aucune solution quement privilégié pour les déplacements Forum Vies mobiles, 2015.
technique ne permettra de diminuer en valeur courts et moyens, tandis que les échanges (2) Ibid., p. 72.
absolue les émissions de CO2 liées à l’aviation numériques remplaceraient les voyages inter- (3) Ibid., p. 72.
dans les trente ans à venir, il devient urgent de nationaux… Il resterait alors à imaginer le (4) Ibid., p. 72.
limiter l’expansion du transport aérien, sous nouveau visage des lieux de transit. ■ (5) Ibid., p. 74.

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

© Geraldine Lay – Forum Vies mobiles


© Geraldine Lay – Forum Vies mobiles

L’espace Eurostar occupe une place particulière au sein de la gare du Nord afin que puissent être
organisées la sortie et l’entrée de l’espace Schengen

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SYLVIE LANDRIÈVE ET CHRISTOPHE GAY

© Geraldine Lay – Forum Vies mobiles


© Geraldine Lay – Forum Vies mobiles

À la gare du Nord comme ailleurs les espaces d’attente Business Premier et classe économique
ne sont pas les mêmes

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Les autocars (Macron)


sont là, mais où sont
les gares (routières) ?
LAURENT GUIHÉRY
Professeur des universités, université
de Cergy-Pontoise, laboratoire MRTE
< laurent.guihery@u-cergy.fr >

Les services interurbains par autocar (les “bus Macron”) connais-


sent un développement fulgurant. Le foisonnement de l’offre ne
peut faire oublier qu’un nouveau service de transport ne peut se
concevoir sans une intégration dans une chaîne de services dans
laquelle chaque maillon – la gare routière et la plate-forme multi-
modale, notamment… – est étroitement lié au maillon suivant et
au maillon précédent. Les gares routières historiques ont souvent
été détruites dans les années 1970 et, aujourd’hui, les finance-
ments manquent pour en construire de nouvelles.
a révolution de la mobilité est à le cadre de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015

L l’œuvre dans notre pays et plus lar-


gement dans l’Europe et le monde,
alimentée par le moteur aux inno-
vations qu’est internet. Elle s’ap-
puie sur de nouveaux acteurs du marché tels
Uber, Blablacar et autres start-up innovantes.
De leur côté, les services interurbains par
pour la croissance, l’activité et l’égalité des
chances économiques – connaissent un déve-
loppement fulgurant. Ils menacent désormais
l’équilibre et le financement de la SNCF qui
s’enfonce dans un endettement toujours plus
préoccupant (près de 60 milliards de dette).
Les experts reconnaissent que son modèle éco-
autocar – les “bus Macron” nés de la libérali- nomique traditionnel est à bout de souffle, mal-
sation du transport routier de voyageurs, dans gré des innovations de service ambitieuses et

60 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
LAURENT GUIHÉRY

pertinentes (Ouigo, ID TGV…)(1). Dans un par déplacement (avec un temps de parcours


environnement géopolitique et sécuritaire com- de 3 h 45 environ sur Paris-Bruxelles, soit
plexe qui a un impact sur les déplacements, le 312 km) pour un coût moyen de 12 euros HT
nombre de voyages TGV a baissé de 1,7 % (en légère mais constante hausse). Car les opé-
entre le premier trimestre 2015 et le premier rateurs perdent tous de l’argent et une concen-
trimestre 2016 (de 63,7 à 62,6 milliards de tration attendue est apparue dans le secteur :
voyageurs-kilomètre). Selon l’Autorité de régu- trois opérateurs subsistent désormais (Ouibus,
lation des activités ferroviaires et routières Flixbus et Isilines), contre cinq au départ (rachat
(Arafer), les TGV sont la première victime col- de Starshipper par Ouibus et intégration de
latérale des bus Macron, beaucoup plus que Megabus par Flixbus). Le même mouvement de
les TER qui ont vu néanmoins leur trafic bais- concentration s’observe en Allemagne, où le
ser de 4,3 % entre les deux premiers semestres mouvement de libéralisation a débuté il y a
de 2015 et 2016. La fréquentation des trains déjà trois ans ; on y note aussi une augmenta-
Intercités baisse également de 8,2 % sur la tion de la recette moyenne et une tendance vers
même période (de 3,5 à 3,2 milliards de voya- l’équilibre financier des opérateurs (prévue
geurs-km). Seuls les Transiliens résistent et pour 2017, selon la presse d’outre-Rhin).
voient leur trafic augmenter de + 7,1 % en rai- Ce foisonnement de l’offre, cette appropria-
son, en grande partie, du dézonage du pass tion par le grand public ne peuvent faire oublier
Navigo en Île-de-France (augmentation de qu’un nouveau service de transport ne peut se
6,9 milliards de voyageurs-km à 7,4). concevoir sans une intégration dans une chaîne
LES BUS MACRON AU CENTRE DU JEU. Les nou- de services dans laquelle chaque maillon – gare
veaux services d’autocars interurbains appor- routière, plate-forme multimodale et gestion
tent une réponse forte aux attentes des Français de la billettique, intégration tarifaire des offres,
d’aujourd’hui, dont la vie est minée par un intégration de l’information en temps réel… –
pouvoir d’achat en baisse. Le prix des voyages, est étroitement lié au maillon suivant et au
le rejet de la vitesse comme variable principale maillon précédent.
du choix du mode de transport – et donc le GARES ROUTIÈRES OUBLIÉES. Or les gares rou-
désintérêt relatif pour le TGV, hors du champ tières constituent le parent oublié, pourtant
professionnel – placent les bus Macron au essentiel pour une montée en gamme et en ser-
centre du jeu. L’attractivité des autocars trouve vices de qualité, de cette nouvelle offre de trans- (1) Pierre MESSULAM et
un écho auprès des jeunes et des étudiants, mais port. L’Arafer nous propose un premier recen- François REGNIAULT, Que faire
aussi auprès des familles – une nouveauté – qui sement des points d’arrêt et des gares de la SNCF ?, Tallandier,
refusent de payer plus de 100 euros en train routières(3). Nous y apprenons que, au 30 juin 2016.
pour un aller-retour à quatre ou cinq personnes 2016, 150 “aménagements” ont été recensés (2) Rapport d’activité 2015
en période de vacances scolaires ou de fêtes. et, surtout, que 77 des 171 communes desser- de l’Arafer.
On compte aujourd’hui en France 1 105 liai- vies par les autocars interurbains n’offrent pas http://www.arafer.fr/wp-
sons qui desservent 193 villes. Depuis la libé- de gare routière (soit 45 % des points du content/uploads/2016/08/A
ralisation, 5 millions de voyageurs ont choisi un réseau). RAFER-RA-2015.pdf
autocar Macron. Une accélération s’observe Parmi les gares routières existantes, certaines (3) ARAFER, Marché du
même : du 8 août 2015 au 30 juin 2016, proposent une vraie panoplie de services aux transport par autocar et
3,4 millions de voyageurs ont sillonné la usagers et arrivent à se financer grâce aux “tou- gares routières (rapport
France(2), sans toutefois concurrencer fronta- chers” et autres prestations facturées aux auto- annuel), novembre 2016.
lement l’offre ferroviaire SNCF puisque l’Arafer caristes (la gare routière de Poitiers, par http://www.arafer.fr/wp-
nous indique que 50 % de l’offre en autocar exemple). Mais nombreux sont les points d’ar- content/uploads/2016/11/R
commercialisée n’a pas d’offre alternative rêt qui ne présentent aucun service : toilettes apport-annuel-Autocars-
directe en transport collectif terrestre. La dis- absentes, pas d’abris protégeant de la pluie, gares-routieres-
tance moyenne effectuée est de 350 kilomètres pas de services de restauration. La gare rou- 7novembre2016.pdf

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 61
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

urbain. Les grandes villes telles que Munich


(gare routière gérée par la Croix-Rouge alle-
mande), Berlin et Hambourg ont une gare rou-
tière digne de ce nom. Hanovre a été classée
La gare routière première gare routière pour la qualité de ses
Porte Maillot : services par les clients de Flixbus (40 000 enquê-
“pique-nique tés). Certaines villes, comme Fribourg-en-
attitude” ! Brisgau, combinent, dans une même gare rou-
tière, le transport urbain par bus et les nouveaux
autocars interurbains. Flixbus Deutschland fait
le constat que 50 % de ses 400 points d’arrêt ne
sont pas satisfaisants pour l’exploitation(5).
Ce chaînon manquant dans la chaîne du
transport de voyageurs peut entraîner des pro-
Ceci est une blèmes urgents de qualité de service et de sécu-
“gare routière” ! rité que les collectivités locales – surtout les
régions, depuis les lois Maptam et Notre –, avec
l’aide de l’État, doivent chercher à résoudre.
Le risque à très court terme est de faire glisser
tière de Paris-Porte Maillot en est un exemple l’offre d’un positionnement low cost à un posi-
frappant : pas de point d’eau de qualité, peu tionnement très bas de gamme. L’absence de
d’abris, peu d’aménagements extérieurs, peu gares peut entraîner ce marché en émergence
de commerces et de services de proximité en vers le bas dans un cercle vicieux de moindre
attendant son autocar. Les voyageurs patien- qualité de service (arrêts sauvages sans éclai-
tent sur les bas-côtés dans le plus grand incon- rage public la nuit, par exemple…).
fort. Pourtant Paris possède une gare routière VASTE CHANTIER. Un vaste programme de
digne de ce nom non loin de la station de métro redéfinition et de localisation des gares rou-
Gallieni, mais cette gare est la propriété tières en ville doit être imaginé. Les modèles à
d’Isilines-Eurolines et ne suffit pas à accueillir développer sont à inventer : intégration dans
l’essor des liaisons Paris-province, Paris res- les plates-formes multimodales existantes ou
tant le nœud névralgique du réseau : 60 % des en cours de création, association avec des entre-
voyages ont Paris pour origine ou destination pôts de grande distribution, association de la
et 40 % de la demande est concentrée sur les gare routière avec des restaurants fast-food…
dix premières liaisons nationales (la première Ces gares peuvent être situées près de la gare
étant Paris-Lille, avec 87 000 voyageurs ; la centrale ou à l’extérieur des villes, êtres proches
deuxième, Paris-Lyon). d’un axe lourd de transport urbain comme c’est
En Allemagne, la situation dans quelques la cas en Allemagne où les grands centres
villes est également très délicate, par exemple à urbains sont déjà très congestionnés et très
proximité de la grande gare ferroviaire de imprégnés d’une politique favorable aux modes
Francfort(4). Aucun point d’accueil n’est prévu de déplacement doux (zones piétonnes, prio-
à cette date, mais des travaux ont été lancés en rité totale aux cyclistes…).
urgence. Certaines villes, comme Cologne, Ulm Bref, un chantier urbain ou périurbain de
ou Bielefeld, ont décidé d’interdire l’accès des modernisation ou de création d’arrêts et de
bus interurbains au centre-ville en raison de gares routières devrait apparaître dans l’agenda
(4) Frankfurter Allgemeine nombreux problèmes d’accès, de congestion et municipal dans les prochains mois ! Va-t-on
Zeitung (FAZ), 24/07/2016. de stationnement. Les arrêts se positionnent mettre en place la gare routière en plein centre-
(5) Idem. alors à proximité d’un axe lourd de transport ville, comme à Oxford (Royaume-Uni), ou à

62 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
LAURENT GUIHÉRY

L’ANCIENNE GARE ROUTIÈRE


DE CAEN, UN EXEMPLE À SUIVRE
l’extérieur des villes, comme à Cologne
(Allemagne) ?
Pour que ce vaste chantier démarre, il fau-
drait toutefois que les villes acceptent et s’ap-
proprient définitivement les nouveaux services
d’autocars interurbains, qu’elles oublient que
la loi qui a mené à cette libéralisation a été
votée sous l’article 49.3 de la Constitution et
donc sans débats parlementaires. Nombreuses
sont celles qui, encore influencées par le lobby
A vant de nous lancer dans des
programmes ambitieux de
création de gares routières, retour-
ferroviaire, évitent le sujet ou poussent les arrêts nons-nous un instant pour observer
des cars Macron en banlieue. l’essor, les innovations et le déclin
L’ordonnance n° 2016-79 du 29 janvier 2016 des gares routières historiques. Un
a confié à l’Arafer la gestion des règles d’accès bon exemple est la gare routière
aux gares routières, en particulier pour éviter de Caen (ou plutôt des Courriers
les discriminations entre opérateurs, mais aussi normands). Ouverte en 1938, fer-
pour réguler les relations entre opérateurs de mée en 1979 et démolie en 1986,
transport et exploitants de gares routières. Les elle était située en centre-ville (à
exploitants de gares routières sont tenus de l’angle, à l’époque, de la rue Paul-
rendre transparents leurs règles d’accès ; ces Doumer et de la rue de Bras). Elle
règles doivent respecter certains principes fixés avait remplacé une halte routière
par le Code des transports (transparence, non- qui faisait office de relais pour la
discrimination) ou précisés par l’Arafer. desserte de la gare ferroviaire.
Le plus amusant dans ces développements à Entre 1938 et 1979, la gare routière de Caen fut un modèle de gare routière,
venir, c’est que nous revenons en arrière pour imposante plate-forme modale (2 100 m², dont 900 m² étaient occupés par
retrouver une France qui, dans les années 1930- les bâtiments et les quais) associant divers services et innovations. En 1958,
1960, avait un réseau dense de gares et d’arrêts elle a accueilli 3 millions de voyageurs, 2 000 tonnes de messagerie et
routiers. La France fut le pays des services d’au- 200 000 colis, et on a pu y observer 48 876 départs et 50 257 arrivées d’au-
tocars interurbains, des gares routières, jusqu’à tocars. Il est vrai que, à cette époque, le taux de motorisation individuelle des
ce que le décret Raoul Dautry (1934) n’amène ménages français était encore très faible.
à une coordination de l’offre de transport inter- La gare de Caen était innovante. Elle s’articulait autour de neuf quais dispo-
urbain au profit du ferroviaire, ce qui a relégué sés en redan ; un dixième, destiné aux autocars d’excursion, était situé en
le mode routier dans un statut subsidiaire. En dehors du bâtiment principal. Des quais surélevés, construits à hauteur de la
effet, la France a une expérience ancienne et galerie du toit des autocars (exactement à 30 cm au-dessus), permettaient
riche dans la construction et l’aménagement de charger et décharger très facilement les nombreux colis, bagages et vélos
des gares routières. Malheureusement, celles- que transportaient les voyageurs à cette époque. Les bagagistes voyaient
ci ont peu à peu disparu du paysage urbain de ainsi leur travail très largement facilité. La séparation totale des flux de mes-
nos villes, victimes d’une centralisation des sagerie et des cheminements prévus pour les piétons permettait de limiter les
moyens et des énergies sur le transport ferro- croisements de trafic piétons-véhicules, et donc d’accroître la sécurité. Enfin,
viaire. Nous assistons aujourd’hui à la revanche cette gare possédait un poste de dispatching très moderne, avec une vue
de l’autocar sur le train ! sur l’ensemble des quais et des entrées-sorties, ce qui lui permettait d’atteindre
Il reste aujourd’hui aux collectivités et à leurs des niveaux d’efficacité élevés : 40 départs à l’heure, voire 52 en période de
conseils, aménageurs et urbanistes, de se sai- pointe. En 1953, elle employait 37 employés. ■
sir de la question du renouveau du transport
en autocar pour créer des gares multimodales
intégrant les exigences du développement
durable et de qualité de vie en ville. ■ Sources : Autocar et Grands Routiers, n° 285, août 1953 ; Charge utile Magazine, n° 18, juin 1994.

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 63
Le renouveau des
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

gares marocaines
Entre discours et réalité
NASSIMA HAKIMI
Agrégée de géographie, ENS de Lyon
< nassima.hakimi@laposte.net >

Le Maroc est un pays en pleine mutation et, sur décision royale, il est
le premier pays d’Afrique à installer des lignes à grande vitesse sur
son territoire. Dans ce contexte, le renouveau des gares tient une
place centrale dans le discours de l’Office national des chemins de
fer. Malgré d’indéniables progrès, les changements mis en avant ne
sont pas toujours mis en œuvre. Analyse de la transformation des
gares marocaines de Rabat-ville, de Marrakech et de Casa-Port.
© tony4urban
La gare de Marrakech

64 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
NASSIMA HAKIMI

e Maroc est un pays dit “intermé- technique de cette importance dans un pays

L diaire”, c’est-à-dire un pays en


développement, mais il ne s’agit ni
d’un pays parmi les moins avan-
cés ni d’un État rentier. Il est
confronté à des changements d’une ampleur
inédite dans de multiples secteurs(1), parmi les-
quels on peut citer les évolutions démogra-
peu développé pose la question de la réaction
du peuple et de sa préparation au changement.
Surtout, et c’est un enjeu également, le choix
de la grande vitesse apparaît comme “le fait
du prince”. Il n’était pas réellement prévu dans
l’agenda des acteurs de l’aménagement et du
transport du pays (ou plutôt, il n’était pas
phiques, la démocratisation du pays, la moder- prévu qu’il arrive si tôt), et la décision du roi
nisation de ses dispositifs juridiques, le de se lancer dans un tel projet a beaucoup sur-
développement des outils numériques, la pris. Le Maroc a accepté d’acheter le TGV
réforme de son maillage institutionnel ou pour “se faire pardonner” son achat d’avions
encore l’émergence des collectivités locales de chasse F16 américains, au lieu des Rafale
comme acteurs du développement. français, tel que prévu initialement. L’accord
ENJEUX. Le secteur ferroviaire n’est pas en pour le LGV s’est conclu très rapidement, lors
reste de ces mutations : depuis le début des d’une visite de Nicolas Sarkozy au Maroc en
années 2000, un très vaste programme de 2007. Quatre ans après, Nicolas Sarkozy et
transformation des grandes gares métropoli- Mohammed VI se rencontraient de nouveau,
taines du pays y a été lancé auquel s’est ajouté, cette fois pour fêter le lancement du chantier
en 2010, le lancement d’un grand projet de de LGV. La décision du roi du Maroc de se
mise en place de lignes à grande vitesse (LGV). lancer dans ce projet de train à grande vitesse
Si bien que le transport ferroviaire de voya- a donc été rapide et peu anticipée. Beaucoup
geurs a fortement augmenté, passant de de personnes, en France et au Maroc, furent
14,7 millions de passagers en 2002 à près de pris de cours par la décision. Selon El-Houssine
34 millions en 2011. Nejmi, géographe, ancien cadre de plusieurs
Le choix de la LGV est inédit : le Maroc est, agences d’urbanisme du Maroc et actuelle-
en effet, le premier pays d’Afrique à installer ment maître-assistant à l’Institut national
des lignes à grande vitesse sur son territoire. d’aménagement et d’urbanisme (INAU) du
Ce choix est aussi lourd d’enjeux. Derrière le Maroc : “Jusqu’en 2010 et la décision du roi,
projet de la grande vitesse marocaine, il y a la LGV n’était présente dans aucun schémas
en effet : directeurs et l’on n’en parlait qu’à très long
– un enjeu très fort de politique internatio- terme.” Ainsi, pour un certain nombre d’ac-
nale. Il s’agit de montrer que le Maroc est un teurs importants au Maroc, la décision de la
pays certes en voie de développement, mais LGV a surtout été l’objet de soucis nouveaux.
volontaire et avant-gardiste ; Ce fut en particulier le cas pour l’Office
– un enjeu de politique nationale. Il s’agit aussi national des chemins de fer (ONCF), l’entre-
d’améliorer l’accessibilité du territoire, ce qui, prise gestionnaire du chemin de fer marocain.
à terme, le transformera en profondeur ; Celle-ci vit en effet actuellement un processus
– un enjeu économique. On attend beaucoup de transformation en vue d’une modernisa-
des retombées du train sur l’économie du pays, tion de son offre ferroviaire. Ce programme,
en matière touristique notamment, mais pas qui a commencé au début des années 2000
seulement ; avec le lancement des grandes gares métro-
– un enjeu technologique. Il faut adapter le politaines du pays, a pris un caractère plus
pays à de nouvelles normes, tant techniques urgent depuis la décision de lancer la LGV en
que sécuritaires en prévision des risques d’at- 2010. Concrètement, ce processus se traduit
tentats ; par un certain nombre de mutations qui sont
– un enjeu culturel. Mettre en place un projet autant de preuves du tournant tertiaire que

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 65
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

caines de premier rang étaient présentes, en


particulier le ministre de l’Équipement, du
Transport et de la Logistique, Abdelaziz
Rabbah, qui a fait le discours d’ouverture du
colloque avec Mohamed Rabie Khlie, direc-
teur général de l’ONCF. Lorsque des agents
de l’ONCF prenaient la parole, on retrouvait
Figure 1 systématiquement les mots du changement
cités précédemment. Enfin, la thématique du
Les mots du changement de l’ONCF
changement était immanquablement mise en
lumière dans chacune des présentations faites
prend en ce moment l’ONCF. Ces mutations par les cadres de l’ONCF.
sont les suivantes : le discours marketing sur les Le nouveau discours de l’ONCF sur les gares
gares change ; les espaces se transforment ; les est donc surtout dominé par les thématiques de
offres de services, notamment numériques, se la rupture, du changement et de l’innovation.
diversifient. Nous allons revenir rapidement L’ancienne politique de l’entreprise est criti-
et point par point, sur ces changements afin quée, et une hantise de l’immobilisme appa-
de les expliquer et de présenter des hypothèses raît en creux dans les nouveaux éléments de
de recherche les concernant. langage adoptés.
DISCOURS. Le discours marketing sur les ESPACES. Les velléités de changement de
gares marocaines change. Depuis quelques l’ONCF s’inscrivent aussi dans l’espace. Les
temps, l’ONCF a mis en avant un discours gares marocaines sont en effet affectées par
bien particulier sur les gares : un discours de la de nombreux changements physiques depuis
rupture et de la modernisation. Ce discours a le début des années 2000, avec le lancement
attiré notre attention, car l’Office accorde du programme marocain de renouvellement
beaucoup d’attention à sa mise en scène. Tout des gares métropolitaines, puis celui de la LGV.
d’abord, un vocabulaire du changement a été Certaines gares historiques ont été redécou-
défini et visiblement “appris” par les agents vertes et des programmes de rénovation y sont
de l’ONCF comme autant d’éléments de lan- en cours (c’est le cas, par exemple, de la gare
gage, avec l’utilisation récurrente des mots sui- de Rabat-ville, classée au Patrimoine mondial
vants : “modernisation”, “vision stratégique”, de l’Unesco), tandis qu’à d’autres endroits des
“défi”, “client”, “services”, “innovant”… (cf. gares nouvelles ont vu le jour (la gare de
figure 1). Marrakech et la gare de Casa-Port, notam-
Mais cette mise en scène n’est pas seulement ment). Comme le montrent les éléments de
visible dans les discours ou les documents pro- langage détaillés plus haut, cela a créé une
duits par l’ONCF. Elle a été aussi particuliè- dynamique dans laquelle les valeurs d’icône
rement présente lors du colloque Nextstation urbaine, de agora commerciale et de lieu de
qui s’est déroulé à Marrakech, en octobre vie sont mises en avant. On peut tenter de dres-
2015, et auquel nous avons assisté. Cette cin- ser une liste des changements physiques qui
quième conférence internationale consacrée caractérisent les nouvelles gares par rapport
au chemin de fer a été l’occasion pour l’ONCF aux anciennes.
de mettre en scène sa stratégie et son discours Tout d’abord, les aspects monumentaux et
du changement. L’ONCF a aidé à l’organisa- esthétiques des gares dans la ville ont été accen-
tion du colloque et pur ce faire a développé tués ; elles marquent dorénavant bien davan-
des moyens considérables : les conférences se tage l’espace urbain et jouent parfois un rôle
déroulaient dans un cadre fastueux (un hôtel d’attrait touristique. C’est le cas, par exemple,
de luxe) et, surtout, des personnalités maro- de la gare de Marrakech. Youssef Melehi, son

66 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
NASSIMA HAKIMI

architecte, a voulu proposer un monument tent sont sans doute liés au caractère récent
qui mêle “le standing de l’Occident avec des de l’initiative. On peut sans doute penser
formes issues des traditions marocaines”. On qu’avec le temps ces espaces connaîtront une
y trouve des éléments qui rappellent les gares activité plus importante et que les différents
européennes, mais aussi un certain nombre usagers des gares, touristes et Marocains, s’ap-
d’éléments empruntés aux arts et traditions proprieront ces lieux.
islamiques et berbères. Le sol de la gare, par Une question de recherche intéressante serait
exemple, reprend des formes présentes sur les d’ailleurs de voir comment cette appropria-
tapis traditionnels marocains tandis que le sys- tion va s’effectuer et si elle va correspondre
tème de régulation climatique s’inspire du sys- ou non aux prévisions des principaux acteurs
tème de ventilation naturelle des anciennes à l’origine des rail centers. Par exemple, peut-
maisons marocaines. être que des recherches sur plusieurs années
RAIL CENTERS. Outre l’accentuation des permettraient à terme de vérifier l’intuition
aspects monumentaux et esthétiques, d’autres selon laquelle ce ne sont pas seulement les
changements dans l’espace des gares maro- riches urbains et les touristes étrangers qui
caines peuvent être soulignés : les espaces d’at- vont bénéficier des potentialités de la gare,
tente ont été agrandis ; la signalétique, l’affi- mais que celle-ci va peut-être devenir un lieu de
chage des arrivées et des départs et les type “nouveau village urbain” dans lequel des
annonces sonores ont été améliorés ; des pre- catégories diverses (dont certaines que l’on
miers aménagements ont été réalisés pour les n’attend pas) vont se saisir des opportunités
personnes à mobilité réduite ; davantage de qui leur y sont offertes (par exemple, des indi-
commodités de toutes sortes ont été ajoutées, vidus qui n’ont pas internet chez eux, des per-
allant des toilettes aux salles de prière ; des sonnes pauvres, voire des SDF, qui veulent se
efforts ont été entrepris en vue de permettre connecter, ou bien encore, et c’est l’une des
davantage d’intermodalité (à Rabat-ville hypothèses qui nous paraît la plus intéressante,
notamment, avec le tramway) ; des anima- des jeunes filles qui n’ont pas aisément accès
tions sont organisées dans les gares. Surtout, aux endroits du type cybercafé, plutôt inves-
des espaces multiservices et multifonctionnels tis par les hommes).
ont été mis en place. Ces espaces sont appe- NUMÉRIQUE. Avec la transformation des
lés rail centers et visent à proposer divers ser- gares, l’offre de service de l’ONCF s’est donc
vices, allant du shopping à la restauration. Ce étoffée physiquement avec de nouveaux ser-
qui est très intéressant, avec les rail centers, vices qui n’existaient pas auparavant, comme
c’est que l’on peut les appréhender comme la la restauration, les boutiques, ou encore la
réponse de l’ONCF à certaines transforma- généralisation des salles de prière. On note
tions importantes du Maroc (ou, du moins, aussi la volonté de l’ONCF de proposer des
comme sa réponse à sa lecture des transfor- services numériques avec, notamment : l’ins-
mations du Maroc). tallation de guichets électroniques ; la créa-
Toutefois nos observations sur le terrain tion de services d’achat de billets et de services
nous incitent à penser que, pour l’instant, les en ligne ; la mise en place du wi-fi en gare ;
rail centers ne sont pas une totale réussite : ils une présence accrue sur internet et les réseaux
sont très modestes en termes de nombre et de sociaux, en particulier Facebook et Twitter…
diversité de magasins et sont relativement peu On assiste donc à une réelle montée en puis-
fréquentés (c’est surtout le cas pour les gares sance de l’ONCF dans le domaine du numé-
de Marrakech et de Rabat, dans une moindre rique. Nos recherches ont montré que les
mesure pour la gare de Casa-Port). Cette fré- clients des gares marocaines y étaient récep-
quentation assez faible et le nombre assez tifs. Néanmoins, elles ont aussi mis en évi-
réduit de magasins que ces rail centers abri- dence que ce tournant numérique ne consti-

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 67
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

tue pour l’instant qu’un changement assez alors signifier cette hantise de l’immobilisme,
superficiel, finalement sans incidences réelles ultraprésente dans le discours de l’ONCF ?
sur l’organisation de l’entreprise et sur le com- Que dit-elle du Maroc d’aujourd’hui ? Doit-elle
portement de ses clients. Sur internet aujour- être mise en lien avec la glaciation politique
d’hui, l’ONCF est, par exemple, toujours très qui caractérise le pays ?
majoritairement confronté à une prise de ■ ■
parole très critique de ses clients marocains. Ainsi, l’ONCF vit actuellement un processus
La lecture d’un récent flux de commentaires de transformation en vue d’une modernisa-
pris au hasard sur la page Facebook de tion de son offre ferroviaire concomitamment
l’ONCF en témoigne : les commentaires les à l’arrivée de la LGV dans le royaume. Ce pro-
plus importants sont des critiques plus ou cessus de transformation se traduit par l’adop-
moins virulentes à l’encontre de l’entreprise à tion, chez les agents de l’entreprise, d’un dis-
laquelle il est reproché le plus souvent de vou- cours nouveau dans lequel le thème de la
loir “faire moderne” en étant présente sur rupture est omniprésent. Un objet en particu-
Facebook et Twitter, mais de ne pas être lier serait le support de cette rupture : la gare,
capable de s’attaquer aux vrais problèmes dans ses différentes dimensions. La gare, au
(retards très importants, nombreux incidents, Maroc, est aussi l’objet d’un complexe pro-
lenteur aux guichets, insécurité, matériel rou- cessus de transformation. Ce processus, qui
lant très ancien et peu confortable, etc.) qui comporte deux leviers visibles (les services en
font d’elle une entreprise archaïque qui “ne gare et le numérique), ne se déploie pas aussi
change pas”. En d’autres termes, son discours rapidement que la communication de l’ONCF
de “renouvellement”, de “rupture” et de voudrait le laisser croire. ■
“modernisation” ne serait rien d’autre qu’une
coquille vide.
Dès lors, nous serions donc face à une entre- (1) Baudouin DUPRET, Zakaria RHANI, Assia BOUTALEB et Jean-Noël
prise qui, dans son discours, mettrait en évi- FERRIÉ (dir.), Le Maroc au présent – d’une époque à l’autre, une
dence sa modernité, son changement mais qui, société en mutation, coédition Centre Jacques-Berque /
en réalité, serait d’une inertie totale. Que peut Fondation du Roi Abdul-Aziz Al Saoud, 2015.
Architectes : J.-M. Duthilleul, E. Tricaud - AREP et Groupe3 Architecte
© Arep

Casa-Port

68 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
NASSIMA HAKIMI

LE RAIL CENTER,
© Nacima Baron (oct. 2015)

ESPACE
MULTISERVICE
Rabat
© Marc Guigou (oct. 2015)

Marrakech
© Nacima Baron (oct. 2015)

Casa-Port
© Nacima Baron (oct. 2015)

Casa-Port

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 69
Faire de la gare
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

le centre
de… la ville
INTERVIEW DE
GILLES BALLERAT, directeur des services et des opérations, SNCF Gares & Connexions
ET DE
ANTOINE NOUGARÈDE, dIrecteur général de SNCF Retail & Connexions

Ouvrir la gare sur la ville, la transformer en véritable lieu de vie, en


faire le point de convergence de tous les modes de transport : telle
est l’ambition qui sous-tend la politique de rénovation des gares
engagée depuis une dizaine d’années par Gares & Connexions,
branche de la SNCF. Hub multimodal, la gare est désormais le car-
refour où convergent le train, la voiture, le bus urbain, l’autocar, le
vélo… sans oublier la marche à pied. Ouverte sur la ville, elle pro-
pose de nombreux services et commerces aux voyageurs, ainsi qu’à
tous ses visiteurs et aux résidents. L’objectif : contribuer au déve-
loppement économique local, dynamiser des quartiers parfois en
déshérence, mais aussi mieux rentabiliser les espaces fonciers
situés au sein de la gare.

70 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
GILLES BALLERAT ET ANTOINE NOUGARÈDE

haque jour, 10 millions de per- devons faire en sorte que nos gares qui sont

C sonnes fréquentent les 3 000


gares françaises. En transformant
celles-ci en lieux de service, de
commerce, d’animation cultu-
relle, l’ambition de la SNCF, via sa branche
Gares & Connexions, est de faire de chaque
gare un moteur de vitalité urbaine, un lieu de
des lieux de passage soient aussi des lieux de
vie aussi propres, agréables, confortables et
sécurisés que possible.
HUB D’INTERMODALITÉ. Les projets d’amé-
nagement des gares sont étudiés collective-
ment. L’aire de réflexion dépasse désormais la
simple emprise de la gare et embrasse l’en-
résonance et d’interaction avec le tissu urbain semble du quartier, avec l’optimisation de l’in-
du fait de la fonction centrale de la gare en teraction entre les différents modes de mobi-
matière d’émission et de réception des flux qui lité du territoire.
traversent la ville et le territoire. L’objectif est d’articuler, à partir de la gare,
Selon la taille des gares, cette stratégie que les différents modes de déplacement – mobilité
nous qualifions de city booster s’applique de urbaine, mais aussi mobilités interurbaines,
manière différenciée. Mais, que l’on soit dans mobilités régionales et nationales. Cela inclut
une grande métropole ou dans une ville de le train, bien sûr, mais aussi la mobilité active
taille moyenne, voire dans une petite ville, le (à pied, à vélo), le bus urbain, l’autocar inter-
traitement de l’offre de services et de com- urbain, l’automobile (dont le taxi, mais aussi
merces de la gare influence l’ensemble du quar- le covoiturage et les VTC)… La gare s’affirme
tier environnant. Notre ambition est d’inscrire ainsi à travers sa capacité à organiser les liai-
la gare dans une perspective d’offre multimo- sons entre les modes de transport ; elle se trans-
dale à forte valeur ajoutée, une offre qui orga- forme en un nœud modal au sein de la ville,
nise les modes de transport, qui propose des en hub d’intermodalité.
services, des commerces et qui fasse du quar- Cela peut paraître banal. Mais, si on fait un
tier de la gare un quartier central de la ville. peu d’histoire, on s’aperçoit que c’est un chan-
Pour cela, nous agissons au niveau de l’orga- gement radical. Les gares ont été construites
nisation physique (à l’intérieur comme à l’ex- en intégrant le développement d’un mode
térieur de la gare), de l’organisation de l’in- dominant : la voiture individuelle. Devant les
formation (grâce notamment à la dimension gares, on a créé des parkings, rapidement satu-
numérique) et de l’implantation de services et rés. Qu’il s’agisse de créer de nouvelles gares
de commerces. ou d’en rénover d’anciennes, la prise en compte
Il n’y a pas pour nous de gros chantiers et des mobilités douces et écoresponsables nous
des petits. Tous sont importants et tous pro- amène à repenser la gare de façon plus opé-
cèdent de l’aménagement du territoire. C’est rationnelle et à aborder différemment son aire
facile à comprendre quand il s’agit d’endroits d’influence dans la ville. L’accès à pied, qui a
reculés et peu peuplés, mais c’est aussi vrai longtemps été oublié, est désormais au cœur de
dans les grandes villes. Nous travaillons pour nos préoccupations. L’accès à vélo est repensé,
cela en étroite collaboration avec les collecti- avec des rampes d’accès spécifiques… Il s’agit
vités locales (la région, en tant qu’autorité de faire de la gare un espace, intelligible et
organisatrice de la mobilité interurbaine en intuitif, comportant un ensemble d’infra-
matière de transport, mais aussi la ville ou la structures et de services destinés à tous ceux
communauté d’agglomération, parfois le qui fréquentent la gare, qu’ils soient là pour
département) et les acteurs commerciaux du prendre le train, pour accueillir des voyageurs,
territoire pour faire de nos gares de véritables pour rencontrer d’autres personnes ou profi-
centres de revitalisation urbaine. ter des commerces et des services. Désormais,
Par ailleurs, nous n’oublions pas que nous nous ne parlons plus de voyageurs, mais de
avons une responsabilité sociale et que nous visiteurs.

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

OFFRE COMMERCIALE. Il est aussi de la res- Le concept de commerce dans les lieux de
ponsabilité de la SNCF de faire des gares des transit s’est élargi. On parle désormais de tra-
espaces le plus rentables possible, et ce afin vel retail. Le client doit pouvoir trouver sur
d’entretenir ce patrimoine historique excep- son trajet tout ce qu’il lui faut, en tout cas l’es-
tionnel, avec de très belles gares datant du sentiel. On parle aussi dans la profession de
XIXe ou du début du XXe siècle. Pour refaire la travel essentiels – les besoins essentiels du voya-
grande verrière d’une gare parisienne ou d’une geur. Le merchandising des gares s’est diver-
gare comme celle de Bordeaux, il faut entre sifié : au-delà de la restauration rapide, on ins-
40 et 60 millions d’euros de travaux : les rede- talle des espaces consacrés au cadeau
vances des commerces dans les gares sont aussi alimentaire, à l’équipement de la personne, des
un moyen de financer ces travaux. fleuristes, des épiceries de différents types
Le chiffre d’affaires pour l’ensemble des com- comme des supérettes avec Monop’Daily,
merces dans les gares est d’environ 1,5 milliard Carrefour, des petits supermarchés d’appoint
d’euros par an ; la redevance reversée au groupe pour le voyageur qui, en allant au bureau ou en
SNCF, de l’ordre de 200 millions d’euros par rentrant chez lui, fait de petites courses.
an. Alors que, dans les centres commerciaux, Cette fonction de services marchands per-
il n’y a plus de croissance, le commerce de flux met notamment de faciliter la vie des voya-
dans les aéroports et dans les gares connaît une geurs (voyageurs quotidiens, occasionnels, tou-
croissance régulière, de l’ordre de 3 à 4 % par ristes…), notamment dans les gares des grandes
an. C’est pourquoi il est prévu, soit par l’ex- métropoles – en Île-de-France ou en régions.
tension des gares, soit par renégociation de cer- Mais elle s’adresse également à d’autres visi-
tains contrats, de doubler à l’horizon des dix teurs de la gare, que nous appelons parfois les
prochaines années à la fois le chiffre d’affaires “traversants”. Une partie de la clientèle qui
dans les gares françaises et la redevance, tout transite dans les gares ne prend pas le train.
en s’inscrivant dans la vie de la ville. Par exemple, près de 20 % des gens qui fré-
Les flux de visiteurs dans les gares sont une quentent la gare Saint-Lazare, à Paris, ne sont
source de revenus que toute notre stratégie pas là pour prendre un train, en tout cas pas ce
“commerces” vise à valoriser. On a longtemps jour-là. Ce sont des riverains qui viennent faire
considéré la gare comme un lieu de passage, des courses, des gens qui viennent dans la gare
pas comme un lieu où l’on peut s’arrêter. Et rencontrer des clients ou des fournisseurs lors
même si celle-ci était somme toute bien entre- d’un petit déjeuner ou d’un déjeuner d’af-
tenue, bien qu’un peu vide, le parvis et les alen- faires… Le soir, ce sont des étrangers qui vien-
tours étaient souvent mal occupés, ils avaient nent au restaurant – les riverains et les gens
des allures de no man’s land. C’est parce que des bureaux sont rentrés chez eux. Dans le
la gare était en rupture avec la ville. quartier Saint-Lazare, il y a peu de restaurants
Désormais, nous nous inscrivons dans une mais beaucoup de grands hôtels. Les concierges
vision de continuité entre la gare et la ville. envoient à la gare leurs clients étrangers qui
Notre objectif est que l’on puisse passer de cherchent un endroit agréable et typique. C’est
l’une à l’autre sans s’en apercevoir. L’idée n’est un bon exemple d’insertion de la gare dans la
pas de supprimer les commerces traditionnels ville au travers de son offre commerciale.
situés aux abords immédiats de la gare (le café Nous nous intéressons beaucoup à la clien-
de la Gare, l’hôtel Terminus, la pharmacie de tèle des riverains. En l’état actuel, on peut
la Gare…) mais de faire en sorte que tout ce estimer qu’elle représente de 5 à 10 % de la
dont les clients des gares peuvent avoir besoin fréquentation des gares. C’est encore margi-
leur soit offert dans un continuum de services, nal, car l’offre de commerce dans les gares
à l’intérieur de la gare comme à l’extérieur de n’est pas, pour le moment, ciblée pour attirer
celle-ci. des riverains qui pourraient y venir pour trou-

72 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
GILLES BALLERAT ET ANTOINE NOUGARÈDE

ver des commerces qu’ils ne trouveraient pas


dans le quartier.
La gare Montparnasse, à Paris, est pour nous
un cas d’école car il y a beaucoup d’habitants
dans les quartiers environnants. Nous savons
d’après nos études que bon nombre de gens
du quartier s’y rendent, le dimanche par
exemple, pour y acheter le journal, aller à la
pharmacie ou faire des courses d’appoint. Deux
millions de visiteurs y transitent chaque jour. À
l’occasion d’un grand plan de rénovation, qui
s’étalera sur deux ans à partir de 2017, les sur-
faces commerciales passeront peu à peu d’en-
viron 10 000 m² à 19 000 m².
RESTAURATION. La restauration constitue le
cœur de l’offre commerciale dans les gares.
C’est logique. Avant de prendre un train on
grignote, on achète à manger pour le voyage.
Notre objectif dans le domaine de la restau-
ration est d’améliorer la qualité et de monter
progressivement en gamme, toujours avec un
bon rapport qualité-prix.
Nous souhaitons tout d’abord réinventer le
concept de buffet de gare, caractérisé par une
très grande amplitude des horaires de service,
de 6 h 30 à 22 heures, tous les jours toute l’an-
née – il n’y a pas de jours fériés dans une gare !
Le modèle de l’ancien buffet de gare est
dépassé, il est d’ailleurs en plein déclin. Il est

Signalétique en gare de Paris-Lyon (février 2012) - Kakémono monumental du hall 1


souvent tenu par des indépendants, notam-
ment en province, et occupe de grandes sur-
faces dans des gares qui voient parfois leur
clientèle disparaître (perte démographique,
détournement de trafic au profit des lignes
TGV…). Il est impératif de repenser l’offre des
buffets dans les gares de taille moyenne et dans
les petites villes, mais aussi dans les grandes
© SNCF-Arep / Photographe : M. Lee Vigneau

métropoles.
Nous souhaitons également travailler l’offre
du sandwich de gare pour effacer l’image triste
du produit et pour proposer désormais des
sandwichs de qualité à des prix abordables.
Cela étant, il faut de tout dans une gare : de
la vente à emporter pas cher, de la restaura-
tion rapide (dont les spécialistes du burger) et
de la restauration plus haut de gamme. Le
chef 3I Éric Frechon a ouvert, en sep-

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 73
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

tembre 2013, un restaurant sur le parvis de la ESPACES D’AFFAIRES. Nous allons ouvrir, cou-
gare Saint-Lazare, à Paris, alors nouvelle- rant 2017, des espaces d’affaires et de cowor-
ment réhabilitée. Les voyageurs ne représen- king, principalement dans les gares de la région
tent pas, c’est certain, l’essentiel de sa clien- Île-de-France. Ces espaces, baptisés Work &
tèle. Et ce n’est pas un exemple unique : en Station, se déclineront en quatre formats afin
novembre 2016, le chef Thierry Marx a de répondre au mieux aux besoins des voya-
ouvert une brasserie, L’Étoile du Nord, dans geurs et entrepreneurs :
la gare du Nord. Gare de Lyon, le Train Bleu – version “centre d’affaires” (lieux entièrement
lui aussi a retrouvé sa superbe. Ces exemples meublés et équipés pour recevoir des utilisa-
sont révélateurs de la résonance des gares teurs de bureau pour une période généralement
avec leur quartier. limitée) ;
Bien évidemment, il ne s’agit pas de n’ins- – version “tiers-lieu” (réseau de bureaux multi-
taller que des restaurants étoilés dans les gares, entreprises, espaces de plus de 1 000 m2, soit
mais de proposer de la bistronomie de qua- environ 100 places, construits majoritairement
lité, avec des cartes signées par des chefs – des au-dessus des parkings, comprenant un lounge,
grands chefs ou des chefs locaux qui appor- des bureaux individuels et partagés, des salles de
tent de l’authenticité et de la qualité avec un réunion... ;
bon rapport qualité-prix. – version “microworking” (espaces de 10 à
COMMERCES. Les commerces, et notamment 50 m2 situés au cœur de l’espace “voyageurs” de
les épiceries, constituent le deuxième pilier de la gare, à l’image du site pilote créé à Conflans-
l’offre commerciale. Les grandes enseignes Sainte-Honorine début 2016) ;
(Monop’Daily, Carrefour, Franprix…) sont – version “coworking” (espaces de 70 à 250 m2
très intéressées par les flux qui transitent dans situés au 1er étage de l’espace “voyageurs” de
les gares. Elles adaptent leurs concepts et leur la gare, comprenant des bureaux partagés et
merchandising aux profils des clientèles qui une salle de réunion). Dans ce format, cinq sites
fréquentent les gares. On trouve dans les maga- sont pour l’heure concernés : Boulainvilliers
sins en gares le même assortiment que dans dans le 16e arrondissement de Paris, Porte
les magasins de ville, mais pas dans la même Maillot dans le 17e, Clichy-Levallois (92),
quantité ni dans les mêmes proportions : l’as- Drancy (93) et Fontainebleau (77).
sortiment salades et sandwichs y est plus Cette offre devrait permettre de désaturer les
important. Les enseignes s’adaptent à la clien- trains aux heures de pointe en offrant la possi-
tèle et à la taille des espaces disponibles qui, bilité aux voyageurs de retarder leur départ.
dans les gares, est souvent relativement faible. ■ ■
Les points presse Relay sont un exemple Notre action au niveau des gares vise à
intéressant d’adaptation. Il y a quelques construire et à organiser une offre enrichie de
années, on y trouvait principalement de la transport multimodal permettant à chacun d’ef-
presse. Aujourd’hui, avec la chute de la vente fectuer un voyage fluide, porte à porte, en uti-
de journaux, et même si la part du livre reste lisant tous les modes de transport écodurables.
importante, ils développent l’offre en produits Elle vise également à apporter tant aux voya-
de grignotage, en boissons, en accessoires de geurs qu’aux visiteurs et aux résidents une offre
connexions pour ordinateurs ou smartphones. optimisée de services du quotidien. Notre ambi-
En dix ans, la gamme d’offre a complètement tion est de contribuer à la rénovation du tissu
changé. urbain en nous appuyant sur les deux fonctions
À partir du moment où il y a dans les gares essentielles de la gare : hub intermodal et centre
quelques belles enseignes et des boutiques, de services et de commerces.
celles-ci peuvent devenir des endroits de des-
tination pour des courses de proximité. PROPOS RECUEILLIS PAR CLAUDINE DESVIGNES

74 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
GILLES BALLERAT ET ANTOINE NOUGARÈDE

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4
© Arep / Photographe : Mathieu Lee Vigneau © SNCF-Arep / Photographe : M. Lee Vigneau
Parvis de la gare de Besancon Viotte (novembre 2014) - conception Arep Gare de Paris Saint-Lazare - Vitrines côté salle des pas perdus du restaurant Le Lazare (sept. 2013)
Arch. : J.-M. Duthilleul et F. Bonnefille, E. Tricaud (SNCF/Arep), P. Gorce et T. de Dinechin (DGla)

75
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Les gares redécouvrent


leur environnement
urbain
L’exemple du Sud-Est parisien
NICOLAS OUDIN JULIE BRANCHEREAU
Directeur du pôle “étude de transport & Chef de projet senior, pôle “étude de trans-
mobilité” - Artelia Ville & Transport port & mobilité” - Artelia Ville & Transport
< nicolas.oudin@arteliagroup.com > < julie.branchereau@arteliagroup.com >

Longtemps perçues comme des lieux de transit implantés hors


sol, les gares se transforment afin de faciliter la vie des voyageurs,
qu’il s’agisse de favoriser l’intermodalité entre les différents modes
de transport ou de créer de nouveaux services. Leur évolution
conduit également à une transformation des quartiers dans les-
quels elles se trouvent. À Paris, le réaménagement des gares de
Lyon, de Bercy et d’Austerlitz engendre une mutation complète du
Sud-Est parisien. Ces trois gares, qui accueillent chaque année
quelque 132 millions de voyageurs, font chacune l’objet d’une
vaste opération de réhabilitation qui prévoit de rendre la gare plus
perméable en y intégrant de nouveaux services et commerces.
Parallèlement, d’importantes réflexions en matière de réorgani-
sation de l’offre de transport ferroviaire sont en cours.

76 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
NICOLAS OUDIN ET JULIE BRANCHEREAU

es gares de Lyon, de Bercy et – anticiper et accompagner l’augmentation

L d’Austerlitz, qui accueillent chaque


année quelque 132 millions de
voyageurs, font chacune l’objet
d’une vaste opération de réhabili-
tation qui prévoit de rendre la gare plus per-
méable en y intégrant de nouveaux services
et commerces. Parallèlement, d’importantes
du nombre d’usagers des gares liée à l’ac-
croissement de l’offre de transport à l’hori-
zon 2030, de l’offre commerciale en gare et
aux abords, à la densification urbaine… ;
– accompagner les usagers dans leurs par-
cours depuis et vers les pôles de transport en
commun (lisibilité/fluidité des liens intra et
réflexions en matière de réorganisation de inter-pôles) en créant les meilleures corres-
l’offre de transport ferroviaire sont en cours. pondances possibles entre les trois pôles mul-
En effet, à l’échelle du Sud-Est parisien, l’in- timodaux (ou tripôle), via les espaces publics,
tervention sur le seul quartier de gare n’est le réseau de surface, les modes lourds et tout
pas suffisante pour correspondre aux logiques autre vecteur de mobilité ;
des voyageurs : c’est l’ensemble des flux de – inscrire le pôle d’échanges et le tripôle dans
voyageurs de la zone qui doit être analysé et le système de transport régional comme une
redistribué. nouvelle polarité urbaine, afin de proposer
COHÉRENCE. Les premières réflexions sur un projet en cohérence avec les nombreux
cette nécessité sont évoquées, en 2012, par projets actuellement en émergence et garantir
l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme). Celui- leur accessibilité.
ci pose alors la question de la cohérence et du PROJET URBAIN. Dès la définition des enjeux,
fonctionnement d’ensemble du Sud-Est pari- la conception de l’intermodalité à grande
sien dans sa dimension transport, mais éga- échelle combine donc les enjeux liés au trans-
lement dans l’espace public et la forme port, ceux liés à l’intégration urbaine et ceux
urbaine. L’Apur évalue l’articulation entre les liés à la vie quotidienne.
projets urbains (projets Rive gauche et Rive Le groupement d’études a d’abord listé,
droite) et propose des scénarios d’organisa- analysé et classé plus d’une centaine d’actions
tion. en matière de transport, de développement
La nécessité de considérer les trois gares commercial ou d’aménagement pour en véri-
dans un système commun se précise. Le fier la cohérence d’ensemble. Une démarche
Conseil général de l’environnement et du déve- itérative entre transport et projet urbain s’est
loppement durable, dans son rapport n° 8010- engagée pour définir des scénarios d’aména-
02 de novembre 2013, identifie la nécessité gement. Le schéma directeur de l’intermoda-
d’une “anticipation de l’optimisation de l’in- lité pose les bases d’un dialogue entre acteurs
frastructure ferroviaire pour répondre aux permettant de penser simultanément la ville
besoins à long terme de l’exploitation ferro- et la mobilité.
viaire” et du “renforcement de l’intermodalité Il traite des aménagements modaux struc-
entre les trois gares Lyon-Bercy-Austerlitz, en turants :
lien avec les attentes des usagers des trans- – le socle piéton, essentiel, doit être un espace
ports et des quartiers avoisinants et les ambi- de circulation apaisé qui valorise les modes
tions d’intensification urbaine aux abords des actifs. L’extension des parvis des gares et leur
grandes gares parisiennes”. mise en continuité avec les espaces publics
En 2015, le Stif (Syndicat des transports doit permettre une perméabilité accrue entre
d’Île-de-France) confie au groupement Artelia- gares et quartiers (lisibilité des espaces au sein
Richez Associés-BG Ingénieurs Conseils des gares, fluidité des seuils de gare dans une
l’étude du schéma directeur de l’intermoda- relation de continuité avec l’espace public) ;
lité du secteur des gares du Sud-Est parisien. – le réseau cyclable doit permettre de propo-
Son objectif est le suivant : ser un maillage structurant cohérent avec les

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 77
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

projets de la ville de Paris ; il s’accompagne gare routière internationale et d’un établisse-


du déploiement de grandes capacités de sta- ment logistique urbain.
tionnement de vélos à proximité directe des Pour ce qui est des gares elles-mêmes, il
gares, mutualisables et offrant des services s’agit à la fois de faciliter les circulations, d’ap-
annexes ; porter du confort aux usagers, d’offrir des
– le réseau de bus joue un rôle structurant ; services et commerces attractifs et de gom-
son offre doit être renforcée, lisible, identi- mer les limites avec les quartiers voisins. “Il
fiable et regroupée dans des pôles situés autour faut rendre le parcours fluide pour ceux qui
des gares ; n’ont pas de temps à perdre, offrir des ser-
– les espaces dans les gares doivent être opti- vices utiles à ceux qui disposent d’une demi-
misés selon leurs fonctions (pôle central heure et enfin du plaisir pour d’autres à la
regroupant les fonctions supports, pôles péri- recherche d’une coupure, par exemple, entre
phériques dont l’accessibilité se fait en dehors leur vie professionnelle et personnelle”,
des secteurs de circulation denses ou déjà for- explique Patrick Ropert, directeur de SNCF
tement contraints, zones apaisées). Gares & Connexions. À la gare de Lyon,
OPÉRATIONS D’AMÉNAGEMENT. Le schéma Gares & Connexions prévoit une rénovation
directeur de l’intermodalité traite également de totale des espaces avec la création d’espaces de
la mise en cohérence des opérations d’amé- coworking, l’augmentation de la surface com-
nagement, voire de l’accélération de certains merciale et de l’offre de restauration… ; la
projets. Plusieurs opérations d’aménagement création d’une salle de spectacle y est même à
se situent en effet autour des gares du Sud- l’étude. La gare d’Austerlitz est également en
Est parisien. profonde rénovation pour répondre aux ambi-
Le nouveau quartier Paris Rive gauche, aux tions de la SNCF d’augmenter son trafic (pré-
abords de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, vision de doublement de son nombre de voya-
représente 130 hectares (dont 26 hectares de geurs d’ici à quinze ans) et aux enjeux liés
couverture des voies ferrées) de logements, aux projets urbains qui se développent à ses
bureaux, commerces, hôtels, équipements abords.
publics et espaces verts. Le secteur Austerlitz- SCHÉMA DIRECTEUR. Les aménagements
Gare, triangle de 13 hectares formant la porte modaux structurants, issus du schéma direc-
d’entrée ouest de Paris Rive gauche, devrait teur, articulent l’ensemble. Ils débutent à par-
devenir une “gare intégrée à la ville” : la gare tir des parvis des trois gares. Pour le pôle
alimentera le développement du quartier et d’Austerlitz, il s’agit d’accompagner le déve-
en conditionne la réussite future. loppement du projet de gare et de permettre
Rive droite, la restructuration de l’ensemble la complétude du maillage piéton, déjà forte-
Gamma (trois tours de bureaux construites ment ancré. Autour du pôle de la gare de
dans les années 1970) a démarré par l’arri- Lyon, il s’agit de faire émerger un socle piéton
vée d’un hôtel haut de gamme dans la tour lisible pour assurer la perméabilité de la gare
Gamma D. Le projet prévoit notamment un et la relier aux projets connexes (projets
lien direct entre la galerie commerciale de la urbains, de transport, d’apaisement global).
tour Gamma et le premier sous-sol commer- Autour du pôle de Bercy, il s’agit de conforter
cial de la gare de Lyon, directement dans la des itinéraires vers l’espace public pour mettre
salle d’échanges RER-métro (cette dernière en perspective les différentes fonctionnalités du
concentre près de 70 % des échanges dans la lieu (gare routière interurbaine) et inscrire la
gare). À Bercy, la ville de Paris propose, dans gare dans le quartier. Les trois échelles d’in-
le cadre du dossier de candidature JO 2024, tervention (la gare, le quartier limitrophe de
l’aménagement d’un aréna d’une capacité chaque gare et le tripôle, quartier des trois
comprise entre 7 000 et 8 000 places, d’une gares) sont ainsi mises en cohérence.

78 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
NICOLAS OUDIN ET JULIE BRANCHEREAU

LES GARES ROUTIÈRES AUSSI ÉVOLUENT


L’espace public entre ces trois pôles joue alors
un double rôle. L’amélioration des continuités
physiques et visuelles permet une optimisation
de l’intermodalité par la compréhension intui- es collectivités hésitent souvent à accueillir une gare routière, qu’elles perçoivent
tive des choix de déplacement proposés. Le trai-
tement global de cet espace permet le dévelop-
L comme une verrue dans le paysage, comme un espace inutilisable en dehors des
heures de pointe. Ce constat a poussé les opérateurs historiques de transport, dont la RATP,
pement d’autres usages, sans lien avec les gares. à s’interroger sur la transformation des modèles de conception des gares routières.
■ ■ Comme dans les gares ferroviaires, l’enjeu alors est de lier transport et besoins de la
Lieux de connexion par excellence, les gares vie quotidienne. L’intégration urbaine des gares passe par le traitement architectural,
tendent à devenir “des villes dans la ville”, d’une part, et par l’implantation de services adaptés qui facilitent la vie des usagers et
comme le soulignait le 24 juin 2015 Guillaume plus généralement du quartier, d’autre part. Il s’agit de construire des espaces publics
Pépy, président de la SNCF, lors de la présen- de grande capacité (pour l’accueil des bus et des flux de piétons) qui soient capables de
tation du programme de rénovation de la gare vivre sans les flux de voyageurs et de répondre aux besoins du quartier.
du Nord. Elles adaptent leur offre de services Pour que la gare routière devienne un élément de vie locale, le cabinet Vertone, en grou-
et deviennent des lieux de vie tant pour l’usa- pement avec Artelia et Richez Associés, a conçu un outil d’aide à la décision qui per-
ger que le touriste, l’homme d’affaires ou l’ha- met, à partir d’un diagnostic semi-automatisé de la gare et de son environnement, de
bitant du quartier qui y trouvent des lieux de déterminer les services, actuels et futurs, nécessaires aux voyageurs et à la vie locale.
shopping ou de services. D’une approche de Livraison de colis internet, petite restauration, journaux… sont parmi les services pro-
conception purement fonctionnelle, on est passé posés selon l’évolution attendue des flux en gare et le contexte du quartier. Utilisé dans
à un modèle de conception intégrant mobilité, une gare routière francilienne, cet outil a permis de définir le programme de la gare en
intégration urbaine et services répondant aux complément des besoins strictement fonctionnels liés au transport et des besoins d’in-
usages de la vie quotidienne. Ce changement tégration architecturaux et paysagers. Cet outil devrait permettre à la RATP de parfaire
touche l’ensemble des lieux d’échanges (gares ses analyses dans ses futures démarches de transformation des gares routières. La
routières, gares ferroviaires, aéroports…), à concertation à venir avec les villes et les partenaires pourra, sur les bases de cet outil,
toutes les échelles. ■ s’organiser de façon à consolider les programmes de conception des gares. ■

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 79
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Les gares du
Grand Paris Express
redessinent la métropole
STÉPHANIE JANKEL
Chef de projet Observatoire des quartiers de gare, Atelier parisien d’urbanisme
< stephanie.jankel@apur.org >

L’accessibilité du Grand Paris va, d’ici à une quinzaine d’années,


être profondément bouleversée par le développement du Grand
Paris Express. Est prévue la création de 68 nouvelles gares, qui
vont dessiner 68 nouveaux quartiers. Certaines d’entre elles vont
être surtout des lieux de transit, d’autres, des leviers du dévelop-
pement urbain, tandis que les dernières devraient devenir des lieux
de vie à part entière.

Projet de gare Noisy-Champs


(ligne 15 Sud) par Agence
Duthilleul et Arep
© Jean-Marie Duthilleul, société
du Grand Paris

80 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
STÉPHANIE JANKEL

e réseau de transport du Grand Aéroport et Massy-Palaiseau. Enfin, les gares

L Paris Express (RGPE) va, à l’hori-


zon 2030, transformer la desserte
et l’accessibilité de la future métro-
pole du Grand Paris. Est prévue la
création de 68 gares, réparties entre 4 nou-
velles lignes (15, 16, 17 et 18), et l’extension de
la ligne 14(1). Les 68 gares desserviront envi-
situées à proximité immédiate de pôles d’em-
ploi de première importance (Pont-de-Sèvres
ou Val-de-Fontenay), de lieux touristiques
majeurs tels que le château de Versailles et ses
sept millions de visiteurs annuels, ou bien
encore d’équipements majeurs tels que l’insti-
tut Gustave-Roussy, premier centre européen
ron 200 kilomètres de réseau presque entière- de lutte contre le cancer, accueilleront un grand
ment souterrain, à l’exception de la ligne 18, nombre de voyageurs.
qui sera construite en souterrain à 60 % et en La fonction de transit ne se limitera pas à
aérien à 40 %. La future ligne 18 sera en effet ces gares au trafic intense. En effet, l’ensemble
en viaduc sur le plateau de Saclay, de Palaiseau du réseau du Grand Paris Express sera hyper-
à Magny-les-Hameaux, sur environ 14 kilo- connecté : environ 80% des gares du RGPE
mètres. seront en interconnexion avec le réseau de
La Société du Grand Paris estime qu’envi- transport existant, complétant ainsi le maillage
ron deux millions de voyageurs emprunteront du territoire métropolitain. On pourra ainsi
chaque jour ce nouveau réseau. Par son tracé, distinguer :
les nouvelles connexions qu’il autorisera et sa – les pôles multimodaux très fréquentés et com-
vitesse de circulation, le RGPE permettra de portant une connexion entre deux lignes du
réduire considérablement les temps de trajet, Grand Paris, et d’autres modes de déplacement
notamment de banlieue à banlieue, avec des lourds (train, RER, métro ou tram Express) ;
lignes en rocade et des métros roulant de 55 à – les gares de maillage disposant au minimum
60 km/h (vitesse d’exploitation moyenne). Le d’une connexion entre le réseau du Grand Paris
chantier du métro a démarré depuis près de et le réseau ferré ;
deux ans, notamment le long de la future – les gares de mobilités de surface dont les flux
ligne 15 Sud, dont la mise en service est pré- de rabattement et de diffusion proviendront
vue pour 2022. majoritairement des modes de déplacement
L’impact des 68 nouvelles gares du Grand doux (marche à pied, vélo, trottinette et rol-
Paris Express sur leur environnement urbain lers…), et des transports de surface comme le
va être sensiblement différents selon les cas. bus ou le tramway.
Certaines vont être essentiellement des lieux LEVIERS DU DÉVELOPPEMENT URBAIN.
de transit, d’autres des leviers du développe- Certaines gares vont être des leviers pour l’amé-
ment urbain, tandis que les dernières devraient nagement et la transformation de nouveaux
devenir des lieux de vie à part entière (cf. quartiers et la création d’une métropole du
carte 1). Grand Paris polycentrique.
LIEUX DE TRANSIT. Certaines gares devien- Le réseau du Grand Paris Express va consi-
dront des lieux de transit, tant pour les habi- dérablement transformer le cœur de la métro-
tants de la métropole du Grand Paris que pour pole du Grand Paris en développant une acces-
les touristes et autres visiteurs de passage. Elles sibilité transversale, là où dominait jusqu’à
seront aussi fréquentées que les stations présent un système radial. Les 68 quartiers de
Châtelet-Les Halles ou La Défense aujour- gare vont être des secteurs privilégiés de déve-
d’hui. D’autres gares, desservant des aéroports loppement urbain.
ou des gares TGV, deviendront de véritables Une dizaine de grands sites de projets sont en
portes d’entrée sur la métropole pour les tou- cours dans la métropole. Ils représentent un
ristes du monde entier : Aéroport Charles-de- potentiel de 15 millions de mètres carrés déve-
Gaulle T2 et T4, Aéroport d’Orly, Le Bourget- loppés en fuseaux, articulés avec Paris (La

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 81
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Défense-Les Groues ; Saint-Ouen - Saint-Denis Société du Grand Paris sont situées dans un
articulé avec Paris Nord-Est élargi ; la Plaine de vaste secteur de projets en cours : Les
l’Ourcq ; Vitry-Les Ardoines articulé avec Paris Ardoines, Saint-Denis Pleyel, Pont-de-Sèvres,
Rive gauche et, en limite de la métropole, le Villejuif-IGR, le plateau de Saclay ou le
pôle de Roissy et le plateau de Saclay). Les 68 Triangle de Gonesse ou, dans une moindre
gares nouvelles ou renforcées du métro du mesure, Pont de Bondy, Bry-Villiers-
Grand Paris, en prenant appui sur des liens Champigny ou Clichy-Montfermeil. Elles
transversaux, peuvent modifier, voire boule- accompagnent alors la transformation
verser, ce développement. Elles vont desservir urbaine, voire la porte en partie.
des quartiers de toute nature : des centres Autour de la gare du RER C des Ardoines et
anciens déjà denses qui vont bénéficier de la de la future gare de la ligne 15 Sud du RGPE,
mise en réseau, de centralités renforcées dans les Zac des Ardoines et de la gare de Vitry pré-
leur rôle de hub ou de pôles d’emploi, mais voient à l’échéance de 2030 la création de plus
aussi de nouveaux quartiers à construire qui d’un million de mètres carrés de plancher sup-
seront à terme de nouvelles centralités du plémentaires, notamment dans un nouveau
Grand Paris. La Société du Grand Paris a quartier comportant deux tiers de bureaux et
esquissé une typologie de gares en fonction de de surfaces d’activité et un tiers de logements,
ces enjeux(2) (cf. carte 2). soit 3 000 nouveaux logements, autour de la
CENTRALITÉS RENFORCÉES. Y sont identifiées gare des Ardoines.
tout d’abord les gares qui viennent renforcer Autre exemple, la gare du Triangle de
une centralité existante. C’est le cas des gares Gonesse desservira un quartier qui est aujour-
de centre-ville, telles Champigny-Centre, d’hui un espace agricole. Y sont prévus un
Issy RER, Mairie-d’Aubervilliers ou Bois- aménagement de près de 280 hectares et la
Colombes. La gare prend alors place au cœur conservation d’un carré agricole de 400 hec-
d’un quartier constitué, souvent déjà dense, et tares. Sont envisagés un quartier d’affaires sur
vient renforcer la centralité existante. 103 hectares (pour 1,8 millions de m2 de sur-
C’est aussi le cas des gares qui desservent les face à construire), le complexe Europacity sur
aéroports d’Orly et de Roissy, ou bien encore 80 hectares (pour 620 000 m2 de surface à
des pôles d’emploi existants telles les gares de construire), un parc créatif de 70 hectares.
La Défense, Nanterre, Noisy-Champs. Dans Enfin, le cas de Clichy-Montfermeil est
ce dernier exemple, l’arrivée des lignes 15 Sud emblématique d’une autre série d’enjeux de
et 16 du RGPE, en plus du RER A et, à terme, rénovation urbaine : la nouvelle gare de la
de la ligne 11 du métro, devrait donner plus ligne 16, qui s’interconnectera au tramway T4,
de poids et de visibilité à la Cité Descartes, qui viendra créer une nouvelle centralité au cœur
couvre une large partie du quartier de gare et du programme de rénovation urbaine de
est d’ores et déjà un important pôle d’emplois Clichy-Montfermeil, au nord de la tour Utrillo
de l’Est parisien, avec un campus regroupant qui sera démolie pour construire à son empla-
de nombreux établissements d’enseignement cement une résidence d’artistes, à proximité
et de recherche. Noisy-Champs deviendra ainsi de la forêt de Bondy. Les habitants de ce quar-
un hub de la métropole et un pôle majeur du tier de gare bénéficieront alors d’une accessi-
cluster de la ville durable du contrat de déve- bilité nouvelle : ils seront à moins de quarante-
loppement territorial Cœur Descartes, notam- cinq minutes de transport en commun d’une
ment avec le lancement de la Zac de la Haute- grande partie des pôles d’emploi et d’ensei-
Maison qui prévoit la création de 100 000 m² gnement de la métropole du Grand Paris (et
supplémentaires de logements et bureaux. notamment de Paris dans sa presque totalité,
NOUVELLES CENTRALITÉS. Certaines des gares de Marne-la-Vallée, de la Plaine de France ou
de “nouvelle centralité” identifiées par la de Créteil).

82 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
STÉPHANIE JANKEL

L’OBSERVATOIRE
LIEUX DE VIE. Les gares du Grand Paris ont

DES QUARTIERS DE GARE


été conçues par la Société du Grand Paris
comme des infrastructures de transport, mais

DU GRAND PARIS
aussi comme des équipements publics locaux
pour les territoires qu’elles sont amenées à des-
servir. Par opposition aux gares de métro pari-
siennes, qui sont de simples stations donnant
accès à un métro qui s’est glissé sous l’espace Observatoire des quartiers de gare propose une “photographie”
public, les gares du Grand Paris Express sont
conçues comme de véritables “repères urbains”
L’ des quartiers de gare avant le démarrage du projet. Au fil des
années, il contribuera à apprécier comment l’arrivée de nouveaux trans-
entourés d’une place. Pour chaque gare, il y ports en commun est un facteur d’attractivité, d’équilibre des territoires,
aura un accès principal donnant sur un par- un levier pour tendre vers une densification urbaine autour des gares,
vis, organisé en fonction du contexte urbain mais aussi vers une requalification du tissu existant et une reconquête de
de la gare, avec des aménagements pour les l’espace public au profit de tous les modes de déplacement. Il montrera
piétons et les cyclistes, des espaces réservés au dans quelle mesure la gare est génératrice de centralités.
réseau de bus ainsi que des services pour les Cet observatoire est le fruit d’un partenariat entre la Société du Grand
usagers. Pour Philippe Yvin, président du direc- Paris (SGP), la direction régionale et interdépartementale de l’Équipe-
toire de la Société du Grand Paris, les places ment et de l’Aménagement (DRIEA) d’Île-de-France et l’Atelier parisien
des gares du Grand Paris doivent être traitées d’urbanisme (Apur), qui le met en œuvre. ■
“avec le souci d’en faire des lieux de rencontre,
des lieux d’échanges, des lieux de vie qui doi- http://www.apur.org/dataviz/observatoire_des_gares/index.html
vent renforcer la polycentralité de la métro-
pole par la qualité de ses aménagements(3).”
■ ■

68 GARES,
Ces 68 nouvelles gares seront des lieux de
vie et d’offre de services ouverts sur la ville

68 PROJETS ARCHITECTURAUX
autour. Leur conception vise à faciliter le quo-
tidien des usagers grâce à une offre de services
adaptés aux modes de vie contemporains :
commerces, mais aussi laboratoire d’analyses
médicales, point de livraison de colis, espace gares signifient aussi 68 bâtiments singuliers qui seront dessi-
de coworking… Selon la demande locale, les
gares pourront aussi accueillir des antennes
68 nés par 37 architectes contemporains. “Le nouveau métro contri-
buera à la construction du patrimoine métropolitain du XXIe siècle”, sou-
des services publics. Enfin, les 68 gares et leurs ligne Philippe Yvin, président du directoire de la Société du Grand Paris.
abords seront connectés, les tunnels du métro Neuf gares ont été désignées comme “emblématiques” en raison de
servant aussi à déployer la fibre optique. ■ l’importance de leur fréquentation et de leur rôle clé dans le développe-
ment des territoires qu’elles vont desservir. Il s’agit de Saint-Denis Pleyel
(lignes 14, 15, 16 et 17), Villejuif Institut Gustave-Roussy (lignes 14 et
(1) Cf. la carte interactive des futures lignes de métro du Grand 15 Sud), Noisy-Champs (ligne 15 Sud), Pont de Bondy (ligne 15 Est),
Paris Express. Nanterre La Folie (ligne 15 Ouest), Le Bourget RER (lignes 16 et 17),
https://www.societedugrandparis.fr/carte Clichy-Montfermeil (ligne 16), Parc des expositions (ligne 17) et les via-
(2) Les Places du Grand Paris, repères pour l’aménagement ducs et gares aériennes de la ligne 18. Certains projets sont d’ores et
des espaces publics autour des gares du Grand Paris Express, déjà connus(1). ■
Société du Grand Paris, 2015.
https://issuu.com/sgparis/docs/sgp_web_02?e=11997423/137 (1) À consulter sur le site de la Société du Grand Paris.
81741 https://www.societedugrandparis.fr/actualite/37-equipes-darchitectes-pour-
(3) Idem. realiser-le-grand-paris-express

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 83
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

DES DYNAMIQUES DE PROJETS CONFORTÉES PAR L’ARRIVÉE DU RGPE,


Carte 1

DES GARES PORTEUSES DE NOUVELLES CENTRALITÉS

84 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
STÉPHANIE JANKEL

TYPOLOGIE DES GARES


Carte 2

PAR NIVEAU DE CORRESPONDANCES À L’HORIZON 2030

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 85
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

À Plaine Commune, les


Abribus servent de
support à des itinéraires
de découverte touristique
VÉRONIQUE RICHET
Chargée de mission “développement touristique”,
établissement public territorial de Plaine Commune
< veronique.richet@plainecommune.com.fr >

À Plaine Commune, l’itinéraire des lignes de bus RATP 239 et 253 est
devenu un parcours de découverte invitant à mieux regarder les élé-
ments patrimoniaux, mais aussi à descendre du bus pour aller les
découvrir à pied. L’habillage des Abribus situés sur l’itinéraire est
l’une des actions phares menées pour faire connaître ce parcours. Une
action qui s’inscrit dans un programme global de valorisation du
patrimoine de l’agglomération, via notamment la signalétique.

«À
pied à cheval en voiture fonctionnel, ce réseau permet à tout un cha-
et en bateau à voiles”, cun de se rendre d’un point à un autre pour
dit le poète(1). Et pour- le travail, faire ses courses, pratiquer des loisirs,
quoi pas en bus ? L’Île- visiter des monuments, des musées, retrouver
de-France est dotée des amis… Mais que se passe-t-il durant ces
d’un important réseau de transport en com- trajets ? Quels sont ces territoires traversés et
mun : métro, RER, tramway, bus… D’abord qu’ont-ils à raconter ? Que regarder à travers

86 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
VÉRONIQUE RICHET

les fenêtres des bus ? Et pourquoi ne pas pro- teurs, de favoriser une appropriation valori-
fiter des moments d’attente pour s’informer sante par les habitants de leur environnement
et s’ouvrir à une nouvelle découverte ? C’est urbain.
pour répondre à ces questions que Plaine Les objectifs du plan de signalétique de
Commune a pris le parti d’utiliser l’itinéraire Plaine Commune sont ainsi définis :
de deux lignes de bus du réseau quotidien de – valoriser les richesses existantes ;
la RATP pour le transformer en parcours de – aider à l’identification des sites touristiques
découverte touristique. “secondaires” ;
Plaine Commune, intercommunalité située – distribuer la fréquentation touristique sur
aux portes de Paris, exerce la compétence tou- tout le territoire ;
risme depuis le début des années 2000 ; elle – développer le tourisme de proximité ;
met en œuvre une politique de valorisation – faciliter les déplacements des visiteurs ;
touristique et patrimoniale sur l’ensemble de – mettre en place des parcours thématiques.
son territoire, au-delà des sites phares que sont Ce plan de signalétique répond en outre à
la basilique de Saint-Denis, le Stade de France un enjeu d’image : donner une image cohé-
ou les Puces de Saint-Ouen. rente de l’ensemble des villes.
CONTINUITÉ. La mise en place d’un disposi- AXES COMPLÉMENTAIRES. S’appuyant sur les
tif de signalétique touristique irriguant l’en- recommandations de l’agence Le Troisième
semble du territoire s’inscrit dans la continuité Pôle mandatée pour réaliser une étude de fai-
des actions menées précédemment. Elle est sabilité et de programmation, Plaine
d’ailleurs inscrite dans le premier schéma tou- Commune retient en 2007 cinq axes complé-
ristique communautaire (2002-2006). La mentaires pour la mise en place de cette signa-
richesse et la diversité du patrimoine de Plaine létique touristique intercommunale :
Commune, tant au niveau culturel, archéolo- – l’identification des sites dans chacune des
gique qu’industriel, architectural, vert ou flu- villes de Plaine Commune ;
vial, sont alors peu lisibles pour les habitants – la réfection du parcours de signalétique exis-
ou les visiteurs. tant, “De saint Denis à Saint-Denis”, réalisé
Un travail de recensement mené au niveau en 1998. Ce parcours constitue un élément
intercommunal avait permis d’identifier plus structurant du territoire, bien identifié des
de 70 sites et monuments à signaler, répartis habitants, mais nécessite une réfection tech-
sur l’ensemble du territoire et parfois très éloi- nique ;
gnés les uns des autres. La réflexion sur la – la mise en place de points nodaux dans cer-
signalétique touristique s’appuie également tains endroits stratégiques du territoire afin
sur deux premiers dispositifs, mis en place à d’informer et d’orienter sur les sites de proxi-
Saint-Denis en 1998 à l’occasion de la mité immédiate ;
construction du Stade de France : – la création d’un nouveau parcours selon un
– le parcours “De saint Denis à Saint-Denis(2)” axe de transport. En suivant l’itinéraire d’un
constitué de vingt bornes de formes différentes bus de ville, dans le bus ou à pied, les visiteurs
reliant les deux sites touristiques majeurs que seront invités à apprendre l’histoire de Plaine
sont la basilique-cathédrale de Saint-Denis, Commune. À ce stade du projet, une seule
nécropole des rois de France, et le Stade de ligne de bus est pressentie ;
France ; – la découverte de l’histoire de l’habitat. Dans
– l’implantation de 60 bornes de dimension chaque ville, un quartier caractéristique d’une
plus réduite. époque de l’habitat est retenu.
L’ambition du projet de 1998 est alors de Pour financer la mise en œuvre ce plan,
faire découvrir l’histoire et l’identité de la ville Plaine Commune a obtenu différents finance-
auprès de tous les publics, habitants ou visi- ments européens, régionaux et départemen-

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

L’objectif est de proposer un discours ment à des édifices, comme l’Espace Paul-
Éluard, au cœur de cette cité-jardin.
d’interprétation pour découvrir La réfection du parcours historique “De
saint Denis à Saint-Denis” est réalisée en 2010-
les différentes facettes du territoire 2011, avec intégration de la traduction anglaise
des textes explicatifs. La brochure de présen-
(le site, ses paysages, son histoire) tation fait l’objet d’un travail régulier d’amé-
lioration afin de faciliter la découverte de la
le long d’un itinéraire facile à suivre, ville et de ses richesses. Ainsi, par exemple,
l’édition 2017 s’attache à mieux valoriser les
le trajet en bus. fouilles archéologiques de Saint-Denis, visibles
notamment au Musée d’art et d’histoire de
Saint-Denis.
taux, complémentaires de sa propre contri- Le travail sur la thématique de l’habitat, qui
bution (budget tourisme, direction du déve- traverse l’ensemble des villes, sera abordé dans
loppement économique, marché global de un temps futur, peut-être sous une forme dif-
mobilier urbain). férente de celle de la signalétique.
La première étape consiste à irriguer l’en- VOYAGE EN BUS. La réflexion sur la création
semble du territoire de bornes “Histoire de la d’un premier parcours épousant les lignes de
cité” de JCDecaux – le modèle de bornes transport est lancée en 2009, pour aboutir à
retenu est celui conçu en 1998 pour les une phase pratique de mise en œuvre entre
60 bornes installées à Saint-Denis. Ce sont 2014 et 2015. L’objectif de ce volet est de pro-
ainsi 70 bornes touristiques qui sont progres- poser un discours d’interprétation pour décou-
sivement déployées aux abords de sites d’in- vrir les différentes facettes du territoire (le site,
térêt patrimonial sur l’ensemble des huit villes ses paysages, son histoire) le long d’un itiné-
: Aubervilliers, La Courneuve, Épinay-sur- raire facile à suivre, le trajet en bus. Le dis-
Seine, L’Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, cours d’interprétation s’adresse :
Stains et Villetaneuse, et de manière complé- – aux usagers “habituels” du bus. L‘objectif
mentaire à Saint-Denis. Saint-Ouen ne faisait est de leur signaler qu’ils passent à proximité
à l’époque pas partie de la communauté d’ag- d’un site intéressant, d’un patrimoine à décou-
glomération et disposait d’un autre réseau de vrir, d’une promenade à proximité ;
bornes touristiques. – aux visiteurs “touristiques”. Ils sont invités
Parallèlement, une vingtaine de panneaux à descendre du bus, à se promener, à remon-
nodaux sont conçus selon une charte gra- ter, à redescendre… La mixité des moyens de
phique spécifique. L’objectif de ces panneaux déplacement (en bus et à pied) permet d’op-
est d’informer et d’orienter sur les sites signa- timiser la découverte et l’exploration d’une
lés, à l’aide de textes, plans, photos. Ces pan- partie du territoire ;
neaux sont installés devant chaque hôtel de – aux piétons dont le cheminement passe à
ville, en sortie de gare RER ou SNCF, ainsi proximité des Abribus.
que sur certains sites spécifiques. C’est ainsi En accord avec la RATP, deux lignes de bus
que l’on peut découvrir la cité-jardin de Stains ayant un tronçon commun sont finalement
grâce à un panneau présentant l’histoire et le choisies pour mettre en place ce dispositif expé-
plan de ce quartier remarquable de logement rimental : les lignes 239 et 253. Elles traver-
social des années 1930 – site sur lequel nous sent quatre villes et desservent des sites majeurs
menons depuis 2004 un important travail de et d’autres moins connus. Le dispositif retenu,
valorisation touristique. Ce panneau nodal tenant compte des préconisations techniques
complète les bornes associées plus spécifique- et graphiques du cabinet DPI Design (man-

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VÉRONIQUE RICHET

daté pour une mission d’assistance à la créa- de la “cité des 4 000” de La Courneuve…) ;
tion), s’appuie sur trois éléments visuels : – des sites de promenade tels le canal Saint-
– l’installation sur le toit des Abribus d’un Denis, le parc de la Légion d’honneur ;
cube avec un fléchage pointant l’abri et per- – et, bien sûr, les deux points d’accueil de l’of-
mettant de le repérer de loin ; fice de tourisme Plaine Commune Grand Paris.
– un “adhésivage” de l’intérieur de l’Abribus, Le choix des abris s’est effectué en raison
avec un nuage de mots invitant à la décou- de la proximité des sites touristiques et patri-
verte ; moniaux, mais également en raison des flux
– l’utilisation du dos des cadres horaires des de passage. C’est notamment le cas pour deux
abris pour installer un panneau informatif sur Abribus en sortie de la gare RER La Plaine-
le quartier, les sites, les promenades et temps Stade de France qui informent alors sur l’his-
de parcours de découverte à pied. toire de ce quartier et renvoient sur des pro-
La charte graphique de ces éléments reprend menades, le Stade de France étant à 10 minutes
les codes couleur et la charte graphique de à pied et desservi par un autre arrêt spécifique
Plaine Commune et du mobilier de signalé- Plaine Commune et les villes auraient sou-
tique touristique déjà implanté. Tous ces élé- haité valoriser davantage de sites via les arrêts
ments ont été imprimés, réalisés, installés par de bus, mais cela n’a pas été possible du fait de
JCDecaux sur la base des visuels fournis par l’absence d’Abribus en certains lieux (poteaux
DPI Design et le cabinet Cinq et un sens pour d’arrêt de bus, d’abris gérés par un autre inter-
la cartographie. Le choix des sites à valoriser, venant que JCDecaux (site des Entrepôts et
les textes, les plans ont été réalisés par la mis- Magasins généraux de Paris).
sion tourisme et patrimoine de Plaine DÉLAIS. Plusieurs années ont été nécessaires
Commune, en étroit partenariat avec les villes entre le moment où la mission d’assistance à la
concernées et la direction de la communica- réalisation a été lancée (2009), celui où les élé-
tion et des partenariats culturels de Plaine ments visuels ont été posés sur les Abribus
Commune. (juin 2015) et celui enfin où le livret d’ac-
La ville de La Courneuve s’est saisie du pro- compagnement a été publié (septembre 2015).
jet de manière plus participative en associant Ces délais de réalisation sont liés à plusieurs
les habitants (maison de quartier, maison de facteurs :
retraite) au choix des sites à valoriser ainsi – le changement de parcours des lignes de bus,
qu’au contenu rédactionnel. qui a impliqué la révision du choix des abris à
Au total, ce sont 21 Abribus qui ont été habiller, des sites à valoriser (initialement ces
habillés, renvoyant sur une vingtaine de sites. lignes de bus ne desservaient que trois villes, et
On compte parmi eux : non quatre comme c’est le cas actuellement) ;
– des sites touristiques majeurs, comme le Stade – le changement de charte graphique et de logo
de France, la basilique de Saint-Denis, le Musée de Plaine Commune, qui a nécessité d’adap-
d’art et d’histoire et différents éléments du centre ter la proposition graphique de DPI Design ;
historique de Saint-Denis ; – les aménagements urbains et autres chan-
– des sites moins connus, comme les Entrepôts tiers sur le parcours qui ont pu freiner le pro-
et Magasins généraux de Paris, situés sur les jet ;
villes d’Aubervilliers et de Saint-Denis ; – le travail partenarial de coconstruction du
– des éléments de l’histoire industrielle et projet avec les différents acteurs et prestataires
ouvrière (la “petite Espagne” à Saint-Denis, (la RATP, JCDecaux, DPI Design, Cinq et un
l’histoire et l’architecture industrielle de La sens) ;
Courneuve) ; – la concertation avec les villes et les services
– des éléments de patrimoine relatifs au loge- de Plaine Commune (direction de la voirie,
ment social (la cité-jardin de Stains, l’histoire atelier cartographique, direction de la com-

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

munication et des partenariats culturels, mis- lien avec le “pass tourisme”, qui permet des
sion tourisme) pour les contenus, éléments réductions tarifaires dans les trois grands sites
techniques et graphiques. situés sur cet itinéraire : la basilique de Saint-
Le projet ayant marqué un temps d’arrêt en Denis, le Musée d’art et d’histoire et le Stade
raison notamment du changement d’itinéraire de France.
des lignes de bus, il a fallu mobiliser par deux Depuis la mise en place de cette signalétique
fois les différents partenaires du projet. le long de la ligne de bus, deux visites ont été
COMMUNICATION. De même que le parcours organisées, une sur l’itinéraire complet et une
historique “De saint Denis à Saint-Denis” fait sur une partie de l’itinéraire, lors de l’inaugu-
l’objet d’édition d’un plan guide, il nous a paru ration par la ville de Stains.
indispensable d’éditer un document d’infor- Ce dispositif, expérimental à Plaine
mation et de communication sur les lignes de Commune, ne pose pas de problème technique.
bus “découverte”. Plaine Commune étant L’entretien et le nettoyage sont assurés par
labellisée “Ville d’art et d’histoire”, nous nous JCDecaux ; en cas de dégradation, l’adhési-
sommes saisis de la ligne éditoriale du label vage ou les visuels sont facilement rempla-
pour proposer un livret “parcours” présen- çables. Le discours d’interprétation proposé
tant l’itinéraire de découverte en bus(3). Il a été peut-être modifié, le visuel principal étant
édité à 4 000 exemplaires et était disponible imprimé sur support papier.
pour les Journées du patrimoine européen de
2015. ■ ■
“Le véritable voyage de découverte ne Pour les années à venir, nous envisageons
consiste pas à chercher de nouveaux paysages, de davantage animer et valoriser cet itinéraire,
mais à avoir de nouveaux yeux(4)” : telle est la en lien notamment avec l’installation pro-
citation en exergue de ce document. Le livret gressive du campus Condorcet, où il est prévu
est là pour aider à la préparation de la pro- d’accueillir 12 500 étudiants, enseignants, cher-
menade, puis au suivi de l’itinéraire : choisir où cheurs, administratifs. Ce dispositif de signa-
descendre pour visiter les sites sélectionnés ; létique touristique représente un bel outil pour
faire telle ou telle promenade à pied ; savoir accueillir ces nouveaux arrivants et les inviter
où reprendre le bus… Chaque page corres- à la découverte du quartier, du territoire. Les
pond à un arrêt de bus habillé, où sont données aménagements urbains autour de ce quartier
des informations plus précises sur ce qu’il y a permettront sans doute une extension du dis-
à découvrir à proximité et comment s’y rendre. positif à d’autres Abribus. ■
Ce livret est bilingue (français-anglais) et pré-
sente, en dernières pages, le plan des lignes des
bus 239 et 253 avec les arrêts habillés, les coor-
données des différents sites touristiques et
points d’accueil touristiques.
La communication sur ce dispositif s’est
effectuée de différentes manières :
– au sein des bus des lignes concernées, via un
affichage ponctuel (format A4) cosigné par la (1) Jacques PRÉVERT, En sortant de l’école.
RATP (série “Nous aimons, nous participons”) (2) Nicole RODRIGUES, “De saint Denis à Saint-Denis. Un parcours
et Plaine Commune ; dans la ville”, Signalisation et signalétique touristique, coll.
– par la presse locale, par l’office de tourisme “Cahier Espaces”, n° 63, éd. Espaces, novembre 1999.
Plaine Commune Grand Paris ; (3)
– par la diffusion du livret Parcours Ligne http://www.vpah.culture.fr/villes/pdf/plaine_parcours_2016.pdf
Découverte bus 239 et 253, notamment en (4) Marcel PROUST, À la recherche du temps perdu.

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VÉRONIQUE RICHET

© Plaine Commune
© MatthieuRondel/Plaine Commun

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

La station RATP :
un lieu de transit,
mais aussi un espace
vivant et accueillant !
INTERVIEW DE FRANCK AVICE
Directeur chargé des services, de la relation clients et des espaces • RATP

Faire des stations et gares de la RATP des lieux vivants et utiles


dans lesquels les voyageurs se sentent bien, telle est l’ambition
de la RATP. Cela passe par de nombreux programmes d’aménage-
ment et de développement qui visent la qualité des espaces eux-
mêmes, la qualité de l’information sur le trafic et sur le réseau, la
possibilité de connexion à la téléphonie mobile et au wi-fi, le
déploiement d’animations et de services… Il s’agit là d’un vaste
chantier, sans cesse réinventé, qui se heurte à des contraintes
majeures : l’étendue du réseau (303 stations et 65 gares) et l’im-
portance des flux (7 millions de voyageurs quotidiens sur le seul
réseau ferré).

92 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
FRANCK AVICE

a vocation de la RATP est de don- gares routières. Le but est d’améliorer la lisi-

L ner accès à la ville via les transports


en commun. Outre la qualité du
transport lui-même (sécurité,
confort, régularité…), sa préoccu-
pation est la qualité de l’expérience du voya-
geur, ce qui passe par l’information, la
connexion (téléphonie mobile, internet…), la
bilité de l’offre de services de la RATP.
ACCUEIL ET INFORMATION. Le programme
RATP Services, lancé il y a plusieurs années
déjà, vise à faire des 5 000 agents de la RATP
en contact avec les clients dans les stations
des agents pro-actifs à la disposition des voya-
geurs – et ce partout, et pas seulement dans
vie des stations et les services que les voyageurs les bureaux de vente. Les agents doivent cher-
peuvent y trouver. Le réseau ferré de la RATP cher à devancer les besoins des voyageurs,
accueille 7 millions de voyageurs par jour, celui notamment de ceux qui semblent un peu “per-
des bus et tramways, 4 millions : cela repré- dus” : ceux qui font des recherches devant un
sente un flux de voyageurs important, avec des plan ; ceux qui ont des difficultés avec les
attentes et des besoins très diversifiés. appareils de distribution automatique ; ceux
QUALITÉ DES ESPACES. Un point essentiel qui ont des difficultés à franchir les péages
pour tous les usagers du réseau est l’ambiance parce qu’ils sont encombrés de valises… Les
et la qualité des espaces. Le réseau de la RATP agents sont dotés de tablettes numériques afin
est centenaire. Il a été conçu et bâti essentiel- d’avoir accès en tout point de la station à l’en-
lement au début du XXe siècle, avec des prio- semble des informations leur permettant de
rités qui n’étaient pas forcément celles d’au- répondre aux questions de voyageurs.
jourd’hui. Il a vieilli et nécessite un très vaste Pour améliorer ce service, nous avons testé
programme de rénovation. Mis en place il y a au cours de l’été 2016 la traduction simulta-
quinze ans, le programme Renouveau du née via ces tablettes numériques : le touriste
métro a pour objectif de rénover l’ensemble étranger pose une question dans sa langue
des stations du métro. La dernière station maternelle ; la question s’affiche sur la tablette
rénovée à ce jour est la station Assemblée- dans la langue d’origine et est traduite en fran-
Nationale. La RATP vient d’inaugurer la nou- çais ; l’agent répond en français à son inter-
velle station Concorde, dont la rénovation a locuteur et le logiciel fait la traduction simul-
nécessité un programme très lourd de travaux. tanée. Les tests ont été satisfaisants. Nous
Ce programme de rénovation sera terminé à généraliserons cet outil sur l’ensemble du
l’horizon 2020 sur l’ensemble du réseau du réseau lorsqu’il sera bien au point.
métro. Nous lançons actuellement la réno- Pour les personnes qui ont du mal à se repé-
vation des gares du RER, qui ont quarante rer dans le réseau RATP, notamment les tou-
ans et sont parfois assez dégradées. Par ristes, nous avons créé l’application “Next
ailleurs, nous consacrons un budget impor- Stop Paris” (elle remplace l’ancien programme
tant au nettoyage du réseau pour essayer de “Visitez Paris en métro”). Cette application,
maintenir les stations propres en permanence, qui permet de faire de la recherche d’itiné-
ce qui est un défi important compte tenu de raires, donne également des informations sur
leur forte fréquentation. les lieux touristiques de l’Île-de-France.
Le programme Traits d’union, lancé en Disponible en dix langues, elle permet de ren-
2014 et achevé fin 2016, a permis de renou- seigner les touristes dans leur langue mater-
veler l’habillage de l’ensemble des stations du nelle et s’utilise off line (à partir du moment
réseau. Son objectif est de permettre aux voya- où il a téléchargé l’application, le voyageur
geurs de bien identifier les points de vente et peut l’utiliser n’importe où sur le réseau, même
les points d’information, avec une signalé- sans connexion). C’est un outil très utile,
tique cohérente dans l’ensemble des 368 sta- notamment pour les voyageurs occasionnels,
tions du réseau ferré RATP, mais aussi dans les et le succès qu’il rencontre l’atteste : l’appli-

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

En matière d’information, applications ou l’affichage. Par exemple, nous


installons à la sortie des stations de métro des
notre préoccupation majeure est de écrans qui donnent le temps d’attente pour
les bus en surface. Progressivement, nous
donner des informations immédiates et allons plus loin encore en donnant des infor-
mations sur l’offre de transport porte à porte,
fiables en cas de perturbations. c’est-à-dire au-delà du réseau RATP. Nous
travaillons sur des développements pour pro-
poser des informations sur les modes de trans-
port complémentaires du réseau RATP, tels
Vélib, Autolib, les taxis, les voitures de trans-
port avec chauffeur (VTC) ou l’autopartage.
GUIDAGE. Nous développons aussi le gui-
cation a été téléchargée plus de 2 millions de dage dans l’enceinte du réseau afin de facili-
fois depuis son lancement, il y a maintenant ter l’usage des transports en commun aux per-
deux ans. De son côté, l’application “RATP”, sonnes en situation de handicap : les personnes
destinée aux voyageurs réguliers, a été télé- à mobilité réduite sur les lignes accessibles
chargée 2,5 millions de fois. Tous les jours (actuellement RER et ligne 14), mais aussi
nous y enregistrons environ 1,5 millions de toutes les autres personnes qui ont des diffi-
recherche d’itinéraires. cultés sensorielles ou cognitives, permanentes
Pour compléter ces dispositifs d’informa- ou occasionnelles. Grâce au programme de
tion, nous avons installé de nouveaux équi- formation S3A, les agents acquièrent des com-
pements dans les stations, tels les 300 écrans pétences leur permettant d’aider les personnes
qui donnent l’information sur les prochains ayant des difficultés de compréhension et
passages et sur les perturbations du trafic… d’utilisation des transports. Cette formation
Nous installons également dans les stations est sanctionnée par une certification.
des écrans interactifs tactiles qui permettent Par ailleurs, nous procédons à la mise en
une recherche multimodale d’itinéraires ainsi place de solutions de guidage indoor fondées
qu’un accès aux informations pratiques du sur la localisation des téléphones des per-
quartier de la station, y compris les commerces sonnes dans le réseau. Là aussi nous lançons
et les hôtels (technologie Zenway). On les des expérimentations. Nous n’en sommes
trouve actuellement dans les stations Charles- encore qu’au stade de l’expérimentation et,
de-Gaulle - Étoile et Gare de Lyon. À terme, bien que ce soit compliqué sur le plan tech-
ces écrans Zenway seront déployés dans les nique, nous serons en mesure de proposer ce
stations les plus touristiques, pour faciliter service dans les mois qui viennent.
l’orientation des touristes notamment. CONNEXION. Pour offrir aux voyageurs une
En matière d’information des voyageurs, connexion constante, nous déployons la
notre préoccupation majeure est de donner 3G/4G dans tout le réseau (dans les stations
des informations sur l’ensemble des modes et dans les trains). Nous développons égale-
de transport de la RATP (métro, RER, tram- ment des points Connect, mobilier qui per-
way, bus) et sur les liaisons entre ces diffé- met aux personnes de s’asseoir, de recharger
rents modes, afin qu’il y ait un continuum leur smartphone ou leur tablette et d’avoir
d’information entre les réseaux de surface et accès au wi-fi (accès totalement ouvert, illi-
le réseau ferré. Cela fait partie intégrante de mité et gratuit pendant vingt minutes). Ces
notre politique de simplification de la vie des points de connexion sont dans un premier
voyageurs et concerne tant l’information don- temps développés dans les stations de métro
née par les agents que celle donnée via les et de RER les plus touristiques : Gare de Lyon,

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FRANCK AVICE

Gare du Nord, CDG-Étoile, Saint-Lazare, notamment aux heures de pointe, sont pres-
Porte Maillot, Chaussée d’Antin, Gallieni sés, voire stressés. C’est le cas notamment des
(dans la zone accès Eurolines)… Ce service voyageurs dits pendulaires, qui font des dépla-
est également proposé dans les bus qui des- cements quotidiens entre leur domicile et leur
servent les aéroports, afin d’offrir aux passa- lieu de travail. Si ces voyageurs veulent trou-
gers l’accès à toutes les informations utiles ver sur leur chemin les services dont ils ont
sur les différentes possibilités de déplacement besoin, ils veulent aussi rester le moins long-
sur le réseau et sur toute la gamme tarifaire temps possible dans les transports.
dès leur arrivée à Paris. Nous compléterons ANIMATIONS. Nous souhaitons aussi per-
le dispositif par la suite dans d’autres stations mettre aux clients et aux voyageurs de dis-
du réseau. poser d’espaces et de temps de respiration sur
COMMERCES. Notre ambition est que les sta- le réseau. La politique culturelle de la RATP
tions de la RATP soient de véritables lieux de fait partie intégrante de sa politique d’accueil
vie. Pour cela, l’offre commerciale joue un et d’amélioration de la qualité de service sur
rôle important. La présence de commerces le réseau. L’objectif affiché est de permettre
dans les stations est d’ailleurs une vieille his- aux voyageurs de profiter de leurs déplace-
toire : la première convention pour l’installa- ments pour faire des découvertes et, ainsi,
tion de boutiques dans les stations a été signée agrémenter leur trajet. L’accréditation de musi-
avec Hachette en 1900, à l’ouverture de la ciens, grâce à laquelle ils ont le droit de se
ligne 1. produire dans certains espaces du réseau, est
Aujourd’hui, on compte quelque 500 bou- la plus ancienne, et la plus connue, de nos
tiques et commerces dans le réseau, avec une actions en faveur de la culture.
offre diversifiée qui inclut des domaines aussi Par ailleurs, nous présentons dans les sta-
divers que la santé (pharmacies, cabinets den- tions des informations d’ordre historique et
taires, laboratoires d’analyses médicales…) culturel (l’histoire de la ville et des stations,
ou le bien-être (salons de coiffure, salles de les grands événements qui ont pu marquer
sport). Depuis quelques années, nous obser- Paris ou la région Île-de-France…). Ce pro-
vons une montée en gamme des demandes gramme d’information culturelle est renforcé
d’installation, avec l’arrivée de grandes dans certaines stations “à thème” : la station
enseignes. Marks and Spencer, par exemple, Léo-Lagrange, sur la ligne 7, est thématisée
a choisi d’ouvrir un food store dans la gare sur le sport et des animations sportives y sont
de La Défense, puis un autre à la station proposées ; la station Assemblée-Nationale
Châtelet. Ce qui intéresse les enseignes qui est thématisée sur la vie du Parlement (infor-
nous sollicitent, ce sont évidemment les flux : mations en direct sur ce qui se passe au sein de
la station Châtelet, par exemple, accueille l’Assemblée) ; la station Louvre-Rivoli, qui
180 000 personnes par jour ! vient de rouvrir après un lourd programme
Si l’implantation dans le métro est attrac- de rénovation, présente des reproductions
tive pour les enseignes, les conditions d’ex- d’œuvres exposées au musée du Louvre
ploitation y sont très contraignantes. Les (écrans vidéo, vitrines…). Dans un autre
espaces sont moins grands, l’acheminement registre, chacune des stations de la ligne 14
des marchandises plus compliqué. Il faut ima- accueille une œuvre d’art monumentale.
giner des configurations qui s’adaptent aux L’action que nous menons en faveur de la pho-
flux, avec des concepts de boutiques qui pren- tographie depuis quelques années marche éga-
nent en compte les comportements très lement très bien, avec un programme régu-
variables selon les heures et les types de voya- lier d’expositions de photographes de renom.
geurs. Tandis que certains voyageurs pren- Nous organisons aussi des événements et
nent leur temps dans les boutiques, d’autres, des animations (concerts, ateliers de danse,

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

© RATP - Jean François Mauboussin


Point Connect
Le réseau RATP est extrêmement vaste.
Déployer un service uniforme sur l’ensemble
du réseau demande beaucoup de temps.
Mettre en place de nouveaux équipements,
cela veut dire le faire dans les quelque 370
gares et stations du réseau, alors que nous
n’interrompons pas le trafic (les travaux se
font uniquement la nuit). Il aura fallu plus de
quinze ans pour rénover l’ensemble des sta-
tions du métro ; la rénovation des stations du
RER se fera aussi sur plusieurs années.
Nous avons lancé un grand nombre de pro-
grammes pour tirer parti de la transforma-
tion numérique, qui ouvre des possibilités très
importantes dans le développement des ser-
vices. Dans un monde où les clients ont de
plus en plus accès à l’information par inter-
net, il nous faut remettre l’ouvrage sur le
métier en permanence : revisiter sans cesse les
métiers et permettre à notre personnel d’adap-
ter ses pratiques professionnelles en fonction
de l’évolution des modes de vie et des attentes
animations sportives…). Dans la station des voyageurs. Car nous avons fait le choix
Auber, par exemple, sont proposées réguliè- de maintenir la présence des agents dans les
rement des animations sportives pour décou- stations et dans les gares. Nous sommes
vrir des pratiques, comme le rugby. La plu- convaincus, en effet, que rien ne vaut le
part de ces animations séduisent un public contact humain pour maintenir un bon niveau
qui s’arrête un moment pour regarder, voire de service. Notons que ce choix n’est pas par-
participer. Certains voyageurs viennent même tagé par tous les réseaux de transport : dans
exprès pour ces animations qui sont relayées plusieurs villes d’Allemagne, par exemple, il
par une politique de communication ad hoc. n’y a plus d’agents dans les gares de chemin de
Enfin, le réseau dispose d’une réserve de lieux fer.
qui peuvent être mobilisés pour des exposi- Pour stimuler cette offre de services, nous
tions temporaires ou des opérations com- tenons compte des attentes des voyageurs.
merciales. C’est régulièrement le cas à la sta- Nous avons lancé à cet effet un appel à idées
tion Auber et à la station Miromesnil, sur la auprès des Franciliens au cours de l’année
ligne 9. 2016. Nous avons recueilli 2 211 suggestions
■ ■ pour de nouveaux services ou commerces que
Ainsi, nous menons depuis plusieurs années le réseau RATP pourrait proposer. Notre jury
de vastes chantiers pour que les stations soient en a retenu 15 ; elles sont actuellement sou-
des lieux de vie. Mais que l’on ne s’y trompe mises au vote des voyageurs pour n’en retenir
pas : une station RATP est d’abord un lieu de que 3 à 5 qui seront mises en œuvre.
transit. Contrairement à une gare SNCF ou Améliorer la qualité de services avec des
à un aéroport, on n’y arrive pas une demi- hommes et pour des hommes, tel est le credo
heure à l’avance pour prendre un train ou un de la RATP !
avion. Une station RATP n’est pas une zone
d’attente, c’est une zone de flux. PROPOS RECUEILLIS PAR CLAUDINE DESVIGNES

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FRANCK AVICE

© RATP - Jean François Mauboussin © RATP - Bruno Marguerite

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Exposition “La RATP invite Richard Avedon” à la station Saint-Michel Les “Jeudis danse”

97
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Commerces et services
dans les zones de flux
Un marché d’avenir
CÉCILE DESCLOS
Directrice du pôle agroalimentaire-distribution-luxe
Les Échos Études
< cdesclos@lesechos.fr >

Les zones de flux (gares, autoroutes, aéroports) sont marquées


depuis quelques années par un fort développement du commerce
et de la restauration. De nombreux programmes de rénovation,
d’agrandissement ou de création y sont en cours actuellement,
avec la volonté des donneurs d’ordre d’accroître la surface com-
merciale et de rendre ces espaces plus attractifs pour les marques
et les enseignes. Du côté des enseignes, on note un intérêt gran-
dissant pour les zones de flux. Alors que, il y a encore cinq ans,
certaines enseignes exprimaient une réticence à s’installer dans
ces zones du fait des contraintes imposées et de l’image encore
négative renvoyée par ces lieux, elles intègrent désormais les zones
de flux dans leur stratégie commerciale globale. Toutefois, cer-
taines zones s’avèrent plus attractives que d’autres(*).

98 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
CÉCILE DESCLOS

es zones de transit sont devenues bution alimentaire. Elles le sont moins pour les

L
(*) Cet article reprend de
des zones très attractives pour les enseignes spécialisées qui ne parviennent pas larges extraits de la
marques et les enseignes. Les grands encore à s’exprimer dans des corners jugés trop synthèse de : Cécile
chantiers s’y succèdent, avec à la clé petits et mal adaptés à leur concept. DESCLOS, Commerces &
de nouvelles surfaces commerciales ; Aujourd’hui, les enseignes sont plutôt en phase services dans les zones de
les travaux sont aussi l’occasion de renouveler de test qu’en déploiement sur ces zones. Ainsi flux (gares, autoroutes,
l’offre en commerce et en restauration, avec certaines grandes enseignes (Décathlon, Fnac) aéroports). Quelles
une réelle volonté d’élargir le choix pour le ont préféré renoncer pour le moment à leur stratégies gagnantes,
consommateur. On note un vrai progrès dans implantation sur autoroute, après une présence Les Échos Études, février
l’aménagement et la modernisation des espaces, en test dans des corners. 2016.
ce qui donne envie aux enseignes de s’y implan- ENSEIGNES RENOMMÉES. Sur toutes les zones
ter, d’autant que la promesse d’un flux de voya- de flux, on observe une volonté très forte de la
geurs en constante augmentation est un argu- part des donneurs d’ordre pour privilégier les
ment de poids. marques nationales, présentes dans les centres
Les enseignes ont intégré les zones de flux commerciaux et les centres-villes, au détriment
dans leur stratégie et compris l’intérêt de ces des enseignes développées par les grands acteurs
emplacements en matière de visibilité et de noto- spécialistes des zones de flux (Elior, Autogrill,
riété. Le rapport de force entre enseignes et LS Travel Retail, SSP…). Les raisons invoquées
donneurs d’ordre s’inverse : ainsi pour la gare par les acteurs du secteur sont les suivantes :
Saint-Lazare, le nombre d’enseignes candidates – intégrer des enseignes correspondant à la ten-
était largement supérieur au nombre d’empla- dance du moment permet de donner une
cements disponibles. Pour les aéroports, les meilleure image de la zone de flux ;
enseignes sont intéressées mais doivent trou- – les enseignes renommées constituent un gage
ver le modèle économique qui leur permet d’être de qualité au niveau des concepts et de la tenue
rentable malgré des contraintes très fortes des points de vente, qui sera moins facile à tenir
(amplitudes horaires, notamment). dans le temps avec des indépendants ;
Cependant, malgré le développement du mar- – pour le consommateur, c’est un gage de réas-
ché des commerces et services, l’activité com- surance. Il connaît ces enseignes, ces marques,
merciale reste concentrée sur quelques sites : leur offre, leur niveau de qualité. En restaura-
les grandes gares SNCF parisiennes, le métro tion, il sait combien de temps il devra consa-
parisien, les aéroports de Paris… Les zones de crer à sa pause déjeuner par exemple ;
flux en province sont nettement moins pour- – cela signifie également plus de services pour
vues en commerces. Leur essor dépend avant le consommateur (utilisation de sa carte de fidé-
tout de la croissance du trafic de voyageurs. lité, service après-vente de l’enseigne, conseils,
L’activité commerciale est mieux répartie sur possibilité de retourner le produit dans un
le réseau autoroutier, du fait de l’obligation magasin de centre-ville…) ;
faite aux sociétés d’autoroutes de proposer – les grandes enseignes font de meilleures per-
une boutique auprès de chaque station-service. formances commerciales que les indépendants,
Les stations de métro sont un peu moins et les donneurs d’ordre constatent un vrai bond
attractives du fait d’espaces très restreints et de en avant du ratio chiffre d’affaires par mètre
difficultés logistiques. Toutefois, ce sont des carré avec l’arrivée des enseignes et des marques
zones intéressantes pour des concepts bien en zone de flux.
adaptés, et l’arrivée du numérique devrait per- Pour toutes ces raisons, il y a un mouvement
mettre de dépasser certains des obstacles dus très net dans les zones de flux vers les enseignes
à la taille réduite des emplacements. de centre-ville, au détriment des enseignes créées
Enfin, les stations d’autoroutes sont très par les spécialistes du secteur. Si les spécialistes
attractives pour les enseignes de grande distri- du travel retail conservent leur position de lea-

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 99
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

D’une façon générale, les zones de flux en 2014. À l’horizon 2020, les perspectives de
croissance sont bonnes sur toutes les zones de
restent réservées à des enseignes transit ; elles sont très fortes pour le commerce
aéroportuaire et le commerce en gares SNCF.
ayant la capacité de dépasser Le commerce aéroportuaire représente un
chiffre d’affaires estimé à 2,6 milliards d’euros
les contraintes fortes de ces lieux. en France, dont 1,7 milliard réalisé au sein des
aéroports parisiens. La surface commerciale
très importante à Roissy, la présence massive
des marques de luxe et le profil des passagers
der grâce à leur compétence et à leur maîtrise expliquent le poids d’ADP (Aéroports de Paris)
des contraintes fortes pesant sur ces zones, l’en- dans le commerce aéroportuaire en France.
jeu pour eux est désormais de savoir détecter Toutefois, les grands travaux lancés dans les
les enseignes françaises ou étrangères qui ont aéroports de province devraient contribuer à
un fort potentiel et de les intégrer dans leur augmenter les revenus commerciaux de ces der-
panel, plutôt que de développer leurs propres niers.
concepts. Les prévisions concernant la croissance du
D’une façon générale, les zones de flux restent commerce aéroportuaire sont particulièrement
réservées à des enseignes ayant la capacité de bonnes. En effet, ADP table sur un chiffre d’af-
dépasser les contraintes fortes de ces lieux : faires par passager de 23 euros en 2020
– les redevances financières impactent la ren- (18,20 euros en 2014), et les prévisions de flux
tabilité des points de vente. Le niveau élevé des portent le nombre de passagers de 92,7 mil-
redevances peut limiter le développement des lions en 2014 à 111,5 millions en 2020. Cette
services déjà proposés par les points de vente conjugaison de la hausse des flux et du chiffre
de centre-ville (le click & collect, par exemple), d’affaires par passager donne une estimation
car les marges laissent peu d’espace à de nou- de très forte hausse du commerce aéroportuaire
veaux services, gratuits pour le consommateur à l’horizon 2020, de + 65 %.
mais coûteux pour l’enseigne ; Le commerce en gare a également un fort
– la taille des emplacements nécessite de repen- potentiel de croissance avec la réalisation de
ser l’offre et de travailler sur l’assortiment et grands travaux gare du Nord et gare
sur le concept de magasin ; Montparnasse, qui vont permettre un renou-
– les amplitudes horaires et le travail dominical vellement de l’offre commerciale et la mise sur
ont un impact important sur les charges sala- le marché de nouveaux espaces. L’objectif de
riales. Elles sont particulièrement fortes dans la SNCF est de doubler les redevances com-
les aéroports, avec des points de vente ouverts merciales d’ici à 2023 (soit 340 millions d’eu-
parfois de 5 h 30 le matin à 23 heures. Les sta- ros). Elles sont déjà passées de 126 millions
tions d’autoroutes ont également des ampli- d’euros en 2010 à 170 millions d’euros en 2014.
tudes horaires élevées ; La mise sur le marché de nouvelles zones com-
– les ressources humaines sont aussi plus com- merciales d’importance permet d’estimer un
pliquées à gérer pour le commerce aéropor- taux de croissance du marché de + 57 %.
tuaire (personnel multilingue, obtention du Les estimations sont plus mesurées concer-
badge aéroportuaire pour travailler en zone nant le commerce dans le métro et sur les sta-
réservée…). tions d’autoroutes : + 17 % sur les stations
PERSPECTIVES DE CROISSANCE. Le chiffre d’af- d’autoroutes avec la rénovation du réseau
faires des commerces et services dans les zones Cofiroute ; + 20 % dans le métro (renouvelle-
de flux (gares, autoroutes, aéroports) dépasse, ment du pôle Châtelet-les Halles, et nouvelles
selon nos estimations, 5,1 milliards d’euros gares du Grand Paris). ■

100 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
© estherpoon

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 101
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Le lieu de transit,
immense terrain de jeu
de la transformation
numérique
PATRICE BÉLIE
Directeur général de Hub One
Hub One est un fournisseur de services mobiles et télécoms, filiale du Groupe ADP

Le wi-fi gratuit et illimité est devenu un service incontournable


dans les lieux de transit et de flux, mais n’est pas aussi simple à
mettre en place que l’on pourrait l’imaginer de prime abord. Si
proposer une connexion gratuite de qualité est devenu indispen-
sable, ce n’est pas suffisant pour réussir la transformation numé-
rique de la future smart city. Pour cela, il convient de maîtriser à
la fois les nouveaux enjeux du wi-fi public et les possibilités qu’il
offre en matière de développement numérique et de marketing.
n 2014, la ville de Chongqing, phone. Au-delà de cette anecdote, c’est toute

E dans le centre de la Chine, s’est


offert un coup de publicité avec
la mise en place d’une voie réser-
vée aux piétons utilisant un
smartphone. Le but ? Éviter les collisions
avec les passants les yeux rivés sur leur télé-
la montée en puissance de la transformation
numérique en ville qui apparaît, avec des
conséquences importantes en matière de créa-
tion d’équipement. Avec le développement
des smartphones et tablettes, la connectivité
apparaît désormais comme un impératif,

102 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
PATRICE BÉLIE

notamment dans les lieux de passage. Elle Le téléphone, qui initialement ne servait
passe par le déploiement de réseaux télé- qu’à téléphoner, est aujourd’hui un acces-
phoniques efficaces, mais aussi par des ser- soire indispensable dans le cadre profession-
vices complémentaires. “Le wi-fi gratuit et nel, mais aussi personnel pour des fonctions
illimité est devenu incontournable pour les comme la réception d’e-mails, l’envoi ou la
passagers dans les aéroports(1)”, témoigne consultation de documents et de sites Internet.
Nathalie Rebuffet, responsable de projets Sans compter le temps passé sur les réseaux
télécom pour Aéroports de Lyon, à l’occa- sociaux (Facebook, Twitter, etc.). C’est à se
sion de l’installation du wi-fi pour les passa- demander si la nécessité d’être connecté ne
gers en juin dernier. Et ce pour une raison figure pas désormais dans la pyramide des
simple : ce service permet de rester informé, besoins de Maslow, qui dresse la liste des
de se divertir ou de travailler via les outils attentes fondamentales de l’individu. Car,
connectés à Internet. désormais, chacun a besoin de surfer et
Tous les lieux accueillant du public sont d’échanger des données en tout temps et en
concernés. Le voyageur qui n’a pas mis les tout lieu ; la non-possibilité d’accéder à un
pieds dans une grande gare parisienne depuis réseau devient vite un point noir, d’autant
une dizaine d’années risque d’avoir un choc : que les applications sont de plus en plus gour-
bâtiments rénovés, large offre de restaura- mandes en bande passante (voix sur IP,
tion, wi-fi omniprésent … Rien ne manque. Facebook, Whatsapp).
De lieux exclusivement consacrés au transit, La diversité des usages du numérique redé-
les gares sont devenues des lieux de services finit les besoins. Assurer la continuité et la
et de commerce. Cette transformation, tirée qualité de la connectivité dans tous les espaces
par le développement de la multimodalité et transitoires est devenu une nécessité tandis
des mobilités urbaines et péri-urbaines, n’est que de nouveaux usages naissent en même
pas l’apanage de la gare du Nord ou de la temps que les nouveaux supports, stimulés
gare Saint-Lazare. Le même phénomène et par une mobilité croissante. Cette tendance
les mêmes schémas s’observent dans des lieux redéfinit les notions de connectivité et d’in-
comme les aéroports, les centres-villes, les teractivité, pour lesquelles le wi-fi apporte
enceintes sportives, en France comme ailleurs des solutions concrètes.
dans le monde. Dans les lieux de flux, la nécessité de pro-
Ce développement très fort du besoin d’être poser un service en la matière devient impé-
relié à un réseau téléphonique et de données rieuse. Captif, le passager (qu’il soit dans un
est à mettre en parallèle avec l’avènement aéroport, une gare, une station de métro) se
d’une société de services et d’une progression tourne vers son téléphone ou sa tablette pour
quasi exponentielle du taux d’équipement en travailler ou se détendre durant les temps
smartphone. Selon le baromètre du numé- d’attente (entre deux avions ou deux trains,
rique 2015 réalisé par l’Arcep (Autorité de embarquement, enregistrement…). Pour
régulation des communications électroniques répondre aux frustrations nées de l’absence
et des postes), ce taux est passé en France de d’un wi-fi accessible (ou gratuit), un ingé- (1) François DUCLOS, “Lyon :
17 % à 58 % entre 2011 et 2015. La pro- nieur en informatique (grand voyageur) a wifi haut-débit gratuit et
gression est tout aussi impressionnante pour même créé récemment une carte interactive illimité à l’aéroport”, Air
les tablettes, qui équipaient 35 % de la popu- qui recense les mots de passe des wi-fi de plu- Journal, 29 juin 2016.
lation française (de 12 ans et plus) en 2015, sieurs aéroports du monde, alimentée par la http://www.air-
contre 4 % seulement en 2011. Signe des communauté. journal.fr/2016-06-29-lyon-
temps, l’équipement en téléphone mobile a AÉROPORTS. Dans les aéroports, les passa- wifi-haut-debit-gratuit-et-
dépassé, pour la première fois, l’équipement gers sont toujours plus nombreux, ce qui illimite-a-laeroport-
en téléphone fixe. nécessite d’adapter les moyens. En 2011, l’en- 5165589.html

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 103
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Assurer la continuité et la qualité de la connectivité

dans tous les espaces transitoires est devenu une nécessité

tandis que de nouveaux usages naissent en même temps

que les nouveaux supports, stimulés par une mobilité croissante.

(2) Source : Union des semble des aéroports français ont vu circu- aux besoins pratiques et aux attentes de plai-
aéroports français. ler 163,6 millions de passagers, un chiffre sir des voyageurs(4)”. Les prestations plus clas-
(3) Communiqué de presse qui ne cesse d’augmenter pour atteindre un siques, comme les toilettes, les consignes, le
d’ADP, 19 juin 2014. nouveau record de trafic en 2015, avec portage de bagages, les objets trouvés, l’ac-
http://www.parisaeroport.fr/ 180,85 millions de personnes(2). En tant que cueil, sont repensées ; Gares & Connexions
docs/default-source/groupe- pays très touristique, qui reçoit des dizaines s’applique également “à créer de nouveaux
fichiers/presse/cp_avril- de millions de visiteurs étrangers chaque services. Cela comprend le wi-fi gratuit et illi-
juin-2014/2014_06_19- année, la France a saisi le sujet à bras-le-corps. mité, que nous déployons actuellement(5)”.
presse- Lors de l’annonce de l’installation d’un réseau Ce service est très utile aux touristes étran-
adp_wifi_gratuit_illimite_1e wi-fi gratuit dans les aéroports d’Orly et de gers, à qui il permet, par exemple, de “‘faire
rjuillet.pdf? Paris-Charles-de-Gaulle, Augustin de un Skype’ avec leur famille, de réserver un
(4) Claire MOREL, “Rachel Romanet, P-DG du groupe ADP (Aéroports hôtel ou de préparer la prochaine étape de
Picard et Roger Barbary, de Paris), déclarait que “l’accueil doit être à leur voyage.” “Avec l’arrivée du wi-fi gratuit
Gares & Connexions : ‘La la hauteur de l’aura de Paris, nos services éga- et illimité, la gare devient un lieu où l’on vit
gare doit devenir un lieu de lement”. “Offrir une connexion wi-fi gra- connecté en un clic ou un glissement de doigt
vie et de plaisir’”, Relation- tuite, de surcroît illimitée, est un signal fort via son ordinateur, sa tablette ou son mobile.
clientmag.fr, 9 juillet 2014. que nous envoyons à nos passagers(3)”, ajou- Le wi-fi haut-débit facilite la vie des gens,
http://www.relationclientma tait-il. leur permet de rester informé, de se divertir ou
g.fr/Thematique/acteurs- GARES. Le wi-fi gratuit et illimité est dis- de travailler via leurs outils connectés à
strategies-1014/portraits- ponible dans plus de 120 gares de France. Le Internet(6)”, rappelle Patrick Ropert, direc-
10065/Breves/Rachel- déploiement se poursuit pour les gares d’Île- teur général de SNCF Gares & Connexions.
Picard-Roger-Barbary- de-France. Gares & Connexions est la L’avènement d’une véritable gare numé-
Gares-Connexions-gare- branche de la SNCF, créée en 2009, qui rique se dessine, au service de la stratégie
doit-devenir-lieu-vie-plaisir- regroupe les 3 000 gares de voyageurs du commerciale de la SNCF. L’entreprise déploie
243933.htm#fUrO3hhSQXw réseau français et assure leur gestion quoti- par exemple un dispositif comme le playing
JgBAY.97 dienne et leur valorisation. Roger Barbary, wall, mur équipé de QR codes à flasher avec
(5) Idem. directeur marketing et commercial de cette son téléphone pour accéder à des contenus
(6) Communiqué de presse entité, rappelle l’objectif en matière d’amé- multimédias à télécharger (livres, musiques,
de la SNCF, 16 décembre nagement et de services : “faire en sorte que jeux) afin d’agrémenter le temps d’attente.
2015. la gare, qui est un lieu dont la nature est très La SNCF commence à appréhender les mul-
https://www.gares- utilitaire, devienne un lieu de vie qui soit une tiples possibilités que lui offre son réseau de
sncf.com/fr/actualites/wifi- véritable destination choisie. Cela passe par gares.
gratuit-illimite-arrive-plus- le design de l’espace, mais aussi par des ser- Dans le cadre de l’évolution des gares,
grandes-gares-france vices et une offre commerciale qui répondent Gares & Connexions s’attache à ce qu’elles

104 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
PATRICE BÉLIE

deviennent des lieux propices à la consom- tion de l’entreprise est l’un des dix chantiers
mation. Gilles Boissonnet, président du direc- prioritaires à mener d’ici à 2020(9). Le nou-
toire d’Altarea Cogedim, société spécialisée veau visage de la RATP passera par le
dans le développement de centres commer- déploiement de stations numériques, avec
ciaux et ayant participé à la revitalisation des l’installation dans les gares de points wi-fi et
gares parisiennes de l’Est et du Nord, de bornes de rechargement des téléphones…
explique toute la difficulté de l’exercice : sans oublier des mesures plus fondamentales,
“Dans un centre commercial, le visiteur comme la finalisation de la couverture 3G/4G
devient acheteur dans 80 à 90 % des cas. En des lignes des RER A et B ainsi que de la
gare, les clients sont d’abord des voyageurs ligne 1 du métro, qui dessert notamment le
avant d’être des consommateurs. Nous quartier d’affaires de la Défense.
devons attirer leur attention, les amener à La connectivité s’invite aussi dans les bus de
entrer dans le magasin d’une autre façon en la RATP : les usagers peuvent consulter les
jouant sur le côté rapide et pratique(7)”. Les horaires des prochains passages depuis leur
outils numériques viennent en renfort de cette téléphone, via NFC (échange d’information
mission. Gares & Connexions a ainsi confié sans contact), SMS, QR Code… L’objectif
à Areas, spécialiste de la restauration dans de la RATP est de proposer une offre de (7) Vincent LEPERCQ, “Gares,
les lieux de flux, l’aménagement et l’exploi- mobilité connectée globale et durable. aéroports, métros : le
tation de 34 espaces de restauration de la LIEUX PUBLICS. Les lieux de transit ne sont commerce ne reste pas à
gare du Nord et de 7 grandes gares en pas les seuls lieux concernés par la mutation quai”, Les Échos.fr, 14 juin
régions, avec une approche novatrice : le numérique. Cette dernière concerne tous les 2016.
numérique est intégré à l’offre de restaura- lieux, publics et privés. “Le logement, le http://www.lesechos.fr/14/0
tion. Comment ? Via une application, Wiiish, bureau, l’usine, l’entrepôt, le centre com- 6/2016/LesEchos/22212-
qui permet de sélectionner son repas parmi mercial : ces lieux familiers se transforment 145-ECH_gares--aeroports-
les différents concepts proposés et d’être livré rapidement, sans que nous prenions toujours -metros---le-commerce-
en gare. “Aujourd’hui, le digital est un moyen la mesure de ces changements. C’est que tous ne-reste-pas-a-
incontournable pour dynamiser l’offre et pour ces lieux appartiennent à des réseaux. S’y quai.htm#8P5UMIE0k04uXO
répondre aux attentes des voyageurs en déplacent des personnes, s’y échangent des OW.99
termes d’efficacité, de fluidité et de souplesse biens, des informations(10)”, décrypte Michel (8) Communiqué de presse
du service. Porté par les plus jeunes – les Savy, professeur émérite à l’université Paris- commun Gares &
fameuses générations Y et Z –, il touche déjà Est et spécialiste d’urbanisme. Connexions / Areas,
l’ensemble des cibles”, déclarent dans un com- Les centres commerciaux l’ont compris et 17 février 2016.
muniqué de presse commun Gares & intègrent cette donnée depuis plusieurs http://www.eliorgroup.com/
Connexions et Areas(8). années, pour améliorer ce qu’ils appellent sites/default/files/cp_areas
MÉTRO. S’il existe un lieu de flux impor- l’“expérience client”. De la même façon, les _garesconnexions_concessi
tant, c’est celui du métro, dont la connectivité grands chantiers entrepris ces dernières on_17022016.pdf
reste largement perfectible dans les salles années pour la construction de nouveaux (9) Dossier de presse de la
d’échanges mais aussi, et surtout, dans les stades (Allianz Riviera à Nice, Parc olym- RATP, 3 novembre 2015.
rames de métro. En Asie, notamment en pique lyonnais, stade de Bordeaux) ou la http://www.ratp.fr/fr/upload
Corée ou au Japon, les réseaux téléphoniques rénovation des enceintes existantes, comme /docs/application/pdf/2015-
sont fonctionnels sous terre depuis plus d’une le Parc des Princes à Paris, ont pour point 11/dp_groupe_ratp_orienta
décennie. C’est encore loin d’être le cas en commun de faire des réseaux téléphoniques tions.pdf
France, mais des évolutions sont en cours. et de données un facteur fondamental, indis- (10) Michel SAVY (dir.),
Lors de la présentation des orientations stra- pensable au confort des spectateurs. Dans Nouveaux lieux, nouveaux
tégiques du groupe RATP, opérateur du métro ces lieux de flux, qui connaissent des pics flux. Les mobilités de
à Paris, la présidente-directrice générale, d’affluence réguliers, les réseaux étaient satu- l’avenir, éd. Odile Jacob,
Elisabeth Borne, a affirmé que la numérisa- rés les jours de match. Des investissements 2015.

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 105
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

massifs permettent d’améliorer la situation déployer le wi-fi, c’est parce qu’ils y trouvent
et de disposer de véritables stades connectés, un argument de vente et un moyen d’attirer
dans un écosystème digital, avec des appli- et de retenir les clients le plus longtemps pos-
cations spécifiques et des interactions. sible. Par ailleurs, les données personnelles
Mais proposer une connexion gratuite de que les clients saisissent dans les formulaires
qualité dans les lieux accueillant du public d’authentification constituent des informa-
n’est plus une condition suffisante. Il convient tions précieuses pour les marques, ce qui pose
de maîtriser à la fois les nouveaux enjeux du la question légitime de la sécurisation des
wi-fi public et les possibilités qu’il offre en échanges de données.
matière de développement numérique et de Dans le cadre de son programme de
marketing. contrôles, la Commission nationale infor-
À l’occasion du démarrage de l’Euro de matique et libertés (Cnil) s’est intéressée aux
football organisé en France à l’été 2016, les services de libre accès à Internet et a pointé
Champs-Élysées ont été couverts en wi-fi gra- certains manquements en matière de respect
tuit et haut débit par JCDecaux, pour une de la loi sur les données collectées(13). De quoi
durée de quatre ans. Le modèle économique rendre incontournable le recours à des opé-
de cette opération est fondé sur la publicité. rateurs sérieux et placer la sécurité en tête de
Le publicitaire “lance un portail Internet vers liste des facteurs associés au déploiement des
lequel est redirigée toute personne qui active réseaux. D’autant que la transformation
le wi-fi. Décliné en sept langues, il accueille numérique avance vite. Avec plus de 13 mil-
toutes les publicités des commerçants. lions de hotspots wi-fi publics recensés en
JCDecaux prévoit aussi de bénéficier d’une 2014 par Ipass, la France est le pays du
autre source de revenus : il entend monéti- monde qui propose le plus de points d’accès
ser les données clients auprès de ces mêmes aux usagers, devant les États-Unis et le
commerçants, pour des services comme l’en- Royaume-Uni. Leur nombre devrait même
voi d’une publicité uniquement à des être porté à 23 millions en 2018, selon les
(11) Fabienne SCHMITT, “Du Japonais, par exemple(11)”. estimations de ce cabinet. Sans parler de la
wifi gratuit sur les Champs- Cette opération s’inscrit dans “Paris Wi-Fi”, prochaine révolution, celle des objets connec-
Élysées”, Les Échos.fr, projet du maire de Paris qui vise à connecter tés (montres, capteurs d’activité et autres),
9 juin 2016. “toute la ville, pour ne jamais avoir à marcher dont le nombre devrait être d’environ 50 mil-
http://www.lesechos.fr/09/0 plus de cinq minutes avant de trouver un hots- liards en 2020.
6/2016/lesechos.fr/021101 pot gratuit […] pour un Paris encore plus ■ ■
2523785_du-wifi-gratuit- connecté(12)”. La capitale propose à ce jour L’installation d’un wi-fi pro dans une gare
sur-les-champs- environ 260 sites publics équipés d’une ou plu- ou un aéroport coûte plusieurs dizaines de
elysees.htm sieurs bornes d’accès wi-fi, dans les parcs, jar- milliers d’euros, ce qui n’a rien à voir avec
(12) Anne Hidalgo, dins, bibliothèques ou musées – c’est bien le prix d’une box de télécommunications
déclaration sur son compte moins que Londres, qui a profité des Jeux d’un particulier (pour des usages évidem-
Facebook, 7 février 2014. olympiques 2012 pour mettre les bouchées ment différents). Une fois cet obstacle pris en
https://www.facebook.com/ doubles en la matière. compte, la numérisation touche tous les
HidalgoAnne/posts/101522 SMART CITY. La multiplication des interac- domaines, et on ne compte plus les initia-
05168370199 tions entre usagers et fournisseurs de services tives originales. Des murs de commandes
(13) CNIL, Internet et wi-fi en permet de recueillir des informations pré- digitaux apparaissent pour faire ses courses
libre accès : bilan des cieuses (fréquence d’utilisation, parcours pri- avec son téléphone, des miroirs connectés,
contrôles de la Cnil, vilégiés), qui sont autant d’éléments utiles etc. Les gadgets restent néanmoins nom-
22 décembre 2014. pour l’édification des smarts cities. Mais que breux, et il convient de se concentrer sur la
https://www.cnil.fr/fr/node/ l’on ne s’y trompe pas. Si les lieux de transit mise au point de réseaux fiables, un objec-
15736 et les lieux commerciaux sont si prompts à tif encore loin d’être atteint. ■

106 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
PATRICE BÉLIE

DE L’AÉROPORT AU MUSÉE...
Dans les lieux de transit, mais aussi dans les lieux de flux comme les musées,

le wi-fi public gratuit est un outil de gestion de la relation client. L’exemple du

musée Maillol, établissement géré par Culturespaces.

a technologie développée dans les lieux complexes que sont les zones de transit (aéro-

L ports, gares…) peut être utilisée dans de nombreux autres lieux accueillant du public, les

musées ou les offices de tourisme, par exemple. Culturespaces, gestionnaire de musées et

monuments, a fait appel à Hub One pour équiper d’un accès wi-fi le musée Maillol, musée

privé situé dans le 7ᵉ arrondissement de Paris. L’objectif est de proposer aux visiteurs une

expérience connectée tout en tirant profit des bénéfices offerts par l’installation d’une infra-

structure wi-fi.

Le musée Maillol est situé dans un magnifique bâtiment datant du XVIIIe siècle. La couverture

mobile y est quasi inexistante, l’épaisseur des murs en pierre restreignant la diffusion du signal.

Dans le cadre des travaux de rénovation du musée, Culturespaces a naturellement souhaité

mettre en place un accès wi-fi. À l’occasion de sa réouverture, le 14 septembre 2016, les visiteurs

ont pu profiter d’une toute nouvelle expérience culturelle connectée, qui s’est ouverte sur une

rétrospective de l’artiste Ben. Ainsi, outre l’accès gratuit au wi-fi, le musée propose désormais à

ses visiteurs une expérience enrichie en mettant à leur disposition une application gratuite pour

découvrir la collection permanente et les expositions temporaires ; il leur propose également de

partager en live les moments forts de leur visite. La mise en place du wi-fi a été l’occasion pour

Culturespaces d’optimiser sa stratégie GRC (gestion de la relation clients) par une meilleure

0connaissance de ses visiteurs, par la possibilité de faire des mises en avant spécifiques (évé-

nements, produits…), ou de mener des enquêtes de satisfaction. ■

J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7 • E S PA C E S 3 3 4 107
Le renouveau
CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

des gares passe


aussi par

le numérique !
INTERVIEW DE MARIE-CAROLINE BÉNEZET
Directrice Digital de SNCF Gares & Connexions

Gares & Connexions, branche du groupe SNCF, mène un chantier de


transformation numérique qui s’articule autour de trois piliers :
les services numériques aux clients (personnes fréquentant les
gares) ; les applications destinées aux agents et prestataires de
la SNCF ; le traitement de la donnée (data) pour un meilleur pilo-
tage de l’activité (notamment en matière de gestion des flux dans
la gare). L’enjeu : augmenter tant la connaissance des flux de
clients des gares (voyageurs, visiteurs, habitants du quartier…)
que le niveau de satisfaction des différents publics (qualité de
service, propreté, confort, sécurité…).

108 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
MARIE-CAROLINE BÉNEZET

a mission de la direction Digital savoir directement, depuis son smartphone

L de SNCF Gares & Connexions


touche aux enjeux de la transfor-
mation numérique, enjeux qui
affectent tous les secteurs de l’éco-
nomie. Notre objectif est d’accompagner la
transformation de notre système d’informa-
tion et celle de nos métiers.
ou sa tablette, tout ce qu’il peut faire dans la
gare avant d’y arriver et, surtout, une fois
qu’il y est.
Nous réfléchissons également à la manière
de faire évoluer l’information des voyageurs
dans les gares avec la mise en place d’écrans
interactifs. Notre objectif est de pouvoir faire
Ces dernières années, la transformation du push en direction des clients pour les infor-
numérique a eu pour conséquence une évo- mer des services disponibles. Nous nous
lution, rapide et en profondeur, des pratiques dotons pour cela de toute une infrastructure
des clients et plus généralement de la popu- grâce à laquelle nous pourrons nous inviter
lation. Avec le développement vertigineux dans les mobiles de nos clients pour les infor-
des services mobiles, de nouvelles habitudes mer d’un certain nombre de choses qui se
sont apparues en termes de mobilité et d’ac- passent en gare.
cès à l’information. Cette dernière doit être Collaborateurs. La transformation numé-
désormais disponible partout et tout le temps. rique qui touche nos clients touche aussi nos
Ces changements concernent non seulement agents et collaborateurs. Leurs besoins en
nos clients mais aussi nos agents. matière d’outils évoluent. Ils sont devenus
PILIERS DE RESPONSABILITÉ. Partant de ce plus exigeants en matière d’interface. Il est
constat, nous avons engagé un certain nombre désormais impensable de continuer à pro-
de chantiers que l’on peut regrouper autour de poser des process sur papier. Cependant, force
trois piliers de responsabilité. Le premier est de constater que nous en avons encore
concerne le numérique et les services numé- beaucoup ! Nous faisons évoluer les appli-
riques à nos clients ; le deuxième, les appli- cations que nous mettons à la disposition des
cations métiers destinées à nos collaborateurs ; agents. Désormais, nous pensons directement
le troisième, le traitement de la donnée (data) des applications pour mobiles et tablettes
pour un meilleur pilotage de l’activité. avant même de les faire fonctionner sur ordi-
Clients. Nous devons nous organiser pour nateur.
livrer à nos clients une offre conforme à leurs Nous intervenons sur tous les métiers des
attentes. Ils sont des millions à passer chaque gares et travaillons à la numérisation de tous
jour dans nos 3 000 gares. Nous faisons par- nos processus, depuis la conception jusqu’à
tie de leur quotidien. Il est pour nous impor- l’exploitation et la maintenance des gares.
tant de savoir comment ils consomment notre Nous réorganisons les tournées de nos agents
offre et nos services numériques et de com- et changeons leur façon de travailler grâce à
prendre ce que des personnes en mobilité des outils multidigitaux. Pour cela, les agents
cherchent à savoir à partir de leur smart- SNCF sont progressivement équipés de
phone ou de leur tablette, lorsqu’elles sont tablettes et de smartphones.
en gare. Pour cela, nous analysons les inter- Nous faisons aussi en sorte que nos outils
faces digitales que nous avons avec elles : les soient interopérables avec ceux qu’utilisent
interfaces web et, de plus en plus, les inter- nos prestataires et nos partenaires – des entre-
faces via les applications mobiles. prises qui travaillent pour les gares et qui ne
Nous avons mis à disposition de nos visi- sont pas forcément des agents de la SNCF. Il y
teurs, dans plus de 200 gares pour le moment, a là un gros travail d’interopérabilité pour arri-
le wi-fi gratuit. C’est désormais un service ver à un système unique qui marche sur tout le
essentiel. Nous avons lancé l’application territoire de la gare et rende compatibles entre
mobile “En gare”, qui permet au client de elles, d’un métier à l’autre, une multitude de

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

solutions. Le but est de faire en sorte que ces dans quelle situation elles apparaissent et être
solutions soient une bonne source d’informa- capables d’éviter qu’elles ne se reproduisent.
tion. C’est un chantier énorme qui engendre Nous réfléchissons à la manière dont nous
une refonte quasi complète du système d’in- pourrions déployer des capteurs pour traiter la
formation de l’entreprise. donnée en temps réel, par exemple la dispo-
Pilotage. La transformation numérique de nibilité des escaliers mécaniques. Nous cher-
notre offre d’information et de service pour chons à savoir comment apparaissent les
nos clients et des process pour nos agents pannes pour voir s’il nous est possible de les
génère une quantité importante de données. prédire en fonction des flux et si nous pou-
Certaines existaient déjà, mais la numérisa- vons être capables d’intervenir plus rapide-
tion en crée une quantité importante de nou- ment quand on pressent qu’une panne va se
velles. Et toutes sont très utiles. Aujourd’hui produire. Là aussi, le but est d’améliorer la
nous les exploitons de manière à mieux pilo- qualité du service proposé aux clients.
ter notre activité à tous les niveaux. LIGNE STRATÉGIQUE. Les travaux de la direc-
Par exemple, nous exploitons la donnée que tion Digital s’inscrivent dans les cinq priorités
nous procure le wi-fi gratuit proposé en gare. stratégiques de la branche SNCF Gares &
Celui-ci nous permet d’appréhender de façon Connexions.
plus précise le nombre de personnes qui pas- Qualité de service. La première priorité
sent dans nos espaces, la manière dont ces gens concerne la qualité de service, particulièrement
se déplacent dans les gares, la quantité de per- en matière de propreté, de sûreté et de confort.
sonnes au mètre carré selon les surfaces, selon Clients transporteurs. La deuxième priorité
les zones de la gare, selon les périodes de la concerne le service que nous apportons à nos
journée, etc. Nous traitons toutes ces infor- clients transporteurs. Il s’agit de voir comment
mations pour les restituer aux différents mieux nous organiser vis-à-vis de nos grands
métiers : aux agents chargés de l’exploitation comptes transporteurs. Une gare, comme un
des gares, à ceux de la maintenance des équi- aéroport, est une plate-forme au service de
pements, à ceux qui s’occupent des travaux transporteurs qui eux-mêmes proposent des
en gare. Cela leur permet de dimensionner leur services à leurs clients. En tant que gestion-
travail. naire de cette plate-forme, il nous appartient de
Nous analysons également assez finement mieux servir les transporteurs. Pour cela, il
la qualité de l’information donnée aux voya- nous faut nous structurer pour être capables
geurs. Il s’agit pour nous de voir et de com- notamment d’évoluer par rapport à l’ouver-
prendre là où nous sommes bons et là où nous ture à la concurrence et à l’arrivée de nouveaux
le sommes moins afin de corriger nos points prestataires de transport sur le marché dans
faibles. Le but est d’augmenter la satisfaction les prochaines années.
des clients quant à la qualité de l’information Commerces. La troisième priorité concerne
qui leur est donnée en temps réel dans les gares. l’augmentation du taux de transformation dans
Comment procédons-nous ? Pour ce qui les commerces des gares. Il s’agit de savoir
concerne l’affichage des horaires à l’arrivée et comment faire pour que les quelque 10 mil-
au départ, nous collectons les informations lions de voyageurs qui fréquentent les gares
affichées sur l’ensemble des supports dispo- chaque jour consomment davantage et profi-
nibles (tableaux, écrans tactiles, télévision…). tent mieux de l’offre de service mise à leur dis-
Nous les comparons à ce que l’on est censé position.
afficher et notons les cas où les informations Rénovation. La quatrième priorité concerne
affichées sont erronées, données trop tard ou les projets de rénovation des gares : comment
trop tôt… Nous mesurons le nombre de fois faire des projets encore plus ambitieux, plus
où apparaissent des erreurs pour comprendre rapides et moins coûteux ?

110 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
MARIE-CAROLINE BÉNEZET

Management. La cinquième, c’est un enjeu Comme pour tous les gestionnaires de patri-
autour du design thinking et du management moine, c’est pour nous un enjeu très impor-
des collaborateurs. Il se traduit par un grand tant. Grâce à une meilleure connaissance
programme de formation et de développement numérique du patrimoine et une meilleure col-
de projets, avec de nouvelles méthodes de tra- laboration entre les différents métiers, nous
vail. Il s’agit de voir comment découper nos devons être capables, en cas d’alerte concer-
projets en sous-projets plus petits afin de les nant le dysfonctionnement d’un équipement
tester plus rapidement sur le terrain avec des dans une gare, de comprendre tout de suite de
clients et des agents. Il s’agit de réfléchir à la quoi il s’agit, où se situe le problème et qui est
manière dont le numérique peut nous aider à la personne la plus proche ou la mieux à même
aller plus vite dans la réalisation d’un certain d’intervenir.
nombre de projets innovants. Traitement de la data. Le dernier chantier
CHANTIERS. Pour servir ces grandes priori- concerne le traitement des données. Demain,
tés, la direction Digital s’est engagée dans trois nous serons capables de connecter de plus en
grands chantiers qui nous occupent en 2017. plus d’équipements, de plus en plus d’appli-
Usine digitale. L’objectif du premier chan- cations, ce qui aura pour conséquence d’aug-
tier est d’être capable de produire plus rapi- menter encore la data. Nous devrons être
dement des innovations pour faire évoluer les capables de traiter toutes ces données, de les
services numériques que nous proposons à nos visualiser, de les restituer et de les rendre faciles
clients et à nos agents. C’est, par exemple, à appréhender par l’ensemble des métiers. C’est
avoir aujourd’hui la capacité de faire de l’ap- un véritable défi et un enjeu très fort. Nous
plication mobile un véritable “bac à sable” de menons beaucoup de travaux en ce sens, qui
l’innovation dans lequel nous pouvons tester relèvent de la data science et qui font appel à
des concepts nouveaux à offrir aux clients : des experts pointus.
par exemple, leur donner la possibilité, depuis Le traitement de la donnée peut nous aider
leur application mobile, de précommander des à mieux piloter nos contrats de propreté ou
menus dans les différents restaurants des gares, de sûreté en gare, à mieux organiser les
de retrouver un objet perdu, de suivre l’évo- patrouilles en gare, à les adapter par rapport
lution de la déclaration de perte d’objet. aux évolutions du flux… L’objectif est de
Notre objectif est d’arriver à proposer tous mieux servir les clients en augmentant la qua-
les deux ou trois mois une évolution majeure lité de la propreté, de la sûreté et de confort
de nos services numériques sur toutes nos inter- de la gare.
faces : web, mobile, bornes en gares, écrans… ■ ■
C’est une transformation assez importante de En tant que gestionnaires des plates-formes
notre mode d’organisation au service des dif- de mobilité que sont les gares, notre but n’est
férents métiers et de nos modes de collabora- pas d’augmenter le trafic ferroviaire, mais de
tion interne. faire en sorte qu’il y ait de plus en plus de
Maquette numérique BIM. Le deuxième chan- gens qui viennent en gare et que ceux qui y
tier concerne les maquettes 3D des gares. viennent soient de plus en plus satisfaits… À
Aujourd’hui, Gares & Connexions est dépo- l’instar d’un gestionnaire d’aéroports, notre
sitaire d’un patrimoine. Notre but est de modé- modèle économique est celui d’un gestion-
liser celui-ci en 3D, avec les outils les plus naire de plate-forme doté d’une mission de
modernes du marché, afin que les différents service public. Notre action en faveur de la
métiers puissent travailler ensemble sur des transformation numérique est au service de
maquettes numériques 3D de la totalité des cette mission.
bâtiments, avec une interconnexion de la quasi-
totalité de nos processus. PROPOS RECUEILLIS PAR CLAUDINE DESVIGNES

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

Les espaces de coworking


des agents de la SNCF
Des lieux de construction
de nouvelles
pratiques professionnelles

ALEXANDRE LARGIER
Sociologue, Responsable du pôle Étude de l’agence d’accompagnement des managers
Direction cohésion et ressources humaines ferroviaire, SNCF
< alexandre.largier@sncf.fr >

La SNCF développe diverses formes d’espaces de coworking en gare


pour accueillir des professionnels pour quelques heures ou plusieurs
mois, selon leur activité. Certains de ces espaces sont destinés à
accueillir des salariés de la SNCF en déplacement ou travaillant en
bilocalisation. Ces lieux intermédiaires, “en marge” des organisa-
tions classiques de travail, produisent de nouvelles pratiques de col-
laboration professionnelle, non prévues au départ mais induites par
le lieu lui-même. Ce qui impacte les activités du personnel bilocalisé,
mais aussi l’ensemble du personnel de la gare. Et peut permettre,
dans certains cas, un meilleur accueil des visiteurs.

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ALEXANDRE LARGIER

a SNCF, comme nombre d’acteurs facilitant l’implantation de ces professionnels,

L
(1) Francesca PAGLIARA,
du secteur ferroviaire(1), crée actuel- la SNCF contribue à solidifier la trame éco- Marie DELAPLACE et Riccardo
lement diverses formes d’espaces nomique locale. Ces espaces permettent ainsi CAVUOTO, “High-Speed rail
de coworking en gare pour de se lier durablement aux territoires(6). stations as places to work:
accueillir des professionnels pour Nous nous proposons de décrire et d’ana- the case study of Naples”,
quelques heures ou plusieurs mois, selon leur lyser les différentes étapes qui ont jalonné la conférence High Speed Rail
activité. Ces professionnels peuvent être soit conception de “hubs sociaux” particuliers : and the City, université Paris-
des salariés SNCF en déplacement ou tra- les espaces de travail bilocalisés dans les gares Est, 2015.
vaillant en bilocalisation, soit des personnes SNCF d’Île-de-France. La bilocalisation ren- (2) Laurent TASKIN,
externes à la SNCF, comme des salariés indé- voie ici à une situation de travail dans laquelle “Télétravail : Les enjeux de
pendants, des créateurs d’entreprise ou des le salarié dispose de deux lieux de travail dis- la déspatialisation pour le
salariés en mobilité. tincts, clairement identifiés et situés tous les management humain”,
Ces espaces de coworking proposent au deux dans des espaces professionnels. Elle se Revue Interventions
professionnel nomade un environnement distingue en cela du télétravail, entendu à la économiques, n° 34, 2006.
structuré (espace sécurisé et calme, connecté, SNCF comme une période de travail prenant https://interventionseconomi
équipé d’imprimantes, disposant d’une ou de place au domicile du salarié. ques.revues.org/680
plusieurs salles de réunion, etc.) lui permet- Ces lieux intermédiaires, “en marge” des (3) Bruno MORISET, “Tiers-
tant de travailler sereinement et de rompre organisations classiques de travail, nous inter- lieux de travail et nouvelles
l’isolement que ressentent parfois les télétra- rogent quant à leur capacité à créer de nou- territorialités de l’économie
vailleurs à domicile(2). velles pratiques. Ces espaces induisent en effet numérique : les espaces de
Pour le salarié comme pour son entreprise, des évolutions dans les activités du personnel coworking. Spatialité et
ces espaces sont des lieux recelant divers bilocalisé, mais aussi pour l’ensemble du per- modernité : lieux et
atouts. Tout d’abord, en mettant en présence sonnel de la gare. territoires”, SET-CNRS, 2011.
des individus aux expériences et aux savoirs À la demande du responsable du projet, https://hal.archives-
variés et multiples, ces lieux favorisent la nous avons réalisé une enquête de terrain de ouvertes.fr/halshs-
sérendipité(3). Ces lieux sont des carrefours manière à dresser un bilan à l’issue de la phase 00724540/document
professionnels qui incitent aux échanges et expérimentale du projet. Cette étude a été (4) “La fertilisation croisée
enrichissent les projets par une “fertilisation menée auprès d’une trentaine d’agents : des peut être entendue comme
croisée(4)”. Au sein même de la SNCF, ces salariés ayant travaillé dans ces espaces de une action de production
espaces permettent à des agents de métiers coworking, leurs responsables hiérarchiques, enrichie par interaction de
différents de mieux se connaître. À ce titre, leurs collègues situés dans les différents lieux champs d’activité et de
ces espaces de production reposent sur une de travail (la gare d’accueil ou leur service réflexion” : Henri SAVALL et
base collaborative qui, dans bien des cas, est d’origine). De plus, nous avons réalisé une Véronique ZARDET, L’Ingénierie
sous-tendue par une logique de don contre analyse documentaire et deux séquences d’ob- stratégique du roseau,
don. servation de type ethnographique dans deux Economica, 1995.
DIMENSION SOCIÉTALE. C’est dans leur gares d’accueil. (5) Michel LALLEMENT, L’Âge
dimension sociétale que ces espaces s’avèrent CONCEPTION, RECONCEPTION ET ADAPTATIONS. du faire. Hacking, travail,
cruciaux. Le développement de ces espaces Nous allons analyser la manière dont ces lieux anarchie, Seuil, 2015.
collaboratifs, a-hiérarchiques, esquisse une ont été conçus, puis comment ils ont évolué. (6) Alexandre LARGIER,
nouvelle façon de travailler, de produire, de Nous verrons qu’à travers la conception, la “Transports, mobilités, liens”,
faire(5). Ils accompagnent une évolution du reconception et leurs adaptations successives(7), dans Patrizia LAUDATI,
marché de l’emploi de ces dernières années, c’est précisément ce que recouvre la notion Dominique LAOUSSE et
qui se traduit par la multiplication de l’auto- de collaboration qui a évolué. Khaldoun ZREIK (dir.), Mobilité
entrepreneuriat et des microstructures qui Assurer une bonne coordination entre les et parcours hybrides,
sont souvent les fournisseurs et prestataires acteurs. Un des constats à l’origine de ce pro- Europia, 2014.
des PME de premier rang, et dont un grand jet est que la SNCF dispose de très nombreux (7) François-Xavier DE
nombre travaillent aussi pour la SNCF. En mètres carrés inexploités que sont les anciens VAUJANY, “Pour une théorie de

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

l’appropriation des outils de appartements des chefs de gare (ce type de formation volontaires en gare en cas de situa-
gestion : vers un logement n’existant plus depuis 1987). Ces tions perturbées(11). Ils ont donc reçu une for-
dépassement de l’opposition espaces sont vacants, officiellement du moins, mation ad hoc. Si, pour certains, le fait de
conception-usage”, et certains tombent en ruine. Il est donc néces- devoir intervenir auprès des usagers a pu
Management & Avenir, n° 9, saire d’intervenir, ne serait-ce que pour assu- constituer un frein, pour d’autres, c’est ce qui
2006. rer la sécurité des salariés qui travaillent dans faisait le sel de cette situation de travail. À tel
(8) Cf. : Marie DELAPLACE, les mêmes bâtiments. Couplé à une évolution point que l’une des personnes participant à
Francesca PAGLIARA et Anna stratégique visant l’exploitation des ressources l’expérimentation en est venue à quitter son
AGUILERA, “High-speed rail immobilières en complément des cessions jus- poste d’informaticien pour prendre la res-
station, service innovations qu’alors en pratique, le projet de faire des ponsabilité d’une équipe d’agents de terrain
and temporary office space bureaux dans ces espaces a vu le jour. dans une grande gare de Champagne.
for mobile workers”, Par ailleurs, du fait du déménagement du La collaboration est alors pensée entre
conférence Transport siège de l’entreprise du cœur de Paris (près de l’agent à distance et son équipe, d’une part,
Research Arena, avril 2014 ; la gare Montparnasse) à Saint-Denis (93), et avec les personnels de la gare, d’autre part.
Francesca PAGLIARA, Marie c’est l’organisation de l’entreprise tout entière Cette organisation suppose des horaires déca-
DELAPLACE et Riccardo qui est repensée. En effet, ce déménagement en lés de la part des travailleurs bilocalisés, car ils
CAVUOTO, op. cit. [note 1], entraînera d’autres, certaines entités venant doivent s’adapter aux horaires des agents en
2015. Ces travaux montrent occuper des locaux laissés temporairement gare et aux périodes de pointe. Cette première
bien que les contours d’un vacants. Pour de nombreux salariés, ces mou- étape de conception vise avant tout une bonne
projet d’espace collaboratif vements induisent une augmentation signifi- coordination des agents bilocalisés avec leurs
ne sont pas du tout les cative des temps de transport. Dans le cadre collègues, leur responsable et avec le person-
mêmes lorsqu’une gare est de la politique QVT (qualité de vie au travail) nel en gare. Elle vise à concilier les intérêts de
connectée au réseau à de l’entreprise et du développement des formes chacun : ceux du personnel de la gare et ceux
grande vitesse. innovantes d’organisation du travail, un pro- des travailleurs bilocalisés qui, s’ils partagent
(9) Ray OLDENBURG, The Great jet d’espace de travail dans de petites gares le même espace (la gare), n’investissent pas
Good Place. Cafes, coffee de banlieue (par opposition aux gares TGV, les lieux de la même manière. Pour les pre-
shops, community centers, étudiées par ailleurs(8)) et d’une organisation miers, les agents en gare, la gare, ses espaces
beauty parlors, general bilocalisée du travail est lancé en 2013. Le de vente, ses quais… sont les lieux de la rela-
stores, bars, hangouts and travail bilocalisé concerne d’abord les agents tion de service, des échanges avec les usagers.
how they get you through the des services centraux, donc majoritairement Pour les seconds, les coworkers, il s’agit d’un
day, Paragon House des cadres, dont les temps de transport quo- prolongement du bureau, lieu d’une produc-
Publishers, 1989. tidien avoisinaient les trois heures. tion nécessitant à la fois des périodes de
(10) Julie FABBRI et Florence Au départ, ces espaces ne sont pas tout à concentration et des échanges entre collègues.
CHARUE-DUBOC, “Un modèle fait des tiers-lieux au sens de Ray Oldenburg(9), La situation perturbée est alors le moment de
d’accompagnement dans la mesure où ils ne sont pas tout à fait rencontre des “habitants” de la gare.
entrepreneurial fondé sur des “neutres” : ils sont fonctionnels (il s’agit bien L’indispensable appropriation et l’émergence
apprentissages au sein d’un de bureaux) et délimités dans l’espace (les de la coopération. Les quelques agents qui par-
collectif d’entrepreneurs : le accès ne sont pas libres). Cependant, ces ticipent dès le début à l’expérimentation vont
cas de La Ruche”, espaces sont un peu plus que de simples contribuer à une reconception des espaces et
Management international / bureaux partagés, puisqu’ils sont porteurs des temps de travail via une double appro-
International Management / d’une “promesse” qui va au-delà d’un simple priation, véritable condition de réussite du
Gestión Internacional, vol. 17, rassemblement de travailleurs(10) : il s’agit de projet, puisque c’est ce qui permet aux acteurs
n° 3, 2013. “renouer avec le terrain”, avec la “vraie vie”, de mettre l’espace de travail “à leur main”(12).
(11) Précisons que les selon les termes employés par les agents que La première appropriation est celle des
agents sont alertés par SMS nous avons rencontrés. En effet, en échange de bureaux eux-mêmes. Elle se remarque via une
de la survenance d’un aléa locaux de travail à disposition dans ces gares, série de marqueurs tangibles qui sont “l’af-
requérant leur présence. Ils les salariés bilocalisés deviennent agents d’in- firmation d’une mainmise(13)” : des plantes

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ALEXANDRE LARGIER

vertes, des photos, des affiches, des tasses, un l’autre jour il y avait [un manager local] qui peuvent y répondre
carnet de bord collectif, etc., et des marqueurs faisait un rendez-vous je lui ai demandé de favorablement et s’y rendre
intangibles (un système de réservation sur se marquer. C’est nos locaux, on veut savoir aussitôt, mais ils peuvent
intranet qui permet à tous, d’une part, de ce qui se passe dans nos locaux.” aussi préciser qu’ils ne sont
réserver un créneau et une place précise et, (S., femme, 57 ans) pas disponibles à l’instant et
d’autre part, de voir qui a réservé quoi et La coopération s’élabore progressivement qu’ils arriveront dans
quand)(14). Les acteurs vont ainsi inscrire leur entre bilocalisés, ceux-ci découvrant “chemin x minutes, voire refuser de
présence dans le lieu. faisant des raisons et des objectifs pour coopé- s’y rendre s’ils sont pris par
Cela est d’autant plus marquant que cette rer(16)”. Cette coopération se fait parfois de une tâche qui ne peut être
présence n’est que rarement simultanée. Les manière construite, parfois grâce à la séren- interrompue.
agents choisissent une ou deux journées dans dipité(17) que favorise cet espace temps. Tous les (12) Philippe BERNOUX, Mieux-
la semaine et une plage horaire durant laquelle acteurs que nous avons interrogés nous ont être au travail : appropriation
ils seront effectivement présents. Ils peuvent relaté des anecdotes illustrant le caractère et reconnaissance, Octarès
donc se trouver seuls, ou choisir aux côtés de bénéfique de la coprésence d’acteurs venant éditions, 2015.
qui ils vont travailler. Les “marqueurs” sont d’horizons divers, n’appartenant pas aux (13) Gustave-Nicolas FISCHER,
alors autant de traces de leur passage laissées mêmes filières métiers. “L’espace comme nouvelle
aux suivants et signifiant leur présence, leur La seconde appropriation concerne l’éco- lecture du travail”, Sociologie
attachement au lieu, voire, pour certains, leur système dans lequel est inséré cet espace de du travail, n° 4, 1978.
appartenance au collectif de travailleurs bilo- coworking : la gare et ses alentours. La plupart (14) Ces marqueurs “sont de
calisés de l’endroit en question. Ainsi, dans des salariés bilocalisés travaillent dans un divers types. Il y a des
un des espaces où nous nous sommes rendus, espace très proche de leur domicile. Ils ont ‘marqueurs centraux’, objets
les acteurs avaient instauré un “carnet par- donc souvent une meilleure connaissance des placés au centre du territoire
tagé” dans lequel toute personne présente lieux environnants que les agents en gare dont ils annoncent la
dans les lieux à un moment donné devait le (notamment en ce qui concerne les bornes de revendication. […] [Des]
faire savoir en “inscrivant” son passage dans taxi, les arrêts de bus, les commerces, etc.) et ‘marqueurs frontières’, objets
le cahier et en relatant tous les événements apportent à ces derniers de précieux complé- qui marquent la ligne qui
dont elle jugeait le partage pertinent. L’usage ments d’information. Les agents en gare jugent sépare deux territoires
de ce carnet de bord avait été imposé au donc leur présence très utile. adjacents. […] [Et] des
manager de l’équipe d’agents en gare, qui uti- ‘marqueurs signets’,
lisait parfois l’espace de travail bilocalisé “Pendant les grèves j’ai trouvé ça marrant signatures incrustées dans
comme salle de réunion lorsqu’il était inoc- […]. Au début on avait beaucoup de tou- un objet qui le revendique
cupé(15). ristes perdus qui voulaient aller à Versailles. comme partie du territoire
Il y a des plans B, mais comme c’est ma ville des possessions du
“En fait c’est un peu comme si on était une et ma gare c’est facile de les orienter. Moi, je signataire ” : Erving GOFFMAN,
petite famille : on se sent responsable de la connais la gare mais aussi ses environs et La Mise en scène de la vie
logistique, du chauffage, du nettoyage des la ligne. C’est sûr que si je n’étais pas d’ici quotidienne, t. II, Les
plantes vertes. C’est important, les plantes j’aurais eu du mal.” (M., femme, 32 ans) Relations en public, éditions
vertes. On avait un collègue qui y prêtait de Minuit, 1973 (page 55).
beaucoup d’attention et depuis qu’il est parti Les relations qui se tissent parfois entre (15) Ceci est d’autant plus
on a peur de faire mourir les plantes. Il m’a agents des gares et travailleurs bilocalisés intéressant que le manager
écrit et il m’a donné des conseils d’arrosage. dépassent le cadre qui fixe les modalités de dont il est question utilisait
On se sent responsable. Cet été nous leurs interventions lors des situations pertur- déjà cet espace comme salle
n’étions que deux, je suis passé à [la gare bées. Cela conduit certains coworkers à don- de réunion “informelle” avant
de X] juste pour arroser les plantes […] On ner des coups de main en dehors de ces situa- que les travaux soient
a ouvert un cahier et chaque fois qu’on tions, voire en dehors du périmètre de la gare effectués et qu’il devienne
passe on marque la date et le nom de celui elle-même. Un des agents interrogés nous a officiellement un espace de
qui passe et on écrit ce qui s’est passé, […] expliqué qu’il allait volontiers aider les agents travail bilocalisé. Ainsi, pour

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

de la gare à déneiger les quais le matin lors- gériaux, culturels…) limitent cependant le
qu’il arrivait ; cela n’entre pourtant pas dans développement du projet. Tout d’abord, ce
ses attributions, et c’est même perçu négati- projet est concomitant avec le déploiement
vement par sa hiérarchie pour qui cela consti- du télétravail à domicile, qui présente pour
tue une prise de risque inutile (glissade). De beaucoup l’avantage de ne pas avoir à se
même, un autre agent nous a expliqué s’être déplacer du tout. C’est particulièrement vrai
“entendu” avec le manager des agents des pour les salariés qui doivent emprunter un
gares de la ligne pour qu’on l’appelle en cas de moyen de transport pour se rendre dans l’es-
situations perturbées ailleurs que dans la gare pace de travail bilocalisé le plus proche. Le
où se trouve son espace de travail bilocalisé. temps ou les modalités de transport peuvent
Il s’y rend dans ce cas avec sa voiture per- apparaître comme une contrainte trop impor-
sonnelle. tante, suffisante pour opter pour le télétra-
vail à domicile.
“Moi il m’est arrivé d’intervenir dans Ensuite, certains responsables d’équipe sont
d’autres gares en accueil car c’était perturbé réticents à savoir leurs collaborateurs loin
mais je l’ai fait sans le déclarer […] c’était un d’eux. L’activité managériale renvoie alors à
arrangement avec le [manager] sur place. la supervision directe et est parfois empreinte
Comme il n’y avait pas de train je suis allé d’une vision taylorienne supposant la flânerie
ce manager, à l’instar de dans les gares intermédiaires avec ma voi- des salariés. Ces représentations managériales
nombreux acteurs, la ture je ne l’ai dit à personne car ce n’est pas sont peu propices aux organisations du tra-
création de ces espaces de dans les clous mais ça a soulagé tout le vail alternatives comme le travail bilocalisé,
travail bilocalisés a pu être monde.” (J., homme, 53 ans) quand bien même celui-ci prend place dans
perçue comme une un univers professionnel.
dépossession, en miroir de Nous avons ici ce que nous pouvons appe-
l’appropriation que réalisent ler une “relation de service étendue”, dans “Dans les réunions où [le responsable] RH
les acteurs qui investissent laquelle, d’une part, les acteurs de l’entreprise présentait le télétravail et le travail bilocalisé,
ces “nouveaux” locaux. sont tour à tour destinataires et prestataires de [mon manager] ne se cachait pas de dire
(16) Christophe AGUITON et service, et où, d’autre part, les services ren- qu’il était contre et que ça n’allait pas mar-
Dominique CARDON, “Web dus aux usagers sont étendus aux à-côtés du cher […] Lui, il dit que dans télétravail il y
participatif et innovation système ferroviaire et dépassent même le a télé.” (C., femme, 39 ans)
collective”, Hermès, La champ de la mobilité (lorsqu’il s’agit d’ai-
Revue, n° 50, 2008. guiller les voyageurs vers des distributeurs Enfin, ces espaces de coworking en gare
(17) Vincent CALVEZ, “Les d’argent liquide, par exemple). sont issus de la réhabilitation d’anciens appar-
paradoxes de la sérendipité La coordination s’étend progressivement en tements vétustes et inoccupés. Cependant,
dans les organisations”, dehors de l’enceinte du coworking : de la coor- dans bien des cas, “inoccupés” ne signifie pas
Humanisme et Entreprise, dination, on tend davantage vers de la coopé- “inutilisés”. En effet, de manière informelle,
n° 313, 2013. ration, sous-tendue par une logique de don les agents des gares s’étaient parfois réap-
(18) Norbert ALTER, Donner et contre don(18). La coopération dépasse la coor- propriés ces espaces et leur avaient trouvé de
prendre. La coopération en dination, tout en l’incluant : elle s’inscrit au nombreux usages. La réhabilitation a donc
entreprise, La Découverte, départ dans un cadre prescrit (échange de parfois été synonyme de dépossession, ce qui
2010. locaux contre du personnel disponible en cas de a pu engendrer des résistances de la part des
(19) Patrice GENOUD et Alexis situations perturbées), puis conduit à le dépas- acteurs locaux.
MOECKLI, “Les tiers-lieux, ser (interventions en dehors des situations per- Néanmoins, la volonté de viabiliser, d’uti-
espaces d’émergence et de turbées ou dans une autre gare du secteur). liser et de rentabiliser ces espaces conduit les
créativité”, Revue La nécessaire ouverture de l’espace et l’ex- responsables à ouvrir ces lieux à des personnes
économique et sociale, n° 2, tension du domaine de la collaboration. Un cer- n’appartenant pas à la SNCF, tout en garan-
juin 2010. tain nombre de freins (organisationnels, mana- tissant parfois quelques places aux agents de

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ALEXANDRE LARGIER

l’entreprise. Si cette volonté d’ouverture (et


d’essaimage) semble commune à de nombreux
espaces collaboratifs(19), cela n’a pas été pensé
dès le départ dans le cas présent et cela prend
des formes différentes selon les espaces et leur
environnement.
La collaboration devient alors tout à fait
transverse, intègre des acteurs externes, clients,
partenaires, institutionnels, et s’inscrit dans
une construction de relations pérennes avec
les acteurs d’un territoire donné.

■ ■
La conception n’appartient pas (seulement)
aux concepteurs. Ceux-ci conçoivent la base
matérielle qui vise avant tout à garantir une
bonne coordination entre des agents. Ensuite,
les travailleurs eux-mêmes s’approprient les
lieux et mettent en place une coopération
dépassant le cadre tel qu’il a été imaginé et
partiellement prescrit. Enfin, le projet s’ouvre
et des tiers s’accaparent ces tiers-lieux, ce qui
amènera très probablement de nouvelles trans-
formations.
Ces espaces de coworking ne sont pas
conçus comme des espaces collaboratifs dès le
départ, mais les pratiques qui s’y développent
conduisent à une reconception de l’espace et
des temps de la collaboration. C’est ici l’es-
pace (les lieux de coworking en gare) qui per-
met d’insuffler des pratiques de collabora-
tion.
Progressivement les pratiques contribuent à
redéfinir le lieu (la gare et ses alentours) et les
espaces qui le composent. Les acteurs poussent
les murs (de l’enceinte de coworking) et la
notion de collaboration change, celle-ci
devient de plus en plus prégnante et s’étend.
D’une coordination à distance entre acteurs
d’un même service (sous-tendue par des dis-
positifs de communication à distance) à une
coopération élargie, la collaboration s’enri-
chit de toutes ces dimensions, visant à
accroître l’interconnaissance de tous les
© ivan mogilevchik

acteurs d’un territoire insérés dans un sys-


tème relationnel au sein duquel l’espace de
coworking constituerait un nœud. ■

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CAHIER RENOUVEAU DES LIEUX DE TRANSIT

© sehbaer_nrw
La gare routière de Herne (Allemagne)

© francis

L’aéroport de Bangkok-Suvarnabhumi

118 E S PA C E S 3 3 4 • J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 7
Architectes : JM. Duthilleul, F. Bonnefille, E. Tricaud
© Arep / Photographe : Didier Boy de la Tour
La gare de Montpellier Saint-Roch (SNCF)

© RATP - Denis Sutton

Le pôle multimodal de La Défense (RATP)

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