46

NOUVELLE
N°

FORMULE SEPTEMBRE
OCTOBRE
2019

COUV
DÉCRYPTAGE SOLUTIONS AUTONOMIE
LE CERVEAU VIANDE, MINE DE
EST-IL ÉCOLO ? STOP OU ENCORE ? CAROTTE
FRANCE, 6,50 € - BEL / LUX : 7,20 € - ESP : 7,40 € - CH : 11 FS - MAR : 80 MAD - TUN : 11,90 DT - DOM : 7,40 € - TOM : 850 XPF

DOSSIER

DÉSOBÉIR
POUR LA PLANÈTE
BONNES ADRESSES : BORDEAUX
PORTFOLIO :1 GUILLAUME NÉRY
Éditeur
SARL EKO LIBRIS
au capital de 98 913 €
Siège social

EDITO
19, rue Martel - 75010 Paris
info@kaizen-magazine.fr
www.kaizen-magazine.com
Pascal Greboval
Magazine bimestriel numéro 46 R édacteu r en ch ef
Septembre-octobre 2019
Imprimé sur papier certifié PEFC

RÉFLÉCHIR,
Fondateurs
Cyril Dion, Yvan Saint-Jours,
Patrick Baldassari et Pascal Greboval

ÉDITO
Directeur de la publication
Patrick Baldassari

C’EST DÉJÀ
Rédacteur en chef
Pascal Greboval

Rédactrice en chef adjointe

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Secrétaire de rédaction

DÉSOBÉIR
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Journaliste multimédia
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Stagiaires pour ce numéro

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Via Schuller-Graphic
Corlet Roto (Imprim’Vert)
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Numéro ISSN : 2258-4676
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T
« u vas obéir, oui ! » Cette phrase, combien de fois l’avons-nous enten-
due, enfant, dans la bouche de nos parents ou d’autres adultes ?
Puis plus tard, dans sa forme plus policée, « je vous demande
d’obéir », dans la bouche d’un agent, d’un juge, d’un caporal, d’un chef…
Obéir à qui est à peu près clair. L’injonction émane en général d’un repré-
sentant de l’autorité, parentale, légale, entrepreneuriale… Mais obéir à
quoi ? Aux règles, lois édictées par cette autorité a priori… Mais ces règles,
lois, de quelles valeurs s’inspirent-elles ? C’est ici qu’obéir nécessite de
réfléchir. Quand des Français.e.s, pendant la Seconde Guerre mondiale,
cachent, aident des Juifs, ils agissent en fonction de ce qui leur semble
juste, plutôt qu’obéir à des lois iniques. Quand Antigone désobéit au roi
Créon, qui lui interdit d’enterrer son frère, elle préfère la sagesse aux
lois de son oncle. Comme le résume Henry David Thoreau, concepteur
et pionnier de la désobéissance civile [lire page 49], « ce qui est légal
n’est pas forcément légitime. » Désobéir n’est pas, comme d’aucuns le
caricaturent, une forme d’anarchie, c’est plutôt une manière de dire, tel
l’Homme révolté de Camus : « Vous allez trop loin… Il y a une limite que
vous ne dépasserez pas. » Or la limite est sous nos yeux. Si l’on ne fait
rien MAINTENANT, les vagues de chaleur extrême seront bientôt notre
lot quotidien en été. Quand une majorité de députés français votent pour
le CETA en pleine canicule, et alors que le permafrost arctique canadien
fond soixante-dix ans plus tôt que prévu, il semble que le temps soit
venu de désobéir. Car, au fond, quelle bonne raison avons-nous de faire
traverser l’océan Atlantique par cargo à des vaches bourrées de produits
toxiques alors que nos agriculteurs les aiment, les élèvent, de la Nor-
mandie au Pays basque, de la Bretagne au Cantal ? Et cet accord n’est
qu’un exemple. Ceux qui nous gouvernent n’obéissent plus aux lois du
vivant, mais aux lois de l’argent… et ce depuis trop longtemps. Alors
inspirons-nous de Victor Hugo : « Au fond, Dieu veut que l’homme déso-
béisse. Désobéir c’est chercher. » Et cherchons ensemble… des solutions.
Réfléchir, c’est déjà désobéir. n

Aucun texte ni aucune illustration

ne peuvent être reproduits sans
l’autorisation du magazine. Merci.
3
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 3
 SOMMAiRE K AI ZEN N° 4 6 - SEPTEMBR E- O C TO BR E 2 0 19

RENCONTRE 6 ET SI ON LE FAISAIT ENSEMBLE ? 44 D.I.Y. 68

Sébastien Bohler Climat, Mine de carotte

SOMMAIRE
l’union fait la force
BD 10 JE VAIS BIEN, LE MONDE VA MIEUX 72
Cyril Dion CHRONIQUE 49 Aviron,
Au revoir Gilles Farcet la parenthèse vivifiante
Thoreau et la désobéissance
EN CHIFFRES 12 intérieure EN CHIFFRES 77
La croissance L’eau en bouteille,
des écoles alternatives EN QUÊTE DE SENS 50 le goût en vaut-il la chandelle ?
Clémence Debord,
ÉCLAIRAGE 14 des livres à la vigne VIVRE EN OASIS 78
Les villes nourricières, La ferme de Chenèvre,
utopie ou réalité ? GOÛT DE L’ENFANCE 52 l’apprentissage
Un vélo pour 10 ans du faire-ensemble
LA NATURE MISE À NU 18
Les araignées des maisons, ROUE LIBRE 56 BD 80
des compagnes inoffensives Dunkerque, Art-Mella
la gratuité des bus, ça paye ! L’équilibre de l’élastique !

VENT D’AILLEURS 60 NOS BONNES ADRESSES 82

Sénégal Bordeaux
Beer Shéba,
l’agroécologie au cœur du Sahel CUISINE 86
En mode zéro déchet !
DOSSIER

MOTS CROISÉS 64 La pomme

Viande, Cet ingrédient bio, j’en fais quoi ?
stop ou encore ? Le miso

BD 66 RENDEZ-VOUS 93
Carole Maurel
Qu’est-ce qu’une oasis ? SÉLECTION KULTURELLE 94

LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE CHRONIQUE 98

Pierre Rabhi
FACE À L’URGENCE CLIMATIQUE 20 De l’urgence de rétablir l’unité

Origine du papier : pages intérieures :

PORTFOLIO Belgique ; encart : Allemagne ; couver-

ture : Pays-Bas. Taux de fibres recy-
Guillaume Néry et Franck Seguin 36 clées : 0 %.
Ce magazine est imprimé sur un papier
issu de forêts gérées durablement.
Eutrophisation : Ptot = 0,018 kg/t.
Pour les abonnés : une relance de fin
d’abonnement.

4
4 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9

DÉCRYPTAGE
SÉBASTIENRENC
R e ncon t r e
BOHLER
Un dérèglement climatique majeur nous pend au nez, et rien n’est fait pour l’enrayer. Selon
Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, le responsable serait notre cerveau, accro
à la dopamine depuis des millions d’années. Mais bonne nouvelle : on peut le rééduquer !
Nous sommes face à une urgence climatique
et notre réaction n’est pas à la hauteur du
problème. Comment l’expliquez-vous ?
C’est en partie lié au fonctionnement de notre
BIO EXPRESS cerveau, et à nos cinq instincts fondamentaux :
manger, se reproduire, gagner du prestige (du
1970 statut social), trouver de l’information et faire le
Naissance à
Strasbourg
moins d’effort possible. À chaque fois qu’on les
satisfait, on a du plaisir. On sait aujourd’hui tra-
2001
Docteur en
duire ce mécanisme physiologiquement : notre
neurosciences striatum [voir dessin page 8] nous envoie une
2017 dose de dopamine [sorte d’« hormone du plaisir »,
Création qui permet la communication au sein du système
du magazine
Cerveau & Psycho,
nerveux, NDLR]. Ce mécanisme est en place de-
dont il est puis le paléolithique et a contribué à la survie de
rédacteur en chef
l’espèce humaine. Un peu plus tard, s’est déve-
2019 loppé le cortex. Il a favorisé le développement des
Le Bug humain,
publié aux
technologies, de l’agriculture intensive, l’élevage
éditions Robert en batterie, les pesticides, engrais, OGM… Nous
Laffont
avons donc un système qui, au départ, était confi-
guré pour manger le plus possible dans un envi-
ronnement hostile, mais qui n’a jamais été pro-
grammé pour s’arrêter, s’autolimiter. Résultat :
on mange sans limites et les courbes de l’obésité
s’envolent partout dans le monde ; on meurt au-
jourd’hui plus du surpoids que de la faim.
Si trouver de l’information est une fonction
de base, pourquoi ne réagit-on pas en
conséquence au dérèglement climatique ?
Ce qui nous manque, c’est la capacité à percevoir
cette menace au niveau émotionnel. C’est
6
6 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
Pascal Greboval
L ou n a B ou l ay
toujours lié au striatum, qui lance des processus
émotionnels puissants, notamment avec la
dopamine. Il réagit aux situations présentes.
On le voit avec des expériences très simples. Si
l’on nous propose d’avoir 10 euros tout de suite
ou 20 euros dans un an, systématiquement, on
choisit ce qui se passe maintenant. C’est un
réflexe enfoui au plus profond de notre cerveau.
Donc on doit faire un effort intellectuel pour
visualiser la hausse des températures, du ni-
veau des océans, la sécheresse, l’effondrement
de la biodiversité. Notre striatum est totalement
imperméable à des échéances de dix, vingt,
trente ans.
On commence à subir les effets du dérègle-
ment climatique, comme lors des épisodes
caniculaires. Est-ce un facteur pour réagir ?
Effectivement, on ne réagit que quand les catas-
trophes se produisent. Mais en ce moment, on
est dans un entre-deux. Nous avons des coups
de semonce, qui durent une, deux semaines, puis
ça va un peu mieux. Donc on va s’alarmer pen-
dant une, deux semaines et, en même temps,
imaginer qu’il y a moyen de s’en sortir ; on va, par
exemple, installer des climatisations. Cette pu-
blicité d'une compagnie aérienne française pour
« 1 million de sièges à 40 € » pendant la canicule
de juin 2019 montre le cynisme, l’incohérence de
notre société : « Plus la température grimpe, plus
les prix baissent […]. Les sièges sont bien au frais
mais à ce prix-là, ils fondent comme neige au
 DÉCRYPTAGE

CONTRE

“SI L’ON FAIT QUELQUE CHOSE COLLECTIVEMENT

POUR UN OBJECTIF QUI A UN SENS, ALORS ON
EST CAPABLES DE SOULEVER DES MONTAGNES."

7
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 7
 Rencontre
soleil… » En résumé, on a encore moyen de se
DÉCRYPTAGEL’éducation
faire plaisir quand ça va mal. Il y a une faillite de
la raison. Les sondages de mai 2019 montraient
la soi-disant prise de conscience pour les enjeux
écologiques, or celle-ci s’efface totalement au
moment d’acheter des billets d’avion pour partir
en vacances. On met entre parenthèses notre
conscience pour satisfaire l’excitation de notre
striatum qui veut nous donner un plaisir tout de
suite.
Nous avons tous un striatum, or les peuples
racines, par exemple, ne sont pas aliénés par
cette folle course à la croissance…
Notre striatum est aussi façonné par le système
social dans lequel on vit. Il est motivé par le statut
social, la valorisation. Si vous êtes valorisé sur la
base de votre salaire, la taille de votre voiture,
votre smartphone ou les marques que vous por-
tez, vous allez chercher ces signes extérieurs de
richesse. C’est le modèle social occidental, où la
valorisation sociale de l’individu est liée à
l’argent. Chez les peuples racines, elle passe pro-
bablement par d’autres voies. Des études d’an-
thropologie ont décrit des peuples en Amazonie
où l’individu dans le clan était valorisé non par
ce qu’il possédait, mais par ce qu’il donnait 1. Plus
vous donnez, plus vous êtes valorisé. C’est égale-
ment ce qui ressort des études d’imagerie céré-
brale comparant les hommes et les femmes. Elles
montrent, par exemple, que les petites filles à qui
l’on apprend à partager vont avoir du statut social
associé au fait de donner 2 . Donc c’est quelque
chose qu’on peut voir à la fois chez les peuples
racines et chez des petites filles qu’on éduque au
fait d'avoir de l’empathie et de la sollicitude.
Cortex
Thalamus Striatum
Hypophyse
Locus niger
8 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
joue donc un rôle fondamental.
Oui, fondamental.
Peut-on déjouer le fonctionnement
du striatum ? Le cortex peut-il gagner
le match ?
Le cortex est très développé aujourd’hui, mais on
l’utilise uniquement pour l’intelligence pratique.
RENC
On devrait l’utiliser pour développer notre
conscience. Parce que la conscience peut interagir
avec notre striatum, pour ajouter une dimension
qualitative au plaisir biochimique qu’il nous donne.
L’autre problème du striatum est qu’il est program-
mé pour obtenir toujours plus. Les réseaux sociaux
ont bien intégré ce principe. Quand on gagne des
likes sur Facebook, le striatum libère de la dopa-
mine. Le problème, c’est que si le nombre de likes
stagne, la dopamine s’épuise. Le striatum dit alors :
« Si c’est comme ça, j’arrête de donner de la dopa-
mine. » Idem quand vous mangez sucré : vous avez
un shoot de dopamine machinal, vous en prenez
toujours plus et finalement, il n’y a plus de dimen-
sion qualitative. Alors que si vous instaurez de la
conscience, en prenant le temps de détailler les
saveurs, la finesse, la texture, de laisser la satiété
s’installer, eh bien ! avec une quantité moindre,
vous aurez autant de plaisir et de dopamine ! Mais
créer cette conscience demande un effort du cortex.
La méditation est un outil formidable pour cela.
Cela laisse la responsabilité à l’individu, alors
qu’il y a aussi une dimension politique…
Oui, ce moteur physiologique génétique est une
donnée défavorable. On a été programmés pen-
dant des millions d’années pour satisfaire ces
besoins fondamentaux. On a favorisé un monde,
un système économique, politique, qui ne fait
que satisfaire ces cinq besoins primitifs, au sens
« préhistoriques ». Aujourd’hui, ça nous emmène
dans le mur. Dès lors, la question est : quel envi-
ronnement social crée-t-on avec cette donnée ?
Où intervenir sur les libertés individuelles, la
liberté de communiquer, la liberté d’expression,
la liberté d’entreprise ?
Comment répondre à ces questions ?
On a besoin de sens, de quelque chose qui relie les
© DR
gens à très large échelle. Il nous faut des valeurs
fondatrices, des valeurs « sacrées », qui priment
sur toutes les autres, auxquelles tout le monde
adhère. L’enjeu est de remettre de la coopération
et, disons-le, du sacrifice, mais dans l’équité. Sans
Cervelet
personne qui s’échappe, se dédouane de ses obli-
gations ou vive avec des privilèges.
8
 « Sacrifice », est-ce audible ?
Audible ou pas, de toute façon, on n’a pas le choix.DÉCRYPTAGE
besoin : des gestes plus tournés vers l’autre que vers
soi. Quand on donne aux autres, on obtient de la
Si l’on veut avoir une chance que la planète soit
habitable dans son temps, il va falloir que l’on
fasse des sacrifices. On en est capables si on les
fait tous ensemble. Et c’est là que se pose la ques-
tion du modèle plutôt compétitif ou plutôt colla-
boratif. Nous devons mettre en place un projet,
CONTRE
une organisation sociale où chacun soit content
de faire des sacrifices, soit pour une cause, avec
du sens, sachant que les autres le font aussi.
Quand les hommes, les femmes construisaient
des cathédrales en mangeant un quignon de pain
et en vivant trente ans seulement, c’était plus
que des sacrifices, mais ils étaient persuadés que
cela avait un sens qui allait au-delà de leur exis-
tence sur terre. On ne peut plus faire ce pari-là,
on n’est plus dans le mysticisme. Mais cela
montre que si l’on fait quelque chose collective-
ment pour un objectif qui a un sens, alors on est
capables de soulever des montagnes.
Certes, mais notre société favorise
l’individualisme. Comment se rééduquer
à la coopération ?
C’est une question de confiance. L’être humain est
capable de coopérer, faire des sacrifices et renoncer
à beaucoup de choses, à condition que les autres le
fassent aussi. C’est une constante dans les études
d’anthropologie. La coopération chez l’être humain
est conditionnelle. Si vous demandez à un ado-
lescent préoccupé par le climat : « Est-ce que tu
veux bien renoncer à tes baskets de marque ? », il
répond : « Je veux bien, mais je ne veux pas être le
seul. » Dans un groupe, si vous êtes le seul à ne pas
avoir de signes de statut social, c’est insupportable.
On a besoin de se sentir sur un pied d’égalité avec
les autres. Donc coopérer, c’est indispensable, mais
il faut des structures, des dispositifs sociaux ou
institutionnels, qui assurent que les autres font
leur part aussi. Car depuis les origines, on a une
voix double dans le cerveau. Il y a ce striatum qui
nous fait rechercher des avantages personnels
alors que notre survie passe par le groupe.
L’éclosion des technologies, la révolution indus-
trielle nous ont mis dans une situation où l’on s’est
dit : « Je n’ai plus besoin des autres. » Aujourd’hui,
on peut vivre seul dans notre coin avec notre télé-
commande, notre voiture. On a quitté la voie de la
coopération, mais on est obligés de la rejoindre.
Une clé serait de donner du statut social, mais avec
de nouvelles stimulations. Cela ne doit plus être
consommer, produire, mais, par exemple, arroser
une plante, donner de l’argent à quelqu’un qui en a
dopamine et on se fait du bien. Les grands al-
truistes ont un striatum très puissant.
L’individualisme, n’est-ce pas in fine un déni
de notre propre mort ? De notre finitude ?
Oui. En psychologie, quand on incite les gens à pen-
ser à leur propre mort, un des grands schémas de
réaction consiste à consommer encore plus, pour
éloigner le spectre de la mort. Pour se dire : « Je suis
toujours dans le bien-être, dans le plaisir. » Sans
« Quand on donne aux autres, on obtient
de la dopamine et on se fait du bien. »
aller jusqu’à l’idée de sa propre mort, le divertisse-
ment évite de se poser, de chercher du sens, de
prendre le temps de se dire : « Mais finalement, où
est-ce que je veux aller ? » Ces questionnements sont
insupportables. Ils impliquent de tout remettre en
cause : votre travail, votre couple, votre mode de
vie, où vous habitez… C’est trop angoissant. Trop
de chantiers en perspective… et à ce moment-là, on
se dit : « Il y a un programme sympa à la télé… »
C’est un manque de spiritualité ?
Un vide de sens, en tout cas. On a basculé dans
le « tout-consommation » grâce à un mouvement
d’appropriation sur la nature par la science, la
technologie qui a évacué la spiritua lité.
Aujourd’hui, on a tellement tout rempli de pou-
voir matériel et de confort qu’on n’a presque plus
de sens. Donc on regarde nos objectifs de vie en
se disant : « J’aimerais réussir dans mon boulot,
mettre mes enfants dans cette
école-là, avoir une plus grande
maison… », c’est sympa, ça P O U R A L L E R P L U S L O IN
nous fait avancer. Oui… et
• Sébastien Bohler, Le Bug humain. Pourquoi
a p r è s ? O ù e s t le s e n s ?
notre cerveau nous pousse à détruire la
Appa remment , pour un
p l a n è te e t c o m m e n t l ’e n e m p ê c h e r,
nombre croissant de nos ci-
Robert Laffont, 2019
toyen s , ave c le s b u ll s hit
jobs, etc., cela devient difficile • www.cerveauetpsycho.fr
individuellement. Il y a une
• Retrouvez la version longue et vidéo
demande croissante de sens. n
de cet entretien sur :
1. Ricardo Godoy et al., « Signaling by
Consumption in a Native Amazonian https://kaizen-magazine.com/article/
Society », in Evolution and Human Behavior, sebastien-bohler-le-cerveau-nest-
vol. 28, 2007.
pas-ecolo-mais-on-peut-leduquer
2. Alexander Soutschek et al., « The
Dopaminergic Reward System Underpins
Gender Differences in Social Preferences »,
Nature Human Behaviour, vol. 1, 2017.
9
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 9
C h r o n ique CDÉCRYPTAGE
yril Dion
A U T EUR & R ÉALIS AT EUR
Ba st ien D u b o i s

AU REVOIR
CHRONIQUE
J n jour, au moins temporairement,
on a fait le tour de son sujet.

CYRIL DION
Ce que j’avais à dire sur la poli-
tique, la transformation de la
société, la mobilisation, je l’ai déjà
dit. Sous de multiples formes. Et
rien n’est plus triste que de ressasser.
C’est la raison pour laquelle, à partir du prochain
numéro, vous trouverez une autre chronique en
lieu et place de celle-ci. Qui apportera d’autres
points de vue sur tous ces sujets.
Pour cette dernière, je vous propose un poème,
tiré du spectacle Résistance poétique, que nous
avons créé avec Sébastien Hoog à la Maison de
la Poésie à Paris.
Merci à tous ceux qui m’ont lu pendant ces
quelques années. Ce fut un privilège d’écrire
pour vous. n

DEBOUT
Nous ne sommes pas nés Nous sommes nés pour la pluie et le vent
pour recouvrir cette terre de mélasse grise pour les yeux énamourés
pas nés pour les allées des hypermarchés pour le culot sauvage et les outres de vin
pas nés pour cracher le gaz gras pour les tombereaux de lumière
l’échappement puant l’élan droit et clair
la brume noire des hauts-fourneaux pour ma peau sur ta peau
pas nés pour réduire en cendres pour ma main dans ta main
pas nés pour saigner à blanc pour hurler aux cieux
pas nés pour pisser dans l’eau claire rampant et rompu
dressés sur les cuvettes immaculées pour abîmer nos semelles
pas nés pour nous entasser
dans les couloirs Nous sommes nés pour l’horizon
les fumoirs et les couchers argentés
les tunnels pour les draps frais et le bois lisse
pas nés pour les photocopies et la machine à café pour les mots qu’on murmure et les cascades de
pas nés pour les chips barbecue et les sandwichs notes
triangulés pour l’ardeur et la fébrilité
pas nés pour le carnage, le ménage, la télé
pas nés pour engraisser Nous sommes nés
dix types à bretelles pour être enfin ici
à lunettes les yeux grand ouverts
pas nés pour Wall Street et le monde sous nos pieds
pas nés pour l’argent
pas nés pour Kim Kardashian Debout

10
10 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
e n ch iffres La DÉCRYPTAGE
croissance
Fa n ny Co s t e s
J ust in e L e J o n c o u r des écoles alternatives
Depuis une dizaine d’années les pédagogies alternatives font régulièrement

INFOG
la une des médias. Pourtant, sans recensement officiel et compte tenu de la
grande variété des méthodes qui pénètrent l’éducation, difficile de mesurer
leur « poids » actuel. Nous nous sommes essayés à l’exercice.

DES ÉCOLES QUI SE RÉCLAMENT DE PENSEURS

ET PÉDAGOGIES COMME…

Maria Montessori :
principal acteur de
Rudolf Steiner : le respect
ses apprentissages,
de l’individualité de
l’enfant choisit son
l’enfant et l’apprentissage
activité et se déplace à
par le « faire » fondent
sa guise. Il dispose d’un
cette pédagogie. Aucune
matériel spécifique qui
notation n’est pratiquée
stimule l’apprentissage
avant le collège.
par les sens.

Célestin Freinet : le tâtonnement

expérimental, la coopération et
l’apprentissage naturel sont la base
de la pédagogie.
Ovide Decroly : éclatement des lieux Et aussi…
d’apprentissage, travail libre, droit Pédagogie écocitoyenne : les apprentissages se
à l’erreur ou encore méthode globale basent sur l’expérience vécue en nature et sont liés
pour apprendre à lire et à écrire aux saisons.
fondent cette pédagogie. Pédagogie démocratique : la voix de l’enfant est
égale à celle de l’adulte. Les élèves sont libres de
s’exprimer et encouragés à le faire. Ils choisissent
le déroulement de leur journée.
Les pédagogies Montessori et démocratique représentent à elles seules
51,6 % des nouvelles ouvertures d'écoles alternatives.

12
12 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 UN POINT EN COMMUN : L’AUTONOMIE DE L’ENFANT
DÉCRYPTAGE

GRAPHIE

Source : Fondation pour l’école/DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance,

service statistique du ministère de l’Éducation nationale)

ET DANS LE PUBLIC ?
Quelques établissements scolaires publics proposent
une pédagogie alternative.
On en compte 19 sur le territoire métropolitain.
Ils sont référencés par la FESPI (Fédération des établissements
scolaires publics innovants).
Et certains enseignants du public commencent à intégrer les
pédagogies alternatives dans leurs classes.
Plus de 2 400 enseignants se sont inscrits sur la carte interactive
du blog de Céline Alvarez 1.

1. Céline Alvarez, Les Lois naturelles de l’enfant. La révolution de l’éducation à l’école

et pour les parents, Les Arènes, 2 016. www.celinealvarez.org

13
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 13
 Au de R au x

ECL AIR A GE
L e Cil Ver t
DÉCRYPTAGE

LES VILLES
NOURRICIÈRES :
ÉCLAIRAGE
UTOPIE
OU RÉALITÉ ?
Les locavores prennent racine ! De plus en plus de villes françaises souhaitent tendre
vers l’autonomie et développer leur capacité à répondre localement aux besoins

L
alimentaires de leur population. Ce défi relève-t-il de l’utopie ou peut-il être relevé ?

a souveraineté alimentaire urbaine légumes, au détriment de l’élevage, des légumi-

est-elle une utopie ? Comment rele-
ver ce défi en France, alors que 80 %
de la population vit en ville, et que
98  % des aliments des cent pre-
mières aires urbaines sont impor-
tés 1 ? Arnaud Florentin, directeur associé de la
bien nommée agence de conseil en développe-
ment durable Utopies, qui a réalisé plusieurs
études sur le sujet 2, rappelle qu’« il ne s’agit pas
d’un problème de carence de la production sur
les aires urbaines puisque 97 % de cette agricul-
ture locale finit dans les estomacs d’une autre
ville. » Cette situation ubuesque vient de ce qu’il
dénomme « l’hyper spécialisation des terri-
toires ». « Même les espaces urbains qui par-
viennent à un niveau correct d’autosuffisance
ne sont hyper performants que dans un seul
domaine agricole. Avignon, par exemple, pre-
mière de notre classement avec un taux de 8,2 %
d’autonomie, s’est spécialisée dans les fruits et
neuses et des céréales pour lesquels elle doit
recourir à l’importation. »
À noter que les mesures des zones agricoles
des aires urbaines varient, «  de 500 mètres
pour une petite bourgade à 50 kilomètres pour
Paris », rappelle Marc Dufumier, qui a dirigé la
chaire d’agriculture comparée à AgroParisTech.
Utopies relève trois mesures : « Albi a sélectionné
un rayon de 60 kilomètres. Les drives fermiers
[e-commerce de produits fermiers locaux, NDLR]
présentent, eux, un rayon de 80-100 kilomètres
en moyenne. Et des labels comme “Le local
me régale” ont opté pour une mesure étendue
à 150 kilomètres. » Quelle que soit la mesure
retenue, très peu de zones urbaines atteignent
un niveau d’autonomie supérieur à 5 % dans au
moins deux catégories de produits. Avignon est
suivie par Valence, Nantes, Angers, Saint-Brieuc
et Brest qui plafonnent autour de 6 % à 6,5 %. Avec
un taux inférieur à 0,2 %, Thionville, Compiègne,

14
14 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 DÉCRYPTAGE
REPORTAGE
Creil et Forbach se situent à la fin du palmarès.
À l’échelle régionale, le taux varie de 1,1 % pour
l’Île-de-France à 18,3 % en Nouvelle Aquitaine.
UNE QUESTION DE VOLONTÉ POLITIQUE ?
Selon les projections d’Utopies, l’autonomie des
cent premières zones urbaines françaises pour-
rait atteindre 10 % d’ici quinze ans. Un objectif
certes modeste, mais raisonnable. Pour y par-
venir, un double défi doit être relevé : « préser-
ver les ceintures vertes, notamment en luttant
contre la forte spéculation foncière aux abords
des métropoles, mais aussi permettre à des actifs
agricoles d’exercer leur métier dans le respect
de l’environnement et avec un salaire juste »,
détaille Arnaud Florentin. Les régies agricoles
municipales sont une piste exploitée par cer-
taines collectivités, comme Toulouse, Vannes,
Gonfreville-l’Orcher et Mouans-en-Sartoux.
Adjoint au maire de cette commune de moins
de dix mille habitants, située dans les Alpes-
Maritimes, en charge de l’enfance et de l’éduca-
tion, Gilles Pérole explique sa démarche : « Nous
avons toujours cuisiné des produits frais dans
nos restaurants collectifs qui servent mille cin-
quante repas par jour aux demi-pensionnaires,
agents municipaux et seniors. Suite à la crise
de la vache folle, nous avons introduit du bio
en 1999. Puis, entre 2008 et 2012, nous sommes
parvenus au 100 % bio. Mais certains produits ve-
naient de loin, ce qui ne correspondait pas à notre
conception de la bio, qui doit être locale. Face au
manque d’agriculteurs de proximité, les terres
ayant été dévorées par l’urbanisation, nous avons
eu l’idée de la régie en 2008. » Pour la mettre en
œuvre, la mairie a démarré une expérimenta-
tion sur un domaine agricole de 4 hectares. Le
terrain avait été préempté deux ans auparavant
et a, depuis, été agrandi de 2 hectares pour per-
mettre la rotation des cultures. En mars 2011, la
régie agricole municipale 100 % bio était lancée.
Gilles Pérole, également président du « premier
réseau national des cantines bio » Un Plus Bio, se
« La notion d’autonomie passe autant
par la production agricole que par la
transformation de cette production. »
souvient : « Nous avons reçu tellement de visites
de municipalités qu’en janvier 2018, nous avons
lancé un diplôme universitaire (DU) de chef de
projet en alimentation durable option collectivité
territoriale en partenariat avec l’université Côte
d’Azur. » Comment les coûts ont-ils été maîtri-
sés ? « Principalement via la réduction de 80 %
15
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 15
 eclairage
DÉCRYPTAGE
des restes alimentaires, soit une économie de
20 centimes par repas. Et aussi en servant un
repas à base de protéines végétales et un repas
végétarien par semaine », précise-t-il. En 2017,
la régie a produit 25,2 tonnes de légumes, soit
85 % d’autosuffisance pour la restauration col-
« L’idée n’est pas de viser l’autonomie
alimentaire des aires urbaines
à 100 %, mais le rééquilibrage
entre les territoires. »
lective. Quant aux autres aliments, la mairie a
recours aux marchés publics : 70 % viennent de
la région PACA et du Piémont mitoyen. « Au final,
remarque Gilles Pérole, tout est une question de
volonté politique. »
PAT ET RÉGIES AGRICOLES
Reconnus par le ministère de l’Agriculture dans
le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’ali-
mentation et la forêt (LAAF) d’octobre 2014,
les projets alimentaires territoriaux (PAT) ont
l’ambition de fédérer les différents acteurs d’un
territoire autour de la question de l’alimentation,
16
16 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
ÉCLAIRAGE
contribuant ainsi à la prise en compte des dimen-
sions sociale, environnementale, économique et
sanitaire. Dans ce cadre, Toulouse a dynamisé sa
régie. Créée dès 1976, celle-ci emploie aujourd’hui
quatre ouvriers agricoles, un chef de culture et
un régisseur, qui gèrent 25 hectares de vignes et
226 hectares de grandes cultures (blé, orge…) À
titre d’exemple, les 6 tonnes de lentilles produites
par an sont utilisées pour les 33 000 enfants des
cantines scolaires. Au printemps 2019, Vannes
a lancé, en partenariat avec le Groupement des
agriculteurs biologiques (GAB) du Morbihan,
sa régie en maraîchage bio pour alimenter ses
crèches.
Mais « on est encore loin du schéma “de la ferme
à l’assiette” », déplore Arnaud Florentin puisque
les agriculteurs français vendent toujours ma-
joritairement leurs productions à l’industrie
agroalimentaire. « Or, note-t-il, la notion d’auto-
nomie passe autant par la production agricole
que par la transformation de cette production. »
VERS UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE ?
Pour Christine Aubry, ingénieure agronome
à AgroParisTech, spécialiste de l’agriculture
urbaine, «  la priorité, c’est de relocaliser la
production via l’agriculture périurbaine et, en
 complément, de multiplier les projets au sein
même des villes. » Un peu partout en France,
des cultivateurs urbains investissent le bitume,
créent des potagers sur les toits, pratiquent l’hy-
droponie et l’aquaponie, transforment d’anciens
parkings en champignonnières, remplacent les
arbres d’ornement par des arbres fruitiers, pen-
dant que les architectes esquissent des projets
REPORTAGE
de fermes verticales. Malgré ces initiatives, les
quantités produites resteront confidentielles,
tempère Christine Aubry qui a mené une étude
sur Paris intra-muros 3 : « Si l’on utilisait tous les
toits plats de la capitale, ce qui représenterait
une superficie de 80 hectares, et si l’on obtenait
des niveaux élevés de production, tels que ceux
observés sur le toit d’AgroParisTech avec 7 kilos
par mètre carré, la production couvrirait un peu
moins de 7 % de la consommation de fruits et
légumes des Parisiens. » L’experte souligne tou-
tefois « le rôle éducatif » de l’agriculture intra-
urbaine, pour (re)connecter les citadins à la terre
nourricière, et « sa valeur expérimentale », qui
permet de tester de nouvelles formes de produc-
tion agricole.
À l’unisson, Marc Dufumier prévient : « Il ne faut
pas semer des illusions. L’agriculture en ville
présente de nombreuses vertus, notamment
parce qu’elle favorise les relations sociales, par
exemple dans les potagers partagés. Mais elle
ne suffira pas à nourrir des populations denses.
À cela s’ajoute la problématique de la pollution
de l’air : au ras du sol en pleine ville, ou près des
rocades, dans les ceintures vertes, il est pro-
bable que les légumes soient contaminés au
plomb à cause de la circulation automobile. »
À l’écouter, on réalise que l’autosuffisance des
villes implique « une approche systémique. À
l’échelle de l’Union européenne, les fonds de la
Politique agricole commune (PAC) devraient être
redirigés pour que les collectivités territoriales
puissent atténuer les surcoûts d’un changement
de production agricole en bio, artisanal, local
et à un prix rémunérateur pour les paysans. Et
il faudrait que les mairies fassent preuve d’une
réelle volonté politique. »
UNE QUESTION D’ÉQUILIBRE…
« Grâce à l’agriculture urbaine, on préserve la bio-
diversité locale en luttant contre la bétonisation.
On réduit notre empreinte climatique du fait de la
réduction des distances de “la fourche à la four-
chette”. Et, plus globalement, on allège notre em-
preinte matières premières, que ce soit l’eau ou
les sols, pour créer un produit alimentaire final »,
DÉCRYPTAGE
énumère Arnaud Florentin. Marc Dufumier rap-
pelle, lui, l’enjeu de santé publique à travers « la
préservation des qualités nutritionnelles, telles
les vitamines, la présence d’antioxydants et la
meilleure traçabilité ». Il vante également « les
propriétés gustatives des aliments, au premier
rang desquelles, la fraîcheur ». Troisième avan-
tage, social et économique : la création d’emplois
non délocalisables. Ce que confirment les tra-
vaux menés par le CNRS/CIRED dans le cadre de
la projection du programme Afterres2050, qui se
traduit par la création nette de plus de 140 000
emplois dans les quinze prochaines années 4 .
Enfin, pour ces villes résilientes qui anticipent
l’après-pétrole et une possible crise des approvi-
sionnements, il y a aussi d’un enjeu de sécurité
alimentaire.
Tous ces enjeux ont amené Emmanuel Bailly
à fonder, dans les Deux-Sèvres, la plateforme
Résalis qui met en relation directe les produc-
teurs locaux et la restauration collective, et à
créer différents outils et indicateurs, dont l’In-
dice de souveraineté alimentaire. « Il est temps
de reconstituer la mon-
dialisation de l’intérieur
pour ne plus la subir. En P O U R A L L E R P L U S L O IN
clair, tout ce que l’on peut
• www.utopies.com
pro du i re lo c a lement ,
• www.le-local-me-regale.org
on le fait en respectant
• www.alimentation-generale.fr
l’histoire culinaire et le
• www.unplusbio.org
savoir-faire territorial. Et
• ht tp://w w w.sad.inra.fr/Recherches/
l’on va chercher ailleurs ce
Agriculture-urbaine
dont on a besoin (chocolat,
• www.resalis.com
café, bananes, etc.). En
• Marc Dufumier, entretiens avec Olivier
se posant toujours cette
Le Naire, L’Agroécologie peut nous sau-
question : ai-je vraiment
ver, Actes Sud, 2019
besoin de ces aliments ? »
« L’idée n’est pas de viser,
de façon dogmatique, l’au-
tonomie alimentaire des aires urbaines à 100 %,
mais le rééquilibrage entre les territoires, tout en
continuant à échanger nos différences », conclut
Arnaud Florentin. n
1. Source : Insee.
Selon l’Insee, une aire urbaine est un ensemble de communes,
d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité
urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou
unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de
la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle
ou dans des communes attirées par celui-ci.
2. http://www.utopies.com/fr/publications/
autonomie-alimentaire-des-villes
Les données n’ont quasiment pas évolué depuis 2017.
3. http://www2.agroparistech.fr/T4P-un-Projet-de-recherche-
innovant-pour-des-Toits-Parisiens-Productifs.html
4. https://afterres2050.solagro.org/a-propos/le-projet-afterres-2050/
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K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 17
L A na t, ure
m i se A n u Les araignées DÉCRYPTAGE

Fra n ço i s L ass e r re
C a rol i n e G am o n

des maisons
DES COMPAGNES IN OFFENSIVES

Piqueuses ? Mordeuses ? Squatteuses ? Effrayantes ? Si elles sont

DE
LA NA
appréciées et même consommées ailleurs, nos cultures considèrent plutôt
les araignées des maisons comme des animaux suspects.
Pourquoi ? Voilà une énigme qui mêle psychologie, sociologie,
écologie, biologie, hérédité, culture… et en dit long sur

MISE
notre rapport subjectif au vivant !

HAÏES ?
De moins en moins. Disons que les araignées
des maisons sont de plus en plus appréciées
pour leur action de prédation efficace sur les
insectes qui nous ennuient, mais pas encore
pour leurs huit beaux yeux !

UNE ARAIGNÉE, DES ARAIGNÉES ?

Parmi les 1 600 espèces d’araignées vivant en
France, nos habitations en abritent
principalement deux. L’une vit au plafond,
c’est le pholque qui, avec ses fines pattes, est
rarement craint et prompt à capturer une
mite ou un moustique. L’autre vit au sol, c’est
SQUATTEUSES ?
la grosse tégénaire, sombre et poilue, qui se Oui. Les espèces des
remarque lorsqu’elle se déplace ou cherche maisons ont évolué vers
l’amour. Elles sont rejointes depuis quelques des habitats abrités, type
années par de grosses zoropses qui leur cavités, grottes, troncs
ressemblent, mais sont plus à même de creux… comme nos
grimper aux murs et plafonds. habitations où elles
se cachent dans les
recoins où l’on
ne passe pas
l’aspirateur.

18
18 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 MORDEUSES ?
DÉCRYPTAGE
Non. Les probabilités devraient nous aider à
rester zen, seulement nous ne savons pas les
appréhender. Si les morsures d’araignée existent
dans certaines conditions et plutôt en extérieur,
elles sont si rares que les millions de « piqûres »
d’araignée déclarées oralement chaque année restent
improbables. Même un médecin ou un pharmacien

ETOX
est incapable d’identifier un bouton seul. Et penser
que les araignées se feraient coincer par notre corps
la nuit, c’est ignorer leur agilité. Enfin, les araignées
ne sucent pas le sang. Les responsables des « boutons
d’araignée » sont en premier lieu des moustiques
auxquels nous réagissons plus que d’habitude, ou

ATURE
d’autres petites bêtes hématophages : simulies,
phlébotomes, cératopogonidés, etc.

À NUE
RENTRENT-ELLES EN HIVER ?
Non. Nos sens nous trompent encore.
Présence d’araignées et saisonnalité
(fin d’été) ne sont pas liées. Leur
présence est due à la maturité sexuelle
des mâles qui sortent alors de leur
cachette à la recherche d’une femelle.
Seulement, nous avons du mal à croire
que ces grandes bêtes étaient chez
nous tant elles étaient discrètes. Et
TÉGÉNAIRE ? pourtant ! Les araignées rentrent dans
les maisons lorsqu’elles sont petites,
Cet arachnide – et non insecte – tisse
à la recherche de territoire, ou
l’une des plus grandes et larges toiles
bien cachées dans des bûches
en nappe, terminée par un tunnel de
ou un vieux meuble.
cachette. Son nom vient du latin
tegenarius, « fabricant de
couvertures ».

19
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 DOSSIER
Aud e Raux
J érômine Derig ny,
c ollect if Arg os
DOSSIER-PORTFOLIO

LA
DÉSOBÉISSANCEDOSS
CIVILE
FACE À L’URGENCE CLIMATIQUE
La cathédrale du vivant continue de brûler
et nos dirigeants de regarder ailleurs.
Face à cet aveuglement, de plus en plus de
Français misent sur la désobéissance civile.
Après avoir marché pour lutter contre
le dérèglement climatique et signé des
pétitions pour préserver la biodiversité,
ces citoyens ont décidé de passer à l’action
pacifiquement, collectivement et
publiquement. Sans remettre en cause
l’État, mais en assumant d’enfreindre la loi.
Parce que le temps presse et qu’il n’y a pas
de planète B.

Ret rouvez le rep ort ag e p hoto et son ore su r

ht t p s:/ / kaiz en-mag az ine.com /ar ticl e/
end e-g eland e-la-d esobeissan ce- civ il e- de- m asse/

20
20 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 DOSSIER-PORTFOLIO

SIER

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K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 21
DOSSIER L A DÉSOBÉISSANCE CIVILE
L’ENVIRONNEMENT
DOSSIER-PORTFOLIO
UNE BONNE CAUSE Le sociologue et philosophe Manuel Cervera-Marzal est l’auteur
de Les Nouveaux Désobéissants : citoyens ou hors-la-loi ? Selon son analyse,
loin de menacer la démocratie, la désobéissance civile lui confère un nouveau souffle.
Où le concept de désobéissance
civile puise-t-il ses racines ?
Le précurseur de la désobéissance
civile est le philosophe et natu-
raliste américain Henry David
Thoreau (1817-1862). Pendant
six ans, il a refusé de payer ses
impôts à l’État esclavagiste du
Massachusetts pour ne pas se
rendre complice d’une politique
BIO EXPRESS inhumaine. Après avoir été em-
prisonné, il a tenu un discours, publié à compte
1987 d’auteur, Résistance au gouvernement civil, et réé-
Naissance
dité après sa mort sous le titre La Désobéissance
2014 civile. Thoreau y avance ces idées fondatrices :
Soutient sa thèse
Ni paix ni guerre.
« ce qui est légal n’est pas forcément légitime » ;
Philosophie de « face à un conflit entre le juste et la loi, je fais
la désobéissance
civile et politique
prévaloir ce que me dit ma conscience » ; « sous
de la non-violence  un gouvernement injuste, la place d’un citoyen
2016 juste est en prison » ; « le destin d’un pays ne
Les nouveaux dépend pas du bulletin que vous déposez dans
désobéissants :
citoyens ou hors-
l’urne une fois par an, mais du citoyen que vous
la-loi ?, publié déposez depuis votre chambre jusque dans la
aux Éditions
Le Bord de l’eau
rue chaque matin. »
Comment s’est développé ensuite le concept ?
Gandhi et Martin Luther King se sont inscrits
dans le sillon de Thoreau. Gandhi (1869-1948)
apporta ces deux idées-clefs : la désobéissance
civile doit être un acte collectif, massif, et pas
individuel, afin d’inverser le rapport de force.
L’action doit également être non violente, pour
des raisons éthiques, mais aussi stratégiques :
« Si nous, les Indiens, avons recours à la violence,
nous allons perdre face à la puissance de feu bri-
tannique, alors que la non-violence va créer des
scissions en interne chez l’adversaire. » De plus,
Gandhi craignait que la condamnation publique
22
22 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
DOSS
de la violence ne prenne le pas sur la dénoncia-
tion de l’injustice combattue. Enfin, il pensait
que d’une révolution violente ne pouvait naître
qu’un régime violent. Il avait cette formule : « La
fin est dans les moyens, comme l’arbre est dans
la graine. » À la place de la violence, Gandhi a
eu le génie de la dramaturgie. Martin Luther
King (1929-1968) jouait aussi sur la symbolique.
Et ce, avec d’autant plus de retombées que les
années 1950 sont celles de l’entrée dans la socié-
té de l’image. Contrairement à ce que l’écriture
de l’Histoire tente de gommer, Martin Luther
King avait appelé, avant d’être assassiné, à une
« convergence des luttes », lui qui était anti-
capitaliste et contre l’impérialisme américain.
Comme Gandhi, il se battait contre un système
dans sa globalité.
Quelle définition donneriez-vous,
aujourd’hui, de la désobéissance civile ?
Le premier critère concerne l’action directe,
qui s’oppose à la résignation et à l’élection. Le
deuxième élément porte sur l’aspect collectif :
cette action se fait dans l’intérêt général. Hannah
Arendt distingue bien l’objecteur de conscience,
qui demande individuellement de ne pas faire
son service militaire, du désobéissant civil qui
appelle à un changement de loi pour le bénéfice
de tous. Troisième aspect : l’extralégalité. Les
désobéissants ne sont pas systématiquement
contre la législation, ils sont contre le légalisme
qui est le fait de se soumettre de manière incon-
ditionnelle à la loi en vigueur.
Qu’en est-il du critère de non-violence ?
C’est l’élément primordial : le désobéissant ci-
vil n’a pas recours à la violence. Et il accepte le
conflit, la limite étant de ne pas porter atteinte
 DOSSIER-PORTFOLIO

SIER

Venus de toute
à l’intégrité physique et psychologique de son musulmans commettaient des attentats. Idem l’Europe, six mille
désobéissants
adversaire. Je citerais Gandhi : « Un individu vaut pour le mouvement des droits civiques aux États- civils ont bloqué la
davantage que ce qu’il fait. Il faut donc haïr le Unis : il y avait Martin Luther King et Malcolm X. mine de charbon
de Garzweiler,
péché et non le pécheur. » Ainsi, un colon britan- Impossible de départager les deux. En résumé, en Allemagne,
nique ne se réduit pas à ses actes et se différencie je donnerais cette définition : la désobéissance pendant quatre
jours, en juin
du système – en l’occurrence l’Empire colonial civile désigne une action extra légale et non 2019, pour
britannique – dont il n’est qu’un rouage. Même violente, fondée sur des motifs de conscience, dénoncer cette
s’il existe toujours une part de responsabilité destinée à modifier l’ordre juridique et politique. énergie fossile,
principale source
individuelle. Concernant la destruction de biens d’émissions
matériels, si celle-ci est ciblée et s’inscrit dans Vous citez un régime colonial, l’Inde, et de dioxyde de
carbone (CO2).
une logique politique, comme le fait de casser la un autre, ségrégationniste, les États-Unis. Ici, des
vitrine d’une grande banque qui pratique l’éva- Dans un régime démocratique, il y a d’autres désobéissants
sion fiscale, les désobéissants civils vont inter- moyens de faire entendre sa voix. Se pose d’Ende Gelände
bloquent les rails
préter cet acte comme étant non violent. Mais je alors la question de Pourquoi désobéir en qui alimentent
reconnais que la frontière entre violence et non- démocratie ? pour reprendre le titre de en charbon
la centrale
violence est sujette à débat. Enfin, sur la ques- l’ouvrage d’Albert Ogien et Sandra Laugier. thermique
tion de l’efficacité, je pense qu’il y a une porosité Les désobéissants civils sont souvent accusés de Neurath.
entre la violence et la non-violence : dans l’Inde de rompre le contrat social, mais on peut retour-
de l’Empire britannique, de manière concomi- ner cette accusation en objectant que c’est l’État
tante, Gandhi organisait ses marches pendant lui-même qui rompt ce contrat. Il en est ainsi du
que des mouvements extrémistes hindous et climat : le gouvernement ne respecte pas les

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K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 23
DOSSIER L A DÉSOBÉISSANCE CIVILE
DOSSIER-PORTFOLIO
engagements pris dans le cadre des Accords
de Paris. [Dans son premier rapport annuel
Neutralité Carbone, « Agir en cohérence avec les
ambitions », remis au gouvernement en juin 2019,
le Haut Conseil pour le climat, instance indépen-
dante fondée par Emmanuel Macron lui-même,
conclut : « La France n’est pas sur une trajec-
toire d’émissions de gaz à effet de serre compa-
tible avec ses engagements internationaux. »,
NDLR] Par ailleurs, il est temps de faire tomber
le masque de notre régime, certes basé sur des
idéaux démocratiques, mais dont le fonctionne-
ment est oligarchique. [Le Réseau action climat a
dénoncé, en mars 2019, « les 11 milliards d’euros
de subventions accordés par le gouvernement
« La désobéissance civile est une lutte
permanente pour la démocratie. »
aux grandes entreprises, sous forme de rembour-
sements et d’exonérations de taxes concernant
la consommation des énergies fossiles. », NDLR]
Selon cette perspective, la désobéissance n’est
pas une infraction au principe de majorité, mais
une contestation des privilèges d’une minorité.
Dès lors, la violence n’est pas du côté de ceux qui
désobéissent, mais de ceux qui gouvernent.
Vous écrivez que « la désobéissance civile
s’inscrit dans un combat pour l’autonomie et
la recherche de la responsabilité de chacun. »
Ce qui suppose de désacraliser la loi ?
Ce qui est central dans la désobéissance civile,
c’est le fait de contester certaines lois qui ont été
sacralisées. Il s’agit d’aller au-delà du « On ne peut
rien faire. C’est comme ça. » La loi est humaine.
C’est une réalité profane que l’on peut modifier.
J’attire l’attention sur le fait que si une révolution
verte advient, une fois remplacées les lois que l’on
aura combattues par d’autres, celles-ci ne devront
pas être sacralisées à
leur tour. La déso-
P O U R A L L E R P L U S L O IN
béissance civile est
• Manuel Cervera-Marzal, Les Nouveaux Désobéissants : une lutte permanente
citoyens ou hors-la-loi ?, Le Bord de l’eau, 2016 pour la démocratie qui
est, elle-même, une
• Henry David Thoreau, La Désobéissance civile,
dynamique.
Gallmeister, 2017
• Albert Ogien et Sandra Laugier, Pourquoi désobéir Quel regard portez-
en démocratie ?, La Découverte, 2011 vous sur la multipli-
cation des stages et
24
24 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
actions de désobéissance civile pour lutter
de façon systémique contre la « République
des pollueurs » ?
Le recours à la désobéissance civile dans le milieu
écologiste ne m’étonne pas. Que ce soit en France
et à l’étranger, comme en Allemagne contre les
DOSS
mines de charbon. La problématique environne-
mentale est présente dès les origines de la déso-
béissance civile : Thoreau était naturaliste, il a
passé deux années dans sa cabane dans les bois,
près de l’étang de Walden. Et cela est d’autant plus
cohérent aujourd’hui face à la prise de conscience
aiguë, à la fois de la gravité de la menace du dérè-
glement climatique, et de l’impuissance de nos
dirigeants à mettre en œuvre la transition écolo-
gique. Alors qu’il y a urgence, comme ne cesse de le
clamer le GIEC (Groupe d’experts intergouverne-
mental sur l’évolution du climat). D’où la montée
en puissance d’associations et collectifs comme
ANV-COP21, Alternatiba, Extinction Rebellion,
Ende Gelände, Youth for Climate, Bizi !, etc.
Enfin, j’ai l’impression qu’il y a une scission entre
les mouvements écologistes traditionnels et les
15-30 ans : cette nouvelle génération est issue
de la classe moyenne, diplômée, blanche et elle
maîtrise parfaitement les outils médiatiques.
Ces adolescents et jeunes adultes critiquent non
seulement les entreprises du CAC40 et les gou-
vernements, mais aussi leurs aînés, tels WWF ou
Les Amis de la Terre. La stratégie de ces organi-
sations, basée sur la contre-expertise et le plai-
doyer, ne leur suffit plus. D’où leur radicalisation.
Parce que ce sont ces jeunes qui, en première
ligne, vont subir les effets de cette inaction face
au dérèglement climatique et à l’extinction de
la biodiversité.
En conclusion, diriez-vous que les désobéis-
sants sont des citoyens ou des hors-la-loi ?
Ce sont des citoyens bien sûr ! Des citoyens dont
le courage m’impressionne, car ils passent à l’ac-
tion pour l’humanité de manière non violente
face à des forces de l’ordre de plus en plus milita-
risées et un État de plus en plus répressif. Comme
l’écrivait déjà Georges Bernanos, à l’orée de la
Seconde Guerre mondiale : « Il faut beaucoup
d’indisciplinés pour faire un peuple libre. » n
 DOSSIER-PORTFOLIO
SIER
APPRENDRE
À DÉSOBÉIR
Depuis l’automne 2018, les stages de désobéissance civile font le plein en France.
B
Kaizen a participé à une formation organisée par le collectif Les Désobéissants.
«
onjour, c ’est bien ici la formation
pour… », demande une femme en entre-
bâillant la porte d’une salle. « … Pour le
Medef ? l’interrompt en souriant Rémi
Filliau. Non, c’est la porte à côté. » Le ton est
donné : ce samedi matin, rendez-vous a été fixé
à la la Maison des initiatives et de la citoyenneté
(MIC) à l’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) pour
un stage de désobéissance civile non violente.
Depuis 2006, le collectif Les Désobéissants pro-
pose des formations dans toute la France. Rémi
Filliau est l’un des formateurs. « Avant l’au-
tomne 2018, c’était une fois par mois, précise-t-il.
La demande est telle que c’est devenu hebdoma-
daire. La désobéissance civile commence à se
démocratiser.  » D’autres mouvements s’en
emparent. Ainsi, le 2 juillet 2019, des « gilets
jaunes » associés à ANV-COP21 et Les Amis de
la Terre ont bloqué plusieurs établissements
d’Amazon, dont son siège social, à Clichy-sur-
Seine (Hauts-de-Seine). Ils entendaient dénoncer,
à la fois, la pratique d’évasion fiscale, les condi-
tions de travail et l’empreinte climatique désas-
treuse de la multinationale.
La journée démarre par un tour de table sur les
attentes des trente-quatre participants, dont
seize femmes et surtout des jeunes, entre 25
et 30 ans. Lassés des marches pour le climat,
qui se déroulent docilement de la place de la
République jusqu’à celle de la Nation à Paris,
la majorité d’entre eux se sont inscrits à cette
formation pour lutter de manière plus radicale
contre la passivité des dirigeants politiques face
aux crises climatique et environnementale. L’une
des stagiaires est « en quête de méthodes », un
« Une action directe, contre des lois
injustes, pour le bien commun et
réalisée à visage découvert. »
autre « d’informations sur les risques auxquels
il s’expose », un autre encore « de conseils juri-
diques en cas de garde à vue » et la plupart « d’es-
prit collectif » et… « d’adrénaline » !
Tee-shirt noir siglé « Désobéir », Rémi Filliau ex-
plique : « Notre collectif Les Désobéissants a été
créé par un ancien militant de Greenpeace qui
25
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 25
DOSSIER L A DÉSOBÉISSANCE CIVILE
DOSSIER-PORTFOLIO
voulait aller encore plus loin pour combattre
l’arme nucléaire. Le principe de la désobéissance
civile consiste en une action directe, contre des
lois injustes, pour le bien commun. L’idée est de
provoquer un débat public pour faire évoluer ces
lois, que ce soit en faveur de l’environnement ou
des droits humains. Cette action doit être non
violente. Et réalisée à visage découvert parce que
nous assumons nos actes. »
RÉFLEXION PRÉALABLE ET JEU DE RÔLE
Pour amener les stagiaires à se positionner phi-
losophiquement sur la notion de non-violence,
l’animateur lance un théâtre-forum autour de
trois scénarios. Dans le premier, des amis pro-
posent de faucher un champ d’OGM, une nuit,
dans le village où ils habitent. Dans le deuxième,
l’action a lieu de jour et la presse est prévenue.
Enfin, dans le troisième, il s’agit d’occuper qua-
rante agences du Crédit Agricole, en tant que
militants XR [lire page 28], de façon concomi-
tante, et en alertant les médias, pour dénoncer
la complicité de cette banque dans l’extinction
de la biodiversité. Plusieurs choix cornéliens
s’offrent aux stagiaires : agir ou pas ? avec vio-
lence ou non ? « Je vous invite à passer par cette
étape de réflexion individuelle et collective
avant toute désobéissance civile, conseille Rémi
Filliau. Parce que chacun a ses limites et qu’il est
essentiel de trouver un consensus d’action. La
violence est subjective. » Selon l’analyse du col-
Le collectif lectif Les Désobéissants, ce rejet de la violence ne
Les Désobéissants s’explique pas par souci d’éthique : « La preuve,
anime des stages
de désobéissance nos politiciens et nos policiers sont violents. »
civile partout en Dans Le Savant et le Politique 1, le sociologue alle-
France, comme
ici à Paris. mand Max Weber (1864-1920) écrivait d’ailleurs
26
26 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
que « l’État est cette communauté humaine, qui
à l’intérieur d’un territoire déterminé (…) reven-
dique pour elle-même et parvient à imposer le
monopole de la violence physique légitime. »
À l’éthique s’oppose ainsi l’efficacité : « Nous
pensons qu’il n’est pas efficace, par exemple, de
brûler un McDonald’s pour lutter contre le capi-
DOSS
talisme. Et puis, la violence entraîne toujours la
violence. Ceux qui ont pris les armes, en général,
les gardent. Par ailleurs, le recours à la violence
risque de dissuader ceux qui, au-delà de la sphère
militante, étaient prêts à nous rejoindre, or l’ob-
jectif est d’inverser le rapport de force. »
Après la théorie, place à la pratique : un jeu de rôle
est proposé sur la thématique de « la rencontre
avec son adversaire ». Comprendre : policier, gen-
darme, vigile, etc. Deux groupes se retrouvent
face à face : des forces de l’ordre chargées de pro-
téger un champ d’OGM et des Désobéissants bien
décidés à le faucher. Un dialogue est improvisé :
« vous me faites mal » ; « pensez à vos enfants, ils
ne vous remercieront pas » ; « dégage-moi cette
tête de gauchiste » ; « je ne peux pas : il y a les
caméras »… Un débriefing s’ensuit : « N’essayez
pas de vous interposer pour libérer l’un de vos
camarades quand il se fait embarquer, prévient
Rémi Filliau. Vous pourriez être poursuivi voire
tapé. Et puis le but recherché, c’est justement de
se faire arrêter pour aller au procès et médiatiser
l’action. Mais c’est bien de l’avoir fait en stage ; de
cette façon, vous ne le ferez pas en vrai. » Le for-
mateur livre un autre conseil : « On ne ment pas
aux forces de l’ordre. Si vous n’avez pas déclaré
votre action de désobéissance civile en préfec-
ture, ne prétendez pas le contraire. Encore une
fois, il s’agit d’assumer ses actes. » Un stagiaire
confie son impression : « J’ai trouvé le slogan “la
police doucement, on fait ça pour vos enfants”
trop violent. Comme nous l’enseigne la commu-
nication non violente, il faut partir de soi et non
de l’autre. » Rémi Filliau le rassure : « C’est quand
même moins violent que “police partout, justice
nulle part”. »
LE PETIT TRAIN ET LA TORTUE
Un pique-nique partagé, et s’ensuit un autre
jeu de rôle : « Les techniques de blocage et de
résistance à une évacuation. Comment gérer son
stress pendant l’action ». Parmi ces méthodes,
celle du petit train qui consiste à s’encastrer,
assis par terre, les uns derrière les autres, ou
celle de la tortue, dans laquelle les stagiaires
sont imbriqués les uns aux autres et forment
 DOSSIER-PORTFOLIO
SIER
un cercle. De son œil d’expert, Rémi Filliau
constate : « Pour oublier son stress et les douleurs
éventuelles, vous pouvez continuer à scander
des slogans. Pensez à enlever lunettes, boucles
d’oreilles, piercing, etc. Par ailleurs, il vous
faut déterminer un mot de passe, par exemple
« carotte », si vous avez trop mal pour que vos
camarades vous libèrent de la posture.
Une fois les troupes aguerries, il s’agit d’analy-
ser les différentes étapes du déroulement d’une
action. À commencer par la répartition des
rôles. Par exemple, les personnes chargées de
repérer en amont les lieux, celles qui filmeront
l’action, ou encore celles qui seront respon-
sables des liens avec les forces de l’ordre. Pour
que l’action se déroule au mieux, il est aussi re-
commandé d’éteindre ses téléphones portables
et les entreposer dans une autre pièce que celle
dans laquelle le briefing est organisé, au cas
où certains seraient sur écoute. À noter que le
débriefing – à la fois politique, médiatique, tech-
nique et émotionnel – est aussi important que le
briefing. La communication avec les médias fait
également partie de la stratégie. « Sur la plupart
des chaînes, vous n’aurez que quinze secondes
pour balancer votre message. Soyez donc clair
et concis », indique Rémi Filliau.
Les participants sont ensuite invités à imagi-
ner un scénario sur le thème du climat et de la
biodiversité. Les idées fusent, comme celle de se
Les stagiaires
s’entraînent
notamment
aux techniques,
toujours non
violentes, de
résistance à
une évacuation
par les forces
de l’ordre.
déguiser en abeille pour dénoncer le Roundup,
et de faire un « die-in » (s’allonger au sol pour
simuler la mort) devant l’Assemblée nationale.
La journée s’achève… au commissariat ! Rémi
Filliau endosse le costume du policier, inflexible,
et une stagiaire, celui de l’activiste en garde à
vue. La mise en situation est à nouveau l’occasion
pour l’animateur de partager ses astuces avec la
salle : « Pendant la garde à vue, contrairement à
un procès, une fois que l’on a décliné sa “petite
identité”, à savoir ses nom, prénom, adresse et
les noms de ses parents, on peut répondre aux
autres questions par ces phrases : “Je n’ai rien à
déclarer. J’ai le droit au silence.” Dernières infos :
une garde à vue dure vingt-quatre heures. Elle ne
peut être renouvelée qu’une fois, par un juge. On
a le droit à un avocat et aus-
si à un appel téléphonique
P O U R A L L E R P L U S L O IN
que le policier passera. On
peut refuser qu’un policier • www.desobeir.net
prenne son ADN, mais pas
son empreinte digitale, ni
sa photo. Enfin, une garde à vue ne figure pas
sur un casier judiciaire et, dans la très grande
majorité des cas, on est libéré sans charge pour
les actions de désobéissance civile. » n
1. Max Weber, Le Savant et le Politique, préface de Raymond Aron,
10/18, 2002.
27
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DOSSIER L A DÉSOBÉISSANCE CIVILE

EXTINCTION
DOSSIER-PORTFOLIO

REBELLIONDOSS
LA NON-VIOLENCE EN ACTION
Lancé au Royaume-Uni en octobre 2018 par l’organisation environnementale
Rising up !, Extinction Rebellion a essaimé en France et y prône la rébellion

I
contre l’extinction du vivant.

ls ont « fait les gestes pour la planète, scruté
leur empreinte carbone, signé des pétitions,
marché pour le climat ». Comme « rien de cela
n’a suffi », ils ont basculé dans la désobéissance
civile. Le 24 mars 2019, sur la place de la Bourse, à
Paris, cinq cents personnes ont lancé la branche
française d’Extinction Rebellion (XR). Ce mouve-
ment, né au Royaume-Uni en octobre 2018, prône
la rébellion contre l’extinction du vivant. Son logo
est révélateur de l’urgence d’agir. Sur fond vert,
imprimé en noir, un sablier est représenté au milieu
d’un cercle, symbole de notre planète.
« Quand l’État abandonne délibérément
sa responsabilité de protéger ses citoyens,
il rompt lui-même le contrat social. »
Depuis l’estrade, les rebelles lisent leur tribune :
« Parce que chaque dixième de degré compte, parce
que chaque espèce disparue compte, parce que
chaque minute compte. » Ils accusent : « En refusant
de remettre en question le modèle économique qui
nous a conduits à cette situation et de reconnaître
qu’une croissance infinie dans un monde aux res-
sources limitées n’est pas viable, notre gouverne-
ment est complice. » Et concluent : « Quand l’État
abandonne délibérément sa responsabilité de proté-
ger ses citoyens, il rompt lui-même le contrat social.
(…) Nous sommes prêts à enfreindre la loi et à en su-
bir les conséquences, y compris l’emprisonnement. »
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28 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
TON RADICAL ET APPROCHE SYSTÉMIQUE
Les revendications de XR France sont au nombre
de quatre : la reconnaissance de la gravité et de
l’urgence des crises environnementales ; la ré-
duction immédiate des émissions de gaz à effet
de serre pour atteindre, en 2025, la neutralité car-
bone 1 ; l’arrêt de la destruction des écosystèmes
océanique et terrestre ; enfin, la création d’une
assemblée citoyenne chargée de décider des
mesures pour atteindre ces objectifs et garante
d’une transition juste et équitable.
En soutien à ces exigences, les invités se suc-
cèdent, dont Pablo Servigne 2. Il évoque « la peur,
qui montre le chemin du courage pour agir » et
cite Greta Thunberg au sommet de Davos en jan-
vier 2019 : « Je ne veux pas de votre espoir, je veux
que vous paniquiez. »
C’est ce ton radical et cette approche systémique
qui ont attiré de nombreux activistes. Comme
Maude, étudiante à Sciences Po Paris : « Si j’ai
rejoint XR, c’est pour changer, à la racine, non
pas seulement le climat, mais l’ensemble du
système qui pollue aussi l’eau et les sols, sans
retour en arrière possible. J’ai enfin trouvé un
discours sans compromis qui n’hésite pas à
dénoncer la domination capitaliste et les liens
entre les mondes politique et financier. Un dis-
cours qui dit la vérité de façon frontale : si nous
n’agissons pas, nous allons droit à l’effondrement
de notre civilisation. » Ou Élizabeth, professeur
des écoles à Montreuil (Seine-Saint-Denis) : « Le
 DOSSIER-PORTFOLIO
SIER
gouvernement ne se sent pas menacé par nos
marches pour le climat. À 43 ans, je ressens au-
jourd’hui le besoin d’aller en dehors des clous. Et
de participer à des opérations coup de poing. »
Quant à Silvan, Nantais de 28 ans, c’est « l’am-
pleur internationale du mouvement qui permet
de changer d’échelle » qui l’a séduit. « Et aussi
l’organisation horizontale, décentralisée, basée
sur l’intelligence collective qui permet à chacun
de trouver sa place pour agir. »
DES ACTIONS TOUS AZIMUTS
Pendant que les discours s’enchaînent place de la
Bourse, XR France organise au Museum national
d’histoire naturelle sa toute première action. Une
cinquantaine d’activistes font un « die-in » dans la
Grande Galerie de l’évolution. Une minute de silence
est observée, en hommage aux espèces disparues.
Lancée le 24 mars
2019 place de la
Bourse, à Paris,
la branche
française
d’Extinction
Rebellion
a organisé,
le 12 avril,
une action de
désobéissance
civile contre
l’industrie du
textile.
Mais il n’est plus question pour XR de se taire.
Trois semaines plus tard, le 12 avril, à 16 heures,
environ quatre-vingts activistes se retrouvent
dans un squat à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis)
pour une première action d’ampleur, « une action
de désobéissance civile contre l’industrie du tex-
tile et la “fast fashion” devant le H&M situé en
face des Galeries Lafayette. » Arguments chiffrés
à l’appui, Claire, membre de XR, explique en quoi
cette industrie est la deuxième plus polluante
au monde. Avant de répartir les rôles et de pré-
senter le déroulement de l’action :
« Dès que nous arriverons sur les
P O U R A L L E R P L U S L O IN
lieux, nous enfilerons des combi-
naisons siglées XR. Certains por- w w w. e x t i n c t i o n r e b e l l i o n .f r
teront des masques chirurgicaux
pour symboliser la toxicité de la
“fast fashion”. La camionnette que vous voyez est
chargée de 1,5 tonne de vêtements récupérés au-
près du Secours populaire. Nous les déverserons
en tas devant le magasin. Nous lirons ensuite un
texte dénonçant le coût réel – environnemental
et social – de la “fast fashion”. » Dernières recom-
mandations : « Il faut demeurer non violent.
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DOSSIER L A DÉSOBÉISSANCE CIVILE
Même si ça chauffe avec la police ou les vigiles.
DOSSIER-PORTFOLIO
Et si c’est le cas, on s’assoit et on s’accroche les
uns aux autres. L’idée est de rester jusqu’à la fer-
meture du magasin à 20 h 30. Nous allons enfin
vous énoncer les risques maximum encourus
mais, soyez rassurés, ces peines n’ont jamais
été appliquées. » Une liste qui fait pourtant froid
« LE POUVOIR DE L’EMPATHIE »
Un ancien black bloc vante les vertus de la non-violence
après le gazage des militants de XR sur le pont de Sully à
Paris, le 28 juin 2019.
« Je ne croyais pas au pouvoir de la bienveillance. Parce
que j’ai vu trop de répressions. Parce que j’ai toujours vu les
bienveillants se faire écraser et je ne les ai jamais vus
gouverner. Parce que j’ai toujours agi à visage couvert et
répliqué à la violence par la violence. Et pourtant, rien n’a
changé. Jusqu’à ce que je rejoigne XR et que ma vision se
transforme, jusqu’à ce que j’accepte de souffrir à visage
découvert, sans rendre les coups.
J’ai parlé à tous les policiers qui m’ont évacué, gazé, tous,
sans exception. Et j’ai compris que ça fonctionnait, qu’il
fallait qu’ils s’habituent à nous, qu’ils entendent nos
slogans et nos chants, qu’on les nourrisse et les aide, qu’on
leur explique encore et encore pourquoi nous faisons cela.
Un agent m’a supplié de lâcher mon voisin pour ne pas me
faire mal. Un flic m’a essuyé au coin de l’œil la lacrymo
collante dont son collègue m’avait aspergé et un autre m’a
dit : “je ne veux pas te faire mal, je fais mon job.” Ce à quoi
j’ai répondu : “je suis désolé, mais je fais le mien pour le
vivant, je comprendrais si vous me faites mal, mais on n’a
plus d’autres solutions, et on a choisi de rester pacifistes.”
Il a essayé de me déloger délicatement. J’ai fait beaucoup
de manifestations, mais après leur avoir parlé, j’ai compris
le pouvoir de l’empathie. » n
30
30 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
dans le dos : entrave à la libre circulation sur la
voie publique, 15 000 euros d’amende ; abandon
de déchets, 1 500 euros ; attroupement sur la voie
publique après sommations de se disperser, un
an d’emprisonnement et 15 000 euros ; participa-
tion à une manifestation non déclarée, six mois
d’emprisonnement et 7 500 euros. « Y a-t-il un
désaccord avec le consensus d’action ? », conclut
la militante. Silence dans les rangs.
DOSS
18 heures : les activistes s’engouffrent dans le
métro. L’action se déroule comme prévu. Les
passants et les clients sont majoritairement
bienveillants. Certains prennent des photos. Les
plus curieux posent des questions. Deux jeunes
demandent comment rejoindre le mouvement.
Une touriste remarque : « C’est bien de relier
l’environnement et le social. C’est vrai qu’on est
victimes de la mode. » Même les forces de l’ordre
sont courtoises. Seul un policier en civil ron-
chonne : « M’emmerdez pas avec vos histoires de
mode. Moi, ça fait trois jours que je n’ai pas chan-
gé de slip ! » Une vendeuse, elle, s’insurge : « Ils
viennent nous casser les… pour des vêtements.
Ils feraient mieux de s’occuper des sans-abri. Si
je ne peux pas travailler, moi aussi, je vais finir
à la rue. Et pourquoi s’en prendre à H&M alors
que c’est la première marque à avoir proposé à
ses clients de recycler leurs vêtements ? Ils disent
qu’ils sont non violents, mais je me sens agres-
sée. » Un dialogue de sourds s’instaure entre elle
et un activiste de XR.
20 h 30 : retour à Aubervilliers pour un débrie-
fing. Extraits : « C’est dommage d’avoir repris
des vieux slogans comme le “Anti ! Anti !
Anticapitaliste !” C’est réducteur. Si j’ai rejoint
XR, c’est pour inventer autre chose », analyse une
participante. « Oui, il est important de trouver le
son de XR », répond un militant. « On a reçu des
mercis dans toutes les langues », s’enthousiasme
un autre. « Un policier m’a même confié qu’il était
d’accord avec nous. » « Et une cliente est retour-
née chez H&M pour rendre les vêtements qu’elle
venait d’acheter. » Applaudissements ! L’enjeu est
de taille : la mode émet « 1,2 milliard de tonnes
de gaz à effet de serre chaque année, soit plus
que les vols internationaux et le trafic maritime
réunis 3 ». n
1. La neutralité carbone consiste, pour un pays, à ne pas émettre plus
de gaz à effet de serre qu’il ne peut en absorber, par exemple via les
forêts.
2. Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer.
Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Seuil,
2015.
3. « Revers de mon look. Quels impacts ont mes vêtements et mes
chaussures sur la planète ? », Ademe, mars 2018.
 DOSSIER-PORTFOLIO
SIER
DÉCROCHER MACRON
DE LA MAIRIE AU TRIBUNAL
Retour sur le tout premier procès pour « décrochage de portrait présidentiel »,
À
symbole, selon ANV-COP21, de l’État qui décroche de ses engagements
climatiques. Un procès qui inaugure une longue série.
la barre, les prévenus – Nicolas Guerrini,
Hélène Lacroix-Baudrion, Philippe
Muraille, Jean-Marie Roche, Anne-
Sophie Trujillo-Gauchez et Vincent
Versluys – se présentent à tour de rôle. Âgés de 36
à 63 ans, ils sont en reconversion professionnelle,
professeure de mathématiques, retraité de l’admi-
nistration du cadastre, maraîcher bio, consul-
tante dans l’humanitaire et cadre supérieur à la
SNCF. Marié, en couple, célibataire, avec ou sans
enfants. À chacun son style vestimentaire, du
costume-cravate au tee-shirt siglé d’un « Suivez
vos rêves. Ils connaissent le chemin. » Ce qui les
relie ? Leur volonté de lutter contre l’inaction cli-
matique des pouvoirs publics. Le 28 mai 2019, les
six membres du groupe local Villefranche-
Beaujolais-Saône du mouvement ANV-COP21
(Action non violente-COP21) comparaissaient
devant le tribunal correctionnel de Bourg-en-
Bresse (Ain). Les faits reprochés ? Avoir décroché,
le 3 mars 2019, le portrait d’Emmanuel Macron à
la mairie de Jassans-Riottier (Ain), et avoir, pour
cinq d’entre eux, refusé un prélèvement ADN.
ANV-COP21 mène,
dans les mairies
de France, une
campagne de
décrochage
du portrait du
président de
la République
pour dénoncer
l’inaction
climatique
Du côté des avocats de la défense, des gourdes en de l’État.
inox sont posées sur la table. De l’autre – juges
et procureur –, ce sont des bouteilles d’eau en
plastique qui trônent. Simple détail ? Un détail
révélateur.
Les activistes d’ANV-COP 21 sont poursuivis
par l’État pour « vol en réunion et par ruse ».
Pourquoi cette dernière qualification ? Parce
qu’ils avaient prétexté la préparation d’un ma-
riage pour pénétrer les lieux. Chacun encourt
jusqu’à dix ans de prison et 150  000 euros
d’amende. Pour une affiche vendue 8,70 euros
sur la boutique en ligne de l’Élysée.
« Ce décrochage de portrait est le symbole
de l’État qui décroche de ses engagements. »
LE PROCÈS DE L’INACTION CLIMATIQUE
Pour témoigner de l’urgence d’agir et baser leur
ligne de défense sur « l’état de nécessité 1 » qui a
amené les prévenus à cet acte de désobéissance
31
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DOSSIER L A DÉSOBÉISSANCE CIVILE
civile, leurs avocats ont convoqué trois té-
moins  : Wolfgang Cramer, contributeur du
GIEC (Groupe d’experts intergouvernementalDOSSIER-PORTFOLIO
sur l’évolution du climat), Jean-François Julliard,
directeur de Greenpeace France, l’une des quatre
associations à l’initiative de la pétition « L’Affaire
du siècle 2 », qui a recueilli plus de 2,2 millions
de signatures, et d’un recours contre l’État pour
inaction climatique, enfin, Frédi Meignan, pré-
sident de Mountain Wilderness France, associa-
tion de protection de la montagne et de l’envi-
ronnement. Tous trois, assis sur le même banc,
sont prêts à être auditionnés, mais le procureur,
Eric Sandjivy, est bien résolu à ne pas aller sur
le terrain d’un procès politique de l’inaction cli-
« Nos représentants politiques,
si on les élit, c’est pour qu’ils agissent. »
matique pour s’en tenir au strict délit de vol. Il
intervient : « Ces trois personnes ont-elles été
témoins des faits ? Connaissent-elles les pré-
venus ? » La séance est suspendue… Les trois
témoins ne seront pas entendus. Le procès ne
se fera pas sur le fond.
Le juge, Hervé Blanchard, cherche, quant à lui, à
comprendre. Il prend le temps d’écouter les mo-
tivations des prévenus. « Parlez-moi de vous »,
demande-t-il à chacun. « Que pouvez-vous me dire
Lors de cette
marche pour
le climat, les
manifestants
« promènent »
le portrait
d’Emmanuel
Macron « pour
lui montrer
la réalité ».
32
32 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
des faits qui vous sont reprochés ? », « Comment
vous est venue cette idée ? », enchaîne-t-il. Avant
de lancer : « Mais quel est le lien entre le vol de cette
photo à Jassans-Riottier et votre volonté de sauver
l’humanité ? En quoi cette action présente-t-elle
un caractère nécessaire ? » Et c’est ainsi que les
prévenus parviennent à donner une dimension
politique aux débats. Florilège : « Aujourd’hui,
témoigne Nicolas Guerrini, il y a une urgence
DOSS
climatique. 99 % des scientifiques du monde
l’affirment. Les trois témoins auraient pu vous
apporter les arguments. C’était une nécessité que
de décrocher le portrait et de le réquisitionner
en attendant que les mesures soient prises. Cette
action de désobéissance civile permet de faire
entendre cette cause et d’attirer l’attention de
ceux qui nous gouvernent. » Le juge s’inquiète :
« Avez-vous l’intention de rendre ce portrait ? »
Réponse : « Oui, quand la France respectera les
engagements climatiques qu’elle a signés [tels les
Accords de Paris signés en 2015 lors de la COP21,
NDLR]. » « Donc c’est lointain », conclut le juge
avec lucidité.
Hélène Lacroix-Baudrion souligne, elle, « l’ab-
sence d’intérêt personnel ou financier dans cette
action. On demande à l’État de nous protéger, or
les émissions de gaz à effet de serre continuent
d’augmenter. Ce décrochage de portrait est le
symbole de l’État qui décroche de ses enga-
gements. Cette action symbolique consiste à
 sortir de la mairie le portrait de Macron pour
Par exemple dans les champs de Beaujolais où DOSSIER-PORTFOLIO
lui montrer la réalité de l’urgence climatique.
les pesticides sont toujours très utilisés. » « Vous
promenez M. Macron pour lui montrer la réalité
de près », résume le juge. Autre témoignage, autre
joute verbale, cette fois avec Philippe Muraille :
« L’urgence climatique, qui pèse au-dessus de
nos têtes comme une épée de Damoclès, est pour
SIER
moi un traumatisme. Il y a une nécessité d’agir
au-delà de ce que l’on a déjà fait lors des marches
pour le climat, des pétitions ou des rencontres
avec les élus locaux dans le cadre du Plan climat-
air-énergie territorial. Nous avons fait le choix
de toucher à un symbole, fort, je le reconnais,
mais c’est pour le mettre en regard de l’inaction
climatique. » Et d’ajouter : « Y a pas photo ! » Ce
à quoi le juge objecte : « Est-ce qu’affaiblir l’auto-
rité publique aide la cause climatique ? » « J’ose
espérer que l’autorité publique ne se résume pas
à une photo dans une salle de mairie », rétorque
Philippe Muraille.
Anne-Sophie Trujillo-Gauchez évoque, elle, sa
quête « de cohérence » face à un président de
la République qui clame Make our planet great
again [« Rendre sa grandeur à notre planète »,
NDLR] et un gouvernement qui « vise la neu-
tralité carbone en 2050 », ce qui suppose d’agir
dès maintenant. « Moi, je ne suis qu’une simple
citoyenne, précise-t-elle. Je crois en nos repré-
sentants politiques. Et si on les élit, c’est pour
qu’ils agissent. » Enfin, concernant le refus de
prélèvement ADN, les prévenus mettent en avant
le caractère disproportionné des moyens em-
ployés pour une action de désobéissance civile
non violente réalisée à visage découvert par des
personnes qui ne sont pas des délinquants et
encore moins des criminels.
LE JOUR DU DÉPASSEMENT
Mais le ton engagé de ces témoignages laisse
de marbre le procureur. Il attaque : « Ah ! vous
n’aviez pas anticipé que cela finirait en pro-
cès ? » Contre-attaque : « Vous avez tous gardé
le silence lors de la garde à vue. Vous aviez des
consignes ? » L’un des trois avocats de la dé-
fense rappelle « qu’ils n’ont fait qu’exercer leurs
droits ». Le procureur qualifie même de « chan-
tage » les conditions imposées par les prévenus
pour restituer le portrait. De son côté, le maire
(sans étiquette), Jean-Pierre Reverchon, qui
s’est porté partie civile, avoue « être convaincu
de la justesse et de la noblesse de cette cause,
voire de sa légitimité », mais condamne sa « vio-
lence ». « Vous desservez votre cause. Changez de
méthode », leur conseille-
t-il. Il avance pour preuve
qu’« une employée muni-
cipale a été bousculée  »,
avant de se raviser, suite à
une remarque de l’un des
avocats : « Elle a été un peu
poussée, euh… écartée. En
tout cas, elle est choquée. »
S’il ne demande aucuns
dommages et intérêts, le
maire répète son souhait
de retrouver son portrait
présidentiel : « Il y a un vide
maintenant. »
Dans un long réquisitoire, Le 28 mai 2019,
le procureur fustige « l’instrumentalisation de six membres
d’ANV-COP21
la justice : “on” a convié la presse, “on” a organisé ont comparu
une manifestation et “on” a utilisé ce tribunal devant le tribunal
correctionnel
comme une tribune pour faire passer des mes- de Bourg-en-
sages politiques. Or, ici, nous faisons du droit. Bresse (Ain) pour
avoir décroché
Notre robe est le symbole de la neutralité de la le portrait
justice. Nous ne portons pas de jugement sur des présidentiel.
convictions. » Eric Sandjivy balaye d’un revers Un premier
procès, suivi de
de manche « l’état de nécessité », en arguant que nombreux autres.
« les valeurs d’ANV-COP21 ne sont pas partagées
par tous. » Et de citer l’exemple de Trump (sic). In
fine, le procureur requiert 2 000 euros d’amende
sans sursis pour cinq des prévenus et 1 000 euros
pour celui qui avait accepté de se soumettre au
prélèvement ADN. Les avocats, eux, demandent
la relaxe de leurs clients. Mis en délibéré, le juge-
ment, qui a fait l’objet d’un appel du parquet, a
été rendu le 12 juin 2019. Verdict : une amende
ferme de 250 euros pour l’un des militants qui
avait déjà fait l’objet d’une condamnation, des
amendes de 500 euros avec sursis pour les cinq
autres et une relaxe pour les refus de prélève-
ment d’ADN. Ce premier procès inaugure une
longue série, ANV-COP21 ayant appelé à décro-
cher cent vingt-cinq portraits pré-
sidentiels d’ici au G7, organisé du
P O U R A L L E R P L U S L O IN
24 au 27 août 2019, à Biarritz 3. Cent
vingt-cinq, soit, selon ce mouve- • www.anv-cop21.org
ment, le nombre de jours qui auront • www.irrintzina-le-film.com
suffi à la France pour dépasser, en
2019, son empreinte écologique. n
1. Selon le site JurisPedia, l’état de nécessité s’entend de la situation
dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un intérêt
supérieur (le climat), n’a d’autre ressource que d’accomplir un acte
défendu par la loi pénale (le décrochage des portraits présidentiels).
2. www.laffairedusiecle.net
3. Au 26 juin 2019, ANV-COP21 recensait, dans le cadre de sa cam-
pagne « Décrochons Macron », 82 décrochages, 64 gardes à vue,
50 perquisitions et 10 procès en cours. Au total, 36 personnes
étaient poursuivies par l’État.
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DOSSIER
DOSSIER-PORTFOLIO
JE PASSE
À L’ACTION Migrants, évasion fiscale, publicité, logement : d’autres causes
que le climat et la biodiversité animent les désobéissants civils.
Voici quelques pistes pour agir concrètement.
ÊTRE SOLIDAIRE DES MIGRANTS
En 2017, Cédric Hérrou, agriculteur dans la vallée
de la Roya, a été condamné à quatre mois de pri-
son avec sursis pour avoir fait passer la frontière
franco-italienne à environ deux cents migrants
sans papiers. En 2018, en vertu du principe de
fraternité, le Conseil constitutionnel a assoupli
ce que l’on appelle communément le « délit de
solidarité » qui prévoit des sanctions contre toute
personne ayant aidé des étrangers en situation
illégale, en les hébergeant, les nourrissant, les
soignant, les informant sur leurs droits ou en
les aidant à poursuivre leur voyage.
Risque encouru : les Français qui aident des
étrangers en situation irrégulière à passer la
frontière sont passibles de cinq ans de prison et
30 000 euros d’amende. Par ailleurs, des condam-
nations pourraient encore être prononcées mal-
gré l’assouplissement du délit de solidarité. La
loi condamne en effet les « contreparties indi-
rectes », une formule qui peut inclure les actions
militantes et n’exonère que « l’aide apportée dans
un but exclusivement humanitaire ». n
34
34 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
DOSS
LUTTER CONTRE LE MATRAQUAGE
PUBLICITAIRE
Le collectif Les Déboulonneurs, présent dans une
quinzaine de villes en France, organise depuis
2015 des actions de désobéissance civile contre
le système publicitaire qui envahit l’espace pu-
blic. Les Déboulonneurs défendent la « liberté de
réception », soit le fait d’être libre d’aller vers un
message commercial plutôt que le message ne
s’impose à nous. Parmi les actions déployées :
démonter des panneaux publicitaires, éteindre
des enseignes, manifester contre l’installation
de nouveaux supports publicitaires ou encore
barbouiller des écrans numériques de messages
comme « pub : marée noire sur la matière grise ».
D’autres associations, comme Résistance à
l’agression publicitaire, luttent également contre
le matraquage publicitaire.
Risque encouru : 3 750 euros d’amende pour un
tag et travail d’intérêt
général qui peut consis-
P O U R A L L E R P L U S L O IN
ter en la réparation des
dégâts causés. n • www.deboulonneurs.org
• www.antipub.org
 DOSSIER-PORTFOLIO
DÉNONCER L’ÉVASION FISCALE
Pour porter le débat de l’évasion fiscale sur la
place publique, des activistes de l’association
basque Bizi ! ont eu l’idée, en 2015, de réquisi-
tionner des chaises dans une agence de la banque
SIER
HSBC à Bayonne (Pyrénées-Atlantique). Depuis,
l’action a été réitérée dans d’autres établisse-
ments bancaires, notamment BNP Paribas, sus-
pectés d’être présents dans des paradis fiscaux.
L’un de ces « faucheurs de chaises », Jon Palais,
a été poursuivi en justice, avant d’être relaxé.
L’idée est de rendre ces meubles à leurs proprié-
taires quand ceux-ci auront versé l’argent qu’ils
soustraient à l’État. Selon Oxfam, entre 60 et
80 milliards d’euros manqueraient ainsi chaque
année pour financer les services publics français.
Comme le proclame leur slogan : « Rendez les
milliards, nous rendrons les chaises. »
Risque encouru  : cinq
ans d’emprisonnement
P O U R A L L E R P L U S L O IN et 75 000 euros d’amende
pour vol en réunion. n
• www.bizimugi.eu
MARCHER DE NEW DELHI À GENÈVE POUR CHANGER LE MONDE
Dans le sillon de Gandhi, Rajagopal Puthan
Veetil organise une vaste marche reliant New
Delhi (Inde) à Genève (Suisse) entre
octobre 2019 et septembre 2020. Ce militant
indien a créé, en 1991, la fondation Ekta
Parishad pour agir collectivement et de façon
non violente en faveur de la redistribution
équitable des terres et des ressources
naturelles. Envisagée comme un forum social
mondial en mouvement, cette marche intitulée
Jai Jagat proposera, à chaque escale, des
conférences, des débats, des ateliers, etc. Soit
près de 10 000 kilomètres pour porter sept
objectifs devant l’Office des Nations unies qui
siège à Genève : promouvoir les dix-sept
objectifs de développement durable de
l’Agenda 2030 des Nations unies (éradication
de la pauvreté, protection des droits humains
TROUVER UN TOIT
POUR LES EXCLUS DU LOGEMENT
« Un toit, c’est un droit », clame Droit au loge-
ment (DAL). Depuis 1990, cette association se
bat pour trouver un toit décent aux personnes
sans-logis ou mal-logées et faire évoluer la légis-
lation. Régulièrement, le DAL investit et occupe,
de façon illégale, des propriétés publiques ou
privées vides pour y loger des familles qui dor-
ment dans la rue. À Grenoble, en avril 2019,
une vingtaine de personnes sans-abri ont ainsi
investi symboliquement une aile de l’ancien
siège du Crédit Agricole devenu
propriété de la mairie. À Paris, en
P O U R A L L E R P L U S L O IN
janvier 2019, cent cinquante sans
domicile fixe se sont installés • www.droitaulogement.org
dans le gymnase Roquépine. Autre
action : à Toulouse, en mars 2019,
des activistes se sont invités dans une agence de
l’entreprise de construction Vinci pour dénon-
cer les milliards d’euros de profits réalisés sur
le dos des plus précaires qui sont chassés des
centres-villes.
Risque encouru  : un an d’emprisonnement
et 15  000 euros d’amende pour violation de
domicile. n
et environnementaux, etc.) ; aider les Nations
unies à concrétiser, sur le terrain, ces dix-sept
objectifs grâce à la participation des
populations locales ; soutenir la justice
climatique en faveur des plus démunis,
premières victimes des
dérèglements climatiques ;
participer à la construction d’un P O U R A L L E R P L U S L O IN
monde plus équitable ;
• w w w. j a i j a g a t g e n e v e . c h
favoriser la non-violence dans
les sphères économique,
politique, éducative et
culturelle ; faire émerger une nouvelle
génération de décideurs et de leaders de la
paix ; enfin, encourager une autre politique
européenne vis-à-vis des migrants avec
l’objectif « zéro mort » aux frontières de
l’espace Schengen. n
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K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 35
PO R TFOLIO
J e a n - Pau l D ’ H e u e
DOSSIER-PORTFOLIO
,
Guillaume NEry
ET Franck Seguin bureau 233
PORT
L’APNÉE,
UNE MÉDITATION
AQUATIQUE
Quadruple champion du monde d’apnée,
Guillaume Néry a fait évoluer sa pratique
vers une démarche artistique en
produisant des films avec sa compagne
Julie Gautier et de belles images avec
le photographe Franck Seguin.

La respiration, c’est l’essence de la vie,

pourquoi jouer avec cette fonction vitale ?
Quand j’ai commencé, avec un copain, à l’adoles-
cence, c’est vrai que nous étions dans une forme
de transgression. Nos premières apnées n’étaient
même pas dans l’eau. Mais s’il n’y avait eu que
l’aspect transgressif, je me serais vite lassé. Ce
fut un point d’entrée, une porte ouverte vers une
quête de plénitude, un moment de méditation.
Bien sûr, c’est un moment suspendu, on ne peut
pas arrêter indéfiniment la respiration, mais on
n’est jamais autant conscient de notre besoin de
respirer que quand on arrête de le faire pendant
un certain temps. Chaque reprise respiratoire
est une délivrance, on est content de remonter
à la surface, mais le moment avant, on est par-
faitement bien. Toutes les expériences de priva-
tion, comme le jeûne [Guillaume Néry jeûne

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 DOSSIER-PORTFOLIO

TFOLIO

Près de l’île Maurice, à la rencontre des cachalots. Première étape du projet « One Breath around the world » de Guillaume Néry, Julie Gautier et Franck Seguin.

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PORT

Dans les cénotes du Yucatan, au Mexique, deuxième étape du projet.

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TFOLIO

Les cénotes, « puits sacrés », sont des lieux exceptionnels et étranges. Ils étaient utilisés par les Mayas à la fois comme réserves d’eau douce
et lieux de culte, offrant un moyen de communication avec les dieux de l’inframonde, le gouffre représentant une bouche.

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PORT

Yonaguni, « l’Atlantide japonaise », près d’Okinawa. Découvert en 1985, ce mystérieux temple immergé vieux de cinq mille ans fut révélé en Occident par Jacques Mayol.

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 DOSSIER-PORTFOLIO

de temps en temps, une journée, trois jours,

TFOLIO
une semaine, NDLR], où l’on arrête une fonction
vitale, nous permettent de nous rendre compte
de la place qu’elle occupe et lui donnent encore
plus de valeur.

Pourquoi ne pas méditer ? La notion

respiratoire y est fondamentale aussi
et l’état de plénitude serait plus long ?
Je trouve la méditation complémentaire de
l’apnée. Je ne veux pas instaurer de hiérarchie
entre les deux pratiques, car elles ont beaucoup
de points communs. Ce qui me passionne dans
l’apnée, c’est la double exploration, extérieure
et intérieure. On explore des fonds inconnus, à
100 mètres, dans un moment charnel avec l’eau,
mais c’est aussi un moment d’exploration intime,
un tête-à-tête avec soi-même.

L’apnée a changé votre regard sur le monde ?

C’est une vraie école de la vie. La confrontation
avec la nature et les éléments nous apprend une
forme d’humilité qu’on devrait avoir par rapport
à notre condition. L’être humain se place trop
souvent au centre de tout. Il a développé une
quête de maîtrise et de domination de la nature
dont on voit les dérives et les conséquences
aujourd’hui. L’apnée m’a fait intégrer aussi la
patience. Dans notre société de divertissement
et de précipitation perpétuelle, nous passons à
côté de beaucoup de choses. L’apnée m’a fait réin-
tégrer la notion de lenteur. C’est aussi une école
de l’économie d’énergie, et du zéro déchet. On
part avec rien, une inspiration, et pour durer, on
doit faire le moins de gestes possible. J’ai intégré
tous ces principes dans ma vie, qui s’articule à
présent autour de la simplicité et la décroissance.
Je cherche le bonheur dans le dépouillement.

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PORTFOLIO

DOSSIER-PORTFOLIO

PORT

« Je ne plonge pas, je ne nage pas, je marche, je cours, je saute. Je suis un terrien amphibie qui parcourt
le plus naturellement possible, sans palmes et sans bouteilles, le fond des océans. » Guillaume Néry

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 DOSSIER-PORTFOLIO
TFOLIO
Depuis que vous plongez, constatez-vous
des changements, une évolution des fonds
marins ?
C’est un sujet complexe, car les changements
importants ne sont pas forcément visibles à l’œil
nu. Il faut observer une seule zone pendant long-
temps pour poser un vrai constat. En revanche,
les retours d’expérience des scientifiques, des
pêcheurs, des habitants des lieux où je plonge,
confirment la dégradation des mers. On peut
citer la présence du plastique en Méditerranée
ou, plus frappant, les pêcheurs en apnée phi-
lippins qui ne trouvent plus un seul poisson.
Paradoxalement, c’est dans un autre univers
que je constate les plus grands dérèglements :
la fonte des glaciers des Alpes où je randonne
depuis mon enfance.
À la rencontre
C’est pour sensibiliser le public à des Bajau de l’île
de Salma, au sud
ces problèmes que vous êtes à présent des Philippines.
dans une démarche plus esthétique et Ce peuple
de pêcheurs
moins sportive ? nomades, en voie
Je n’ai pas fait ces films et ces photos pour sensi- de disparition,
pratique l’apnée
biliser le public au changement climatique. Je ne comme à
me positionne pas dans une démarche documen- son origine.
taire. J’ai envie d’offrir un autre regard, montrer
la magie des couleurs des fonds marins, amener
un imaginaire puissant. Je suis plus animé par
une envie de poésie, d’onirisme. Je suis dans une
vraie démarche artistique, pour toucher les gens
au cœur. n
P O U R A L L E R P L U S L O IN
• G u i l l a u m e N é r y, Fr a n c k S e g u i n , G u i l l a u m e
N é r y. À p l e i n s o uf fl e , G l é n a t , 2 0 1 9
• w w w. g u i l l a u m e n e r y.f r
• Retrouvez la version longue de cet
e n t r e t i e n s u r w w w. k a i z e n - m a g a z i n e . c o m
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K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 43

SOLUTIONS
Et si on
CLIMAT
le faisait
ensemble ?
ET SI ON LE
L’UNION FAIT LA FORCE
Pour lutter plus efficacement contre le réchauffement climatique,
permettre aux citoyens d’agir et aux dirigeants de changer de cap,
des ONG forment des alliances. Quels sont les ingrédients pour
C
qu’une coalition fonctionne ?
e vendredi soir, une dizaine de
personnes ont rendez-vous dans
le 10 e arrondissement de Paris
pour visiter La Base, nouveau lieu
éphémère de la mobilisation cli-
mat , c réé da ns la fou lée des
marches citoyennes de l’automne 2018. Leur
guide ? Lucas Francou. Coordinateur du lieu, il
promène les curieux parmi les 700 mètres carrés
regroupant un bar associatif, des espaces de
stockage, de coworking et les bureaux de diverses
associations, telles Alternatiba ou 350.org. « Ce
lieu nous sert de relais logistique pour organiser
des actions comme les marches pour le climat,
les grèves des étudiants ou encore des actes de
désobéissance civile tels que la République des
pollueurs 1 », explique-t-il.
Le côté très fonctionnel de La Base permet aussi,
selon Victor Vauquois, membre de Partager c’est
sympa, d’avancer plus vite ensemble : « Notre
alliance marche parce qu’on se coordonne sur
des actions ciblées. Avoir un lieu, cela permet
d’avoir plus d’ambition. Pour la République des
pollueurs, La Base était en ébullition, chaque
pièce était occupée. Pendant qu’on préparait une
retranscription vidéo, les membres d’Alternatiba
mettaient au point l’organisation de la journée.
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44 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
Maël ys Vésir
ENSEMB
L’équipe de communication de Greenpeace était
aussi présente pendant que des bénévoles de La
Base s’occupaient de la logistique. C’était une
belle fourmilière. »
Se rassembler autour d’actions concrètes, c’est
aussi le moteur du Collectif pour une transition
citoyenne (CTC), créé en 2013, qui regroupe vingt-
sept membres aussi divers que Les Amis de la
Terre, la Nef, Colibris ou Artisans du Monde.
« Notre idée est de se coordonner autour de pro-
jets très opérationnels et d’avancer dans un cadre
pour ne pas s’éparpiller », affirme Aliette Lacroix,
coordinatrice. Et ça marche ! « Chaque année, en
septembre, le CTC organise la Fête des Possibles,
un événement qui rend visibles des milliers d’ini-
tiatives locales inspirantes », raconte Aliette. En
2018, 600 000 participants étaient présents aux
1 139 rendez-vous organisés dans toute la France.
« On travaille également sur un Pacte pour la
Transition qui vise à renforcer la participation
citoyenne en élaborant trente-deux mesures
concrètes pour construire des communes plus
écologiques en vue des prochaines municipales. »
FORMER UN RÉSEAU D’EXPERTISE
Pour mettre en place ce Pacte pour la Transition,
le CTC s’est appuyé en partie sur l’expertise du

E FAISAIT
BLE ?
© Maëlys Vésir
Réseau action climat (RAC), branche française
d’un réseau international d’ONG, qui regroupe
près de 1 300 membres, dont Greenpeace, WWF
ou encore le Réseau Sortir du nucléaire. « Plus
on se coordonnera, plus on se nourrira les uns
les autres, plus on créera de ponts, et plus on ob-
tiendra de résultats concrets pour faire avancer
durablement les choses », affirme Anne Bringault,
responsable de la transition énergétique au RAC.
Depuis vingt-trois ans, le RAC France, qui re-
groupe une vingtaine de membres, fait pression
sur les gouvernements pour qu’ils appliquent des
mesures concrètes en matière d’écologie. « L’idée
est de construire des positionnements communs
en se répartissant les différentes thématiques
comme le logement, l’énergie, etc., en formant
des cercles d’expertise où chacun fait confiance
aux autres, explique-t-elle. Ensemble, la caisse de
résonance est plus forte. »
S’UNIR PAR LE LEVIER JURIDIQUE
Mais quand les décisions politiques ne vont pas
assez vite, certaines associations n’hésitent pas
à passer à la vitesse supérieure. En mars 2019,
SOLUTIONS
La base est
un local éphémère
quatre ONG – Notre affaire à tous, la Fondation à Paris qui permet
Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, à une dizaine
d’organisations
Greenpeace France et Oxfam France – ont porté regroupées
plainte contre l’État français pour inaction cli- de créer une
mobilisation
matique. « C’est la première fois en France que permanente.
des associations se réunissent pour porter une
action comme celle-là », explique Marie Pochon,
coordinatrice de Notre affaire à tous, qui s’appuie
sur la justice comme levier d’action pour le climat.
« Cela a vraiment été le fruit d’une intelligence
collective avec les trois autres ONG, mais aussi
avec des YouTubeurs et des personnalités qui
ont participé à notre vidéo de lancement. Cela
a permis un impact immédiat sur les citoyens »,
ajoute-t-elle.
En effet, la pétition « L’affaire du siècle », lancée
en appui du procès, est devenue la plus populaire
de l’histoire en France avec plus de deux millions
de signataires. « L’approbation d’un tel nombre
de citoyens montre que l’on peut véritablement
former un contre-pouvoir pour faire pression au-
près de nos politiques », se réjouit Marie Pochon.
Seul bémol, la lenteur de la procédure juridique
puisque l’instruction du dossier devrait durer
45
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 45
 et si on le faisait ensemble ?
2.
1.
3.
1, 2, 3. De 2006 à 2012,
l’Alliance pour la
planète a réuni 83 ONG,
syndicats, associations,
dont Greenpeace, avec
Yannick Jadot, FNH,
avec Nicolas Hulot, WWT,
etc. Cette coopération a
débouché sur le Grenelle
de l’environnement.
46 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
SOLUTIONS
un an et demi à deux ans avec une date d’au-
dience fixée en 2021. « On a conscience que cela
va prendre du temps. D’où l’importance de ne pas
rester inactifs pendant les deux ans qui viennent
et de continuer à se rassembler autour d’actions
de mobilisation concrètes », conclut-elle.
LE DÉFI DE LA GOUVERNANCE
Pour avancer de manière efficace et tenir sur
la durée, la question de la gouvernance est pri-
mordiale au sein des coalitions. « On retrouve
des outils de communication non violente, de
développement personnel, des chartes dans le
mode de gouvernance partagée, explique Alain
Aubry, anciennement responsable du mouve-
ment Colibris et fondateur d’une Démocratie
intérieure 2 , mais ces outils ne dispensent pas
d’un travail en profondeur sur la posture des
individus, car le monde associatif est loin d’être
épargné par l’individualisme. » L’Alliance pour la
planète – créée en 2006 et dissoute en 2012, fédé-
rant 83 membres, dont des associations pour le
climat, des syndicats et des entreprises – en a
payé le prix fort, selon Éric Julien, géographe et
consultant, responsable à l’époque de préparer
les réunions de l’Alliance. « On a échoué à passer
d’un “ego-système” à un “écosystème d’unité” »,
46
ET SI ON LE
© Pascal Greboval
ENSEMB
regrette-t-il. L’organisation du Grenelle de l’en-
vironnement, en 2007, a autant été le moment
de gloire de l’Alliance que le début du déclin du
collectif. « On était fiers de porter cette réunion
politique ensemble en créant un véritable mo-
ment d’intelligence collective. Mais cette mise en
lumière a réveillé des ego et certains membres se
sont renfermés sur leur spécificité. »
Une problématique que tente de surmonter le col-
lectif Osons les jours heureux, créé en 2017, qui re-
groupe une vingtaine d’acteurs de la transition aux
côtés de citoyens. Ici, le groupe forme un archipel,
où les organisations sont des « îles » et les projets
des « pirogues ». « Ce que l’on expérimente à tra-
vers cette métaphore, c’est le respect de l’identité-
racine de chaque “île” (son histoire, ses objectifs)
tout en développant l’“identité-reliance”, soit des
ponts créés entre chacune des organisations à
travers des projets, explique Thierry Salomon,
coprésident. Cela permet d’échapper à l’entre-soi
et stimule la capacité à réfléchir de façon horizon-
tale afin de constituer une communauté vivante. »
Des identités qui se complètent, c’est le propre des
organisations regroupées à La Base. « La complé-
mentarité, c’est notre force, affirme Pauline Boyer,
coordinatrice d’Alternatiba. On défend une cause
bien plus grande que nous et nos modes d’action,
 4.

SOLUTIONS 5. 6.
4. Boire un café, se retrouver entre amis,
travailler, s’organiser… tout est ouvert à
La Base.

5. Préalable à la Fête des Possibles,

le Festival de la Transition organisé par
le Collectif pour une transition citoyenne
à Cluny.

E FAISAIT
6. Pierre Rabhi et Alain Aubry au Festival
de la Transition.

© Maëlys Vésir
© Éléonore Henry de Frahan, collectif Argos

BLE ?
aussi différents soient-ils, entre la mobilisation,
le plaidoyer, l’art ou encore la justice, nous per-
mettent de nous enrichir les uns les autres. »
Pour Gypsy, chargée de communication au sein
du Groupe d’action néo-green (GANG) qui sensi-
bilise aux problématiques environnementales à
P O U R A L L E R P L U S L O IN
travers la production artistique dans des tiers-
lieux, c'est un point fort pour donner du sens au d’événements, ça permet de • w w w.lab a s e .p ar is
vivre-ensemble au quotidien. « Alternatiba, ce les découvrir en profondeur. • w w w.transition-citoyenne.org
sont des machines de guerre côté stratégie et or- Les actions d’ANV-COP21 m’ont • w w w.r e s e auac t ionc lim at .or g
ganisation, avec des méthodes très rigoureuses beaucoup plu et j’ai décidé de • w w w.le s - jour s - heur eu x .f r
pendant les réunions, par exemple, mais très éloi- devenir adhérent », confie-t-il.
gnées de notre manière de travailler, tournée vers Reste que La Base fermera ses
le créatif. On peut alors apporter du lâcher-prise portes fin avril 2020, date à laquelle le proprié-
dans l’hypercontrôle et eux de la rigueur dans la taire reprendra possession des lieux. « C’est une
dispersion », sourit-elle. contrainte créative, se rassure Lucas Francou.
Conséquence notable depuis la création de La Cela nous rappelle d’autant plus l’urgence d’agir,
Base : un engouement citoyen sans précédent. d’aller à l’essentiel et d’espérer des mobilisations
« Depuis mars 2019, on compte près de cinq mille toujours plus intenses et des changements encore
adhérents, avec plus de cinquante nouvelles plus grands. » n
demandes de bénévolat par semaine », détaille
Marielle, coordinatrice. « La Base, c’est un peu le 1. Le 19 avril 2018, 2000 activistes écologistes ont bloqué les sièges de
la Société Générale, d’EDF, de Total et du ministère de la Transition
trait d’union pour des gens qui souhaitent s’enga- écologique et solidaire à La Défense. Il s’agit de la plus grande mobili-
ger, mais ne savent pas par où commencer. » Ce sation de désobéissance civile non violente organisée en France.
2. Avec Ivan Maltcheff, Alain Aubry a créé Les agoras de la démocratie
fut le cas de Johan, 28 ans, bénévole au bar et à intérieure (LADI) liant la transformation individuelle à la revitali-
la logistique. « Comme plusieurs organisations sation des pratiques démocratiques pour que les personnes et les
collectifs retrouvent leur puissance.
ont leurs bureaux ici et organisent beaucoup

47
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 47
 GILLES SOLUTIONS
FARCET ÉCRI VAIN
THOREAU
ET LA DÉSOBÉISSANCE
CHRONIQUE
L
INTÉRIEURE
’écrivain et philosophe américain
CHRISTOPHE
Henry David Thoreau (1817-1862) fut
le pionnier de la désobéissance
civile, concept repris notamment
par Gandhi. Il refusa de payer ses
impôts à un gouvernement caution-
nant l’esclavage et ce positionnement lui valut
un bref séjour dans la geôle de son village, qui
ANDRÉ
lui inspira l’essai Civil Disobedience.
Mais la grande affaire de Thoreau, ce fut la déso-
béissance intérieure, tout à fait compatible avec
la désobéissance civile. Désobéir intérieurement,
oui, mais à quoi ?
À l’ensemble de nos conditionnements, préjugés,
présupposés, en bref à tout ce qui en nous-mêmes
relève de l’aliénation. S’il est très connu pour
GILLES
avoir vécu deux ans dans les bois, en grand pré-
curseur de l’autosuffisance, épisode qui donna
lieu à Walden 1, classique de la littérature améri-
caine, son projet fondamental n’était pas d’ordre
protestataire, mais d’ordre spirituel.
Imprégné de textes hindous tels que La Bhagavad
Gîtâ, Thoreau cherche avant tout à toucher sa
FARCET
nature originelle, le visage « qui était le sien
avant qu’il ne soit né », dirait le zen. Ses pratiques
écologistes, ou « alternatives », avant la lettre tra-
duisent sa quête intérieure de la vie consciente
et délibérée.
« Je suis allé dans les bois parce que je souhai-
tais vivre délibérément, ne faire face qu’aux faits
essentiels de la vie et voir si je ne pouvais pas
apprendre ce qu’elle avait à enseigner, et non
découvrir, quand je viendrais à mourir, que je
n’avais pas vécu… 1 »
Car Thoreau a compris que si l’éducation reçue, les
religions, l’idéologie dominante, quelles qu’elles
soient, nous aliènent, la désaliénation profonde ne
peut venir que d’une émancipation intime.
En cela, il s’avère très proche du sage Swami
Prajnanpad (1891-1974), connu comme le maître
C hr oni que
B astien D u bois
d’Arnaud Desjardins, pour qui « nos pensées sont
des citations, nos émotions des imitations, nos
actions des caricatures » et qui prône un passage
au crible de tout ce que nous tenons pour acquis.
Le « travail spirituel » consiste d’un certain point
de vue à désobéir. Désobéir à nos habitudes, à la
mécanique des jugements et donc des exclusions,
la mécanique des réactions commises sous le
coup de l’émotion, la mécanique de l’obsession
de la sécurité et du confort… Cette désobéissance
« La désaliénation profonde ne peut
venir que d’une émancipation intime. »
est sans doute la plus exigeante et aussi la plus
puissante. C’est le véritable sens, oublié, de la
« guerre sainte ».
Les révolutionnaires les plus radicaux n’ont
laissé derrière eux aucune trace sanglante. Les
révolutions qui ne substituent pas une nouvelle
aliénation à l’aliénation ancienne sont toujours
pacifiques, ce qui n’exclut pas radicalité et fer-
meté. Elles prennent place d’abord dans les
consciences.
À ce stade, autant me taire et encore citer
Thoreau : « Installons-nous, remuons nos pieds
et enfonçons-les dans la boue et la fange de l’opi-
nion, des préjugés, de la tradition, de l’illusion,
de l’apparence, ces alluvions qui
couvrent le globe […] l’Église et
l’État, la poésie et la philoso- POUR ALLER PLUS LOIN
phie et la religion, jusqu’à ce
• Gilles Farcet, Henry Thoreau :
que nous arrivions à un fond
L’éveillé du Nouveau Monde, Albin
solide et aux rochers en place,
Michel, Espaces libres, 1990.
que nous pouvons appeler réa-
lité, et que nous disions : ceci • Gilles Farcet, Arnaud Desjardins
est, pas d’erreur. 1 » n ou l’aventure de la sagesse, Albin
Michel, Espaces libres, 1992.
1. Henry David Thoreau, Walden ou la vie
dans les bois, L’Âge d’homme, 1990.
49
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 49

E n q u e^ t e
de sens CLÉMENCE DEBORD SOLUTIONS
DES LIVRES
À LA VIGNE En 2014, alors éditrice à Paris, Clémence Debord décide de tourner la page
J
pour se reconvertir dans le vin sur les terres familiales tarnaises.
« e n’osais pas me l’avouer, mais ça
trottait dans ma tête inconsciem-
ment. Ça devait se faire ! » Voilà
comment Clémence Debord, 36 ans,
résume sa nouvelle vie. En cinq ans,
elle est passée d’une vie parisienne
« installée » dans l’édition à un quotidien de
vigneronne dans le Gaillacois.
Juillet 2014. Au lendemain de son mariage,
Clément échange avec Jean, son beau-père, cour-
tier en vins, qui lui exprime ses regrets de n’avoir
jamais pu créer un domaine viticole familial.
Ces révélations remontent jusqu’à Clémence qui
ouvre les yeux. C’est le bon moment pour elle de
se lancer aux côtés de Clément et de sa famille
dans la production de vin. Ce n’était pourtant
pas gagné pour la petite fille qui accompagnait
autrefois son père dans les vignes sans passion.
Après des études de littérature et d’édition, elle
s’installe à Paris et mène une vie confortable avec
son futur mari, informaticien. Mais la vie en ville a
ses limites. Les convictions de Clémence, son his-
toire familiale, l’envie d’ailleurs et de construire
avec Clément la rattrapent. Ce bouleversement est
acté en trois jours autour d’un projet qui respecte
ses valeurs : une production viticole en bio. « Sans
cette approche, nous n’y serions pas allés ! Il fal-
lait un sens, sentir qu’on avance dans la bonne
direction, vers des produits sains et qualitatifs »,
50
50 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
F l oren t L am on tagn e
EN QUÊTE
explique Clémence. Dès lors, les questions se
multiplient : coût et viabilité du projet, connais-
sance du secteur… Elles trouvent réponse dans la
motivation et une part d’insouciance, à l’ombre
d’un père bienveillant, propriétaire des terres et
de matériel, qui prodigue de bons conseils. Ne
reste plus qu’à le convaincre de travailler en bio.
Le projet se met en marche et le couple se donne
cinq ans.
LE TEMPS DE LA RÉFLEXION
Trois années auront été nécessaires pour élabo-
rer, en septembre 2016, la première cuvée, dont
un an pour « solder » Paris et rejoindre Gaillac,
en août 2015, et le reste pour « se faire la main ».
« Après réflexion, nous n’avons pas entrepris de
formation spécifique. Mon père nous a épaulés
ainsi que plusieurs personnes du Gaillacois »,
explique Clémence. L’échange avec des techni-
ciens, des acteurs de la chambre d’agriculture ou
encore des associations, comme Terre de Gaillac,
qui défend la production des vins bio, ou Les
Z’elles Gaillacoises, un collectif de vigneronnes,
a été riche en enseignements.
Outre l’apprentissage technique de la taille de
la vigne, la gestion de la récolte ou des assem-
blages, Clémence travaille son sens créatif pour
choisir les noms du domaine (La Petite Tuile
vient de Téoulet, le nom de la route qui mène à la

E DE SENS
propriété, signifiant « petite tuile » en occitan),
des cuvées, un logo ou développer la communica-
tion. Côté administratif, elle s’initie au juridique,
à la comptabilité, aux relations avec la banque, à
la stratégie commerciale… Un travail difficile à
mener seule. « Clément joue un rôle déterminant
dans cette reconversion. Sans lui et son aide, je
n’aurais pas passé le pas. Le projet est le mien,
mais aussi le nôtre. Rien n’est jamais décidé sans
l’accord de l’autre », avoue-t-elle. L’amour et la
confiance entre Clémence et Clément agissent
comme un moteur quotidien : « Cette aventure
nous pousse à l’exigence et nous rend heureux.
On veut la qualité de la vigne pour la transformer
dans le verre. »
PARTIR POUR MIEUX REVENIR
Revers de la médaille, ce travail chronophage
sur le domaine se répercute sur la vie de famille.
Vivre et travailler sur un même lieu autorise peu
à sortir du boulot, à penser à soi ou aux autres.
Et financièrement, la vie n’est plus la même.
« J’avais un bon salaire et je me suis retrouvée à
ne pas pouvoir me payer pendant plusieurs mois…
mais j’ai acquis la “richesse” de la liberté, d’être
SOLUTIONS
mon propre patron et de m’épanouir en ce lieu
unique que je construis et partage avec ceux que
j’aime. Cette expérience a donné un sens à ma vie,
personnellement et professionnellement. J’ai pu
mettre en place un projet pour moi, mais aussi
pour Clément, où nous avons la liberté de déci-
sion et des résultats concrets, déclare Clémence.
Au final, je me rends compte que je suis partie…
pour mieux revenir ! Et que j’ai désormais un vrai
projet de vie. »
Le travail de reconversion se prolonge. « Nous
devons trouver le bon équilibre économique et
confirmer notre modèle de développement. Avec
cinq cuvées, un premier millésime sans levures et
notre certification bio en 2019, les objectifs sont
atteints même si les projets d’évolution sont
permanents. Comme toujours mieux travailler
la vigne, en biodynamie par exemple… »
La famille a aujourd’hui trouvé ses marques et
pour Clémence, l’évidence de ce
projet initialement inavoué est
P O U R A L L E R P L U S L O IN
devenue réalité. Une reconver-
sion qui coule de source et fait • www.domainedelapetitetuile.com
lever les verres… de Gaillac, bien • w w w.v i n s - g a i l l a c . c o m
évidemment ! n
51
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 51
 Mar ion D u gren ier

UN VÉLO
GoU^t de SOLUTIONS
l'enfance

POUR 10 GOÛT
ANS DE
Chaque année, jusqu’à leurs 10 ans, des enfants viennent échanger
gratuitement leur vélo pour un autre, recyclé et adapté à leur taille.
Lancé par l’atelier d’autoréparation SoliCycle de Saint-Denis, le projet écolo

L
et solidaire sensibilise dès le plus jeune âge aux bienfaits de l’économie
circulaire et de la pratique du deux-roues.

a roue avant du vélo de Yanis *, 3 ans,
« est à plat. Avec Nader, son papa, ils
sont venus à la Maison du vélo de
Saint-Denis pour le réparer. « Le
vélo est mort », annonce le père de
but en blanc. « Non, la chambre à
air est simplement crevée, le rassure l’un des
mécaniciens de l’atelier. C’est réparable. » Exit
l’excuse de l’inexpérience ! Ici, petits et grands
cyclistes bénéficient des conseils de profession-
nels pour réparer eux-mêmes leur monture. Une
façon « d’augmenter significativement l’usage
du vélo dans les déplacements quotidiens »,
assure l’association.
Mais Yanis a d’autres desseins en tête cet après-
midi-là. Il a repéré une petite reine rouge flam-
boyant à la boutique de cycles d’occasion. « Ils
sont venus pour une réparation, mais le vélo
n’est plus adapté à la taille de l’enfant. Alors ils
vont pouvoir repartir avec un vélo d’occasion
plus grand, et l’ancien bénéficiera à quelqu’un
d’autre ! », s’enthousiasme Mehdi Zainoune, coor-
dinateur technique de SoliCycle.
« UN VÉLO DONT ON PREND SOIN DURE PLUS
LONGTEMPS »
Depuis trois ans, l’association Études et chantiers
Île-de-France, maison mère de SoliCycle, a lancé le
programme « Un vélo pour 10 ans ». Le concept ?
Chaque année, jusqu’à leurs 10 ans, les enfants
échangent gratuitement leur vélo pour en avoir
toujours un adapté à leur taille. En contrepartie,
ils s’engagent à entretenir consciencieusement
leur monture. «  Un vélo dont on prend soin,
c’est un vélo qui dure plus longtemps », justifie
Marianne Ralu, en charge du projet. Les enfants
bénéficiaires, issus de familles modestes et qui
n’ont jamais eu de vélo, sont identifiés par les
accueils de loisirs de la Ville de Saint-Denis, qui
cofinance le projet. « Pour beaucoup de familles,
c’est aussi l’occasion de découvrir le milieu associa-
tif local », ajoute Marianne. Soixante Dionysiens,
âgés de 5 à 8 ans, font déjà partie du projet.
Et l’idée séduit au-delà des frontières franci-
liennes. De la Belgique jusqu’à Bayonne, où
l’association Txirrind’Ola a mis en place un pro-
gramme similaire, il y a sept ans. Moyennant une
adhésion annuelle de 20 euros, tous les enfants de
2 à 9 ans peuvent y « échanger un vélo plus petit,
en bon état, contre un plus grand, révisé par nos
soins », explique Caroline, en service civique à
Txirrind’Ola.
Deux motivations à ces projets : « D’un côté, en
les retapant, on remet ces vélos dans le circuit et
on allonge leur cycle de vie, explique Marianne,
de SoliCycle. En effet, beaucoup de vélos enfant
finissent à la déchetterie dès que l’enfant a grandi.
De plus, cela permet de sensibiliser à la pratique
du vélo dès le plus jeune âge. Dans l’association,
nous sommes tous des convaincus du vélo : il ne

52
52 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 SOLUTIONS

L’ENFANCE

pollue pas, fait faire du sport, et c’est le mode de les adhérents participent activement à la répara- Aidé par l’un des
transport le plus rapide en ville ! » tion », souligne Marianne. « Certains ne veulent néo-mécanos
de l’atelier,
En outre, « il est plus facile d’inculquer aux en- pas mettre les mains dans le cambouis, s’amuse Amir remplace
fants des bonnes pratiques que de faire changer Marie, une mécanicienne de l’atelier. Au début, le dérailleur en
plastique de son
de comportement des adultes, constate Lisa, qui ils disent “jamais de la vie !” Puis je leur montre nouveau vélo
travaille pour Terre Buissonnière, une association et ils voient qu’ils en sont capables. C’est en fai- par un autre plus
vintage...
basque d’éducation à l’environnement. De plus, sant qu’on apprend. »
les enfants sont les générations futures ! Et, bien
souvent, ils influencent leurs parents. »
LE VÉLO EN CHIFFRES
« ÉCOLOGIE CONCRÈTE »
Chaque année en France…
« Les ateliers d’autoréparation vélo rendent l’éco-
logie concrète, notamment dans des quartiers
“défaillants”, où elle est rarement la priorité. » 3 MILLIONS
DE VÉLOS VENDUS

1,5 MILLION
En encourageant à la pratique du deux-roues au
quotidien et lors d’évènements festifs, comme
DE VÉLOS DÉTRUITS
Source : Heureux Cyclage et Ademe, 2013.

la « fête du vélo ». Mais aussi en donnant une

seconde vie à ces bicyclettes : « La majorité des
vélos retapés et vendus ici viennent de la déchet-
UN POTENTIEL SOUS-EXPLOITÉ
terie. Sur dix vélos récupérés, sept et demi sont
Un français sur deux
réparés et les autres sont mis en pièces détachées 1/2 POSSÈDE UN VÉLO.
pour de futures réparations », indique Mehdi. Tout
est valorisé ! Mais un tiers des vélos adulte
« Une forme d’éducation populaire, qui favorise 1/3 NE ROULENT PAS.
Soit 8,7 millions de bicyclettes sous-utilisées
le “faire-ensemble” et le transfert de compétences. sur les 26 millions du parc français.
Nous ne sommes pas des prestataires de services :

53
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 53
 GoU^t de l'enfance
SOLUTIONS
La Maison du vélo de Saint-Denis, rue Gabriel-Péri,
a lancé le projet « Un vélo pour 10 ans »
il y a plus de trois ans.
Yanis, 3 ans, surveille de près la réparation
de la roue avant de son bolide.
GOÛT DE
L’ENFANCE
Une affirmation d’autant plus juste chez les plus
jeunes. « Les enfants retiennent mieux en étant
acteurs et actifs, acquiesce Lisa. Après avoir par-
ticipé à nos vélo-écoles, ateliers de réparation ou
jeux de l’oie de la mobilité douce, ils en parlent à
leurs parents et veulent réitérer l’expérience. Par
la pratique d’une écologie concrète, nous essayons
d’inculquer le vélo comme moyen de transport, et
plus seulement comme outil de jeu. »
Pour 20 euros par an et par famille, les 850 adhé-
rents de l’association Bicyclo de Saint-
Denis ont accès à l’atelier d’autorépa-
ration en illimité. Les pièces détachées
P O UR A L L E R P L U S L OIN
d’occasion sont vendues à prix libre.
• w w w. s o l i c y c l e . o r g Chacun donne ce qu’il veut, ou ce
• w w w. b i c y c l o . o r g qu’il peut. La boutique dionysienne
• w w w.t x ir r in d o l a . o r g comporte aussi une boutique de deux-
roues retapés, dont les prix défient
54
54 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
toute concurrence. « Ici, les vélos enfant coûtent
entre 5 et 50 euros, ceux pour adultes entre 50 et
150 euros », indique Medhi. Neufs, il faut compter
113 euros en moyenne pour un vélo enfant, 339 eu-
ros pour un vélo de ville adulte et 396 euros pour un
VTT. Pour des bicyclettes de qualité très variable.
« L’ENVIRONNEMENT ET L’EMPLOI »
Solidarité, économie circulaire et mobilité zéro
carbone : l’atelier d’autoréparation de vélos de
Saint-Denis coche toutes les cases. « C’était beau-
coup moins dans l’air du temps quand on a ouvert
le premier atelier, en 2007, aux Ulis, sourit Medhi.
Aujourd’hui, on a deux forces : l’environnement
et l’emploi. »
En parallèle de ses engagements écolos, l’atelier C
d’autoréparation Bicyclo est aussi un chantier de
remobilisation pour les demandeurs d’emploi de M
longue durée. À Saint-Denis, dix à douze salariés J
en réinsertion sont embauchés pour une durée de CM
un an en tant que mécaniciens – mais aussi pour
accueillir les clients et animer des évènements MJ
en extérieur. « Ils se réhabituent à travailler en CJ
équipe, à avoir des horaires, une hiérarchie… », CMJ
explique Marianne.
Marie, salariée de l’atelier depuis deux mois, N
n’avait « aucune notion de mécanique en arri-
vant. Depuis, j’ai appris à réparer un vélo – et
même à en faire ! » Pour sa collègue, qui a déjà
travaillé dans l’assemblage automobile, « le job
n’est pas très différent, mais l’ambiance est bien
plus conviviale qu’en usine à la chaîne. » Elles
sont les deux seules femmes mécanos de l’atelier.
« Le stéréotype selon lequel la mécanique vélo
serait réservée aux hommes perdure, regrette le
responsable technique, mais c’est faux ! Le 8 mars
dernier, on a organisé un atelier d’autorépara-
tion par et pour les femmes exclusivement. Pour
mettre en confiance et montrer que tout le monde
peut le faire. »
Le chantier de réinsertion, véritable levier vers le
retour à l’emploi, comptabilise à ce jour 70 % de
sorties positives. « Pas forcément dans le monde
cyclable », sourit Medhi en haussant les épaules.
Une bien belle manière de se (re)mettre en selle !
*Les prénoms ont été modifiés.

ROUE LIBRE SOLUTIONS
DUNKERQUE
LA GRATUITÉ DES BUS,
ÇA PAYE ! ROUE
Le 1er septembre 2018, Dunkerque devenait la plus grande ville
européenne à mettre en place la gratuité des transports 1.
E
Un an plus tard, le dispositif est un succès économique,
social et écologique.
n sortant de la gare, impossible de
ne pas les voir. Bleu, rose, jaune,
vert… Les bus flamboyants de la
Ville de Dunkerque contrastent avec
la couleur brique des bâtiments,
arborant tous l’inscription « 100 %
gratuit 7 jours sur 7 ». Depuis septembre 2018, les
habitants de l’agglomération et les gens de passage
n’ont plus besoin d’acheter un ticket ou un abon-
nement pour prendre le bus, un simple « bonjour »
au conducteur suffit. « Je laisse ma voiture plus
souvent devant chez moi maintenant », confie
56
56 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
Maël ys Vésir
Yolande, 79 ans, qui attend le bus pour rentrer chez
elle à Petite-Synthe.
Comme Yolande, depuis le lancement du dis-
positif, 48 % des nouveaux usagers ont délaissé
la voiture pour faire le même trajet en bus. Une
petite révolution dans une ville où la culture de
l’automobile a toujours été extrêmement forte.
« Après la Seconde Guerre mondiale, la recons-
truction de la ville a été pensée autour du dépla-
cement en voiture et jusque dans les années 2010,
moins de 5 % de la population utilisait le bus »,
explique Patrice Vergriete, maire et président de
la Communauté urbaine de Dunkerque. « Il fallait
donc une rupture avec le modèle existant en pro-
posant la gratuité, un “choc psychologique” pour
que les habitants s’approprient de nouveau les
transports en commun. » Neuf mois seulement
après le lancement, les bus ont vu leur fréquen-
tation augmenter de 80 % en semaine et de plus
de 140 % le week-end !
Ce succès n’aurait pas été possible sans une
refonte totale du réseau en amont. « On ne pou-
vait pas se permettre de lancer la gratuité du
jour au lendemain sur un réseau vieillissant qui
n’avait pas été rénové depuis les années 1980 »,
explique Xavier Dairaine, chef de projet Transport
à la Communauté urbaine de Dunkerque. Voies
dédiées, feux prioritaires, remaniement des
horaires… Dix-sept lignes de bus irriguent
maintenant le réseau, dont cinq nouvelles

E LIBRE
lignes « Chrono » – équipées de ports USB et de
connexion WiFi – qui garantissent aux usagers
un passage toutes les dix minutes en semaine.
« Cela nous a permis de lancer la gratuité en deux
temps : le week-end d’abord, de 2015 à 2018, avant
la gratuité totale, en septembre 2018. »
Côté environnemental, 50 % des bus du réseau
roulent aujourd’hui au gaz naturel 2 avec l’objectif
d’atteindre les 100 % d’ici 2025. « C’est un long
processus. On ne peut pas simplement “jeter” nos
anciens bus qui roulent encore au diesel, explique
Xavier Dairaine. Sur du plus long terme, on réflé-
chit même à introduire de l’hydrogène dans le
biogaz à partir des centres de revalorisation des
déchets de la ville. »
QUEL COÛT POUR LA GRATUITÉ ?
Mais comment financer tout ça ? En partie grâce
au versement transport (VT), une taxe imposée
par les collectivités aux entreprises locales de
plus de onze salariés, qui représente la principale
source de financement des réseaux de transports
en France. « De 2011 à 2014, mon prédécesseur a
augmenté cette taxe à un taux de 1,55 % – ce qui
représentait près de 9 millions d’euros par an –
dans le but de construire un complexe sportif et
culturel de dix mille places. Nous avons fait le
choix d’annuler ce projet et de réinjecter l’argent
pour financer les travaux de refonte du réseau et
une fois ceux-ci terminés, financer la gratuité des
SOLUTIONS
Grâce à
la gratuité,
transports », détaille Patrice Vergriete. La taxe a la fréquentation
comblé les recettes liées de la billetique qui repré- est en forte
hausse.
sentaient 4,5 millions d’euros sur un budget total
des transports de 40 millions d’euros.
Jeunes, personnes âgées, populations précaires et
isolées… Dans une ville populaire et industrielle,
la gratuité des bus a permis la mobilité de per-
sonnes n’ayant pas forcément les moyens de se
déplacer. « Cela fait du bien au porte-monnaie,
confirme Mélanie, 21 ans, qui attend son bus pour
aller en cours. Les transports en commun de-
vraient être un droit et non un privilège. » « Avec
ma compagne, on économise deux abonnements,
ce qui n’est pas négligeable », souligne quant à
lui Thomas, 37 ans, jeune papa, qui pose tout
de même un petit bémol aux heures de pointe :
« Je laisse parfois passer un premier bus pour
prendre celui d’après pour pouvoir entrer avec
la poussette. »
« Les transports en commun devraient
être un droit et non un privilège. »
Plus de monde et pourtant une ambiance plus
détendue pour Fabien, chauffeur de bus depuis
six ans. « Sans caisse à bord, on n’a plus le souci de
valider les tickets, rendre la monnaie, choses que
l’on faisait parfois en roulant, témoigne-t-il. Là,
on se concentre plus sur la route et on est dans
57
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 57
 Roue Libre
SOLUTIONS
ROUE LIBRE
En plus de
la gratuité,
la convivialité a
été travaillée :
ports USB
et ambiance
décontractée.
une démarche d’information
avec le passager. » Réaffecté à
des missions de sécurisation
et de fonctionnement, Didier,
contrôleur depuis dix-sept
ans, se réjouit également de ce
nouveau rapport avec l’usager :
« C’est certain que sans le ser-
vice Fraudes, il n’y a plus le côté
répression et c’est apaisant. »
Le bus devient même un espace
ludique avec la mise en place
de bus thématiques décorés
autour du sport, de la culture ou
du jeu vidéo, dans lesquels des
animations et jeux sont organi-
sés. « Le but est de surprendre
le passager et de créer de l’échange », explique
Sébastien Handtschoerwercher, responsable
marketing et communication du réseau DK’Bus.
« L’INSÉCURITÉ A DIMINUÉ DE 60 % »
L’initiative fait aujourd’hui beaucoup d’émules.
« J’ai des rendez-vous presque toutes les semaines
avec des maires d’autres agglomérations, raconte
Patrice Vergriete. D’autant plus que dans un
contexte de “gilets jaunes”, on apporte une so-
lution sur la question du pou-
voir d’achat et de la mobilité »,
P O U R A L L E R P L U S L O IN
conclut-il. Fier d’être à la tête
• w w w.v i l l e - d u n k e r q u e .f r de la capitale européenne du
transport gratuit, le maire de
58
58 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
la ville ne souhaite néanmoins pas faire figure
de « modèle ». « La mise en place de la gratuité
dépend des spécificités locales et de l’histoire de
chaque agglomération. En revanche, je veux bien
que l’on soit un exemple pour lutter contre les
préjugés, les poncifs et les contre-vérités autour
de la gratuité, scande-t-il. Non, l’insécurité n’a pas
augmenté dans les bus, elle a même diminué de
60 %. Il est temps de déconstruire les idées reçues
et de dépoussiérer les pratiques pour construire
des alternatives urbaines. »
Dunkerque rejoint ainsi les trente-et-une agglomé-
rations françaises qui ont choisi la gratuité, comme
Compiègne, la pionnière, en 1975, Châteauroux en
2001 ou encore Niort en 2017. « Une cinquantaine
d’autres agglomérations sont en train d’y réflé-
chir », affirme Maxime Huré, maître de conférences
en science politique à l’université de Perpignan et
président de l’association VIGS (Villes innovantes
et gestion des savoirs) 3. « Face à la difficulté de
changer les comportements et aux très fortes
problématiques sociales et environnementales
de plus en plus urgentes, des mesures aussi radi-
cales que la gratuité vont s’imposer dans les années
qui viennent », conclut-il. Et devenir, peut-être, la
norme des villes de demain ? n
1. Tallinn, capitale de l’Estonie, 440 000 habitants, est à ce jour la plus
grande ville ayant adopté la gratuité des transports, mais uniquement
pour ses habitants, à l’inverse de Dunkerque qui la propose pour tous.
2. Le gaz naturel émet 80 à 90 % de particules fines et d’oxydes d’azote
en moins par rapport aux véhicules essence ou diesel. Pour le CO2, la
diminution atteint 7 à 16 %.
3. www.vigs-conseil.com

vent
SOLUTIONS
BEER SHÉBA
d'ailleurs
SÉNÉGAL
VENT D’A
L’AGROÉCOLOGIE
AU CŒUR DU SAHEL
Régénérer une agriculture naturelle, sans engrais chimiques ni pesticides,
et montrer que la production est supérieure à celle de l’agriculture
L
conventionnelle au Sénégal, c’est le projet de la ferme Beer Shéba.
Un miracle en plein Sahel ? À l’évidence, un changement de paradigme.
orsque l’on se rend à la ferme Beer
Shéba, à 20 kilomètres de Mbour,
près du village de Sandiara, on tra-
verse un paysage désertique. Seuls
de valeureux baobabs et quelques
troupeaux de vaches et de chèvres
colorent l’horizon. Dans cet environnement hos-
tile, où la terre est comparable à du ciment, dif-
ficile de croire qu’en seulement quelques années,
tant de verdure et de vie aient pu voir le jour. « Au
début, il n’y avait rien, ces terres étaient réputées
maudites par les villages alentour. Mais lorsque
je suis venu ici, j’ai eu une vision incroyable : j’ai
vu des arbres, des gens qui dansent, de la vie.
C’est là que tout a commencé… », raconte Éric
Toumieux, pasteur et coordinateur du projet.
« Les débuts n’ont pas été faciles. Il a fallu forer
à 106 mètres de profondeur pour finalement
atteindre une source d’eau parfaitement douce.
Le niveau stat ique est ensuite remonté à
21 mètres. » Quinze ans plus tard, les équipes de
la ferme pompent en moyenne 100 mètres cubes
d’eau par jour pour arroser leurs cultures et le
niveau n’a pas bougé. C’est ainsi qu’est née « l’his-
toire d’une bonne nouvelle » : Beer Shéba, ou
« puits du serment » en hébreu.
Centre de ressources en permaculture et agro-
foresterie, Beer Shéba montre qu’une autre
60
60 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
A pol l in e Stockh em
B r ieu c D ebon tr idder
agriculture est possible. Depuis 2012, de jeunes
fermiers venus de toute l’Afrique sont sélectionnés
pour s’y former. Durant onze mois, ils disposent
d’une parcelle qu’ils cultivent en payant l’eau et les
semences. Beer Shéba leur achète ensuite tout ce
qu’ils produisent au prix du marché local (Mbour).
Pour contribuer à reverdir le Sahel, Beer Shéba
enseigne une technique particulière d’agroforeste-
rie inspirée d’un fermier zimbabwéen dont le but
est de protéger les espèces existantes, telles que
les repousses des souches d’arbre et les petits ar-
bustes, et de les encourager à grandir 1. « Pratiquer
la reforestation intensive aurait coûté très cher
sans résultats garantis. La terre est trop compacte
pour que les racines s’y développent. À la place,
nous avons décidé de miser sur les semences qui
ont survécu à la saison des pluies et de les stimu-
ler », explique Éric. Cette « régénération naturelle
assistée » a déjà fait ses preuves sur les 100 hec-
tares du domaine : plus de soixante mille arbres
se sont régénérés naturellement.
PAILLAGE, COMPOST ET TERMITES :
LE COCKTAIL GAGNANT !
Pour produire légumes et céréales, Beer Shéba
recourt aux techniques de la permaculture, cher-
chant à tirer profit des relations réciproques des
espèces. « Alors que la terre n’avait jamais été
 SOLUTIONS

AILLEURS
cultivée auparavant, on produit aujourd’hui en
moyenne 4 tonnes de céréales à l’hectare, au lieu
de 1 tonne pour les paysans de la région. Et je
pense que l'on peut arriver à 8 ou 9 tonnes au fil
des années. La permaculture permet de créer son
propre sol, à partir de compost et de paillage, que
les termites décomposent en humus. Quel que soit
le sol, ça marche, explique le pasteur. La richesse
de n’importe quel système agricole ou forestier,
c’est son sol. Un sol dans lequel la matière orga-
nique meurt et revit sans cesse. »
Pour « créer » leur sol, les élèves de Beer Shéba
étalent du compost sur leur parcelle, qu’ils re-
couvrent ensuite de paillage pour le protéger
contre la solarisation et le dessèchement ; le
compost, riche en bactéries et en champignons,
protège des attaques d’insectes. Quant aux ter-
mites, ennemis numéro un du paysan au Sénégal,
ils deviennent en permaculture de véritables en mal de nature », s’avère pourtant être extrê-
alliés. De la même façon que les vers de terre en mement productive. Rappelons qu’aujourd’hui,
1. 2.
Europe aèrent le sol et transforment la matière l’agriculture paysanne nourrit 70 % de la popula- 3.
organique en humus. tion mondiale 2. 1. Champs en
Selon les spécialistes de Beer Shéba, il y aurait permaculture sur le site
dans la nature un ratio de 1 500 « bons insectes » DE BONNES BACTÉRIES EN GUISE de Beer Shéba.
pour un seul mauvais. La culture conventionnelle, DE VACCINS 2. Le responsable
basée sur les pesticides de synthèse et les fertili- Beer Shéba est avant tout connu pour sa poudre permaculture explique
les associations
sants chimiques, aurait-elle atteint ses limites ? de moringa, arbre de vie et source de vitamines, de cultures.
Depuis quelques années, de nombreux experts et pour ses viandes tendres et goûteuses, qui re-
s’inquiètent face à notre dépendance à un système présentent près de la moitié de ses revenus. Leur 3. L’étable de la ferme
Beer Shéba : les vaches
agricole énergivore et destructeur, dont même les secret ? Un élevage sain sans vaccins, qui respecte sont nourries avec de
rendements décroissent. « Cette agriculture repose les écosystèmes naturels. À Beer Shéba, des bac- l’herbe et non du carton
ou des sacs de ciment
sur l’illusion d’un pétrole pas cher. Il faut actuelle- téries issues d’eau de riz fermentée ou de l’acide comme on le voit un peu
ment 600 litres de pétrole pour produire 1 tonne lactique du lait sont répandues sur le sol forestier partout dans le pays.
de blé, argumente Éric. Il y a du pétrole dans les des animaux et introduites dans leur nourriture.
fertilisants, les pesticides, les moissonneuses- Résultat : ils ne tombent plus malades, les bonnes
batteuses… » La permaculture, souvent perçue bactéries prennent le dessus sur les mauvaises, les
comme « alternative » ou « réservée aux urbains excréments s’autocompostent et les odeurs sont

61
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 61
 vent d'ailleurs

SOLUTIONS

VENT D’AILLEURS
1.
2.
1. Champ de moringas
dont on extrait les
précieuses poudre
(feuilles) et huile
(graines).

2. La porcherie de
la ferme Beer Shéba.

« Généralement, quand ça sent mauvais, c’est jus-

tement parce qu’il y a quelque chose à réguler… »

POSER LES BASES DE L’AGRICULTURE

éliminées. « Dans la nature, il y a huit fois plus de
bonnes bactéries que de mauvaises. Mais si vous
élevez des animaux sur du ciment, ils vivront au
milieu de leurs excréments et seront donc entou-
rés de pathogènes », indique Éric.
La porcherie a été conçue avec une ouverture dans
le toit permettant la bioactivité du sol
et la circulation de l’air : les cochons
P O U R A L L E R P L U S L O IN
y sont bien dodus et en forme, sans
www.projet-beersheba.fr avoir été vaccinés ou gavés d’antibio-
tiques, et ne sentent pas mauvais !
DE DEMAIN
Le projet Beer Shéba n’est pas au bout de ses
ambitions : un petit hôpital va voir le jour pour
accueillir les villageois et faire de la prévention,
notamment sur la question du diabète, véritable
tueur silencieux dans le pays : « sur les 8 % de
Sénégalais atteints du diabète, seuls 2 % en sont
conscients. Or, si les gens continuent à manger
du thiéboudienne tous les jours et à boire sucré
comme ils le font, ce chiffre pourrait atteindre les
15 % dans les années à venir, s’alarme Éric. Les
Sénégalais mangent un peu comme les Américains
dans les années 1970. Il faut que nous agissions. »
Le souhait des équipes de Beer Shéba, en plus de
convaincre les autorités sénégalaises de la perti-
nence de leur modèle, est aussi d’inspirer le grand
public. « Nous sommes convaincus que c’est notre
génération qui doit changer sa manière de produire
et de manger », affirme Éric. Expérimenter, inspirer et
former pour que ces techniques durables deviennent
les bases de l’agriculture de demain et se répandent
dans le monde, telle est la mission de Beer Shéba.
1. Abdoulaye Dia, Robin Duponnois (coord.), Le Projet majeur africain de
la Grande Muraille Verte. Concepts et mise en œuvre, IRD Éditions, 2013.
2. « L’agriculture paysanne peut nourrir le monde et refroidir la
planète », Oxfam, 2011. Étude disponible en ligne.

62
62 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 MOTS,
CROISE S
S a b a h R ah m an i
VIANDE SOLUTIONS
STOP OU ENCORE ?
Nos choix alimentaires ne sont pas neutres, ils influent sur notre santé comme sur celle
de la planète. Et les produits d’origine animale soulèvent aujourd’hui de multiples débats…
L’avis du Dr Édouard
L a paléontologie a montré que les
© DR
premiers hommes mangeaient de la
viande, depuis plus de deux millions
BIO EXPRESS
d’années. L’être humain est le fruit
1937
d’une évolution durant laquelle son
Naissance métabolisme s’est adapté pour man-
1968
ger aussi bien des végétaux que de la viande.
Chirurgien « Omnivore » ne veut pas dire que l’on peut man-
1987
ger de tout, mais que l’on a besoin de produits
Compétence en d’origine animale comme végétale.
cancérologie De nombreuses études montrent que le modèle
1996 pesco-végétarien est celui qui présente le plus de
Membre de bienfaits sur la santé. Le poisson est connu de-
l’Académie
des sciences puis longtemps pour son apport en oméga-3, qui
de New York ne sont pas aussi abondants dans les végétaux.
2019 Ce modèle alimentaire sort aussi en tête de cer-
Végétarien, végan taines études de prévention contre le cancer. Le
ou flexitarien ?
Ce qui est bon modèle flexitarien, de type méditerranéen, basé
pour la santé, sur une large variété de végétaux, du poisson et
publié aux
éditions Odile une consommation de viande réduite, ressort
Jacob lui aussi dans de nombreuses études pour ses
bienfaits sur la santé.
« Le modèle pesco-végétarien est celui qui
présente le plus de bienfaits sur la santé. »
Quel que soit son choix, il est nécessaire d’adap-
ter son modèle alimentaire en fonction de son
âge, de sa santé et de son activité. Les femmes
enceintes et allaitantes, les enfants en
croissance, les adolescents, les sportifs
P O U R A L L E R P L U S L O IN
et les personnes âgées ont besoin de
• www.edouard-pelissier.fr beaucoup plus de protéines. Une per-
sonne âgée, par exemple, doit augmenter
64
64 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
MOTS C
Pélissier
de 50 % ses apports quotidiens en protéines pour
éviter la fonte musculaire et les risques de chute.
En supprimant les chairs animales, on peut
trouver sa ration de protéines quotidienne en
identifiant bien les végétaux nécessaires.
Mais sait-on que dans un sachet de 100 grammes
de quinoa déjà cuit, on trouve seulement
4 grammes de protéines ? C’est très peu, alors
qu’il faut en moyenne 60  grammes par jour
pour un poids de 70 kilos. Si les haricots secs
contiennent autant de protéines que la viande,
une fois ces légumes cuits, il y en a trois fois
moins ! Il est important de se renseigner sur ce
que l’on mange. Car si l’on décide de supprimer la
viande du jour au lendemain, on s’expose à cer-
taines carences. L’exemple de la vitamine B12 –
indispensable pour l’hémoglobine et importante
pour le système nerveux – est le plus révélateur,
car on ne la trouve que dans les produits d’ori-
gine animale, essentiellement dans la viande,
le poisson et les œufs. Les végétariens doivent
impérativement la prendre en comprimés.
Tout le monde est d’accord pour dire qu’il est
aujourd’hui nécessaire de réduire la consom-
mation de viande. Je comprends les positions sur
les souffrances animales. Mais si l’on admet que
nous sommes omnivores, il faut aussi accepter
que l’homme continuera de tuer des animaux ou
pêcher des poissons. Ce qui ne va pas dans notre
monde, c’est la façon dont on le fait, à cause de
l’industrialisation. Quant au réchauffement cli-
matique, il va falloir corriger tout : l’alimentation
certes, mais aussi les transports, la production
d’énergie, la construction industrielle… n

L’avis de Brigitte Gothière
CROISÉS
P
our nous, la question est : « peut-
on se passer de faire tuer des ani-
maux ? » Ces êtres sensibles sont
traités comme des ressources.
Cela a des implications éthiques.
Même si leurs conditions d’éle-
vage peuvent être moins pires dans certains cas,
cela reste une exploitation qui raccourcit leur
durée de vie et présente des mutilations ou des
séparations avec leur groupe. Même en bio, cer-
taines pratiques sont autorisées, comme la cas-
tration des cochons, la sélection génétique des
poules, la séparation des veaux avec leur
mère, etc. Notre association prône donc le
régime végane, avec cette idée de vivre en fai-
sant le moins de mal possible.
Nous ne mangeons pas de poisson puisqu’il s’agit
aussi d’animaux et que les océans se vident. Pour
les œufs, on peut en consommer seulement si
les poules les abandonnent dans le jardin et que
l’on n’est pas dans une production de masse.
Nous nous préoccupons de ce qu’implique pour
l’animal la récupération de ces produits. Nous
ne consommons pas de lait non plus, car on fait
naître des veaux qui partent dans le circuit bou-
cherie pendant que l’on épuise les mères à force
de les traire.
On n’a jamais tué autant d’animaux qu’au-
jourd’hui 1. On est persuadés qu’il faut manger
de la viande et on cherche des excuses. On veut
faire comme avant alors qu’il y a une évolution,
une prise de conscience. De nombreuses études
en nutrition, comme celles de l’Association amé-
ricaine de diététique, qui regroupe plus de cent
mille professionnels de santé et qui émet un avis
tous les deux-trois ans sur les régimes alimen-
taires, statuent que les modèles végétariens, y
compris véganes, sont adéquats à tous les âges
de la vie à partir du moment où l’on mange équi-
libré. Ce qui nous manque le plus, c’est l’imagina-
tion. J’ai l’impression que l’on a peur de ne plus
SOLUTIONS
© DR
BIO EXPRESS
manger de viande, comme si l’on allait arrêter 1973
Naissance
d’être en bonne santé, de prendre du plaisir à
manger ensemble. La cause animale nous amène 1993
Devient végane
à reconsidérer notre place toute puissante. On
peut voir les choses autrement, de manière plus 2008
Cofonde
bienveillante. l’association L214,
Toutes les études montrent également que ré- dont elle est
aujourd’hui
duire notre consommation de produits d’origine directrice
animale, en particulier la viande de ruminant et
le lait, a un impact significatif sur les gaz à effet
de serre (GES). Les experts du GIEC s’accordent
pour dire que ces produits sont responsables de
plus d’émissions de gaz à effet de serre que n’im-
porte quelle autre source de nourriture (14,5 %
des émissions de GES d’origine anthropique). Les
bovins émettent à eux seuls deux tiers des GES
produits par l’élevage. Limiter la consommation
moyenne de viande de ruminant à 10 grammes
« La cause animale nous amène
à reconsidérer notre place toute puissante.
On peut voir les choses autrement,
de manière plus bienveillante. »
par jour et la consommation des autres viandes,
du poisson et des œufs à 80 grammes par jour
permettrait de réduire de 36 % les émissions
de GES d’origine agricole, et de plus de 8,5 % les
émissions totales de GES. En 2018,
une étude publiée dans la revue
P O U R A L L E R P L U S L O IN
Nature préconisait, elle, une réduc-
tion de 90 % de la consommation de • www.l214.com
viande dans les pays développés afin • L214, Quand la faim ne justifie
de tenir l’objectif de limiter à 1,5 de- plus les moyens, Les Liens qui
gré Celsius la hausse de la tempéra- Libèrent, 2019.
ture mondiale. n
1. Selon la FAO, la production mondiale de viande s’élèverait en 2018 à
336,4 millions de tonnes TEC (tonnes équivalent-carcasse) contre 45 millions
en 1950.
65
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 65
 TRANSITION

BD REPO

66
66 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 Carol e Mau rel

TRANSITION

ORTAGE

67
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 67
 AUTONOMIE
D.I.Y.
MINE DE
CAROTTE
Sy l vie H am p i ki an
O l ivi e r D e g o rc e
La carotte rendrait aimable et donnerait les fesses roses…
A
Si ceci n’a jamais été prouvé scientifiquement, en revanche, il est avéré
que la carottte est riche en carotène aux effets bonne mine.
u commencement, la carotte était
aussi pâlichonne que son gros cou-
sin le panais. C’est par croisement
avec des variétés orientales très
colorées qu’est né, à la Renaissance, le légume
qu’on connaît aujourd’hui. La carotte n’est donc
pas un cosmétique à l’antique et nulle icône de
beauté ne lui a donné ses lettres de noblesse, du
moins pas avant Bugs Bunny.
LA CAROTTE SOUS LA LOUPE
La carotte est surtout appréciée pour sa racine,
pivot incontournable des cosmétiques naturels.
Mais ses jolies fleurs en ombelle donnent une
semence parfumée dont on extrait une huile
essentielle et un hydrolat précieux.
La carotte s’emploie donc sous diverses formes
dans les soins DIY :
• Carotte fraîche : elle est riche en sucres, fibres,
nutriments divers, et surtout en bêta-carotène
(provitamine A) et autres antioxydants. Connue
pour embellir le teint, elle est également hydra-
tante, anti-âge, antirides, tonifiante, adoucis-
sante, détoxifiante. On l’emploie surtout crue,
râpée ou mixée, sous forme de masque.
• Jus de carotte : il illumine le teint et exerce un
puissant effet antioxydant. Appliquez-le unifor-
mément sur le visage, à petite dose.
68
68 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
D.I
• Huile de carotte : d’une jolie couleur orangée, ce
macérat huileux est antirides, anti-âge. Il donne
bonne mine, prépare et entretient le bronzage.
Mais ce n’est pas un protecteur solaire (ne pas
appliquer avant de s’exposer pour bronzer). Il se-
rait comédogène, donc à éviter sur peau acnéique.
• Huile essentielle : elle est tonifiante réparatrice
cutanée, antirides, et a un effet bonne mine. Elle
stimulerait aussi la pousse des cheveux. On la
dose à environ 2 %.
• Hydrolat : il constitue une excellente lotion
tonique pour les peaux ternes, fatiguées, fragiles.
CRÉEZ VOTRE MACÉRAT DE CAROTTE
Choisissez de belles carottes bien fraîches.
Nettoyez-les et coupez-les en rondelles d’environ
5 mm d’épaisseur. Si possible, laissez-les sécher
à plat entre deux linges pendant vingt-quatre
heures. Disposez les rondelles dans un bocal,
jusqu’à mi-hauteur. Remplissez le bocal d’huile
de tournesol, jusqu’en haut. Laissez macérer à
température ambiante, autant que possible à la
lumière du soleil, pendant deux-trois semaines,
en agitant chaque jour. L’huile va prendre une
belle couleur. Passez à travers un filtre à café ou
une étamine, en pressant bien. Transvasez dans
un flacon en verre teinté (conservation au moins
six mois). n
 AUTONOMIE

I.Y

69
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 69
 D.I.Y

AUTONOMIE
Crème
hydratante
bonne mine
à la carotte
(toutes peaux)
Cette crème hydratante, adoucissante,
nourrissante donne bonne mine et aide à
conserver le bronzage. Elle est également
Ingrédients (pour environ 100 ml)
Phase A
• 50 ml d’huile de carotte (44,5 g)
• 33 ml d’huile de jojoba (29,4 g)
• 5 g de cire d’abeille blanche (ou de cire Olive
Protection)
D.I
parfaite comme crème corporelle. Elle Phase B
convient à toutes les peaux (sauf en cas • 12 ml d’hydrolat de rose ou eau de rose (12 g)
d’acné). Sa réalisation est un peu technique, • 6,4 ml de glycérine végétale (8 g)
mais elle vaut le coup tant son usage est Phase C
agréable. Le pot durera longtemps, car elle est • 12 gouttes d’huile essentielle de carotte (semence)
un peu grasse, très nourrissante, et peut donc • 10 gouttes d’huile essentielle de lavande vraie
se doser avec parcimonie. (L. angustifolia)
• 10 gouttes de conservateur vitamine E
Temps de préparation : 10 à 15 min
Difficulté : moyenne
Matériel
Conservation : au moins 6 mois, à température
• 1 balance électronique de cuisine
ambiante, dans un pot bien fermé
• Quelques coupelles pour peser les ingrédients
• 2-3 cuillères à café en inox
• 2 bols résistant à la chaleur
• 2 casseroles
• 1 thermomètre de cuisine
• 1 petit fouet à main ou électrique
• 1 pot de contenance 100 ml au moins,
muni d’un couvercle
• 1 étiquette
• Du scotch

Étapes de réalisation
1 Lavez-vous soigneusement les mains. Stérilisez
préalablement votre matériel (fouet, bol, coupelles, pot,
cuillères) en le faisant bouillir 10 minutes dans une grande
casserole d’eau. Égouttez-le sur un linge très propre,
si possible fraîchement repassé.
Passez les coupelles en plastique et le thermomètre à
l’alcool (alcool dénaturé à 70°).

2 Mesurez tous les ingrédients de la phase A.

Vous pouvez réutiliser le même récipient pour les peser,
en le rinçant si nécessaire à l’eau bouillante.

70
70 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 3 Versez les ingrédients au fur et à mesure dans un des deux bols.
Placez celui-ci au bain-marie, dans une casserole remplie de
AUTONOMIE
4-5 centimètres d’eau. Sur le feu, maintenez un léger frémissement de
l’eau et remuez de temps en temps le mélange pour accélérer la fonte.
Quand le mélange est limpide et homogène, retirez le bol du bain-
marie. Idéalement, la température devrait être aux alentours de 70 °C.

4 Laissez refroidir la phase A aux alentours de 40 °C. Pendant ce temps,

mesurez et mélangez les ingrédients de la phase B en procédant
comme pour la phase A. Vous pouvez les faire également chauffer

I.Y
au bain-marie, à 40 °C. Cette étape n’est pas indispensable, mais il faut
veiller à ce que la phase B soit légèrement tiède (ne sortant surtout
pas du réfrigérateur), pour éviter un choc thermique. Incorporez la
phase B en la faisant couler doucement dans la phase A (en filet)
et en mélangeant sans cesse avec le fouet pour bien homogénéiser.

5 Lorsque le mélange est bien crémeux,

incorporez la phase C en continuant
de tourner, pendant que la préparation
refroidit jusqu’à température ambiante.
La crème devient alors opaque et
s’épaissit.
Masque kiwi,
orange et carotte
(toutes peaux)
Ce masque nourrissant, tonifiant va donner du peps à la
peau, tout en la nettoyant en douceur. Effet bonne mine
garanti ! Si vous avez la peau très réactive, remplacez le
kiwi par le volume équivalent de pêche, de poire
fondante ou de pomme douce.

Temps de préparation : Ingrédients (pour 1 masque)

environ 5 min • 2 c. à s. de yaourt nature
Difficulté : aucune (ou de soja)
Conservation : usage • 1 kiwi
immédiat ou conservation au • 1 c. à s. de jus d’orange
réfrigérateur 24 h • 1 c. à s. d’huile d’amande
douce (ou tournesol bio,
ou olive)
• 1 c. à c. de carotte râpée

6 Mettez en pot à l’aide d’une cuillère.

Étiquetez.
Réalisation
Pelez le kiwi. Lavez et râpez la carotte. Pressez l’orange.
Mixez tous les ingrédients ensemble pour obtenir une pâte
homogène. Si la pâte est trop coulante, vous pouvez l’épaissir
en ajoutant un peu de fécule au choix ou d’argile blanche.
Appliquez uniformément sur votre visage préalablement
nettoyé. Laissez poser pendant 10 minutes, puis rincez à l’eau
tiède.

71
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 71

je vais bien, AUTONOMIE
AVIRON
le monde
va mieux
JE VAIS BIEN LE M
L A PA R E N T H È S E
VIVIFIANTE
Glisser sur l’eau tout en travaillant l’ensemble des muscles de
A
son corps, c’est ce que propose l’aviron. Une activité physique
certes technique, mais qui a su se rendre accessible grâce à
des embarcations plus stables. À tester quel que soit son âge.
u pied de La Défense, à quelques
centaines de mètres en contrebas,
sur la Seine, une vingtaine de per-
sonnes s’échappent doucement du
tumulte de la ville. Les pieds fixés
da ns leur emba rcat ion, elles
s’éloignent en quelques coups de pelles vers les
rives verdoyantes de l’île de Puteaux, telles des
ombres chinoises. « L’aviron, c’est ma bouffée
Avant de glisser
sur l’eau, on d’oxygène », sourit Gilles, 60 ans. Sur le ponton
vérifie le réglage mouvant du Cercle nautique de France, cinq
des cale-pieds
afin d’avoir la novices le regardent s’éloigner lentement sans
position la plus faire de bruit. Envieux. « Cela semble si facile »,
confortable
possible pour souffle l’un d’eux avant de recentrer son atten-
ramer. tion sur les propos de Gaëtan
Desbois, le moniteur du jour.
« L’aviron n’est pas un sport
naturel ni instinctif, tout se
passe à l’envers. On rame dos à
l’avancée du bateau, on est
assis sur un siège qui coulisse.
On dit même qu’il faut cinq ans
avant de maîtriser un skiff
(embarcation à une place, très
étroite), mais ne vous inquiétez
pas, on va commencer en dou-
ceur avec des bateaux plus
larges et bien plus stables. »
Face au groupe, cinq barques
72
72 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
Véron iqu e B u r y
en plastique rouge sont positionnées, prêtes à
partir. Le temps d’apprendre à « armer » le bateau
en glissant « les deux pelles dans les dames de
nage », d’ajuster les cale-pieds en fonction de la
taille de leurs jambes et voilà nos cinq apprentis
rameurs sur l’eau. « Attention, la main gauche
doit toujours passer au-dessus de la main droite
quand vous ramenez vos rames vers vous », rap-
pelle le moniteur avant de grimper dans son
canot à moteur.
UN SPORT TRÈS COMPLET
Sur l’eau, le silence s’est installé. Le clapotis des
vaguelettes sur les coques a étouffé le bruit de la
ville. À l’ombre des arbres, les apprentis rameurs
avancent désormais à leur rythme, concentrés sur
leurs gestes et attentifs aux conseils de Gaëtan.
« C’est génial ! », s’exclame Christine, 45 ans.
Certes, « ce n’est pas toujours évident de réussir à
bien coordonner son mouvement, mais c’est super
de glisser comme ça sur l’eau. » Et ce n’est qu’un
début. « Plus on rame et plus cela devient plai-
sant », prévient Emmanuelle, 55 ans et deux ans
de pratique. Christine, elle, doit encore apprendre.
« Maintenant que tu as compris le geste des bras,
tu peux essayer d’utiliser aussi tes jambes pour te
propulser », propose Gaëtan. C’est à ce moment
précis que cela se complique et que l’on comprend
en quoi l’aviron se distingue du canoë-kayak. Non
 AUTONOMIE
MONDE VA MIEUX
seulement on rame en ayant le dos à l’avancée du
bateau, mais on utilise aussi et surtout la force de
ses jambes pour se propulser. Un point technique
à intégrer, mais un véritable avantage une fois
que l’on a assimilé le geste. Car en se propulsant
ainsi à l’aide des jambes et des bras, on a plus de
puissance, plus d’aisance, on travaille de façon
harmonieuse et symétrique. « L’aviron est un sport
très complet qui permet de travailler l’ensemble
des chaînes musculaires tout en améliorant ses
capacités cardiorespiratoires », rappelle Vincent
Martin, le directeur technique du club. « C’est éga-
lement une discipline que chacun peut pratiquer
à son rythme, sans forcer, tout en améliorant ses
capacités, un peu comme la course à pied », ajoute
Pierre Godet, le responsable de la commission
médicale de la Fédération française d’aviron. Et
c’est justement ce qui séduit les pratiquants, de
plus en plus nombreux (45 000 licenciés dont 70 %
en loisir), à pousser la porte des clubs.
« TROUVER LE BON GESTE »
Victime d’un infarctus en 2009, Gilles cherchait
désespérément une activité de plein-air pour
travailler ses capacités cardiorespiratoires après
avoir arrêté la course à pied. Il a trouvé son Graal
en essayant l’aviron il y a deux ans. « Ça m’a sauvé
la vie, sourit-il en sortant de l’eau. Non seule-
ment j’ai récupéré mes capacités – il n’y a plus
de traces de mon infarctus à la dernière scintigra-
phie que j’ai passée – mais j’éprouve aujourd’hui
L’aviron loisir se
pratique souvent
énormément de plaisir à venir ramer deux fois à deux ou à quatre
par semaine. Je le ressens physiquement comme rameurs, mais des
embarcations très
mentalement. Cela fait partie de mon équilibre. » stables existent
Pour Emmanuelle, c’est avant tout « un grand mo- aussi pour ceux
qui préfèrent
ment de détente après le travail ». Quant à Martha, s’évader en solo.
elle n’imaginait même pas que ce sport puisse lui
convenir avant d’essayer par hasard, il y a quatre
ans. « Je pensais que c’était une activité pour les
gens musclés ! Moi, je n’avais jamais fait de sport
auparavant. » Depuis, cette anthropologue cana-
dienne de 45 ans affirme se sentir « mieux dans
son corps », « plus droite devant son ordinateur »
et « moins essoufflée dans les escaliers ».
L’aviron se pratique aussi collectivement, le plus
souvent à deux ou à quatre, avec ou sans bar-
reur dans l’embarcation. « Il y en a pour tous les
goûts », remarque Olivier, 54 ans qui s’y est mis il y
a cinq ans après avoir inscrit ses deux fils au club.
Pour lui, il n’y a d’ailleurs rien de plus enivrant
que « la sensation de plénitude que l’on ressent
lorsque cela marche bien dans un bateau, que l’on
est tous synchronisés et que le bateau glisse par-
faitement. » La fluidité… un mot qui revient sou-
vent dans la bouche des pratiquants. C’est aussi
ce qui a séduit Gilles. « Sur le bateau, ce n’est pas
le muscle qui compte, mais le fait de trouver le
bon geste pour sentir le bateau filer sans forcer. »
Pas besoin de gros biscoteaux pour ça… Juste de
l’entraînement, de l’assiduité, de l’envie et une
écoute de ses propres sensations. Pour un retour
à soi au fil de l’eau. n
73
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 73
 je vais bien, le monde va mieux

AUTONOMIE

JE VAIS BIEN LE
MONDE VA MIEUX
Seul ou
ET SI VOUS PASSIEZ À L’ACTE ?
à plusieurs,
le temps d’une
COMMENT ? AVEC QUEL ÉQUIPEMENT ?
sortie, on oublie L’aviron se pratique sur un cours d’eau, le plus sou- Une tenue confortable, relativement près du
son quotidien pour
se recentrer sur
vent, mais aussi en mer ou en salle, sur ergomètre. corps, afin de ne pas gêner les mouvements, suf-
soi et ses propres Comme au judo, on passe des brevets (bronze, fit à la pratique de l’aviron. De petites chaussures
sensations, au fil
de l’eau.
argent, or) qui permettent de valider son degré fines pourront aussi être nécessaires dans les
d’autonomie. Ceux-ci servent à aiguiller sur les embarcations d’initiation.
embarcations qu’on peut utiliser, le moment où on
peut sortir sur l’eau en fonction de la météo, mais OÙ ET À QUEL COÛT ?
aussi le type de randonnées en aviron vers lesquelles L’aviron se pratique tout au long de l’année, si les
on peut se diriger. conditions météo le permettent. Les débutants com-
mencent par une ou plusieurs séances d’initiation
POUR QUI ? avant de prendre une licence loisir pour la saison.
Tout le monde, à condition d’avoir 8 ans et de Comptez entre 10 euros la séance découverte de
savoir nager. Car l’aviron se pratique sans gilet 1 heure et 100 euros les quatre séances de 1 heure 30.
de sauvetage. Pour le reste, « il n’y a pas de contre- Puis entre 100 et 770 euros la licence en club pour un
indications majeures », assure Pierre Godet. La à onze créneaux horaires loisir par semaine. Enfin,
pratique de l’aviron est juste déconseillée aux certains clubs proposent des séances découverte
épileptiques et aux personnes ayant eu « des pa- gratuites lors de leurs portes ouvertes.
thologies ou des traumatismes
qui limitent leurs amplitudes QUELS BIENFAITS ?
P O U R A L L E R P L U S L O IN
articulaires ». Dans tous les cas, L’aviron est une activité « portée » qui permet de
• w w w.f f a v i r o n .f r un certificat médical sera exigé limiter les traumatismes ostéo-articulaires et mus-
avant toute inscription en club. culotendineux tout en mobilisant l’ensemble des
groupes musculaires. L'aviron améliore la condition
physique en développant les systèmes cardiovascu-
laire et énergétique et contribue à entretenir l’équi-
libre, la coordination et l’orientation. n

74
74 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
e n ch iffr es
Fa nny Co s t e s
L’eauAUTONOMIE
en bouteille
J ust i n e L e J o n c o u r
LE GOÛT EN VAUT-IL LA CHANDELLE ?
L’eau en bouteille a largement convaincu les consommateurs des pays

INFOGRAPHIE
développés disposant pourtant d’une eau du robinet potable.
Or les impacts sur la planète, la santé et les porte-monnaie sont loin d’être
positifs. La raison principale : le plastique utilisé pour les distribuer.

LA FABRICATION D’UNE BOUTEILLE D’EAU

8,3
EN PLASTIQUE DE 1 LITRE, C’EST :

CONSO
MILLIARDS
DE LITRES

2
L’utilisation
d’un polymère dérivé d’eau en bouteille
du pétrole : le PET ont été achetés
litres et consommés en
d’eau

80
France en 2016.

grammes
de charbon

MIEUX QUE L’EAU

DU ROBINET ?
Pour le prix : FAUX
Eau du robinet : 0,003 euro/lit re

42
Eau en bouteille : 0,32 euro/lit re
100
millilitres
L’eau en bouteille est donc au moins
de pétrole 100 fois plus chère que l’eau du
litres de gaz robinet.
Pour la qualité : FAUX
L’eau en bouteille peut être 2 fois plus
contaminée par des particules en

160 émis par bouteille

GRAMMES
DE CO2
plastique que celle du robinet.
96 % des consommateurs peuvent boire
de l’eau du robinet en toute sécurité.

hors transport.
Seulement 57 %
des bouteilles
sont recyclées
en France.
Pourtant le PET
est recyclable
à 100 %.

77
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 77

vivre AUTONOMIE
en oasis
LA FERME DE CHENÈVRE
L’APPRENTISSAGECOL
DU FAIRE-ENSEMBLE
La ferme de Chenèvre ? « Un petit univers qui fait
comprendre le grand monde ! » Située dans le Jura, cette oasis
À
est à la fois un lieu de vie et un terrain d’expérimentation
aux multiples facettes qui valorise la coopération.
« l’origine de cette oasis, une mobi-
lisation autour d’un lieu unique et
isolé : la ferme de Chenèvre à La
Chapelle-sur-Furieuse, dans le
Jura. 25 hectares, un bâtiment
ancien, dont certaines parties for-
t if iées remontent au x i i i e siècle. En 2015,
lorsqu’elle apprend que la ferme est mise en
vente, Manon, maraîchère, propose une réunion
pour voir si d’autres personnes seraient intéres-
sées pour l’acheter avec elle… Yorgos adhère
immédiatement : « Des fermes comme ça, il n’y
en a pas deux dans le coin ! » Un petit groupe de
locaux, motivés, se constitue, bientôt rejoint par
d’autres personnes venues de toute la France via
le réseau Colibris.
En février 2017, ce collectif de
Colibris fait sa part dans l’histoire de dix personnes achète la ferme
Kaizen ; présent dès l’origine du maga- grâce à un emprunt auprès de
zine, il l’inspire et l’accompagne au la Nef. Le projet mêle propriété
quotidien. collective, mixité entre habi-
Envie d’agir ? Rejoignez le mouve- tat, activités et accueil, gouver-
ment : www.colibris-lemouvement.org nance partagée, transition
Une oasis est un lieu de vie ou de res- écologique et lien social. Une
sources qui incarne des valeurs d’éco- SCI est créée à laquelle les rési-
logie et de partage. dents versent un loyer, de 150
Envie de créer, rejoindre une oasis ? à 500 euros par mois, en fonc-
Toutes les informations sur www. tion de la surface occupée, de
colibris-lemouvement.org/projets/ sa nature et de son usage. Une
projet-oasis association, sociétaire de la SCI,
porte les différentes activités.
78
78 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
Gabrielle Paoli
UN LIEU DE VIE ET D’ACTIVITÉS
Deux appartements, un atelier de céramique et
un fournil ont été écorénovés. Cependant, il y aura
au moins dix ans de chantier, en autoconstruc-
tion participative essentiellement. Des habitats
légers permettent déjà à plusieurs foyers de vivre
confortablement, tandis que la rénovation et
l’ensemble de l’écoconception se déploient sur
du temps long.
Mais la ferme de Chenèvre, ce n’est pas qu’une
histoire de logement et de bâti. « Nous souhai-
tions aussi faire de la ferme un lieu d’activités
professionnelles diverses. Si l’on veut être au-
tonomes et résilients, l’habitat ne suffit pas… »,
explique Manon. Très rapidement, elle a donc
lancé son activité de maraîchage bio en trac-
tion animale pendant que Virginie installait
son atelier de céramique. La première récolte
de Manon a pris le chemin des Biocoop de la
région, et les créations de Virginie ont été ven-
dues dans la France entière. Terre de Pains,
Scop montée par quatre artisans-boulangers
bio, s’est emparée du fournil. Morgane, vi-
gneronne voisine, va disposer sa prochaine
vendange dans les caves, renouant ainsi le fil
séculaire de l’activité vinicole du lieu. De son
côté, Yorgos, passionné de restauration, mais
écœuré des conditions d’exercice de celle-ci
en ville, relance petit à petit son entreprise.
Et Maryline réfléchit au développement d’un
accueil touristique.
 1. Le grand prunier célèbre le retour du printemps.
1.
AUTONOMIE 2. 3. 2. L’atelier de céramique de Virginie.
3. Martin à la chèvrerie.
4. 4. Débat en mode World Café lors d'une journée autour de l'eau.

LIBRI © Fabrice Tendrevert

© DR
© Chenèvre

VIVRE OU FAIRE LE PROJET ?

Virginie, Manon, José, Pauline, Anne, Maryline,
Martin… autant d’habitants réunis autour de va-
leurs et de rêves communs. Il leur a fallu apprendre
à faire ensemble, malgré la diversité des âges, ori-
gines sociales, professions et couleurs politiques.
« Le MOOC 1 Oasis de Colibris nous a permis d’avoir
un langage commun, et aidés à avancer, explique
Anne. Nous avons commencé par un travail de
fond sur la gouvernance et le “faire-ensemble” du
projet. » Aujourd’hui, Chenèvre pratique une gou-
vernance proche de la sociocratie. Le groupe s’est
formé à la communication non violente (CNV) et
utilise des outils d’intelligence collective : gestion
par consentement, élection sans candidats, sys-
tème de cercles… « Ça marche plutôt bien, raconte
Maryline. On est tous garants du processus. »
À la ferme de Chenèvre, il y a beaucoup de partage
de savoir-faire. Frédéric a, par exemple, trans- des portes ouvertes, évènements thématiques ou
mis son expérience d’autoconstruction. « Quand chantiers participatifs. Un réseau d’une cinquan-
je suis arrivé, je n’avais jamais fait de travaux de taine de personnes s’est ainsi constitué alentour,
construction. Maintenant, je suis référent plomberie apportant de l’aide, de l’amitié,
et électricité ! », raconte Yorgos. Le collectif valorise du travail bénévole, mais aussi
l’expérimentation : les apprentissages valent autant des temps d’échange à l’occa- P O U R A L L E R P L U S L O IN
que le résultat, et le droit à l’erreur existe. sion de cafés-philo, cueillettes
• www.colibris-lafabrique.org/
Néanmoins, tous admettent que la vie commu- de plantes sauvages ou soirées
les-projets/la-ferme-de-chenevre
nautaire n’est pas un long fleuve tranquille. Le guinguette. Car c’est aussi sur
rythme d’un week-end de travail par mois ne colle le territoire et à travers de
pas toujours aux envies ou aux besoins. « Cela fait multiples réseaux humains
presque trois ans, on commence à avoir une meil- que la ferme de Chenèvre entend entretenir et
leure idée de ce que c’est que “vivre ensemble”, valoriser la communauté dans tout ce qu’elle a
explique Yorgos. Ce qui nous occupe aujourd’hui, de précieux…
c’est de trouver des temps pour vivre le projet
plutôt que le faire. » 1. Formation gratuite en ligne pour monter un écolieu.
https://www.colibris-lemouvement.org/projets/projet-oasis/
Dans la tradition d’ouverture du lieu à la vie du vil- mooc-concevoir-une-oasis
lage, la ferme de Chenèvre organise régulièrement

79
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 79
 L'ÉQUILIBREAUTONOMIE
DE L'ÉLASTIQUE

B
ARM

80
80 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 AUTONOMIE

BD
MELLA

81
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 81
 Le Clech
NOS AUTONOMIE

© Steve
bonnes
adresses

BONNES
Pascal Greboval

DU BON, DU BIO
EN ABONDANCE
À BORDEAUX
ADRESSES
SMART GREEN CORNER
M A N GE R 20, rue Castelnau d’Auros
Un joli buffet de préparations chaudes ou
LICHEN froides, de saison, végétariennes et 100 %
bio. Vous remplissez raisonnablement votre
30, rue du Palais Gallien - www.lichencafe.com assiette, ajoutez une petite soupe et un dessert
sur votre plateau et payez
« J’avais envie de créer le restaurant du futur, qu’il soit le plus
9,50 euros : simple, savou-
résilient possible, avec une empreinte carbone la plus neutre
reux et efficace pour man-
possible », explique Damien, le créateur de Lichen. Côté conte-
ger rapidement, sainement
nant, du mobilier de récupération, des peintures bio et l’électri-
et économiquement.
cité Enercoop. Côté assiette, une cuisine pour les végétariens et
les carnivores réalisée à partir de
produits bio et locaux et des plats
qui changent tous les jours. Côté
STATION
boissons, des vins en biodynamie GREEN CORNER
et de l’eau filtrée sur place. Un
2, rue du Manège
très bon spot pour prendre soin
de sa santé. À deux pas, Station Green
Corner repose sur la même
approche bio, de saison et locale. Des légumes
GRAINES DE SAUVAGE sont en vente comme dans une épicerie et s’ils
ne sont pas vendus, ils sont cuisinés pour être
2, rue de Saintonge
savourés sur place ou emportés.
www.grainesdesauvage.com
À signaler : des pizzas bio et sans gluten faites
Damien est aussi à l’origine de maison.
Graines de Sauvage, traiteur et
lieu éphémère, où l’on peut brun-
cher une partie de l’année.

82
82 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 LA CUISINE D'HÉLÈNE
VERY TABLE
51, rue Judaïque AUTONOMIE 44, cours Anatole-France

www.very-table.com Payer au poids, pour

manger sur place ou
Il fut un temps où l’établis-
emporter, tel est le concept
sement se nommait Joubert.
de La Cuisine d'Hélène.
Depuis 2015, et la reprise par
« Ça permet de choisir et
Manon et François, bienvenue
payer en fonction de sa
à Very Table ! Cuisinier chez

BONNES
faim et, surtout, d’avoir
Ducasse, le jeune chef met à
zéro déchet dans l’as-
profit ses années d’expérience
siette », explique Hélène,
tant sur l’aspect culinaire
l’heureuse propriétaire des
qu’éthique. « Quand vous ser-
lieux depuis juin 2019.
vez quarante ris de veau, ça veut dire concrètement que quarante
Pour les déchets de
bêtes ont été tuées, car il n’y a qu’un ris par bête. Ça n’a pas de
cuisine, elle collabore avec

ADRESSES
sens. Je préfère travailler avec des producteurs que je connais et
l’association Les Détriti-
qui respectent les bêtes, et l’environnement. » De fait, François
vores qui les collecte afin d’en produire du
travaille avec un petit producteur de Bergerac qui tue une seule
compost. Et que met-on dans l’assiette ? Des
bête par semaine, prend du poisson de ligne, trouve ses légumes
plats végétariens, véganes, sans gluten, cuisinés
bio dans un rayon de 150 kilomètres et cherche des vins bio de
avec des ingrédients bio, locaux et de saison.
qualité. Tout ceci se traduit par des assiettes aux goûts raffinés,
Inscrite dans une démarche globale, Hélène a
avec une carte qui change deux fois par semaine.
réalisé les travaux de rénovation avec un
À signaler : le chef donne également des cours de cuisine person-
plombier et un électricien qui se déplacent
nalisés pour une ou deux personnes.
uniquement à vélo.

LE P’TIT CHEZ MOI BANANA CAFÉ LA RECHARGE

46, rue Notre-Dame
https ://leptitchezmoi.business.
site/
Le concept est identique à
La Cuisine d'Hélène. On paie
au poids. Ici, les plats sont
véganes, bio et de saison.
LE P’TIT BIO
273bis, cours de l’Argonne
Élevé par des parents très
attentifs à leur équilibre
alimentaire, Benoît a eu
rapidement le « goût des
bonnes choses ». Et c’est
assez naturellement qu’il est
devenu cuisinier. En 2002,
après trente ans d’expérience
à la tête de différentes affaires,
son objectif est clair : proposer
« de la petite restauration bio
pas chère ». Pari gagné.
5, cours Pasteur
Un petit resto sympa pour les
personnes sensibles au gluten.
Ici, on réconcilie carnivores et
végétariens. Et tout le monde
conclut que c’est très bon !
TISTA
9, rue Camille-Sauvageau
Inspirées par La Recharge,
Anaïs et Éloïse ont aussi ou-
vert leur échoppe zéro déchet
où tout est vendu en vrac.
Originaires du Béarn, elles ont
plutôt choisi des producteurs
de ce territoire voisin.
38, rue Sainte-Colombe
www.la-recharge.fr
La Recharge est la première épicerie française
à avoir proposé tous ses produits en vrac ou
dans des emballages consignés [lire Kaizen 18].
« Nous avons créé l’endroit où nous rêvions
de faire nos courses », expliquent Jules Rivet
et Guillaume de Sanderval, les fondateurs.
Ici, aucune quantité n’est imposée ; même les
épices se vendent au poids. Le client achète
uniquement ce qu’il va consommer réellement.
« Nous sommes des enfants de la génération
supermarché, nous avons fait une overdose des
emballages et du gâchis qui y règnent. » Que
peut-on trouver ici au gramme, au litre ou à
l’unité ? À peu près tout, de la lessive au rouleau
de papier-toilette, en passant par les pâtes
alimentaires, l’huile et les légumes… Pour les
produits nécessitant un emballage en verre (lai-
tages, confiture, certains liquides…), un système
de consigne est proposé. Le verre est récupéré,
nettoyé et réutilisé par les producteurs.
Ouverte depuis juillet 2014, l’épicerie ne désem-
plit pas. Précurseur et à la hauteur.

83
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 83
 B OI RE ET T I SS E R
D U LI E N AUTONOMIE
BRASSERIE DU RÉSEAU PAUL BERT
LE BISTROT
Rue Paul-Bert - www.reseaupaulbert.free.fr
6, rue Ausone - www.asais.over-blog.com
LE BURO DES POSSIBLES
La Brasserie du Réseau Paul Bert et Le Bistrot GEM (Groupe
2, rue Planterose - www.leburodespossibles.fr
d’entraide mutuelle) ouvrent leurs portes à tous.

BONNES
« Aujourd’hui, nous sommes dans un rap-
port au travail différent », explique Laure, la
créatrice de ce working café. En effet, pour
beaucoup, à présent, le lieu de travail est là
où est l’ordinateur. Travailleur indépendant
bordelais ou salarié de passage, au Buro des
Possibles, vous travaillez dans des conditions
Le Réseau Paul Bert – avec son espace d’accueil pour les enfants
et leurs familles, sa brasserie, son cybercafé, son hammam, ses
salles d’eau, sa laverie… – est une oasis pour ceux qui traversent
des périodes de précarité. Des animations – cafés-philo, soirées
concerts, ateliers créatifs… – y
sont régulièrement proposées.
Porté par le mouvement

ADRESSES
sympathiques : salle cosy,
WiFi haut débit sécurisé,
petites agapes, thé et café
à volonté, le tout pour un
forfait de 5 euros la pre-
mière heure, puis 1 euro
le quart d’heure, avec un
maximum de 21 euros
la journée. Vous pouvez
également privatiser une
petite salle pour des rendez-
vous, des formations, des
séminaires.
BE MY COOKIE
55, rue des Remparts - www.bemycookie.fr
Si le travail n’est pas votre tasse de thé, Le Buro
des Possibles est aussi un salon de… thé où l’on
mange de saison, local et majoritairement bio.
Quelles que soient les raisons de votre passage,
savourez les cookies de Zoé : une tuerie… la
drogue du travailleur indépendant ! Et la
drogue est tellement bonne que Laure et Zoé
ont ouvert une dépendance, Be my Cookie,
un bar à cookies.
ASAIS, Le Bistrot offre la pos-
sibilité aux personnes en dif-
ficulté psychosociale d’échan-
ger, trouver une attention et
des outils (ateliers d’écriture,
cybercafé) pour aller vers
d’autres horizons.
LE SAMOVAR
18, rue Camille-Sauvageau
www.lesamovar.ouvaton.org
Salon de thé associatif et
autogéré, Le Samovar orga-
nise des débats, conférences,
concerts et met à disposition
une bibliothèque en accès
libre, qui ont pour objectif de FRINGUES
promouvoir des agricultures
et des alimentations respec-
tueuses de l’humain et de
l’environnement. EKYOG
82, rue de la porte Dijeaux
www.ekyog.com
Une boutique de prêt-à-
porter pour la femme et
le bébé qui privilégie les
matières biologiques et
équitables.

84
 ÉC O C I TO YE N N ET É , MAISON ÉCOCITOYENNE
C U LT U RE AUTONOMIE Quai Richelieu
www.maisoneco.bordeaux-metropole.fr
RÉCUP’R
Dans un ancien entrepôt des docks, sur les bords
4, rue des Terres-de-Borde
de la Garonne, ce beau bâtiment écorénové est
www.recupr.org
ouvert à tous et tout y est gratuit. La Maison
Un atelier vélo ? Certes ! Mais celui-ci a la particularité de écocitoyenne invite les citoyens à trouver des

BONNES
cohabiter avec un atelier couture. Le vélo en bas, la couture
en haut ; le contraire eut été risqué ! Au rez-de-chaussée, selon
les principes du réseau L’Heureux Cyclage, des professionnels
aident les adhérents à réparer leur vélo. Avec les mêmes valeurs
« d’aide, d’échange et de valorisation », il est possible, à l’étage,
d’apprendre à coudre avec des machines récupérées par l’asso-
ciation. Pour 20 euros par an, vous pourrez ainsi en connaître un
solutions et offre différentes pistes pour com-
prendre les enjeux de notre société : expositions
permanente et temporaire, débats, conférences,
centre de ressources, atelier. Elle prête égale-
ment des tandems et des monopousseurs pour
les personnes en situation de handicap.

ADRESSES
rayon sur la valorisation des haillons !
LA MACHINE À LIRE
8, place du Parlement
www.lamachinealire.com
Quand Isabelle apprend, en 2008, que La Machine
à Lire, où elle achète exclusivement ses livres
depuis de nombreuses années, est à vendre,
elle perçoit rapidement qu’il y a là un sanc-
tuaire à préserver : un lieu de rencontres, de
culture, d’émancipation démocratique. Sans
expérience, elle se lance avec pour leitmotiv
de préserver « l’esprit humaniste, l’exigence
éditoriale du lieu, tout en l’ouvrant à d’autres
dimensions ». Dix ans plus tard, La Machine à
Lire est plus que jamais un lieu « où la défense
de l’homme est au centre du débat ».
MAISON DE LA NATURE
ET DE L’ENVIRONNEMENT
3, rue de Tauzia
www.mne-bordeauxaquitaine.org
La Maison de la nature et de l’environnement
(MNE) Bordeaux-Aquitaine rassemble une
quarantaine d’associations qui œuvrent dans
le domaine de la protection de la nature et
de l’environnement, et de l’économie sociale
et solidaire. Elle organise des conférences sur
l’agriculture, l’urbanisme, l’énergie, la nature,
le climat, la mobilité et la transition écologique.

SA NT É , B I E N -ÊT RE
LE TISANIER D’OC
48, rue Bouffard - www.tisanierdoc.com
La porte franchie, vous êtes en contemplation. Vous venez de
changer de monde. Bienvenue chez Charles, l’un des derniers
herboristes de France ! « Nous ne sommes plus que quelques
herboristes, alors qu’il y a vingt mille pharmacies en France…
Comment lutter ? Comment préserver ce patrimoine qui est en
train de disparaître ? », confie-t-il. Il est clair qu’en observant,
humant ces herbes, huiles, tisanes posées sur ces très belles
étagères en bois, on se dit qu’avec leurs placards coulissants en
contreplaqué débordant de gélules rouges, vertes, jaunes, les
pharmaciens ont sacrifié l’esthétisme au profit de l’efficacité…
enfin, selon la loi ! Alors, lieu de résistance, de résilience ou
musée ? À chacun ses choix…
À signaler : Charles vend aussi ses produits par correspondance.

85
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 85
 cui sin e AUTONOMIE
, E N M,OD E
ZE R O D E CHET !
Linda Louis

CUISINE
LA POMME
LA STAR DES FRUITS D’AUTOMNE

L’adage « une pomme chaque matin éloigne le médecin » souligne

l’importance de ce fruit dans notre alimentation. Récoltée au jardin ou
achetée au marché, la pomme offre une chair, mais aussi une peau
et un trognon qui se prêtent à de nombreuses préparations.

AVEC DES POMMES ABÎMÉES AVEC DES POMMES PEU GOÛTEUSES

Les pommes bio ou du jardin, dénuées de trai-
tement, peuvent être piquées, tavelées, abîmées
ici et là. Ne les jetez pas pour autant ! Triez-les,
épluchez-les, délogez les parties pourries avec la
pointe d’un couteau pour ne garder que la chair.
Celle-ci peut être :
- transformée en jus, à l’extracteur ;
- émincée finement, mise à sécher, découpée en
petits morceaux, puis mélangée dans un muesli
maison, un cake aux fruits ;
- transformée en compote, à congeler ou à
stériliser ;
- transformée en pâte de fruits en faisant cuire à
feu vif jusqu’à épaississement le même poids de
compote que de sucre, à faire sécher 24 heures
avant de la couper en cubes, roulés dans du sucre.
Donnez-leur une seconde vie en les transformant
en chips ! Lavez-les, séchez-les, puis émincez-les
finement à l’aide d’une mandoline. Disposez-les
sur une grande plaque à pâtisserie et saupoudrez-
les d’un voile de sucre vanillé. Faites-les cuire au
four à 80 °C pendant 2 heures. Laissez refroidir ces
chips avant de les conserver dans un bocal.
AVEC LES ÉPLUCHURES ET LES TROGNONS
La recette la plus connue, la plus bluffante, c’est
certainement celle de la gelée de pommes aux
épluchures et aux trognons. Si vous n’en avez pas
de grandes quantités, vous pouvez très bien les
congeler dans un sac au fur à mesure de votre
consommation de pommes. Ensuite, faites-les
cuire directement dans une marmite avec de l’eau
à niveau. La gelée de pommes se déguste sur des
tartines de pain, peut être nappée sur un biscuit
roulé ou utilisée pour abricoter une tarte.

86
86 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
GELÉE DE POMMES
AUX ÉPLUCHURES
TEMPS DE PRÉPARATION :
45 MIN (EN 2 ÉTAPES)
CUISSON : 1 H
CONSERVATION : 1 AN
INGRÉDIENTS POUR
3 POTS DE 300 G
• 2 kg d’épluchures, de trognons
et de pépins de pommes bio ou
sauvages (ou la partie solide
des pommes réduites en jus
à l’extracteur)
• Le jus de 1 citron
• Eau
• Sucre en poudre
• Épices : 1 bâton de vanille ou
les graines de 3 cardamomes
vertes ou 1 étoile de badiane ou
1 bâton de cannelle ou 1 pouce
de gingembre râpé (facultatif)
AUTONOMIE
1. Mettez les épluchures, les trognons et les
CUISINE
pépins de pommes dans une grande marmite,
ajoutez le jus de citron, les épices (si vous le
souhaitez) et mélangez. Recouvrez d’eau à
niveau (environ 1,5 litre).
2. Faites chauffer à feu vif jusqu’à ébullition,
puis baissez le feu. Laissez cuire à feu modéré
et à découvert pendant 30 minutes, sans
mélanger.
3. Disposez au fond d’une passoire un linge
fin. Versez les morceaux de pommes cuites
dans la passoire placée au-dessus d’un grand
saladier pour récupérer le jus. Laissez-le doucement à ébullition. Faites cuire la gelée à
s’écouler lentement pendant 4 heures, sans feu vif pendant environ 20-25 minutes, jusqu’à
presser ni mélanger. 106 °C.
4. Pesez le jus de pommes obtenu (environ 6. Versez la gelée chaude dans les pots bien
1,7 litre) et versez-le dans une bassine à propres et vissez les couvercles.
confiture. À savoir : ne jetez pas la peau et les trognons
5. Ajoutez la moitié de sucre en poudre des pommes cuites, ils vont vous servir à
(environ 800 g), mélangez et portez réaliser la recette suivante !
CUIR DE TROGNONS
DE POMMES
TEMPS DE PRÉPARATION : 1. Mixez tous les ingrédients ensemble avec
35 MIN un peu d’eau jusqu’à l’obtention d’une purée.
SÉCHAGE : 4 À 6 H Passez-la à travers un tamis pour filtrer peau,
CONSERVATION : 3 MOIS pépins et queues de pommes.
2. Étalez finement (3 mm max) la compote
INGRÉDIENTS POUR 1 CUIR obtenue sur une feuille de papier sulfurisé
DE 40 CM X 40 CM ou sur les feuilles flexibles fournies avec
(POUR 2 PERSONNES) votre déshydrateur. Laissez sécher au
• 400 g d’épluchures et de déshydrateur, au four, à environ 45-50 °C. Le
trognons cuits (voir recette cuir est prêt quand il se détache facilement,
précédente) comme une feuille de papier.
• 1 c. à s. de jus de citron
• 40 g de sucre blond de canne
87
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 87
 cui sin e AUTONOMIE
,
CET INGRE DIENT BIO,
J'EN FAIS QUOI ?
Li n d a L o u i s

CUISINE

LE MISO
MISEZ SUR CET ÉTONNANT ALIMENT !
Sa texture évoquant une tapenade d’olives et son goût fortement salé et
aromatique interpellent nos papilles occidentales… Ne passez pas pour
autant votre chemin : cette pâte fermentée de soja et de céréales d’origine
japonaise sublime les plats en quelques cuillérées.

88
88 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 AUTONOMIE
SON PROCESSUS DE FABRICATION
La préparation traditionnelle du miso demeure
un savoir-faire complexe dont l’importance en
Asie peut être comparée à celle du fromage ou
du vin en Europe. Il est généralement élaboré
à partir :
CUISINE
- de koji, un ferment naturel à base de céréales
(riz, orge ou pois chiche) trempées, cuites à la
vapeur, puis ensemencées d’un champignon
microscopique appelé Aspergillus oryzae, fai-
sant partie des « pourritures nobles » comme
les Penicillium des fromages bleus ;
- de graines de soja (jaune) trempées, cuites à la
vapeur, broyées, puis étendues sur des plateaux
de bambou.
Le koji est ensuite combiné avec le soja, du sel et
de l’eau pour former une pâte. Celle-ci est stockée
LES DIFFÉRENTS TYPES DE MISO
1. Le miso de riz, kome miso, est le type de miso le
plus clair et le plus doux, au temps de fermentation
assez court (moins de 3 mois). La variété la plus
connue en Occident est le shiro miso, de couleur
beige, crémeux, au goût presque sucré, peu amer
et moins salé que les autres misos. Il existe aussi
une variante jaune (shinshu miso), à la saveur un
peu plus marquée et un miso rouge à base de riz
complet.
- Ajoutez-en 1 cuillère à soupe dans les sauces
(ketchup, béchamel), les vinaigrettes, les
marinades, les dips de légumes, les soupes
(carotte, panais, brocolis…), les nouilles, les
risottos ou les desserts (cake aux fruits, biscuits,
crème brûlée…).
- Permet de saler agréablement toutes les
préparations. Parfait pour les débutants. Plus
ingrédient que condiment.
2. Le miso d’orge, mugi miso (parfois aka miso),
principalement composé d’orge, de couleur plus
sombre, rouge à brune, et au goût plus puissant,
ayant un temps de fermentation moyen (entre 1 et
2 ans). Condiment à utiliser avec parcimonie.
- Ajoutez-en une 1 cuillère à soupe dans les soupes,
les marinades, les sauces fortes (au vin, gravy,
dans des cuves ou de grands pots soigneusement
fermés pour qu’elle puisse fermenter lentement
dans un environnement anaérobique (sans oxy-
gène). La deuxième fermentation s’amorce alors
pour une durée variable (de 3 semaines à plu-
sieurs années), suivant la recette de miso choisie.
SES ATOUTS SANTÉ
Le miso permet de mieux digérer les aliments,
de protéger naturellement notre flore intesti-
nale et d’aider au bon fonctionnement de notre
système immunitaire grâce aux lactobacilles
et aux enzymes alimentaires qu’il contient.
Nourrissant, il contient naturellement les huit
acides aminés essentiels, des protéines, des glu-
cides, des fibres, des vitamines B et une kyrielle
de micronutriments.
barbecue…), les légumes rôtis au four, la soupe à
l’oignon, les poêlées de champignons, les gâteaux
au chocolat de type brownies, cookies…
- Permet d’aromatiser et corser les préparations,
d’apporter dans des terrines végétales une saveur
proche de la viande. Pour les amateurs de cuisine.
3. Le miso de soja, mame miso ou hatcho miso,
qui est le plus sombre et le plus corsé des misos,
contenant uniquement du soja et au temps de
fermentation le plus long (2 à 3 ans).
- Ajoutez-en 1 cuillère à café dans les soupes
riches ou les plats d’hiver, les ramens, en
mélange avec d’autres misos moins forts
dans les marinades.
- Pour les experts qui sauront bien doser ce
condiment puissant.
On ajoute toujours le miso hors du feu, en fin
de cuisson, pour préserver ses propriétés
nutritionnelles, à l’exception des recettes de
pâtisserie dans lesquelles il est incorporé à la pâte
pour apporter des notes de type beurre salé. Il se
conserve des mois au réfrigérateur dans un pot
bien fermé. Dans certaines enseignes bio, on le
trouve désormais en vrac.
89
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 89
SALADE DE COCOS DE PAIMPOL,AUTONOMIE
TOMATES, NOIX ET MISO BRUN
TEMPS DE PRÉPARATION : 30 MIN
CUISSON : 30 MIN
CONSERVATION : 3 JOURS
INGRÉDIENTS POUR 4 PERSONNES
1. Rincez les cocos. Dans une cocotte, versez
l’huile d’olive. Ajoutez l’ail et laissez cuire
1 minute avant d’ajouter les cocos et le thym.
Mélangez, poursuivez la cuisson 3 minutes,
puis versez de l’eau à niveau.

• 400 g de cocos de Paimpol
débarrassés de leur cosse
• 2 c. à s. d’huile d’olive
• 4 gousses d’ail pelées
• 1 branche de thym
• 2 tomates cœur de bœuf
• 3 grosses échalotes
• 30 g de noix concassées
• 1 c. à s. de miso brun
• 1 c. à s. de moutarde
à l’ancienne
• 5 c. à s. d’huile d’olive
• 3 c. à s. de vinaigre de cidre
ou de vin
CUISINE
2. Faites cuire les cocos pendant 25 minutes
à feu modéré, jusqu’à ce qu’ils soient tendres,
mais encore fermes. Égouttez-les, puis
laissez-les refroidir dans la passoire.
3. Coupez les tomates en petits cubes. Pelez
et émincez finement les échalotes.
4. Disposez les cocos dans un saladier avec
les tomates, les échalotes, les noix, le miso, la
moutarde, l’huile d’olive et le vinaigre de cidre.
5. Mélangez bien et placez cette salade au
frais au moins 2 heures avant de déguster.

SABLÉS
BRETONS AU 1. Dans un saladier, fouettez vivement les

MISO BLANC jaunes d’œufs avec le sucre jusqu’à ce que

TEMPS DE PRÉPARATION :
25 MIN
REPOS : 3 H
CUISSON : 15 MIN
CONSERVATION : 1 AN
INGRÉDIENTS POUR 16 SABLÉS
• 3 jaunes d’œufs
• 100 g de sucre blond de canne
• 80 g de beurre mou (pas fondu)
• 2 c. à s. (soit 50 g) de miso blanc
• 1 c. à c. rase de poudre à lever
• 180 g de farine de blé type 65
le mélange devienne bien crémeux.
2. Ajoutez le beurre mou, le miso et la poudre
à lever et continuez de mélanger vivement
pour rendre la pâte onctueuse. Incorporez la
farine avec une spatule. Laissez reposer la
pâte au moins 3 heures.
3. Préchauffez le four à 165 °C. Avec la pâte,
formez un boudin d’environ 5 cm de diamètre.
Coupez-le en rondelles de 1,5 cm d’épaisseur.
Disposez-les dans une plaque à muffins ou
des emporte-pièce (de 5 à 6 cm de diamètre).
4. Faites cuire les sablés 15 minutes. Laissez
tiédir avant de démouler.

P O U R A L L E R P L U S L O IN

• Fabriquez votre propre miso chez Sanga, producteur en Touraine

Takayoshi Hirai, installé avec sa famille en pleine campagne, propose à la vente de délicieux
misos et kojis élaborés selon les recettes de sa grand-mère (label Nature et Progrès), à base de
soja et céréales produites en Touraine. Il donne également des cours de cuisine pour apprendre
à fabriquer son miso ou son shoyu (sauce soja) à la maison dans les règles de l’art.
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90
90 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
 RENDEZ-VOUS
L’A GE N DA SEP TEM BRE- O C T O BRE 20 19
RENDEZ-VOUS
SEPTEMBRE
6 et 7 septembre
Combloux (74)
Rencontres ÉCO-logiques
du Pays du Mont-Blanc :
1re édition
www.mairie-combloux.fr
KAIZEN PRÉSENT ET PARTENAIRE
13 au 15 septembre
Obernai (67)
Biobernai : 16e édition
Le salon de l’agriculture
biologique en Alsace
www.biobernai.com
KAIZEN PARTENAIRE
18 septembre
Partout en France
Artistes de la Vie
Sortie du documentaire
réalisé par Pierre Westelynck
et produit par l’association
On passe à l’acte
Découvrez une galerie de
portraits de citoyens engagés
aux témoignages impactants
et inspirants.
Pour trouver ou organiser
une projection :
https://kameameahfilms.org/
artistes-de-la-vie/
93
KAIZEN PARTENAIRE 6 octobre
20 au 22 septembre Laval (53)
Montpellier (34) Stage : Wutao
Festival pour l’École Avec Florence Pauchet
de la Vie : 5e édition www.energetiquechinoise.
L’événement de la rentrée com/wutao-rennes.html
des classes pour découvrir
le meilleur des innovations KAIZEN PRÉSENT ET PARTENAIRE
pédagogiques ! 11 au 13 octobre
Conférences, ateliers, Nantes (44)
projections. Salon Zen & Bio
Château de Flaugergues Parc des Expositions
1744, avenue Albert-Einstein www.salon-zenetbio.com/
www.festival-ecole-de-la-vie.fr nantes
23 au 27 septembre KAIZEN PRÉSENT ET PARTENAIRE
Lablachère (07) 12 et 13 octobre
Stage : Le jardin vivrier Guichen (35)
écologique Salon Ille & Bio
Organisé par Terre Le salon bio de la région
& Humanisme rennaise
www.formation.terre- www.illeetbio.org
humanisme.org
17 au 20 octobre
28 et 29 septembre La Roche-sur-Grane (26)
Cornimont (88) Pause partagée
Fête des Simples : 11e édition aux Amanins
Festival des producteurs- Avec Pierre Rabhi
cueilleurs de plantes Thème : La sobriété heureuse
aromatiques et médicinales www.lesamanins.com
du syndicat S.I.M.P.L.E.S.
www.fetedessimples.org
À VENIR
O C TO B R E KAIZEN PRÉSENT ET PARTENAIRE
2 au 11 novembre
5 et 6 octobre Paris
Lablachère (07) Salon Marjolaine
Stage : Plantes sauvages Le plus grand salon bio
comestibles de France
Organisé par Terre Parc floral de Paris
& Humanisme www.salon-marjolaine.com
www.formation.terre-
humanisme.org
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 93
 SÉLECTION KULTURELLE AUTONOMIE

LI VRES FILM
ODE À LA BIENVEILLANCE UN CRI POUR LA TERRE ARTISTES DE LA VIE
Alexandre Sattler, préface de ANIMAUX, HUMAINS, PLANÈTE METTRE SON POTENTIEL

SÉLECTION
Matthieu Ricard, Hozhoni Éditions
La beauté en images, la beauté en
partage. Un voyage autour du monde
qui invite à savourer avec délicatesse
la douceur des regards.
TROUVER SON POINT GÉNIAL
Guillaume Corpard, Parhélie Éditions AU SERVICE DU MONDE
Un plaidoyer sensible pour une Pierre Westelynck,
réconciliation avec les animaux. association On passe à l’acte, 73 min
Cette mosaïque de témoignages inspi-
LA FRATERNITÉ rera sans doute tous ceux qui souhaitent
POURQUOI ? trouver leur voie. Avec créativité, coo-
Edgar Morin, Actes Sud pération, optimisme

CULTURELLE
Vincent Avanzi, Marabout
Le point G n’est-il pas aussi notre centre
de gravité et de créativité ? Avec poésie
et humour, l’auteur nous invite à sonder
notre singularité pour en faire une joie
de vivre. Une philosophie concrète qui
fait bouger les lignes !
COMPRENDRE LES ENFANTS
POUR MIEUX LES ÉDUQUER
Isabelle Peloux, Étienne Friess,
Actes Sud-Kaizen
Comment trouver l’équilibre juste dans
la relation enfant-adulte ? Professeure
des écoles, chercheuse en pédagogie
et fondatrice de l’école du Colibri aux
Amanins, Isabelle Peloux propose des
exemples pratiques pour changer de
posture afin que chacun puisse, dans la
relation, trouver la confiance, la sécurité
affective, le respect et l’estime de soi.
L’AGROÉCOLOGIE
PEUT NOUS SAUVER
Marc Dufumier et Olivier Le Naire,
Actes Sud
Pourquoi la révolution agroécologique
est-elle une solution concrète pour
nourrir le monde et soigner la terre ?
Dans cet ouvrage, l’ingénieur agronome
Marc Dufumier
répond avec
rigueur, simplicité
et bon sens à ce
qui est sans doute
le plus grand défi
du siècle.
Un beau plaidoyer du philosophe pour
revaloriser la troisième valeur de la
devise républicaine « liberté, égalité,
fraternité ». Une fraternité qui défie les
frontières et les dogmes pour renouer
avec le destin commun de l’humanité.
COLOC BIO - LE GUIDE
POUR UNE COHABITATION
ÉCO-RESPONSABLE
Vincent Ravalec, Mama Éditions
Un guide original et sans tabou avec
toutes les astuces pour réussir
sa vie en colocation bio. Amour,
ménage, fêtes, papiers, solitude,
partage, cuisine… des témoignages
aux DIY, pour le meilleur et pour les
contraintes, et pour tous les âges.
SUR LA TERRE COMME AU CIEL
LIEUX SPIRITUELS ENGAGÉS EN ÉCOLOGIE
Christine Kristof-Lardet, Labor et Fides
et détermination,
chaque parcours est
écrit comme une
aventure intérieure
et humaine au
service de la vie.
Une fresque collec-
tive qui fait du bien !
EXPO
NOUS LES ARBRES
Exposition à la Fondation Cartier
pour l’art contemporain à Paris,
jusqu’au 10 novembre 2019
De l’écologie à la poésie, de l’esthétique
à la science, nos amis les arbres offrent
de multiples facettes à (re)découvrir.
Dans cette exposition inédite, artistes,
scientifiques, anthropologues et peuples
amérindiens proposent une lecture
sensible de leur lien à l’arbre.
Un plaidoyer indispensable pour
ce végétal vital aujourd’hui malmené.

95
K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9 95
C h r o n ique Pierre Rabhi
PROPOS RETR A NS C R IT S PAR C L AIR E EG G ER MONT
Ba st i e n D u b o i s
DE L’URGENCE
CHRONIQUE
DE RÉTABLIR L’UNITÉ
D PIERRE
epuis l’avènement de l’humanité,
les luttes, protestations et reven-
dications ont toujours existé. Il n’y
a qu’à voir les révoltes des esclaves
à Rome, au v e siècle avant Jésus-
RABHI
Christ, et toutes les révolutions
qui ont jalonné l’histoire. Ce qu’il y a de désolant,
c’est que bien souvent des opprimés, une fois
libérés, ont pu devenir des oppresseurs et de cer-
tains mouvements revendiquant la justice, la
liberté et l’équité ont pu naître de nouveaux dic-
« Comment est-ce que je me comporte ?
Est-ce la peur qui induit mes actes ?
Quelles valeurs me guident ? »
tateurs. L’incohérence surgit aussi à l’échelle
individuelle : je peux manifester contre l’iniquité
de l’État et la reproduire dans le microcosme
dans lequel je suis souverain. Je peux rejeter les
dogmes et alimenter le système par mes actes
d’achat quotidiens. Si les actions destructrices
de la finance, de l’industrie ou de certains États
méritent d’être contestées par la morale élémen-
taire, n’oublions pas qu’elles s’ancrent dans une
vision et un contexte voués à l’échec. C’est pour-
quoi il me paraît essentiel de prendre le problème
à la racine et de revoir les fonde-
ments de notre organisation.
P O U R A L L E R P L U S L O IN
L’histoire humaine a été façonnée
• w w w.pier r er abhi.or g par un arbitraire masculin qui a
ravagé le monde et fait que le phé-
nomène humain, pourtant très
récent, a eu un impact destructeur inouï sur
la biosphère. Le masculin angoissé a cherché à
s’apaiser en se déclarant puissant et en dominant
98
98 K A I Z E N - N ° 4 6 - S E P T E M B R E- O C T O B R E 2 0 1 9
l’autre et la nature. Et nous en sommes encore et
toujours à une humanité divisée en elle-même.
Il y aurait mille et une raisons de lever le poing
chaque jour, mais nous ne pouvons continuer à
tenter de rafistoler le navire avec des rustines.
Aujourd’hui, la révolte doit être transcendante
et prendre en compte l’être humain comme le
facteur déterminant la société. Cela nous ra-
mène au fameux précepte du temple de Delphes :
« Connais-toi toi-même. » Comment est-ce que
je me comporte ? Est-ce la peur qui induit mes
actes ? Quelles valeurs me guident ? Déjà, en
2002, je parlais d’insurrection des consciences.
Car c’est là que se trouve la cause du désordre
du monde. Et c’est par là que nous devons com-
mencer à étreindre nos peurs et à transformer
par l’amour nos actes et pensées. Sans quoi nous
demeurerons dans un antagonisme. Je ne parle
pas d’amour comme une sensiblerie ou un ro-
mantisme, mais bel et bien comme une puissance
créatrice, une énergie transformatrice.
Prendre le problème à la racine exige également
de revoir l’éducation de nos enfants en leur
apprenant à être solidaires plutôt que rivaux.
L’école est la pépinière sociale de notre monde.
C’est là que naît notre société conflictuelle, que
se préparent les inégalités et que se forge la hié-
rarchisation par l’excellence. C’est là qu’il nous
faut d’urgence rétablir des bases saines en en-
seignant l’art et la joie de la coopération plutôt
que le ravage de la compétition. Plus que jamais,
nous sommes appelés à sortir de la fragmenta-
tion, à rétablir l’unité et à consacrer toutes nos
capacités au service de la Vie, comprenant que
nous en sommes partie intégrante et en aucun
cas séparés. n