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M.

Michel Degraff
M Daniel Véronique

À propos de la syntaxe des pronoms objets en créole haïtien :


points de vue croisés de la morphologie et de la diachronie
In: Langages, 34e année, n°138, 2000. pp. 89-113.

Abstract
Striking differences between Haitian Creole (HC) and its lexifier language, French (FR), concern (inter alia) the Case-related
morphology and the distribution of Object pronouns. The goal of the paper is to relate HC-vs-FR differences in object-pronoun
morphosyntax to other morphosyntactic distinctions between the two languages, i.e. verb morphosyntax and inflectional
morphology. As a contribution to the study of the mental processes underlying creole genesis and language change, the paper
examines superstrate and substrate influence in language creation qua parameter(re)setting. It is shown that HC differs from both
FR and main Kwa languages. Stark morphological differences contrast FR and HC verbs and pronouns. Inflection for Case and
word-order also differentiate Fongbe and HC pronouns. Reduced inflectional morphology (as in other language-contact
situations) coupled with particularly salient source-language patterns in the Primary Language Data act as triggers toward fixing
particular parameters. Verb-syntax patterns make creolization quite similar to diachrony. Both sets of phenomena ultimatety
reduce to UG-based constraints in language acquisition.

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Degraff Michel, Véronique Daniel. À propos de la syntaxe des pronoms objets en créole haïtien : points de vue croisés de la
morphologie et de la diachronie. In: Langages, 34e année, n°138, 2000. pp. 89-113.

doi : 10.3406/lgge.2000.2373

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_2000_num_34_138_2373
Michel DeGraff
Massachusetts Institute of Technology

A PROPOS DE LA SYNTAXE DES PRONOMS OBJETS


EN CRÉOLE HAÏTIEN : POINTS DE VUE CROISÉS
DE LA MORPHOLOGIE ET DE LA DIACHRONIE

1. Introduction

Les pronoms objets, du fait de leur absence de morphologie casuelle et de leur


distribution (cf. DeGraff 1994 a, b), constituent l'un des points remarquables d'écart
entre le créole haïtien (CH) et sa langue lexificatrice, le français (FR). Les pronoms
objets de CH, ainsi que les objets non pronominaux (c.-à-d. les syntagmes nomi
naux pleins), occupent systématiquement une position post-verbale (après le verbe
principal) tandis que les clitiques objets français, à la différence des nominaux, pré
cèdent le groupe verbal (sauf à la forme imperative positive) 12 :
1. a. Li konnen li/Bouki (CH)
b. * Li li/Bouki konnen
2. a. Il connaît Bouqui/*le (FR)
b. Il le/*Bouqui connaît
Quels sont les facteurs qui sont à l'origine de ces divergences ?

Cet article a pour objet de mettre en relation les disparités morphosyntaxiques


avérées du FR et du CH dans le domaine des pronoms objets et d'autres différences
morphosyntaxiques entre les deux langues. Dans le cadre de la théorie syntaxique
« Principes et Paramètres /Approche minimaliste (P&P) », j'établirai des rapports
entre la position des pronoms objets en CH et en FR et des principes plus généraux
de la morphosyntaxe verbale, et, en dernière instance, de la morphologie flexion-
nelle, des langues comparées. Ces rapprochements devraient permettre d'éclairer à

1 . Les impératifs positifs seront évoqués lors de la discussion de la genèse des structures de CH dans la
section 4.
2. Les abréviations suivantes seront utilisées dans cet article : ACC « accusatif », ANT « antérieur », ASP
« marqueur aspectuel », PFP « particule finale de proposition » (remplissant des fonctions présupposi-
tionnelles et discursives), DAT « datif », FUT « futur », IRR « irrealis », NEG « négation », PL (pluriel),
PROG « progressif », SG « singulier », 1SG « première personne du singulier », 3PL « troisième personne
du pluriel ».

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leur tour les mécanismes sous-jacents à la genèse des créoles et à l'évolution li
nguistique.
Les données de la syntaxe verbale des langues confrontées, que j'examinerai de
façon plus détaillée dans la section 2 de cet article, diffèrent de façon significative.
Les verbes transitifs de CH sont en règle générale adjacents à leur objet; les
adverbes et le marqueur de négation ne peuvent être insérés entre le verbe et l'obj
et. En FR au contraire, certains adverbes et la négation predicative doivent être
placés entre le verbe fléchi et son objet. Les contrastes d'ordre des mots entre CH et
FR semblent être en corrélation avec la flexion morphologique verbale et pronomin
ale. En effet, en FR les verbes reçoivent des désinences de temps, de mode et d'ac
cord et les pronoms connaissent une flexion casuelle. Comme en d'autres créoles,
les verbes et les pronoms de CH ne présentent aucune flexion.
Dans la section 2 de cet article, je résumerai les principales différences en
matière de syntaxe verbale entre CH et FR et j'en fournirai une analyse suivant le
modèle P&P. En 3, j'en dégagerai les implications pour l'explication de la morphos
yntaxe des pronoms objets dans les langues comparées. Globalement, en 2 et 3, la
corrélation postulée entre les différences morphologiques et les différences d'ordre
de mots entre CH et FR sera au centre de l'analyse. J'interrogerai également, en 4,
l'éventuelle influence des langues de substrat et de superstrat sur les différences
positionnelles relevées. Je démontrerai, dans cette section, que la morphosyntaxe
des pronoms objets en CH se distingue de celle des principales langues de substrat
kwa. Les langues fongbe présentent des constructions où les objets, y compris les
pronoms toniques objets, précèdent le verbe principal. De plus, dans ces langues,
les pronoms possèdent une flexion casuelle. Cependant, j'essaierai de montrer
qu'en dépit des différences attestées entre le CH et ses langues sources, certaines
constructions de FR et du substrat kwa ont certainement joué un rôle important
dans l'émergence de la syntaxe verbale de CH.

2. La syntaxe verbale du créole haïtien et du français


(DeGraff 1994a, b, 1997)

2.7. Les données

Le placement des verbes en CH et en FR est très différent. Dans les deux


langues, un ensemble limité d'adverbes peuvent être considérés comme internes à
la proposition. En d'autres termes, ils sont inclus dans les suites de constituants bor
nées à gauche par le sujet et à droite par un objet non pronominal. Si l'on excepte
la situation des pronoms, l'ordre canonique dans les deux langues est Sujet-Verbe-
Objet (SVO). La différence cruciale entre les deux langues est la suivante (pour la
clarté de l'exposé, je m'en tiendrai aux propositions qui ne comportent pas de
copule, et qui ne contiennent qu'un verbe principal, ce que je nommerai des pro
positions monoverbales) : en FR, les verbes principaux manifestent au moins un
accord en personne ; le CH, au contraire, ne connaît aucune morphologie flexion-
nelle, que le verbe soit ou non l'unique élément du syntagme verbal.

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Dans les propositions monoverbales, les adverbes internes à la proposition
apparaissent à gauche du verbe en CH et à droite du verbe en FR, comme en 3 :
3. a. Mwen déjà konn leson an (CH)
b. *Mwen konn déjà leson an
En FR, les équivalents adverbiaux sont susceptibles d'apparaître en position post
verbale - c'est la règle avec les verbes fléchis - interposés entre le verbe et son objet.
4. a. Je connais déjà la leçon (FR)
b. *Je déjà connais la leçon
Des exemples de ce types peuvent être représentés ainsi 3 :
5. a. Adv V NPObj (CH)
b. *VAdvNPOb.
6. a. *Adv VfinNP (FR)
b. VfinAdvNPObj
Dejean (1992) et DeGraff (1994a, b, 1997) proposent d'autres exemples de CH et de
FR construits avec des adverbes temporels, comme toujou/toujours, des adverbes de
degré comme prèske/presque, si tèlman/tellement, trè/beaucoup, trô/trop, des adverbes
prédicatifs comme byen/bien et mal/mal, etc.
Le négateur phrastique de CH pa et son équivalent français pas (cf. DeGraff
[1993] et Déprez [1999] qui décrivent les différences sémantiques et syntaxiques
entre pa et pas) apparaissent également dans des constructions comparables. Tout
comme les adverbes intrapropositionnels, pa et pas se placent dans des positions
opposées par rapport au verbe principal dans les propositions monoverbales, pa à
gauche en CH et pas à droite en FR :
7. a. Zonbi pa manje sèl (CH)
b. * Zonbi manje pa sèl
8. a. Les Zombies ne mangent pas de sel (FR)
b. * Les Zombies ne pas mangent de sel

2.2. L'analyse

L'hypothèse qui sous-tend l'analyse que je propose est la suivante (cf. DeGraff
1994a, b, 1997) : un paramètre de déplacement du verbe détermine les positionne
ments verbaux dans les langues confrontées. Le réglage de ce paramètre est à l'or
igine de l'absence ou de la présence (ou du moins de l'ampleur, cf. les notes 4 et 5)
du déplacement explicite du verbe dans la langue. On postule que dans toutes les
langues, le verbe est généré au sein du syntagme verbal (VP), de manière adjacente
à son objet (s'il existe). Dans certaines langues, le verbe reste au sein de VP, du
moins jusqu'au niveau de représentation qui sert d'entrée à la forme phonétique
(PF). Dans de telles langues, le verbe est réalisé dans une position qui est c-com-
mandée par tout élément qui c-commande VP. Ces langues sont dites langues à

3. Les propositions de FR qui comportent des auxiliaires précédant le verbe principal (cf. les temps com
posés - passé composé, plus-que-parfait, etc.) sont à l'origine de schemes plus complexes (cf. infra 4.1. 1.).

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verbe in situ. Dans d'autres langues, une montée du verbe conduit l'entité verbale
fléchie hors de VP, vers une position x qui c-commande VP ; ce sont des langues à
montée du verbe 4.
À la suite d'Emonds (1978), Pollock (1989), Platzack et Holmberg (1989), Belleti
(1990), Chomsky (1991, 1993), etc., je soutiens (cf. également DeGraff 1994a, b, 1997)
que les différences entre CH et FR dans l'ordre de surface des adverbes préposi
tionnels résultent du réglage du paramètre de déplacement du verbe. Faisons l'h
ypothèse que les adverbes intrapropositionnels et les marqueurs de négation sont
générés de façon adjointe à une projection intermédiaire quelconque entre VP et xP
- représentons cette position par yt, où i reçoit une valeur comprise entre entre 1 et
n, n étant un nombre peu élevé 5. Posons également que FR est une langue à montée
du verbe (Emonds 1978, Pollock 1989) et que CH est une langue à verbe in situ
(DeGraff 1997). Les positionnements des adverbes en découlent comme cela est
représenté en 9 et 10 (cf. DeGraff 1997 pour davantage de détails) 6.

FR montée explicite du verbe (par-delà un syntagme adverbial)


10....[yPAdvP[vpV°NPobj]]
CH Adjacence du verbe et de l'objet en surface
Expliquons les données relevées en 2.1. En (3a), CH déjà précède la suite V-
NPobjet parce que le verbe et son objet apparaissent en surface dans les mêmes
positions qu'en structure profonde ; les positions superficielles sont donc identiques
aux positions au début de la dérivation. En d'autres termes, la non-grammaticalité
de (3b) est due à l'absence de mouvement du verbe en haïtien. Puisque le verbe ne
se déplace pas de façon patente, il est réalisé là où il a été généré, c'est-à-dire dans
une position adjacente à l'objet. D'où le scheme du CH en 5, Adv V NPobjet vs *V
Adv NPobjet. Quant à la construction du français décrite en 6 et illustrée en 4, ce
scheme - Vfin Adv NPobjet vs *Adv Vfin NPobjet - découle de l'environnement per
tinent pour le paramètre du mouvement du verbe : en français, le verbe fini se
déplace hors de VP (et de yP), à gauche des adverbes intrapropositionnels et du
marqueur de négation.
On peut s'interroger sur ce qui détermine le réglage du paramètre de verbe de
mouvement. Est-ce que ce réglage est une propriété arbitraire susceptible de varier

4. La position x n'est pas la même selon les langues. La montée du verbe est de hauteur différente selon
les langues et, pour une même langue, la montée du verbe peut s'effectuer par cycle via un certain
nombre de sites potentiels d'atterrissage (cf. par exemple Pollock 1989, et diverses contributions à
Hornstein et Lightfoot 1994, cf. aussi la note 5).
5. Les valeurs précises de yv tout comme celles de x, varient selon les langues, et au sein d'une même
langue, selon les classes d'adverbes. Pollock a montré que NEG (FR pas) est généré à un niveau plus élevé
que les adverbes intrapropositionnels comme souvent, et qu'il existe un site intermédiaire d'atterrissage,
à mi-chemin entre pas et ces adverbes intrapropositionnels. Les infinitifs atteignent seulement ce site
intermédiaire, cf. Ne pas lire souvent le journal vs *Ne lire pas souvent le journal.
6. Le fonctionnement du placement de la négation en FR est plus complexe. Il implique la clitisation de
ne au verbe fléchi et le déplacement de la construction ne- Vfin à la gauche de pas (cf. Pollock 1989).

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selon les langues ou est-il en relation avec d'autres propriétés de la langue ? Dans
DeGraff (1994a, b, 1997), j'emprunte l'idée suivante, entre autres, à Platzack et
Holmberg (1989), Pollock (1989), Roberts (1995), Rohrbacher (1994) et Vikner (1997) :
le mouvement du verbe est directement lié à la morphologie flexionnelle verbale ;
des langues à morphologie relativement riche, comme le français, ont tendance à
faire monter leur verbe tandis que des langues à morphologie verbale pauvre
(comme le CH et d'autres créoles) laissent leurs verbes in situ. Pollock (1989) et
Chomsky (1993) proposent différentes mises en œuvre de cette idée (cf. également
Roberts (1999) qui applique cette thèse à d'autres domaines de la syntaxe créole).
Bien que liés en diachronie, FR et CH se situent aux extrêmes opposés du cont
inuum de l'inflexion verbale riche comme le montrent les exemples 11 à 14. En CH,
il n'existe pas de trace morphologique d'accord (cf. 11) et les marqueurs TMA
(temps, mode, aspect), sont des morphèmes pré-verbaux morphologiquement auto
nomes (cf. 13). En d'autres termes, le verbe en CH ne connaît aucune flexion. FR, au
contraire, a recours à la flexion verbale de façon productive comme l'attestent les
exemples 12 et 14, où l'accord sujet-verbe, et les valeurs temporelles, aspectuelles et
modales se manifestent, entre autres, à l'aide de suffixes.
11 . { Mwen Ou Li Nou Yo } renmen Boukinèt (CH)
I

12. J'aime Nous aimons (FR)


Tu aimes Vous aimez
II /Elle aime Ils /Elles aiment
13. a. Boukinèt te renmen Bouki (CH)
b. Boukinèt ap renmen Bouki
с Boukinèt a renmen Bouki si. . .
14. a. Bouquinette aim-ait Bouqui (FR)
b. Bouquinette aim-era Bouqui
с Bouquinette aim-erait Bouqui si...
DeGraff (1999c, 1999d) et Roberts (1999) mentionnent d'autres domaines dans
lesquels la richesse de la flexion verbale semble liée au réglage du paramètre du
mouvement du verbe. Ainsi, dans les premières phases de leur acquisition de
langues à montée du verbe comme le français, les enfants emploient, de façon
optionnelle, des verbes in situ non fléchis dans des contextes où les sujets adultes
ont recours à une montée de verbes fléchis (Pierce 1992, Wexler 1994). Il en est de
même dans la diachronie de la langue anglaise : le moyen anglais était une langue
à montée du verbe alors que l'anglais moderne est une langue à verbe in situ. Une
érosion de la morphologie flexionnelle verbale semble avoir eu lieu plus ou moins
parallèlement à la transition d'un système à montée du verbe à un système de verbe
in situ (pour davantage de détails, cf. Rohrbacher 1994, Vikner 1997, Roberts 1993,
1999, Kroch & Taylor 1997, Lightfoot 1999). Si cette approche du réglage des para
mètres syntaxiques est correcte, on peut alors penser que les paradigmes flexionnels
peuvent servir d'indices et de déclencheurs pour le réglage de paramètres comme
celui du mouvement du verbe. Puisque les situations de contact de langues impli
quent souvent une perte de morphologie flexionnelle (Meillet 1919, Weinreich
1953), on peut s'attendre à ce que des créoles comme le CH marquent plutôt une
préférence pour l'option du verbe in situ (cf. DeGraff 1997, 1999c, d, Roberts 1999).

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3. La syntaxe du pronom objet

Passons de la morphologie et du positionnement du verbe à la place des pro


noms et à ses déterminants morphologiques. On peut se demander si les proposi
tions formulées à propos de la position verbale valent aussi pour les pronoms.
Rappelons que les pronoms objets du créole haïtien sont systématiquement placés
en position post-verbale alors que le français possède des clitiques pré-verbaux. Il
faut également se souvenir que les pronoms de CH, au contraire de ceux du fran
çais, ne manifestent pas de distinctions casuelles morphologiques. Dans ce
domaine, les données diachroniques et synchroniques plaident en faveur d'une
analyse à base morphologique des différences entre le créole haïtien et le français.
Certains développements théoriques récents (Holmberg 1985, Déprez 1989, Kayne
1989a, b, 1991, Chomsky 1993) suggèrent également de lier le positionnement des
verbes et celui des objets pronominaux.

3.1. Les données

Les pronoms haïtiens ne présentent aucune marque de morphologie casuelle et


les mêmes unités occupent les positions casuelles de sujet et d'objet. Au contraire
du créole haïtien, dans le système pronominal français, les pronoms nominatifs
sont distincts des non-nominatifs, et à quelques personnes, on distingue l'accusat
if du datif (par exemple il vs le vs lui à la troisième personne du singulier), cf. 15
et 16.

15. Singulier Pluriel


1 mwen nou
2 ou nou
3 li yo
Échantillon de pronoms personnels de CH (atone
giques casuelles

16. Sujet Objet


lsg je me
2sg tu te
il, elle le, la vs. lui
3sg
lpl nous nous
2pl vous vous
3pl ils, elles les vs. leur
Échantillon des pronoms personnels (atones) de FR et leurs marques morphologiques
casuelles

Les différences morphologiques entre les pronoms français et haïtiens s'accom


pagnent d'une différence d'ordre des mots qui rappelle la morphosyntaxe des
verbes de CH et de FR. Hors des impératifs, les pronoms objets atones français sont
des clitiques pré-verbaux (les NPs pleins sont post-verbaux) alors que CH ne

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possède aucune règle de déplacement de l'objet vers l'avant. Les pronoms objets
CH sont toujours post- verbaux tout comme les NPs pleins du créole haïtien :
17. a. Li konnen li/Bouki (CH)
b. * Li li/Bouki konnen
18. a. Il connaît Bouqui/*le (FR)
b. Il le/*Bouqui connaît
Au contraire du créole haïtien, les objets en fon-gbé peuvent se placer pré-
verbalement (voir section 4).

3.2. La syntaxe de l'objet : la diachronie de l'anglais

On peut dresser un parallèle éclairant entre les schemes des pronoms objets en
FR et en CH et l'évolution diachronique des pronoms objets en anglais. Je résumer
ai ici à grands traits les analyses de van Kemenade (1987). Pour cet auteur, le vieil-
anglais présente un ordre sous-jacent Sujet-Objet- Verbe (SOV), avec une contrainte
« Verbe second » dans les propositions radicales. Le vieil-anglais serait proche de
l'allemand ou du néerlandais : dans une proposition enchâssée (avec C° plein), le
verbe fléchi occupe la position finale, et dans une proposition principale, le verbe
fléchi se déplace vers C° (vide), accompagné d'un XP topique en position de
Spécificateur (CP) - (Spec(CP) -, ce qui entraîne un ordre V2 dans la proposition
radicale. Selon van Kemenade, deux changements importants se sont produits entre
le vieil-anglais et le moyen anglais tardif : l'anglais est passé d'un ordre SOV à un
ordre SVO vers 1200 (et, sans doute, d'un IP à tête finale à un IP à tête médiane), la
règle du « verbe second » a été perdue vers 1400. Selon van Kemenade, il existe une
relation entre ces changements et d'importantes modifications de la flexion nomin
aleet verbale, ainsi que de la morphologie et de la syntaxe du Cas ; l'insertion syn-
tagmatique de l'objet s'en est trouvée altérée.
Soit 19a, b qui présentent des instances de clitiques objets en vieil-anglais et 19c
en moyen-anglais (C. 1340) :
19. a. Fêla spella him saedon pa Beormas, ...
Plusieurs histoires lui dirent les Permiens
Les Permiens lui racontèrent plusieurs histoires
(van Kemenade 1987 : 130)
b. pa sticode hint mon pa eagan ut
alors piquer lui on les yeux dehors
alors on lui a arraché les yeux
(van Kemenade 1987 : 130)
с pet he him зеаие uyftene pond of gold
que il lui donna quinze livres en or
qu'il lui donnerait quinze livres en or
(van Kemenade 1987 : 95)
Les clitiques objets en 19a et 19c se réalisent à la gauche de leur verbe. En 19b, le cli-
tique objet se trouve à la gauche du sujet mon. Selon van Kemenade, les données en
19 indiquent que, dès le vieil-anglais et même après le changement de OV à VO en

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moyen-anglais, des pronoms clitiques objets pré-verbaux sont attestés dans ces
variétés linguistiques, pronoms comparables à certains égards aux clitiques français
(et fort différents des pronoms de l'anglais moderne et de CH). Comparons 19a et
19c aux données françaises en 20 :
20. a. Quelles histoires lui raconteront ils ? (FR)
b. Il lui donna quinze livres d'or
En 19a et en 20a, Spec(CP) est occupé par les NPs pleins fêla spella et quelles histoires,
et C° par le verbe fléchi ssedon et raconteront et leur clitique objet him et lui. En 19c
et en 20b, les pronoms objets sont à la gauche du verbe, et à la droite du sujet (les
deux langues, l'anglais de 1340 et le français moderne, ont un ordre sous-jacent
VO).
Van Kemenade (1987) démontre de façon convaincante que la clitisation a com
mencé à disparaître en anglais parallèlement à la perte du marquage casuel sur les
noms en vieil-anglais (cf. par exemple 21). Selon cet auteur, dès 1200, la morpholog
ie casuelle du moyen-anglais a commencé à subir une érosion phonologique. Cette
réduction morphologique a eu pour effet la disparition corrélative des clitiques, qui
en tant que quasi-affixes étaient liés à une morphologie flexionnelle. Ce changement
est analogue à ce que l'on observe dans la flexion et la syntaxe positionnelle des
pronoms objets en FR et en CH.
21. Singulier Pluriel
NOM stan stanas
ACC stan stanas
GEN staneš stana
DAT stane stanům
Déclinaison nominale de stan 'pierre' en vieil-anglais (van Kemenade 1987 : 101)
Van Kemenade indique que lors de la perte de la clitisation, C° est demeuré le seul
lieu de conservation de cette propriété. La clitisation dans C° avec V en C°, comme
en 19a, s'est conservée alors que celle interne à IP, comme en 19c avec V en IP a dis
paru. Selon elle, alors que la clitisation interne à IP est en relation directe avec la
morphologie casuelle nominale, le maintien d'une clitisation en C° est à mettre en
rapport avec la règle du « verbe second » et la morphologie verbale. Le résultat des
travaux de van Kemenade sur l'évolution diachronique de l'anglais est d'établir que
la clitisation est liée à trois phénomènes : la morphologie casuelle des NPs, la flexion
verbale et le mouvement de V. Dans la suite de ce travail, je me propose d'analyser
les dissemblances entre les pronoms objets en FR et CH à la lumière des analyses de
van Kemenade qui font appel au paramètre du mouvement du verbe, et à la flexion
casuelle.

3.3. L'analyse

De nombreux travaux portant sur des langues germaniques ou romanes lient la


position de l'objet au placement du verbe et à la morphologie (cf. Holmbeg 1985,
Platzack et Holmberg 1989, Holmberg et Platzack 1990, Kayne 1989a, b, 1991,
Déprez 1989, Chomsky 1993, Jonas et Bobaljik 1993, Roberts 1995, 1997, etc.). Pour

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ces auteurs, ce sont les têtes flexionnelles, qui dominent VP, qui sont impliquées
dans la clitisation de l'objet (et dans d'autres types de mouvement d'objet à gauche,
qui ne seront pas abordés ici).
Pour de nombreux auteurs (par exemple Déprez 1989), il existe un rapport étroit
entre le déplacement de l'objet (Object-Shift (OS)) qui affecte des NPs comme Sveini,
smjorinu (le beurre), et bókina (le livre) en islandais dans l'exemple 22, et la clitisation
de l'objet.
22. a. Skuli segir Sveini oft sôgur (Isl)
Skuli dit Sveini souvent histoires
Skuli dit souvent des histoires à Sveini
(Holmberg 1985 : 161)
b. Studentarnir stungu smjorinu allir í vasann
les élèves mettent le beurre tous en poche
(Holmberg 1985 : 161)
с Hann keypti bókina ekki
il acheta le livre pas
II n'acheta pas le livre
(Holmberg 1985 : 178)
Selon Déprez (1989), Chomsky (1993) etc., V Object-Shift est associé au Cas, et les
points d'aboutissement du mouvement (landing sites) se situent dans la projection
d'une tête fonctionnelle, comparable à celle qui est à l'origine de la montée du
verbe. Selon l'analyse de l'approche minimaliste (Chomsky 1993), la flexion casuelle
(pro)nominale est vérifiée dans le spécificateur (Spec) de Agro- Spec (AgroP) - soit
au niveau de la syntaxe explicite (overt syntax), ou de la forme logique (LF). Le
mouvement vers AgroP se produit explicitement, comme en islandais, si Agro pré
sente des traits forts (accompagnés de « riches » correlate morphologiques) ou de
façon implicite, comme en anglais, si Agro ne présente que des traits faibles. Dans
Chomsky (1991), la projection d'Agro domine VP et est dominée à son tour par TP
et AgrsP (AgrsP constituant la projection de la marque de l'accord sujet-verbe) 7. Par
rapport à l'ordre des mots et à la morphologie, la montée explicite /implicite de
l'objet au niveau de AgroP ressemble à la montée implicite /explicite du verbe évo
quée en 2 8. La montée de V a souvent été posée comme un pré-requis pour la
montée de l'objet vers ou via AgroP. Ces arguments seront repris quand je tenterai
d'expliquer pourquoi CH ne présente ni déplacement (OS) ni clitisation de l'objet.

7. Dans le cadre de l'approche minimaliste (Chomsky 1993), Agrs et Agr0 sont respectivement impliqués
dans le cas (Case checking) des sujets et des objets. Est-ce que les sujets peuvent, tout comme les objets,
retarder la montée hors de VP jusqu'à la forme logique (LF) ? Les langues examinées ici présentent des
sujets qui sont hors de VP au niveau de la syntaxe ; on peut alors formuler l'hypothèse qu'ils montent
uniformément hors de VP, afin de satisfaire au Principe de Projection Étendu, sans doute grâce à l'exis
tence d'un trait nominal (uniformément) fort d'une tête inflexionnelle quelconque (cf. Jonas et Bobaljik
1993 qui en donnent un traitement formel).
8. La tête de xP en français, une langue à montée du verbe, présente des traits verbaux (V-features) forts
alors que la tête de xF en CH, une langue à verbe in situ, présente des traits faibles (cf. Roberts 1999 qui
propose une analyse minimaliste de la syntaxe du verbe créole).

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Pour Déprez (1989, Ch. 3), VOS et la clitisation de l'objet impliquent un dépla
cement vers AgroP. OS est un mouvement de XP vers Spec(AgroP), et la clitisation
de l'objet est un mouvement de la tête vers Agro. OS et la clitisation de l'objet sup
posent un mouvement explicite de l'objet hors de VP vers la gauche.
En résumé, les deux ensembles de traits contrastifs entre le vieil-/moyen-anglais
et l'anglais moderne discutés supra présentent des analogies avec les contrastes FR-
CH. Si l'on considère que l'anglais contemporain et le CH constituent les points
d'aboutissement d'évolutions diachroniques, on peut relever dans ces exemples que :
(i) la réduction des suffixes verbaux est en relation avec la disparition de la montée
du verbe ; (ii) la réduction de la morphologie casuelle est liée à l'élimination de la cl
itisation de l'objet. Par rapport à (i) et (ii), l'anglais moderne semble différer du vieil-
anglais dans les mêmes proportions que CH et FR. L'anglais et le CH présentent une
morphologie pauvre et des VPs « figés » (c.-à-d. dont les composantes sont réalisées
in situ) 9. Il me reste maintenant à élaborer la relation qu'entrevoit la théorie dont je
me réclame entre la clitisation de l'objet et la montée explicite du verbe.
Homberg (1985) semble avoir été le premier à poser que la montée du verbe est
un pré-requis à Г OS et à la clitisation de l'objet 10.
23. Object-Shift : Déplacer un NP objet à gauche dans la projection X-bar du
verbe gouverneur quand celui-ci est phonétiquement vide
(Holmberg 1985 : 184).
Pour cet auteur, 23 explique pourquoi OS n'est pas possible en présence d'un auxil
iaire en islandais. Il pose que, dans un tel contexte, seul l'auxiliaire se déplace, pas
le verbe principal. Il convient de rapprocher 22b de 24 n.

9. La corrélation entre le marquage casuel (pro)nominal et la clitisation de l'objet n'est pas parfaite : (i) FR
présente un marquage casuel (exclusivement) sur le pronom (comme en anglais moderne), mais permet
la clitisation (non attestée en anglais moderne) ; (ii) en créole de Louisiane, les pronoms 1 SG. et 2 SG.
sont distincts en cas nominatif/non-nominatif, mais ne présentent pas de forme clitique (Neumann 1985 :
166-173, 256). Différemment de l'anglais et de CH, FR connaît la montée du verbe avec les verbes fléchis ;
les pronoms de FR manifestent également davantage de distinctions morphologiques casuelles que les
pronoms anglais (par exemple, datif vs accusatif). De plus, tout comme l'anglais et le CH mais à la dif
férence du français, le créole basilectal de Louisiane (CL) ne présente pas de montée du verbe explicite.
En outre, CL présente moins de différence morphologique casuelle que FR (le clivage est entre la série des
nominatifs et des non-nominatifs aux personnes 1 et 2 SG ; de ce fait, CL présente une morphologie
moins riche que celle de l'anglais). Ce que l'on ne comprend pas encore parfaitement, c'est la richesse
flexionnelle verbale requise afin de produire une montée du verbe, et le degré de « richesse » du mar
quage casuel pronominal nécessaire pour produire une clitisation de l'objet.
10. Au contraire de Déprez (1989), Chomsky (1993), Jonas & Bobaljik (1993) etc., Holmberg considère que
le site d'atterrissage d'OS est adjoint à VP.
11. Comme Pollock (1989) et Kayne (1991) l'ont relevé, les participes de FR, ainsi que les infinitifs, doi
vent explicitement pouvoir monter hors de leur VP (cf. le "short-movement" de Pollock) :
(i) Jean a mangé souvent des pommes
(ii) manger souvent des pommes
(iii) Jean les a mangées
(iv) Jean veut les manger
En FR, les infinitifs et les participes peuvent précéder des adverbes adjoints à VP - ce qui signale la
montée du verbe et autorise la clitisation de l'objet (cf. Kayne 1991).

98
24. Stúdentarnir hafá allir stungiô
smjôrinu í vasann
les élèves ont tous mis beurre en poche
(Holmberg 1985 : 187)
Holmberg (1985 : 189) relève que le suédois autorise OS exclusivement dans les pro
positions principales, avec des pronoms personnels atones. Holmberg et Platzack
(1990) signalent que les flexions nominale et verbale du suédois sont moins riches
que celles de l'islandais, et que cette langue ne connaît pas de mouvement indé
pendant de V à I. La montée du verbe en suédois se produit en rapport avec la règle
de V2, dans les propositions principales. Il découle de 23 que le suédois ne présente
de clitisation que dans les propositions principales ; en d'autres termes, en suédois,
le mouvement de l'objet se produit uniquement quand V monte hors de VP (cf.
Josefsson [1992] qui étudie la clitisation de l'objet en suédois) 1213.
Il s'agit maintenant de réduire 23 à des principes grammaticaux plus profonds,
particulièrement par rapport à la clitisation de l'objet. À la suite de Déprez (1989) et
de Kayne (1991), convenons que la clitisation de l'objet suppose un mouvement du
pronom objet hors de VP. Selon Déprez (1989) et Kayne (1991), ce mouvement est
celui d'une tête vers une tête flexionnelle plus élevée que VP (vers Agro, par
exemple; à noter que Kayne (1991) envisage d'autres possibilités). Roberts (1995,
1997, etc.), lui, postule qu'il s'agit d'un mouvement de XP de type OS (vers
Spec(AgroP)), éventuellement suivi d'un mouvement de la tête vers des têtes
flexionnelles plus élevées. le ne me propose pas de discuter ces explications dans le
détail mais plutôt d'en fournir de brèves interprétations, qui mettent en relief les
communautés de points de vue.
Pour Déprez et Kayne, VP est une « barrière » potentielle au mouvement du cli-
tique, qui peut empêcher un gouvernement antécédent de la trace du clitique sous
VP, produisant de la sorte une violation du principe des catégories vides (ECP) à
moins que le statut de « barrières » de VP ne lui soit ôté. C'est ce qu'accomplit pré
cisément la montée explicite de V. Pour Kayne (1989a), une telle montée de V dans
une tête fonctionnelle plus haute que VP (soit F°), permet à F°, auquel V° est
adjoint, d'effectuer un marquage-L de VP (suivant la terminologie de Chomsky
1986), rendant ainsi VP transparent au gouvernement antécédent de la trace clitique
t., sous VP, par cl, hors de VP, comme le montre 25a. Sans verbe adjoint, F° n'est pas
capable à elle seule de réaliser un marquage-L de VP, qui de ce fait demeure une
barrière au gouvernement antécédent de l'extérieur. La trace t. du clitique cl. en 25b
constitue alors un cas de violation du principe des catégories vides (ECP), qui

12. Cela rappelle le fait que la clitisation de C° en anglais est concomitante de l'existence de la règle de
V2 ; en 1400, V2 et la clitisation de C° avaient disparu. Une différence importante subsiste entre le vieil-
anglais et le suédois : la clitisation de l'objet en C° en vieil-anglais ne pouvait se produire que dans les
propositions enchâssées, sans V à С (cf. van Kemenade 1987 : 129 et suiv.)
13. Liliane Haegeman (communication personnelle, 31 juillet 1995) m'indique que le flamand de l'ouest
(West Flemish) permet le mouvement des clitiques objets à gauche avec des verbes non fléchis, qui de ce
fait ne connaissent pas de montée. Bobaljik (1995) explique cette exception à la règle d'Holmberg, en indi
quant que les langues SOV (comme le flamand de l'Ouest) n'y sont pas astreintes à la différence des
langues SVO. Les langues étudiées ici sont des langues SVO.

99
requiert que les traces soient gouvernées par des antécédents (cf. Kayne 1989a,
1991) 14,15
25. a. ... [Fp [f, [fO clfr VrF° ]] [VP Med by VfP, [^ í, ř. ]]]]
b. ... [FP [F [Fe dy-F°] [WnotL_markedbyFo) lv V i. ]]]]
Les analyses de Roberts 1994 - la clitisation, tout comme OS, est un mouvement
vers Spec(AgroP) - associées aux contraintes minimalistes sur le mouvement de
Chomsky (1993) et de Jonas et Bobaljik (1993), fournissent des prévisions compar
ablesà celles de Kayne et de Déprez à propos de la clitisation et le mouvement du
verbe. Au regard de l'analyse de Roberts en termes ď Agro, la condition du Shortest
Movement de Chomsky (1993) explique que l'anglais moyen ne manifeste un mou
vement d'objet explicite vers ou à travers le niveau d'Agro qu'en présence d'une
montée explicite de V vers ou à travers une tête Agro. Grâce à la montée explicite
de V, le mouvement de clitisation de l'objet devient le mouvement « le plus court »,
ce qui évite la violation des contraintes de localité (Chomsky 1993 : 14-19). Si la cl
itisation est bien un mouvement vers Spec(AgroP), alors Spec(VP) est un site d'atter
rissage plus proche pour le mouvement de l'objet. Cependant, le sujet interne à VP
(ou sa trace) exerce une préemption sur Spec(VP) et une violation de la minimalité
menace si l'objet glisse au-dessus de Spec(VP). Dès lors que V monte vers Agro,
alors Spec(VP) et Spec(AgroP) sont équidistants (cf. Chomsky 1993 : 17-18), c-à-d.
que la fusion (merging) de V et ď Agro place Spec(VP) et Spec(Agr P) dans le même
domaine (étendu) de localité. Ainsi, lors de la montée de V, si Spec(VP) est occupé
par la trace du sujet interne de VP, il peut être dépassé par l'objet en mouvement
vers Spec(Agro), sans violation de la minimalité (cf. 26a). Si V ne réalise pas une
montée hors de VP, alors Spec(VP) et Spec(AgroP) restent dans des domaines sépar
és.Spec(AgroP) se trouve plus éloigné que Spec(VP), tout mouvement d'objet vers
Spec(AgroP), passant par dessus Spec(VP), contrevient à la minimalité (cf. 26b). Il
s'ensuit que dans des langues qui ne connaissent pas de montée de V, la clitisation
conçue comme un mouvement de l'objet vers ou à travers Spec(AgroP), ne saurait
être le mouvement le plus court, et de fait ne saurait exister. Selon la formule de

14. Kayne (1991) pose que les clitiques objets quittent uniformément VP, modifiant Kayne (1989a) où les
infinitifs de FR pouvaient servir d'hôtes à des adjonctions de clitiques objets en V°. Cette modification est
heureuse car si les objets clitiques pouvaient s'adjoindre directement à V°, alors la montée explicite de V
ne constituerait plus un pré-requis à la clitisation, et l'on ne pourrait pas considérer que l'absence d'obj
etsclitiques pré-verbaux est directement liée à l'absence de montée explicite de V.
15. Pour Déprez (1989 : 232 et suiv.), la barrière à une trace de clitique est la projection maximale d'une
tête lexicale explicite, tête qui doit c-commander immédiatement la trace. Cette projection maximale doit
également exclure le gouverneur potentiel. La montée de V en Agro diffuse la propriété de barrière de
VP : après la montée de V, la tête de VP est occupée par une trace verbale et VP n'est plus la projection
d'une tête lexicale explicite. Les propositions de Déprez - qui diffèrent dans le détail de celles de Kayne
mais qui produisent des résultats identiques - expliquent également pourquoi les sujets, à la différence
des objets, peuvent monter hors de VP sans montée explicite de V. Spec(VP) n'est pas immédiatement c-
commandé par V° ; de ce fait, VP ne constitue pas une barrière potentielle au mouvement hors de (ou à
travers) Spec(VP). Quand il est vide, Spec(VP) peut également être utilisé comme un sas d'évacuation du
mouvement de l'objet par rapport à V°, par exemple dans le cas des passifs et des non-accusatifs. Grâce
à la proposition d'exclusion, l'adjonction à une barrière potentielle constitue un autre sas d'évacuation,
comme dans le cas des mouvements A-barre.

100
Chomsky (1998 :18), « la montée explicite de l'objet n'est possible qu'avec la montée
explicite de V » 16. . .
26- a- ••• [AgroP Obj. [Agr, V, + Agro [w Sujet (trace) [v, t{ tf\]\
h. ... [AgroP Objj [Agr, Agro [VP Sujet (trace) [v, V° tf\\]
Les analyses de Déprez, de Kayne, et de Roberts (la dernière, du moins, dans l'une
de ses interprétations) lient le mouvement du verbe et la clitisation de l'objet : ce
dernier phénomène ne se produit que si le premier a également lieu 17. Selon ces
thèses, l'absence de montée explicite du verbe en CH et en anglais expliquerait la
place des pronoms objets anglais et de CH en position post-verbale dans VP. La cl
itisation sans mouvement du verbe impliquerait la remise en cause d'un principe
grammatical établi indépendamment 18.
Les différences de positionnement des verbes et des pronoms objets en CH et en
FR ont été ramenées à un trait distinctif entre les deux langues, une divergence mor
phologique : la présence en FR vs l'absence en CH de suffixes flexionnels verbaux
(accompagnées peut-être de la présence vs l'absence de marquage morphologique
casuelle pronominale) 19. La nature de la morphologie de CH pourrait être le résul
tat d'une appropriation linguistique dans des conditions non favorables à l'ap
prentissage, comme ce fut sans doute le cas lors des contacts de langues, dans les
plantations coloniales (sans doute via une phase de pidginisation). Il est établi que
l'acquisition de langue seconde ainsi que les premières étapes de l'acquisition du
langage entraînent divers degrés de perte morphologique. Il n'est donc pas sur
prenant que des pidgins et des grammaires construites à partir de données pidgins
manifestent des propriétés syntaxiques fondées dans une morphologie isolante (cf.
DeGraff 1999c, d, pour davantage de précisions).

16. En matière de clitisation avec des verbes non finis (cf. FR), le même raisonnement s'applique. Il suffit
de remplacer Agro par la tête fonctionnelle vers laquelle les infinitifs et les participes montent en FR, Infn°
ou T° (cf. Kayne 1991).
17. Il ne s'agit pas d'une implication bidirectionnelle. D'après van Kemenade (1987) et Roberts (1994), la
disparition de la clitisation des pronoms de l'anglais eut lieu entre 1100 et 1400. Kroch (1989) considère
que la perte du mouvement du verbe principal s'est achevée vers le milieu du xvie siècle. En plus de la
montée du V à I, V2 et la morphologie casuelle (et sa disparition) ont aussi façonné l'évolution de la cl
itisation en anglais.
18. Dans cette section, j'ai survolé de nombreux détails intéressants du placement des clitiques objets
d'un point de vue translinguistique. En résumé, je soutiens que CH et FR (mais cf. l'anglais moderne et
le vieil-anglais) sont situés à deux points opposés et distants du continuum flexionnel, ce qui produit des
effets divergents sur les mouvements hors de VP. Bien d'autres langues (par ex. les dialectes romans et
les étapes diachroniques des langues romanes) sont situées de façon plus proche sur ce continuum, ce qui
produit de subtils effets sur le placement des clitiques. D'autres facteurs non envisagés ici influent assu
rément sur le placement des clitiques (cf. Kayne (1991) et Rohrbacher (1994) pour des analyses plus fines).
19. Le lien entre le mouvement du verbe et la clitisation expliquerait pourquoi l'anglais moderne ne pos
sède pas d'objet clitique préverbal alors qu'il a conservé quelques marques casuelles pronominales. De
nombreux créoles anglais se sont débarrassés des marques casuelles (y compris sur les pronoms per
sonnels, à la différence de l'anglais moderne) et présentent des mouvements encore plus limités du verbe
que dans la langue lexifiante - cette dernière permet toujours le mouvement des auxiliaires, comme dans
John has not read the paper vs* John not has read the paper, alors que les créoles ne l'acceptent pas ; cf. O'Neill
(1993) qui décrit l'affaiblissement des suffixes flexionnels verbaux, du mouvement du verbe et des mar
quages pronominaux en anglais du Nicaragua.

101
4. Perspectives complémentaires/ alternatives :
le rôle des langues sources ?

On doit envisager, en parallèle à cette analyse des divergences entre les schemes
de CH et de FR fondée en morphologie, que les propriétés syntaxiques de CH envi
sagées ici auraient pu lui advenir sous l'influence (indirecte) de certains schemes de
ses langues ancestrales. Au-delà du déclenchement de réglages syntaxiques par des
facteurs morphologiques, cela suppose l'existence de schemes particuliers des dia
lectes français (langues du superstrat) et/ ou des dialectes Niger-Congo (langues du
substrat) qui auraient pu inciter les créateurs du créole à adopter certaines dispo
sitions responsables des ordres de mots analysés ici. Dans cette partie, j'essaierai de
montrer que des schemes des langues ancestrales ont pu converger avec des
contraintes morphosyntaxiques universelles, pour produire le type particulier de
syntaxe verbale de CH. Cette démarche s'inscrit dans la perspective dessinée par
Mufwene (1990, 1996, etc.) selon laquelle la GU est à concevoir comme un filtre
interne qui détermine lesquels des traits concurrents des langues mises en contact
doivent être retenus dans le créole émergent 20.

4.1. L'influence du superstrat ?

Vu la dette lexicale de CH à l'égard de FR, envisageons le cas d'une influence


directe du français sur la syntaxe verbale de CH. Il semble que l'ordre des mots du
syntagme verbal (VP) haïtien ne soit attesté dans aucun dialecte oral du français, ni
à aucune étape antérieure de l'évolution de cette langue. En fait, le verbe français
est plus mobile au xviie et au xviiie siècles qu'à la période contemporaine. Les verbes
infinitifs pouvaient précéder les marqueurs de négation phrastique comme pas,
point, jamais etc., comme dans pour ne tomber point dans les inconvénients vs pour ne
point tomber dans les inconvénients (De Kok 1985 ; 334-338) ; cf. également Roberts
(1993) et Rohrbacher (1994) qui en proposent des analyses. Diverses constructions
du français, cependant, auraient pu contribuer à la syntaxe de CH, à travers des
restructurations et des réanalyses.

4.1 .1 . Les temps composés du français

Au vu des contrastes décrits dans la deuxième partie de ce travail, les schemes


syntaxiques suivants du français ont dû contribuer à la genèse de la syntaxe verbale

20. Mufwene (1996), qui défend une perspective inspirée de celle de la génétique des populations, énu-
mère une série de facteurs internes et externes, y compris de facteurs typologiques, socio-économiques,
démographiques (cf. « le principe fondateur », the "founder principle") ; cf. Singler 1993 qui envisage le cas
du CH sous cet angle.

102
de CH. Dans les temps composés du français, les adverbes intrapropositionnels et
la négation précèdent le verbe principal, cf. 27 :
27. a. Bouqui a déjà repassé le linge
b. Jacques n'a jamais dit bonjour
с Bouquinette a presque abandonné Bouqui
d. Jean n'a pas aimé Marie
L'analyse proposée par Pollock (1989) prédit la distribution de pas en 27, étant
donné que dans ces exemples, c'est l'auxiliaire qui monte à gauche de l'adverbe ou
du marqueur de négation, alors que le verbe principal peut ne pas se déplacer à
gauche des adverbes ou de la négation, et peut rester adjacent (string-adjacent) à
l'objet. Des données comme celles en 27 sont susceptibles d'avoir joué un rôle dans
la restructuration de la syntaxe du verbe FR dans le système émergent de CH, où
les adverbes en question et le marqueur de négation précèdent le verbe principal à
tous les temps. Cela est d'autant plus plausible que les racines verbales de CH sont,
en règle générale, dérivées de formes homophones des infinitifs et des participes
passés français, lesquelles (au contraire des formes finies) peuvent suivre les
adverbes évoqués supra et doivent nécessairement suivre la négation21. De plus,
dans les textes haïtiens anciens, пера et пара étaient utilisés comme des marqueurs
uniques pour signifier la négation, à partir d'une réanalyse de FR n'es(t) pas et n'a(s)
pas (cf. DeGraff 1993 : 30).
Cependant, les constructions infinitivales françaises ne furent pas transportées
telles quelles en CH. C'est ainsi que les verbes principaux de CH, au contraire des
infinitifs et des participes français (cf. note 5), ne sont jamais séparés de leurs objets
par des adverbes internes à IP (DeGraff 1997 : 74-76). Il semble que la restructura
tion de données de la langue de superstrat comme en 27, a pu être modulée par
GU, selon la procédure esquissée par Mufwene (1990 : 8) : « Le bioprogramme (GU
dans ma terminologie) doit être compris comme un corps de contraintes qui s'ap
pliquent à la restructuration de la langue lexificatrice ». Dans ce cas précis, l'absence
de morphologie verbale a conduit CH à adopter un placement uniforme du verbe
in situ.

4. 1.2. Les constructions verbales périphrastiques du français

Quelles sont les autres constructions de FR qui sont susceptibles d'avoir façonné
la syntaxe de CH ? Quelles sont les sources étymologiques des marqueurs pré- ver
baux de CH ? Chacun des marqueurs de Temps-Mode- Aspect, marqueurs non
affixes, de CH peut être mis en relation avec un cognât FR de la période s'étendant
entre les xvie et xviiie siècles. Ces formes s'employaient préverbalement dans des
constructions périphrastiques et l'on peut relever des correspondances sémantiques
et distributionnelles substantielles entre les constructions de CH et de FR. Ainsi, te
« antérieur » provient de FR été/étais/était, formes participe et imparfait du verbe être
attestées dans des temps simples et composés du passé ; ap « progressif », dérive de

21. Cf. De Kok 1985 : 334-338, déjà signalé, qui décrit un système plus ancien du français où les infinitifs
précèdent les marqueurs de négation.

103
FR après dans être après de, construction périphrastique française à valeur de pro
gressif, a(va) « irrealis » de FR vais) (2SG/3SG de aller dans aller-V, construction du
futur périphrastique. D'autres rapprochements peuvent être effectués entre pou
« déontique » et FR être pour et ka « possibilité » de FR être capable de etc. 22.

4.1 .3. L'ordre des clitiques dans les constructions imperatives

Lors de leur analyse des constructions à double objet dans les créoles, Bruyn,
Muysken et Verrips (1999, dorénavant B, M&V) font les observations suivantes. CH
possède des constructions à double objet (cf. 28a) alors que le français présente des
constructions prépositionnelles à valeur dative (cf. 28 b).
28. a. Mari bay Jan yon liv (CH)
b. Marie a donné un livre à Jean (FR)
D'où viennent les constructions haïtiennes comme celles en 28a ? B, M&V propo
sent une analyse qui se fonde sur les données de l'acquisition du langage. En ana
lysant des impératifs positifs comme donne-moi un livre, le créateur du CH a
réanalysé moi comme un nom plein, ce qui conduit à l'énoncé en CH ban mwen yon
liv, qui présente une construction à double objet (DOC), que le français ne possède
pas ; en FR (différemment de CH), l'ordre des mots à l'impératif provient des règles
spécifiques de placement des clitiques et du verbe à l'impératif. Suivant B, M&V, la
genèse des DOCs en CH est due « non seulement au fait que la GU permet un accès
facile à des configurations DOC, mais également à la présence d'un élément dans
l'input du français au créole haïtien qui a pu être aisément confondu avec une
DOC ».
À partir de la proposition de B, M&V, on pourrait soutenir que les constructions
haïtiennes à double objet proviennent, par le biais de constructions comme 29a et
29b, de la réanalyse des impératifs de FR où la cible est un clitique pronominal, par
les apprenants, comme en 29c :
29. a. Mari ban mwen yon liv (CH)
Marie m'a donné un livre
b. Ban mwen yon liv (CH)
с Donne-moi un livre (FR)
À la différence de la phrase déclarative en 28b, l'impératif positif 23 en 29c présente
un argument cible pronominal suivi par un NP plein en position argumentale de
thème, comme dans l'impératif de CH en 29b. À partir des observations de B, M&V,
on peut supposer que les créateurs de CH ont généralisé l'ordre cible-thème des
impératifs (comme en 29b) aux non-impératifs (cf. 29a), et des arguments cibles pr
onominaux aux arguments cibles non pronominaux (comme en 28a). En d'autres

22. Gougenheim (1971) fournit un inventaire des constructions périphrastiques du français en diachro-
nie. Sylvain (1936 : 138 et suiv.) et Goodman (1964 : 81) suggèrent d'autres parallélismes entre CH et FR.
Voir aussi Chaudenson (1979) et Chaudenson et al. (1993) qui évoquent la pertinence des données dia-
chroniques et dialectales pour les genèses des créoles français. Sylvain et Chaudenson suggèrent des
pistes intéressantes de comparaison de la syntaxe verbale du créole et du français.
23. Les impératifs négatifs de FR présentent des ordres de mots semblables à ceux des déclaratifs.

104
termes, les créateurs de CH ont réanalysé des données linguistiques primaires
(PLD) semblables à 29c, comme des éléments déclencheurs qui autorisaient le
recours à des constructions à double objet dans leur grammaire émergente.
Si B, M&V ont raison, alors les impératifs positifs de FR, qui présentent des
objets pronominaux post-verbaux, ont sans doute aussi incité l'apprenant engagé
dans la genèse de CH à faire l'hypothèse que la grammaire émergente devait pré
senter uniformément des pronoms objets post-verbaux :
30 a. Mari renmen mwen (CH)
Marie m'aime (CH)
b. Renmen mwen
Aime-moi
с Aime-moi (FR)
Au vu de la présentation faite dans la troisième partie de ce travail, les clitiques
objets préverbaux, comme me (=ra') dans Marie m'aime (l'énoncé de FR équivalent
de 30a), sont incompatibles avec la grammaire des verbes in situ de CH. En effet, la
clitisation de l'objet dépend de la montée du verbe. Cela a conduit les créateurs de
HC à analyser moi dans 30c comme une instance d'un pronom post-verbal d'un
verbe in situ. Cet ordre s'est alors étendu aux déclaratifs, ce qui a conduit CH à posi
tionner post-verbalement et les objets pronominaux et les objets non pronominaux.
Dans ce scénario, les contraintes de la GU (par exemple les contraintes exercées par
la (non-)montée du verbe sur la (non-) clitisation de l'objet) influence le créateur du
créole dans son choix de certaines données linguistiques primaires (PLD) (par
exemple les impératifs positifs) comme déclencheurs d'un nombre limité d'options
grammaticales (par exemple, les DOCs et les pronoms objets post-verbaux).

4.2. Et l'influence du substrat ?

Dans une perspective fondée sur l'action du substrat, les schemes d'ordre des
mots en CH seraient apparus par relexification de la syntaxe du substrat. Dans l'h
ypothèse relexificationniste (Lefebvre 1986, Lefebvre & Lumsden 1992, cf. Sylvain
1936), l'essentiel de la syntaxe d'un créole émergent provient du substrat alors que
les formes phonologiques sont dérivées du superstrat 24. L'application de la thèse de
la relexification à la syntaxe verbale de CH n'est pas déraisonnable puisque les
langues kwa (du groupe Fôn-Gbe 25 en particulier) sont susceptibles d'avoir exercé
une influence importante sur diverses propriétés du créole pour des raisons

24. Sylvain conclut son ouvrage par la phrase désormais célèbre ; « Nous sommes en présence d'un fran
çais coulé dans le moule de la syntaxe africaine ou [... ] d'une langue éwé à vocabulaire français ».
Cependant Sylvain accepte davantage que Lefebvre & Lumsden la possibilité d'une influence de FR
populaire et dialectal des XVIe et xvne siècles dans la syntaxe de CH, en parallèle avec une influence ouest-
africaine (cf. Sylvain 1936 : 138 et suiv. pour des observations sur les similitudes entre le FR et le CH dans
le domaine du syntagme verbal).
25. Le fôn(gbe) « langue du peuple Fôn (ainsi que l'ewe, le gè, le mina, l'aja etc.) appartient au groupe
dialectal Gbe de la branche Kwa de la famille Niger-Congo. Le gbe est parlé au Bénin, au Togo, au Ghana
et au Nigeria.

105
linguistiques et socio-historiques (Lefebvre & Lumsden 1992 et Singler 1993, mais
cf. Arends 1995 qui manifeste des points de désaccord quant à la prépondérance de
l'(ewe-) fôn dans la genèse de CH) 26.
Un inventaire (très) sommaire des faits linguistiques pertinents provenant du
groupe de langues fôn-gbe ne semble pas étayer une explication en termes relexi-
ficationnistes, à la manière de Lefebvre & Lumsden, dans le domaine des
constructions verbales de CH. Il me semble pourtant que l'on peut postuler une cer
taine influence du substrat associée à celle du superstrat comme cela a été esquissé
en 4.1.

4.2.1. Temps-Mode-Aspect en fôn

Si l'on recherche des équivalents fôn aux exemples de CH fournis dans la


deuxième partie de cet article, des similitudes séduisantes se dégagent entre les
deux langues en matière de placement verbal. Tout d'abord, les verbes fôn ne pré
sentent aucune flexion temporelle ni aucun phénomène d'accord. Les marqueurs
TMA du fôn, à l'instar de ceux du CH, sont des morphèmes non affixes en position
pré-verbale (Avolonto 1992). De plus, comme l'indiquent Déchaine (1991) et
Avolonto (1993), le fôn manifeste des effets factitifs qui ressemblent à ceux attestés
en CH, ainsi des similitudes remarquables des systèmes Temps-Mode- Aspect 27.

4.2.2. Le placement des « adverbes » en fôn

En 31a, ko, signifiant « déjà » est toujours pré-verbal (Avolonto 1992) ; cf. CH déjà
en 31b28-29.
31. a. Sunu lé ko lï àwù lé (fôn)
hommes les déjà repasser vêtements les
les hommes ont déjà repassé les vêtements

26. Selon Singler (1993 : 243), « Dans la première période, jusqu'en 1710, le plus important (mis en italiques
de MD) groupe d'Africains importés à Saint Domingue était probablement Kwa, tout particulièrement
Ewe-Fôn ». Cependant, en croisant une étude récente de Postma (1990) et les propres calculs de Singler
et ses suppositions et données, Arends (1995 : 86) soutient que les esclaves Ewe-Fôn « ne représentent pas
plus de 2500 d'un total d'esclaves importés qui dépasse les 100 000 dans la période qui précède 1700,
c'est-à-dire moins de 2,5 % » (mis en italiques par MD). Ces citations illustrent les difficultés que rencont
rentles explications de la genèse des créoles qui s'appuient trop exclusivement sur des facteurs externes
souvent insaisissables.
27. Les verbes fôn connaissent d'autres processus morphologiques non attestés en CH comme certains
usages de la réduplication verbale par exemple, cf. Fabb (1992).
28. En partie à partir de l'étude de la distribution de ko, Avolonto (1992, ch. 4) soutient que le fôn ne pos
sède pas de règle de montée du verbe, sauf dans le cas de certaines constructions avec des impératifs
(ch. 5). Cf. cependant infra sur la nécessité d'une règle de montée du verbe en rapport avec le placement
de l'objet.
29. En 31, les déterminants post-nominaux en fôn et en CH illustrent l'action d'un transfert de la langue
substrat vers la grammaire de CH, cf. Lefebvre & Lumsden (1992).

106
b. Bouki deja pase rad yo (CH)
Bouki déjà repasser vêtements le + PL/3PL
Bouki a déjà repassé leurs/les vêtements
Pour Avolonto (1992), ko est adjoint à la gauche de VP ou de syntagmes dont les
têtes sont des têtes aspectuelles, en fonction de sa portée. Cependant, Kasangati
Kinyalolo m'indique (communication personnelle 26.07.94) que « ko (ainsi que
d'autres éléments de type adverbial attestés en fôn entre le sujet et le verbe) pourr
aitêtre une sorte de tête aspectuelle qui serait traduite en anglais ou en français par
un adverbe ». Kinyalolo ajoute que « tous les (autres) adverbes seraient adjoints à la
droite (mis en italiques par MD) de VP ou de IP ». Da Cruz (1992 : 21) traite égale
ment ko comme un « marqueur aspectuel ». (cf. Avolonto (1992) pour une analyse
des marqueurs pré-verbaux du fôn).
Il est à relever que tous les adverbes de CH adjoints à la gauche de VP ne pré
sentent pas tous une interprétation aspectuelle. Les adverbes internes à IP non
aspectuels de CH incluent prèske (presque), si tèlman (si tant), trè (beaucoup), tro
(trop), hyen (bien), mal (mal). CH hyen présente une distribution différente de celle
de son équivalent fôn en position finale de proposition, gànji.
32. a. Elèv la byen konn leson an (CH)
élève le bien connaître leçon la
b. Az5 mé ví э run nù kpíklón 5 gànji (fôn)
élève le connaître matière apprendre Particule bien
finale de
proposition
L'élève connaît la leçon bien
En 32b, gànji 1леп' est nécessairement en position finale de proposition (Kasangati
Kinyalolo, communication personnelle 26.07.94) alors que byen en 32a est attesté en
position pré-verbale, autant qu'en position finale de proposition. De même, l'as-
pectuel déjà de CH peut apparaître en position finale de proposition, ce qui n'est pas
le cas de ko du fôn 30.

4.2.3. Le placement de la négation en fôn

La négation phrastique en fôn se manifeste à travers un ensemble complexe de


schemes que je ne peux qu'esquisser ici (cf. Da Cruz 1992 qui en fournit une étude
détaillée). La négation phrastique du fôn s'exprime soit à l'aide du marqueur de
proposition finale a ou à l'aide du morphème pré- verbal ma. Ce dernier morphème
se combine à son tour avec des unités qui occupent la position finale d'énoncés,
d'où par exemple les combinaisons, тя-VP-d, má-VP-né, má-VP-gé etc., sujettes à
diverses contraintes interprétatives et distributionnelles (cf. da Cruz 1992). Le fait

30. De nombreux adverbes de CH peuvent apparaître en position finale de proposition, deja, toujou, byen,
mal. Cependant quelques adverbes de CH qui s'insèrent dans VP comme janm (jamais), prèske (presque),
si tèlman (si tant que..), trô (trop), sont attestés exclusivement en position pré-verbale.

107
crucial est que ma précède toujours le verbe. Ainsi, le verbe et son complément sont
adjacents en fôn (comme en CH et différemment de FR). Voici l'un des exemples de
da Cruz (da Cruz 1992 : 5) :
33. a. Ní kókú ma dû àson à (fôn)
si Koku NEG manger crabe NEG
si koku n'a pas mangé le crabe...
b. *Ní kókú dû ma àson a (fôn)
si Koku manger NEG crabe NEG
si koku n'a pas mangé le crabe. . .
ma est analysé par Lefebvre et Lumdsen (1992) et da Cruz (1992) comme étant dans
le Spec de syntagmes à tête finale (NegP selon Lefebvre et Lumdsen et IlKocutio-
nary)P d'après da Cruz), tête éventuellement remplie par les morphèmes qui occu
pent la position finale d'énoncé évoqués supra. Cela est différent de NegP à tête
initiale de CH, dont la tête est pa (cf. DeGraff 1993) ; quant à FR, selon Pollock
(1989), pas s'y trouve dans la position initiale de Spec(NegP) ne constituant la tête
de NegP.

Ainsi, il est possible que le fôn ait influencé la syntaxe verbale de CH à travers
la syntaxe de ses adverbes internes à IP (ou de ses éléments de type adverbial) et de
sa négation interne à IP, sans doute à l'occasion de l'apprentissage de FR par des
locuteurs adultes, locuteurs natifs de fôn. On doit signaler pourtant que le plac
ement pré-verbal obligatoire de fôn ko s'oppose au positionnement pré-verbal et en
fin de proposition de CH déjà tandis que le placement en fin de proposition des
adverbes fôn comme gànji (bien) en 32b se différencie de celui, éventuellement pré
verbal, des adverbes correspondants de CH comme byen (32a). De même la syntaxe
de la négation en CH se distingue fortement de celle de la négation en fôn. La dis
tribution des SN objets du fôn soulève d'autres questions à l'endroit d'une
approche de la syntaxe verbale de CH en termes de substrat.

4.2.4. Le placement des objets en fôn (et en gbe)

Alors que le positionnement de l'adverbe et de la négation en fôn peut être à


l'origine de certains aspects de la syntaxe verbale de CH, les données à propos du
placement de l'objet en fôn (et dans d'autres langues gbe) indiquent les limites de
l'hypothèse de l'influence fôn en CH. La syntaxe verbale du fôn est censée présent
er les trois caractéristiques suivantes : (i) une règle de mouvement à gauche interne
à Г1Р de l'objet ; (ii) la règle de mouvement citée en (i) différencie les NPs pleins et
les pronoms toniques des pronoms atones ; (iii) les pronoms portent explicitement
des marques morphologiques casuels. CH ne manifeste aucune des propriétés (i),
(ii), et (iii) ; FR manifeste (iii) et la clitisation de l'objet en FR recouvre quelque peu
(ii) ; FR autorise des objets préverbaux (ce sont des pronoms atones en FR alors que
ces objets préverbaux en fôn sont des NPs pleins et des pronoms atones). Je vou
drais aborder enfin des aspects particuliers de la règle de mouvement de l'objet en
fôn qui distingue la syntaxe verbale du fôn (et d'autres langues gbe) de celle de CH.

108
Le fôn (et au-delà les langues gbe) connaissent un ordre des mots canonique
SVO (cf. 34, adapté de Fabb 1992 : 2), tout comme Fr et CH 31.
34. a. Un chi rmlînkun (fôn)
Je mange riz
Je mange du riz
Cependant, en fôn, comme en ewe et dans d'autres langues gbe, le verbe doit sy
stématiquement suivre son NP plein ou des objets pronominaux toniques /emphat
iquesdans certains contextes syntaxiques précis, par exemple au progressif,
comme en 35 (d'après Kinyalolo 1992 : 39, mais cf. également Fabb 1992), et dans les
propositions de but en gbé, comme en 36 (d'après Kinyalolo 1992 : 37). Dans des
contextes identiques, un objet pronominal atone se réalise en position post-verbale
en fôn 32.
35. a. Un dp ntólinkún
nrôlinkun cjú
dû wè (fôn)
Je être riz manger CFP
b. *Un dp chí m51inkún wè
Je être manger riz CFP
36. a. Yé 4ídó
djdó nyè xô gbé (fôn)
Ils prendre le chemin
chei moi (tonique) battre CFP
b. * Yé c\ídó xô nyè gbé
Ils se sont mis en route pour me battre
Comme 36 l'indique, les objets pronominaux du fôn obéissent aussi à l'alternance
syntagmatique OV, suivant des contraintes selon la nature des pronoms, contraintes
évoquées par Fabb (1992) et Kinyalolo (1992). En 36, nyè est la forme tonique de
1SG ; sa contrepartie atone, mi, en 37 (cité d'après Kinyalolo 1992 : 37), est obliga
toirement post-verbale, en position d'enclitique du verbe (Fabb 1992 : 21, Kinyalolo
1992 : 38), alors que le verbe xô frapper connaît une réduplication (Fabb [1992] ana
lyse longuement la réduplication en gbe).
37. a. Yé cjídó xïxô mi gbé (fôn)
Ils prendre le chemin battre me CFP

Alors que FR et les dialectes gbe, les principales langues sources de CH, four
nissent de nombreux exemples de l'ordre NPOb-V avec des pronoms clitiques dans

31. L'ordre des mots en fôn est différent de celui des langues kru du type OV comme le vata et le gbadi,
étudiées par Koopman (1984). Dans ces langues kru, VP présente une tête en position finale et IP une tête
en position médiane. L'ordre S-Vj-[vp t...] (c.-a.-d. VO) (dans les propositions radicales et enchâssées)
apparaît à travers le mouvement V-à-I lorsqu'INFL est vide, autrement (quand INFL est occupé par un
auxiliaire, AUX) l'ordre sous-jacent émerge, à savoir S-[pAUX]-[vp. . . V] (c.-à-d. OV) ; cf. Koopman (1984).
Dans les langues gbe, OV n'est pas l'ordre sous-jacent mais il émerge dans quelques contextes limités
(par exemple avec des progressifs) à travers le mouvement des objets. Avec des verbes à double objet (Ог
et O2), l'ordre dérivé est S-...- Oa-V-O2 (Fabb 1992 : 31 et suiv), et non S-...-OrO2-V, ce à quoi l'on aurait
pu s'attendre si les langues gbe possédaient un ordre sous-jacent OV. Fabb (1992) détaille les arguments
qui s'opposent à l'idée d'un ordre sous-jacent OV dans les langues gbe.
32. En fôn, des séquences NPOb.-V sont aussi attestées après des verbes signifiant « commencer », « finir »,
« arrêter », « pouvoir », « savoir », « refuser », « faire »/ «ordonner » etc. (Fabb 1992 : 6-7).

109
le premier cas, et avec des NPs pleins et des pronoms toniques dans l'autre cas, CH
ne manifeste nullement un tel ordre. On peut affirmer que la séquence NPOb-V
représente un domaine où un scheme du substrat n'a pas été relexifié en CH.
En dépit de divergences dans le détail des analyses, Kinyalolo (1992) et Fabb
(1992) considèrent que les séquences NPobj-V constituent des instances de mouve
mentd'objet hors de VP vers le spécificateur de la tête supérieure. Si l'on envisage
la proposition de Holmberg (1985) que de tels mouvements d'objet (object-shift)
impliquent des montées de V, alors de tels mouvements en fôn requièrent une
montée de V explicite 33/ M> 35. Si tel est le cas, le fôn se sépare alors de CH par rap
port au réglage du paramètre de mouvement du verbe. La morphologie et la syn
taxe des verbes et des pronoms (objets) constituerait un domaine où CH se sépare
de ses ancêtres d'Europe et d'Afrique de l'Ouest.

5. Conclusion

Cet article a tenté de montrer les conséquences syntaxiques de l'absence de mor


phologie flexionnelle sur l'ordre des mots dans le syntagme verbal du créole haï
tien. Le mouvement explicite de V et la clitisation du pronom objet sont attestés en
FR (cf. Emonds (1978), Pollock (1989), Déprez (1989), Kayne (1989a, 1991) etc.), la
langue superstrat de CH. On a soutenu qu'en fôn-gbe, langue de substrat, la
montée de V et le déplacement vers l'avant (fronting) de l'objet sont également attes
tésdans certains contextes (cf. Fabb 1992, Collins 1993). Dans le domaine de IP, le
CH ne semble posséder ni mouvement de V (vers la tête de IP), ni clitisation de
l'objet, ni déplacement de l'objet vers l'avant. CH se différencie de FR et du gbe par
l'absence de mouvement des objets vers la gauche de V. À mes yeux, ces différences
sont sûrement dues au fait que CH ne dispose pas du degré nécessaire de mor
phologie flexionnelle 36. Puisque CH ne dispose pas de montée de V, en égard à la
généralisation formulée par Holmberg, on s'attend à ce que CH ne dispose pas
d'objets pré-verbaux (cf. 3.3). Une approche P&P de la morphosyntaxe de CH est
susceptible d'expliquer pourquoi CH se différencie si nettement de ses langues
sources par rapport au placement des objets. De fait, la théorie nous enseigne que

33. Kinyalolo (1992) considère que le fôn ne présente pas de montée de V mais Fabb (1992) et Collins
(1993) posent des arguments indépendants pour établir qu'il y a montée de V en gbe. Avolonto (1992)
pose l'existence une montée de V dans les seules constructions imperatives.
34. Cf. Chomsky (1993 : 18-19) pour une analyse du lien entre mouvement de l'objet {Object-Shift) et
montée de V, et 3.3. Cf. également Bobaljik (1995), qui dans une proposition morphosyntaxique récente,
tient compte de la différence entre les langues SVO et SOV (cf. aussi la note 13).
35. Beaucoup de questions demeurent à propos de la montée du verbe en fôn et en gbe. Le fait majeur
est que le gbe manifeste des alternances dans sa syntaxe verbale qui sont absentes en CH. Je remercie
Kasangati Kinyalolo pour des discussions éclairantes.
36. Ce constat est incompatible avec les prévisions de Lefebvre et Lumdsen (1992) en ce qui concerne
l'ordre des mots et la relexification. Lors de la comparaison des pronoms CH et fôn qu'elle entreprend,
Lefebvre (1986 : 292) n'évoque pas les différences de placement des objets pronominaux dans les deux
langues.

110
des mouvements d'objet internes à la proposition et la clitisation ne peuvent exis
teren l'absence de certaines flexions morphologiques et de montée de V.
La divergence décrite entre CH et ses langues sources est parfaitement éclairée
par les leçons des études diachroniques et de l'acquisition du langage à propos des
effets de la « perte » de la flexion verbale. J'ai signalé à plusieurs reprises des cor
rélations entre morphologie et syntaxe relevées en diachronie et dans l'ontogenèse
du langage. Cet article veut illustrer l'idée que certains aspects de la genèse des
créoles peuvent être mieux saisis par une appréhension des conséquences syn
taxiques des changements morphologiques dans l'écologie des contacts de langue.
Étant donné la réduction en morphologie flexionnelle, les contraintes de la GU
poussent l'apprenant à se concentrer sur certains schemes des données linguis
tiquesprimaires, qui agissent à leur tour comme des déclencheurs pour fixer cer
taines options grammaticales. En l'espèce, des schemes de la syntaxe verbale
rapprochent la pidginisation/créolisation de l'évolution diachronique et de l'a
cquisition du langage (cf. DeGraff 1999a, d). Dans une telle perspective, les langues
créoles ne sont rien de plus que « le produit de certaines circonstances (socio-his
toriques) exceptionnelles associées à des ressources linguistiques ordinaires qui
appartiennent à la faculté de langage humaine » (DeGraff 1999b : 11).

Traduit de l'anglais far Daniel Véronique.

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