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Varela 

: L’inscription corporelle de l’esprit Synthèse J.Karsenti

Francisco Varela (L'inscription corporelle de l'esprit): absence de fondement, enaction, structure du


cerveau et expérience, circularité, inscription corporelle de l'esprit, divorce science et expérience,
bouddhisme, présence/conscience, coordination du corps et de l'esprit, errance, attitude abstraite de la
science, armure, réflexion incarnée, point de vue de nulle part, réflexion auto-englobante, dés-
apprentissage, avidité pour les fondements, illusion d’un moi permanent etc.

L’homme occidental est un être qui a du mal à vivre l’absence de fondement à laquelle nous convient
l’éclatement actuel des valeurs et la science contemporaine.
Cette détresse l’amène à rechercher avec avidité un fondement impossible qui serait comme l’ultime vérité
sur le réel, la vie, l’homme. Dans cette recherche, l’individu va opter pour un absolu, forme de cuirasse à
l’incertitude, système défensif, attitude abstraite coupée du réel, coupée de sa propre réalité. Pour sortir
de cette impasse, la présence consciente ou pleine conscience du bouddhisme peut constituer une voie
intéressante pour les occidentaux. En effet en nous aidant à retrouver la coordination esprit-corps, elle
nous permet de retrouver la satisfaction liée à notre plénitude reconquise, d’accepter alors la pluralité des
points de vue et le fait qu’il n’y a pas de fondement ultime.

L’absence de fondement est liée au fait que nous ne pourrons jamais atteindre la réalité absolue, telle
qu’elle serait en soi, que ce soit la réalité du monde, de l’homme ou celle de l’esprit de l’homme. Nous ne
pourrons pas atteindre la réalité en soi parce que le monde émerge de l’interaction entre notre esprit et
notre expérience comportementale du monde.
Nous n’inventons pas le monde, mais il est irrémédiablement teinté par la structure de notre cognition,
comme la structure de notre cognition est teintée aussi par notre expérience et notre comportement dans le
monde. Nous co-naissons avec lui dans une « enaction » qui pose à la fois l’esprit et le monde.

Même si nous prenons une conscience réflexive de cette interaction entre notre expérience du monde et
la structure de notre cognition, nous n’échappons pas encore à cette interaction.
La structure de la cognition du penseur, qui pense être totalement objectif grâce à sa distance réflexive, ne
peut constituer un point de vue de nulle part. Un point de vue de nulle part manifeste une illusion. Il
exprime une attitude abstraite coupée de notre insertion inéluctable et changeante dans le réel. Il véhicule
une prétention à l’objectivité pure qui n’est plus recevable. C’est comme si l’esprit pouvait se situer en
dehors de la vie, du vécu, en dehors de son inscription corporelle, en dehors de son expérience du monde.

La science est une construction sans fin, un raffinement infini entre la structure de notre cognition et notre
expérience corporelle du monde en perpétuel changement. Elle ne nous donnera jamais le monde tel qu’il
est en soi. Ce sera toujours un monde pour nous, provisoire, à l’image de nos possibilités d’action sur lui.
Il y a une circularité radicale. Nous n’échapperons pas à cette expérience du monde qui n’est pas le
monde en soi. La science n’est que l’histoire de ce couple structurel qui enchaîne la structure de notre
cognition, la structure de notre manière de connaître et notre expérience du réel. Nous ne pouvons espérer
trouver un fondement ultime malgré notre avidité pour des fondements absolus. Le monde occidental, avec
la religion d’abord, puis avec la science issue des Lumières a cru à la possibilité d’atteindre l’ultime
fondement, mais aujourd’hui, avec ce que nous savons de l’histoire des sciences, cette hypothèse n’est plus
recevable.
Pourtant nous semblons y tenir et c’est ce qui engendre la fracture actuelle entre la science et
l’expérience, entre l’objectivité pure revendiquée et le subjectivisme posé comme valeur absolue. Le
scientifique dénie toute valeur à notre expérience du monde alors même qu’il a besoin de se référer à cette
expérience pour justifier son discours, pour lui donner du sens. D’un autre côté, jugeant la science trop
éloignée de son expérience du monde, l’individu absorbé par sa subjectivité, ne voit pas que lui aussi se
coupe de cette autre dimension qui nous appartient et qui, seule, peut éclairer son vécu. Il dénigrera la
valeur de la science alors que son discours présuppose son existence pour garantir sa véracité. Il ne voit
pas que le relativisme qu’il veut privilégier à travers sa subjectivité reste une prétention à un fondement
ultime. Ces deux attitudes constituent des armures pour se protéger de l’absence de fondement, mais aussi
une fermeture mutuelle à l’inscription corporelle de notre esprit et à son caractère évolutif.

Dans un tel contexte occidental, le bouddhisme pourrait constituer une aide pour accepter l’absence de
fondement. Le bouddhisme nous montre que l’esprit a tendance à errer, à ne plus être présent à ce qu’il
vit. De ce fait, il est toujours à côté de son expérience vécue. Cette non présence au vécu crée une
insatisfaction et une illusion qui nous amènent à chercher une satisfaction, un absolu dans une réflexion
désincarnée qui nous permettrait d’échapper à notre manque et à la finitude de nos expériences. Nous
nous enfermons alors, comme ultime refuge, dans un moi obsessionnel que l’on croit permanent,
stable, à partir duquel nous pouvons juger de la vérité de toute chose, moi malheureusement
illusoire et changeant au travers de son inscription corporelle et de ses possibilités d’action dans le monde.

Prendre conscience de l’errance de notre esprit, c’est déjà être davantage présent à notre expérience, à
notre vécu, c’est désapprendre l’errance, c’est goûter la pleine conscience avec ce moi transitoire, accepter
que nous soyons immergés dans l’infinité des interactions de l’univers, accepter de vivre l’absence ultime de
fondement qui donne une ouverture respectueuse sur le monde et sur les autres.

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