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GC3 MAHL323 : ANTHROPOLOGIE DE L´ESPACE

LES REPRÉSNTATION SOCIALE DE L´ESPACE NATUREL : Le paysage, la mer et


la montagne (suite)

II . LA MER ET LA MONTAGNE

Il nous a semblé qu’au point de départ il existait aussi entre mer et montagne un ensemble
de connivences1 que l’on ne discerne pas nécessairement à travers d’autres espaces considérés
comme naturels à l’instar des forêts, des marais, des déserts, des zones fluviales ou lacustres.
Mais comment les aborder lorsque l’on ne sait pas vers quelles perspectives précises orienter la
recherche ? Un recours aux dictionnaires, anciens ou nouveaux, peut s’avérer instructif. Sans
tous les ouvrir, on se contentera des bornes extrêmes.

• Richelet P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, Genève, J.-H. Wider,
1680.

On peut lire à l’entrée Mer « assemblée de toutes les eaux qui sont sous le ciel » et à
Océan « amas d’eaux qui environnent toute la terre ».

Montagne, quant à elle, renvoie à Mont où, en guise de définition, l’on peut lire sans
explication : les monts pyrénéens, le mont Saint-Claude, le mont Parnasse…

• Plus fourni en apparence, le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés,


dirigé par Jacques Lévy et Michel Lassault et publié en 2003, propose pour Mer :

« L’horizon parfait de l’être humain debout sur la terre, le littoral étant placé dans la position
paradoxale de l’unité absolue et de l’ouverture. »

Et pour Montagne :

« Forme de relief saillante caractérisée par des altitudes, des formes et des volumes qui font
l’objet de conventions variables selon les contextes. »

Perception Humaine Des Notions de Mer et Montagne

1
Complicité par tolérance et dissimulation d´un mal qu´on doit ou qu´on peut empêcher
On remarquera aisément l’imprécision structurelle qui préside à la qualification de ces
notices, leur subjectivité en dépit de l’appel aux conventions et, en fin de compte, l’importance
de la perception humaine essentielle pour la mesure de ces notions. Soit négativement
« longtemps mers et océans furent placés hors de l’espace humain ; longtemps la montagne
s’apparenta à une association de sauvagerie et de nature », soit positivement grâce à la
dimension anthropologique affichée.

C’est justement à partir de ce rapport à la culture que nous placerons cette brève
présentation puisque, à côté de la très inégale exploitation économique, c’est elle qui humanise
ces espaces et les revêt de dimensions particulières que nous regrouperons autour de trois
thèmes qui n’épuisent pas la question.

Autre Associations Entre Mer Et Montagne

Mer et montagne, au regard de leurs significations culturelles, sont des espaces ; mais ne
pourrait-on ici employer le mot « territoire » ? de contradictions similaires où la présence du
tremendum2 et du fascinans3 les ancre comme des « lieux » de forte sacralité. Longtemps perçus
comme des espaces d’indétermination, de dimension infinie, de limites totalement incertaines,
ils formaient comme des figures propres à symboliser l’inachèvement de la nature où l’on
croyait pouvoir lire « les grandes ruines du premier monde que la fureur du Déluge mit là
autrefois sens dessus dessous » (Thomas Burnet). Car les terribles réminiscences4 dont l’un et
l’autre pouvaient faire preuve renvoyaient aisément aux résonances réactualisées du chaos
originel, toujours prêt à resurgir au milieu des flots ou à désagréger les versants. Mer et
montagne constituèrent alors des sortes de réserves tératologiques entre dragons océaniques ou
alpins et animaux monstrueux, mangeurs d’hommes et dévoreurs d’âmes, dont la présence
restera encore largement attestée par la littérature du second XIXe siècle, de Victor Hugo à Jules
Verne.

Après la seconde moitié du XVIe siècle, il se développe, surtout en pays réformés mais pas
seulement, une théologie naturelle pour laquelle mers et montagnes deviennent des réservoirs
de preuve et où les éléments négatifs qui les caractérisent se trouvent inversés. Ce spectacle
spirituel de la création s’effacera lentement devant les ambitions scientifiques de lire et de

2
(Latin) Le tremendum est l´effroi ou la terreur de la divinité,
dans tout ce qu´elle a d´incompréhensible et de mystérieux
3 (Latin) Fascinans : Qui fascine, charme
4
Emprunt plus ou moins conscient fait par l´auteur d´une œuvre á d´autres créateurs
comprendre le monde autrement. Les botanistes embarqués dans les expéditions de
Bougainville, Cook ou de La Pérouse et, avant eux, les naturalistes parcourant les pentes
alpestres, trouvent ici des terrains privilégiés d’expérimentation démonstrative. Il y a donc bien
une histoire religieuse et une histoire des sciences de l’Europe qui peuvent se donner à lire par
le biais des contradictions maritimes et montagnardes.

Une deuxième forme d’association touche aux réalités sociales, elles aussi porteuses
d’images contrastées. Mer et montagnes furent longtemps regardées comme des espaces
inhumains ou mal humains, pour les marges ou les hauteurs qui y étaient habitées. Elles
n’étaient que des lieux de passage obligés pour la circulation des hommes ou des marchandises,
des zones de production plus ou moins importantes, entre un peu d’or et beaucoup de morue.
Mais l’essentiel consistait bien à les tenir pour des terrains instables et les individus ou les
groupes qui les fréquentaient pour des populations nomades, migrantes, suspectes aussi puisque
plus réceptives que d’autres aux idées incontrôlées qui pénètrent par les ports et les cols. Face
à ces considérations peu amènes, il existe pourtant une version beaucoup plus positive,
notamment au cours du XVIIIe siècle à la recherche de modèles sociaux originaux sinon
originels. Les réalités montagnardes, leur isolement, la gestion des ressources auraient suscité
et entretenu l’établissement de petites « républiques » égalitaires exemplaires tandis que les
découvreurs du Pacifique rapportent l’existence idyllique5 des peuples insulaires jouissant
d’une large et harmonieuse autonomie morale. Dès lors pour un temps, égalité et liberté riment
avec montagne et mer selon un déterminisme plus ou moins consenti. En cela se dessine la
contrepartie aux errances farouches de peuples insoumis, cruels et barbares.

En effet, il convient d’insister sur le double statut de la représentation. D’une part, la culture
occidentale n’a cessé de produire des représentations du monde social puisque la mer et la
montagne n’existent que par rapport aux sociétés qui les explorent et se les approprient (ce
qu’on appelle faute de mieux les « représentations collectives »). Mais d’autre part, ces
représentations agissent en retour sur le monde (l’extériorité comme le monde social) par
l’action fortuite ou concertée des agents sociaux, qui détermine ensuite la production de
nouvelles représentations. Or, les représentations ne peuvent pas uniquement être analysées

5
Amour naïf, tendre vécu
comme un ensemble de ressources précédant l’action et lui donnant sens. C’est plutôt
l’identification des systèmes de contextes dans lesquels s’inscrit le jeu social qui permet de
conférer du sens. Si nous insistons ainsi sur le réel concret, c’est que l’historien ne peut éviter
de s’interroger sur le statut à accorder aux représentations. En effet, pour éviter de les enfermer
dans le discours, pour s’empêcher de feindre qu’elles sont réductibles à du discours, il est
nécessaire de donner aux représentations un arrimage solide dans une réalité sociale. C’est pour
cette raison qu’au lieu d’opposer facticement subjectivité et déterminations objectives, les
organisateurs se sont attachés à proposer un ordre des communications qui tend à montrer que
les représentations sont toujours mobilisées dans des situations historiques concrètes. Les
sociétés sont ce qu’elles disent être et ce qu’elles ignorent qu’elles sont pour reprendre une
formule maintes fois exploitée. Autrement formulé avec Bernard Lepetit, les hommes ne sont
pas seulement au monde occupés à des activités codificatrices mais ils sont entre eux et, par
conséquent, ne vivent pas « dans un univers de représentations indifférent aux situations dans
lesquelles elles se trouvent activées ». C’est pourquoi il est apparait comme fondamental de
nous interroger sur les modalités de la production des connaissances sur la Mer et la Montagne.

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