Vous êtes sur la page 1sur 19

LA GESTION DE L'EAU AU LIBAN : UNE RÉFORME CONFISQUÉE ?

Stéphane Ghiotti, Roland Riachi

Éditions de l'EHESS | « Etudes rurales »

2013/2 n°192 | pages 135 à 152


ISSN 0014-2182
ISBN 9782713223983
Article disponible en ligne à l'adresse :

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2013-2-page-135.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

!Pour citer cet article :


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Stéphane Ghiotti, Roland Riachi, « La gestion de l'eau au Liban : une réforme confisquée ? »,
Etudes rurales 2013/2 (n°192), p. 135-152.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de l'EHESS.


© Éditions de l'EHESS. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des
conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre
établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière
que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en
France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


LA GESTION DE L’EAU Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

AU LIBAN :
UNE RÉFORME
CONFISQUÉE ?
entre accès aux ressources (eau et foncier),
distribution des pouvoirs, développement éco-
nomique et aménagement du territoire.
Au sein de ce vaste questionnement, deux
hypothèses seront privilégiées. La première
considère que les catégories foncières liba-
naises sont des constructions sociales et his-
toriques étroitement liées aux communautés
politiques qui en tirent leur pouvoir. La

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


seconde hypothèse considère que la politique
libanaise de développement fondée sur l’hy-
draulique et sur la transformation de l’envi-
ronnement a joué un rôle majeur dans les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

V
INGT ANS APRÈS LA FIN DE LA GUERRE,
qui, entre 1975 et 1990, a déchiré le tentatives d’institutionnalisation de l’État.
Liban, de nouveaux projets hydrau- La longue construction des relations entre
liques voient le jour dans ce pays. Cette nou- « territoire », « foncier » et « eau » sera ana-
velle étape dans la politique libanaise s’inscrit lysée à travers le prisme de trois périodes
dans une histoire séculaire d’efforts destinés à contemporaines illustrant ces dynamiques
maîtriser et exploiter la ressource en eau. intégratrices et supracommunautaires.
La réalisation de ces aménagements est,
d’abord, présentée comme une solution à la L’eau et le foncier : les amis du puissant 1
sous-valorisation des ressources, puis comme La fin de la Première Guerre mondiale préci-
une réponse au déficit d’eau, laquelle garan- pite le démembrement de l’Empire ottoman,
tirait de meilleures conditions d’accès et de la plupart de ses provinces passant sous le
partage. Pourtant, en 2013, le Liban ne contrôle des pays vainqueurs. Le 28 avril
comptait toujours que deux grands barrages 1920, la France est ainsi investie par la
(Qaraoun et Chabrouh), véritable anomalie au Société des Nations d’un « mandat pour la
regard des autres pays de la Méditerranée. Syrie et le Liban », ce qui conduira à la créa-
Construction nationale, gestion foncière, tion du « Grand Liban » le 1er septembre de
pluralisme juridique et histoire hydraulique la même année.
semblent ici particulièrement imbriqués. Ces La nouvelle autorité mandataire s’établit
paramètres sont également riches d’enseigne- sur un territoire où l’eau et le foncier ont
ment lorsqu’on les met en perspective avec fait l’objet d’attentions répétées depuis les
les projets développementalistes et la trans-
formation de l’environnement.
Dans cet article, nous nous demanderons 1. Nous reprenons là une expression que Geneviève
comment, au Liban, les pouvoirs successifs Béboucha a choisie comme titre d’un de ses ouvrages
ont tenté de résoudre la difficile équation [1987].

Études rurales, juillet-décembre 2013, 192 : 135-152


Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

... conquêtes arabes et durant toute la domina- efficace que de la recherche d’une délimita-
136
tion ottomane (1516-1919). tion foncière à proprement parler. Le régime
La sécurisation des espaces conquis et waqf correspond à la donation, à perpétuité,
l’ancrage du pouvoir impérial dans les villes d’un bien foncier ou immobilier qu’un parti-
et provinces de l’Empire ont profondément culier fait à une institution religieuse, une
influencé l’organisation foncière. œuvre d’utilité publique, pieuse ou charitable.
Le bien donné en usufruit est alors placé sous
RÉGIMES DE DROIT ET CATÉGORIES SOCIALES séquestre et devient inaliénable. Placé sous la
protection de la juridiction religieuse, ce sys-

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


Citant les travaux de Pierre-Yves Le Meur,
Caroline Plançon souligne qu’avant d’être un tème permettait d’éviter le démantèlement des
rapport juridique le foncier est « l’ensemble biens en figeant la propriété.
particulier de rapports sociaux ayant pour Au Liban, les trois acteurs de la propriété
foncière sont l’individu et l’État, auxquels il
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

support la terre ou l’espace territorial » [2009].


En ce sens, le foncier dépasse largement le faut ajouter la communauté. Ce triptyque est
contact de l’individu avec sa parcelle : il s’in- le fruit de l’histoire confessionnelle de ce
sère dans un contexte institutionnel, social et pays où le communautarisme est assurément
territorial dynamique. Au Liban, produits par le siège du pouvoir [Picard 1994].
une longue histoire sociale [Clerc-Huybrechts Le communautarisme est un système qui
2008], les modes d’accès au foncier sont au organise la représentation politique et le par-
nombre de trois et relèvent des régimes mulk, tage du pouvoir entre confessions religieuses
waqf et amirié. en fonction de leur poids démographique. Ini-
Ces catégories foncières identifient des tié au milieu du XIXe siècle par les Ottomans
ayants droit, populations ou groupes sociaux, influencés par les grandes puissances euro-
ainsi que des espaces. Ainsi, dans la province péennes, ce système a été scellé par les Fran-
du Mont-Liban domine très largement la çais au cours du Mandat avec la constitution
propriété privée (mulk) en raison de l’autono- de 1926 et est toujours à l’œuvre aujourd’hui.
mie dont bénéficiait cette région au sein de Georges Corm écrit :
l’Empire. Ce régime fixant le droit de pleine Du régime de 1861 aux accords de Taëf
propriété s’applique également aux espaces de 1989, le système communautaire
urbains. Les terres amirié (domaine de l’État) libanais s’est dressé comme un obstacle
sont, quant à elles, beaucoup plus présentes majeur à toute cohérence politique pou-
vant permettre l’émergence d’un État
dans les espaces ruraux comme la Békaa, le pleinement souverain et maître de ses
Liban-Sud, le Hermel ou le Akkar, considérés destinées [2005 : 31].
comme périphériques par rapport à la mon-
tagne libanaise, cœur historique du pays. La Pour reprendre la typologie proposée par
particularité de ces terres tient au fait que, sur Pierre-Yves Le Meur [2002], la compétition
une longue période, leur gestion a davantage foncière se joue entre ceux qui luttent pour
relevé de la mise en place d’un système fiscal l’accès aux ressources et ceux qui en
La gestion de l’eau au Liban : une réforme confisquée ?

contrôlent l’accès. L’État libanais se retrouve RÉFORMES FONCIÈRES ET ADMINISTRATIVES


...
137
donc enserré entre les communautés, et, dans SOUS L’EMPIRE OTTOMAN
une moindre mesure, entre les individus, ces Après la signature de l’accord Balta-Liman en
derniers pouvant être de grands propriétaires. 1838, l’Empire ottoman engage des réformes
Parmi les exemples les plus frappants, citons connues sous le nom de tanzimat (1839-
le cas du clergé maronite, qui s’est appuyé sur 1876) 2. Ces réformes visent à résoudre ses
le classement en biens religieux (waqf) des problèmes financiers, qui ne sont pas sans
terres cédées par les populations ou par les conséquences sur la fourniture et l’organi-
grandes familles de notables pour se constituer,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


sation des services de base, notamment l’eau
à partir du XVIe siècle, un patrimoine considé- potable. Cette politique prend parfois des
rable, représentant, à la fin du XIXe siècle, près formes radicales. Ainsi, le premier code fon-
de la moitié des terres cultivables du Mont- cier destiné à réglementer et à immatriculer
Liban [Chevallier 1959 et 1971 ; Cresswell
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

les propriétés provoque la vente de nom-


1970 ; Urbama 2010]. breuses terres amirié (terres du prince) : des
Très tôt, l’eau acquiert le statut de res- groupes d’agriculteurs aisés et une nouvelle
source stratégique en ce qu’elle influe forte- classe de commerçants urbains accèdent ainsi
ment sur la valeur de la terre. Elle oriente la à la propriété.
production économique et contribue au capital Face à la croissance démographique qu’en-
et à la rente. registre Beyrouth à la fin du XIXe siècle, les
La régulation de l’accès à l’eau a donné élites urbaines ont les plus grandes difficultés
lieu à de nombreux écrits, souvent d’inspi- à assurer l’alimentation en eau potable de la
ration religieuse. La charia déduit du droit cité. Par le firman 3 de 1870, le sultan accorde,
d’assouvir sa soif (haqq el-chifa, haqq el- pour une durée de quarante ans renouvelable,
chirb) le droit d’irriguer (haqq el-rayy) et une concession à l’ingénieur français Thévenin
d’abreuver les troupeaux. La première ten- pour « amener l’eau de Nahr el Kalb jusqu’à
Beyrouth et assurer l’approvisionnement de la
tative de réglementation de la ressource
ville en eau courante » 4.
hydrique apparaît avec le Code civil ottoman
(Medjellé) de 1875. Selon Hyam Mallat, à
l’époque ottomane, les us et coutumes, le 2. 1839 : le hatt-i serif de Gülhane ; 1856 : le hatt-i
Medjellé et le régime des concessions consti- hümayun ; 1876 : la constitution ottomane (suspendue
deux ans plus tard à la suite de la défaite ottomane en
tuaient les trois principaux corpus qui enca-
Crimée). Les tanzimat (« réorganisation » en turc et en
draient l’utilisation de l’eau [2003]. Les arabe) visaient à renforcer le pouvoir de l’État, à renou-
règles de partage et d’accès renvoyaient aux veler les pratiques administratives et à octroyer des
relations que les sociétés entretenaient entre libertés.
elles et avec leur environnement. Le « droit » 3. Édit, ordre ou permis émanant d’un souverain musulman.
résultant de ces relations était plus ou moins 4. Office des eaux de Beyrouth, « Eaux de Beyrouth.
stabilisé, renégocié et réajusté en permanence Centenaire de l’usine de Dbayeh, Beyrouth », 1996,
[Ingold 2011]. p. 14.
Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

... La prise d’eau dans ce fleuve sera problé- En s’inspirant du Code civil français et en
138
matique dans la mesure où elle modifiera la le juxtaposant à la coutume et à la charia, le
destination de l’eau (d’une vallée agricole Medjellé codifie les droits sur l’eau et sur les
jusqu’à Beyrouth) pour en réallouer les terres. Il accole les différents systèmes juri-
volumes les plus importants à la cité. Ce diques plus qu’il ne les synthétise. C’est là un
changement posera en outre la question de la nouveau tournant, le Medjellé entérinant les
reconnaissance des droits d’eau qu’avaient inégalités sociales, politiques et économiques
déjà acquis des notables et des monastères de entre les tenants des structures foncières et
la région possédant des canaux d’irrigation et

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


les autres populations. Ces dispositions rela-
des moulins. Aussi ces notables porteront-ils tives à l’existence de droits privés sur l’eau
l’affaire devant les tribunaux tout en sollici- régissent encore très largement la gestion de
tant les autorités administratives, politiques et cette ressource au Liban, notamment en milieu
religieuses. Finalement, la justice reconnaîtra
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

rural. En faisant référence à l’immatriculation


et garantira leurs droits. foncière, le Medjellé recompose et authentifie
Concession et réallocation bouleverseront
des droits et des usufruits acquis sur des eaux
la répartition de l’accès à l’eau en mettant en
que le Code qualifie de « privées ».
relation différents groupes sociaux hors du
Au XIXe siècle, pour s’adapter au Code
cadre établi, reposant sur le système confes-
napoléonien, l’appropriation de la ressource
sionnel.
Cet épisode des réformes ottomanes aura revêt donc une forme légale résultant de
une grande influence sur le secteur de l’eau : l’insertion d’injonctions dans la jurisprudence
la mise en lumière des problèmes juridiques hanafite. Durant toute cette période, les diver-
liés à cette concession et les solutions qui leur gences structurelles d’accès à la ressource dis-
seront apportées influenceront fortement le simulent de nouveaux rapports de force entre
Code civil ottoman (Medjellé). classes sociales et espaces, rapports principa-
lement issus de l’ouverture à la propriété du
LE MEDJELLÉ sol.
En 1875, l’administration ottomane promulgue
le Medjellé censé réglementer et encadrer La période mandataire française
l’ensemble des secteurs d’activité. En effet, (1920-1943)
l’usage des ressources dites naturelles a pro-
fondément évolué au cours du XIXe siècle Préparant la présence française au Levant, les
avec l’ouverture du Liban aux marchés inter- discours coloniaux du début du XXe siècle,
nationaux et au commerce mondial. Le déve- largement initiés par les scientifiques, vantent
loppement d’une agriculture d’exportation l’immense disponibilité des ressources natu-
tournée vers la production de la soie a accru relles du Liban. Dès 1919, une étude pros-
la valeur du foncier et des ressources qui lui pective réalisée par la Chambre de commerce
sont associées, dont l’eau. de Marseille au titre explicite « Que vaut la
La gestion de l’eau au Liban : une réforme confisquée ?

Syrie ? » 5 annonce les intentions du gouver- droits acquis sur les eaux faute de pouvoir
...
139
nement français, qui dépassent d’ailleurs la réellement les purger. L’arrêté 320 stipule
seule dimension économique [Khoury ed. les modalités de purge des droits acquis et
2004]. La période du Mandat met notamment les conditions d’indemnisation des expropriés.
en avant le fort potentiel agricole et hydrau- Concernant l’utilisation des eaux souterraines,
lique du territoire libanais afin d’en légiti- l’arrêté exempte de permis l’utilisateur d’un
mer l’exploitation et l’aménagement, surtout à puits sur terrain privé tant que le débit ne
partir de 1929. Il s’agissait de créer une image dépasse pas 100 m3 par jour.
magnifiée des États du Levant, qui n’auraient Cependant, l’action juridique des autorités

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


attendu que l’action bienfaitrice de la France françaises rencontre les mêmes limites que
et des investisseurs privés pour valoriser leurs celles qu’avaient rencontrées les Ottomans.
ressources. Le principe réglementaire accentue le plura-
Nous retiendrons deux domaines d’inter- lisme juridique plus qu’il ne le simplifie.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

vention du Mandat français sur les ressources Toutefois, l’entreprise coloniale ne se réduit
hydrauliques du Liban 6. pas à l’édiction de textes. Le second domaine
d’intervention a trait à l’aménagement et à
RÉGLEMENTATION ET INSTITUTIONS SPÉCIALISÉES l’équipement du territoire, avec des visées
La première intervention relève de l’action sécuritaires et militaires. Pour ce faire, le Haut
réglementaire. À l’instar des Ottomans, les Commissariat français (HCF) va s’appuyer
autorités mandataires françaises promulguent sur deux institutions semi-privées, la Régie
des textes visant à organiser un secteur de du cadastre (créée en 1926) et la Régie des
l’eau jugé peu clair et peu compatible avec études hydrauliques (créée en 1929).
leur vision de la modernité. Si ces autorités La Régie du cadastre s’emploie à mettre
reprennent la méthode ottomane, c’est pour en place le cadastre afin de fixer l’allocation
mieux la dépasser, considérant comme inopé- des terres 7. Elle a pour objectif de stabiliser
rantes les réformes entreprises jusque-là. Elles
militent donc pour des structures de propriété
stables et transparentes. Deux textes majeurs 5. Paul Huvelin, « Que vaut la Syrie ? ». Compte rendu
sont édictés, qui reconnaissent le principe de la mission française en Syrie, fascicule 1, mai-
septembre 1919.
du domaine public, à savoir l’arrêté 144 du
10 juin 1925 relatif au domaine public et 6. Par ce choix nous ne cherchons pas à occulter
l’arrêté 320 du 26 mai 1926 relatif à la pro- ou minimiser l’enjeu sécuritaire de l’ordre colonial ou
encore la question des concessions mais cherchons
tection et à l’utilisation des eaux publiques. plutôt à mettre en lumière d’autres dimensions de
L’État devient ainsi le propriétaire intégral l’action coloniale.
des ressources hydrauliques et fixe les règles
7. Arrêtés 186/LR sur le recensement et la délimitation,
de leur utilisation. 188/LR portant création du registre foncier (cadastre) et
Avec l’article 3 de l’arrêté 144, les auto- 189/LR portant sur les détails d’application de l’arrêté
rités mandataires françaises reconnaissent les 188, tous du 15 mars 1926.
Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

... les droits de propriété en établissant des titres électricité. L’irrigation permet d’influer notam-
140
de propriété. Elle participe également aux ment sur les trois piliers que sont l’occupation
opérations de remembrement et de démem- du sol, la gestion des droits d’eau et la
brement. Le HCF a voulu remplacer le Defter construction d’infrastructures destinées au
Khané 8, qui, du temps des Ottomans, consti- stockage, à l’amenée, et à la distribution et à
tuait une première forme d’administration du l’évacuation des eaux. Ces moyens imposent
cadastre. Reprenant le discours des autorités aux populations de nouvelles conditions d’accès
françaises sur la question, Jacques Weuleursse et de partage tout en assurant aux autorités

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


écrit : mandataires, ainsi qu’à leurs soutiens finan-
ciers et partisans, des retombées économiques
Nous avons vu quelle anarchie prévalait
en cette matière dans tout le Proche- intéressantes, par la vente de l’électricité
Orient ; venant après des siècles d’incu- notamment.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

rie et d’arbitraire, l’échec de la réforme


ottomane du Defter Khané n’avait fait LES LIMITES DU MODÈLE DE MODERNISATION
qu’accroître la confusion [1946 : 187].
L’archétype du bon projet consiste à exploiter
Les terres mouchaa (terres collectives au maximum le potentiel d’un cours d’eau en
appartenant au régime amirié) sont les plus développant à la fois l’irrigation et la produc-
touchées par ces opérations foncières, notam- tion électrique. Au Liban, seul l’Oronte semble
ment dans la région de la Békaa. Ces opéra- répondre à ces conditions.
tions remettent profondément en cause les Compte tenu du coût élevé de l’aménage-
anciennes traditions d’accès et de partage de ment hydro-électrique, il apparaît absolument
l’eau et des terres. Des logiques individua- nécessaire de trouver des débouchés autres
listes apparaissent et favorisent la loi du plus que la seule clientèle privée – urbaine, indus-
fort et du plus riche au profit des notables trielle ou artisanale. C’est ainsi que le secteur
résidant en ville. agricole devient un véritable enjeu. Le déve-
La protection de la propriété privée de la loppement de l’irrigation par motopompes
terre ne peut, seule, assurer aux États du
Levant la prospérité escomptée. Elle se
double d’une protection des ressources en 8. Administration qui enregistrait les transactions finan-
eau 9. cières et immobilières sur des registres. La littérature
La Régie des études hydrauliques est le sur le sujet souligne qu’il serait abusif d’assimiler cette
administration à un « cadastre » proprement dit, les
second levier actionné par le HCF dans le
opérations techniques comme la géodésie n’étant pas
cadre de son entreprise de modernisation. Elle assurées.
a pour mission de réaliser l’inventaire précis
9. Que ce soit par la constitution de 1926 ou par des
des potentialités des principaux cours d’eau lois et règlements tels que l’arrêté 3339 du 12 novembre
(Oronte, Yarmouk, Euphrate). Son principal 1930 portant le code de la propriété foncière toujours
objectif est de développer l’irrigation et l’hydro- en vigueur.
La gestion de l’eau au Liban : une réforme confisquée ?

fonctionnant à l’électricité permet d’écouler difficultés budgétaires et sécuritaires. Au cours


...
141
les surplus d’énergie produits et de rentabi- des années 1930, la métropole refuse à plu-
liser les projets d’aménagement. Dans une sieurs reprises de consentir des prêts tandis
perspective productive et spéculative, la valeur que de fortes rébellions s’installent, notam-
des terrains est revue à la hausse, et les droits ment en Syrie. Ainsi, seules les zones les plus
d’eau et la propriété des parcelles sont redis- riches et celles susceptibles d’être « facile-
tribués [Pasques 1934]. L’intensification de ment » mises en valeur bénéficient d’études et
l’arboriculture et du maraîchage commence à de projets d’aménagement (vallée de l’Oronte
transformer le paysage agricole : ces productions et des principaux fleuves ; littoral ; zones

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


remplacent les cultures pluviales jusqu’alors périurbaines).
majoritaires, dans la Békaa par exemple. Au regard de ces éléments, on peut arti-
Les questions financière et d’implication culer l’action des autorités mandataires autour
des propriétaires sont si importantes que
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

de trois piliers : expertise, loi et catégorisation


l’arrêté 320 du 26 mai 1926 relatif à la pro- de la nature. Ces autorités disqualifient le
tection et à l’utilisation des eaux publiques savoir-faire local et insistent sur le fait que les
prévoit, dans son titre VI, la création d’asso- données d’avant la Première Guerre mondiale
ciations syndicales d’intérêt hydraulique (ASIH). ne correspondent pas au niveau de connais-
Alfred Tabet écrit à leur propos : sance que requièrent les évolutions démo-
graphiques et économiques, et encore moins
En cette matière, il paraît indispensable
de s’assurer le concours financier des aux nouveaux enjeux du développement. Il
propriétaires constitués en syndicats ou s’agit de construire un savoir scientifique et
alors d’affermer les travaux d’irrigation, technique en adéquation avec les objectifs à
à charge pour la société fermière de atteindre. Pour cela, il faut abandonner les
percevoir du bénéficiaire les redevances règles anciennes et donner à cette entreprise
déterminées après accord entre elle, le
gouvernement et les intéressés [1936 :
de développement vertueux les moyens d’im-
53]. poser un nouvel ordre juridique qui passe par
la stabilisation des titres de propriété. Le pou-
Tout cela semble assez éloigné de l’idée voir mandataire définit ainsi ce que doit être
d’améliorer, pour le travailleur agricole, l’accès la nature (un potentiel qui ne demande qu’à
à l’eau : cela ressemble plutôt à un projet de être exploité), à quoi elle doit servir (approche
fructification de capitaux. L’engagement des fonctionnaliste) et comment elle doit être
propriétaires sera quasi nul, et les projets gérée (nouvelles normes).
hydro-électriques, tout comme les associations L’expertise, le droit, l’argent et les rap-
syndicales, seront des échecs patents. ports de force se combinent au gré des argu-
Cette vaste entreprise de co-modernisation mentaires, des enjeux et des objectifs. Au
(cadastre et eau) se révèle très sélective, terri- final, c’est souvent aux personnes les plus
torialement et socialement. De plus, les auto- proches des cercles de pouvoir que profitent
rités mandataires doivent faire face à des les réformes.
Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

... Indépendance nationale : modèle de la Tennessee Valley Authority


142
ruptures et continuités (TVA) 10.

Au Liban, les politiques hydrauliques sont LA DIFFICILE MISE EN PLACE


fortement marquées par le contexte géo- D’UNE POLITIQUE NATIONALE DE L’EAU
politique dans lequel elles émergent. Ayant
Après l’indépendance, la situation évolue
accédé à l’indépendance en 1943, le pays voit sensiblement avec les présidents Béchara
ses dernières troupes partir en 1946. En 1948, el-Khoury (1943-1952) et Camille Chamoun
le Liban est confronté à la création de l’État

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


(1952-1958). Comme le souligne Albert
d’Israël, dont les visées sur les fleuves du Dagher :
Hasbani et du Litani sont ouvertement connues.
À cette époque (1943-1952), le Liban
Ainsi, le secret, la sécurité et le sentiment
est considéré comme une république
national ont durablement marqué jusqu’à nos
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

marchande où règne un consortium réu-


jours la gestion des ressources en eau. Les nissant des intérêts bancaires et d’autres
années 1950-1960 correspondent à la mise en cercles d’affaires, et où la principale
œuvre de la « mission hydraulique » [Allan fonction du pouvoir est d’assurer le sou-
tien aux entreprises importantes [1995 :
2003]. Initiée durant la période mandataire,
25].
cette politique d’exploitation des ressources à
partir d’infrastructures imposantes est perçue En 1951, l’État rachète les propriétés de
comme un facteur de développement. Pour le l’ancienne Compagnie des eaux de Beyrouth
jeune État, ces grands projets sont le moyen et crée l’Office des eaux de Beyrouth. Suivant
de légitimer et d’affirmer sa souveraineté. le même principe, des offices nationaux sont
L’œuvre de l’ingénieur Ibrahim Abd El Al créés sur l’ensemble du territoire, le Trésor
illustre à la fois une forme de continuité par octroyant pour ce faire des avances pour le
rapport à l’entreprise coloniale et une certaine rachat de concessions étrangères privées. Ces
autonomie eu égard à l’espace retenu pour ce avances sont parfois accompagnées, comme
qui est de l’aménagement, dans la mesure où dans le cas des projets agricoles, par des
ses travaux porteront non plus sur l’Oronte bailleurs de fonds internationaux telle la
mais sur le Litani, symbole national par excel- Banque mondiale. Cette opération touche tous
lence. Pour contrer les ambitions du mouve- les domaines liés au développement du pays.
ment sioniste, il se tourne vers ce bassin, le
plus large du pays, qui constitue le 1/5e du 10. Modèle de développement et d’équipement global
territoire libanais. d’un bassin versant censé satisfaire tous les usages
Dans cette période « post-indépendance » (agricole, électricité, eau potable). Né dans les années
mouvementée, la politique nationale se fonde 1930 aux États-Unis, ce modèle a été, dans le cadre de
la politique étrangère, fortement publicisé durant la
sur trois axes complémentaires que sont la guerre froide sans toutefois atteindre, auprès des diffé-
nationalisation, la planification sur fond de rents pays, le succès escompté en termes de diffusion
guerre froide, et la tentative d’adoption du et d’appropriation.
La gestion de l’eau au Liban : une réforme confisquée ?

Ainsi, l’Office national du Litani (ONL) bénéficiaires à payer pour ne recevoir qu’une
...
143
est créé à la demande de la mission d’assis- quantité d’eau déterminée. C’est pourquoi on
tance américaine (Point IV). Il est chargé préfère creuser un puits sur son terrain privé,
d’entreprendre les travaux du barrage de sans déclaration, et les débits pompés dé-
Qaraoun et des tunnels hydro-électriques passent souvent les autorisations. Le manque
inter-bassins, le projet étant financé par la de moyens et de personnel rend les contrôles
Banque mondiale. L’objectif est de créer une difficiles, sans parler de la bienveillance, voire
TVA arabe sur le modèle de la Tennessee. de la corruption, dont fait preuve l’adminis-
Cet aménagement est suivi de près par le tration.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


Bureau of Reclamation américain et bénéficie
d’une assistance technique en raison de la LA PLANIFICATION :
position stratégique qu’occupe le Liban dans REMÈDE OU SIGNE D’IMPUISSANCE ?
le cadre de la guerre froide. Malgré tout, le
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

La planification est perçue comme un remède


projet est modifié maintes fois pour des rai- face à l’augmentation des inégalités sociales
sons géopolitiques, tant à l’échelle nationale et territoriales mais aussi comme le moyen
qu’à l’échelle internationale [Sneddon et Fox d’imposer l’État face aux logiques commu-
2011 : 455] 11. nautaires.
La stratégie de développement des équi- Engagé lors de la période précédente, ce
pements et des infrastructures se heurte au mouvement s’intensifie avec l’arrivée au pou-
système confessionnel sans que ce dernier voir du président Fouad Chéhab (1958-1965).
n’épuise toutefois la globalité d’une situation À l’exemple de ce qui se passe en France à
très complexe marquée par la guerre froide la même époque, cette planification se déve-
et la faiblesse des moyens budgétaires. De loppe à grande échelle et les investissements
plus, cette stratégie ne s’accompagne d’aucune publics s’accroissent dans tous les domaines
réforme juridique d’envergure. Les efforts (santé, éducation, agriculture, eau, etc.). En
consentis n’empêcheront pas une grave crise 1964, les dépenses publiques s’élevaient à
sociale d’éclater en 1958, due à de profondes un tiers du revenu national. Selon l’IRFED 12,
inégalités entre l’hypercentre beyrouthin et les en 1960, 4 % de « très » riches accaparaient
périphéries du pays :
En 1956, 70 % des villages libanais ne
disposent pas de l’eau courante [...] en 11. Pour des raisons politiques, la mission du Point IV
1958, la distribution d’eau potable porte aurait, contre l’avis des experts locaux, sous-estimé le
sur 120 000 m3/jour répartis sur 1,1 mil- potentiel d’irrigation du sud du pays des eaux du Litani
lion de consommateurs [...] et l’irri- [Jumayyil 1951]. Le déblocage des fonds par la Banque
gation 6 % seulement des superficies mondiale intervint à la suite du ralliement du président
cultivables du pays [Dagher 1995 : 39]. libanais de l’époque au pacte de Bagdad d’Eisenhower.
12. Institut international de recherche et de formation
Quand elle est assurée, la fourniture d’eau en vue du développement harmonisé, créé en 1958 par
que permettent ces aménagements engage les le père Louis-Joseph Lebret.
Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

... encore 33 % du revenu national alors que la La gestion et l’utilisation des terres sont
144 au cœur du problème. Le manque de
moitié de la population se partageait 18 %
coopération avec la politique écono-
de ce revenu. Partiellement critiquée [Corm mique (notamment agricole) et sociale
1964 ; Verdeil 2010], cette tentative d’affir- de Fouad Chéhab s’explique par la
mation du pouvoir national prétend se situer crainte de l’Église maronite de voir
au-dessus des lignes de clivage traditionnelles. diminuer son influence. À la tête d’une
D’après le recensement agricole de 1961, centaine de monastères [...] la hiérarchie
e maronite accepte mal l’idée de voir bri-
1/5 des terres étaient alors irriguées, ce qui ser son influence locale par les opé-
représentait une augmentation considérable

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


rations publiques d’aménagement du
par rapport aux années 1950. En 1961, 5 % territoire (aménagement du Litani, plan
des exploitations utilisaient des motopompes, d’irrigation dit « des 450 millions »). La
surtout dans la région de la Békaa. Plus que résistance à la planification est, d’autre
part, le fait des monastères, grands pro-
jamais, cette région était témoin d’une trans-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

priétaires fonciers, et des ordres religieux


formation rapide de ses types de culture, [2011 : 554].
s’orientant vers une production très consom-
matrice en eau et destinée à l’export vers les
L’EAU ET LE CONFLIT LIBANAIS
pays du Golfe 13.
Aux difficultés d’accès à la ressource
En 1970, face à la prolifération des puits,
s’ajoutent deux autres problèmes : la pollution
une législation spécifique s’impose : décret
des eaux et la multiplication des puits de
14438 du 2 mai 1970 organisant la pros-
forage. Les investissements portent prioritai-
pection et l’utilisation des eaux souterraines.
rement sur les infrastructures, et le personnel
Cependant, ce décret accorde une dispense de
chargé de la police de l’eau est nettement
permis de prospection lorsque la profondeur
insuffisant. Malgré le volontarisme du gou-
du puits est inférieure à 150 mètres et que le
vernement, le suivi et l’application des péna-
débit est inférieur à 100 m3 par jour, gardant
lités en cas d’infraction restent dérisoires au
ainsi inchangé le volume décidé par l’arrêté
regard de l’ampleur du phénomène.
320 du Mandat 14.
La planification atteint ici ses limites en
l’absence d’un État de droit stabilisé et Dans le domaine institutionnel, on tente de
légitime. coordonner les politiques nationales. Créé en
Malgré tous les investissements réalisés et 1977, le Conseil pour le développement et la
les projets achevés, comme le projet hydro-
électrique du Litani, force est de constater 13. Production subventionnée par l’État à travers
qu’au début des années 1970 le bilan est l’Office des fruits créé en 1959.
mitigé – échec partiel ou total de nombreux
14. Quelques mises à jour ont été effectuées depuis,
projets – si l’on se réfère aux objectifs initia- avec l’arrêté 118 du 13 septembre 2008 qui garde tou-
lement affichés. Stéphane Malsagne note à ce jours inchangés le volume et la profondeur de l’arrêté
propos : amendé.
La gestion de l’eau au Liban : une réforme confisquée ?

reconstruction (CDR) avait été pensé comme à de nouvelles élites de prendre par les armes
...
145
un « super-ministère » à même de court- le contrôle de leurs communautés. L’indivi-
circuiter les ministères et leurs logiques par- dualisation des pratiques, un système politico-
tisanes et/ou clientélistes [Ingels 2002]. Son territorial extrêmement fragmenté et l’impuis-
pouvoir est resté néanmoins très limité. Face sance de l’État ont participé au renforcement
à la disparition progressive de la structure des corps intermédiaires (communautés confes-
institutionnelle et à la destruction des infra- sionnelles ; notables, anciens et « nouveaux »)
structures de distribution d’eau potable, ce s’agissant de l’accès aux ressources (pas uni-

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


sont les comités et syndicats locaux de l’eau quement naturelles) et du règlement des litiges.
qui, dans les régions rurales, ont maintenu le
fonctionnement de ces réseaux. Il est à noter
La reconstruction (1990-2010)
que l’unique plan d’irrigation d’envergure
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

(Qasmieh-Ras el Aïn), qui faisait bénéficier Aux lendemains des accords de Taëf de 1989
des eaux du Qaraoun les agrumes et bananiers qui mettent fin à la guerre, le Liban entre
de la côte sud du pays, a été mis en place dans en reconstruction. La politique de l’eau est
la région envahie par Israël entre 1978 et confrontée à une administration complète-
2000. ment désorganisée et à un territoire soumis
La situation du secteur de l’eau suivra à d’innombrables luttes pour son contrôle.
celle du pays tout entier. La lenteur des pro- Comme l’indique Elizabeth Picard [1996],
cessus politiques, la fragmentation des réali- l’ordre milicien s’est transposé au sein de
sations effectives et le caractère limité des l’appareil d’État, considéré comme une rente.
retombées en termes d’accès à l’eau contri- Dès lors se pose la question du choix du
bueront à exacerber les tensions jamais atté- modèle de développement et d’aménagement
nuées depuis la première crise sociale et et des modalités de son application. Le sec-
politique de 1958 et à déclencher la guerre teur de l’eau ne restera pas à l’écart de ces
civile de 1975-1990. réflexions et de ces enjeux [Kunigk 1999].
Il existe peu d’études empiriques ayant
trait à la gestion du foncier et de l’eau durant
le conflit [Awada 1988]. Toutefois, plusieurs
points, de portée plus générale, peuvent être 15. Dans les années 1970, on dénombrait 3 000 puits
relevés. Les grands mouvements de popula- d’une profondeur de 50 à 100 mètres. À la sortie de la
tions fuyant les combats en direction de guerre, ce chiffre aurait été multiplié par quinze et le
Beyrouth ont suscité quantité de litiges pompage s’effectuerait désormais dans les aquifères à
une profondeur de 150 à 500 mètres. Voir Consultation
portant sur l’occupation d’habitations et de
and Research Institute (CRI), « Development program
terrains et sur l’usage des ressources du fait horizon for Lebanon 2006-2009 ». Rapport en collabo-
de la construction de nombreux puits 15. La ration avec Dar al Handasah pour le Conseil du déve-
guerre et son organisation milicienne a permis loppement et de la reconstruction, 2005.
Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

... L’EAU DANS UNE ÉCONOMIE RENTIÈRE l’égard des réseaux officiels d’approvisionne-
146
AUX INSTITUTIONS FRAGMENTÉES ment incite à rechercher des solutions indivi-
duelles : puits privés ; eau en bouteille ; vente
La décennie 1990 voit émerger un discours
sur la raréfaction de l’eau à l’échelle plané- parallèle. Ces pratiques sont extrêmement
taire, en général, et en Méditerranée, parti- pénalisantes pour les populations les plus
culièrement. Le Liban doit faire face à une démunies mais assurent une véritable rente à
profonde évolution de sa géographie de l’eau. certains groupes sociaux. Elles sont autant de
La concentration de la population dans les freins à l’amélioration du système d’adduction.
Au-delà de l’aspect mercantile, la fourni-

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


villes et sur le littoral réoriente les allocations
de ressources jusque-là très importantes dans ture des services de base comme l’eau potable
les espaces ruraux, et, notamment, dans la est un puissant levier de pouvoir. Mona Harb-
plaine de la Békaa. Les travaux de Karine El-Kak [1996] montre, par exemple, comment,
en approvisionnant en eau la banlieue sud de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

Bennaffla [2006] révèlent, à propos de cette


région, une mutation rapide mais très sélective Beyrouth, le Hezbollah renforce son leader-
des secteurs économiques depuis la fin de la ship et sa légitimité sur cet espace. L’impact
guerre (agriculture industrielle de pointe ; déve- social et symbolique de ces pratiques sur les
loppement des services ; mitage foncier lié à populations est significatif même si les quan-
la construction de somptueuses demeures...). tités allouées sont infimes en comparaison des
Ce processus relance les conflits fonciers du besoins. Par ce biais, les logiques politiques à
fait du changement de l’occupation du sol (de l’œuvre à l’échelle intra-urbaine dépassent le
l’agriculture à l’urbain) et du fait que les territoire d’action pour investir le territoire
droits et ayants droit ne sont pas bien iden- régional et national.
tifiés. Le manque d’eau dans l’agriculture La gestion de l’eau au Liban souffre d’un
contribue à la dépréciation de l’activité et à la profond dysfonctionnement administratif, insti-
baisse du prix de la terre désormais consacrée tutionnel et financier, notamment comptable.
à d’autres usages. Comme l’indique Karine Pour la plupart, les infrastructures sont vétustes
Bennaffla : et inadaptées aux nouvelles exigences sociales
et sanitaires. Le problème de la pollution des
La baisse de valeur des terres agricoles
eaux et du non-traitement des eaux usées
facilite transactions foncières et opéra-
tions immobilières. Aux environs de demeure particulièrement aigu malgré les
Baalbeck, le prix du terrain chute de investissements consentis ces dernières années
20 dollars le mètre carré à cause des pro- par le Conseil pour la reconstruction (CDR).
blèmes d’approvisionnement en eau qui Les lois et règlements, souvent inapplicables,
aggravent la situation des agriculteurs
sont inappliqués du fait d’une administration
[2006 : 278].
centrale totalement désorganisée, qui manque
À l’inverse, la présence d’eau fait grimper de personnel et d’autorité. La dilution des res-
les prix du foncier et la spéculation, ce qui, ponsabilités s’accompagne d’une absence de
en l’absence de contrôle, explique aussi la coordination et d’un chevauchement des com-
multiplication des puits privés. La méfiance à pétences. De plus, les politiques de rigueur
La gestion de l’eau au Liban : une réforme confisquée ?

successives limitent les possibilités d’em- par les décideurs libanais après les échecs des
...
147
bauche. Enfin, la transposition, au sein de politiques d’ajustement structurel, gage de leur
l’État, de l’ordre milicien donne la préva- nouvelle légitimité auprès des bailleurs de
lence aux intérêts privés et/ou communau- fonds. Dans ce sens, une nouvelle réforme 221,
taires sur l’intérêt général. votée en 2000, est adoptée en 2005 pour
Ainsi, la réforme de la politique de l’eau revoir l’autorité publique à l’échelle régionale
apparaît vite comme incontournable mais et préparer des contrats de participation public-
aussi comme très difficile à mener compte privé.
tenu des enjeux qu’elle sous-tend, avant tout

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


financiers [Chesnot 1995]. LES BARRAGES : UNE SOLUTION EN TROMPE-L’ŒIL
Après dix années de reconstruction (1990- La libéralisation économique n’a pas engen-
2000), le bilan est amer eu égard aux objectifs dré de croissance continue ni de redistribution
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

définis [Kienle 2003 ; Leenders 2004]. Au- sociale et territoriale (décentralisation) des
delà des effets d’annonce, le secteur de l’eau richesses produites, excepté pour ses parti-
n’a pas été si prioritaire que cela dans les sans. En 2001, Beyrouth et le Mont-Liban
investissements de l’État. Entre 1991 et 2001, concentraient encore 90 % des crédits ban-
sur les 6,2 milliards de dollars US adjugés caires [Safi 2003]. Ainsi, comme l’indique
aux différents projets, l’eau et l’assainisse- Eberhard Kienle dans un de ses ouvrages
ment ne représentent que 11,5 %, comparés [2003], en favorisant la privatisation et le
aux 24,3 % pour l’électricité, 14,1 % pour les capitalisme de copains plutôt que des marchés,
transports et 13 % pour les télécommunica- la libéralisation économique s’est opérée en
tions [Labaki 2003] 16. Cette relative faiblesse toute opacité. Du point de vue territorial, les
au regard des enjeux et des besoins, surtout retombées ont été également concentrées, ce
en termes d’infrastructures, renvoie aussi à la qui a perpétué et aggravé les inégalités au
difficulté pour l’État de s’imposer sur un sec- niveau national. D’après la dernière enquête
teur encore largement contrôlé par les élites sur le niveau de vie des ménages au Liban 17,
politiques urbaines, rurales et/ou commu- un tiers de la population vit en dessous du
nautaires. seuil de pauvreté ainsi que deux tiers des
Au niveau central émerge alors un dis-
cours émanant des organismes internationaux
et promouvant la GIRE (gestion intégrée des 16. Voir aussi Conseil du développement et de la
ressources en eau) et ses principes (participa- reconstruction (CDR), Dar al Handasah (Shaïr & Part-
ners), Institut d’aménagement et d’urbanisme de la
tion ; recouvrement des coûts liés au fonction- Région Île-de-France (IAURIF), « Schéma directeur
nement du service d’eau, du pompage à la d’aménagement du territoire libanais (SDATL) ». Rap-
distribution ; gestion territoriale par bassin port final, 2004.
versant) [Allan 2003 ; Swatuk 2005 ; Molle 17. Ministère des affaires sociales et Administration
2008]. D’inspiration libérale – Banque mon- centrale des statistiques, « National survey of house-
diale, FMI –, ce modèle de gestion est repris holds living conditions », 2004.
Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

... familles d’agriculteurs, dont les moyens de par Christèle Allès et Joëlle Brochier-Puig,
148
subsistance dépendent très largement des illustre parfaitement ces conflits dus à la
conditions d’accès à l’eau et à la terre 18. juxtaposition des responsabilités et des prises
En 2000, une nouvelle étape est franchie de décision.
pour remédier à la situation 19. Le Plan straté- L’octroi, par la Banque mondiale, de prêts
gique national pour le secteur de l’eau (2000- soumis à conditions redéfinit l’accès aux res-
2010) prévoit la réalisation de 18 barrages. sources « sol » et « eau » en favorisant la ré-
En 2004, le Schéma directeur d’aménagement allocation de l’eau à des espaces et des
du territoire libanais (SDATL) vise un déve- cultures plus rentables économiquement (ville

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


loppement unitaire, équilibré et rationnel des versus agriculture ; cultures d’exportation
ressources et du territoire libanais 20. Sur les versus cultures vivrières). Cela permet aux
18 barrages prévus, 1 seul a été financé et réa- bénéficiaires de conserver une position insti-
tutionnelle forte et d’alimenter des réseaux de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

lisé : il s’agit du barrage de Chabrouh, inau-


guré en 2007, où on a détecté de nombreuses clientèle en redistribuant la rente financière
fuites dues à une mauvaise prise en compte
des conditions géologiques et karstiques du
site [Bou Jaoude et al. 2010]. En outre, le 18. En comparant les recensements de 1961 et 1999, on
coût final de ce barrage s’avère nettement remarque une diminution du nombre des parcelles, qui
plus élevé que ce qui avait été prévu (43 mil- passe de 617 000 à 492 000, attestant une concentration
entre les mains de gros exploitants agro-industriels.
lions de dollars) : selon différentes sources, il L’agriculture est de plus en plus orientée vers des pro-
oscillerait entre 105 et 200 millions de dollars. ductions à haute valeur ajoutée, très consommatrices
Tout débat démocratique avec la popula- d’eau. Le recours à l’irrigation issu d’initiatives privées
tion sur le contenu et les orientations des a contribué à tripler la surface irriguée et les équipe-
réformes a été confisqué et confiné en faveur ments associés (motopompes) [Riachi 2012].
de groupes d’initiés 21. Ces options d’aména- 19. Notons que, au sein des pays méditerranéens, le
gement sont en réalité le résultat de choix Liban est celui qui compte le moins de grands barrages
sociaux, économiques et politiques exprimant [Ghiotti et Molle 2008].
des relations de pouvoir 22. L’accès aux finan- 20. Voir note 16.
cements internationaux est d’autant plus cru- 21. Les régions du Mont-Liban, de Metn et Kesrouan
cial qu’en août 2012 le Liban accusait une ont été les principales bénéficiaires des aménagements
dette de 48 milliards de dollars. La reconfigu- du barrage de Chabrouh. Le Metn est la région d’où est
ration des relations entre acteurs et les chan- originaire l’ancien président de la République, Émile
Lahoud.
gements dans l’utilisation du sol engendrent
des tensions entre les arrangements locaux 22. S’appuyant sur une analyse économétrique, Roland
Riachi et Jad Chaaban [2012] montrent l’existence
préexistants, l’État central, les ministères et
d’une politique de ciblage des projets dans les régions
les bailleurs de fonds internationaux. Le pro- proches du pouvoir exécutif, politique éloignée de toute
jet d’eau potable, financé par la GIZ dans la préoccupation d’ordre socioéconomique et environ-
région du Akkar et présenté dans ce numéro nemental.
La gestion de l’eau au Liban : une réforme confisquée ?

issue du prêt. Au Liban, une stratégie du sur une seule catégorie : les terres amirié. À
...
149
gagnant-gagnant se met ainsi en place entre la l’occasion des changements d’occupation du
Banque mondiale et le Ministère de l’énergie sol ou de la réalisation de projets, ces terres
et de l’eau [Kunigk 1999]. Fragilisées, les sont la cible d’individus ou de groupes qui
autorités publiques nationales comme muni- veulent se constituer des emprises foncières
cipales et les associations civiles sont, à leur importantes. Ce « déclassement » vers la pro-
tour, captées par des intérêts fortement poli- priété privée (individuelle ou religieuse) est
tisés [Karam 2006]. d’autant plus facilité que, faute de pouvoir
Emmanuelle Kunigk [1999] décrit très identifier clairement les droits de propriété,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


bien cette collusion d’intérêts que Marc l’accent est mis sur l’usufruit.
Reisner [1993] et Daniel Mc Cool [1994] Les années de guerre ont profondément
appellent « le triangle de fer ». Ce triangle modifié la composition sociale et économique
associe une bureaucratie hydraulique très
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

des populations. La perte de documents offi-


influencée par la mise en œuvre de mots ciels n’a rien arrangé au flou juridique. La
d’ordre internationaux, des élites nationales et voix du puissant est souvent la plus forte. Le
locales insérées dans des logiques écono- modèle technico-économique qui prend corps
miques et politiques ainsi que des intérêts pri- dans la période coloniale se perpétue au fil du
vés. S’ajoute à cela l’aide internationale, ce temps. Si, initialement, il visait à contourner
qui place l’État libanais dans un système aigu la réforme des systèmes foncier et hydrau-
de concurrence dont il sort renforcé par la lique, il sert aujourd’hui de paravent face à
captation des subsides. Cependant, cette place d’autres enjeux.
ne semble être qu’artificielle et surtout limitée La construction d’ouvrages à des fins de
dans le temps et l’espace national, tant s’opère développement butte toujours sur l’inertie des
une dilution des financements au profit des pouvoirs publics et sur les luttes intra et inter-
logiques sectorielles et communautaires struc- communautaires instrumentalisées par les puis-
turant encore largement les politiques publiques sances étrangères de la région. Ce qu’atteste la
libanaises. tentative de construction d’un barrage, décidée
par le ministre de l’Énergie et de l’Eau, à
Conclusion l’aide de capitaux et travailleurs iraniens dans
La politique de l’eau au Liban et ses multiples la haute montagne chrétienne de la région de
tentatives de réforme s’inscrit dans une pro- Batroun. Ce barrage se situe dans une zone où
fondeur historique et juridique longue. Elle le ministre est élu et où il entend bien étendre
entretient des liens forts avec la question fon- son leadership face à une autre figure locale.
cière et, au-delà, avec l’organisation sociale, Ainsi, dans une période récente, si ce modèle
politique et économique du pays. Le plura- d’aménagement est reconnu comme pertinent
lisme juridique qui caractérise les droits d’eau pour réformer le système, il est aussi mobilisé
et les droits fonciers limite la capacité d’action à des fins stratégiques pour obtenir l’appui de
d’un État qui ne peut s’appuyer, au mieux, que bailleurs de fonds internationaux.
Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

... Le résultat de ce double processus, captation- l’eau proprement dite que sur l’aide inter-
150
prédation, entérine et aggrave les inégalités nationale à laquelle l’eau donne accès.
sociales et territoriales. En l’absence de données Le Liban est un exemple des conséquences
fiables et de mesures continues à l’échelle du de la mise en relation-tension des questions
pays depuis le début des années 1970, le de changement environnemental global, de
« château d’eau » semble s’être progressive- développement et de circulation de capital
ment vidé, et l’argument du changement cli- mondialisé sur les catégories spécifiques du
matique apparaît comme opportun. Donner la foncier et de l’eau. Il invite à repenser ces
priorité aux infrastructures et non à la lutte catégories à l’aune des enjeux et des luttes de

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


contre les pollutions et les fuites ou à la créa- pouvoir qui les sous-tendent et non plus seu-
tion d’une police de l’eau maintient en l’état lement à partir de modèles ou de formules de
un système de gouvernance moins axé sur prêt-à-porter institutionnel.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

Bibliographie

Allan, Thony — 2003, « IWRM/IWRAM : a new société du Mont-Liban à l’époque de la révolution


sanctioned discourse ? ». Occasional Paper no 50, industrielle en Europe. Paris, Paul Geuthner.
Water Issues Study Group, School of Oriental and Clerc-Huybrechts, Valérie — 2008, Les quartiers
African Studies, University of London. irréguliers de Beyrouth. Nouvelle édition en ligne.
Awada, Fouad — 1988, La gestion des services Beyrouth, Presses de l’IFPO.
urbains à Beyrouth pendant la guerre 1975-1985. Corm, Georges — 1964, Planification et politique
Paris, CNRS-CEGET. économique au Liban (1953-1964). Beyrouth, Impri-
Bédoucha, Geneviève — 1987, L’eau, l’amie du merie universelle. — 2005, Le Liban contemporain.
puissant. Une communauté oasienne du Sud tuni- Histoire et société. Paris, La Découverte.
sien. Paris, Éditions des Archives contemporaines.
Cresswell, Robert — 1970, Parenté et propriété
Bennafla, Karine — 2006, « Le développement au
foncière dans la montagne libanaise. Clearwater,
péril de la géopolitique : l’exemple de la plaine de
Mouton & Co.
la Békaa (Liban) », Géocarrefour 81-4 : 277-286.
Dagher, Albert — 1995, L’État et l’économie au
Bou Jaoude, Issam, Rena Karanouh, Nanor Momjian,
Abed Chehade et Sami Cheikh Hussein — 2010, Liban. Action gouvernementale et finances publiques,
« Understanding the leaks in Chabrouh dam through de l’indépendance à 1975 (Les Cahiers du CERMOC
detailed hydrogeological analysis of the Qana Pla- 12).
teau », Environmental Earth Sciences 3 : 407-413. Ghiotti, Stéphane et François Molle — 2008, « Vers
Chesnot, Christian — 1995, « Liban : l’eau, parent de nouveaux grands barrages en Méditerranée ? », in
pauvre de la reconstruction », Hydroplus 59 : 15-21. M. Barah et P. Blanc eds., Les batailles de l’eau
Chevallier, Dominique — 1959, « Aspects sociaux (Maghreb-Machreck 196) : 63-78.
de la Question d’Orient : aux origines des troubles Harb-El-Kak, Mona — 1996, Politiques urbaines
agraires libanais en 1858 », Annales. Économies, dans la banlieue sud de Beyrouth (Les Cahiers du
Sociétés, Civilisations 14-1 : 35-64. — 1971, La CERMOC 14).
La gestion de l’eau au Liban : une réforme confisquée ?

Ingels, Christophe — 2002, « L’administration liba- Mc Cool, Daniel — 1994, Command of the water : ...
naise au sortir du conflit civil. Permanence de iron triangles, federal water development and indian 151
l’enjeu politique partisan et impératifs fonctionnels water. Tucson, The University of Arizona Press.
de la reconstruction à portée nationale ». Thèse de Molle, François — 2008, « Nirvana concepts, narra-
science politique, IEP d’Aix-Marseille. tives and policy models. Insights from the water sec-
Ingold, Alice — 2011, « Gouverner les eaux cou- tor », Water Alternatives 1-1 : 131-156.
rantes en France au XIXe siècle. Administration, Pasques, Georges — 1934, « Aménagement hydro-
droits et savoirs », Annales. Histoire, Sciences électrique de la vallée de l’Oronte dans la région
sociales 66-1 : 69-104. de Homs-Hama (plaine de la Békaa, Syrie) »,
Jumayyil, Maurice — 1951, La planification inté- L’Ingénieur-Constructeur 241 : 3 105-3 114.
grale des eaux libanaises. Vol. 1. Beyrouth, Éd. Picard, Elizabeth — 1994, « Les habits neufs du

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


Maurice Gemayel. communautarisme libanais », Cultures & Conflits 15-
Karam, Karam — 2006, Le mouvement civil au 16 : 49-70. — 1996, « Liban, la matrice historique »,
Liban : revendications, protestations et mobilisations in F. Jean et J.-C. Rufin eds., Économie des guerres
associatives dans l’après-guerre. Paris, Karthala. civiles. Paris, Hachette, « Pluriel » : 62-104.
Plançon, Caroline — 2009, « Enjeu des droits fon-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

Khoury, Gérard D. ed. — 2004, Sélim Takla, 1895-


1945 : une contribution à l’indépendance du Liban. ciers dans la gestion des ressources naturelles », Ver-
Paris-Beyrouth, Karthala-Dar An Nahar. tigO (hors-série no 6).
Kienle, Eberhard — 2003, Politics from above, poli- Reisner, Marc — 1993, Cadillac Desert. The Ameri-
tics from below. The Middle East in the age of eco- can West and its disappearing water. New York,
nomic reform. Londres, Saqi Books. Penguin Books.
Riachi, Roland et Jad Chaaban — 2012, « Regional
Kunigk, Emmanuelle — 1999, « Policy transforma-
water projects. Bridging distributive politics to
tion and implementation in the water sector in Leba-
equity, efficiency and environmental concerns ».
non. The role of politics ». Occasional Paper no 27,
Working Paper.
Water Issues Study Group, School of Oriental and
Safi, Walid Salim — 2003, « La disparité socio-
African Studies, University of London.
économique comme facteur de désintégration ? »,
Labaki, Boutros — 2003, « Politiques de l’État et Confluences Méditerranée 47 : 57-65.
reconstruction », Confluences Méditerranée 47 : Sneddon, Chris et Coleen Fox — 2011, « The Cold
37-55. War, the US Bureau of Reclamation, and the techno-
Leenders, Reinoud — 2004, « Nobody having too politics of river basin development, 1950-1970 »,
much to answer for : laissez-faire, networks and Political Geography 30-8 : 415-470.
postwar reconstruction in Lebanon », in Networks of Swatuk, Larry A. — 2005, « Political challenges to
privilege in the Middle East. The politics of eco- implementing IWRM in Southern Africa », Physics
nomic reform revisited. Heydemann, New York, and Chemistry of the Earth 30 : 872-880.
Londres, Palgrave Macmillan : 169-200. Tabet, Alfred — 1936, La réforme foncière en Syrie
Le Meur, Pierre-Yves — 2002, « Approche qualita- et au Liban. Beyrouth, Imprimerie Jeanne d’Arc.
tive de la question foncière. Note méthodologique, Urbama, May Davie — 2010, « Pouvoir rural, pou-
IRD REFO ». Document de travail UR 95 no 4. voir urbain. L’échec de l’État au Liban », Cahiers de
Mallat, Hyam — 2003, Droit de l’urbanisme, de la la Méditerranée 80 : 211-223.
construction, de l’environnement et de l’eau au Verdeil, Éric — 2010, Beyrouth et ses urbanistes :
Liban. Bruxelles, Bruylant, Paris-Delta, LGDJ. une ville en plans (1946-1975). Nouvelle édition en
Malsagne, Stéphane — 2011, Fouad Chéhab, 1902- ligne. Beyrouth, Presses de l’IFPO.
1973 : une figure oubliée de l’histoire libanaise. Weuleursse, Jacques — 1946, Paysans de Syrie et du
Paris-Beyrouth, Karthala-IFPO. Proche-Orient. Paris, Gallimard.
Stéphane Ghiotti et Roland Riachi

... Résumé Abstract


152 Stéphane Ghiotti et Roland Riachi, La gestion de l’eau Stéphane Ghiotti and Roland Riachi, Water manage-
au Liban : une réforme confisquée ? ment in Lebanon: a confiscated reform?
Au Liban, au discours colonial du début du XXe siècle The premise of this paper is that there has been a signif-
qui vantait l’abondance des ressources en eau a succédé icant shift in the prevailing discourse on water resources
la peur, aujourd’hui largement partagée, d’une menace in Lebanon over the past century. In contrast to the
de stress hydrique à l’horizon 2030. Ce retournement widespread confidence in the country’s abundant water
discursif contraste avec l’inertie des textes réglemen- resources at the beginning of the 20th century, the domi-
taires régissant le droit d’usage de l’eau, et ce malgré nant view today is that there is likely to be a serious
les nombreuses entreprises de modernisation succes- water shortage by 2030. This discursive shift contrasts

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS


sives (période ottomane, Mandat, État moderne). Dès sharply with the legislative and regulatory inertia sur-
son origine, ce droit d’usage de l’eau est fortement rounding water laws despite repeated attempts at moderni-
corrélé au régime foncier. L’appropriation de ces deux zation by successive regimes and authorities (Ottoman
ressources est un enjeu majeur au cœur des modalités Empire, French Mandate and modern state). Water
d’exercice du pouvoir économique et politique. L’article rights in Lebanon have always been closely linked to
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.126.18.218 - 31/05/2016 18h45. © Éditions de l'EHESS

envisage, sur le temps long, le contenu de différentes land tenure. Today, the appropriation of land and water
réformes ayant trait au domaine de l’eau. Quatre resources is a major focus of political and economic
séquences sont privilégiées : le Medjellé ; la période debate. This paper has two objectives. First, it provides
mandataire ; les grands travaux d’après l’Indépendance ; a historical overview of legal and institutional reforms
la réforme entamée après la guerre civile. On observe adopted in the water sector. A distinction is made
d’intenses et continues luttes de pouvoir, entre de mul- between four main periods: the Ottoman period (Mecelle),
tiples acteurs, pour le maintien des multiples systèmes the French Mandate period, the post-independence
d’appropriation des ressources. period (1943-1990) and the post-war period (i.e. the
reconstruction period). The paper shows that there have
Mots clés been constant and intense power struggles between
Liban, gestion de l’eau, confessionnalisme, barrages, multiple actors seeking to maintain multiple systems of
mission hydraulique resource appropriation.

Keywords
Lebanon, water resource management, confessionalism,
dams, hydraulic mission

Vous aimerez peut-être aussi