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Algérie : sortie(s) de guerre

1962-1965

Patrick Harismendy et Vincent Joly (dir.)

DOI : 10.4000/books.pur.48812
Éditeur : Presses universitaires de Rennes
Année d'édition : 2014
Date de mise en ligne : 8 février 2019
Collection : Histoire
ISBN électronique : 9782753559585

http://books.openedition.org

Édition imprimée
ISBN : 9782753532649
Nombre de pages : 232

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Référence électronique
HARISMENDY, Patrick (dir.) ; JOLY, Vincent (dir.). Algérie : sortie(s) de guerre : 1962-1965. Nouvelle
édition [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2014 (généré le 07 mai 2021). Disponible
sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/48812>. ISBN : 9782753559585. DOI : https://doi.org/
10.4000/books.pur.48812.

© Presses universitaires de Rennes, 2014


Conditions d’utilisation :
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H I S T O I R E


Sous la direction de
Vincent Joly et Patrick Harismendy

Algérie
sortie(s) de guerre
1962-1965


illusions de maintien d’une présence militaire ou industrielle en Algérie. Enin,

voire sociale des rapatriés n’exclue ni des conlits d’identités individuelles, ni de

est professeur d’histoire contemporaine à l’université Rennes 2 et


membre du Centre de recherches historiques de l’Ouest (CERHIO-UMR CNRS 6258).
est professeur d’histoire contemporaine à l’université Rennes 2 et
membre du Centre de recherches historiques de l’Ouest (CERHIO-UMR CNRS 6258).

Le Président de Cazalet

de l’université Rennes 2

Presses u n i v e r s i ta i r e s d e rennes
Algérie :
sortie(s) de guerre
Collection « Histoire »
Dirigée par Frédéric C, Florian M,
Cédric M et Jacqueline S

Série « Histoire politique de la France au e siècle »


Dirigée par Christian B, Olivier D,
Gilles R et Jacqueline S

Dans le cadre du renouveau de l’histoire politique et avec la volonté de le soutenir en


diffusant les recherches les plus récentes, la série « Histoire politique de la France au
e siècle » se propose de regrouper les ouvrages d’histoire politique portant sur la France
depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à nos jours. Une histoire politique conçue de façon large,
ouverte aux apports de toutes les sciences humaines et sociales, sensible aux liens entre le
politique et le social, intéressée par la question des transferts politico-culturels, notamment
à l’échelle de l’Europe, tout en étant centrée sur ce qui est au cœur même de toute étude du
politique : la question du pouvoir.
Dernières parutions
Tudi K et Romain P (dir.),
L’Union démocratique bretonne. Un parti autonomiste dans un État unitaire, 2014, 272 p.
Gilles R, Sylvie G et Jean-François S (dir.),
Histoire de l’UDF. L’Union pour la démocratie française, 1978-2007, 2013, 198 p.
Sylvie G, Gilles L B, Christine M, Jérôme P, Jean-Paul
T et Sabrina T (dir.),
« Le moment PRL ». Le Parti républicain de la liberté, 1946-1951, 2013, 202 p.
Noëlline C, Laurent J, Marc L, Gilles M et Jean-François
S (dir.),
Le Parti socialiste unifié. Histoire et postérité, 2013, 336 p.
Laurent J (dir.),
Gaullistes dans l’Ouest atlantique dans les élections législatives de 1958 à 1981, 2013, 212 p.
Christian B, Vincent P, Gilles R et Jacqueline S (dir.),

L’Ouest dans les années 68, 2012, 270 p.


Gilles R et Jacqueline S (dir.),
Les partis à l’épreuve de 68. L’émergence de nouveaux clivages, 1971-1974, 2012, 282 p.
Bernard L, Gilles R et Jean G (dir.),
Les territoires du politique. Hommages à Sylvie Guillaume, 2012, 274 p.
Anne-Laure A,
Paul Painlevé. Science et politique de la Belle Époque aux années trente, 2012, 434 p.
Christian B,
Les forces politiques en Bretagne. Notables, élus et militants (1914-1946), 2011, 388 p.
Bruno B, Christian C, Gilles M, Gilles R et Gilles V
(dir.),
À chacun son Mai ? Le tour de France de mai-juin 1968, 2011, 400 p.
Julian M,
Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF, 2010, 344 p.
Sous la direction de
Vincent Joly et Patrick Harismendy

Algérie :
sortie(s) de guerre
1962-1965

Collection « Histoire »

PreSSeS uniVerSitaireS De renneS


La journée d'études ayant conduit au présent volume a été réunie au campus
Mazier (Saint-Brieuc) le 26 septembre 2012. Elle a été organisée par le Cerhio
avec l'aide matérielle de la Ville de Saint-Brieuc dont son maire, Bruno Joncour,
a soutenu le projet. Que les différents acteurs ayant contribué au succès de cette
rencontre et à cette publication soient ici remerciés.

© PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES


UHB Rennes 2 – Campus de La Harpe
2, rue du doyen Denis-Leroy
35044 Rennes Cedex
www.pur-editions.fr
Mise en page : Michel S
35250 Andouillé-Neuville
michel-soulard@orange.fr
pour le compte des PUR
ISBN 978-2-7535-3264-9
ISSN 1255-2364
Dépôt légal : 2e trimestre 2014
Les auteurs

B Christian, professeur d’histoire contemporaine, université de


Bretagne occidentale, CnrS ea 4451 CrBC [Centre de recherche Bretonne et
Celtique].
C Tangi, chercheur associé, eHeSS, CnrS uMr 8175 iMM-CeMS
[institut Marcel Mauss – Centre d’études des mouvements sociaux].
C Marc, professeur d’histoire et géographie, docteur en histoire contem-
poraine, université du Littoral Côte d’Opale, chercheur associé, CnrS ea 4030
HLLi-CrHaeL [unité de recherche sur l’Histoire, les Langues, les Littératures
et l’interculturel – Centre de recherche en Histoire atlantique et Littorale].
D Olivier, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-Sorbonne,
CnrS uMr 8138 iriCe.
F Jacques, professeur d’histoire contemporaine, université de Paris-
Sorbonne (Paris-iV), institut universitaire de France, CnrS uMr 8596 CrM
[Centre roland Mousnier].
H Patrick, professeur d’histoire contemporaine, université rennes 2,
CnrS uMr 6258 Cerhio.
J Vincent, professeur d’histoire contemporaine, université rennes 2, CnrS
uMr 6258 Cerhio.
L Soraya, professeur d’histoire et géographie, doctorante en histoire contem-
poraine, université de Paris-Sorbonne (Paris-iV), CnrS uMr 8596 CrM [Centre
roland Mousnier].
L Didier, agrégé d’histoire, doctorant en histoire contemporaine, univer-
sité Panthéon-Sorbonne (Paris 1), chercheur-associé, CnrS uMr 8058 [Centre
d’Histoire sociale du xxe siècle].
L B Pierre, docteur en théologie, ancien prieur du couvent des dominicains
d’alger de 1958 à 1970.
L F-L Pierre-Jean, agrégé et docteur en histoire, ater, université
rennes 2, chercheur-associé, CnrS uMr 6258, Cerhio.
M Gregor, professeur certiié d’histoire et géographie, doctorant en histoire
contemporaine, université de toulouse 2 Le Mirail, CnrS uMr 5136 Framespa
[France méridionale et espagne].
P François, agrégé et docteur en histoire, chercheur-associé, CnrS
uMr 6258 Cerhio.

7
Algérie : sortie(s) de guerre

R-G Jenny, maître de conférences en histoire contempo-


raine, université de Cergy-Pontoise, CnrS uMr 8138 iriCe-CiCC [identités,
relations internationales et civilisations de l’europe – Civilisations et identités
culturelles comparées des sociétés européennes et occidentales].
S-Z Yann, chargé de recherche CnrS, université de Poitiers,
CnrS uMr 7301 MiGrinter.
V-D Nathalie, ingénieur d’études, eHeSS, CnrS uMr 8175 iMM-
CeMS [institut Marcel Mauss – Centre d’études des mouvements sociaux].

8
Algérie-France :
sortie(s) de guerre et « entrée en paix »
Patrick Harismendy

alors que s’annoncent à grand renfort les manifestations, scientiiques


notamment, consacrées au début de la Première Guerre mondiale, on
constate en toute logique que la in du conlit algérien en 1962 a suscité sa
part de travaux. Cependant, et malgré plusieurs mises en garde 1, les
« enjeux » mémoriels ont parasité le débat dans un contexte de grande
prudence, voire de silence étatiques. Les hésitations commémoratives en la
matière allant du 18 mars (accords d’Évian) au 5 décembre (date retenue
en France en 2012), en passant par le 5 juillet (proclamation d’indépen-
dance) ou le 25 septembre (journée nationale des harkis) indiquent assez la
distension des chronologies. L’incertitude n’est pourtant pas ille d’un seul
besoin d’ordre public.
Dans les conlits asymétriques ou périphériques, l’entrée en guerre est
rarement franche, en efet, comme le délimiterait une ofensive convention-
nelle. Même s’il est possible a posteriori d’attribuer à tel « incident » la signi-
ication inaugurale d’un conlit de cet ordre, sa généralisation est souvent
lente, voire incertaine. il en va, de même, des « après-guerres » qui suivent
en principe l’arrêt des combats. Curieuse, à cet égard, est la naissance séman-
tique récente d’un warfare, en tant que « fait social total » – et décalque du
welfare [state] en tant qu’« état de service social » – sans la contrepartie
conceptuelle d’un peacefare. Pourtant, si la Friedensfähigkeit ou « état de
paix » s’établit, en période de conlit, dans un rapport intellectuel à la norma-
lité – référé à un avant ou un après plus ou moins mythiiés d’idéal ou de
bonheur –, on sait combien est illusoire cet équilibre 2. À côté de cela, on
sait mal mesurer ce qu’il faut bien nommer une « entrée en paix 3 ».
1. Frédéric abécassis, Gilbert Meynier (édit.), Pour une histoire franco-algérienne. en inir avec les
pressions oicielles et les lobbies de mémoire, Paris, La Découverte, 2008 ; Jean-Pierre rioux, la France
perd la mémoire, Paris, Perrin, 2006, notamment p. 141-146.
2. Bruno Cabanes, la victoire endeuillée. la sortie de guerre des soldats français (1914-1918), Paris,
Le Seuil, 2004.
3. Sous bénéice d’inventaire, seul Didier Péclard [« Les chemins de la « reconversion autoritaire » en
angola », Politique africaine, n° 110, 2008, p. 5] a employé cette formule dans la littérature scienti-

9
PAtrick HArismendy

De même que l’on ne peut se satisfaire de l’ouverture ou de la fermeture


des portes de la guerre, comme marqueurs uniques, un traité « de paix » ne
suit pas non plus à clore un cycle guerrier ou à éteindre des violences 4. il
n’en reste pas moins que « in de guerre 5 »/« entrée en paix »/« sortie de
guerre » ne disent pas la même chose 6 – non plus que « in de paix »/« sortie
de paix »/« entrée en guerre 7 » – mais suggèrent bien des franchissements
de seuils et l’existence de paliers. et comme en mécanique, il importe d’éva-
luer les forces et les frottements en œuvre ain de pouvoir étalonner des
bornes.
en privilégiant un pas temporel bref (allant du 19 mars 1962 au début
de 1965), l’intention analytique porte ici plutôt sur la sortie de guerre en
tant qu’éloignement des violences 8. et plus que la perception événemen-
tielle prise à hauteur d’opinion 9, importe le degré d’imprégnation à hauteur
d’hommes 10, y compris dans des marges parfois inattendues 11.
Pour essayer de comprendre, à partir du cas algérien, les perceptions des
acteurs – ici français (ou alliés aux Français) –, face à l’événement d’une in
de conlit, trois hypothèses, en forme de variables, ont été introduites ;
d’autres auraient pu l’être 12. La première relève des temporalités. Celle,

ique francophone, lui-même entre parenthèses. G. de Maizière [« La vraie pensée des dirigeants
allemands. Ce qu’ils répondent aux articles du Petit parisien », le Petit parisien, 10 novembre 1919]
évoque un article de Hermann Müller, alors Ministre des afaires étrangères, « L’entrée en paix
de la république allemande », publié dans la « Gazette d’économie politique » [référence non
retrouvée]. La « sortie de paix » n’est pas davantage un concept en usage.
4. Stéphane audoin-rouzeau et Christophe Prochasson (dir.), sortir de la grande guerre. le monde
et l’après-1918, Paris, tallandier, 2008.
5. Les ultimes combats sont souvent les plus meurtriers et les plus barbares. De manière signiicative,
Benjamin Stora intitule le 8e et avant-dernier chapitre de son Histoire de la guerre d’Algérie
(1954-1962), Paris, La Découverte, 2004 : « La terrible in de guerre (1962) ».
6. John Horne le suggère nettement lorsqu’il écrit : « Sortir de la guerre veut dire rétablir un état de
paix par un processus qui inverse l’entrée en guerre. » [« Guerres et réconciliations européennes au
xxe siècle », Vingtième siècle. revue d’histoire 2009/4, n° 104, p. 3-15].
7. Jean-Jacques Becker, 1914. comment les Français sont entrés en guerre, Paris, FnSP, 1977. Si « retour
de guerre »/« départ à la guerre » ou « drôle de guerre »/« drôle de paix » sont communs,
« non-guerre » (appliquée à la situation en irak mais aussi aux années 1954-56 en algérie) ou
« non-paix » sont rares.
8. Sylvie thénault, « L’OaS à alger en 1962, Histoire d’une violence terroriste et de ses agents »,
Annales. Histoire, sciences sociales, 2008/5, p. 977-1001.
9. Jean-Pierre rioux (dir.), la guerre d’Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990.
10. Ce qu’opèrent plusieurs contributions, notamment dans la partie V, « « Logement et insertion
sociale : des enjeux de la guerre », in raphaëlle Branche, Sylvie thénault (dir.), la France en guerre
1954-1962. expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, autrement,
2008.
11. Jusqu’à la in des années 1960, les ferrailles de la nationale 7 étaient, de Paris à hiais, emplies de
matériels militaires prolongeant ainsi l’état visuel de postwar. On pourrait en dire autant des abords
de Mourmansk jusque peu.
12. Bruno Cabanes et Guillaume Piketty [« Sortir de la guerre : jalons pour une histoire en chantier »,
avant-propos à sorties de guerre au XXe siècle, n° spécial de Histoire@Politique, 2007, n° 3] retiennent
comme variables : la prolongation (surtout symbolique) de la guerre dans la paix ; l’incertaine
étendue temporelle des retours (blessés, prisonniers, déplacés) ; les « démobilisations culturelles » ;
les divers registres d’opprobres auxquels est voué l’ancien ennemi ou les vecteurs de retissage des
liens...

10
Algérie-FrAnce : sortie(s) de guerre et « entrée en PAix »

courte, de l’État assurant le transfert de souveraineté, rapatriant ses unités


et réafectant ses fonctionnaires en métropole ne saurait a priori se comparer
avec les refus désespérés de paix 13, les écrasantes incertitudes de vie autre
ou les logiques industrielles 14. Pour autant, la capacité à « gouverner avec
les instruments » de l’État gaullien ne relève-t-elle pas d’une expérience
logistique acquise depuis 1940, à travers la gestion des déplacés et prison-
niers, puis le lent processus de reconstruction 15 ? L’eicience doit être
comprise à cette aune – ne rendant que plus scandaleuses les exclusions à
ce processus 16.
en second lieu, les intensités dépendent des échelles d’analyse. L’exode
de 1962 s’inscrit dans un long trend de migrations forcées 17 avec leur
cortège de sévices, de pillages et d’abandons 18. À cet égard, la marche forcée
a pris une dimension performative dans les imaginaires lorsque la caméra,
chargée de saisir les vaincus 19 ou de susciter la compassion 20, sert un message
idéologique. Mais là encore, que mesure-t-on ? Sous l’angle formel et statis-
tique, seule l’opération « Hannibal » menée en janvier-mai 1945 pour
rapatrier par la Baltique des allemands de Prusse orientale s’apparente à
l’exode maritime de 1962, tout comme certains articles des accords de
Potsdam incluent des considérations sur le déplacement de populations
civiles germanophones à l’instar des accords d’Évian 21. Mais 12 millions de

13. Olivier Dard, « L’armée française face à l’organisation armée secrète (OaS) », in Éric Duhamel,
Olivier Forcade, Philippe Vial (dir.), militaires en république, 1870-1962, Paris, Paresses univer-
sitaires de la Sorbonne, 1999, p. 687-699.
14. Outre la question nucléaire : Marie-Bénédicte Desjuzeur, « Les intérêts pétroliers en algérie : la
Compagnie française des Pétroles (1953-1965) », in rené Gallissot (« édit.), les accords d’évian
en conjoncture et en longue durée, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 59-66.
15. Saisissante, à cet égard, est la vision bien connue du port d’alger, immaculé de vide, tous les bateaux
l’ayant quitté – les images de liesse et de foule algériennes, souvent montées en parallèle, étant dans
les faits antérieures. un même uchronisme se retrouve entre le plein de times square à Londres (le
8 mai 1945) et le vide d’un Berlin déjà rendu à une circulation axiale le long des usines à l’été
1945.
16. abderahmen Moumen, « De l’algérie à la France. Les conditions de départ et d’accueil des rapatriés,
pieds-noirs et harkis en 1962 », matériaux pour l’histoire de notre temps, BDiC, n° 99, juillet-sep-
tembre 2010, p. 60-68.
17. antonio Ferrara [« esodi, deportazioni, e stermini. La « guerra-rivoluzione » europea (1912-1939) »
et, « esodi, deportazioni, e stermini. La « guerra-rivoluzione europea » (1939-1953) », contemporanea,
2006/3 et 4, p. 449-475 et 653-679] fournit une intéressante évaluation statistique.
18. aux véhicules jetés au fossé, faute de carburant, en 1940, répondent les biens meubles interdits
d’embarquer en 1962.
19. Le déilé – reconstitué par roman Karmen – des prisonniers hagards de Dîen Bîen Phu a même
vocation que le serpent humain des allemands défaits à Stalingrad se noyant dans la neige et la
brume de l’anéantissement.
20. La même image de vieille femme en noir (l’une aidée en 1940 par la Croix-rouge, l’autre par
un soldat en 1962) signale d’analogues systèmes de représentations pour saisir l’hébétude et le
désarroi. Sur ces questions : Benjamin Stora, « La guerre d’algérie : la mémoire par le cinéma », in
Pascal Blanchard et isabelle Veyrat-Masson (édit.), les guerres de mémoires. la France et son
histoire. enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques, Paris, La Découverte, 2008,
p. 267-272.
21. « Des droits et libertés des personnes et de leurs garanties », chap. ii [« De l’indépendance et de la
coopération. Si la solution d’indépendance et de coopération est adoptée, le contenu des présentes

11
PAtrick HArismendy

déplacés et réfugiés dans un espace dévasté, ruiné et occupé, se comparent


mal au million de Français appelés à s’établir dans un pays moderne, riche
et souverain. S’il existe l’important documentaire, Algérie, année zéro, tourné
à l’été 1962 22, voire – dans un autre registre –, 1945 : France, année zéro 23,
on s’étonnera alors d’autant moins de l’absence d’un 1962, année zéro, en
dehors d’une discrète page éponyme sur le site « piednoir.net ». Le contexte
de très forte incitation à s’insérer (ou se réintégrer) s’y prêtait mal.
Justement, ceci pose enin la question des spatialités. La distance à l’épi-
centre est a priori un bon indice quant à l’extension d’une onde de choc 24.
À ce compte, seuls les espaces métropolitains directement afectés par les
retours auraient dû connaître une post-guerre problématique. Or, les
travaux régionaux récents montrent une bien plus large incidence du fait
algérien, y compris après le 19 mars 1962. il y a donc d’autant moins eu
de démobilisation – permettant en particulier un travail de deuil 25 –, que
pour trouver une issue immédiate au conlit, le pouvoir gaullien, dont on
sait les atermoiements jusqu’au 4 novembre 1960 26, et face à l’échec des
accords d’Évian, n’a eu d’autre alternative que de re-mobiliser 27. Le discours
du 31 mai 1960 sur la situation internationale 28 annonçait déjà le déplace-
ment du militaire à l’économique qu’enfonce l’allocution du 14 juin 29. il
pouvait donner l’illusion « de réintroduire de l’ordre moral dans un univers
bouleversé par l’escalade de la violence guerrière 30 ». Or, non seulement
une partie de l’opinion ne s’y est pas trompée en se re-mobilisant sur le
déclarations s’imposera à l’État algérien »] des « Déclarations gouvernementales du 19 mars 1962
relatives à l’algérie » annexées aux accords d’Évian.
22. Marceline Loridan-ivens, Jean-Pierre Sergent, 1962, 40’.
23. alain Moreau, Patrick Cabouat, 2005, 85’.
24. Jusqu’au terme de la guerre froide, le rideau de fer irradiait un espace de tensions – au-delà du strict
no man’s land –, conférant à l’expérience du franchissement une puissance d’évocations singulière
s’estompant ensuite.
25. très remarquable est, à cet égard, Algérie 1962, l’été où ma famille a disparu (Hélène Cohen,
13Productions, 2011, 90’), à la fois découverte d’un enfouissement (la disparition, tue par le père
de la réalisatrice, de six membres de sa famille, juive et très marquée à gauche, de l’Oranais les 28
et 29 juin 1962) et subtile enquête sur des temps incontrôlés de in de guerre à partir de sources
familiales orales confrontées les unes aux autres. Le cheminement ultime est celui d’une acceptation
(de la mort) et d’une réception (des disparus) dans le for.
26. Lorsque le mot « république algérienne » est enin prononcé après bien des hésitations
[Guy Pervillé, « De Gaulle et l’algérie : succès ou échec d’une politique ? », in abdeljelil temimi
(dir.), mélanges charles-robert Ageron, Zaghouan, Fondation temimi pour la recherche scientiique
et l’information, 1996, vol. 2, p. 649-659].
27. Maurice Vaïsse (dir.), de gaulle et l’Algérie, 1943-1969, Paris, armand Colin, 2012.
28. « La tâche est rude. Mais, au milieu des alarmes du monde, voyez, Françaises, Français, de quel
poids peut peser, à nouveau, la volonté de la France ».
29. « il était une fois un vieux pays, tout bardé d’habitudes et de circonspection. naguère, le plus peuplé,
le plus riche, le plus puissant de ceux qui tenaient la scène, il s’était, après de grands malheurs,
comme replié sur lui-même... Étant le peuple français, il nous faut accéder au rang de grand État
industriel ou nous résigner au déclin. notre choix est fait. notre développement est en cours...
il est tout à fait naturel qu’on ressente la nostalgie de ce qui était l’empire, tout comme on peut
regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des
équipages. Mais quoi ? il n’y a pas de politique qui aille en dehors des réalités. »
30. John Horne, loc. cit., p. 6 [propos général et non appliqué au cas algérien].

12
Algérie-FrAnce : sortie(s) de guerre et « entrée en PAix »

terrain politique, donnant ainsi à la guerre une dimension matricielle et à


portée longue pour une génération, mais la démobilisation culturelle
– préalable nécessaire à la réconciliation –, n’a pas eu lieu. ratée, elle n’a
inalement pas créé les conditions satisfaisantes d’une entrée en paix 31.

31. Guy Pervillé, les accords d’évian (1962). succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne
(1954-2012) ?, Paris, a. Colin, Collection u, 2012.

13
Fin de la guerre d’Algérie,
de l’événement à l’histoire
Jacques Frémeaux

il n’est pas question ici de faire un compendium de la littérature qui a


été produite à propos de la in de la guerre d’algérie, encore qu’un tel projet
ne manquerait pas d’intérêt. Ces quelques rappels n’ont d’autre objet que
d’aider celui qui se dispose à entrer dans cette question à se la représenter
dans son ensemble, sans exclusive de point de vue ou de sensibilité. Peut-être
alors sera-t-on moins incapable de porter un regard historique sur des pans
entiers de cette compilation d’expériences qu’on appelle la réalité. Seule
l’œuvre d’art, en efet, approche intuitivement des questions que l’histoire
ne découvre, le plus souvent, qu’à travers un raisonnement discursif. elle
peut retrouver l’afectivité que la froideur de l’historien, praticien du temps,
se doit le plus souvent d’éviter.

Quelques impressions littéraires


une in de guerre paraît favoriser les représentations de la douleur des
vaincus. Michel Debré, dans le volume de ses mémoires consacré à la guerre
d’algérie, citait Virgile et les vers nostalgiques, tirés de l’énéide, dans
lesquels Énée, cédant aux instances de son hôtesse Didon, reine de Carthage,
entame le récit de la chute de troie : « infandum, regina, jubes renovare
dolorem » (« tu m’ordonnes, reine, de faire renaître une indicible douleur ») 1.
il aurait pu citer d’autres vers de Virgile, dont le sens m’a touché, lors de
mon premier accès aux Bucoliques, probablement en 1964. C’est la manière
dont le berger Mélibée annonce son expulsion de son domaine, conisqué
et attribué à un vétéran de l’armée d’auguste :
« nos patriae ines et dulcia arva linquimus
nos patriam fugimus... »
[« moi j’abandonne le terroir de mes pères ; moi je fuis ma patrie 2 »]...

1. Chant ii, vers 3.


2. Première bucolique, vers 3-4.

15
JAcques FrémeAux

Ces citations nous rappellent que les migrations forcées sont de tous les
temps.
Certes, on trouve parallèlement des textes qui font allusion à la joie des
algériens musulmans lors de l’indépendance. un des plus lyrique, est
– paradoxalement ? – celui d’un Français d’algérie, Jules roy, dans une belle
page des chevaux du soleil :
« S’ils étaient saouls, c’était de soleil et de ce jour où ils pouvaient procla-
mer pour la première fois qu’ils avaient une patrie, qu’elle existait et qu’ils
existaient en elle, ils allaient à la rencontre de la mer, ils étaient des vagues
que rien ne pourrait arrêter. toute l’algérie en marche aluait là, grouillait
et débordait. Même la lamme et la fumée des derricks dans le désert avait
dû changer. Ce soir, la Croix du Sud allait chavirer 3... »
il convient, enin, de rappeler une citation qui insiste surtout sur le
sentiment d’incertitude, voire d’angoisse. elle est de Mouloud Feraoun,
dont on connaît le destin tragique et qui notait, dans les derniers jours
de 1961 :
« Bientôt, on le sent, ce sera la in. Mais quelle in ? La plus banale, peut-
être qui sera aussi la plus logique. Peut-être aussi la plus inattendue, qui
apparaîtra après coup comme la seule possible, celle à laquelle chacun jurera
d’avoir songé, et qui n’étonnera donc personne, mécontentera tout le
monde, permettra enin à ceux qui seront encore là de se remettre à vivre,
en commençant par oublier.
Bientôt une page sinistre sera tournée et le soleil tout blanc se lèvera dans
un ciel pur pour éclairer de son éternelle promesse un pays désolé, indifé-
rent à la douleur des hommes et insensible à ses propres ruines 4. »
Ces trois modalités, peut-on croire, résument trois formes d’état d’esprit,
dont les deux derniers ne s’excluent pas forcément l’un l’autre. il n’est pas
interdit après les avoir reconnues de les inscrire dans une rélexion métho-
dologique et programmatique.

Questions de méthode
L’événement se présente comme une collection de sensations émotion-
nelles ou de séquences, vécues et remémorées par une série de témoins
individuels, mélangeant les sensations personnelles du moment, mais aussi
des éléments de connaissance intégrés par la suite, provenant de lectures,
de propos, de rumeurs, ainsi que d’images vues dans des magazines, au
cinéma ou à la télévision. L’événement est vécu diféremment selon l’enga-
gement du témoin, selon sa distance par rapport à lui. il peut ainsi être

3. Jules roy, le tonnerre et les Anges, Paris, Grasset et Fasquelle, 1975, p. 402.
4. Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962, 26 septembre 1961, Paris, Le Seuil, 1962, coll. Points,
p. 477.

16
Fin de lA guerre d’Algérie, de l’éVènement à l’Histoire

traumatisant, gratiiant ou presque neutre. il peut être selon le cas impor-


tant ou subalterne.
L’événement, même s’il reste pour chaque individu qui l’a vécu inten-
sément un trésor (ou une malédiction) bien à lui, ne devient historique que
s’il concerne un nombre suisant de personnes pour qu’il puisse susciter la
représentation d’un destin partagé ou d’une épreuve commune. C’est à
l’intérieur de ce groupe que s’élabore une première vulgate de l’événement.
Sa forme est le plus souvent un récit présenté comme l’expression
d’une communauté qui est supposée s’exprimer à travers lui. À ce discours
adhèrent des membres du groupe en question, qui s’attribuent et auxquels
va être par la suite attribué le monopole de cette expression.
une construction s’élabore alors, qu’on pourrait appeler majoritaire, à
la fois du point de vue des émotions que l’événement suscite et de l’inter-
prétation qu’il convient de lui donner. On peut la déinir de manière statis-
tique, comme représentant les attitudes les plus fréquentes. elle correspond
aussi à la manière dont, au sein du groupe, se construisent des rapports de
force qui réservent la prédominance, sinon l’exclusivité, de la parole, à ceux
qui ont su prendre et garder le pouvoir. Cette vulgate laisse donc de côté
tous ceux qui seraient disposés à penser autrement ou ceux qui, tout en
pensant la même chose, vivent de manière à démentir les opinions auxquelles
ils adhèrent. elle représente donc une certaine mutilation de la diversité du
réel.
Le travail de l’histoire est évidemment diférent, puisqu’elle s’eforce de
bâtir un récit qui soit suisamment impartial pour être acceptable par tous
les auditeurs ou tous les lecteurs. Pour cela, elle part naturellement des
événements que retiennent les mémoires, mais elle les transforme en faits,
en tâchant de les préciser, de les expliquer et de les replacer dans un ensemble.
il y a donc dans la démarche historique une démarche de type scientiique.
elle ne saurait être afaire de point de vue, même si on peut aborder
une même histoire à partir de perspectives et avec des interrogations difé-
rentes, dans laquelle la situation subjective a sa part.
S’il ne doit pas être dépourvu de sympathie, et s’il est souhaitable qu’il
ait suisamment d’imagination pour se représenter un monde lointain et
révolu, ce qui est encore plus vrai pour l’Outre-Mer que pour toute autre
zone géographique, peu importe que l’historien ait vécu l’événement ou
non. Seule importe sa capacité à collecter et à synthétiser les témoignages
et les documents qui servent de base à son travail d’élaboration. S’il peut
écouter et s’il peut aider à reconnaître le discours de la victime (et en cela
sa démarche peut avoir un caractère thérapeutique), ce n’est pas là sa visée
fondamentale, car il lui faut écouter tout autant le discours du bourreau ou
prétendu tel, pour en expliquer les actes.
La in de la guerre d’algérie ne peut échapper à cette contradiction entre
mémoire et histoire, qui souvent amène l’historien à être critiqué ou incom-

17
JAcques FrémeAux

pris par ceux qui espèrent trouver dans ses écrits un discours tout à la fois
distancié et qui ne froisse pas leur sensibilité. en attendant, il est possible
de repérer dans la littérature de témoignages, voire dans des ouvrages qui
ne se dégagent pas suisamment de leur documentation, plusieurs types de
récits. On pourrait parler à leur propos de récits collectifs dominants, qui
opèrent à partir d’un choix d’événements et aussi de leur coloration afective
un amalgame tendant à leur donner un sens qui les rend acceptables, tout
en faisant perdre de vue l’authenticité qui caractérise l’approche de l’histo-
rien. On se contente ici de caractériser très brièvement quelques-uns de ces
récits.

Quelques récits
Le plus anciennement entendu en France, sinon le plus écouté, est sans
doute le récit « pied-noir », qui achève de fonder l’identité de ce groupe au
point que certains en ont même fait, sans doute avec exagération, un récit
fondateur. C’est, pour faire bref, ce qu’on peut appeler une vision de
vaincus. il se présente comme l’histoire d’un exode inexplicable – quoique
paradoxalement annoncé depuis longtemps par le slogan « la valise ou le
cercueil » –, exode précédé et accompagné par une série d’épisodes drama-
tiques, en particulier l’action de l’OaS, dont la responsabilité, évidente,
mérite d’être mieux établie et les enlèvements par le FLn, dont on sait
qu’ils concernèrent plus de 3 500 personnes, dont la moitié ne furent jamais
retrouvées 5.
Sur 1 033 000 « non musulmans » recensés en 1958, dont 60 000 étran-
gers, et environ 100 000 Français nés en métropole, 80 % ont quitté l’algérie
avant septembre 1958. il faut se souvenir, par ailleurs, que 80 000 vont
suivre en 1963. au-delà de certaines arguties qui tendraient à réduire
l’importance du phénomène, on devrait plutôt chercher à se demander si
tous virent ces départs comme déinitifs, et pourquoi les retours souvent
désirés n’eurent pas lieu. Cela consisterait à développer l’argumentation,
indiquée par nous voici déjà vingt ans, que outre la peur, était intervenu
dans les motifs du départ le refus de vivre à égalité avec les musulmans dans
le cadre d’une république à la fois arabe, musulmane et socialiste, et que,
pour ceux qui étaient prêts à l’accepter, cette vie s’était révélée diicile, voire
impossible 6.

5. Jacques Berque, dépossession du monde, Paris, Le Seuil, 1964 (cité in Philippe Lucas et
Jean-Claude Vatin, l’Algérie des Anthropologues, Paris, Maspero, coll. textes à l’appui, 1975, p. 260).
6. Plutôt que Pierre Daum, ni Valise, ni cercueil, Paris, actes Sud, 2012, on lira Jacques Frémeaux,
« rapatriés : les conditions d’un exode », actes du colloque les rapatriés dans la région languedoc-
roussillon (1962-1992), Montpellier, université Paul-Valéry, 1992, p. 37-56, et aussi andrea L. Smith,
“Coerced or Free ? Considering Post-Colonial returns”, in richard Bessel, Claudia Haake (eds),
removing People, Forced removal in modern World, German Historical institute London, Oxford,
2009, p. 395-414.

18
Fin de lA guerre d’Algérie, de l’éVènement à l’Histoire

Cet exode est aussi la in d’un monde, dont la destruction est symbolisée
par les incendies allumés par l’OaS, et qui peuvent être interprétés moins
comme la conséquence d’une tactique que comme « ces feux du désespoir »
qui servent de titre au dernier volume de l’Histoire de la guerre d’Algérie
d’Yves Courrières. De manière moins dramatique, cet exode s’accompagne
d’un repli plus réléchi, sinon toujours bien organisé, de l’armée, des
administrations, des entreprises, ensemble de procédures qui relèvent du
« démontage colonial » étudié sous la direction de Daniel Lefeuvre 7.
Le voyage et l’arrivée en France méritent aussi l’intérêt. On ignore
encore beaucoup de la logistique des départs. Les archives des compagnies
maritimes et de l’aviation pourraient être sollicitées 8. Fort légitimement,
les premiers mois de l’installation sont généralement décrits sur un mode
traumatisant. Les mesures d’accueil prises par le gouvernement et l’admi-
nistration commencent aussi à être bien connues. On a rarement travaillé,
en revanche, sur les quelques expressions de satisfaction qui ont pu exister.
Michel Droit, qui a évoqué ce type de situation dans le retour, n’a-t-il écrit
qu’un roman 9 ? Le type de réaction en fonction des générations, des genres
et évidemment des milieux sociaux mériterait aussi d’être étudié.
Le récit algérien contraste à l’évidence très fortement avec le précédent :
c’est une vision de vainqueurs, parallèle plutôt que contraire à celle des
Pieds-noirs. Si on comprend bien la tristesse des vaincus, comment doit-on
interpréter au fond une joie populaire telle que celle qui s’exprime dans les
journées suivant la proclamation de l’indépendance ? La forme de ces
manifestations mériterait d’être questionnée comme l’ont été les fêtes de la
révolution française, en étudiant les symboles, les rituels, les organisateurs,
la composition même des foules. L’analyse des sentiments qui s’expriment
mériterait également d’être faite. est-il possible qu’aux expressions de joie
ne se mêle pas l’exaltation d’une identité qui n’est pas exclusive, soit chez
les simples, soit chez ceux qui les manipulent, des sentiments de xénophobie,
et plus encore, comme le manifeste le sort des harkis, d’une volonté d’épu-
ration de forme terroriste ?
La victoire, par ailleurs, ne saurait efacer les tragédies éprouvées. en
général, les seuls à goûter un bonheur sans mélange sont ceux qui connais-
sent la victoire par procuration, sans bien comprendre, ni ce qu’elle a coûté,
ni ce qu’elle apporte. toute victoire en efet entraîne avec elle des sentiments
complexes, qui tiennent au fait qu’on se sait condamné, pour demeurer
victorieux, à vivre avec son adversaire et à répéter sans cesse les épisodes
d’un combat. Ce sentiment, combiné avec la revendication des victimes
7. Colloque démontages coloniaux, archives d’Outre-Mer aix-en-Provence, 5-6 mars 2010, riveneuve,
2013. Jean Fremigacci, Daniel Lefeuvre et Marc Michel (dir.), démontages d’empires, Paris,
riveneuve éditions, 2012.
8. Colloque 1962, mémoire maritime du rapatriement d’Algérie, alcazar, Bibliothèque de Marseille, 8
et 9 septembre 2008.
9. Michel Droit, le retour, Paris, Julliard, 1964.

19
JAcques FrémeAux

algériennes de la guerre de voir leurs soufrances reconnues, est sans doute,


jusqu’à aujourd’hui, au fond des demandes de repentance. Comment, par
ailleurs, la satisfaction de voir la demande d’indépendance enin satisfaite
s’accorda-t-elle avec le maintien d’un très fort désir d’émigrer en France ?
D’autres questions peuvent se poser à l’historien. Comment, en dehors
de quelques clichés, les algériens se représentèrent-ils le départ des Français ?
Furent-ils soulagés, angoissés, attristés ou simplement ébahis ? Virent-ils
dans cet exode une fuite souhaitable, qui les laissait libres de construire
une algérie nouvelle ? Ou plutôt uns sorte d’abandon de la part d’hommes
et de femmes au contact desquels ils s’étaient habitués à vivre depuis des
générations, et dont ils n’imaginaient guère qu’ils ne pussent continuer à
travailler à leurs côtés ?
il faut ajouter que, aussitôt acquise, la paix fut remise en question, la
proclamation de l’indépendance s’entrelaçant avec une guerre civile arrêtée
de justesse, mais au prix de la coniscation du pouvoir par les militaires de
l’extérieur, d’abord sous le couvert de Ben Bella, puis sans lui trois ans plus
tard. Quelle fut dans cet épisode la part exacte du gouvernement français,
dont on sait d’ores et déjà qu’il it beaucoup pour éviter au nouvel État
algérien une faillite totale ? Plus généralement, quel était, par-delà tous les
débats, le potentiel exact laissé par l’occupation française, et comment la
continuité des services publics (remarquable dans certains cas, comme celui
des Ptt), continua-t-elle à être assurée ?
il faut souligner pour conclure que la in de la guerre d’algérie, en même
temps qu’elle voit l’écroulement de la vieille société coloniale, met tout
un pays en mouvement, l’indépendance étant aussi, et pas seulement selon
la terminologie du FLn, une révolution. Comme l’a écrit Bruno Étienne,
l’algérie de 1962 « n’existe plus et elle n’est pas encore : elle est en état de
dislocation existentielle 10 ». tandis que, dans les campagnes, s’ouvrent les
portes des camps de regroupement, les populations musulmanes des
quartiers périphériques des villes commencent à investir les quartiers
centraux européens. Comment se détruit une société coloniale, et même
les signes d’un type de vie européen ? Qu’est-ce qui en reste ? Comment
l’espace réinvesti par les successeurs est-il utilisé et réinterprété, en particu-
lier des lieux particulièrement symboliques, églises, synagogues,
monuments ? Comment se irent les réoccupations d’immeubles ou de
biens ? Cette observation conduit à s’interroger sur le phénomène de transi-
tion, qui s’amorce en 1962 et amène, pour un temps assez court il est vrai,
sous forme de coopération, une inluence occidentale non coloniale qu’il
conviendrait d’étudier 11.
Le récit français de métropole lui aussi est un récit à plusieurs voix.
Voici quelques citations qui pourraient constituer une sorte de com-
10. l’Algérie, cultures et révolutions, Paris, Le Seuil, 1977, p. 30.
11. Catherine Simon, l’Algérie : les années pied-rouges, Paris, Le Seuil, 2009.

20
Fin de lA guerre d’Algérie, de l’éVènement à l’Histoire

mentaire oiciel à l’événement, selon une froideur qui a parfois été repro-
chée aux dirigeants. L’une est celle de l’échange entre le Président de la
république et son Premier ministre à l’issue du Conseil des ministres du
21 février 1962 :
« – Charles de Gaulle : n’oubliez jamais à quel point, pendant des années,
les arabes ont été humiliés !
– Michel Debré : Je ne l’oublie pas, mais je n’oublie pas non plus l’œuvre
de la France !
– Charles de Gaulle : L’Histoire en gardera le souvenir, mais les temps ne
sont plus ce qu’ils étaient 12. »
L’autre rappelle la réponse du Général à Christian Fouchet, dernier
représentant, avec le titre de haut-commissaire, de la lignée des gouverneurs
généraux de l’algérie, le 4 juillet 1962 :
– C’est à vous seul, mon général, que je veux poser la question que voici :
M. Farès m’a demandé d’assister cet après-midi à une cérémonie devant le
bâtiment de l’exécutif provisoire, où le drapeau algérien sera hissé, pour la
première fois, en haut d’un mât. Je ferai ce que vous direz de faire.
[...]
– Je ne vois pas qu’il soit nécessaire d’assister à cette cérémonie, ni de
vous y faire représenter 13. »
Cette distanciation, au moins apparente, n’est pas celle de tous les
responsables politiques. François Mitterrand, alors farouche opposant au
gaullisme, écrit peu après : « Quelle honte dépassera celle qui nous atteint
tous devant le sort des centaines de milliers d’algériens qui n’ont plus de
patrie parce qu’ils ont choisi la nôtre 14 ? » Pierre Messmer, ministre des
armées en 1962 et idèle du général de Gaulle, n’est pas loin de dire,
un quart de siècle plus tard, la même chose en regrettant de ne pas avoir
tenté d’obtenir du Président de la république une déclaration dénonçant
les exactions du FLn et exigeant leur arrêt. « au moins, écrit-il, l’honneur
eût été sauf 15. »
Ce n’est qu’en refusant de voir les aspects les plus insoutenables de ces
violences de in de guerre ou en ne les jugeant que très secondaires, en
regard des « atrocités du colonialisme », que les partisans français du FLn
peuvent justiier leur soutien à celui-ci. ils ne réussissent guère pour autant
à populariser sa cause. Si l’opinion française renonce assez facilement à la
iction de l’algérie française, c’est parce qu’elle permet d’espérer ne plus
rien avoir à faire avec l’algérie tout court, et avec ses tueries. Beaucoup
diraient sans doute, comme l’a écrit Pierre Messmer : « Je ne suis jamais
12. Michel Debré, mémoires, t. 3, gouverner, 1958-1962, Paris, albin Michel, 1988, p. 304.
13. Christian Fouchet, mémoires d’hier et de demain. Au service du général de gaulle, Paris, Plon, 1971,
p. 190.
14. François Mitterrand, le coup d’état permanent, Paris, Plon, 1964, p. 46.
15. Pierre Messmer, les Blancs s’en vont. récits de décolonisation, Paris, albin Michel, 1998, p. 180.

21
JAcques FrémeAux

retourné en algérie et je n’y retournerai jamais. Ce pays sanguinaire me fait


horreur 16. »
On pourrait aussi se pencher sur le récit militaire français, qui est au
moins aussi complexe que les autres. il combine les regrets et une certaine
satisfaction, selon des proportions diférentes en fonction des individus et
des grades, l’amertume étant sans doute plus grande chez les oiciers. Le
retour et le reclassement des militaires et des oiciers constituent aussi
un point extrêmement intéressant, abordé par Pierre Messmer 17. Le deuil
des familles de militaires, assez peu reconnu à l’époque, mériterait aussi
d’être interrogé.
Certes, la plupart de ces études sont délicates à mener, étant donné
l’atmosphère légitime de passion qui entoure les épisodes dont elles s’efor-
cent de rendre compte. il existe, malgré tout, des approches qui permettent
de prendre le recul nécessaire en renforçant la perspective historique.

Dépassionner cet épisode ?


aider à mieux comprendre le passé ne vise pas forcément à le rendre
plus acceptable, mais peut contribuer à construire un discours commun à
l’usage des générations qui voudront s’en servir.
Comme dans toute recherche, l’historien de la guerre d’algérie doit être
attentif à deux éléments. il doit d’abord le plus possible varier et adapter
ses analyses en considérant les diférentes échelles (de l’État à l’entreprise).
il doit ensuite, dans son travail, être attentif autant aux continuités qu’aux
ruptures que la vision des protagonistes tendrait à lui imposer (pour
s’exprimer de manière rapide, un certain nombre de choses cassent, mais
d’autres continuent tout de même à fonctionner). une bonne façon d’opérer
consiste à situer le sujet dans un ensemble plus large, selon des directions
dont nous suggérons seulement quelques-unes.
L’approche par l’histoire comparée est probablement une des plus
fécondes. La manière dont la in de la guerre d’algérie se déroula et fut
vécue peut en efet se rattacher à des ensembles plus vastes. Selon
une première approche, qui n’a guère été étudiée, elle se rattache au relux
général des européens ou des populations culturellement liés à eux dans les
pays d’Orient depuis une époque qu’on peut faire commencer aux échanges
gréco-turcs de 1923. Sous une autre modalité, l’épisode relève plutôt de la
problématique de l’accueil des réfugiés en europe 18. il faut aussi, du point
de vue algérien, étudier cet épisode en regard de la construction de l’État-

16. ibid.
17. Pierre Messmer, Après tant de batailles, Paris, albin Michel, 1992, notamment p. 266.
18. Colloque la nation et ses rapatriés. Pieds noirs et Vertriebene dans une perspective comparée, institut
historique allemand, 7-9 mars 2012. Voir aussi Olivier Forcade et Philippe nivet (dir.), les réfugiés
en europe du XVIe au XXe siècle, Paris, nouveau Monde Éditions, 2008.

22
Fin de lA guerre d’Algérie, de l’éVènement à l’Histoire

nation post-colonial, et le comparer avec celui d’autres États ayant traité


des questions analogues, notamment ceux d’afrique australe 19.
Les Pieds-noirs présentent la particularité d’être de doubles immigrants,
d’abord du pays natal en algérie, puis de l’algérie à la Métropole. Leur cas
pourrait donc s’apparenter aussi aux études de l’immigration européenne
en France, ce qui paraît avoir été assez rarement tenté 20. La référence à leurs
récits d’exil ne saurait sans doute se concevoir en dehors d’une mémoire de
l’installation, qui put également correspondre à de mauvais souvenirs et au
sentiment erroné que l’algérie était une table rase 21. La mémoire de leurs
descendants est sans doute plus encore à retrouver, car elle se compose
moins d’un contenu que d’un vide fait d’ignorances et d’oublis.
enin, il y a sans doute beaucoup à attendre d’une approche par l’étude
des traumatismes psychiques de guerre qui, il faut le remarquer, a toujours
beaucoup plus concerné, en tout cas jusqu’à une période récente, les trauma-
tismes subis par les militaires au retour d’opérations. il faut entendre par là
« la blessure secrète que la violence de la guerre a inligée au psychisme de
ceux qui l’ont connue ». toute personne ayant été au contact des Français
d’algérie, mais aussi de nombre d’algériens musulmans, n’a pas de peine à
repérer chez eux les symptômes de ces névroses :
« Souvenirs obsédants ; visions hallucinées, cauchemars, sursauts, accès
d’étrangeté et d’angoisse, sentiment d’insécurité, peur phobique de tout ce
qui rappelle la guerre et la violence, lassitude, impression d’être incompris,
irritabilité et tendance au repli sur soi dans les ruminations amères 22. »
il faut remarquer que la reconnaissance de ces troubles, dits « névroses
de guerre », et plus encore la manière de les traiter, étaient encore à l’état
embryonnaire dans les années 1960, en dépit des recherches menées au
cours des deux guerres mondiales. L’accueil s’est donc limité à des actions
de type charitable, qui n’étaient guère en mesure d’aider les victimes à
surmonter leurs troubles 23. Ceux-ci ne furent pas vraiment reconnus en
tant que tels 24.

19. Guy Pervillé, « Décolonisations « à l’algérienne » et « à la rhodésienne » en afrique du nord et en


afrique australe », in Charles-robert ageron, Marc Michel (dir.), décolonisations comparées, actes
du colloque d’aix-en-Provence, 30 septembre-3 octobre 1993, Paris, Karthala, 1995, p. 26-37.
20. Par exemple, ralph Schor, qui n’en parle pas dans sa remarquable Histoire de l’immigration en France,
Paris, armand Colin, 1996.
21. Jacques Frémeaux, « albert Camus, le premier homme ou la mémoire fracassée », Colloque
les déracinés, nice, CePn, 1997, p. 77-82.
22. Louis Crocq, les traumatismes psychiques de guerre, Paris, Odile Jacob, 1999, p. 9-10.
23. ibid., p. 346.
24. Jacques Frémeaux, « De Gaulle et les Pieds noirs (1962-1969) », in Maurice Vaïsse (dir.), de gaulle
et l’Algérie, 1943-1969, armand Colin/Ministère de la Défense, 2012, p. 248-263.

23
JAcques FrémeAux

Conclusion
au total, on peut dès maintenant percevoir la multiplicité et la profon-
deur des recherches que suggère cette problématique de in de la guerre
d’algérie. Évidemment aucun colloque, aucun livre, ne saurait répondre à
toutes ces interrogations. Malgré tout, c’est en avançant patiemment dans
le dévoilement des processus historiques qui s’expriment à travers cet
épisode particulier qu’on peut espérer les faire entrer dans un ensemble
d’expériences destinées, non point à instruire un procès quelconque, mais
plutôt à constituer un savoir dans lequel il serait sans doute vaniteux de lire,
comme le souhaitait Schopenhauer, « l’expérience de l’humanité », mais qui
pourrait au moins contribuer à un rapprochement franco-algérien.

24
Première partie
PArtir-Arriver
Survivre à l’indépendance algérienne :
itinéraires de Moghaznis en 1962-1963
Gregor Mathias

en 1955, le Gouvernement général de l’algérie crée des SaS (Sections


administratives spécialisées) destinées à conquérir « les cœurs et les esprits »
de la population. La SaS aide la population en construisant des écoles, en
embauchant des chômeurs pour des chantiers de routes et de pistes, en
développant l’agriculture, en soignant les malades, en scolarisant les enfants
et en faisant élire des conseillers municipaux. La SaS recrute une trentaine
de supplétifs, les moghaznis, pour protéger l’oicier SaS et assurer la
sécurité de la population. À la tête de son maghzen, l’oicier SaS organise
des patrouilles, recherche des renseignements, démantèle l’infrastructure
rebelle, c’est à dire l’organisation politico-administrative du FLn présente
au sein de la population 1. Les moghaznis, par leurs missions civiles et
militaires au sein des SaS, se distinguent souvent des autres groupes de
supplétifs aux missions purement militaires, comme les gardes des GMS
(Groupes mobiles de sécurité) gérés par le ministère de l’intérieur et les
harkis recrutés par le ministère des armées.
Évoquer l’itinéraire des moghaznis au moment de l’indépendance
algérienne, c’est mettre en cause leur abandon par l’armée française et la
responsabilité des oiciers SaS qui les ont engagés. De 1955 à 1960, les
oiciers des SaS recrutent massivement des moghaznis pour les aider à
mettre en œuvre la paciication de l’algérie. Face aux perspectives d’abandon
des supplétifs, les chefs de SaS préviennent leur hiérarchie dès 1960 des
conséquences sur la vie de leurs moghaznis en rappelant l’expérience
malheureuse de l’indochine. néanmoins, les chefs de SaS qui ont eu le plus
d’inluence sur leurs moghaznis sont ceux qui sont restés deux à trois ans
dans leur circonscription. Ces derniers, oiciers d’active ou oiciers de
réserve en situation d’active, ont souvent demandé leur mutation dès le
milieu de l’année 1960 jusqu’à l’été 1961, lorsqu’ils comprennent que

1. Gregor Mathias, les sections administratives spécialisées en Algérie, entre idéal et réalité (1955-1962),
Paris, L’Harmattan, 1998.

27
gregor mAtHiAs

l’algérie s’achemine vers l’indépendance à la suite des discours du général


de Gaulle et de l’échec du putsch d’alger d’avril 1961.
Du 19 mars 1962 au 13 juin 1962, les SaS sont regroupées, puis
dissoutes. Durant cette période de trois mois, deux attitudes contradictoires
apparaissent au sein des oiciers SaS. Si certains oiciers incitent les
moghaznis à venir en métropole, et vont jusqu’à organiser des ilières
clandestines de rapatriement, la majorité des jeunes oiciers SaS, souvent
issus du contingent, connaissent mal les supplétifs et les haines tissées au
sein de la société musulmane algérienne durant les huit années de guerre.
ils incitent donc les moghaznis à rester et à faire coniance aux garanties des
accords d’Évian. il faut aussi mentionner certains oiciers SaS, qui n’hési-
tent pas à abandonner lâchement leurs moghaznis lors de l’évacuation de
leur SaS. Cette diversité d’attitudes des oiciers SaS à l’égard du rapatrie-
ment se retrouve également au sein des moghaznis. Si une minorité de
supplétifs musulmans est consciente du risque qu’elle coure en demeurant
en algérie après l’indépendance, la grande majorité des supplétifs semble
indécise et veut croire aux promesses d’apaisement du FLn de ne pas
exercer de représailles ou à l’eicacité de la protection de leur clan. Les
moghaznis cèdent souvent aux pressions de leur épouse ou de la belle-fa-
mille réticente à voir partir leur mari ou gendre dans un pays lointain et
inconnu.
en s’appuyant sur une vingtaine de témoignages de moghaznis recueillis
en 1998, nous essayerons de voir quel a été le destin des moghaznis entre
le cessez-le-feu et jusqu’à la première année de l’indépendance de l’algérie.
nous tenterons de voir comment les moghaznis ont vécu leur rapatriement
ou leur abandon. nous verrons aussi comment se sont organisés les massa-
cres de harkis et si ceux-ci ont été systématiques ou non. Les témoignages
nous permettront de mieux comprendre les stratégies de survie mises en
œuvre par les moghaznis pendant cette période.

La chronologie des massacres en Algérie


Selon le rapport du 21 juin 1963 du général de corps d’armée de
Brébisson, commandant supérieur des forces armées françaises en algérie,
cité par l’historien abderahmen Moumen, il y aurait eu quatre phases
d’exactions : des accords d’Évian au scrutin d’indépendance de mars
à juillet 1962 ; pendant la vacance du pouvoir de juillet à septembre 1962 ;
ensuite, lors de l’installation du premier gouvernement de Ben Bella jusqu’au
premier trimestre 1963 ; et enin une quatrième phase de « massacres spora-
diques et circonscrits » émerge en 1964 2. Le rapport de l’ancien sous-préfet
2. abderahmen Moumen, « Les massacres des harkis lors de l’indépendance de l’algérie », in
Fatima Besnaci-Lancou, Benoit Falaize, Gilles Manceron (dir.), les harkis. Histoire, mémoire et
transmission, Paris, Éd. de l’atelier, 2010, p. 63-73.

28
surViVre à l’indéPendAnce Algérienne

d’akbou, Jean-Marie robert destiné à alexandre Parodi, président du


Comité national pour les Musulmans français rédigé en mai 1963 a eu
un retentissement important en France en décrivant les massacres de harkis
de son arrondissement. il évoque l’arrestation de 750 « harkis » : deux-tiers
de supplétifs et un tiers de francophiles (conseillers municipaux, conseillers
généraux, anciens combattants) dans sa circonscription d’akbou entre le
27 juillet et le 15 septembre 1962. 350 personnes sont exécutées par groupe
de cinq à six par jour, tandis que l’autre moitié est relâchée entre la in août et
le 15 septembre 3. Malgré tout l’intérêt d’un tel rapport, on peut d’emblée
voir que ces arrestations et massacres s’inscrivent dans la deuxième phase des
massacres citée par le général de Brébisson et qu’ils ne concernent qu’un
arrondissement. abderahmen Moumen parle de la première phase comme
de massacres assez épars sur tout le territoire (mars-juillet 1962) en raison de
« la présence encore massive des unités militaires », qui dissuaderait les repré-
sailles sans empêcher des massacres localisés. Mais si abderahmen Moumen
reconnaît le déicit d’informations sur les villages évacués, les témoignages
recueillis permettent de combler ce déicit. La deuxième phase se manifeste
par des représailles massives (juillet-septembre) menées par le FLn, l’aLn
et « les marsiens » (résistants de la dernière heure). La troisième phase (octobre
1962 – février 1963) est une période au cours de laquelle la police et l’anP
(armée nationale populaire) établissent des listes et procèdent de manière
systématique à des arrestations, des exécutions et des emprisonnements
(7 000 prisonniers estimés par l’historien Ch.-r. ageron). La quatrième
phase (1963-1965) se caractérise par des « rales sporadiques 4 ».

Des moghaznis diicilement rapatriés


Certains oiciers SaS se sont occupés de rapatrier les volontaires en
France et ont sauvé la vie à leurs moghaznis. M. Bouhala 5 explique que le
capitaine Huc a réuni les moghaznis de la SaS d’aït Saada (Fort-national)
pour leur proposer de venir en France ou de rester en algérie. auparavant
le capitaine Huc lui promet personnellement, ainsi qu’à son épouse, de les
emmener en France. Sur la vingtaine de moghaznis, trois décident de venir
en France. Comme son capitaine est blessé dans un accident de la route,
des gendarmes les convoient jusqu’à Fort-national, où ils partent avec
l’armée. il apprend par la suite, grâce à un courrier reçu à rivesaltes, que
les autres moghaznis ont tous été massacrés.
3. Mohand Hamoumou, abderahmen Moumen, « L’histoire des harkis et Français-musulmans, la in
d’un tabou ? », in Mohammed Harbi, Benjamin Stora (dir.), la guerre d’Algérie 1954-2004, la in
de l’amnésie, Paris, r. Lafont, 2004, p. 317-344.
4. abderahmen Moumen, « Violences de in de guerre. Les massacres de harkis après l’indépendance
algérienne (1962-1965) », in Marie-Claude Marandet (dir.), Violence(s)de la Préhistoire à nos jours.
les sources et leur interprétation, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2011, p. 331-346.
5. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 612. entretien réalisé par G. Mathias.

29
gregor mAtHiAs

a. 6, moghazni à la Sau (Section administrative urbaine) du Clos


Salembier, est pour sa part informé du désarmement et de l’abandon des
supplétifs par le radio qui lui divulgue les messages classiiés secrets : « Ces
messages disaient : commencer à désarmer les harkas ; désarmer les SaS ;
renvoyer les gens dans leur foyer en leur enlevant les uniformes ; régler les
soldes. » il faut replacer ces instructions dans leur contexte ; de nombreuses
désertions touchent les unités de supplétifs dès la in de l’année 1961 et au
début de l’année 1962. Ces désertions incitent les autorités à faire surveiller
les armureries des SaS et des harkas, car l’aLn n’accepte dans ses rangs que
les déserteurs ayant emporté leur arme. Malgré ces précautions, dans la
région au sud d’alger, ce ne sont pas moins de soixante supplétifs – toutes
unités confondues – qui désertent dans le mois qui suit le cessez-le-feu 7.
Dans l’aurès, a. ayta, harki à la SaS d’arris évoque après le cessez-le-feu
la désertion de six moghaznis parmi la trentaine de supplétifs d’arris 8.
L’armée organise progressivement le désarmement des harkas et des
maghzens. Les instructions incitent à licencier les supplétifs en proposant
des primes avantageuses et en restreignant l’arrivée en France aux seuls
supplétifs célibataires ou instruits. Le capitaine Gauthier, chef de la Sau
du Clos Salembier met ainsi le moghazni a. dans un DC-3 militaire de
l’armée de l’air quelques jours avant le cessez-le-feu et lui dit : « Saïd, tente
ta chance en France. Maintenant, c’est terminé. tu parles bien français, tu
t’exprimeras bien. en France, tu passeras inaperçu. » a. le reconnaît, si son
chef de SaS ne lui avait pas dit de partir, il serait resté en algérie et aurait
peut-être été tué.
La dispersion et l’isolement des moghaznis semblent être un obstacle
pour être évacué. J.-P. Sénat, chef de SaS à la SaS du barrage de Ghrib (à
l’ouest de Médéa) conseille à ses moghaznis de venir en France. Z. 9 accepte,
mais dit qu’il veut retourner chez lui pour récupérer sa famille. J.-P. Sénat
lui demande de le rejoindre par l’intermédiaire de la gendarmerie de Borély-
la-Sapie. Or en arrivant, la gendarmerie est occupée par la Force locale :
« Moi, on m’a dit que la Force locale, c’était comme l’armée. » Z. décide de
s’y engager entre mars et juillet 1962. Ce changement radical d’attitude
montre la réticence de certains supplétifs à partir et leur volonté de s’accro-
cher à toute alternative oferte de rester : « On patrouillait dans le village.
On restait dans la caserne. On était un peu comme des prisonniers. On
était trois anciens harkis, le reste que des fellaghas. » Z. se voit ofrir des
garanties que tout se passera bien. Mais par la suite, il voit que l’aLn égorge
des harkis de sa commune (probablement à la suite de l’indépendance) :

6. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 614. entretien réalisé par G. Mathias.


7. Gregor Mathias, « Vie et destins des supplétifs d’Hammam Melouane », outre-mers, n° 356-357,
2e semestre 2007, p. 241-265.
8. Pierre Schœndœrffer, Harkis, soldats abandonnés, Paris, XO éditions, 2012, p. 51.
9. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 660. entretien réalisé par G. Mathias.

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surViVre à l’indéPendAnce Algérienne

« ils ont égorgé presque devant moi : Madjoub, deux Bengoulal, aytolla,
Benkaya... ils ont tué mes amis devant moi, car ils étaient harkis. Benkouar
Boualam a été tué devant moi. il y en a un qu’ils ont brûlé vivant avec de
l’essence en pleine journée Madjoub, un ancien sergent-chef d’indochine. »
Sa famille étant dispersée, il réussit pourtant à la réunir et rejoint un camp
militaire d’Orléansville, où sont présentes 400 à 500 personnes formant les
familles de supplétifs, qui sont évacuées sur alger et la France.

Des moghaznis abandonnés


D’autres moghaznis sont littéralement abandonnés par leurs supérieurs
et doivent se débrouiller par leurs propres moyens pour rejoindre la France.
M. Saadi 10 est laissé à son sort avec le maghzen par le chef de SaS d’azrou
M’Béchar (Bougie). Le capitaine J.-M. met ses afaires dans un conteneur.
L’armée récupère les armes et les munitions. « On nous a dit de nous
débrouiller et de faire ce qu’on voulait. De toute façon, Ben Bella va nous
intégrer soi-disant dans une force locale : comme si on pouvait mettre
ensemble un chien et un chat. » Cette attitude relète davantage l’opinion
des supplétifs sur la force locale. a. D. 11, moghazni à la SaS d’aït Hichem
(eLa Fort-national) est abandonné avec le reste du maghzen par le chef de
SaS en juin 1962 :
« ils ont dit que quand ils allaient partir, ils emmèneraient tout le monde
avec eux. Cela, ils l’ont dit. Malheureusement, lorsqu’ils sont partis de la
SaS, ils [l’oicier, les européens et quelques harkis] sont partis à une heure
du matin, dans le but d’abandonner les harkis sur place. »
il sera arrêté avec d’autres moghaznis et emmené en détention, comme
nous le verrons plus loin.
Dans une SaS de la région de Biskra, à la in 1961, l’annexe de la SaS 12
étant probablement regroupée, le moghazni a. L. 13 demande que le chef de
SaS l’emmène sur un village plus important. Ce dernier refuse sous le
prétexte qu’il n’y a plus de place dans les camions : « On est restés tout seul.
C’était chacun pour soi... Je suis rentré chez moi en uniforme militaire
caché sous la djellaba. Ma mère m’a immédiatement acheté des vêtements
civils. On a brûlé les afaires militaires. » Les voisins le soupçonnent d’avoir
été harki et on le menace. en juin 1962, il demande une protection à la
caserne située à proximité. On le renvoie sous le prétexte qu’on ne le connaît
pas. il rejoint Bône en taxi collectif et voit des harkis refoulés par les
militaires sur le quai : « On leur a dit d’attendre sur le quai et qu’on irait les
10. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 620. entretien réalisé par G. Mathias.
11. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 619. entretien réalisé par G. Mathias.
12. Lorsqu’une circonscription d’une SaS est trop grande, la SaS crée une annexe dirigée par un adjoint
oicier, un attaché civil, et une dizaine de moghaznis.
13. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 609. entretien réalisé par G. Mathias.

31
gregor mAtHiAs

chercher plus tard. La réaction des harkis a été une peur terrible et des
pleurs. » il prend une chambre dans un hôtel tenu par un juif et lui raconte
son histoire. Ce « Juste » l’héberge gratuitement et lui permet de passer les
contrôles : « il m’a présenté à une personne en lui disant : c’est un jeune
homme qui veut absolument quitter l’algérie. il n’a pas ses papiers.
Faites-moi plaisir, embarquez-le avec vous. » il se retrouve au milieu de
femmes, d’enfants, de harkis menacés de mort en algérie : « en quelque
sorte, je suis passé clandestinement en France et par piston ! » il ne donne
aucune nouvelle pendant 10 ans à sa famille restée en algérie, qui croyant
à sa mort organise une cérémonie funéraire sans corps. il ne retournera en
algérie qu’en 1979.

Une épuration sélective


Certains moghaznis prennent conscience qu’il leur faut prendre leurs
précautions dans la perspective du départ de la France, ils se sont donc
reconvertis : B. a. 14, ancien maire et créateur d’une harka et d’une autodé-
fense (Bordj Bou arreridj), sert dans une Sau d’alger et s’engage comme
gendarme auxiliaire en avril 1961 en prenant conscience que les SaS allaient
être dissoutes dans un an ou deux. il échappe ainsi au sort des supplétifs :
« Le chef du maghzen et le chef de la harka [ont été tués], l’un a été grillé
dans un four à tuiles, l’autre a été livré à des enfants armés de machettes.
ils l’ont découpé, un peu comme on découpe un mouton sur une planche,
selon les échos qui me sont parvenus. [Concernant les harkis et les mogha-
znis], il y a eu des tueries. Certains se sont enfuis, d’autres ont changé de
régions jusqu’à ce que le calme soit revenu. Les moghaznis n’ont pas été trop
inquiétés, car c’étaient des gens qui n’étaient pas trop impliqués dans les
opérations. Ceux qui ont subi le plus de mal, ce sont ceux qui ont participé
à des opérations. La harka était composée d’une quarantaine de harkis.
un soir elle a été enlevée... ils ont laissé des cadavres un peu partout 15, de
manière à montrer aux populations, que le FLn était toujours là. »
Si on fait le bilan des propos de B. a. concernant les informations qu’il
a recueillies sur les violences touchant les supplétifs : les responsables des
unités de supplétifs sont ciblés et subissent des exécutions dont la sauvagerie
doit avoir valeur d’exemple à l’égard de la population. À une date non
précisée, il y a des arrestations et des exécutions. néanmoins elles sont mal
coordonnées, les supplétifs menacés sont avertis et changent de régions. Les
harkis ayant servi dans des unités opérationnelles semblent davantage
recherchés que les autres unités (moghaznis, GMS). il ne faut cependant
14. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 608. entretien réalisé par G. Mathias.
15. Pierre Schœndœrffer, op. cit., p. 77. Dans l’Oued Chélif (Ouarsenis) cette méthode semble aussi
avoir été utilisée pour impressionner l’unité du 28e Dragons qui retrouve tous les matins au niveau
de l’oued, la tête d’un harki décapité.

32
surViVre à l’indéPendAnce Algérienne

pas exclure que certains moghaznis ou supplétifs aient pu être arrêtés,


torturés et exécutés par vengeance en raison de leurs actions militaires (tuer
au combat un combattant de l’aLn dont la famille va se venger), d’exac-
tions de certains supplétifs (vols ou viols 16) ou pour s’être attaqués sur ordre
aux biens de la population (destruction de maisons ou d’arbres fruitiers)
lors des regroupements des habitants 17. un témoignage conirmerait cette
hypothèse, il s’agit de celui de L. 18. il quitte sa SaS en décembre 1961 pour
s’occuper des terres de son père malade à Bousselam (région de Sétif ). il
n’est pas inquiété, mais il raconte qu’après l’indépendance, des jeunes ont
tué quatre anciens harkis et un ou deux moghaznis. Selon lui, « ils ne
s’étaient pas bien comportés ». L., par précaution, préfère partir en France
en septembre 1962, il retourne dans son village en 1966 et 1967, où il n’est
pas inquiété, alors même que le village connaît son engagement.
Les autres victimes des exactions sont les agents de renseignements de
l’armée. ils sont particulièrement victimes de tortures ou d’exécutions. Pour
B. M. L., installé alors en France 19, à M’Sila, « en 1962, il ne s’est rien passé
avec les gens qui ont combattu avec la France, ils n’ont pas été sanctionnés.
ils les ont pris et leur ont faits faire des corvées du matin au soir. en revanche
ils ont fait beaucoup de misère à d’autres qui ont fait beaucoup de mal, les
indicateurs. Ce n’est pas ceux qui étaient habillés qui ont le plus soufert.
Car ceux qui étaient habillés [les moghaznis], ont montré leur engagement,
ils étaient francs. Les indicateurs qui travaillaient en cachette eux ont été
les plus sanctionnés : tués ou torturés ».
Désorientée, la majorité des moghaznis des SaS, n’ayant rien à se repro-
cher, espère que tout se passera bien et semble rassurée partiellement par
les garanties des accords d’Évian ou les paroles d’apaisement de leurs
supérieurs. Malgré leurs craintes, les supplétifs décident donc de rester en
algérie, car ils ne veulent pas abandonner leurs biens ou leur famille,
comme c’est le cas de Y. 20, de la SaS de Champlain (Médéa), qui explique
son dilemme :
« Partir en France et en plus partir sans rien : laissez sa terre, sa femme.
Celui qui n’a rien, cela n’a pas d’importance. Celui qui a sa richesse
là-bas [accumulée] depuis quatorze générations, on lui dit : tiens, vous
partez en France. C’est comme si moi, on me disait maintenant tu pars à
Ouagadougou et tu verras bien ce qui se passera là-bas. C’est pareil, c’est
exactement la même chose. »
16. Pour éviter que des moghaznis n’importunent les femmes, certains chefs de SaS n’hésitent pas à les
envoyer régulièrement au bordel. entretien M. Géronimi, SaS de tolga, 31 juillet-2 août 2012.
17. Éléonore Faucher, quand les cigognes claquaient du bec dans les eucalyptus, Paris, Fayard, 2012,
p. 263. « Ces gens qui avaient économisé toute leur vie pour construire une villa, et puis elle a été
incendiée, et les orangers ont été coupés. Mon camarade, ancien chef de SaS me l’avait avoué, c’était
d’ailleurs l’œuvre des harkis surtout, car les soldats français répugnaient à ce genre de travail. »
18. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 633. entretien réalisé par G. Mathias.
19. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 605. entretien réalisé par G. Mathias.
20. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 648. entretien réalisé par G. Mathias.

33
gregor mAtHiAs

trois de nos interlocuteurs, originaires du Sud-Constantinois, prennent


la décision de rester en algérie. Deux airment que c’est le FLn qui les a
rassurés en leur disant qu’ils ne seraient pas menacés. Z. 21 refuse ainsi la
proposition de partir en France. La création de la force locale qui intègre
GMS, SaS et harkis le rassure. « On s’est dit que cela se passerait bien. »
À l’arrivée à Biskra (Sud-Constantinois), sa région d’origine, Z. s’aperçoit
que la situation est diicile : « On disait qu’on était des traîtres, des voleurs
de poules, des saloperies... ils étaient là devant nous qui nous insultaient...
ils ont rassemblé à Biskra tous les harkis et les ont emprisonnés dans des
casernes. Moi et mon frère, on s’est sauvé, on a rejoint notre bled. » arrivés
au village ils sont obligés de travailler toute la journée :
« il y avait tous mes cousins, soit 30 à 40 personnes. en journée, on faisait
des parpaings toute la journée pour construire des bureaux, la mairie, leurs
maisons. nous, on habitait en dessous de la terre, dans des trous. »
ainsi on peut constater que même si leur sort n’est guère enviable, les
supplétifs échappent au massacre, ce qui rejoindrait l’interprétation d’abde-
rahmen Moumen, s’appuyant notamment sur les travaux de l’historien
nordine Boulhaïs sur les aurès, montrant l’importance « des solidarités
familiales, claniques et tribales, [qui] ont fonctionné dans le sens d’une
protection des anciens supplétifs 22 ». On voit efectivement que les clans
ralliés à la France sont condamnés à des travaux forcés d’intérêt collectif
sous la surveillance de clans ralliés au FLn. Cette situation qui dure
neuf mois init par être insupportable à Z. après avoir travaillé de juillet 1962
à mars 1963, Z. et son frère s’enfuient sur la base de telergma, puis sur
Constantine, où ils sont pris en charge par l’armée et arrivent à prendre le
bateau à Bône (annaba) en juin 1963.
Dans le Sud-Constantinois, M. amar 23, moghazni et harki à la SaS
d’arris, touche une prime de départ qu’il doit reverser au FLn au moment
de l’indépendance 24, ce que conirme d’ailleurs P. rivière, le chef de SaS
d’arris :
« À arris, la prime de “recasement” fut payée à la sous-préfecture en
présence d’un représentant du FLn, auquel chaque harki reversait sponta-
nément l’enveloppe que l’on venait de lui remettre 25. »
M. amar ne veut pas partir en France, car « j’ai pensé au début que cela
allait se calmer. On nous avait dit qu’il ne fallait pas avoir peur [...] le FLn
21. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 622. entretien réalisé par G. Mathias.
22. abderahmen Moumen, « Les massacres des harkis lors de l’indépendance de l’algérie », loc. cit.,
p. 63-76.
23. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 621. entretien réalisé par G. Mathias.
24. Pierre Schœndœrffer, op. cit., p. 51 et p. 76. Le harki d’arris a. ayata doit aussi reverser ses
deux-trois mois de primes. C’est aussi le cas de l’Ouarsenis.
25. Maurice Faivre, les combattants musulmans de la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 1995,
p. 157.

34
surViVre à l’indéPendAnce Algérienne

ne laisserait pas les gens faire n’importe quoi aux harkis. Ce sont le chef du
FLn et le caïd d’arris qui nous ont dit de ne pas avoir peur de l’indépen-
dance ». M amar se fait arrêter lors d’une bagarre. interrogé, il avoue avoir
été harki. Son cousin, membre du FLn, le fait libérer en disant qu’il n’a
rien fait. « Là-bas, j’ai vu les harkis Gharda abder ahmane, Ben Guella et
Baziz se faire maltraiter. ils sont morts. » Peu rassuré sur son avenir, il décide
de rejoindre lu aussi le camp militaire de telergma.
B. 26 se voit proposer par son oicier de partir en France au moment de
l’indépendance. Comme tous les moghaznis de M’Chounech (Biskra), il
refuse en raison des garanties ofertes par le FLn : « Le FLn disait qu’il avait
gagné, que l’on devait rester, qu’il ne nous arriverait rien. » en mars 1962,
il rejoint les terres de son père qu’il cultive.
« Vers les 15-16 août, le FLn est venu avec des camions. ils ont ramassé
tous les harkis, les moghaznis. ils nous ont mis dans les camions et emmené
à la prison de M’Chounech. On était 300 à 400. ils nous ont dispersés
à droite, à gauche. On est restés à travailler. On n’avait pas beaucoup à
manger. On nous a fait sortir deux-trois jours au milieu des civils. On nous
a frappés avec des bâtons, avec des cailloux... On ne voyait pas lorsqu’ils
tuaient les personnes. On entendait parler que tel ou tel était mort. »
après un an et demi de travail (octobre 1963), il décide de s’évader et
rejoint un cousin à Biskra. À la police de Biskra, on le soupçonne d’avoir
été harki. il nie et réussit à obtenir des papiers. il quitte l’algérie et atterrit
à Marseille : « Lorsque je suis arrivé à Marseille, j’ai dit ça y est (rire), je suis
sauvé ! (rire). »
Ces trois moghaznis du Sud-Constantinois, après avoir été rassurés par
le FLn, sont restés dans l’aurès et sont arrêtés durant l’été 1962. ils sont
obligés de travailler plusieurs mois à des travaux de construction dans la
région. Certains assistent ou entendent parler d’exécutions, qui semblent
peu nombreuses par rapport à d’autres régions (Kabylie, algérois), mais
qu’il ne faut pas sous-estimer. néanmoins, la longueur de la peine des
travaux forcés, 9 mois à 2 ans, et l’absence de perspective d’amnistie les
incitent à s’enfuir.
Dans d’autres régions, les supplétifs sont épargnés. C’est ainsi qu’en
Kabylie, B. 27 de la SaS de Zemourah (Bordj-Bou-arreridj) explique que
son oicier SaS leur a proposés de partir, mais personne n’a voulu partir :
« On avait la trouille. On avait peur. On préférait mourir devant notre
famille que de mourir au loin. » Le préfet de Bordj Bou arreridj était
« un algérien de nationalité française » qui a donné des garanties que tout
se passerait bien : « il a demandé que l’on ne touche pas à ceux des SaS,
sauf ceux qui ont fait du mal. il a promis aux moghaznis que personne ne

26. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 623. entretien réalisé par G. Mathias.


27. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 625. entretien réalisé par G. Mathias.

35
gregor mAtHiAs

serait tué. C’est cela qui nous a fait croire que tout se passerait bien. »
À Banilanam, les moghaznis retournés à la vie civile et le maire sont rassem-
blés pour payer une amende importante en contrepartie ils ne sont plus
menacés. Cependant, en octobre 1962, lors de la troisième phase de massa-
cres, celle où le gouvernement de Ben Bella veut légitimer son pouvoir :
« J’ai vu que les choses tournaient d’une manière plus diicile. Les
deux familles qui étaient avec le FLn redevenaient agressives. Comme elles
étaient armées par le FLn, cela risquait de mal se terminer. Je suis venu
ici en France. »
Le témoignage de B. permet de voir que dans certains douars, au sud-est
d’akbou, l’engagement dans la SaS a été puni sous la forme d’une forte
amende, d’humiliations ou des menaces, mais qu’il n’y a pas eu d’exactions.
La responsabilité de la persécution des supplétifs semble être davantage le
fait de rivalité de familles. en Oranie, M. attou 28 conirme aussi qu’à la
SaS d’aïn el afeurd (Perrégaux, sud-est d’Oran), qu’il a fréquentée
10 mois : « ils sont tous vivants, ils sont tous là-bas. Personne ne les a
touchés. »
Dans certaines régions, les moghaznis prennent la décision de partir en
France, mais ils sont enlevés avant d’avoir pu rejoindre l’armée française.
Le fait que les arrestations se situent systématiquement au moment du
départ du village suppose qu’ils sont surveillés par les militants FLn du
village. en 1962, après le cessez-le-feu, M. andré 29, moghazni à la SaS de
Feraoun (Bougie) et trouna (Lafayette), fait le choix de prendre ses afaires
et de partir en France :
« Je suis retourné dans mon village de Feraoun. J’ai été arrêté par les
fellaghas et mis [en prison] avec les 50 autres prisonniers. ils en ont tué
quinze devant moi. tout cela s’est passé dans la commune de Feraoun. Les
autres, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus après que je me sois enfui. Les
quinze personnes exécutées étaient harkis ou moghaznis, sauf l’imam du
village qui n’était pas harki. ils l’ont tué, car il était attaché [civil] à la SaS
et à la compagnie de Chasseurs. il était aussi décoré. »
il proite du départ de ses geôliers partis arrêter d’autres supplétifs pour
assommer son gardien, s’enfuir et rejoindre Bougie. il part en France par
l’intermédiaire de la Croix-rouge. Le témoignage de M. andré permet
d’étudier la situation à Feraoun (Bougie), situé au nord-est du département
d’akbou. L’aLn est clairement mentionnée dans l’organisation des arres-
tations et les exécutions massives. Les harkis et les moghaznis, ainsi que
deux responsables civils (chef de village et imam civil à la SaS), sont arrêtés
et des exécutions ont lieu. une fois les exécutions pratiquées, l’aLn poursuit
la même procédure dans un autre village. Les arrestations de harkis, de
28. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 631. entretien réalisé par G. Mathias.
29. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n ° 606. entretien réalisé par G. Mathias.

36
surViVre à l’indéPendAnce Algérienne

moghaznis, de civils compromis avec la SaS se font donc par localités. il


semble en revanche que l’arrestation de M. andré ait eu lieu en mars ou
avril, juste après le cessez-le-feu.
r. Boubakeur 30, moghazni à la SaS de Marhoum (Le telagh, Oranie),
se voit proposer par son chef de SaS de partir en France. Sur les
40 moghaznis, 6 acceptent. r. Boubakeur fait partie de ceux qui refusent.
Mais, en juin 1962, il revient sur sa décision. il est arrêté avant son départ,
enfermé avec une vingtaine de personnes à la prison du telagh et est battu
à coups de matraques. Certains supplétifs sortent au bout de deux ou
trois mois. il explique sa détention prolongée de juin 1962 à mai 1963 par
le fait qu’il a été décoré :
« À la in, on restait à quatre. Moi, les médailles, on me les a remis
devant les civils dans une cérémonie oicielle en disant ce que j’avais fait
devant les gens. Je suis resté presqu’un an. On m’a dit d’aller voir ma
famille une semaine et de me présenter au tribunal, où les gens viendraient
témoigner. Si tu as eu des médailles, tu resteras en prison. Je pense qu’ils
m’auraient tué. Si tu n’as pas eu de médailles, on te relâche. Moi, j’ai eu
quatre médailles. »
Si r. Boubakeur est relâché, c’est que le FLn ne semble pas avoir réussi
à réunir des témoignages, comme le montrent sa détention d’un an et la
volonté d’organiser un procès en suivant une procédure légale. Pendant sa
semaine de libération, il en proite pour se sauver et rejoint Sidi Bel abbés,
où on le prend en charge avec quatre harkis venant de tlemcen. il part en
convoi avec « des harkis de Sidi Bel abbès, d’Oran et de Mascara. On était
une cinquantaine escortée par l’armée. J’étais avec ma femme et ma ille.
Les autres harkis étaient avec leur femme et leurs enfants, seulement
3-4 n’étaient pas mariés ». il rejoint la France en mai 1963. en Oranie, au
telagh, M. Boubakeur est arrêté en juin 1962. tout le monde ne semble
pas arrêté, puisque sur les 34 moghaznis, seule une vingtaine de moghaznis
le sont. Qu’arrive-t-il aux autres ? Sont-ils épargnés ? Sont-ils partis dans
leur région d’origine ? il est diicile de répondre à ces questions. Si les
prisonniers sont battus, les moins compromis semblent relâchés, lui-même
reste seul en détention avant d’être relâché provisoirement et d’en proiter
pour s’enfuir. il ne mentionne pas d’exécutions dans ses propos, ni d’arrivée
d’autres harkis. en revanche, il évoque un autre camp à tlemcen, d’où
s’échappent aussi quatre autres harkis. il rejoint inalement Sidi Bel abbès,
où se trouve la Légion étrangère.

30. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 628. entretien réalisé par G. Mathias.

37
gregor mAtHiAs

« Puriier » la nation algérienne :


des massacres généralisés de « harkis » et de francophiles
Certaines régions, dont la paciication a été un succès, ont connu des
massacres généralisés. On peut penser qu’il s’agit pour l’aLn de reprendre
pied, de montrer son pouvoir à la population et de châtier les francophiles.
Deux moghaznis habitant la région de Dra-el Mizan croyant aux
promesses d’apaisement du FLn espèrent se reconvertir en toute tranquil-
lité dans la vie civile. Le premier r. Belaïd 31, moghazni et militaire d’active,
retourne dans son village de Bou-nouh pour ouvrir un commerce. il part
par la suite à alger, où il se fond au milieu de la population jusqu’en
décembre 1962. il s’aperçoit alors que la situation se dégrade et prend la
décision de partir en France. repéré par un douanier de Beni-Doula, il est
arrêté et après enquête sur son action dans ce village, il est relâché car il
n’aurait été qu’un militaire de carrière reconverti dans la SaS et non
un engagé volontaire moghazni. Le second, X. 32, ancien moghazni à la SaS
de Mechtras démissionne, avec une prime de deux mois de salaire avant le
19 mars 1962 et ouvre un commerce. après le référendum de juillet 1962,
X. voit à Dra-el Mizan, « des harkis, des moghaznis, des anciens fonction-
naires et même des secrétaires de mairie » se faire arrêter, frapper et tuer.
ils sont arrêtés par le FLn dans toute la région, « des fois, ils sont
sept-huit, des fois par groupe » et sont regroupés à la sous-préfecture de
Dra-el Mizan. X. se réfugie à alger, où il n’est pas connu – attitude que l’on
retrouve chez de nombreux supplétifs menacés 33. il reste trois mois à alger
(jusqu’en septembre 1962) et réussit grâce à ses connaissances à franchir la
douane.
Ces deux SaS de Dra-el-Mizan sont situées dans des régions paciiées
par les SaS. Ces zones sont qualiiées de : « boulevard des SaS », « SaS
modèles » ou d’« exemples d’une paciication réussie » par le chef de SaS
nicolas d’andoque 34. Cette région paciiée comprend les SaS allant des
Ouadhias à aomar (SaS tizi n’tleta, Bou-nouh, Pirette, Kairouane) que
l’on peut même étendre à la région de Palestro (SaS Beni-amrane,
Bouderballa, Gerrouma, Maal-el-isseri) après notre étude sur la paciication
dans cette région 35.

31. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 637. entretien réalisé par G. Mathias.


32. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 645. entretien réalisé par G. Mathias.
33. Fatima Besnaci-Lancou, Gilles Manceron, les harkis dans la colonisation et ses suites, Paris, Éd.
de l’atelier, 2008, p. 98-99. On retrouve un témoignage similaire le harki a. Bouteldja de Djidjelli
(Jijel) arrêté le 5-6 juillet 1962, humilié et torturé. il s’évade et rejoint alger du 14 au 22 juillet, où
il travaille sur les marchés. il y est à nouveau arrêté.
34. nicolas d’andoque, guerre et paix en Algérie – l’épopée silencieuse des sAs, Paris, SPL, 1977,
p. 142-144.
35. Gregor Mathias, les oiciers des sAs et des sAu et la politique de paciication en Algérie, thèse sous
la dir. Guy Pervillé, toulouse-Le Mirail, 2013, chap. 2.1 La SaS du capitaine rohard, une pacii-
cation modèle ?

38
surViVre à l’indéPendAnce Algérienne

Dans une autre région de Kabylie, l’épuration des éléments francophiles


prend des formes analogues. a. D. abandonné par son chef de SaS d’aït
Hichem (Fort-national) 36, raconte qu’il reste à la SaS les moghaznis, les
harkis, les employés, les agents de renseignement, la main d’œuvre. Les
harkis et moghaznis sont emmenés sur azazga :
« Le commandant azzedine était présent. ils ont ramassé des épines de
nakart. ils leur ont fait enlever leurs chaussures aux harkis et moghaznis et
les ont faits marcher sur les épines... Les mouchards ont été frappés avec
des haches et des couteaux. Des gens embauchés à la SaS qui n’étaient ni
harkis, ni moghaznis ont été massacrés à coups de haches. Chaque village
des communes d’iferounene (20 villages) et d’aït Hichem a emmené ses
suspects. ils étaient environ 70/100. ils ont creusé un trou avec un bulldo-
zer. Je les ai vus et ils ont été enterrés... Cela a été ensuite l’anarchie, chaque
fellagha pouvait coucher avec la femme de qu’il voulait. il n’y avait plus
d’autorité. en Kabylie lorsqu’on marchait on trouvait des cadavres. »
Dans la région d’azazga, limitrophe à l’ouest de celle d’akbou, pour
laquelle nous avons le rapport du sous-préfet sur les exactions des supplétifs
de sa circonscription, la répression contre les supplétifs s’organise dès le
mois de juin. Les catégories de personnes visées sont très étendues : les
moghaznis, les harkis, les agents de renseignement de l’armée et de la SaS,
les civils embauchés par la SaS comme secrétaire ou inirmier (on peut
penser qu’il ne s’agit pas d’ouvriers embauchés sur les chantiers). ils sont
arrêtés dans toute la région et regroupés sur la sous-préfecture. Des exécu-
tions de masse ont lieu. Les femmes des supplétifs ne sont pas épargnées.
L’identité des personnes qui procèdent aux arrestations et aux exécutions
n’est malheureusement pas claire (foule, « marsiens », responsables FLn,
aLn), mais la présence du commandant azzedine peut nous faire penser
que l’aLn de Kabylie coordonne l’action. il semble que le départ précipité
de la SaS d’aït Hichem « sur alger » et non sur azazga, ait précipité le
mouvement in mai. a. Faucher en poste au laboratoire à l’hôpital de
tizi-Ouzou, sous-préfecture jusqu’en juillet 1962, raconte dans une lettre
à la date du 21 mai 1962 qu’il voit des convois faire les allers-retours entre
azazga et alger : « il n’y aura bientôt plus personne à azazga et tizi-Ouzou
sera en pointe, un des derniers contreforts français en Grande Kabylie 37. »
La présence de l’aLn en juin est donc conirmée par a. Faucher : la ville
d’azazga ayant été évacuée par l’armée française, l’aLn de la Wilaya iii
dirigée par M. Oulhadj s’y installe et organise la répression contre les
supplétifs et les francophiles, comme le montrent la centralisation des arres-
tations et les exécutions sur azazga. il semble pourtant que les représailles
aient échappé à l’aLn, comme l’explique a. D. en parlant d’« anarchie »
en Kabylie.
36. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 619. entretien réalisé par G. Mathias.
37. Éléonore Faucher, quand les cigognes claquaient du bec.., op. cit., p. 386.

39
gregor mAtHiAs

Les enlèvements de supplétifs prennent plus d’ampleur en juillet, comme


pour M. Saadi 38, qui habite à Oued amizour (Sidi aïch, nord d’akbou).
Cinq à six jours après l’indépendance du 5 juillet, l’aLn arrive en voiture
et arrête son père, garde-champêtre, et quatre autres moghaznis. il dit avoir
vu autour du 29 mars, quelques jours après le cessez-le-feu, la même voiture
arrêter des harkis dans un autre village, il se méie donc et se cache sur le
toit de la maison communale, s’enfuit à Bougie et rejoint la France. Selon
M. Saadi, ses camarades ont été tués par des habitants du village :
« ils les ont emmenés jusqu’à un petit ravin. ils les ont laissés mourir au
fond du trou, 8-10 jours sans boire et sans manger. ils les interrogeaient,
ils les tapaient... ils se moquaient d’eux. ils avaient des bouteilles de bière,
ils leur ont fait enlever leurs chaussures et leur ont dit de marcher sur les
bouteilles. »
Le témoignage de M. Saadi qui habite dans le département au nord
d’akbou recoupe les deux autres témoignages de la région autour d’akbou.
La même voiture est utilisée par l’aLn pour arrêter les harkis, les mogha-
znis et les personnes ayant travaillé avec la France (un garde-champêtre).
Cette voiture tourne dans les villages et semble avoir arrêté des harkis à
partir de la in mars. au début juillet, on cible désormais son village en
procédant à des arrestations de nuit 39. une fois détenus, les moghaznis sont
livrés aux habitants du village qui les tuent.
Les trois témoignages (a. D., M. andré, M. Saadi) concernent des
événements advenus dans les régions limitrophes d’akbou à des dates plus
précoces que ceux d’akbou. Ce n’est qu’à partir du 27 juillet qu’akbou est
touché jusqu’au 15 septembre, selon les déclarations du sous-préfet
robert 40, alors que l’aLn s’est eforcée de rassurer les élus et les harkis. On
peut donc émettre l’hypothèse que l’aLn préparait l’arrestation de
l’ensemble des harkis en commençant par les régions limitrophes, où les
engagements étaient moins nombreux. On peut noter qu’une voiture
semble suire pour embarquer des harkis d’un village. Par la suite, l’aLn
s’est attaquée à un département, où les engagements sont plus nombreux :
le sous-préfet d’akbou note d’ailleurs « une cinquantaine de tués et
750 arrestations » dans une région où l’aLn ne semble pas disposer des
efectifs suisants pour procéder aux arrestations massives. La région
d’akbou correspond donc à la situation d’une zone, « où l’aLn a toujours
été en diiculté, des zones où les ralliements à la France étaient impor-
tants », selon les rélexions de l’historienne Sylvie hénault, ces massacres

38. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 620. entretien réalisé par G. Mathias.


39. Fatima Besnaci-Lancou, Gilles Manceron (dir.), les harkis dans la colonisation..., op. cit., p. 98.
azzedine, région de Philippeville (Skikda) évoque lui aussi des arrestations ciblées de nuit
en octobre 1962 à la suite de changement d’un chef de l’aLn.
40. abderahmen Moumen, « Les massacres des harkis lors de l’indépendance de l’algérie », loc. cit.
p. 63-76.

40
surViVre à l’indéPendAnce Algérienne

prendraient « la forme d’une conquête violente, par l’aLn/anP, d’un terrain


qui lui avait jusque-là échappé 41 ».
Parmi les explications des représailles massives touchant les supplétifs,
on peut aussi émettre l’hypothèse que les moghaznis ont pu être aussi les
victimes collatérales de l’attitude brutale d’un oicier, comme par exemple
celle d’un oicier de harka dans l’Ouarsenis, tué par la suite par l’aLn, qui
avait l’habitude de parader dans les villages avec des colliers d’oreilles pris
sur les cadavres des combattants de l’aLn 42 ou de méthodes de paciication
pratiquées par certaines unités de secteur, qui consistaient à exposer publi-
quement les corps des combattants de l’aLn tués dans le Sud algérois 43.

Conclusion
au total, même dans les régions considérées comme ayant été peu
touchées par les exactions, comme l’aurès étudié par l’historien nordine
Boulhaïs ou l’Ouarsenis examiné par l’anthropologue Giulia Fabbiano, des
violences ciblées visent des supplétifs de l’armée française. il est frappant
de voir que dès l’évacuation de ses camps par l’armée française débutent les
exactions à l’encontre des supplétifs 44. La Kabylie et le sud de l’algérois
semblent avoir été touchés par davantage de massacres. Si les clans chaouis
ont pu limiter les exactions, les travaux forcés gratuits et la relégation
rendent la vie insupportable aux supplétifs qui s’enfuient de l’aurès dans
les années suivant l’indépendance, d’autant qu’il ne semble pas y avoir
d’amnistie.
Les catégories visées par les règlements de compte sont parfois limitées
aux moghaznis ayant été gradés, décorés ou ayant tué en combat des
combattants de l’aLn, parfois se concentrent sur les auteurs d’exactions.
Dans d’autres régions, acquises à la France, les moghaznis, les agents de
renseignement, les civils travaillant dans les SaS sont collectivement visés.
Derrière le qualiicatif « harkis », on regroupe d’emblée les moghaznis des
SaS, les harkis de l’armée, les gardes GMS du ministère de l’intérieur. On
oublie en revanche trop souvent de mentionner que les élus, les conseillers
municipaux, les conseillers généraux, les maires, sont également victimes
de la répression du FLn démontrant que ce parti entend s’airmer comme
la seule expression des algériens et récuse les résultats de la souveraineté
populaire de la période précédant l’indépendance de juillet 1962.
Les témoignages concordent pour dire que les supplétifs et leur famille
sont victimes d’exactions, allant de l’extorsion de fonds, au vol organisé, à
41. Sylvie thénault, « Massacre des harkis ou massacre de harkis ? Qu’en sait-on ? » in Fatima Besnaci-
Lancou, Gilles Manceron (dir.), Harkis dans la colonisation..., op. cit., p. 81-91.
42. témoignage de M. de Kervénoaël, tV5, 30 avril 2012 [http ://www.dailymotion.com/video/
xqhmnc maurice-de-kervenoael-je-defends-la-memoire-des-harkis news].
43. Gregor Mathias, loc. cit., p. 241-265.
44. Sylvie thénault, loc. cit., p. 91. témoignage d’aïcha Baziz, épouse de harki sur arris et Baniane.

41
gregor mAtHiAs

l’arrestation, aux tortures et aux exécutions sommaires. Certains moghaznis


réussissent à échapper aux massacres en allant dans des régions, où ils ne
sont pas connus ou en se réfugiant dans des villes en apparence plus sûres.
D’autres moghaznis ont eu la prudence de servir dans une autre région que
leur province d’origine et ne sont donc pas connus comme supplétifs de
l’armée française. ils protègent ainsi leur famille au moment de la guerre
d’algérie et échappent aux violences après l’indépendance. À cet égard, il
ne faut pas oublier un point essentiel ; l’engagement de moghaznis entre
souvent dans le cadre d’une stratégie familiale globale jouant sur une parti-
cipation dans les deux camps : le combattant de l’aLn a été protégé par le
supplétif pendant la période française, le supplétif est protégé, voire exiltré,
par le combattant de l’aLn après l’indépendance, comme dans la région
de tlemcen ou dans l’aurès 45. Ceux qui sont menacés et sans relations
rejoignent les camps de l’armée française encore présents en algérie ou se
glissent dans le lot de travailleurs désormais « immigrés » algériens allant
chercher du travail non plus en métropole, mais en France. Deux témoi-
gnages (M. Harma et J. alim, ils de harkis) 46 concordent pour airmer
que les supplétifs détenus commencent à être libérés des prisons algériennes
en 1967. Cinq ans après l’indépendance, la guerre d’algérie, qui a été avant
tout une cruelle guerre civile algéro-algérienne, semble s’apaiser, après que
les algériens aient pris les supplétifs et les francophiles comme les boucs-
émissaires de tant de haines accumulées.

45. abderahmen Moumen, « Les massacres des harkis lors de l’indépendance de l’algérie », loc. cit.,
p. 63-76.
46. Phonothèque de la MMSH, aix-en-Provence, n° 641 et Pierre Schœndœrffer, op. cit., p. 190-191.

42
Sorties de guerre et OAS
Olivier Dard

trois scénarios de sorties de guerres dominent dans les travaux histori-


ques : « partir, rester, faire transition ». ils ne correspondent que très impar-
faitement à l’histoire de l’OaS. Sa sortie de guerre renvoie d’abord à la
défaite, aux procès et à l’internement, à l’exil et à la proscription.
Questionner l’histoire de l’OaS sous l’angle de la sortie de guerre est cepen-
dant instructif. D’abord, parce que cela met en jeu une diversité de situa-
tions en algérie même (alger/Oran) comme en métropole, diversité qui
renvoie à une organisation, l’OaS qu’il faut considérer non comme un bloc
monolithique mais comme une nébuleuse territorialisée. ensuite, parce que
cette question de la sortie de guerre pose, rapportée à l’OaS, un problème
de temporalité. Pour sortir d’une guerre, encore faudrait-il qu’elle soit inie.
La question se pose donc de savoir, concernant l’OaS, si la guerre est consi-
dérée comme terminée pour ses dirigeants et ses militants, et le cas échéant,
de s’entendre sur la date de son achèvement. L’objet est plus complexe qu’il
y paraît car les chronologies admises par la Cinquième république comme
par le FLn (Évian, référendums) ne sont pas recevables ou alors fort impar-
faitement, dans le cas de l’OaS. ajoutons encore le regard et les analyses
formulées par les autorités de la Cinquième république durant l’été 1962 :
elles craignent que les attentats de l’OaS ne se multiplient en métropole
– l’OaS, dans un tel scénario, prenant le contrôle des pieds-noirs rapatriés
mais aussi des harkis. L’attentat du Petit-Clamart d’août 1962 (dont on doit
rappeler qu’il n’est pas le fait de l’OaS ès qualité, même si certains de ses
militants participent au commando) conirme ces hypothèses dans l’esprit
des responsables de l’État. Ces derniers observent enin avec inquiétude la
constitution d’un Cnr-OaS qui alimente les rumeurs et les craintes
d’une « OaS internationale », laquelle est appelée par la suite à nourrir de
multiples digressions journalistiques autour de l’idée d’un « orchestre noir »
dont elle serait le pivot 1.

1. Olivier Dard et Victor Pereira (dir.), Vérités et légendes d’une oAs internationale, Paris, riveneuve
éditions, 2013. Y sont traités les cas de la Belgique, de la Suisse, de l’italie, de l’espagne, du Portugal
et de l’argentine.

43
oliVier dArd

temporalités de sorties de guerre propres à l’OAS


Les sorties de guerres sont inséparables des buts de guerre ixés par les
protagonistes et des concessions qu’ils sont prêts à accepter pour considérer
que la sortie du conlit vaut mieux que sa poursuite. Dans le cas de la guerre
d’algérie, le dossier est bien nourri. Sans oublier l’importance de l’afaire
Si Salah 2, il faut compter avec les diférentes négociations entre le gouver-
nement français et le FLn qui précèdent la conférence d’Évian et l’accord
de cessez-le-feu qui en découle le 18 mars 1962. À Évian, le FLn a obtenu
satisfaction sur l’essentiel de ses buts de guerre, à savoir l’indépendance de
l’algérie, ce qui ne signiie nullement que pour lui les accords marquent la
in de la guerre, si l’on songe aux attentats qu’il continue à perpétrer et aux
enlèvements auxquels il procède et qui nourrissent le dossier douloureux
des enlèvements et des disparitions qui s’accélèrent après le 19 mars 3. Cela
étant, à défaut de marquer la in de la guerre, les accords ouvrent pour le
FLn la voie de sa sortie. De son côté, le gouvernement français a décidé
d’accorder l’indépendance de l’algérie en contrepartie de garanties dont on
sait que beaucoup d’entre elles n’ont jamais été suivies d’efet. il en est
une cependant pour lesquels les engagements ont été tenus et qui gagnerait
à être étudiée de façon beaucoup plus approfondie, la possibilité donnée à
la France d’utiliser le Sahara pour des essais nucléaires 4.
À côté du FLn et du gouvernement, l’OaS se trouve dans une situation
bien particulière. elle n’a pas été associée aux discussions d’Évian, se montre
hostile aux accords et se donne pour mission de les faire échouer. Évian ne
marque donc nullement une étape vers la sortie de guerre mais signiie au
contraire une radicalisation qui prend trois formes : attentats dorénavant
non ciblés, constitution de maquis, bras de fer avec les autorités gouverne-
mentales avec le bouclage de Bab el-Oued. Ce sont autant d’échecs. Le
constat dressé est que l’OaS, quelques semaines après Évian, n’a nullement
les moyens de ses ambitions et se trouve engagée dans une spirale de violence
qui ne donne pas les résultats attendus. ajoutons encore que l’organisation
est afaiblie, tant en algérie [arrestations Jouhaud (25 mars), Degueldre
(7 avril), Salan (20 avril)] qu’en métropole. L’heure est à présent aux procès
2. Guy Pervillé, « Mise au point sur edmond Michelet et l’afaire Si Salah », in nicole Lemaître,
Jean-Marie Mayeur, Hélène Say (édit.), edmond michelet, un chrétien politique, actes du colloque
des 10-11 décembre, Paris, Collège des Bernardins, Lethielleux, 2011, p. 139-145 ; id., « L’afaire Si
Salah (1960) : histoire et mémoire », in Maurice Vaïsse (dir.), de gaulle et l’Algérie, Paris, armand
Colin/Ministère de la Défense, 2012, p. 146-164.
3. Jean-Jacques Jordi, un silence d’état. les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Paris,
SOteCa, 2011. très signiicativement, si le chapitre ii couvre la période allant de 1955 aux
accords d’Évian, les suivants (iii à Vii inclus) concernent l’année 1962, et ce jusqu’à la in de l’année
civile.
4. Jacques Frémeaux, le sahara et la France, Paris, SOteCa, 2010 ; Chantal Morelle, « La négocia-
tion à travers le problème saharien », in Maurice Vaïsse (dir.), de gaulle et l’Algérie..., op. cit.,
p. 280-298 et Jefrey James Byrne, « négociation perpétuelle : de Gaulle et le FLn 1961-1968 », in
ibid., p. 299-312.

44
sorties de guerre et oAs

et aux condamnations à mort possibles. L’internement de dirigeants ou


d’une igure emblématique comme roger Degueldre, le patron des com-
mandos delta pose problème à l’organisation, autant sur le terrain que
vis-à-vis d’une opinion, y compris en algérie parmi les partisans de l’algérie
française, qui considère que l’heure de l’OaS est sans doute passée.
il faut donc, pour l’OaS, revoir sa stratégie et envisager une sortie de
guerre que les circonstances imposent à une organisation qui ne l’avait
pas spéciiquement pensée. Pour l’OaS, les diicultés débouchent sur
trois scénarios qui se succèdent puis s’interpénètrent.

« L’ofensive généralisée » :
le verbe, les actes et les résultats
Dès février 1962, soit quelques semaines avant les accords d’Évian,
l’état-major de l’OaS algérie anticipe leur éventualité et réléchit aux
réponses à y apporter. Les mots d’ordre sont à la « mobilisation » et Salan,
dans son instruction n° 29, précise la marche à suivre d’une « ofensive
généralisée » face à « l’irréversible qui est sur le point d’être commis 5 ».
L’objectif est bien d’empêcher la mise en place d’éventuels accords. Sont
privilégiées la population citadine, dorénavant considérée comme un « outil
valable », l’armée, dont on espère encore un basculement de certaines unités
ou la création de « zones insurrectionnelles » qui prendraient la forme de
maquis inspirés de l’expérience indochinoise. Le choc frontal au plan
militaire se double d’une volonté politique de voir le régime en place déchu
puisque le 3 mars 1962 un Conseil national de la résistance française en
algérie (CnrFa) a vu le jour. Lorsqu’Évian annonce la sortie de guerre
pour ses deux parties négociatrices, l’OaS entre pour sa part dans une guerre
sur deux fronts, poursuivant sa lutte contre le FLn mais surtout accentuant
sa rupture avec le gouvernement légal de la France. au lendemain d’Évian,
l’OaS joue son va-tout. L’épreuve de force tourne rapidement au désastre et
ses grandes étapes sont bien connues. La mobilisation citadine, incarnée par
le bouclage de Bab el-Oued est un premier échec qui s’achève dans la
fusillade dramatique de la rue d’isly (26 mars 1962). Les « zones insurrec-
tionnelles » dont les « maquis » devaient être le fer de lance sont balayées dès
leurs balbutiements comme l’illustre la débâcle du maquis de l’Ouarsenis
au début d’avril 1962. enin, les ralliements de militaires ne sont nullement
au rendez-vous et avant même l’arrestation de Salan, l’OaS est un bateau
ivre miné par ses divisions et où, selon les termes mêmes de Gardy, une clari-
ication des objectifs s’impose. Le 17 avril 1962, ce dernier, dans un courrier
adressé à Salan et mis en copie à Godard, qualiie d’« utopiques » les objec-
tifs précédemment aichés par l’OaS : « il serait illusoire de considérer que
5. Olivier Dard, Voyage au cœur de l’oAs, Paris, Perrin, 2011, p. 233 sq. Les termes soulignés le sont
dans les documents originaux.

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oliVier dArd

l’OaS peut reconquérir l’intérieur de l’algérie, ni même certaines fractions


de l’intérieur 6. » trois jours plus tard, Salan est arrêté. Godard, l’autre desti-
nataire, réagit fermement et adresse le 21 avril une « étude » à l’état-major
de l’OaS-algérie. tout en prenant acte de l’échec de la phase insurrection-
nelle et mesurant les contraintes pesant sur l’OaS, le colonel marque son
refus de revenir sur le « principe de l’intégrité territoriale » et explique
comment « s’opposer par tous les moyens à la réalisation du référendum »
en réorganisant le commandement de l’OaS autour d’un comité restreint
qui désignerait un président et en préparant « une action insurrectionnelle
généralisée 7 ». Ces propositions de Godard sont contestées par Pérez,
ignorées par Susini et appuyées, non sans réserves, par les militaires de l’état-
major, Gardes et Gardy. Ce dernier développe un autre scénario, celui des
« enclaves » ou des « plates-formes territoriales » qui renvoie à l’idée d’une
partition.

« Plates-formes territoriales » et partition


La partition n’est pas une idée neuve puisqu’elle a été agitée par alain
Peyreitte dans un essai remarqué publié en 1961 8. au début de 1962, elle
provoque une crise majeure à l’intérieur de l’OaS-algérie et entraîne l’exé-
cution de Michel Leroy et de rené Villard qui, sans en référer à l’état-major
de l’organisation, ont pris langue avec des émissaires gouvernementaux.
Pour l’état-major de l’OaS, non seulement ils étaient sortis de leurs préro-
gatives mais ils avaient rompu avec le but de guerre sans cesse proclamé : le
maintien de l’algérie française dans son intégralité. C’est pourtant un des
dirigeants de l’organisation, le général Gardy, installé à Oran après l’arres-
tation de Jouhaud qui lance à la mi-avril 1962 l’idée de « plates-formes
territoriales » où seraient installés les européens et les musulmans qui leur
sont favorables. Dans son courrier précité du 17 avril, il indiquait déjà que
la raison invitait à « défendre ce qui peut être défendu avec des chances de
succès, c’est-à-dire des centres du littoral à forte densité européenne, avec
un hinterland à déinir, proportionné à nos possibilités 9 ». Quelques jours
plus tard, le 22 avril, Gardy précisait dans un courrier collectif ce que devait
être cette « entité territoriale » qualiiée aussi d’« État autonome » et décri-
vait les bases de sa future charte constitutionnelle :
« attachement à l’Occident, à la culture et au droit français, aux libertés
fondamentales. résolument antiraciste, admettant toutes les confessions,
et notamment ouverte à l’admission des musulmans anti-FLn comme
“citoyens à part entière”. Détermination à l’adoption d’une politique vigou-

6. Cité in ibid., p. 274.


7. ibid., p. 277-278. Les termes soulignés le sont dans les documents originaux.
8. alain Peyrefitte, Faut-il partager l’Algérie ?, Paris, Plon, 1961.
9. Cité in Olivier Dard, Voyage au cœur de l’oAs, op. cit., p. 274.

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sorties de guerre et oAs

reusement sociale. Opposition farouche au FLn, au communisme et au


gaullisme. attachement à l’idée européenne 10. »
À lire ces objectifs, et sans insister sur leurs possibilités réelles de mise en
œuvre, il faut souligner leur inscription dans un des axes de la journée
d’études, « rester ». il s’agit aussi pour l’OaS d’éviter les départs. elle n’y
parvient ni à alger, ni à Oran. Malgré l’insistance de Gardy, le projet fait long
feu. Le coup de grâce vient d’une lettre de Salan datée du 19 juin 1962 et
adressée à ses « amis d’algérie » qui prend le contrepied des positions de
Gardy : « Pas de plates-formes territoriales, une seule algérie où vous devez
trouver la place qui vous revient 11. » C’est bien Salan qui donne le ton et les
conséquences sont immédiates chez les militants et les combattants de l’OaS.
Claude Micheletti, un des dirigeants de l’OaS-Oran l’a souligné crûment
pour le déplorer : cette position de Salan « désarme moralement » les sympa-
thisants de l’OaS et « provoque un choc considérable ». Pour le dire autre-
ment, le « Mandarin », qui avait été en mars 1962 au cœur du processus de
radicalisation, considère dorénavant que la guerre est inie. La conséquence
est que la direction oranaise de l’OaS cherche les voies d’un cessez-le-feu avec
le FLn, cessez-le-feu que s’emploie à négocier sans succès, le délégué à
l’information en Oranie alexandre Soyer. Devant cet échec, la décision des
dirigeants oranais de l’OaS est nette : c’est celle du départ, notamment des
dirigeants et des commandos de l’organisation qui est prévu pour les 28 et
29 juin (et donc avant les massacres du 5 juillet où, contrairement aux alléga-
tions du général Katz, l’OaS n’a pas de responsabilité) 12. Dans un message
radiophonique lyrique du 28 juin, Charles Micheletti a pris acte de la in de
la guerre qu’il attribue à une « trahison » généralisée : « après avoir perdu la
bataille de l’algérie française, les patriotes oranais s’apprêtaient à livrer celle
de l’algérie indépendante, rattachée à l’Occident, et à établir une plate-forme
territoriale qui devait en être le dernier bastion. » Le vocabulaire employé
(« bataille ») est instructif de l’état d’esprit de Micheletti (la guerre n’était pas
inie) mais la suite l’est tout autant qui marque la in de l’algérie française et
la in de l’engagement de l’OaS oranaise : « il n’y aura pas de réduit. il n’y
aura bientôt plus ici d’Occident. il entre en agonie avec la mort de l’algérie.
L’algérie est morte. adieu algérie ! et que soit faite la volonté de Dieu. » On
pourrait gloser sur la grandiloquence du propos mais l’essentiel est bien dans
son contenu qui lie l’échec inal des objectifs à la in de l’engagement de
l’OaS oranaise dans la lutte. rien n’est dit sur la suite car il n’y en a pas pour
ses dirigeants qui se réfugient en espagne et ne se relancent pas dans l’action.
Pour eux, en cette in juin de 1962, la guerre est bien inie.

10. Cité in ibid., p. 283-284.


11. nous citons la lettre reproduite in Fernand Carreras, l’accord Fln-oAs. des négociations secrètes
au cessez-le-feu, Paris, robert Lafont, 1967, p. 244.
12. Sur ces massacres, Jean Monneret, la tragédie dissimulée, oran, 5 juillet 1962, Paris, Michalon,
2006 ; Guillaume Zeller, oran 5 juillet 1962. un massacre oublié, Paris, tallandier, 2012.

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Sortir de la guerre par la négociation :


l’accord FLN/OAS
en prenant position contre les « plates-formes territoriales », Salan ne
réairme pas seulement le credo d’une algérie unitaire. Le « Mandarin »
ixe aussi le cap de l’après-guerre et conseille aux européens de « rester 13
dans leur pays » et de trouver une « voie nouvelle ». Le propos contredit des
positions antérieures de l’état-major et les scénarios pessimistes de ses
dirigeants professés depuis l’algérie ou la métropole. edmond Jouhaud,
devant le Haut tribunal militaire avait ainsi au cours de l’audience du
11 avril 1962 souligné avoir été « choqu[é] » par le droit d’option de
trois ans proposé aux Français au terme des accords d’Évian et s’était ému
de leur protection une fois l’armée partie. Jouhaud prédisait aussi, en cas
de victoire du FLn et à l’heure de l’indépendance, « des incidents
sanglants », « une Saint-Barthélémy plus épouvantable qu’on ne peut encore
l’imaginer 14 ». Le même Jouhaud au début de juin 1962, enjoignait à l’OaS
de considérer la situation avec « réalisme » et d’admettre que « l’indépen-
dance est un fait pratiquement acquis qui sonne le glas de nos espérances ».
La conséquence était que « l’action de l’OaS cesse au plus tôt, c’est son chef
qui le demande 15 ». Si, sur le moment, l’OaS-Oran crie à une manipulation
gouvernementale, elle doit se rendre à l’évidence. La lettre de Jouhaud est
un document authentique. Cette missive et surtout celle de Salan
une douzaine de jours plus tard, donnent raison à Jean-Jacques Susini qui,
depuis alger, a entamé des négociations avec le FLn.
négocier directement avec le FLn est l’option retenue par Susini qui
considère que la « terre brûlée » conduit à une impasse et qu’il faut tenter
de trouver un compromis de dernière minute avec le FLn. Contesté par
une partie de l’état-major algérois de l’OaS (Godard, Pérez), Susini mène
en liaison avec Jacques Chevallier des négociations avec le FLn représenté
dans un premier temps par Farès puis, après que ce dernier ait été jugé
beaucoup trop conciliant par la direction du FLn, par le Dr Mostefaï. Les
détails de la négociation sont connus et Susini est revenu très récemment
sur ce dossier 16. Son objectif était de voir l’OaS reconnue comme parte-
naire à part entière par le FLn et de renégocier, en son nom et pour le
compte des partisans de l’algérie française, les conditions du maintien de
ces derniers dans l’algérie indépendante. Le décalage criant entre l’état de
la situation (des départs en masse, à raison de 12 000 par jour depuis alger
au début de juin 1962) et la prétention de Susini, au nom de l’OaS, à se

13. Souligné par nous.


14. le Procès d’edmond Jouhaud, Paris, albin Michel, 1962, p. 45-46.
15. texte reproduit in Georges Fleury, Histoire de l’oAs, Paris, Grasset, 2002, p. 873.
16. Bertrand Le Gendre, « entretiens avec Jean-Jacques Susini », confessions du n° 2 de l’oAs, Paris,
Les arènes, 2012, p. 168-177.

48
sorties de guerre et oAs

poser en champion du maintien, l’importance des revendications de Susini


(acceptées dans un premier temps par Farès) et ce que le FLn via Mostefaï
est prêt à accepter, font du document connu sous le nom d’« accord FLn/
OaS » un texte dont la portée efective fut limitée tant vis-à-vis des
européens, que de l’OaS oranaise ou de la direction du FLn et du GPra
qui contestent l’exécutif provisoire. La déclaration aux européens lue par
Mostefaï à la radio le 17 juin 1962 cite nommément l’OaS, mentionne les
entretiens et souligne les possibilités qui pourraient être ofertes aux
européens qui voudraient participer aux « forces algériennes de maintien
de l’ordre » qui doivent être « les forces de l’algérie tout entière ». elle
évoque enin l’amnistie. Le soir même, Susini intervient et demande « au
nom de l’OaS de suspendre les combats et d’arrêter les destructions », et
ce dès minuit. Susini en appelle aussi à la mise en place d’« activités créatrices
et fraternelles » pour « construir[e] ensemble l’avenir algérien. »
L’échec de « l’accord FLn/OaS » et sa faible inluence sur l’histoire
générale, ne doivent pas en diminuer l’intérêt pour l’histoire de l’OaS où
Susini, via la parole de Salan, a pu imposer ses choix. Pour l’OaS en algérie,
la guerre est bien inie au moment où l’indépendance est proclamée. Si
l’OaS, comme souvent, a peiné à parler d’une seule voix et s’est déchirée
sur des scénarios de poursuite puis de sortie de guerre, cette dernière est
efective pour ses diférentes antennes et ses diférentes branches. Si l’OaS
n’est jamais oiciellement dissoute, juin 1962 marque bien sa in et on ne
saurait considérer le Cnr-OaS comme son prolongement direct, malgré
la reprise du vocable. Plus instructif encore, rien n’est prévu pour l’après-
guerre du côté de l’OaS dont l’objectif majeur des dirigeants à la in
de juin 1962 est d’éviter l’arrestation et de préparer leur départ et celui des
militants les plus engagés (notamment les commandos) avant le
1er juillet 1962.
Ce que l’historien peut observer à partir de l’histoire intérieure de l’OaS
est partiellement contredit par les anticipations et les observations des
contemporains qui voient leurs craintes d’une recrudescence des activités
de l’OaS pleinement conirmées par l’attentat du Petit-Clamart.

L’OAS et la reprise de la guerre


en métropole : craintes et réalités
La in du printemps et l’été 1962 sont un observatoire instructif
des scénarios de sorties de guerres des services de l’État et des médias. Le
déferlement des rapatriés et la perspective de l’arrivée des Harkis provo-
quent de très sérieuses craintes de la part des responsables de l’intérieur
qui craignent que des militants de l’OaS ne proitent de la confusion
générale pour traverser la Méditerranée, installer des « bases-arrières »
dans des pays limitrophes (de la Belgique à l’espagne) ou, en métropole

49
oliVier dArd

même, relancer l’OaS en s’appuyant notamment sur les étudiants et les


Harkis 17.
La réalité de l’OaS est pourtant diférente. après les déclarations de
Salan et de Jouhaud, c’est andré Canal, le fondateur de Mission iii, bien
connu pour son goût des attentats qui jette le gant depuis sa cellule de la
Santé le 15 juillet 1962 : « Camarades, mes frères, la guerre est inie et nous
l’avons perdue... nous devons déposer les armes [...] notre guerre avait
un but territorial, l’algérie dans la France 18. » L’absence de but de
guerre aiché est un élément de premier plan pour comprendre le désen-
gagement des militants de l’OaS. il faut y ajouter les conditions du combat,
fort diférentes entre la métropole et l’algérie. au printemps 1962, un
de ses commandos delta les plus performants (celui commandé par
anglade et Bertolini) qui ambitionnait de libérer Degueldre et de tuer
de Gaulle (« opération Chamois ») a mesuré, en se faisant arrêter, à quel
point la métropole était un cadre ininiment moins adapté qu’alger.
Jean-Claude Pérez, violemment opposé à Susini en juin 1962 et qui espère
relancer la lutte depuis l’espagne où il s’est installé doit se rendre à l’évi-
dence en dressant le bilan de ses troupes :
« Ces garçons avaient l’expérience d’actions violentes s’exerçant au milieu
d’une population qui était la leur. Mais ils n’étaient pas aptes à efectuer
une quelconque mission en métropole. C’est tout juste en efet, s’ils ne
portaient pas sur la poitrine un énorme écusson au sigle de l’OaS ! et je
n’ose ici évoquer leur accent qui rappelait leur terroir d’origine 19... »
Ce constat de Pérez, qui peut être étendu à d’autres (notamment à
Charles Micheletti) conduit à considérer que l’impuissance admise conju-
guée à la lassitude et aux contraintes liées à l’exil (les militants OaS sont
tolérés s’ils se tiennent coi) entraînent une sortie de logique opérationnelle
non seulement subie fait inalement souhaitée. Dans ces conditions,
l’attentat du Petit-Clamart entraîne un efet de brouillage.

L’efet de brouillage du Petit-Clamart


il n’est guère utile de reprendre le détail de cet attentat qui, le
22 août 1962, a failli coûter la vie au général de Gaulle. Par rapport à
l’analyse des sorties de guerres rapportées à l’OaS, il est instructif sur
trois points.

17. François-Xavier Hautreux, l’armée française et les supplétifs « Français musulmans » pendant la guerre
d’Algérie (1954-1962). expérience et enjeux, thèse de doctorat d’histoire, université de Paris X-
nanterre, 2010, p. 390-391 et p. 450-451.
18. Cité in Georges Fleury, tuez de gaulle ! Histoire de l’attentat du Petit-clamart, Paris, Grasset, 1996,
p. 365-366.
19. Jean-Claude Perez, debout dans ma mémoire, tourments et tribulations d’un rapatrié de l’Algérie
française, Hélette, Harriet, 1996, p. 114.

50
sorties de guerre et oAs

en premier lieu, il conirme pour les contemporains le danger de l’OaS


et le scénario du transfert de la lutte à Métropole. Que l’attentat du Petit-
Clamart ait été conduit en marge de l’OaS, que seuls deux de ses militants
véritables aient appartenu au commando (alain de La tocnaye, Jacques
Prévost) ne change rien à l’importance de la perception de la menace. elle
s’alimente du fait que l’enquête, à ses débuts, arrête des étudiants, à savoir
Pascal Bertin et Jean-Pierre naudin. Les craintes des autorités sont d’autant
plus vives qu’elles ne parviennent pas à mettre la main sur « Didier », le
cerveau de l’opération. Personne ne songe alors à Bastien-hiry, arrêté
quelques semaines après les faits et dont les aveux le 17 septembre stupé-
ient les enquêteurs.
un second élément d’importance renvoie à la composition même du
commando et à ses objectifs. La situation est bien diférente de ce que
Degueldre avait mis sur pied en organisant les Deltas sur alger. On sait le
soin mis par le lieutenant à composer ses commandos. en l’espèce, le recru-
tement s’est efectué sur un mode un peu artisanal, sans liens avec les
commandos OaS d’algérie. Le seul point de contact renvoie à Mission iii
et à armand Belvisi, arrêté le 30 mai 1962. La faiblesse des moyens est
également notable puisque Bastien-hiry investit son propre argent dans
l’opération. enin, il faut souligner la diversité des points de vue des
membres du commando. L’objectif de Bastien-hiry est à l’origine d’arrêter
et de juger de Gaulle, pas de l’éliminer, ce que souhaitent d’autres partici-
pants et qu’a bien raconté alain de La tocnaye 20. Le procès de l’attentat du
Petit-Clamart, qui s’ouvre le 28 janvier 1963, met en lumière ces difé-
rences. On se contentera d’évoquer les justiications mises en avant par
Bastien-hiry dans sa « déclaration ».
Si beaucoup sont classiques et portent sur la dénonciation du « parjure »
gaullien, la défense des pieds-noirs et des Français musulmans ou l’accent mis
sur une « résistance », l’une d’entre elles, fondamentale de son point de vue,
est bien spéciique. ainsi, le lieutenant-colonel, dans le prolongement de son
engagement catholique-traditionaliste, met en avant une double référence à
l’élimination de la « tyrannie » gaulliste et à Saint homas d’aquin qu’il cite :
« C’est le tyran qui est séditieux et qui nourrit dans le peuple les discordes
et la sédition, car le régime tyrannique n’est pas juste et n’est pas ordonné
au bien commun. Sont dignes de louange ceux qui délivrent le peuple
d’un pouvoir tyrannique. »
Le commentaire en découle :
« La tyrannie du général de Gaulle n’appartient pas à ce genre de tyran-
nie douce à laquelle certains pères de l’Église continuent de se résigner

20. alain de La tocnaye, comment je n’ai pas tué de gaulle, Paris, Éditions nalis, 1969, p. 173-174.
Voir aussi l’interrogatoire de Bastien-hiry à l’audience du 2 février 1963 : le procès de l’attentat du
Petit-clamart, compte rendu sténographique, Paris, éditions albin Michel, 1963, p. 267 sq.

51
oliVier dArd

par esprit de patience et de mortiication chrétienne, c’est une tyrannie


violente, sanglante, qui divise, qui détruit et qui est responsable de la mort
d’innombrables victimes. À notre avis, les règles morales et les règles consti-
tutionnelles se rejoignent à propos de notre action. Saint homas d’aquin
n’a d’ailleurs fait sur ce point que transposer et sublimer sur le plan de la
morale chrétienne les principes de la cité posés par les philosophes grecs en
général et par aristote en particulier 21. »
un dernier élément invite à remettre en perspective la volonté d’assas-
siner le général de Gaulle. Éliminer de Gaulle n’avait pas été un but de
guerre des défenseurs les plus acharnés de l’algérie française, mais devient
prioritaire pour les « derniers des Mohicans 22 » à l’heure de sa sortie. Solder
l’afaire algérienne implique de châtier l’homme qui est considéré comme
le fossoyeur de l’algérie française. Le Cnr-OaS s’en préoccupe dès
mai 1962 mais ne passe pas à l’action, à la diférence de rossfelder et de
Susini qui échafaudent le projet d’août 1964 du Mont Faron. On retiendra
moins la modernité du procédé employé que les motivations exprimées par
rossfelder dans cette formule :
« Maintenant encore lorsque des amis curieux me demandent : “Mais
pourquoi avoir voulu tuer de Gaulle quand tout était ini depuis des mois
pour l’algérie ?”, cette question qui leur semble naturelle me déconcerte,
car l’obsession du tyrannicide n’est pas nécessairement de changer le cours
d’une politique mais de ne plus avoir à penser au tyran. Si je répondais
donc : “Parce qu’il est encore là”, ça devrait leur suire. non. ils s’attendent à
ce qu’on s’explique en évoquant la haine, la vengeance ou la déraison 23. »

La guerre d’Algérie est-elle bien inie ?


Le procès et l’exécution de Bastien-hiry (11 mars 1963) soldent le cycle
des procès les plus médiatisés mais il y en eut d’autres, devant la Cour de
Sûreté de l’État. On citera notamment certains procès collectifs comme
celui de l’OaS-est qui s’ouvre le 24 septembre 1963 et pour lequel
49 personnes sont renvoyées 24 et surtout celui de Jean-Marie Curutchet,
l’ancien patron de l’OrO de l’OaS-Métro condamné le 2 juillet 1964 par
la Cour de Sûreté de l’État à la peine de réclusion criminelle à vie. Les procès
disent beaucoup des motivations et des justiications des acteurs. rapportés
à ceux d’autres organisations terroristes, ils sont instructifs sur un point
essentiel. Le poids des arguments politiques est important mais le tribunal

21. le procès de l’attentat du Petit-clamart, op. cit., p. 250-251 (2 février 1963).


22. andré rossfelder, le onzième commandement, Paris, Gallimard, 2000, p. 619.
23. ibid., p. 621.
24. Olivier Dard, « Le réseau OaS-est », in Philippe Martin et Stefano Simiz (dir.), l’empreinte de la
guerre. de la grèce classique à la tchétchénie, Paris, Lavauzelle, p. 389-396 et teddy Contreras,
« L’OaS en Lorraine : bilan d’un échec » in François Cochet et Olivier Dard (dir.), subversion,
anti-subversion, contre-subversion, Paris, riveneuve Éditions, 2009, p. 267-279.

52
sorties de guerre et oAs

n’est pas transformé en arène comme ce fut le cas pour les Brigades rouges
par exemple. De même, à l’exception notable de Jean-Marie Curutchet dont
la déclaration liminaire évoque « ceux de [s]a génération qui furent plongés
dans le drame algérien » et le « devoir de tout remettre en question, frayant
ainsi la voie aux jeunes qui se préparent à prendre notre relève 25 », la plupart
des protagonistes consacrent leur propos à refaire l’histoire de la « trahison »
du 13 mai et le procès du général de Gaulle. il n’est donc pas question de
nouvelles luttes sur lesquelles fonder un avenir. il en va de même de la vie
carcérale des détenus OaS qui n’entendent pas, à la diférence de ceux
l’ira, transformer la prison en école de formation. La guerre est donc bien
inie en ce sens que les procès sonnent le glas de la lutte armée. On ajoutera
que la presse nationaliste, de rivarol à europe-Action, si elle demeure acquise
aux prisonniers de l’algérie française et dénonce leurs conditions d’incar-
cération dans les « prisons du régime » n’exalte pas le combat de l’OaS.
Certaines personnalités, notamment Dominique Venner, tirent même
un bilan négatif de l’expérience. Dans sa brochure Pour une critique positive,
l’ancien dirigeant de Jeune nation fait dès l’été 1962 le procès des « tares
de l’opposition nationale », du « défaut de conception » de l’action entre-
prise depuis le putsch d’alger et du « terrorisme aveugle » considéré comme
« le meilleur moyen de se couper d’une population » et assimilé à un « acte
de désespéré ». La conclusion est donc sans appel : « Les dernières séquelles
de l’OaS, qui sont désormais un atout puissant du régime, doivent être
éliminées parce que néfastes 26. »
Cette position n’est pas unanimement partagée, notamment du côté des
anciens de l’esprit public et des proches de Pierre Sergent qui ont poursuivi
la lutte ou créé à leur libération en 1966 le Mouvement Jeune révolution
(MJr) qui s’appuie sur le mensuel éponyme. il s’agit de difuser la propa-
gande du Cnr et de rendre hommage à l’expérience de l’OaS en héroïsant
des igures mortes pour la cause (Bastien-hiry, Jean de Brem) ou encore
sur la brèche comme Pierre Sergent. Dans l’hexagone, l’inluence du Cnr
et du MJr est réduite. L’existence de ces entités et la perpétuation d’atten-
tats contre le général de Gaulle jusqu’en 1966 (opération « Oscar ») ont
pourtant contribué à nourrir la thématique d’une OaS encore menaçante
et d’autant plus puissante et qu’elle serait relayée par des réseaux internatio-
naux d’une « OaS internationale ». un colloque de mai 2012, déjà évoqué,
invite à largement relativiser la puissance d’une « OaS internationale » qui
se maintiendrait voire se développerait après la in de la guerre d’algérie dans
le sillage du Cnr-OaS et du Conseil national de la révolution. il faut
rappeler que si la branche OrO (Organisation renseignement Opérations)
de l’OaS-Métro dirigée par le capitaine Curutchet a tenté de s’implanter en
25. le procès Jean-marie curutchet. compte rendu sténographique des débats, Paris, nouvelles Éditions
latines, 1965, p. 10.
26. Cité in Olivier Dard, Voyage au cœur de l’oAs, op. cit., p. 336-337.

53
oliVier dArd

Belgique en juillet 1962, les premières perquisitions dans leurs « planques »


se déroulent à la mi-septembre suivies peu après par les arrestations de leurs
soutiens belges emblématiques, notamment le dentiste José Deleplace et les
frères absil, alors étudiants. Le choc est profond et les médias, tant belges
que français, glosent sur une OaS-Belgique réputée puissante. Cependant,
si « l’afaire » de l’OaS-Belgique est « très médiatique », elle est surtout
« surgonlée 27 » et la « base-arrière » opérationnelle belge fait long feu.
D’autres dossiers invitent à des conclusions comparables et les propos des
protagonistes ne peuvent être pris au pied de la lettre. On citera, parmi
d’autres, ceux de Gardy, auquel une place de choix a été réservée dans
l’organigramme du futur Cnr et qui évoque, en novembre 1962, le « rallie-
ment sans réserve au Cnr des éléments combattants de l’ancienne OaS
algérie » tout en proclamant que « l’essentiel des structures de l’organisation
en France métropolitaine est maintenu 28 ». en réalité, aucun des colonels
n’est rallié et le gouvernement français fait pression sur ses partenaires
européens pour qu’ils limitent au maximum chez eux l’activité des exilés de
l’OaS qui pourraient s’y trouver. La chose est eicace en direction de
l’espagne ou du Portugal et même du Sénégal qui intercepte Curutchet qui
y faisait escale depuis l’italie avant de se rendre en uruguay 29. Dans certains
cas, à l’instar de l’afaire argoud, les services français interviennent directe-
ment en enlevant le colonel à Munich le 25 février 1963 ce qui provoque
un refroidissement sérieux des relations franco-allemandes. Mais pour le
général de Gaulle et son gouvernement, si la guerre d’algérie est bien inie,
celle contre l’OaS ne peut être considérée comme achevée que lorsque les
menaces émanant de ses surgeons sont déinitivement éradiquées et s’accom-
pagnent de procès et de condamnations. La in de la guerre efective, au
sens d’une lutte organisée conduite contre les activistes, ne date donc pas
de 1962 mais bien plutôt de 1963 voire de 1964. elle se déroule en même
temps qu’une sortie de guerre se met en place via les premières amnisties
qui s’échelonnent jusqu’en 1968.

Conclusion
un demi-siècle après l’indépendance de l’algérie et les grands procès de
l’OaS, la question de la sortie de guerre d’algérie reste posée. Les termes
du questionnement sont bien diférents du triptyque « Partir, rester, faire
27. Francis Balace, « Pierre Joly, passeur d’illusions », in Olivier Dard (édit.), doctrinaires, vulgarisa-
teurs et passeurs des droites radicales au XXe siècle (europe-Amériques), Berne, Pie Peter Lang, 2012,
p. 69-70.
28. Olivier Dard, Voyage au cœur de l’oAs, op. cit., p. 325-326.
29. Curutchet y revient longuement dans une lettre au juge d’instruction Braunschweig datée du
20 décembre 1963[ in le procès Jean-marie curutchet..., op. cit., p. 337-340]. Sur l’espagne et le
Portugal, voir les contributions d’anne Dulphy, riccardo Marchi et Victor Pereira réunies in
Oliviet Dard, Victor Pereira (dir.), Vérités et légendes d’une oAs internationale, Paris, riveneuve
éditions, 2013.

54
sorties de guerre et oAs

transition » mais « la guerre des mémoires » est bien présente, nourrissant


des ouvrages collectifs ou des numéros spéciaux de périodiques. Peu présente
dans de nombreux écrits, l’OaS y a pourtant sa place et sa part. De fait,
depuis le début des années 1960, s’est construite une mémoire des combat-
tants de l’algérie française. elle est assurément minoritaire au vu de
l’opprobre qui touche l’OaS, aujourd’hui comme hier, mais elle est durable.
De nombreux récits de souvenirs 30 ont scandé la construction de cette
mémoire qui, coninée à l’origine dans des réseaux éditoriaux restreints et
militants, s’est exprimée à partir des années 1970 dans des maisons d’édi-
tions réputées. Plus récemment, cette mémoire s’est incarnée dans l’érection
de « lieux » dont le plus célèbre et le plus médiatisé est la stèle de Marignane,
portée par l’association pour la défense des intérêts moraux et matériels des
anciens détenus politiques (aDiMaD). Honorer les « martyrs » fusillés de
l’algérie française est un des buts essentiels de la démarche. il s’accompagne
d’un travail mémoriel visant à proposer une autre histoire de la in de
l’algérie française, le point de vue de vaincus d’une guerre pour qui sa sortie
fut non seulement déplorable en termes de résultats mais également indigne.
il leur revient donc d’en refaire perpétuellement le récit en reprenant des
arguments et un cadre interprétatif qui a peu évolué depuis la in efective
de la lutte armée.

30. Pour une première approche, Olivier Dard, « Éditer au nom de la défense de l’algérie française
(1960-1968) », in Béatrice Fleury et Jacques Walter (dir.), qualiier les lieux de détention et de
massacre (4). dispositifs de médiation mémorielle, Questions de communications, série actes, n° 13,
2011, p. 335-362. À ces récits, il faut ajouter des chansons, notamment de Jean-Pax Méfret, « le
chanteur de l’Occident » et quelques romans, notamment de Michel Déon (les poneys sauvages,
Gallimard, 1970) ou de Frédéric Musso (martin est aux Afriques, Paris, La table ronde, 1978).

55
La sortie de guerre de militants juifs algériens
et la construction d’une algérianité d’État
(1962-1963)
Pierre-Jean Le Foll-Luciani

Grâce à une étude biographique menée à partir de sources mémorielles,


il est possible de suivre les trajectoires d’une quarantaine de militants antico-
lonialistes juifs algériens. nés majoritairement dans l’entre-deux-guerres,
ils sont âgés d’une trentaine d’années au minimum au moment de l’indé-
pendance. Leur position minoritaire permet d’interroger des aspects de
l’histoire de l’algérie par les marges et cette entrée est particulièrement
intéressante pour l’étude de la sortie de guerre, période au cours de laquelle
la polarisation entre « colonisateurs » et « colonisés » atteint un paroxysme.
Ces militants font en efet partie des 140 000 « Français d’algérie » – dont
environ 20 000 juifs autochtones – qui, à contre-courant de la grande
majorité, demeurent toujours en algérie au début 1963 1. en outre, ayant
lutté pour l’indépendance du pays, étant restés par conviction politique et
se voulant citoyens algériens, ils sont alors déterminés à vivre le reste de leur
existence en algérie. ils n’en sont pas moins des « non-musulmans » et,
pour beaucoup, des communistes, ce qui les place dans une situation
doublement minoritaire dans la nouvelle société algérienne. De fait, leur
simple présence pose à l’État indépendant deux questions essentielles pour
l’avenir du pays : la déinition oicielle de la nation algérienne ainsi que la
déinition du champ politique légal.
ici, seule une année est envisagée, de mars 1962 (signature du cessez-
le-feu et des accords d’Évian) à mars 1963 (vote du code de la nationalité
algérienne par l’assemblée nationale constituante). Cette période peut être
divisée en deux grands moments : jusqu’en septembre 1962, on peut
parler de six mois de in de guerre, où les belligérants et les formes de
violence se multiplient au sein de la population française, au sein de la
population algérienne et entre des éléments de ces deux populations ; puis,
après septembre 1962 et la mise en place du gouvernement dirigé par
1. Pierre Daum, ni valise ni cercueil. les pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance, arles, actes
Sud, 2012, p. 39-46.

57
Pierre-JeAn le Foll-luciAni

ahmed Ben Bella, on assiste à la construction des premières bases du nouvel


État algérien, qui aboutissent notamment à la déinition d’une algérianité
d’État.
À travers les trajectoires minoritaires des militants juifs, l’analyse de la
sortie de guerre permet de saisir le moment de reconiguration des tensions
politiques et identitaires à l’œuvre dans la société et parmi les élites
algériennes. Se jouent en efet dans ces quelques mois des éléments déter-
minants non seulement pour les devenirs individuels de ces militants
anticolonialistes juifs (ou européens), mais aussi pour l’avenir du pays dans
son entier.

Sens et contenu d’une sortie de guerre


À la diférence de la grande majorité des européens et juifs d’algérie, le
cessez-le-feu (mars 1962) et l’indépendance (juillet 1962) sont vécus par
les militants anticolonialistes juifs et européens comme une libération. ils
signiient en efet pour eux, à plus ou moins brève échéance, une sortie de
clandestinité ou de semi-clandestinité, une sortie de prison ou de camp
d’internement ou un retour au pays après un exil ou un bannissement hors
d’algérie.
Cependant, nombre de ces militants quittent alors l’algérie – ou n’y
rentrent pas – du fait de divers facteurs. afectés par l’exode – sur les causes
duquel on ne revient pas – qui touche leur famille, leurs amis, leurs voisins,
des hommes et femmes qui se voulaient algériens sont entraînés par le
mouvement général et rejoignent la France, en partageant plus ou moins
fortement les préventions répandues parmi les Français d’algérie à l’égard
des futurs dirigeants algériens. Surtout, les bornes théoriques de la in de la
guerre – le cessez-le-feu et l’indépendance – ne correspondent pas à la in
efective des violences, et des militants quittent précipitamment l’algérie
entre la in 1961 et le début 1962 pour échapper à des menaces de mort
directes de l’Organisation armée secrète (OaS) – qui cible avant tout les
« traîtres » au sein de la société française d’algérie – ou pour se mettre à l’abri
de la violence. Celles et ceux qui décident alors qu’ils ne vivront pas en
algérie indépendante sont souvent persuadés que la violence raciale déchaînée
de tous côtés – et dont ils attribuent la responsabilité première à l’OaS –
rendra la cohabitation impossible. D’autres prennent également peur devant
les afrontements internes au Front de libération nationale (FLn) à l’été
1962, qui laissent présager pour l’avenir une forte instabilité politique et
un climat d’autoritarisme à fondement militaire. Dans ce contexte, parmi
les individus étudiés, dont la moitié décide de rester, le facteur déterminant
pour expliquer le choix est l’entourage immédiat : les hommes et les femmes
qui décident de rester sont soit célibataires, soit vivent en couple avec un(e)
militant(e) anticolonialiste natif(-ve) d’algérie.

58
lA sortie de guerre de militAnts JuiFs Algériens

Malgré les violences de la première moitié de 1962 et une certaine


tristesse à assister au départ de proches et à voir l’environnement social et
afectif de leur jeunesse totalement bouleversé, celles et ceux qui restent le
font dans l’enthousiasme : la sortie de guerre, même brutale et chaotique,
signe la in d’un monde détesté – le monde colonial – et la in d’une période
d’extrême tension liée à la clandestinité et à la répression. Cet enthousiasme
se lit dans la participation aux fêtes de l’indépendance et dans la volonté de
contribuer à la construction du pays ainsi qu’à une transformation radicale
de la société. Or, cette participation est possible et encouragée par l’admi-
nistration algérienne, dont les besoins sont extrêmement importants :
chacun dans leur domaine professionnel, des ouvriers, des enseignants, des
médecins reprennent leurs activités, qu’ils couplent souvent à une activité
de formation – ain d’accélérer le remplacement des coopérants étrangers
par des algériens –, tandis que d’autres se voient proposer des postes impor-
tants dans la haute administration algérienne, comme Daniel timsit,
andré Beckouche et Claude Sixou, nés entre 1928 et 1931, qui deviennent
tous trois hauts fonctionnaires ministériels dans des secteurs-clés de l’éco-
nomie à la in 1962.

Comment être Algérien et non-musulman ?


À la diférence des « pieds-rouges » venus de France après l’indépendance
pour participer à la construction du pays, les militants anticolonialistes juifs
et européens, natifs d’algérie, se veulent algériens. nombre d’entre eux
proclament leur algérianité et leur patriotisme depuis la in des années 1940
au sein du Parti communiste algérien (PCa), et ils ont a fortiori clamé leur
appartenance nationale algérienne durant la guerre d’indépendance, lorsque
plus ou moins intégrés au FLn, ils rédigeaient des tracts en tant que
« patriotes algériens » ou « algériens d’origine israélite » et s’airmaient
« algériens » devant les tribunaux militaires français. Détachés afective-
ment de l’appartenance française depuis la Seconde Guerre mondiale et les
discriminations vichystes, se vivant comme des algériens dans les noyaux
clandestins où ils se mêlent à des militants de diverses origines, les antico-
lonialistes juifs ont souvent radicalisé leur désidentiication envers la France
durant la guerre d’indépendance, lorsqu’ils étaient mis au ban de la nation
française par une grande partie des Français d’algérie et par les autorités
qui, dans la répression, les traitaient comme des « traîtres ».
Jusqu’en 1961-1962, la question de leur algérianité est restée coninée
au mouvement national algérien et aux débats entre militants anticolonia-
listes – le plus souvent avortés, mais toujours très vifs – sur la déinition de
la nation algérienne. en sortie de guerre, cette question, importante lors
des négociations d’Évian, devient un problème politique, social et juridique
voué à un règlement par l’État algérien. Mais avant le vote du code de la

59
Pierre-JeAn le Foll-luciAni

nationalité algérienne en mars 1963, les anticolonialistes juifs (et européens)


expérimentent les signiications concrètes de leur algérianité – entendue
comme catégorie d’identiication sociale, politique, juridique – dans la
société algérienne de sortie de guerre.
De manière générale, les témoins, qui vivent dans leur grande majorité
à alger – ville où la présence européenne et juive était importante jusqu’en
1962 et où vit désormais une population cosmopolite –, disent avoir été
très bien acceptés par les algériens qu’ils côtoient quotidiennement comme
voisins, collègues de travail ou parents d’élèves des classes que fréquentent
leurs enfants. Malgré quelques altercations individuelles à base raciale dans
la rue, les témoins signalent leur étonnement – après l’épisode OaS –
devant l’absence générale d’animosité dans les interactions quotidiennes.
toutefois, s’ils ne sont pas perçus comme des étrangers par les algériens
qu’ils côtoient et croisent, ils ne sont pas forcément perçus comme des
algériens à part entière par les algériens musulmans, en-dehors de certains
cercles militants du PCa ou du FLn qui revendiquent – et vivent, dans le
cadre militant – la pluralité « ethnique » et religieuse de la nation algérienne
et clament que ces anticolonialistes européens et juifs sont des « frères » et
« sœurs » au sein de la patrie algérienne.
Globalement, les témoins airment cependant qu’ils se sentent reconnus
socialement comme des algériens. Mais cette reconnaissance est plus incer-
taine lorsque des rapports de pouvoir, de hiérarchie et d’autorité entrent en
jeu. De fait, si la majorité de ces militants ne veulent pas du statut de
coopérant français mais désirent être employés – et payés, malgré des
désavantages salariaux certains – comme des algériens, plusieurs rapportent
que des collègues ou des supérieurs les incitent à devenir coopérants. Outre
une volonté évidente de faire payer des salaires par l’ancienne puissance
colonisatrice, ces incitations peuvent être le fait d’algériens soucieux de se
garder certains postes à responsabilité réservés de facto aux nationaux. elles
peuvent aussi être liées à une volonté de maintenir ces hommes et ces
femmes, majoritairement communistes, dans une forme de neutralité
politique à laquelle on peut souhaiter qu’ils se tiennent en tant que coopé-
rants français.
Sur le plan politique justement, les militants juifs se trouvent dans la
situation de tous les algériens : la mise en place du parti unique, en conti-
nuité avec la politique de front unique menée par le FLn durant la guerre
d’indépendance, s’accompagne d’une élimination ou d’une mise sous tutelle
par l’État algérien et le FLn de toutes les initiatives et organisations qui
menacent de leur échapper. L’interdiction du PCa en novembre 1962 et la
neutralisation de l’union générale des travailleurs algériens (uGta)
en janvier 1963 s’inscrivent dans ce mouvement, qui ancre le soupçon de
déloyauté et de traîtrise à la nation envers tous les opposants potentiels,
rendant illégitime toute intervention critique à l’égard du pouvoir. Bien

60
lA sortie de guerre de militAnts JuiFs Algériens

plus, des membres des élites politiques se précipitent sur des thématiques
identitaires pour disqualiier les opposants, en traquant la présence de
non-musulmans – et a fortiori de juifs – dans les « complots » (réels ou
supposés) qui visent l’État. ainsi, dès 1963 et encore en 1964, des cadres
du FLn dénoncent la main d’israël et du sionisme dans l’afaire du maquis
de Dra-el-Mizan (où un juif algérien est impliqué) comme dans l’activité
du Front des forces socialistes (FFS) de Hocine aït ahmed, fondateur du
FLn entré en dissidence courant 1963. Cette ambiance idéologique et
identitaire – qui atteindra un paroxysme, en délaissant toutefois le thème
« sioniste 2 », au moment de la répression contre les opposants au coup
d’État de Houari Boumediene en 1965 – touche y compris la gauche du
FLn (comme le prouvent certains articles de Mohammed Harbi) ainsi que
les communistes qui s’expriment dans le quotidien Alger républicain 3. Dans
ce contexte, le PCa décide d’organiser séparément, au niveau des cellules,
ses militants musulmans et non-musulmans ; cette disposition est mal vécue
par des militants juifs et européens pour lesquels la cellule du PCa était
précisément l’un des lieux de construction et de vécu de leur algérianité.
Les militants juifs et européens s’en trouvent ainsi tenus non seulement
à une discrétion liée à l’autoritarisme du régime, mais aussi à une « politesse 4 »
liée à leur statut de minoritaires, ce qui contribue fortement à développer
chez eux un sentiment d’illégitimité quant à leur présence dans le pays. Les
débats parlementaires qui précèdent le vote du code de la nationalité
algérienne accentuent grandement ce sentiment d’illégitimité.

Les débats sur le code de la nationalité algérienne


(mars 1963)
La possibilité pour les européens et juifs d’algérie d’être des citoyens
algériens, garantie par les nationalistes algériens dès avant la guerre d’indé-
pendance, est airmée à de nombreuses reprises par le FLn après 1954. Les
juifs d’algérie sont de ce point de vue l’objet d’une propagande spéciique.
Jusqu’à un moment avancé des négociations entre le gouvernement français
et le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPra), le
FLn souhaite voir les juifs distingués des européens et naturalisés algériens

2. en septembre 1965, il sera essentiellement question d’« idéologies étrangères » et d’« aventuriers
étrangers », expressions désignant implicitement tant l’impérialisme français (et les coopérants
français) que le communisme soviétique (et les communistes algériens et français) (el moudjahid des
22, 23, 24, 25 et 28 septembre 1965).
3. Mohammed Harbi, « Don Quichotte en algérie », révolution Africaine, 17 août 1963 ; Alger
républicain, 18-19, 20, 21 et 23 octobre 1964.
4. entendue comme « neutralité politique, qui est aussi une neutralité éthique, parce qu’elle interdit à
qui n’est pas du lieu (i. e. le non-national) d’intervenir dans la vie politique propre aux maîtres de
céans, toute intervention en la matière ne pouvant apparaître que comme désordre, perturbation,
voire subversion » [abdelmalek Sayad, l’immigration ou les paradoxes de l’altérité. t. 2 : les enfants
illégitimes, Paris, raisons d’agir, 2006, p. 14].

61
Pierre-JeAn le Foll-luciAni

en bloc au moment de l’indépendance. abandonnant cette idée, le GPra


signe en mars 1962 les accords d’Évian, qui prévoient une procédure simple
pour les Français d’algérie qui demeureront en algérie indépendante et
souhaiteraient devenir des nationaux algériens. il est toutefois évident dès
cette date, et plus encore à la suite des violences et des départs massifs de
l’été 1962, que ceux qui demeurent ne souhaitent pas, dans leur grande
majorité, abandonner la nationalité française. La question est donc moins
quantitative que qualitative et il ne s’agit pas, dans ces débats, de révolu-
tionner la conception de la nation ou d’ouvrir la nationalité algérienne à
des milliers d’européens – qui n’en veulent pas –, mais d’airmer des
principes, concernant les critères déinitionnels d’une appartenance natio-
nale et concernant le devenir des anticolonialistes européens et juifs qui,
eux, se veulent algériens.
L’article le plus controversé du code de la nationalité est celui qui déinit
le « national d’origine » – c’est-à-dire celui qui n’aura pas à acquérir la
nationalité algérienne, mais l’aura automatiquement – comme celui « dont
au moins deux ascendants en ligne paternelle sont nés en algérie et y
jouissaient du statut musulman 5 ». Les autres sont considérés comme des
« étrangers 6 » dont l’hypothétique acquisition de la nationalité algérienne
est soumise à l’acceptation du gouvernement et, pour les militants, à « la
preuve ou une ofre de preuve suisamment circonstanciée de [leur] parti-
cipation à la lutte de libération nationale 7 ». Ces dispositions sont très mal
vécues par les anticolonialistes juifs et européens et fortement critiquées par
une dizaine de députés qui, quelle que soit leur interprétation de la mention
du « statut musulman » (critère religieux ou critère juridique distinguant
ceux qui ont été colonisés des autres ?), n’acceptent pas de voir ainsi écartés
de la « nationalité d’origine » les non-musulmans qui se veulent algériens.
De l’avis de tous les observateurs, les débats sont extrêmement vifs. en
efet, derrière la question de principe initiale et le sort des quelques centaines
d’anticolonialistes non-musulmans, les discussions remuent des questions
fondamentales quant à l’avenir de la société et de l’État algériens. Les
conlits qui s’y nouent témoignent clairement du fait que la sortie de guerre
marque la in de l’unanimisme de façade avancé par le FLn dans la guerre
et déjà fortement ébranlé dans les luttes intestines de l’été 1962.
Lors des débats, les tensions les plus évidentes concernent la déinition
de la nation. Si huit députés seulement apparaissent comme des partisans
stricts de la déinition ethno-religieuse d’une algérianité arabo-musulmane,
aucun député ne défend une vision constructiviste du concept de nation et
tous ou presque s’entendent sur l’existence anhistorique d’une nation
5. Chapitre Vi, paragraphe 1, article 34 de la loi n° 63-96 du 27 mars 1963 portant code de la natio-
nalité algérienne (Journal oiciel de la république algérienne [abré. JorA], 2 avril 1963).
6. Circulaire du 9 mai 1963 relative à l’application de la loi n° 63-96 du 27 mars 1963 portant code de
la nationalité algérienne (JorA du 24 mai 1963).
7. idem.

62
lA sortie de guerre de militAnts JuiFs Algériens

algérienne. une dizaine de députés avancent toutefois une conception


politique de l’appartenance nationale – selon laquelle est algérien qui veut
l’être et agit en conséquence –, sans pour autant s’attaquer de front à l’ara-
bisme d’État. De fait, si la question de l’algérianité des non-musulmans est
ouvertement posée durant ces débats (surtout à propos du sort des antico-
lonialistes juifs et européens), nul ne soulève la question, bien plus impor-
tante en termes numériques et pour l’avenir du pays, de la place des
Berbérophones. La question amazighe – à l’origine de purges politiques ou
physiques au sein du mouvement national en 1949 et durant la guerre
d’indépendance puis de déclarations de l’État contre le (supposé) « sépara-
tisme kabyle » en 1963-1964 – apparaît plutôt comme une tension sourde
qui contribue sans aucun doute à l’électricité des échanges.
Outre les controverses sur la déinition de la nation, de fortes tensions
idéologiques liées à des visions opposées de la société algérienne surgissent
dans ces débats. il est d’ailleurs frappant de constater que ceux qui défen-
dent une conception politique de la nation sont les mêmes qui introduisent
des distinctions de classes sociales dans la société algérienne, défendent
certains droits pour les femmes, dénoncent le principe du parti unique ainsi
que la mise sous tutelle du syndicalisme et critiquent le fonctionnement
des institutions soumises au parti unique.
Chaque élément de ces débats compte pour comprendre le devenir de
la société algérienne en général et celui des anticolonialistes non-musulmans
en particulier. Pour l’heure, ces derniers ont à se déterminer face aux dispo-
sitions du code de la nationalité qui les concernent.
Leurs capacités d’intervention dans les débats sont limitées. Le PCa,
interdit depuis trois mois, décide en efet de ne pas entrer dans la bataille.
Ses dirigeants, s’ils se désolent du code de la nationalité, estiment que cette
question est secondaire par rapport aux autres enjeux des premiers temps
de l’indépendance et craignent surtout de se lancer dans un débat « identi-
taire » qui tournerait sans aucun doute en leur défaveur et risquerait de les
discréditer 8. Pour les mêmes raisons, Alger républicain, qui consacre de
nombreux articles à ces débats, ne prend pas explicitement position. Les
seuls opposants directs au code sont donc certains députés, auxquels s’ajou-
tent des anticolonialistes européens et juifs qui assistent aux débats et
tentent d’y intervenir directement. Parmi eux se distinguent particulière-
ment des juifs, sans doute moins hésitants, du fait de leurs trajectoires, à se
défaire de la nationalité française et à se revendiquer algériens, ce à quoi la
propagande du FLn – à laquelle ils ont parfois eux-mêmes contribué – les
invite avec insistance depuis 1956. Alger républicain rapporte ainsi que lors
des débats, un « invité d’origine israélite » déclare dans les couloirs de
l’assemblée : « Depuis Pétain, j’ai changé 10 fois de nationalité ; je me
8. entretiens avec Sadek Hadjerès (1er décembre 2011) et William Sportisse (18 janvier 2011), membres
du Comité central du PCa en 1963.

63
Pierre-JeAn le Foll-luciAni

demande quand je serai enin algérien 9. » Pour sa part, Claude Sixou se


souvient des termes qu’il emploie lorsqu’il intervient auprès de Ferhat
abbas, président de l’assemblée, qui a toujours avancé une conception
non-exclusive de la nation mais qui refuse désormais de prendre position :
« Je lui ai dit : “c’est contraire à tout ce que vous avez déclaré tout le
temps. Ça ne vous gêne pas de faire voter une loi comme ça, qui est une loi
raciste ?” il m’a pas répondu. il a fait comme si il ne me connaissait pas. et
il était avec un type à lui, Benguettat [président de la commission chargée
d’étudier la loi], qui a répondu pour lui en disant : “toi, Sixou, c’est pas
pareil hein, toi tu es un frère, c’est pas fait pour toi cette loi !” Je lui ai dit :
“c’est pas la question !”
Oui ! il a eu une réaction Ferhat abbas. Je lui ai dit : “Vous vous rendez
pas compte que vous êtes en train d’assassiner les Palestiniens. Parce que
si on dit en algérie que la nationalité est basée sur la religion, ça veut dire
qu’en Palestine c’est pareil et qu’ils ont le droit de dire qu’un juif a plus
de droits qu’un Palestinien”. et à ce moment-là, il a réagi comme ça, en
disant : “mais de quoi tu te mêles ?” C’est la seule fois où je l’ai vu réagir,
Ferhat abbas.
et le pire, c’était pas ça. Le pire c’était Kaïd ahmed 10. il était du même
bled que moi. Chaque fois, il me présentait comme “le meilleur des natio-
nalistes de tiaret”. et moi, quand ils ont commencé à discuter, j’ai essayé à
toute force d’aller le voir pour discuter avec lui et j’ai été voir Ferhat abbas.
et je suis parti à Paris [pour quelques temps] [...] et puis il y a Colette
Grégoire qui est venue me voir en me disant : “tu sais, ton copain Kaïd
ahmed, il a pris la parole en public en disant que c’est intolérable qu’il y
ait des pressions qui s’exercent sur l’assemblée” 11... »
au moment de l’ouverture des débats, des militants qui ont eu connais-
sance du projet de loi rédigent un texte de protestation particulièrement
ofensif, dont le ton indique qu’ils se considèrent alors comme étant tout à
fait légitimes à intervenir. adressé aux députés, ce texte, dont cinq des
sept signataires connus sont des juifs algériens 12, témoigne des hésitations
de ces militants eux-mêmes quant à la déinition des critères juridiques
9. Alger républicain du 11 mars 1963.
10. Militant de l’union démocratique du Manifeste algérien (uDMa) de Ferhat abbas avant la guerre
d’indépendance à tiaret, ahmed Kaïd, connu sous le nom de commandant Slimane dans l’armée
de libération nationale (aLn), est un proche de Houari Boumediene dont il soutiendra le coup
d’État en juin 1965. Lors des débats sur le code de la nationalité, il défend une vision anhistorique
d’une nation algérienne éternellement arabe et musulmane, tout en souhaitant accorder la « natio-
nalité d’origine » aux militants juifs et européens.
11. entretien avec Claude Sixou, 12 février 2007.
12. il s’agit de Claude Sixou, Lucien Hanoun, Francine Serfati, Jean-Claude Melki et andré Beckouche.
Les deux autres signataires connus sont Jacqueline Guerroudj (née netter, métropolitaine d’origine
juive, militante du PCa passée au FLn-aLn et épouse d’abdelkader Guerroudj) et Colette Grégoire
(alias anna Greki, européenne d’algérie, épouse de Jean-Claude Melki). Les témoins interrogés ne
se souviennent pas si les signataires étaient plus nombreux. Ce texte a été publié sous le titre
« nationalité algérienne (document) » dans les temps modernes, n° 432-433, juillet-août 1982,
p. 294-299.

64
lA sortie de guerre de militAnts JuiFs Algériens

d’appartenance à la nation. Comme plusieurs députés opposés au code, les


rédacteurs y oscillent en efet entre l’insistance sur l’origine – qui les amène
à mettre en avant le cas des juifs autochtones –, la naissance – qui ouvre la
nation à tous les natifs d’algérie – et des critères politiques – qui tendraient
à n’inclure dans la collectivité nationale que ceux qui l’ont « mérité » :
« C’est en fonction des droits qu’ils espéraient avoir acquis par leur action
patriotique, par le passé, par leurs idées, par leur naissance, que les signatai-
res de cette lettre s’adresseront à vous... il n’est pas dans notre intention de
nier le rôle prédominant de l’islam qui imprégnera notre société algérienne,
mais dès lors qu’il s’agit de la déinition même de notre appartenance à la
nation algérienne, nous ne pouvons rester indiférents à une telle assimila-
tion des deux notions : confession et nationalité... Qu’on le veuille ou non,
les conséquences sont évidentes et une discrimination religieuse est érigée
en principe d’État...
[S]’il est vrai qu’un étranger doit attendre d’une faveur d’avoir la nationa-
lité du pays où il vit depuis peu, nous sommes en droit de penser que le fait
pour chacun de nous d’avoir vécu depuis plusieurs générations et parfois,
pour les Juifs, de n’avoir de passé qu’en algérie, nous autorisait à nous
considérer comme autochtones, indigènes au pays, algériens... lorsqu’il est
dit maintenant que l’algérien est celui qui est de statut coranique, on est en
droit de penser [...] [que] celui qui aura opté pour la nationalité algérienne
ne sera jamais un Algérien à part entière dans la mesure où il ne sera pas de
statut musulman...
ne nous reste-t-il plus que la naturalisation pour jouir de la nationalité
algérienne ? Serons-nous considérés comme un étranger qui demande sa
naturalisation comme le précise le texte ? ainsi, tous les patriotes d’“ori-
gine européenne” ou juive qui n’ont pas marchandé leur participation au
combat, devront, comme tout étranger demander une naturalisation, sujette
elle-même à tous les aléas d’une époque, d’une situation, d’un homme ?
ainsi ce patriote juif dont le passé algérien est au moins aussi lointain que
celui de n’importe quel algérien devra, parce que le colonisateur a d’oice
décrété en 1870 qu’il était Français, faire une demande de naturalisation ?
et l’algérien (de statut musulman) qui volontairement avait acquis la natio-
nalité française, sera du seul fait qu’il est de statut musulman, considéré
comme algérien ?...
nous sommes des algériens et notre naissance en algérie et nos actions
nous donnent le droit de penser que nous sommes plus algériens [...] que
tous ces anciens députés ou sénateurs béni-oui-oui de l’assemblée française
ou naturalisés français volontairement ou collaborateurs... qui sont d’oice
eux, aujourd’hui, considérés comme algériens...
nous avons eu pleine coniance en tous les textes édités pendant la révolu-
tion sur la question nationale par le FLn et nous considérons comme notre
Loi les proclamations faites pendant notre guerre de libération 13. »

13. « nationalité algérienne (document) », loc. cit., p. 294-299.

65
Pierre-JeAn le Foll-luciAni

Des députés ironisent sur cette « susceptibilité 14 » et le ministre de la


Justice, amar Bentoumi, qui estime qu’il n’y a rien d’« infamant 15 » à faire
une demande, déclare nettement :
« À ceux qui estiment que c’est se rabaisser que de demander la natio-
nalité algérienne nous leur disons : vous n’êtes pas mûrs pour rentrer dans
nos rangs 16. »
De telles déclarations, qui semblent reléter un état d’esprit répandu
dans les sphères dirigeantes, ne sont pas sans conséquences : les possibilités
d’acquisition de la nationalité sont largement sous-utilisées par les antico-
lonialistes européens et juifs qui, majoritairement, ne formulent pas
de demande – ou n’obtiennent pas de réponse. entre août 1963 et
décembre 1965, 296 individus seulement sont faits algériens en vertu de
l’article 8 (« participation à la lutte de libération nationale ») et parmi eux
se trouvent seulement 94 non-musulmans natifs d’algérie, dont environ
un quart de juifs (qui se trouvent ainsi surreprésentés). Des débats ont
lieu à l’époque entre eux sur l’attitude à adopter. Plusieurs estiment
qu’ils n’ont pas à formuler de demande. C’est le cas d’andré Beckouche et
arlette Bourgel :
« avec mon mari, on considérait quand même que cette nationalité, étant
donné qu’on était nés dans le pays et qu’on s’était battus, on aurait dû l’avoir
d’autorité. On n’a pas voulu la faire, cette démarche. On a considéré que
c’était vraiment énorme ! On avait quand même donné entre guillemets des
gages, on n’était pas n’importe qui ! On avait quand même risqué notre vie !
et on était nés là ! nos parents aussi ! il fallait qu’on fasse la demande 17 ? ! »
en raison du manque de sources, il est impossible d’établir des statisti-
ques d’ensemble des demandes et de leurs résultats. Sur les 23 témoins qui
vivent en algérie indépendante en 1963, 12 acceptent de faire les démarches
en vue d’obtenir la nationalité en vertu de l’article 8. ils sollicitent alors des
attestations de camarades musulmans certiiant qu’ils ont bien participé à la
lutte de libération. toutefois, nombreux sont les dossiers qui traînent de
longs mois, notamment pour les communistes : William Sportisse, qui
dépose sa demande en octobre 1963, n’est naturalisé qu’en janvier 1965 18
et grâce à l’intervention personnelle d’un ami. Les demandes de Simone aïach
et Georges Hadjadj, pourtant notoirement connus pour leur engagement
et la répression qu’ils ont subie, demeurent sans réponse :
« Mon mari et moi étions restés Français – sans le vouloir, là. Là, franche-
ment, on avait fait tout ce qu’il fallait pour, mais on ne nous l’a pas donnée !

14. Propos d’ahmed Kaïd lors de la séance du 2 mars 1963 (JorA, 27 juin 1963).
15. Séance du 1er mars 1963 (Alger républicain, 2 mars 1963).
16. Séance du 4 mars 1963 (Alger républicain, 5 mars 1963).
17. entretien avec arlette Beckouche, 23 avril 2007.
18. JorA, 5 février 1965.

66
lA sortie de guerre de militAnts JuiFs Algériens

et alors cette fameuse nationalité, qui crevait les yeux, pour nous, qui était
quelque chose de tout à fait évident, pour laquelle on s’était engagés, quand
même, voilà que ce n’était pas vrai 19... »
Les témoins interrogés hésitent quant au sens profond des dispositions
de ce code de la nationalité : sont-elles l’expression de convictions sincères
d’une partie des élites dirigeantes ou sont-elles le relet d’un sentiment
partagé dans la population et sur lequel s’appuient ces élites par populisme ?
William Sportisse estime que « les restrictions sont venues d’en haut et non
du peuple 20 » et pour andré Beckouche, le « peuple algérien » est alors
« beaucoup moins sectaire que l’assemblée 21 ». Cependant, Sadek Hadjerès
considère que les dirigeants « surfaient sur le chauvinisme 22 » d’une partie
de la population et Claude Sixou, qui pense aussi que les dirigeants
s’appuient sur des sentiments répandus dans la population, voit dans ces
dispositions – comme dans l’inscription de l’islam comme religion d’État
dans la constitution d’août 1963 – une volonté de « donner des gages aux
islamistes 23 » qui font pression sur le pouvoir. Du fait de ces débats et de
ce qu’ils perçoivent de leur représentativité quant aux sentiments du
« peuple », ces militants ne peuvent quoi qu’il en soit partager l’optimisme
de Ferhat abbas qui déclare après le vote :
« Ce n’est pas avec des décrets ou des lois que la vie se fait. Les séquelles
du colonialisme s’atténueront au fur et à mesure. nous avons tous coniance
dans une algérie nouvelle sans distinction de race ni de religion 24. »

Conclusion
Le vote du code de la nationalité en mars 1963 constitue à n’en pas
douter une rupture dans les trajectoires des individus étudiés. Dans l’immé-
diat, il accroît leur sentiment d’illégitimité quant à leur présence en algérie.
À moyen terme, les questions soulevées lors des débats parlementaires
rendent diicile pour eux la projection dans un avenir algérien, a fortiori
après le coup d’État de juin 1965 : ne se sentant pas reconnus comme
pleinement nationaux par les institutions, sensibles aux problèmes
« démocratiques » dans le pays, victimes de l’autoritarisme (qui se manifeste
par des expulsions, des tortures et des emprisonnements sans jugement
après le coup d’État), mis de facto à l’écart de certains emplois par la
politique d’arabisation accélérée, inquiets en tant que femmes ou en tant
que parents pour l’avenir de leurs illes, la majorité des témoins quittent

19. entretien avec Simone aïach enregistré le 24 février 1995 par Liliane Verspeelt.
20. entretien avec William Sportisse, 18 janvier 2011.
21. entretien avec andré Beckouche, 8 décembre 2011.
22. entretien avec Sadek Hadjerès, 1er décembre 2011.
23. entretien avec Claude Sixou, 12 février 2007.
24. Alger républicain, 13 mars 1963.

67
Pierre-JeAn le Foll-luciAni

l’algérie entre 1965 et le début des années 1970. Leurs migrations s’insèrent
ainsi à divers degrés dans les migrations postcoloniales d’européens et juifs
d’algérie – y compris non-politisés – vers la France, mais aussi dans les
migrations à caractère politique d’algériens musulmans.
Cette dernière remarque permet d’insister sur un élément : s’il peut être
tentant d’avancer une vision fataliste de l’histoire quant au caractère « irréa-
liste » et « utopique » du projet politique de ces militants, on voit en fait, à
travers l’analyse de ces mois de sortie de guerre, que l’impossibilité de ce
projet n’était pas écrite d’avance mais a résulté de rapport de forces internes
aux institutions algériennes – rapports de forces dont les victimes ont été
bien plus nombreuses que la poignée d’anticolonialistes juifs et européens.

68
Une administration ex nihilo
à l’épreuve des rapatriements
des Français d’Algérie (1961-1964) :
organiser la sortie de guerre
Yann Scioldo-Zürcher

Le gouvernement de Michel Debré évaluait, en décembre 1961, à


164 000 le nombre de Français qui avaient quitté les départements algériens.
il ne sous-estimait pas que l’immigration allait croissant et que la sortie de
guerre, proche, allait entraîner des mouvements de populations bien
supérieurs encore 1. il savait aussi que la forte instabilité politique qui avait
caractérisé l’année 1961 en algérie, comme en France métropolitaine,
risquait de fragiliser le régime en place ; l’extrême droite française, en berne
depuis la in de la Seconde Guerre mondiale, connaissait une importante
vitalité. elle avait à son actif la fondation de l’OaS, une tentative de putsch
militaire et appuyait un quotidien émeutier qui représentaient une très
claire menace pour l’ordre républicain. il était donc évident, à ses yeux, qu’il
était urgent d’organiser au mieux l’insertion des rapatriés d’algérie en
métropole, toutes mesures de régulation sociale et politique étant le plus à
même de résoudre la crise qui s’annonçait avec les départs d’algérie 2. il était
certes contraint par des impératifs de sortie de guerre et de paciication de
la société française au bord de l’implosion politique et dont la précarisation
des rapatriés ampliiait l’acrimonie, sinon la sédition des partisans de
l’algérie française. Mais il fut aussi guidé par la force du sentiment national.
Les Français d’algérie, contrairement aux immigrés de nationalité étran-
gère, étaient à la fois migrants et membres de la nation 3 ; ils avaient ainsi,
1. Yann Scioldo-Zürcher, devenir métropolitain, politique d’intégration et parcours de rapatriés d’Algérie
en métropole 1954-2005, Paris, Éditions de l’eHeSS, 2010, p. 135.
2. todd Shepard, 1962, comment l’indépendance algérienne a transformé la France, Paris, Payot, 2010,
p. 181-238.
3. Le terme « Français d’algérie » est ici utilisé dans son acception juridique. il mentionne les Français
qui, dans l’ordre colonial algérien, étaient à la fois de nationalité française et bénéiciaient de la qualité
de citoyen. Ce groupe administrativement appelé « Français de souche européenne » ou « Français
de droit commun », selon la terminologie coloniale en vigueur, réunissait les européens d’algérie,
les populations juives d’algérie naturalisées collectivement (à l’exception des populations juives des

69
yAnn scioldo-ZürcHer

aux yeux de l’État, entière légitimité à bénéicier des eforts du pays pour
rapidement recouvrer une situation sociale similaire à celle qu’ils avaient
perdue. il les dota tout d’abord du statut juridique de rapatrié 4. Le vote de
la loi du 26 décembre 1961 et son application par le décret du 10 mars 1962
leur donnait droit à un ensemble d’aides ain d’organiser leur réinstallation.
Ce statut ne prenait oiciellement en compte aucune distinction ethnique
ou religieuse, mais fut pensé et organisé pour ceux que l’on considérait
comme « non algériens », c’est-à-dire les « européens et les Juifs d’algérie »,
tout en laissant aux marges de cette construction les « musulmans » dont les
besoins particuliers ne furent jamais avancés dans cette construction du
droit 5. il s’ensuivit une pratique administrative qui allait non seulement
organiser l’accueil des rapatriés d’algérie en métropole, mais aussi leur inser-
tion économique et sociale. Cette mobilisation de toutes les administrations
allait d’ailleurs encadrer le million de Français, rapatriés des territoires
anciennement coloniaux, qui rejoignaient désormais le territoire métropo-
litain. ils furent plus de 600 000 au cours de la seule année 1962.

Déinir les bénéiciaires d’un droit au rapatriement


La construction du statut de rapatrié et des pratiques administratives
qu’il entraînait, fut coniée à quelques hommes proches des républicains
sociaux (rS) et membres de l’unr. robert Boulin et alain Peyreitte, tous
deux se succédèrent au secrétariat d’État aux rapatriés entre août 1961
et novembre 1962 et François Missofe, ministre en charge des rapatriés
départements du Sud) par le décret Crémieux de 1870 et les rares musulmans naturalisés durant la
période coloniale. Je n’utilise pas, quant à moi, le terme pied-noir. Forgé à la in de la guerre d’algérie,
il a pris une valeur très essentialiste durant les décennies 1960 et 1970, imposant l’idée de personnes
gouailleuses, gentiment frustrées de leur migration vers la France métropolitaine et surtout organisées
en communauté, ce qui n’est pas le cas. Les Français d’algérie s’opposaient, du point vue juridique,
aux « Français de souche nord-africaine » ou « Français de droit local », incluant les populations
musulmanes et Juifs des départements des Oasis, qui de nationalité française depuis 1864, n’avaient
pas le droit de citoyenneté en dépit de pérennisation du régime républicain après 1870. Les premiers
l’obtinrent en 1958 et les seconds en 1961. Voir à ce propos emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets
de l’empire français. » [emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets de l’empire français. Les usages du
droit en situation coloniale », genèses, 2003/4 n° 53, p. 4-24.]
4. Yann Scioldo-Zürcher, « La discrète mais réelle anticipation du rapatriement des Français
d’algérie : la construction de la loi du 26 décembre 1961 », in abderrahmane Bouchene,
Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari-tengour et Sylvie thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à
la période coloniale 1830-1962, Paris/alger : La Découverte/Barzakh, 2012, p. 564-569.
5. Les rapatriés étaient juridiquement les personnes de nationalité française qui, installées dans les
territoires anciennement sous autorité française, étaient contraints ou désiraient rejoindre le territoire
Français. ils bénéiciaient à ce titre d’aides à la mobilité, à l’installation et à la réinstallation profes-
sionnelle. rien n’empêchait à ce que les « Français de droit local » rejoignent la France métropolitaine,
mais dans la mise en pratique du droit, le gouvernement privilégia la venue des « Français de souche
européenne ». À ce propos : Gilles Manceron, « un abandon et des massacres aux responsabilités
multiples », les temps modernes, « Harkis, 1962-2012, les mythes et les faits », n° 666, novembre-
décembre 2011, 65-89 ; Yann Scioldo-Zürcher, « Les harkis sont-ils des rapatriés comme les autres ? »,
les temps modernes, « Harkis, 1962-2012, les mythes et les faits », n° 666, novembre décembre 2011,
p. 90-104.

70
une AdministrAtion eX niHiLO

de novembre 1962 à juillet 1964, forgèrent les outils juridiques et adminis-


tratifs de la politique de rapatriement. L’obtention du statut de rapatrié
entraînait ainsi un « droit au retour », qui comportait le remboursement
des frais des voyage et de déménagement, un accès prioritaire à un logement
décent – dans l’attente, d’une éventuelle politique d’hébergement – et le
droit à la réinstallation dans un emploi similaire à celui perdu outre-mer.
aussi, La première tâche à laquelle se livra le Gouvernement fut de
déinir qui, parmi les rapatriés, rentrait dans le cadre de la loi du
26 décembre 1961. il fallait, pour en recevoir le qualiicatif juridique et les
aides qui lui étaient aférentes, être arrivé d’algérie dans des conditions de
dates précises. Ceux arrivés en métropole avant le 1er août 1961 ne pouvaient
prétendre à aucune aide de l’État. ils étaient considérés comme de simples
migrants régionaux. Ceux arrivés entre le 1er août 1961 et le 10 mars 1962,
date de parution du décret qui précisait les nouvelles aides créées par la loi
du 26 décembre 1961, étaient considérés comme rapatriés. ils recevaient
cependant les aides et secours prévus pour les rapatriés coloniaux, antérieu-
rement déinis par la circulaire du 1er mars 1958, à l’intention des Français
originaires de tunisie et du Maroc 6. ils percevaient notamment le rembour-
sement de leurs frais de transport, avaient la possibilité de recevoir des
secours exceptionnels et un billet d’hébergement de quinze jours. il existait
une date limite pour la constitution de ces dossiers, elle fut repoussée du
10 septembre au 31 décembre 1962 pour que tous les rapatriés concernés
puissent les déposer auprès des préfectures 7. enin, les Français d’algérie
arrivés en métropole à partir du 11 mars 1962 bénéiciaient de la nouvelle
législation. ils devaient s’inscrire dès leur débarquement auprès des services
du ministère des rapatriés pour recevoir les aides prévues.

Organiser les distributions, observer les situations


après avoir déini les bénéiciaires de la loi, l’administration devait
désormais prendre en charge les individus. et ce n’était pas une mince
afaire au regard du nombre de personnes arrivant. Pour qu’aucun d’entre
eux « ne passe au travers des mailles de son ilet », elle se déplaça sur les lieux
de débarquement ain de « capter » les personnes dès les opérations de
douanes terminées et avant qu’elles ne se dirigent librement sur le sol métro-
politain. il en résultat des attentes interminables, mais en contrepartie,
chaque ménage arrivé sur le sol métropolitain fut doté d’un dossier adminis-
tratif qui allait permettre son insertion 8.
6. Yann Scioldo-Zürcher, devenir métropolitain, devenir métropolitain, parcours et politique
d’intégration de rapatriés d’Algérie à la métropole, de 1954 au début du XXIe siècle, Paris, Éditions de
l’École des hautes études en sciences sociales, 2010.
7. archives départementales de la Seine [a.D.S. par la suite], 1023 – 68 – 1 – 1.
8. À notre connaissance, un seul ménage arrivé dans le département de la Seine ne passa pas par cette
case administrative. Son dossier fut cependant rapidement constitué.

71
yAnn scioldo-ZürcHer

Ce « dossier individuel » comprenait des iches d’identiication en


plusieurs exemplaires, qui allaient être réparties entre le Fichier central des
rapatriés, organisme parisien qui était chargé d’avoir une vision d’ensemble
des arrivées et des situations rencontrées par les rapatriés et les services des
préfectures en charge du paiement des aides. Le dossier comprenait aussi
une iche dite « de projet professionnel », sur laquelle les actifs mention-
naient la profession qu’ils occupaient outre-mer. Les dossiers des personnes
fonctionnaires ou membres des administrations publiques étaient immédia-
tement envoyés à leur administration d’origine pour organiser leur réafec-
tation en métropole. Ceux mentionnant une profession dans le secteur
privé suivaient, quant à eux, un parcours administratif distinct et spéciale-
ment créé. La iche de projet professionnel remplie permettait le versement
des allocations mensuelles de subsistance, donnait la carte de sécurité sociale
temporaire et ouvrait, éventuellement, des droits pour engager la procédure
de recouvrement des situations professionnelles. Ces allocations mensuelles
de subsistance, distribuées sur une année au maximum et d’un montant
légèrement supérieur au SMiG, permettaient aux rapatriés de ne pas
« prendre » le premier emploi venu et risquer ainsi un déclassement social
conséquent, mais au contraire, d’avoir une année pour retrouver un emploi
similaire, voire une afaire à rouvrir. enin, des délégations régionales,
dépendant pour l’accueil, au nombre de huit, devaient organiser les intégra-
tions professionnelles et sociales des rapatriés indépendants 9. Dirigées par
un délégué régional qui dépendait directement du ministre, elles avaient
une mission d’animation, de coordination, d’information et de contrôle
des situations des rapatriés. Les délégations régionales étudiaient les dossiers,
mettaient en œuvre le paiement des prestations de retour et liquidaient les
allocations mensuelles de subsistance. elles recevaient aussi la iche de projet
professionnel. après cette première étape, le délégué décidait de l’inscrip-
tion du rapatrié sur des listes dites professionnelles. D’après l’arrêté inter-
ministériel du 14 mars 1963, si un rapatrié avait exercé une profession
indépendante pendant trois années en algérie et après enquête de l’ambas-
sade de France à alger, qui mesurait l’importance inancière de l’afaire, il
était inscrit sur ces listes et pouvait prétendre aux aides à l’installation,
comme à l’octroi d’un prêt aidé, d’une subvention et d’un capital de recon-
version, s’il renonçait à son droit de reclassement. Comme les membres des
professions libérales avaient efectué plusieurs stages au cours de leurs
études, ils ne devaient avoir exercé que pendant une année pour être inscrits
sur les listes professionnelles 10. Les rapatriés qui avaient une profession
indépendante et occupaient un emploi salarié en attente d’une réinstallation

9. a.D.S., 1023-68-1-18, un décret du 15 mai 1962 délimitait leur territoire d’intervention. Les
huit délégations régionales intervenaient tour à tour sur les régions de Lille, tours et rennes,
Bordeaux, toulouse, Lyon et Dijon, Marseille, Metz et Paris.
10. a.D.S., 1023-68-1-8.

72
une AdministrAtion eX niHiLO

pouvaient refuser les subventions d’installation ou le capital de reconver-


sion ; ils maintenaient ainsi automatiquement ouverts leurs droits à la réins-
tallation. Le 3 janvier 1964, il fut enin admis que le conjoint survivant,
dont souvent des veuves d’indépendants qui avaient travaillé avec leurs
époux sans être pour autant déclarées auprès des administrations, ainsi que
le descendant qui avait exercé la profession de ses parents outre-mer pendant
au moins six mois, pouvaient être admis sur les listes professionnelles 11.
enin, quelques mois plus tard, le 5 octobre 1964, face au grand nombre
de rapatriés, qui bien que travaillant, étaient encore inscrits sur les listes
professionnelles, le ministère de l’intérieur institua des forclusions aux
inscriptions. toute inscription n’était désormais valable qu’une année et les
rapatriés réellement intéressés par une réinstallation devaient demander leur
réinscription chaque année. Plus encore, le ministère se réservait le droit de
ne plus réinscrire les rapatriés s’ils étaient professionnellement bien installés
ou si leurs revenus étaient supérieurs à ce qu’ils possédaient en algérie 12.

Construire une nouvelle pratique administrative


Comme le montre le schéma suivant, une important machine adminis-
trative fut ainsi instituée. elle permit au ministère des rapatriés, d’avoir
un état de l’évolution de la situation quasiment en temps réel. Le service
central des rapatriés, en comptant le nombre de dossiers ouverts dans les
ports et les aéroports, fut ainsi rapidement en mesure de pouvoir informer,
de façon hebdomadaire, le gouvernement du nombre des arrivées depuis
l’algérie. Les Préfectures, quant à elles, versaient les aides mensuelles prévues
pour les rapatriés. Pour les recevoir, ces derniers devaient se rendre dans des
bureaux spécialement ouverts à leur intention. Leur dossier étant « ouvert »
dans la préfecture de leur lieu d’habitation et les suivait, en cas de déména-
gement, dans les services préfectoraux de leur nouveau département de
résidence. Les préfectures étaient donc en mesure d’informer le Service
central des circulations interdépartementales et des implantations, plus ou
moins pérennes. Cela avait une importance considérable au moment ou le
gouvernement planiiait de nouvelles constructions publiques pour assurer
les relogements. enin, ce système permettait un étroit contrôle des distri-
butions de l’argent public. Les préfectures et les délégations régionales
partageaient certaines compétences dont l’ouverture des droits aux alloca-
tions, l’inscription des rapatriés sur les listes professionnelles et le contrôle
de leurs dossiers. toutes deux signalaient les dossiers irréguliers et les
éventuelles escroqueries. ainsi, le préfet d’eure-et-Loir alertait ses collègues,
le 24 octobre 1962, du cas de trois jeunes algérois, âgés d’une vingtaine
d’années, qui se faisaient inscrire dans plusieurs préfectures pour recevoir
11. a.D.S., 1023-68-1-18.
12. a.D.S., 1023-68-1-8.

73
yAnn scioldo-ZürcHer

les allocations de départ 13. Le sous-préfet de La rochelle demandait le


30 octobre 1962 que Madame B. soit recherchée dans les dossiers de ses
collègues pour avoir quitté l’hôpital civil de rochefort-sur-Mer sans avoir
réglé certains frais d’hospitalisation 14.

SCHÉMa 1. – répartition des compétences administratives entre le ministère des rapatriés et les
préfectures après les réorganisations administratives du mois d’août 1962.

enin, d’autres compétences étaient spéciiques à chacune des deux admi-


nistrations. Les préfectures s’occupaient ainsi de la mise en œuvre de la
politique de retour à l’emploi, telle qu’elle était décidée par le Gouvernement.
Les directions départementales du travail et de la main-d’œuvre proposaient
13. a.D.S., 1023-68-1-2.
14. ibid.

74
une AdministrAtion eX niHiLO

des emplois, une orientation ou un stage de formation professionnel. un


service national temporaire regroupant les ofres d’emplois dans toute la
France, était ouvert. Les préfectures distribuaient aussi les aides sociales. De
leur côté, les délégations régionales, présidaient au fonctionnement des
diférentes commissions régionales de reclassements dans lesquelles était
décidé l’octroi des aides qui n’étaient pas automatiquement distribuées à
tous les rapatriés 15. Le décret du 13 avril 1962 mettait en place les commis-
sions prévues par le décret du 10 mars 1962, dont une commission écono-
mique et une commission sociale.
La commission économique, qui centralisait et étudiait les dossiers des
rapatriés indépendants demandeurs de prêts et de subventions d’installation,
fut noyée sous la masse des dossiers à traiter, au point de compromettre leurs
installations. Pour remédier à la lenteur du traitement des dossiers, une note
d’orientation du ministère des rapatriés du 25 juillet 1962, institua la
pratique de la comparution personnelle des rapatriés sur demande des difé-
rentes commissions économiques régionales, ain qu’ils puissent directe-
ment présenter leurs dossiers. Cette pratique ne changea rien et seul le
décret de déconcentration du 27 août 1962, permit la création d’une
commission économique régionale dans chaque préfecture. Le traitement
des dossiers n’en fut malheureusement pas accéléré et les commissions régio-
nales qui n’avaient qu’un rôle consultatif auprès de la commission écono-
mique centrale durent attendre le second décret de déconcentration du
27 novembre 1962, pour qu’elles soient enin autonomes et décident de
l’octroi, du montant et de la durée du prêt de reclassement pour les indépen-
dants et statuent sur les dossiers en appel. Leur composition évoluait alors
et laissait une plus grande représentation aux organismes bancaires, plus à
mêmes d’apprécier les chances de succès des installations 16. Les commissions
sociales régionales furent aussi modiiées par le décret du 27 novembre 1962.
Moins sollicitées que les commissions économiques régionales, elles avaient,
quant à elles, un rôle consultatif auprès du délégué régional qui décidait
d’allouer les indemnités particulières et les aides sociales exceptionnelles.
L’instruction du 12 juin 1963 transférait cette charge aux préfets.
enin, au niveau national, la vieille pratique jacobine laissait au minis-
tère des rapatriés le soin de décider et d’adapter, en accord avec les autres
15. J.o.r.F., le 29 août 1962 précisait les nouvelles attributions des délégués régionaux.
16. Chaque commission économique régionale comptait désormais un représentant secrétariat d’État
chargé des afaires algériennes, du ministre des afaires étrangères, des Finances et des afaires
économiques, des rapatriés, le commissaire du Gouvernement près le Crédit populaire de France,
un représentant du Crédit populaire de France, du Crédit national, du Crédit foncier de France et
de la Caisse centrale du crédit hôtelier commercial et industriel. auparavant, ces commissions
étaient composées du délégué régional, du conseiller ou du président de l’un des tribunaux adminis-
tratifs de la direction régionale aux rapatriés, du trésorier payeur général du département où siège
la commission, du directeur de l’enregistrement du même département, d’un représentant du
Comité d’expansion régional, de deux représentants des banques ou d’organismes inanciers et
d’une personnalité désignée par le préfet connaissant les problèmes des rapatriés.

75
yAnn scioldo-ZürcHer

ministères, la politique d’intégration. Chaque ministère dut mettre en place


les outils qui lui permettaient d’avoir un point de vue sur les situations des
rapatriés et organisa des enquêtes statistiques régulières. Le ministère du
travail demanda, le 18 juillet 1962, que les directeurs départementaux du
travail et de la main-d’œuvre lui adressent tous les quinze jours un relevé
des rapatriés inscrits comme demandeurs d’emploi. Ces statistiques devaient
aussi préciser les refus d’emploi et des stages professionnels ain de connaître
l’attitude des rapatriés en métropole 17. Le 8 septembre 1962, le secrétariat
d’État aux rapatriés rappela qu’un double des iches d’identiication devait
lui être envoyé, pour mieux suivre les mouvements de populations et les
installations 18. Le 18 octobre 1962, le ministre des rapatriés demanda aux
préfets de lui faire parvenir un état statistique mensuel informant du
mouvement des rapatriés et des retours à l’emploi 19. Ces statistiques devin-
rent trimestrielles le 20 avril 1964 20. Le Fichier central des rapatriés, un
temps dépassé lorsque les dossiers étaient centralisés dans les préfectures et
les délégations régionales, retrouva sa place au cœur du système adminis-
tratif lorsque l’instruction du ministre des rapatriés du 20 février 1963
demanda qu’il contrôle tous les dossiers avant qu’une aide ne soit octroyée,
ain de vériier qu’elles n’avaient pas déjà été perçues.

Penser l’État via les pratiques


administratives de rapatriement
La construction de la politique de rapatriement participe ainsi très
clairement à une déinition de ce que fut l’État français des « trente
glorieuses ». Ce dernier s’avéra tout d’abord mutualiste : en engageant
d’importants frais budgétaires pour les Français d’algérie, il partagea le coût
des risques liés aux menaces contre l’ordre républicain. On estime que la
politique de rapatriement a coûté plus de 16 milliards de francs entre 1962
et 1970. Le ministère des Finances « n’eut pas la main » sur ces dossiers et
ses arbitrages budgétaires ne furent pas suivis. Les ministères sociaux,
habituellement jugés dispendieux, purent engager leurs actions en ayant
pratiquement les « mains libérés » de toutes contraintes budgétaires, ou du
moins d’un arbitrage inancier habituellement acquis aux ministères
régaliens. Mais au-delà de tout bilan comptable, il est aussi clairement
motivé, dans une approche durkheimienne, par la prégnance du lien de
citoyenneté. en d’autres termes, en étudiant comment l’État organise son
action envers des migrants nationaux et par efet miroir, comment il n’inter-
vient pas ou peu dans le même moment pour des migrants étrangers ou des

17. a.D.S., 1023-68-1-7, le ministère dut réitérer sa demande le 9 août 1962.


18. a.D.S., 1023-68-1-2.
19. ibid.
20. ibid.

76
une AdministrAtion eX niHiLO

rapatriés considérés à la marge de l’appartenance française – les populations


supplétives de l’armée française et connues sous le nom générique de
Harkis –, l’État n’existe dans l’interaction avec les individus qu’il décide de
prendre en charge 21. L’idée d’un État social interventionniste et protecteur,
est ici clairement établie, mais reste éloignée d’une action universaliste
envers tous les habitants du territoire. Bien au contraire, il crée le lien
étatique avec les seuls individus dont il pense devoir garantir la bonne
migration. De même, l’État se donne à penser par la puissance de son action
régulatrice 22. La politique d’insertion qu’il mène cherche clairement à
organiser le retour à la paix de la société française. il sait pertinemment
qu’en ne donnant pas aux rapatriés les moyens de leur réinstallation, il
risque de compromettre la paix sociale du pays.
enin, le dernier volet de la politique de l’État français est assurantiel.
Le principe d’indemniser les Français rapatriés de leurs biens perdus
outre-mer était inscrit dans la loi du 26 décembre 1961, en son article 4.
La déinition de l’indemnisation restait cependant loue et fut organisée en
1970, dans le sillage des promesses électorales de Georges Pompidou. il
s’agissait-là d’un important changement dans l’esprit des lois créées à
l’intention des rapatriés coloniaux. indemniser n’équivalait pas forcément
à protéger les rapatriés, ni à assurer la paciication de la société française, ni
ne relevait de la solidarité nationale. il était évident qu’après 1970, le
gouvernement ne se souciait plus d’organiser la sortie de guerre d’algérie,
mais bien de canaliser le vote des rapatriés, par des mesures qui certes
étaient urgentes, mais qui relevaient d’un autre état d’esprit que celui de la
réinstallation. Les ministères régaliens, dont le ministère des Finances,
allaient d’ailleurs « reprendre la main sur ce dossier » et veiller à la bonne
conduite budgétaire de cette action.

Conclusion
La pratique administrative mise en place pour l’accueil et l’insertion des
rapatriés coloniaux resta en fonctionnement jusqu’à l’automne 1964,
moment où les premières mesures mettant in aux déconcentrations
21. L’État intervint tout au long du vingtième auprès des migrants étrangers mais son action se limitait,
dans le cas d’arrivées en masse, à une politique d’accueil et de surveillance, le plus souvent en camps.
On se souvient des ceux organisés dans le Sud de la France en 1939 pour les vaincus de la guerre
d’espagne. On connaît aussi les politiques de régularisation pour les Portugais, de l’après
Seconde Guerre mondiale, arrivés clandestinement sur le territoire français. Cependant, ces actions
ne portèrent ni sur la réinstallation sociale des individus, encore moins, jusqu’au milieu des
années 1970, sur une immédiate attribution de logements. La politique mise en place pour les
Français d’algérie reste tout à fait exceptionnelle par le large spectre de son intervention, qui touche
pratiquement tous les domaines de la vie quotidienne : emploi, logement, aides sociales, scolarité,
retraites etc.
22. Jean-Marie Fecteau, Janice Harvey (dir.), la régulation sociale entre l’acteur et l’institution, pour
une problématique historique de l’interaction, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’université du Québec,
2005.

77
yAnn scioldo-ZürcHer

administratives intervenaient. Le gouvernement se montra d’ailleurs pressé


de clore le ministère des rapatriés, à peine un an et demi après sa création,
tant ce dernier rappelait une situation exceptionnelle. néanmoins, sa
compétence administrative, transférée à l’intérieur, restât en place et en état
de fonctionnement jusqu’en 1990. L’arrêté du 20 octobre 1964 supprima
l’intermédiaire des délégations régionales pour l’octroi des prêts de reclas-
sement et laissa aux seules commissions économiques régionales le soin de
statuer sur les demandes de prêts. L’arrêté du 8 décembre 1966 regroupait
plusieurs commissions économiques régionales. enin à partir du décret du
1er janvier 1967, un délégué unique pour l’accueil et le reclassement gérait
les dossiers des nouveaux rapatriés. Les commissions économiques régio-
nales étaient supprimées et seule une commission économique et une com-
mission sociale dispensaient les aides de l’État pour tous les départements.
Les préfets conservaient quant à eux leurs prérogatives pour l’accueil,
l’information et les aides immédiates. Cela signiiait très clairement que le
Gouvernement veillait toujours à la bonne insertion des rapatriés, mais qu’il
n’avait pas le souci de mobiliser l’ensemble des administrations de l’État et
in ine, que la sortie de guerre d’algérie avait été assurée dans un très court
laps de temps.

78
deuxième partie
FAire trANSitiON
Le dernier « gouverneur général » de l’Algérie :
Christian Fouchet, haut-commissaire de la république
(mars-juillet 1962)
Soraya Laribi

« J’ai pensé à Christian Fouchet et je l’ai plaint 1 », telle est la dernière


ligne de l’ouvrage de Jean Morin, de gaulle et l’Algérie. mon témoignage,
1960-1962. Le délégué général en algérie reconnaît, sans ambages, la dii-
culté de la mission de Christian Fouchet qui arrive en algérie le 25 mars 1962
pour lui succéder. en efet, les accords d’Évian signés le 18 mars par les
autorités françaises et le Front de Libération nationale (FLn) incluent la
nomination d’un haut-commissaire de la république, chargé des intérêts
de l’État concurremment avec l’exécutif provisoire 2. Le haut-commissaire
doit briser l’insurrection de l’Organisation armée Secrète (OaS) qui
conteste le cessez-le-feu, efectuer une opération de dégagement et organiser
le référendum sur l’autodétermination. il s’agit d’analyser ici la personnalité
et l’action de l’homme incarnant la in de l’algérie française. Deux séries
de questions sous-jacentes en découlent : comment Christian Fouchet tente-
t-il de persuader la population européenne et arabo-berbère d’algérie
d’accepter la politique d’autodétermination du général de Gaulle ? Quelles
mesures prend-il ain d’empêcher les violations constantes du cessez-le- feu
par l’OaS et le ralliement des européens à cette organisation illégale ?

Un homme-lige du général de Gaulle


La nomination de Christian Fouchet au poste de haut-commis-
saire, tient à un parcours personnel et professionnel caractérisé par
une idélité sans failles au général de Gaulle 3. né le 17 novembre 1911 à
Saint-Germain-en-Laye, ce ils d’oicier de cavalerie est le sixième d’une
fratrie de sept enfants. Ses trois frères sont tombés pour la France. Paul, son
1. Jean Morin, de gaulle et l’Algérie. mon témoignage, 1960-1962, Paris, albin Michel, 1999, p. 369.
2. CaDn, alger ambassade-a43.
3. Michel Hardy, Hervé Lemoine, hierry Sarmant, Pouvoir, politique et autorité militaire en Algérie.
Hommes, textes et institutions, 1945-1962, SHat, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 311.

81
sorAyA lAriBi

aîné, était oicier dans le Sahara puis méhariste. Mort en 1947, un point
d’eau dans le désert sur l’axe tindouf-Colomb-Bechar rappelle son sou-
venir : Bordj Fouchet 4. Marcel, capitaine de réserve, est tombé au champ
d’honneur en 1940. enin son troisième frère, Serge, était oicier de marine
servant dans l’aéronavale. il fut tué en service commandé dans un acci-
dent d’avion en 1935 5. Par ailleurs, l’un de ses jeunes neveux devait tomber
comme officier pendant les opérations d’algérie 6. Son beau-père,
Jean Vautrin, a été le chef de la résistance dans le sud de la France après
l’armistice de 1940 7. Sa famille est par conséquent, marquée par le sens du
service. « Servir » est au centre des mémoires de guerre comme des mémoires
d’espoir du général de Gaulle 8. il en va de même pour celles de Christian
Fouchet, Au service du général, qui paraît en 1971 un an après la mort du
général et en hommage à celui-ci.
au fond, toute sa vie il a souhaité devenir un compagnon, au sens exposé
par Pierre nora d’abord puis Bernard Lachaise plus récemment 9. Comme
on le sait, le compagnon gaulliste est le double du camarade communiste.
Christian Fouchet appartient au cercle primaire du compagnonnage car il
fut combattant de la France libre 10.
Diplômé d’études supérieures d’économie politique, de l’École libre des
sciences politiques et licencié en droit, il avait été mobilisé en septembre 1939.
Le 17 juin 1940, après son stage d’élève-observateur à la base aérienne de
Mérignac, il s’était caché dans un avion anglais et avait rejoint Londres.
Puis, il s’était mis sous les ordres du général de Gaulle dans les Forces
Françaises Libres 11.
L’inlexion de sa carrière débute en mai 1944, lorsqu’il devient conseiller
et secrétaire d’ambassade à Moscou. Délégué du gouvernement provisoire
à Lublin, puis à Varsovie 12, il occupe en 1946 la fonction de consul général
de France à Calcutta où il est délégué du gouvernement français. À ce titre,
il a la responsabilité des négociations avec le gouvernement de Delhi pour
4. Christian Fouchet, mémoires d’hier et de demain, t. i, Au service du général de gaulle, londres 1940,
Varsovie 1945, Alger 1962, mai 1968, Paris, Plon, 1971, p. 139.
5. SHD, 8Ye 36563, Dossier d’oicier de Paul Fouchet ; 8Ye 98136, Dossier d’oicier de
Marcel Fouchet ; CC7 4e moderne 747 (dossier 11) et CC7 4e moderne 3481 (dossier 15), Dossiers
d’oicier de Serge Fouchet.
6. Jean-raymond Fouchet, « Fils d’une certaine famille », espoir, n° 45, décembre 1983, p. 11.
7. SHD, 13YD 1594, Dossier d’oicier de Jean Vautrin.
8. Éric Chiaradia, l’entourage du général de gaulle, juin 1958-avril 1959, Paris, Sciences Humaines
et Sociales, Publibook, 2011, p. 317.
9. Mathieu ClaouÉ, christian Fouchet, ministre des Afaires marocaines et tunisiennes dans l’ombre de
Pierre mendès France (18 juin 1954-5 février 1955). de l’empire à l’empirisme colonial français,
mémoire de master 2 [Maurice Vaisse (dir.)], ieP Paris, 2009, p. 5-6.
10. Bernard Lachaise, « Qu’est-ce qu’un compagnon ? », in Serge Berstein, Pierre Birnbaum,
Jean-Pierre rioux (dir.), de gaulle et les élites, Paris, La Découverte, Fondation Charles de Gaulle,
2008, p. 62.
11. SHD, 16P 229 712.
12. Jean-Louis Pierron, « La mission de Christian Fouchet en Pologne, 28 décembre 1944-
31 mars 1945 », guerres mondiales et conlits contemporains, 1991, n° 163, p. 75.

82
le dernier « gouVerneur générAl » de l’Algérie

assurer le libre passage du ravitaillement du corps expéditionnaire français


en indochine. il prépare avec nehru l’ouverture des relations diplomatiques
entre la France et l’inde indépendante 13. Membre du conseil de direction
du rassemblement du Peuple Français (rPF), il est élu député de Paris
en juin 1951. Membre du groupe parlementaire rPF, il siège à la commis-
sion des inances. À la tribune, il se distingue par plusieurs interventions
relatives à l’indochine et à l’afrique du nord (débats d’avril et de juin 1952).
il devient ministre des afaires tunisiennes et marocaines dans le cabinet de
Pierre Mendès France le 19 juin 1954. Le général de Gaulle ne semble pas
lui en tenir rigueur, car il fait partie des personnes les plus régulièrement
reçues au temps de « la traversée du désert » à son bureau du 5, rue de
Solferino 14. ambassadeur de France à Copenhague dès septembre 1958, il
est également président du comité chargé d’étudier les projets d’unité
politique de l’europe des Six 15. il défend la vision gaullienne de l’europe
– au risque de donner, à nouveau, l’image de « grand imbécile 16 » ou de
« gaulliste et mollasson 17 ».
L’âge et la légitimité aidant, l’homme du 18 juin, mais surtout celui du
13 mai, nourrissait des rapports de suzerain à vassaux avec son entourage.
C’est donc à ce titre que Christian Fouchet accepte en 1962 « une mission
de sacriice 18 ». Mais devenir haut-commissaire est aussi une « mission de
coniance 19 » qui conirmera sa capacité à exercer de hautes fonctions.

Un « technicien du Maghreb 20 » ?
Dans ses mémoires, Christian Fouchet évoque l’entretien avec le général
de Gaulle en février 1962 au cours duquel la fonction de haut-commissaire
lui a été proposée. À cette période la situation en algérie est critique car
l’OaS conteste la politique d’autodétermination. il reconnaît avoir d’abord
refusé ce poste dans la mesure où il avait un mauvais souvenir de l’afrique
du nord. Ministre des afaires tunisiennes et marocaines, il avait en efet
négocié les accords prévoyant l’autonomie et débouchant, en fait, sur
l’indépendance des deux protectorats. Visionnaire ou réaliste, il avait
cessé depuis de soutenir la cause de la colonisation contrairement aux
13. [http ://www.assembléenationale.fr], Base de données historique des anciens députés. Christian Fouchet,
p. 2.
14. Bernard Lachaise, « Christian Fouchet », in Claire andrieu, Philippe Braud, Guillaume Piketty
(dir.), dictionnaire de gaulle, Paris, robert Lafont, 2006, p. 501.
15. la dépêche d’Algérie, 20 mars 1962.
16. FCDG, rPF 609. Lettre 21 février 1955 de raymond Dronne à Jacques Foccart citée par Mathieu
Claoué, christian Fouchet, ministre des Afaires marocaines..., op. cit., p. 9.
17. Pierre Ordioni, mémoires à contretemps 1945-1972, Paris, nouvelles Éditions Latines, 2000,
p. 120.
18. Michel Fourquet, « une mission de sacriice », espoir, n° 45, décembre 1983, p. 42.
19. Geofroy de Courcel, « De l’autonomie tunisienne à l’indépendance de l’algérie », espoir,
n° 45, décembre 1983, p. 29.
20. an, 97 aJ/35. démocratie 62, 22 mars 1962.

83
sorAyA lAriBi

enseignements reçus naguère à Sciences Po de la part de professeurs tels


qu’andré Siegfried 21.
Dans l’instant, Georges Pompidou d’ailleurs lui dit que :
« Ce serait un mauvais choix car le souvenir de la collaboration
avec Mendès France vous aliènera aussitôt les Pieds-noirs qui le détes-
tent. »
Georges Pompidou, cependant ajoute :
« Cela dit le poste est considérable et plus important en ce moment que
tout ministère si gros soit-il 22. »
C’est donc avec soulagement qu’il apprend peu après que le général
Pierre Billotte lui est préféré et a été nommé. Pourtant, lors d’une audience
avec le général de Gaulle, Fouchet s’engage à remplacer Billotte en cas
d’assassinat :
« J’ai appris que le général Billotte était nommé à alger [...] J’en suis
heureux, mais je ne voudrais pas que vous restiez sur l’impression que j’ai
pu refuser un poste diicile et je peux vous dire que si jamais Billotte est
assassiné, je serai aussitôt prêt à prendre sa place 23. »
Or, le surlendemain, la nomination du général Billotte est annulée.
Fouchet est donc convoqué par le général de Gaulle qui lui demande de
prendre la fonction de haut-commissaire. Christian Fouchet s’incline
lorsque l’homme du 18 juin lui dit : « Vous êtes un compagnon, vous ne
pouviez donc pas me refuser 24. » Pourquoi ce changement de décision de
la part du chef d’État alors qu’elle avait été annoncée par la presse ? Dans
ses mémoires, Christian Fouchet signale que le général de Gaulle ne voulait
pas d’un militaire de carrière à la tête de l’algérie 25. Pour sa part, le colonel
Georges Buis écrit que le général Billotte avait « présenté des exigences
auxquelles de Gaulle n’a pas cru devoir souscrire 26 ». en réalité, le général
Billotte a refusé ce poste. nommé le 19 mars, Christian Fouchet arrive à
l’aérodrome militaire de la réghaia le 25 mars. il est aussitôt reçu par
Maxime roux ancien préfet d’alger, au nom de Jean Morin.
ainsi que l’écrit le haut-commissaire devenu mémorialiste, « rocher-
noir était une véritable petite ville gardée comme une forteresse et éloignée
de tout tumulte 27 ». en efet, cette cité administrative – construite à l’ini-
tiative de Paul Delouvrier après la « semaine des barricades » en janvier 1960 –
est située à une vingtaine de kilomètres à l’est d’alger près de la base
21. Mathieu Claoué, op. cit., p. 22.
22. Christian Fouchet, mémoires d’hier et de demain, op. cit., p. 139.
23. ibid., p. 140.
24. ibid., p. 143.
25. ibid., p. 141.
26. Georges Buis, les fanfares perdues, entretiens avec Jean lacouture, Paris, Le Seuil, 1975, p. 223.
27. Christian Fouchet, mémoires d’hier et de demain, op. cit., p. 159.

84
le dernier « gouVerneur générAl » de l’Algérie

militaire de la réghaia. C’est à rocher-noir que le haut-commissaire et son


équipe emménagent.
Christian Fouchet est secondé par Bernard tricot comme délégué du
haut-commissaire et secrétaire général. il a en charge les rapports entre
le haut-commissariat et l’exécutif provisoire. Le colonel Buis, compagnon
de la Libération, dirige le cabinet militaire. Le chef du cabinet civil
est un diplomate, Jean Guillon, qui faisait déjà partie de l’entourage de
Christian Fouchet à Copenhague. Dans l’équipe igure aussi pendant
un certain temps un collaborateur du général de Gaulle, Jean Chauveau
chef de presse du service de l’Élysée 28. Le commandant Vincent Monteil,
Pierre Marquis et Charles Morazé l’entourent et le conseillent. enin, cet
ensemble travaille en accord avec le général Charles ailleret bientôt remplacé
par le général Michel Fourquet, au poste de commandant supérieur des
forces armées le 17 avril.
La mission de Christian Fouchet est par ailleurs, risquée. Comme en
témoigne « l’opération Marguerite » – heureusement éventée grâce à des
documents saisis sur un suspect, quelques jours après son arrivée – il était
prévu de le liquider. un camion piégé devait exploser sous les fenêtres de
son bureau 29. À partir du 22 avril, le haut-commissaire est protégé par
un garde du corps, Michel Spitale 30.

Le franc-parler du nouveau haut-commissaire


Dès sa prise de fonction, Christian Fouchet revendique la volonté de
parler aux européens et aux arabo-berbères. il s’en explique rétrospective-
ment :
« À moi, il me fallait le contact ; ce ne serait pas diicile avec les
Musulmans, ils avaient gagné... Mais avec mes compatriotes, avec les Pieds-
noirs ? Mais allez donc expliquer cela à des hommes, des femmes et des
enfants qui se disent qu’ils vont tout perdre par ailleurs ! De toutes mes
forces, je voulais leur faire admettre qu’il y avait quand même une issue.
et ce contact avec eux tous à la fois, c’était par la télévision qu’il fallait
d’abord l’avoir 31. »
il intervient à six reprises à la télévision entre mars et juillet pour inciter
les deux communautés à respecter les accords d’Évian 32. Son objectif est
aussi de contrer l’OaS qui difuse en parallèle des émissions radiophoniques
pirates. Son franc-parler est critiqué et sa compassion pour la population
d’algérie est mise en doute par les activistes, ce qui lui vaut d’être traité de
28. France-soir, 24 mars 1962.
29. Christian Fouchet, op. cit., p. 146.
30. an 97/aJ 34.
31. Christian Fouchet, op. cit., p. 152.
32. ibid., p. 158.

85
sorAyA lAriBi

« tartufe 33 ». Certains l’afublent du nom de gauleiter – le parallèle entre


le conlit algérien et la Seconde Guerre mondiale étant commun dans la
propagande de l’OaS. On en connaît les syllogismes : Salan assimilé au
de Gaulle de 1940 ; de Gaulle converti en Pétain, l’armée française
stationnée en algérie comparée à la Wehrmacht... il n’est pas jusqu’aux
émissions pirates de l’OaS qui ne viennent rappeler la BBC des résis-
tants 34.
toujours est-il que les prises de parole de Christian Fouchet furent
diversement appréciées. Pour Jean Morin, la liberté de ton a pu exaspérer
les européens :
« Devant un public dont l’opinion est faite une fois pour toutes, la vérité
n’est pas forcément bonne à dire. elle attise le feu plus qu’elle ne le calme.
Mon successeur Christian Fouchet en fera l’amère expérience. Dès son
arrivée, le 25 mars, il tentera de parler aux algériens en s’adressant directe-
ment à eux à la télévision 35. »
Le journaliste pour la croix Jacques Duquesne se demande, pour sa
part si « les mots suisent-ils ? Suiront-ils ? ». il note toutefois, que les
paroles du haut-commissaire sont d’une rare clarté et simplicité :
« On se prend à regretter que depuis des années les représentants de la
France en algérie n’aient pas su avec les mêmes mots simples préparer cette
population à une évolution inévitable 36. »
Du côté des européens justement, le témoignage de Michel de Laparre,
prêtre à Oran, révèle que les appels à la raison de Christian Fouchet sont
vains. il écrit ainsi le 28 mars :
« Les trémolos de M. Fouchet, intéressants par certains côtés, n’ont pas
débraqué la population. Seriner que “la partie est perdue et archiperdue”
n’a ni convaincu, ni même entamé, car on s’interdit d’y penser. Dans notre
guerre de foule, un point de vue intellectuel axé sur le défaitisme, c’est déjà
la trahison 37. »
Ces propos sont corroborés par Bernard tricot :
« Malgré la chaleur et la sagesse des appels de Christian Fouchet et sauf
peut-être pendant de fugitifs instants, nous n’avions pas de prise sur la
plupart des Français de là-bas 38. »
Bref, la capacité d’action de Fouchet est des plus limitées.
33. Émission pirate de l’OaS, difusée le 2 juin 1962. SHD, 1H 1736. Dossier 2.
34. Évelyne Lever, « L’OaS et les Pieds-noirs », in L’Histoire, l’Algérie des Français, Paris, Le Seuil, coll.
Points, 1993, p. 22.
35. Jean Morin, de gaulle et l’Algérie..., op. cit., p. 236.
36. la croix, 12 avril 1962.
37. Michel de Laparre, Journal d’un prêtre en Algérie. oran 1961-1962, Hélette, éditions Harriet, 1996,
p. 54.
38. Bernard tricot, les sentiers de la paix, Paris, Plon, 1972, p. 310.

86
le dernier « gouVerneur générAl » de l’Algérie

La question de l’incident de la rue d’isly


Lorsque Christian Fouchet arrive à alger, l’OaS se livre à une « stratégie
de la tension 39 » qui se caractérise par une série d’attentats aveugles. Le
23 mars, elle a décidé de faire du quartier populaire de Bab el-oued, au nord
d’alger, une zone insurrectionnelle. Des commandos s’installent en divers
points stratégiques avec la complicité des habitants. Le général ailleret
ordonne donc le siège de Bab el-Oued. La bataille s’achève en in de soirée.
Le colonel Vaudrey dirigeant de la Zone alger-Sahel de l’OaS décide
d’organiser en manière de riposte une manifestation populaire au monument
aux morts le 26 mars suivie d’un déilé vers Bab el-Oued 40. il difuse
un tract en ce sens. Le préfet Vitalis Cros interdit la manifestation et établit
un système de barrages dans la ville. L’un des plus importants est celui que
tiennent des soldats du 4e régiment de tirailleurs (rt) dirigé par le colonel
Pierre Goubard.
alors que les premiers manifestants aluent paciiquement vers le centre
d’alger, une fusillade éclate 41. Diférentes interprétations sont données
quant à l’origine des coups de feu, toujours inconnue. Quelques européens
présents lors de la fusillade prétendent avoir vu inscrit sur les casques des
soldats du 4e rt « wilaya 3 » ou « wilaya 4 » sous la forme de « W3 » ou
« W4 ». Mais ce témoignage ne peut être retenu par les historiens 42. Le
haut-commissaire quant à lui, n’insiste pas beaucoup sur cet événement. il
suppose que les « coups de feu ont été tirés du toit par un provocateur 43 ».
enin, l’hypothèse qui incrimine l’OaS est, de prime abord, relayée par le
colonel Goubard dans ses souvenirs 44, après une enquête sur les événe-
ments 45.
Se fondant sur diférentes archives et une photographie, l’historien Jean
Monneret met en doute ces deux versions, qu’il s’agisse de la responsabilité
du FLn comme de l’OaS. il souligne la responsabilité des autorités
françaises qui auraient volontairement placé le 4e rt rue d’isly 46. De fait,
trois jours auparavant, le 4e rt se trouvait dans le bled en zone sud-algérois.
Puis, il a été transféré brutalement vers la Zone alger-Sahel. il avait déjà été
afecté à Bab el-Oued, mais il n’était pas habitué au maintien de l’ordre et
se composait de soldats arabo-berbères 47. au reste, le général Goubard a
par la suite abandonné la thèse de coups de feu provenant de l’OaS dont
39. Jean Monneret, la phase inale de la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 19.
40. Jean Monneret, une ténébreuse afaire : la fusillade du 26 mars à Alger, Paris, L’Harmattan, 2009,
p. 34.
41. Olivier Dard, Voyage au cœur de l’oAs, Paris, Perrin, 2005, p. 219.
42. Jean Monneret, une ténébreuse afaire..., op. cit., p. 42.
43. Christian Fouchet, mémoires d’hier et de demain, op. cit., p. 155.
44. Colonel en 1962. il est par la suite devenu général.
45. Pierre Goubard, « rue d’isly : tragique erreur de l’OaS », Historia magazine, n° 361, p. 3076.
46. Jean Monneret, une ténébreuse afaire.., op. cit., p. 119.
47. Pierre Goubard, « rue d’isly : tragique erreur de l’OaS », loc. cit., p. 3077.

87
sorAyA lAriBi

les membres n’ont jamais revendiqué cette opération. Dans le même ordre
d’idées, rien ne prouve aujourd’hui que le haut-commissaire puisse être tenu
pour responsable de l’enclenchement des événements. Le seul témoignage
alimentant cette thèse revient à Jean Mauriac, chargé des questions du
Maghreb, qui rapporte des propos qu’aurait tenus Christian Fouchet le
28 octobre 1969 :
« J’en ai voulu au Général de m’avoir limogé au lendemain de mai 1968...
C’était une faute politique. il m’a reproché de ne pas avoir maintenu l’ordre :
Vous n’avez pas osé faire tirer.
– J’aurais osé s’il l’avait fallu, lui ai-je répondu. Souvenez-vous de l’algé-
rie, de la rue d’isly. Là, j’ai osé et je ne regrette pas, parce qu’il fallait
montrer que l’armée n’était pas complice de la population algéroise. »
Puis dans la note de bas de page qui accompagne ces lignes, il est
précisé :
« Haut-commissaire en algérie en mars 1962, Christian Fouchet semble
reconnaître ici sa responsabilité directe dans la répression sanglante de la
manifestation organisée à alger le 26 mars par l’OaS pour protester contre
les accords d’Évian 48. »
Certes, Christian Fouchet était ministre de l’intérieur lors du mouve-
ment de mai 1968. il était partisan de mesures de fermeté et il it part de ses
regrets face à l’attitude modérée du premier ministre Georges Pompidou 49.
tout ceci est bien maigre.
La seule certitude est l’annonce par le général de Gaulle, lors du conseil
des ministres le 23 mars que « [l]a question capitale est de briser par tous
les moyens et de réprimer impitoyablement l’insurrection armée qui se
développe dans les deux plus grandes villes d’algérie 50 ». en inférer que la
fusillade de la rue d’isly résulte de cette directive est risqué sinon oiseux.
Certaine, en revanche, est la stratégie du haut-commissaire pour briser
l’OaS.

L’opération Fouchet
Le 11 mai 1962, Christian Fouchet adopte six mesures anti-OaS
– annoncées le 13 mai –, qui visent « les bourgeois, la jeunesse et la police »
selon le journaliste alain Jacob 51. Les « bourgeois » – un « terme qualiiant

48. Jean Mauriac, l’après de gaulle, notes conidentielles 1969-1989, Paris, Fayard, 2006, p. 41.
49. Bernard Lachaise, « Christian Fouchet », loc. cit., p. 501. Dans l’interview donnée à Jacques Chancel
à l’occasion de la publication de ses mémoires, Christian Fouchet airme qu’il n’a jamais donné
l’ordre de tirer sur la foule en mai 1968. il reconnaît, toutefois, qu’il aurait fait tirer si l’Élysée avait
été attaqué. [Jacques Chancel, radioscopie, France-inter, interview de Christian Fouchet,
10 février 1971].
50. le Figaro, 23 mars 1962.
51. le monde, 24 mai 1962.

88
le dernier « gouVerneur générAl » de l’Algérie

un état d’esprit plus qu’une origine sociale » – « cherchent [en efet]


une porte de sortie ». après avoir adhéré aux thèses de l’OaS, beaucoup
tentent de rejoindre la position du gouvernement français. néanmoins, ils
sont l’objet de menaces de la part de l’armée secrète qui les empêche de
suivre la politique promue par le général de Gaulle 52. Pour dissoudre le
carcan OaS, une mesure ordonne « l’expulsion de cinquante algérois »,
tandis qu’une autre annonce « l’internement de personnalités algéroises et
oranaises 53 » au nombre desquelles igurent des ecclésiastiques, des chefs
d’entreprise, des médecins et des syndicalistes...
Pour rompre le lien entre la jeunesse et l’OaS, deux mesures sont
adoptées. La première consiste à envoyer en métropole ou en république
Fédérale d’allemagne, les jeunes européens de 19 ans et plus appelés sous
les drapeaux. La seconde permet de dissoudre l’association Générale des
Étudiants algérois (aGea) qui a compté parmi ses dirigeants des membres
de l’OaS 54.
enin, l’ordre public est renforcé. 1200 à 1500 policiers arabo-berbères
– les auxiliaires temporaires Occasionnels (atO) – sont ainsi constitués.
encadrés par des gendarmes mobiles établis dans les huit commissariats
d’alger, ils doivent surveiller les édiices publics visés par les activistes et
identiier les policiers soupçonnés de collusion avec l’OaS. Selon le haut-
commissaire « les défaillances des serviteurs de l’État » doivent être signalées
par les préfets. Les fonctionnaires dans ce cas, sont révoqués.
La mise en œuvre de ces mesures a été très vigoureuse, à Oran notam-
ment. Dans cette ville, la vague d’arrestations s’est déroulée en deux phases :
d’abord, le 9 mai, à dix-neuf heures alors que de nombreux Oranais se
réunissaient dans des cafés du centre ; ensuite, dans la nuit entre une heure
et deux heures du matin. Selon Jean-Claude Vajou, journaliste pour combat :
« il y avait en algérie un certain nombre de personnalités considérées
comme tabou. Depuis hier, elles ne le sont plus 55. » au nombre des person-
nalités jugées intouchables et arrêtées igurent : le docteur Jean Laborde,
conseiller général, ancien directeur du Front pour l’algérie Française (FaF)
d’Oranie : le chanoine Guy Dauger, aumônier de l’action catholique et le
chanoine Carmouze, archiprêtre de la cathédrale ; Georges Poitevin,
directeur de l’Électricité et Gaz d’algérie et plusieurs vice-présidents de
la Chambre de commerce dont Charles ambrosino et Henri Gardet.
À alger, les expulsions du colonel Henri alias (directeur d’air algérie),
d’auguste arnould (commandant de bord de la même compagnie et prési-
dent du Comité d’entente des anciens Combattants – CeaC), du colonel
52. le Figaro, 13 mai 1962.
53. libération, 13 mai 1962.
54. Pierre Lagaillarde fondateur de l’OaS a été président de l’aGea en 1957 et Jean-Jacques Susini l’a
dirigée en 1959 [libération, 13 mai 1962].
55. arnaud Déroulède, oAs. étude d’une organisation clandestine, Hélette, Jean Curutchet, 1997,
p. 294.

89
sorAyA lAriBi

de réserve Louis Splenger (président de la section d’alger de l’union natio-


nale des oiciers de réserve) et de norbert Zittel, le directeur du bureau
d’action sociale, entre autres décapitent la société civile. Ces arrestations au
même titre que la dissolution de l’aGea sont marquantes. Pour Jean-Claude
Vajou, ces décisions augmentent la tension des européens qui ont l’impres-
sion de perdre une grande partie de leurs représentants – emblèmes identi-
taires de la communauté :
« expulser des hommes comme arnould, dissoudre l’aGea, c’est dans
l’optique des européens d’algérie, abattre des drapeaux, déchirer des
symboles intouchables. »
il ajoute :
« M. Fouchet a moins frappé l’OaS que renversé des idoles 56. »
Certaines décisions sont contestées, d’emblée. au sein même de l’équipe
du haut-commissaire, Bernard tricot est sceptique. il raconte a posteriori :
« Je remarquais à cette occasion que des séries de mesures de ce genre, si
elles frappent l’opinion et présentent une certaine utilité, ont aussi l’incon-
vénient d’être prises à la hâte et de manquer de discernement. Quel ne fut
pas mon regret de constater des vides dans la délégation des cheminots
que je recevais fréquemment : certains de ses membres avaient été expulsés
d’alger au vu de renseignements déjà anciens et sans tenir compte de leurs
eforts récents pour l’apaisement 57. »
Les mesures Fouchet suscitent par ailleurs un vent de protestations,
assorties de manifestations, de la part des européens. Le 11 mai, les ports
d’Oran, nemours, Mostaganem et Beni-Saf, sont touchés. Pourtant les
mesures ont des résultats rapides. L’activité de l’OaS a été freinée. Le bilan
publié en in de matinée faisait état de 12 morts et de 5 blessés à alger
contre plus de 20 morts la veille. Le même résultat est attendu pour les jours
suivants avec l’appel sous les drapeaux des européens. Cette cinquième
mesure qui prend le nom de code militaire de « plan Simoun » est imposée
par l’ordonnance du ministre des armées Pierre Messmer, le 17 mai. elle
est destinée à éloigner les jeunes de la propagande et des rangs de l’OaS.
À cette in, l’âge d’incorporation est avancé et des sursis sont annulés. Cette
décision a également l’objectif de protéger les européens victimes de l’OaS
comme du FLn 58. en outre, le haut-commissaire prend des dispositions
pour alger et Oran. il y impose le contrôle des européens âgés de dix-huit à
vingt-cinq ans 59 – ainsi que de nombreuses arrestations – ou le bouclage
des quartiers théâtres d’attentats.
56. combat, 13 mai 1962.
57. Bernard tricot, les sentiers de la paix, op. cit., p. 334.
58. Soraya Laribi, « Le plan Simoun ou la mobilisation anticipée des conscrits européens d’algérie
en juin 1962 », revue historique des armées, n° 269, décembre 2012, p. 98-107.
59. Vitalis Cros, le temps de la violence, Paris, Presses de la Cité, 1971, p. 319.

90
le dernier « gouVerneur générAl » de l’Algérie

De la gestion de l’indépendance au départ d’Algérie


Le haut-commissaire est chargé de la gestion des mouvements de
troupes. Siégeant occasionnellement aux réunions de l’exécutif provisoire,
il donne son accord le 11 mai pour le départ des légionnaires, des zouaves
et des parachutistes. La question des supplétifs et de leurs familles se rattache
à ce sujet. Le gouvernement est opposé à leur départ en France en dépit des
menaces qui pèsent sur eux. Pourtant et comme on le sait, ceux-ci, l’élite
francisée et les européens sont les victimes principales des enlèvements qui
ont lieu après le cessez-le-feu.
À cet égard, le délégué de la Croix rouge, roger Vust, transmet une liste
de cent disparus au haut-commissaire qui accepte d’efectuer des appels
radio via France V 60. Mais l’immédiat est plutôt la question des supplétifs,
soupçonnés de collusion avec l’OaS, que Serge Braumberger accuse dans
le Figaro, de vouloir faire passer en métropole pour continuer la lutte en
faveur de l’algérie française 61. Face à cette menace, le 12 mai, Louis Joxe,
ministre d’État chargé des afaires algériennes, annonce par télégramme que
« [l]es supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de
rapatriement seront en principe renvoyés en algérie 62 ».
Le haut-commissaire est conscient du drame et cherche une solution
dans les négociations avec les nationalistes algériens. il adresse entre autres,
une lettre au président de l’exécutif Provisoire abderrahmane Farès au sujet
du charnier de Haouch-adda découvert le 21 mai, avec la présence de
15 cadavres 63. Puis devant le comité des afaires algériennes, il airme que
les enlèvements sont dus au commandant Si azzedine 64. C’est pourquoi,
il décide de le rencontrer le 24 mai et lui demande de garantir le respect des
accords d’Évian 65. De plus, Christian Fouchet se met en relation avec
Jacques Chevallier l’ancien maire d’alger qui fait oice d’intermédiaire
entre Jean-Jacques Susini et le docteur Chawki Mostefai, membre de l’exé-
cutif provisoire, qui contractent les « accords Susini-Mostefai », le 17 juin.
en vain, ces accords OaS-FLn échouent et les enlèvements se poursuivent
dans l’algérois et l’Oranais, en particulier.
L’exécutif provisoire étant chargé de choisir la date du référendum sur
l’autodétermination, le 1er juillet, les deux communautés doivent répondre

60. Maurice Faivre, la croix rouge pendant la guerre d’Algérie. un éclairage nouveau sur les victimes et
les internés, Panazol, Lavauzelle, 2007, p. 61.
61. le Figaro, 22 mai 1962.
62. Chantal Morelle, comment de gaulle et le Fln ont mis in à la guerre d’Algérie. 1962, les
accords d’évian, Bruxelles, andré Versaille éditeur, 2012, p. 226.
63. SHD, 1H1794, dossier 1.
64. Maurice Faivre, les archives inédites de la politique algérienne. 1958-1962, Paris, L’Harmattan,
p. 319.
65. Christian Fouchet voulait obtenir l’engagement que l’opération de représailles menée par des
commandos FLn le 14 mai 1962, à la suite de l’attentat de l’OaS contre les dockers le 2 mai, ne
se reproduirait plus [l’express, 24 mai 1962].

91
sorAyA lAriBi

à la question suivante : « Voulez-vous que l’algérie devienne indépendante


en coopérant avec la France dans les conditions déinies par les déclarations
du 19 mars 1962 ? » 99,7 % de la population répond positivement.
Cependant, la majorité des européens ne s’est pas prononcée 66. Les résul-
tats sont publiés le 3 juillet et, ce même jour, à onze heures, Christian
Fouchet remet à abderrahmane Farès le message du général de Gaulle dans
lequel il reconnaît l’indépendance de l’algérie. Sa mission touche alors à sa
in. Les divers services du haut-commissariat quittent rocher-noir les uns
après les autres dans un délai de quinze jours. Christian Fouchet quitte
l’algérie le 4 juillet sans assister à la cérémonie où le drapeau algérien fut
hissé, le général de Gaulle n’estimant pas sa présence indispensable 67.
Bernard tricot sera le dernier à partir après avoir donné l’ordre d’ouvrir les
frontières de l’algérie. Jean-Marcel Jeanneney, ambassadeur de France auprès
du nouvel État indépendant arrive le 7 juillet. il s’installe à rocher-noir
dans la villa qu’habitait jusqu’alors Christian Fouchet 68.

Conclusion
Durant trois mois et demi, soit cent-cinq jours 69, le dernier « gouverneur
général » a assuré la transition du pouvoir en algérie. Bien qu’il ait laissé des
dossiers en suspens, comme celui des « disparus », les spéculations des
journalistes sur son avenir révèlent qu’il a réussi sa mission de coniance :
« Fouchet aura un portefeuille 70 », « Dauphin 71 » ? De fait, Christian Fouchet
réintègre le ministère du général de Gaulle. il obtient un poste de ministre
délégué auprès du premier ministre chargé de l’information qu’il occupe
dès le 11 septembre.

66. Chantal Morelle, comment de gaulle et le Fln ont mis in à la guerre d’Algérie, op. cit., p. 234.
67. Christian Fouchet, mémoires d’hier et de demain, op. cit., p. 190.
68. le Figaro, 5 juillet 1962.
69. Christian Fouchet, op. cit., p. 158.
70. l’express, 10 mai 1962.
71. minute, 8 juin 1962.

92
Feu la chrétienté d’Algérie :
les prêtres français de la Mission de France
et du couvent dominicain d’Alger
au sortir de la guerre d’Algérie
tangi Cavalin et nathalie Viet-Depaule

L’indépendance de l’algérie instaure une rupture fondamentale du point


de vue du catholicisme romain. Le départ, aussi massif que subit, des
populations européennes à partir des accords d’Évian vide la chrétienté
algérienne de tout contenu et crée une situation de table rase après
cent trente ans de défense de la « civilisation chrétienne ». Si l’adoption de
l’islam comme religion d’État par la constitution de 1963 entérine la
nouvelle norme en vigueur dans le champ religieux, elle ne marque pas la
in du catholicisme dans la nation algérienne. S’étant vu reconnaître
un droit de cité par le nouveau pouvoir, l’Église entend maintenir
une présence qui ne soit ni celle d’un service cultuel au proit des derniers
ressortissants français, ni celle d’une instance prosélyte.
en 1962, la Mission de France et l’Ordre des frères prêcheurs font partie
des quelques groupes religieux d’hommes et de femmes qui entendent
donner corps à cette option. rester, pour eux, c’est concevoir la continuité
d’un engagement religieux dans cette discontinuité fondamentale que repré-
sente l’indépendance après des années de violence. Bien que leurs efectifs
cumulés pour tout le pays ne dépassent jamais la trentaine d’individus,
avant comme après l’indépendance, l’étude du maintien de leur implanta-
tion dans la jeune nation n’est pas sans intérêt pour l’histoire de la société
algérienne et, peut-être davantage encore, pour l’histoire du catholicisme :
comment, pour des prêtres envoyés en algérie au service de la communauté
européenne, sortir de l’épreuve de la guerre sans prendre le chemin de la
métropole à l’instar de leurs ouailles ? au nom de quoi et pour qui rester
lorsque la mission originelle, formulée au temps de la colonisation, plaçait
à distance des populations musulmanes ces membres du clergé, à la difé-
rence des Pères blancs ou des héritiers du Père de Foucauld ?

93
tAngi cAVAlin et nAtHAlie Viet-dePAule

Au service de l’Algérie française


Bien que l’algérie se situe outre-mer et que dominicains comme prêtres
de la Mission de France se reconnaissent comme missionnaires, leur implan-
tation en terre algérienne ne s’est pas efectuée selon le schéma traditionnel
des missions étrangères. À leur arrivée, il leur a fallu s’insérer dans des cadres
ecclésiaux (diocèses, paroisses, clergé) qui, à peu de chose près, étaient les
mêmes qu’en métropole et qui les mettaient au service des populations
européennes. Les uns comme les autres se rendirent en algérie parce que
celle-ci était alors considérée comme française et non parce qu’elle était
lointaine et étrangère. et c’est bien pour cela qu’ils apportèrent leur
concours à l’édiication d’une chrétienté en afrique du nord et qu’ils ont
été sollicités par l’autorité diocésaine 1.
C’est en efet à la demande de l’archevêque d’alger, Mgr Leynaud, que
les dominicains ouvrent en 1932, sous le patronage d’albert-le-Grand,
une maison à alger (elle acquiert le statut de couvent en 1951) 2. La réputa-
tion de leurs prédications les précédait, certains d’entre eux étant déjà venus
prêcher des carêmes et des retraites auprès de la communauté chrétienne.
ils s’installent provisoirement dans un ancien pensionnat des Dames du
Sacré-Cœur et de l’École Montalembert, bâtiment vétuste que l’archevêque
met à leur disposition au 10, chemin Édith-Cavell et décident de construire,
non loin de là, un couvent sur une colline qui surplombe la ville et fait face
à la mer, 165, chemin Laperlier. Si la première pierre est posée dès 1936,
très vite les travaux sont suspendus faute d’argent et ce n’est qu’après bien
des diicultés que l’inauguration de la « cité dominicaine » a lieu en
avril 1956.
Devant la pénurie de prêtres, mais surtout pour faire face au peuplement
rapide du quartier dans les années de guerre, l’archevêque demande au
prieur, le père homas Boulay, que l’église conventuelle devienne celle des
idèles du quartier, deux dominicains accédant aux charges de curé et de
vicaire. Le 28 février 1957, sur autorisation de rome, est créée la paroisse
notre-Dame du rosaire. Ce nouveau statut conforte le champ apostolique
dévolu aux dominicains : il se restreint à la seule communauté chrétienne,
la mission à l’égard des musulmans n’étant évoquée que de manière lointaine

1. L’histoire de l’Église catholique en algérie reste à écrire. Pour la période qui encadre la sortie de
guerre, l’ouvrage d’andré nozière (Algérie : les chrétiens dans la guerre, Paris, Éditions Cana,
1979) ofre une première mise au point, que l’on peut compléter par deux études engagées :
Jean-Jacques Perennès, chrétiens en Algérie : un souvenir de l’époque coloniale ou l’ébauche d’un nouveau
visage de l’église dans le monde ?, Paris, Centre Lebret, 1977 ; raymond Facélina, héologie en situa-
tion : une communauté chrétienne dans le tiers monde (Algérie, 1962-1974), strasbourg, CerDiC
Publications, 1974.
2. Les archives du couvent d’alger utilisées pour cette communication sont conservées aux archives
dominicaines de la Province de France (aDPF) en section iV, série 27. elles sont à compléter par la
consultation des revues du couvent, l’Afrique dominicaine devenue en 1956 les cahiers religieux
d’Afrique du nord puis, en 1964, Aujourd’hui.

94
Feu lA cHrétienté d’Algérie

et indirecte. L’exode massif des paroissiens à partir des accords d’Évian


n’entame pourtant guère les efectifs des religieux : de 1962 à 1963, le
nombre de ceux qui se maintiennent chemin Laperlier passe de dix à
huit.
Dix-sept ans après les frères prêcheurs, en 1949, les premiers prêtres de
la Mission de France traversent à leur tour la Méditerranée 3. issus du clergé
diocésain, ils appartiennent à une toute jeune institution, fondée à Lisieux
en 1941 sur une décision de l’assemblée des cardinaux et archevêques de
France dans la perspective de former des prêtres missionnaires pour évangé-
liser les régions de France que la pastorale de l’époque désigne comme étant
les plus « déchristianisées ». Dans le cadre paroissial qui leur est imparti par
l’autorité diocésaine, leur conception du sacerdoce les conduit à rencontrer
prioritairement, mais pas exclusivement, les plus rétifs à l’emprise de
l’Église, qu’ils soient baptisés ou non, et à faire en sorte que ces rencontres
avec la population entraînent des relations de proximité dans les zones
apostoliques où ils sont afectés.
Si elle ne s’efectue pas dans l’improvisation, l’arrivée des prêtres de la
Mission en algérie doit beaucoup aux circonstances. elle est avant tout le
fait de Jean Scotto 4, curé dans la banlieue d’alger, à Hussein-Dey. né
en 1913, ils de cafetiers d’Hussein-Dey, ordonné prêtre en 1936, il se
tourne vers la Mission pour faire de sa juridiction – dont le périmètre est
considérable –, une paroisse missionnaire, sur le modèle popularisé par
Georges Michonneau à Colombes (transformation de l’intérieur de l’église,
renouveau liturgique, disparition des services religieux payants, création de
services sociaux). Hussein-Dey abrite alors des quartiers en pleine expansion
où se mêlent à la fois une composante européenne constituée d’employés,
de militaires, d’ouvriers et une population musulmane que l’exode rural a
reléguée dans les bidonvilles qui se sont développés sur les marges d’alger.
en 1949, Jean Scotto assiste à une session du séminaire de Lisieux
qu’animent des théologiens dominicains proches des visées de la Mission,
Henri Féret et Marie-Dominique Chenu et obtient du supérieur du
séminaire, Louis augros, que deux de ses prêtres, Guy Malmenaide et
Honoré Sarda, le secondent dans sa charge pastorale. À leur suite, surtout
à partir de 1953, d’autres élèves du père augros prendront le chemin des
départements algériens. au moment de l’indépendance, ce sont treize prêtres
de la Mission qui œuvrent en algérie, répartis en quatre équipes :
Hussein-Dey, Bab-el-Oued et Maison-Carrée dans le diocèse d’alger ;
3. Sur les débuts de la Mission de France en algérie : Sybille Chapeu, des chrétiens dans la guerre
d’Algérie. l’action de la mission de France, Paris, Les Éditions de l’atelier/Éditions ouvrières, 2004,
p. 15-28. Les archives de la Mission de France relatives à l’algérie sont pour l’essentiel conservées aux
archives nationales du monde du travail à roubaix (anMt). il faut y ajouter l’important fonds
personnel emmanuel Deschamps actuellement conservé au siège de la Mission de France, au Perreux-
sur-Marne.
4. Jean Scotto, curé pied-noir évêque algérien, Paris, Desclée de Brouwer, 1991.

95
tAngi cAVAlin et nAtHAlie Viet-dePAule

Souk-ahras dans le diocèse de Constantine. en 1963, au nombre de douze,


ils sont insérés dans les mêmes paroisses et créent une nouvelle équipe à
Miliana (afreville).

Deux familles religieuses, deux types de pastorale


L’apostolat des dominicains en algérie se résume, conformément à leur
vocation, en une activité de prédication. Lorsqu’ils prennent pied à alger
en 1932, il leur faut assurer, en dignes ils de Lacordaire, des conférences
hebdomadaires à la « messe des hommes » de la cathédrale. Leur champ
d’intervention s’élargit bientôt à toute l’algérie : plusieurs religieux se font
une spécialité d’aller prêcher, à la demande, dans les grandes villes et les
« bleds ». ils assurent également, à partir de 1935, diverses aumôneries dont
la plus fameuse est sans nul doute celle des scouts, « la S[ain]t Do » d’alger,
qui sous la direction de son inamovible aumônier – le père Louis Lefèvre –,
contribue amplement à la renommée des dominicains dans les milieux
catholiques de la ville. au il des années, cet apostolat s’étofe, sans dévier
de sa clientèle de prédilection : encadrement des mouvements d’action
catholique, de la Paroisse universitaire, aumôneries de pensionnats, anima-
tion du tiers-ordre dominicain, du rosaire... La présence des frères prêcheurs
se manifeste également à travers une revue, créée en 1936, l’Afrique domini-
caine rebaptisée en 1956 les cahiers religieux d’Afrique du nord. Supprimés
au moment de l’indépendance, ils seront remplacés, en 1964, par un
nouveau périodique au titre signiicatif : Aujourd’hui.
Cette pastorale dominicaine, extrêmement classique, s’adresse exclusi-
vement à la population européenne : elle touche des colons, parfois aisés (ils
contribuent par des dons à la construction du couvent), plutôt bien dotés
culturellement, et conforte l’illusion d’une Église à son aise en algérie en
cimentant une sociabilité à l’échelle de la ville. Quand la guerre éclate et
s’installe, les membres de la communauté dominicaine ne font pas la même
analyse de la situation : certains partagent les positions des colons qui
souhaitent que l’algérie reste française, les autres adoptent des positions
plus ouvertes, allant pour les plus avancés jusqu’à estimer que le peuple
algérien a le droit de s’autodéterminer. un net fossé générationnel sépare
les uns des autres, les premiers étant nés à la in du xixe siècle (entre 1885
et 1903), les seconds après la Première Guerre mondiale, pour l’essentiel au
cours des années 1920. Mais quoi qu’il en soit de ces écarts, ils ne se tradui-
sent en rien par des prises de position explicites contre le système colonial,
les paroles dissonantes en public n’allant jamais au-delà des rappels de
principes généraux de la morale chrétienne 5.

5. témoignage en ce sens de Pierre Le Baut : d’hier à aujourd’hui, fragments de mémoire. itinéraire


d’un (ex)dominicain, 2006, tapuscrit, 151 p. aDPF iV 27. Mis en ligne, ainsi qu’une partie de la

96
Feu lA cHrétienté d’Algérie

L’insertion pastorale de la Mission de France est tout autre. Ses prêtres


se veulent dans une logique d’incarnation, de renoncement à l’esprit de
conquête. ils s’en tiennent avant tout au témoignage, voire à la seule
présence, pour que le christianisme puisse avoir droit de cité. exercer ce
type d’apostolat en algérie passe par l’apprentissage de la langue arabe. tous
prennent des cours. Guy Malmenaide, né en 1917, ordonné en 1945, à
peine arrivé à Hussein-Dey en 1949 est envoyé à cette in un an auprès des
Pères blancs de tunis. À son retour, il s’installe au sein du bidonville
d’Hussein-Dey où il fonde le foyer abraham dont le conseil d’administra-
tion sera composé de chrétiens et de musulmans et, fort de son diplôme
d’aide-soignant, apporte des soins à la population musulmane. Honoré
Sarda, arrivé en même temps que Guy Malmenaide, connaissait déjà
l’algérie pour y être venu en 1946 à la faveur d’un stage ouvrier (dans
une tonnellerie). Conformément aux méthodes enseignées au séminaire de
Lisieux, il se lance dans une étude sociologique de la population vivant sur
le territoire paroissial qui lui permet de mesurer l’ampleur de la misère qui
sévit dans les zones surpeuplées d’Hussein-Dey. À Souk-ahras, ville de
trente mille habitants située à une centaine de kilomètres au sud de Bône,
dans le diocèse de Constantine, la population est composée de nombreux
musulmans qui vivent à la périphérie dans des conditions matérielles dii-
ciles et de six à sept mille européens. Joseph (Jobic) Kerlan, né en 1918,
ordonné en 1950, arrive à Souk-ahras et contribue à la constitution de la
communauté dont Gabriel Moreau est le responsable. Ce dernier, né en
1916, ils de cheminot, est issu du clergé algérien mais a suivi les cours de
Lisieux comme « petit père » (c’est-à-dire après son ordination) ; il prend le
titre de curé et fait équipe avec des jeunes recrues de la Mission de France
qui, au départ, s’investissent dans le monde rural.
Ces premiers prêtres de la Mission, nés entre 1913 et 1932, relèvent tous
d’une même génération, la même que celle des dominicains favorables aux
positions les plus libérales ; tous bénéicient d’un apprentissage de l’arabe
dialectal et d’une initiation à la civilisation musulmane avant d’être afectés
à des paroisses populaires. Dans la majorité des cas, leur présence en algérie
est volontaire et très souvent liée à des séjours antérieurs (service militaire,
raison familiale) au cours desquels il leur a été donné d’entrevoir les réalités
de la domination coloniale. Sans avoir en rien prémédité d’être envoyés en
algérie, les prêtres de Lisieux ne choisissent pas d’y venir sans savoir à quoi
s’en tenir sur les clivages propres à la société algérienne.
Comme en France, les prêtres de la Mission partagent leur temps entre
leurs tâches apostoliques et une insertion par le travail (inirmier, ouvrier
agricole, enseignant). Si leur apostolat prend en charge la population
européenne, ils entrent aussi en contact avec la population musulmane. ils
chronique du couvent d’alger, à l’adresse suivante [http ://pierrelebaut.e-monsite.com/pages/
d-hier-a-aujourd-hui.html].

97
tAngi cAVAlin et nAtHAlie Viet-dePAule

nouent des liens avec des familles, des responsables politiques, des membres
d’association (notamment l’entraide fraternelle d’action œcuménique
(eFaO) ou le Front de libération nationale (FLn), voulant rendre l’Église
présente dans le monde musulman et rapprocher les communautés en
présence, ain de remettre en cause les frontières instituées par la colonisa-
tion et que perpétuent les cadres ecclésiastiques. Leur écoute et leur solida-
rité, qui se traduisent souvent en gestes concrets (démarches administra-
tives, fourniture de vêtements, de médicaments, hospitalisation des
malades, etc.), débouchent sur des contacts entre chrétiens et musulmans,
mais aussi sur la dénonciation de la répression, de la torture, des exécutions
et, plus généralement, de toute entrave à la justice et au respect humain.
très minoritaires au sein du clergé catholique, ils s’attirent les foudres de la
société européenne et de l’administration française, tant et si bien qu’ils font
l’objet d’une mesure préfectorale d’expulsion de Souk-ahras en avril 1956
et doivent, pour certains d’entre eux, se replier sur alger peu après que Jean
Scotto, rejoint par Guy Malmenaide et Henri Bonnamour, quitte la cure
d’Hussein-Dey pour celle de Bab-el-Oued tandis que Jobic Kerlan, nommé
aumônier du port d’alger, s’insère dans le monde des marins et des dockers
au sein duquel il noue des contacts avec les rares chrétiens aussi bien qu’avec
les incroyants et les musulmans et, très vite, apporte son concours aux
militants du FLn.
Lorsque l’indépendance est proclamée, les prêtres de la Mission consi-
dèrent cette issue comme aussi légitime qu’inévitable. totalement insérés
en algérie, faisant leurs les revendications de la population musulmane, ils
ont, en imposant l’image du prêtre envoyé au service de tous dans un esprit
de coopération fraternelle, été des vecteurs majeurs d’une dissociation entre
l’Église d’algérie et le régime de la colonisation.

Échelles et contextes de références


Mesurer les positionnements des dominicains et des prêtres de la Mission
de France en algérie à l’heure de l’indépendance passe par leur inscription
dans le contexte de l’algérie coloniale et par la restitution de leurs formes
d’engagement spéciiques pendant la période de la guerre. Cependant, si
les choix et les actions des prêtres français en algérie avant 1962 résultent
de la manière dont ils appréhendent, souvent dans l’urgence, des circons-
tances exceptionnelles à bien des égards, ils sont aussi le fruit d’interactions
avec les autres membres de leur famille religieuse en métropole. De ce point
de vue, l’enjeu que représente la décision de rester en algérie après l’indé-
pendance ne peut revêtir la même signiication pour l’Ordre de Saint
Dominique et pour la Mission de France.
Pour cette dernière, l’enjeu algérien est au cœur de l’identité mission-
naire non seulement du fait de la présence d’équipes à Hussein-Dey et

98
Feu lA cHrétienté d’Algérie

Souk-ahras à partir de 1949, mais aussi parce que les communautés métro-
politaines sont en contact avec les travailleurs algériens dans les zones de
concentration industrielle de la région parisienne (Puteaux, asnières puis
Gennevilliers dans la Boucle de la Seine, Vitry ou le Xiiie arrondissement)
comme de province (Lyon, Marseille, toulouse, Montluçon, Le Havre...).
De nombreux prêtres de la Mission ont été conduits, à partir des liens de
solidarité qu’ils avaient tissés dans les quartiers dont ils avaient la charge, à
prendre position, d’abord dans le cadre de l’entraide avec les populations
les plus pauvres, puis par des gestes qui les amenaient à enfreindre la légalité
(cacher des militants nationalistes, imprimer sur la ronéo du presbytère des
tracts du FLn...). Le rappel des réservistes sous les drapeaux, à Marseille ou
à Gennevilliers 6, est l’occasion pour ceux qui sont concernés par cette
mesure d’envisager avec leurs équipiers l’insoumission ou, à défaut, la possi-
bilité d’une appartenance à la hiérarchie militaire qui soit conforme aux
valeurs évangéliques. Les positions les plus avancées de certains clercs de la
Mission (ou associés à cette institution, comme le père robert Davezies)
ne sont possibles que parce qu’elles prennent appui sur des réseaux de
complicité auxquels nombre de ses membres prêtent leur concours de
manière plus ou moins occasionnelle. Dès 1955, les expériences vécues par
les équipes sur le terrain font l’objet de discussions au sein d’une « commis-
sion des nord-africains » qui ne se contente pas de collecter les témoignages
en provenance des équipes mais élabore une pensée commune et inléchit
la rélexion des instances dirigeantes de la Mission jusqu’à faire avaliser
en janvier 1958 par son évêque, le cardinal Liénart, une déclaration
favorable à l’indépendance du peuple algérien qui sera largement reprise et
commentée par la presse 7.
tout autre est le rapport qu’entretient la Province de France de l’Ordre
de Saint-Dominique à l’algérie et au conlit qui s’y manifeste. L’orientation
« algérie française » du couvent ne renvoie ni à une option a priori coloni-
satrice de cet ordre religieux dans son ensemble, ni à une stratégie délibérée
de ceux qui sont à la tête de la Province. elle est en premier lieu le résultat
d’un modèle d’implantation qui place ses membres dans une situation
d’ainité avec les colons. La manière qu’ont les religieux de concevoir leur
rayonnement à partir d’un couvent est en efet lourde de conséquences : en
ixant dès les premières années comme préalable à tout enracinement des
valeurs dominicaines la construction d’une vaste « Cité dominicaine » dont
le inancement devait pour l’essentiel être levé localement, auprès des idèles,
les prieurs successifs se sont placés dans l’impossibilité de rompre ou même

6. Voir à ce sujet l’itinéraire de Gilbert rufenach, rappelé comme oicier en algérie en 1958,
tangi Cavalin, « un prêtre de la Mission de France dans la guerre d’algérie », golias, 54, mai-
juin 1997, p. 68-75.
7. La lettre aux communautés, bulletin interne de la Mission de France, publie en mars 1958 les conclu-
sions de la session consacrée « aux problèmes posés par la guerre d’algérie ».

99
tAngi cAVAlin et nAtHAlie Viet-dePAule

de marquer une distance signiicative avec le milieu des pieds-noirs auxquels


ils s’étaient économiquement liés. Les choix de homas Boulay, à la tête du
couvent de 1951 à 1957, sont hautement signiicatifs : arrivé en 1945 à
alger avec une réputation de libéral, il endosse, dès sa désignation comme
prieur, les habits du bâtisseur que ses prédécesseurs avaient revêtus avant
lui mais sans parvenir à mener à bien un chantier aussi ambitieux que
coûteux. Ses appels à la générosité des idèles, sa quête de prêts avantageux
coïncident, à partir du début des hostilités en 1954, avec des déclarations
de plus en plus favorables à une population européenne que la république
laïque renoncerait, selon lui, à protéger. Les appels de Mgr Duval à la justice
et au respect le mettent, lorsqu’il est en petit comité, hors de lui. Cette ligne
directrice du prieur d’alger bénéicie alors du soutien de la hiérarchie
dominicaine en la personne de Vincent Ducattillon, nommé provincial de
France en février 1954 sur intervention du maître de l’Ordre dans le cadre
d’une opération d’épuration interne 8 et qui a eu l’occasion d’exposer ses
options colonialistes en 1957 dans Patriotisme et colonisation 9.
La ièvre bâtisseuse des dominicains d’alger limite leur possibilité de
tenir un discours dissonant dans la communauté chrétienne et, après l’inau-
guration du couvent en avril 1956, lègue tout un réseau de sympathies avec
lequel doivent composer les partisans du changement. en octobre 1957, le
remplacement de Vincent Ducattillon à la tête de la Province de France par
la personnalité plus ouverte de Joseph Kopf ouvre de nouvelles perspectives.
Désormais, c’est la tendance incarnée par les jeunes religieux qui bénéicie
du soutien de l’autorité hiérarchique. Mais il serait erroné d’y voir le
moment d’une révolution interne au couvent. Deux raisons au moins s’y
opposent : en premier lieu, partisans et adversaires de l’algérie française au
sein de la communauté dominicaine restent en place et doivent maintenir
les conditions de possibilité d’une vie commune, quitte à être discrets sur
leurs désaccords politiques ; la nécessité de ne pas heurter les laïcs et de ne
pas déchirer les liens tissés dans la société algéroise par un brusque change-
ment de discours entre également en considération. Ces contraintes locales
jouent d’autant plus que la Province de France elle-même est profondément
divisée sur la question de la présence française en algérie. en 1959, le
rapport d’une commission dite « de la vie apostolique », sollicitée par le
provincial Joseph Kopf, éclaire l’embarras de l’Ordre de Saint-Dominique
en algérie lorsqu’il établit le constat que « le couvent fondé pour le service
des européens n’a jamais rien fait pour les musulmans. On ne peut en
vouloir au provincial qui voulut cette fondation « dans une grande ville
française », comme il disait... La commission déplore que l’Ordre ait cédé
à la pression de l’archevêché en acceptant de fonder une paroisse qui nous
8. François Leprieur, quand rome condamne. dominicains et prêtres-ouvriers, Paris, Plon/Éditions du
Cerf, 1989.
9. Vincent Ducattillon, Patriotisme et colonisation, tournai, Desclée et Cie, 1957.

100
Feu lA cHrétienté d’Algérie

lie au sort de la ville européenne et accentue nos distances avec le bled et le


monde musulman 10 ».
au demeurant, rares sont les dominicains à entretenir un contact direct
avec les populations algériennes en métropole : le cas du frère Marc Buretel
de Chassey, à Strasbourg, prenant l’initiative d’un Comité d’entraide nord-
africaine et assurant la création puis la gestion, à partir de 1954, d’un foyer
qui hébergera bientôt près de deux cents algériens est exceptionnel.
Marquée par des héritages complexes et douloureux qui la situent aussi bien
à droite, voire à l’extrême droite 11, que du côté du progressisme chrétien 12,
la Province de France ne peut se prévaloir, comme c’est le cas à la Mission
de France, d’une identité de vues entre ses membres et encore moins
d’un soutien épiscopal. tant que Vincent Ducattillon est à sa tête,
toute critique de la politique de guerre à outrance est immédiatement
l’objet d’un sec rappel à l’ordre, comme en font les frais – parmi d’autres –
Marie-Dominique Chenu et Pierre avril, signataires en novembre 1955 de
l’appel publié dans le monde du « Comité d’action contre la poursuite de
la guerre en afrique du nord » : ils sont immédiatement dénoncés à
leur supérieur par homas Boulay. Dans un autre registre, les articles
sur la situation algérienne que cherche à publier la revue dominicaine
la Vie intellectuelle, leuron des Éditions du Cerf, font l’objet d’une censure
systématique au point d’amener l’équipe dirigeante à saborder la revue
in 1956.
Même après l’élection de Joseph Kopf comme provincial en 1957, la
prudence reste de mise. Lorsqu’à l’initiative du prêtre-ouvrier Joseph
robert, une rencontre entre dominicains sur les répercussions de la guerre
se tient au couvent parisien de Saint-Jacques le 7 novembre 1960, c’est en
sélectionnant soigneusement les participants de manière à ne pas mettre en
scène les clivages qui traversent la Province 13. « n’était-ce pas se mettre dans
un guêpier que d’aborder des problèmes trop longtemps restés tabous entre
nous ou s’enliser dans un marais d’où ne pourrait sortir qu’aggravé notre
sentiment d’impuissance ? », s’interroge après coup son organisateur 14.
L’éviction des tenants du maintien de la présence française en algérie ne
passe néanmoins pas inaperçue et irrite ceux qui, comme homas Boulay,
s’eforcent de relativiser les conclusions – pourtant bien prudentes – issues
de ces échanges. Conscient des tensions à l’œuvre, le provincial interdit la
publication des interventions du 7 novembre 1960 et en restreint le carac-
10. « rapport de la commission des appels apostoliques, juillet 1959 », ut sint unum, 1er août 1960,
p. 15.
11. andré Laudouze, maurras au couvent. dominicains et Action française, Paris, Les Éditions ouvrières/
Les Éditions de l’atelier, 1989.
12. Yvon tranvouez, catholiques et communistes. la crise du progressisme chrétien 1950-1955, Paris,
Les Éditions du Cerf, 2000.
13. Les archives relatives à cette rencontre sont conservées aux aDPF dans la section Vi, série Z.
14. Joseph robert, « Guêpier, marais ou champ de labour », ut sint unum, 1er décembre 1960,
p. 10-11.

101
tAngi cAVAlin et nAtHAlie Viet-dePAule

tère normatif en les présentant comme une simple « base de travail et de


discussion 15 ». Jusqu’à l’indépendance, la pomme de discorde algérienne a
pour conséquence de contraindre un peu plus le couvent d’alger à la discré-
tion, voire à l’attentisme.
Cependant, s’en tenir à ce constat risquerait de donner à penser que les
religieux optant pour le maintien d’une présence en algérie après l’indépen-
dance relèveraient d’une génération spontanée. Or, dès 1958 au moins, avec
l’accès au priorat de Pierre Le Baut, un point de non-retour était atteint. né
en 1925 en algérie, de père breton et de mère pied-noir, il est assigné au
couvent en 1955 à l’issue de sa formation au couvent d’études du Saulchoir
en région parisienne. en octobre 1958, il fait savoir à Joseph Kopf, son
provincial, qu’il soumet l’acceptation de son élection à la tête du couvent
d’alger à la condition formelle que certains de ses pères soient assignés hors
d’algérie. Paul Sirot et Michel Florent, nés respectivement en 1898 et 1902,
tous les deux très liés aux milieux militaires, sont les premiers à faire les frais
de ce recentrage des dominicains, suivis en avril 1960 par l’encombrant
homas Boulay. Soutenus par le provincial, détenant les commandes du
couvent (Pierre Le Baut reste prieur jusqu’en 1969), les partisans d’une évolu-
tion vers l’indépendance œuvrent désormais dans le sens d’un soutien à la
ligne libérale de l’archevêque Mgr Duval, tout en prenant soin de ne pas se
couper de leurs paroissiens qu’il s’agit de rallier au discours épiscopal. Dans
un diocèse où la plus grande majorité du clergé se dissocie plus ou moins
ouvertement des positions avancées de son chef, le renfort du couvent d’alger
ne doit pas être minimisé. Dès 1960, le principe d’un maintien de la présence
dominicaine après l’indépendance semble acquis, selon des perspectives
encore loues mais qui privilégient l’ouverture de la communauté européenne
restante au dialogue avec les populations musulmanes. nul au couvent
d’alger n’est alors en mesure de prévoir l’ampleur de l’exode des pieds-noirs
dans le contexte de violence et de peur du printemps 1962.

rester après l’exode


La décision de rester en algérie en 1962 a d’abord été, pour les prêtres
de la Mission de France et ceux de l’Ordre de Saint-Dominique, le résultat
d’un processus de reconversion de leur vocation sacerdotale. Chez les
dominicains, ceux qui n’ont pu s’y conformer ont regagné la métropole. La
notion de mission, dont le contenu est l’objet à tous les échelons du catho-
licisme d’un intense travail de redéinition visant à en expurger toute trace
de prosélytisme, vient qualiier l’intention qui préside au renouvellement
de l’enracinement catholique dans l’algérie post-coloniale 16.
15. Joseph Kopf, « note du trP Provincial », ibid., 1er mars 1961, p. 3.
16. Pour une vision d’ensemble, non spéciique à l’algérie : Claude Prudhomme, « Le grand retour de
la mission ? », Vingtième siècle. revue d’histoire, 66, avril-juin 2000, p. 119-132.

102
Feu lA cHrétienté d’Algérie

Mais si l’événement que constitue l’efondrement de la chrétienté


européenne à la suite des accords d’Évian place les prêtres des deux familles
religieuses sur des positions homologues, avec une égale volonté aichée de
participer au développement de la jeune nation algérienne, il ne produit
que de manière partielle un efacement des diférences. Les prêtres de la
Mission envisagent depuis plusieurs années l’indépendance comme inévi-
table et entretiennent depuis leur arrivée en algérie des relations avec les
musulmans placées sous le signe de la fraternité. Leurs insertions sont réali-
sées, bien avant l’été 1962, en fonction d’une situation post-coloniale.
il en va tout autrement pour les dominicains dont l’adaptation aux
réalités de l’algérie nouvelle doit être repensée dans l’urgence. Deux terrains
d’observation permettent d’en prendre la mesure : la vie communautaire et
le type d’apostolat.
Dès l’indépendance, en efet, la communauté dominicaine se voit
contrainte de faire face aux remboursements des emprunts contractés lors
de l’édiication du couvent avec des ressources largement amputées par le
départ des paroissiens (l’assistance à la messe est divisée par six environ
entre janvier et juillet 1962). La situation inancière est « catastrophique »,
conie le prieur dans le bulletin provincial, à l’automne 1962 17. il faut
bientôt se résoudre à quitter le couvent albert-le-Grand, trop vaste et
inadapté (cinquante pièces dont deux salles de conférences et la biblio-
thèque). À la suite de la visite canonique du provincial en décembre, la
décision est prise de le mettre en location au proit d’un logement plus
modeste. Durant plusieurs mois, l’opération consistant à trouver un locataire
pour l’ensemble des bâtiments conventuels tout en préparant le repli sur
un nouvel espace de vie communautaire monopolise les forces du prieur.
À partir du 31 mai 1963, un appartement de douze pièces situé au 92 de
l’ancienne rue Michelet (désormais rue Didouche-Mourad) abrite les frères
prêcheurs d’alger tandis que l’ancien couvent est loué par les services de la
représentation diplomatique allemande en algérie. Situé à deux pas de la
nouvelle cathédrale et de l’université, ce nouveau cadre de vie ofre
une opportunité pour un type de présence inédit mais a d’abord été voulu
comme une solution de repli prise sous la contrainte des événements. Pour
ceux des dominicains qui ont regagné la métropole à la in de la guerre,
l’abandon de l’ancienne « Cité dominicaine » est assimilé à un renonce-
ment, voire à un reniement.
au déménagement correspond un réajustement des engagements
religieux. Si l’indépendance de l’algérie était envisagée au couvent comme
une possibilité depuis plusieurs années, le départ massif des pieds-noirs ne
l’était pas. Le maintien des dominicains se justiiait par la nécessité d’accom-
pagner religieusement la minorité européenne ain qu’elle trouve sa place

17. Pierre Le Baut, « Chronique du couvent d’alger », ut sint unum, 1er novembre 1962, p. 184.

103
tAngi cAVAlin et nAtHAlie Viet-dePAule

et s’emploie au service de la nouvelle nation algérienne. Dès l’automne


1962, le bilan pastoral dément cette ambition : « Que reste-t-il de nos
quinze mille rosaristes, de notre tiers-ordre, de la Paroisse universitaire, du
public de nos cours et conférences, des unions professionnelles, du Groupe
scout du P. Lefèvre... toutes œuvres où le combat cessa faute de combat-
tants 18 ! » Cette mise au chômage apostolique se traduit par le départ,
en décembre 1962, de deux religieux du couvent, réduisant la communauté
au statut de « maison » (moins de 8 religieux) en juin 1963. un an plus
tard, c’est la paroisse qui doit fermer. La sortie de guerre est un temps de
tâtonnements pour les dominicains qui explorent les modalités d’une inser-
tion d’un genre nouveau. rien de tel pour les prêtres de la Mission pour
qui le travail salarié est un moyen éprouvé de longue date de partager les
conditions de vie des populations (dès l’indépendance tous sauf un travaillent
ou s’y préparent : Jobic Kerlan par exemple est salarié dans les services
commerciaux du port d’alger, Dominique Lanquetot comme inirmier à
Hussein-Dey). Chez les dominicains, il n’est considéré avec sérieux qu’à
l’automne 1963, lorsque Pierre Le Baut envisage pour lui-même un emploi
à mi-temps dans un ministère et prospecte pour ses confrères auprès de la
radio-télévision algérienne ou dans des cours pour adultes à Belcourt. Mais
lorsque le père François Chavanes entre au ministère de l’agriculture après
un an de formation en France à l’irFeD (« Économie et Humanisme »), ce
qui fait de lui le premier salarié de la communauté dominicaine, il y a plus
de trois ans que l’algérie est indépendante. Dans ces conditions, la partici-
pation des frères prêcheurs à la naissance d’une Église algérienne revêt
un caractère somme toute très classique : aumônerie auprès des commu-
nautés de religieuses d’alger, conférences de culture religieuse, prédication
lors de la messe radiodifusée, animation de la Paroisse universitaire. Le
public atteint est pour l’essentiel européen, qu’il s’agisse des pieds-noirs
restés après 1962 ou des nouveaux venus de métropole au titre de la coopé-
ration. Des pistes novatrices sont certes étudiées (en particulier l’ouverture
d’une librairie-centre de documentation sous le double patronage des
éditions du Cerf et de la revue croissance des jeunes nations en liaison avec
« Économie et Humanisme » et le Secrétariat social d’alger) mais ne peuvent
aboutir à l’exception de la création, début 1964, de la revue Aujourd’hui
dont la ligne éditoriale, entre aggiornamento conciliaire et promotion
d’une algérianisation de l’Église, s’eforce d’ofrir une tribune au témoi-
gnage des catholiques d’algérie.
La réduction des efectifs de la communauté de la rue Didouche-Mourad
(voir le graphique) atteste de la diiculté des dominicains à s’insérer en
algérie après 1962, en dépit même de l’accès à la nationalité algérienne de
deux d’entre eux. Le départ des européens, l’abandon du couvent et la

18. ibid.

104
Feu lA cHrétienté d’Algérie

fermeture de la paroisse, l’absence de maîtrise de la langue arabe ou de


formation professionnelle, mais aussi les relations parfois diiciles avec
l’archevêque, Mgr Duval : tous ces éléments convergent pour placer les
religieux, au cours des premières années d’après-guerre, dans une situation
de porte-à-faux révélatrice de la diiculté de renouveler un mode de
présence conçu selon un idéal de chrétienté.

GraPHiQue 1. – évolution de la présence des dominicains et des prêtres de la mission de France


en Algérie jusqu’en 1972

Sans être exempte de diicultés, l’insertion des prêtres de la Mission de


France dans l’algérie dès les lendemains de l’indépendance tire au contraire
proit des années d’engagement, au nom de la mission, auprès des popula-
tions musulmanes. Le choix de rester en algérie après 1962 est celui de
toute une famille religieuse qui, année après année, en dépit de la chute des
vocations, assure le maintien et la formation d’un nombre constant
d’hommes vivant avec les algériens selon des modalités qui rappellent celles
qu’avaient initiées les prêtres-ouvriers quelques années auparavant. Dès
1956, au cours d’une assemblée générale de la Mission marquée par les
répercussions de l’expulsion de Souk-ahras, un rapport appelait à renforcer
la présence hors de la France métropolitaine et à instaurer un rapport dialec-
tique entre les insertions missionnaires où qu’elles se situent. La recherche
commune aux équipes de la Mission, en métropole comme outre-mer et,
bientôt, à l’étranger est airmée à nouveau lors de l’assemblée de 1959 et
devient une composante de la spéciicité de ce corps de prêtres. Son tiers-
mondisme naissant se nourrit de l’expérience de la guerre d’algérie que font

105
tAngi cAVAlin et nAtHAlie Viet-dePAule

nombre de ses équipes, au nord comme au sud de la Méditerranée et


l’assemblée de septembre 1962 donne naissance à une « commission tiers-
monde » ainsi qu’à un secrétariat permanent qui inscrivent dans l’institu-
tion la proclamation de solidarité avec les peuples nouvellement indépen-
dants 19.

Conclusion
en déinitive, pour la Mission de France comme pour l’Ordre des frères
prêcheurs, les modalités de la sortie de guerre, au-delà d’une com-
mune référence à la dimension missionnaire de l’Église, se sont avérées
étroitement dépendantes des positionnements prévalant au sein de la coni-
guration historique antérieure à 1962. La force de cette contrainte était telle
que le départ massif des populations européennes n’a pu qu’imparfaitement
l’efacer. Le jeu de miroirs entre ces deux composantes du catholicisme
distingue ainsi la rapide sortie de guerre de la Mission de celle, plus longue
et comme marquée par un phénomène d’hystérésis, des dominicains.

19. tangi Cavalin, nathalie Viet-Depaule, une histoire de la mission de France. la riposte missionnaire,
Paris, Karthala, p. 264-283.

106
Brèves remarques en marge de la communication
de Nathalie viet-Depaule et tangi Cavalin
Pierre Le Baut

il est des jours, où des écailles vous tombent des yeux. Ce fut le cas pour
moi le 5 juillet 1962, fête nationale de l’indépendance algérienne, après le
référendum du 2 juillet. Dans l’euphorie de cette paix et pour participer à
la liesse populaire, dans la matinée, je décidai d’aller me mêler à la foule
algérienne et de parcourir la ville. Je descendis donc des hauteurs du chemin
Laperlier et en arrivant au Carrefour télemly/Saint-Saëns, en haut de la rue
Claude Debussy, pour ceux qui connaissent alger, je fus doublé par
un camion débâché, empli de jeunes illes algériennes, arborant des drapeaux
vert et blanc et lançant à gorge déployées leurs youyous triomphants. Je dois
dire que j’étais en costume dominicain, c’est-à-dire en grande robe blanche,
rappelant celle des Pères Blancs et donc symbole d’une mission de conver-
sion. en me voyant, ces illes enthousiastes me gratiièrent d’un immense
et collectif « bras d’honneur » qui disait bien ce qu’il voulait dire !
Le coup fut tel pour moi, vêtu surtout de ma bonne conscience d’euro-
péen libéral, que je réalisai en un instant ce que signiiait objectivement
mon costume et que j’étais l’incarnation du troisième des trois M qui
symbolisent la conquête coloniale : Militaires, Marchands, Missionnaires
ou les trois C : Conquête, Commerce, Conversion.
aussitôt, je revins sur mes pas, remontai au couvent et m’habillai en
civil. Je redescendis en ville et traversai tout alger de la rue Michelet à la
place du Gouvernement et la basse Casbah, entraîné par une foule rayon-
nante de joie et de ierté.
après les accords d’Évian du 19 mars 1962, après les crimes de l’OaS
et de l’exode des européens en avril-juin 1962, après l’euphorie des premiers
jours de l’indépendance (je parle bien sûr pour ceux – rares – qui sont
volontairement restés en algérie et pour ceux qui y sont venus ou revenus
alors), il fallut s’installer dans une société où nous n’avions plus de références
idéologiques ni d’appuis sociologiques. et nous avons mis un certain temps,
si je puis dire, à ne pas trouver l’équilibre d’une véritable algérianisation.
L’avenir devait montrer et montre encore cinquante ans après, qu’il n’était

107
Pierre le BAut

pas véritablement possible de devenir algérien si on ne l’était pas sociologi-


quement de langue, de religion et de mœurs. une cinquantaine de prêtres
et de religieuses et quelques rares laïcs demandèrent et obtinrent la natio-
nalité algérienne (double nationalité prévue par les accords d’Évian). au
couvent d’alger, sur les trois à remplir les conditions prévues, François
Chavanes et moi fîmes la démarche, le troisième Pierre Claverie ne la it pas
pour des raisons personnelles. il devait devenir évêque d’Oran et mourir
assassiné dans des conditions demeurées mystérieuses. On a dit de lui qu’il
était « algérien par alliance »...
Six mois après l’indépendance de l’algérie, c’était le premier noël de la
perte d’à peu près tous les privilèges des européens restés en algérie dans
des conditions matérielles et psychologiques diiciles. et le premier noël
aussi pour des coopérants nouveaux venus par conviction politique, d’autres
pour suivre leur époux algérien ou pour raisons économiques plus favora-
bles qu’en France et se trouvant en situation souvent diicile. J’essayais de
leur remonter le moral en les ramenant au cœur de l’évangile des béatitudes.
il me semble encore aujourd’hui que je déinissais assez clairement l’essence
du message du Christ, de son humanisme intrinsèque, sans dogmatisme
théologique...
« Je suis sûr d’avoir le droit de vous dire en cette nuit que ce noël
algérien 1962 a grandes chances d’être plus vrai que les autres noëls que
nous avons vécus ensemble. Plus vrai que les noëls de guerre. Plus vrai
que les noëls heureux (apparemment) aux jours de l’abondance et aux
jours sans soucis, car c’est, pour la plupart, un noël de pauvreté (au moins
relative), un noël (pour certains) de dénuement. noël d’incertitude et, pour
beaucoup, de solitude. Mais tout cela, précisément, ne nous rapproche-t-il
pas de l’étable où naquit Jésus-Christ, à Bethléem de Judée ? – allons,
ouvrons les yeux et ne méprisons pas la grâce qui nous est faite ! Ou alors,
à quoi servirait la grande déclaration du Concile, le mois dernier, airmant
que l’Église voulait être une Église pauvre ? Si donc, ici et aujourd’hui,
l’esprit du Christ est entré matériellement, charnellement, dans nos vies,
c’est une chance qui nous a été donnée, par la manière forte, certes, et
douloureuse, de devenir plus chrétiens, d’être plus proches du Christ.
Saurait-il y avoir un noël plus vrai ? »
Or il se trouve qu’en ce même jour du premier noël après l’indépen-
dance, le président ahmed Ben Bella adressa un message de noël à la
population française d’algérie :
« Les diicultés actuelles, ni le regret nostalgique d’un passé condamné ne
sauraient ébranler votre coniance dans l’avenir d’un pays auquel vous restez
attachés. nous comprenons, certes, vos appréhensions et nous devinons
vos drames dissimulés, dus au malaise de la réadaptation. La célébration
de ce premier noël de l’indépendance se situe à un moment où notre pays
s’engage concrètement dans la voie de son édiication. Je vous renouvelle

108
BrèVes remArques

mes vœux de joyeux noël avec le souhait qui est une certitude, que l’an
prochain vous le fêterez dans la joie la plus sereine et la ierté d’avoir contri-
bué aux premières réalisations de la république algérienne, démocratique
et populaire. À tous et à toutes, je dis “Joyeux noël”. »
Ce texte, paru dans la presse algérienne le 23 décembre, a été publié en
extraits dans le monde du 26 décembre 1962. Le texte intégral de mon
sermon est paru dans la presse algéroise (la dépêche quotidienne d’Algérie)
le 26 décembre 1962. Chacun, à sa manière, exprimait ses convictions et
son optimisme.
notre spéciicité sacerdotale dans une vie professionnelle laïque était
rien moins qu’évidente. Dans une algérie musulmane, nous pouvions être
des religieux, à titre individuel et privé, des chrétiens portant leur témoi-
gnage personnel. Sans lien organique et sacramentel avec une communauté
pour laquelle nous avions été sacerdotalement ordonnés, nous n’avions plus
de raison d’être ou au moins d’être là et sans objectif missionnaire avoué
nous étions soupçonnables de prosélytisme secret. Le clergé paroissial local,
devenu aumônier des coopérants et des personnels d’ambassades, pouvait
encore s’aicher tel et justiier de façon très oicielle sa présence. Les
religieuses hospitalières et enseignantes, pour un temps, pouvaient être
désirées ou tolérées au titre de la bienfaisance à l’égard d’une « clientèle »
musulmane très solliciteuse. Mais nous, religieux dominicains, étions, me
semblait-il, en quelque sorte « réduits à l’état laïc ». Ceux qui le pouvaient
avaient pris un emploi laïc : François Chavanes dès juillet 1965 comme
fonctionnaire au ministère de l’agriculture, moi-même d’abord au minis-
tère des Habous (cultes) en janvier 1966 puis comme psychologue dans
diverses sociétés nationales algériennes (Sonatrach, Sonathyd, DnC-anP,
expansial), le frère Christian donnant quant à lui des cours du soir de
mathématiques. nous avions fait plus que revêtir l’habit laïc, nous en avions
adopté l’état. en algérie, nous étions des hommes comme les autres et
avions en un sens perdu notre identité. Bref, notre situation en algérie était
très ambiguë, avec aux yeux de certains, un relent de néo-colonialisme larvé
et un soupçon de prosélytisme rampant. ainsi, les quelques rares religieux
restés délibérément en algérie indépendante se sont-ils mis, chacun à la
mesure de ses compétences, professionnellement au service du pays,
vraiment sans aucune arrière-pensée.
en 1969 a été publié au Journal oiciel un décret, préparé depuis 1966
(je l’avais rédigé quand je travaillais au ministère des Habous) allouant
une rétribution aux ministres des cultes chrétiens (catholiques et protes-
tants) et israélite. Pour cela, il fallait être de nationalité algérienne, en charge
d’une paroisse et la rémunération était au plus bas de celle des imams,
sans évolution de carrière. Furent concernés moins de dix prêtres catholi-
ques, cohorte en voie d’extinction pour cause de décès ou de départ à la
retraite.

109
Pierre le BAut

au temps de la colonisation régnait la séparation des églises et de l’État.


Le clergé n’avait aucune situation particulière. Ses ressources provenaient
de sa clientèle. actuellement, le clergé catholique local n’est plus dans la
même situation : la population chrétienne, très réduite et peu fortunée,
est, pour l’essentiel, composée des étudiants d’afrique sub-saharienne,
l’archevêque d’alger est arabe jordanien, le clergé est composé de prêtres
restés en algérie, quelques rares parmi eux sont de nationalité algérienne.
autre est le problème des églises évangéliques, dont le clergé est en général
autochtone, accusé peut-être non sans raisons de prosélytisme et mal accepté
par les autorités algériennes qui entendent bien les faire demeurer dans le
strict respect de la loi d’un État dont la religion oicielle est l’islam. en efet,
la constitution algérienne déclare que l’islam est religion d’État, mais res-
pecte et protège les autres religions. elle les encadre aussi et ixe leurs
limites : les cultes ne peuvent être pratiqués que dans des lieux oiciels
autorisés et les conversions de musulmans vers d’autres religions sont
proscrites, l’inverse n’étant pas vrai. Pour l’année 2012 le ministère des
cultes reconnaissait 500 conversions à l’islam et 50 conversions au christia-
nisme (dont la plupart auraient été suivies d’un retour à l’islam), ce qui,
pour une population de 37 millions d’habitants est plus que marginal.
Cinquante ans après la naissance de la république algérienne, la page
de l’Église venue en algérie dans les fourgons de la puissance coloniale
est tournée. Quelle autre page s’écrira-t-elle dans les cinquante prochaines
années ? – aux futurs historiens de la lire.

Pierre Le Baut, né à Blida en 1925, de parents professeurs, dominicain


de 1947 à 1972, a soutenu une thèse de lectorat en théologie à l’université
pontiicale du Saulchoir (Paris) en 1955. Élu et réélu prieur du couvent
d’alger de 1958 à 1970, il a été responsable des émissions religieuses de
l’Église d’algérie de 1958 à 1970, directeur des cahiers religieux d’Afrique
du nord de 1957 à 1961 et de la revue Aujourd’hui (alger) de 1964 à 1968,
Vicaire provincial pour les couvents du Monde arabe de 1969 à 1972.
Marié à Paris en 1972, il a été directeur du personnel et de la formation
au Centre national d’art et de culture Georges Pompidou (Beaubourg) de
1974 à 1990.
retraité, il a été responsable du Bulletin de la société des études
camusiennes (Paris) de 1990 à 2005.

110
L’Algérie,
les Accords d’Évian et l’OtAN
Jenny raflik-Grenouilleau

une rélexion sur l’alliance atlantique dans un volume consacré aux


efets des accords d’Évian peut surprendre. Que vient faire l’Otan dans
l’afaire algérienne ? La question nous plonge au cœur de l’un des paradigmes
essentiels de la politique française entre 1945 et 1962. Confrontée à la fois
à la guerre froide et à la décolonisation, la politique de la France à l’égard
de l’alliance atlantique constitue un exercice d’équilibre permanent ain de
concilier défense de l’europe – et du territoire national – et défense de
l’empire. C’est ainsi que la France fait directement appel à l’aide de l’Otan
(sans grand succès, il est vrai) en indochine 1 et que l’alliance se trouve
impliquée dans la guerre d’algérie.
Le lien entre les États-unis et la guerre d’algérie a été récemment appro-
fondi par l’ouvrage d’irwin Wall 2. Mais le rôle et la place de l’Otan dans
le conlit algérien, en revanche, n’a pas encore été étudié de façon spéci-
ique. Or, des sources permettent désormais de le faire : les archives du
ministère français des afaires étrangères, celles du Service Historique de la
défense et bien sûr de l’Otan.
Ces archives montrent que l’algérie occupe une place essentielle, mais
souvent non dite, dans la stratégie de l’alliance – non sans une certaine
schizophrénie des acteurs en présence et notamment des États-unis. À la
veille des accords d’Évian, si tout le monde se réjouit de la in du conlit
dans les instances atlantiques, on en étudie ainsi avec inquiétudes les consé-
quences sur l’alliance et les pertes que cela peut représenter. Surtout, on
cherche immédiatement comment sauvegarder, malgré l’indépendance, les
atouts stratégiques que l’afrique du nord représente pour l’Otan. en cela,
nous chercherons ici à démontrer que les conséquences des accords d’Évian
sur le Pacte sont moins celles d’un déménagement que d’un (ré)amé-
nagement.
1. Jenny raflik, « Les dissensions franco-américaines sur la politique indochinoise de la France,
1950-1954 », publication en ligne [http ://www.diploweb.com].
2. irwin Wall, les états-unis et la guerre d’Algérie, Paris, Soleb, 2006.

111
Jenny rAFlik-grenouilleAu

L’OtAN et l’Algérie : importance politico-stratégique


Pour saisir cette implication, il nous faut revenir à la négociation du
traité de Washington, en 1949. Le cas de l’afrique du nord et en particu-
lier de l’algérie, a suscité de vives tensions entre les Français et leurs futurs
alliés, surtout les États-unis. Le projet de traité proposé par les Français
prévoyait la couverture de la totalité des territoires d’afrique du nord. Les
américains souhaitaient eux exclure tout territoire non européen, mais
intégrer l’ensemble des terres américaines 3. il est essentiel, pour comprendre
la suite, de noter que l’insistance que les Français mettent à obtenir la
couverture de l’algérie par le traité de Washington n’est pas uniquement
motivée par des préoccupations politiques ou juridiques. Ce sont des consi-
dérations stratégiques qui l’emportent. Le général Juin souligne :
« relais maritime de toutes les entreprises occidentales en Méditerranée,
soit vis-à-vis de l’europe centrale ou méridionale, soit vis-à-vis du
Proche Orient, arrière logistique de ces théâtres, plate-forme aérienne
dominante tant pour le contrôle maritime que pour les actions aériennes à
longue portée : telle est la valeur que l’afrique du nord représenterait pour
la coalition atlantique dans le cadre d’un nouveau conlit mondial 4. »
L’aFn représente dans le dispositif occidental une zone de repli,
un point éventuel de redéploiement, une base de soutien logistique et
opérationnel. Ces raisons stratégiques, qui trouvent leurs racines dans l’his-
toire de la Seconde Guerre mondiale, sont d’ailleurs validées par le Grand
Quartier général des forces alliées en europe, le SHaPe, dans les années
suivantes 5.
Pour la France, qui plus est, l’afrique du nord, est un facteur de
puissance. Ses bases (Bizerte, Mers el-Kebir) constituent des atouts justiiant
la position de « 3e grand » de l’alliance au sein du Groupe Permanent.
Soulignons le consensus politique existant sur ce point :
« il faut dire “aux alliés qui n’ont pas assez compris – parce qu’on ne leur
a peut-être pas fait comprendre – que la Méditerranée et non plus le rhin,
est l’axe même de notre sécurité, donc de notre politique étrangère”, déclare
ainsi François Mitterrand le 30 septembre 1957, au cours d’un débat sur
l’algérie. Défense nationale et défense de l’Occident s’unissent donc pour
justiier l’efort militaire en algérie 6. »

3. Caran, 552aP71, papiers auriol, Proposition américaine de traité de l’atlantique nord,


28 décembre 1948.
4. Guillaume (général d’armée), « L’importance stratégique de l’afrique du nord », revue de défense
nationale (rdn), avril 1953, p. 424.
5. MaeF, Service des Pactes, dossier 184, lettre du SHaPe aux représentants militaires nationaux de
la France et des États-unis, 22 février 1952.
6. Samya el Machat, les états-unis et l’Algérie, de la méconnaissance à la reconnaissance 1945-1962,
Paris, L’Harmattan, 1996, p. 93.

112
l’Algérie, les Accords d’éViAn et l’otAn

De fait, dès 1949, Paris obtient que les départements français d’algérie
soient inclus dans la zone d’action de l’Otan. Par conséquent, lorsqu’à
partir de 1950 l’alliance met en place sa force armée intégrée, l’algérie est
concernée par des investissements importants au titre de l’infrastructure
commune et des installations permanentes, occupées par des troupes au
double statut, national et Otan (bases aériennes, zones d’entraînement).
Le prélèvement récurrent de divisions françaises afectées à la défense de
l’europe et envoyées par la France en algérie, au nom de la défense
commune, illustre néanmoins tous les malentendus entre la France et
l’Otan 7. À partir de 1954, la France retire progressivement trois divisions
d’allemagne (la 2e DiM, la 7e DMr et la 5e DB), privant ainsi l’Otan de
ses meilleures unités dans le secteur Centre europe. alors que les alliés
s’inquiètent de voir la France dégarnir la défense sur le rhin, les Français
répondent que le danger vient du Sud et qu’en défendant l’algérie ils défen-
dent l’europe. L’attitude de leurs alliés les encourage d’ailleurs. alors que
toutes les tentatives françaises pour obtenir l’inclusion dans l’Otan du
Maroc et de la tunisie échouent 8, les États-unis multiplient les demandes
de facilités dans ces territoires, au nom de la défense commune.
tout cela rend particulièrement complexe l’étude de la position de
l’Otan en aFn. L’essentiel des installations américaines est au Maroc,
mais sans statut Otan. Des installations françaises, en algérie, disposent
d’un inancement et donc d’un statut Otan, mais sans être pour autant
assujetties aux commandements atlantiques, puisque des conventions parti-
culières sont négociées. Là encore, la position française est d’ailleurs contra-
dictoire. en efet, si « l’algérie, c’est la France », les conventions applicables
aux forces alliées en métropole ne le sont pas en algérie.
Pour essayer de mieux comprendre ce que représente l’algérie pour
l’Otan, il faut donc analyser la réalité de son implantation sur le sol
algérien au moment des accords d’Évian.

Les formes de présence de l’OtAN en Algérie en 1962


L’implantation de l’Otan en algérie est d’abord inancière – et ce, au
titre de ce que l’on appelle dans le jargon atlantiste les dépenses d’infras-
tructures communes 9. Ces dépenses consistent en une aide inancière,
souvent importante, apportée par l’ensemble des nations alliées à la

7. Otan, iS005, PV d’une réunion du Conseil tenue au Palais de Chaillot, mercredi 17 novembre 1954,
à 10 h. 15, C-r(54)43, 19 novembre 1954.
8. Jenny raflik, « Élargissements et non élargissements, débats et opposition chez les décideurs français,
1950-1955 », dans l’europe et l’otAn face aux déis des élargissements de 1952 et 1954, Bruxelles,
Bruylant, 2005, p. 89-106.
9. Otan, aC/4-M/40, Comité de l’infrastructure, mémorandum du Contrôleur pour l’infrastructure,
directives techniques – installation de bases navales de l’infrastructure commune Otan,
23 juillet 1955.

113
Jenny rAFlik-grenouilleAu

construction ou à la mise aux normes Otan d’installations jugées essen-


tielles à la défense commune. La détermination des programmes d’infras-
tructure Otan est un mécanisme complexe, mettant en jeu dans le
processus de décision tous les acteurs concernés : la nation hôte, en l’espèce
la France, le commandement subordonné, ici à la fois Centre-europe, le
commandement Méditerranée et le SHaPe, puis le Conseil atlantique. Or,
en algérie, ces investissements sont de grande ampleur pour les « tranches »
(programmes budgétaires de travaux) iV à X. Mais l’algérie n’est concernée,
dans ces dépenses, que comme partie d’un ensemble, l’afrique du nord. et
si une grande partie des travaux concernent Oran-Lartigue et Mers el-Kebir,
c’est en réalité toute l’aFn qui est concernée, y compris la base de Bizerte
en tunisie et le Maroc 10.
en ce qui concerne le territoire algérien, les infrastructures considérées
comme Otan, car inancées par l’Otan, sont les suivantes :
– la base aéronavale d’Oran Lartigue (mise aux normes Otan 11 de la
piste d’envoi est-Ouest, taxiway parallèle (accotements), taxitracks (surfaces
bétonnées nouvelles et accotements), aires de dispersion, plateformes
d’alerte, aires d’entretien des avions, routes intérieures, aires pour automo-
biles, plateforme GCa, évacuation des eaux, dispositif de démolition, butte
de tir) ;
– la base navale de Mers el-Kebir : là, l’efort se concentre sur les capacités
souterraines de la base, pour l’adapter à la montée en puissance des armes
atomiques. environ 1 500 militaires doivent pouvoir vivre sous le Santon.
Cela implique l’aménagement du quai i. G. M. Monnier, destiné à être
utilisé par les forces navales de l’Otan opérant en Méditerranée, au titre
de quai de réparation. Sont également aménagés deux magasins souterrains
dont celui de Santa Cruz, le dépôt souterrain d’hydrocarbure du Santon,
le dépôt souterrain de munitions de l’Oued el Bachir et des équipements
électriques à Monte Christo et Santa Cruz.
S’y ajoutent les installations de transmission pour le commandement
interallié de la zone méditerranée occidentale :
– la station d’émission d’alger Baraki ;
– la station de réception d’alger Boufarik ;
– la liaison troposphérique Gibraltar-Oran ;
– la liaison troposphérique Oran-alger ;
– la liaison hertzienne Bône-Sardaigne et alger-Constantine-Bône
(inancée à 40 % par l’Otan).
et est prévue, au moment de la signature des accords d’Évian, la
construction, sur fonds Otan, du Quartier général de COMeDOC
10. « La plus haute priorité doit être accordée aux projets d’Oran et Bizerte », recommandation du
Groupe Permanent au Comité Militaire sur le programme d’infrastructure commune pour 1953,
Otan, MC32/3, appendice C à la pièce jointe a, bases navales de SHaPe.
11. MaeF, service des Pactes, 103, lettre du ministre de la Défense nationale au représentant permanent
de la France au Conseil de l’Otan, n° 959Dn/SG, 3 mai 1954.

114
l’Algérie, les Accords d’éViAn et l’otAn

(commandement Méditerranée occidentale) qui doit échoir à un oicier


français 12.
au total, le coût des travaux à Mers el-Kebir s’élève à 7,704 milliards de
francs 13 et la mise aux normes Otan de la base aéronavale de Lartigue, à
proximité d’Oran à 3,183 milliards.

Le cadre d’application OtAN en Algérie


Pour comprendre ce que ces investissements impliquent, il faut regarder
de près la déinition donnée par l’alliance à la notion d’infrastructure
commune. ain de bénéicier de inancements Otan, les installations
doivent « assurer le soutien matériel des plans opérationnels et permettre
au commandement supérieur de fonctionner et aux diférentes forces
d’opérer avec eicacité 14 ». elles doivent présenter plusieurs caractéristi-
ques : la nation hôte doit appartenir à l’organisation ; l’installation doit
trouver sa place dans les plans d’opérations du haut commandement, elle
doit répondre aux besoins d’au moins une nation de l’alliance, dite nation
utilisatrice, diférente de la nation hôte. enin, l’installation ne doit pas faire
double emploi avec une autre déjà existante 15. tout cela implique que la
nation hôte doit être la France et non l’algérie et que des forces alliées
autres que françaises doivent s’en servir (en l’occurrence, les demandes
d’utilisation émanent des américains, des Britanniques et des italiens).
Pour ces raisons, l’appel au inancement de l’infrastructure com-
mune pour l’aFn n’a pas manqué de susciter quelques réserves en France.
Dès le dépôt d’une demande, la procédure Otan suppose que les travaux
soient soumis au contrôle des organismes atlantiques, même s’ils sont
conçus et réalisés par le pays hôte. Cela implique des études, des reconnais-
sances et des visites, « autant de raison pour que des oiciers des armées
alliées ou même des civils aient à se déplacer de façon visible dans des terri-
toires particulièrement sensibles au point de vue politique 16 ». Concrètement,
pour voyager en algérie, un militaire de l’Otan se doit d’être muni
d’une lettre de l’État-major de la défense nationale, de sa carte d’identité et
d’un ordre de déplacement de ses supérieurs 17. La France est donc informée.

12. MaeF, Service des Pactes, 383, note de l’État-major de la défense nationale au service des Pactes,
n° 1519/eMGDn/aG/eX, sur les installations ayant bénéicié en algérie de inancement Otan,
15 mai 1961.
13. Chifres donnés par Jean-Charles Jaufret et Maurice Vaïsse (dir.), militaires et guérilla dans la guerre
d’Algérie, Bruxelles, andré Versailles, 2012.
14. Otan, aC/29-D/3, Groupe de travail sur la déinition de l’infrastructure commune, rapport au
Conseil, 20 janvier 1953.
15. ibid.
16. SHat 8Q252, étude du SGPDn sur le programme révisé d’infrastructure Otan, iVe tranche,
très secret, 10 décembre 1952.
17. MaeF, Service des Pactes, 383, lettre de Pierre de Leusse (Service des Pactes) au Secrétaire général
de l’Otan, 3 janvier 1961.

115
Jenny rAFlik-grenouilleAu

Mais au-delà des visites « individuelles » d’oiciers ou de techniciens, la


réalisation du programme Otan ouvre la voie à la présence de contingents
alliés importants en algérie. À la demande de la France, des restrictions y
sont apportées, comparativement aux installations de même type sur le
territoire métropolitain : le gouverneur doit être consulté sur la région
d’implantation des terrains et champs de tir ; les travaux doivent être coniés
à des entreprises françaises ; le personnel sédentaire des bases doit être
français ; les éléments alliés devant séjourner par roulement, sans installation
de familles.
Mais la France ne peut de toute façon inancer seule les travaux néces-
saires à Mers el-Kebir et Oran. et ces compromis sont donc le moins qu’elle
puisse accepter. L’amiral nomy explique :
« il fut un temps où le inancement des travaux de Mers el-Kébir (le seul
grand chantier de la Marine) n’était envisagé que dans le cadre national,
pour en garantir sans discussion possible la propriété française. nous avons
dû changer de formule, sous peine d’arrêter les travaux 18. »
Dans les faits, des alliés sont donc présents sur le sol algérien, mais la
France contrôle étroitement cette présence et veille à ce qu’elle soit discrète.
ainsi, sur l’aérodrome maritime d’Oran-Lartigue, les troupes permanentes
sont françaises. Les alliés utilisent bien les installations, mais seulement à
des ins d’escales techniques, donc sur la courte durée, par roulement. Les
stations d’émission et de réception de Baraki et Boufarik sont utilisées pour
1/3 du traic en 1960 au proit des liaisons Otan, mais une liaison ne se
distingue pas d’une autre pour l’observateur extérieur. Sur la base navale de
Mers el-Kebir, 2 000 tonnes de munitions alliées sont entreposées. Mais les
accords d’utilisation des installations souterraines, prévus dès le début des
travaux, n’ont jamais été signés, en raison de la lenteur des négociations 19.
au inal, la présence Otan est liée aux exercices de l’alliance en
Méditerranée (escales de bâtiments à Mers el-Kebir, entraînements aériens
à Oran-Lartigue pour les pilotes du commandement méditerranéen, entraî-
nement au tir sur les installations de ces deux bases...), c’est une présence
contrôlée, non permanente et surtout, discrète.

L’OtAN, enjeu de la guerre d’Algérie ?


Cette discrétion ne résulte pas seulement de la volonté, pour la France,
de souligner son indépendance politique. elle vient aussi de ce que, tout
comme la guerre d’indochine, la guerre d’algérie igure au croisement de
18. SHM, 3BB8CSM5, exposé de l’amiral nomy, chef d’état-major général de la Marine, sur la politique
navale française, secret, novembre 1953.
19. MaeF, Services de liaison avec l’algérie, 1957-1966, 2900/56, note du général d’armée ailleret,
chef d’État-Major des armées, au ministre des afaires étrangères, au sujet de [abré. a. s.], infras-
tructure Otan en algérie, n° 020eMa/OrG.4, 14 février 1963.

116
l’Algérie, les Accords d’éViAn et l’otAn

la décolonisation et de la guerre froide. C’est en cela que l’Otan y trouve


sa place. et c’est aussi pour cela que son commandement souhaite que sa
présence n’y soit pas trop tapageuse.
Le type de combats menés (une guerre révolutionnaire) et les soutiens
internationaux aux insurgés algériens (l’Égypte de nasser, la Chine, l’urSS)
constituent autant d’éléments qui ne peuvent qu’intéresser les responsables
de l’Otan. en France, l’opposition à la guerre d’algérie vient du parti
communiste. Le FLn lui-même utilise une rhétorique proche de celle du
PCF, en airmant combattre « l’impérialisme », le « colonialisme », le « capi-
talisme », les « proiteurs et gros bourgeois ». De ce fait, la guerre d’algérie
s’intègre dans la guerre froide. On voit de suite la conséquence pouvant
résulter d’un tel raisonnement : alors que pour Paris une solution politique
à la crise algérienne est progressivement envisagée, l’abandon de l’algérie
ne peut signiier, dans une perspective de guerre froide, qu’un nouveau et
impensable recul face au communisme international, ainsi qu’une menace
directe sur la frontière sud de l’europe et de la France. C’est dans cet esprit
que le général Challe, en 1961, met en relation l’intégration atlantique de
l’armée française et la défense de l’algérie française. un lien qui apparaît,
de ce fait, à la fois comme un atout et un handicap pour le gouvernement
français et ses alliés.
Mais surtout, il ofre un angle d’attaque au « camp ennemi ». Le GPra
a dénoncé bien avant l’indépendance le traité de l’atlantique nord. Lors de
la conférence des Ministres des afaires Étrangères arabes, au Liban,
en août 1960, Krim Belkacem fait adopter 4 résolutions sur l’algérie.
L’une consiste à « attirer l’attention des États atlantiques sur les conséquences
graves qui résulteraient de l’emploi par la France des armes et du matériel
de l’Otan dans des actions agressives impérialistes en algérie ». Dans sa
déclaration du 16 septembre 1960, le gouvernement provisoire airme « que
l’algérie a été incluse dans le Pacte atlantique sans le consentement du
Peuple algérien [...] que les Puissances du traité de l’atlantique nord n’ont
cessé d’apporter à la France, dans la guerre d’extermination et de reconquête
coloniale qu’elle mène depuis six ans en algérie, un appui d’ordre militaire,
inancier et diplomatique 20 » et airme que la garantie donnée aux territoires
algériens par l’Otan met en danger la sécurité de tout le Maghreb. Ben
Khedda reprend ces arguments dans un discours le 19 mars 1962 21. Si cela
n’empêche pas le GPra de rechercher les soutiens de pays communistes,
jouant lui aussi le jeu de la guerre froide, cela attire l’attention des opinions
publiques occidentales sur la présence de l’Otan en algérie. L’algérie
devient ainsi une fragilité pour la solidarité atlantique.
20. Maurice Flory, « algérie algérienne et Droit international », Annuaire français de droit international,
vol. 6, 1960, p. 973-998.
21. MaeF, Service des Pactes, 383, note du service des Pacte à l’attention de M. Seydoux, en vue du
Conseil des ministres du 9 janvier 1962, a. s. l’indépendance de l’algérie et le champ d’application
de l’article 6 du traité, 4 janvier 1962.

117
Jenny rAFlik-grenouilleAu

Les États-unis se trouvent « coincés » entre une population aux senti-


ments anticolonialistes vifs et leurs intérêts géostratégiques en aFn. De ce
tiraillement naissent toutes les rumeurs possibles, lesquelles explosent lors
du pustch d’alger en avril 1961. Selon une version extrême, le journal
britannique sunday dispatch 22 airme que des oiciers généraux américains
de l’Otan ont encouragé la mutinerie d’alger en promettant un appui
militaire et inancier 23. Sans aller aussi loin, la presse dans son ensemble et
surtout dans les pays de l’Otan, rappelle que Challe était un an aupara-
vant commandant du secteur Centre-europe et donc un des oiciers les
plus importants de l’organisation atlantique. Pourtant, signalons-le, au
moment des événements d’alger, le général norstad, SaCeur, propose
au gouvernement français une aide militaire pour rétablir l’ordre et assurer
la défense de la France 24. et symboliquement, Stikker, le Secrétaire général
de l’Otan, s’adresse au Conseil en français et non en anglais comme à son
habitude, le 26 avril, pour exprimer la solidarité atlantique au gouverne-
ment français face aux événements d’alger.
Comment, alors, adapter accords Otan et accords d’Évian ? Les intérêts
de l’Otan en algérie sont, en efet, trop importants pour que les accords
d’Évian n’impactent pas l’organisation.

réviser le texte du traité ?


Cela découle tout d’abord du texte du traité, qui dans son article Vi,
tel qu’il est négocié en 1949, stipule très exactement :
« est considéré comme une attaque armée contre une ou plusieurs des
parties une attaque armée : contre le territoire de l’une d’elles en europe
ou en amérique du nord, contre les départements français d’Algérie 25...
Contre les forces, navires ou aéronefs de l’une des parties se trouvant sur
ces territoires [...] ou se trouvant sur la Méditerranée ou dans la région
de l’atlantique nord au nord du tropique du Cancer ou au-dessus de
ceux-ci ».
Or, les accords d’Évian modiient deux choses : les départements français
d’algérie n’existent plus et le nouveau gouvernement ayant autorité sur ces
territoires n’est pas membre de l’Otan (le GPra ayant condamné le Pacte
atlantique dans le passé, il est évident qu’il ne candidatera pas).
Faut-il alors réviser le texte du traité ? La chose est possible, mais ne
semble pas opportune en 1962. une procédure de révision implique l’accord

22. 1 600 000 exemplaires.


23. MaeF, Service des Pactes, 383, télégramme de Chauvel à service des Pactes, n° 1377, Londres,
30 avril 1961.
24. MaeF, Service des Pactes, 383, note de la délégation française au conseil atlantique pour le ministre,
secret, n° 230, a. s. des États-unis et des événements d’algérie, 25 avril 1961.
25. en gras dans le texte.

118
l’Algérie, les Accords d’éViAn et l’otAn

de chaque gouvernement membre et une nouvelle procédure de ratiication


par l’ensemble des États parties au traité. ni la France, ni aucun de ses
partenaires atlantiques n’envisagent sérieusement de se lancer dans une telle
procédure.
Faut-il laisser le texte tel quel, considérant que la disparition des dépar-
tements français d’algérie suite aux accords d’Évian suit en soi au niveau
juridique ? Le Quai d’Orsay le juge possible, mais peu prudent 26. Ce serait
s’exposer à ce que le gouvernement algérien se saisisse de l’afaire. Mieux
vaut pour la France garder l’initiative. Le choix français s’oriente vers
une troisième solution, celle d’une déclaration devant le conseil de
l’Otan 27, faite le 16 janvier 1963. Le texte en est le suivant :
« Par le scrutin d’autodétermination du 1er juillet 1962, le peuple algérien
s’est déclaré en faveur de l’indépendance de l’algérie en coopération avec
la France. en conséquence, le 3 juillet 1962, le Président de la république
française a solennellement reconnu l’indépendance de l’algérie.
il résulte de cet état de choses que les “départements français d’algérie”
n’existent plus en tant que tels et que l’on voit tomber du même coup les
conséquences qu’impliquait la mention qui en est faite dans le traité de
l’atlantique nord.
On doit donc, à l’avis du gouvernement français, constater que sont
devenues sans objet, en ce qui concerne l’algérie, les garanties apportées
par l’article 6 du traité tel qu’il a été révisé par l’article ii du protocole
d’accession au traité de l’atlantique nord de la Grèce et de la turquie. il
en est ainsi de la garantie concernant le territoire des anciens départements
français d’algérie qui se trouve stipulée au paragraphe 1 de l’article 6 révisé
et il en est de même de la garantie donnée, sur le même territoire d’après
le 2è paragraphe de cet article, aux forces des États parties au traité de
l’atlantique nord 28. »
Dès lors, une note de bas de page apparaît dans les versions publiées du
traité de Washington :
« Le 16 janvier 1963, le Conseil de l’atlantique nord a noté que, s’agissant
des anciens départements français d’algérie, les clauses pertinentes du traité
étaient devenues inapplicables à la date du 3 juillet 1962. »

26. MaeF, Service des Pactes, 383, note du service des Pacte à l’attention de M. Seydoux, en vue du
Conseil des ministres du 9 janvier 1962, a. s. l’indépendance de l’algérie et le champ d’application
de l’article 6 du traité, 4 janvier 1962.
27. MaeF, Service des Pactes, 383, note du service des Pactes en vue du Conseil des ministres,
a. s. indépendance de l’algérie et article Vi du traité de l’atlantique nord, 26 juin 1962.
28. MaeF, Service des Pactes, 383, télégramme de François Seydoux, rePan, n° 14, 16 janvier 1963.

119
Jenny rAFlik-grenouilleAu

Conserver les installations militaires OtAN


après les accords d’Évian ?
La modiication éventuelle du traité laisse en suspens le principal
problème. L’Otan, en algérie, c’était surtout des installations militaires à
Mers el-Kebir et Oran-Lartigue. Or, les accords d’Évian prévoient de
remplacer Oran-Lartigue par Bou Sfer et stipulent que la base de Mers
el-Kebir sera mise pendant 15 ans (bail renouvelable) à la disposition de la
France. Mers el-Kebir ne sera cependant pas sous souveraineté française.
Qu’en est-il alors de la garantie Otan sur cette base et des possibilités de
inancement et donc d’utilisation, de l’Otan 29 ?
il s’agit, dans un premier temps, d’aménager les installations militaires
(pour en sauvegarder l’intérêt à la fois sur le plan national et sur le plan
atlantique) plus que de les déménager. Mais cet « aménagement » ne va pas
de soi. et à ce sujet, les diplomates et militaires français ne s’accordent
guère, c’est le moins que l’on puisse dire, tant à propos des conséquences
des accords d’Évian pour les bases situées sur le territoire algérien qu’à celui
de leur place dans les mécanismes de l’Otan. trois questions principales
se posent :
– Qu’en est-il de la couverture par l’Otan des installations militaires
restées à la disposition des Français après les accords d’Évian ?
– Doit-on continuer à prévoir l’utilisation possible de la base en cas de
guerre par SaCeur pour la défense de la zone du commandement allié en
europe, telle que prévue par document MC53 ?
– Pour l’infrastructure, La France doit-elle renoncer aux crédits en
cours ?

La couverture OtAN des installations militaires


restées à la disposition des Français
alors que certains, au service des Pactes du quai d’Orsay, estiment
que « de toute manière, nos forces navales à Mers el-Kebir restent couvertes
par l’article Vi du traité qui vise les navires “se trouvant sur la mer
Méditerranée” 30 », d’autres soulignent que, d’après les accords d’Évian,
même si les autorités françaises conservent l’usage de Mers el-Kebir,
elles ne sont que « locataires », en quelque sorte, des installations sous
souveraineté algérienne. Or si la souveraineté est algérienne et non française,
le pacte ne les couvre pas... du moins, pas dans les eaux territoriales

29. MaeF, Service des Pactes, 383, note du service des Pacte à l’attention de M. Seydoux, en vue du
Conseil des ministres du 9 janvier 1962, a. s. l’indépendance de l’algérie et le champ d’application
de l’article 6 du traité, 4 janvier 1962.
30. MaeF, Service des Pactes, 383, note du service des Pactes en vue du Conseil des ministres, a. s.
indépendance de l’algérie et article Vi du traité de l’atlantique nord, 26 juin 1962.

120
l’Algérie, les Accords d’éViAn et l’otAn

algériennes 31. Pour le général Guillaume, il est clair que « ni le territoire de


Mers el-Kebir, ni les forces françaises stationnées en algérie ne resteront
couverts par le traité de l’atlantique nord après le scrutin d’autodétermi-
nation 32 ». Seule la haute mer l’est par la partie du texte du traité mention-
nant la mer Méditerranée.
Le vide juridique est total. Les accords d’Évian ne précisent en aucun cas
si la France peut utiliser ses installations militaires en algérie à des ins
internationales ou seulement nationales. D’ailleurs, la France faisant partie
de l’Otan et de son armée intégrée, la notion même de défense purement
nationale a peu de sens. Quant aux alliés atlantiques, pourraient-ils consi-
dérer une attaque de Mers el-Kebir comme un casus belli ? « On voit mal
comment une attaque contre nos forces en algérie pourrait être dirigée de
l’extérieur sans qu’il y ait au moins complicité du gouvernement algérien
futur, sauf en cas de guerre générale 33. » Dans le cas d’une attaque extérieure,
les alliés agiraient sans nul doute, car le conlit serait généralisé. Mais dans
le cas d’une attaque venant de l’intérieur, de l’algérie, c’est moins certain.

La possibilité d’emploi de la base


pour la zone de commandement allié
« MC53 » est le document déinissant les attributions de SaCeur,
rédigé par le Groupe permanent, sur proposition du comité militaire de
l’Otan. Le paragraphe 8 de ce document stipule :
« Le contrôle et la défense de l’aFn française, zone qui ne fait pas partie
de la zone du commandement allié en europe, sont placés sous la responsa-
bilité directe de la France qui donnera à SaCeur dans cette zone toutes les
facilités voulues pour la conduite de ses opérations. SaCeur sera habilité à
mener dans cette zone toutes les opérations de combat qu’il estimera néces-
saire pour la défense de la zone du commandement allié en europe 34. »
en 1962 se pose la question suivante : faut-il supprimer toute responsa-
bilité de SaCeur en aFn ou y maintenir Mers el-Kebir ? une jurispru-
dence est disponible, dans le même document :
« Les bases de la Grande-Bretagne en Méditerranée sont des bases natio-
nales. Leur défense est placée sous la responsabilité directe des autorités
britanniques qui donneront à SaCeur toutes les facilités voulues pour
qu’il puisse remplir eicacement sa mission. »
31. MaeF, Service des Pactes, 383, lettre de J.-D. Jurgensen, représentant permanent adjoint de la
France auprès de l’Otan, au service des Pactes, a. s. problème de l’algérie par rapport au traité de
l’atlantique nord, n° 458, 9 juillet 1962.
32. MaeF, Service des Pactes, 383, lettre du général Guillaume à ruin, service des Pactes,
21 mai 1962.
33. MaeF, Service des Pactes, 383, note du service des pactes, a. s. incidences des accords d’Évian sur
le tan, 19 mai 1962.
34. MaeF, Service des Pactes, 383, note sans date du service des Pactes a. s. attributions de SaCeur.

121
Jenny rAFlik-grenouilleAu

reprendre ce texte et utiliser l’expression « bases françaises en aFn » est


une piste pour conserver un lien entre l’Otan et l’aFn. Mais il faut régler
le problème du statut des forces Otan éventuellement admises sur ces
bases. Or, la Convention de Londres de 1951 ne peut plus s’appliquer à
Mers el-Kebir après les accords d’Évian, puisque la base est désormais « hors
zone Otan ». Seule la négociation d’une autre convention, comme celle
existant pour le Maroc, est possible.
Signalons également que l’utilisation de l’exemple des bases britanniques
pour les « bases françaises en aFn » permettrait en outre d’incorporer
Bizerte. Cette base tunisienne est bien un enjeu du dossier. Les alliés ont
bloqué les fonds destinés à Bizerte dès 1956. Or, de l’inclusion ou non de
Mers el-Kebir (et de Bizerte) dans les attributions de l’Otan découle le
troisième volet, celui du inancement.

La question des crédits en cours


De la possibilité pour l’Otan d’utiliser ou non les installations
françaises en afrique du nord dépend la faculté pour la France de faire ou
non inancer par l’Otan ces mêmes installations. Là encore, deux inter-
prétations contradictoires circulent parmi les responsables français.
Le service des Pactes estime que, « étant donné que les accords de cet
ordre sont secrets et que dans la pratique [...] ils ne donnent lieu en temps
de paix à aucune manifestation visible des liens avec l’Otan, ils peuvent
être en principe traités en dehors de nos relations bilatérales avec le gouver-
nement algérien 35 ». Sorte de retour à la diplomatie secrète : si tout le
monde ignore que ces bases servent à l’Otan, il ne doit pas y avoir de
problème ! Le général Guillaume, lui, au contraire, se demande si, « dans
ces conditions [...] l’Otan demandera remboursement à la France de
certaines sommes versées au titre de l’infrastructure 36 ». rapidement, cette
crainte est écartée. en ce qui concerne la base aéronavale de Bou Sfer, les
aérodromes de Bône et Boufarik ou les sonnettes radar de Bou Bizi et La
reghara, elles valorisent les forces françaises à Mers el-Kebir et par voie de
conséquences l’ensemble des forces de l’Otan en Méditerranée occiden-
tale. Le cas des liaisons hertziennes Mers el-Kebir – Gibraltar ne semble
poser aucune diiculté pour leur utilisation par l’Otan, les autorités
algériennes ne pouvant faire la distinction entre le traic purement national
et le traic Otan.
À cette date, à Mers el-Kebir, l’essentiel des travaux programmés est
terminé ou près de l’être, à l’exception de la construction du QG de
COMeDOC. Ce dernier devait être initialement implanté à l’arba, près
35. ibid.
36. MaeF, Service des Pactes, 383, lettre du général Guillaume à ruin, service des Pactes,
21 mai 1962.

122
l’Algérie, les Accords d’éViAn et l’otAn

d’alger. À la in de 1961, la France propose aux nations de l’Otan d’uti-


liser les souterrains déjà existants de Mers el-Kebir pour installer le QG de
guerre en Méditerranée. une demande d’autorisation de crédits est présentée
pour cela le 21 février 1962 au Comité de l’infrastructure, demande appuyée
par le SHaPe, mais refusée par certains pays membres estimant que la
situation politique en algérie rend cet investissement peu viable dans
l’avenir 37. Si la France a espéré obtenir tout de même des crédits pour ce
QG, elle a vite déchanté. en fait, en 1959, la France avait décidé de retirer
sa lotte en Méditerranée de l’autorité de l’HaFMeD (Quartier Général
des forces alliées de Méditerranée). en 1964, elle amorce son retrait de
l’organisation intégré de l’alliance : après avoir retiré sa lotte de SaCLant
(commandement atlantique), elle renonce au commandement du secteur
de la Méditerranée occidentale. Dès lors, il n’était plus question d’installer
ce commandement à Mers el-Kebir.

Conclusion
Sans pour autant revisiter la question algérienne, l’étude des rapports
entre l’Otan et les départements français d’algérie permet ainsi, au inal,
d’éclairer certains de ses aspects d’un jour nouveau à diférentes échelles :
qu’il s’agisse des liens entre guerre froide et guerre d’algérie, entre volonté
de grandeur et d’indépendance nationale, côté français ou bien encore entre
libération et indépendance nationale, côté algérien.
Ce qui est sûr est que la France n’eut pas le temps, ni sans doute le désir,
de poursuivre ses négociations avec les alliés de l’Otan au sujet des instal-
lations en algérie. La décision de quitter SaCLant, puis les commande-
ments maritimes en 1964 annonçait le retrait de la force intégrée en 1966.
et inalement la France évacua la base de Mers el-Kebir en 1968, bien avant
la in du bail. La France, en algérie, s’est trouvée une nouvelle fois en porte
à faux entre ses ambitions mondiales et impériales et ses moyens inanciers.
Si l’algérie était un facteur de puissance indéniable au sein de l’Otan,
pour les avantages géostratégiques qu’elle représentait, elle a aussi afaibli la
position française.
Obligée de se justiier pour les transferts de troupes opérés du secteur
Centre europe vers l’algérie, obligée de se justiier face à des opinions
publiques internationales majoritairement hostiles, en diiculté à l’Onu,
la France a perdu ses atouts militaires et a exacerbé la susceptibilité de ses
alliés. Demander beaucoup pour accorder peu... tel n’était pas le principe
de la défense commune de l’Otan.

37. MaeF, Services de liaison avec l’algérie, 1957-1966, 29QO/56, note du général d’armée ailleret,
chef d’État-major des armées, au ministre des afaires étrangères, a. s. infrastructure Otan en
algérie, n° 020eMa/OrG.4, 14 février 1963.

123
Jenny rAFlik-grenouilleAu

néanmoins, c’est l’urSS qui donna raison, à moyen terme, au gouver-


nement français en ce qui concerne Mers el-Kebir, en l’utilisant pour sa
lotte, comme elle l’avait fait pour Cam rahn en indochine et en prouvant,
par là même, l’importance stratégique des anciennes bases françaises.

124
troisième partie
APrèS-GUerreS
Se définir Pied-noir :
l’impossible construction d’une identité politique
chez les Français d’Algérie rapatriés dans le Gard
Didier Lavrut

La guerre d’algérie a bien évidemment été vécue dans le département


du Gard de façon très diférenciée en fonction des engagements des acteurs
locaux. Le Parti communiste a mobilisé ses troupes de façon continue
contre l’envoi des appelés, dans les appels à la paix et dans l’aide matérielle
aux familles des nationalistes algériens internés. Les forces de police ont été
engagées jusqu’en 1961 dans la lutte contre un FLn soutenu à des degrés
divers, par une communauté algérienne d’environ 1 300 personnes. une
centaine de soldats ont perdu la vie en algérie depuis 1955. Mais globale-
ment, comme ailleurs en métropole, le département connaissait une crois-
sance économique qui accaparait l’attention de Gardois n’aspirant qu’à voir
rentrer leurs jeunes mobilisés par la guerre. Même la présence d’un camp
d’internement à l’est du département a soulevé peu de contestations. La
sortie de guerre a été précédée par la menace de l’OaS mais, comparé à
l’Hérault et au Vaucluse, le Gard a subi très peu d’attentats. Dans une
certaine mesure, la guerre d’algérie s’est imposée ici brutalement alors
même qu’elle s’achevait. L’arrivée des rapatriés a été un choc pour une
population qui avait forgé des représentations des Pieds-noirs sans rapport
avec les situations de détresse qu’ils découvrent à l’été 1962. et bien avant
de devenir les arbitres courtisés du jeu politique gardois qu’ils seront en
1965, ils sont avant tout un enjeu pour ceux qui cherchent à construire et
instrumentaliser une identité politique pied-noire autour d’une culture de
la radicalité. Cette dynamique se heurte à la nécessité d’accommodements
identitaires, que les engagements individuels autant que les échéances
électorales permettent de saisir. C’est précisément parce qu’elle intervient
au moment où le poids électoral des Pieds-noirs devient perceptible, que
l’élection municipale de mars 1965 à nîmes cristallise mieux que toute
autre échéance la tension qui, entre afrontement et dialogue, permet de
saisir ce que se déinir Pied-noir veut dire.

127
didier lAVrut

L’arrivée des Pieds-noirs dans le Gard


Les Pieds-noirs commencent à quitter massivement l’algérie dès
l’annonce de la signature des accords d’Évian. Ces départs deviennent très
vite un mouvement migratoire déinitif qui s’ampliie de semaine en
semaine et s’accélère après l’indépendance de l’algérie début juillet. Le Gard
accueille 200 familles entre le 1er mars et le 15 mai et 1 000 du 15 au 30. Le
15 juillet, le préfet Vaugon annonce la présence de 4 000 familles soit environ
14 000 personnes. Le pic de 25 000 rapatriés est atteint le 30 août 1962. Le
choc est tel que le 11 septembre, le département est déclaré « saturé » et la
préfecture annonce qu’elle ne paiera plus les prestations de retour aux
rapatriés arrivés après le 31 août.
Le Gard n’est pas le département le plus touché 1. Les Bouches-du-
rhône sont de très loin le plus important département d’accueil ; les
Pyrénées-Orientales enregistrent autant d’arrivées que le Gard ; l’Hérault
où les bateaux arrivent à Sète et où une liaison aérienne entre alger et
Montpellier est ouverte le 13 juin, en comptabilise deux fois plus. La proxi-
mité du pôle marseillais, saturé et où les autorités cherchent tant bien que
mal à créer du transit, permet de comprendre en grande partie ce qui pousse
les rapatriés vers le Gard. Par ailleurs, de nombreux rapatriés ont déjà de la
famille dans le département. La correspondance du préfet regorge de
demandes d’audiences émanant de rapatriés à la recherche d’un logement
car ne pouvant rester plus longtemps chez un frère, une tante ou des cou-
sins 2. La décrue s’amorce au cours du mois de septembre avec des départs
massifs vers d’autres départements. Les efectifs se stabilisent en 1963 autour
de 17 000 rapatriés jusqu’à ce que la suppression en octobre des mesures
interdisant aux rapatriés de se ixer dans le Midi, ne les gonle à nouveau :
19 000 rapatriés dans le Gard en janvier 1964 et 21 700 en janvier 1965 3.

La gestion de l’urgence
Face à une situation de panique non anticipée et dont le caractère
déinitif n’est pas encore admis par les autorités, il faut gérer l’urgence et
mobiliser les énergies comme les volontés. Le 29 mai 1962, le Préfet réunit
pour la première fois un Comité départemental d’accueil chargé de
coordonner les actions de la Croix-rouge, des Ponts et chaussées, de la
municipalité, des associations catholiques et protestantes et de l’entraide
gardoise. On se répartit l’accueil en gare, le transport, la distribution des
repas et la gestion des 9 centres d’hébergements 4. À partir de juin 1962, le
1. Mohand Khellil et Jules Maurin (dir.), les rapatriés d’Algérie en languedoc-roussillon, 1962-1992,
Montpellier, université Paul Valéry Montpellier iii, 1992.
2. arch. dép. du Gard, Ca 1603.
3. arch. dép. de l’Hérault, 1188 W 2.
4. arch. dép. du Gard, Ca 1559.

128
se déFinir Pied-noir

gouvernement conie au préfet le soin de constituer et liquider les dossiers


des rapatriés. Le préfet Vaugon met sur pied le Service des rapatriés de la
préfecture qui très rapidement, traite jusqu’à 60 dossiers par jour. il faut
immatriculer les rapatriés à la Sécurité sociale, rembourser les frais de trans-
port, verser les allocations forfaitaires de départ, les prestations de subsis-
tance, les subventions d’installation, entamer les premières procédures
de reclassement professionnel 5. Mais l’urgence c’est le logement. entre
septembre et octobre 1962, Francis Panazza, directeur de l’édition gardoise
du méridional-la France, publie une série d’articles intitulée « La grande
misère des réfugiés d’aFn » qui témoigne de situations particulièrement
tragiques. Leur inalité est bel et bien d’alerter l’opinion autant que les
pouvoirs publics : « route de Saint-Gilles, 26 personnes dont 13 enfants
dans un F5 6 », « rue Delon-Soubeyrand, 9 personnes dans 2 pièces dont
une sans fenêtre 7 », « M. et Mme Lorenzo, rapatriés d’Oran couchent depuis
1 mois dans leur voiture sur l’esplanade 8 », « 9 dont 5 enfants dans une
pièce et la mémé qui meurt 9 ».
au plus fort de l’alux, in août 1962, 1 200 familles se sont inscrites
pour obtenir un logement. Le préfet n’a pu en reloger que 175, entre autres
par réquisition. en octobre, incapable de répondre à 1 300 nouvelles
demandes, celui-ci lance un ambitieux programme. Oice HLM, proprié-
taires de terrains, entrepreneurs et syndicats sont mobilisés dans la construc-
tion de 240 logements ainsi que 80 villas préfabriquées à proximité du petit
hameau de Courbessac, au nord-est de nîmes. 280 logements sont réservés
dans la ZuP, à l’ouest de la ville, où le premier coup de pioche n’a pas
encore été donné. enin, 180 logements sont prévus à alès. À charge pour
la municipalité de viabiliser le quartier. alès, Beaucaire, Bagnols-sur-Cèze,
Saint-Gilles pour ne prendre que les premiers programmes de construction,
sont ainsi le cadre d’un efort considérable en matière de logement.

La maîtrise des problèmes


Force est de constater que les diicultés matérielles sont pratiquement
surmontées au cours de l’année 1964. L’implantation géographique des
rapatriés s’est stabilisée. 9 000 d’entre eux, soit près de la moitié, résident
dans la ville de nîmes, un gros tiers sur les communes du sud et de l’est du
département, en particulier le long du rhône. 2 000 rapatriés soit 10 %,
sont installés sur alès et ses environs, au nord. L’arrondissement du Vigan
au cœur des Cévennes ne semble pas avoir attiré plus de 400 d’entre eux.
Le Service des rapatriés de la préfecture a plutôt bien géré les diicultés
5. Yann Scioldo-Zürcher, devenir métropolitain, Paris, Éditions de l’eHeSS, 2010.
6. le méridional-la France, 12 septembre 1962.
7. le méridional-la France, 15 septembre 1962.
8. le méridional-la France, 10 octobre 1962.
9. le méridional-la France, 26 octobre 1962.

129
didier lAVrut

considérables auxquelles il dût faire face. Si en mars 1963, près de


1 200 demandes d’emplois salariés étaient encore non satisfaites, plus aucun
dossier de reclassement professionnel n’était en soufrance en octobre 1964.
il est nécessaire de prendre la mesure du volontarisme des rapatriés comme
du contexte d’expansion économique qui caractérise le Gard en ce début
des années soixante : le Service des rapatriés, de sa création à mars 1963, n’a
pas opéré plus de 305 reclassements alors que dans le même temps
1 300 rapatriés avaient réussi à trouver un emploi par leurs propres
moyens 10. Seul le logement est resté un problème épineux jusqu’en 1965.
au-delà de ces questions matérielles essentielles, l’intégration semble avoir
été très rapide. Cette question fait régulièrement l’objet de rapports des rG
intitulés « état d’esprit pied-noir ». Ceux-ci montrent en 1962, un malaise
grandissant entre une population nîmoise compatissante puis de plus en
plus méiante à l’égard de Pieds-noirs emplis de rancœur, arrogants et
accusant tous les métropolitains de leurs maux : « Ce n’est pas nous qui
avons voulu venir en France. il va falloir maintenant nous avaler 11. » au
cours de l’année suivante, les rG sont encore plus inquiets. un rapport
de juillet 1963 relatif à la cité de Courbessac parle de francophobie, de refus
de s’intégrer, de haine farouche pour la France et les Français inculquée par
les aînés à leurs enfants. Les besoins inanciers sont considérables et il est
question de mineures qui se prostituent pour acheter vêtements et chaus-
sures ainsi que d’armes stockées dans les appartements. Les Pieds-noirs
parlent de s’emparer du pouvoir en France ou d’installer le terrorisme contre
les arabes. Les rG considèrent que cet état d’esprit est caractéristique des
Oranais et qu’il aurait gagné tout le lotissement de Courbessac. Sept mois
plus tard, tout cela semble oublié. Pour le Préfet, les rapatriés restés dans le
Gard « semblent s’y être bien acclimatés et être décidés à s’y ixer déiniti-
vement [...] rapidement les méiances et réserves qu’éprouvaient récipro-
quement autochtones et nouveaux venus se sont dissipées 12 ».

Les associations de rapatriés


Dans une ville comme nîmes qui dès le printemps 1962 dépasse les
100 000 habitants, un groupe représentant 8 à 9 % de la population 13
constitue un enjeu politique considérable pour ceux qui l’encadrent. Cet
encadrement qui contribue largement à la production d’une culture
politique nouvelle dans le département est avant tout l’afaire des associa-
tions de rapatriés.

10. arch. dép. du Gard, Ca 1603.


11. arch. dép. du Gard, Ca 1559, rapport du 1er août 1962.
12. arch. dép. du Gard, Ca 1559, rapport du 8 février 1964.
13. Fin 1963, nîmes compte 118 000 habitants dont 9 000 rapatriés. Le Gard compte 435 000 habi-
tants.

130
se déFinir Pied-noir

Jusqu’en mars 1962, il n’existe qu’une seule association dans le Gard et


encore n’exerce-t-elle son activité qu’à l’échelle de nîmes : il s’agit de l’ami-
cale des Français rapatriés d’afrique du nord (aFran) 14. Créée en 1956,
c’est une toute petite structure qui s’est ailiée par la suite à l’anFanOMa,
la principale association de rapatriés, créée à Marseille par le colonel Battesti,
député unr de Seine-et-Marne. L’anFanOMa 15 a des sections comme
celle du Gard, dans l’Hérault, le Var et la Corse. en 1960, l’amicale est
reprise en main par un ancien d’indochine, Claude Matheron, qui très
vite rompt avec l’anFanOMa pour s’ailier en novembre 1961 à la
toute nouvelle FnFa (Fédération nationale des Français d’algérie) née en
mai 1961 à Montpellier d’une scission au sein de l’anFanOMa et que
dirige Lucien Franco, lui aussi ancien d’indochine et comme Matheron
sympathisant OaS. La masse de ceux qui arrivent à partir de mars 1962
adhère à l’amicale. Forte de ses 260 adhérents, elle est devenue centrale
dans le dispositif de prise en charge des rapatriés et il n’est pas anodin que
le préfet ait voulu prendre la parole lors de la grande réunion qu’elle organise
le 17 juin 1962. C’est précisément à partir de juin, avec l’alux brutal de
rapatriés dans le Gard, que Matheron et Franco, extrêmement actifs, créent
des sections de la FnFa à Beaucaire, à Bagnols-sur-Cèze, au Grau-du-roi,
sections qu’ils visitent régulièrement. Le 29 juillet 1962, Claude Matheron
qui part pour le tchad, quitte la direction de l’amicale.
L’homme qui lui succède, alain de Cacqueray, prend à 33 ans la tête de
l’amicale à un moment crucial, l’alux maximal de rapatriés dans le dépar-
tement. Sa personnalité, son sens des relations publiques, son dynamisme,
le travail étroit de collaboration avec la préfecture qui s’en félicite, lui confè-
rent dès lors un poids considérable tant dans l’association qu’auprès des
rapatriés et des acteurs locaux. C’est à partir de cette assemblée générale du
29 juillet 1962 que l’amicale devient l’association départementale des
Français rapatriés d’aFn. en efet, la stature prise par l’association et son
président conduit celui-ci à prendre ses distances avec Lucien Franco. une
bataille se joue dont l’enjeu est bien le contrôle et l’encadrement des
rapatriés. Dès la in du mois d’octobre 1962, Cacqueray rompt avec la
FnFa et engage une véritable course pour rallier les diférentes sections du
sud et de l’est du département : l’association départementale prend le
contrôle des sections de Beaucaire, de Bagnols-sur-Cèze, de Saint-Gilles et
ouvre une section à Sommières. Franco ne parvient à conserver que la plus
petite, celle du Grau-du-roi. en revanche, le nord du département échappe
à l’inluence de l’association départementale. Les rapatriés d’avant l’été
1962 y sont inscrits à la section de Montpellier de l’anFanOMa, que

14. Didier Lavrut, « Les associations de rapatriés : une histoire à construire. L’exemple du Gard et de
l’Hérault », la France en guerre 1954-1962. expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance
algérienne, Paris, autrement, 2008, p. 309-315.
15. association nationale des Français d’afrique du nord d’Outre-mer et leurs amis.

131
didier lAVrut

dirige un avocat, armand Cascio. Les nouveaux, de plus en plus nombreux,


ne sont pas encadrés. C’est ce qui conduit Cascio à créer à partir de
novembre 1962 une section très active à alès. Les autres sections, uzès,
Pont-Saint-esprit, Bagnols-sur-Cèze, n’eurent jamais un nombre signiicatif
d’adhérents. Paradoxalement, ces ruptures et rivalités sont parallèles à
un discours de plus en plus récurrent en faveur de l’union des associations.
Mais si Cacqueray travaille à des rapprochements, c’est uniquement avec
des associations inexistantes dans le Gard. La rencontre qu’il organise le
3 février 1963 à nîmes avec trois leaders du ranFran-OM 16, lui permet
de s’inscrire à égalité avec les grands leaders nationaux des associations de
rapatriés.

Le monopole politique des associations de rapatriés


Lorsque l’on s’interroge sur les orientations politiques des dirigeants de
l’association départementale, l’ancrage très marqué à l’extrême-droite et dans
la mouvance algérie française, frappe immédiatement. Claude Matheron
tout comme alain de Cacqueray sont membres du regroupement national
pour l’unité de la république (rnur). Cette structure complexe créée par
Jacques Soustelle en décembre 1960 pour fédérer des groupuscules très
actifs dans la défense de l’algérie française, réunit des personnalités
qui se rendent régulièrement à nîmes à l’invitation de Claude Matheron
puis d’alain de Cacqueray. S’y croisent ainsi Jean-Baptiste Biaggi,
Jean-Louis tixier-Vignancour, Jean-Marie Le Pen, les colonels trinquier et
homazo, Marc Lauriol ou encore le bachaga Boualam, rapatrié en mai 1962
et installé en Camargue, près d’arles, au Mas-hibert. en avril 1961, alors
qu’il est déjà à cette date président de l’amicale des rapatriés, Matheron est
arrêté comme activiste OaS et interné pendant une semaine à la caserne
des CrS d’uzès. On peut comprendre les réticences du préfet qui « oublie »
d’intégrer l’amicale dans le Comité départemental d’accueil qu’il réunit le
29 mai 1962. Par ailleurs, deux conseillers municipaux nîmois élus en 1959
sous l’étiquette unr, sont membres du bureau de l’association départe-
mentale à partir de juillet 1962 et eux aussi membres du regroupement
national. L’un d’eux, Pierre régnier-Vigouroux est condamné en juin 1963
pour détention de tracts OaS avant d’être relaxé en appel.
Cet ancrage politique très marqué permet de comprendre les ressorts
mais aussi les bégaiements de la culture politique qui se construit chez les
Pieds-noirs du Gard. C’est une culture de la revendication qui s’airme au
départ dans l’urgence de l’été 1962. Force est de constater que l’association
départementale déploie une activité considérable. Les bénévoles tiennent
des permanences, aident à la constitution de dossiers, à la rédaction de
courriers administratifs, accompagnent les rapatriés à la préfecture.
16. rassemblement national des Français rapatriés d’afrique du nord et d’Outre-mer.

132
se déFinir Pied-noir

L’association passe des annonces, trouve des emplois, des logements, des
meubles, des poussettes, des vêtements pour bébés. elle aide les épouses des
activistes internés à l’ardoise en mai et juin 1962. elle s’associe à la Cimade
et au Secours Catholique à noël 1962 dans une grande campagne pour
ofrir des jouets aux 2 000 enfants de harkis de l’ardoise. elle fait le lien
entre les rapatriés et la presse. Jusqu’à l’automne 1962, les revendications
de l’association départementale concernent le logement et l’emploi et alain
de Cacqueray, convaincu de la bonne volonté du Préfet, collabore avec lui
sans contester son action. La période critique passée, les revendications
portent essentiellement – et cela jusqu’à l’automne 1963 – sur le reclasse-
ment, en particulier celui des petits agriculteurs. Ce n’est qu’à partir de l’été
1963 que le discours se fait plus radical, plus politique, portant sur l’indem-
nisation totale des biens et sur l’amnistie en faveur des activistes OaS.

Les formes d’une culture politique


Ce discours politique privilégie une dynamique identitaire et commu-
nautaire. il est pour ce faire soutenu par tout un ensemble de pratiques
inscrites dans un corpus de représentations qui s’imposent auprès des
rapatriés par le relais constant et répétitif qu’en fait le méridional-la France,
quatrième quotidien du département avec un tirage de 15 000 exemplaires
et propriété de Jean Fraissinet, député indépendant des Bouches-du-rhône.
il ouvre dès le 25 mai 1962 ses colonnes aux rapatriés, qui le lisent dans
leur écrasante majorité, en créant une rubrique quotidienne y compris pour
l’édition du Gard, publiant ofres d’emplois et demandes de logements et
portant l’attention sur les cas les plus dramatiques. Le méridional publie les
communiqués des associations qui l’utilisent pour faire circuler l’informa-
tion interne. au-delà de cette dimension pratique, il produit un discours
qui renvoie aux rapatriés (appelés aussi Pieds-noirs, repliés, spoliés, exilés,
réfugiés...), les schèmes identitaires d’une communauté fraternelle, solidaire,
courageuse, unie dans le malheur, le déracinement et la nostalgie 17. attachée
à sa culture pied-noire, cette communauté doit s’intégrer mais ne pas
oublier qu’elle fut abandonnée par la France, une France qui a une dette à
lui payer 18. Les nîmois quant à eux découvrent la culture pied-noire au
travers de nouvelles pratiques alimentaires (merguez, brochettes, kémia,
mouna), des spectacles comme la « Famille Hernandez » donnée au Foyer
communal en novembre 1962 ou par enrico Macias dont la prestation aux
arènes en septembre 1963 inaugure une longue série de concerts dans le
17. Éric Savarese, « après la guerre d’algérie, la diversité des recompositions identitaires des pieds-
noirs », revue internationale des sciences sociales, 189, 2006, p. 491-500.
18. Francis Panazza rapportant la réplique d’une illette de Courbessac (« Monsieur, nous sommes des
Français et pas des Pieds-noirs ») écrit : « C’est cruel et pourtant strictement vrai ! Ces gosses ont-ils
répété ce qu’ils entendent autour de la table familiale. C’est probable, c’est ininiment triste »,
le méridional-la France, 6 septembre 1963.

133
didier lAVrut

département. Les pratiques religieuses tiennent une place essentielle dans


la production de cette identité. À chaque toussaint, dès 1962, l’association
départementale appelle les rapatriés à déposer une gerbe au monument aux
morts et assister à une messe en l’église Saint-Paul. La cité de Courbessac
où réside une écrasante majorité d’Oranais reçoit régulièrement au cours
des années 1964 et 1965, la visite de prêtres venant de quitter Oran.
L’émulation générée par le projet de construire une chapelle dédiée à
n.-D. de Santa-Cruz, qui se concrétise par l’acquisition d’un terrain en
octobre 1963 et une messe en plein air célébrée par l’abbé Hébrard, est
emblématique du décalage entre la pratique religieuse des Pieds-noirs et
celle des Gardois. L’évêque de nîmes, Mgr rougé, suit le mouvement avec
réticence et incompréhension 19. Le Conseil curial formé dans la foulée est
animé par des personnalités de Courbessac comme antoine roca et antoine
Candella. Mais les dirigeants de l’association départementale en font partie.
La pratique religieuse s’avère par ailleurs inséparable de la commémoration
d’événements dont le souvenir récent rassemble les rapatriés. Les associa-
tions les entremêlent avec d’autres qui renvoient purement et simplement
à la geste de l’OaS. À ce titre, ces commémorations scandent un calendrier
à la fois liturgique, mémoriel et politique et renvoient bien à la production
d’un discours politique. ainsi la fusillade de la rue d’isly le 26 mars 1962
est un anniversaire qui dès 1964 est couplé avec celui de l’exécution le
11 mars 1963 de Bastien-hiry. Si une messe a bien lieu à la chapelle des
Franciscains le 14 mars 1964, elle est interdite par le nouveau préfet dès
l’année suivante. alain de Cacqueray appelle alors les rapatriés à se rendre
le 14 mars à l’oice célébré à la cathédrale et à y prier : « Dans leur cœur cet
oice sera celui de Bastien-hiry et de tous ceux qui sont morts pour la
défense de la civilisation chrétienne 20. » On peut à cet égard signaler le
meeting du 19 mai 1963 à nîmes où devant 2 000 personnes, il demande
une minute de silence à la mémoire de Bastien-hiry « grand patriote et
grand chrétien 21 ».

L’héritage identitaire et les contraintes d’adaptation


Cet ancrage de plus en plus marqué à l’extrême-droite ne fait pas l’una-
nimité et c’est chez les jeunes que l’orientation politique de l’association
départementale pose le plus de problèmes. aspirant à s’intégrer rapidement
en métropole, à vivre avec un niveau de vie supérieur à celui qu’ils pouvaient
avoir en algérie, le discours revendicatif et très politisé d’alain de Cacqueray
leur paraît en décalage avec la volonté de se tourner vers l’avenir. À ce titre,
la création en mars 1963 d’une amicale des jeunes Pieds-noirs (aJPn) est
19. Michèle Baussant, Pieds-noirs, mémoires d’exils, Paris, Stock, 2002, p. 13-57.
20. le méridional-la France, 11 mars 1965.
21. le méridional-la France, 20 mai 1963.

134
se déFinir Pied-noir

intéressante. Son fondateur, Jean-Claude Gomez, un jeune patron de bar,


organise des bals et des kermesses et n’entend pas empiéter sur les activités
de l’association départementale. néanmoins, les rapports sont rapidement
tendus. alain de Cacqueray reproche à l’amicale de diviser les rapatriés et
surtout dénonce l’implication dans son Conseil d’administration du député
unr de la 1re circonscription, Pierre Gamel. L’association départementale
a des diicultés à percevoir les cotisations. en 1962, une famille rapatriée
sur quatre adhérait à l’association, ce qui est considérable. Mais cette
proportion s’efondre l’année suivante. nombre de rapatriés ne cotisent plus
à partir du moment où ils trouvent emploi et logement. Par ailleurs, certains
refusent le discours sur l’amnistie, n’étant pas près de pardonner à l’OaS sa
politique de terre brûlée. C’est à Courbessac que cette distanciation est la
plus marquée. Les rapatriés s’y organisent assez rapidement sous l’impulsion
d’un ancien syndicaliste d’algérie, antoine Candella.
Son parcours n’est pas sans intérêt. né le 10 janvier 1933 à Oran dans
un milieu ouvrier où l’on fait attention aux dépenses, le jeune Candella,
peu attiré par l’école, est rapidement mis en demeure de gagner sa vie.
engagé à l’arsenal de Mers el-Kébir comme manutentionnaire, le jeune
homme prend des responsabilités et y devient comptable ainsi que respon-
sable de Force Ouvrière (FO). en 1962, il ne quitte plus la base étant sur
une « liste noire FLn 22 ». Dès juin ses parents partent pour Paris et lui-
même est évacué avec sa femme et ses deux enfants de 6 et 12 ans, le 19 août
sur un bâtiment de la Marine. La famille est hébergée pendant trois jours
à toulon par le Secours catholique. La décision de partir pour nîmes tient
autant à la présence de cousins que de souvenirs de lectures d’enfance : les
arènes, la ville romaine, une blancheur qui n’existait alors que dans son
imagination. Les cousins leur trouvent un hébergement dans un centre
d’urgence du Secours catholique à l’Œuvre argaud : deux baraques en fer
et une en bois où s’entassent une vingtaine de familles mais où la plupart
des hommes ont déjà réussi à trouver un emploi. La famille y passe
quatre mois jusqu’à l’ouverture des premiers logements de Courbessac. il a
réussi entre temps à trouver un emploi de magasinier chez Citroën sans
passer par la préfecture. Son insertion et les opportunités qui se présentent
à lui tiennent pour beaucoup au répertoire d’action de l’ancien syndicaliste
qu’il fut à Oran : antoine Candella a appris à nouer des liens avec les milieux
associatifs et avec la presse. Son engagement dans les actions du Secours
catholique qui lui est venu en aide, est d’autant plus aisé qu’il est un catho-
lique pratiquant. il se lie rapidement d’amitié avec le responsable du
méridional-la France, Francis Panazza et à l’automne 1963, obtient un
reclassement professionnel en étant embauché comme comptable à la mairie
de nîmes grâce à l’appui de trois conseillers municipaux. Bien que politi-
quement très éloignés les uns des autres, tous ont acquis de l’estime pour
22. entretien réalisé le 29 août 2012.

135
didier lAVrut

l’ancien syndicaliste, pour le chrétien, pour le fondateur de comité de


quartier ou pour le rapatrié admiratif de Léon Jouhaud : Marius arra,
socialiste qui rejoindra le PCF en 1965, Paul tondut, gaulliste et
Pierre régnier-Vigouroux du regroupement national.
avec des personnalités comme antoine roca qu’il a connu à Oran,
antoine Candella créé un comité de quartier qui entretient un dialogue
régulier avec la municipalité dirigée par le socialiste edgar tailhades.
en octobre 1963, Francis Panazza lui conie une rubrique hebdomadaire
dans le méridional : « À l’écoute de la cité Pieds-noirs de Courbessac. »
Candella y exprime les revendications des habitants mais souligne réguliè-
rement la reconnaissance des Pieds-noirs de Courbessac envers « une
municipalité qui fait preuve de bienveillance 23 ». en quelques mois le
comité de quartier a obtenu l’ouverture de classes maternelles, la construc-
tion d’un groupe scolaire, l’éclairage municipal, une liaison par bus et le
goudronnage des voies. un club omnisports, un club d’aéromodélisme et
une association de parents d’élèves sont lancés. On observe un cas de igure
identique lorsque s’organisent les premiers habitants de la ZuP. Le comité
de quartier créé en juillet 1964 est animé par robert Manès, un rapatrié
d’Oran dont les préoccupations sont très éloignées de la nostalgie de
l’algérie française.

L’émergence d’une culture pied-noire métropolitaine


La mobilisation politique des rapatriés apparaît dès lors plus complexe
qu’on pouvait le supposer 24. en réalité, les formations politiques qui s’enga-
gent explicitement auprès d’eux et font appel à leurs sufrages se résument
au Cni et aux poujadistes 25. Parmi les personnalités politiques gardoises
qui ne ménagent pas leurs eforts en ce sens, Jean Poudevigne se détache
incontestablement. Député de la 2e circonscription, élu en 1958, ailié au
groupe des indépendants et paysans, avant tout représentant des intérêts
viticoles, les législatives de 1962 sont pour lui l’occasion de s’appuyer sur
les rapatriés pour lesquels il intervient régulièrement à l’assemblée natio-
nale. Orateur remarqué, son sens de la formule fait mouche comme cette
nuit du 28 au 29 octobre 1964 où il s’écrie : « Ce que les rapatriés attendent
ce n’est pas un dépannage, c’est une réparation 26. » Cela dit, le vote rapatrié
apparaît accessoire. au cours des trois consultations de 1962, les appels et
rappels exaspérés des associations pour demander aux rapatriés de s’inscrire
sur les listes électorales, témoignent du peu d’intérêt des Pieds-noirs pour

23. le méridional-la France, 17 septembre 1964.


24. emmanuelle Comtat, « La question du vote Pied-noir », Pôle sud, 24, 2006, p. 75-88.
25. en octobre 1962, Pierre Poujade lance à nîmes, une union de défense des réfugiés d’algérie
(uDra).
26. le méridional-la France, 30 octobre 1964.

136
se déFinir Pied-noir

la politique dans les mois qui suivent l’exode 27. Les cantonales de 1964 ne
les mobilisent guère plus.

Le verdict des urnes


il faut attendre les municipales de mars 1965, en particulier à nîmes,
pour noter une implication sérieuse des rapatriés, le fort pourcentage de
candidatures pieds-noires pouvant l’expliquer comme en témoigner. Par
ailleurs, la situation politique à nîmes à la veille de l’élection ne manque
pas de complexité. edgar tailhades, maire SFiO depuis 1947, souhaite
reconduire l’ensemble de l’équipe municipale à l’exclusion de deux conseillers
très connotés algérie française, dont Pierre régnier-Vigouroux, vice-prési-
dent de l’association départementale des rapatriés d’aFn. il tient en parti-
culier à conserver son deuxième adjoint, l’unr Paul tondut, contre l’avis
de la direction nationale de la SFiO qui ne veut d’alliance ni avec l’unr,
ni avec le PC. Parallèlement, les comités de quartier de Courbessac et de la
ZuP veulent représenter les rapatriés au sein de la future équipe municipale
et en font la demande à edgar tailhades. Ce dernier y est d’autant plus
sensible que Pierre régnier-Vigouroux, jusque là seul représentant des
rapatriés au sein de la municipalité, a cessé de faire l’unanimité chez les
Pieds-noirs. L’association départementale qui appelle à ne pas voter pour
toute liste comprenant au moins un candidat unr ou PC, s’inquiète de
ces initiatives et exige que tout rapatrié désirant se présenter sur une liste
ait sa caution préalable. L’opportunité pour elle de présenter des candidats
apparaît lorsqu’une troisième liste se constitue à l’initiative de ceux que la
municipalité avaient exproprié pour l’implantation de la ZuP à l’ouest de
la ville. Leur porte-parole pour le moins pittoresque, Marcel Pinelli, fait de
la défaite de tailhades une afaire personnelle. Cette liste polarise très vite
les initiatives ou les ambitions de ceux qui veulent en découdre avec le
maire : des rapatriés présentés par l’association départementale, des pouja-
distes, des partisans de l’extrême-droite, des royalistes du Cercle Saint-
Charles et bien entendu des expropriés. Le 14 mars 1965, trois listes sont
en compétition avec des candidats qui se déinissent comme rapatriés. La
liste d’extrême-droite en comprend six. La liste menée par le maire com-
prend antoine roca, du comité de quartier de Courbessac et robert Manès,
du comité de quartier de la ZuP. antoine Candella pressenti par le maire
a refusé en raison de son emploi à la mairie et par refus de la politique. La
liste présentée par le Parti communiste et menée par le futur vainqueur,
Émile Jourdan, comprend un rapatrié, Hugues Karolinski, membre du
bureau du comité de quartier de la ZuP.
27. Didier Lavrut, « La in de la guerre d’algérie et les législatives de 1962 dans le Gard », le midi
rouge, Bulletin de l’Association maitron languedoc-roussillon, 10, 2007, p. 21-32 ; 11, 2008,
p. 20-29.

137
didier lAVrut

au soir du 14 mars, Jourdan arrive en tête (40,9 %) juste devant


tailhades (39,3 %). La troisième liste a recueilli une voix sur cinq (19,8 %).
en se maintenant au deuxième tour, elle sait qu’elle fera gagner Jourdan.
Jean Poudevigne rédige alors un communiqué en faveur du maire sortant 28.
Le président national de la FnFa, Lucien Franco, vient à nîmes, le
19 mars appeler lui aussi les rapatriés à soutenir le maire au titre de ce qu’il
a fait et par réalisme politique : « Pieds-noirs, le communisme est notre
ennemi numéro un 29. » Mais quelques heures plus tard, dans un autre
meeting, le colonel homazo appelle les rapatriés à voter pour la troisième
liste, l’issue important peu : « Le gaullisme mène la France au communisme
plus sûrement que Waldeck-rochet lui-même. et le gaullisme représente
un danger plus imminent puisque de Gaulle est pouvoir 30 ! » Le 21 mars,
edgar tailhades proclame élue la liste menée par Émile Jourdan. un cas de
igure similaire se produit à alès où le président du Conseil général, Paul
Béchard, maire SFiO depuis 1953, perd la mairie au proit du communiste
roger roucaute avec le maintien au deuxième tour d’une troisième liste
très éclectique. elle regroupe, selon les rG, « les gaullistes dont Béchard n’a
pas voulu et les mécontents de la gestion du maire sortant 31 », notamment
des expropriés. Le responsable alésien de l’anFanOMa, alonzo ruiz,
appelle entre les deux tours les rapatriés à voter pour cette liste, la seule à
s’intéresser à « cette communauté déracinée 32 ».

Conclusion
Se déinir Pied-noir en métropole au moment de la sortie de guerre
relève avant tout d’une entreprise politique dont les ressorts tournent autour
de trois idées : la détestation de de Gaulle, la douleur de l’exil et la convic-
tion que la France est débitrice. Être Pied-noir, c’est se reconnaître dans
cela. Pour autant, dès 1963 et surtout à partir de 1964, le reclassement
professionnel avec souvent de meilleurs revenus qu’en algérie ainsi que la
nécessité de dialoguer avec les autorités municipales ou préfectorales, font
que certains rapatriés s’engagent dans un rapport à la politique qui est avant
tout celui de la gestion de la cité. Yann Scioldo-Zürcher a montré tout le
processus par lequel les rapatriés sont devenus métropolitains. Se déinir
Pied-noir c’est au fond, après l’être devenu, rester métropolitain. et puisque
sans algérie, il n’y a plus de métropole, rester métropolitain c’est continuer

28. « La liste tailhades est le seul rempart contre le succès communiste. aussi, au nom du combat
commun que nous avons mené et perdu ensemble pour votre maintien en algérie, je vous demande
de ne pas écouter les mauvais bergers partisans de la politique du pire » [arch. dép. du Gard, Ca
1757].
29. le Provençal, 20 mars 1965.
30. id.
31. arch. dép. du Gard, Ca 1757, rapport du 9 février 1965.
32. id.

138
se déFinir Pied-noir

à se déinir par rapport à l’algérie. Mais ce rapport est essentiellement


nostalgique, avant tout individuel, au mieux familial. Se déinir Pied-noir,
c’est admettre comme illusoire le projet politique d’une communauté pied-
noire unie dans ses revendications, ses pratiques et sa culture. Ce projet s’est
évaporé en quelques mois, au fur et à mesure que l’horizon d’attente des
rapatriés divergeait par rapport à celui de leurs associations.

139
Sorties de guerre sur la Côte d’Opale
(1962-1963)
Marc Coppin

La Côte d’Opale, c’est-à-dire les Flandres, le Calaisis, le Boulonnais,


l’audomarois et le Montreuillois forment l’espace métropolitain le plus
éloigné de l’algérie. Cette France septentrionale est par ailleurs peu ouverte
sur l’extérieur. Mais éloignement ne signiie pas indiférence, le littoral est
sensible à la question algérienne, d’autant plus qu’existent des lux commer-
ciaux entre l’algérie et la Côte d’Opale. La distance géographique n’entraine
en rien une sortie en douceur du conlit ou un oubli facile de ces années de
guerre.
Comment a été perçue l’arrivée des pieds noirs et des harkis ? Les rela-
tions économiques avec l’algérie ont-elles perdurées au-delà de l’indépen-
dance ? Le soutien au chef de l’État a-t-il continué après le 19 mars 1962 ?

Poids de la guerre, sortie de guerre :


quelques chifres pour la région
À l’échelle de la région nord-Pas-de-Calais, 1 721 morts sont recensés.
956 victimes pour le département du nord 1 ; 765 morts pour le Pas-de-
Calais 2 ; 378 victimes pour la Côte d’Opale. Même après la signature des
accords d’Évian, des hommes tombent. Jean-roger Bakowski se souvient
« d’un copain abattu en plein jour devant la guérite, pendant son tour de
garde. il n’était bien sûr pas question d’intervenir, puisque la guerre était
terminée 3 ».
Sur la Côte d’Opale, trois cas de disparitions sont avérés. Le mieux
connu est celui de Michel Clabaux, fait prisonnier avec la totalité de son
poste, soit 20 Français de souche et 24 Français musulmans, dans la nuit

1. Chifre fourni par Jean-Marie Linné, Président départemental de la FnaCa.


2. Louis Mortreux, les héros de l’oubli, chez l’auteur, 2004.
3. Comité local de Montreuil-sur-Mer et environs de la Fédération nationale des anciens Combattants
en afrique du nord, nous avons accompli notre devoir, Éditions Henry, Montreuil-sur-Mer,
juin 2008.

141
mArc coPPin

du 31 octobre au premier novembre 1956. Peu après les accords d’Évian,


alors que la famille garde l’espoir d’une libération prochaine, le FLn
annonce qu’il ne détient plus de prisonniers. L’histoire suscite une émotion
forte sur la Côte d’Opale 4. elle connaît son épilogue en 2007 lorsque le
petit frère du disparu entre en contact avec un journaliste qui prépare
un documentaire sur les oubliés de la guerre d’algérie. aidé d’un confrère
algérien qui enquête sur place auprès de rescapés du commando de l’aLn,
la vérité est enin sue. Les jeunes appelés ont tous été égorgés, un par un et
jetés dans une faille profonde à lanc de montagne, alors que les algériens
étaient harcelés par l’armée française. Les corps s’y trouveraient toujours.
au début de l’année 1962, le traic avec l’algérie est indispensable au
port de Dunkerque. Cela représente pour le mois de janvier un quart des
marchandises entrantes et presque autant des marchandises sortantes. À la
lecture des procès-verbaux des Chambres de Commerce et d’industrie, il
apparaît clairement que les lux commerciaux perdurent, même si le traic
est orienté à la baisse 5. Le tonnage entré en provenance d’aFn est
en décembre 1962, 63 % de ce qu’il était un an auparavant. Les marchan-
dises sorties du port de Dunkerque vers l’aFn ne représentent plus que
74 % du tonnage de l’année précédente. Mais l’afrique du nord représente
encore 18 % des entrées au port de Dunkerque pour le mois de janvier 1963
et 24 % des sorties. L’afrique du nord est la première destination des
marchandises sortant du port de Dunkerque, devant même l’europe du
nord. Le traic de vin d’algérie constitue l’essentiel des échanges. avec
l’indépendance, les importations de vin sont contingentées et plusieurs
pinardiers sont bloqués dans les ports d’algérie, faute de fret. L’activité
commerciale de Dunkerque s’en ressent avec une baisse de 42 % 6.
en janvier 1962, le traic Calais-afrique du nord est encore substan-
tiel 7. un an plus tard, le lorissant traic de la Société navale Caennaise,
dont il était fait si grand cas, est au ralenti. Cette société remet à la Chambre
de Commerce le tiers nord du hangar, loué pour les besoins de la ligne
régulière exploitée entre Calais et l’afrique du nord, dont l’utilisation est
devenue faible 8. très vite la France se tourne vers ses partenaires européens
pour oublier cette « mauvaise afaire » ; et le nord-Pas-de-Calais proite de
sa position géographique, à proximité du Benelux et du royaume-uni.

4. nord littoral, 10 mai 1962, p. 4 et jours suivants.


5. Procès-verbal des délibérations de la CCi de Dunkerque, 25 janvier 1963.
6. la Voix du nord, édition de Dunkerque, 17 janvier 1963, p. 5.
7. nord littoral, 4 janvier 1962, p. 4.
8. Procès-verbal des délibérations de la CCi de Calais, 20 mai 1963.

142
sorties de guerre sur lA côte d’oPAle

identité politique et in du conlit


Les événements du métro Charonne en février 1962 sont l’occasion
pour la gauche de se prononcer avec force contre l’OaS. Le PCF s’écrie :
« Comme en février 1934, Calais dit non au fascisme 9. » un Comité de
Vigilance antifasciste est mis en place qui s’élargit en mars en un vaste
Comité de liaison antifasciste et de défense républicaine. Parmi les signa-
taires se retrouvent : Ligue des Droits de l’Homme, CGt, CGt-FO, CFtC,
Sni, SneS, Snet, PSu, SFiO, PCF, Ligue de l’enseignement, Mouvement
de Libération Ouvrière, association Populaire Familiale, union de Femmes
Françaises, Mouvement de la Paix, Libre-Pensée 10. L’unité syndicale et
politique se fait face à l’issue de la guerre d’algérie.
L’action de l’OaS pousse le bureau du Conseil général du nord à se
réunir à la préfecture pour évoquer « l’autonomie du nord en cas de
putsch 11 ».
« Dans l’hypothèse où, par suite d’un putsch, les pouvoirs constitution-
nels nationaux seraient hors d’état d’assumer leur mission, les organisations
signataires exigeraient que soient mises en application dans le département
du nord les mesures prévues par la loi du 15 février 1872 : le département
du nord s’érigerait en province fédérale autonome jusqu’au rétablissement
des institutions républicaines légales et le Conseil général serait l’organisme
légal chargé d’en assurer l’administration ».
La presse locale n’est pas plus clémente quand elle commente les résul-
tats du référendum sur les accords d’Évian.
« Le “oui” global de la métropole signiie également le refus de l’aventure
fasciste que voudraient lui imposer les néo-nazis de l’OaS et la détermi-
nation de se dresser contre elle si, par malheur, elle passait à l’action de ce
côté de la Méditerranée 12. »
Deux mois après les accords d’Évian, le PCF, les associations et syndicats
communistes lancent un nouvel appel « aux travailleurs, aux républicains
calaisiens » pour un rassemblement contre l’OaS car :
« L’OaS veut instaurer en France un régime de terreur fasciste [...] Pour
l’arrestation et le châtiment des tueurs. Pour l’épuration de l’armée, de la
Police, de la Haute administration. Pour l’application loyale et complète
des accords d’Évian 13. »
Les partis de gauche s’expriment une dernière fois in mai 1962, là
encore contre l’OaS, à l’occasion du procès de son chef, raoul Salan. Le

9. nord littoral, 10 février 1962, p. 2 et 14 février 1962, p. 2.


10. nord littoral, 18 mars 1962, p. 2.
11. la Voix du nord, 10 février 1962, p. 3.
12. nord littoral, éditorial du 9 avril 1962.
13. nord littoral, 25 mai 1962, p. 2.

143
mArc coPPin

PCF exhibe banderoles et slogans sans appel : « Fusillez Salan et Jouhaud »,


« OaS assassins », « Le fascisme ne passera pas 14 »... Les chefs du coup
d’État ne sont pas exécutés mais cela ne surprend pas le PSu qui, dans
un appel à la population calaisienne, ose une explication. « Le régime né
dans la boue du 13 mai n’a pas osé condamner à mort l’homme qui avait
porté de Gaulle au pouvoir 15. »
Pourtant, l’OaS bénéicie de quelques soutiens sur le littoral. Pour
certains, il y a le mythe de l’âge d’or de l’empire. La France ne peut l’aban-
donner « après l’ébranlement subi par l’union française, à la suite de la
perte de l’indochine 16 ». La sensibilité nationaliste est par ailleurs exacerbée
par les humiliations de Diên Biên Phu et de Suez. il y a également la crainte
du communisme dans un contexte de guerre froide, la guerre d’algérie se
présentant comme une nouvelle étape de la politique soviétique d’encercle-
ment de l’europe occidentale, Moscou étant derrière les dirigeants du
FLn 17. un tel sentiment est partagé par des chrétiens traditionnalistes pour
lesquels « la mission chrétienne de la France en algérie passe, comme en
indochine, derrière la lutte contre le communisme ou le maintien de la
grandeur nationale.
L’algérie française recrute en revanche très peu dans le département du
nord, mais quelques exemples sont avérés. ainsi en va-t-il de l’engagement
du médiéviste Guy Fourquin, enseignant à l’université de Lille, chez qui
un « arsenal » est trouvé, ce qui lui vaut l’incarcération 18. Ce soutien intel-
lectuel à l’OaS, l’historien le justiie par la rupture d’une tradition établie
« depuis six cents ans » : un chef d’État dont la personne n’est pas « prison-
nière de l’ennemi », ne doit pas accepter l’abandon d’un morceau de terre
française, alors que « les armes françaises sont victorieuses 19 ».
Jean-Pierre Dickès de Boulogne-sur-Mer intègre la faculté de médecine
de Lille en 1958. il adhère à l’action française au début des années 1960.
Favorable à l’algérie française, il éprouve un sentiment de désolation totale
devant l’échec du putsch. il héberge des membres de l’OaS recherchés dans
son logement étudiant. Son ressentiment n’a toujours pas faibli : « De
Gaulle est un traître qui a abandonné l’algérie, avant-poste de l’Occident
et de la chrétienté. » Scandalisé par le « génocide des harkis », il estime que
« Joxe devrait être traduit pour crime contre l’humanité devant le tPi 20 ».
Jean-Pierre Dickès est un engagé de la première heure auprès de Mgr Lefebvre,
14. nord littoral, 31 mai 1962, p. 2.
15. nord littoral, 25 et 30 mai 1962, p. 2.
16. Propos de M. Pellenc, sénateur du Vaucluse, cité par Daniel Lefeuvre, chère Algérie, la France et sa
colonie 1930-1962, Paris, Flammarion, 2005, p. 269.
17. Daniel Lefeuvre, chère Algérie..., op. cit., p. 346.
18. anne-Marie Duranton-Crabol, le temps de l’oAs, Bruxelles et Paris, Éditions Complexe, 1995,
p. 100-101 et 143.
19. l’esprit public, n° 4, 6 janvier 1961, cité par anne-Marie Duranton-Crabol, le temps de l’oAs,
op. cit., p. 101.
20. entretien avec l’auteur en 2005.

144
sorties de guerre sur lA côte d’oPAle

président de l’association Catholique des inirmières et Médecins (aCiM),


il est également Président de la Société académique du Boulonnais.

Le soutien à de Gaulle
Les repères idéologiques sont bouleversés par l’issue politique du conlit.
La solution négociée, le canard enchaîné l’attend de la gauche au pouvoir.
Dès octobre 1958 à propos de la politique du général de Gaulle :
« Ce sabre est en train d’accomplir un prodige. il ouvre une voie dans
laquelle Pierre Mendès France lui-même aurait hésité à s’engager... Que
dois-je faire sinon dire : bravo ?... C’est un monde, avouez-le, qu’un général,
même en retraite, se mette à faire le boulot du chef du Parti socialiste, que
dis-je ? À réparer les dégâts causés par celui-ci. Jules Guesde s’en arracherait
la barbe. Quelle époque de c... 21 ! »
C’est un militaire classé à droite et accusé de surcroît de « coup d’État »,
qui prend l’initiative de provoquer l’autodétermination et devient dès lors,
la cible des tenants de l’algérie française.
Les désaccords de la gauche apparaissent au grand jour lorsque les
accords d’Évian, entrés en vigueur le 19 mars 1962, doivent être ratiiés par
les Français. Le PSu – section de Calais – comme le Sni, appelle dans
une tribune libre à répondre « oui à la paix et non au pouvoir personnel 22 ».
alors que le PCF, qui rappelle avoir « proposé cette solution dès les premiers
jours de la guerre en novembre 1954 », prône une décision contraire :
« Malgré l’hostilité de principe de notre Parti au système de référendum,
notre opposition irréductible au pouvoir personnel et à la malfaisance de
sa politique, considérant avant tout l’intérêt de la paix et de la France, nous
vous appelons à répondre Oui 23... »
nord littoral prend très clairement position en faveur du « oui » :
« Comme le faisait remarquer pertinemment le brillant chroniqueur du
canard enchaîné, Morvan Lebesque, c’est la première fois que le peuple est
appelé à décider de la in d’une guerre [...] Votez Oui... Pour que tous nos
jeunes soldats reviennent rapidement d’algérie [...] Pour que soit écrasée
la menace fasciste qui pèse sur la France. Pour que soit réduite la durée du
service militaire 24. »
L’éditorial résume bien à la fois la lassitude devant la longueur du conlit
qui a conduit à l’éloignement, à la séparation d’avec les jeunes appelés du
littoral et la peur de voir triompher l’extrême-droite au détriment de la
démocratie.
21. Laurent martin, « L’honneur du canard enchaîné », l’Histoire, n° 292, 2004, p. 48 sq.
22. nord littoral, 4 avril 1962, p. 2.
23. nord littoral, 6 avril 1962, p. 2.
24. nord littoral, 8 avril 1962.

145
mArc coPPin

avec des chifres très supérieurs à la moyenne nationale et départemen-


tale, la ville de Calais apporte lors des référendums d’avril 1961 et 1962
un soutien clair à la politique algérienne du chef de l’État. À l’issue du
conlit, Jacques Vendroux, maire de Calais et beau-frère du général de Gaulle
analyse cet attachement des Calaisiens à la personne du chef de l’État :
« Je constate que la sympathie qui va vers de Gaulle est plus profonde
au cœur de la masse laborieuse des Français que dans les milieux dits
“bourgeois” où fermentent les vieilles amertumes pétainistes et continuent
de se développer la haine des nostalgiques de l’algérie française et des
activistes de l’OaS 25. »
« une page tournée » titre la Voix du nord au lendemain de l’entrée en
vigueur du cessez-le-feu. après avoir entretenu si longtemps le mythe
d’une algérie française, le journal le dénonce en donnant raison au chef de
l’État qui trouve la meilleure des solutions, une algérie toujours liée à la
France, mais cette fois par des accords de coopération 26.
au mythe de « l’algérie c’est la France » condamné par la réalité démo-
graphique et l’évolution du monde, le Général de Gaulle a eu l’audace et
le mérite d’opposer un jour le droit du peuple algérien à disposer de
lui-même, non sans rechercher en même temps la meilleure des solutions
possibles. entre l’illusoire : le maintien de la domination coloniale et le
redoutable : la sécession sous la dictature communiste, le Chef de l’État s’est
eforcé de tracer une voie moyenne.
Dans le Montreuillois, le bilan est plus amer. L’éditorialiste du Journal
de montreuil revient sur le bilan de ces longues années de guerre :
« Quand même, cette perte de l’algérie, après celle de l’indochine, du
Maroc, de la tunisie et de toutes nos ex-colonies noires, c’est un nouveau
et très dur sacriice pour notre pays. Qu’il paraît vain de camouler en
déclarant que c’était la vocation de la France de conduire l’algérie à l’indé-
pendance et d’y guider ses premiers pas 27. »
après le coût humain de la guerre, l’accent est mis à nouveau sur l’abais-
sement national. Mais partout sur la Côte d’Opale les résultats sont favora-
bles aux accords d’Évian.

Des fractures dans l’unité


L’opposition au chef de l’État devient ensuite plus vive, notamment
lorsque le général de Gaulle demande aux Français leur avis sur l’élection
du Président de la république au sufrage universel. Le 4 octobre 1962, a
25. Jacques vendroux, ces grandes années que j’ai vécues...1958-1970, Paris, Plon, 1975 : ici en date du
29 octobre 1962.
26. la Voix du nord, 20 mars 1962.
27. le Journal de montreuil, 25 mars 1962.

146
sorties de guerre sur lA côte d’oPAle

lieu à l’assemblée nationale le vote de la motion de censure au gou-


vernement Pompidou. Sur les huit députés de la Côte d’Opale, cinq ont
peur d’une présidentialisation du régime : les députés SFiO et indé-
pendants. Les trois députés de droite ne prennent pas part au vote.
Paul reynaud, député des Flandres, imite Mirabeau en adressant ces propos
à Georges Pompidou :
« Monsieur le Premier Ministre, allez dire à l’Élysée que notre admiration
pour le passé est intacte, mais que cette assemblée n’est pas assez dégénérée
pour renier la république. »
Quelques jours plus tard, Jules Houcke, maire de nieppe, ami personnel
du général de Gaulle, relève le déi :
« Je reviens de l’Élysée pour vous dire, Monsieur, que nous ne sommes
pas nous non plus, électeurs des Flandres, assez dégénérés pour renier notre
passé, renier notre parole 28. »
Les socialistes estiment qu’il s’agit d’une procédure anticonstitution-
nelle, qui rompt l’équilibre des pouvoirs, en donnant une autorité excessive
au chef de 1’État et donc condamnent une évolution vers le pouvoir
personnel. Dans les colonnes de liberté, « non au plébiscite » devient un
slogan. nord matin utilise cette formule concurremment avec d’autres :
« non à l’aventure, non à l’inconnu, non au césarisme, non au chantage 29. »
Jean Lechantre titre « Pouvoir personnel ou démocratie : verdict ce soir » le
jour du référendum. Le 8 novembre 1962, « De Gaulle jette le masque. il
déclare la guerre à la démocratie ». alors que robert Décout, dans la Voix
du nord du 24 novembre 1962, écrit : « entre un gaulliste et un commu-
niste, il ne saurait y avoir d’hésitation possible. Ce n’est pas de Gaulle qui
menace la démocratie. »
Jeannil Dumortier, maire de Saint-Martin-les-Boulogne, qui jusque-là
soutenait les grandes décisions du chef de l’État, fait adopter par le conseil
municipal, à l’unanimité, le vœu suivant :
« Le conseil municipal constate que le Président a violé la constitution
dont il devait être le gardien. Considérant qu’il ouvre une brèche par
laquelle un aventurier pourrait passer un jour pour renverser la politique
et supprimer les libertés. Considérant que la ratiication de la question
soumise au référendum serait une porte ouverte au pouvoir personnel et à la
dictature [...] le conseil municipal demande à la population de Saint-Martin
de répondre “non” au référendum du 28 octobre, pour la paix publique,
pour la liberté, pour la république une et indivisible 30. »

28. Yves-Marie Hilaire, Bernard Ménager (dir.), Atlas électoral nord-Pas-de-calais, 1946-1972, univer-
sité de Lille 3, éditions universitaires, 1972, p. 74.
29. Ibid., p. 76.
30. arnaud Brécy, la vie municipale dans la commune de saint-martin-Boulogne depuis 1945, mémoire
de Maîtrise, uLCO [P. Villiers, B. Béthouart (dir.)], 1997.

147
mArc coPPin

en dépit de cette recommandation, 58,4 % des Saint-Martinois répon-


dent positivement.
Le climat d’« union sacrée » qui entoure le retour au pouvoir du général
de Gaulle pour les législatives de 1958, perdure et s’ampliie en 1962. Le
résultat des législatives des 18 et 25 novembre 1962 est favorable aux
gaullistes. Sur les huit circonscriptions, six restent ou tombent entre leurs
mains. La SFiO parvient à garder deux sièges, tandis que les indépendants
paient le prix de leur « trahison ».

L’arrivée des Pieds-noirs


Le premier appel en faveur des rapatriés date de la in mai 1962, à
propos de l’« opération trois chambres » du Secours Catholique 31 : il s’agit
de mettre à la disposition des réfugiés, en priorité femmes et enfants,
une chambre gratuitement pendant un an. Le nombre de Pieds-noirs est
alors très limité. Le Secours Catholique fait appel à la générosité des
Calaisiens en juin 1962 pour une mère et ses 3 enfants en provenance
d’Oran : « il faudrait tout ce qui peut être nécessaire à des exilés qui n’arri-
veront qu’avec 2 ou 3 valises, laissant là-bas tout le reste 32. »
Les arrivées se multiplient bientôt et le sous-préfet de Calais décide la
création, le 22 juin 1962, d’un « comité local d’accueil des Français
rapatriés d’Outre-mer 33 ». À la in du mois d’août, le nombre de rapatriés
devient signiicatif, nord littoral titre : « Oiciel : 100 familles de rapatriés
d’algérie s’installent à Calais où l’on en attend beaucoup d’autres 34. » avec
300 personnes, le journal évoque déjà le problème de la coexistence.
Pourtant, plus de la moitié de ces familles sont des ménages de fonction-
naires, reclassés à Calais. nord littoral aborde en outre l’épineuse question
du logement, à une époque où la ville poursuit sa reconstruction. Le
problème s’ampliie à l’automne car nord littoral titre en octobre 1962 :
« il y a actuellement 359 “pieds noirs” à Calais : 54 familles sont déiniti-
vement installées. 46 familles ont été logées par la sous-préfecture : 27 réqui-
sitions et 19 habitations à loyer modéré. Familles non logées : 13 installa-
tions provisoires chez des parents, en garnis ou à l’hôtel 35. »
en ce qui concerne le marché du travail, la ville de Calais doit remplir
un questionnaire pour la préfecture du département, ain d’indiquer avec
précision ses capacités d’accueil 36. Le personnel municipal étant au complet,
aucun emploi n’est disponible non plus que pour des postes, dans le secteur

31. nord littoral, 26 mai 1962, p. 2.


32. nord littoral, 9 juin 1962, p. 2.
33. archives municipales de Calais, série Q144.
34. nord littoral, 26 août 1962, p. 3.
35. nord littoral, 14 octobre 1962, p. 7.
36. archives municipales de Calais, série Q144.

148
sorties de guerre sur lA côte d’oPAle

privé, d’agents de maîtrise, d’ingénieurs ou de cadres. Les possibilités


d’implantation sont très restreintes dans le domaine agricole. au plus
trouve-t-on quelques places de manœuvres dans l’industrie ou l’artisanat.
Dans le commerce, les possibilités sont plus nombreuses, dans la restaura-
tion notamment.

réinsertions et insertions :
parcours d’appelés et d’expatriés
reprendre une vie normale, se réadapter, c’est avant tout retrouver le
climat de la Côte d’Opale, reprendre ses habitudes, retrouver famille, amis
et vie professionnelle. Beaucoup d’appelés sont dépaysés, perdus à leur
retour. Ce retour tant attendu est parfois source de déception, pour cause
d’absence de la femme aimée qui n’a pas su attendre, de diicultés à recons-
truire une situation sociale. Mal préparés pour cette guerre, les appelés du
littoral ont mal préparé leur retour. ils ne peuvent oublier un conlit qui les
a profondément déstabilisés.
Presque pour tous se dégage un sentiment de frustration car le départ
retarde l’entrée dans la vie professionnelle, le passage d’examens ou un futur
mariage. Les pouvoirs publics prennent toute une série de dispositions,
visant à garantir l’emploi de ceux que les événements d’algérie ont conduits
ou maintenus sous l’uniforme. Quelques exemples 37.
« La loi du 27 mars 1956, modiie en faveur des rappelés l’article 25
du Livre i du Code du travail : le contrat de travail ou d’apprentissage ne
peut être rompu pour cause d’obligations militaires. La durée des services,
à compter de la date du rappel, entre en compte pour la détermination de
l’ancienneté dans l’entreprise. Les militaires rappelés ont également l’entier
bénéice de l’article 54 g du Livre ii du Code du travail, relatif aux congés
payés. tout militaire du contingent ayant manifesté son désir de réoccuper
l’emploi qui était le sien avant son incorporation doit, selon la loi, être
réintégré dans l’entreprise dans le mois qui suit le retour à la vie civile. »
Comme vétérinaire, Jean-Pierre Comiant a dû actualiser ses connaissances
après avoir été appelé sous les drapeaux de novembre 1959 à février 1962 38.
De nombreux appelés originaires du littoral de la Côte d’Opale ont, tout au
contraire, facilement retrouvé le chemin de la vie active. Jean Gardy savait
trois mois avant de rentrer déinitivement en métropole quelle était son
afectation en tant qu’instituteur débutant. Libéré en novembre 1962, il a
commencé à travailler tout de suite, sans formation préalable ! La réinser-
tion sur le marché du travail de M. Masson, de Gouy-Saint-andré, a dû
37. Frédéric Médard, « Les dispositions sociales relatives à la protection des militaires appelés, rappelés
ou maintenus, 1954-1962. », in Jean-Charles Jauffret (dir.), des hommes et des femmes en guerre
d’Algérie, Paris, autrement, 2003, p. 416.
38. Les témoignages qui suivent ont été recueillis par l’auteur.

149
mArc coPPin

être facilitée par le pécule qu’il a ramené de son séjour de deux ans dans le
Sahara, entre 1960 et 1962. « Je suis revenu avec 220 000 francs d’écono-
mies. Là-bas, il n’y avait rien à dépenser. » D’autres ont le sentiment d’avoir
perdu deux ans d’avancement dans leur carrière. ils sont en tout cas plusieurs
à penser que leur service aura été une perte de salaire « pour une voiture,
un mariage ».
Pour les expatriés, l’insertion est encore plus diicile, si loin des rivages
de la Méditerranée. Dans muriel ou le temps d’un retour d’alain resnais,
qui se déroule en 1963 à Boulogne-sur-Mer, alphonse évoque les 15 années
à alger, où il était gérant d’un café :
« un bien beau pays, les plus belles années de ma vie, on ne peut pas se
faire à l’idée qu’on a quitté tout ça. il me faudra du temps, beaucoup de
temps, avant que je puisse parler à cœur ouvert de ce sujet. »
Le rapport des rG du 6 septembre 1962, décrit la population rapatriée
présente dans le département du Pas-de-Calais 39. Le nombre total des
réfugiés d’algérie recensés au 31 août est de 1 243, soit 350 hommes,
405 femmes, 488 enfants. ne sont pas compris dans ces statistiques les
450 fonctionnaires dont près de 400 appartiennent à la Police et le millier
de membres de leurs familles. Dans leur majorité, les rapatriés d’algérie, au
moins pour ceux qui n’appartiennent pas à la fonction publique, sont aigris
et désabusés. ils ne cachent pas leur ressentiment envers le gouvernement
qui, d’après eux, ne s’est absolument pas soucié du sort que sa politique leur
réservait. Certains airment que leurs intérêts ont été totalement sacriiés.
ils entretiennent cependant en général de bonnes relations avec les métro-
politains bien qu’ils reprochent assez souvent à ceux-ci de « ne pas les com-
prendre ». Chez les fonctionnaires l’état d’esprit est un peu diférent.
D’abord, un certain nombre d’entre eux, notamment parmi ceux qui ne
sont pas originaires d’algérie, se montrent moins sévères à l’égard du gou-
vernement. Surtout, ils n’ont pas le souci de trouver un emploi. enin, la
plupart se déclarent satisfaits de l’accueil qu’ils ont reçus dans leurs services
respectifs et rendent hommage à la gentillesse dont leurs collègues métro-
politains ont fait preuve à leur égard lors de leur arrivée.
Le problème de l’emploi est beaucoup plus sérieux. Le nombre des
rapatriés non fonctionnaires ayant repris une activité professionnelle
demeure faible. ils répugnent en général à accepter une profession autre que
la leur et à se satisfaire d’un salaire inférieur à celui qu’ils avaient en algérie
et qui ne leur permettrait pas de retrouver un niveau de vie analogue à celui
qu’ils ont eu jusqu’alors. nombreux sont ceux qui préfèrent épuiser les
délais qui leur sont impartis pour le choix d’une profession et vivre de leur
indemnité de subsistance qui, par le jeu de la prime géographique, est assez
souvent supérieure au salaire qui leur est ofert. il semble que certains
39. aD du Pas-de-Calais, 1W44505, document soumis à dérogation.

150
sorties de guerre sur lA côte d’oPAle

employeurs hésitent à embaucher des rapatriés, car ils craignent que des
incidents éclatent entre ceux-ci et leurs camarades de travail métropo-
litains.
L’apport économique constitué par les rapatriés d’algérie est considéré
comme absolument négligeable dans le Pas-de-Calais. Sur le plan politique,
ils accordent leur sympathie aux organisations hostiles au gouvernement,
mais compte tenu de leur faiblesse numérique et de leur dispersion, ils ne
sont pas susceptibles de modiier la physionomie politique ni à l’échelon
départemental, ni même dans les localités où ils se trouvent. ils seraient du
reste incapables de former, sous le couvert de la défense de leurs intérêts
particuliers, une organisation politique de quelque puissance.
Les blessures de la communauté rapatriée sont sans doute davantage
d’ordre mémoriel plutôt que pécuniaire. Le ressentiment porte d’abord sur
ce qu’ils sont nombreux à considérer comme une trahison à la parole
donnée, comme antoine tomi, installé au touquet :
« Même maintenant, pour moi de Gaulle c’est un grand homme, car il a
fait beaucoup pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais
pour la guerre d’algérie, pour moi, c’est un type qui a trahi, c’est tout,
je le ressens comme ça... Quand il y a eu les attentats contre de Gaulle, si
j’avais pu être parmi cette bande là, je l’aurais fait, je l’aurais fait volon-
tiers 40. »
Le ressentiment ne s’exprime pas à l’encontre de la population, mais
bien envers le gouvernement.
Des harkis s’installent également à Dunkerque, après un long séjour,
4 ans parfois, dans des camps comme celui de Saint-Maurice-l’ardoise.
en 1964, la population harki dans le nord de la France compte entre
1 500 et 2 000 individus très inégalement répartis 41. Dans l’aggloméra-
tion dunkerquoise 102 familles sont présentes, soit 714 personnes. Pour
le Pas-de-Calais, 78 familles sont recensées. Par contre, pour l’espace
littoral du département, le nombre des ex-supplétifs musulmans est extrê-
mement faible 42. La grande majorité des harkis réside dans le bassin minier.
Peu d’algériens s’installent sur la Côte d’Opale, à l’exception de l’agglomé-
ration de Dunkerque en raison de la présence du gigantesque complexe
sidérurgique d’usinor. environ 500 personnes sur les 23 405 que compte
la région en 1962 43. un certain ressentiment s’exprime chez les rapatriés à
l’égard des algériens en général et des travailleurs immigrés en particulier.
40. « la guerre d’Algérie. témoignages 1954-1962 », travail réalisé par les élèves de la section vente action
marchande du lycée professionnel de Montreuil-sur-Mer et leurs professeurs d’histoire géographie
et de mathématiques, année scolaire 2004-2005.
41. nordine Boulhaïs, des harkis berbères de l’Aurès au nord de la France, Villeneuve d’ascq, Presses
universitaires du Septentrion, 2002, chap. Vi.
42. aD du nord, 1624W258, document soumis à dérogation.
43. ali Salah, la communauté algérienne dans le département du nord, université de Lille iii, Éditions
universitaires, Paris, 1973.

151
mArc coPPin

en écho à la guerre
Des blessures ont laissé leur empreinte indélébile sur d’innombrables
appelés originaires du littoral. irrémédiablement marqués sur le plan
psychologique, des soldats ont dû faire appel au monde médical pour
apprendre à vivre avec leurs souvenirs, à surmonter ce que l’on appelle
aujourd’hui le PtSD ou post traumatic stress disorder. Parmi les souvenirs
stressants, il y a la peur récurrente pendant les gardes de nuit, la crainte de
mourir dans une terre inconnue lors d’une embuscade et surtout la mort
des camarades. Les pouvoirs publics instaurent diverses mesures de protec-
tion, dont certaines relèvent des lois d’exception, dérogeant au droit
commun français. La loi n° 55-1074, du 6 août 1955 permet de faire bénéi-
cier les personnels militaires participant à des opérations de maintien de
l’ordre hors de la Métropole, de dispositions légales ou réglementaires du
Code des pensions d’invalidité et victimes de guerre et de l’ensemble des
dispositions prévues en matière de blessures au combat qui, normalement,
sont appliquées seulement en temps de guerre 44.
Face à cette non-guerre, la mémoire des anciens combattants de la
Côte d’Opale est une « mémoire du désarroi » selon l’expression de
Claire Mauss-Copeaux 45. Face à un passé jugé honteux par ceux qui ne
retiennent de cette guerre que ses aspects coloniaux les plus abjects, ils se
sentent oubliés et abandonnés, prisonniers d’une chape de silence.
Jacques Hotille, de Cucq, garde le souvenir de l’incompréhension de ses
proches :
« Lorsque je suis rentré d’algérie et que je parlais des “événements” de
là-bas, je n’étais pas toujours bien compris ; il m’arrivait parfois même d’être
l’objet de remarques plus ou moins désobligeantes ; j’avais donc décidé de
ne plus en parler 46. »
Jean Fourcroy de Boulogne-sur-Mer s’est tu longtemps :
« Mon paquetage rendu, j’ai laissé mes souvenirs avec. J’ai repris mon
travail la semaine suivante. Je n’ai plus parlé de l’algérie pendant 40 ans,
sauf avec ceux qui l’on faite 47. »
Pourtant les souvenirs sont intacts. Le plus dur est de réussir à les
partager avec d’autres personnes que ses frères d’armes, avec ses proches, ses
enfants notamment. Mais la volonté de perpétuer le souvenir se heurte
parfois à une véritable peur, celle que personne ne puisse comprendre ce
44. Frédéric Médard, « Les dispositions sociales relatives... », loc. cit., p. 416.
45. Claire Mauss-Copeaux, Appelés en Algérie. la parole conisquée, Paris, Hachette-Littératures, 1998,
rééd. 2001.
46. Comité local de Montreuil-sur-Mer et environs de la Fédération nationale des anciens Combattants
en afrique du nord, nous avons accompli notre devoir, Éditions Henry, Montreuil-sur-Mer,
juin 2008.
47. témoignage recueilli par l’auteur.

152
sorties de guerre sur lA côte d’oPAle

qui a été vécu. Cela peut favoriser le mutisme. Paul Levray, de la FnaCa
de Calais a un ils qui n’a jamais vu ses albums photos « Je ne pense pas
qu’il comprendrait. » Le souvenir de la mort et des exactions est extrême-
ment douloureux. « On n’oublie pas mais vaut mieux ne pas trop soulever
ces moments-là qui ne peuvent que remuer des souvenirs douloureux et de
la haine 48. »

Conclusion
Les habitants de la Côte d’Opale semblent s’être assez vite résignés à la
perte de l’algérie. Lieu de repli ou d’exil, le littoral accueille plusieurs
centaines de rapatriés, dans une relative indiférence. trop peu nombreux
pour constituer des ghettos ou former des groupes de pression, les Pieds-
noirs désireux de rester sur la Côte d’Opale s’insèrent assez rapidement. Peu
de harkis s’installent sur le littoral, à l’exception de l’agglomération dunker-
quoise à la recherche de main-d’œuvre pour son gigantesque complexe
sidérurgique. C’est également vers Dunkerque que s’oriente l’immigration
algérienne, tant les besoins d’usinor sont importants.
Les échanges commerciaux entre le littoral et l’algérie, principalement
constitués de vin, suscitent une activité économique et portuaire proitable
en particulier à Calais et Dunkerque. Mais après l’indépendance, la Côte
d’Opale proite de sa proximité géographique avec l’europe du nord. La
politique de grandeur et d’indépendance nationale du chef de l’État fait
oublier la perte de la principale colonie du pays d’autant plus facilement
que la Côte d’Opale est la partie du territoire métropolitain la plus éloignée
de la Méditerranée.
Parmi les appelés du littoral, 378 perdent la vie en algérie. Presqu’aucune
commune n’est épargnée par la mort. Les autres tentent de reprendre
une vie normale, mais les blessures morales et psychiques, le stress post-
traumatique, perdurent bien au-delà du cessez-le-feu. Souvent aigris et
prématurément vieillis par l’expérience de la guerre, les soldats de la Côte
d’Opale ne comprennent pas pourquoi ils se sont battus pour une terre que
l’opinion a très majoritairement laissé évoluer vers l’indépendance. ils savent
par contre que rien ne peut leur rendre leur jeunesse perdue si loin des
leurs.
aussitôt les accords d’Évian signés, les Français se sont empressés de
tourner la page, d’oublier le passé colonial. Longtemps considéré comme
synonyme de décadence, l’abandon de l’algérie est très vite ressenti comme
un soulagement pour la région.

48. témoignage recueilli par l’auteur.

153
La vie politique
à la in de la guerre d’Algérie en Bretagne
(1958-1962)
Christian Bougeard

Se pencher sur la situation politique de la Bretagne (à cinq départe-


ments) en 1962 au moment de la sortie de la guerre d’algérie implique
d’analyser une séquence chronologique courte qui s’inscrit dans un temps
plus long ouvert par la Libération d’une région particulièrement résistante.
inluencée par le gaullisme de guerre et une forte contribution à la France
libre, la Bretagne est aussi marquée par une culture politique où le clivage
gauche-droite passe encore par la coupure entre laïques et catholiques, donc
par la question religieuse et scolaire, même si une force nouvelle à gauche,
le Parti socialiste uniié (PSu) né en 1960 de la guerre d’algérie, tente de
transcender ce clivage 1. La Libération avait brièvement vu un glissement
électoral vers la gauche, en faveur du PCF, moins nettement de la SFiO
mais au détriment des radicaux-socialistes quasiment éliminés. À droite, la
forte poussée de la démocratie chrétienne avec le MrP se voulant en
position centriste a orienté la vie politique régionale et la troisième force,
avant le retour d’une droite plus musclée au sein du rPF gaulliste (de 1947
à 1953). avec l’efacement du rPF, le MrP a regagné une partie du terrain
perdu mais ce sont des indépendants et paysans (CniP), souvent passés par
le rPF, qui ont occupé les terres de droite. Ces personnalités sont confron-
tées à une nouvelle donne en 1958 mais surtout en 1962, plusieurs d’entre
elles ayant occupé des fonctions ministérielles durant la iVe république 2.
Quel est donc l’impact de la guerre d’algérie sur le personnel politique et
les formations partisanes ? Comment l’électorat breton se situe-t-il face au
général de Gaulle et au nouveau régime qu’il instaure ? Qu’est-ce qui est

1. Pour une vue d’ensemble : Jacqueline Sainclivier, la Bretagne de 1939 à nos jours, rennes, éditions
Ouest-France, 1989.
2. ainsi l’uDSr rené Pleven, deux fois président du Conseil, les MrP andré Colin, andré Monteil
et Pierre-Henri teitgen, les socialistes tanguy Prigent et Jean Le Coutaller, le radical-socialiste andré
Morice et le CniP raymond Marcellin. Dans la législature de 1956 à 1958, pas moins de six députés
de Bretagne participent aux gouvernements.

155
cHristiAn BougeArd

déterminant dans les nombreux votes émis de 1958 à 1962 ? toute une série
de facteurs sont à l’œuvre et l’évolution tortueuse de la guerre d’algérie n’en
est qu’un élément. il faudrait tenir compte des mutations économiques et
sociales en cours dans une région agricole confrontée à l’entrée dans le marché
commun de l’europe des Six et à la modernisation de ses structures, mais
aussi agitée par de violentes manifestations paysannes en 1961 et 1962.

Les rapports de force politiques en Bretagne


lors de la naissance de la ve république
Voyons d’abord la situation électorale à la in de la iVe république pour
mieux appréhender si il y a eu un séisme en 1958 ou en 1962. en Bretagne,
lors des élections législatives de 1956, au scrutin de liste départemental à la
proportionnelle, en sièges et en voix les partis de gauche sont minoritaires
car ils ne comptent que 11 députés sur 39. Le PCF a cinq élus plus un
apparenté et 17,28 % des voix (25,3 % en moyenne nationale) ; la SFiO en
a cinq avec 15,31 % des sufrages (14,7 % en moyenne nationale) 3. Ces
deux partis rassemblent moins d’un tiers des sufrages exprimés (32,59 %).
et même en y ajoutant les deux élus centristes (andré Morice et rené Pleven)
classés au centre-gauche laïque mais élus avec des voix de droite, les gauches
n’atteindraient en 1956 que 40,18 % 4. avec 13 députés, le MrP est la
première force parlementaire. Les droites (indépendants et paysans) ont
8 élus et l’extrême droite 5 dont 4 poujadistes, un dans chaque départe-
ment, plus le revenant Henri Dorgères (non-inscrit) en ille-et-Vilaine. La
plupart des indépendants du CniP sont passés par le rPF gaulliste, en
particulier dans le Finistère où on va assister à des chassés-croisés en 1958.
en 1956, les héritiers du rPF, les républicains sociaux n’obtiennent
aucun siège. Depuis le référendum du 5 mai 1946 sur le 1er projet de
Constitution défendu seulement par le PCF et la SFiO où le « oui » n’a
recueilli que 38,3 % des voix en Bretagne (47 % en France), ces deux partis
divisés par la guerre froide ont perdu 6 points même si des rapprochements
se sont ébauchés depuis 1955. À la in de la iVe république, le centre et la
droite dominent la vie politique, tiennent les cinq conseils généraux et sont
bien implantés au niveau municipal.
Lors de la crise du printemps 1958 provoquée par la dégradation de la
situation algérienne, rené Pleven revient au premier plan. Lorsque le
gouvernement de Félix Gaillard est renversé le 15 avril 1958 sur la question
des « bons oices » des États-unis et après l’échec du MrP Georges Bidault,
fervent partisan de l’algérie française, le président Coty charge Pleven de

3. Jean Pascal, les parlementaires bretons de 1789 à 1983, Paris, PuF, 1983.
4. Christian Bougeard, « Le basculement à gauche de la Bretagne. Les grandes étapes d’une implan-
tation réussie de 1958 à 1981 », in Laurent Jalabert (dir.), les gaullistes dans l’ouest atlantique dans
les élections léglislatives de 1958 à 1981, rennes, Pur, 2013, p. 55-71.

156
lA Vie Politique à lA Fin de lA guerre d’Algérie en BretAgne

former le gouvernement le 26 avril 5. en pleines élections cantonales, la crise


gouvernementale traîne en longueur jusqu’à l’électrochoc du coup du
13 mai à alger. Le 8 mai, Pleven était enin parvenu à boucler son gouver-
nement mais en proposant le ministère de la Défense à andré Morice, autre
partisan de l’algérie française, pour rassurer l’armée en algérie, il se heurte
au refus du Parti radical dont Morice est devenu un dissident. Le député de
Dinan renonce et cède la place au président du MrP Pierre Plimlin mais
il accepte le ministère des afaires étrangères au nom du « devoir » pour
« maintenir avec fermeté la permanence de la France et de la république 6 ».
C’est à ce poste qu’il assiste impuissant aux multiples intrigues et pressions
qui ramènent le général de Gaulle au pouvoir le 1er juin 1958. Le 24 mai,
le jour de l’opération sur la Corse des insurgés d’alger, il plaide encore pour
la fermeté face « aux comploteurs » et le dialogue pour « garder une algérie
française, mais non colonialiste ». rené Pleven, qui est informé des opéra-
tions se préparant contre la métropole (résurrection), se rallie entre le 26 et
le 28 mai à la solution de Gaulle. Coniant dans le républicanisme de
son ancien chef de la France libre, favorable à « un gouvernement d’union
nationale allant de Mollet à Pinay », le 1er juin il vote son investiture avec
329 députés dont 27 élus de Bretagne contre les 11 de gauche. Pleven
signe sa rupture avec son parti, l’uDSr, dirigé par son adversaire
François Mitterrand 7. en revanche, après le 13 mai et contre l’avis de son
ami Guy Mollet le leader de la SFiO, tanguy Prigent prend la tête des
parlementaires socialistes opposés au retour au pouvoir du général de Gaulle
sous la pression de la rue. Le 1er juin, il prononce le discours des opposants
socialistes contre celui dont il a été le ministre de l’agriculture de 1944 à
1946. Contre l’avis d’une partie de sa fédération, il fait campagne pour le
non au référendum et perd son siège 8.
Fervent partisan dans les débats parlementaires de 1956-1958 de la
révision constitutionnelle dans le sens d’un renforcement de l’exécutif et du
retour au scrutin d’arrondissement, rené Pleven apporte son appui raisonné
au général de Gaulle dont il avait été le bras droit à Londres de 1940
à 1943, malgré leur brouille politique depuis 1948. il fait coniance à
de Gaulle pour régler « l’afaire algérienne » en conservant ce territoire dans
le giron français et est favorable à la Communauté qui doit remplacer
l’union française. rené Pleven fait campagne pour le « oui » au référendum
tout en s’inquiétant quelque peu du renforcement du pouvoir exécutif.
avec son retour inespéré au pouvoir à la suite du coup du 13 mai et des
voyages en algérie et en afrique, le général de Gaulle accélère la mise en
5. Christian Bougeard, rené Pleven. un Français libre en politique, rennes, Pur, 1995, ch. Xiii
et XiV.
6. le Petit Bleu des côtes-du-nord, 17 mai 1958.
7. Ses éditoriaux du Petit Bleu : « Les données morales et politiques » (31 mai), « après l’investiture »
(7 juin).
8. Christian Bougeard, tanguy Prigent,paysan ministre, rennes, Pur, 2002, ch. Xii et Xiii.

157
cHristiAn BougeArd

place des institutions de la Ve république. Conscient du poids électoral de


la Bretagne (7,5 % des inscrits), le dernier président du Conseil de la
iVe république a pris soin de venir faire campagne à rennes. Lors du réfé-
rendum constitutionnel du 28 septembre 1958, les Bretons donnent 84,6 %
au « oui » avec un taux de participation de 85,1 % alors que la moyenne
nationale est de 79,26 %. Le gaullisme référendaire est une réalité régionale
qui ne va cesser de s’airmer durant la guerre d’algérie. Seules les Côtes-
du-nord où le PCF est bien enraciné ont donné moins (78,5 %). Les
régions de tradition blanche, le Léon occidental, le Vannetais et la bordure
orientale de l’ille-et-Vilaine ont voté « oui » à plus de 95 % [carte 1]. Cette
approbation massive de la Constitution modiie les règles du jeu parlemen-
taire : l’abandon du scrutin de liste proportionnel départemental pour le
scrutin majoritaire uninominal à deux tours et l’habile découpage des
circonscriptions qui réduit le nombre de sièges à 33 (au lieu de 39) peuvent
favoriser les notables bien implantés localement tout en mettant les sortants
en concurrence. en outre, la bipolarisation gauche-droite n’existe pas
encore. De nombreux candidats vont tenter leur chance, souvent avec l’éti-
quette « gaulliste », pour espérer capter l’électorat qui a fait coniance au
général de Gaulle. au second tour, les triangulaires, voire les quadrangu-
laires ne sont pas rares. Le renouvellement est important car 12 députés
sortants sont battus dont des personnalités du MrP (andré Colin,
andré Monteil, Pierre-Henri teitgen) et l’ex-radical andré Morice. Sept
MrP seulement retrouvent leur siège.
Qui sont donc les perdants et les gagnants des élections législatives des
23 et 30 novembre 1958, premier impact politique de la guerre d’algérie ?
Pour la gauche bretonne, 1958 rime avec année zéro car elle ne conserve
aucun député. Ses partis se sont divisés sur les conditions du retour au
pouvoir du général de Gaulle. À l’opposition classique entre communistes
et socialistes s’ajoute la division des socialistes. Si Guy Mollet, le leader de
la SFiO, a accepté de soutenir de Gaulle en appelant à voter « oui », plusieurs
députés socialistes bretons ont fait campagne pour le « non » (tanguy Prigent
et Hervé Mao dans le Finistère, antoine Mazier dans les Côtes-du-nord) 9.
Plusieurs députés sortants de gauche se trouvent en concurrence au
premier tour. À Morlaix, tanguy Prigent, toujours à la SFiO, afronte le
communiste auguste Penven ; au second tour, il bénéicie de son désiste-
ment mais est battu par le Dr Le Duc (51,6 %), le maire de Morlaix, ex-
député MrP (en 1946) passé par le rPF mais qui va siéger avec les indépen-
dants tout en se disant gaulliste car c’est un ancien résistant. À Saint-Brieuc,
antoine Mazier qui a participé en septembre à la scission du Parti socialiste

9. Christian Bougeard, tanguy Prigent, paysan ministre, op. cit. ; Christian Bougeard, « Origines
et implantation du PSu en Bretagne : les fédérations des Côtes-du-nord et du Finistère », in
tudi Kernalegenn, François Prigent, Gilles richard, Jacqueline Sainclivier (dir.), le Psu vu
d’en bas, rennes, Pur, 2009, p. 45-57.

158
lA Vie Politique à lA Fin de lA guerre d’Algérie en BretAgne

Carte 1. – référendum constitutionnel du 28 septembre 1958.

159
cHristiAn BougeArd

autonome (PSa) se voit opposer un candidat de la SFiO et un communiste


au premier tour (6 candidats) ; il est battu au second (36,6 %) dans une trian-
gulaire avec le maire MrP de la ville Victor rault (50,9 %) et l’unr Gallais
(12,3 %). C’est d’ailleurs ce duel fratricide entre socialistes qui fait basculer
la plus grande partie de la fédération SFiO vers le PSa, derrière Yves Le Foll
à l’automne 1958. À Guingamp, au second tour, le maintien de deux députés,
le communiste sortant Guillaume Le Carof (30,6 %) et le socialiste
alexandre homas (22,7 %, député de 1951 à 1956) favorise l’élection du
MrP alain Le Guen (46,6 %). De même, à Saint-nazaire, dans un bastion
socialiste, le député SFiO Jean Guitton, opposé au 1er tour à des candidats
de l’union des Forces Démocratiques (uFD) et du PCF, est battu au second
par le MrP nestor rombeaut, un ouvrier soudeur, responsable syndical
CFtC. À Lorient, le socialiste Jean Le Coutaller (46,2 %) ne parvient pas
à reconquérir son siège, perdu en 1956, contre l’indépendant Le Montagner
alors que les deux candidats socialiste et communiste totalisaient 51,7 %
des voix au 1er tour.
Les centristes démocrates-chrétiens qui ont appelé à voter « oui » par
le truchement de ouest-France résistent bien puisque le MrP conserve
12 sièges (57 en France), auxquels s’ajoutent trois élus du centre laïque
désormais positionné au centre-droit dont rené Pleven, président du
Conseil général des Côtes-du-nord, à Dinan (69,8 % au premier tour) et
son ancien colistier Pierre Bourdellès, député radical de Lannion de 1951
à 1956. À redon, isidore renouard a battu dès le 1er tour le député d’extrê-
me-droite Henri Dorgères. Mais l’ancien ministre radical de la Défense,
andré Morice, décideur en 1957 de la « ligne Morice » à la frontière
tunisienne, est battu dans la circonscription de Châteaubriant par le MrP
Bernard Lambert, un jeune militant syndicaliste agricole (CDJa). Dans
plusieurs circonscriptions (Lannion, Guingamp, Loudéac, Quimper,
Quimperlé), la présence du candidat du PCF au second tour a facilité l’élec-
tion de députés centristes ou de droite dans un vote anticommuniste 10. La
situation va se iger dans cette coniguration jusqu’aux années 1970 provo-
quant lors des duels droite-gauche de 2e tour un mauvais report des voix
socialistes et de centre-gauche sur le candidat communiste. avec 35 candi-
dats dont 26 SFiO et 6 radicaux-socialistes, la gauche non communiste est
tombée à 14,3 % des voix en Bretagne en 1958 et le PCF (33 candidats) à
12,2 % 11. Les députés du MrP, bien enracinés dans leur terroir depuis 1945
ou 1946, sont réélus sans diiculté comme Marie-Madeleine Dienesch à
Loudéac, Louis Orvoën à Quimperlé, alexis Méhaignerie à Vitré,
Paul ihuel (député depuis 1936) à Hennebont, président du Conseil général

10. Le PCF n’a plus que dix députés en France en 1958.


11. Michel nicolas-Jean Pihan, les Bretons et la politique. 30 ans de scrutins en Bretagne 1958-1988,
Presses universitaires de rennes 2, 1988, p. 14-53. nous nous appuyons sur les calculs de cet
ouvrage dont les cinq cartes sont reproduites ici.

160
lA Vie Politique à lA Fin de lA guerre d’Algérie en BretAgne

du Morbihan. Georges Coudray, député d‘ille-et-Vilaine de 1945 à 1956,


est réélu à Saint-Malo contre deux députés sortants, le fondateur du
mouvement de résistance Libération-Sud et apparenté communiste
emmanuel d’astier de la Vigerie et l’ancien ministre et maire indépendant
de Saint-Malo Guy La Chambre. Christian Bonnet, député depuis 1956,
est réélu à Vannes. ils sont rejoints à l’assemblée par Henri Fréville,
maire de rennes depuis 1953 et Xavier trellu, sénateur sortant, à
Douarnenez.
À droite, les indépendants ont obtenu 12 sièges (133 députés en France)
mais, avec 16,5 % des voix (22 % dans le Finistère) et six sièges sur 23 candi-
dats, la percée des gaullistes de l’union pour la nouvelle république (unr)
reste limitée (198 députés en France). il y a parfois plusieurs candidats se
réclamant de De Gaulle, l’un soutenu par l’unr en formation, l’autre du
Centre républicain réformateur (Crr – gaulliste de gauche) comme à
Brest. et il n’est pas toujours aisé de distinguer les gaullistes authentiques
des modérés dans la mouvance du CniP d’autant plus que beaucoup ont
adhéré au rPF entre 1947 et 1953 12. raymond Marcellin est bien sûr réélu
à Vannes avec deux autres indépendants, Louis Le Montagner à Lorient et
Yves du Halgouët à Ploërmel (81,2 % au 1er tour). La Loire-inférieure
demeure un ief des droites conservatrices (5 indépendants sur 8 sièges) qui
continuent de dominer les campagnes blanches mais aussi partiellement
nantes avec l’entrée au parlement de son maire Henry Orrion 13. en ille-et-
Vilaine, les indépendants n’ont qu’un siège (Henri Jouault à rennes-Sud).
Dans le Finistère, on assiste à de curieux chassés-croisés au sein des droites :
les anciens républicains indépendants-rPF, Jean Crouan (CniP) à
Châteaulin, réélu député en 1955, et Joseph Pinvidic, député de Landivisiau
depuis 1951, conservent leur étiquette d’indépendants en se disant gaullistes
tout comme le Dr Le Duc 14, tandis que deux indépendants ex-rPF, Hervé
nader (Quimper), déjà député de 1936 à 1940 et Gabriel de Poulpiquet
(Landerneau), maire et conseiller général depuis 1945, rejoignent l’unr.
Ce sont les deux seuls députés élus sous cette étiquette 15. À Brest, c’est
l’avocat (ri, exclu du rPF en 1949) Georges Lombard qui s’impose de
justesse au 2e tour (de 21 voix) dans une quadrangulaire contre le sénateur-

12. Les indépendants siègent dans le groupe parlementaire indépendants et Paysans d’action Sociale
(iPaS).
13. Les autres députés sont Olivier de Sesmaisons (CniP, élu depuis 1945) à ancenis, Henri robichon
à nantes 3, Jean de Grandmaison à Paimbœuf.
14. ayant appuyé le retour de de Gaulle aux afaires, ils ont eu l’assurance de l’unr en gestation de ne
pas avoir d’adversaire gaulliste. Jean Crouan doit pourtant afronter, outre un MrP, Suzanne Ploux,
candidate « indépendante gaulliste » qui se désiste en sa faveur (erwan Crouan, Jean crouan
1906-1985. un notable inistérien dans la tourmente du XXe siècle, maîtrise d’histoire, uBO, Brest,
2001, p. 167-169).
15. Selon son témoignage recueilli par Sébastien Pocquet, de Poulpiquet n’aurait été investi par l’unr
qu’entre les deux tours car « ils ont vu que j’allais gagner » (Sébastien Poquet, les élus du Finistère
et la guerre d’Algérie (1958-1962), maîtrise d’histoire, uBO, Brest, 1997).

161
cHristiAn BougeArd

maire de Brest (MrP) Yves Jaouen et le socialiste robert Gravot 16. en


revanche, l’unr Gabriel de Poulpiquet (62,8 %) a nettement battu au
second tour andré Colin qui devient le président national du MrP en
1959. La campagne est très dure à Quimper où Hervé nader attaque
personnellement andré Monteil, le député–maire ; tous deux visent le
même électorat catholique. On le voit, les gaullistes de 1958 ne sont pas
tous des hommes nouveaux car l’ancien responsable du mouvement de
résistance Combat, Pierre de Bénouville, député rPF de 1951 à 1956, est
réélu à Fougères dès le 1er tour en battant P.-H. teitgen. Dans le Morbihan,
l’abbé Laudrin, ancien aumônier des Forces françaises libres (FFL),
l’emporte comme « gaulliste » au second tour à Pontivy contre un commu-
niste avec 79,8 % des voix. L’unr obtient deux sièges en Loire-atlantique,
à nantes-1 pour Henry rey, PDG de la Société des transports de l’Ouest,
contre le député de droite sortant M. raingeard et le leader de la SFiO
a. routier-Preuvost, et à Guérande avec l’avocat Bernard Le Douarec, élu
dans une triangulaire.

Les évolutions des positionnements


pendant la guerre d’Algérie
À l’issue des élections législatives de 1958, le centre droit recueille
33,1 % des sufrages (le double de la moyenne nationale) et les droites
(22,7 % pour les indépendants, 16,5 % pour l’unr) dominent la Bretagne :
72,3 % des voix alors qu’avec 26,5 % la gauche (PCF, SFiO, PSa) est
réduite à la portion congrue. Pourtant l’appui au général de Gaulle ne
signiie pas une adhésion au parti gaulliste unr qui a beaucoup de mal à
s’organiser sur le terrain. Dans le Finistère, point fort électoral, la mise sur
pied d’une organisation départementale traîne en longueur du fait de
l’opposition traditionnelle entre le nord et le sud mais aussi à cause de
divergences politiques entre les députés Poulpiquet et Hervé nader. et la
politique algérienne du général de Gaulle n’y est pas pour rien 17. Dès la in
de 1958, en vue de préparer les élections municipales, à Brest d’anciens
responsables et élus du rPF créent une section à laquelle adhère l’ancien
sénateur rPF Yves Le Bot 18. La mise en œuvre du plan d’assainissement de
l’économie par le gouvernement de Michel Debré et les sacriices demandés
n’attirent pas les foules. Les conlits de personnes ne manquent pas entre
gaullistes issus de la guerre (FFL et résistants) et notables de la droite
classique comme Hervé nader. une fédération départementale unr n’est

16. La candidate de l’unr Corentine Piriou, 12,3 % des voix au 1er tour, est dépassée par un gaulliste
de gauche. Yves Jaouen, battu, démissionne de son mandat de maire.
17. Pierre Dathanat, l’unr et les gaullistes dans le Finistère de 1953 à 1969, maîtrise d’histoire, uBO,
Brest, 2001.
18. L’ancien rPF Victor Golvan est élu sénateur unr du Morbihan en 1958.

162
lA Vie Politique à lA Fin de lA guerre d’Algérie en BretAgne

constituée que lors du congrès du Faou le 21 juin 1959 à l’instigation de


l’abbé Laudrin et de la direction parisienne. Le Français libre et Compagnon
de la Libération Charles Le Goasguen, président de l’association pour le
soutien à l’action du général de Gaulle en 1958 mise en veilleuse, en devient
le secrétaire départemental. De futurs députés de 1962 comme roger Évrard
à Quimper, antoine Caill et Gabriel Miossec font partie du comité dépar-
temental de l’unr. Le nombre d’adhérents qui passe d’une fourchette de
50 à 100 en juillet 1959 à 300 à 600 en juillet 1963 n’a rien à voir avec les
milliers d’adhérents du rPF (15 000 en 1948) 19. ils sont un peu plus nom-
breux en ille-et-Vilaine et en Loire-atlantique en 1959 et tous les départe-
ments bretons sont la fourchette des 300-600 en 1963, ce qui traduit
un essor militant dans la région mais loin des grandes fédérations de ce
parti.
Lors des élections municipales de mars 1959, l’implantation locale de
l’unr en Bretagne s’est heurtée au solide enracinement du MrP et des
indépendants, voire de la gauche socialiste dans les Côtes-du-nord et dans
certaines régions du Finistère (trégor). Dans le Finistère, l’unr n’obtient
que 17 maires (5,8 %) en incluant le Dr Le Duc, réélu à Morlaix : nader est
battu dès le 1er tour à Penhars ; à Brest Georges Lombard bat Le Goasguen.
La quasi-totalité des maires unr (14) sont élus dans le Léon occidental, le
ief de Poulpiquet à part l’île de Sein. Cette fragile implantation locale
apparaît bien dans le Finistère lors des élections sénatoriales. Le
26 avril 1959, les leaders MrP andré Colin et andré Monteil rejoignent
la chambre haute (trois MrP et un indépendant, ex-rPF). Le gaulliste Yves
Le Bot est battu. en 1960, lors des élections municipales suivant la fonda-
tion du Grand Quimper, l’afrontement très personnalisé entre nader et
Monteil fait élire une municipalité de gauche.
un premier tournant est amorcé dans la politique algérienne le
16 septembre 1959 lorsque le général de Gaulle annonce son intention de
recourir à un référendum sur l’autodétermination algérienne. Des trois solu-
tions proposées, « la francisation complète », « la sécession » ou « le gouver-
nement des algériens par les algériens appuyés sur l’aide de la France »,
c’est évidemment la dernière qui lui semble la meilleure. Le MrP, sous les
plumes de Paul Hutin-Desgrées et de François Desgrées du Lou dans ouest-
France, apporte son appui à « cette chance de paix et de réconciliation » tout
comme la SFiO et le leader du CniP Paul reynaud. Le PCF et le PSu se
montrent très critiques. Depuis 1958 et parfois avant, dans divers comités
dont des comités de vigilance lancés par le PCF en mai et juin 1958, les
partis de gauche (PCF, PSa puis PSu) avec les syndicats (CGt, CFtC,
l’uneF dans les villes étudiantes) se mobilisent contre la guerre d’algérie.
actif militant du PSu, tanguy Prigent est blessé par la police lors du grand
19. Jean Charlot, l’unr, étude du pouvoir au sein d’un parti politique, Paris, a. Colin-FnSP, 1967,
p. 118-129.

163
cHristiAn BougeArd

meeting syndical de la Mutualité à Paris le 27 octobre 1960 « pour la Paix


négociée en algérie ».
Mais c’est de droite, y compris d’une fraction de l’unr, que les plus
vives réactions se manifestent. au Parlement, des députés opposés au
processus initié par de Gaulle créent le 19 septembre 1959 un rassemblement
pour l’algérie française (raF). Deux députés de l’unr y participent dont
Jean-Baptiste Biaggi qui adresse même une lettre à ses collègues pour leur
demander d’y adhérer. il est rappelé à l’ordre par son parti. Le 14 octobre,
neuf députés partisans de l’intégration quittent l’unr. Pourtant, le
16 octobre, 441 députés approuvent l’autodétermination dont les 33 élus
de Bretagne. rené Pleven estime que de Gaulle est alors : « Le Français le
plus capable de ramener la paix en algérie et d’éviter la séparation de
l’algérie et de la France 20. »
Le 2 février 1960, ils sont 31 contre un (robichon) à voter les pou-
voirs spéciaux au gouvernement Debré après la semaine des barricades à
alger 21. Mais pour certains élus indépendants comme Georges Lombard,
membre de la commission de la Défense nationale, le malaise est patent
car le gouvernement Debré entretient l’ambiguïté – ne tranchant pas
entre l’association et la francisation. Le CniP est de plus en plus divisé
sur la question algérienne et hostile à de Gaulle notamment en Loire-
atlantique.
Qu’en est-il de l’unr inistérienne 22 ? Le 26 octobre 1959, le congrès
départemental de l’unr du Finistère, y compris Hervé nader, appuie le
chef de l’État. Charles Le Goasguen, idèle parmi les idèles, a fait voter
« un soutien inconditionnel à la politique algérienne de de Gaulle 23 ». au
moment des journées des barricades à alger, il a cherché à réactiver son
association de soutien à de Gaulle. Poulpiquet adopte une attitude ambiguë
collant aux positions du Général, sans s’engager sur le terrain. avec
Corentine Piriou, il appartient au camp des « orthodoxes » comme les
appelle Jean Charlot alors qu’Hervé nader glisse vers celui des « intégra-
tionnistes ». nader, de fait partisan de l’algérie française, fait partie des
contestataires de l’unr que Le Goasguen cherche à écarter, envisageant
même son exclusion en mars 1960.
De Gaulle poursuit le processus d’ouverture en évoquant lors d’une
conférence de presse le 5 septembre 1960 une « algérie algérienne liée à la
France ». en réalité, de Gaulle prépare les esprits aux évolutions inévitables
par une série de visites présidentielles. région essentielle, en septembre il
fait un tour de la Bretagne historique en parcourant pendant cinq jours les
cinq départements au cours d’un périple de 1 800 km, faisant 75 arrêts et

20. le Petit Bleu des côtes-du-nord, 17 octobre 1959.


21. Jean Pascal, op. cit., p. 615.
22. Pierre Dathanat, op. cit., p. 75-83, selon les renseignements généraux (rG).
23. aDF. 31 W 423. rapport des rG du 26 octobre 1959.

164
lA Vie Politique à lA Fin de lA guerre d’Algérie en BretAgne

prononçant 22 discours dans les principales villes 24. acclamé, le chef de


l’État insiste sur l’unité nationale et martèle que la France est disposée à
discuter avec les algériens, malgré l’échec des pourparlers de Melun avec le
FLn en juin. Les préfets ont mobilisé les maires et la population.
L’opposition de gauche appelle à boycotter les rencontres. Pour réactiver le
mythe résistancialiste et la geste de 1940, le chef de l’État se rend sur l’île
de Sein. À Quimper, il rencontre les parlementaires au Conseil général
leur déclarant à propos de l’algérie avec une certaine brutalité : « eh bien !
une page de notre histoire est tournée 25. » Plusieurs élus du CniP qui
croyaient encore en l’algérie française grâce à de Gaulle sont choqués, dont
Georges Lombard et Joseph Pinvidic 26 – et sans doute Hervé nader qui
en tant qu’armateur et négociant en vins a beaucoup à perdre avec l’indé-
pendance. Si le président du MrP andré Colin appuie la politique du
Général tout au long de l’année 1960, son collègue Xavier trellu, ami de
Georges Bidault pro-algérie française, est beaucoup plus réservé. Des
convergences se dévoilent : le 15 novembre 1960, trellu (MrP) et Lombard
(Cni) votent pour la suspension de la détention jugée « excessive » du
député Lagaillarde, leader de la semaine des barricades, proposition d’ailleurs
rejetée. Dans le même temps, Jean Crouan et le Dr Le Duc (CniP) soutien-
nent de Gaulle.
Le 4 novembre 1960, de Gaulle annonce la tenue du référendum sur
l’autodétermination le 8 janvier 1961. une fronde secoue quelques députés
de l’unr à l’instigation de raymond Dronne, élu de la Sarthe. Le
17 décembre, dix députés, dont Hervé nader, critiquent dans un manifeste
un pouvoir qui pratique « trop souvent la politique antinationale
d’une certaine gauche et la politique antisociale d’une certaine droite » tout
en assurant le Général de leur idélité 27. L’unr, le MrP et la SFiO appel-
lent à voter « oui » contrairement aux partisans de l’algérie française (extrê-
me-droite). Le PCF et le PSu refusent un plébiscite. Pour éviter une scission,
le CniP très divisé laisse la liberté de vote à ses adhérents. Georges Lombard
fait campagne pour le « non », ce qui perturbe le conseil municipal de Brest
dont il est devenu maire au printemps 1959 28. avec une forte abstention
en métropole (23,5 %), le « oui » obtient 75,2 % des sufrages exprimés. Les
Bretons soutiennent le général de Gaulle en lui apportant 82,9 % de oui,
de 77,2 % dans les Côtes-du-nord à 86 % dans le Morbihan 29. Les mêmes
24. Patrick Gourlay, « Les voyages du président de Gaulle en Bretagne. La France, la Bretagne et
l’histoire », in Christian Bougeard, Vincent Porhel, Gilles richard, Jacqueline Sainclivier
(dir.), l’ouest dans les années 1968, rennes, Pur, 2012, p. 145-159.
25. Georges Lombard, Au service de Brest. de la mairie à la communauté, Brest, éditions de la Cité,
1976, p. 28 et interview du 19 février 1997 réalisée par Sébastien Pocquet, op. cit.
26. Lettre à Jean Crouan du 17 août 1964.
27. Jean Charlot, op. cit., p. 147-148. Dronne est exclu de l’unr en novembre 1961.
28. après coup, il dit avoir été en désaccord non sur le fond, mais sur la forme ?
29. À Saint-Jean-du-Doigt, commune dont tanguy Prigent est le maire, le « oui » n’a recueilli que
52,5 %.

165
cHristiAn BougeArd

régions blanches qu’en 1958 donnent plus de 95 % de « oui » sauf à nantes


et en Loire-atlantique où les réticences des droites se font sentir [carte 2].
Le putsch des généraux à alger du 22 au 24 avril 1961 radicalise la
situation et mobilise tous les défenseurs de la république. ouest-France
publie un numéro spécial de soutien à de Gaulle le 23 avril. Le MrP inis-
térien souhaite encore « une paix fondée sur l’association de la France et de
l’algérie ». rallié à la nécessité de négocier avec le GPra et donc le FLn,
rené Pleven condamne ceux qui ont osé « franchir le rubicon » et appelle
« au juste châtiment des coupables ». répondant aux appels du chef de
l’État et de son premier ministre, il semble que dans plusieurs villes de
Bretagne des barrages routiers aient été envisagés pour empêcher les
parachutistes putschistes de débarquer 30. Selon son témoignage, Gabriel de
Poulpiquet aurait été appelé dans la nuit du 23 au 24 avril par le cabinet
de roger Frey pour aller occuper l’aéroport de Guipavas avec des paysans.
rené Coadou, le maire MrP de Plugufan, conseiller général de Quimper,
lance le même appel pour occuper celui de sa commune. Mais il ne se passe
rien. Les partis de gauche et les syndicats mobilisent leurs troupes dans les
villes lors de meetings et les conseils municipaux votent des messages de
soutien au chef de l’État. Cette grave crise politico-militaire n’empêche pas,
en juin 1961, d’importantes manifestations paysannes en Bretagne dont
« la prise » de la sous-préfecture de Morlaix avec des méthodes commandos
apprises en algérie.
L’OaS ne semble pas avoir eu beaucoup de ramiications dans la région.
Quelques attentats sont signalés dans l’Ouest à Vannes, à Lanester et à
Pontivy (nuit du 10 au 11 février 1962). À Brest, quelques oiciers de
Marine retraités ont participé à la in de 1960 à un comité algérie française.
Quelques activistes du mouvement Jeune nation (étudiants ou ex-pouja-
distes) s’agitent. Mais l’opinion publique aspire à la in d’un conlit qui fait
des victimes parmi les jeunes appelés du contingent.

Échec relatif des notables


et poussée gaulliste en Bretagne en 1962
La signature des accords d’Évian le 18 mars 1962 est un réel soulage-
ment dans une région peu concernée par la question pied-noire et par
l’immigration algérienne. rené Pleven qui a plaidé tout au long de
l’année 1961 pour une double négociation, avec le GPra mais aussi avec
les Français d’algérie, appelle sa fédération ex-uDSr des Côtes-du-nord
à « un oui franc et méritoire ». À Brest, Georges Lombard fait campagne
pour le « non ». Le 8 avril 1962, avec une participation de 75 %, les
accords d’Évian et donc l’indépendance de l’algérie sont acceptés par

30. ouest-France, éditions du Finistère, 25-26 avril 1961.

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167
lA Vie Politique à lA Fin de lA guerre d’Algérie en BretAgne

Carte 2. – l’autodétermination en Algérie, le référendum du 8 janvier 1961.


cHristiAn BougeArd

90,7 % des Français et 94,5 % des Bretons [carte 3]. tous les partis ont
appelé à voter « oui » sauf le PSu qui s’est prononcé de fait pour un vote
nul 31.
avec la in de la guerre d’algérie, la vie politique reprend ses droits. Le
27 avril 1962, la coniance au nouveau gouvernement de Georges Pompidou
n’est votée que par 21 députés de Bretagne, deux contre (Pleven et
Bourdellès mécontents d’une réponse du premier ministre sur les questions
européennes) et 10 abstentions (4 MrP et 6 indépendants dont Lombard
et Pinvidic). Quelques-uns votent les motions de censure du 5 juin (contre
le chaos algérien) et du 11 juillet 1962 sur la politique nucléaire (6 MrP
sur 8). Le général de Gaulle veut rebattre les cartes du jeu politique pour
consolider les institutions après plusieurs tentatives d’attentats de l’OaS
contre sa personne.
L’implantation de l’unr en Bretagne paraît encore fragile. aux élections
sénatoriales du 23 septembre 1962, le député Jean Crouan, président du
Conseil général du Finistère depuis 1951 souhaite rejoindre le Sénat. avec
l’accord du CniP qui est dans la majorité, il prépare une liste avec les
gaullistes (3 indépendants et l’unr Yves Le Bot) qui peut espérer
deux sièges. Mais au second tour, ce sont les 4 MrP qui l’emportent.
Plusieurs facteurs expliquent cet échec dont en premier lieu l’opposition de
plusieurs CniP à l’alliance avec les gaullistes du fait de l’indépendance de
l’algérie. Pinvidic et Lombard auraient fait voter pour le MrP. La profes-
sion de foi de la liste airmait « qu’il n’y avait plus d’autre solution, à moins
d’envisager une guerre sans in et avec l’engloutissement de la substance
nationale, la in de la république et de notre propre indépendance 32 ».
ensuite, l’annonce par le ministre des transports d’une réforme tarifaire de
la SnCF défavorable aux transporteurs et aux agriculteurs bretons a sans
doute joué.
Mais c’est la crise politique déclenchée à l’automne 1962 par la réforme
du mode d’élection présidentielle qui va provoquer un bouleversement à
droite du paysage politique breton. Formés dans la culture politique parle-
mentaire du premier modèle républicain, les députés de droite et du centre
n’acceptent pas la manière de procéder du général de Gaulle : le recours au
référendum plutôt qu’au parlement. Le 5 octobre 1962, 280 députés votent
la censure du gouvernement Pompidou proposée par Paul reynaud. au
moins 24 députés bretons MrP, centristes et indépendants de droite ont
voté pour dont Jean Crouan et le Dr Le Duc, par discipline de parti semble-
t-il. Deux unr sur six l’ont aussi votée dont Bernard Le Douarec qui est
intervenu dans le débat à l’assemblée et a quitté le groupe unr le
4 octobre alors que ses collègues Poulpiquet et l’abbé Laudrin défendaient

31. La consigne est d’inscrire sur le bulletin : « Oui à la paix en algérie. non à de Gaulle ».
32. erwan Crouan, op. cit., p. 179-183.

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lA Vie Politique à lA Fin de lA guerre d’Algérie en BretAgne

Carte 3. – la ratiication des accords d’évian par le référendum du 8 avril 1962.


cHristiAn BougeArd

la réforme 33. absent le jour du vote (maladie), Hervé nader a fait voter
pour censurer le gouvernement, ce qui lui vaut d’être exclu de l’unr.
en revanche raymond Marcellin a voté contre, ce qui est logique car il
est redevenu ministre de la Santé publique et de la Population dans le
gouvernement Pompidou (mai 1962-janvier 1966). C’est aussi le cas
de Yves du Halgouët, d’isidore renouard et du MrP de Guingamp,
alain Le Guen.
rené Pleven souligne que pour ceux qui avaient répondu à l’appel de
l’homme du 18-Juin, ce choix a été diicile mais au nom d’une lecture
parlementaire de la Constitution il fait campagne pour le « non » car la
décision du référendum est « entachée de très grave illégalité » et il ne
veut pas s’associer « à la violation de la Constitution 34 ». Cette analyse
relète la position des centristes, dont le MrP qui a rompu avec de Gaulle
sur la politique européenne, de nombreux indépendants, mais pas de
tous. Quelques jours après avoir censuré le gouvernement, Crouan et
Le Duc appellent à voter « oui » au référendum du 28 octobre 1962 au nom
de la stabilité du pays. Les partis de gauche sont pour le « non » alors
que de Gaulle met en garde contre « une majorité faible, médiocre et
aléatoire ».
La réponse de l’électorat est sans ambiguïté puisque le « oui » obtient
74,4 % en Bretagne pour seulement 61,7 % au niveau national (avec
une abstention de 22,8 %). Les Côtes-du-nord n’ont donné que 69,1 % et
même 39,1 % de « non » dans la circonscription de Guingamp. Dans les
régions de droite, le « oui » lirte avec les 82-87 % [carte 4]. L’agitation
paysanne de 1962 sur les questions tarifaires n’a pas pesé. au contraire,
l’électorat breton a désavoué ses notables traditionnels et il semble en passe
de se convertir au gaullisme.
Le général de Gaulle ayant dissout l’assemblée le 10 octobre, des
élections législatives se déroulent les 18 et 25 novembre 1962. Des sortants
comme Joseph Pinvidic et Jean Crouan ne se représentent pas laissant le
champ libre à des unr. une association pour la Ve république, pilotée
par andré Malraux, distribue les investitures. Ces élections sont marquées
en Bretagne comme en France par une forte poussée de l’unr (233 sièges)
au détriment des indépendants, sauf la fraction giscardienne qui a appelé à
voter « oui » et se regroupe entre les deux tours dans le groupe des
républicains indépendants (ri – 36 députés). avant les élections, le général
de Gaulle a imposé la fusion des gaullistes de gauche de l’union démocra-
tique du travail (uDt) de Louis Vallon avec l’unr, ce qui permet de
ratisser plus large.
Ce scrutin est ouvert en Bretagne avec 152 candidats dont 65 de gauche.
La poussée gaulliste y est particulièrement marquée car ses 26 candidats du
33. Journal oiciel. Assemblée nationale. 4 et 5 octobre 1962, p. 3231-3269.
34. le Petit Bleu des côtes-du-nord, « Le choix diicile », 27 octobre 1962.

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Carte 4. – le référendum du 28 octobre 1962 sur l’élection du chef de l’état au sufrage universel direct.
cHristiAn BougeArd

1er tour passent de 16,5 % des voix en 1958 à 28,6 % en 1962. au soir du
second tour, la Bretagne envoie 16 unr-uDt à Paris. C’est un vrai raz de
marée dans le Finistère (36,7 % des voix au 1er tour, 6 députés sur 8) et en
Loire-atlantique (28,8 % des voix, 5 sur 8) [carte 5]. Dans le Finistère,
Gabriel de Poulpiquet est réélu au 1er tour avec 73,8 % des voix. À Quimper,
le militant roger Évrard prend le relais de l’incontrôlable Hervé nader qui
est désavoué (14,4 % au 1er tour). Prolongeant leur duel sur la guerre
d’algérie, l’afrontement est très dur à Brest entre Georges Lombard et
Charles Le Goasguen. Le gaulliste l’emporte dans une triangulaire avec
l’ancien député communiste Gaby Paul. À Douarnenez, Gabriel Miossec
s’impose avec 70,5 % contre Xavier trellu. À Landivisiau, antoine Caill
prend la relève de Joseph Pinvidic jusqu’en 1976. enin, la situation est très
confuse à Châteaulin pour assurer celle de Jean Crouan. Suzanne Ploux,
déjà candidate « gaulliste indépendante » en 1958, ne l’emporte qu’avec
33,3 % des voix dans une quadrangulaire avec un MrP, un SFiO et un
centriste radical.
en Loire-atlantique, les trois circonscriptions nantaises sont gagnées au
2e tour contre des socialistes : Henry rey est réélu à nantes-1, albert Dassié
est élu à nantes-2 (jusqu’en 1973 sauf en 1967-1968), Benoît Macquet à
nantes-3-rezé (jusqu’en 1978). Pierre Litoux l’emporte à Guérande où
Bernard Le Douarec ne s’est pas représenté et Lucien richard à Paimbœuf
contre l’indépendant sortant Jean de Grandmaison.
Dans le Morbihan, l’abbé Laudrin (73,6 % au 1er tour) est renforcé par
Maurice Bardet (57,6 %) élu à Lorient contre le communiste Jean Maurice.
en ille-et-Vilaine, l’unr n’obtient que deux sièges, perdant celui de
Fougères, ce qui ne relète pas sa forte poussée électorale (un tiers des voix
au 1er tour). Le général Guillain de Bénouville ne s’est pas représenté car il
s’est opposé à la politique algérienne du Général et a été exclu de l’unr.
À rennes-sud, l’avocat François Le Douarec, le frère de Bernard (Guérande),
bat le sortant Henri Jouault (Cni) ; il sera réélu jusqu’en 1981. On voit
aussi le « parachutage » à Saint-Malo, souligné dans la presse locale et natio-
nale (France observateur), d’Yvon Bourges qui a des attaches familiales en
ille-et-Vilaine. C’est un haut-fonctionnaire qui a fait carrière en afrique
noire (gouverneur général d’aeF en 1958) et est devenu en 1961 le direc-
teur de cabinet du ministre de l’intérieur, roger Frey 35. À la recherche
d’un point de chute électoral, le décès du maire de Dinard lui permet
en juin 1962 de prendre la succession. en novembre, il l’emporte au 2e tour
avec 77,3 % des voix, car il a bénéicié du désistement du député sortant
MrP Georges Coudray contre un communiste. Les Côtes-du-nord, où les
centristes ont recueilli 42,9 % des voix au 1er tour, restent toujours rétifs au
gaullisme même si l’entrepreneur en bâtiment robert richet (unr-uDt,
35. Jacqueline Sainclivier, « Yvon Bourges et le gaullisme en Bretagne (1962-1978) », l’ouest dans les
années 1968, op. cit., p. 175-186.

172
173
lA Vie Politique à lA Fin de lA guerre d’Algérie en BretAgne

Carte 5. – les députés élus en Bretagne lors des élections législatives de novembre 1962
(les chifres indiquent les numéros du département et de la circonscription).
cHristiAn BougeArd

ex-indépendant) est élu au second tour (51,6 %) à Saint-Brieuc contre le


nouveau maire PSu antoine Mazier.
À droite, les grands perdants de la poussée gaulliste sont les indépen-
dants du CniP qui ne conservent que trois sièges plus un apparenté 36. Ce
sont les Morbihannais raymond Marcellin et Yves du Halgouët ainsi
qu’Olivier de Sesmaisons qui rejoignent la majorité gaulliste avec les ri.
21 députés bretons sur 33 appartiennent à la nouvelle majorité (unr-ri)
de Georges Pompidou.
avec 10 députés, les centristes reculent aussi, le MrP ne conservant que
sept députés sortants 37. Plusieurs d’entre eux sont battus par des gaullistes :
nestor rombeault à Saint-nazaire, Victor rault à Saint-Brieuc, Georges
Coudray à Saint-Malo, Xavier trellu à Douarnenez. La guerre d’algérie
achevée, les institutions et l’europe deviennent une ligne de fracture entre
le centre et la droite gaulliste. Les deux centristes plévénistes ont été réélus
dans les Côtes-du-nord ainsi que Jean-François Le Lann à Fougères.
À Châteaubriant, Xavier Hunault qui a battu Bernard Lambert (MrP) dès
le 1er tour se réclame de cette mouvance, mais il va siéger comme non-ins-
crit et appartient à la droite. tous ces centristes se retrouvent dans le même
groupe du Centre démocratique pratiquant désormais une semi-opposition
au gouvernement Pompidou. avec l’enracinement de la Ve république, en
1962 des reclassements sont en cours : le centre et la droite non gaulliste
ont obtenu 37,7 % des voix en Bretagne mais seulement 15 sièges car ils
sont divisés.
La gauche amorce une légère remontée grâce aux accords de désistement
au 2e tour entre le PCF et les socialistes. À Saint-nazaire, le député socialiste
d’avant-guerre François Blancho (47,9 %) revient à l’assemblée en devan-
çant au 2e tour nestor rombeaut et un unr. À Morlaix, tanguy Prigent
(PSu) reprend son siège (52,3 % des voix) au Dr Le Duc pourtant investi
par l’unr. C’est l’un des deux, puis le seul député de ce petit parti. en
Bretagne, la gauche non communiste (32 candidats dont 20 SFiO et 9 PSu)
n’a pourtant rassemblé que 13,1 % des voix, reculant de 1,2 % par rapport
à 1958. Le PSu en a recueilli 4,32 % (12,9 dans les Côtes-du-nord) et la
SFiO 7,48 %. après son recul de 1958, le PCF a regagné 2 % des voix
(14,5 %). en 1962, la gauche est à peu près stable en voix mais à un niveau
très bas, les socialistes s’afaiblissant face au PCF.

Conclusion
De 1958 à 1962, la guerre d’algérie a eu un double efet électoral
durable en Bretagne. D’une part, on note un afaiblissement de la gauche
36. isidore renouard est réélu à redon.
37. il s’agit de Marie-Madeleine Dienesch et alain Le Guen (Côtes-du-nord), Louis Orvöen (Finistère),
Henri Fréville et alexis Méhaignerie (ille-et-Vilaine), Christian Bonnet et Paul ihuel (Morbihan).

174
lA Vie Politique à lA Fin de lA guerre d’Algérie en BretAgne

divisée mais aussi moins nettement du centrisme dans sa variante démo-


crate-chrétienne (MrP), de l’autre s’airme la quasi-élimination de la
droite des indépendants au proit d’une forte poussée du gaullisme partisan
qui avait été limitée en 1958. L’indépendance de l’algérie et la réforme
constitutionnelle ont clariié le positionnement des notables tradition-
nels y compris à l’unr. Dans ses zones de forces, une nouvelle géné-
ration de députés unr s’est imposée et va perdurer jusqu’à la in des
années 1970, voire jusqu’en 1981. Comme le souligne le préfet du Finistère
le 18 avril 1963, « l’opposition est en hibernation 38 ». « Débarrassée de la
hantise de la guerre d’algérie et de ses séquelles extrémistes », l’opinion se
désintéresse de la vie politique. Le Cni a éclaté et le MrP est « en sommeil ».
La situation est identique dans le reste de la région 39. Le gaullisme prési-
dentiel s’est renforcé en 1965 puisque le général de Gaulle est passé en
Bretagne de 48,5 % des voix au 1er tour à 62,5 % au second. La région peut
devenir sans risque un lieu de parachutage des « barons » du gaullisme à la
suite d’Yvon Bourges qui a ouvert le chemin en 1962. en 1967, les députés
unr locaux sont priés de s’efacer (Évrard à Quimper) ou deviennent
suppléants (Litoux à Guérande). edmond Michelet atterrit à Quimper,
Olivier Guichard à La Baule-Guérande ainsi que Michel Cointat à Fougères.
Seul, Pierre Messmer est battu à Lorient.

1956 1958 1962

PCF 6 0 0
SFiO 5 0 1
PSa-PSu 0 1
radical-socialiste 1
uDSr-Centristes 1 3 3+1
MrP 13 12 7
indépendants et paysans-CniP 8 12 4
Poujadistes : 4 5 0
+ 1 non-inscrit
Gaullistes, républicains-sociaux, unr 0 6 16

Nombre de députés 39 33 33

taBLeau 1. – l’appartenance politique des députés de Bretagne de 1956 à 1962.

38. aDF. 141 W 18.


39. efet indirect ? en mars 1964, Jean Crouan est battu aux élections cantonales par un MrP. La
présidence du Conseil général du Finistère passe au sénateur MrP andré Colin, celle du Morbihan
de Paul ihuel à raymond Marcellin, ministre, élu maire de Vannes en 1965.

175
Les socialistes bretons
face au choc de la guerre d’Algérie :
générations, recompositions, trajectoires
François Prigent

La transformation des réseaux socialistes en Bretagne se cristallise lors


des ruptures politiques de la guerre d’algérie, temps de remise en cause et
de renouvellement des hommes, des idées comme des stratégies des organi-
sations socialistes. L’onde de choc de la sortie de la guerre d’algérie s’appa-
rente à un événement matriciel qui accélère la crise des socialismes bretons,
les crises des socialistes en Bretagne. Période de transition caractérisée par
une sortie du socialisme de la génération militante qui émerge dans les
années 1930, ce moment politique doit être interprété comme un point de
départ, un marqueur fort des nouvelles générations qui nourrissent, struc-
turent et encadrent les viviers militants à partir des années 1970.
Cette étude 1 se propose d’évaluer la part du choc politique de la guerre
d’algérie sur les diverses ilières qui forment les réseaux socialistes, de la
pluralité des organisations partisanes (SFiO, PSa/PSu, PS), avec une atten-
tion particulière accordée aux « chrétiens de gauche », dont la crise de
conscience religieuse et la prise de conscience politique procèdent largement
des bouleversements suscités par/pendant la guerre d’algérie. ainsi, la mise
en avant des propriétés militantes de cette génération politique marquée
par la guerre d’algérie vise à saisir les dynamiques de recompositions du
milieu socialiste à grande échelle, ces mutations venant percuter d’autres
évolutions en profondeur de la société bretonne (années 1950-1960).
Durant cette séquence politique resserrée dans le temps, 1962-1963 2, l’idée
est également de s’appuyer sur des études de trajectoires individuelles, ain
de restituer toute la complexité du rapport à la guerre d’algérie.
1. Outre les dossiers des archives départementales ont été consultés : les archives fédérales du PS, les
fonds déposés à l’Oice universitaire de recherche sur le Socialisme, à la Fondation Jean Jaurès, à
l’institut François Mitterrand et au Centre d’Histoire du travail (CHt) de nantes. La prosopogra-
phie a été réalisée à partir de la presse militante et de fonds privés, d’entretiens avec des élus dont les
engagements sont façonnés dans les années 1960 [François Prigent, les réseaux socialistes en Bretagne
des années 1930 aux années 1980, thèse, rennes 2, 2011].
2. Contribution de Christian Bougeard dans ce volume.

177
FrAnçois Prigent

Événement algérien
et crise de la gauche socialiste bretonne
Les recompositions partisanes induites par le renouvellement des généra-
tions 3 militantes et l’ombre portée du conlit algérien invitent à repenser la
périodisation de l’implantation socialiste en Bretagne. en efet, la révolu-
tion gaulliste et la guerre combinées font des années 1958-1962 une césure
majeure pour les milieux socialistes. Forgés dans les années 1930 puis
consolidés en 1944-1947, ces cercles explosent alors, entraînant la déstabi-
lisation du système partisan régional. en résultent de nouveaux équilibres 4
entre les forces politiques, redéinissant les contours des sensibilités et des
cultures partisanes. Ces événements inluent en profondeur sur les trajec-
toires militantes et se trouvent bien souvent à la source des engagements
socialistes. Plus largement, le clivage entre la Section Française de l’inter-
nationale Ouvrière (SFiO) et le Parti Socialiste uniié (PSu) sur la question
algérienne afecte les générations militantes qui intègrent et contrôlent le
milieu partisan du PS dans les années 1970.
On peut même soutenir que cette cassure politique conirme l’idée
d’une sortie du socialisme – i. e. ancienne manière – par la guerre d’algérie.
aux législatives de novembre 1958, la SFiO perd ses sept sièges de députés
acquis en janvier 1956 5 avant un rebond électoral en mars 1962, limité au
retour au Parlement des anciens espoirs du Front Populaire : François
Blancho à Saint-nazaire (SFiO), tanguy Prigent à Morlaix (PSu) 6. aux
cantonales (mars 1958, mars 1961), la formation de groupes séparés de la
SFiO et du PSu contribue à réduire l’inluence socialiste 7. Les municipales
de mars 1959, à l’instar de la perte de la mairie de Lorient par la SFiO en
partie liée aux divisions face à la guerre d’algérie 8, conirment la sanction
3. Christophe Bouneau et Jean-Paul Callède (dir.), Figures de l’engagement des jeunes : continuités et
ruptures dans les constructions générationnelles (à paraître, actes du colloque GeneratiO, Bordeaux
4-5 avril 2013).
4. C’est le sens de l’étymologie du mot « crise » en grec.
5. Jean Le Coutaller à Lorient, Jean Guitton à Saint-nazaire, alexis Le Strat à rennes, tanguy Prigent à
Morlaix, Hervé Mao à Châteaulin, antoine Mazier à Saint-Brieuc, alexandre homas à Guingamp.
6. Ferme opposant au gaullisme lors de la crise du 13 mai 1958, l’ancien ministre, député sans discon-
tinuer depuis 1936 mais battu en novembre 1958 se heurte aux molletistes (dont Hippolyte Masson)
au sujet de la guerre d’algérie. Passé au PSa en même temps que Mendès France, sans avoir bien
préparé localement la scission, il emporte au PSu la majorité de ses soutiens laïques du trégor, mais
son départ de la SFiO est mal compris par les socialistes du Finistère. afaibli, prenant des distances
avec les formes militantes, il est réélu député en 1962 avant de préparer son retrait de la vie politique
à l’été 1966 [Christian Bougeard, tanguy Prigent, paysan-ministre, Pur, 2002].
7. Le poids de la dualité SFiO/PSu, reste une singularité du paysage politique breton [François Prigent,
« La mutation des milieux socialistes dans l’Ouest breton (1967-1973) : réseaux, trajectoires,
identités », in Christian Bougeard, Vincent Porhel, Gilles richard, Jacqueline Sainclivier (dir.),
l’ouest dans les années 1968, Pur, 2012, p. 211-223].
8. L’alliance entre la liste PSa de rené Dervout et le PCF précipite la défaite de Jean Le Coutaller,
ancien secrétaire d’État, député-maire et secrétaire fédéral. en novembre 1957, une crise interne
divise fortement la fédération SFiO, lorsque r. Dervout, leader syndical du Syndicat national des
instituteurs (Sni), signe un tract dénonçant les violences en algérie en compagnie d’élus de

178
les sociAlistes Bretons FAce Au cHoc de lA guerre d’Algérie

politique qui touche les bastions socialistes. Le bilan de l’enracinement


socialiste à la in de l’année 1962 prouve le déclin d’une force politique dont
les diicultés sont décuplées par l’assèchement du recrutement militant.
Les oppositions socialistes à la guerre d’algérie s’apparentent à
une succession de ruptures progressives qui conluent au Parti Socialiste
autonome (PSa) puis au PSu. Dans les Côtes-du-nord, les positions
d’antoine Mazier sur le refus de la guerre d’algérie et du pouvoir gaulliste
– entraînant un appel à voter « non » au referendum de septembre 1958 –,
les rapprochements avec les milieux chrétiens progressistes et communistes,
non dénués d’ambivalence, contrastent avec les choix de l’appareil en faveur
de la ligne Guy Mollet. La rupture, suivie par une génération d’élus, n’en
est pas moins progressive et explique mieux que l’implantation PSa-PSu
se soit faite dans la continuité du milieu SFiO. antoine Mazier, député
de Saint-Brieuc depuis 1945 a déjà fait entendre sa diférence sur la
Communauté européenne de Défense (CeD) ou sur la politique suivie en
algérie par le gouvernement Mollet en 1956-1957. De plus en plus
favorable à l’indépendance algérienne – et de ce fait, farouche adversaire de
la direction de la SFiO –, il est le premier député du groupe parlementaire
à faire, le 28 février 1956, une déclaration solennelle d’opposition. avec ses
amis andrée Viénot et Daniel Mayer, il anime la minorité socialiste qui
signe diférentes motions dès le congrès de Lille en 1956. Candidat sans
succès à l’élection au comité directeur au congrès de toulouse en 1957 9, il
provoque un incident par son soutien à andré Philip, exclu quelques mois
auparavant. Le départ d’antoine Mazier pour le PSa provoque dans
l’immédiat le désaveu d’Yves Le Foll, secrétaire fédéral de la SFiO depuis
1947. Celui-ci considère en efet cette scission précipitée et maladroite pour
faire basculer l’ensemble de la fédération et préserver son unité. Davantage
en désaccord, sur la forme que sur le fond, Yves Le Foll annoncé au congrès
fédéral extraordinaire du 21 septembre 1958 sa démission de ses fonctions
de secrétaire fédéral. S’il reste secrétaire fédéral adjoint, le 7 novembre 1958,
il conteste la désignation du ticket Jean Le Garzic/andré Laithier aux légis-
latives contre antoine Mazier. il démissionne de ses fonctions et quitte la
SFiO le 13 novembre, pour rejoindre le PSa puis le PSu 10.
Les échecs relatifs de l’enracinement du PSa-PSu sont contrebalancées
par les laboratoires politiques mis en œuvre lors des municipales, à rezé en
1959 ou lors de la crise de 1962 à Saint-Brieuc 11. Les nouvelles coalitions,
premier plan : François Giovannelli, maire d’inzinzac-Lochrist (1945-1971) et Louis Le Moënic,
conseiller général de Plouay (1945-1970).
9. au congrès fédéral du 17 juin 1957, la section briochine blâme, à l’unanimité, le groupe parlemen-
taire pour avoir accepté de participer au gouvernement Bourgès-Maunoury. au congrès fédéral du
22 juin 1958, a. Mazier est soutenu dans son hostilité à l’attitude de G. Mollet sur le retour au
pouvoir du général de Gaulle, réclamant un congrès national.
10. Yves Le Foll est élu député sous l’étiquette PSu en 1967 et 1973.
11. La guerre d’algérie bouleverse les prises de positions sur le champ syndical et partisan : lors de la
victoire aux municipales de 1962, la liste Mazier comporte l’ensemble de l’arc syndical (FO, CGt,

179
FrAnçois Prigent

des communistes aux chrétiens de gauche, tissées sur la base de positions


nouvelles relatives à la question algérienne, neutralisent l’efet repoussoir
de la SFiO et placent les socialistes opposés à la guerre d’algérie en pivot
dans ces schémas d’alliances à gauche. A contrario, la participation à nantes
des adjoints socialistes, dont andré routier-Preuvost, secrétaire fédéral de
la SFiO (1955-1969), à la municipalité du ministre radical pro-algérie
française, andré Morice, relète les contradictions et blocages que connaît
la SFiO au début des années 1960.

Un enjeu central des recompositions socialistes


Les débats autour de la guerre d’algérie aboutissent à la scission entre
des organisations, consommant une rupture durable dans l’unité socialiste.
De 1958 aux assises du Socialisme d’octobre 1974, la guerre d’algérie
divise les milieux militants entre SFiO-FGDS-PS d’une part et PSa-PSu
d’autre part et contribue à l’afaiblissement de la culture politique marquée
par la SFiO. en revanche, le débat fondateur sur l’algérie inaugure
une nouvelle culture socialiste concomitante de la résurgence du socialisme
version PS, après 1973 en Bretagne.
avec d’importantes disparités départementales, les scissions PSa-PSu
s’échelonnent entre octobre 1958, le printemps 1959 et le début 1960. Ces
chronologies recouvrent néanmoins les facteurs de tensions au sein des
réseaux socialistes : refus du gaullisme et de la guerre d’algérie, désac-
cords sur les stratégies politiques avec les partenaires de la gauche, rétraction
du milieu partisan. Les relais et les têtes de réseaux se retrouvent ainsi en
position défensive. Si l’idée d’une mort politique de la SFiO en 1958-1960
doit être nuancée, c’est bien que s’opère alors une transiguration du système
qui est à la base du redémarrage socialiste, faisant éclater les frontières du
cadre partisan établi à la Libération.
La pertinence des engagements militants liés à la guerre d’algérie peut
porter loin. en témoigne la défaite symbolique de rené Pleven, igure
nationale de la iVe république, battu aux législatives de mars 1973 par
Charles Josselin. ancien vice-président chargé des questions internationales
à l’union nationale des Étudiants de France (uneF) en 1959-1960 12, ce
dernier avait été mandaté pour « rédiger une brochure contre la Guerre
d’algérie au nom de l’uneF ». Ce texte visait à « publier d’une part les

CFtC), ce qui suscite de vives tensions à Force Ouvrière (FO) traversé et tiraillé par deux courants
socialistes engagés dans une guerre fratricide symbolisée par l’afrontement notamment sur la
question algérienne entre Francis Mahéo (PSu) et raymond Garcia (proche d’andré Laithier et
Mathurin Bertho, militants SFiO). ancien du corps expéditionnaire français en italie et responsable
des anciens prisonniers de guerre, raymond Garcia, né en 1916 en algérie, est secrétaire départe-
mental de la fédération FO des Ptt en 1962.
12. Changement de dénomination, à ce moment précis, révélateur, puisqu’à l’appellation « outre-mer »
se substitue le terme de vice-présidence « extérieur ».

180
les sociAlistes Bretons FAce Au cHoc de lA guerre d’Algérie

résultats d’une étude approfondie sur les répercussions de la guerre d’algérie


que rencontrent dans leur action les responsables syndicaux étudiants,
d’autre part les positions qu’a prises [notre] mouvement sur ce problème 13 ».
Le renouvellement qui proite au PS jusqu’en 1981 met bien en avant des
réseaux imprégnés par les mouvements sociaux des années 1968.

La place des chrétiens de gauche


Dans l’évolution du système partisan et l’équilibre des forces politiques
en Bretagne, le glissement d’un groupe de chrétiens à gauche, permet la
naissance d’un nouveau milieu militant socialiste 14. La guerre d’algérie
accélère alors les passages à gauche en rupture avec les attaches tradition-
nelles au bloc conservateur. Les ilières militantes autorisent, du reste, des
transferts individuels et collectifs précisément ampliiés en Bretagne par le
terme de la guerre d’algérie.
Le parcours de Bernard Lambert 15 est sur ce plan évocateur. Durant son
bref séjour comme rappelé en algérie en juin-septembre 1956, il devient
partisan de l’indépendance 16, après avoir voté pour le Front républicain
en janvier 1956. Son élection comme député MrP de Châteaubriant en
1958 en tout à fait remarquable car à seulement 27 ans il bat – avec 400 voix
d’avance –, andré Morice, maire et ministre radical, soutenu par la SFiO.
Bernard Lambert a en efet bénéicié d’une forte mobilisation de son réseau
de jeunes paysans soudé par les engagements syndicaux et jacistes 17. Les
capacités d’ouverture d’une partie du milieu MrP tranchent avec les grilles
de lecture politique des gauches socialiste et communiste, obscurcies par le
iltre de la laïcité. À cet égard, Bernard Lambert s’est taillé une stature natio-
nale lors d’une intervention à l’assemblée – sans l’autorisation du MrP –,
au cours de laquelle et pendant vingt minutes, dans le chahut général, il
s’est exprimé au sujet de l’algérie. Déjà, ses relations avec des igures natio-
nales du PSu (Serge Mallet, Gilles Martinet) préparent le cheminement

13. L’argumentation comporte trois axes : incidences sur le monde étudiant de cette « rupture », replacée
dans le contexte des évolutions de l’uneF depuis 1954 ; « la jeunesse dans le conlit » (scolarisation,
dissolution de l’uGeMa) ; « les libertés bafouées ». imprimé par l’aGe de Lille, ce texte de 91 pages
s’achève par la motion votée lors du congrès de Lyon (avril 1960), décidant la « réconciliation avec
les étudiants algériens », soit la reprise oicielle des relations avec l’union Générale des Étudiants
Musulmans algériens, branche étudiante du FLn, illégale en France, qui fait grand bruit en
juin 1960.
14. François Prigent, « Mondes laïques, mondes chrétiens, ch. 6, thèse, op. cit., p. 477-579.
15. François Prigent, « Bernard Lambert, Bernard hareau : portrait(s) croisé(s) », recherche socialiste,
n° 58-59, 2012, p. 131-142.
16. « Quelques rélexions sur l’algérie » rapport adressé les 23-25 septembre 1956 à la direction de la
JaC sur l’armée et la guerre d’algérie. Discours inachevé de Bernard Lambert, « Ce que je n’ai pas
pu dire au Palais-Bourbon », témoignage chrétien, 19 juin 1959 (CHt, LaM 1).
17. en 1956-1958, il fait partie de l’équipe Debatisse qui prend la direction du Centre national des
Jeunes agriculteurs (CnJa) en s’appuyant sur les principaux animateurs de la Jeunesse agricole
Chrétienne (JaC).

181
FrAnçois Prigent

politique qui le conduit vers cette formation en 1966, puis à la création des
« paysans-travailleurs » avant la théorisation des « Paysans dans la lutte des
classes » dans les années 1968. il démontre à quel point l’efervescence
politique de cette question renverse les critères traditionnels du clivage
gauche/droite.

Crise de conscience religieuse,


prise de conscience politique
Pour saisir les logiques qui animent ces milieux, il faut rappeler que la
in du choc de la guerre d’algérie en 1962 survient au moment de l’ouver-
ture du concile de Vatican ii et des transformations de l’Église qui en
découlent. De fait, la guerre d’algérie bouleverse les certitudes d’une vision
catholique du monde. et pour la génération démocrate-chrétienne qui fait
le saut politique vers la gauche socialiste, elle sert de terme aux engagements
militants dans les ilières chrétiennes progressistes. inversement, les efets
diférés de la crise du catholicisme breton 18, prennent leurs sources dans
l’ouverture de la société aux questions internationales (guerre d’algérie,
guerre du Vietnam, Chili), aux enjeux de société (genre, encyclique
condamnant la contraception à l’été 1968) ou redessinant les contours de
l’espace social (école, travail...). tels sont du moins les facteurs invoqués
d’explication des processus de rupture(s), énoncés par les militants, socia-
listes et chrétiens.
au sein des ilières Confédération Française des travailleurs Chrétiens
(CFtC), représentant les 2/3 des itinéraires de basculements à gauche, la
part des contacts directs et indirects de la guerre d’algérie doit être mesurée.
Dans la trajectoire du réseau militant gravitant autour de Francis Le Blé à
l’arsenal de Brest, les décrochages dans les parcours tiennent à deux phéno-
mènes – la guerre d’algérie 19 et les nouvelles formes de la question sociale –,
porteurs d’un syndicalisme de terrain qui reste l’identité militante la plus
valorisée.
Les rapprochements avec la gauche sont accélérés des années 1955 aux
années 1968 par les passages au PSu, né du refus de la guerre d’algérie. en
témoignent les cas de Gilbert Declercq à nantes 20, andré Laurent à Lorient,
andré Marivin à Fougères et rennes, Jean Le Faucheur et Michel Cadoret
à Saint-Brieuc.

18. Yvon tranvouez, « La configuration bretonne de la crise catholique (1965-1975) », in


Christian Bougeard et al., op. cit., p. 103-116.
19. adhérent de base à la CFtC dès 1955, Jean Mobian fait son service militaire à Constantine et
Bizerte. Sans être au contact de la « sale guerre », la guerre d’algérie contribue à le faire évoluer vers
la gauche, en le poussant à s’interroger sur les principes de la démocratie. J. Mobian devient
conseiller général PS de Brest 7 (1998-2004).
20. CHt e 26, entretiens avec G. Declercq sur la CFtC, la guerre d’algérie et la culture ouvrière
(1984-1985).

182
les sociAlistes Bretons FAce Au cHoc de lA guerre d’Algérie

Le mécanisme est tout aussi probant pour Jean-Luc Colin, né en 1940,


maire de Saint-Vincent-des-Landes (1989-2008), conseiller général de
Derval (1979-1985) et conseiller régional (1986-1992). adhérent à la
CFtC en 1959, il entre en contact avec les positions du FLn par le truche-
ment des immigrés italiens et algériens employés par la grande entreprise
nantaise dans laquelle il travaille. Ses convictions sont en outre renforcées
par les trois mois passés en algérie lors de son service militaire. Cette grille
d’analyse se conirme pour les autres conigurations militantes fréquentées
par les chrétiens de gauche, comme Vie nouvelle, la Jeunesse Étudiante
Chrétienne (JeC) 21, voire l’action Catholique Ouvrière (aCO) et la
Confédération Syndicale des Familles (CSF), à l’instar des parcours d’andré
Coutant à rezé ou Henri Berlivet à Brest 22.

Les militants du syndicalisme agricole


L’aspiration des responsables du Centre des Jeunes agriculteurs [CDJa]
par le PS est attestée par plusieurs personnalités accédant à des fonctions
électives (Louis Chopier, Georges Dauphin, Bernard hareau, Henri Baron,
Bernard Deniaud). Fait notable, ces parcours d’apparence analogues peuvent
diverger au plan syndical (CDJa/MODeF) comme du capital politique
familial. Pour tous, le service militaire en algérie en 1955-1959 a constitué
une rupture, un catalyseur des engagements militants. Fils d’un agriculteur
conseiller municipal MrP de Pommerit-le-Vicomte, Jean Le Floch né en
1936, fait ses études chez les Frères de Ploërmel, puis au lycée agricole du
nivot. Éprouvé par son service militaire de 28 mois en algérie, il reprend
en GaeC l’exploitation familiale. Formé par la JaC, il se détache de la
pratique religieuse à partir de 1964-1968. il devient par la suite maire de
Pommerit-le-Vicomte (1977-2006) et conseiller général de Lanvollon
depuis 1983. robert nogues, né en 1937, est quant à lui maire de Saint-
andré-des-eaux (1977-2008) et conseiller général d’Évran (1973-1992,
1998-2011). Son père – fermier du marquis de La Villemarqué –, résistant
et encarté à la SFiO mais votant en faveur de Pleven dans les années 1950,
est maire de Saint-andré-des-eaux (1941-1958). Passé par les écoles publi-
ques, robert noguès obtient son certiicat d’études, avant de rejoindre
l’École d’agriculture des trois-Croix à rennes jusqu’en 1953. aide familiale,
21. Les inlexions dans les itinéraires se situent au tournant des années 1950-60, par la redéinition du
rapport au marxisme et la recherche de voies politiques nouvelles entre l’Église et le communisme,
selon des cheminements complexes vers la gauche. en iligrane, plus que le rapport à la résistance,
ces générations se positionnent contre la guerre d’algérie et réagissent à vif aux questions de société
(clé du genre, mutations socio-économiques, aspirations idéologiques qui préigurent les révoltes
des années 1968). La JeC, vivier de responsables socialistes bretons, est une ilière de socialisation
politique à tous les échelons. C’est le cas de l’actuel maire de nantes, ancien député (1997-2002),
Patrick rimbert, compagnon de route du réseau charrue étoilée.
22. Les trajectoires individuelles peuvent être retrouvées dans les notices biographiques rédigées pour
le Maitron.

183
FrAnçois Prigent

marqué par son service militaire en algérie en 1957, il est rapatrié suite au
décès de son père en septembre 1958. À partir de juin 1959, il reprend
l’exploitation familiale 23. Ce schéma n’est pas forcément systématique. en
efet et a contrario, François Philippot, né en 1935 dans une famille d’élus
SFiO, est certes marqué par la guerre d’algérie lors de son service militaire
(1956-1958). Mais il ne suit pas la scission du PSu. Ce jeune syndicaliste
paysan, engagé localement dans la mouvance laïque, se présente comme
suppléant de H. Mao en 1962 dans la circonscription de Châteaulin.

Le milieu enseignant
un autre vecteur d’engagement est le PSu, dont la nébuleuse militante
et laïque hostile à la guerre d’algérie, passe notamment par le Sni 24. Dans
le Finistère, dès 1957, la direction du Sni voit s’afronter socialistes et
communistes sur le dossier laïc et la guerre l’algérie. Mais dès 1964, le
courant unitaire l’emporte sur la tendance autonome. On doit y voir là le
bilan tiré de l’opposition commune à la guerre d’algérie. Le phénomène
est plus précoce et plus marqué encore dans les Côtes-du-nord en raison
de la proximité entre militants PSu et PCF proches sur les questions anti-
coloniales, la défense des lois laïques et le développement des luttes
ouvrières. Dès 1959 Maurice renault, secrétaire départemental et respon-
sable communiste, propose l’entrée du courant minoritaire à l’intérieur du
bureau. L’ouverture est conirmée en 1960 par une liste d’union avec les
dissidents de la SFiO, dont Sylvain Loguillard. Le bureau du Sni, pluriel
entre 1963 et 1969, s’inscrit dans la tradition d’unité syndicale du dépar-
tement et remet ainsi en cause les divisions issues de l’autonomie de la Fen
en 1948.

23. La démonstration peut être étendue à une autre classe d’âge. exerçant des responsabilités équiva-
lentes, Yvon Le Bris, né en 1940, conseiller général (1985-2011) et maire de Bannalec (1987-2008)
et andré Lucas, né en 1941, maire (depuis 1995) et conseiller général de Plestin-les-Grèves
(1998-2011) ont des parcours divergents. Y. Le Bris est inséré dans des réseaux familiaux et laïques
dans le sillage de l’émergence d’un socialisme dans les ilières chrétiennes dans un espace de fort
enracinement communiste : fort bagage scolaire, rôle indirect de la guerre d’algérie. La prise de
conscience et la crise de conscience de la trajectoire d’a. Lucas, comparable dans la forme, présente
en réalité des modalités diférentes (école privée, formation basique, deux ans en algérie).
24. Le père de Yannick Simbron, secrétaire départemental de la Fédération de l’Éducation nationale
[Fen] (1969-1973) puis secrétaire général de la Fen (1987-1991), milite dans les réseaux de la
Fédération des Œuvres laïques (FOL), du Sni et de la SFiO. Secrétaire fédéral adjoint, chargé des
questions laïques, ernest Simbron mène la liste SFiO aux municipales de 1947, aboutissant à la
défaite du maire PCF sortant de La Montagne. en 1951, son maintien au second tour dans le
canton de Le Pellerin favorise l’élection d’un uDSr. en 1956, il s’oppose à la tendance École
Émancipée, qui distribue des tracts contre la guerre d’algérie à la veille du congrès du Sni. en
Loire-atlantique, les évolutions internes du Sni, plus tardives, témoignent de dissonances généra-
tionnelles entre des militants engagés au moment du Front Populaire et dans les années 1968.

184
les sociAlistes Bretons FAce Au cHoc de lA guerre d’Algérie

Une Algérie en Bretagne


La relation spéciique du rapport au territoire algérien conférer une légiti-
mité dans les prises de position politiques de Haid abdelazziz, né en 1908
en algérie, au sein de la SFiO, pour défendre le point de vue des popula-
tions françaises en algérie. Dirigeant départemental de la SFiO du Finistère,
de 1946 à 1968 et secrétaire départemental de la Fen (1947-1956), il
s’inscrit en opposition aux positions indépendantistes. Le recours aux
témoignages familiaux et à ses origines géographiques, forme redéployée de
la propriété militante de l’autochtonie mobilisée dans les scrutins électo-
raux, lui confère une position d’expert des questions algériennes, (re)présen-
tation politique dont il joue à plein lors des débats militants qui agitent et
fracturent la fédération SFiO en 1959-1960 entre les tenants de la ligne
H. Masson et les partisans de tanguy Prigent.
un autre de cas de igure est l’arrivée de militants d’afrique du nord en
Bretagne. né en 1928 à tunis, ouvrier tourneur à l’arsenal de Ferryville,
entraîneur des juniors et joueur dans le club de basket de la Défense
nationale, roger Checco préside le comité des fêtes de Bizerte, en tunisie.
anticommuniste virulent, ce ils d’un chef aux travaux maritimes engagé à
la SFiO est très actif dans les réseaux FO, face à une Confédération Générale
du travail (CGt) en perte de vitesse au sein de l’arsenal, en raison de
son soutien aux indépendantistes n’hésitant pas à recourir aux attentats
violents. rapatrié dans ce contexte tendu en compagnie de 120 ouvriers,
roger Checco arrive en avril 1959 dans la région lorientaise. Dès 1960, il
est parrainé pour entrer à la SFiO par son collègue d’atelier, Jean Laurent
(adjoint socialiste à Quéven et père de Jean-Yves Laurent conseiller général
1988-1994 et maire de Quéven 1980-2008). très impliqué dans les réseaux
des rapatriés, majoritairement d’algérie, il rédige plusieurs articles à ce sujet
dans le rappel du morbihan et se présente aux élections (législatives en
1962 à Vannes, cantonales de 1964 à La Gacilly). Devant l’insistance de
Yves allainmat 25 qui cherche à reprendre la mairie de Lorient perdue en
1959, il accepte d’apparaître en 32e position sur la liste SFiO, où igurent
l’ossature militante de FO (Léon audran, François Cridou, Léon Le Gal,
robert révolt, Léopold Danic, Marcel Collobert). Son étiquette de
« rapatrié » contribue à capter une partie des voix des 650 familles de pieds-
noirs vivant alors à Lorient 26. Conseiller municipal SFiO de Lorient
en mars 1965, il poursuit son parcours syndical comme secrétaire de
l’union Locale FO de Lorient (1967-1980).
25. ancien directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale de Haute-Volta.
26. Le poids de la circulation des militants à l’échelle méditerranéenne dans les grands ports français
comme Lorient n’est pas une nouveauté, comme le rappelle le rôle de Jean Baco dans la fondation des
fédérations SFiO du Morbihan et de tunisie. Secrétaire du syndicat de l’arsenal (1948-1953,
1959-1964) et trésorier fédéral de l’uD (1948-1953), Denis Guéguen (1916-2003) présente un proil
militant typique. Parti en algérie (1953-1959), il retrouve ses responsabilités syndicales à son retour.

185
FrAnçois Prigent

Des engagements bretons contre la guerre d’Algérie


Dans la dénonciation de la guerre d’algérie, les histoires militantes
locales des socialistes bretons s’entremêlent avec certains épisodes de l’his-
toire nationale 27. responsable JSu à Saint-Brieuc, Yves Dollo 28, en lien
direct avec antoine Mazier, publie ainsi dans combat social, organe fédéral
du PSu une série de lettres exposant les doutes et les révoltes d’un jeune
oicier au 9e régiment de zouaves entre son départ pour son service militaire
in 1957 jusqu’à son retour à Saint-Brieuc en 1960.
issu des milieux catholiques conservateurs 29, entre au courrier de l’ouest
grâce à la proximité de son père avec le député MrP Barangé, François
richou, né en 1938, est envoyé en Kabylie dès 1959 chez les chasseurs
alpins. il bascule à gauche à la lecture de France observateur qui opère sa
prise de conscience personnelle sur le caractère insupportable des violences
de la guerre d’algérie. revenu à Saumur en 1961, comme journaliste, il
entre en contact avec les cercles dirigeants du FLn, au moment des pourpar-
lers qui précédent les accords d’Évian, à la faveur d’enquêtes de presse,
certains proches de Ben Bella étant emprisonnés à turquan, près de
Saumur 30. Membre du Club des Jacobins dès 1962, François richou se
rapproche de Charles Hernu, qui le fait entrer à la Ligue internationale
contre l’antisémitisme (LiCa). responsable de la Convention des
institutions républicaines (Cir) à angers, il est délégué du comité
Mitterrand lors des présidentielles de 1965, à un moment où la neutralisa-
tion des enjeux politiques de la guerre d’algérie se fait sentir dans les organi-
sations de gauche. L’ancienneté de ses engagements autorise le lancement
de sa carrière d’élu, à rennes, où il est conseiller général depuis 1982.
Quant à Michel Scieux, né en 1932, son parcours révèle l’entrelacement
des réseaux militants entre JOC, CSF et CFDt avant la conluence au PS.
Ce milieu militant favorise l’éclosion de Jean-Yves Le Drian, député de
Lorient dès 1978 31. responsable fédéral à Lille 32, M. Scieux devient perma-
nent national de la JOC en 1954-1955. il rencontre alors sa femme, secré-
27. armelle Bothorel, maire de La Méaugon depuis 2001 et présidente de la communauté d’agglomé-
ration de Saint-Brieuc depuis 2012, est la ille du général Pâris de Bollardière, igure de l’opposition
à la guerre d’algérie.
28. Député de Saint-Brieuc (1981-1986, 1988-1993), son travail parlementaire prolonge ces enga-
gements.
29. adhérent MrP, son père, cadre bancaire issu d’un milieu aisé catholique conservateur, préside
l’association des frères de Saint-Jean Baptiste de La Salle et du patronage l’intrépide, tandis que sa
mère est investie au sein des organisations de la paroisse et de l’amicale des anciens élèves de l’imma-
culée Conception.
30. Dans un autre contexte militant, alexandre Hébert et andré Hazo jouent un rôle d’intermédiaire
pour l’impression du journal de Messali Hadj, via les moyens de FO.
31. Élu à Lorient de 1971 à 2001, adhérent PS dès 1975, trésorier de section et responsable du groupe
socialiste au conseil municipal, il est adjoint en charge du logement entre 1981 et 1989.
32. Porte-parole d’un noyau de jeunes militants JOC-CGt aux Cotonnières, véritable contre-société
qui encadre l’espace social, il fréquente les militants PCF sur le terrain des luttes syndicales lors
d’une grève dure en 1948.

186
les sociAlistes Bretons FAce Au cHoc de lA guerre d’Algérie

taire nationale de la JOCF 33. Lieutenant en algérie, ses contacts avec


Jean-Jacques Servan-Schreiber et le général de Bollardière 34, lui permettent
l’envoi de messages compilés dans une brochure intitulée les appelés témoi-
gnent. Dans l’express, il fait publier divers récits sur les tortures. rappelé
en 1956-1957, par mesure de répression militaire, il est reçu par Guy Mollet
avant le discours de ce dernier sur la paciication, en tant que représentant
JOC de la commission « armée-jeunesse ».

Les socialistes bretons contre la guerre d’Algérie


Les sociabilités étudiantes rennaises gravitant autour de l’uneF, imprè-
gnent la génération d’élus qui s’impose entre 1973 et 1981. Dès son entrée
à la faculté de droit de rennes, Charles Josselin est séduit par le discours
radical d’opposition à la guerre d’algérie de l’uneF. Secrétaire général de
l’association générale des étudiants rennais (aGer) en 1956, puis prési-
dent entre 1957 et 1959, il encadre 15 000 étudiants environ. On retrouve
le même proil d’engagements étudiants pour Louis Le Pensec ou plus tard
Charles Gautier (sénateur de Loire-atlantique depuis 2001), qui participe
aux manifestations étudiantes, à Dijon, avant de partir en coopération en
algérie en 1969. L’évolution politique de Yannick Guin (conseiller régional
en 1998, adjoint à nantes), président de l’uneF à la faculté de droit à
nantes en compagnie de Jo Kerguéris, se fait quant à elle par osmose
familiale à partir de l’expérience son frère lors de la guerre d’algérie.
enin, le premier engagement militant de Didier Chouat, député de
Loudéac (1981-2002), survient en 1961 au lycée de Saint-Germain-en-Laye.
L’opposition à la guerre d’algérie, répond à l’existence d’un réseau favo-
rable à l’algérie française et à l’OaS dans la banlieue ouest de Paris.
Didier Chouat la rencontre alors les réseaux enseignants militants, les
juvéniles du PSu (Olivier todd) comme les étoiles montantes du PCF
(Pierre Juquin). Jeune secrétaire de section à Sartrouville (Yvelines), il se fait
remarquer lors de divers stages de formation du PSu, intégrant entre 1961
et 1969 la direction nationale des jeunes du PSu (JSu et eSu ailiés à la
première uneF).

Conclusion
au total, la guerre d’algérie a bien propagé une onde de choc qui boule-
verse et recompose l’intégralité du milieu socialiste et constitue à ce titre
un événement matriciel. Cette période fait sens pour toute une génération,
accélère la crise des socialismes bretons et attise les crises individuelles et
33. amie personnelle d’eugène Descamps et secrétaire de « Frédo » Krumnow, elle tape le rapport sur
la déconfessionnalisation de la CFtC/CFDt en 1964.
34. Dont la femme conduit en 1977 la liste PSu à Lorient.

187
FrAnçois Prigent

collectives qui nourrissent les nouveaux milieux militants du socialisme en


Bretagne 35. Symbole fort dans les cultures et les trajectoires militantes, la
rupture de la guerre d’algérie, en tant qu’élément structurant des parcours
politiques, mériterait d’être comparée avec le choc des expériences de guerre
sur la longue durée 36, notamment à l’échelle des parlementaires socialistes
élus sur la période 1962-2012 37.

35. Plusieurs élus PS sont nés en algérie, dont Geneviève Chignac (conseillère régionale de
Loire-atlantique en 1998) et Jean-Yves Simon (conseiller général de Lézardrieux 1976-2001).
36. Le caractère similaire de la portée politique du choc des guerres (engagements résistants et contes-
tations anticoloniales) apparaît clairement dans certains noyaux du PSu [arch. du CrBC, fonds
alain Le Dilosquer].
37. Le parcours de Gwenegan Bui, député de Morlaix depuis 2012, révèle une autre étape, celle de la
distanciation et de l’analyse des engagements passés, de par son inscription en thèse sur la théma-
tique du rôle du syndicalisme (notamment FO) en algérie entre 1948 et 1958.

188
conclusion

« On préférait presque mourir que d’y penser 1 »


Sortir de la guerre d’Algérie
Vincent Joly

« en l’an de grâce 1962, leurit le renouveau de la France 2. » Le lecteur


des mémoires d’espoir du général de Gaulle est frappé par le peu de place
accordé à l’algérie après les accords d’Évian comme si le 19 mars 1962, la
page de cette tragique histoire était déinitivement tournée. Or, comme le
montrent les communications présentées à l’occasion de cette journée
d’études, ce point de vue est loin d’être unanimement partagé. en efet, la
vision de la sortie de guerre varie selon le point de vue auquel on se place.
La in des combats pour les militaires, le respect des accords signés pour les
diplomates constituent autant de moments qui annoncent l’ouverture
d’une phase nouvelle. Cependant, la guerre est-elle vraiment terminée dans
les esprits voire dans les chairs de ceux qui en ont été les acteurs et/ou les
victimes 3 ? De retour de la guerre, des milliers d’hommes ont repris une vie
normale, possédés parfois par le désir d’oublier au plus vite cette expérience,
encouragés par leur environnement familial mais aussi dans le cas de
l’algérie par un État et une société soucieux de passer à autre chose 4. Pour
d’autres, en revanche, les séquelles psychiques, la brutalisation au sens où
l’entend l’historien George Mosse, les ont déinitivement enfermés dans ce
moment de leur vie à l’image des héros du roman de Laurent Mauvignier
qui voient resurgir leur passé quarante ans après 5. On le comprend bien, la
notion de sortie de guerre suggère la durée et est bien un processus qui est

1. Jeannine Verdès-Leroux, les Français d’Algérie de 1830 à nos jours, Paris, Fayard, 2001, p. 359. La
commode synthèse de Jean Lacouture, Algérie, la guerre est inie, Bruxelles, Complexe, 1985 donne
l’essentiel de la trame événementielle.
2. Charles de Gaulle, mémoires d’espoir, t. 2, l’efort, Paris, Plon, 1971, p. 11.
3. Stéphane tison, comment sortir de la guerre ? deuil, mémoire et traumatisme (1870-1940), rennes,
Pur, 2011, p. 386.
4. Benjamin Stora, la gangrène et l’oubli. la mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte,
1991.
5. Laurent Mauvignier, des hommes, Paris, Éditions de Minuit, 2011.

189
Vincent Joly

loin d’être homogène 6. C’est un constat d’évidence si l’on en juge par


l’impossible consensus concernant la commémoration avant que le gouver-
nement impose le 5 décembre comme date de la journée d’hommage aux
morts pour la France pendant la guerre d’algérie et les combats du Maroc
et de tunisie alors qu’historiquement, elle n’a aucun sens 7.
Pour la France, il ne s’agissait pas d’une expérience inédite. en efet, la
sortie de la guerre d’algérie avait été précédée par les décolonisations préci-
pitées du Levant, de l’indochine, des protectorats d’afrique du nord ou
encore de la Guinée. Dans chacun de ces cas, les autorités avaient été confron-
tées au problème de l’accueil et de l’insertion de ces hommes et de ces femmes
qui rentraient en France. Cependant, le cas algérien était singulier pour au
moins trois raisons. D’une part, il concernait l’une des plus anciennes
colonies de la France. Depuis 1830, des générations s’y étaient installées et
en avaient fait leur terre. D’autre part, il ne s’agissait pas de quelques milliers
d’individus mais d’un million de rapatriés, ce qui posait le problème sur
une toute autre échelle. enin, ces retours intervenaient au terme d’une longue
guerre qui avait directement concerné les Français dans la mesure où 2 mil-
lions de combattants dont 1,2 millions d’appelés y avaient été engagés.

Les précédents
en indochine, au lendemain de Dien Bien Phu, les civils français avaient
rapidement quitté le tonkin. ils étaient peu nombreux – moins de 5000 –,
mais certains d’entre eux avaient passé toute leur vie sur place et n’envisa-
geaient pas leur départ à l’image des « ensablés » italiens qui étaient restés
en Éthiopie après 1941 8. ainsi, le journaliste Lucien Bodard décrit ces
« quelques vieux de la colonie » qui avaient juré de rester à Hanoi ou encore
ces « petits Blancs » qui, sans argent ni amis, étaient contraints de prendre
le chemin de la France où ils ne connaissaient personne et où ils allaient
devenir « des gens de nulle part 9 ». ils n’avaient pas réellement le choix.
Certes, pendant la conférence de Genève, les représentants de la rDVn
avaient donné des garanties concernant les biens des entreprises françaises
dans le nord du Vietnam mais ces dernières n’y croyaient pas et en 1955,
leur repli était terminé 10. La question des indemnités avait bien été posée
6. Stéphane audoin-rouzeau, Christophe Prochasson (dir.), sortir de la grande guerre. le monde
et l’après 1918, Paris, tallandier, 2008, p. 15. George Mosse, de la grande guerre au totalitarisme.
la brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999. On consultera également le numéro
spécial des cahiers du ceHd, n° 24, 2005 consacré aux sorties de guerre et en particulier les contri-
butions de Jacques Frémeaux, Michel Bodin, Jean-Charles Jaufret et Marie tomassetti qui portent
sur l’empire colonial français.
7. il s’agit du jour de l’inauguration d’un mémorial quai Branly à Paris.
8. Fabienne Le Houérou, l’épopée des soldats de mussolini en Abyssinie, 1936-1938, Paris, L’Harmattan,
1994.
9. Lucien Bodard, la guerre d’indochine, t. i, l’enlisement, Paris, Grasset, 2003, p. 23.
10. Hughes tertrais, « Les intérêts français en indochine entre 1954 et 1975 », in Pierre Brocheux
(dir.), du conlit d’indochine aux conlits indochinois, Bruxelles, Complexe, 2000, p. 41-43.

190
« on PréFérAit Presque mourir que d’y Penser »

mais sans qu’une solution ne puisse être trouvée et après bien des tentatives
même la Banque de l’indochine y avait renoncé en 1957 11. rien dans la
déclaration inale de la conférence de Genève ne concernait les Français
d’indochine. en revanche, le point 9 stipulait bien qu’au nord comme au
Sud, les autorités ne devaient pas admettre de représailles individuelles ou
collectives contre ceux qui avaient collaboré avec l’une des parties pendant
la guerre. Sur le terrain, cette garantie était rapidement apparue intenable.
Dès la in mai 1954, les provinces de Phat Diem et de Bui Chu s’étaient
vidées de leur population catholique et dans les semaines qui suivirent,
un vaste mouvement d’exode avait touché le tonkin et toutes les couches
de la population, poussant au moins 1 million de personnes vers le Sud 12.
La sortie de guerre d’indochine avait été douloureuse en particulier pour
les militaires qui avaient été vaincus mais qui avaient aussi eu le sentiment
d’avoir été abandonnés pendant toute la durée de cette guerre aussi bien
par les gouvernants que par une opinion publique métropolitaine qui leur
avait témoigné de l’indiférence voire de l’hostilité. Or, ces hommes s’étaient
moralement investis auprès des populations locales et leur départ s’appa-
rentait pour ces dernières à un véritable abandon aux mains de leurs
ennemis d’hier. Beaucoup avaient éprouvé à cette occasion un profond
sentiment de culpabilité, l’impression justiiée de trahir des engagements
pris auprès de ces hommes, soldats, partisans ou supplétifs, auxquels ils
avaient promis de ne jamais partir. Le commandant de Saint Marc se
souvient de ces moments terribles lorsque, après la signature des accords de
Genève, il fallut les désarmer. « Ce fut un moment pénible », écrit-il,
« “un moment de honte...”. L’un d’eux me lança : “alors vous nous laissez
tomber mon capitaine ?” Je n’ai pas répondu. S’ils nous avaient tués à ce
moment-là, cela aurait été juste 13 ». Beaucoup pressentaient le sort terrible
qui attendait ces hommes et cette image devait les hanter lorsque huit ans
plus tard en algérie, il fallut afronter le regard des harkis et moghaznis dans
les mêmes circonstances.
Le mouvement de retour des populations civiles avait commencé dès
1945. Des civils et des militaires qui étaient restés pendant toute la durée
de la guerre et qui avaient été internés après mars 1945 par les Japonais,
avaient été les premiers rapatriés. Jusqu’en 1954, ils furent environ 35 000
sur les 45 000 Français que comptaient l’indochine à prendre le chemin de
la métropole. Parmi eux iguraient 15 % d’eurasiens qui n’avaient pas de
liens avec la métropole. Leur arrivée en France relevait sans doute davantage
de l’immigration que du rapatriement et elle se révéla d’autant plus délicate
11. Marc Meuleau, des pionniers en extrême-orient. Histoire de la Banque de l’indochine, 1875-1975,
Paris, Fayard, 1990, p. 513-514.
12. Pierre Brocheux et Daniel Hémery, indochine, la colonisation ambiguë, 1858-1954, Paris,
La Découverte, 1994, p. 364. Les accords de Genève prévoyaient qu’entre le 21 juillet 1954 et le
21 mai 1955, les personnes pouvaient opter pour le nord ou le Sud.
13. Hélie de Saint Marc, mémoires. les champs de braises, Paris, Perrin, 2002, p. 162-163.

191
Vincent Joly

qu’elle s’accompagna parfois d’un véritable déclassement social 14.


5 000 d’entre eux furent accueillis dans l’urgence à partir de 1955 dans des
camps militaires, des camps d’hébergement ou des corons abandonnés
comme celui de noyant dans l’allier. Contrairement à une idée reçue, leur
insertion s’avéra diicile, d’autant plus que parmi les femmes, nombreuses
étaient celles qui ne parlaient pas le français et que les emplois étaient rares
dans les régions où on les avait envoyé(e)s. La précarité de leur installation
devait durer. en 2006, on « fêta » les cinquante ans du CaFi (Centre
d’accueil des Français d’indochine) où vivaient encore dans des conditions
précaires 120 familles dans des logements de fortune 15. L’État n’avait rien
prévu, aucun cadre institutionnel pour recevoir ces hommes et ces femmes
sans doute parce que, comme le suppose trinh Van hao, aucun gouverne-
ment n’avait perçu ce phénomène comme ayant une ampleur nationale et,
de ce fait, nécessitant non seulement un efort budgétaire mais aussi
une véritable politique de solidarité 16.
en 1956, au moment où les rapatriés venant du sud Vietnam aluaient
de nouveau pour fuir le régime de Diem, le gouvernement devait faire face
aux retours des Français qui quittaient le Maroc et la tunisie. au Maroc où
ils étaient 410 000 en 1955, ils quittaient le pays dans des conditions moins
dramatiques qu’en indochine. Du reste, nombreux étaient ceux qui
pensaient pouvoir y rester et continuer à y exercer leurs métiers. Le roi
Mohammed V avait multiplié les ouvertures et les garanties les concernant.
Dès lors, leur relux fut lent et en 1966, dix ans après l’indépendance, il y
avait encore 100 000 Français dans le royaume 17. La communauté juive
constituait un cas à part. elle avait commencé à quitter le pays dès 1948
après la création d’israël. Forte de 250 000 âmes en 1950, elle était prati-
quement réduite de moitié cinq ans plus tard, la majorité des émigrants
choisissant l’État hébreu plutôt que la France dont une minorité seulement
avait la nationalité 18.
tout comme le Maroc, la tunisie avait connu une vague de troubles
graves depuis la in de la Deuxième Guerre mondiale. Le 31 juillet 1954,
le chef du gouvernement, Pierre Mendès France, reconnaissait solennelle-
14. Colette Dubois, « La nation et les Français d’outre-mer : rapatriés ou sinistrés de la décolonisa-
tion ? », in Jean-Louis Miège et Colette Dubois (dir.), l’europe retrouvée. les migrations de la
décolonisation, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 85.
15. ida Simon-Barouh, rapatriés d’indochine, 2e génération. les enfants d’origine indochinoise à noyant
d’Allier, Paris, L’Harmattan, 2000 ; Pierre-Jean Simon, rapatriés d’indochine. un village franco-in-
dochinois en Bourbonnais, Paris l’Harmattan, 2000. À noter la dernière livraison de la rHei, revue
d’Histoire de l’enfance « irrégulière », n° 14, 2013, consacrée aux enfants déplacés en situation
coloniale.
16. trinh Van thao, « Le retour des rapatriés d’indochine. L’expérience des centres d’accueil
(1954-1960) », in Jean-Jacques Jordi et Émile témine (dir.), marseille et le choc des décolonisations,
Marseille, Édisud, 1998, p. 28-39.
17. Daniel rivet, le maroc de lyautey à mohammed V. le double visage du protectorat, Paris, Denoël,
1999, p. 419.
18. ibid., p. 411.

192
« on PréFérAit Presque mourir que d’y Penser »

ment l’autonomie interne mais dans le même discours rassurait la commu-


nauté française, forte d’environ 230 000 personnes en airmant qu’elle
« avait acquis le droit de vivre et de travailler en tunisie 19 ». Ces propos se
voulaient d’autant plus fermes que dans l’esprit des dirigeants français, il
n’était pas question d’indépendance alors que c’était l’objectif des nationa-
listes locaux. Les Français de tunisie, sans doute plus lucides, s’interro-
geaient sur leur avenir dans le pays. en 1954, pour la première fois, le
nombre de départs fut supérieur à celui des entrées. L’indépendance du
Maroc, proclamée le 2 mars 1956, sonnait le glas du Protectorat. Le
20 mars, la tunisie accédait à son tour à l’indépendance ce qui posait sous
un jour nouveau la question de la place des Français dans le pays. Le mouve-
ment des départs amorcé deux ans plus tôt s’ampliia. Les premiers à partir
furent les fonctionnaires dont les tunisiens ne voulaient plus. Leur nombre
passa de 10 000 en mars 1956 à 2500 en 1959. Les colons qui possédaient
les riches terres du nord, étaient eux aussi indésirables mais ils purent
bénéicier d’une indemnisation grâce à un prêt accordé par Paris à tunis 20.
au cours des deux années qui suivirent l’indépendance, 30 000 européens
quittèrent annuellement le pays. en 1959, il ne restait plus que 60 000 juifs
et 85 000 européens, soit moins de la moitié des efectifs de 1956 21.
L’année 1960 conirma la tendance. en août, une série de mesures excluaient
d’un certain nombre de professions les non-tunisiens et en octobre, un accord
passé avec la France permettait un nouveau transfert de propriété, entraînant
la nationalisation de 180 000 hectares 22. en juillet 1961, la crise de Bizerte
provoqua une nouvelle vague d’émigration. en 1966, dix ans après l’indé-
pendance, il ne restait plus que 20 000 juifs et 26 000 européens.
en Guinée, la décision de Sékou touré de voter « non » au referendum
de septembre 1958 avait entraîné un départ massif et immédiat, largement
imposé par Paris. en efet, 48 heures après les résultats, tout le personnel
administratif et technique français recevait l’ordre de quitter le pays. Quant
à ceux qui avaient décidé de rester, ils devaient renoncer à toute sécurité de
l’emploi 23.
ainsi, en 1962, la France avait déjà été confrontée à quatre années
d’une décolonisation contrainte, mal préparée. elle avait dû accueillir
environ 300 000 rapatriés d’outre-mer. Comme le note Colette Dubois, le
vocabulaire employé s’adapta et à partir de 1957, les termes de « Français
d’outre-mer » et de « réfugiés de l’union française » côtoyèrent celui de
« Français rapatriés » qui se généralisa avec la création du Centre d’orienta-
19. Cité par Jean Ganiage, Histoire du maghreb de 1830 à nos jours, Paris, Fayard, 1994, p. 554.
20. Jean-François Martin, Histoire de la tunisie contemporaine. de Ferry à Bourguiba, 1881-1956, Paris,
L’Harmattan, 1993, p. 170.
21. Jean Ganiage, op. cit., p. 564.
22. Colette Dubois, loc. cit.
23. elizabeth Schmidt, cold War and decolonization in guinea, 1946-1958, athens, Ohio university
Press, 2007, p. 170.

193
Vincent Joly

tion des Français rapatriés rattaché au ministère de l’intérieur. À partir de


1965, le terme de rapatrié s’imposait avant d’être réduit à celui de pied-
noir 24. La loi du 26 décembre 1961 déinit administrativement le rapatrié
comme étant un Français établi dans un territoire placé sous la souveraineté
ou sous la tutelle de la France qui, à l’indépendance, à rallié la métropole
devenue à la fois terre d’asile et lieu de travail. Cette loi concernait tous ceux
qui vivaient avant cette date en indochine, en afrique noire ou dans les
protectorats maghrébins mais son objectif était limité : elle visait à favoriser
la réinsertion en métropole mais n’envisageait pas d’indemnisation pour les
biens qui avaient été nationalisés ou abandonnés 25.

Une expérience singulière


Malgré l’expérience des rapatriements précédents, celui des Français
d’algérie donne a priori l’image d’une improvisation chaotique aggravée
par un contexte de violence extrême. Cette impression s’explique par
l’ampleur du phénomène : plus d’un million de nos compatriotes vivaient
de l’autre côté de la Méditerranée dans ce qui avait été la seule colonie de
peuplement de l’empire colonial français. Cette implantation s’inscrivait
dans la durée, certaines familles pouvaient faire remonter la date de leur
installation aux premières années de la conquête 26. une enquête de l’iFOP
publiée en avril 1963 révélait que 80 % des pieds-noirs rapatriés étaient nés
en algérie et que 28 % d’entre eux n’étaient jamais venus en France avant
1962 27. Malgré la décolonisation de plus en plus rapide depuis le début des
années 1950 y compris en afrique du nord, la plupart ne pouvaient
envisager de quitter ce qu’ils considéraient comme leur pays 28. Comme
l’explique l’un des interlocuteurs de Jeannine Verdès-Leroux :
« Je me disais, ça ne viendra pas jusqu’ici, ça s’arrangera, on était telle-
ment vissé à cette terre que vraiment, on ne voulait pas y penser, on se
refusait... On préférait mourir que d’y penser 29. »
À la décharge du gouvernement, les accords d’Évian semblaient rendre
le problème marginal. Du reste, il ne s’impose que tardivement à l’attention

24. Colette Dubois, loc. cit., p. 76.


25. Yann Scioldo-Zürcher, « La loi du 26 décembre 1961 : une anticipation du rapatriement des
Français d’algérie », in abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ounassa Siari tengour
et Sylvie thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale (1830-1962), Paris-alger,
La Découverte et Barzakh Éditions, 2012, p. 564-569.
26. Sur les pieds-noirs, le point est fait par Daniel Lefeuvre, « Les pieds-noirs » ; in Mohammed Harbi
et Benjamin Stora (dir.), la guerre d’Algérie. 1954-2004, la in de l’amnésie, Paris, robert Lafont,
2004, p. 267-286.
27. Michèle Guillon « Les rapatriés d’algérie dans la région parisienne », Annales de géographie, n° 460,
1974, p. 644.
28. La Libye est indépendante depuis le 24 décembre 1951.
29. Jeannine Verdès-Leroux, op. cit., p. 359.

194
« on PréFérAit Presque mourir que d’y Penser »

du gouvernement mais aussi du Parlement où le premier débat n’a lieu que


11 mai 1962 30.
L’objectif de cette journée d’études était d’envisager la sortie de la guerre
d’algérie dans une séquence courte, en gros entre 1961 et 1964, en s’inter-
rogeant sur la transition, c’est-à-dire sur les quelques mois qui séparent les
accords d’Évian de la proclamation de l’indépendance avant d’aborder la
question des choix et de leurs conséquences en métropole.
Christian Fouchet fut le premier et le dernier Haut-commissaire de la
république en algérie. Soraya Laribi brosse le portrait d’un « grognard »
du général et l’homme est bien représentatif de ceux qui, depuis l’aventure
de la France Libre, s’étaient donné corps et âme à de Gaulle 31. Michel Debré
avait vécu un véritable calvaire comme il le reconnaît dans ses mémoires
lorsqu’il lui fallu appliquer une politique qui heurtait ses convictions.
Fouchet n’avait a priori pas ces états d’âme car son expérience de Ministre
des afaires tunisiennes et marocaines lui avait sans doute fait percevoir
l’anachronisme du régime colonial dans la deuxième moitié du xxe siècle.
Peut-on qualiier sa mission de succès ? Sans doute aux yeux du général
de Gaulle puisqu’il réussit avec l’exécutif provisoire à organiser le referendum
du 1er juillet sur l’autodétermination et qu’il en est récompensé par un
ministère lorsqu’il rentre en métropole. Sur le terrain, Soraya Laribi dresse
un bilan plus nuancé : il n’avait pu que freiner l’activité de l’OaS et pas la
briser comme il le voulait. De plus, il s’était heurté à une hostilité farouche
des Français d’algérie vis-à-vis desquels son franc-parler s’était révélé sans
efet. Surtout, il laissait en suspens un certain nombre de dossiers doulou-
reux comme celui des disparus dont les historiens commencent à dévoiler
l’ampleur 32.
Jenny ralik a abordé une dimension négligée de la sortie de guerre en
algérie en s’intéressant à la question de la place de l’Otan dans le conlit 33.
Depuis la in de la Deuxième Guerre mondiale, les gouvernements français
étaient confrontés à un délicat dilemme : comment concilier l’efort militaire
qu’exigeaient les guerres de décolonisation avec les engagements pour la
défense de l’europe imposés par le traité de l’atlantique. La situation de
l’algérie était particulière dans la mesure où ses départements iguraient
dans la zone d’action de l’alliance atlantique. ainsi, la base navale de
30. Guy Pervillé, les accords d’évian (1962). succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne
(1954-1962), Paris, Colin, 2012, p. 135.
31. Soraya Laribi, « Le dernier gouverneur général de l’algérie : Christian Fouchet, haut-commissaire
de la république », p. 81-92.
32. Jean-Jacques Jordi, les disparus civils de la guerre d’Algérie. un silence d’état, Paris, SOteCa, 2011.
La thèse de Jean Monneret, la phase inale de la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 2001 est
fondamentale pour comprendre les événements qui ensanglantent l’algérie dans les derniers
mois.
33. Jenny raflik-Grenouilleau, « L’algérie, les accords d’Évian et l’Otan », p. 111-124. Sur les
aspects internationaux de la guerre d’algérie : Matthew Connelly, l’arme secrète du Fln. comment
de gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Paris, Payot, 2011.

195
Vincent Joly

Mers el-Kébir et la base aérienne d’Oran-Lartigue avaient bénéicié d’inves-


tissements importants. Bien que discrète, la présence de l’Otan contribua
à intégrer le conlit dans la guerre froide. Le soutien dont bénéiciait le
GPra de la part de l’urSS et de ses alliés conirmait aux yeux de nombreux
militaires français que l’algérie était aussi un théâtre d’afrontement entre
l’est et l’Ouest. Ce n’était pas l’avis du général de Gaulle, soucieux de se
libérer d’engagements qu’il jugeait incompatibles avec l’indépendance
nationale. Le mémorandum adressé aux américains et aux Britanniques le
4 septembre 1958 posait non seulement le problème du partage des
décisions au sein de l’alliance mais aussi celui de l’intégration. Le rejet des
propositions françaises conduisit à reprendre le contrôle complet de la lotte
de Méditerranée au début de 1959, prélude à la remise en cause de la
présence de la France au sein du Commandement intégré 34. La signature
des accords d’Évian rendait caduque la couverture par l’Otan de l’algérie
mais elle ne signiiait pas la in de la présence militaire française. en efet,
d’une part, il était prévu que 80 000 hommes demeureraient sur place
jusqu’en 1964 et, d’autre part, que la France conserverait les bases de Bou
Sfer et Mers el-Kébir pendant quinze ans. De plus, elle jouissait pour les
cinq années à venir des sites sahariens nécessaires à l’expérimentation de la
bombe atomique, des missiles et des armes chimiques 35. Du point de vue
militaire, ce sont surtout les troubles que l’armée a connu depuis le putsch
des généraux d’avril 1961 qui ont fait l’objet de l’attention des chercheurs 36.
Les aspects matériels de l’évacuation ont été négligés.
L’armée française partait mais la question du sort des algériens qui
avaient combattu à ses côtés restait ouverte. Gregor Mathias montre dans
sa communication l’étendue et la précocité des exactions dont harkis et
moghzanis ont été les victimes 37. L’expérience de l’indochine aurait dû
alerter les autorités. Devant les perspectives d’indépendance qui se dessinent
à partir de 1960, des oiciers, chefs de SaS, avaient demandé leur mutation
pour ne pas avoir à la revivre. Parmi les supplétifs qui sont restés après le
19 mars, le choix du départ vers la France était une option minoritaire.
en mars 1962, plus de 81 % des harkis avaient opté pour le licenciement
avec prime et en avril, le tiers de ceux qui avaient demandé de partir en
métropole y avait renoncé 38. Certains pouvaient se croire protégés par les
34. Maurice Vaïsse, la grandeur. Politique étrangère du général de gaulle, 1958-1969, Paris, Fayard,
1998, p. 119.
35. Guy PervillÉ, op. cit., p. 109. La base « B2 nemours » qui servait pour les armes chimiques faisait
l’objet d’un protocole secret.
36. raoul Girardet (dir.), la crise militaire française, 1945-1962. Aspects sociologiques et idéologiques,
Paris, Colin, 1964.
37. Gregor Mathias, « Survivre à l’indépendance algérienne : itinéraires de moghzanis en 1962-1963 »,
p. 27-42.
38. Chantal Morelle, « Les pouvoirs publics français et le rapatriement des harkis en 1961-1962 »,
in raphaëlle Branche (dir.), la guerre d’indépendance des Algériens, 19545-1962, Paris, Perrin,
2009, p. 280.

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« on PréFérAit Presque mourir que d’y Penser »

accords d’Évian qui promettaient l’impunité à tous pour les actes commis
avant le cessez-le-feu et les opinions émises avant le scrutin d’autodéter-
mination. Les autorités françaises ne souhaitaient pas encourager une
venue massive, les directives de Pierre Messmer, Ministre des armées et de
Louis Joxe, Ministre d’État en charge de l’algérie étaient sans ambiguïtés,
prévoyant non seulement des sanctions contre les oiciers qui faciliteraient
les départs mais aussi, des mesures de refoulement pour ceux qui seraient
parvenus sans autorisation en France. Pour de Gaulle, ils n’étaient pas des
rapatriés mais de réfugiés. Du reste, très rapidement, au cours de l’été 1962,
on ne les désigna plus comme des « Français musulmans de souche nord-
africaine » ou des « rapatriés musulmans ». ils devinrent alors des « harkis »,
des « réfugiés ». Ce glissement sémantique n’était pas neutre, il témoignait
du refus de la part des autorités de voir ces populations faire valoir leurs
droits de rapatriés 39. Les exactions sont diiciles à évaluer quantitativement,
mais pour ceux qui sont restés en algérie, la in de la guerre a signiié le
début d’une phase douloureuse de malheurs en tout genre qui ne commença
à prendre in qu’à partir de 1967, lorsque furent libérés les premiers détenus.
Ce qui ne signiiait pas in de la guerre pour ceux qui étaient installés en
métropole en quête d’une reconnaissance toujours refusée.
L’abandon de ces hommes tranche par rapport aux eforts engagés par
l’État en direction des Français rapatriés d’algérie. La loi du 26 décembre 1961,
la création la même année d’un secrétariat d’État aux rapatriés, témoi-
gnaient d’une prise de conscience réelle. il s’agissait d’accueillir un nombre
croissant de familles au fur et à mesure que l’on s’approchait de la in de la
guerre 40. L’ampleur du mouvement était sans précédent. De 1954 à 1961,
180 000 départs avaient été recensés. en janvier 1962, seulement 1329
personnes étaient arrivées en métropole mais plus de 82 000 en mai et près
de 330 000 en juin. Le lot diminua les mois suivants mais demeurait consi-
dérable. en quelques mois, la communauté française d’algérie avait quasi-
ment disparu. Leur accueil imposa la création d’un ministère à part entière
en novembre 1962. L’objectif était d’intégrer le plus rapidement possible
ces hommes et ces femmes qui, pour certains, étaient arrivés complètement
démunis en France. il s’agissait d’une nécessité politique car comme le
montre Yann Scioldo-Zürcher, l’État savait qu’en ne leur donnant pas les
moyens de leur installation, il risquait de « compromettre la paix sociale du
pays 41 ». L’enjeu explique la célérité et l’eicacité de l’administration même
si les principaux intéressés n’en eurent pas toujours conscience. À la in de
l’automne 1964, les dispositifs installés furent allégés et la disparition du

39. Yann Scioldo-Zürcher, « Les harkis sont-ils des rapatriés comme les autres ? », les temps modernes,
nov.-déc. 2011, n° 666, p. 90.
40. Yann Scioldo-Zürcher, « une administration ex-nihilo à l’épreuve des rapatriements des Français
d’algérie. 1961-1964, organiser la sortie de guerre », p. 69-78.
41. ibid., p. 77.

197
Vincent Joly

ministère chargé des rapatriés montrait qu’aux yeux du gouvernement, la


page était tournée.
Ce n’était pas l’appréciation de l’immense majorité des rapatriés qui
eurent plutôt le sentiment d’être abandonnés. De fait, il fallut attendre le
10 mai 1962 pour qu’à Marseille, l’accueil soit adapté. Cinq mois aupara-
vant, le journal le méridional-la France avait publié en « une », une photo-
graphie montrant des familles dormant à même le sol dans la salle à manger
d’un hôtel 42. aux mauvaises conditions matérielles s’ajoutait l’hostilité des
autorités qui redoutaient que parmi eux se glissent des activistes de l’OaS
voulant commettre des attentats en France. en juin 1961, 45 % des métro-
politains seulement se sentaient solidaires des Français d’algérie. au conseil
des ministres du 18 juillet 1962, Louis Joxe expliqua qu’il n’était pas souhai-
table qu’ils retournent en algérie ni qu’ils s’installent en France où ils
seraient une « mauvaise graine » mais qu’ils aillent plutôt en argentine, au
Brésil ou encore en australie. De Gaulle lui rétorqua qu’il les voyait plutôt
en Guyane ou en nouvelle Calédonie 43 ! Comme le constate Maurice
Denuzière du journal le monde en mai 1962, rares étaient les rapatriés qui
acceptaient de se livrer : « Si nous vous expliquions », lui déclare l’un d’entre
eux, « vous ne comprendriez pas 44 ». Le sentiment d’être incompris et
méprisés pouvait consolider une identité forte et un rejet de la métropole.
Or, comme le montre Didier Lavrut, on est frappé par la vitesse de l’inté-
gration des pieds-noirs dans un département comme le Gard 45. Certes, il
y eut en 1963 des tensions avec la population locale alimentées par la
rumeur d’un « banditisme pied-noir » mais elles disparurent l’année
suivante. L’intégration fut sans doute facilitée par la forte croissance écono-
mique qui explique que l’emploi ne soit pas un problème, mais ce phéno-
mène ne s’accompagna pas d’une perte d’identité 46. Les rapatriés s’installè-
rent avec leur culture, leur sociabilité, leurs habitudes alimentaires et leurs
pratiques religieuses. ils présentaient des revendications spéciiques autour
de l’indemnisation et de l’amnistie qui étaient relayées par les journaux
42. Jean-Jacques Jordi, 1962. l’arrivée des pieds-noirs, Paris, autrement, 1995, p. 39.
43. alain Peyrefitte, c’était de gaulle, t. i, Paris, Fayard, 1995, p. 193. en avril 1962, de Gaulle déclare
lors d’un entretien avec le journaliste raymond tournoux : « Je veux dire : ce n’est pas un Français
comme vous et moi. C’est un pied-noir. » [raymond tournoux, la tragédie du général, Paris, Plon,
1967, p. 406.]
44. Cité par Patrick Éveno et Jean Planchais, la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, Le Monde, 1989,
p. 334. Le sentiment de ne pas être compris par les métropolitains avait déjà frappé Pierre nora
[Pierre nora, les Français d’Algérie, Paris, Julliard, 1961].
45. Didier Lavrut, « Se déinir Pied-noir : l’impossible construction d’une identité politique chez les
Français d’algérie rapatriés dans le Gard », p. 127-139.
46. Pierre Carrière note aussi une insertion réussie pour les agriculteurs rapatriés dans le Languedoc où
la méiance dont ils ont été l’objet au début de leur installation s’est rapidement dissipée [« L’insertion
dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d’afrique du nord », études rurales, n° 52,
oct.-déc. 1973, p. 57-79]. en revanche, c’est un échec dans l’indre mais, d’une part cela ne concerne
que quelques dizaines de familles et, d’autre part, selon Martine Pilleboue, il n’est pas propre aux
pieds-noirs mais touche tous les étrangers au milieu agricole berrichon [« Les agriculteurs rapatriés
d’afrique du nord. L’exemple de l’indre », études rurales, n° 47, juil.-sept. 1972, p. 73-97].

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« on PréFérAit Presque mourir que d’y Penser »

locaux. Didier Lavrut souligne que leur discours, fortement ancré à


l’extrême droite et dans la mouvance algérie française, privilégiait une
« dynamique identitaire et communautaire » qui se traduisait par la commé-
moration de la fusillade de la rue d’isly ou celle de l’exécution de Bastien-
hiry mais qui s’exprimait surtout dans le registre de la nostalgie 47. Pour
autant, cette orientation ne faisait pas l’unanimité, en particulier chez les
jeunes désireux de s’intégrer le plus rapidement possible dans la société
métropolitaine. Comme le souligne Jean-Jacques Jordi, « il ne faut pas se
représenter cette communauté de destin comme une communauté
soudée 48 ». De fait, l’éclatement des associations de rapatriés du Gard
témoignait de la pluralité des attitudes politiques. ainsi de cette amicale
des jeunes pieds-noirs dont Didier Lavrut note qu’elle comptait un député
unr, un gaulliste donc, dans son conseil d’administration. Ce départe-
ment est-il atypique ? il est diicile de trancher faute de synthèse mais il se
distingue, par exemple des alpes-Maritimes étudiées par Dominique
Olivesi. À nice, les pieds-noirs ont formé un véritable lobby, regroupés dans
une association unique, qui joue un rôle croissant dans la vie politique
locale en soutenant Jean Médecin 49. au-delà des regroupements, des ailia-
tions politiques ou des particularismes force est de constater que globale-
ment, les pieds-noirs sont rapidement intégrés dans la société métropoli-
taine. Sans doute parce que comme le remarquait il y a près de quarante ans
la géographe Michèle Guillon : « Malgré des attaches réelles avec l’algérie,
cette population parlant français et ayant un mode de vie très proche de
celui des autres Français, n’était-elle pas d’abord une population française,
plus étrangère en algérie qu’en métropole 50 ? »
Même s’il avait pu être envisagé au moment de leur départ, pour
l’immense majorité de ces hommes et de ces femmes, il n’était plus question
de retour car comme le disent aujourd’hui les rapatriés, l’algérie n’est « pas
seulement un pays perdu, c’est un pays qui n’existe plus 51 ». Cette convic-
tion s’impose aussi aux militants de l’OaS étudiés par Olivier Dard 52. Pour
eux, les accords d’Évian ne signiiaient pas la in de la guerre mais plutôt
une radicalisation, marquée par la multiplication des attentats, la création
de maquis et l’afrontement avec le gouvernement. Or, ce changement
intervenait au moment où l’échec de l’OaS était patent dans la mesure où
pour cette organisation l’objectif était la conservation de l’algérie française
dans son intégralité et qu’elle n’avait pas été capable de retenir les pieds-
47. Didier Lavrut, p. 133.
48. Jean-Jacques Jordi, « Les rapatriés, une histoire en chantier », le mouvement social, n° 197, 2001,
p. 6.
49. Dominique Olivesi, « L’utilisation des rapatriés dans les alpes Maritimes (1958-1965) », Bulletin
de l’iHtP, n° 79, 2002, p. 83-89.
50. Michèle Guillon, loc. cit., p. 674.
51. Jeannine VerdÈs-Leroux, op. cit., p. 388.
52. Olivier Dard, « Sortie de guerre et OaS », p. 43-55. il souligne aussi la pluralité des attitudes parmi
les militants ne serait-ce qu’entre ceux d’alger et d’Oran.

199
Vincent Joly

noirs. Salan en était conscient. Dans sa lettre à « ses amis d’algérie » du


19 juin, il reconnaissait que la guerre était terminée. Deux jours auparavant,
l’accord signé par Susini avec le FLn entérinait la défaite. Les massacres
d’Oran ne pouvaient remettre en cause le processus de in des hostilités
mais, pour autant, la guerre n’était terminée qu’en algérie. elle devait se
transporter en France même. Cela étant, ce n’était plus la même guerre,
désormais elle se limitait à la seule volonté de tuer le général de Gaulle.
Comme le souligne Olivier Dard, la sortie de guerre ne date donc pas pour
ces hommes de 1962 mais plutôt de 1966 avec l’échec de la dernière tenta-
tive d’attentat contre le chef de l’État et les premières mesures d’amnistie
qui vont s’échelonner jusqu’en 1968. alors s’engagea un nouveau combat,
celui des mémoires qui, lui, n’est pas encore terminé.
La guerre d’algérie avait eu un efet clivant au sein des organisations
politiques de droite en Bretagne. elle s’était accompagnée d’une forte poussée
d’un gaullisme militant dont Christian Bougeard montre la pérennité
jusqu’au début des années 1980 53. La région devint un bastion gaulliste
dominé par les « barons » du régime. L’opinion publique avait donc large-
ment soutenu la politique algérienne du général comme le suggèrent les 93 %
de « oui » obtenus au referendum d’avril 1962. La guerre avait ainsi vite
disparu des préoccupations politiques locales au proit de la politique
européenne. Ce sentiment de voir la page déinitivement tournée se retrouve
sur la Côte d’Opale étudiée par Marc Coppin 54. Sans doute, cet oubli rapide
s’explique-t-il aussi par la présence très faible des rapatriés et des harkis dans
ces régions. La guerre avait eu un impact beaucoup plus fort sur les socialistes
bretons. Comme l’observe François Prigent dans sa communication, elle avait
fait exploser la SFiO locale et suscité de nouveaux engagements et de
nouvelles formes de militantisme 55. S’engager contre la guerre devint un
marqueur politique dont on voit bien les conséquences du côté des chrétiens
de gauche. il en sortit aussi un clivage entre SFiO et PSu appelé à durer.
Cependant, ces divisions s’accompagnèrent d’une crise durable du militan-
tisme dont témoignent les diicultés à recruter de nouveaux adhérents. il
faut attendre 1968, estime François Prigent, pour que la gauche bretonne
entame sa reconstruction avec des hommes et des femmes qui avaient pu
découvrir les vertus de l’engagement au moment de la guerre d’algérie.
Le choix du départ n’était pas unique mais il était diicile d’y échapper.
en efet, à l’instar du gouvernement, on peut être surpris par le véritable
sauve-qui-peut qui submergea les Français d’algérie au printemps 1962 56.
53. Christian Bougeard, « La vie politique à la in de la guerre d’algérie en Bretagne », p. 155-175.
54. Marc Coppin, « Sortie de guerre dur la Côte d’Opale, 1962-1963 », p. 141-153.
55. François Prigent, « Les socialistes bretons face à la guerre d’algérie : générations, recomposition,
trajectoires », p. 177-188.
56. De Gaulle déclara à alain Peyreitte qu’il en attendait 350 000 (alain Peyrefitte, c’était de gaulle,
t. i, Paris, Fayard, 1994, p. 204. Dans ses mémoires d’espoir, il reconnaît que « le retour aurait pu et
dû s’accomplir progressivement et sans précipitation », op. cit., p. 163.

200
« on PréFérAit Presque mourir que d’y Penser »

en fait, ce mouvement massif et brutal dissimulait une lente migration qui


avait commencé dès 1954 et qui, au moins statistiquement, avait été
compensée par un alux important de militaires et de fonctionnaires 57. en
1957, les premiers pieds-noirs s’étaient installés en Corse. Six ans plus tard,
ils possédaient 70 % des vignobles de l’île 58. Ces départs témoignaient d’un
triple échec. Le premier était celui des signataires des accords d’Évian qui
n’avaient pas pu ou pas voulu garantir aux Français un avenir sûr dans
une algérie algérienne indépendante. Les enlèvements, les attentats s’étaient
multipliés après le 19 mars dans les grandes villes, aggravant une peur qui
était sans doute la cause principale de tous ces départs 59. Le second était
celui de l’OaS qui, malgré les menaces et la violence, n’avait pas réussi à
convaincre les Français de rester. Du reste, la politique de la « terre brûlée »
dans laquelle elle s’engagea dans la seconde quinzaine de mai, condamnait
toute possibilité de retour même à long terme. Le troisième échec était celui
des projets de partition qui auraient pu préserver une algérie française
réduite. Parmi ces derniers, celui du Sahara était celui qui était apparu le
plus plausible, le plus longtemps. L’idée d’en faire un territoire autonome
était née avec la découverte des hydrocarbures en 1956 et avait conduit à
la création de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCrS)
en janvier 1957 60. Le général de Gaulle avait poursuivi dans cette voie avant
de comprendre en 1961 que pour le GPra, une algérie sans le Sahara ne
pouvait être envisageable. Pour autant, les intérêts français dans le secteur
pétroliers furent préservés, les accords d’Évian prévoyant la création
d’un Organisme Saharien (OS) dans lequel alger et Paris se retrouvaient à
parité 61.
Le cas du Sahara ne concernait que très marginalement les Français
d’algérie. Pour ceux-ci, il fallait plutôt envisager un regroupement, une
installation sur la côte, bref, créer une enclave viable pour les accueillir.
Le modèle israélien semblait rendre possible une telle solution comme
David Ben Gourion l’avait, semble-t-il, suggéré au général de Gaulle 62. elle
n’était, alors pas neuve. en efet, dès le mois de janvier 1957, des députés
radicaux avaient proposé de créer des territoires autonomes autour de
Constantine et de tlemcen ainsi que des « provinces » d’alger et d’Oran.
Le principe ne choquait pas de Gaulle mais, si l’on en croit alain Peyreitte,
57. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, Picard, 2002, p. 250.
58. raphaëlle Branche, op. cit., p. 17.
59. Mais pas la cause unique comme le souligne Jacques Frémeaux dans l’introduction. La perspective
de vivre à égalité avec les algériens, c’est-à-dire en dehors du cadre colonial, apparaissait inenvisa-
geable aux yeux de beaucoup de Français d’algérie.
60. Pierre Boilley, « L’Organisation commune des régions sahariennes (OCrS) : une tentative avortée »,
in edmond Bernus, Pierre Boilley, Jean Clauzel et Jean-Louis triaud (dir.), nomades et comman-
dants. Administration et sociétés nomades dans l’ancienne AoF, Paris, Karthala, 1993, p. 215-239.
61. Hocine Malti, « Le pétrole saharien et son rôle dans la guerre de libération », in abderrahmane
Bouchène et alii, op. cit., p. 533-538.
62. Michèle Cointet, de gaulle et l’Algérie française, 1958-1962, Paris, Perrin, 1995, p. 226.

201
Vincent Joly

il comptait l’utiliser pour faire pression sur les négociateurs algériens à


un moment où les discussions s’enlisaient. Dès l’été 1961, le quai d’Orsay
s’était penché sur cette hypothèse en envisageant la création de petites
provinces organisées autour des villes de la côte, alger, Oran et Bône,
s’apparentant aux présides espagnols du Maroc et reposant sur un peuple-
ment européen homogène 63. Les idées d’alain Peyreitte étaient plus
ambitieuses. Sur l’initiative du général, il avait publié dans le journal
le monde une série d’articles in septembre et début octobre 1961 abordant
la question de la partition avant d’en faire un livre au titre sans ambigüité
Faut-il partager l’Algérie ? 64. Le constat de départ était simple : il fallait que
les Français reconnaissent l’impossible coexistence entre les deux commu-
nautés, d’autant que l’algérie algérienne voulue par le GPra ne leur réser-
vait aucune place. Dès lors, il fallait que ces derniers soient regroupés sur
une partie du territoire. il proposait que l’on choisisse plutôt la partie
occidentale, en gros entre alger et Oran, pour y installer tous les Français
d’algérie au prix du transfert de ceux qui vivaient dans le Constantinois.
Ces projets n’avaient aucune chance de voir le jour tant ils étaient incom-
patibles avec ceux des algériens. Surtout, rien n’indique que les Français
d’algérie y auraient adhéré.
Quelques-uns décidèrent de rester. Combien furent-ils ? il est diicile
de répondre, sans doute autour de 200 000 vivaient encore en algérie au
début de 1963 65. Ce fut le cas des prêtres de la Mission de France étudiés
par tangi Cavalin et nathalie Viet-Depaule 66. il s’agissait d’une issue
normale liée au type d’apostolat qu’ils avaient choisi. ils parlaient l’arabe,
connaissaient les tensions et les clivages propres à la société algérienne au
sein de laquelle ils étaient intégrés notamment par le travail. L’indépendance
leur était donc apparue aussi légitime qu’inévitable. À l’opposé, les domini-
cains bien que plus anciennement implantés, avaient restreint leurs activités
à la seule communauté chrétienne, c’est-à-dire aux européens. Dès lors,
sans nécessairement prendre de position tranchée, ils étaient plutôt enclins
à défendre une orientation algérie française. Pour eux, la in de la guerre et
l’exode des Français conduisirent à la fermeture de leur paroisse à alger en
1964.
Pour les militants juifs anticolonialistes, la in de la guerre signiiait « la
in d’un monde détesté, celui de la colonisation et une véritable libéra-
tion 67 ». Sortir de la guerre d’algérie, c’était aussi pour eux participer à la
63. ibid.
64. alain Peyrefitte, Faut-il partager l’Algérie ?, Paris, Plon, 1961.
65. C’est le chifre donné par Bruno Étienne, les problèmes juridiques des minorités européennes au
maghreb, Paris, CnrS, 1968 et repris par Pierre Daum, ni valise ni cercueil. les pieds noirs restés en
en Algérie après l’indépendance, arles, actes Sud, 2012. ils n’étaient qu’environ 25 000 en 1965.
66. tangi Cavalin et nathalie Viet-Depaule, « Prêtres français de la Mission de France et du couvent
dominicain au sortir de la guerre d’algérie », p. 93-106.
67. Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « La sortie de guerre de militants juifs algériens et la construction
d’une algérianité d’État (1962-1963) », p. 57-63.

202
« on PréFérAit Presque mourir que d’y Penser »

construction d’une société nouvelle et, ce faisant, airmer leur identité


algérienne ils ne pouvaient pas être assimilés aux pieds-rouges, ces jeunes
Français qui voulaient « réparer les dégâts du colonialisme » et/ou contri-
buer à la révolution mondiale en rejoignant l’algérie nouvelle 68. Comme
le rappelle Pierre-Jean Le Foll-Luciani dans sa communication, lors des
négociations des accords d’Évian, le FLn avait envisagé de distinguer les
Juifs des européens et de la naturaliser en bloc au moment de l’indépen-
dance annihilant les efets du décret Crémieux qui, en 1870, en avait fait
des Français à part entière. ils devaient ainsi redevenir algériens. Or, il y
avait renoncé dès le mois de mars 1962 posant au passage une question
fondamentale pour l’identité du pays : pouvait-on être algérien sans être
musulman ? Le vote du code de la nationalité en mars 1963 levait toute
ambiguïté en précisant que ne pouvait être « national algérien » que celui
dont au moins deux ascendants en ligne paternelle étaient nés en algérie et
y avaient joui du statut musulman. Les autres devenaient des étrangers. Dès
lors, à l’espérance succédaient l’incompréhension et la colère pour ces
hommes et ces femmes qui avaient tout sacriié pour l’indépendance et qui
ne se sentaient pas ou plus français. Leur place devenait inconfortable et la
plupart devait quitter l’algérie après le coup d’État de Boumediene
en juin 1965. Ce n’était pas la sortie de guerre espérée. ils rejoignaient le
camp des vaincus dans lesquels ils ne se reconnaissaient pas et la douleur
de l’exil était sans doute avivée par des interrogations sur leur identité et
leur engagement politique.

Conclusion
au total, ces rélexions sont à la fois neuves et très riches. elles soulignent
la diversité des perceptions en matière de sortie de la guerre d’algérie dans
le temps mais aussi selon les acteurs. Pour ne prendre qu’exemple, aux yeux
d’un certain nombre d’oiciers, elle n’était que le prolongement de la guerre
d’indochine et une phase dans un conlit plus long qu’ils menaient contre
le communisme 69. De nouvelles pistes peuvent s’ouvrir comme le souligne
Jacques Frémeaux dans l’introduction pour envisager la sortie de la guerre
d’algérie au prisme du genre, des générations ou encore des milieux
sociaux 70. en France même, une comparaison systématique à l’échelon du
département permettrait d’ainer la question de l’accueil des rapatriés, de
leur intégration mais aussi celle de leurs comportements politiques 71. en
68. Catherine Simon, Algérie, les années pieds-rouges. des rêves de l’indépendance au désenchantement
(1962-1969), Paris, La Découverte, 2009.
69. Mathieu rigouste, l’ennemi intérieur. la généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans
la France contemporaine, Paris, La Découverte, 2009.
70. Jacques Frémeaux, « Fin de la guerre d’algérie, de l’événement à l’histoire », p. 15-24.
71. Dans le même esprit que le collectif dirigé par raphaëlle Branche et Sylvie hénault, la France en
guerre, 1954-1962, Paris, autrement, 2008.

203
Vincent Joly

algérie, comment le phénomène a-t-il été vécu par une société qui sortait
de 130 ans de colonisation et qui devait se réapproprier son propre pays ?
D’autres pistes s’ouvrent dans le cadre d’une comparaison avec les autres
sorties des guerres coloniales ou plus simplement, avec les exils qui ont
accompagné les décolonisations et les mentalités de leurs acteurs 72. ainsi,
il y avait environ 715 000 italiens installées en Libye, Éthiopie, Érythrée et
Somalie en 1940, ils ne sont plus que 72 000 en 1961. Le nombre de
ceux qui rentrèrent au pays est diicile à préciser car la question du retour
est compliquée par ceux qui quittèrent la tunisie et l’Égypte dans les
années 1950 et qui, pour certains, prirent un autre chemin que celui de la
mère-patrie 73. Quel rôle ont-ils joué dans l’italie d’après-guerre et quelle
fut leur contribution à la perception de l’image des immigrés d’origine
africaine dans la péninsule ou encore dans la création du mythe d’un impéria-
lisme qui aurait été plus bienveillant que les autres 74 ? L’ouvrage collectif
dirigé par robert Brickers donne des informations et une bibliographie sur
le cas de l’empire britannique qui, il est vrai, ne connaît pas de phénomène
de retour massif au moment de la décolonisation 75. Le phénomène, rapporté
à la population métropolitaine totale, fut plus important aux Pays-Bas.
250 000 Hollandais d’indonésie dont 60 à 70 % d’eurasiens vinrent s’y
installer entre 1952 et 1957 alors que beaucoup n’y avaient jamais mis les
pieds. Le cas plus proche des rapatriés français d’algérie est sans doute celui
des retornados portugais. en à peine 13 mois, après l’indépendance de la
Guinée-Bissau proclamée le 10 septembre 1974, le vieil empire colonial
s’était efondré, poussant vers la métropole entre 500 000 et 600 000 rapatriés.
Les autorités portugaises s’inspirèrent-elles du précédent français pour les
accueillir et les réinsérer ? La question, à ma connaissance, reste ouverte et
suggère de prometteuses comparaisons 76.

72. Ce qui avait été engagé par Jean-Louis Miège et Colette Dubois dans l’europe retrouvée (op. cit.), il
y a maintenant une dizaine d’années.
73. romain rainero, « rapatriés et réfugiés italiens : un grand problème méconnu », in Jean-Louis
Miège et Colette Dubois, op. cit., p. 23-33. nicola Labanca ne consacre que trois pages à cette
question dans sa synthèse oltremare. storia dell’espansione coloniale italiana, Bologne, il Mulino,
2002, p. 438 sq. La question est à nouveau abordée mais sous un angle diférent par Marie tomasseti,
« Le départ des italiens de tunisie après la seconde guerre mondiale : une étape de la normalisation
des relations franco-italiennes », cahiers du ceHd, n° 24, 2005, p. 141-148.
74. ruth Ben-Ghat, Mia Fuller (eds.), italian colonialism, Londres, Palgrave, 2005 ouvrent quelques
pistes de rélexion dans la partie intitulée legacy.
75. robert Brickers (ed.), settlers and expatriates, Oxford, university Press, 2010.
76. il existe un excellent recueil de données sociodémographiques : r. Pena Pires, M. J. Maranhao,
J. P. Quintala, F. Moniz, M. Pisco, os retornados. un estudio sociographico, ieD, n° 14, 1987
(2e édit.). On trouve quelques références bibliographiques dans le chapitre consacré à l’immigration
dans Francisco Bethencourt, Kirti Chaudhuri (dir), Historia da expansao Portuguesa, vol. 5,
ultimo imperio e recentramo (1930-1998), Lisbonne, Circula Leitores, 1999.

204
index des personnes1

A attou, moghazni, 36.


abbas, Ferhat, Président du GPra, 64, 67. audran, Léon, responsable FO, trésorier
abdelazziz, Haid, syndicaliste enseignant, fédéral de la SFiO, élu à Lorient (1965-
responsable SFiO-FGDS du Finistère, 1977), 185.
185. augros, Louis, supérieur du Séminaire de
absil, Christian et Jean-Claude, mem- la Mission de France (1941-1952), curé de
bres du Centre d’Études et de Formation Souk-ahras (1955-1956), 95.
Contre-révolutionnaire, 54. avril, Pierre, prêtre de la province domi-
ageron, Charles-robert, 12, 23, 29. nicaine de France (1947-1954), 101.
aïach, Simone, militante du PCa, 66-67. ayta ahmed, harki, 30.
ailleret, Charles, général, commandant aytolla, famille ayant eu certains de
supérieur interarmées en algérie, 85, 87, ses membres engagés comme harkis ou
116, 123. moghaznis, 314.
aït ahmed, Hocine, dirigeant du FFS, 61. azzedine, Si, commandant aLn de
alias, Henri, colonel, directeur d’air Kabylie, 39, 40, 91..
algérie, 64, 89.
alim, Jacques, ils de harki, 42. B
allainmat, Yves, maire (1965-1973) et Baco, Jean, syndicaliste enseignant, respon-
député (1967-1968, 1973-1978) socialiste sable SFiO du Morbihan, 185.
de Lorient, 185. Bakowski, Jean-roger, ancien combattant
amar, moghazni et harki, 34. d’algérie, 141.
ambrosino, Charles, vice-présidents de la Barangé, Charles, député MrP du Maine-
Chambre de commerce d’Oran, 89. et-Loire (1946-1955), 186.
andoque, nicolas (d’), chef de SaS, 38. Bardet, Maurice, député unr de Lorient
anglade, Gabriel, commando delta, 50. (1962-1967), 172.
argoud, antoine, colonel, dirigeant d’une Baron, Henri, syndicaliste agricole, prési-
des branches espagnoles de l’OaS, 54. dent de la Chambre d’agriculture (1976-
arnould, auguste, commandant de bord à 1992), maire de Fercé (1983-1995),
air algérie, président du Comité d’entente conseiller régional PS de Loire-atlantique
des anciens combattants, 89-90. (1998-2004), 183.
arra, Marius, militant socialiste gardois, Bastien-thiry, Jean, ingénieur militaire,
136. 51-53, 134, 199.
astier de la Vigerie, emmanuel (d’), député Battesti, Pierre, député de Seine-et-Marne,
apparenté communiste d’ille-et-Vilaine Président national de l’anFanOMa,
sous la iVe république (1945-1958), 161. 131.

1. Les positions indiquées sont celles occupées par les individus dans le temps du récit développé par
les auteurs.

205
Algérie : sortie(s) de guerre

Baziz, harki, 35, 41. Billotte, Pierre, général, 84.


Béchard, Paul, président du Conseil Blancho, François, député-maire socia-
général du Gard, maire SFiO d’alès, liste de Saint-nazaire (1928-1940), réélu
138. député SFiO de 1962 à 1967, 174, 178.
Beckouche, andré, militant du PCa et Bodard, Lucien, journaliste, 190.
fonctionnaire ministériel algérien, 59, 64, Bonnamour, Henri, prêtre de la Mission de
66-67. France à alger (1950-1963), 98.
Belaïd, rebaï, militaire d’active et harki, Bonnet, Christian, député MrP du
38. Morbihan (1956) réélu à auray de 1958
Belkacem, Krim, ministre de l’intérieur du à 1986, ministre, 161, 174.
GPra, négociateur des accords d’evian, Bothorel, armelle, maire PS de La Méau-
•••. gon depuis 2001, ille du général Pâris de,
Belvisi, armand, militant OaS, membre de Bollardière, 186.
Mission iii, 117. Boualam, Benkouar, harki, 31.
Ben Bella, ahmed, Président du Conseil, Boualam, Saïd dit « le bachaga Boualam »,
20, 28, 31, 36, 58, 108, 186. député de la 5e circonscription d’algérie,
Ben Gourion, David, Premier ministre vice-président de l’assemblée nationale,
de l’État d’israël de 1948 à 1953 puis de Président du FnrFCi, 132.
1955 à 1963, 201. Boubakeur, riabi, moghazni, 37.
Ben Guella, harki, 35. Bouhala, moghazni, 29.
Ben Khedda, Ben Youssef, Président du Boulay, homas, prieur du couvent domi-
GPra, 117. nicain d’alger (1951-1957), 94, 100-
Bengoulal, harki, 31. 102.
Benguettat, militant du FLn, président Boulhaïs, nordine, 34, 41, 151.
de commission de l’assemblée nationale Boulin, robert, secrétaire d’État aux rapa-
algérienne, 64. triés, 70.
Benkaya, harki, 31. Boumediene, Houari, colonel de l’aLn,
Bénouville, Pierre Guillain (de), député 61, 64, 203.
gaulliste (rPF-unr) de Fougères (1951- Bourdellès, Pierre, député radical des
1962), 162, 172. Côtes-du-nord de 1951 à 1956, réélu à
Bentoumi, amar, ministre de la Justice, Lannion de 1958 à 1978, 160, 168.
66. Bourgel, arlette, militante du PCa, 66.
Berlivet, Henri, chaudronnier à l’arsenal, Bourges, Yvon, député gaulliste (unr-
responsable de la CGt et du PSu de Brest, uDr-rPr) de Saint-Malo (1962-1980),
183. puis sénateur d’ille-et-Vilaine, ministre,
Berque, Jacques, 18. 172, 175, 179.
Bertho, Mathurin, militant SFiO et FO, Bourgès-Maunoury, Maurice, radical-
conseiller municipal de Saint-Brieuc socialiste, Président du Conseil (1957),
(1953-1965), 180. 179.
Bertin, Pascal, étudiant, impliqué dans Bouteldja, amar, harki, 38.
l’attentat du Petit-Clamart, 51. Braumberger, Serge, journaliste au Figaro,
Bertolini, Louis, commando delta, 50. 91.
Biaggi, Jean-Baptiste, avocat, responsable Braunschweig, andré, juge d’instruction à
national du rPF et de l’unr, député de la Cour de sûreté de l’État, 54.
la Seine (1958-1962), partisan aF, proche Brébisson, Michel (de), général, comman-
de l’OaS, 132, 164. dant supérieur des forces armées françaises
Bidault, Georges, dirigeant national du en algérie en 1962, 28-29.
MrP, ministre et président du Conseil de Brem, Jean (de), militant OaS, 53.
la iVe république (1950), 156, 165. Brickers, robert, 204.

206
index des Personnes

Bui, Gwenegan, député PS de Morlaix Claverie (Mgr), Pierre, évêque d’Oran,


depuis 2012, 188. 108.
Buis, Georges, colonel, compagnon de la Coadou, rené, maire MrP de Plugufan,
Libération, chef du cabinet militaire de conseiller général de Quimper, 166.
Christian Fouchet, 84. Cohen, Hélène, 25.
Buretel de Chassey, Marc, dominicain du Cointat, Michel, député gaulliste (unr-
couvent de Strasbour, 101. uDr-rPr) de Fougères de 1967 à 1993,
ministre, 175.
C Colin, andré, dirigeant national du MrP,
Cabanes, Bruno, 9, 10. député du Finistère sous la iVe républi-
Cacqueray, alain (de), dirigeant de la que, ministre, puis sénateur, 155, 158,
FnFa, 131-135. 162-163, 165, 175.
Cadoret, Michel, dirigeant de la CFtC Colin, Jean-Luc, militant de la CFtC,
puis de la CFDt des Côtes-du-nord, conseiller municipal (1971-1989) puis
militant de l’aCO et du PSu, élu à Saint- maire PS de Saint-Vincent des Landes
Brieuc, 182. (1989-2008), 183.
Caill, antoine, député gaulliste (unr- Collobert, Marcel, militant de la SFiO et
uDr) de Landvisiau (1962-1976), 163, de FO, élu à Lorient, 185.
172. Comiant, Jean-Pierre, vétérinaire, 149.
Canal, andré, fondateur de Mission iii, Coty, rené, Président de la république
50, 77. (1953-1959), 156.
Candella, antoine, militant syndical, 134- Coudray, Georges, député MrP d’ille-et-
137. Vilaine de 1945 à 1956, réélu à Saint-Malo
Carmouze, andré, chanoine archiprêtre de (1958-1962), 161, 172, 174.
la cathédrale, 89. Courrières, Yves, journaliste, 19.
Cascio, armand, avocat, dirigeant mont- Coutant, andré, militant de la JOC, de
pelliérain de l’anFanOMa, 132. l’aCO et de la CGt, élu à rezé, 183.
Challe, Maurice, général, 117-118. Cridou, François, responsable CGt puis
Charlot, Jean, 163-165. FO, conseiller municipal SFiO de Lorient
Chauveau, Jean, directeur de presse de (1965-1971) 185.
Christian Fouchet, 85. Cros, Vitalis, préfet d’alger, 87, 90.
Chavanes, François, dominicain du couvent Crouan, Jean, député de Châteaulin
d’alger (1953-2012), 104, 108-109. (droite) 1936-1940, réélu à la première
Checco, roger, responsable FO, conseiller assemblée constituante (1945-1946), puis
municipal SFiO de Lorient (1965-1971), comme (CniP) de 1955 à 1962, président
185. du Conseil général du Finistère, 161, 165,
Chenu, Marie-Dominique, théologien 168, 170, 172, 175.
dominicain, 95, 101. Curutchet, Jean-Marie, capitaine, chef de
Chevallier, Jacques, ancien maire d’alger, l’OrO, 52-54, 89.
48, 91.
Chignac, Geneviève, conseillère régionale D
PS de Loire-atlantique (1998-2004), Danic, Léopold, responsable FO, élu à
188. Lorient, 185.
Chopier, Louis, militant du MrP et de la Dassié, albert, élu unr-uDr de nantes-2
JaC, syndicaliste agricole, 183. (1962-1967 et 1968-1973), 172.
Chouat, Didier, professeur, député PS de Dauger, Guy, chanoine, aumônier de
Loudéac (1981-1993, 1997-2002), 187. l’action catholique, 89.
Clabaux, Michel, appelé, exécuté par Dauphin, Georges, militant du CDJa, pré-
l’aLn, 141. sident de la FDSea du Morbihan (1969-

207
Algérie : sortie(s) de guerre

1973), maire et conseiller général PS Droit, Michel, 19.


d’arzano, 92, 183. Dronne, raymond, député gaulliste unr
Davezies, robert, prêtre associé à la Mis- de la Sarthe, 83, 165.
sion de France, membre du « réseau Jean- Dubois, Colette, 192-194, 204.
son », 99. Ducattillon, Vincent, prieur de la pro-
De Gaulle, Charles, 12, 21, 23, 28, 44, vince dominicaine de France (1954-1957),
50-54, 81-86, 88-89, 92, 138, 144-148, 100-101.
151, 155, 157-158, 161-166, 168, 170, Dumortier, Jeannil, maire de Saint-Martin-
175, 179, 189, 195-198, 200-201. les-Boulogne, 147.
Debré, Michel, Premier Ministre, 15, 21, Duquesne, Jacques, journaliste à la croix,
69, 162, 164, 195. 86.
Declercq, Gilbert, responsable national de Duval (Mgr), Léon-Étienne, archevêque
la CFtC puis de la CFDt, 182. d’alger, 100-102, 105.
Décout, robert, journaliste à la Voix du
nord, 147. E
Degueldre, roger, lieutenant, chef des com- Étienne, Bruno, 20, 202.
mandos delta de l’OaS, 44-45, 50-51. evrard, roger, député unr de Quimper
Deleplace, José, fondateur du Centre (1962-1967), 163, 172, 175.
d’Études et de Formation Contre-révo-
lutionnaire et dirigeant de l’« OaS-Belgi- F
que », 54. Fabbiano, Giulia, 43.
Delouvrier, Paul, délégué général du gou- Farès, Abderrahmane, Président de l’exécu-
vernement en algérie, 84. tif Provisoire, 21, 48-49, 91-92.
Deniaud, Bernard, syndicaliste agricole, Faucher, albert, sous-oicier, pharmacien à
conseiller général PS d’aigrefeuille-sur- l’hôpital militaire de tizi-Ouzou, 39.
Maine depuis 1998, 183. Feraoun, Mouloud, instituteur, inspecteur
Denuzière, Maurice, journaliste, 198. des centres sociaux et écrivain, 16.
Déon, Michel, écrivain, 55. Féret, Henri, théologien dominicain, 95.
Dervout, rené, instituteur, responsable Ferrara, antonio, 11.
syndical au Sni du Morbihan, militant Florent, Michel, dominicain du couvent
SFiO puis PSa-PSu, 178. d’alger (1952-1958), 102.
Descamps, eugène, responsable national de Foucauld, Charles (de), père blanc, 93.
la CFtC, secrétaire général de la CFDt, Fouchet, Christian, Haut-commissaire
187. de la république en algérie, 21, 81-87,
Desgrées du Lou, François, responsable et 90-92, 195.
éditorialiste de ouest-France, 163. Fouchet, Marcel, oicier de réserve, 82.
Dickès, Jean-Pierre, étudiant en médecine, Fouchet, Paul, oicier de cavalerie, 82.
militant action française et OaS, 144. Fouchet, Serge, oicier de l’aéronavale,
Dienesch, Marie-Madeleine, députée MrP 82.
des Côtes-du-nord sous la iVe république, Fourcroy, Jean, ancien combattant
réélue à Loudéac de 1958 à 1981, apparen- d’algérie, 152.
tée gaulliste (1966), ministre, 160, 174. Fourquet, Michel, général, compagnon de
Dollo, Yves, instituteur, militant du Sni et la Libération, commandant en chef des
du PSu, député PS de Saint-Brieuc (1981- forces armées en algérie, 83, 85.
1986, 1988-1993), 186. Fourquin, Guy, enseignant d’histoire
Dorgères, Henri, leader des Chemises ver- médiévale à l’université de Lille, militant
tes dans les années 1930, député de droite OaS, 144.
(apparenté paysan) d’ille-et-Vilaine de Fraissinet, Jean, député indépendant des
1956 à 1958, 156, 160. Bouches-du-rhône, 133.

208
index des Personnes

Franco, Lucien, président de la FnFa, Grégoire, Colette, militante du PCa, 64.


131, 138. Guéguen, Denis, militant FO et SFiO du
Fréville, Henri, maire MrP de rennes Morbihan, 185.
(1953-1977), député de rennes-nord Guerroudj, abdelkader, militant du FLn
(1958-1968) puis sénateur d’ille-et- et député de l’algérie indépendante, 64.
Vilaine, 161, 174. Guerroudj, Jacqueline (née netter), mili-
Frey, roger, ministre unr de l’intérieur, tante du FLn, 64.
166, 172. Guesde, Jules, 145.
Guichard, Olivier, responsable national
G gaulliste (rPF-unr-uDr), député-
Gaby, Paul, député communiste du Finistère maire de Guérande-La Baule (1967-1993),
(Brest) sous la iVe république, 172. ministre, 175.
Gaillard, Félix, président du Conseil Guillaume, augustin, général, chef d’état-
radical (1957-1958), 156. major des armées, 112, 121-122.
Gallais, roger, candidat gaulliste unr aux Guillon, Jean, diplomate, chef du cabinet
législatives de 1958 à Saint-Brieuc, 160. civil de Christian Fouchet, 194, 199.
Ganel, Pierre, député unr de la 1re cir- Guillon, Michèle, 194, 199.
conscription du Gard. Guin, Yannick, syndicaliste étudiant, élu PS
Garcia, raymond, secrétaire départemental à nantes, 187.
de la fédération FO des Ptt des Côtes- Guitton, Jean, député socialiste SFiO de
du-nord, 180. la iVe république (Saint-nazaire), 160,
Gardes, Jean, colonel, chef du maquis oAs 178.
de l’Ouarsenis, 46.
Gardet, Henri, vice-présidents de la Cham- H
bre de commerce, 89. Hadjadj, Georges, militant du PCa, 66.
Gardy, Jean, instituteur, 149. Hadjerès, Sadek, dirigeant du PCa, 63,
Gardy, Paul, général, dirigeant de l’OaS- 67.
alger puis d’Oran, 45-47, 54. Halgouët, Yves (du), député indépendant-
Gauthier, Jean-Jacques, oicier, chef de CniP de Ploërmel (1958-1973), 161,
Sau, 30. 170, 174.
Gautier, Charles, sénateur PS de Loire-at- Hanoun, Lucien, militant du PCa, 64.
lantique (2001-2011), 187. Harbi, Mohammed, secrétaire général du
Géronimi, Pierre, oicier, chef de SaS, 33. ministère des afaires étrangères du GPra,
Gharda, abder ahmane, harki, 35. 29, 61, 194.
Giovannelli, François, maire socialiste Harma, harki, 42.
d’inzinzac-Lochrist (1945-1971), 179. Hazo, andré, responsable FO, maire SFiO
Godard, Yves, colonel, dirigeant de l’OaS- de trignac (1947-1965), 186.
algérie, 45-46, 48. Hébert, alexandre, secrétaire de l’uD FO
Golvan, Victor, rPF, sénateur unr du de Loire-atlantique (1948-1992), 186.
Morbihan en 1958, 162. Hébrard, Pierre, prêtre gardois, 134.
Gomez, Jean-Claude, fondateur de l’aJPn, Hernu, Charles, responsable de la Cir,
135. député-maire PS de Villeurbanne, Minis-
Goubard, Pierre, commandant le 4e rt, tre de la Défense (1981-1985), 186.
87. Horne, John, 10, 12.
Grandmaison, Jean (de), député indépen- Hotille, Jacques, ancien combattant
dant (CniP) de Paimbœuf (1958-1962), d’algérie, 152.
161, 172. Houcke, Jules, maire de nieppe, 147.
Gravot, robert, responsable socialiste de la Huc, Jean-Claude, oicier, chef de SaS,
SFiO à Brest, 162. 29.

209
Algérie : sortie(s) de guerre

Hunault, Xavier, député non-inscrit (droite) Kerlan, Joseph (Jobic), prêtre de la Mission
de Châteaubriant (1958-1993), 174. de France à Souk-ahras puis à alger, 97,
Hutin-Desgrées, Paul, fondateur-direc- 98, 104.
teur de ouest-France, député MrP du Kervenoaël, Maurice (de), oicier, chef de
Morbihan (1946-1956), 163. harka, 41.
Kopf, Joseph, 100, 101, 102.
I Krumnow, « Frédo », responsable national
ihuel Paul, député de droite du Morbihan de la CFDt, 187.
(1936-1940), puis MrP d’Hennebont de
1945 à 1974, ministre, président du Conseil L
général du Morbihan, 160, 174-175. La Chambre, Guy, ancien député radical
(Saint-Malo) et ancien ministre de la
J iiie république, réélu député CniP
Jacob, alain, journaliste, 88. d’ille-et-Vilaine (1951-1958), ministre,
Jaouen, Yves, sénateur-maire de Brest 161.
(MrP), 162. La tocnaye alain (de), lieutenant, impli-
Jeanneney, Jean-Marcel, ambassadeur de qué dans l’attentat du Petit-Clamart,
France auprès du nouvel État algérien, 92. 51.
Jordi, Jean-Jacques, 44, 192, 195, 198- Laborde, Jean (Dr), conseiller général,
199. ancien directeur du Front pour l’algérie
Josselin, Charles, vice-président chargé des Française, 89.
questions internationales à l’uneF, 180, Lachaise, Bernard, 82, 83, 88.
187. Lacordaire, Henri, restaurateur de l’or-
Jouault, Henri, député CniP de rennes- dre dominicain en France au xixe siècle,
Sud (1958-1962), 161, 172. 96.
Jouhaud, edmond, général, chef de l’OaS- Lagaillarde, Pierre, activiste d’extrême
Oran, 44, 46, 48, 50, 144. droite à alger, partisan de l’algérie fran-
Jouhaud, Léon, secrétaire général de la çaise, leader de la Semaine des barricades
CGt, 136. (janvier 1960), 89, 165.
Jourdan, Émile, maire communiste de Laithier, andré, professeur, militant SFiO
nîmes, 137-138. et FO des Côtes-du-nord, 179-180.
Joxe, Louis, Ministre d’État chargé des afai- Lambert, Bernard, syndicaliste agricole,
res algériennes, 91, 144, 197-198. JaC-FnSea, député MrP de Château-
Juin, alphonse, général, 112. briant (1958-1962), 160, 174, 181.
Juquin, Pierre, député, membre du bureau Lanquetot, Dominique, prêtre de la Mis-
politique du PCF, 187. sion de France à Hussein-Dey à partir de
1959, 104.
K Laparre, Michel (de), prêtre à Oran, 86.
Kaïd, ahmed, « commandant Slimane » de Laudrin, l’abbé Hervé, député gaulliste
l’aLn, 64, 66. (unr-uDr) de Pontivy (1958-1977),
Karmen, roman, cinéaste, 11. 162-163, 168, 172.
Karolinski Hugues, membre du Comité Laurent, andré, militant de la JOC, de la
de quartier de Courbessac, candidat aux CFtC et du PSu de Lorient, 182.
municipales nîmoises de 1965, 137. Laurent, Jean, adjoint SFiO de Quéven
Katz, Joseph, général, chef du corps (1959), 185.
d’armée d’Oran, 47. Laurent, Jean-Yves, maire et conseiller
Kerguéris, Jo, syndicaliste uneF, conseiller général PS de Quéven, 185.
général et parlementaire centriste du Lauriol, Marc, député de la 2e circonscrip-
Morbihan, 187. tion d’algérie (alger-Banlieue), 132.

210
index des Personnes

Le Baut, Pierre, prieur du couvent domini- Le Moënic, Louis, conseiller général SFiO
cain d’alger (1958-1959), 7, 96, 102-104, de Plouay (1945-1970), 179.
107, 110. Le Montagner, Louis, député Cni de
Le Blé, Francis, responsable Cir, militant Lorient (1958-1962), 160, 161.
CFtC puis de la CFDt à l’arsenal de Le Pen, Jean-Marie, député poujadiste,
Brest, 182. 132.
Le Bot, Yves, responsable unr du nord- Le Pensec, Louis, responsable de l’uneF
Finistère, ancien sénateur rPF, 162-163, à rennes, 187.
168. Le Strat, alexis, dirigeant du Sni, député
Le Bris, Yvon, conseiller général (1985- et adjoint SFiO à rennes, 178.
2011) et maire PS de Bannalec (1987- Lebesque, Morvan, journaliste au canard
2008), 184. enchaîné, 145.
Le Caroff, Guillaume, député communiste Lechantre, Jean, journaliste à nord-matin,
des Côtes-du-nord (1956-1858), 160. 147.
Le Coutaller, Jean; responsable de la SFiO Lefebvre (Mgr), Marcel, évêque, 144.
du Morbihan, député SFiO de Lorient Lefeuvre, Daniel, 19, 144, 194.
(1945-1956), 155, 160, 178. Lefèvre, Louis, dominicain du couvent
Le Douarec, Bernard, député unr de Gué- d’alger (1935-1963), 96, 104.
rande (1958-1962), 162, 168, 172. Leroy, Michel, dirigeant du Front nationa-
Le Douarec, François, député gaulliste liste, 46.
(unr-uDr-rPr) de rennes-Sud (1962- Levray, Paul, ancien combattant d’algérie,
1981), 172. 153.
Le Drian, Jean-Yves, responsable national Leynaud (Mgr), augustin Fernand, archevê-
de la JeC, 186. que d’alger, 94.
Le Duc, Jean (Dr), maire de Morlaix, député Liénart (Mgr), achille, cardinal, évêque
indépendant (1958-1962), 158, 161, 163, de Lille, prélat de la Mission de France,
165, 168, 170, 174. 99.
Le Faucheur, Jean, dirigeant de la CFtC Litoux, Pierre, député unr de Guérande
puis de la CFDt des Côtes-du-nord, (1962-1967), puis suppléant d’Olivier
militant du PSu, 182. Guichard, 172, 175.
Le Floch, Jean, syndicaliste agricole des Loguillard, Sylvain, militant du Sni et du
Côtes-du-nord, conseiller général PS de PSu des Côtes-du-nord, 184.
Lanvollo, 183. Lombard, Georges, maire indépendant
Le Foll Yves, maire PSu-PS de Saint- (droite) de Brest, député (1958-1962,
Brieuc, député (1967-1968 et 1973-1978), 1967-1968), puis sénateur du Finistère,
160, 179. 161, 163, 164, 165, 166, 168, 172.
Le Gal, Léon, militant de la CGt puis de Lorenzo, M. et Mme, rapatriés d’Oran,
FO, conseiller municipal SFiO de Lorient, 129.
185. Lucas, andré, syndicaliste agricole des
Le Garzic, Jean, responsable FO et SFiO Côtes-du-nord, conseiller général PS de
des Côtes-du-nord, 179. Plestin-lès-Grèves, 184.
Le Goasguen, Charles, responsable unr
du Finistère, député de Brest (1962-1967), M
163-164, 172. Macias, enrico, 133.
Le Guen, alain, député MrP de Guingamp Macquet, Benoît, député unr-uDr-rPr
(1958-1967), 160, 170, 174. de nantes-3-rezé (1962-1978), 172.
Le Lann, Jean-François, député Centre Madjoub, sergent-chef en indochine, harki,
démocrate de Fougères (1962-1967), 31.
174. Maizière, G. (de), 10.

211
Algérie : sortie(s) de guerre

Mallet, Serge, responsable national du Méhaignerie, alexis, député MrP d’ille-


PSu, candidat aux législatives à rezé, et-Vilaine et de Vitré (1945-1968), 160,
181. 174.
Malmenaide, Guy, prêtre de la Mission Melki, Jean-Claude, militant du PCa et du
de France en algérie (1949-2003), 95, FLn, 64.
97-98. Mendès France, Pierre, 83-84, 145, 178,
Malraux, andré, écrivain, ministre du 192.
général de Gaulle, 170. Messali Hadj, ahmed, homme politique
Manès, robert, rapatrié d’Oran, président algérien, fondateur du Mna, 186.
du comité de quartier de Courbessac Messmer, Pierre, ministre des armées, 21-
(Gard), 136-137. 22, 90, 175, 197.
Mao, Hervé, maire et député socialiste Michelet, edmond, député gaulliste (uDr)
SFiO (1956-1958) de Châteaulin, 158, de Quimper (1967-1970), ministre, 44,
178, 184. 175.
Marcellin, raymond, député indépen- Micheletti, Claude, dirigeant de l’OaS-
dant (droite-Cni) du Morbihan et de Oran, 47, 50.
Vannes (1946-1974), sénateur, député Michonneau, Georges, curé du Sacré-
(1981-1997), ministre, 155, 161, 170, Cœur de Colombes (1939-1947), 95.
174-175. Miossec, Gabriel, député gaulliste (unr-
Marivin, andré, militant PSu puis PS, res- uDr) de Douarnenez (1962-1973), 163,
ponsable CFtC puis CFDt à Fougères et 172.
rennes, 182. Missoffe, François, ministre en charge des
Marquis, Pierre, directeur de l’information, rapatriés, 70.
85. Mitterrand, François, 21, 112, 157, 177,
Martinet, Gilles, responsable national du 186.
PSu, 181. Mobian, Jean, militant CFtC, appelé en
Masson, arthur, ancien combattant d’al- algérie, conseiller général PS de Brest 7
gérie, 149. (1998-2004), 182.
Masson, Hippolyte, parlementaire SFiO de Mohammed V (Sidi Mohammed Ben
Brest, 178, 185. Youssef ), roi du Maroc de 1957 à 1961,
Matheron, Claude, dirigeant de la FnFa, 192.
131-132. Mollet, Guy, secrétaire général de la SFiO,
Mauriac, Jean, chargé des questions du ministre et président du Conseil (1956-
Maghreb, 88. 1957), 157-158, 178-179, 187.
Maurice, Jean, maire, candidat commu- Monneret, Jean, 47, 87, 195.
niste à Lorient, 172. Monteil, andré, député MrP du Finistère
Mauss-Copeaux, Claire, 152. (Quimper) sous la iVe république, séna-
Mauvignier, Laurent, 189. teur, ministre, 155, 158, 162, 163.
Mayer, Daniel, responsable national de la Monteil, Vincent, commandant, Profes-
SFiO, ancien ministre, 179. seur à l’université de Dakar, 85.
Mazier, antoine, député SFiO des Côtes- Morazé Charles, 85.
du-nord (1946-1958), maire PSu de Moreau, Gabriel, prêtre du diocèse de
Saint-Brieuc (1962-1964), 158, 174, 178- Constantine dans l’équipe de la Mission
179, 186. de France de Souk-ahras (1950-1955),
Médecin, Jean, député des alpes maritimes 97.
(1945-1962), maire de nice (1947-1965), Morice, andré, député radical de la
199. iVe république (1945-1958), maire de
Méfret, Jean-Pax, militant OaS, journa- nantes (1965-1977), sénateur, ministre,
liste, chanteur, 55. 155-158, 160, 180-181.

212
index des Personnes

Morin, Jean, 81, 84, 86. Pérez, Jean-Claude, médecin, dirigeant


Mosse, George, 189-190. OaS, membre de l’OrO, 46, 48, 50.
Mostefai, Chawki (Dr), membre de l’exé- Pétain, Philippe, 63, 86.
cutif provisoire, 48-49, 91. Peyrefitte, alain, secrétaire d’État aux
Moumen, abderahmen, 11, 28-29, 34, 40, rapatriés, 46, 70, 198, 200-202.
42. Pflimlin, Pierre, président national du MrP,
Musso, Frédéric, écrivain, 55. président du Conseil (1958), 157.
Philip, andré, responsable national de la
N SFiO, Ministre, 179.
nader, Hervé, député de droite de Quimper Philippot, François, syndicaliste agricole,
(1936-1940) et de 1958 à 1962 (unr), militant SFiO, conseiller général PS de
161-165, 170, 172. Pleyben, 184.
nasser, Gamal abdel, 117. Piketty, Guillaume, 10, 83.
naudin, Jean-Pierre, étudiant en Pinay, antoine, dirigeant national du CniP,
« Corniche », impliqué dans l’attentat du président du Conseil (1952), 157.
Petit-Clamart, 51. Pinelli, Marcel, candidat « rapatrié » aux
nogues, robert, agriculteur, militant de municipales nîmoises de 1965, 137.
la JaC et du CDJa des Côtes-du-nord, Pinvidic, Joseph, député (rPF puis CniP)
conseiller général PS d’Évran, 183. de Landivisiau (1951-1962), 161, 165,
nomy, Henri, amiral, Chef d’état-major 168, 170, 172.
général de la Marine, 116. Piriou, Corentine, candidate de l’unr à
nora, Pierre, 82, 198. Brest, 162, 164.
norstad, Lauris, général, SaCeur, 118. Pleven, rené, deux fois président du
Conseil (1950-1952), président du Conseil
O général des Côtes-du-nord (1949-1976),
Olivesi, Dominique, 109. 155-157, 160, 164, 166, 168, 170, 180,
Orrion, Henry, maire de nantes (1947), 183.
député indépendant (CniP, 1958-1962), Ploux, Suzanne, députée gaulliste (unr-
161. uDr) de Châteaulin (1962-1973),
Orvoën, Louis, député MrP du Finistère ministre, 161, 172.
(1946-1951 et de 1956 à 1968) de Quim- Poitevin, Georges, directeur de l’Électricité
perlé, sénateur, 160, 174. et Gaz d’algérie, 89.
Oulhadj, Mohand, colonel, chef de l’aLn Pompidou, Georges, 77, 84, 88, 110, 147,
de la wilaya iii, 39. 168, 170, 174.
Poudevigne, Jean, député indépendant de
P la 2e circonscription du Gard, 136, 138.
Panazza, Francis, journaliste au méridio- Poujade, Pierre, président de l’union de
nal-la France, 129, 133, 135-136. défense des commerçants et des artisans et
Pâris de Bollardière, Jacques, géné- d’union et Fraternité française, 136.
ral, engagé contre la torture en algérie, Poulpiquet, Gabriel (de), député gaulliste
186. (unr-uDr-rPr) de Landerneau (1958-
Parodi, alexandre, vice-président du 1979), 161-164, 168, 172.
Conseil d’État, président du Comité natio- Prévost, Jacques, sergent, impliqué dans
nal pour les Musulmans français, 29. l’attentat du Petit-Clamart, 51.
Péclard, Didier, 9. Prigent, tanguy, député SFiO puis PSu de
Pellenc, Marcel, sénateur du Vaucluse, Morlaix (1936-1940, 1945-1958, 1962-
144. 1967), ministre, 155, 157-158, 163, 165,
Penven, auguste, député communiste du 174, 178, 185.
Finistère (1956-1958), 158.

213
Algérie : sortie(s) de guerre

R roucaute, roger, maire communiste


raingeard, député de droite (CniP) de d’alès, 138.
Loire-atlantique (1951-1958), 162. rougé (Mgr), Pierre-Marie, évêque de
rault, Victor, maire MrP (1953-1959) et nîmes, 134.
député (1958-1962) de Saint-Brieuc, 160, routier-Preuvost, andré, secrétaire
174. fédéral de la SFiO de Loire-atlantique,
régnier-Vigouroux, Pierre, militant conseiller général de nantes, candidat
gardois du rnur, vice-président de aux élections législatives à nantes, 162,
l’association départementale des rapatriés 180.
d’aFn, 132, 137. roux, Maxime, préfet d’alger, 84.
renault, Maurice, instituteur, secrétaire roy, Jules, 16.
de la section du Sni des Côtes-du-nord, ruffenach, Gilbert, prêtre de la Mission de
militant du PCF, 184. France, rappelé en algérie comme oicier
renouard, isidore, député de droite (Cni en 1958-1959, 99.
puis ri) de redon (1958-1975), 160, 170, ruiz, alonzo, responsable alésien de l’an-
174. FanOMa, 138.
resnais, alain, cinéaste, 150. Saadi, moghazni, 31, 39-40.
révolt, robert, militant SFiO et FO du Saint Marc, Hélie (de), oicier parachu-
Morbihan, 185. tiste, commandant par intérim du 1er reP
rey, Henry, député gaulliste (unr-uDr) au moment du putsch de généraux à alger
de nantes 1 (1968-1973), ministre, 162, en avril 1961, 191.
172. Saint homas d’aquin, 51-52.
reynaud, Paul, député du nord (1946- Salan, raoul, général, 44, 45-50, 86, 143-
1962) ri, 147, 163, 168. 144, 200.
richard, Lucien, député gaulliste (unr- Sarda, Honoré, militant anticolonialiste,
uDr-rPr) de Paimbœuf, 172. 70.
richet, robert, député unr-uDt de Scieux, Michel, militant de la JOC et du PS
Saint-Brieuc (1962-1967), 172. de Lorient, 186.
richou, François, militant de la Cir, Scotto, Jean, prêtre du diocèse d’alger,
conseiller général PS de rennes, 186. puis de la Mission de France (1922-1958),
rimbert, Patrick, militant de la JeC de 95, 98.
Loire-atlantique, député et maire PS de Sékou touré, ahmed, Président de la répu-
nantes, 183. blique de Guinée (Conakry) du 2 octobre
rivière, Pierre, oicier, chef de SaS. 1958 au 26 mars 1984, 193.
robert, Jean-Marie, sous-préfet d’akbou, Sénat, Jean-Pierre, oicier, chef de SaS,
29, 40. 30.
robert, Joseph, prêtre-ouvrier dominicain, Serfati, Francine, militante du FLn, 64.
101. Sergent, Pierre, capitaine, dirigeant du
robichon, Henri, député indépendant Cnr-OaS, chef de l’OaS-Métro, 53.
(CniP) de nantes 3 (1958-1962), 161, Servan-Schreiber, Jean-Jacques, fondateur
164. de l’express, 187.
roca, antoine, conseiller paroissial de Sesmaisons, Olivier (de), député (CniP
Courbessac, 134, 137. puis ri) d’ancenis (1945-1967), 161,
rombeaut, nestor, responsable syndical 174.
CFtC, député MrP de Saint-nazaire Si Salah, commandant de wilaya, négocia-
(1958-1962), 160. teur d’une tentative de sortie de guerre,
rossfelder, andré, membre du conseil 44.
national de la résistance, impliqué dans Simbron, ernest, syndicaliste enseignant,
l’attentat du Mont-Faron, 52. responsable SFiO à La Montagne, 184.

214
index des Personnes

Simbron, Yannick, syndicaliste enseignant, trellu, Xavier, sénateur MrP, député de


militant PS, 184. Douarnenez (1958-1962), 161, 165, 172,
Simon, Jean-Yves, conseiller général PS de 174.
Lézardrieux (1976-2001), 188. tricot, Bernard délégué du haut-commis-
Sirot, Paul, dominicain du couvent d’alger saire en algérie, 85-86, 90, 92.
(1950-1958), 102. trinquier, roger, colonel parachutiste,
Sixou, Claude, militant du FLn et fonc- 132.
tionnaire ministériel algérien, 59, 64,
67. V
Soyer, alexandre, délégué OaS à l’informa- Vajou, Jean-Claude, journaliste à combat,
tion en Oranie, 47. 89-90.
Spitale, Michel, garde du corps de Chris- Vallon, Louis, dirigeant national de l’uDt,
tian Fouchet, 85. gaulliste de gauche, 170.
Splenger, Louis, colonel de réserve, Pdt de Van thao, trinh, 192.
la section d’alger de l’union nationale des Vaudrey, roland, colonel, dirigeant de la
oiciers de réserve, 89. Zone alger-Sahel de l’OaS, 87.
Sportisse, William, dirigeant du PCa, 63, Vaugon, Bernard, préfet du Gard, 128-
66, 67. 129.
Stikker, Dirk, Secrétaire général de l’Otan, Vautrin, Jean, chef de réseau dans la
118. résistance, 82.
Stora, Benjamin, 10-11, 29, 189, 194. Vendroux, Jacques, maire de Calais (1959-
Susini, Jean-Jacques, dirigeant OaS, 46, 1969), député du Pas-de-Calais (195-
48-50, 52, 89, 91, 200. 1955 ; 1958-1973), 146.
Venner, Dominique, dirigeant de Jeune
T nation, 53.
tailhades, edgar, maire socialiste de Verdès-Leroux, Jeannine, 189, 194, 199.
nîmes, 136-138. Viénot, andrée, parlementaire SFiO et
teitgen, Pierre-Henri, dirigeant national conseillère générale PSu dans les arden-
du MrP, député d’ille-et-Vilaine sous la nes, 179.
iVe république, ministre, 155, 158, 162. Villard, rené, responsable de France-ré-
thareau, Bernard, syndicaliste agricole surrection, 46.
de Loire-atlantique, député européen PS, Vust, roger, délégué de la Croix rouge,
181, 183. 91.
thénault, Sylvie, 10, 40-41, 70, 194,
203. W
thomas, alexandre, député socialiste SFiO Waldeck-rochet, Émile, dirigeant com-
de Guingamp (1951-56), 160, 178. muniste, 138.
thomazo, robert, colonel, député de la Wall, irwin, 111.
4e circonscription des Pyrénées-atlan-
tiques, 132, 138. Z
timsit, Daniel, militant du FLn et fonc- Zittel, norbert, directeur du bureau d’ac-
tionnaire ministériel algérien, 59. tion sociale d’alger, 90.
tixier-Vignancour, Jean-Louis, avocat,
132.
todd, Olivier, journaliste au nouvel
observateur, 187.
tondut, Paul, militant unr gardois,
second adjoint à la mairie de nîmes, 136-
137.

215
Index des lieux

A Boufarik, 114, 116, 122.


Aïn El Affeurd (Perrégaux), 36. Boulogne, 144, 147, 150, 152.
Aït Hichem, 31, 38, 39. Bou-Nouh, 38.
Aït Saada (Fort-National), 29. Bousselam (région de Sétif ), 33.
Akbou, 29, 36, 39, 40. Brest, 161-163, 165-166, 172, 182-183.
Alès, 129, 132, 138. Bui Chu, 191.
Alger, 10-11, 28, 30-32, 38-39, 43, 47-48,
50-51, 53, 60, 72, 82, 84, 87-91, 93-98, C
100, 102-104, 107-108, 110, 114, 118, Calais, 142, 143, 145, 146, 148, 153.
123, 128, 150-157, 164, 166, 199, 201- Calcutta, 82.
202. Cam Rahn, 124.
Ancenis, 161. Champlain (Médéa), 33.
Annaba (Bône), 34. Châteaubriant, 160, 174, 181.
Aomar, 38. Châteaulin, 161, 172, 178, 184.
Arles, 132. Clos Salembier, 30.
Arris, 30, 34, 41. Colomb-Bechar, 82.
Asnières, 99. Colombes, 95.
Azazga, 38-39. Constantine, 34, 96, 97, 114, 182, 201.
Azrou M’Béchar (Bougie), 31. Copenhague, 83, 85.
Courbessac, 129-130, 133-137.
B Cucq, 152.
Bab-el-Oued, 44-45, 87, 95, 98.
Bagnols-sur-Cèze, 129, 131-132. D
Banilanam, 35. Delhi 82.
Bannalec, 184. Derval, 183.
Beaucaire, 129, 131. Dien Bien Phu, 11, 144, 190.
Beni-Amrane, 38. Dijon, 72, 187.
Beni-Saf, 90. Dinan, 157, 160.
Berlin, 11. Djidjelli (Jijel), 38.
Biskra, 31, 34-35. Douarnenez, 161, 172, 174.
Bizerte, 112, 114, 122, 182, 185, 193. Dra-el Mizan, 38, 61.
Bône (Annaba), 31, 34, 97, 114, 122, 202. Dunkerque, 142, 151, 153.
Bordj Bou Arreridj, 32, 35.
Bordj Fouchet, 82. E
Borély-la-Sapie, 30. Évran, 183.
Bou Sfer, 120, 122, 196.
Bouderballa, 38.

217
Algérie : sortie(s) de guerre

F Marignane, 55.
Feraoun (Bougie), 36. Marseille, 35, 72, 99, 131, 198.
Ferryville, 185. Mascara, 37.
Fougères, 162, 172, 174-175, 182. Mechtras, 38.
Médéa, 30, 33.
G Mers el-Kebir, 112, 114-116, 120-124, 135,
Gennevilliers, 99. 196.
Gerrouma, 38. Miliana (afreville), 96.
Ghrib, 30. Montluçon, 99.
Gouy-Saint-andré, 149. Morlaix, 158, 163, 166, 174, 178, 188.
Guingamp, 160, 170, 178. Moscou, 82, 144.
Mostaganem, 90.
H
Hanoi, 190. N
Haouch-adda, 91. nantes, 161-162, 166, 174, 178, 188.
Hennebont, 160. nemours, 90, 196.
Hussein-Dey, 95, 97-98, 104. nieppe, 147.
nîmes, 127, 129-132, 134-138.
I nivot, 183.
iferounene, 39. noyant, 192.

K O
Kairouane, 38. Oran, 36-37, 43, 46-48, 86, 89-90, 108,
La Gacilly, 185. 114, 115-116, 129, 134-136, 148, 199-
202.
L Oran-Lartigue, 114, 116, 120, 196.
La Montagne, 184. Orléansville, 91.
Lanester, 166. Ouadhias, 38.
Lannion, 160. Oued amizour (Sidi aïch), 29.
Lanvollon, 183. Oued Chélif (Ouarsenis), 32.
Le Havre, 99.
Le Pellerin, 184. P
Le Petit-Clamart, 43, 49-52. Paimbœuf, 161, 172.
Le Vigan, 129. Palestro, 38.
Lézardrieux, 188. Paris, 10, 64, 72, 83, 113, 117, 135, 164,
Lille, 72, 144, 179, 186. 172, 187, 193, 201.
Lisieux, 95, 97. Penhars, 163.
Londres, 11, 82, 122, 157. Philippeville (Skikda), 40.
Lorient, 160-161, 172, 175, 178, 182, 185- Pirette, 38.
187. Plestin-les-Grèves, 184.
Loudéac, 160, 187. Ploërmel, 161, 183.
Lublin, 82. Plugufan, 166.
Lyon, 72, 99, 181. Pommerit-le-Vicomte, 183.
Pontivy, 162, 166.
M Pont-Saint-esprit (Gard), 132.
M’Chounech (Biskra), 35. Puteaux, 97.
M’Sila, 33.
Maal-el-isseri, 38. Q
Marhoum (Le telagh, Oranie), 37. Quéven, 185.

218
index des lieux

Quimper, 160-163, 165-166, 172, 175. Stalingrad, 11.


Quimperlé, 160.
T
R telagh (Le), 37.
redon, 160, 174. telergma, 34-35.
rennes, 72, 158, 161, 178, 182-183, 186- tiaret, 64.
187. tindouf, 82.
rezé, 174, 179, 183. tizi n’tleta, 38.
rivesaltes, 29. tizi-Ouzou, 39.
tlemcen, 37, 42, 201.
S tolga, 33.
Saint-andré-des-eaux, 183. toulouse, 72, 99, 179.
Saint-Brieuc, 158, 174, 178, 182, 186. trouna (Lafayette), 36.
Saint-Germain-en-Laye, 81, 187. tunis, 97, 185, 193.
Saint-Gilles, 129, 131. turquan, 186.
Saint-Jean-du-Doigt, 165.
Saint-Malo, 161, 172, 174. U
Saint-Martin-les-Boulogne, 147. uzès, 132.
Saint-Maurice-l’ardoise, 151.
Saint-nazaire, 160, 174, 178. V
Saint-Vincent-des-Landes, 183. Vannes, 161, 166, 175, 185.
Sartrouville, 187. Varsovie, 82.
Saumur, 186. Vitré, 160.
Sète, 128. Vitry-sur-Seine, 99.
Sidi Bel abbés, 37.
Sommières, 131. Z
Souk-ahras, 96-99, 105. Zemourah (Bordj-Bou), 35.

219
index des organisation et situations

A Cnr-OaS, 49, 53.


accord FLn/OaS, 48-49. Comité de liaison antifasciste et de défense
accords d’Évian, 9, 11-12, 28, 33, 44-45, républicaine, 143.
48, 62, 81, 85, 88, 91, 93, 95, 103, 107- Comité de Vigilance antifasciste, 143.
108, 111, 113-114, 118-122, 141-143, CSF, 183, 186.
145-146, 153, 166, 168, 186, 189, 194-
197, 199, 201, 203. E
accords de Genève, 190-191. École Émancipée, 184.
accords de Potsdam, 11. eFaO, 98.
aCO, 183. eSu, 187.
action française, 144.
aFran, 131. F
aGea, 89, 90. Fen, 184.
aGer, 187. FGDS, 180.
aLn, 29-30, 33, 36-37, 39-42, 64, 142. FLn, 18, 20-21, 27-29, 32, 34-39, 41,
anFanOMa, 131. 43-49, 58-65, 81, 87, 90-91, 98-99, 117,
anP, 29. 127, 135, 142, 144, 165-166, 181, 183,
association Populaire Familiale, 143. 186, 200, 203.
association pour le soutien à l’action du FnFa, 131, 138.
général de Gaulle, 163-164. FO, 135, 143, 179, 180, 185, 186.

C I
CaFi, 192. ira, 53.
CDJa, 160, 183.
Centre démocratique, 174. J
Cercle Saint-Charles (royaliste, nîmes), JaC, 181, 183.
137. JeC, 183.
CFDt, 186-187. JOC, 186-187.
CFtC, 143, 160, 163, 180, 182-183, 187. JOCF, 187.
CGt, 143, 163, 179, 185-186. JSu, 186-187.
CGt-FO, 143.
Cir, 186. L
Club des Jacobins, 180. LiCa, 186.
Cni, 136, 165, 172, 175. Ligue de l’enseignement, 143.
CniP, 155-156, 161, 163-165, 168, 174- Ligue des Droits de l’Homme, 143.
175.
CnJa, 185.

221
Algérie : sortie(s) de guerre

M R
MJr, 53. raF, 164.
Mouvement de la Paix, 143.
S
O Secours Catholique, 133, 135, 148.
OaS, 10-11, 18-19, 43-55, 58, 60, 69, 81, SFiO, 137-138, 143, 147-148, 155-158,
83, 85-91, 107, 127, 131-135, 143-144, 160, 162-163, 165, 178-181, 183-185,
146, 166, 168, 187, 195, 198-199, 201. 200.
OaS-algérie, 46. SneS, 143.
OaS-Belgique, 54. Snet, 143.
OaS-Métro, 52. Sni, 143, 145, 178, 184.
OaS-Oran, 47-48.
OCrS, 201. U
uDMa, 64.
P uDt, 170, 172.
Parti radical, 157. uFD, 160.
PCa, 59-61, 63-64. uGeMa, 181.
PCF, 117, 136, 143-145, 155-156, 158, uGta, 60.
160, 162-163, 165, 174-175, 178, 184, uneF, 163, 180-181, 187.
186-187. unr, 70, 131-132, 135, 137, 160-165,
PS, 177, 180-183, 186, 188. 168, 170, 172, 174-175, 199.
PSa, 160, 162-163, 175, 177-180.
PSu, 144-145, 155, 158, 163, 165, 168,
174, 177-182, 184, 186-188, 200.

222
index des périodiques

A la Voix du nord, 142-143, 146-147.


Alger républicain, 61, 63-64, 66-67. le canard enchaîné, 145.
Aujourd’hui, 94, 96, 104, 110. le Figaro, 88-89, 91-92.
le méridional-la France, 129, 133-134, 136,
B 198.
Bulletin de la société des études camusiennes, le monde, 88, 101, 109, 198.
110. le Provençal, 138.
le rappel du morbihan, 185.
C les cahiers religieux d’Afrique du nord, 94,
combat, 89-90. 96.
croissance des jeunes nations, 104. les temps modernes, 64, 70, 197.
libération, 89.
E liberté, 147.
el moudjahid, 61.
espoir, 82-83. M
europe-Action, 53. minute, 92.

F N
France observateur, 172, 186. nord Littoral, 142-145, 148.
France-soir, 85. nord matin, 147.

J O
Journal de montreuil (Pas-de-Calais), 146. ouest-France, 160, 163, 166.

L R
l’Afrique dominicaine, 94, 96. rivarol, 53.
l’esprit public, 53, 144.
l’express, 91-92, 187. T
la croix, 86. témoignage chrétien, 181.
la dépêche quotidienne d’Algérie, 83, 109.
la Vie intellectuelle, 101.

223
Sigles

aCiM association Catholique des inirmières et Médecins.


aCO action Catholique Ouvrière.
aDiMaD association pour la défense des intérêts moraux et
matériels des anciens détenus politiques (mouvance
algérie française).
aFran amicale des Français rapatriés d’afrique du nord.
aGea association générale des étudiants algérois.
aGer association générale des étudiants rennais.
aJPn amicale des jeunes Pieds-noirs (nîmes).
aLn armée de libération nationale.
anFanOMa association nationale des Français d’afrique du nord
d’Outre-mer et leurs amis.
anP armée nationale populaire.
atO auxiliaires temporaires Occasionnels.
CaFi Centre d’accueil des Français d’indochine.
CDJa Centre des jeunes agriculteurs.
CeaC Comité d’entente des anciens combattants.
CeD Communauté européenne de Défense.
CFDt Confédération française démocratique du travail.
CFtC Confédération française des travailleurs chrétiens.
CGt Confédération générale du travail.
Cir Convention des institutions républicaines.
Cni Centre national des indépendants.
CniP Centre national des indépendants et Paysans.
CnJa Centre national des Jeunes agriculteurs.
CnMF Comité national pour les Musulmans français.
CnrFa Conseil national de la résistance française en algérie.
Cnr-OaS Conseil national de la résistance OaS.
COMeDOC Commandement Méditerranée occidentale (Otan).
Crr Centre républicain réformateur (gaulliste de gauche).
CSF Confédération Syndicale des Familles.
eFaO entraide fraternelle d’action œcuménique.
eSu Étudiants socialistes uniiés.

225
Algérie : sortie(s) de guerre

FaF Front pour l’algérie Française.


Fen Fédération de l’Éducation nationale.
FFL Forces françaises libres.
FFS Front des forces socialistes.
FGDS Fédération de la gauche démocrate et socialiste.
FLn Front de libération nationale.
FnaCa Fédération nationale des anciens combattants en
afrique du nord.
FnFa Fédération nationale des Français d’algérie.
FnrFCi Front national des rapatriés français de confession isla-
mique.
FO Force ouvrière.
FOL Fédération des Œuvres laïques.
GaeC Groupement agricole d’exploitation en commun.
GMS Groupe mobile de sécurité.
GPra Gouvernement provisoire de la république algérienne.
HaFMeD Headquarters allied Forces Mediterranean (Quartier
Général des forces alliées de Méditerranée – Otan).
iPaS indépendants et Paysans d’action Sociale.
ira irish republican Army.
JaC Jeunesse agricole Chrétienne.
JeC Jeunesse Étudiante Chrétienne.
JOC Jeunesse ouvrière chrétienne.
JOCF Jeunesse ouvrière chrétienne féminine.
JSu Jeunesses socialistes uniiés.
LiCa Ligue internationale contre l’antisémitisme.
MJr Mouvement Jeune révolution.
MLO Mouvement de Libération Ouvrière.
MODeF Mouvement de Défense des exploitants Familiaux.
MrP Mouvement républicain populaire.
OaS Organisation armée secrète.
OCrS Organisation commune des régions sahariennes.
OrO Organisation renseignement Opérations (OaS-
Métro).
PCa Parti communiste algérien.
PCF Parti communiste français.
PPF Parti populaire français.
PS Parti socialiste.
PSa Parti socialiste autonome.
PSu Parti Socialiste uniié.
raF rassemblement pour l’algérie française.
ranFran-OM rassemblement national des Français rapatriés
d’afrique du nord et d’Outre-mer.

226
sigles

ri républicains indépendants.
rnur regroupement national pour l’unité de la république.
rPF rassemblement du Peuple Français.
rS républicains sociaux.
SaCeur supreme Allied commander europe (Commandant
suprême des forces alliées en europe – Otan).
SaCLant supreme Allied commander Atlantic (Commandement
allié atlantique – Otan).
SaS Section administrative spécialisée.
Sau Section administrative urbaine.
SFiO Section française de l’internationale ouvrière.
SHaPe supreme Headquarters Allied Powers europe
(Grand quartier général des puissances alliées
en europe – Otan).
SneS Syndicat national de l’enseignement secondaire.
Snet Syndicat national de l’enseignement technique.
Sni Syndicat national des instituteurs.
uDMa union démocratique du Manifeste algérien.
uDra union de défense des réfugiés d’algérie (poujadiste).
uDSr union démocratique et socialiste de la résistance.
uDt union démocratique du travail.
uFD union des Forces Démocratiques.
uGeMa union Générale des Étudiants Musulmans algériens.
uGta union générale des travailleurs algériens.
uneF union nationale des étudiants de France.
unr union pour la nouvelle république.

227
table des matières

Patrick Harismendy
Algérie-France : sortie(s) de guerre et « entrée en paix » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Jacques Frémeaux
Fin de la guerre d’Algérie, de l’événement à l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Première partie
PArtir-Arriver
Gregor Mathias
survivre à l’indépendance algérienne : itinéraires de moghaznis en 1962-1963 . . . . 27
Olivier Dard
sorties de guerre et oAs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Pierre-Jean Le Foll-Luciani
la sortie de guerre de militants juifs algériens et la construction
d’une algérianité d’état (1962-1963) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
Yann Scioldo-Zürcher
une administration ex nihilo à l’épreuve des rapatriements
des Français d’Algérie (1961-1964) : organiser la sortie de guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

deuxième partie
FAire trANSitiON
Soraya Laribi
le dernier « gouverneur général » de l’Algérie : christian Fouchet,
haut-commissaire de la république (mars-juillet 1962) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
tangi Cavalin, nathalie Viet-Depaule
Feu la chrétienté d’Algérie : les prêtres français de la mission de France
et du couvent dominicain d’Alger au sortir de la guerre d’Algérie . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Pierre Le Baut
Brèves remarques en marge de la communication
de nathalie Viet-depaule et tangi cavalin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .107

229
Algérie : sortie(s) de guerre

Jenny raflik-Grenouilleau
l’Algérie, les Accords d’évian et l’otAn . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

troisième partie
APrèS-GUerreS
Didier Lavrut
se définir Pied-noir : l’impossible construction d’une identité politique
chez les Français d’Algérie rapatriés dans le gard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .127
Marc Coppin
sorties de guerre sur la côte d’opale (1962-1963). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .141
Christian Bougeard
la vie politique à la in de la guerre d’Algérie en Bretagne (1958-1962) . . . . . . . . .155
François Prigent
les socialistes bretons face au choc de la guerre d’Algérie :
générations, recompositions, trajectoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .177
Vincent Joly
conclusion. « on préférait presque mourir que d’y penser »
sortir de la guerre d’Algérie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .189

index des personnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205


index des lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
index des organisation et situations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
index des périodiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Sigles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225

230
H I S T O I R E

Sous la direction de

Vincent Joly et Patrick Harismendy
Algérie : sortie(s) de guerre – 1962-1965

S
ouvent prisonnier de « mémoires affrontées », le traitement historique de
la guerre d’Algérie a eu peine à sortir de tels horizons. Qu’il s’agisse des
mémoires combattantes (surtout françaises), de celles des victimes de toutes
natures, de leurs collatéraux, voire des États, la liste est longue des travaux portés
par le besoin — plus ou moins conscient — de faire le deuil, sans qu’on sache
toujours ce qui relève de la mise à jour objectivée ou de l’enfouissement.
En la matière, la période postérieure au 19 mars 1962 est souvent absorbée,
dans les images mentales des métropolitains, par un besoin de passer à autre
chose, qu’exprime bien l’idée de liquidation du passé colonial. Il y a là, au cœur de
l’événementialité, une asymétrie voisine et violente, rappelant celle vécue après
septembre et surtout décembre 1944. L’oblitération métropolitaine des violences,


qui de militaires deviennent au printemps et à l’été 1962 désormais civiles (dans
leur immense majorité), doit donc être évaluée.
La compréhension de ce hiatus est en effet centrale pour saisir les mécanismes
de sorties de guerre. Il y a d’abord celles des hommes (supplétifs, soldats perdus
de l’OAS, militants anticolonialistes, prêtres) dont les destins basculent entre la
fuite éperdue et l’espoir bientôt démenti de pouvoir « faire société » en Algérie.


Il y a ensuite celles de l’État qui génère des temporalités différentes allant de
l’urgence du rapatriement et de l’insertion (pour les Français) en métropole aux
illusions de maintien d’une présence militaire ou industrielle en Algérie. Enin,
il y a les échos régionaux de la guerre. À cet égard, l’intégration économique
voire sociale des rapatriés n’exclue ni des conlits d’identités individuelles, ni de
profonds clivages politiques dont les effets se font encore sentir : le combat anti-
colonial étant la matrice d’une génération.
Patrick Harismendy est professeur d’histoire contemporaine à l’université Rennes 2 et
membre du Centre de recherches historiques de l’Ouest (CERHIO-UMR CNRS 6258).
Vincent Joly est professeur d’histoire contemporaine à l’université Rennes 2 et
membre du Centre de recherches historiques de l’Ouest (CERHIO-UMR CNRS 6258).

En couverture : Roger Chapelet (1903-1995), peintre de marine, Cie de navigation mixte,


Le Président de Cazalet (gouache, coll. part.), Tous droits réservés.

Publié avec le soutien du


CERHIO-Rennes
de l’université Rennes 2

ISBN 978-2-7535-3264-9
www.pur-editions.fr 18 €

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