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En quoi la solution dégagée par l’arrêt

Denoyez et Chorques du 10 mai 1974 rendu


par le Conseil d’État est-elle importante ?
par Steven | Cours de droit en ligne

SOMMAIRE [Masquer]
 1 Arrêt Denoyez et Chorques : Les faits et la procédure
 2 L’arrêt Denoyez et Chorques : Les prétentions des parties et la question de droit
 3 La solution de l’arrêt Denoyez et Chorques rendue en date du 10 mai 1974
 4 La portée de l’arrêt Denoyez et Chorques rendu le 10 mai 1974 par le Conseil d’État

L’arrêt Denoyez et Chorques rendu par le Conseil d’État le 10 mai 1974

consacre les règles qui peuvent justifier des différences de traiteme nt

entre les usagers d’un service public. Dans cet arrêt Denoyez et

Chorques, des administrés se plaignent de l’application d’un tarif

préférentiel réservé à des catégories d’usagers pour l’utilisation des voies

du bac assurant la liaison jusqu’à l’île de Ré, où ils possèdent des

résidences secondaires.
Le Conseil d’État dans l’arrêt Denoyez et Chorques admet trois cas dans

lesquels la fixation de tarifs différents pour un même service rendu à

différents usagers d’un service public est légale : La différenciation

implique qu’elle soit la conséquence d’une loi, ou qu’il existe des

différences de situation appréciables entre les usagers, ou une nécessité

d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service.

Le principe d’égalité a une pla ce fondamentale en droit français. La liberté

et l’égalité apparaissent nécessaires à la réalisation d’autres droits et

libertés. L’arrêt Denoyez et Chorques est une décision de principe en

matière d’égalité du service public, en ce qu’il permet que des di fférences

de traitement puissent être pratiquées pour des raisons d’intérêt général.


ARRÊT DENOYEZ ET CHORQUES : LES
FAITS ET LA PROCÉDURE
Les sieurs Denoyez et Chorques sont propriétaires de résidences

secondaires de vacances sur l’île de Ré. Un service de bacs exploité

depuis 1970 par la régie départementale des passages d’eau permet de

relier la Pallice sur le continent à l’île de Ré.

Le département applique trois tari fs variables pour emprunter la voie de

bacs. Ces tarifs sont basés sur le domicile, selon que l’usager réside sur

l’île de Ré, dans le département de la Charente -Maritime ou à l’extérieur

de ce territoire.

Les administrés présentent une demande à la préfec ture de la Charente-

Maritime pour que leur soit appliqué, en lieu et place du tarif général, soit
le tarif réduit réservé aux habitants de l’île de Ré, soit, à défaut, le tarif

pratiqué pour les habitants du département.

Le sieur Denoyez soumet par ailleurs une demande annexe pour la

restitution d’un trop-perçu du prix depuis 1964 ainsi que la suppression du

tarif des cartes d’abonnement en vigueur depuis 1972.

Sa demande est rejetée par des décisions prises respectivement en date

des 3 juin et 27 octobre 1971. Insatisfaits, ils présentent une requête à

l’encontre d’une décision préfectorale devant le tribunal administratif de

Poitiers.

Par un jugement du 7 juin 1972, la juridi ction administrative rejette la

requête des administrés. Ils saisissent le Conseil d’État aux fins de faire

annuler les jugements ayant refusé de faire droit à leur demande.

Les requêtes respectives exposées dans l’arrêt Denoyez et Chorques

présentent à juger la même question, elles sont donc jointes pour que le

juge y statue dans la même décision.


L’ARRÊT DENOYEZ ET CHORQUES : LES
PRÉTENTIONS DES PARTIES ET LA
QUESTION DE DROIT
Les requérants dans l’arrêt Denoyez et Chorques estiment que la

distinction entre les tarifs consentis aux différents usagers est illégale et

contraire au principe d’égalité devant le service public. Du fait de leurs

résidences secondaires sur l’île, ils entendent bénéficier du même tarif

que les insulaires ou à défaut les habitants du département.


L’arrêt Denoyez et Chorques soulève la question de la légalité d’une

tarification préférentielle selon les différences de situation des usagers,

par rapport au principe d’égalité devant le service public.


LA SOLUTION DE L’ARRÊT DENOYEZ ET
CHORQUES RENDUE EN DATE DU 10 MAI
1974
Le Conseil d’État statue au contentieux dans l’arrêt Denoyez et Chorques

rendu le 10 mai 1974. La solution dégagée dans l’arrêt Denoyez et

Chorques admet l’application de tarifs différents.

La Haute juridiction établit ici la règle selon laquelle la fixation de

différents tarifs pour un même service rendu en direction de différentes

catégories d’usagers d’un service ou d’un ouvrage public peut être

pratiquée légalement dans trois cas :


 Lorsqu’elle résulte d’une loi

 Lorsqu’il qu’il existe des différences de situation appréciables entre les

usagers,

 Lorsqu’elle relève d’une nécessité d’intérêt général en rapport avec les

conditions d’exploitation du service ou de l’ouvrage public.

La Haute juridiction dans l’arrêt Denoyez et Chorques juge qu’en tant que

propriétaires d’une résidence d’agrément sur l’île de Ré, les requérants ne

sauraient « être regardées comme remplissant les conditions justifiant que

leur soit appliqué un régime préférentiel » et donc bénéficier du tarif

préférentiel réservé aux résidents permanents.


Il existe effectivement une différence de situation appréciable qui justifie

que des tarifs différents soient appliqués selon le domicil e de l’usager.

Partant, les requérants dans l’arrêt Denoyez et Chorques ne sont pas

fondés à demander le bénéfice d’un tarif préférentiel, ni au titre

d’insulaires ni au titre d’habitants du département.

Par ailleurs, le Conseil d’État décide que le tarif applicable aux habitants

de la Charente-Maritime est dépourvu de base légale, en ce qu’« il

n’existe aucune nécessité d’intérêt général ni aucune différence de

situation » justifiant qu’un traitement particulier leur soit accordé par

rapport aux habitants de l’île de Ré.

Les habitants de la Charente-Maritime doivent être soumis au même tarif

de passage que les usagers résidant hors du département. Le Conseil

général de la Charente-Maritime ne pouvait légalement mettre en place un

tarif préférentiel pour cette catégorie d’usagers.

Par conséquent, les requérants Denoyez et Chorques n’auraient pu se

prévaloir de ces dispositions illégales. De même, s’agissant de la requête

accessoire relative au remboursement de trop -perçu, le sieur Denoyez ne

pouvait s’appuyer sur l’application de ces tarifs puisqu’ils étaient illégaux.

La demande concernant le tarif d’abonnement en vigueur était, elle,

irrecevable.

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LA PORTÉE DE L’ARRÊT DENOYEZ ET
CHORQUES RENDU LE 10 MAI 1974 PAR LE
CONSEIL D’ÉTAT
Dans l’arrêt Denoyez et Chorques rendu le 10 mai 1974, le Conseil d’État

se prononce sur la différence de traitements entre les usagers d’un service

public au nom de l’intérêt général et considère que la fixation de tarifs

différents applicables, pour un même service rendu, à div erses catégories

d’usagers d’un service public ou d’un ouvrage public implique qu’elle soit

la conséquence d’une loi, soit qu’il existe des différences de situation

appréciables, soit qu’une nécessité d’intérêt général due aux conditions

d’exploitation du service ou de l’ouvrage commande cette mesure.

Le célèbre arrêt Denoyez et Chorques revêt une importance particulière

dans la jurisprudence administrative. Dans la solution de cet arrêt, le

Conseil d’État admet une dérogation au principe d’égalité. Il conv ient de

revenir sur la consécration d’un tel principe.

Le principe d’égalité a été formalisé dans la Déclaration des Droits de

l’Homme et du Citoyen de 1789 et dans la Constitution de 1958, à

plusieurs reprises. Il a donc valeur constitutionnelle.

On en retrouve l’expression à l’article 6 de la DDHC relatif à la loi et

au rôle de la loi : La loi est l’expression de la volonté générale. […] Elle

doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

Ainsi, puisque tous les citoyens sont égaux aux yeux de la loi, alors « ils

sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics,


selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et

de leurs talents ».

On le retrouve également à l’article 13 de la DDHC relatif à l’impôt : Pour

l’entretien de la force publique ainsi que pour les dépenses

d’administration, une contribution commune est indispensable : « Elle doit

être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs

facultés. ».

Le principe d’égalité est présent dans la Constitution de 1958, à l’article

1 : « La France est une République indivisi ble, laïque et sociale. Elle

assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine,

de race ou de religion. ». Le principe est reconnu en se désintéressant des

spécificités de l’individu.

Plus récemment, on a introduit une nouvelle phrase : « La loi favorise

l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et

fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et

sociales. ».

La République française comme garante de l’égalité devant la loi de tous

les citoyens est une affirmation révolutionnaire au regard de l’Histoire de

France, jalonnée par des épisodes où l’égalité n’était pas assurée et où

des distinctions étaient opérées sur le fondement de la race ou de la

religion.

D’autres articles de la Constitutio n renferment le principe d’égalité :

L’article 2 avec la devise nationale « Liberté, Égalité, Fraternité », l’article


3 avec l’égalité de suffrage, l’article 72 -2 sur l’égalité des collectivités

territoriales, l’article 72-3 sur l’égalité avec les populati ons d’outre-mer.

Le sens du principe d’égalité a ensuite été précisé dans la jurisprudence,

notamment du Conseil d’État. L’arrêt Denoyez et Chorques est une

jurisprudence classique en la matière.

Il ressort de cet arrêt que le principe d’égalité n’empêche pas l’application

de tarifs différents pour un même service public rendu, pourvu que cette

différenciation résulte d’une loi ou qu’elle soit justifiée par l’existence

entre les usagers de différences de situation appréciables, ou alors qu’elle

répond à un impératif d’intérêt général.

L’égalité s’accompagne alors d’une différenciation rendue possible par des

différences de situation appréciables. Le Conseil constitutionnel a eu la

même analyse dans une décision du 12 juillet 1979 (n°79 -107 DC), où il a

été saisi du texte de la loi relative à certains ouvrages reliant les voies

nationales ou départementales.

Cette loi, par dérogation à la loi du 30 juillet 1880, prévoyait l’instauration

de redevances pour l’usage de ponts sur la voirie nationale ou

départementale. Elle précisait qu’un acte administratif instituant une

redevance sur un ouvrage d’art qui relie des voies départementales peut

prévoir des tarifs différents ou encore la gratuité en fonction des

différentes catégories d’usagers et dans l’objectif de tenir compte soit

d’une nécessité d’intérêt général en lien avec les conditions d’exploitation

de l’ouvrage d’art, soit du fait de la situation particulière de certains


usagers, « notamment ceux qui ont leur domicile ou alors leur lieu de

travail dans le ou les départements concernés ».

Le Conseil constitutionnel a considéré que les critères de cette loi

n’étaient pas contraires au principe de l’égalité devant la loi et de l’égalité

devant les charges publiques. L’interprétation qui a été retenue depuis lors

accepte ces différenciations : Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce

que le législateur règle de façon différente des situations différentes et à

ce qu’il déroge à l’égalité pour de s raisons d’intérêt général.

Le principe d’égalité s’applique de manière classique aux utilisateurs du

domaine public. L’idée qui la sous -tend est que l’utilisation du domaine

public n’est possible que dans le respect du principe d’égalité.

En principe, les utilisateurs du domaine public ont donc tous un accès égal

au domaine public et ont tous droit à un traitement identique.

L’interprétation du principe d’égalité implique cependant une interprétation

d’égalité par la différenciation, pourvu que la différe nce de situation

résulte de l’objet de la loi, et pourvu que le traitement différent accordé

poursuit l’objectif d’assurer l’intérêt général. L’arrêt Denoyez et Chorques

en est une illustration classique.

Le principe de l’égalité du service public s’appliq ue aux services publics

administratifs. L’arrêt Société des concerts du conservatoire (CE, 9 mars

1951, Société des concerts du conservatoire) consacrait l’égalité devant le

service public comme un principe général du droit, qui régit

le fonctionnement des services publics. Le principe vaut aussi pour les


services publics industriels et commerciaux (CE, 1 er avril 1938, Société

l’Alcool dénaturé).

Il est donc admis de traiter l es usagers différemment, s’agissant

particulièrement de la tarification d’un service public, lorsqu’il existe des

différences objectives de situation entre eux.

Dans un arrêt en date du 27 décembre 1997 (CE, 29 décembre 1997,

Commune de Gennevilliers), le Conseil d’État a admis la possibilité pour le

conseil municipal de Gennevilliers de fixer des droits d’inscription au

conservatoire municipal de musique, en fonction des ressources

financières des familles, sans méconnaitre le principe d’égalité entre les

usagers du service public.

L’impulsion de la jurisprudence a conduit à l’adoption de la loi du 29 juillet

1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions qui étend la

dérogation aux services publics administratifs à caractère facultatif.

Elle prévoit que les tarifs des services publics administratifs à caractère

facultatif peuvent être fixés en fonction du niveau du revenu des usagers

et du nombre de personnes dans un foyer (article 147). Il est précisé que :

« Les taux ainsi fixés ne font pas obstacle à l’égal accès de tous les

usagers au service ». Le législateur transpose la jurisprudence

administrative dans la loi, notamment avec les dispositions de la loi du 29

juillet 1998.

La solution dégagée dans l’arrêt Commune de Gennevilliers en 1997

donne naissance au principe de discrimination positive. La mesure tarifaire


mise en place pour le service public administratif à caractère facultatif

qu’est le conservatoire de musique visait à permettre à tous les élèves de

fréquenter l’établissement, san s considération de leurs capacités

financières.

C’est aussi dans cet esprit que la gratuité des musées pour les jeunes

Français ou ressortissants de l’Union européenne, introduite en 2009, est

une mesure qui ne contrevient pas au principe d’égalité du serv ice public.

À l’égard de l’intérêt général, elle facilite l’accès à la culture pour de

jeunes usagers de moins de 26 ans, pour lesquels le bénéfice de ce

service public peut être limité.

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