La sirène

Céline Roubieu

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Ariane est tombée au pied du mur
mais dans ce genre de jeu d’enfant
dit craquedouille ou anicroche ou
flanchecouille, je veux dire le
cadavre exquis pour qui on se le
demande pour l’affreux Minotaure
au torse qui pue tandis que les
cheveux d’Ariane sentent la myrrhe
dans les montagnes les renards
pissent sur les bas buissons de
myrtilles et tant pis pour ceux qui
auraient voulu en manger tu restes
vlan Gros-Jean comme devant et
avec cette pluie ensoleillée tu aurais
pu avoir la chance de contempler un
arc-en-ciel ici dans la campagne en
Creuse qui glougloute de points
d’eau mais d’animaux point que d’chi
pas mal d’oiseaux tout de même, des
pics qui martèlent les grands bois
sont-ce des mélèzes sonores en tous
cas, pics épeiches et pics verts riant
comme des gargouilles à la poire
fendue, pas autant cependant que
lorsqu’on a trempé nos bottes trop
profond dans le ruisseau et qu’on
s’accrochait les uns aux autres
comme des ouistitis, puis de jeunes
morses affublés de leur duègne à la
voix de canard, puis des loups enfin
à quatre les saules trempent la
trompe dans l’étang et le merle
besogneux s’agite on ne voit que lui
tu peux toujours renâcler, brûle,
brûle du bois dans ton poêle
français, cacahuètes peaux de
bananes, j’en passe et des meilleures
bien que ça mouche c’est la fin de
l’hiver peut-être les pollens déjà qui
te titillent le museau – quand tu y
reviens ça t’a un goût de renfermé
rance que tu sais plus par quel bout
le prendre mais lui, toujours fidèle à
sa mémère le cœur grand ouvert que
s’en est nauséabond tant de
gentillesse j’en suis toute amollie
comment veux-tu batailler dans un
champ de guimauviettes quoique j’en
fasse partie pisse que pas encore
capable de se prendre les yeux entre
quatre mains pour y aller enfin, droit
devant, en commençant pas le début
et une tasse rouge pivoine aux
dessins japonais la seule odeur, celle
du gingembre, pas de la pisse comme
le basilic qui sent le chat mais
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trompe bien son monde et il va
falloir que je me répande encore sous
les pupilles désemparées de ceusses
qui auront pas tiré le gros lot, face
bouffonne et le roi, le fou d’un roi
semeur sans divertissement et dont
je fais mon miel sorte de saignée de
la bonne vieille médecine qui te
laissait sur le carreau et si je retrouve
le fil d’Ariane dois-je le recoudre ou
juste faire un nœud pour l’enfiler à la
suite - telle est la question – et
Hamlet et Londres, Sherlock et
Docteur Hyde m’attendent en
prenant le thé dans leur culotte en
tweed, m’attendent de pied ferme
depuis ces années où je les ai jaugés
avec j’avoue un peu de hauteur, pur
atavisme sans fondement et c’est à
Dowland plus qu’à Shakespeare que
je dois l’ouverture, comme quoi ces
photos finissent par agacer, je les
dépunaise à quoi bon rester figé, je
te le donne en mille, deux raquettes
de ping-pong et pas du même coloris
en plus qui plus est, ah ! le bon
temps de la langue – pas celui de la
langue de bœuf qu’elles ont voulu me
faire bouffer mais quoi dans la
cervelle tudieu ! celui du chahut des
mots et des entrechats des lettres qui
s’entrechoquent je m’en bats les
coucouilles – je parle juste de celles
du chat, celui qui sonne à chaque
heure : coucouille ! je n’y suis pour
rien faudrait pas croire et on va
s’arrêter là pour reprendre sa
respiration et mettre de l’ordre mais
qui aurait peur du chaos, il faut un
cadre, des tous petits dorés et épais,
ou de grands transparents mais sans,
ça existe vraiment ici, ce qui me
convient, c’est que je n’impose pas,
je pose / je pose un chanteur noir
américain à lunettes, un Schtroumpf,
un barde, quelques enfants de chœur,
une cigale – un peu grasse – une pin-
up complètement idiote, un péruvien
à gros nez, un hippopotame et
quelques bonshommes en pain
d’épice, on sait comment ça va finir
pour eux, un peu comme la galette
qui écoute trop le renard et Han ! il
l’a bouffée, le salop ! Ben oui mais
c’est comme l’emplumé qui s’est fait
piquer son calendos, faut pas venir
se plaindre, vous zaviez ka / zaviez
kapa / le chant des sirènes croyez
pas être le premier aussi ? ferme ton
bec et sèche tes larmes, t’en verras
d’autres pourtant la voix n’a pas
d’odeur, c’est pour ça, on lui fait
confiance et pis encore heureux qu’il
y a quelques bêtas pour y croire je les
aime bien mais au-delà c’est le vide,
dont je m’efforce d’approcher à
petits pas, sans en avoir l’air, pour
voir si le vertige me saisit, tombera,
tombera pas ? Encore un pas vers le
néant, encore un autre, tout se
désagrège, le tricot se démaille et
pourtant cela dépend du côté du
miroir où tu te trouves ! comme les
anglais qui roulent à gauche après
tout c’est du même acabit ce que
j’aime sentir ronronner le moteur, du
moment que ça roule, pas de blème,
on va tracer la route et hardi petit
mais bien plus que le trou c’est la
souffrance qui fait peur, un souvenir
purement physique, comme une
défense ancrée qui te rappelle que
stop faut pas y revenir, ça brûle, tu
touches pas mais tu sais que j’ai vécu
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seul, sans personne avec qui parler
véritablement, jusqu’à une panne
dans le désert du Sahara, il y a six
ans. Une vraie panne, quelque chose
s’était cassé dans mon moteur et j’ai
retroussé mes manches pour
regarder sous la carlingue, visser i ci,
déboulonner là, pour redémarrer
cahin-caha, sous l’œil inquiet des
hyènes qui rient d’habitude et cela
m’amusait de leur jouer un si
mauvais tour doucement le machin a
repris son rythme, comme en
apesanteur, mais je n’avais plus peur,
c’est moi qui avais bricolé, je savais
à quoi m’en tenir – après tout chacun
sa folie, j’en ai vu s’inventer un pif
en poire et des moustaches en
noisettes, des cheveux en épis de blé,
lèvres en fraises, joues de pêche,
épaules en choux, alors il y a de la
marge, l’essentiel, ne pas déraper,
serrer la manœuvre vers le noyau ni
de trop près de peur d’être cramé, on
connaît la chanson, mais d’assez près
quand même pour la chaleur, et aussi
accepter que jamais je n’enfouirai ma
main ni mon museau dans le pelage
musqué et doux d’une panthère, a
priori je ne nagerai pas avec les
dauphins, je ne monterai pas à cheval
en amazone, je ne jouerai pas de
clarinette, pas de tuba, ne serai pas
danseuse étoile, ne confectionnerai
pas de macarons, ne sauterai pas à
l’élastique, ne ferai pas de plongée
sous-marine, ne verrai pas l’açoka
rouge, n’irai pas à Hiroshima, n’aurai
pas de conversation passionnée avec
un personnage célèbre, ne mangerai
pas de tripes à la mode de Caen, ne
visiterai pas Knokke-le-Zoute, ne
jouerai pas au water-polo,
n’adopterai pas de doberman, ne
trairai pas de chèvre, ne dissèquerai
pas de pif en poire ni de dents en
fraises des bois alors on danse, alors
on s’extasie, alors on rit à belles
dents mais un truc qui vous prend du
fond du ventre, trop drôle, à péter
son gosier et ça fait un sacré boucan
à des kilomètres à la ronde – c’est
rien, c’est une femme qui rit ah bon
et tout le monde se rendort que
vienne l’éblouissant cortège des
rêves, peur de la séparation, peur du
voyage, peur de l’inconnu et
pourtant go tout de bon, l’avion,
l’arrachement comme un cordon
trop tiré, mais c’est le monde à
l’envers ou quoi ! quel est ce lien
charnel, spirituel, matériel tout à la
fois dont notre société moderne
voudrait faire fi, mais c’est dans les
tripes que ça se joue, keske tu y peux
toi pauv’tit’mère, qui court un
danger - celui de vivre – c’est pas
eux, c’est vous, alors arrête un peu
ton char et fais tes valoches, et
quand tu prendras des photos sur la
place Jemaa-el-Fna, et cette musique
et des odeurs de cuir, n’y pas penser
encore une journée folle et deux
mains qui massent la poitrine dans le
sens nord/sud sud/est, en respirant
voile du palais soulevé comme si tu
avais une patate chaude dans la
bouche c’est écrit partout, on va
solder ses comptes, vider sa vessie et
la question : né dans le Berry, peut-
on espérer atteindre la voie du Tao ?
peut-on se libérer de ses cages tout
en gardant sa geôle, nul oiseau n’a le
cœur de chanter dans un buisson de
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question ça c’est René qui l’a dit mais
l’oiseau construit son buisson et que
je te prélève ici une brindille de
bouleau, là un crin de cheval, que ça
soit solide afin que l’oiseau ne
s’échappe pas, velléitaire si vous
voulez, ça ne dérange personne tant
qu’il reste à sa place – laquelle ?
suspendu dans quels ciels ? seul avec
sa musique, parfois une bribe de
mélodie s’effiloche jusqu’à l’oreille,
la chatouille, l’amuse et peut-être
même, la charme – puis disparaît, et
enfin un livre qui ose moi j’ai rien
d’intéressant à dire, je me suis
précipitée dessus, enfin des choses
pas intéressantes qui s’assument,
ouf, on va pouvoir passer à du
sérieux, jouer ne m’amuse pas, je me
souviens de cette pièce de Jean
Tardieu où jouer était très sérieux, je
devais rentrer en moi comme une
créature de Jérôme Bosch pour
puiser l’Enfer et ses tripes, le feu, le
fou, et je t’assure que c’était pas
simple même pour jouer la comédie,
pas seulement pour les Lucrèce
Borgia et compagnie qui font tout de
suite plus d’effet sous prétexte que –
mais moi je sentais bien dans mon
corps que c’était pas celles-ci les plus
difficiles à camper et dimanche nous
sommes allés voir Rêve d’automne de
Jon Fosse mis en scène par Patrice
Chéreau et ça parlait de choses si
ordinaires si quotidiennes, c’était la
vie, la mort, l’amour, le désir,
l’incommunicable, mais quand même
on y arrive par des détours, de la
confusion, du redondant, du
discours qui se cogne comme une
alouette contre la véranda, tout de
même, c’est pas si désespéré, ils
finissent par se comprendre au
moins sur deux ou trois trucs et les
coucous voleurs de cathédrales ! quel
drôle de spectacle, j’étais plutôt faite
pour les emplois où qu’il y a pas trop
à réfléchir - pas le poisson j’ai le nez
délicat parce qu’il y a de la brute en
moi et qu’elle a besoin de rugir
comme de ruminer, les deux en
même temps sinon ça me fiche des
angoisses, alors je suis montée juste
assez haut pour faire une jolie piste
en descente, pour éprouver le lâcher
prise, un de mes sports préféré, on
sent qu’on tient les rênes bien
serrées dans ses mimines et tout à
coup – c’est pas la tête qui décide,
c’est ton corps – tu lâches et zouuuu,
c’est grisant, plus rien à faire qu’à
sentir l’air s’engouffrer dans les
mâchoires, le froid dans les yeux,
une grosse fatigue sur les paupières,
combien de fois ai-je été fatiguée, de
façon inquiétante, tout au long de
ces années, je ne savais rien dire
d’autre, incapable alors d’analyser
mes émotions, pétrie de
contradictions, épuisée par ces
contrastes qui m’écartelaient comme
un chiffon ô vieilles urnes de
l’Opéra, musée de la voix, j’avais
aussi eu cette idée prêter voix à la
Joconde, au clown triste de Bernard
Buffet, à un Giacometti, à la Jeune
Fille à la perle, à un Botero, à
l’Odalisque et vice versa, fut un
temps chanté trop bas – encore un
sacré paradoxe à tenir et pourtant
quel plaisir de proférer tant
d’énormités avec le plus grand
sérieux, ah lève-toi soleil, parais
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astre pur et charmant, ni plus ni
moins codé que le langage des
contes, il était une fois, on accepte
bien un domaine où splendeur et
misère nous heurtent en plein cœur,
où le ridicule taquine le grandiose,
mais parfois, comme au judo, hop,
l’avantage change de camp et l’on est
conquis, vaincu, d’accord, le charme
a opéré, improbable, un Nikki de
Saint-Phalle, un oiseau bleu, un
Arcimboldo, un garçon sans regard,
au visage heureux tourné vers le
soleil, une créature aux bras
fondants, et errant de sommeil, ce
n’est pas raisonnable, je ne veux pas
travailler, silence dans les rangs, j’ai
dit ! le tyran sort de son lit,
planquez-vous ! on n’y croit pas mais
le monstrueux a souvent visage
amène, pas d’inspiration, à chier,
j’aime pas quand la campagne sent le
lisier, ça heurte le bucolique, les
épaules croulent, l’estomac pèse, les
dents se liment à force de serrer,
dame ! potiche ou zombie, il faut
choisir, le regard bovin que l’on a
reproché à des gens très bien – et
nous avons vocalisé sur des poèmes
de Claude Roy - ouf ! encore un bon
vivant, un bien vécu qui me sauve du
néant parce que chanter sur des
voyelles fatigue la voix, les
consonnes absorbent, de toutes
façons on peut mettre tout bout à
bout et c’est bien ce que je compte
faire un jour, enfiler des mots
comme les perles d’un collier
baroque. En attendant, me voici
enfermée dans cette prison de petits
caractères – certaines écritures sont
plus rondes, le bengali, le birman,
dont je connais bien la calligraphie,
quand j’écris je ne peux pas être
libre, car l’œil du Grand
Couv’Touïour me perce l’âme, et
voici que je me ratatine et me
rapetisse, mais j’en ferai des
monologues oh ! mon dieu je suis
heureuse de te retrouver je me suis
fourvoyée, perdue alors qu’il
m’incombe de rapetasser mes vieux
os pour ne pas que se disloque la
vieille hase et que je cherche à
remplir de crème cacaotée ce pauvre
estomac pour le tromper, le tromper,
le tromper, qu’il sente pas le vide,
pourquoi la nature a peur du vide qui
c’est qu’a dit une chose pareille c’est
le père Aristote et qu’on se remplit
par tout ce qui nous tombe sur la
main, même inodore, même insipide
par exemple de la littérature mais
surtout mon flacon de parfum et
c’est quoi ce bruit là-haut quand on
est seul dans sa maison le soir avec
une pierre dans l’estomac je peux
bien dire la vérité maintenant, j’ai
compris son manège au prophète qui
n’a pas même un regard en aumône
pour la pauvre petite le drôle
suspendu à ses lèvres, pas
d’inquiétude celui qu’est jamais là
veille - qu’on croit, et je recenserai
tous mes péchés et les tiens – et puis
les leurs aussi pour partager, et j’en
rirai puisqu’on ne sait plus trop où
loge le malheur, de quoi rire, si on
est heureux d’être là, si l’on a choisi
véritablement, le corps, la vague, le
corps, la vague à l’infini et tous ces
philosophes qui vous emmêlent la
cervelle mais dès que je me retourne
pan ! il est là le gros chat gris à me
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fixer dans les yeux, un sourire pas
normal sur les lèvres, toujours la
hallebarde à la main, du diamant brut
qu’on y pigeait que pouic, toujours à
se battre pour des causes vieilles,
triste sous son éclat, ça brille comme
des abeilles j’ai offert un essaim à un
apiculteur et il a coulé comme un
ballon de rugby dans sa boîte, geste
maitrisé, quel est donc cette transe ?
Ô Herberto, est-ce à moi de me
souvenir : la lumière, la nuit, la
pendule d’Yvonne-la-simple pleure
un jeune homme, elle a oublié, elle
sourit encore avec quelle lumière, les
abeilles que la Grande Ourse a
rallumées dans le ciel invoquent
aussi le sommeil, ô nuit ! au seuil du
jour le souffle de la peau sur ma
peau, et par la fenêtre une veilleuse
parfumée distillant l’angoisse de
devenir silence, lui aime, elle sait,
l’air palpitait et il n’a rien vu – trop
d’orages lui déchirent la poitrine, le
corps du texte froissé comme ces
pliages d’aveugles, les mains serrées
très fort pour en extraire un peu
d’amour et le silence encore derrière,
immédiat, les paroles disparaissent et
l’œuvre en était éphémère. Le sable
soufflé d’un coup de vent. Ta main
tendue offrait un morceau de pain, le
centre scintillait comme une rosace,
les doigts osaient sucer leur pulpe
rien n’était sale tout résonnait en la
terre, puis vînt le silence et par
accident, le monstre qu’il engendra.
Ô arrogance, ô erreur de
l’homme qui marche sur la même
route, ô meurtrissure vraie qui ne
peut pas se dire, impudeur, laisse
sourdre le volcan – je ne suis pas
coiffée du tout, de toutes façons mes
cheveux sont rebelles et n’aiment pas
la discipline, laissez-les tranquilles,
ils mènent leur vie de cheveux et
tombent, tombent infiniment depuis
que, les premiers, ils ont goûté à l’air
du monde, ils sont brouillons, vont
dans tous les sens, c’est inouï
d’embarquer sur sa pirogue avec
toujours le même bonheur, je
commence à comprendre la peur qui
pourrait m’habiter : ce serait d’oser
exprimer la beauté du monde, de
baisser les armes parce que j’aurais
assez livré bataille et me ranger
parmi les ravis sans être neuneu,
non, en procédant d’un mouvement
d’expansion, ouvrir les bras, jouir
sans prendre, sans recevoir peut-
être, jouir en résonance et même si
l’instant n’est pas parfait, oser dire
oui, j’ai peur et je viens vers le
monde alors je virevolte aussi pour
qu’on me prenne pas pour un
papillon, vlam ! dans le filet ! il y a
bien d’autres façons d’être crucifié,
la plus douce relève de l’épingle,
petit air innocent, pourtant le vide,
ça me connaît, d’habitude je lui fais
pas de concessions j’y vais droit,
comme dans les dessins animés, un
pied devant l’autre même au-dessus
du vide – et comme je sais que le vide
est consistant, je ne tombe pas, parce
que la nuit, parce que l’appel, parce
que ma responsabilité se précise,
parce que je vois une phalène se
cogner sur la vitre, attirée par ma
lumière, qui sont-ils, ceux que ma
lumière attire, et quelle est cette
luminescence qui m’a été donnée,
mon féminin, mais écrire, enfin !
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jadis d’aucune nécessité apparaît
comme la corde qui relie la source au
monde d’en-haut, et le puits c’est
moi : penchez-vous, tout juste si l’on
voit briller un reflet noir comme une
huile de Rothko – je suis peut-être
une sirène, et je m’asphyxie à rester
trop longtemps à la surface, et dans
les profondeurs je suis attirée par la
lumière, il faut du temps pour
retrouver comment l’on respire, plus
lentement, une sirène furibonde,
très, très exigeante et changeante car
lassée d’avoir écumé le moindre
recoin du moindre récif, ô sirène tu
plonges si loin jamais lasse ma
parole, ou en pleurs alors avec pour
sœur la Jeune Parque dont la main
sonde les grottes sombres comme les
flots de diamants qui s’écoulent de la
caverne aux mille trésors, aux mille
et un baisers, pour toi encore celui-
là qui garde son mystère, c’est là le
colloque des jours et des nuits, entre les
domaines pétrifiés et les grandes
avalanches d’étoiles, Herberto, ô puise
ma vie, arrache les chimères qui
folles nagent en se mordant la queue
à telle vitesse que nul ne les voit
plus, Arrêtez ! Arrêtez ! voudrait-on
dire mais leur dents rient de l’éclat
blanc des détraqués, des désirs
violents endormis la tête dans l’eau,
des rêves en queue de poisson, je
bois, je bois, de l’eau, la lie, encore,
qui coule, partout, l’eau ci-dessous,
il y a trop de fontaines qui s’ignorent
dans les déserts, donne-moi ta main,
eau, trois lettres, bout des lèvres,
comme si tu avais une cerise dans la
bouche, comme si que tu crachais,
pfou, son noyau, comme six queues
dans les prés voilà tudieu l’automne,
ma place, c’est donc là ma place ?
quelle surprise, quelle déception, un
grand éclat de rire éclaire la colline,
triomphe ô dérisoire ! tu files entre
les doigts – cette main, je la
contemplais en retenant ma
respiration, miracle d’autorité et
d’innocence à l’odeur rose de lait, je
pose sur elle une merveille et
l’embrasse tout doux aussus du nez,
ne plus lutter, dormir maintenant,
dormir, le train nous y conduit -
juste à lâcher en disant je suis là,
pourquoi elle chute et craque, dans
la bouche crisse un sablé, tu exagères
à ce point jamais tu n’es trahie, on
souffle, je n’ai plus de rien à venir et
dans un pot en terre un premier
crapaud sec, squelettique, qui va
voler dans la haie perplexe le second
crapaud va se fourrer au même
endroit par où fibre de bois on entre
dans le récipient – peut-être la voie
de l’hébétude et quelle confiance
dans sa ligne de conduite, dans sa
façon de marcher sur la corde arrêtez
de glorifier l’échec et la chute, cela
doit demeurer secret, pas voué à
publication dans les magazines qui se
déroulent en bobines parce qu’en
cachette sur un clou ils
apparaitraient découpés en carrés, je
n’ai pas la faculté d’approcher ma
pensée avec lucidité, je rechigne à
écrire mon journal, je n’ai jamais
écrit mon journal, je trempe les
orteils dans l’eau froide, méfiance,
en partant toujours de la droite pour
que l’électron se divise en moins
d’une fraction de seconde
nonobstant la fascination que
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pourrait exercer le phénomène,
quand la verticalité n’est pas assurée,
que l’axe craque, s’effrite et
converge vers sa cristallisation bien
que dans le doute nous puissions
opérer un renversement à cent-
quatre-vingt degrés afin d’assurer au
moins un déploiement égal des deux
côtés. J’ai l’intime conviction que
l’expérience nous éloignera à jamais
de cette image nébuleuse sur laquelle
repose la croyance en une nouvolle,
imbécillité flagrante qui fonda le
mythe post-moderne auquel nul
esprit censé ne peut plus adhérer – il
n’est que de voir l’expression
interdite, les yeux ronds du sujet qui
découvre ce montage, hésitant
encore entre le crin et l’archet, la
queue et le museau, à la fin donc la
chambre fut meublée d’un bric-à-
brac à laisser songeur, des rainures
dans les murs, des tamis amollis, des
fauteuils au crin en jachère, le
tableau d’un bateau à voile ouvrait
une fenêtre sur le monde aux
horizons orangés et dans leur cadre,
coquilles minuscules que les
lointains voiliers, leur ombre se
déforme en s’éloignant, le sommeil
ouvre son tablier outre-azur, et leur
cadence est douce, je penche, elle
s’accomplit en silence parce que
nous ne la voyons pas – si l’œil y
était, il entendrait bramer les navires
qui piquent du nez dans les flots
soudain béants ; nous arrimons nos
espérances au socle du souvenir, une
éternelle patience suspend le cours
du flot qui fuit non plus vers la mer,
cette fois, non plus vers ce large mais
en spirale inverse, aspirée dans un
coquillage – ça gêne aux
entournures, c’est vraiment tout de
même déroutant de flâner dans
toutes les dimensions, encore un
effort, il avait des propos qui ne
laissaient pas indifférent, tandis que
d’autres dansent la tarentelle, lui
cible, tire, fait mouche et son fleuve
convoie des trésors. Accepter
cependant juste deux paumes où la
lumière tombe.
De profondeur et de verdure pour
créer une perspective, un rocher
moelleux comme un mamelon,
mousse d’étoiles, tant de nuances de
verts, jaune, acide, vert à l’austérité
de capucin, vert anglais, passé, petit-
poesque, terreux, troué, vert buis, vert
gazon, vert-lierre écoute le silence, il
est temps d’ajuster ton manteau un
peu froid que dans le dos la
cheminée laisse filer son haleine
mais de pierre lasse des bouteilles
s’entrechoquent, nommons le vrai le
chant du lieu, l’âme de la terre, cette
tourbe élastique pourtant la vie se
laisse-t-elle mieux dire ? plus large,
on y entend des ailes, on y voit voler
des fontaines, blanches dès le
premier jour des dahlias pompons,
doigts orange, le cidre qui sent sa
pomme pourrie, odeur des plus
pénétrantes dans le tiroir, mettez
quelques pommes à oublier, tout
doux, pas de précipitation, le
scorpion du ciel aux yeux tremblants
a passé froid dans le dos mais une
telle flamme au cœur l’arbre a mille
ans et je peux attendre, ces étoiles
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ouvrent sur des sourires, celui du
champ, celui du manoir aussi –
l’homme met sa main en visière pour
se protéger d’un bas soleil
d’automne, partout des lutins une
femme se courbe et les ramasse,
j’aperçois avec toi sa demeure de
briques et de mystères et nous y
reviendrons, comment ce ramassis
de soupirs alors que la matière
abonde, réflexion ou contemplation,
d’autant que le mouvement ici se
suspend, une terre grasse où les
vaches étonnées volent plutôt que
d’enfoncer leurs sabots dans la glaise
ne nous dispersons pas, cet homme
a raconté comme il travaillait le bois
avant le moulin près de l’échelle du
diable qui accompagne le sentier des
amoureux et soudain là une
demoiselle se pose, regarde, ses
racines se développent très vite, ne
rencontrent aucun obstacle jusqu’à
l’océan où ses doigts deviennent
poisson une raie gluante, pierre dans
la vallée des saints puisque cela te
fait plaisir, un bijou qui parle aux
vieux amants sans aucun effort miel
d’aubépine couleur du sable et la
fraîcheur point sur la langue, toute
une langue qui se cherche et se
dissimule à elle-même dont la vérité
approche sans parvenir bulle si trop
calme l’if à sauver pour une variété
d’oiseau qui grassule, ne faut-il pas
s’arrêter ? allez jusqu’au dégout se
déverser - y trouver la vie. Quand
l’été jette son barda sur l’épaule,
s’éloigne, l’explosion de lumière fane
et le pas ralentit, l’invisible cherche
et se rassemble, glisse vers la saison
mentale - à gauche, le heurt d’un
marteau sur le bois, dessous, un
homme à moustache égrène des
notes au piano, à droite pneus,
klaxon, moteur, au-dessus les voix
qui s’interpellent de bonne humeur
et le carillon : marteau / piano / auto
/ voix / cloches, le quintet du lundi
matin avec ses variations à l’infini,
musique plus ou moins agréable
comme sait l’être la musique
contemporaine arpèges avec moteur
qui broute au démarrage, rupture,
notes aigues en octave à l’unisson,
quarts de ton matés, résonnance
sourde d’autobus – chaque fois que
j’ouvre la fenêtre du salon, c’est pas
possible, il faut qu’un bus tourne
dans la rue, la malédiction du bus !
qu’il passe en lâchant son gros pet
puant et moi qui peste, bah…va-t-il
réussir à offrir, libre, ce que son
cœur lui souffle, oh ! le geste joli de
la main avec stylo, une main où
apparaissent des tavelures, comme
un fossile, les doigts ramassés en
figue autour de la pointe et
l’écœurement au moment de se
laisser aller au moelleux, tempéré
cependant par la conviction de
l’absence de vanité dans cet univers
hors axe - considérons comme un
mauvais moment à passer, un transit,
un transfert dénué d’intérêt propre
cette étape nécessaire de doute, une
vague colère l’accompagne, accords
majeurs et carillon de nouveau, à ce
stade, le sujet prend du recul et
observe, on entend la pédale
d’embrayage du piano que le pied
presse, pompe, presse, pompe,
insuffle du présent au piano qui se
prendrait volontiers pour un
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instrument d’antan, avec son nom
qui s’estompe, Bruckn-r, le son
bastringue doucettement mais nous
avons un remède ! Remède à la
nostalgie que l’accordage de ce
piano, ma parole, ses fêlures
disparaitront dans une heure, hop,
sous un foulard de prestidigitateur tu
verras, oh la belle image où rien t les
oliviers et des papillons comme des
âmes, un paysage à la Botticelli, s’y
équilibrent le doux et le sauvage, un
chevreuil aux yeux profonds aboie,
le piano prélude maintenant, lyrique
et apaisé, merci, c’est un peu de
cristal qui vibre dans la brise. La lune
blanche projette son phare sur la
plaine, un espace de silence, d’alerte
– ô, est-ce à toi de t’en souvenir,
chanteuse d’étoiles, exaspérant le
pas qui traîne, là-bas, j’y accroche un
mouchoir, découpé dans de vieux
draps, quelle patience ! langue
tendue, ciseaux à crans pour ne pas
que s’effiloche le désir, gare au
songe, elle se pose sur le parterre de
nuit, enveloppe d’un sac de mots à
jeter à bas pour y fouiller si
quelqu’un en veut rire, plonger à
bluter des paroles très au-delà de
l’ahurissement, des mots comme un
fleuve – qu’espères-tu, singe, sous la
calotte de ton crâne animal, à qui
donnes-tu réponse, qui t’invoque ?
J’invoque Ariane, le vertige de
cheminer.

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Neptune, avec son trident, entouré des tritons
Évrard de Conty, Le Livre des échecs amoureux moralisés. Enluminures de Robinet
Testard, vers 1496-1498. Manuscrit sur parchemin (51 x34 cm)
BNF, Manuscrits, français 143

Sirène en bronze, art étrusque, VIème siècle avant J.C.

Musée Antiquarium de Corciano

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