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Figures Libres

F i g ures L i bres
ÊTRE PRÊTRE
AUJOURD’HUI

A la fin de cette année sacerdotale (juin 2009-juin 2010) nous vous pro-
posons des « Figures libres » sur le prêtre pour mieux percevoir sa mission
et son expérience. Aller à la rencontre des hommes d’aujourd’hui sous des
formes très différentes, mais toujours par et à travers l’Eucharistie, voilà le
quotidien du prêtre dans sa diversité, en paroisse, dans un centre de for-
mation ou au travail dans un milieu professionnel. Loin d’avoir une figure
de one man show, il est humain parmi les humains, capable de collaborer
avec des laïcs, des parents. Il partage la condition des hommes de ce temps
et ne vit pas à part. Il est surtout un serviteur de la Parole de Dieu qu’il doit
connaître pour la faire partager. Il est aussi un serviteur de la commu-
nauté, de son unité et de sa vie sacramentelle.
Tous ces visages se retrouvent dans un contexte d’une présence de
plus en plus rare au monde, car les prêtres sont moins nombreux, mais
aussi dans les circonstances où les accusations de pédophilie sur certains
d’entre eux font peser un poids de soupçon et de fragilité sur leur vie.
Ces regards sur le prêtre partent de l’expérience riche et heureuse de
deux d’entre eux, avec leur diversité et leur force. Une théologienne laïque
exprime ce qu’elle attend d’un prêtre aujourd’hui. Enfin, un regard socio-
logique nous propose des interprétations de l’année sacerdotale.

P IERRE DE CHARENTENAY

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Le caillou blanc

H ERVÉ PARADIS-MURAT*

A u début du livre de l’Apocalypse, il est promis à l’Eglise de Pergame


que chacun recevra un caillou blanc sur lequel est écrit un « nom nouveau
que personne ne connaît, en dehors de celui qui le reçoit » (2,17). Comme
prêtre, il me semble que j’ai à regarder les autres baptisés comme les déten-
teurs de ce caillou blanc, de ce nom nouveau. Un nom que moi-même je ne
sais pas, mais que curieusement je peux aider à déchiffrer. Frère Roger, de
Taizé, avait coutume de dire qu’éduquer un jeune, c’est l’aider à découvrir
la petite part de « don pastoral » qui est en lui. Voilà ce qui à mes yeux défi-
nit le cœur de ma mission de prêtre. Il est au service des baptisés pour les
aider à découvrir cette part de « don pastoral » qui est en chacun, à déceler
l’appel unique, irréductible à aucun autre, que Dieu leur adresse. Chacun a
une manière propre de se relier à Dieu et aussi de relier d’autres à Dieu. Je
ne conçois pas mon ministère pastoral autrement qu’au service de cette
découverte de ce don pastoral singulier qui échoit à chaque baptisé. Il s’agit
bien d’aider chacun à devenir ce qu’il doit être.
On  retrouve  là  une  orientation  fondamentale  du  Concile  Vatican  II,  
au   sujet   des   prêtres.   On   lit   en   effet   dans   Presbyterorum   ordinis  :   «  Les  
prêtres  ont  à  veiller,  par  eux-­mêmes  ou  par  d’autres,  à  ce  que  chaque  chré-­
tien  parvienne,  dans  le  Saint-­Esprit,  à  l’épanouissement  de  sa  vocation  per-­
sonnelle  selon  l’Evangile,  à  une  charité  sincère  et  active  et  à  la  liberté  par  
laquelle  le  Christ  nous  a  libérés.  Des  cérémonies,  même  très  belles,  des  
JURXSHPHQWVPrPHÀRULVVDQWVQ¶DXURQWJXqUHG¶XWLOLWpV¶LOVQHVHUYHQWSDV
à  éduquer  les  hommes  à  leur  faire  atteindre  leur  maturité  chrétienne.  Pour  
arriver  à  cette  maturité,  les  prêtres  sauront  les  aider  à  devenir  capables  de  
lire  dans  les  événements,  petits  ou  grands,  ce  que  réclame  une  situation,  ce  
que  Dieu  attend  d’eux.  »  (n°  6)
Non  pas  que  le  prêtre  disposerait  d’un  «  savoir  »  particulier  qui  l’au-­
toriserait  à  délivrer  je  ne  sais  quel  oracle.  Le  nom  nouveau  sur  le  caillou  
blanc,  personne  ne  le  connaît  en  dehors  de  celui  qui  le  reçoit…  Cependant,  
familier  de  l’Ecriture,  à  l’écoute  bienveillante  des  hommes  et  du  monde,  le  
prêtre  peut  partager  quelque  chose  de  ce  qu’il  a  expérimenté  de  la  «  gram-­
maire  »  de  Dieu,  de  la  façon  si  particulière  que  Dieu  a  de  parler  au  cœur  de  
l’homme.
*  Prêtre  diocésain.

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Ce  service,  il  s’agit  de  le  vivre  humblement,  avec  un  profond  respect  

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de  la  liberté  des  personnes.  Le  prêtre  est  au  service  de  la  relation  singulière  
d’une  personne  avec  le  Christ  ;;  et  il  importe  de  ne  pas  sortir  de  ce  service  
HQ FKHUFKDQW j V¶LPPLVFHU GDQV FHWWH UHODWLRQ 8QH EHOOH ¿JXUH GH FHWWH
délicatesse,  de  ce  qui  constitue,  pourrait-­on  dire,  «  une  éthique  presbyté-­
rale  »,  je  la  trouve  chez  Jean-­Baptiste,  qui  tout  en  invitant  à  suivre  le  Christ,  
se  tient  à  distance  de  la  relation  intime  qui  se  noue  entre  Jésus  et  ses  propres  
disciples  :  «  Celui  qui  a  l’épouse  est  l’époux  ;;  quant  à  l’ami  de  l’époux,  il  se  
tient  là,  il  l’écoute  et  la  voix  de  l’époux  le  comble  de  joie.  Telle  est  ma  joie,  
elle  est  parfaite.  Il  faut  qu’il  grandisse  et  que  moi,  je  diminue.  »  (Jn  3,29)
A  ces  conditions,  le  prêtre  peut  aider  à  déchiffrer  ce  nom  nouveau,  
en   aidant   à   discerner   ce   don   pastoral.   Si,   comme   le   rappelle   Lumen  
Gentium  (n°  10),  le  sacerdoce  ministériel  est  au  service  du  sacerdoce  com-­
mun  des  baptisés,  c’est  bien  ici,  dans  ce  travail  d’enfantement  à  la  pleine  et  
entière  vocation  baptismale,  que  ce  service  est  aujourd’hui  indispensable.  
En   effet,   si   l’évangélisation   a   été   longtemps   portée   par   l’institution,   elle  
doit   se   vivre   aujourd’hui,   comme   aux   premiers   temps   de   l’Eglise,   par  
capillarité,  à  travers  les  baptisés  eux-­mêmes.
Dans  ma  mission,  que  ce  soit  en  paroisse  ou  au  Centre  Porte  Haute1,  
je  m’efforce  de  donner  quelques  outils  pour  permettre  à  chacun,  person-­
nellement  mais  aussi  collectivement,  de  déchiffrer  ce  nom  nouveau,  à  tra-­
vers  des  groupes  bibliques,  des  écoles  de  la  Parole,  des  parcours  d’initiation  
à  la  spiritualité  ignatienne,  des  retraites  dans  la  vie  ou  des  accompagne-­
ments  personnels.
Il  se  trouve  que  je  suis  aussi  en  charge  de  l’organisation  de  cycles  de  
conférences  sur  des  questions  de  société.  En  cela,  je  ne  crois  pas  être  le  
moins  du  monde  à  côté  de  ma  mission  de  prêtre.  Il  s’agit  toujours  d’aider  à  
déceler  dans  les  débats  et  les  questionnements  qui  agitent  nos  sociétés,  des  
invitations   à   répondre   personnellement   et   collectivement   à   sa   vocation  
propre.   Des   chrétiens   peuvent   y   reconnaître   des   appels   venant   de   Dieu.  
Les  non-­croyants  qui  y  participent  n’iront  peut-­être  pas  jusque-­là,  mais  ils  
pourront  dans  le  débat  discerner  un  appel  à  eux  adressé.  Ils  rendent  aussi  
un  grand  service  aux  chrétiens  en  les  aidant  à  découvrir  des  dimensions  
insoupçonnées  de  leur  propre  vocation  dans  le  monde.  J’aime  à  lire  et  à  
relire  l’épisode  de  la  Cananéenne  (Mt  15,  21-­28).  On  y  découvre  comment  
Jésus  reçoit  par  la  grâce  d’une  rencontre  avec  une  non-­juive,  la  révélation  
de  l’universalité  de  sa  mission.

1. Centre culturel et spirituel fondé par les jésuites en 1984 à Mulhouse.

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Le Christ nous rend frères
et libres de nous asseoir
à la table de quiconque

A RNAUD FAVART*

V oilà dix-huit mois que nous travaillons sur le canal de Provence. Assis
aux manettes de la pelleteuse je creuse la tranchée tandis qu’une noria de
camions évacue la terre. Dans le bruit assourdissant des moteurs, les
conversations se font rares, chaque mot pèse son poids. Nous nous recon-
naissons davantage par notre allure, nos gestes, nos regards, que par les
paroles. Karim et Youssef viennent de découvrir que je suis prêtre. L’un est
chauffeur, l’autre poseur de canalisations. A la pause, ils me font part de
leur étonnement : « Tu es prêtre et tu nous parles quand même ! » Je tra-
vaille au milieu d’eux, et voilà qu’ils me désignent comme l’homme de la
parole, celle qui ne fait pas de différence entre les hommes. Le sacré sépare,
l’humilité rapproche. Comme Jésus sur les routes de Galilée, le premier
défi du prêtre est d’aller au contact, à la rencontre, et de se laisser aborder
par ceux qui portent dans leur besace, ou leur cœur, parfois de biens lourds
secrets d’existence. Le Christ nous rend frères et libres de nous asseoir à la
table de quiconque, de partager le même pain que lui, et d’agir avec une
solidarité complice. On n’est plus tout à fait dans le champ de la croyance,
mais dans celui de l’expérience et de la rencontre. Quelques jours plus tard
un maçon, aux manières rudes et franches, me posera une question que je
retrouverai souvent en d’autres circonstances : « Es-tu venu pour nous, ou
pour ton business ? » Désarmante vérité. Je la commente le soir sur mon
carnet, plus précieusement qu’aucun cours de théologie. Bienheureux
apéro de chantier qui me dépouilla de toute stratégie, et m’enracina dans le
mémorial eucharistique.
Bienheureux maçon qui me rappela l’envoi presbytéral « pour vous
et pour la multitude ».
En Limousin depuis 7 ans, dans une vaste paroisse creusoise aux 54
clochers, je réentends la même question chez ceux qui sont venus me cher-
cher pour le transport scolaire, ou pour les entraînements à l’école de foot-
ball. Ceux-là ne fréquentent pas l’Eglise, mais ils savent d’une manière
étonnante que Jésus est venu pour la multitude. « Même si on ne va pas à
l’Eglise, on sait qu’on a le même combat », me confient les copains éduca-
teurs. Conducteur de car ou éducateur, mon rôle de pasteur est bien de
*  Prêtre  de  la  Mission  de  France.

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conduire quelque part. Au stade et sur les routes, au caté, avec les scouts, je

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participe à ce signe d’une Eglise qui se met au service d’un vivre ensemble,
d’un lien social rendu si complexe par le développement des libertés. La
brebis perdue, recherchée par le bon berger, est devenue la brebis univer-
selle. L’universel n’est plus affaire de condition commune, de majorité,
mais de figure blessée. Les figures du pauvre, de l’étranger et du païen sont
désormais les figures universelles. En elles, chacun reconnaît la part d’ex-
clusion qu’il subit, et la part d’avenir et de reconnaissance qu’il réclame
auprès d’un berger lui-même exposé aux blessures.
Dans cette formidable dispersion du territoire, comment rester
ministre du pain partagé et non celui des miettes ? Seul un véritable
ancrage eucharistique me donne sens et fidélité.
Il n’est pas rare de lire dans de pieux commentaires que Dieu ne
serait que don. Que serait une relation où l’un ne ferait que donner et com-
bler ? Que seraient des parents, un Etat-providence, ou une institution, qui
ne feraient que céder ? Une dérive bien actuelle ! L’amour n’est pas que don
et providence. L’amour saisit, s’empare, arrache, l’amour met à nu. La dis-
parition des fils et des filles de Job n’est pas loin de l’expérience ecclésiale :
« Un vent violent a soufflé du désert. Il a heurté les quatre coins de la mai-
son, elle est tombée sur les jeunes gens, qui ont péri. Dieu a donné, Dieu a
repris. » Je ne lis ni fatalité ni impuissance, mais la rencontre décapante
d’un Dieu qui prend. Au cœur du dénuement, Job résiste à la tentation
d’accuser un Dieu qui l’a dépouillé. C’est d’ailleurs un motif d’incroyance
entendu fréquemment : « Je ne peux croire en un Dieu qui m’a pris ma
grand-mère, une fille, ou mon frère. »
Faire eucharistie, ce n’est pas seulement recevoir un don, c’est aussi
accepter de se laisser saisir par le Christ, par amour. Lorsque Jésus saisit le
pain entre ses mains, il ne redonne pas exactement ce qu’il a pris. Lorsque
Jésus bénit, on est tenté de comprendre qu’il réalise l’unité, qu’il accomplit la
communion. Or il rompt, il fractionne, il multiplie les morceaux. Comment
interpréter l’effet de sens produit par cette association paradoxale « bénir-
rompre » ? On me demande souvent de bénir. Le discernement est néces-
saire. Lorsque Jésus bénit les pains au désert, il ne gère pas la pénurie, il
prodigue l’abondance. Bénir, c’est reconnaître une profusion salutaire de vie,
confesser une biodiversité à l’œuvre dans la création. On est loin d’une image
réductrice, pieuse, consensuelle. En déléguant, en confiant des responsabili-
tés multiples, j’espère œuvrer à une pastorale de bénédiction qui déporte la
pénurie, et anticipe l’incroyable fécondité de l’évangile.
Dans ce pays creusois trop souvent oublié des centres de décisions,
j’entends l’appel à célébrer la culture de la vie : prendre soin de la biodiver-
sité, veiller aux insectes pollinisateurs, donner de l’avenir à nos villages
ruraux, rapprocher laitiers, éleveurs, maraîchers et consommateurs, pour
ne pas manger n’importe quoi, à n’importe quel prix. L’agriculture est au

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plus près du vivant, qu’il soit végétal, animal ou humain. Comment
l’Eglise, qui témoigne du Vivant ressuscité, accompagne-t-elle à la manière
d’Emmaüs, ce rapport devenu si fragile, si mercantile au monde du vivant ?
Et si aveugle à la question de la mort ?

« Quel est donc l’intendant


fidèle et sensé… »

CHRISTELLE JAVARY

C’ est l’année du prêtre. Curieuse formule ! N’en reste-t-il donc plus


qu’un dans toute l’Eglise, pour en parler ainsi au singulier ? Pas encore,
mais la manière dont est présenté le ministère sacerdotal, à cette occasion,
contribue plus d’une fois à en faire une figure singulière, mise à part et
mise en exergue, voire « statufiée ». Sous prétexte de valoriser la spécificité
du rôle du prêtre, le voilà parfois condamné à jouer un rôle, le rôle unique
d’un one man show. La communauté chrétienne est absente, ou n’apparaît
qu’à titre d’objet de la sollicitude de son pasteur, chargé de la conduire, de
l’enseigner et de la sanctifier. Il n’est guère à la mode d’évoquer la collabo-
ration de laïcs au ministère pastoral, le nécessaire et souvent fructueux tra-
vail en équipe. Le prêtre, seul maître à bord – après l’Esprit Saint, peut-on
espérer. Je ne pense pas que les intéressés y gagnent au change, ni que la
richesse extraordinaire de leur ministère soit mieux perçue. L’isolement
est rarement splendide…
Pour ma part, j’attends d’un prêtre qu’il soit d’abord un homme, un
humain pleinement humain. Pas un extra-terrestre, mais au contraire un
terrestre, c’est-à-dire un authentique fils d’Adam, « le glaiseux », et du nou-
vel Adam, le Christ, « reconnu comme un homme à son comportement »
(Ph 2, 7). Concrètement, être structuré sur le plan humain, manifester une
personnalité solide et profonde, avoir développé compétences, aptitudes et
vertus, sans imaginer que la grâce de l’ordination y suppléera comme par
magie. Il me revient à l’esprit cette magnifique notation à propos de Jésus
adolescent : « Il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard
de Dieu et des hommes » (Lc 2, 52). Dispensons nos prêtres de prendre des
centimètres, mais souhaitons-leur, pour leur bien comme pour le nôtre, de
conjuguer maturité humaine et richesse spirituelle. Aujourd’hui, rares
* Théologienne, auteur de La Guérison. Quand le salut prend corps, Le Cerf, 2004.

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sont les séminaristes qui débarquent tout droit du foyer familial, et c’est

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heureux. Avoir étudié, vécu à l’étranger ou exercé un métier : autant d’ex-
périences de vie qui charpentent une histoire et font mûrir la liberté de
s’engager. Quant aux prêtres plus âgés, comme il est beau qu’ils donnent à
voir l’humble plénitude d’un itinéraire tissé de rencontres, de tours et de
détours, la fécondité d’un terreau humain labouré et ensemencé de mille
manières par l’Esprit !
Partager la condition des hommes comme une évidence, sans chichi
ni réticence, c’est aussi s’ouvrir avec générosité à la solidarité et à la fraternité.
Comme l’écrivait le poète latin Térence : « Je suis un homme, et rien de ce
qui est humain m’est étranger. » La devise est bonne à emprunter, même
venant d’un païen… Enfin, pourquoi ne pas prendre soin de son humanité
comme d’un don, précieux et fragile, du Créateur ? J’aime qu’un prêtre veille
à son équilibre de vie, pratique un sport, s’accorde du repos, parte en vacances
et se plonge avec délice dans sa BD préférée au lieu d’ouvrir le dernier numéro
du bulletin diocésain ! Bien loin d’être scandalisée, je suis rassurée qu’il fasse
preuve d’humour, sache dire non aux sollicitations excessives, garde et déve-
loppe des liens familiaux et amicaux. L’oblativité perpétuelle me met mal à
l’aise, et l’idéal du prêtre débordé comme un banal cadre supérieur me
consterne. Serons-nous donc jugés sur nos agendas ?
J’attends d’un prêtre qu’il soit un serviteur… Serviteur de la Parole,
qui brûle de se prodiguer à tous les cœurs affamés. Serviteur de l’Eglise,
que la Parole constitue, convoque et convertit. Serviteur de l’assemblée
chrétienne, afin que la Parole se fasse pain pour la route. Serviteur enfin
d’un monde saturé de paroles vides et vaines, mais sensible à des paroles
vraies. Serviteur au nom de l’unique Serviteur, souffrant et glorifié ; très
humble voix du Verbe.
Un dernier point relève de l’évidence : il faut qu’un prêtre soit saint.
Il faut même qu’il le soit doublement, d’abord pour lui, ensuite pour les
autres. Puisqu’il a reçu, au moment de son ordination, une couche supplé-
mentaire de grâce par rapport aux baptisés de base, la différence doit sauter
aux yeux. Dans les organisations efficaces, les missions importantes sont
réservées aux spécialistes : les prêtres ont déjà la vocation, il est donc
rationnel de leur déléguer la vocation chrétienne à la sainteté. D’ailleurs,
on nous a appris à prier ainsi : « Seigneur, donnez-nous des prêtres,
Seigneur, donnez-nous de saints prêtres ! » Or avez-vous jamais entendu la
réciproque : « Seigneur, donnez-nous des fidèles, Seigneur, donnez-nous de
saints fidèles » ? Bref, un prêtre qui manque à la sainteté se rend coupable
d’une faute professionnelle.
Les théologiens, paraît-il, disent autre chose (ils disent beaucoup de
choses, c’est leur métier). Que la sainteté n’est pas réservée à une élite. Les
saints, paraît-il, proclament qu’il y a de la joie à se laisser sanctifier. Que
cette joie est contagieuse, irrésistible. L’Esprit Saint, paraît-il, travaille en

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silence dans le cœur des croyants, de chaque croyant… Hé là, doucement,
revenons au sujet, je parlais de la sainteté, celle des prêtres ! Sinon, je ris-
querais de finir par me sentir concernée…

Regard sociologique sur


« l’année sacerdotale »

CÉLINE BERAUD*

« L’ année sacerdotale » rejoint un ensemble d’initiatives émanant


de différents niveaux de l’autorité catholique, qui s’attachent à contrecarrer
la crise de la prêtrise. A cette occasion se trouve développée une concep-
tion bien particulière du prêtre, de son rôle dans l’Eglise et dans la société,
ainsi que de son état de vie.
On peut tout d’abord y voir une opération de communication (les
diocèses et les paroisses ont été appelés à en être les relais locaux). Il s’agit
de dire au monde ce qu’est le prêtre. Son rôle peut désormais apparaître
superfétatoire dans des sociétés très largement sécularisées (c’est à elles
que semble s’adresser tout particulièrement l’année sacerdotale), où la part
des personnes se déclarant catholiques n’a cessé de décroître, où les biens
de salut que lui seul est habilité à délivrer ne sont plus demandés que par
une petite minorité. Par ailleurs, son mode de vie atypique le situe en
marge des principales instances de socialisation et d’intégration que sont
le couple et le travail, suscite l’incompréhension, parfois la curiosité. Bien
davantage qu’à l’hostilité, c’est à la méconnaissance, voire à l’indifférence,
que les prêtres sont confrontés. Les entretiens que j’ai menés auprès de
membres du clergé français donnaient à entendre l’impression qu’ils font
désormais partie des « derniers des mohicans » (expression très fréquem-
ment employée), non pas seulement en raison de leur appartenance à un
corps vieillissant et quantitativement déclinant, mais aussi du fait du pro-
cessus d’«  exculturation » du catholicisme (selon l’expression forgée par
Danièle Hervieu-Léger), qui rend leur mode de vie « illisible » aux yeux de
nombre de nos contemporains.
Il s’agit aussi et surtout de dire la grandeur du prêtre et de sa mis-
sion, au moment même où plusieurs affaires de pédophilie, dans différents

* Sociologue, auteur de Prêtres, diacres, laïcs. Révolution silencieuse dans le catholicisme français, PUF, 2007.

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pays, mettent radicalement en cause son exemplarité (modalité sur laquelle

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repose d’autant plus son engagement que son charisme de fonction se
trouve affaibli). L’effet médiatique est désastreux : on peut se demander si le
grand public n’entend pas parler du clergé catholique qu’à propos d’affaires
de mœurs dont les journalistes font leur miel. L’extrême singularité de la
prêtrise ainsi que l’insistance sur la performance que constitue un tel
mode de vie dans les sociétés modernes, nourrissent le soupçon. En cla-
mant sans cesse sa spécificité irréductible à toute institution profane,
l’Eglise catholique se prête tout particulièrement à la critique lorsque l’in-
conduite de ses clercs (même si elle ne concerne qu’une toute petite mino-
rité) est exposée au grand jour.
Plus largement, l’année sacerdotale vise à rassurer les prêtres, réaf-
firmer leur centralité et leurs prérogatives sacramentelles. Jean-Marie
Vianney devient le patron de tous les prêtres et non plus seulement de ceux
qui sont curés. Se trouve ainsi développée une certaine conception de la
prêtrise, très centrée sur l’autel (et le confessionnal), c’est-à-dire sur la
paroisse et le culte, dans laquelle tous les clercs ne se reconnaîtront pas. La
proximité revendiquée entre l’engagement du prêtre séculier et celui du
religieux qui fait vœu de pauvreté, chasteté et obéissance, peut également
paraître problématique à certains. Les dimensions sacrificielles de la voca-
tion sacerdotale se trouvent ici nettement réactivées. Une telle proximité,
voire une telle confusion, témoigne de l’incapacité catholique à concevoir
une spiritualité propre aux prêtres séculiers, que l’historienne Martine
Sévegrand évoque à propos du malaise à l’origine des nombreux départs de
prêtres au cours des années 1960-1970. L’attachement romain au modèle
sacerdotal apparaît clairement. Ce modèle pourtant contingent, car fruit
d’une longue construction historique et sociale, est présenté comme un
idéal absolu, ce que n’ont cessé de proclamer de nombreux documents
émanant de la Congrégation pour le clergé parus depuis la fin des années
1990. Certains théologiens y ont vu une rupture par rapport à Vatican II.
Enfin, même si les prêtres se trouvent appelés à encourager et soute-
nir les laïcs (avec des références explicites à Vatican II), ce type de discours
présente le risque de contribuer à effacer le rôle des laïcs (et celui des diacres
permanents), non seulement dans le monde, mais également aujourd’hui
au cœur même du « travail religieux ». Or, en l’absence de prêtre, ces per-
manents d’un genre nouveau occupent désormais, dans un pays comme la
France, une place discrète mais indispensable au fonctionnement de l’ins-
titution ecclésiale.

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