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F i g ures L i bres
ÊTRE PRÊTRE
AUJOURD’HUI
A la fin de cette année sacerdotale (juin 2009-juin 2010) nous vous pro-
posons des « Figures libres » sur le prêtre pour mieux percevoir sa mission
et son expérience. Aller à la rencontre des hommes d’aujourd’hui sous des
formes très différentes, mais toujours par et à travers l’Eucharistie, voilà le
quotidien du prêtre dans sa diversité, en paroisse, dans un centre de for-
mation ou au travail dans un milieu professionnel. Loin d’avoir une figure
de one man show, il est humain parmi les humains, capable de collaborer
avec des laïcs, des parents. Il partage la condition des hommes de ce temps
et ne vit pas à part. Il est surtout un serviteur de la Parole de Dieu qu’il doit
connaître pour la faire partager. Il est aussi un serviteur de la commu-
nauté, de son unité et de sa vie sacramentelle.
Tous ces visages se retrouvent dans un contexte d’une présence de
plus en plus rare au monde, car les prêtres sont moins nombreux, mais
aussi dans les circonstances où les accusations de pédophilie sur certains
d’entre eux font peser un poids de soupçon et de fragilité sur leur vie.
Ces regards sur le prêtre partent de l’expérience riche et heureuse de
deux d’entre eux, avec leur diversité et leur force. Une théologienne laïque
exprime ce qu’elle attend d’un prêtre aujourd’hui. Enfin, un regard socio-
logique nous propose des interprétations de l’année sacerdotale.
P IERRE DE CHARENTENAY
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H ERVÉ PARADIS-MURAT*
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de la liberté des personnes. Le prêtre est au service de la relation singulière
d’une personne avec le Christ ;; et il importe de ne pas sortir de ce service
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délicatesse, de ce qui constitue, pourrait-on dire, « une éthique presbyté-
rale », je la trouve chez Jean-Baptiste, qui tout en invitant à suivre le Christ,
se tient à distance de la relation intime qui se noue entre Jésus et ses propres
disciples : « Celui qui a l’épouse est l’époux ;; quant à l’ami de l’époux, il se
tient là, il l’écoute et la voix de l’époux le comble de joie. Telle est ma joie,
elle est parfaite. Il faut qu’il grandisse et que moi, je diminue. » (Jn 3,29)
A ces conditions, le prêtre peut aider à déchiffrer ce nom nouveau,
en aidant à discerner ce don pastoral. Si, comme le rappelle Lumen
Gentium (n° 10), le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce com-
mun des baptisés, c’est bien ici, dans ce travail d’enfantement à la pleine et
entière vocation baptismale, que ce service est aujourd’hui indispensable.
En effet, si l’évangélisation a été longtemps portée par l’institution, elle
doit se vivre aujourd’hui, comme aux premiers temps de l’Eglise, par
capillarité, à travers les baptisés eux-mêmes.
Dans ma mission, que ce soit en paroisse ou au Centre Porte Haute1,
je m’efforce de donner quelques outils pour permettre à chacun, person-
nellement mais aussi collectivement, de déchiffrer ce nom nouveau, à tra-
vers des groupes bibliques, des écoles de la Parole, des parcours d’initiation
à la spiritualité ignatienne, des retraites dans la vie ou des accompagne-
ments personnels.
Il se trouve que je suis aussi en charge de l’organisation de cycles de
conférences sur des questions de société. En cela, je ne crois pas être le
moins du monde à côté de ma mission de prêtre. Il s’agit toujours d’aider à
déceler dans les débats et les questionnements qui agitent nos sociétés, des
invitations à répondre personnellement et collectivement à sa vocation
propre. Des chrétiens peuvent y reconnaître des appels venant de Dieu.
Les non-croyants qui y participent n’iront peut-être pas jusque-là, mais ils
pourront dans le débat discerner un appel à eux adressé. Ils rendent aussi
un grand service aux chrétiens en les aidant à découvrir des dimensions
insoupçonnées de leur propre vocation dans le monde. J’aime à lire et à
relire l’épisode de la Cananéenne (Mt 15, 21-28). On y découvre comment
Jésus reçoit par la grâce d’une rencontre avec une non-juive, la révélation
de l’universalité de sa mission.
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A RNAUD FAVART*
V oilà dix-huit mois que nous travaillons sur le canal de Provence. Assis
aux manettes de la pelleteuse je creuse la tranchée tandis qu’une noria de
camions évacue la terre. Dans le bruit assourdissant des moteurs, les
conversations se font rares, chaque mot pèse son poids. Nous nous recon-
naissons davantage par notre allure, nos gestes, nos regards, que par les
paroles. Karim et Youssef viennent de découvrir que je suis prêtre. L’un est
chauffeur, l’autre poseur de canalisations. A la pause, ils me font part de
leur étonnement : « Tu es prêtre et tu nous parles quand même ! » Je tra-
vaille au milieu d’eux, et voilà qu’ils me désignent comme l’homme de la
parole, celle qui ne fait pas de différence entre les hommes. Le sacré sépare,
l’humilité rapproche. Comme Jésus sur les routes de Galilée, le premier
défi du prêtre est d’aller au contact, à la rencontre, et de se laisser aborder
par ceux qui portent dans leur besace, ou leur cœur, parfois de biens lourds
secrets d’existence. Le Christ nous rend frères et libres de nous asseoir à la
table de quiconque, de partager le même pain que lui, et d’agir avec une
solidarité complice. On n’est plus tout à fait dans le champ de la croyance,
mais dans celui de l’expérience et de la rencontre. Quelques jours plus tard
un maçon, aux manières rudes et franches, me posera une question que je
retrouverai souvent en d’autres circonstances : « Es-tu venu pour nous, ou
pour ton business ? » Désarmante vérité. Je la commente le soir sur mon
carnet, plus précieusement qu’aucun cours de théologie. Bienheureux
apéro de chantier qui me dépouilla de toute stratégie, et m’enracina dans le
mémorial eucharistique.
Bienheureux maçon qui me rappela l’envoi presbytéral « pour vous
et pour la multitude ».
En Limousin depuis 7 ans, dans une vaste paroisse creusoise aux 54
clochers, je réentends la même question chez ceux qui sont venus me cher-
cher pour le transport scolaire, ou pour les entraînements à l’école de foot-
ball. Ceux-là ne fréquentent pas l’Eglise, mais ils savent d’une manière
étonnante que Jésus est venu pour la multitude. « Même si on ne va pas à
l’Eglise, on sait qu’on a le même combat », me confient les copains éduca-
teurs. Conducteur de car ou éducateur, mon rôle de pasteur est bien de
* Prêtre de la Mission de France.
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participe à ce signe d’une Eglise qui se met au service d’un vivre ensemble,
d’un lien social rendu si complexe par le développement des libertés. La
brebis perdue, recherchée par le bon berger, est devenue la brebis univer-
selle. L’universel n’est plus affaire de condition commune, de majorité,
mais de figure blessée. Les figures du pauvre, de l’étranger et du païen sont
désormais les figures universelles. En elles, chacun reconnaît la part d’ex-
clusion qu’il subit, et la part d’avenir et de reconnaissance qu’il réclame
auprès d’un berger lui-même exposé aux blessures.
Dans cette formidable dispersion du territoire, comment rester
ministre du pain partagé et non celui des miettes ? Seul un véritable
ancrage eucharistique me donne sens et fidélité.
Il n’est pas rare de lire dans de pieux commentaires que Dieu ne
serait que don. Que serait une relation où l’un ne ferait que donner et com-
bler ? Que seraient des parents, un Etat-providence, ou une institution, qui
ne feraient que céder ? Une dérive bien actuelle ! L’amour n’est pas que don
et providence. L’amour saisit, s’empare, arrache, l’amour met à nu. La dis-
parition des fils et des filles de Job n’est pas loin de l’expérience ecclésiale :
« Un vent violent a soufflé du désert. Il a heurté les quatre coins de la mai-
son, elle est tombée sur les jeunes gens, qui ont péri. Dieu a donné, Dieu a
repris. » Je ne lis ni fatalité ni impuissance, mais la rencontre décapante
d’un Dieu qui prend. Au cœur du dénuement, Job résiste à la tentation
d’accuser un Dieu qui l’a dépouillé. C’est d’ailleurs un motif d’incroyance
entendu fréquemment : « Je ne peux croire en un Dieu qui m’a pris ma
grand-mère, une fille, ou mon frère. »
Faire eucharistie, ce n’est pas seulement recevoir un don, c’est aussi
accepter de se laisser saisir par le Christ, par amour. Lorsque Jésus saisit le
pain entre ses mains, il ne redonne pas exactement ce qu’il a pris. Lorsque
Jésus bénit, on est tenté de comprendre qu’il réalise l’unité, qu’il accomplit la
communion. Or il rompt, il fractionne, il multiplie les morceaux. Comment
interpréter l’effet de sens produit par cette association paradoxale « bénir-
rompre » ? On me demande souvent de bénir. Le discernement est néces-
saire. Lorsque Jésus bénit les pains au désert, il ne gère pas la pénurie, il
prodigue l’abondance. Bénir, c’est reconnaître une profusion salutaire de vie,
confesser une biodiversité à l’œuvre dans la création. On est loin d’une image
réductrice, pieuse, consensuelle. En déléguant, en confiant des responsabili-
tés multiples, j’espère œuvrer à une pastorale de bénédiction qui déporte la
pénurie, et anticipe l’incroyable fécondité de l’évangile.
Dans ce pays creusois trop souvent oublié des centres de décisions,
j’entends l’appel à célébrer la culture de la vie : prendre soin de la biodiver-
sité, veiller aux insectes pollinisateurs, donner de l’avenir à nos villages
ruraux, rapprocher laitiers, éleveurs, maraîchers et consommateurs, pour
ne pas manger n’importe quoi, à n’importe quel prix. L’agriculture est au
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CHRISTELLE JAVARY
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heureux. Avoir étudié, vécu à l’étranger ou exercé un métier : autant d’ex-
périences de vie qui charpentent une histoire et font mûrir la liberté de
s’engager. Quant aux prêtres plus âgés, comme il est beau qu’ils donnent à
voir l’humble plénitude d’un itinéraire tissé de rencontres, de tours et de
détours, la fécondité d’un terreau humain labouré et ensemencé de mille
manières par l’Esprit !
Partager la condition des hommes comme une évidence, sans chichi
ni réticence, c’est aussi s’ouvrir avec générosité à la solidarité et à la fraternité.
Comme l’écrivait le poète latin Térence : « Je suis un homme, et rien de ce
qui est humain m’est étranger. » La devise est bonne à emprunter, même
venant d’un païen… Enfin, pourquoi ne pas prendre soin de son humanité
comme d’un don, précieux et fragile, du Créateur ? J’aime qu’un prêtre veille
à son équilibre de vie, pratique un sport, s’accorde du repos, parte en vacances
et se plonge avec délice dans sa BD préférée au lieu d’ouvrir le dernier numéro
du bulletin diocésain ! Bien loin d’être scandalisée, je suis rassurée qu’il fasse
preuve d’humour, sache dire non aux sollicitations excessives, garde et déve-
loppe des liens familiaux et amicaux. L’oblativité perpétuelle me met mal à
l’aise, et l’idéal du prêtre débordé comme un banal cadre supérieur me
consterne. Serons-nous donc jugés sur nos agendas ?
J’attends d’un prêtre qu’il soit un serviteur… Serviteur de la Parole,
qui brûle de se prodiguer à tous les cœurs affamés. Serviteur de l’Eglise,
que la Parole constitue, convoque et convertit. Serviteur de l’assemblée
chrétienne, afin que la Parole se fasse pain pour la route. Serviteur enfin
d’un monde saturé de paroles vides et vaines, mais sensible à des paroles
vraies. Serviteur au nom de l’unique Serviteur, souffrant et glorifié ; très
humble voix du Verbe.
Un dernier point relève de l’évidence : il faut qu’un prêtre soit saint.
Il faut même qu’il le soit doublement, d’abord pour lui, ensuite pour les
autres. Puisqu’il a reçu, au moment de son ordination, une couche supplé-
mentaire de grâce par rapport aux baptisés de base, la différence doit sauter
aux yeux. Dans les organisations efficaces, les missions importantes sont
réservées aux spécialistes : les prêtres ont déjà la vocation, il est donc
rationnel de leur déléguer la vocation chrétienne à la sainteté. D’ailleurs,
on nous a appris à prier ainsi : « Seigneur, donnez-nous des prêtres,
Seigneur, donnez-nous de saints prêtres ! » Or avez-vous jamais entendu la
réciproque : « Seigneur, donnez-nous des fidèles, Seigneur, donnez-nous de
saints fidèles » ? Bref, un prêtre qui manque à la sainteté se rend coupable
d’une faute professionnelle.
Les théologiens, paraît-il, disent autre chose (ils disent beaucoup de
choses, c’est leur métier). Que la sainteté n’est pas réservée à une élite. Les
saints, paraît-il, proclament qu’il y a de la joie à se laisser sanctifier. Que
cette joie est contagieuse, irrésistible. L’Esprit Saint, paraît-il, travaille en
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CÉLINE BERAUD*
* Sociologue, auteur de Prêtres, diacres, laïcs. Révolution silencieuse dans le catholicisme français, PUF, 2007.
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repose d’autant plus son engagement que son charisme de fonction se
trouve affaibli). L’effet médiatique est désastreux : on peut se demander si le
grand public n’entend pas parler du clergé catholique qu’à propos d’affaires
de mœurs dont les journalistes font leur miel. L’extrême singularité de la
prêtrise ainsi que l’insistance sur la performance que constitue un tel
mode de vie dans les sociétés modernes, nourrissent le soupçon. En cla-
mant sans cesse sa spécificité irréductible à toute institution profane,
l’Eglise catholique se prête tout particulièrement à la critique lorsque l’in-
conduite de ses clercs (même si elle ne concerne qu’une toute petite mino-
rité) est exposée au grand jour.
Plus largement, l’année sacerdotale vise à rassurer les prêtres, réaf-
firmer leur centralité et leurs prérogatives sacramentelles. Jean-Marie
Vianney devient le patron de tous les prêtres et non plus seulement de ceux
qui sont curés. Se trouve ainsi développée une certaine conception de la
prêtrise, très centrée sur l’autel (et le confessionnal), c’est-à-dire sur la
paroisse et le culte, dans laquelle tous les clercs ne se reconnaîtront pas. La
proximité revendiquée entre l’engagement du prêtre séculier et celui du
religieux qui fait vœu de pauvreté, chasteté et obéissance, peut également
paraître problématique à certains. Les dimensions sacrificielles de la voca-
tion sacerdotale se trouvent ici nettement réactivées. Une telle proximité,
voire une telle confusion, témoigne de l’incapacité catholique à concevoir
une spiritualité propre aux prêtres séculiers, que l’historienne Martine
Sévegrand évoque à propos du malaise à l’origine des nombreux départs de
prêtres au cours des années 1960-1970. L’attachement romain au modèle
sacerdotal apparaît clairement. Ce modèle pourtant contingent, car fruit
d’une longue construction historique et sociale, est présenté comme un
idéal absolu, ce que n’ont cessé de proclamer de nombreux documents
émanant de la Congrégation pour le clergé parus depuis la fin des années
1990. Certains théologiens y ont vu une rupture par rapport à Vatican II.
Enfin, même si les prêtres se trouvent appelés à encourager et soute-
nir les laïcs (avec des références explicites à Vatican II), ce type de discours
présente le risque de contribuer à effacer le rôle des laïcs (et celui des diacres
permanents), non seulement dans le monde, mais également aujourd’hui
au cœur même du « travail religieux ». Or, en l’absence de prêtre, ces per-
manents d’un genre nouveau occupent désormais, dans un pays comme la
France, une place discrète mais indispensable au fonctionnement de l’ins-
titution ecclésiale.
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