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BAC III LLC 20/06/2021

Examen « Histoire et religion de l'Iran préislamique »

Question : « Quelle est la place de l’Homme dans le cosmos dans les croyances de l’Iran
préislamique »


Histoire et religion de l’Iran préisl. !1 Tsamouras Georgios (S180645)


BAC III LLC 20/06/2021

La plupart des religions et des croyances partent d’un désir d’ordonner le monde, le cosmos.
Ordonner ce cosmos permet également d’y trouver sa place. L’Iran ne fait pas exception et
nombreuses et variées sont les réponses pour replacer l’Homme à sa place ainsi que sa relation au
cosmos.

Penchons-nous pour commencer sur l’Homme lui-même et son essence. Dès l’époque de
l’Avesta ancien1 , l’essence de l’existence humaine était répartie en trois âmes immortelles : « la
daēna/dēn, le frauuasi/frawahr (frawas), le uruuan/ruwān. Cette vision tripartite nous montre la
croyance de l’immortalité de l’âme dans le passé iranien ainsi que la possibilité d’un voyage après
la mort. La daēna est littéralement la « vision religieuse »2 . Kellens3 la définit comme « l’âme
itinérante » assurant la connexion avec les deux autres parties. La fonction qu’a cette partie de
l’âme reflète l’immortalité de cette dernière. En effet, c’est la daēna qui prend en charge l’âme dans
l’au-delà4 . Elle se trouve dans et hors de l’Homme. Enfin, la daēna possède également une certaine
relation avec l’aube5 pour la pureté et la clarté de sa « vision ». Cette relation vient d’une affinité
qu’elle entretient avec Miθra6 . Cependant cette association à l’aube n’apparait que dans l’Avesta
récent (dans l’Avesta ancien on ne parle de la daēna que comme l’une des trois parties de l’âme).
L’autre point commun avec la daēna est qu’elle est également montreuse de chemin (voir la
fonction psychopompe de la daēna).

La deuxième partie de l’âme est le frauuasi. Kellens la désigne comme « l’âme céleste qui
demeure avec les dieux ». Ce concept est comparable à celui des manes à Rome qui désigne les
âmes collectives des ancêtres. Alors que la daēna était représenté sous la forme d’une jeune fille
tout comme l’aurore dans de nombreuses croyances, nous avons avec le collectif des frauuasi une
troupe d’hommes en armes. Il est composé sur une racine verbale qui signifie « choisir, préférer »
que l’on retrouve également en sanskrit védique. Cette étymologie n’est pas anodine. Elle est due à
la préférence que ces âmes du passé ont pour tel ou tel clan sur lequel elles veillent. Ces âmes en
armes assistent également les dieux et de là préfèrent Ahura Mazda et le bien au mal. Soutenant ce
dernier par le sacrifice primordial7, elles lui ont fourni une aide dans la création du monde. Cette
aide qu’ils ont fourni à la divinité créatrice a fait qu’on leur a assimilé deux rôles. Le premier rôle

1Nous pouvons trouver une ou plusieurs occurrences des concepts qui vont être traités aussi bien dans les
Gāθās (parties en vers) que dans la partie en prose, le Yasna Haptanhāiti.
2 D’une racine dī, voir.
3 KELLENS 1990, p. 167.
4 On retrouve cela dans l’Avesta récent. Cette image amènera à sa divinisation sous la forme dēn dans la
littérature Pahlavi.
5 Venant d’une strate indo-iranienne très sûrement, d’où le parallèle fait avec Usas.
6Son culte se retrouve dans plusieurs religions antiques (Rome, Inde…). Le Mithra de l’Avesta n’est pas le
soleil, mais y est fortement associé.
7Expliquant le rôle important que l’Homme joue dans l’ordre du Cosmos par son sacrifice développé plus
bas.
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est celui de participation à la création de l’Univers. Le deuxième rôle découle en quelque sorte du
premier: ils participent aux pluies, à la libération des eaux8 et « elles répartissent les eaux entre les
communautés humaines »9 . Comme le dit Kreyenbroek10 en parlant de l’hymne avestique Yast 13,
« It is said in this hymn that, because of the help of the Frauuasis gave the Creator, the waters now
flow […] to man ».

La dernière partie de l’âme dont on va traiter est le ruwān. Contrairement aux deux parties
de l’âme précédemment détaillées, celle-ci est interne à l’homme. C’est « l'âme intérieure que la
mort libère »11 et dont la connexion à l’âme céleste, la frauuasi , est faite par la daēna
psychopompe. En effet, dans la littérature iranienne plus tardive, la littérature pahlavi, il nous est dit
que cette partie de l’âme surpasse le gyān12 et que donc l’âme « céleste/eschatologique » est
supérieure à sa condition terrestre. L’anthologie de Zādspram fait remarquer que le ruwan supervise
l'entièreté du corps et se trouve être le souverain de ce dernier. Nous ajoutons enfin le fait que le
ruwan et sa faculté à sortir du corps matériel explique les rêves qui cessent au réveil, moment où le
ruwan retourne dans le corps13 .

Après s’être concentrés sur l’Homme, centrons nous maintenant sur le monde qui l’entoure.
Le monde tel qu’il est a été agencé par Ahura Mazda qui domine le panthéon mazdéen. Il est le
maitre du asa. Le asa est en quelque sorte l’équivalent du concept indien de rta, ce qui correspond à
l’ordre cosmique. D’après Darmesteter14, les dieux tentent de conserver l’ordre de la nature en
s’opposant aux forces du désordre. Il est intéressant de relever un autre point traité par Darmesteter
concernant la mythologie iranienne. Il désigne celle-ci comme dualiste. Une lutte perpétuelle
s’engage dans le maintien du cosmos entre les forces du bien et celles du mal15 . Ce dualisme
désigne la véritable spécificité du système mazdéen. En effet, la question du monothéisme ou
polythéisme est compliquée. Il existe bien un panthéon, mais Darmesteter considère l’ensemble des
divinités de ce panthéon comme les simples subordonnées d’Ahura Mazdā. Il est intéressant de
noter qu’à l’inverse de ce qui se passe en Inde, les Asura sont ici les dieux et les deva les démons.
On peut retrouver une description du panthéon iranien dans les Yast qui sont un ensemble

8 Nous avons encore ici une lutte entre le bien (saison des pluies) et le mal (sécheresse) typique de la religion
iranienne.
9 KELLENS 1989, p. 113.
10 KREYENBROEK 1990, p. 177.
11 KELLENS 1990, p. 167.
12C’est une partie de l’âme vitale, en relation directe avec le corps qui n’a rien à voir avec la partie de l’âme
eschatologique qui nous intéresse.
13 GIGNOUX 1996, p. 28.
14 KELLENS 2006, p. 40.
15Voir le combat entre Ahura Mazdā et Angra Manyu (dieu du mal, mais absent de l’avesta récent.
Histoire et religion de l’Iran préisl. !3 Tsamouras Georgios (S180645)
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d’hymnes. Les divinités s’y trouvant sont désignées comme les yazata, celles qui sont dignes de
recevoir un sacrifice.

Le sacrifice iranien est un canal reliant les Hommes aux dieux. Avant d’en venir à l’Homme,
parlons du sacrifice en tant que sacrifice cosmogonique. Le sacrifice iranien est en réalité une
imitation du sacrifice originel qu’a performé Ahura Mazda ainsi qu’une anticipation du sacrifice
final qui rendra au monde son aspect d’origine. Telle est à l’origine la « doctrine mazdéenne du
sacrifice »16. Il est très intéressant d’analyser le sacrifice iranien afin de mieux comprendre la place
de l’homme dans le cosmos. L’homme perpétuant l’acte de la Grande divinité permet de conserver
la mise en ordre du monde effectuée par cette dernière. La question reste maintenant le comment
procéder à la mise en ordre du cosmos comme Ahura Mazda. Cela passe tout simplement par le
sommeil. Le sommeil approche l’homme et s’insuffle en lui en partant par la tête. En revanche, il ne
touche nullement le corps de l’homme, mais passe bien à travers l’âme de celui-ci. À noter
également le sens intéressent que prend le sommeil dans son passage à travers l’homme. En effet,
celui-ci part du haut vers le bas et s’oppose donc au sens de la mort, de la fin. Le bon sommeil (car
il existe également un mauvais sommeil) est bel est bien lié à la cosmogonie du monde par Ahura
Mazda. Les bon sommeil qui est appelé spenta manyu représente la force créatrice du grand dieu
Ahura Mazda. Le mauvais sommeil, lui, répond à la création de Mazda, mais est vite contré. Cette
inspiration de la bonne voie du sacrifice ne se crée pas progressivement, mais est immédiate. La
bonne voie du sacrifice n’est en revanche pas inspirée par une quelconque divinité à la manière des
Muses grecques et de leurs poètes. Elle est ici choisie par le poète. Les hommes doivent choisir et
prendre leur avis (autre traduction de manyu). Ils prendront le bon, le premier, qui ramène à la
cosmogonie de Ahura Mazda et leur permettra d’effectuer correctement le rituel. Avant de continuer
plus loin, signalons certaines dimensions intéressantes du sommeil dans le rapport de l’homme au
monde qui l’entoure. Tout d’abord, on peut remarquer que le sommeil est le marqueur des hommes.
En revanche, le prêtre, qui est la personne qui doit le plus s’approcher du statut divin, veille durant
la nuit afin de réciter les Gathas. Ensuite, le sommeil a aussi une dimension cosmogonique et
eschatologique17. Les héros endormis d’un sommeil positif initial (positif car il s’avèrera utile) se
réveillent à la fin des temps afin d’aider à la résurrection dont on parlera plus bas. Sans eux, elle
serait quasiment impossible.

Une fois la voie du sacrifice à adopter définie, il faut déterminer comment les hommes
peuvent communiquer avec les dieux. L’intermédiaire est le feu sacré. N’importe quel feu ne
convient bien sûr pas, il doit subir une consécration avant cela. Le principal feu sacré est le Atash
Barhām, également appelé le feu victorieux. Même si ce dernier a l’honneur d’avoir un culte qui lui
est voué, il n’en reste pas moins que le feu est plus un outil, réel acteur et « personne »18 religieuse à

16 MOLÉ 1963, p. 125.


17 TIMUS 2015 , p. 205
18STAUSBERG 2008, p. 84.
Histoire et religion de l’Iran préisl. !4 Tsamouras Georgios (S180645)
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part entière. Le feu permet par conséquent autant de capter les messages divins que de retransmettre
sa « foi » et ses désirs. Il est enfin celui qui indique le chemin du paradis à la daena dont nous avons
parlé plus haut. Cette daena joue également un autre rôle dans le sacrifice. Il existait deux types de
sacrifices en Iran ancien. Le sanglant (dans lequel le feu peut recevoir les parts de l’offrande
sacrifiée) et le non-sanglant. Ici c’est le non sanglant qui nous intéresse. Celui consiste
principalement en des libations et paroles rituelles. Le sacrifice non sanglant est essentiellement
spirituel et ne contient presque aucune composante matérielle si ce n’est l’haoma qui permet de
faire le lien entre les mondes divin et humain et d’introduire la daena. La daena représentée par le
lait est mêlée à l’homme (plus précisément son âme masculine, le ruwan) qui est représenté par
l’haoma. Ce sacrifice préfigure en réalité la vie éternelle et la véritable fusion des deux âmes à la fin
de l’existence de l’homme. Comme celui-ci mourra quoiqu’il arrive, il n’est pas nécessaire qu’il se
sacrifie lui-même, le sacrifice métaphorique de l’haoma suffit. Par cet acte, il se sacrifie également
aux divinités à qui il donne force.

La question de l’accès à l’éternité que soulève l’haoma nous permet de poursuivre sur la
question de la vie après la mort et du comment l’homme conçoit sa propre eschatologie. La question
est assez vague. A notre mort, la frauuasi se sépare de notre corps pour continuer sa vie dans l’état
dans laquelle elle était. Il n’y a pas réellement d’enfer ou de paradis pour la frauuasi, simplement
une extension de la vie animée d’une puissance mystique. Quand on arrête de parler de l’âme des
ancêtres et que l’on se concentre sur le mort lui-même, on en vient à parler d’un sort différent pour
les âmes19 . Ce sort différent ne dépend cependant pas de la piété du vivant, mais bien des soins
apportés à son cadavre après la mort. Les iraniens croient également à la résurrection suite à la fin
du monde faite par le feu envoyé par Ahura Mazda (les fidèles participent également à la
réalisation de ce but) pour purifier le monde. Les Gathas parlent d’une simple résurrection de l’âme
alors que l’Avesta récent se situe dans un optique de résurrection corporelle également. Ajoutons
également qu’ « Au renouvellement du monde, on aura besoin du blanc Haoma, qui pour sur l’arbre
Gaokerena pour la résurrection des morts et de l’immortalité du monde »20 tandis que pour le
sacrifice nommé plus haut, on utilise l’haoma jaune. Le dernier point à aborder est le lien qui existe
entre le début et la fin des temps et les entités vivantes. Comme nous le dit Skjærvø, « The Avesta
contains no explicit description of the making of humans »21 . Cependant, nous savons que les
entités vivantes, celles du bien tout comme celles du mal, sont composées d’eau et de feu (et de
nourriture pour ce qui concerne les hommes). Le lien qui existe alors est simple. Le monde des
vivants a pu débuter et connaître une expansion grâce à la libération primordiale des eaux et
connaitra sa fin par le feu d’Ahura Mazda. En somme, chaque homme contient en lui une certaine
parcelle de ce qui fait le cosmos.

19 Ici on parlera des autres parties de l’âme, daena et ruwan.


20 SÖDERBLOM 1901 , p. 332.
21SKJÆRVØ 2011 , p.21.
Histoire et religion de l’Iran préisl. !5 Tsamouras Georgios (S180645)
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Même si ce travail ne reste qu’un survol de ce que nous ont laissé les anciens Iraniens sur le
comment ils conçoivent leur place dans leur cosmos, nous avons pu cependant relever certains
points qui permettent de structurer leur façon de se penser. En commençant par les composantes de
leur âme, nous avons pu par la suite voir leur utilité. Elles sont ce qui permet à l’homme de se situer
hors de sa simple condition de mortel, envisager le début comme la fin tout en communiquant avec
les dieux. Enfin, nous avons pu voir que de par sa composition, l’homme se fond dans le cosmos où
il participe à sa résurrection aidant Ahura Mazda afin que puisse s’opérer la « transfiguration
(“glorification”) of the cosmos »22 .

Bibliographie

Documents consultés
• P. GIGNOUX, « The notion of soul (ruwān) in the Sasanian Mazdaeism », in K. R. CAMA
ORIENTAL INSTITUTE (éd.), Second International Congress Proceedings (5th to 8th January
1995), Bombay, 1996, p. 23-35.
• P. GIGNOUX, Man and Cosmos in Ancient Iran, Rome, 2001.
• J. KELLENS, « Les Fravasi », in J. RIES (éd.), Actes du colloque de Liège et de Louvain-La-Neuve
25-26 novembre 1987, Louvain-La-Neuve, 1989, p. 99-116.
• J. KELLENS, « La fonction aurorale de Mithra et la daēnā », in J. R. HINNELLS (éd.), Studies in
Mithraism, Rome, 1990, p. 165-172.
• J. KELLENS, La quatrième naissance de Zarathustra, Paris, 2006.
• M. MOLÉ, Culte, mythe et cosmologie dans l'Iran ancien : le problème zoroastrien et la tradition
mazdéenne, Paris, 1963.
• J. D. C. PAVRY, The Zoroastrian Doctrine of a Future Life, New York, 1926.
• J. ROSE, Zoroastrianism An Introduction, London-New York, 2011.
• P. O. SKJÆRVØ, The Spirit of Zoroastrianism, New Haven-London, 2011.
• N. SÖDERBLOM, La vie future d’après le Mazdéisme, Paris, 1901.
• M. STAUSBERG, Zarathustra and Zoroastrianism, London, 2008.
• M. TIMUS, Cosmogonie et Eschatologie, Paris, 2015.
• A. TZATOURIAN, Yima structure et de la pensée religieuse en Iran ancien, Paris, 2012.

22STAUSBERG 2008, p. 40.


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