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Sexe des femmes, sexe des sœurs : les organes génitaux féminins à Chuuk
(Micronésie)

Article  in  Journal de la Société des océanistes · January 2000


DOI: 10.3406/jso.2000.2115

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1 author:

Beatriz Moral

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Journal de la Société des
océanistes

Sexe des femmes, sexe des sœurs : les organes génitaux féminins
à Chuuk (Micronésie)
Beatriz Moral-Ledesma

Citer ce document / Cite this document :

Moral-Ledesma Beatriz. Sexe des femmes, sexe des sœurs : les organes génitaux féminins à Chuuk (Micronésie). In: Journal
de la Société des océanistes, 110, 2000-1. pp. 49-63;

doi : https://doi.org/10.3406/jso.2000.2115

https://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_2000_num_110_1_2115

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Abstract
In this paper I will analyze the way the people from Chuuk (Micronesia) conceive of female genitals.
This part of the female body is considered essential for female identity, an identity structured on a
polarity from which no woman can escape: being a «sister» («family woman», «woman out of sex»),
and a «sexual woman» («woman out of family») simultaneously. Modesty rules issuing from the incest
taboo oblige women to hide their genitals, in order to show themselves as asexuated beings. But their
genitals are at the same time highly valued when they are considered as «sexual women» and not as
sisters. The centrality of the sister role (and the expected behavior that issues from the incest taboo) as
well as the identification of female genitals as the main emblem of sex, are the basis of a female
conception that has a paradoxical aspect but is based on a consistent and unitary logic.

Résumé
Dans cet article, on analyse la façon dont les habitants de Chuuk (Micronésie) conçoivent le sexe des
femmes. Les organes génitaux féminins à Chuuk sont au centre des aspects essentiels de l' identité
féminine, une identité qui s'élabore dans une polarité incontournable à toute femme : celle d'être
«sœur» («femme de famille», «femme hors sexe») en même temps que «femme sexuée» («femme
hors famille»). Du tabou de l'inceste se dégagent des normes de comportement qui exigent des
femmes de cacher leur sexe, de se montrer comme si elles étaient dépourvues de sexe. Mais en tant
que «femmes sexuées», ce même sexe est fortement valorisé, revendiqué et même «agrandi».
L'importance du rôle de la sœur (et d'un comportement respectant le tabou de l'inceste) ainsi que
l'identification des organes génitaux féminins comme emblème principal du sexuel sont à la base d'une
conception de la femme d'apparence paradoxale mais qui fait preuve d'une seule et forte logique.
Sexe des femmes, sexe des sœurs :

les organes génitaux féminins à Chuuk

(Micronésie) l

par

Beatriz Moral LEDESMA*

RESUME ABSTRACT
Dans cet article, on analyse lafaçon dont les habitants In this paper I will analyze the way the people from
de Chuuk (Micronésie ) conçoivent le sexe des femmes. Chuuk (Micronesia) conceive of female genitals. This
Les organes génitaux féminins à Chuuk sont au centre part of the female body is considered essentialfor female
des aspects essentiels de l' identité féminine, une identité identity, an identity structured on a polarity from which
qui s'élabore dans une polarité incontournable à toute no woman can escape: being a «sister» («family
femme : celle d'être « sœur » («femme de famille », woman », « woman out of sex »), and a « sexual
«femme hors sexe») en même temps que «femme woman » (« woman out of family ») simultaneously.
sexuée» («femme hors famille»). Du tabou de Modesty rules issuing from the incest taboo oblige
l'inceste se dégagent des normes de comportement qui women to hide their genitals, in order to show themselves
exigent des femmes de cacher leur sexe, de se montrer
comme si elles étaient dépourvues de sexe. Mais en tant as asexuated beings. But their genitals are at the same
que «femmes sexuées», ce même sexe est fortement time highly valued when they are considered as « sexual
valorisé, revendiqué et même « agrandi ». L'importance women » and not as sisters. The centrality of the sister
du rôle de la sœur (et d'un comportement respectant le role (and the expected behavior that issues from the
tabou de l'inceste) ainsi que l'identification des organes incest taboo) as well as the identification of female
génitaux féminins comme emblème principal du sexuel genitals as the main emblem of sex, are the basis of a
sont à la base d'une conception de la femme d'apparence female conception that has a paradoxical aspect but is
paradoxale mais qui fait preuve d'une seule et forte based on a consistent and unitary logic.

Quand on parle de sexualité, il ne semble pas est pourtant une des parties du corps les plus
nécessaire de parler directement et investies par la sexualité. On abandonne souvent
spécifiquement des organes génitaux. Notre propre pudeur les considérations sur les organes génitaux à
nous empêche d'aborder avec plus d'acuité ce qui l'anatomie ou à d'autres disciplines sœurs, créant
1 . Cet article est issu de ma thèse de doctorat « Conceptualisation de la femme, du corps et de la sexualité à Chuuk
(Micronésie) » ; on trouvera ici une nouvelle version d'un article publié précédemment en espagnol (1996a). Je voudrais
remercier ici ceux qui m'ont permis d'effectuer cette recherche : la Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research de
New York, le Seminario de Estudios de la Mujer de l'Université du Pays Basque et l'Instituto Vasco de la Mujer du
gouvernement basque. J'aimerais aussi remercier Fabienne Tzerikiantz et Françoise Douaire-Marsaudon pour leur aide
inestimable dans la correction du français de ce texte.
* Centre de recherche et documentation sur l'Océanie, Université de Provence, Campus de Saint-Charles, 3 place Victor
Hugo, 13003 Marseille.
Journal de la Société des Océanistes, 1 10, année 2000-1.
50 SOCIETE DES OCEANISTES

ainsi un déséquilibre entre l'importance de cette un langage imagé 4 qui rend compte
partie du corps du point de vue de la sexualité et explicitement de leur présence et de leur importance.
la place que l'anthropologie lui prête. Dans le cas Comme nous le verrons plus loin, le sexe
des organes génitaux féminins, ce déséquilibre féminin joue un rôle primordial : il est la condition du
est accentué : ils sont en effet l'objet d'une plaisir sexuel des deux partenaires pendant l'acte
grande indifférence de la part de l'analyse amoureux ; la beauté et l'attirance sexuelle d'une
anthropologique ; ils n'attirent l'attention que femme sont évaluées par rapport aux
dans des cas dramatiques, comme l'infibulation caractéristiques de son sexe ; les organes génitaux
ou la clitoridectomie. Cette indifférence n'est déterminent aussi le sentiment de pudeur et les normes
pas seulement propre à l'anthropologie, on du comportement féminin ; ils constituent
l'observe aussi dans la vie courante : nous l'élément référentiel des normes de comportement
sommes habitués à entendre parler des qualités, de la exigées par le tabou de l'inceste et, enfin, ils
taille, de la largeur ou des aptitudes de l'organe représentent le Sexe 5. Si tous ces aspects sont en
masculin, tandis que le sexe des femmes reste relation les uns avec les autres, il faut aussi dire
habituellement réduit à une mystérieuse cavité que de ces deux derniers (le sexe des femmes en
dépourvue de toutes caractéristiques qui tant que référence principale des normes issues
pourraient suggérer une spécificité, une différence, ou du tabou de l'inceste et le sexe des femmes en tant
une qualité quelconque. De sorte que, comme le qu'emblème du Sexe) révèlent la particularité de
disait Simone de Beauvoir, « ...le sexe féminin est la conception que les Chuuks se font des organes
mystérieux pour la femme elle-même » (1949 : génitaux féminins.
166).
Dans cet article, on analysera comment les
habitants d' une petite région du monde, Sexualité et tabou de l'inceste
Chuuk 2, un des quatre États des États fédéraux Le point de départ de mes recherches était
de Micronésie, conçoivent cette petite partie du d'étudier la conceptualisation de la femme à
corps féminin, le sexe. Chuuk (ainsi que toute la Chuuk au travers de tout ce que l'on peut
Micronésie) est un bon exemple de la richesse qualifier de « sexuel » (Moral, 1996b). Pour cela, j'ai
que l'imaginaire lié aux organes génitaux pris pour objet d'étude des aspects du corps qui
féminins offre à l'analyse ethnologique : ces derniers font irruption dans le sexuel. Cette démarche n'a
jouent un rôle symbolique particulier et sont pas tardé à m'amener au tabou de l'inceste :
souvent objets de discussions, d'élucubrations et celui-ci se révèle comme un élément clef des
de grande curiosité 3. À Chuuk, l'imaginaire conceptualisations de la femme et de la sexualité.
erotique s'est généreusement déployé sur cette Nous allons voir que le corps des femmes, et plus
partie du corps des femmes. Ceci a pour précisément leur sexe, témoigne bien de la lourde
conséquence une réduction de la carte érogène à une et déterminante présence du tabou de l'inceste
seule partie du corps, mais il faut également dans ces deux conceptualisations.
ajouter que les Chuuks n'hésitent pas à
prodiguer des détails et que leurs descriptions sont La parenté et la famille
riches en nuances et en vocabulaire. Tailles,
textures, odeurs et qualités des organes sexuels Pour saisir dans toute son ampleur le rôle du
féminins sont minutieusement décrites à travers tabou de l'inceste et du sexe des femmes, on a
2. L'État de Chuuk se compose d'un lagon et d'une série d'atolls qui l'entoure. Dans le lagon se trouve la plupart de ses îles
et de ses habitants ainsi que la capitale. « Iles extérieures » est l'expression générique utilisée pour désigner les atolls.
3. Voir Kubary (1895) et Ferreira (1987) sur le rôle symbolique des organes génitaux féminins à Palau et la figure Dilngai.
Dilngai était un bas-relief en bois qui représentait une femme aux jambes complètement écartées et qui était installée sur la
partie frontale de la maison du conseil (mbakbai). Krâmer (1937) décrit les tatouages féminins sur le mons veneris à Lamotrek,
Palau et Pohnpei. Petit Skinner (1995) mentionne aussi les soins que les femmes prodiguent à cette partie de leur corps. Gladwin
& Sarason (1953) décrivent des tatouages à l'intérieur des cuisses.
4. Le langage reflète cette préoccupation et l'intérêt que l'on porte aux caractéristiques des organes génitaux et nous offre une
grande richesse terminologique. Certains mots désignent aussi bien des couleurs que des odeurs, comme fachaacha « couleur
rougeâtre d'organes génitaux », ou tûwéfachaacha « avoir les organes génitaux de couleur rougeâtre ». La « mauvaise odeur du
sexe des femmes » se dit pwonneng, tûwémwas signifie « sentir, avoir une odeur génitale » et nneng « sentir mauvais » (toujours
en relation avec les organes génitaux). Les femmes qui ont de grandes petites lèvres sont tûwéffir. Celles qui ont beaucoup de
poils pubiens sont dites tûwékkor, mais celles qui n'en ont pas ou peu sont pwarapwpwech. Le verbe tùwôôtow veut dire « avoir
des organes génitaux qui s'enflent beaucoup quand on les stimule » (pour les femmes). Entre tous les systèmes de numération
chuuk (classificateurs différents pour les objets plats, les objets ronds, les objets longs, les êtres vivants, etc.), on trouve un
système exclusif pour compter les vulves \fitetû ? « combien de vulves ? » ; etû, rûwétû, wùnûtû « une vulve, deux vulves, trois
vulves ».
5. Pour différencier le sexe des femmes et leurs organes génitaux du Sexe en général (de tout ce qui concerne le sexuel), j'ai
choisi de mettre un s minuscule au premier et un S majuscule au deuxième.
SEXE DES FEMMES, SEXE DES SŒURS 51

besoin de comprendre la structure de la parenté elle l'est tout particulièrement dans leur vie
chuuk. affective (Hezel, 1989 ; Moral, 1996b) : rien au
On peut distinguer quatre éléments monde ne peut acquérir l'importance de la
principaux dans la parenté chuuk 6 : 1) les matri- famille. L'amour de la famille fait l'objet d'une
groupes (eterekes), avec une généalogie idéalisation assez poussée, il s'agit d'ailleurs
matrilinéaire, qui sont les unités essentielles d'une idéalisation qui pourrait être comparée,
d'organisation et de fonctionnement ; 2) l'ensemble des sous certains conditions, à notre amour
sœurs et frères qui structure le matri-groupe ; romantique (Moral, 1996b). Cet amour peut être
3) le partage du matériel génétique, des terres, de considéré comme une manifestation, dans la vie
la nourriture, et/ou du travail, et la affective et pratique, du rôle régulateur de la parenté
reconnaissance mutuelle du lien de parenté ; et 4) cette dans cette société, de la force de la famille en tant
parenté est active parce qu'elle doit être que première force de fonctionnement et
entretenue à travers des actions de solidarité et de d'organisation 8. Beaucoup de questions sur les
partage (nurturant behaviours, Marshall, 1977)
autant que par l'absence de rapports sexuels sociétés micronésiennes trouvent leur réponse dans la
(ibid.). parenté, comme c'est le cas pour la plupart de
Le matri-groupe (eterekes) est conçu comme sociétés océaniennes (Gailey, 1987; Moral,
ce qui rend la vie possible aux humains. Il est 1996b, sous presse). C'est pourquoi le corps
l'unité essentielle d'organisation de la société des femmes doit être regardé dans cette
chuuk et pourvoit aux nécessités primaires qui perspective.
rendent possible la survie de ses membres,
comme la nourriture, l'espace et les soins. Il Les sœurs, les frères et l'inceste
est difficile d'imaginer que quelque chose
pourrait exister en dehors de lui, si ce n'est La société chuuk et les sociétés
évidemment la solitude, la faim et la mort 7. Ce groupe micronésiennes ne sont pas très différentes des autres sociétés
fournit aussi un cadre, un modèle du Pacifique en ce qui concerne l'importance du
d'organisation et de fonctionnement dans lequel couple sœur/frère 9 : ce couple constitue, sans
chaque personne a son rôle, sa place dans la doute, la fondation de la famille. L'importance
hiérarchie du groupe et son identité. Les de ce couple se fait sentir non seulement dans la
caractéristiques du groupe (son histoire, ses ancêtres, structure de la famille (dans laquelle il occupe le
ses terres, ses connaissances, etc.) et la position lieu primordial, l'axe), mais aussi dans la
que l'individu occupe dans le groupe (son sexe, dichotomie sexuelle. Les hommes et les femmes à
son âge, sa génération relative, etc.) vont Chuuk sont, avant tout, des frères et des sœurs.
déterminer l'identité de chaque personne, ses droits, Dans le couple sœur/frère, il n'y a pas de symétrie
ses obligations et ses privilèges (ou leur absence). de la relation. Certes, il y a une complémentarité
La communauté est composée plutôt de matri- fonctionnelle, mais c'est la sœur qui joue le rôle
groupes que d'individus, ces groupes étant les référentiel par rapport au frère (Moral, 1996b,
unités irréductibles qui forment l'espace social. sous presse) 10 : une sœur l'est absolument
L'identité et la fonction que l'individu trouve tandis que le frère l'est par rapport à sa sœur. Une
dans la communauté sont déterminées par le femme sera donc plus déterminée par sa position
groupe auquel il appartient, et il ne pourra de sœur qu'un homme ne le sera par sa position
jamais agir totalement à titre d'individu de frère.
indépendant. Le groupe sœurs/frères est l'axe
La famille étendue est d'une importance d'organisation de la famille et la famille est le fondement de
considérable pour la survie de tout Chuuk, mais la vie de tout individu ainsi que la base de l'orga-

6. Pour plus de détails sur la parenté chuuk, voir Goodenough (1978).


7. À ce sujet, voir la section 'To be without kin' dans Lutz (1988 : 128-134).
8. Sur la nature de « l'amour » (ttong) et la famille à Chuuk, voir Marshall (1977) et Moral (1996b). Les études sur le suicide
à Chuuk apportent un nouvel éclairage sur la nature de cet amour, voir Hezel (1984, 1985, 1989 ) et Rubinstein (1984). L'étude
de Lutz (1988) est aussi très intéressante et applicable à Chuuk.
9. Sur Chuuk voir Marshall (1981) et Moral (1996b, 1998a, 1998b et sous presse). Pour d'autres régions de la Micronésie, on
trouvera des donnés intéressantes sur les sœurs dans : Kihleng (1996), Steimle (1989) et Wilson (1995). Sur la Polynésie, on verra
les travaux de Douaire-Marsaudon (1998, 1975), Hecht (1977), Hooper & Huntsman (1975), Shore (1981), Ortner (1981),
Tcherkézoff(1993, 1999), Weiner (1976, 1992) et, sur la 'sœur sacrée', Goldman (1970), Gunson (1987) et Mead (1930). Voir
aussi Marshall (1981). Sur la nature de la relation sœur/frère, voir aussi Héritier (1996).
10. Tcherkézoff(1993, 1999) fait une analyse révélatrice de cet aspect référentiel de la sœur dans la relation sœur/frère à
Samoa.
52 SOCIETE DES OCEANISTES

nisation sociale n. Cette famille existe grâce à mière caractérisation du Sexe. Pour une
l'entretien continu des relations entre ses articulation plus précise, pour une description en détail
membres. Ces relations se définissent par leur de ce qu'est le Sexe et le sexuel, l'intervention de
caractère actif : l'abandon des activités familiales (de la prohibition de l'inceste est nécessaire. La force
partage, de soin mutuel et de solidarité) implique de ce tabou est telle qu'il en vient à délimiter le
l'annulation de la relation (Marshall, 1981). sexuel. Autrement dit, l'interdiction du sexuel
L'abandon des activités de solidarité implique entre parents n'est pas faite sur la base de ce qui
l'annulation du lien tout comme l'inceste (ibid), est défini comme sexuel, c'est plutôt le sexuel qui
qui est aussi conçu comme l'abandon des ces se définit sur la base de ce qui est interdit. Le
activités. On conçoit généralement le tabou de tabou de l'inceste est l'instrument qui met en
l'inceste comme une absence d'activité (sexuelle), œuvre l'intervention de la parenté dans la
mais c'est bien par une activité qu'elle se traduit définition du Sexe. Cette identification entre les
pratiquement, celle de s'éloigner du Sexe : la organes génitaux féminins et le Sexe, ainsi que
relation entre parents se définit par cette façon l'urgent besoin de s'en éloigner, est la base
d'agir. Pour être parent, il ne suffit pas de préliminaire qui permet à l'interdiction de se
partager et de ne pas avoir de relations sexuelles, il faut développer et d'articuler ainsi le sexuel.
agir en s'éloignant du Sexe. Dans ce contexte, le désir masculin joue un
Éviter l'inceste devient une affaire de première certain rôle. Il est conçu comme la première
importance parce que le danger qu'il représente manifestation du danger de l'inceste. Les
est insupportable pour l'ordre établi : il en est la hommes chuuk ont la réputation de ne pas savoir
plus grande menace. Le tabou de l'inceste entre maîtriser leur désir sexuel et d'avoir,
frère et sœur a un tel poids qu'il exerce un effet de contrairement aux femmes, un faible sens des
gravité autour de lui. Cet effet n'a, peut-être, rien responsabilités (Moral, 1996b), ce qui nous permet de
d'extraordinaire puisque ce tabou est un comprendre la crainte des femmes envers le désir
principe régulateur dans toutes les sociétés. Ceci ne masculin. Éviter l'inceste exige donc de bannir
nous empêche pas néanmoins de marquer son tout comportement, tout geste, toute parole,
importance dans le domaine de la sexualité, du toute allusion qui pourrait réveiller ce désir
corps et des conceptualisations des sexes. incontrôlable. Un homme ne doit jamais penser
En tant que terme référentiel de la relation la à sa sœur comme un être sexuel, comme une
plus importante de la famille, la femme (la sœur) personne ayant une vie sexuelle, pourvue de
est l'objet d'une conceptualisation complexe. désirs et à même de jouissances sexuelles, c'est-
Cette femme référentielle se trouve partagée à-dire, comme quelqu'un qui a un sexe.
entre deux identités, celle de femme (sexuelle) et Nous l'avons dit, le symbole par excellence du
celle de sœur (« femme de famille »), qui Sexe, ce sont les organes génitaux féminins. Or
cohabitent dans le même corps mais qui ne se éviter les allusions sexuelles signifie éviter les
manifestent jamais en même temps. Il s'agit d'une double allusions au sexe féminin. Cette urgence de ne
identité à la façon de Doctor Jekyll et Mister pas toucher au/le sexe des femmes (dans le sens
Hyde : l'une se cache lorsque l'autre se réel et figuré) devient, selon l'expression de
manifeste. Cette séparation stricte des identités Michel Foucault, « une ligne de pénétration
féminines hébergées par un seul corps, cet éloigne- indéfinie » qui fait irruption dans le corps des
ment de la femme sexuelle que la sœur doit femmes. La peur de l'inceste, du chaos que
opérer, est une mesure radicale pour éviter celui-ci implique, pousse à la chasse exhaustive
l'inceste. Le corps, en tant que lieu de rencontre, de la moindre allusion sexuelle pour mieux
et plus précisément l'une de ses parties (les l'effacer. Et, évidemment, celui qui cherche finit
organes génitaux), sont l'objet d'intérêt de cette toujours par trouver. Foucault nous explique ce
analyse. contrôle sur le désir dans le cas de l'enfant :
« Tout au long de cet appui, le pouvoir avance,
multiplie ses relais et ses effets, cependant que sa cible
Le corps des femmes, leur sexe et l'inceste s'étend, se subdivise et se ramifie, s'enfonçant dans le
réel du même pas que lui. Il s'agit en apparence d'un
À Chuuk, les organes génitaux des femmes dispositif de barrage; en fait on a aménagé, tout
représentent le Sexe. Cette identification du Sexe autour de l'enfant, des lignes de pénétration
avec les organes génitaux féminins est une indéfinie » (1976 : 58).
11. Si le groupe sœurs/frères est le fondement de la famille et de l'organisation sociale, les sœurs occupent une place
primordiale. D'une façon plus générale, les femmes, plus que les hommes, occupent cette place. Carucci (1997), Petersen (1992)
et Thomas (1977, 1980) insistent sur le rôle référentiel de la femme grâce à sa relation avec les éléments fondamentaux de la
culture dans d'autres régions de la Micronésie, plus concrètement Marshall, Pohnpei et Namonuito respectivement.
SEXE DES FEMMES, SEXE DES SŒURS 53

Le Sexe, dans la mesure où il est poursuivi, se avons dès lors besoin d'un cadre conceptuel
répand dans le corps des femmes au point de capable d'accueillir une définition plurielle et
l'envahir complètement et de la rendre flexible des femmes.
excessivement sexuelle. Le désir masculin à fleur de peau
ne cesse d'investir le corps des femmes et de le La pudeur du corps
remplir de signes toujours trop sexuels. Les
femmes chuuk sont poursuivies ad infinitum par On pourrait dire que la quasi-totalité des
l'éventualité que leur comportement soit qualifié règles de décorum que les femmes doivent
de sexuel, par le risque d'éveiller le désir de leurs respecter gravite autour de leurs organes génitaux
frères (sans aucune intention volontaire). Il est et reste toujours liée au tabou de l'inceste.
donc nécessaire d'établir un contrôle sur ce corps La pudeur et le décorum renvoient à une
dangereux, ce corps qui, malgré lui-même, définition de la femme combinant deux éléments :
provoque le désir I2. (1) l'identification de la femme avec le Sexe (elle
Pour ne pas mettre en danger leur relation avec est en effet « porteuse » de ses organes génitaux)
leurs frères lors d'une allusion sexuelle, les sœurs et (2) une définition de la dichotomie sexuelle qui
tentent de passer complètement inaperçues, prend comme principale référence le groupe
d'effacer leur présence, de devenir familial. Cette situation oblige la femme à
imperceptibles. De nombreuses normes du comportement réajuster constamment sa position : elle représente
féminin sont construites sur cette base et aussi le Sexe, mais doit éviter tout comportement
bien la vie que la conceptualisation des femmes sexuel en tant que « femme de famille ». Elle doit
s'en trouvent complètement déterminées. neutraliser son identité, essentiellement sexuelle,
Les organes génitaux des femmes rappellent le pour ne provoquer ni pensées ni désirs
danger et l'horreur de l'inceste, mais aussi les incestueux chez ses frères.
plaisirs charnels. Ils représentent à la fois la Chez les femmes, la pudeur, la honte et un
continuité du groupe (grâce à leurs capacités comportement correct s'articulent autour de
reproductrices) et l'effondrement de la famille leurs organes génitaux. La vie des femmes, leur
(comme conséquence directe d'une relation façon de se mouvoir, leur langage, les sentiments
incestueuse). Le sexe prend des dimensions très relatifs à leur corps, sont fortement déterminés
différentes, d'une part, pour la sœur ou la par cette partie de leur anatomie. Elles sont sans
« femme de famille » et, d'autre part, pour la cesse contraintes de vérifier que leur sexe répond
femme (sexuelle) ou la femme pensée « hors de la à toutes les exigences du décorum. Elles
famille » 13. Dans les deux cas, leur sexe, qui reste accumulent des gestes automatiques et inconscients,
la référence immuable de leur identité et de leur d'autres conscients, et prennent toutes les
comportement, prend corps de manière précautions afin de protéger cette partie de leur
différente. corps, toujours susceptible de provoquer
Comment cette situation se concrétise-t-elle l'introduction du sexuel. Les organes génitaux, le Sexe,
dans la vie des femmes ? Comment est vécu le apparaissent toujours comme recelant un risque
fait d'être « porteuse » de ces organes génitaux d'inceste.
remplis de significations polarisées, dans un Être une sœur correcte, c'est être confrontée à
corps lui-même contraint par des modèles une difficulté majeure : comme dit
rigides ? Les femmes doivent assumer et contrôler précédemment, la femme, en tant que « porteuse » d'un
mais aussi essayer d'annuler, à l'intérieur de leur sexe, représente le Sexe. Ses efforts pour fuir toute
corps, toutes ces contradictions. Comment une allusion sexuelle sont, le plus souvent, vains ; et,
sœur peut-elle devenir asexuée puisqu'elle porte, dans une pareille situation, elle mettra tout en
dans son corps, la plus explicite des œuvre pour atténuer sa présence en essayant de
représentations du Sexe ? Comment nier ce sexe alors qu'il passer inaperçue. En tant que « femme de
est l'élément essentiel de l'identité féminine et le famille » (sœur), se faire remarquer est
foyer de valeurs positives dont toute femme tire irrévérencieux vis-à-vis de ses frères 14 car sa seule
sa fierté ? Pour échapper à ce paradoxe, nous présence suggère celle de ses organes génitaux.
12. Foucault explique clairement ce processus dans le cas de la société bourgeoise du xixe siècle : « [Ce pouvoir] ne fixe pas de
frontières à la sexualité ; il en prolonge les formes diverses, en les poursuivant selon des lignes de pénétration indéfinie. Il n'exclut
pas, il l'inclut dans le corps comme mode de spécification des individus. Il ne cherche pas à l'esquiver ; il attire ses variétés par des
spirales où plaisir et pouvoir se renforcent; il n'établit pas de barrages ; il aménage des lieux de saturation maximale » (1976 : 65).
13. Cette double identification entre la « femme de famille » et la sœur, d'un côté, et la « femme hors famille » et la femme
sexuelle, de l'autre, apparaîtra tout au long du texte. La « femme de famille » est par excellence la sœur.
14. Il faut tenir compte du fait que la dichotomie sexuelle est définie en référence à la famille, ce qui signifie
que le comportement requis en tant que « femme de famille » n'est pas un comportement exigé dans des situations
exceptionnelles, bien au contraire. Il s'agit plutôt du modèle général de « comportement correct ». Il faut aussi penser que tous les
54 SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES

Un comportement réglementé cher des hommes, si nécessaire elles doivent faire


un détour mais, dans tous les cas, se mettre à
De toute évidence, l'allusion aux organes genoux ou se pencher en avant.
génitaux est chose facile. Ce peut être un petit geste Dans ce même ensemble, on trouve d'autres
maladroit, un mot déplacé, une jupe un peu trop exigences, lesquelles, considérées dans leur
retroussée ou un regard trop insistant. Le risque totalité, nous laissent entrevoir une logique. En effet,
de laisser apparaître involontairement leurs réduire sa taille en s'agenouillant, se maintenir
organes rend les femmes vulnérables et les éloignée, parler peu et à voix basse, essayer de
pousse à la prudence. Les précautions prises rester assise et immobile..., sont autant de
permettent d'imaginer la gravité d'un tel incident et comportements qui servent à réduire la présence des
expliquent, par voie de conséquence, le contrôle femmes devant leurs frères. Sur certaines îles,
constant de leur comportement, que développe prononcer le nom d'une femme devant son frère
chez les femmes une pudeur à fleur de peau. est considéré comme une façon excessive
Toutes ces normes de bon comportement ont d'invoquer la présence d'une sœur.
comme but principal de ne pas éveiller des La distanciation physique commence à la
pensées sexuelles chez leurs frères. Les femmes, pour puberté des garçons. À partir de ce moment-là,
ce faire, doivent supprimer toute allusion ils ne peuvent plus dormir sous le même toit que
possible à leurs organes génitaux. leurs sœurs. Comme allant de soi, frères et sœurs
Les règles du bon comportement prennent vont soigneusement éviter de se retrouver dans le
forme sur trois axes différents. Un premier qui même espace. De même, tout rapprochement
concerne directement les organes génitaux physique est prohibé, même par le détour
féminin ; un deuxième qui insiste sur un éloignement d'objets personnels (coussins, nattes, peignes,
du sexuel ; et un troisième qui impose la distance vêtements, etc.) qu'ils ne pourront jamais
physique entre les sœurs et les frères. Quelques partager. Ils ne se touchent pas 16. Ils s'adressent
exemples serviront à l'illustrer. rarement la parole et quand ils se parlent, les mots et
Selon des circonstances qui varient d'une île à le ton sont choisis avec de grandes précautions.
l'autre, une femme en présence de son frère doit Ils évitent les mots grossiers ou ayant des
soit se mettre à genoux, soit marcher à genoux connotations sexuelles.
ou encore incliner fortement son buste en avant. La finalité de toutes ces mesures est
Ce comportement est expliqué de différentes d'empêcher un rapprochement des corps qui pourrait
manières par les Chuuks. Ils disent que c'est là déclencher le désir et, peut-être, une relation
une façon pour les femmes de manifester du incestueuse. Dans ce processus de prévention de
respect envers leurs frères. Ils disent aussi que l'inceste, les organes génitaux féminins occupent
cette posture sert à maintenir le sexe des femmes à l'évidence une position centrale. Parfois, dans
hors d'un regard direct des hommes quand ces mesures, l'allusion aux organes génitaux est
ceux-ci sont assis par terre (façon habituelle de tellement lointaine qu'elle est difficilement
s'asseoir), puisque le sexe des femmes et les yeux imaginable.
des hommes se trouvent alors à la même hauteur. L'importance de ne pas montrer les parties
Dans les îles moins traditionnelles, ce génitales est indiscutable, notamment au travers
comportement se cantonne à certaines occasions et à de l'attention que l'on accorde aux postures
certains lieux ; ainsi il a été conservé là où la corporelles et aux convenances vestimentaires. Il y a
proximité physique est inévitable, comme c'est le cas toutefois d'autres exemples qui illustrent ce
pour les espaces délimités ou fermés, comme le même souci. Pendant l'accouchement, les
foyer, la « maison des réunions » 15, les églises et femmes s'empêchent de crier parce que leurs cris, qui
tout espace de célébration. peuvent être entendus par leurs frères, font
Dans les îles plus traditionnelles, marcher à penser à leur vagin. Toujours pour les mêmes
genoux ou penché en avant est exigé dans raisons, il ne faut pas étendre ses culottes avec le
beaucoup plus de circonstances. Ceci fait partie d'un reste du linge, car on court alors le risque que les
ensemble de gestes où la distance physique est frères les voient. Le port de pantalons est très
primordiale : les femmes ne doivent pas mal vu parce qu'ils soulignent le contour de la
hommes de mon clan sont mes frères : cela sous-entend le très grand nombre de frères devant lequel je dois me comporter
correctement.
15. Ces maisons, appelées uut ou « meeting houses », sont les lieux de réunion des personnes faisant partie d'un même
lignage.
16. Les parties du corps qu'on ne doit rigoureusement pas toucher sont la tête (surtout le visage) et les parties génitales. La
distance des corps qui s'établit entre un homme et sa sœur est aussi appliquée à l'épouse du frère. Cette femme ne peut, par
exemple, assister sa belle-sœur pendant l'accouchement parce qu'elle serait amenée à toucher et à voir le sexe de la sœur de son
SEXE DES FEMMES, SEXE DES SŒURS 55

partie taboue. À la capitale, beaucoup de femmes feront d'autant plus attention à ce que personne
en portent, mais elles évitent que leurs frères les ne les voie. Pour beaucoup d'entre elles, ceci peut
voient ainsi vêtues, ce qui provoque des même être une raison les empêchant de se rendre
situations rocambolesques et difficiles. à l'hôpital pour un contrôle gynécologique
La distance physique est un moyen simple requis lors de complications pendant la grossesse
d'éviter les situations délicates. Mais quand ces ou l'accouchement.
distances se rétrécissent, les mesures se Voir le sexe d'une femme est rare et difficile,
renforcent et l'on comprend alors plus clairement même pour le mari ou l'amant. L'intimité
qu'elles concernent des organes génitaux, supposée entre les amants ne suffit pas à faire
comme dans les exemples cités ci-dessus. disparaître la honte et l'embarras que les femmes
Cette distanciation paraît s'opposer à la éprouvent quand leur sexe est aperçu, mais cela
solidarité qui caractérise la relation sœur-frère, alors n'empêche pas les femmes de vivre leur sexualité
qu'en réalité, toutes ces mesures ont un seul but : avec une relative liberté.
sauvegarder cette relation. S'éloigner du Sexe En résumé, on peut dire que le sentiment de
préserve la relation, tout autant que s'approcher pudeur est constant chez les femmes et qu'il est,
du Sexe la met en danger. Cette activité qui généralement, en relation avec leurs organes
consiste à s'éloigner du Sexe légitime et renforce génitaux. Elles doivent être perpétuellement
cette relation. Dans ce sens, le Sexe et le danger conscientes et vigilantes pour qu'ils restent bien
qu'il représente sont bénéfiques et primordiaux à cachés et jamais dévoilés par une mauvaise
la mise en œuvre d'une relation caractérisée par posture ou un commentaire maladroit. Les femmes
une solidarité sans faille. ne vivent pas toujours cette situation avec la
tension que pourrait suggérer cette description,
La honte cependant jamais ce souci ne les abandonne.
Ce qu'on a vu jusqu'à présent semble
Tant de soucis autour de leur sexe rendent les regrouper les « infortunes » du sexe des femmes, mais
femmes très pudiques et elles souffrent souvent d'autres caractéristiques, nettement positives,
d'un sentiment de honte très fort. La honte viennent rétablir cet équilibre, et c'est ce que
terrible qu'engendrerait l'exposition de leurs nous allons aborder maintenant.
organes génitaux leur fait imaginer des situations peu
probables et prendre des précautions contre
toutes ces situations. Afin éviter des incidents Le beau sexe, un beau sexe
indécents, les femmes ne boivent pas d'alcool alors
que l'alcoolisme est un grand problème pour les « Nifiirifiirwaniik est une femme légendaire,
hommes de Chuuk. Une femme sous l'influence originaire des îles Mortlock qui jouissait en même
de l'alcool n'est pas consciente de ses postures ni temps qu'elle en souffrait d'une curieuse
de ses jupes, elle court le risque de perdre la tête particularité : elle avait quatre-vingts petites lèvres. C'est
ou de s'évanouir, et ainsi de rester dans une sa mère, par son habilité, qui les lui avait modelées
position impudique. Une femme saoule « ne et de ce fait elle était la femme la mieux pourvue
peut pas prendre soin de son corps » {ese toon- parmi les femmes, celle qui avait les meilleurs et les
geni tùtûnwûnû inisin) 17. plus beaux organes génitaux d'entre toutes. Grâce
Cette honte s'aggrave dans le cas où les à cela, elle était la femme la plus belle, la plus
femmes souffriraient de ce qui est considéré à Chuuk désirée des hommes et sa réputation atteignait les
comme un handicap important : avoir un sexe coins les plus éloignés de Chuuk.
« laid » (on verra plus tard ce que l'on entend par Toutefois, aucun homme, entre tous ceux qu'elle
là). Cette particularité s'ajoute à la pudeur pour avait attirés par ses charmes et avec lesquels elle
justifier une occultation totale du sexe. Celles qui avait fait l'amour, n'avait réussi à la faire jouir
pensent que leurs organes génitaux sont « laids » comme — d'après ce qu'elle avait entendu — les
17. Les Chuuks expriment cette peur de la façon suivante : « Quelques femmes, quand elles boivent, négligent leur aspect. Si
on est allongée sur le dos sur un lieu de passage, on ne sait pas si 'tes choses' sont ou ne sont pas exposées ». (Fâân ekôôchfeefin
ra wafaw ra nûkûnùkùngngaw. Ika een ka seneetà ikaan iya aramâs rafeyitto, kese chchiwen sineey ikapisekin meyi nômw ika ese
nômw). « On dit que ce n'est pas bien (boire de l'alcool) parce que c'est contre notre tradition, parce nous pensons que si
quelqu'un est saoul, c'est incorrect, on ne sait jamais comment la personne va réagir. Par exemple : si une femme est saoule, elle
est aussi négligée et si elle tombe, les gens (de Chuuk) verront sa culotte, et cela n'est pas bien ». (Siya wûrâ ngé ngngaw ngeni
éérûni, pun siya weeweeyiti ika emén a sakaw a mwâânninô, ese chchiwen ffat met epwefééri. Iwe -aweewe chék — ika ewefeefin a
sakaw a toroporop, a turunô ngé ika a pwa ââyâ underwear, iwe a ngngaw ngeni aan chôôn Chuuk repwe kûna). « ...les hommes
abuseront d'elles » (...mwâân repwene chék turunuffaser). « C'est mauvais qu'une femme boive de l'alcool parce que si elle
s'enivre, elle ne pourra pas prendre soin de son corps ». (A ngngaw ika emén feefin a wûn sakaw pun ika meyi sakaw iwe ese
toongeni tûtûmwûnû inisin. Chôôn Chuuk rafôkkun éwûchcheeyââni ewe 'xxx' (elle fait un signe pour ne pas dire le mot).
56 SOCIETE DES OCEANISTES

autres femmes : il y avait tellement de petites Dans la relation sexuelle idéale, la femme
lèvres les unes derrière les autres que son clitoris atteint l'orgasme avant son partenaire. L'homme
restait inaccessible. Aucun des pénis des hommes doit mettre en œuvre tout son savoir-faire pour
qu'elle avait connus n'avait pu l'atteindre et la que jouisse sa partenaire (plutôt passive) et pour
faire jouir. jouir lui-même plus tard à son tour. Cet orgasme
Un jour, elle entendit parler de Wonofaat de l'île féminin est assuré par une technique sexuelle qui
d' Udot et de ses fantastiques qualités d'amant que a été traduit en anglais comme the chuukese
son long, très long, pénis lui concédait. Il était hammer (« le marteau chuuk »), dit en langue chuuk
tellement long qu'il pouvait se déplacer sur de wechewech. Il s'agit, simplement, de frotter ou
grandes distances pendant que Wonofaat restait frapper le clitoris avec la pointe du pénis jusqu'à
assis. Nifiirifiirwaniik, fatiguée par autant de l'arrivée de l'orgasme.
frustration et résolue d'aller chercher le plaisir là où Si c'est grâce à l'habilité masculine que la
elle pourrait le trouver, partit pour l'île d'Udot à la femme arrive à l'orgasme, certaines
recherche de Wonofaat. Quand elle le rencontra et particularités des organes génitaux féminins seront
qu'elle lui expliqua son malheur, Wonofaat releva indispensables à cette réussite. Ces caractéristiques,
sans hésitation le difficile défi que Nifiirifiirwaniik qui vont aussi influencer le plaisir masculin, sont
lui proposait. bien définies et décrites dans la culture chuuk ;
Wonofaat s'exécuta. Son long, très long pénis se elles sont aussi les critères d'une certaine beauté :
fraya un chemin entre les multiples petites lèvres et la beauté génitale.
arriva finalement au clitoris, qu'il frotta jusqu'à Un grand triangle pubien, des poils pubiens
que Nifiirifiirwaniik connut enfin le plaisir dont abondants et très noirs, une grande extension des
elle avait été privée jusqu'alors. » petites lèvres (c'est-à-dire que la distance entre le
Cette petite légende illustre bien certains des clitoris et le vagin doit être la plus longue
atouts du sexe des femmes comme la beauté, le possible), des lèvres de couleur rouge foncée et,
plaisir et l'attirance. Nous allons traiter, dans les pardessus tout, de très grandes petites lèvres, sont
lignes qui suivent, de ces nombreux atouts qui les caractéristiques idéales d'un beau sexe. De
participent de la construction de l'identité beaux organes génitaux sont réputés procurer
féminine. plus de plaisir aux amants que des organes laids
et, surtout faciliter l'orgasme féminin. Cet
Le plaisir et la beauté orgasme n'est pas seulement apprécié par les
femmes, mais aussi recherché par les hommes,
À Chuuk, dans une certaine mesure, c'est des parce qu'il prouve leur virilité. Les hommes
caractéristiques du sexe des femmes que dépend éviteront ainsi les femmes qui auront des organes
la « réussite » d'un rapport sexuel. Évidemment, génitaux « non appropriés » ou laids, de peur de
ce concept de « rapport réussi » est plutôt relatif. mettre en péril leur virilité dans une relation avec
Pour comprendre ce que cela implique à Chuuk, une femme qui aura peine à atteindre l'orgasme.
il faut, tout d'abord, distinguer l'amour des En ce qui concerne le plaisir, un beau sexe est
époux de l'amour des amants. Il est, bien sûr, préféré pour plusieurs raisons essentielles. De
plus intéressant de s'approcher des amants pour grandes petites lèvres ifiir) faciliteront certes
avoir un aperçu de ce qu'est une relation sexuelle l'orgasme féminin, mais procureront aussi
idéale puisque ceux-ci appartiennent davantage de plaisir aux hommes pendant la
complètement au monde du sexuel. Les époux, en pratique du « marteau chuuk ». Par ailleurs, à
revanche, appartiennent au monde de la famille et leur Chuuk, le bruit émis par les petites lèvres (chaa-
vie sexuelle n'est pas le critère essentiel de leur cha) pendant l'acte sexuel est considéré comme
relation. Dans le cas des époux, d'autres étant très excitant, et plus les lèvres seront
éléments l'emportent sur l'importance du Sexe grandes, plus le bruit sera fort. L'abondance des poils
dont l'expression est de fait amoindrie. Il ne faut pubiens produit un frottement plus plaisant
pas oublier qu'on a défini la famille par pour les deux partenaires ; le bruit de ce
opposition au Sexe. Chez les époux, donc, le Sexe ne frottement est lui aussi considéré comme très excitant.
peut apparaître que dans une expression plus D'autres attributs sont également recherchés
tempérée (Gladwin et Sarason, 1953 ; Moral, pour les lèvres : leur texture inégale et leur
1996b). rugosité sont très valorisées car elles produisent sur le
En revanche, pour les amants, la réussite pénis des sensations plaisantes.
sexuelle est obligée. Hors de la famille, le Sexe Il existe, évidemment, une coïncidence entre la
s'exprime avec toute sa force. Il devient pour les beauté et « l'efficacité » du sexe d'une femme. La
amants le critère par excellence. C'est dans ce beauté d'une femme est indissociable de sa
cadre que les relations sexuelles seront analysées. beauté génitale : ainsi une belle femme est une
SEXE DES FEMMES, SEXE DES SŒURS 57

femme qui a des beaux organes génitaux. Il ne que complexante pour toute femme. À Chuuk,
faut pas négliger le fait que les hommes des techniques appropriées ont été développées
réaffirment leur virilité à travers des rapports sexuels pour pourvoir les femmes avec des petites lèvres
réussis et que cela dépend de cette beauté de la taille désirée. Actuellement, uniquement les
génitale. Ils chercheront avant tout de « belles femmes des îles Mortlock, réputées et admirées à
femmes ». Les femmes de Chuuk s'expriment ainsi Chuuk pour leurs grandes petites lèvres, utilisent
sur ce sujet : ces techniques. Apparemment, dans les îles du
« Certains disent qu'être belle ne sert à rien, mais si lagon, les femmes utilisaient par le passé des
cela est bien, les hommes te considèrent la meilleure » techniques similaires. Si, de nos jours, cette
(ekkôôch raa wûrâ ese nômwot niyayééch iwe ika aa pratique s'est restreinte aux îles Mortlock, la
ééch ewe ikeeyarenin iwe aa nampa eew ren mwââri) valorisation des organes génitaux bien dotés est
« [les hommes] disent que si le sexe d'une femme est toujours importante et d'actualité dans toutes les
beau, alors c'est bien » (Raa wûrâ ika aa niyayééch ewe régions de Chuuk. Dans le lagon, les femmes
faan mesen feefin, iwe aa ééch). suivent les conseils (sans manipulations
« S'ils ont été avec une femme et qu'ils ont vu que
cela est laid, puisque le fait qu'elle soit belle ne sert à particulières) des autres, comme, par exemple, de ne pas
rien, alors ce n'est pas bien » {Ika raa et to ren emén ngé mettre de culotte afin que les lèvres pendent plus
raa kûna, ngé ese nômwot ewe niyayééch, ika meyi librement et que la force de la gravité exerce son
ngngaw ekkewe iya, ese to, meyi ngngaw) influence.
L'application de ces techniques commence
La beauté, l'attirance sexuelle d'une femme immédiatement après la naissance de la petite
résident donc dans son sexe. En termes d'accès fille. Les Chuuks disent que la chair des enfants
au plaisir, la beauté (du visage, par exemple) est très tendre et qu'elle est, par conséquent, très
d'une femme n'apporte rien, ce n'est pas ce qui la malléable. C'est là le moment idéal pour
rendra plus attirante. Une observation commencer le traitement. Les femmes de la famille
masculine typique sur la beauté ou la laideur du visage font des massages aux petites filles avec une
d'une femme est pwata ka éuchche ngeni masan ? éponge très douce appelée aux îles Mortlock
« pourquoi donnes-tu de l'importance à son farawa. Quand la fille a entre sept et dix ans, la
visage ? ». Effectivement, comme me l'a dit un deuxième partie du traitement commence. Il
informateur, « we don't make it with the face », s'agit, tout d'abord, de gonfler et d'irriter les —
alors à quoi bon se préoccuper du visage ou de la très — petites lèvres de la fillette, et ce avec divers
beauté de son corps puisque cette beauté « ne moyens : des insectes, des feuilles ou du corail.
sert à rien » {ese nômwot) ? Par contre, une L'insecte utilisé est une espèce de grande fourmi
femme bien dotée avec de grandes petites lèvres noire (niffich) qui pique et produit une
(tûwéffir) apporte plus de plaisir et un inflammation de la peau. Les mères posent ces fourmis sur
accomplissement satisfaisant de l'acte sexuel. Les organes les lèvres pour qu'elles les mordent et
génitaux sont le principal critère de la beauté provoquent ainsi l'inflammation. Les feuilles qu'elles
féminine : « The woman's beauty is there », me utilisent sont celles de YAlocasia macrorrhiza
disait une de mes informatrices. D'autres critères (kkâ), une espèce de taro dont les feuilles
de beauté, comme avoir les cheveux longs et produisent une certaine irritation de la peau, et qu'elles
noirs, la peau claire, le nez aiguisé, les sourcils frottent contre les parties génitales. Elles
bien abondants et profilés, etc., passent au utilisent le corail de la même façon. Une fois que les
second plan en regard de l'importance que l'on lèvres sont bien enflammées, elles les pincent
accorde à la beauté des organes génitaux. avec la nervure centrale d'une feuille de cocotier
pliée en deux, afin que la partie enflammée reste
Comment embellir les organes génitaux suspendue ainsi pendant quelques jours. Quand
cette technique était une pratique habituelle, la
Les femmes utilisent des techniques de phase suivante de ce traitement consistait, pour
transformation et d'embellissement de leur corps afin les fillettes, à se réveiller les unes les autres, très
d'avoir des organes génitaux répondant à un tôt le matin, pour aller ensemble se baigner et se
idéal très précis et détaillé. On dit meyi môsow en masser soi-même dans la mer. À Chuuk, en effet,
parlant de beaux organes génitaux, ce qui ils disent que, juste avant le lever du soleil, la mer
signifie « qu'ils contiennent quelque chose » (comme a des qualités exceptionnelles pour divers
quand une boîte contient quelque chose). Cela traitements, dont le massage et retirement exercés sur
fait référence aux petites lèvres. Des organes les petites lèvres.
génitaux qui « ne contiennent rien » {ese mosow) D'après les témoignages des quelques femmes,
sont ceux qui ont des petites lèvres peu les petites lèvres soumises à ces techniques
développées, ce qui est considéré comme une tare peuvent atteindre des tailles incroyables. Dans
58 SOCIETE DES OCÉANISTES

l'idéalisation typique que les Chuuks se font de a des poils rouges ou noirs ou comme « l'arc-en-
leur passé, les organes génitaux bien dotés ont ciel » (de toutes les couleurs), etc. Un joli
aussi leur place. Beaucoup de descriptions triangle pubien (pwaar) doit être grand, le plus grand
d'incroyables organes génitaux aux petites lèvres possible. Des organes génitaux dépourvus de
de la taille de la paume d'une main (ou des cas poils sont une raison de grande honte et de
approchant), font toujours référence à des dérision pour les femmes : elles feront plus attention
femmes très âgées ou mortes depuis longtemps. que les autres à ne jamais les montrer.
Dans le lagon, cette idéalisation est encore plus À Chuuk, comme dans d'autres régions de la
visible parce que ces techniques se sont perdues Micronésie, le tatouage aussi était une technique
depuis fort longtemps. On retrouve aussi cette mise au service de cette beauté féminine. Ces
idéalisation aux îles Mortlock car tatouages traditionnels, qui se situaient sur la
apparemment, par le passé, ces techniques étaient zone pubienne et sur les cuisses, avaient pour but
appliquées avec plus de rigueur et d'efficacité la mise en valeur de la beauté du sexe des femmes
qu'aujourd'hui. (Gladwin et Sarason, 1953 ; voir aussi note 3).
Les femmes soumettent leurs filles (ou les filles
de leur famille) à ce traitement. Ce sont ces La popularité de la beauté
mêmes femmes qui apprennent et transmettent
toutes les règles qui obligent les femmes à cacher, Un beau sexe n'échappe pas à la notoriété
à effacer leur sexe, leur caractère sexuel. S'il est publique. À Chuuk abondent les récits sur des
important d'être une « bonne sœur », la femmes aux énormes petites lèvres qui pendent
valorisation des organes génitaux et du plaisir féminin généreusement. Souvent, l'étonnement même
prennent une place non négligeable parmi les des femmes qui ont vu ces petites lèvres fait
préoccupations des femmes pour leurs filles. partie du récit et elles soulignent avec
Elles ne veulent pas que leurs filles aient un vagin enthousiasme qu'elles arrivaient à peine à croire que ce
« vide » (avec des lèvres trop petites), ce serait qu'elles avaient vu. Elles racontent aussi que
ridicule et ceci les rendrait incapables d'attirer les certaines femmes avaient des lèvres tellement
hommes. Elles veulent que leurs filles soient des grandes qu'elles les gênaient pour marcher et
« vraies femmes ». qu'elles faisaient du bruit en marchant. Il s'agit
Actuellement, la situation est un peu confuse d'histoires du passé, mais on en trouve aussi
parce que, si ces idées sur les organes génitaux d'actuelles, comme celle de cette femme des îles
sont toujours en vigueur, les techniques pour les Mortlocks qui avait des lèvres qui ne cessaient de
agrandir sont beaucoup moins utilisées grandir et qui, devenues d'une longueur
qu'auparavant. Beaucoup de femmes ont abandonné ces excessives, avaient nécessité une opération.
pratiques en suivant la voie chrétienne. Les Les organes génitaux sont cachés avec la
femmes vivent dans un décalage entre le désir d'avoir même application requise pour le respect des
des beaux organes et la conception actuelle de la règles de bon comportement, mais ceci n'est pas
sexualité féminine, introduite par le suffisant pour les renvoyer définitivement dans le
christianisme. Certaines femmes embellissent leurs silence de leur corps. Leurs caractéristiques font
petites lèvres — ainsi que celles de leurs filles — mais souvent partie du domaine public et s'ils sont
elles appartiennent en même temps, avec grande beaux, ils ne resteront pas longtemps dans
ferveur, aux groupes chrétiens. Pour ces femmes, l'anonymat. Très vite, la beauté de ce sexe sera connu
encore ancrées dans la tradition — au moins à ce de tous. Les hommes contribuent, pour une
sujet — , une femme qui n'a pas soigné ses petites bonne part, à faire courir cette rumeur. Ils
lèvres est une femme incomplète, incapable n'attendent pas longtemps pour partager avec les
d'attirer un homme, et ridicule. autres hommes les histoires de leurs aventures
La beauté génitale dépend aussi des poils sexuelles et ils les racontent avec une grande
pubiens (kkor). Leur importance est profusion de détails, surtout si leur maîtresse
relativement mineure au regard de celle des petites occasionnelle était « bien dotée ». Si ce n'est pas
lèvres, mais n'est pas négligeable pour autant. Le par le biais d'une relation sexuelle que les
désir d'avoir des poils pubiens en abondance hommes connaissent ces détails, d'autres moyens, tel
amène les femmes à chercher des méthodes le voyeurisme (nikkich), sont pratiqués,
appropriées, comme celle de les raser généralement sous la protection de la nuit et du
complètement pour ensuite frotter le pubis avec du sommeil imperturbable — extrêmement
kérosène pour qu'ils poussent avec vigueur et en imperturbable — des Chuuk. Les hommes entrent ainsi
abondance. Comme les petites lèvres, les poils dans les maisons et soulèvent les jupes des
sont souvent objet de moqueries et de femmes, se servant souvent d'une lampe de poche
plaisanteries entre les femmes : qui en a, qui n'en a pas, qui pour mieux en apprécier les détails anatomiques.
SEXE DES FEMMES, SEXE DES SŒURS 59

L'étape suivante de ce jeu consiste à partager le Ces insultes nous sont très familières... si nous
récit de cette expérience avec les amis. changeons le sexe des concurrents. Pour les
Les femmes aussi apportent leur grain de sel à hommes de certaines sociétés, ces allusions aux
cette notoriété. Elles parlent souvent entre elles organes génitaux qui mettent en cause leurs qualités,
de leur sexe et rendent public les vertus et les mettent aussi en question leur virilité, leur
défauts de cette partie intime. La curiosité identité masculine. Cette même explication peut être
autour des organes génitaux est telle qu'elle rend appliquée au cas des femmes chuuk : une femme
les femmes très attentives aux négligences des peu ou mal dotée est une femme incomplète.
autres femmes. Elles peuvent les entrevoir, par L'importance des organes génitaux comme
exemple au détour d'une jupe mal mise, et se élément d'identité se manifeste de nouveau : dans
comparer elles-mêmes à ces autres femmes. ces insultes, la concurrente est accusée de « ne
Évidemment, ce qui sera vu sera aussi commenté. pas être une vraie femme », de ne pas arriver de
Certaines femmes à Chuuk deviennent ainsi de plein droit à être dite « femme ».
véritables légendes vivantes grâce à leur sexe Comme évoqué précédemment, une femme
exceptionnel. est (sexuellement) valorisée par les qualités de
son sexe. Toutes les femmes veulent avoir de
beaux organes génitaux ; la preuve en est que la
Les insultes et le sexe honte tombe sur elles lorsqu'elles sont
soupçonnées de « laideur génitale ». Le poids de ces
On comprend alors que les Chuuks fassent de insultes est lourd : ce type d'accusation la prive
leurs organes génitaux l'une de leurs principales de ce qui la rend précieuse et l'ampute d'un des
sources d'insultes. Dans ce contexte, et pour le éléments piliers de l'identité féminine.
bonheur de l'ethnologue, les insultes que les
femmes se lancent entre elles lors d'une bagarre,
ainsi que leurs gestes, sont extrêmement Les organes génitaux et l'identité féminine
explicites.
D'après une description de Gladwin (Gladwin Les femmes ont donc un sexe saturé de
et Sarason, 1953), l'apogée d'une bagarre entre significations, un sexe qui joue un rôle essentiel dans
femmes consistait en une exhibition et une leur identité, leur comportement et leur vie en
comparaison de leurs sexes. Gladwin décrit ce type de général. Nous avons vu la place du sexe dans la
bagarre comme une pratique ancienne. Pendant vie d'une femme selon qu'elle est sœur ou femme
mon séjour à Chuuk (1992-1994), les femmes en sexuée (hors famille). Le résultat est une
parlaient comme de quelque chose d'encore situation qui paraît paradoxale. Mais voyons de plus
possible (ce qui ne veut pas dire que cela arrivait près cette apparente contradiction.
vraiment). En fait, dans les récits des bagarres
actuelles que j'ai récoltés, elles ne montrent plus Le sexe de la sœur
leur sexe, mais les actes qu'elles accomplissent
s'accompagnent des mêmes intentions. Dans un Dans le cas des sœurs, les organes génitaux
de ces récits, l'une des femmes impliquées révèlent des aspects qui pourraient être qualifiés
introduit ses doigts dans son vagin puis passe ses de « négatifs », puisqu'ils imposent une négation
doigts mouillés et odorants sous le nez de sa du corps et même de la présence féminine. Nous
concurrente. De nos jours, dans les compétitions avons vu ainsi que les normes de bon
sportives, les supportrices, qui s'échauffent bien comportement ont comme seul but la réduction de la
davantage que les hommes et se livrent souvent à présence féminine, toujours trop sexuelle et
des bagarres, soulèvent leurs jupes et montrent dangereuse. Ces aspects négatifs pourraient
leurs fesses avec de grands gestes. Sachant détourner notre attention du fait principal que le sexe
qu'elles seront sûrement emportées par leur sert à mettre en acte la relation sœur/frère.
enthousiasme, elles prennent certaines mesures Pour une sœur, son sexe est, dit-on, une source
et mettent souvent de petits pantalons sous leurs de problèmes. Comme nous l'avons déjà vu, pour
jupes, pour éviter ainsi de trop exposer cette être « correcte », elle doit cacher, faire
partie. disparaître son sexe, et finalernent, toute sa présence.
Des insultes verbales comme ngngawen niwi- C'est seulement lors de la totale disparition de
tumw « ton sexe est laid », ese môssow « il est son caractère sexuel qu'elle agit comme sœur,
vide », c'est-à-dire « ses petites lèvres sont comme « femme de famille » et non comme
petites », meyimwékkûn « il est petit », ou ese mékûr « femme sexuelle ». Si, par malheur, elle dévoile
« il n'a pas de poils », etc., s'accordent avec cet son caractère sexuel lors d'un geste, d'un
esprit de l'exhibition des sexes lors des bagarres. comportement ou d'un mot maladroits, elle met en
60 SOCIETE DES OCEANISTES

danger la relation avec son frère, son identité de la féminité de la femme. Dans le cas des femmes,
sœur, pilier de la famille et, par là, l'ordre social nous avons vu que cette confirmation tient
tout entier. plus aux caractéristiques de leur sexe qu'à leurs
Dans ce sens, son sexe est une source de performances dans l'acte sexuel. Il faut
danger qui lui impose un comportement inhibé, un cependant ajouter qu'être « rapide » (atteindre
contrôle sans relâche exercé sur tout son corps et l'orgasme rapidement) est une qualité
sur tout ce qu'il dégage. Ses mouvements sont recherchée. Être pourvue des bons organes génitaux
restreints, sa pudeur est extrême. Sa vie en est fait d'une femme « une vraie femme », « une
complètement conditionnée. Toute la vie sociale belle femme ».
d'une femme est déterminée par sa condition de La forte valorisation du sexe des femmes est
« femme de famille » beaucoup plus que par telle que chaque offense adressée à cette partie de
celle de « femme hors famille ». Elle peut être leur corps est considérée comme agression
une femme sexuelle uniquement dans la « contre l'identité féminine et peut provoquer un
clandestinité ». En ce qui concerne le reste, c'est-à- conflit. Autrement dit, mettre en cause les
dire tout ce qui pourrait arriver à la qualités des organes génitaux d'une femme, c'est
connaissance de ses frères, elle doit répondre aux règles mettre en cause sa féminité. Shirley Ardener a
de comportements typiques d'une sœur. interprété ainsi ce fait : montrer son sexe équivaut à le
L'identité de sœur est une identité sociale et ouverte ; revendiquer, à revendiquer le fait d'être une
celle de femme est clandestine et marginale. femme. Ardener (1987) nous procure une
Mais c'est justement ce sexe dangereux qui lui sélection de matériel ethnographique des différentes
permet d'exercer son rôle de sœur. Rappelons sociétés où les organes génitaux féminins sont
que la parenté chuuk est active et, dans ce cas, montrés. Les femmes montrent cette partie du
l'activité de la sœur est précisément l'éloigne- corps dans des contextes conflictuels, vu que
ment du sexuel. En s'en éloignant, elle n'est pas cette partie du corps doit rester, en principe,
seulement respectueuse et correcte, mais elle met cachée. Ardener interprète ces actions comme
aussi en acte sa condition de sœur. Dans ce sens, « revendicatives », comme une réappropriation
son sexe, son caractère sexuel, rend possible cette et une réinterprétation de leur sexe, visant à
mise en acte. Ce comportement des sœurs est contester les connotations négatives retenues par
suffisamment important pour que les femmes le discours dominant (masculin) à ce sujet.
chuuk le considèrent comme un trait Grâce aux actions de ce type, les significations se
emblématique de leur culture. Effectivement, à Chuuk, on renversent et transforment un objet de honte en
tient le comportement typiquement pudique et objet de fierté (fierté d'être femme). Dans les
respectueux des sœurs comme un trait qui les exemples présentés par Ardener, les femmes
différencie des autres et dont ils sont fiers. Le sexe accomplissent ces actions face aux hommes et
des sœurs n'est donc pas quelque chose à contestent ainsi le discours masculin dénigrant
éliminer, il est plutôt nécessaire pour qu'on puisse le cette partie de leur corps.
cacher et activer ainsi la relation sœur-frère. À Chuuk, on exhibe les organes génitaux lors
de confrontations entre femmes mais jamais en
Le sexe des femmes réponse à une situation conflictuelle avec des
hommes. Ce n'est que dans le contexte des
La beauté, l'attirance sexuelle, le plaisir, enfin, relations sexuelles que les femmes montrent leur sexe
le Sexe dans son sens le plus positif, sont des aux hommes (bien que cette exhibition n'ait rien
valeurs représentées par les organes génitaux de systématique). Le désir des hommes de voir le
féminins. Tous ces bons aspects du sexe des sexe des femmes, et la fierté des femmes de le
femmes sont reconnus sans problème, parce qu'il montrer quand elles le considèrent beau,
n'existe pas de condamnation globale du Sexe, répondent à une logique comparable à celle observée
au sens moral du terme. Ce qu'on exige du Sexe lors de conflits entre femmes. Dans tous ces cas, il
est de rester circonscrit dans sa sphère, de ne pas s'agit de mettre en valeur tout ce que le sexe
transgresser les frontières du monde de la famille féminin représente, c'est-à-dire tout ce
et de l'ordre social. Il n'y a donc aucune raison de qu'implique le fait d'être une femme à Chuuk.
censurer ou de juger négativement le Sexe et les
organes génitaux.
Dans les rapports sexuels, le sexe des femmes a Exhibition, occultation : une même logique
la plus grande importance, parce que de lui
relève (au moins idéalement) la réussite du On se trouve donc devant deux attitudes
rapport sexuel, le plaisir des deux partenaires, la extrêmes par rapport au sexe : celle de l'exhibition et
confirmation de la virilité de l'homme et celle de celle de l'occultation. Dans les deux cas, le sens
SEXE DES FEMMES, SEXE DES SŒURS 61

sous-jacent est le même, et l'importance du sexe démontrer ici que l'une dépend de l'autre : en
féminin est mise en évidence. Dans la logique de occurrence, plus le sexe des femmes est
l'exhibition, cette valeur est revendiquée en relief « grand », plus son occultation est efficace dans
(positif) alors qu'elle l'est en creux (négatif) dans la légitimation de la relation frère-sœur.
l'occultation. Une frontière, infranchissable mais invisible,
L'occultation pourrait nous sembler être une les empêchant de passer d'un côté à l'autre,
annulation, une négation ou disparition du sexe détermine la relation entre les « femmes de
des femmes. Les règles de comportement qui famille » et les « femmes hors famille ». La sœur
exigent des femmes qu'elles réduisent leur fait partie du monde de la famille, du social, du
présence devant leurs frères ne peuvent et ne doivent jour, de l'ordre. La femme sexuelle fait partie du
pas être interprétées comme une véritable monde du Sexe, du clandestin, de la nuit, du
négation de la présence des sœurs, bien au contraire. danger. Aucun jugement moral ne sera émis
À vrai dire, elles sont très présentes, aussi longtemps que la frontière ne sera pas
extrêmement présentes, dans leur discrétion, dans leur franchie. C'est dans ces deux mondes que s'élabore
silence. Elles construisent leur présence en l'identité féminine, une identité plus unitaire
cachant leur sexe, en réduisant leur présence et qu'elle ne le paraît.
en étant modeste.
L'occultation est justifiée par le danger
qu'implique le Sexe. Ce danger, vécu avec BIBLIOGRAPHIE
horreur (rien de plus abominable que l'inceste), nous
indique ce qu'il y a de plus précieux : l'ordre de la
famille, l'ordre social, l'Ordre. La relation sœur- Ardener Shirley, 1987. A note on gender
frère se caractérise par une solidarité iconography: the vagina, in Pat Caplan (éd.), The cultural
indéfectible, par un lien affectif très fort, peut-être le plus construction of sexuality, London, New York, Rout-
fort d'entre tous. Il représente le groupe familial, ledge.
le principe de l'ordre social, de la possibilité de de Beauvoir Simone, 1976. Le deuxième sexe, Paris,
survie. Le Sexe, l'inceste, dans ce contexte sont Éditions Gallimard.
vécus comme la plus grande menace, mais en Caplan Pat (éd.). 1987. The cultural construction of
même temps ce danger offre l'opportunité, les sexuality, London, New York, Routledge.
moyens, de mettre en acte la relation en se Carucci Laurence M, 1997. Nuclear Nativity. Ritual
défendant de ce danger, en s'éloignant du sexuel (de la of Renewal and Empowerment in the Marshall
même façon que les actes de solidarité Islands, DeKalb, Illinois, Northern Illinois
concernant la nourriture légitiment les liens de University Press.
parenté). Une femme modeste et respectueuse Douaire-Marsaudon Françoise, 1998. Les premiers
envers son frère met en acte son rôle dans la fruits. Parenté, identité sexuelle et pouvoirs en
relation sœur-frère et actualise cette relation. Polynésie occidentale (Tonga, Wallis et Futuna), Paris,
Cette façon insistante de cacher le sexuel dans CNRS Éd. -Éd. de la Maison des sciences de
la relation frère-sœur, entre les femmes et les l'homme.
hommes de la famille, donne un résultat Ferreira Celio, 1987. Palauan Cosmology. Dominance
complètement contraire à ce qu'on aurait pu attendre : in a Traditional Micronesian Society, Gôteborg,
le sexuel s'installe scandaleusement dans leur Sweden, Acta Universitatis Gothoburgensis.
relation. La relation n'est pas seulement Foucault Michel, 1976. Histoire de la sexualité I. La
imprégnée de Sexe (malgré leurs efforts pour s'en volonté du savoir, Paris, Gallimard.
débarrasser), mais elle en a besoin. Autrement Gailey Christine W, 1987. Kinship to Kingship.
dit, ils ont besoin du Sexe, tout en le refoulant, Gender, Hierarchy and State Formation in the Tonga
pour actualiser et légitimer leur relation. Island, Austin, University of Texas Press.
Pour les sœurs et pour les femmes, leur sexe est Glad win Thomas et Seymour B. Sarason, 1953.
important, leur sexe est « grand ». Et il est grand Truk: Man in Paradise, New York, Wenner-Gren
aussi bien dans le sens symbolique que réel. Foundation for Anthropological Research, Inc.
Dans le monde du sexuel, la revendication du Goldman Irvin, 1970. Ancient Polynesian Society,
sexe des femmes (éventuellement sa Chicago, University Press.
transformation et son agrandissement) est essentielle pour Goodenough Ward H, 1978. Property, Kin, and
la constitution de l'identité féminine ; de la Community on Truk, 2nd éd., Hamden, Archon Books.
même façon, dans le monde de la famille et de Goodenough Ward H. et Hiroshi Sugita, 1980.
l'ordre social, l'identité féminine a besoin d'une Trukese- English Dictionary: Pwpwuken Tettenin
occultation active du sexe des sœurs. Si ces deux Foos: Chuuk-Ingenes, Philadelphia, American
identités ont pu paraître opposées, j'ai essayé de Philosophical Society.
62 SOCIÉTÉ DES OCEANISTES

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