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deux inscriptions athéniennes, datées des Ie – IIe siècles de notre ère, mentionnent « l’entrée

vers l’enceinte sacrée de Blautè et Kourotrophos, ouverte au peuple »1. La première des deux
inscriptions a été retrouvée sur l’Acropole, près du temple d’Athéna Nikè, tandis que la
seconde, réemployée pour des constructions à une époque postérieure, a été découverte sous
la rue Acropolis, à l’Ouest des fortifications romaines tardives. Il est donc délicat de localiser
le sanctuaire à partir de ces seules données épigraphiques. Pausanias, dans sa description de
la cité athénienne, ne mentionne à aucun moment le sanctuaire de Blautè, alors même qu’il
visite Athènes au IIe siècle après J.-C., mais il parle du temple de Pandémos, à proximité
duquel se trouvent les sanctuaires de Gè Kourotrophos et de Déméter Chloé 2 . Certains
historiens ont postulé une assimilation entre les deux aspects d’Aphrodite honorés en ce lieu,
Blautè et Pandémos, d’autant que les stèles parlent d’une enceinte « ouverte au peuple ». Ce
rapprochement ne peut être écarté, mais on peut aussi imaginer, d’après les inscriptions, que
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la déesse Blautè était une divinité synnaos, abritée dans le sanctuaire même de Kourotrophos.
Le sanctuaire de Blautè doit donc sans doute être localisé sur le flanc sud-ouest de
l’Acropole3, c'est-à-dire en un lieu d’implantation de divinités étrangères – puisque c’est sur
ce même versant que se trouvent, entre autres, l’Asklépiéion et l’Isiéion –, ce qui confirme
l’idée d’une origine sémitique de la déesse Blautè.
Le théonyme de Blautè, attesté seulement aux Ie – IIe siècles de notre ère, semble
donc prendre le relais de l’appellation d’Ourania pour désigner la déesse sémitique.

Artémis Nana

Le théonyme hellénisé d’Artémis Nana renvoie à une vieille déesse babylonienne, Nana
ou Nanâya, dont le temple se situe à Uruk, au sud de la Mésopotamie4. Cependant, à Athènes,
son insertion dans le Métrôon fait référence au cycle mythique phrygien de Cybèle et Attis5.
Arrivée en Anatolie, Nana a, en effet, été associée au mythe et au culte de Cybèle : dans le

1
[B. 15] = IG II² 5183 et [B. 16] = B.D. MERITT, Hesperia 26 (1957), p. 91, n°40.
2
PAUSANIAS, I, 22, 3.
3
La localisation est confirmée par la découverte d’un relief représentant un serpent et une sandale : il s’agit de la
stèle votive de Silon, trouvée en 1904 sur le versant sud de l’Acropole, remontant au IVe siècle avant J.-C (IG II²
4423 ; NM 2565). Cf. N. KALTSAS, Sculpture in the National Archaeological Museum, Athens, Kapon Editions,
2002, p. 2116, n°443.
4
P. BORDREUIL, F. BRIQUEL-CHATONNET (dir.), Les Débuts de l'histoire : le Proche-Orient, de
l'invention de l'écriture à la naissance du monothéisme, Ed. de la Martinière, Paris, 2008, p. 269 ;
M. GAWLIKOWSKI, « Nanai », LIMC VIII, I : « Déesse d’origine akkadienne, attestée dès la fin du IIIe
millénaire en Mésopotamie, Nanaia est également connue en Iran et en Syrie, à l’époque hellénistique, et
identifiée à Artémis ».
5
M. CLERC, Les Métèques athéniens, op. cit., p. 142.

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mythe pessinontien de la naissance d’Attis tel que le rapporte Arnobe, Nana est la fille du roi
Sangarios, le nom du fleuve qui coule au pied du mont Dindyme, célèbre pour son culte de
Cybèle1. Ravie par la vue d’une grenade, la jeune fille la cueille et la met sur son sein, ce qui
la rend grosse et déclenche la colère de son père, qui l’enferme alors en la privant de
nourriture. Mais la Mère des dieux la protège et lui fournit tout ce dont elle a besoin, lui
permettant de donner naissance à un garçon. Le roi fait exposer le nouveau-né, nommé Attis,
qui est nourri par les bouquetins – que les Phrygiens appellent attagis2 – et qui devient par la
suite le jeune parèdre de Cybèle, la Mère phrygienne.
A Athènes, plusieurs inscriptions pourraient faire référence à cette déesse anatolienne
Nana ou Nanaia, mais une seule peut lui être attribuée avec certitude 3 . Il s’agit d’une
dédicace datant du IIe – Ie siècle avant J.-C., érigée probablement dans le Métrôon du Pirée,
en l’honneur d’Artémis Nana 4 . Cette association cultuelle entre la Mère des Dieux et
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Artémis est attestée à Athènes de façon plus ancienne, dès le IVe siècle avant J.-C., dans
quatre dédicaces 5. L’une doit être exclue de cette étude, car elle a été découverte dans la cité
même et s’adresse donc probablement à la Mère des Dieux autochtone et à l’Artémis
athénienne6. Les trois autres en revanche, provenant de la région des mines du Laurion, font
sans doute référence aux deux déesses phrygiennes, car elles émanent de personnages dont
les noms révèlent une origine anatolienne. La dédicace faite à Artémis par un certain Attis est
particulièrement révélatrice : l’association entre le nom du dédicant, typiquement phrygien,
et celui d’Artémis nous permet de penser que ce théonyme désigne l’interprétation grecque
de la déesse Nana. Par conséquent, les deux autres dédicaces faites à Artémis par Manès7 et
Noumènios8, deux hommes aux noms également anatoliens, s’adressent sans doute à cette
même Artémis orientale ou Nana.

1
ARNOBE, Contre les Nations, V, 5-7.
2
R. TURCAN, Les cultes orientaux dans le monde romain, Les Belles Lettres, Paris, 2004, p. 39.
3
[C. 47 et 50] = IG II² 4633 et 4696 ; [C. 48] = M. SALLIORA-OIKONOMAKOU, Sounion, 165, n°82-83.
4
[C. 50] = IG II² 4696.
5
D. GUARISCO, dans D.M. COSI (éd.), L’arkteia di Brauron e i culti femminili, Bologne, 2001, p. 82. Les
inscritpions CIA II, 3, 1333 et 1571 renvoyaient également à Artémis Nana selon M. CLERC, Les Métèques
athéniens, Arno Press, 1979 (1e éd. Thorin & fils, 1893), p. 142.
6
IG II² 4670.
7
Un personnage du même nom consacre une offrande à Cybèle à la même époque (IG II² 4609). S’il s’agit bien
du même personnage, le fait qu’il consacre à la fois à Cybèle et à Artémis permet de conclure qu’il s’agit ici de
l’Artémis phrygienne, Artémis Nana. Néanmoins, cette identification est difficile dans la mesure où un grand
nombre d’esclaves anatoliens travaillant en Attique porte le nom de Manès : au IVe siècle avant J.-C., toujours,
un Manès est également attesté parmi les dévots de Mèn Tyrannos. De façon générale, les porteurs de ce nom
sont des esclaves originaires d’Anatolie, qui continuent d’honorer les dieux de leur patrie d’origine.
8
Noumènios porte un nom théophore dérivé du dieu anatolien Mèn. On peut voir en lui un esclave originaire de
Carie ou d’Anatolie. L’Artémis qu’il honore a sans doute un caractère oriental, anatolien, en lien avec Cybèle ou
l’Artémis d’Ephèse.

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Cette déesse était honorée en deux endroits de l’Attique : dès le IVe siècle avant J.-C.,
elle est d’abord honorée sous son seul nom grec, sans épiclèse distinctive, dans la région du
Laurion. Son culte y demeure discret : il est le fait d’individus isolés, qui agissent de façon
privée et officieuse, sans faire allusion au caractère étranger de la déesse. A partir du tournant
des IIe – Ie siècle avant J.-C., elle est attestée au Pirée, sous son nom complet d’Artémis
Nana : à ce moment-là, l’association avec sa compatriote Cybèle apparaît nettement, puisque
la dédicace est élevée dans le Métrôon du Pirée1.
En ce qui concerne l’onomastique, on dénombre à Athènes six noms théophores
dérivés de Nana, qui peuvent éventuellement être le signe d’une certaine dévotion à l’égard
de cette déesse2.
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2.2. Les théonymes associés à une épiclèse ethnique

Triade Héliopolitaine

Au milieu du IIe siècle de notre ère, sous le règne d’Antonin le Pieux, un citoyen
romain du nom de Quintus Tedius, sans doute originaire de Syrie et de passage dans la cité
athénienne consacre un petit autel à « Jupiter Très Bon, Très Grand, à Vénus, à Mercure
Héliopolitains »3 . En dépit de leur nom latin, il est clair que la dédicace s’adresse à des
divinités syriennes et non à leurs homologues romains : la mention de la cité d’Héliopolis ne
laisse planer aucun doute sur le caractère indigène des divinités en question4.
Le culte de ces trois divinités syriennes (Jupiter, Vénus et Mercure de Baalbek) est
attesté à Athènes grâce à cette dédicace d’un petit autel5, mais également par la découverte
récente, sur le site du nouveau musée de l’Acropole, de la moitié supérieure d’une statue de

1
R. GARLAND, The Piraeus, op. cit., p. 114, estime qu’Artémis Nana a probablement été introduite en même
temps que la Mère des Dieux, et qu’elle était sans doute honorée dans le même sanctuaire.
2
IG II² 12224 (IVe – IIIe siècle avant J.-C.), IG II²12228 (IIe siècle avant J.-C.), IG II² 12225 (Ie siècle avant
J.-C), IG II² 8735 (Ie siècle après J.-C.), IG II² 12226 (Ie siècle après J.-C.), IG II² 12227 (IIe siècle après J.-C.).
3
[D. 3] = CIL III 7280 ; Y. HAJJAR, La Triade d’Héliopolis-Baalbek. Son culte et sa diffusion à travers les
textes littéraires et les documents iconographiques et épigraphiques, Leiden, E. J. Brill, 1977, n°268.
4
En devenant la colonie romaine d’Héliopolis, la ville de Baalbeck a subi une romanisation importante, qui s’est
traduite par une transformation religieuse. A l’image de Rome, la ville s’est dotée d’un capitole, si bien qu’on a
alors adjoint à Jupiter et à sa parèdre (une espèce de Junon-Vénus que les Syriens avaient assimilé à leur
Atargatis-Astarté), une troisième déité locale, assimilée à Mercure : on obtient ainsi un groupement qui tient lieu
de triade capitoline. Cf. R. TURCAN, Les Cultes orientaux dans l’Empire romain, op. cit., p. 146-156.
5
[D. 3] = CIL III, 7280.

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