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A propos des "Caractères": ordre ou fantaisie?

Author(s): Pierre Laubriet


Source: Revue d'Histoire littéraire de la France , Jul. - Sep., 1967, 67e Année, No. 3 (Jul.
- Sep., 1967), pp. 502-517
Published by: Presses Universitaires de France

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A PROPOS DES «CARACTÈRES»:
ORDRE OU FANTAISIE?

De la fabrication des Caractères, il faut bien admettre que nous


savons peu et que nous sommes presque uniquement réduits aux hy-
pothèses. A quelle date La Bruyère les a-t-il commencés ? il est im-
possible de le dire x. A-t-il gardé en portefeuille des caractères prêts
avant la première édition pour les insérer dans les éditions sui-
vantes ? si oui, à quelle fin ? timidité, ou habileté, d'auteur ? 2 ex-
ploitation de l'actualité ? 3. Les trois éditions de 1688 n'étaient-elles
que des ballons d'essai, fragments d'un livre tout fait dont l'édition
quatrième aurait été l'édition complète ? 4 La Bruyère au contraire
aurait-il composé ses additions dans l'intervalle des éditions ? C'es
ce qu'ont pensé en premier Sainte-Beuve, puis E. Fournier et Et.
Allaire, se fondant sur la déclaration de la préface : « Je rends au
public ce qu'il m'a prêté », à laquelle ils auraient pu ajouter une
addition de la cinquième édition, où La Bruyère se fait dire qu'il
n'y a pas de raison pour qu'il cesse d'accroître son ouvrage, car
« il n'y a point d'année que les folies des hommes ne puissent vou
fournir un volume ». Les Caractères, prenant ainsi leur source dans
l'actualité immédiate, apparaîtraient alors comme les annales d'un
moraliste rapportant et commentant pour l'édification des hommes
les extravagances observées au jour le jour 5. Il nous a semblé qu
cette hypothèse, qui entraîne à refuser la thèse selon laquelle les
1. Les quelques allusions de Brill on (Ouvrage nouveau dans le goût des Caractères de
Théophraste et des Pensées de Pascal, 1697) ou de Vigneul-Marville (Mélanges d'histoire
et de littérature, Paris, 1700-1701, t. I, p. 342 sq.) ne sont guère éclairantes, et n'est
pas suffisamment convaincante l'allégation selon laquelle certains caractères font allusion
à des événements bien antérieurs à la date de publication (XIII, 2 ; III, 81 ; XIV, 53).
Cf. note 3.
2. P. Morillot par exemple, tient pour le scrupule (La Bruyère, Hachette, 1904).
3. C'est ainsi que les événements cités dans la note I avaient connu un regain d'ac-
tualité au cours de la publication du livre : l'ouvrage de l'amateur de fruits a été réédité
en 1690 et son caractère apparaît en 1691 ; le Mercure de 1688 avait rappelé l'histoire
de XIV, 53, qui apparaît aussi dans l'édition de 1691 ; et R. Couaillier a montré que
l'histoire d'Emire tenait d'assez près à cœur à La Bruyère pour qu'il en eût gardé le
souvenir pendant longtemps (« Histoire d'Emire. Une interprétation d'un texte de La
Bruyère », Revue des Sciences humaines, octobre-décembre 1694).
4. C'est l'opinion de P. Morillot et celle de Michaut (La Bruyère, Boivin, 1937).
5. C'est ce qui a pu autoriser Fournier, et plus encore Allaire, à chercher pour chaque
addition le fait de la petite ou de la grande histoire qu'il pouvait cacher ; même en
faisant la part de l'outrance, nombre d'exemples sont convaincants et invitent à penser
à une composition échelonnée.

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A PROPOS DES « CARACTÈRES » 503

Caractères auraient été entièrement composés avant 1688


tait de fournir également une explication plus satisfaisante d
tions dans l'ordonnance de l'ouvrage.
Il peut paraître vain de revenir, après tant de voix autori
ce problème de l'ordre dans les Caractères, qui n'a reçu
en ce qui concerne le plan d'ensemble, que des solutions pro
et n'en a pas reçu du tout en ce qui concerne l'ordonnan
culière à chaque chapitre2. C'est essentiellement ce dern
que nous voudrions examiner, en nous réservant toutefois d
au premier à l'occasion.

A. RÉFLEXION SUR LES TRANSPOSITIONS

Une remarque générale paraît d'abord s'imposer. On sa


le plan d'ensemble du livre, c'est-à-dire la division en chapi
resté inchangé au long des éditions, le contenu de chaque
en revanche s'est vu transformé non seulement par des
mais par des transpositions, particulièrement nombreus
quatrième édition : 178, et qui vont décroissant sensiblem
les éditions suivantes : 43 dans la cinquième, 35 dans la si
dans la septième, 11 dans la huitième ; il faut ajouter que la
des transpositions dans ces éditions se rencontrent dans
chapitres privilégiés : par exemple, le chapitre xn, « Des Jug
contient à lui seul 16 des 35 transpositions de la sixième
Quant aux transpositions de l'édition quatrième, elles on
toutes lieu à l'intérieur d'un chapitre, 12 seulement ayant é
d'un chapitre à l'autre. Enfin, si certains chapitres reçoivent
de cette édition, des additions nombreuses, ils les voient fa
place qui restera inchangée et ils ne connaissent à peu pr
transpositions : par exemple les chapitres i, h, in, x, xni, x
en revanche, les chapitres xi, « De l'Homme », et xn, « D
ments », sont les chapitres les plus remaniés à travers les é
à cause de leur longueur peut-être, mais aussi parce que,
la généralité de leurs titres, ils peuvent offrir des remarqu
tibles d'appartenir à des rubriques diverses. Tout se passe co
La Bruyère avait eu son plan d'ensemble prêt, et avait im
chapitres une ordonnance provisoire ; pour certains chap
additions s'y sont intégrées sans apporter trop de remue
pour d'autres, surtout ceux qui prirent une particulière
l'ordre primitivement envisagé ne pouvant plus conveni
nouvelle matière pu faisant trop voir ses défauts, l'auteur a
1. Cf. encore la tentative de Th. Goyet, « La Composition d'ensemble du l
Bruyère », l'Information littéraire, janvier-février 1955.
2. Ainsi, M. Garapon, dans sa récente édition des Caractères, déclare-t-il que La
Bruyère « s'en remet, pour la texture de ses différents chapitres comme pour le plan qu'il
leur assigne dans son livre, aux deux règles qui régissent toute conversation : l'association
des idées et l'opportunité » (Caractères, éd. Gamier, introduction, p. XXIII), affirmation
peut-être un peu rapide.

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504 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

cher, surtout pour l'édition qui connut le plus gros apport, la qua-
trième, un ordre nouveau. Si cette matière avait été prête dans son
ensemble avant cette quatrième édition, il paraît logique de penser
que La Bruyère, même s'il réservait la publication d'une partie,
aurait dès l'abord donné à ces chapitres leur ordonnance définitive x.
Une étude des remaniements apportés à ces deux sortes de chapi-
tres éclaire davantage encore ; nous ne prendrons que quelques
exemples : deux chapitres peu bouleversés, celui « Des Ouvrages
de l'esprit » et celui, très discuté, parce qu'il touche au problème
du plan général de l'ouvrage, « Des esprits forts », et deux chapitres
très remaniés, « De la Société et de la Conversation », et « De
l'Homme », le plus long du livre ; mais l'enquête peut être menée
sur l'ensemble sans que changent les conclusions.

B. DÉDAIN OU AMOUR DE L'ORDRE

Le premier chapitre des Caractères se présentait comme suit dans


la première édition. Les § 1 à 7 et le § 9 2, qui sont des considéra-
tions générales sur les ouvrages de l'esprit, tournent autour de la
difficulté de faire un bel ouvrage ; puis les § 10 à 14 traitent du
goût et des qualités nécessaires à l'écrivain ; le § 15, 2e alinéa, fait
un éloge rapide des Anciens; les § 17 et 18 traitent de Fart de
l'expression; les § 19, 20 et 21, 1er al, ainsi que le § 46 sur le
Mercure galant, sont consacrés à la critique 3 ; viennent ensuite les
alinéas 1, 2 et 3 du § 47 sur l'opéra, puis les § 53, 54 (le parallèle
Corneille-Racine) et 55, 1er, 2e et 3e al. : il y est traité des genres,
roman, théâtre, éloquence, et la conclusion en vient avec le § 65 :
les grands sujets sont impossibles ; les § 66 et 67 apportent quelques
conseils, et le chapitre se termine sur le § 69, où il est affirmé qu'il
est malgré tout possible d'être original. Les linéaments du chapitre
définitif sont déjà dessinés, et le plan est solide : examen des quali-
tés nécessaires à l'écrivain, les modèles qu'on lui propose, l'impor-
tance qu'il doit attacher à l'expression, le rôle de la critique, l'exa-
men des genres qu'il est possible de cultiver, et la conséquence de
toutes ces considérations, à savoir que l'originalité peut encore se
rencontrer. Sans doute n'est-ce qu'un cadre, et un cadre encore as-
sez vide, mais il n'est que de le remplir : les ajoutés de la quatrième
édition vont précisément le faire, sans le briser.
La Bruyère se livre d'abord à deux transpositions négligeables :
il intervertit les deux alinéas du § 7, qui prennent l'ordre actuel ; il

1. Il faut songer aussi que certains cartons, ces feuilles qui remplacent au dernier mo-
ment d'autres feuilles dans l'ouvrage imprimé, introduisent des textes nouveaux : cf. La
Bruyère, Caractères, éd. Servois, 3* éd., 1922, IV, p. 318-338 ; La Bruyère aurait-il ainsi
procédé si les Caractères avaient été tout prêts en portefeuille?
2. Nous donnons les numéros de la numérotation définitive.
a. JLe Mercure est vise â cette place sans doute â cause de la mauvaise qualité et de
la méchanceté de sa critique ; faut-il remarquer que c'est La Bruyère qui a pris l'initiat
de l'attaque?

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A PROPOS DES « CARACTÈRES » 505

constitue le § 16 avec une phrase empruntée au début d


laquelle il ajoute les alinéas 2 et 3, préparant ainsi d'un p
remarques sur la critiqué. Puis il glisse entre les remarq
tantes des additions. Le § 15 s'enrichit des alinéas 3, 4, 5
développent l'éloge des anciens : il ne faut pas oublier
sommes en pleine querelle et que Fontenelle et Perrault
au cours de l'année 1688 leurs machines de guerre contre l'a
Apparaissent les § 22, 23, 24, 26, 27, 28, 30, 32 et 33 qu
pour sujet la critique et surtout le mauvais usage qu'en
plupart des gens ; le § 34 révèle l'attitude du philosoph
cette critique - c'est l'aspect positif de la question - , e
à 38 disent ce qu'est la vraie critique : toutes ces réflexio
critique sont donc apparues après les réactions aux trois
éditions des Caractères et en disent long, malgré le § 35, su
sibilité d'auteur de La Bruyère 1. Le § 47 reçoit un nouvel a
apporte les raisons du jugement porté sur l'opéra ; les § 48 e
vent contre les amateurs de spectacles, qui nuisent aux pro
nels ; le § 50 est une introduction générale à la comédi
tragédie ; le § 55 sur l'éloquence est complété des alinéas
enfin les § 57 à 61 donnent de nouveaux conseils sur la m
mettre en œuvre la matière littéraire. Somme toute, La Br
bien s'est contenté de compléter ou de préciser sa pensé
a tenu compte de l'actualité, ou a laissé libre cours à l'expre
réactions personnelles. Les ajoutés sont donc le résultat
flexions sur l'état antérieur du texte, qui a paru à l'auteur
samment clair, ou de réactions aux circonstances ; il ne s'ag
ment de laissés pour compte dans des dossiers. D'autre part
n'a rien changé à l'ordonnance du chapitre, parce qu'il trait
sujet sur lequel son siège était déjà fait, dont il connaissait
aspects, et sur lequel il savait très bien ce qu'il avait à dire
ment il avait à le dire. Il ne lui restera plus dans les édi
vantes qu'à combler quelques trous, par exemple en montra
ment une « personne d'esprit » doit critiquer, ce qui a en
ajoutés de la cinquième édition sur les auteurs du XVIe e
siècles (§ 39 à 45), ou bien en fondant la question de la m
théâtre et dans l'œuvre littéraire sur un principe esthétique
l'examen des quelques additions suivantes ne ferait que c
les précédentes conclusions.
Considérons maintenant le chapitre v, « De la Société
Conversation », qui apparaît dans la première édition à l
différait de ce qu'il sera en définitive et très désordonné.
3 et 4 constituent une sorte d'introduction générale sur
caractères, défectueux pu acceptables, de la société ; vien

1. Les quelques portraits du chapitre, vengeances d'auteur, sont introduits à


casion (§ 23, 24 et 25).

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506 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

suite les § 15 et 16 qui traitent des qualités exigées par la conversa-


tion, le § 73 dirigé contre les gens qui citent mal à propos, ce qui se
rattache encore à la conversation, les § 20 et 21 qui portent aussi sur
les défauts de la conversation, le § 21 orientant vers le problème des
manières ; les § 17 et 18 reviennent sur les qualités exigées dans
la conversation ; les § 63 et 64 disent combien il est difficile de con-
soler et de conseiller ; les § 54 et 55 s'élèvent contre la raillerie ; le
§ 65 se moque des cercles précieux, et le § 41, constatant que dans
les sociétés ce sont souvent les plus fous qui dirigent, peut s'y rat-
tacher ; les § 43 et 44 se préoccupent du mariage, le § 40 déplore les
dissensions entre les familles et le § 47 se présente comme une sorte
de conclusion des précédents, en constatant que les hommes sont
incapables de s'entendre ; les § 67 et 68 traitent de la frivolité et
de l'affectation dans la conversation, les § 60, 61 et 62 des relations
d'amitié, et les § 57 et 58 de la raillerie ; les § 77, 76 et 78 donnent
des règles de mesure dans l'expression ; les § 33 et 32, 2e et 3e al.
entretiennent de la politesse, et le § 71 conclut en s'élevant contre la
grossièreté dans la plaisanterie et dans le langage en général.
Le décousu du chapitre saute aux yeux : les remarques sur la
conversation sont dispersées en divers endroits, de même sont dis-
sociées des remarques portant toutes sur la raillerie ; le problème
des manières aurait dû entraîner les réflexions sur la politesse et
les remarques sur les relations d'amitié auraient dû se trouver avec
les considérations sur les relations entre les hommes dans les mé-
nages et les familles. Si l'on peut parler de « désinvolture en matière
de composition » ' c'est bien à propos d'un tel chapitre. Mais il n'est
plus possible de le dire après la quatrième édition : des additions et
26 transpositions pour 58 § le transforment complètement.
Les quatre premiers paragraphes restent inchangés. Suivent les
§ 5, 6, 8, 10, 11 et 14, ajoutés, et le § 15, qui portent tous sur la con-
versation et ses divers aspects ; le § 73, qui concerne les mauvais
citateurs, reste à sa place et est suivi des § 16, 17, 18, 19, 20, 21 et
de l'actuel § 50, 1er al. du chapitre « Des Grands » (portrait de
Pamphile) 2 : tous portent sur la conversation et les défauts qui s'y
montrent, le § 20 et le début de 21 faisant transition entre les dé-
fauts de conversation et les défauts de manières. Leur succèdent
donc les § 26, 31, 32, 1er al, 33, 34, 35 qui portent sur les manières,
la politesse, le tact ; puis viennent les § 36, 37 et 38 ajoutés, 40, 41,
42 ajouté, 43, 44, 47 qui examinent les rapports sociaux, surtout
familiaux ; les § 50 et 51 ajoutés examinent les rapports entre les

1. L'expression est empruntée à M. Garapon, qui retend, indûment à notre sens, à


tout le livre, et dans l'édition définitive (op. cit., p. xxv, n. 2).
2. Ce premier alinéa de « Pamphile » ne concerne pas spécialement un grand et peut
fort bien s'intégrer dans le chapitre V ; il ne passera au chapitre IX que dans la sixième
édition, quand La Bruyère lui aura adjoint un long développement qui s'applique vérita-
blement à un noble, peut-être parce qu'il a rencontré entre temps l'original du portrait
abstrait inséré dans le chapitre V.

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A PROPOS DES « CARACTÈRES » 507

provinciaux et disent leur incompréhension de la raillerie,


qui sert de transition vers les paragraphes suivants. Les
continuent en effet sur le thème de la raillerie, les § 59
mêlant la nuance du dédain; tout cet ensemble, des §
porte en fait sur les rapports que peuvent entretenir de
d'origine et de valeur différentes- Les rapports d'amitié et
seil font la matière des § 61 à 64 ; le § 65, qui critiquait
précieux, est complété par les § 67, 68 et 69, 70 ajoutés,
quent de l'affectation de certains cercles sociaux et de leur
le § 71 s'élève contre les plaisanteries grossières ; les § 76
donnent des règles de mesure dans l'expression ; le § 79, em
au chapitre « De l'Homme », et 80 traitent du secret ; enfin
pris au chapitre « Du mérite personnel », conclut sur l'at
sage devant les inconséquences des hommes en société.
Il est bien net que le chapitre s'est organisé. La Bruyère a
au début tout ce qui concernait la conversation, c'est-à-dire
y a de plus superficiel dans les relations sociales, en mon
déjà dans ce domaine les défauts des hommes étaient pe
tables ; puis il a examiné la politesse, autre sorte de rela
importante que la précédente pour la facilité des rapports s
elle est mieux à sa place ici qu'à la fin du chapitre où e
précédemment comme reléguée au rang de pure règle de
tion. Puis il expose les difficultés qui surgissent dans le
liés entre eux par des liens plus forts que ceux de la po
liens familiaux, liens de voisinage ; enfin il étudie les sociét
triques au langage ésotérique, rejoignant ainsi son point
la conversation. Il termine par quelques règles de condu
la règle de sagesse. Cette construction ne sera plus chan
suite, La Bruyère se suffisant de préciser et d'illustrer
déjà exposées x : la quatrième édition a donc apporté le
nitif du chapitre.

L'analyse des transformations du chapitre « De l'Hom


la première à la quatrième édition permet d'aboutir à un
sion identique, bien que des remaniements apparemment im
dans les éditions postérieures à la quatrième puissent fa
que La Bruyère, se trouvant devant une matière plus abo
diverse que pour d'autres chapitres, ait éprouvé plus de
et ait mis plus de temps à la dominer.

1. Les portraits d' Arrias (§ 9 ajouté sur l'édition 8) et de Théodecte (§ 12


l'édition 5) viennent illustrer certains défauts de la conversation ; celui d'Euty
24 ajouté sur l'édition 7) illustre le manque de tact ; et, tandis qu'Hermago
ajouté sur l'édition 5) offre un portrait du pédant, Théobalde (§ 66 ajouté su
et Cydias (§ 75 ajouté sur l'édition 8) présentent deux variétés du bel esprit. Q
transpositions, elles se réduisent à deux : le § 73 vient à sa place actuelle su
préparant le portrait d'Hermagoras qui le suit, et le premier alinéa du
chapitre « Des Grands », où il n'avait rien à faire, à sa place actuelle.

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508 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

La première édition donnait de toute évidence un chapitre dé-


sordonné ayant l'aspect d'un fourre-tout. Sans doute La Bruyère
pose-t-il en tête du chapitre l'idée directrice de l'ensemble, que la
nature de l'homme est le mal (§ 1), et les 73 paragraphes du cha-
pitre le démontreront-ils clairement, mais ils le feront sans souci
d'aucune logique. Après avoir constaté l'absence de générosité en
l'homme (§ 11) et dit son irrésolution (§ 5), il oppose son instabilité
extérieure à la permanence du mal à l'intérieur de son être (§ 2), et
ajoute même que la vie seule suffit à le gâter (§ 15) ; vient ensuite '
sans préparation, une remarque sur la « compassion » faiblesse des
grandes âmes (§ 81) 2, suivie de paragraphes sans rapport avec elle :
étonnement que les hommes, aussi divers de caractère, puissent
vivre ensemble (§ 16), constatation de leur malléabilité par les cir-
constances (§ 18) ; les § 19 et 21 affirment que l'homme n'est pas
heureux, et le § 24 s'étonne à nouveau que les hommes puissent
s'entendre ; le § 28 semble conclure sur les constatations pessimistes
précédentes, en appelant à l'indulgence. Viennent ensuite des re-
marques isolées sans rapport avec ce qui a précédé3, et quelques
réflexions sur diverses attitudes de l'homme 4 ; celles qui suivent, sur
la vanité des hommes5, ne sont pas liées davantage, ni avec les
précédentes ni avec les suivantes, que ce soit le § 124, l'unique « ca-
ractère » du chapitre qui vise l'inconséquence humaine, ou les §
qui suivent, considérations sur les valeurs et comportements divers
de l'esprit humain 6. Le § 99 passe à un tout autre sujet : les bien-
faits de la retraite et l'ennui qu'en général les hommes y éprouvent,
thème repris par le § 100, mais dans l'intervalle le § 98 a raillé les
petitesses des hommes en place. Peut-être appelle-t-il, de loin, le
thème de la vanité des § 72 et 76, d'ailleurs vite abandonné pour
de nouvelles considérations sur la stupidité (§ 77), puis les incon-
séquences humaines (§ 133, 134 et 135), que veulent illustrer, sem-
ble-t-il, les § 114 et « Des Grands », § 14, mais dont s'éloigne le
§ 109 sur la flatterie. La Bruyère consacre ensuite, sans que s'aper-
çoive l'association avec ce qui a précédé 7, plusieurs paragraphes

1. La Bruyère avait hésité dès la première édition, puisque les premiers exemplaires
apportaient comme un repentir au § 15 et insinuaient l'influence de l'hérédité (éd. Servois,
UI, p. 38, n. 4).
2. Faut-il comprendre que cette compassion est un signe de la presence du mal même
dans les grandes âmes ? ou bien cette compassion est-elle produite par la vue du mal ?
3. Sur les fourbes (§ 25, 2* al.), sur la mort, la mauvaise utilisation de la vie, les
regrets, les grands chagrins (§ 36, 33, 46), Du Cœur, 35), le rôle de l'imagination dans
le malheur et le bonheur (§ 30 et 29).
4. § 34, 39, 40 et 60, 61, Du cœur 69).
5. 11 s'agit des § 64, 78 2* al., 70, 154 ; Tune d'elles ne touche d'ailleurs à la vanité
que par un biais : § 78, 2' al.
6. $ 92, 93, 86 et 94, ce dernier étant une sorte d application des remarques qui l'ont
précédé.
7. Le lien pourrait être l'avarice des vieillards : le § 114 a en effet condamné l'avarice,
mais le $ 113 qui fait état de l'avarice des vieillards est séparé de 114 par quatre pa-
ragraphes qui ont porté sur autre chose.

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A PROPOS DES « CARACTÈRES » 509

aux défauts des vieillards (§ 111, 112, 113, 115, 116, 117,
Mais pourquoi ensuite cette réflexion sur les hommes bourr
hommes du § 127, dont le § 78, 1er al. semble fournir une sor
ple ? Peut-être est-ce par contraste qu'apparaissent ensui
de la philosophie (§ 132) et la réflexion sur le malheur
proie aux reproches de sa conscience (§ 136). Après un
retour du thème de l'inconséquence humaine (§ 137 et
celui de la petitesse des grands hommes (§ 97), le chapit
mine par une série de remarques isolées et jetées en désordr
mauvaise tactique à l'égard de ses ennemis (§ 150), du sec
Société, § 79), de la médiocrité (§ 152 et 153), contre cert
chants (§ 126), de la haine (§ 108), des pères qu'on ne reg
(§ 17), de l'affectation (§ 146), du fat qui s'ignore (§ 90).
Bien que la quatrième édition n'apporte pas la plus gran
des additions qui grossiront le chapitre ' ces additions e
rante-et-une transpositions opérées en même temps lui don
non tous les traits, du moins la structure et la plupart des
essentiels de sa physionomie définitive.
La Bruyère a pris conscience, semble-t-il, qu'outre le t
la nature humaine originellement viciée, celui de l'incurable
séquence de l'homme pouvait devenir le second motif co
du chapitre. Après avoir donné dans les § 1, 2 et 3 les thèm
rateurs du chapitre, La Bruyère développe quelque peu
sur le mal originel et ses sources : le défaut d'esprit, l'insta
malléabilité de l'homme en général2. Il va ensuite exam
aspects divers de ce mal originel : il passe sans trop insis
vanité de la recherche du bonheur (§ 19, 21 et 22) et l'ab
droiture et de justice de l'homme (§ 24, 25, 1er et 2e al., 27
il s'arrête davantage sur le rôle de l'imagination en y m
réflexions sur la mort 3. La pensée de la mort le conduit à co
les différents âges de la vie (§ 48 et 49) et à s'arrêter plus p
lièrement sur les enfants (§ 50 à 59). L'idée de faute et de c
envisagée à propos des enfants (§ 59) entraîne des réflexion
vanité, la modestie et la raillerie, et conduit à opposer la
ceté des railleurs à l'attitude pleine de pitié des âmes s

1. 57 paragraphes nouveaux sur les 94 qui seront finalement ajoutés.


2. Les § 4 et 5 affirment l'instabilité de l'homme, 9, 10, 8 et 11 proposent quelques
vices qui tiennent à cette instabilité; le défaut d'esprit (§ 13 et 14) et la malléabilité de
l'homme par les événements de la vie (§ 15 à 18) sont d'autres sources des vices humains.
3. L'édition présente ici un léger flottement : trois réflexions sur la mort (§ 36, 33,
46), puis les $ 29, 30 et 31 portant sur l'imagination, et de nouveau trois paragraphes
touchant à la mort (34, 39, 40) ; le lien peut à la rigueur être que l'imagination a sa
part dans les sentiments de l'homme à l'égard de la mort : une certaine parete d'idée
entre les $ 36 et 30 autoriseraient à le penser.
4. Les § 60 et 61 forment transition entre les considérations sur les enfants et celles
sur la vanité, les fautes ne servant guère plus de leçon aux uns qu'à l'autre ; et si aux
paragraphes sur la vanité (65, 66, 67, 69, 71 à 75) s'opposent des réflexions sur la rail-
lerie, c'est que celle-ci est la plus cruelle ennemie de la vanité ($ 76, 77 et 78).

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510 REVUE D'HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE

Mais les hommes ignorent les vraies valeurs, c'est-à-dire les valeurs
morales, et prisent trop des valeurs sujettes à bien des défaillances :
valeurs de l'esprit, grandeur, divertissement1. Un paragraphe de
transition (§ 102) constatant combien des hommes s'emploient à se
rendre misérables, introduit une série de défauts liés à la vieillesse
(§ 104 à 110), qui servent eux-mêmes d'introduction à la longue série
des § 111 à 125 2 consacrés à peindre les défauts des vieillards, spé-
cialement l'avarice et l'égoïsme 3. Après l'égoïsme, La Bruyère stig-
matise la malfaisance humaine4, dont le spectacle lui inspire par
contraste une série de méditations sur l'aide qu'apporte la philoso-
phie à supporter toutes les amertumes de la vie 5. Suit un ensemble
de réflexions qui pourrait s'intituler, d'après la première d'entre el-
les (§ 140), l'homme et le masque : masque de l'affectation (§ 144,
145 et 146), de l'inconséquence (§ 147 à 150), de l'impudence (§ 151),
de l'éducation (§ 152), du tempérament, des sens et de l'imagina-
tion (§ 153 et 154). Après une telle revue des défauts humains,
l'édition quatrième peut se permettre de conclure : le § 157 cons-
tate que l'homme est plus inconstant qu'opiniâtre, ce qui renvoie
au jugement que le moraliste avait posé au début de chapitre (§ 5,
6 et 7), tandis que le § 158, en affirmant que la satire morale ne
s'intéresse qu'aux vices généraux de l'humanité et non aux défauts
particuliers des individus, semble suggérer que le philosophe, parti
de l'intransigeante position du § 1, s'en excuse quelque peu au terme
de son enquête et mêle, à son acceptation résignée de la nature
humaine, des sentiments de pitié pour l'individu qui l'assume.
Bien que l'ordonnance des matières acquise dans cette quatrième
édition puisse encore laisser à désirer, surtout du fait de l'absence,
parfois cruellement ressentie, de transition d'un groupe de remar-
ques à l'autre, cette ordonnance n'est pas niable, mais il s'agit moins
d'un ordre intellectuel que d'un ordre affectif. Emporté, quoi qu'il
en dise dans le § 1, par son «humeur» pessimiste, le philosophe
veut prouver d'abord que l'état naturel de l'homme est le mal et
que rien ne peut l'en corriger, pas même les plus orgueilleuses philo-
1. Les § 86, 87, 89 à 93 montrent les défaillances de l'esprit ; et les § 94, 95, 97
et 98 celles de la grandeur, qui ont leur source en la grandeur même, parce qu'elle éloigne
de la retraite et de ses bienfaits (§ 99) ; mais la retraite elle-même est troublée par le
besoin de divertissement (§ 99, 2* al., 100 et 101).
2. Sauf 122, qui n'apparaîtra que sur l'édition cinquième.
3. La critique de l'égoïsme est un apport de l'édition quatrième, puisqu'elle introduit
la plus grande partie des portraits du chapitre: Phidippe, Gnathon, Ruf fin, N**, types
d'égoïstes tous vieillards ou en marche vers la vieillesse.
4. La première édition constatait que les hommes se font les bourreaux des hommes
(§ 126 et 127), la quatrième fournit des exemples de cette cruauté : victimes privilégiées
($ 128 sur les paysans), bourreaux particuliers (§ 129 et 130 sur les nobles de province),
et elle termine sur une méditation se demandant si les hommes ne pourraient pas cesser
de se mépriser et consentir à se bien traiter (5 131).
5. Le $ 132, sur l'aide de la philosophie, semble une conclusion aux remarques qui
ont précédé, puis les § 133 à 136 donnent quelques exemples d'attitude philosophique,
tandis que 137 et 139 montrent les inconséquences de ceux qui n'usent pas de philo-
sophie.

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A PROPOS DES « CARACTERES » 511

Sophies ' ce mal se manifestant peut-être essentiellemen


inconséquences humaines : inconséquences en effet que l'ins
que l'abandon au gré des circonstances, la force de l'imagina
vanité, les attitudes contradictoires devant la vie et la mort
titesses de la grandeur, les mauvais usages de la vieillesse ; c
court à travers tout le chapitre, là éclatant, là en sourdine,
fois combattu, mais pour être mieux souligné 2 ; naissant d
avec lui, mais en contrepoint, un autre thème apparaît fugi
mais non sans insistance, celui de la pitié : simple exhor
départ (§ 1), il devient indulgence (§ 28), puis compassio
82), puis acceptation philosophique (§ 132), pour finir en
de haussement d'épaules apitoyé et condescendant. Com
musicale que celle de ce chapitre « De l'Homme », sorte
composition cependant, et qui va rester, dans les éditions su
telle qu'elle a été élaborée dans cette quatrième 3.
La démonstration que nous avons tentée pour quelques c
pouvant se faire pour les autres 4, il paraît possible de tirer
tenant deux conclusions. La Bruyère n'a pas bouleversé
moment l'ordre intérieur des chapitres : les remaniements
fin la conquête d'un équilibre satisfaisant, et quand cet équi
atteint, il ne touche plus à l'ordonnance du chapitre, mê
gonfle. Il est bien remarquable d'autre part que la quatr
tion est celle sur laquelle s'est faite essentiellement cette
place ; après elle, l'ordre interne n'est plus troublé de façon
même dans le cas d'importantes additions. Loin de jongle
paragraphes, La Bruyère s'efforce au contraire de leur donn
dre le plus conforme à leur matière, en homme qui n'ignor
la troisième règle de Descartes : « conduire (ses) pensées par
1. Le § 3 avait affirmé l'incapacité du stoïcisme à changer la nature humaine.
2. C'est le sens, nous semble-t-il, des paragraphes sur les enfants : ils sont hommes en
ce qu'ils sont en proie au mal, mais n'ont pas encore l'inconséquence de pensée et de
conduite que produisent en l'homme les passions et la raison dérangée par les passions.
3. Les ajoutés des éditions suivantes viennent se placer comme d'eux-mêmes dans les
ensembles déjà prêts : ainsi dans la cinquième édition, qui apporte le plus de paragraphes
nouveaux, cinq grossissent les réflexions sur la mort (§ 37, 38, 41, 43, 44, 45) ; Cliton
le gourmand prend sa place parmi les vieillards égoïstes ; Télèphe et Timon offrent deux
applications du § 140 sur l'homme masqué. Une transposition permet d'établir un ordre
plus satisfaisant au seul endroit de l'édition quatrième qui présentait encore un défaut :
les § 29, 30 et 31 sont mis en effet à leur place définitive, semblant expliquer la pitié
que manifestait le paragraphe précédent (§ 28) et soulignant les inconséquences humaines
sur lesquelles portent les paragraphes suivants (32, 33, 34). La sixième édition accroît
l'importance des remarques sur l'instabilité de l'homme en apportant un exemple qui offre
à la fois l'image la plus sensible et la caricature de ce défaut, celui de Ménalque le dis-
trait, et en en préparant l'apparition par l'ajout des § 5 et 6 ; elle appuie en même temps
légèrement sur le thème de l'indulgence en introduisant le § 143. La septième édition ap-
porte une note supplémentaire au même thème (§ 80), et clôt l'ensemble sur le masque par
l'intéressante réflexion du § 136. Les apports les plus importants de la huitième édition
sont deux portraits : celui d'Irène, qui, par le trop de souci qu'elle a de sa vie, fait con-
traste avec les $ 33 et 34 sur le peu de ménagement qu'en ont d'ordinaire les hommes ;
et celui d'Antagoras le plaideur, autre type de vieillard ; enfin le § 79, nouvel apport au
thème de la pitié. Aucun de ces ajoutés n'a perturbé le plan d'ensemble du chapitre.
4. Nous la ferons pour le chapitre xvi à la fin de cet article.

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512 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à
connaître, pour monter peu à peu et comme par degrés jusqu'à la
connaissance des plus composés, en supposant même de Tordre entre
ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres ».
Il semble possible de revenir alors sur le problème de la genèse des
Caractères. La Bruyère, croyons-nous, a donné à Michallet, dans
le courant de 1687, un ouvrage qui n'était qu'une ébauche, ce qui
explique toutes les précautions oratoires dont il entoure sa publica-
tion dans le premier chapitre ainsi que la déclaration du Discours
sur Théophraste : « ...il [son livre] ne tend qu'à rendre l'homme rai-
sonnable (...) en l'examinant indifféremment sans beaucoup de mé-
thode et selon les divers chapitres qui y conduisent... ». L'édition de
1688 n'était effectivement pas élaborée, mais devant le succès sans
doute, et désireux de devenir un véritable écrivain, un homme de
métier1, La Bruyère, en même temps qu'il augmenta son ouvrage,
y mit de l'ordre, en classique qu'il était. La genèse des Caractères
nous paraît donc s'être faite en deux temps : une première étape
avant 1687, qui aboutit à un ballon d'essai, un second stade, celui
de l'élaboration de l'œuvre littéraire, entre la première et la qua-
trième édition 2 ; et il semble que ce ne soit pas à partir de textes
déjà prêts que La Bruyère l'a opérée, mais avec des textes nés, si
l'on peut dire, de la considération du premier travail3. Il eût été
étonnant qu'un homme comme lui, qui paraît par ailleurs si désireux
de la perfection, et qui l'exige tant dans les œuvres d'autrui, n'ait
pas tenté lui-même d'y parvenir.

C. UNE MÉTHODE D'AGRÉER, OU UN ORDRE DU CŒUR

Le chapitre « Des Esprits forts » s'est souvent vu reprocher, ce


qui était prétexte à lui refuser crédit, à la fois ses transformations
à travers les éditions et son caractère postiche à la fin de l'ouvrage.
Il semble pourtant, à une première réflexion, qu'il tienne au dessein
général du livre : après avoir démasqué les dévots dans le chapitre
1. Une remarque maligne de Vigneul-Mar ville en fournirait une involontaire confirma-
tion : La Bruyère fut, selon son détracteur, d'abord a un auteur timide » et souffrit beau-
coup tant qu'il resta ignoré ; puis, avec le succès, il changea de caractère : «... à la fin
son mérite illustré par les souffrances, a éclaté dans le monde ; (...) et M. de La Bruyère,
changeant de fortune, a changé de caractère. » (op. cit.. I. p. 342 sq.).
2. Un signe que l'ouvrage est vraiment devenu à ses yeux une œuvre littéraire se
trouverait peut-être dans cette variante de la quatrième édition, qui, dans la réflexion
qui termine le livre : « Si l'on ne goûte point ces Caractères, ... », introduit dans le
texte précisément le mot « Caractères », au lieu du mot a remarques » précédemment écrit :
La Bruyère prenait ainsi rang aux côtés de Théophraste et jugeait son œuvre digne d'en-
trer dans un genre littéraire. S'il laisse subsister dans le Discours sur Théophraste sa
phrase sur les déficiences de sa méthode, sans doute est-ce alors par coquetterie d'auteur.
3. Leur matière n'est-elle pas souvent empruntée à des réflexions sur le présent? -
Remarquons d'autre part qu'il n'est guère possible d'objecter le manque de temps : à cette
date, La Bruyère est déchargé depuis deux ans de son préceptorat (on peut d'ailleurs se
demander si ce n'est pas à partir de ce moment qu'il a commencé à rédiger les Carac-
tères), et ses vagues fonctions de « gentilhomme » lui laissaient du loisir.

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A PROPOS DES « CARACTÈRES » 513

« De la Mode », La Bruyère se devait de dénoncer auss


tins, les dévots n'étant d'ailleurs à ses yeux qu'une espèc
tins 1 ; il ne quittait pas la critique sociale et il rencontrait
de la littérature contemporaine : pensons aux prédicateu
me à Molière 2. Aurait-il voulu aussi, en plaçant la satire d
après le chapitre « De la Chaire », établir un lien entr
thèmes, les clercs sans vocation devenant responsables des
sans conviction ? A-t-il même eu dès l'abord l'intention affirmée de
convertir, l'argumentation en faveur de l'existence de Dieu étant
loin d'avoir au départ l'ampleur qu'elle prendra ensuite ? Un exa-
men des états successifs du chapitre permettra peut-être de voir
plus clair dans les intentions de l'auteur.
Dès la première édition se manifeste une volonté d'ordre dans
l'exposé. Un premier groupe de réflexions (§ 1, 6, 7, 9) porte sur l'idée
posée dans le § 1 : la faiblesse réelle des esprits forts 3. Le groupe
suivant (§ 10 à 13, 15, 16 et 19) montre La Bruyère se refusant à
penser qu'on puisse être vraiment athée4. Après un paragraphe de
transition, qui veut démontrer la vérité du christianisme par le
succès de l'évangélisation (§ 29), tout le reste du chapitre porte sur
les preuves de la religion : la religion aide à réduire les difficultés
que l'on éprouve à opter pour la vie éternelle (§ 31, 32, 33) ; le
§ 35 affirme qu'il faut parier pour elle, le § 36 apporte une démons-
tration, inspirée de Descartes, de l'existence de Dieu, et les § 37
à 42 sont consacrés à la preuve philosophique de l'existence de
l'âme. Dès ce premier état du chapitre apparaît un désir de per-
suader : parti de l'idée que le libertin n'est pas libertin par convic-
tion philosophique, mais par faiblesse de caractère et manque de
réflexion, et que, par peur de l'éternité, il n'y veut pas penser, La
Bruyère entreprend de le convaincre de la nécessité de la vertu et
surtout de l'existence de la vie éternelle. Or, les éditions successives
n'apporteront aucune modification à cette structure en diptyque :
tout au long s'affronteront la fragilité libertine et la masse des
preuves en faveur de Dieu et de l'âme ; La Bruyère se contentera
de charger de motifs supplémentaires ses deux panneaux, et surtout
le second. Serait-ce qu'il s'agissait ici comme pour le premier cha-
pitre d'un sujet qui tenait à cœur à l'auteur, auquel il avait déjà
suffisamment réfléchi pour savoir comment le traiter5? Il n'a pas

1. Cf. le § 27 du chapitre.
2. Don Juan le libertin sait aussi, au besoin, fort bien jouer le faux dévot.
3. Le § 8, 1" al., peut même entrer dans ce groupe.
4. JL.es § 1U, il et 12 cherchent quelles peuvent être les raisons de 1 athée, 13 essaie
de lui répondre en apportant une preuve de l'existence de Dieu ; 15 et 16 proposent
d'autres raisons de l'athéisme, et 19 est une réponse.
5. Si Ton peut se fier à l'indication du § 36 : a II y a quarante ans que je n'étais
point... », ce texte aurait été composé en 1685 ; la réflexion philosophique sur l'existence
de Dieu et le désir de l'utiliser contre les libertins seraient donc contemporains de l'éla-
boration du premier noyau des Caractères ; comment dès lors penser que l'intention apa*
logétique s'est greffée postérieurement et accidentellement sur l'intention morale ?

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514 REVUE D^HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

caché dès l'abord que s'il cherchait à abattre le matérialisme des


libertins ' c'était pour les amener au christianisme 2, et qu'il savait
fort bien aussi que la raison n'y suffit pas, mais que la foi est en der-
nier ressort du domaine du surnaturel 3. Il sera néanmoins amené à
développer son argumentation rationnelle, tout en maintenant que
c'est le « cœur » qui doit être avant tout frappé 4, à cause du déve-
loppement même du rationalisme libertin.
Si la quatrième édition se contente, outre la mise en garde contre
le recours à une démonstration uniquement rationnelle de l'existence
de Dieu (§ 23), de montrer aux « beaux esprits » que sont les libertins
que la foi n'est pas incompatible avec la grandeur intellectuelle ni
avec le génie artistique 5, si les ajoutés de la cinquième et de la sixiè-
me édition sont de médiocre importance 6, en revanche les additions
de la septième édition précisent d'une manière définitive la signi-
fication du chapitre, en en faisant une apologétique avouée : outre
en effet le § 22, qui défend l'authenticité historique des Ecritures
et par là du christianisme 7, La Bruyère ajoute tous les § de la fin
du chapitre, depuis le § 43 inclus8, contenant des preuves d'ordre
scientifique et d'ordre philosophique de l'existence de Dieu, et s'at-
taquant à l'un des problèmes centraux du libertinage, le problème
du mal9. Le chapitre se présente maintenant comme un faisceau
de preuves en faveur de la religion : preuves morales, esthétiques,
historiques, scientifiques, philosophiques, faisant le siège à la fois
de la raison et du cœur du libertin, mais force est de constater d'une
part que son ordonnance générale n'a pas été transformée par les
1. C'est le but du § 36, qui démontre l'existence de Dieu selon la méthode cartésienne,
et des § 37 à 42 consacrés à la preuve philosophique de l'existence de l'âme, inspirée
aussi de Descartes.
2. Le § 35 le dit nettement.
3. U est en ce sens qu'il taut interpreter, nous semble-t-il, le § 2y qui, en voulant
prouver la vérité du christianisme par la léussite de 1' evangelisation, suggère du même
coup son caractère surnaturel.
4. Le § 23, ajouté dans la quatrième édition, laisse entendre que toute explication
sur la pure philosophie est incapable de donner ou de fortifier la foi : Dieu se sent, et
n'est sensible qu'aux âmes moralement préparées (§ 35 de la première édition, § 14 et
19 ajoutés sur la quatrième). L'attaque contre Malebranche de ce § 23 fut sans doute
provoquée par la publication en 1688 des Entretiens sur la métaphysique et la religion,
essai d'exposé rigoureux de son système, dans lequel Malebranche conduit le raisonnement
avec autant de subtilité que de vigueur ; c'est un nouvel exemple du rôle de l'actualité
dans les éditions successives des Caractères.
5. Cf. les § 20 et 21 sur les Pères de l'Eglise, que La Bruyère proclame supérieurs
aux anciens.
6. Les § 3, 4 et 5 donnent de nouvelles preuves de la faiblesse réelle des libertins ;
le § 30 exalte la grandeur morale de l'apostolat, et le § 34 vante, en termes pascaliens,
la grandeur et la vérité du christianisme : tels sont les ajoutés les plus importants, tous
sur la cinquième édition.
7. Sans doute est-ce un écho des polemiques soulevées par íes meses de menar a 01-
mon : ses Histoires critiques du texte et des versions du Nouveau Testament
et 1690.
8. A l'exception toutefois du § 46, ajouté de la huitième édition, mais qui n'apporte
rien de nouveau, puisqu'il ne fait que présenter sous une nouvelle forme la preuve par
la nature.
9. Cf. les § 47, 48 et 49.

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A PROPOS DES « CARACTÈRES » 515

additions1, que d'autre part la démonstration n'a cessé d


sur les deux points déjà apparents dans la première édition
ou ne pas croire, croire ou non à la religion chrétienne, le p
point étant le plus développé, puisqu'en somme la foi e
nécessaire. Le seul problème serait de savoir pourquoi La
a attendu quatre ans pour donner à ses intentions leur p
loppement : nous ne reprendrons pas ce qu'a fort bien
Ph. A. Wodsworth, que les ajoutés de la septième édition
quent par le désir de La Bruyère de répondre aux forme
arguments nouveaux de la pensée libertine, ainsi que de pre
sition contre les attitudes intellectuelles et morales récentes dans
lesquelles il voyait un danger certain pour la religion2. Comme
cependant cette apparente lenteur à dévoiler son intention a pu
faire penser que La Bruyère n'avait pas eu d'abord le dessein de
faire du chapitre « Des esprits forts » une apologétique, et qu'il ne
l'a souligné qu'après avoir été attaqué sur le défaut de plan de son
ouvrage, nous reviendrons succinctement sur ce problème, que l'ana-
lyse précédente nous semble avoir déjà éclairé 3.
Les textes antérieurs à la Préface du Discours à F Académie sem-
bleraient confirmer l'absence d'intention apologétique au départ. Les
divers états de la Préface des Caractères, avant la huitième édition
(1694), sont muets sur une quelconque volonté démonstrative, et le
Discours sur Théophraste fait un aveu gênant dans ce passage où
La Bruyère, opposant son ouvrage à celui de Pascal dont il dit que
«par l'engagement de son auteur, [il] fait servir la métaphysique
à la religion, fait connaître l'âme, ses passions, ses vices, traite les
grands et les sérieux motifs pour conduire à la vertu, et veut rendre
l'homme chrétien », déclare que lui, « moins sublime », ne veut que
« rendre l'homme raisonnable », et « sans beaucoup de méthode et
selon que les divers chapitres y conduisent, par ies âges, les sexes

1. Le chapitre n'a connu qu'une transposition, celle du § 2, ajouté sur l'édition sixième
entre les § 35 et 36, où il était évidemment mal placé, et qui fut mis à sa place défi-
nitive sur l'édition septième.
2. Ph. A. Wodsworth, « La Bruyère against the libertines » (Romanic Review, octobre
1947) ; Ph. A. Wodsworth aurait peut-être dû pousser davantage sa recherche des rap-
ports chronologiques entre l'actualité et les ajoutés de la septième édition. Il a du moins
noté l'emploi nouveau du dialogue comme instrument de persuasion par l'introduction des
disputes avec le libertin Lucile, qui apparaît seulement dans cette septième édition ; La
Bruyère, dit-il, s'inspire sans doute de l'exemple de Fontenelle, dont au même moment il
emprunte aussi les préoccupations scientifiques. La Bruyère se plie, pour faire réussir son
dessein, même aux modes littéraires.
3. L'intention du chapitre étant déjà marquée dans la première édition, ne pourrait-on
penser qu'en 1688 La Bruyère avait déjà décidé de conclure son livre par une nette
déclaration de christianisme ? faut-il aussi remarquer que le chapitre a pris son aspect
définitif d'apologétique dans une édition qui est d'une année antérieure aux attaques du
Mercure contre la composition de l'ouvrage ? La Bruyère aurait donc attendu ces attaques
pour prendre conscience d'une intention déjà pleinement réalisée : hypothèse peu plausible
quand il s'agit d'un écrivain aussi lucide. Il faut donc ou bien admettre un dessein depuis
longtemps médité, ou considérer les déclarations de la Préface du Discours à l'Académie
comme une boutade.

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516 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE D£ LA FRANCE

et les conditions, et par les vices, les faibles et le ridicule qui y sont
attachés ».
En fait, ce texte n'est pas si opposé qu'on l'a prétendu à celui de
la Préface, du Discours à V Académie. Dans ce dernier, La Bruyère
déclare, on s'en souvient, que dans quinze chapitres il a voulu s'at-
taquer aux défauts et aux ridicules qui proviennent des passions et
des attachements humains : c'est bien ce qu'il a fait en dénonçant
le bel esprit, la jalousie, la paresse, l'égoïsme, la vanité, l'ambition,
l'hypocrisie, etc., tout ce qui empêche l'homme de pratiquer la
vertu et l'amour des autres, tout ce qui fausse le raisonnement en
y faisant intervenir des raisons spécieuses. Ces quinze chapitres, dit-
il encore, sont des « préparations » au dernier : sans doute, puisqu'ils
visent à montrer aux hommes comment ils sont, quand ils sont, com-
me les âmes du mythe platonicien, dépouillés de leurs ornements
extérieurs ; La Bruyère ne veut nullement signifier par là qu'il
existe, du premier au seizième chapitre, une gradation. Or c'est
ainsi qu'on a voulu interpréter sa pensée, abusivement. Quand
Sainte-Beuve disait que la composition des Caractères était « dissi-
mulée » ' il avait sans doute raison 2 : une préparation, surtout dans
ce domaine, n'est pas nécessairement ordonnée selon une logique
serrée ; mais quand il déclarait que le seizième chapitre était sura-
jouté à un livre qui n'avait rien autrement de chrétien3, il avait,
semble-t-il, tort. Les Caractères ne contenaient-ils pas dans les quinze
premiers chapitres, et dès la première édition, quelques pensées re-
ligieuses ? que signifiait alors cette réflexion de vi, 26 : « Cela ne
prouve-t-il pas un avenir ? », qu'expliqueront clairement plus tard
xvi, 47 et 48 ? pourquoi cette remarque de vi, 58 sur les partisans qui
ne sont pas jugés « chrétiens » parce qu'ils sont esclaves de l'argent ?
enfin le fameux texte de i, 65 : « Un homme né chrétien et français... »
ne montre-t-il pas chez La Bruyère l'intention à la fois de ne pas
dissimuler sa religion et de juger d'après elle ? Le ton assez sombre
des jugements sur l'homme en général révèle d'ailleurs suffisam-
ment que leur est sous-jacente l'idée de la corruption originelle de
la nature humaine 4 ; mais se manifestent aussi tout au long de l'ou-
vrage la délicatesse de cœur et la charité de celui qui croit cepen-

1. « La composition, pour être dissimulée, n'en est point absente ». (Nouveaux Lundis,
t I : « Les Caractères de La Bruyère »).
2. Mais Tordre qu'il proposait emporte moins l'adhésion.
3. « La Bruyère, qui couronna, par un très beau chapitre philosophique chrétien, un
livre qui s'était assez aisément passé de christianisme jusque-là... » (Port -Roy al, éd. R.-L.
Doyon et Ch. Marchesné, t. III, p. 20, n. 1). Tout en admettant que La Bruyère est
c religieux encore », Sainte-Beuve tient surtout au vrai à en faire un disciple de Montaigne.
4. Cf. x, 9 : o De l'injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est
venue la guerre... » : position chrétienne plutôt que souvenir de Hobbes, Hobbes n'affec-
tant pas l'état de nature d'un coefficient moral ; La Bruyère est davantage dans la ligne
des premiers articles de la Politique tirée de l'Ecriture sainte. Cf. encore xi, 15 : a II y
a des vices que nous ne devons à personne, que nous apportons en naissant... ». N'écri-
vait-il pas dans le Discours sur Théophraste qu'il cherchait à découvrir a le principe de
la malice » des hommes, usant d'un terme aux résonances théologiques certaines ?

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A PROPOS DES « CARACTÈRES » 517

dant que l'homme, en tant que personne, peut s'amélior


a conçu le projet de le ramener à lui-même, malgré les
qu'il ne dissimule pas 2, en atténuant en lui, sinon en le
au moins les vices qui lui sont étrangers 3. C'est ce qu'il a
tout le cours de son ouvrage, comme il l'annonçait dans le
sur Théophraste, et comme il le redit dans la Préface d
à V Académie : « J'essaye, dans mon livre des Mœurs, de d
est possible, tous les vices du cœur et de l'esprit, de rendr
raisonnable et plus proche de devenir chrétien ». Il n'
changement de dessein depuis le Discours sur Théophra
qu'il s'agit toujours de rendre l'homme raisonnable, et si L
complète l'expression en ajoutant : « ...et plus proche
chrétien », ce n'est pas une formule de prudence destin
faire aux critiques, mais le développement de celle du prem
si l'homme devenait raisonnable, il s'engagerait sur la
vertu, de la croyance en autre chose qu'aux biens terrestre
là s'approcherait des impératifs de la religion. Le dernier c
en précisant les choses, vient bien clore un livre où affleu
cesse la morale et l'esprit chrétiens, et c'est en ce sens
parler d'un plan des Caractères : il est de Tordre, non
géométrique, mais de l'esprit de finesse.

Pierre Laubriet.

1. a L'on cherche en vain à le corriger [le malhonnête homme] par des traits de satire
qui le désignent aux autres, et où il ne se reconnaît pas lui-même... » (xi, 14).
2. Un esprit « raisonnable », dit-il à xi, 28, « peut haïr les hommes en général », mais
excuser chacun en particulier, sachant a combien il est pénible aux hommes d'être cons-
tants, généreux, fidèles ».
3. Cf. xi, 15 : il y a des vices o que l'on contracte, et qui nous sont étrangers » ; cf.
encore xi, 18.

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