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DES FEMMES PROPHÈTES EN ISLAM?


Dr. Asma LAMRABET

Existe-t-il des femmes qui ont été considérées comme prophètes en Islam?
C’est une question qui a depuis toujours partagé les savants musulmans…Entre
ceux qui sont pour, ceux qui sont résolument contre et ceux qui préfèrent ne pas
aborder le sujet, on a déjà une idée sur la complexité du thème et la récurrente
susceptibilité intellectuelle quant à « penser » un concept en islam à partir de sa perspective féminine !
Le verset le plus utilisé par ceux qui désapprouvent la prophétie des femmes est celui de la Sourate
Youssef, verset 109 :
«‫ﺽ‬ ِ ‫ﺳْﻠﻨَﺎ ِﻣْﻦ َﻗْﺒِﻠَﻚ ِﺇﱠﻻ ِﺭَﺟﺎًﻻ ﻧُﻮِﺣﻲ ِﺇﻟَْﻴِﻬْﻢ ِﻣْﻦ ﺃ َْﻫِﻞ ﺍْﻟﻘَُﺮﻯ ﺃَﻓََﻠْﻢ ﻳَِﺴﻴُﺮﻭﺍ ِﻓﻲ ﺍْﻷ َْﺭ‬
َ ‫َﻭَﻣﺎ ﺃ َْﺭ‬
‫ﻋﺎِﻗﺒَﺔُ ﺍﻟﱠِﺬﻳَﻦ ِﻣْﻦ ﻗَْﺒِﻠِﻬْﻢ َﻭﻟَﺪَﺍُﺭ ﺍْﻵِﺧَﺮِﺓ َﺧْﻴٌﺮ ِﻟﻠﱠِﺬﻳَﻦ ﺍﺗ ﱠﻘَْﻮﺍ ﺃ َﻓََﻼ‬ َ ‫ﻒ َﻛﺎَﻥ‬ َ ‫ﻈُﺮﻭﺍ َﻛْﻴ‬ ُ ‫ﻓَﻴَْﻨ‬
(109)‫» ﺗ َْﻌِﻘﻠُﻮَﻥ‬
« Nous n’avons envoyé (arsalna) avant toi que des hommes
originaires des cités, à qui Nous avons fait des révélations »
Le terme utilisé par le Coran, qui est celui d’hommes ou RIJAL a été l’argument « clé » pour démontrer
que seuls les hommes (le genre masculin) ont droit à la prophétie puisque le Coran a bien utilisé le terme
de RIJAL et n’a pas cité les femmes Nissaa.
L’Imam Fakhr Arrazi affirme en s’appuyant sur ce verset que Mariam- qui a été considérée la plus
favorable à la prophétie- ne peut donc être considérée comme prophète. Il estime que même si l’Ange
Gabriel lui a directement parlé, on ne peut parler de prophétie mais plutôt d’une KARAMAH –un honneur-
qu’Allah lui aurait accordé en tant que mère du prophète Issa (Jésus)[1] .
Le Cheikh Ibn Taymya, reprenant toutes les allégations faites par les savants qui l’ont précédé, affirme lui
aussi qu’il y a eu consensus – IJMAA- sur le fait que nulle femme ne peut prétendre à la prophétie et ce
aussi bien dans le Coran que dans la Sunna. Il reprend à son compte le verset ci-dessus évoquant le terme
de RIJAL et prenant l’exemple de Mariam, il conforte son argumentaire par le fait que l’ultime position à
laquelle elle peut accéder est celle que lui a octroyé le Coran est qui est celle de SEDIKKA ou
« VERIDIQUE », loyale,vertueuse… Coran :5 ;75 « Le Messie, fils de Marie, n’était qu’un Messager.
Des messagers sont passés avant lui. Et sa mère était une véridique et tous deux consommaient de la
nourriture. Vois comme Nous leur expliquons les preuves et comme ils s’en détournent ! »
« ‫ﻣﺎ ﺍﻟﻤﺴﻴﺢ ﺍﺑﻦ ﻣﺮﻳﻢ ﺇﻻ ﺭﺳﻮﻝ ﻗﺪ ﺧﻠﺖ ﻣﻦ ﻗﺒﻠﻪ ﺍﻟﺮﺳﻞ ﻭﺃﻣﻪ ﺻﺪﻳﻘﺔ ﻛﺎﻧﺎ ﻳﺄﻛﻼﻥ‬
‫ ﺍﻟﻄﻌﺎﻡ ﺍﻧﻈﺮ ﻛﻴﻒ ﻧﺒﻴﻦ ﻟﻬﻢ ﺍﻵﻳﺎﺕ ﺛﻢ » ﺍﻧﻈﺮ ﺃﻧﻰ ﻳﺆﻓﻜﻮﻥ‬.
Il y aussi un hadith[2] connu qui stipule que « Beaucoup d’hommes ont atteint la perfection et parmi les
femmes seules Mariam fille de Imran et Assiah épouse de Pharaon ont atteint le rang de la perfection

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humaine »
L’Imam Nawawi[3] affirme que ceux qui croient en la prophétie des femmes utilisent ce hadith mais il
apparaît que la majorité des savants musulmans (JUMHUR) réfutent le fait que le stade de la perfection
(KAMAL) soit l’équivalent du rang de la prophétie (NUBUWA). La perfection étant une chose et la
prophétie une autre.
Parmi ceux qui ont farouchement défendu la prophétie des femmes on retrouve en premier lieu le savant
andalou Abu Muhammed Ibn Hazm al-Andalusi qui a une grande contribution en la matière[4].
Dans son célèbre ouvrage Al Fisal fi al milal il affirme qu’il n’a résolument trouvé aucune preuve
coranique qui s’opposerait à la prophétie des femmes. Concernant le verset qui parle de « RIJAL » Coran
12 ; 109, il confirme que nul n’a prétendu le contraire, car le verset cité parle de Messager et non de
Prophète. Il précise que personne n’a prétendu que les femmes pouvaient être des Messagers et que le
verset parle de (RUSSUL) Messagers et non de (ANBIYAA) Prophètes. Pour lui, il était évident que les
femmes pouvaient accéder au rang de la prophétie (Annubuwa) tandis qu’elles ne pouvaient être des
Messagers (RUSSUL).
C’est dans ce sens qu’il commence d’abord par préciser le sens de (ANNUBUWA) la prophétie qui
provient de (Al inbaa) qui veut dire (I’lam) ou REVELATION. Il affirme donc que toute personne qui a
été informé par Allah ou qui a reçu une « révélation », sur un évènement à venir, est sans aucun doute un
prophète. Annubuwa ou prophétie est, selon lui, à différencier formellement de (AL ILHAM) qui n’est
autre qu’une sorte d’inspiration naturelle.
Annubuwa , c’est quand Allah énonce, divulgue ou révèle à une personne, une information concernant un
évènement donné et ce que soit de façon directe, en lui parlant ou bien à travers un Ange Messager de
Dieu. Selon Ibn Hazm, « Annubuwa » peut donc être transmise de plusieurs façons : soit à travers un
ange qui parle à l’intéressé, soit par un message directement révélé par Lui-même sans intermédiaire ( wa
kalama Allah Moussa taklima) Allah a parlé avec Moise.
C’est dans ce sens de Annubuwa qu’il affirme, preuves coraniques à l’appui, que certaines femmes citées
par le Coran ont effectivement reçu la Révélation Divine et sont donc à considérer comme des prophètes.
Il commence par rappeler le cas de Oum Isaac à laquelle Allah a envoyé Ses messagers Anges pour
l’informer de la venue de Isaac et de Yacob : (Coran 11 ; 71-72). C’est aussi le cas de Mariam qui reçoit
l’Archange Gabriel et qui reçoit une Révélation en bonne et due forme : « Nous lui envoyâmes Notre
Esprit (Gabriel) qui se présenta à elle sous la forme d’un homme parfait. Il dit : « je suis un Messager
de Ton Seigneur pour te faire don d’un fils pur » ; Coran 19 ; 18.
Cela va de même pour la mère de Moise –Oum Moussa- qui a été interpellée par Dieu, afin d’abandonner
son nouveau né, Moise, dans le Nil et ainsi de lui éviter la mort prévue par la sentence de Pharaon,
sentence, qui augurait d’assassiner toute la descendance mâle des Hébreux….Ce sacrifie, ô combien
difficile pour une mère, est comparable à celui du prophète Abraham qui devait sacrifier son fils, même
si, faudrait-il le rappeler, dans le cas de ce dernier, cela a été une « Rouyaa » ou « rêve » et non pas un
ordre direct d’Allah !!! …D’ailleurs Ibn Hazm précise que Oum Moussa n’aurait jamais osé mettre son
fils dans le Nil, par simple intuition ou pressentiment, cela aurait été considéré comme un acte de folie ou
un crime ! Ibn Hazm s’étonne que l’on puisse douter de la révélation faite à Oum Moussa et non de celle
d’Abraham !!!
Ibn Hazm dans son commentaire sur Mariam insiste sur la véracité de sa prophétie par le verset qui
l’inclut parmi de nombreux prophètes cités dans la Sourate 19 ; 58. Il s’étonne du fait que l’on puisse,
dans cette description coranique de tous les prophètes, l’exclure, elle, en particulier ?!
Quant à l’assertion selon laquelle certains commentateurs ont prétendu qu’elle ne pouvait être considérée
que comme une Seddika , il y répond en précisant que tout en étant Sedikka cela ne la privait pas du droit
d’accéder aussi au rang de prophète. Le prophète Youssef a été interpellé par Allah selon la même
dénomination de Seddik « Youssef ayuha seddik » et comme on le sait il a été aussi prophète.

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Ibn Hazm inclut aussi dans sa liste de femmes prophètes, l’épouse de Pharaon, Assiah, et ce
conformément au Hadith la citant comme femme ayant atteint le plus haut rang de la perfection.
D’autres savants vont avoir à peu près le même genre d’argumentaires concernant la prophétie des
femmes. C’est le cas de l’Imam Al Qortobi qui critique le fait que certains savants contestent cet honneur
aux femmes comme si elles n’étaient pas à la hauteur de ce rang de la prophétie ! (Istaktarou ala anissaa
hadihi al martaba). Ce savant affirme que Mariam est prophète puisqu’elle a reçu la révélation divine à
travers les anges à plusieurs reprises. Le Saint Esprit (Rouh al Quduss) lui a insufflé Son souffle Divin,
elle est la seule femme à avoir reçu la révélation de la sorte. Il conteste cependant la prophétie de Assiah
car il n’y a pas assez de preuves, selon lui, qui pourraient confirmer clairement sa prophétie.
Le Savant Al Ashaari quant à lui affirme qu’il y a eu en tout six femmes qui ont reçu la prophétie : Eve,
Sarah, Oum Moussa, Hagar, Assiah et Mariam. Son argumentaire tourne autour du fait que toutes ces
femmes ont reçu la Révélation, soit directement soit par l’intermédiaire d’un Ange et le Coran le confirme
de différentes façons.
D’autres ont aussi affirmé la prophétie des femmes comme Ibn Hajjar qui rapporte les mêmes preuves que
celles mentionnées par Ibn Hazm.
Taher Ben Achour quant à lui répond à l’assertion de la prophétie uniquement réservée aux hommes du
fait du verset qui mentionne Arrijal par un argumentaire différent de celui d’Ibn Hazm. Ben Achour,
conteste le fait que le terme Arrijal soit compris comme hommes ou genre masculin. Il affirme que ce
terme est représentatif du genre humain : Inssan. Il est de ceux qui défendent la prophétie de Mariam et
qui affirme que les femmes peuvent être prophète (Nabi) et non messager (Rassoul)[5].
En conclusion, l’on constate que les arguments contre la prophétie, ne sont, en réalité, que le résultat
d’une interprétation subjective de certains versets coraniques, alors que le contenu en lui-même de ces
textes, ne formule aucune preuve tangible de l’invalidité de la prophétie des femmes[6]. Tandis que
l’argumentaire des savants qui ne voient aucune incompatibilité entre les femmes et leur accès à la
prophétie est plus convaincant voire conforté par plusieurs récits coraniques qui relatent d’une façon claire
la « Révélation divine » transmise à certaines femmes. C’est en tout cas le cas de Mariam et de Oum
Moussa qui ne prête à aucune confusion.
Beaucoup prétendent que le débat est clos car il y a un « Consensus » (IJMAA) sur le thème, puisque la
majorité des savants musulmans (JUMHUR) est contre le fait que des femmes puissent être considérées
comme prophète, il reste, comme on l’a vu, qu’un nombre de savants non négligeable ont été pour la
prophétie des femmes.
Il faudrait donc déjà aujourd’hui savoir réfuter le fait qu’il y ait un quelconque Ijmaa,et ce, pour ne pas
justement « clore » le débat…
Mais il ne s’agit pas de « polémiquer » autour d’un débat stérile concernant l’avis divergent des différents
savants. Au-delà de la divergence, qui est toujours la bienvenue car elle reste un indicateur sensible de la
vitalité d’une pensée, il faudrait poser autrement le problème et voir en quoi cela nous avancerait
aujourd’hui de savoir si les femmes ont eu ou non accès à ce rang de la prophétie en Islam ?
Eh bien cela nous avancerait énormément….
Tout simplement parce que prétendre le contraire, autrement dit qu’elles n’ont pas été prophète, cela
reviendrait à maintenir cette vision « dévalorisante » de la femme et renforce cette image de mépris et
d’infériorisation de la femme inhérente aux cultures arabomusulmane.
D’autant plus qu’il n’y a aucun texte prouvant le contraire et que bien au contraire plusieurs versets
concordent dans le sens de la prophétie des femmes.
Nous sommes toujours en face du même problème, à savoir celui de faire l’amalgame entre une réalité
religieuse et la réalité historique en ce qui concerne la problématique de la femme.
Il est malheureux de constater que ce genre de « reproduction » historique, perpétuant ce « déni de
droits » aux femmes, reste encore très influent sur notre présent. Elle conditionne encore des mentalités

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et des comportements, malheureusement prédisposés à pérenniser la condition précaire du statut de la


femme dans les sociétés islamiques.
Ce débat « tabou » sur la prophétie des femmes, montre à quel point l’étude du patrimoine islamique se
fait de manière archaïque puisque toutes les interprétations, argumentaires et commentaires élaborés par
les anciens sont pris comme des « vérités absolues » qui ne doivent souffrir d’aucune discussion encore
moins d’une quelconque critique ! Au lieu d’en faire un ressourcement intelligent, cette vaste production
islamique devient en fait un obstacle essentiel à l’élaboration d’une pensée active réformiste seule capable
de promouvoir la véritable éthique de l’Islam…On assiste au contraire à une prolifération d’ouvrages qui
vont transmettre d’une façon implacable, passive et continue, les mêmes interprétations, érigées en
dogmes et en principes immuables, qui ont du mal tout le mal, à s’intégrer à notre contexte…
Si aujourd’hui on essaie de revoir cette question c’est parce qu’il est important- au-delà du débat entre les
savants - de voir ce qui disent véritablement les sources sacrées- ou ce qu’elles passent sous silence- afin
de sortir de ces impasses dogmatiques qui nous imposent le silence et nous empêchent d’amorcer une
véritable réforme de fond.
Or, oui il est important de savoir si en Islam certaines femmes ont été considérées comme des prophètes,
car cela confirmerait l’essence égalitaire et l’équité qui sont les socles de ce message spirituel.
C’est une quête de justice et un droit légitime que de retrouver dans notre tradition, ces principes
égalitaires, enfouis, camouflés voire escamotés par une lecture sélective et discriminatoire du
« religieux ». Cela fait partie aussi de cette quête de « revalorisation » du statut de la femme en islam,
quête, qui, entre autres, aspire à faire évoluer des sociétés islamiques fortement handicapées par cette
supposée « dévalorisation » religieuse de la femme.
Il faudrait que l’on puisse dire clairement aujourd’hui que le Coran évoque sans conteste des modèles de
femmes prophètes comme il y a eu des hommes prophètes…C’est ce genre de message universel que l’on
devrait entendre aujourd’hui, celui des sources, qui ont étaient ensevelies sous la charge d’une histoire
islamique qui s’est figée dans le temps …Revaloriser ce genre de concept qui redonne aux femmes
musulmanes leur véritable place, c’est permettre aux musulmans d’avancer vers l’avant et de ne plus
rester agrippés à leur histoire sans prendre le temps d’en faire une véritable analyse critique, la seule à
même de les débarrasser du fardeau de cette dépendance historique maladive.

[1] Tafssir el kabir lifakhr Arrazi.


[2] Sahih Muslim
[3] Sahih muslim bi-sharh al Nawawi.
[4] Chapitre: Nubuwate anissaa dans son ouvrage : « Al fisal fi al milal wa al
ahwaa wa al-nihal »
[5] Tafssir Attahrir wa atanwir; Imam Cheikh Taher Ben Achour.
[6] Cheikh Rached al-Ghannouchi, :El Maraa bayna al-Quor’an wa wakii el
muslimin, page 30 ; Maghreb Center for Researchs & Translation, 2000,
London. Excellent livre dont je me suis largement inspirée et que je conseille
vivement aux arabophones !

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