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III Décentrer le sujet de la conscience : l’hypothèse

d’un inconscient psychique.

Deux préalables

 La prise en compte d’un inconscient : le précédent leibnizien, cf.


Manuel, p. 45).

Les classiques du XVIIè siècle savaient déjà que l’on ne peut


identifier la totalité de la pensée à la conscience,– Freud, à cet
égard, n’a rien découvert.
En fonction du principe selon lequel « une substance ne saurait
être sans action », Leibniz accorde aux cartésiens que « l’âme
pense toujours ». En revanche, Leibniz (1646-1716) estime que les
cartésiens n’ont pas bien rendu compte des intermittences de la
conscience : ils « ont confondus […] un long étourdissement avec
une mort à la rigueur ». Comme rien dans la nature ne fait des
sauts il existe dans l’âme des « petites perceptions » dont on ne
s’aperçoit pas car elles sont des « perceptions inconscientes » :
« puisque réveillé de l’étourdissement on s’aperçoit de ses
perceptions, il faut bien qu’on en ait eu immédiatement
auparavant, quoiqu’on ne s’en soit point aperçu ; car une
perception ne saurait venir naturellement que d’une autre
perception, comme un mouvement ne peut venir naturellement
que d’un mouvement (Monadologie, § 23). En bref, que « l’âme
pense toujours » ne signifie pas que l’on s’en aperçoit sans cesse :
l’étourdissement et le sommeil n’impliquent nullement une
disparition de la pensée, ce n’en sont que des franges. La
disparition de la conscience n’est pas la mort de l’âme : depuis la
conscience parfaitement claire jusqu’à son degré zéro, il existe une
1
infinité de degrés infinitésimaux dont on doit pouvoir rendre
compte.
L’enjeu n’est pas de savoir si l’on peut immédiatement
identifier la conscience à la connaissance mais plutôt de savoir si
l’affirmation d’un inconscient psychique entraîne une remise en
cause du sujet. En effet, l’affirmation du sujet repose sur l’idée
selon laquelle il est l’auteur et le fondement de ses pensées, or
l’existence d’un inconscient psychique semble impliquer une perte
d’autonomie. La prise en charge de l’inconscient entraîne-t-elle la
disparition de l’idée du sujet ou bien engage-t-elle son
déplacement et sa reformulation ? Faut-il militer pour la
disparition du sujet ou bien chercher à le redéfinir en assumant
les conséquences d’un inconscient psychique ? La difficulté risque
de s’accroître lorsque l’on prendra mieux la mesure de
l’inconscient.

 L’apport décisif de Freud (1856-1939) : de l’adjectif au


substantif.

Les perceptions inconscientes dont parle Leibniz peuvent


accéder à la conscience. Soit le bruit d’une petite vague, « nous
pourrions fort bien nous en apercevoir et y faire réflexion si nous
n’étions détournés par leur multitude » : la distinction entre
conscience et inconscient reste descriptive (adjectif), elle concerne
ce que Freud appellera le préconscient, elle ne recouvre pas
l’existence d’un conflit entre deux instances antagonistes.

Freud ne parle pas de l’inconscient (et non plus des états


d’inconscience) dans le but de le réaliser en substance ou de le
chosifier, il veut simplement marquer le fait que l’inconscient ne
se résume pas au négatif ou à l’échec de la conscience : le mot
indique un dynamisme spécifique, il cherche à exprimer une force

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psychique dont les éléments obéissent à des règles propres (qui ne
sont pas celles de la pensée consciente ou de la raison ).

Pb.

Faut-il voir dans l’inconscient comme une extra-territorialité


eu égard au sujet (Cf. la partie gauche du schéma) ou bien au
contraire comme un noyau opaque qui se tiendrait en son sein
(partie droite). Peut-on comparer l’inconscient à une sorte de trou
noir qui se tiendrait au cœur de la galaxie du sens ?

Schéma n° 1 Schéma n° 2

ICS
Conscience
CS
Sujet
conscient ICS

SUJET

1 Observations et interprétations : le cas Anna O.

La psychanalyse n’est pas un système initialement théorique :


avant d’être une doctrine, elle a été une méthode pour guérir des
malades. L’originalité de cette méthode de guérison consiste en un
échange de paroles (« talking cure ») entre « l’analysant » et
« l’analyste ». La part théorique de la psychanalyse consistait au
départ en une série d’hypothèses (susceptibles d’être modifiées en
face de faits nouveaux) visant à rendre compte de phénomènes se
produisant au cours d’une cure, ce que les savants et médecins de
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l’époque ne parvenaient pas à faire (l’époque de Freud est marquée
un « physicalisme » étroit selon lequel tout phénomène doit recevoir
une cause physique).

Années 1880, le médecin viennois Josef Breuer est appelé à


soigner une jeune fille de 21 ans qui présente des symptômes graves
(la paralysie du bras droit, la difficulté de boire) qui, en l’absence de
toute cause neurologique visible, semblent devoir être rattachés à
une maladie connue depuis longtemps : l’hystérie (très globalement,
un désordre psychosomatique). Pendant plus d’un an, Breuer suit sa
malade dont l’état semble tantôt s’améliorer et tantôt s’aggraver,
mais il croit s’apercevoir, à un certain moment, qu’en lui faisant
retrouver sous hypnose le souvenir d’événements qui l’avaient
affectée et qu’elle avait oubliés, il la délivre des symptômes liés à ces
événements. La malade n’en sera pas pour autant guérie, Breuer
éprouvera même le besoin de la faire admettre dans une institution
psychiatrique. Freud interprétera plus tard ce cas comme une
hystérie de conversion qui se définit par le fait qu’en l’absence de
toute maladie organique, un conflit psychique s’exprime par un
trouble somatique.
Certains des processus décelés au cours du traitement ont
suffisamment frappé Breuer pour qu’il en parle à un jeune ami de 26
ans qui hésite encore quant à son orientation de neurologue,
Sigmund Freud. En 1895 paraîtra, sous leur double signature, Études
sur l’hystérie. La première des cinq « Histoires de malades » (qui
constituent le chap. II) est le récit, écrit de la main de Breuer, de la
maladie et du traitement de cette jeune hystérique qu’il croyait avoir,
douze ou treize ans auparavant, délivrée de certains de ses
symptômes par remémoration sous hypnose d’événements
traumatiques oubliés. A cette patiente, Breuer donne le pseudonyme
d’Anna O. Chaque fois que, par la suite, Freud sera conduit à donner

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de la psychanalyse une présentation d’ensemble, il tiendra à évoquer
l’histoire d’Anna O.
La suggestion hypnotique a révélée « la possibilité de processus
psychiques puissants qui ne s’en dérobent pas moins à la
conscience » : interrogés sous hypnose les malades hystériques
évoquent des événements traumatiques, des traumas psychiques
inconscients, localisables dans le passé de l’individu. D’où le
diagnostic suivant : « C’est de réminiscences surtout que souffre
l’hystérique. (1893)»

• au sens courant, une réminiscence désigne un emprunt


involontaire fait à des souvenirs de lecture ; elle désignera pour la
psychanalyse, une émergence répétitive de pensées ou d'images
apparaissant coupées d'un événement du passé qui pourtant
continue à les causer.

• selon les interprétations à venir, ces réminiscences marquent


un « retour du refoulé » : dans l’hystérie de conversion la cause
dégagée peut être une scène traumatique de l'enfance (à caractère
sexuel comme la séduction par un adulte). Sa remémoration dans la
cure devrait permettre sa liquidation, et donc la guérison.

Dans le cas d’Anna O., le récit de souvenir a eu une vertu


thérapeutique. Freud en tire une première règle : il faut rappeler à la
conscience du patient ces traumatismes pathogènes afin de les
neutraliser. Lorsque les faits traumatiques viennent au jour, des
symptômes disparaissent plus ou moins durablement. L’hypnose a
mis les médecins en présence de processus psychiques inconscients
dont la réalité est rendu manifeste par leur efficacité ; leur existence,
d’abord supposée, est prouvée par ses effets (on ne pourra saisir l’ics
qu’à travers ses effets CAD le postuler comme cause des effets qui
produit et que l’on peut observer).

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A ce niveau encore peut-on parler de découverte ? Freud n’est pas
le premier à avoir mis en évidence le poids du passé infantile sur le
présent.

N.B. Les classiques cherchaient déjà une réappropriation du


sujet.

A ce niveau de généralité, on ne peut pas encore parler d’apport


freudien à la question du sujet. En effet, les philosophes classiques
(Descartes, Spinoza) savaient déjà que :

- la pensée consciente ne détermine pas entièrement notre


conduite. Dans la plupart de nos actions, expliquait Spinoza, nous
sommes mus, non par les mobiles que nous croyions consciemment
être les nôtres mais par d’autres que nous ignorons : « Les hommes
ce croient libres parce qu’ils ignorent les causes qui les
déterminent ».

- les émotions de notre enfance peuvent gouverner notre vie


adulte ; l’on ne peut identifier la totalité de la pensée à la seule
conscience. Cf. Descartes, Lettre à Chanut du 6 juin 1647 :

« Lorsque j'étais enfant, j'aimais une fille de mon âge, qui était un
peu louche ; au moyen de quoi, l'impression qui se faisait par la vue
en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait
tellement à celle qui s'y faisait aussi pour émouvoir en moi la passion
de l'amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches,
je me sentais plus enclin à les aimer qu'à en aimer d'autres, pour cela
seul qu'elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce
fût pour cela. Au contraire, depuis que j'y fais réflexion, et que j'ai
reconnu que c'était un défaut, je n'en ai plus été ému. Ainsi, lorsque
nous sommes portés à aimer quelqu'un, sans que nous en sachions la
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cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu'il y a quelque
chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous
avons aimé auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que
c'est. Et bien que ce soit plus ordinairement une perfection qu'un
défaut, qui nous attire ainsi à l'amour ; toutefois, à cause que ce peut
être quelquefois un défaut, comme en l'exemple que j'ai apporté, un
homme sage ne se doit pas laisser entièrement à cette passion, avant
que d'avoir considéré le mérite de la personne pour laquelle nous
nous sentons émus. »

La philosophie classique, comme certainement la psychanalyse


beaucoup plus tard, se propose de créer les conditions d’une
émancipation subjective : il s’agit de faire en sorte que le sujet
puisse se réapproprier, qu’il devienne le sujet et non plus l’objet
(passif) de sa vie. La méthode réflexive des classiques est bien
résumée par L. Brunschvicg : « Sur le terrain de la vie pratique, la
prise de conscience sépare deux manières d'agir radicalement
contraires : l'une où ce qui vient, soit du dehors, soit du passé, se
prolonge par l'inertie de l'impulsion organique ou de la suggestion
sociale ; l'autre où l'autonomie de la réflexion vient apporter à l’être
raisonnable la liberté de son propre avenir».

l’autonomie de la réflexion la liberté du sujet

Seulement ce projet, qui court des classiques jusqu’à Freud, cache


une différence assez profonde quant au moyen d’y parvenir. En effet
les classiques comptent avant tout sur les effets émancipateurs de la
raison, ils placent leur confiance dans la réflexion. Freud va mettre
en évidence les forces qui font obstacles au travail de la réflexion et
à l’émergence de la conscience réfléchie.

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Fidèle à l’idéal d’émancipation des classiques et des Lumières,
Freud ne présentera nullement l’inconscient comme une force
obscure à laquelle nous devrions nous soumettre ; au contraire, il
répétera la nécessité pour le sujet de se réapproprier son histoire.
Seulement, il a pu observer comment le moi résiste et manœuvre
contre le surgissement de certain souvenirs sur la scène éclairé de la
conscience : le patient s’efforce de dissimuler ou d’esquiver certain
souvenirs en sorte que l’autoréflexion ne suffit pas à faire parler ce
« quelque chose » qui empêche de vivre. D’où, malgré une identité
de projet, une différence fondamentale dans la méthode.

2 Les deux systèmes : une conception agonistique du


psychisme.

Freud est amené à dépasser l’idée, devenue banale, selon


laquelle il y aurait davantage d’inconscient que de conscient dans
les phénomènes psychiques : il ne suffit pas de dire que
l’inconscient est important, il faut dire que « l’inconscient est le
psychique lui-même » (L'interprétation des rêves, p. 520, P. U. F.).
Si toute pensée n’est pas inconsciente, toute pensée d’une
manière certaine réside d’abord dans l’inconscient. Freud ne se
contente pas de démontrer l’existence de l’inconscient (ce qui
avait déjà été fait, notamment par Schopenhauer), il propose que
l’on fasse dépendre tout le psychisme de l’inconscient ! Ne peut-
on pas voir là une dépossession aggravée des prérogatives du
sujet ? Ce n’est pas seulement que l’inconscient serait comme un
noyau opaque qui se tiendrait au sein du sujet, il aurait un rôle
déterminant pour l’ensemble du psychisme. Cette sorte de trou
noir qui se tiendrait au cœur de la galaxie du sens modifierait le
comportement de la totalité du système !
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Selon une autre image, de Freud cette fois, l’inconscient
inclurait le conscient comme un cercle large en inclut un plus
étroit, au sens où il le préfigure et le détermine.

Schéma n° 2 Schéma n° 3

ICS

conscience
ICS conscience
ICS

Comment l’inconscient peut-il être connaissable ? Dans la


mesure où tout ce que nous connaissons appartient au conscient,
nous ne connaissons l’inconscient que réfracté dans ce qui est
accessible à la conscience. L’inconscient, n’est-ce pas d’abord la
nécessité pour la conscience de se décentrer afin de donner une
parole à ce à quoi l’on ne parvient pas à s’identifier ? Parmi tous
les phénomènes psychiques, certains se produisent, plus
visiblement que d’autres en dehors du contrôle et de la
domination de la conscience, tels sont en particulier les rêves,
puisque le sommeil écarte la conscience. Freud dira que «
l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la
connaissance de l’inconscient ».

L’interprétation des rêves.

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Le principal apport de la psychanalyse aura été d’élargir le
domaine de ce qui a un sens : certains phénomènes, longtemps
considérés comme aberrants et absurdes, comme les actes
manqués, les lapsus, les rêves et les névroses, appartiendront
désormais au monde humain, au monde de ce qui a un sens en
tant qu’ils exprimeront des intentions et des désirs refoulés ; ils
constituent des actes psychiques aussi complets que les actes
conscients, seulement, ils n’obéissent pas aux règles qui
organisent le système conscient.

Freud a découvert que les rêves racontés par ses patients au


fil des associations libres de la cure le conduisent à la
compréhension de leurs symptômes, de leur histoire et de leurs
fantasmes. Car les rêves réalisent fantasmatiquement des désirs
inconscients, ignorés de celui qui rêve. L'analyse y retrouvera à la
fois un désir actuel et des traces toujours actives des expériences
et des désirs de l'enfant que fut jadis le rêveur. Si le rêve est un
accomplissement de désir, ce dernier apparaît (sauf dans les rêves
de très jeunes enfants) masqué et déformé dans le récit, car une
censure est déjà intervenue : les désirs inconscients qui tentent
d'émerger (le système inconscient « pousse en avant » jusqu’au
système conscient) se heurtent aux défenses du moi. Liées aux
forces psychiques qui entraînent le refoulement des désirs
susceptibles de provoquer du déplaisir (notamment l'angoisse ou
la culpabilité), les défenses du moi constituent une opération de
riposte face à la revendication pulsionnelle.

Comme en témoigne le rêve d'une patiente de Freud, le désir


est souvent paradoxal : « Je veux donner un souper, mais je n'ai
rien d'autre en réserve qu'un peu de saumon fumé. Je pense aller
faire des achats, mais je me souviens que c'est dimanche après-
midi, moment où tous les magasins sont fermés. Je veux alors
téléphoner à quelques fournisseurs, mais le téléphone est en
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dérangement. Il me faut donc renoncer au souhait de donner un
souper. » En fait, cette femme préfère ne plus donner de dîner
plutôt que de nourrir une de ses amies dont son mari dit beaucoup
trop de bien...

Il existe quelques « rêves typiques » (souvent récurrents) qui


adviennent de façon stéréotypée : tomber, être poursuivi, perdre
une dent, rêver de la mort de personnes que l'on aime... mais ils
sont pauvres en interprétation. Dans la plupart des cas, la
compréhension du désir latent suppose la déconstruction des
éléments du rêve manifeste. Par exemple, la veille de
l'enterrement de son père, Freud voit en rêve une pancarte « on
est prié de fermer les yeux », il s'agit à la fois de son père qui vient
de fermer définitivement les yeux et d'un appel de Freud à
l'indulgence de sa famille car on avait désapprouvé le choix d'une
cérémonie trop modeste.

Le « travail du rêve » procède par :

- figurations symboliques : la traduction de la pensée latente en


pensée manifeste,– que l’interprétation a pour charge de
retraduire.

- déplacements : l’investissement est déplacé d’une


représentation du rêve à une autre.

- condensations : plusieurs représentations ou images sont


condensées en une seule, des contenus qui ont des points de
ressemblance sont rapprochés en une seule image.

Or il s’avère que les procédés de formation du rêve sont


caractéristiques de tous les phénomènes inconscients : l'étude du
rêve a permis de reconnaître les processus primaires qui régissent
la pensée inconsciente (à laquelle nous régressons lors des rêves)
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et à mieux comprendre les refoulements qui organisent notre vie
psychique.

 La première topique

Comment l’inconscient se constitue-t-il et quel est son rôle dans


la vie psychique ? Selon une première définition descriptive,
l’inconscient est l’ensemble des phénomènes psychiques
provisoirement ou définitivement inaccessibles à la conscience.
Ainsi, mes souvenirs d’enfance, ou ceux d’il y a deux ans ne me
sont pas présents actuellement, du moins pas continuellement,
mais je peux les rappeler à la conscience par un effort de
mémoire, ou même par hasard (si je vois par exemple une photo
qui me fait penser à cette époque de ma vie). A côté de mes
souvenirs, je dispose d’une foule d’habitudes inconscientes au
sens descriptif. Freud appelle cette inconscience temporaire, plus
ou moins facilement accessible à la conscience, le préconscient : il
renvoie à des contenus psychiques momentanément latents.

En revanche, le terme d’inconscient au sens dynamique (le


sens proprement psychanalytique) est réservé à des
représentations (c’est-à-dire des idées, des images, ou des traces
dans la mémoire) qui sont en permanence hors d’atteinte de la
conscience. Ces représentations sont étroitement liées aux
pulsions fondamentales, c’est-à-dire aux principales tendances ou
« poussées » (les pulsions ne sont ni psychiques ni corporelles,
elles se trouvent à la limite des deux domaines, elles traduisent
dans le psychique des exigences qui sont aussi physiologiques). Les
pulsions se ramènent à deux types : les pulsions sexuelles et les
pulsions de conservation de soi. La pensée inconsciente est une
pensée dominée par le désir, elle est toujours à la recherche du
plaisir ou en tout cas de la minimisation du déplaisir.

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La conception agonistique (de agon, la joute, le conflit) du
psychisme tient donc au fait que le système ics ne correspond pas
aux règles de la pensée consciente.

D’une part, les contenus inconscients sont poussés par leur


propre dynamisme à devenir conscients : ce qui est inconscient
tend à passer à la conscience ; la conscience est un destin possible
pour les pulsions. Cependant, cette tendance des représentations
inconscientes à se manifester ne peut s’exprimer librement (sinon
nous n’aurions pas d’inconscient véritable et définitif) :
l’expérience montre qu’une certaine force s’oppose à l’entrée
dans le conscient de tout l’inconscient. Cette force, qui maintient
une certaine partie du psychisme hors de la conscience, est
précisément le refoulement. Du point de vue non plus descriptif
mais dynamique, l’inconscient c’est donc le refoulé : cette partie
du psychisme à laquelle font défaut la capacité d’identification et
la capacité subséquente de verbalisation. Les éléments refoulés
exercent une pression continuelle dans la direction du conscient.
Le refoulement constitue la contre-pression en sens inverse. Cela
suppose de la part de l’individu une dépense constante d’énergie
pour maintenir l’équilibre. Pour concrétiser le mécanisme du
refoulement, Freud suppose une instance de contrôle, la censure,
– qu’il appelle aussi l'idéal du moi (ce sera dans la deuxième
topique, le « surmoi »). La censure accepte ou refuse de laisser
passer vers les sphères supérieures telle ou telle représentation
venue de l’inconscient.

La censure est comparée à un gardien qui inspecte chaque


tendance et, si elle lui déplaît, lui fait rebrousser chemin (même si
elle est déjà entrée dans le préconscient). La censure qui opère le
refoulement ne se situe pas au niveau du moi conscient, mais à un
niveau inconscient du moi. Elle est le « mécanisme de défense du
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moi » contre l’intrusion dans le conscient de tendances
anarchiques et dangereuses ou exagérément exigeantes, en
provenance de l’inconscient.

Essayons de représenter la première « topique » du psychisme


(du grec topos, lieu).

- La grosse flèche désigne la direction spontanée des processus


psychiques : de l’inconscient vers le conscient. Le conscient
désigne, classiquement, le caractère de présence à soi-même du
sujet, la réflexion du sujet sur sa représentation. « La psychanalyse
ne peut situer l'essence du psychisme dans la conscience, mais
doit considérer la conscience comme une qualité du psychisme
qui peut s'ajouter à d'autres qualités ou demeurer absente »
(Freud). « L’hypothèse de l'ics » n'impose pas de faire l'économie
de la conscience. L’ics n’est pas un principe supérieur et
transcendant à la conscience rationnelle, c'est un système propre
dans lequel il faut mettre de la rationalité en comprenant ses
14
éléments et règles de fonctionnements. Cependant, si la
conscience est un destin possible pour les pulsions, à une telle
destination s’opposent à la fois la censure (X) et le refoulement
(les deux flèches fines).

- La censure (la grosse croix) marque la césure entre


l’inconscient et le préconscient, elle représente un barrage que se
voit imposer la représentation en passant d'un système à un autre.
Freud reconnaît que la censure est une simple image : on constate
qu’il y a dans le psychisme manifeste (conscient) des parties
systématiquement coupées. On peut comparer ces morceaux
refoulés aux passages d’un texte (d’un journal par exemple) qui
aurait été « caviardé » (passé à l’encre noire) par quelque autorité
policière pour le rendre inintelligible et empêcher par exemple les
citoyens d’un pays d’apprendre certaines nouvelles désagréables
pour le pouvoir de ce pays (principe de plaisir).

-Les deux flèches plus fines qui retournent vers l’inconscient


indiquent l’opération qui, soit maintient le refoulé dans
l’inconscient, soit l’y fait revenir s’il a pu parvenir (par force ou par
ruse) à pénétrer dans le préconscient. Le refoulement est un
mouvement qui va en sens opposé du dynamisme de l’inconscient
dont la tendance est toujours de se manifester. Les vérités qui
sont cachées par l’inconscient sont des représentations ou des
désirs qui menacent l’intégrité du moi. Ce refoulement n’est
jamais parfait : les représentations refoulées tendent
perpétuellement à remonter à la conscience et c’est pour l’idéal
du moi un travail de Sisyphe que de leur barrer sans cesse à
nouveau la route. La lutte pour maintenir le refoulé dans
l’inconscient est si difficile chez le névrosé qu’elle absorbe la plus
grande partie de son énergie et paralyse son activité extérieure.

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Cependant les désirs refoulés trouvent des moyens détournés
pour aboutir à une satisfaction : ils obtiennent des satisfactions
substitutives, indirectes et symboliques, à l’insu de la conscience.
Cette extériorisation substitutive, ces plaisirs de remplacement,
c’est ce que Freud appelle le « retour du refoulé ». C’est lui qui se
traduit par les actes manqués, les rêves et les symptômes
névrotiques. La psychanalyse n’est rien d’autre que l’étude de ces
substitutions : il s’agit de montrer quel rapport existe entre une
manifestation apparemment absurde et un désir inconscient. Elle
pourrait se définir comme la recherche et la démystification des
formes illusoires de la satisfaction.

 un exemple : le complexe d’Œdipe.

Dans les relations de l’enfant de cinq ans vis-à-vis de ses parents


sont apparus chez le petit garçon des fantasmes (des sortes de
rêves éveillés) dans lesquels il rêve de posséder sa mère pour lui
tout seul, de l’emmener très loin en avion, de l’épouser, d’avoir
des enfants d’elle... En même temps, il se sent coupable vis-à-vis
du père, soit à cause de ses sentiments envers sa mère, soit à
cause de ses pratiques sexuelles (Freud a mis en évidence une
forme infantile de sexualité). Aussi, le petit garçon a-t-il un autre
fantasme, celui d’être châtré par son père en guise de châtiment.
Or ces fantasmes, qu’ils aient ou non émergé un moment à la
conscience, sont fortement refoulés pendant l’évolution ultérieure
car le moi, dans ses relations avec les autres et sa conscience
morale, serait menacé et compromis par l’intrusion dans le
conscient de tels désirs aussi inavouables qu’irréalisables.

Conclusion
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L’apport décisif de Freud est d’avoir montré que deux positions
judicatives (de production de sens) pouvaient coexister dans un
même moi : le psychisme apparaît alors comme un jeu de forces
opposées dont le fonctionnement obéit à des règles propres, à la
fois du point de vue des instances de significations et de leur
relation.

La mise en évidence des règles de fonctionnement de l’ics


psychique n’a pas pour conséquence de faire de nous des pantins
de ce dernier. Bien au contraire, il s’agit d’ « un gain de sens et de
cohérence », de rétablir une forme de continuité dans le discours
psychique. En réalité, les lacunes comblées ne produisent que très
partiellement la continuité du texte, mais le but visé est bien
l’identité, jamais complètement réalisée du même (la scène
éclairée de la conscience) et de l’autre (« l’autre scène » de
l’inconscient). C'est pourquoi, l'hypothèse de l’inconscient invite
bien à un élargissement du sens dont le sujet peut se rendre
capable.

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