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directive « retour »
__________
Claire Rodier*
*
GISTI (groupe d’information et de soutien des immigrés, France) ; Migreurop
1
La détention pour infraction à la législation sur l’immigration devrait être
progressivement abolie. Les migrants en situation irrégulière n’ont commis aucun
crime. La criminalisation de ce type de migration va au-delà des intérêts légitimes des
Etats de protéger leur territoire et de réguler les flux migratoires clandestins.
Rapport du groupe de travail sur la détention arbitraire,
Conseil des droits de l’homme, Assemblée générale des Nations unies, 18 janvier 2010.
Introduction :
UN ENCADREMENT LACUNAIRE ET DISPARATE POUR UN
PHENOMENE MAL CONNU
Faute de données disponibles, il est impossible de mesurer la pratique de l’internement
administratif des étrangers à des fins de contrôle migratoire. Mais plusieurs indicateurs
montrent qu’elle est en expansion depuis le début du XXIème siècle, à commencer par le
nombre de rapports et d’enquêtes menées sur les conditions de détention des migrants aussi
bien de la part d’ONG que d’organisations internationales. Ainsi, dès 2002, le Groupe de
travail sur les travailleurs migrants de la Commission des droits de l’homme des Nations
unies s’est inquiété des informations convergentes qu’il recevait sur la multiplication des
situations de privation de liberté de migrants1. En 2008, le Groupe de travail sur la détention
arbitraire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies attirait l’attention sur le
développement du phénomène dans l’hémisphère sud2. Depuis quelques années, plusieurs
réseaux d’ONG se sont constitués autour de cette question : selon l’un d’entre eux, IDC
(International Detention Coalition), « de plus en plus de réfugiés, de demandeurs d’asile et de
migrants sont détenus dans le monde et de plus en plus de gouvernements utilisent la
détention comme un instrument de gestion de la migration ». D’après une enquête menée en
2008 par IDC, il ressort qu’au cours de la période récente le nombre de personnes détenues
pour des causes liées à la migration aurait augmenté dans des proportions très importantes en
Belgique, Indonésie, Israël, Malaisie, au Mexique, au Sri-Lanka et aux Etats-Unis (IDC
Global Detention Survey 2008). A l’échelle européenne, le réseau Migreurop diffuse depuis
2004 une « carte des camps d’étrangers dans l’UE et à ses frontières », dont l’actualisation
régulière fait nettement apparaître l’accroissement du phénomène.
L’augmentation du nombre de lieux d’enfermement et de migrants détenus, qui s’inscrit dans
le cadre d’un processus de criminalisation de la migration dont témoignent l’adoption de lois
répressives dans la majorité des pays d’immigration3, est d’autant plus inquiétant que ce type
de détention est très peu encadré par le droit. Sans doute ceci s’explique-t-il par le fait qu’il
trouve son fondement dans le principe de souveraineté nationale qui permet aux États de fixer
les conditions d'entrée et de séjour des étrangers sur leur territoire – dont la détention à des
fins de contrôle ou de vérification peut être une des modalités du respect. Avec deux
conséquences : d’une part, celle-ci n’est perçue que comme un outil et ne bénéficie pas de
l’encadrement qui accompagne d’autre modes de privation de liberté comme le régime
pénitentiaire, par exemple ; d’autre part, en tant que prolongement d’une compétence de
souveraineté, elle constitue une exception admise au principe de liberté posé par les
instruments internationaux de protection des droits humains (voir infra). Il s’ensuit une très
grande variété de pratiques et de législations, comme l’a relevé le Groupe de travail
« détention arbitraire » du Conseil des droits de l’homme des Nations unies précité :
1
Rapport présenté par la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits de l'homme des
migrants, 30 décembre 2002, E/CN.4/2003/85
2
Rapport du groupe de travail sur la détention arbitraire, 10 janvier 2008A/HRC/7/4
3
Luca d’Ambrosio, « Quand l’immigration est un délit », la vie des idées.fr, nov. 2010,
http://www.laviedesidees.fr/Quand-l-immigration-est-un-delit.html
2
« Certains États n’ont aucun cadre juridique régissant les procédures d’immigration et
d’asile. D’autres ont promulgué des lois sur l’immigration mais n’ont pas prévu de cadre
juridique pour la détention, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils n’y recourent pas.
Lorsqu’un tel cadre existe, il diffère d’un État à l’autre. Certains États permettent le
placement en détention de demandeurs d’asile et d’immigrants hors de tout contexte pénal ou
de sécurité nationale pour établir l’identité des immigrants clandestins et des demandeurs
d’asile déboutés ou pour permettre leur expulsion vers leur pays d’origine. Dans d’autres
États, la détention est obligatoire et parfois même utilisée pour décourager de futurs réfugiés
ou migrants. Certains États fixent une durée maximale de détention, d’autres pas. Certains
exigent que le placement en détention soit ordonné par un juge, mais la plupart ont recours à
la rétention administrative. Les garanties procédurales varient en ce qui concerne la
possibilité d’examiner la légalité de la détention et sa fréquence. Dans la pratique, certains
États dissimulent les centres de détention d’immigrants sous l’étiquette de « centres de
transit » ou de « résidences d’État » et parlent non pas de détention mais de « rétention » en
l’absence de législation autorisant la privation de liberté ». (Rapport A/HRC/7/4, 10 janvier
2008).
3
Bien que le règlement ne mentionne qu’une fois le terme « détention » (art. 17) et qu’il ne
prévoie aucun dispositif à ce sujet, il a été constaté par les associations qui s’occupent des cas
d’asile que son application avait considérablement augmenté les hypothèses dans lesquelles
les demandeurs d’asile étaient placés en détention en attendant leur transfert4.
Ces textes font l’objet depuis 2008 d’un processus de révision. Dans ce cadre, la Commission
européenne, prenant acte du développement de la pratique de la détention des demandeurs
d’asile dans les Etats membres, et estimant que la question doit être abordée de manière
globale afin d’éviter que la détention ne soit arbitraire et de garantir le respect des droits
fondamentaux dans tous les cas, a présenté un certain nombre de propositions pour amender la
directive « accueil »5 et le règlement Dublin6. Le principe qui sous-tend sa position (déjà posé
dans la directive « procédures ») est que « nul ne doit être placé en rétention au seul motif
qu’il demande une protection internationale ». Dans les deux cas, plus qu'un encadrement
juridique d’une pratique qui n’était jusqu’ici quasiment pas évoquée dans les textes
européens, les propositions de la Commission traduisent toutefois une forme de
reconnaissance et d’institutionnalisation de la rétention.
S’agissant du règlement Dublin, elles prévoient en effet qu’un demandeur d’asile admis à
déposer sa requête peut être placé en rétention afin d’établir son identification et/ou examiner
sa demande d’asile, ainsi que s’il présente un risque d’atteinte à la sécurité et à l’ordre public.
La Commission précise également les conditions de la détention (séparation entre demandeurs
d’asile et migrants en situation irrégulière, dispositifs spécifiques pour assurer le maintien de
l’unité familiale, proposition d’activités récréatives pour les enfants…). Aucune durée
maximale de rétention n’est mentionnée, la Commission se bornant à exiger que cette durée
soit « raisonnablement nécessaire » et que le maintien en rétention soit réexaminé par un juge
« à intervalles raisonnables », sur demande du demandeur d’asile concerné ou d’office.
Dans le même esprit, la Commission propose dans la directive « accueil », qui n’aborde
jusqu’ici que de façon très allusive l’hypothèse de la détention (cf supra), l’ajout d’une
disposition qui préciserait que « les États membres ne doivent pas appliquer de sanctions
pénales aux demandeurs d’asile du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, et leur
liberté de mouvement ne doit faire l’objet de restrictions que lorsque c’est nécessaire. À cet
égard, le placement en rétention des demandeurs d’asile ne doit être possible que dans des
conditions exceptionnelles définies de manière très claire dans la directive et dans le respect
des principes de nécessité et de proportionnalité en ce qui concerne tant la forme que la
finalité de ce placement en rétention. »
On notera que, même entourée de réserves, cette façon de normaliser la détention des
demandeurs d’asile – qui au demeurant est loin d’être exceptionnelle dans les États membres
– est en décalage avec les principes rappelés par le Haut Commissariat des Nations unies pour
les Réfugiés (UNHCR) dans ses Lignes directrices sur les critères applicables à la détention
des demandeurs d'asile de 1999 selon lesquelles le droit de chercher asile est un droit de
l'Homme et que les demandeurs d'asile ne doivent pas être détenus.
4
ECRE, “The Dublin Regulation : Ten Recommendations For Reform”, 2007 ; JRS, "Dublin II: A
summary of JRS experiences in Europe”, 2008.
5
COM/2008/0815 final
6
COM(2008) 820 final/2
4
ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive « retour »7, qui aborde la
question de la détention des étrangers. Encore une fois, il ne s'agit pas d'un texte consacré à la
détention. Mais en traitant des procédures applicables en matière d'éloignement des étrangers,
la directive autorise qu’il y soit fait recours afin de préparer le retour et/ou de procéder à
l’éloignement d'un ressortissant de pays tiers. Les principaux aspects de la directive retour à
propos de la détention (art. 15 à 18) sont les suivants :
- la détention d’un étranger est possible, « en particulier » quand il existe un risque de
fuite, ou quand l'intéressé évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure
d’éloignement (ce qui veut dire que quand ces circonstances ne sont pas réunies il peut quand
même y avoir détention).
- la détention doit être « aussi brève que possible », mais la directive autorise une
période pouvant aller jusqu'à 18 mois en cas de « circonstances exceptionnelles » sans plus de
précisions sur ces circonstances.
- la directive impose soit un recours juridictionnel de la légalité de la détention dans les
plus brefs délais, soit la possibilité pour la personne détenue de former un recours pour que ce
contrôle juridictionnel ait lieu. Dans les deux cas la détention doit faire l’objet d’un réexamen
à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit
d’office.
- la directive fait aussi allusion aux conditions de détention : de préférence dans des
locaux ad hoc, sinon, les personnes détenues doivent être séparées des prisonniers de droit
commun. Elles doivent avoir le contact « en temps utile » avec leurs représentants légaux, les
membres de leur famille et les autorités consulaires compétentes. Les organisations et
instances nationales, internationales et non gouvernementales compétentes ont la possibilité
de visiter les centres de détention, éventuellement sur autorisation.
- une attention particulière est accordée à la situation des personnes vulnérables, mais il
n'y a pas de catégories a priori protégées contre la détention (y compris les mineurs non
accompagnés).
5
d’éloignement » (qui seule permet de justifier la détention, selon l’article 15 § 4 de la
directive) : la possibilité de reconduite à la frontière doit être « réelle » au regard de la durée
maximale de rétention de 18 mois, ce qui n’était pas le cas pour l’intéressé, que la
Tchétchénie ni la Russie ne reconnaissaient comme leur ressortissant, que l’Autriche ni la
Géorgie ne voulaient accueillir, alors que la Turquie, également sollicitée, n’avait pas
répondu aux demandes.
En attendant que d’autres décisions de la CJUE viennent dessiner les contours de
l’enfermement européen des migrants, le droit international, et notamment la Convention
européenne des droits de l’homme, constituent la principale référence.
6
vagabondage, la toxicomanie, les mesures d'éducation, le contrôle de l'immigration, etc. ». La
Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des
membres de leur famille de 1990 [ratifiée principalement par des pays d’émigration] pose
quant à elle que « Les travailleurs migrants et les membres de leur famille ont droit à la
liberté et à la sécurité de leur personne » (art. 16-1)
L’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme
quelconque de détention ou d'emprisonnement, adopté par l'Assemblée générale des Nations
unies en 1988 (résolution 43/173), qui rappelle les obligations dues au respect des droits des
personnes détenues, inclut les personne étrangères dans son champ de protection.
La Déclaration sur les droits de l'homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du
pays dans lequel elles vivent, adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 47/144 du
13 décembre 1985, dispose que « Les étrangers jouissent, conformément au droit interne et
sous réserve des obligations internationales pertinentes de l'Etat dans lequel ils se trouvent,
en particulier des droits suivants : a) Le droit à la vie, à la sûreté de leur personne; nul
étranger ne peut être arbitrairement arrêté ou détenu; nul étranger ne peut être privé de sa
liberté, si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi ».
On retrouve, dans des termes à peu près identiques, l’affirmation de ce principe de liberté
dans les instruments régionaux. Ainsi la CEDH de 1950 proclame-t-elle que « Toute personne
a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas
suivants et selon les voies légales (…) » (art. 5-1).
Restrictions autorisées
La question reste entière de savoir si on peut priver un étranger de liberté pour des raisons de
contrôle migratoire, autrement dit si ce motif relève des restrictions autorisées.
Concernant le Pacte, l’Observation n° 8 du Comité, citée plus haut, laisse entendre
indirectement qu’il l’admet. Et de fait le Comité a été amené à de nombreuses reprises à juger
de la légitimité de mesures de détention d’étrangers, par exemple à propos du droit à être
informé sur les raisons de la détention (CDH Wilson c/ Philippines, 11 nov 2003), du droit à
une protection juridictionnelle (CDH Trinité et Tobago, 19 août 2004), ou encore de la durée
de la détention (CDH A. c/ Australia, 30 avril 1997).
Beaucoup plus explicite est la Convention internationale sur la protection des droits de tous
les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990. Pour un alinéa qui pose le
droit à ne pas être privé de liberté comme la règle (« Les travailleurs migrants et les membres
de leur famille ne peuvent faire l'objet, individuellement ou collectivement, d'une arrestation
ou d'une détention arbitraire; ils ne peuvent être privés de leur liberté, si ce n'est pour des
motifs et conformément à la procédure prévus par la loi » (art. 16-4), elle consacre deux longs
articles aux dispositions à prendre lorsqu’il y a néanmoins privation de liberté (art. 16 et 17),
qui neutralisent de fait cette règle.
Le seul texte de portée internationale qui prévoit explicitement et encadre l’internement des
migrants est la Convention européenne des droits de l’homme, dont l’article 5-1 dispose que «
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf
dans les cas suivants et selon les voies légales (…) » Parmi les six cas énumérés on trouve :
« l’arrestation et la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer
irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou
d’extradition est en cours » (art. 5-1, f).
On se propose de mesurer l'encadrement de la détention tel qu'il est prévu par l'article 5, et de
présenter un état des grandes lignes de la jurisprudence qu'en a dégagée la Cour EDH.
7
L'article 5-1 de la CEDH
9
Guzzardi c/Italie, 2 octobre 1980
10
Raimondo c/Italie, 22 février 1994
11
Amuur c/France, 25 juin 1996
8
chance d’être admis dans un autre pays.
12
Tabesh c/Grèce, 26 novembre 2009
9
avoir commis ce délit et pourrait prendre la fuite avant qu'une procédure puisse être engagée à
son encontre. Il faut en outre que ces conditions restent vérifiées dans la durée pour que la
détention reste légale.
13
Abdolkhani and Karimnia c/Turquie, 22 septembre 2009
14
D.B c/Turquie, 13 juillet 2010.
15
Saadi c/Royaume-Uni, 29 janvier 2008
16
Bozano c/France, 18 décembre 1986
17
Conka c/ Belgique, 5 février 2002
18
Chahal c/ Royaume-Uni, 15 novembre 1996
19
Quinn c/France, 22 mars 1995
20
Op. cit.
21
Op. cit.
10
faisabilité de la mesure d’éloignement projetée.
Garanties procédurales
La CEDH prévoit des garanties procédurales pour les personnes détenues, une fois établi que
la privation de liberté est légale. Selon l'article 5-2, toute personne arrêtée « doit être
informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son
arrestation et de toute accusation portée contre elle », « doit être aussitôt traduite devant un
juge (...) et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la
procédure ». Enfin, elle « a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il
statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est
illégale ». Les droits ouverts par l'article 5-2 doivent être accessibles en pratique. Concernant
le droit au recours, il concerne le droit à contester la décision à l'origine de la détention non
seulement au regard de la loi nationale, mais aussi au niveau international et notamment au
regard des prescriptions de la CEDH. Le contrôle de la légalité de la détention doit être répété
à intervalles réguliers pour tenir compte de l'évolution de la situation22.
Cet encadrement de la détention pour éviter la détention arbitraire est à rapprocher de
plusieurs décisions, prises notamment contre l'Australie, du Comité des droits de l'Homme qui
invite à distinguer le concept d'« arbitraire » du concept de « contraire à la loi », en ce qu'il
inclut un élément de non approprié et d'injuste23.
22
Par exemple, Weeks c/Royaume-Uni, 2 mars 1987
23
Par exemple CDH A c/Autralie 560/1993 ; CDH Baban c/Australie 1014/2001
11
prévoit le droit au respect de la dignité des migrants privés de liberté (art. 17). Sur cette
question, toutefois, l’Observation générale n° 9 du Comité des droits de l’homme mentionne
le respect de ce principe en ce qui concerne « toutes les institutions où des personnes sont
légalement détenues contre leur volonté, qu'il s'agisse des prisons ou, par exemple, des
hôpitaux, et des camps de détention ou des établissements de correction ». De même, la
Recommandation générale n° 30 du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale,
concernant la discrimination contre les non-ressortissants (2004), vise à « Assurer la sécurité
des non-ressortissants, en particulier face à la détention arbitraire, et veiller à ce que les
conditions de vie dans les centres d’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile soient
conformes aux normes internationales ».
24
C. c/Australie, CDH 2002
25
Van de Ven c/Pays-Bas, 4 février 2003
26
Kudla c/ Pologne, 26 oct. 2000
27
Al-Agha c/Roumanie, 12 janvier 2010
28
A.A. c/Grèce, 22 juillet 2010
29
Amuur c/France, 25 juin 1996
30
A. A. c/ Grèce, 22 juillet 2010
12
C’est notamment en se référant à un rapport de l’organisation Human Rights Watch que la
Cour, dans une affaire opposant une demandeuse d’asile iranienne aux autorités turques, a
considéré que les conditions de détention n’étaient pas suffisamment graves « même si des
problèmes d’hygiène sont constatés » pour fonder une violation de l’article 331. Pour apprécier
des allégations d'un requérant détenu plusieurs années dans un centre en Roumanie, elle
s'appuiera sur un rapport du Comité de prévention contre la torture du Conseil de l'Europe
pour distinguer deux périodes dans le séjour de l'intéressé : la première avant la visite du CPT,
où elle considère que l'article 3 a été violé (chambre partagée avec plusieurs personnes dont
deux atteintes de tuberculose, conditions d'hygiène précaire, pauvre qualité de la nourriture) ;
la seconde après cette visite, où elle estime qu'il n'y a pas violation du fait que les conditions
étaient améliorées (activités récréatives, offre de soins)32. Au cours de la période récente,
plusieurs affaires ont mis en cause les conditions dans lesquelles sont détenus les migrants et
les demandeurs d’asile en Grèce, alors que des rapports d’ONG et de diverses organisations
internationales ainsi que d’une délégation du Parlement européen ont pointé des conditions
matérielles « déplorables et inhumaines », « portant atteinte au sens même de la dignité
humaine », et ont fait état de mauvais traitements (violences, défaut de soins) dans les centres
de détention grecs. Une première condamnation était intervenue en 2001 pour le maintien
d’un étranger dans une cellule surpeuplée, sale, où il était privé d'air frais et de lumière du
jour, et ne pouvait pas pratiquer d'exercice physique33. La Cour tient compte des effets
cumulatifs : dans cette affaire, il y avait eu confirmation des allégations de l'intéressé par un
rapport du Comité de prévention contre la torture, en outre il était resté 18 mois en détention.
Les autorités grecques n'ont guère amélioré les conditions de détention des migrants
puisqu'elles ont à nouveau été condamnées en 2009 puis en 2010 pour violation de l'article 3 :
dans la première espèce le requérant, demandeur d’asile, alléguait avoir été enfermé dans une
baraque préfabriquée, sans possibilité de sortir à l’extérieur ni de téléphoner, sans disposer de
couvertures, de draps propres et de produits d’hygiène en quantité suffisante34. Dans la
seconde espèce, le requérant était maintenu dans un centre dont l’état de délabrement était
attesté, et il se plaignait d’avoir subi des violences et souffert du manque de diligence des
autorités à lui apporter une assistance médicale appropriée à son état de santé35.
Durée de la détention
La question de la durée de la détention est au cœur de nombre des décisions de la Cour
EDH36. Il faut d’abord retenir que pour la Cour, une longue durée de détention n’est pas un
motif d’annulation en soi. Mais elle peut l’être si elle est combinée avec la violation d’autres
droits comme les mauvais traitements, la condition personnelle du requérant, le défaut d’accès
aux procédures d’asile ou encore l’absence de protection juridictionnelle : par exemple, la
Cour a considéré qu’il y a détention arbitraire lorsque la privation de liberté se prolonge de
façon imprévisible et en l’absence de contrôle d’un juge dans un délai raisonnable 37. Dans
l'affaire Al-Agha, elle établit une corrélation entre les conditions précaires de détention et la
durée de la période de privation de liberté : ce qui est acceptable pour un séjour de courte
durée (confinement, accès limité à une activité physique, accès aux douches épisodique)
31
Z.N.S. c/Turquie, 19 janvier 2010
32
Al-Agha c/Roumanie, 12 janvier 2010
33
Dougoz, 6 mars 2001
34
S.D. c/Grèce, 11 juin 2009
35
A.A. c/Grèce, 22 juillet 2010
36
Par exemple Singh c/République tchèque, 25 janvier 2005 ; Chahal c/Royaume-Uni, 15
novembre 1996
37
Shamsa c/Pologne, 27 nov 2003
13
constitue une violation de l'article 3 si le séjour se prolonge plusieurs années 38. Elle applique
le même raisonnement dans l'affaire Charahili, où le requérant alléguait avoir été détenu plus
de dix-neuf mois dans une pièce en sous-sol d'un poste de police, sale et comportant des
problèmes de ventilation, dans des conditions de suroccupation, considérant que des locaux
adaptés pour une garde à vue de quatre jours (en application de la loi turque) n'étaient pas
appropriés pour le long séjour qu'y a passé l'intéressé39. Mais des conditions de détention
jugées correctes lui feront conclure à une non violation de l'article 3, malgré le caractère non
limité de la détention dont la Cour reconnaît pourtant qu'il « peut sans aucun doute causer à la
requérante] un sentiment d'anxiété »40.
Toutefois, rappelant régulièrement que la CEDH est « un instrument vivant à interpréter à la
lumière des conditions de vie actuelles »41, la Cour ne fait pas non plus de la durée pendant
laquelle une personne est soumise à un traitement inhumain et dégradant un élément
déterminant pour le constat de la violation de l'article 3. Dans l'affaire S.D. c/Grèce (cf infra),
elle ne retiendra pas l'argument du gouvernement grec selon lequel les exigences de l'article 3
n'étaient pas méconnues « compte tenu de la courte période de détention » (deux mois).
II - C Le droit d'asile
Principe
La Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés prend acte du fait que les personnes qui
fuient leur pays du fait des persécutions ont des difficultés pour avoir les documents
nécessaires à l’entrée sur le territoire d’un autre pays. Elle a donc institué une immunité
pénale pour qu’ils ne puissent être poursuivis pour cette raison dès lors qu’ils se présentent
d’emblée et sans délai aux autorités de ce pays comme demandeurs d’asile (art. 31 al.1 CG).
Cette immunité pénale ne limite pas la souveraineté territoriale des Etats, puisqu’elle ne
donne pas aux demandeurs d’asile un droit d’entrer sur le territoire, mais seulement le droit
d’y demander protection. Et il est de plus en plus fréquent que ce droit, lorsqu’il est
revendiqué par un demandeur d’asile qui se présente aux frontières, soit exercé alors que
celui-ci est placé en détention. (il faut se rappeler que c’est une des deux principales
hypothèses de détention des étrangers). Déjà, dans sa Conclusion n°. 44, « Détention des
réfugiés et des personnes en quête d'asile » (13 oct.1986), le Comité exécutif du HCR notait «
avec une profonde préoccupation qu'un grand nombre de réfugiés et de demandeurs d'asile
dans différentes régions du monde font actuellement l'objet de détention ou de mesures
restrictives similaires du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers en vue d'obtenir
l'asile, dans l'attente d'une solution à leur situation » ; et il exprimait « l'opinion qu'au vu des
souffrances qu'elle entraîne, la détention doit normalement être évitée ». En 1999, dans les
Lignes directrices sur les critères applicables à la détention des demandeurs d'asile, en
référence à l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, il posait comme
principe que le droit de chercher asile est un droit de l'Homme et que les demandeurs d'asile
ne doivent pas être détenus.
Restrictions admises
38
Op. Cit.
39
Charahili c/Turquie, 13 avril 2010
40
Z.N.S. c/Turquie, 19 janvier 2010
41
Selmouni c/France, 28 juillet 1999
14
Une fois ces principes posés, on constate que l’essentiel de ces deux textes est toutefois
consacré à la détention des demandeurs d’asile.
Les Lignes directrices énoncent que seules des exceptions strictement encadrées au principe
de non détention peuvent être admises. Elles ajoutent qu’en tout état de cause, il ne suffit pas
que la détention appliquée aux demandeurs d'asile soit prévue par la législation nationale des
États pour être dénuée d’arbitraire.
La détention doit aussi être conforme à l'article 31 de la Convention de Genève de 1951
relative aux réfugiés, selon lequel les États d'accueil ne peuvent ni sanctionner les réfugiés
pour entrée ou séjour irrégulier, ni imposer à leurs déplacements d'autres restrictions que
celles qui sont « nécessaires ». Toute la discussion va porter sur cette notion de « restriction
nécessaire ».
Dans sa Conclusion 44, le Comité exécutif du HCR indique dans quelles circonstances la
détention, qui ne doit jamais revêtir un caractère automatique, peut être qualifiée de «
restriction nécessaire » :
- le temps de la détermination de l'identité du demandeur ;
- dans le cadre d'une interview préliminaire, pour identifier le fondement de la demande d'asile (mais en
aucun cas pour toute la durée de la procédure de détermination) ;
- dans le cas où le demandeur a volontairement cherché à soustraire ses documents de voyage ou son
identité, dans l'intention de ne pas coopérer avec les autorités ;
- pour protéger la sécurité nationale et l'ordre public (ce cas se réfère aux circonstances où le demandeur
d'asile a des antécédents criminels ou lorsque, d'évidence, son admission sur le territoire serait susceptible
de poser un problème pour la sécurité nationale ou l'ordre public).
Fréquemment saisie de cas de demandeurs d'asile placés en détention, la Cour EDH voit dans
cette qualité un critère de vulnérabilité aggravant pour juger que la détention constitue une
violation de l'article 3 de la CEDH. C'est par exemple le cas dans l'affaire S.D. c/Grèce déjà
évoquée, où elle conclut que « les conditions de détention du requérant, en tant que réfugié et
demandeur d'asile, combinées à la durée excessive de sa détention [le requérant avait été placé
en détention pendant deux mois], en de pareilles conditions, s'analysent en un traitement
dégradant »42.
Dans l'arrêt Saadi c/Royaume-Uni elle explicite la notion d'entrée irrégulière appliquée à un
demandeur d'asile, à propos de l'article 5.1 f) de la CEDH qui permet de placer en détention
« une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire ». En l'espèce,
un demandeur d'asile irakien avait été arrêté à son arrivée à l'aéroport au Royaume-Uni et
détenu pendant huit jours pour l'examen accéléré de la demande d'asile qu'il avait
immédiatement présentée aux autorités. Il plaidait que le fait qu'il se soit présenté de lui-
même aux services de l'immigration pour déposer sa demande d'asile avait en quelque sorte,
bien qu'il soit démuni des documents exigés pour pénétrer dans le pays, « validé » son entrée,
et par conséquent que la détention dont il avait été l'objet violait l'article 5.1 de la CEDH.
Mais la Cour estime que tant qu’un Etat n’a pas « autorisé » l’entrée sur son territoire, celle-ci
est « irrégulière », et la détention d’un individu souhaitant entrer dans le pays mais ayant pour
cela besoin d’une autorisation dont il ne dispose pas encore peut viser – sans que la formule
soit dénaturée – à « empêcher [l’intéressé] de pénétrer irrégulièrement ». Se référant à la
conclusion no 44 du Comité exécutif du Programme du HCR, elle ajoute qu'on ne saurait lire
la première partie de l’article 5 § 1 f) comme autorisant uniquement la détention d’une
personne dont il serait établi qu’elle tente de se soustraire aux restrictions à l’entrée43.
42
S.D. c/Grèce, 11 juin 2009
43
Saadi c/Royaume-Uni, 29 janvier 2008
15
Dissuasion ou urgence
On notera que qu'aucun des instruments internationaux relatifs à la détention ou aux
demandeurs d'asile ne considère qu'entrerait dans le champ des « restrictions nécessaires »
une politique de détention visant à dissuader de futurs demandeurs d'asile, ou à inciter des
demandeurs d'asile à retirer leur requête. L'invocation d'une urgence, par exemple en cas
d'arrivée simultanée d'un très grand nombre de demandeurs d'asile, ne peut non plus justifier
leur placement dans des « camps fermés » si ce placement n'est pas accompagné d'une
recherche immédiate de solutions.
La politique australienne de détention systématique des demandeurs d’asile à des fins
principalement dissuasives a entraîné un nombre très important de contentieux individuels
devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies qui ont amené l’Australie a
modifier sa législation, notamment sur la durée de la détention des demandeurs d’asile.
Aucune procédure de ce type ne semble avoir été engagée devant la Cour EDH contre des
États membres du Conseil de l'Europe. Pourtant, plusieurs d'entre eux pratiquent également la
détention systématique (Chypre, Malte), et on constate une certaine tendance à la tolérance,
au sein des instances de l'UE, à l'égard de mesures prises par des États membres invoquant
des situations d'arrivées « massives » de demandeurs d'asile.
44
Jalloh c/ Pays-Bas, CDH 15 avril 2002
16
aussi Tabitha, du prénom de la petite Congolaise de cinq ans détenue pendant deux mois en
Belgique où elle était en transit pour rejoindre sa mère réfugiée au Canada), la Cour n’a donc
pas non plus condamné la détention des enfants en tant que telle, mais le fait de détenir un
enfant dans les mêmes conditions qu'un adulte, sans tenir compte des besoins de son âge et de
la situation de vulnérabilité extrême résultant, le cas échéant, de son statut de mineur étranger
non accompagné, dans un centre initialement conçu pour adultes et donc non adapté aux
enfants (détention de type carcéral, promiscuité avec les adultes, absence de personnel
d'accompagnement psychologique ou éducatif et de personnel qualifié, etc.), alors qu‘il
existait des alternatives à l‘enfermement. Compte tenu des circonstances, elle a estimé que la
Belgique, en faisant preuve de « manque d'humanité », avait violé les articles 3.5 § 1 et 8 de la
CEDH, ainsi que les articles 3 et 10 (famille) de la CIDE45.
Avec l’affaire Muskhadzhiyeva et autres c/Belgique, la Cour a suivi et prolongé son
raisonnement à propos de la détention de jeunes enfants étrangers. Il s’agit en l’espèce d’une
mère et de ses quatre enfants, tous de nationalité tchétchènes, placés dans un « centre fermé »
belge en attendant leur expulsion vers la Pologne où ils avaient transité. En s’appuyant sur
plusieurs rapports d’expertise sur le « centre 127 bis » où la famille était détenue, elle
considère que la détention d’une mineure dans ce lieu inadapté aux enfants (fil barbelé,
personnel en uniforme, régime de groupe, programme quotidien fixe, impossibilité de circuler
librement dans les bâtiments ou à l’extérieur, insuffisance d’espace et de lumière du jour,
impossibilité de disposer de moments d’intimité) constitue une violation de l’article 3 CEDH
« compte tenu de « la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant » qui était « déterminante
et prédominait sur la qualité d’étranger en séjour illégal ». Mais la Cour va plus loin que dans
Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga, puisqu’elle refuse de tenir compte du fait que,
contrairement à la petite Tabitha, les enfants Muskhadzhiyeva n’étaient pas séparés de leur
mère, et affirme que « cet élément ne suffit pas à exempter les autorités de leur obligation de
protéger les enfants et d’adopter les mesures adéquates au titre des obligations positives
découlant de l’article 3 de la Convention »46.
Ces deux exemples sont à l’image de la démarche de la Cour EDH dans toutes les affaires
concernant la détention de migrants qu’on vient de recenser : elle se montre très attentive au
détail des conditions de détention, recoupe les informations dont elle dispose et veille à
sanctionner strictement les abus qui peuvent être commis par les autorités. On peut certes se
féliciter de cet encadrement. Mais on peut aussi, comme le regrette Christel Cournil à propos
des décisions concernant la détention d’enfants, constater que la Cour « accepte, voire
légitime le principe de la détention et du refoulement des mineurs ». « Dès lors », ajoute-t-
elle, « en ne retenant pas d’interdiction générale de refoulement ou de détention des mineurs
isolés, la Cour européenne s’engouffre dans une appréciation « technicienne » des conditions
de refoulement ou de détention en évaluant le degré de détresse des enfants, leur âge, etc. Elle
devra, en effet, procéder au cas par cas à la conciliation toujours délicate des contrôles
migratoires et des droits de l’Homme en cas de détention et de refoulement »47.
45
Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c/ Belgique, 12 oct. 2006
46
Muskhadzhiyeva et autres c/Belgique, 19 janvier 2010
47
Christel Cournil « Les droits de l’Homme en zones d’attente : condamnation européenne et
résistances françaises », Cultures & Conflits n°71, automne 2008
48
Béatrice Belda, Les droits de l’homme des personnes privées de liberté, Coll. Droit de la Convention
européenne – Thèse – N° 1, Ed. Bruylant, 2010 .
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migratoire, ce « droit commun » contribue à légitimer la détention à cette seule fin.
Novembre 2010
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