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L’encadrement juridique de la détention des migrants à l’heure de la

directive « retour »
__________
Claire Rodier*

Introduction : UN ENCADREMENT LACUNAIRE ET DISPARATE POUR UN PHENOMENE


MAL CONNU

I - LE CADRE COMMUNAUTAIRE DE L’ENFERMEMENT DES MIGRANTS


I-A Réglementation de l’asile
I-B La directive « retour »

II - LES RESSOURCES DU DROIT INTERNATIONAL


II-A Le droit à la liberté
Droits garantis
Restrictions autorisées
Définition de la privation de liberté
Interdiction de la détention arbitraire
Garanties procédurales
II - B Le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants/ le droit
d’être traite avec humanité et dignité
Des textes de portée générale
Incidences sur la détention des étrangers
Conditions matérielles de la détention
Durée de la détention
II - C Le droit d'asile
Principe
Restrictions admises
Dissuasion ou urgence
II – C Les droits de l'enfant

*
GISTI (groupe d’information et de soutien des immigrés, France) ; Migreurop

1
La détention pour infraction à la législation sur l’immigration devrait être
progressivement abolie. Les migrants en situation irrégulière n’ont commis aucun
crime. La criminalisation de ce type de migration va au-delà des intérêts légitimes des
Etats de protéger leur territoire et de réguler les flux migratoires clandestins.
Rapport du groupe de travail sur la détention arbitraire,
Conseil des droits de l’homme, Assemblée générale des Nations unies, 18 janvier 2010.

Introduction :
UN ENCADREMENT LACUNAIRE ET DISPARATE POUR UN
PHENOMENE MAL CONNU
Faute de données disponibles, il est impossible de mesurer la pratique de l’internement
administratif des étrangers à des fins de contrôle migratoire. Mais plusieurs indicateurs
montrent qu’elle est en expansion depuis le début du XXIème siècle, à commencer par le
nombre de rapports et d’enquêtes menées sur les conditions de détention des migrants aussi
bien de la part d’ONG que d’organisations internationales. Ainsi, dès 2002, le Groupe de
travail sur les travailleurs migrants de la Commission des droits de l’homme des Nations
unies s’est inquiété des informations convergentes qu’il recevait sur la multiplication des
situations de privation de liberté de migrants1. En 2008, le Groupe de travail sur la détention
arbitraire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies attirait l’attention sur le
développement du phénomène dans l’hémisphère sud2. Depuis quelques années, plusieurs
réseaux d’ONG se sont constitués autour de cette question : selon l’un d’entre eux, IDC
(International Detention Coalition), « de plus en plus de réfugiés, de demandeurs d’asile et de
migrants sont détenus dans le monde et de plus en plus de gouvernements utilisent la
détention comme un instrument de gestion de la migration ». D’après une enquête menée en
2008 par IDC, il ressort qu’au cours de la période récente le nombre de personnes détenues
pour des causes liées à la migration aurait augmenté dans des proportions très importantes en
Belgique, Indonésie, Israël, Malaisie, au Mexique, au Sri-Lanka et aux Etats-Unis (IDC
Global Detention Survey 2008). A l’échelle européenne, le réseau Migreurop diffuse depuis
2004 une « carte des camps d’étrangers dans l’UE et à ses frontières », dont l’actualisation
régulière fait nettement apparaître l’accroissement du phénomène.
L’augmentation du nombre de lieux d’enfermement et de migrants détenus, qui s’inscrit dans
le cadre d’un processus de criminalisation de la migration dont témoignent l’adoption de lois
répressives dans la majorité des pays d’immigration3, est d’autant plus inquiétant que ce type
de détention est très peu encadré par le droit. Sans doute ceci s’explique-t-il par le fait qu’il
trouve son fondement dans le principe de souveraineté nationale qui permet aux États de fixer
les conditions d'entrée et de séjour des étrangers sur leur territoire – dont la détention à des
fins de contrôle ou de vérification peut être une des modalités du respect. Avec deux
conséquences : d’une part, celle-ci n’est perçue que comme un outil et ne bénéficie pas de
l’encadrement qui accompagne d’autre modes de privation de liberté comme le régime
pénitentiaire, par exemple ; d’autre part, en tant que prolongement d’une compétence de
souveraineté, elle constitue une exception admise au principe de liberté posé par les
instruments internationaux de protection des droits humains (voir infra). Il s’ensuit une très
grande variété de pratiques et de législations, comme l’a relevé le Groupe de travail
« détention arbitraire » du Conseil des droits de l’homme des Nations unies précité :
1
Rapport présenté par la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits de l'homme des
migrants, 30 décembre 2002, E/CN.4/2003/85
2
Rapport du groupe de travail sur la détention arbitraire, 10 janvier 2008A/HRC/7/4
3
Luca d’Ambrosio, « Quand l’immigration est un délit », la vie des idées.fr, nov. 2010,
http://www.laviedesidees.fr/Quand-l-immigration-est-un-delit.html

2
« Certains États n’ont aucun cadre juridique régissant les procédures d’immigration et
d’asile. D’autres ont promulgué des lois sur l’immigration mais n’ont pas prévu de cadre
juridique pour la détention, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils n’y recourent pas.
Lorsqu’un tel cadre existe, il diffère d’un État à l’autre. Certains États permettent le
placement en détention de demandeurs d’asile et d’immigrants hors de tout contexte pénal ou
de sécurité nationale pour établir l’identité des immigrants clandestins et des demandeurs
d’asile déboutés ou pour permettre leur expulsion vers leur pays d’origine. Dans d’autres
États, la détention est obligatoire et parfois même utilisée pour décourager de futurs réfugiés
ou migrants. Certains États fixent une durée maximale de détention, d’autres pas. Certains
exigent que le placement en détention soit ordonné par un juge, mais la plupart ont recours à
la rétention administrative. Les garanties procédurales varient en ce qui concerne la
possibilité d’examiner la légalité de la détention et sa fréquence. Dans la pratique, certains
États dissimulent les centres de détention d’immigrants sous l’étiquette de « centres de
transit » ou de « résidences d’État » et parlent non pas de détention mais de « rétention » en
l’absence de législation autorisant la privation de liberté ». (Rapport A/HRC/7/4, 10 janvier
2008).

I LE CADRE COMMUNAUTAIRE DE L’ENFERMEMENT DES MIGRANTS


Au regard de l’hétérogénéité des systèmes et des pratiques, il est intéressant de s’arrêter sur
l’exemple régional qu’offre le cadre communautaire élaboré par l'Union européenne (UE)
depuis 2000 dans le domaine de l'immigration et de l'asile, et qui s'impose à tous les États
membres. Le but de cette communautarisation étant de définir un corpus de normes
applicables de la même façon dans tous les Etats de l’UE, on pourrait s'attendre à ce qu'elle
unifie les règles et ces pratiques dans le domaine de la détention. On va voir que ce n'est pas
vraiment le cas.
Il faut d’abord constater qu’aucun texte adopté dans le cadre du volet Justice, Liberté,
Sécurité, de la politique de l’Union n'est consacré à la détention à des fins de contrôle
migratoire. En revanche plusieurs instruments valident la possibilité de priver de liberté des
étrangers à ce motif, ou au cours de leur procédure d'asile. Il s’agit d’abord des directives et
règlements qui organisent le régime d'asile européen, ensuite de la directive « retour » adoptée
en décembre 2008.

I-A Réglementation de l’asile


- la directive relative aux procédures d’asile (2005/85/CE du 1er décembre 2005) ne
mentionne la détention que pour préciser que les Etats ne peuvent pas placer une personne en
détention pour la seule raison qu’elle a déposé une demande d’asile (art. 18). Ce qui n’offre
qu’une garantie très sommaire, dans la mesure où de nombreuses circonstances particulières
permettent de détenir les demandeurs d’asile placés sous le régime de la procédure prioritaire
(demande manifestement infondée, demandeur originaire d'un pays « sûr » ou ayant transité
par un pays « tiers sûr », demandeur ayant eu la possibilité de recourir à « l'asile interne »...).
- la directive sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile (2003/9/CE du 27
janvier 2003) prévoit que dans des cas exceptionnels les personnes en instance de réponse à
leur requête peuvent être astreintes par les autorités à « demeurer dans un lieu déterminé »
(art. 7-3). C’est là la seule allusion à l’enfermement.
- du fait d’un mécanisme de détermination du pays membre « responsable » du
traitement de leur demande d’asile, les demandeurs peuvent être transférés d’un Etat à un
autre, y compris contre leur gré (règlement 343/2003/CE dit « Dublin II » du 18 février 2003).

3
Bien que le règlement ne mentionne qu’une fois le terme « détention » (art. 17) et qu’il ne
prévoie aucun dispositif à ce sujet, il a été constaté par les associations qui s’occupent des cas
d’asile que son application avait considérablement augmenté les hypothèses dans lesquelles
les demandeurs d’asile étaient placés en détention en attendant leur transfert4.
Ces textes font l’objet depuis 2008 d’un processus de révision. Dans ce cadre, la Commission
européenne, prenant acte du développement de la pratique de la détention des demandeurs
d’asile dans les Etats membres, et estimant que la question doit être abordée de manière
globale afin d’éviter que la détention ne soit arbitraire et de garantir le respect des droits
fondamentaux dans tous les cas, a présenté un certain nombre de propositions pour amender la
directive « accueil »5 et le règlement Dublin6. Le principe qui sous-tend sa position (déjà posé
dans la directive « procédures ») est que « nul ne doit être placé en rétention au seul motif
qu’il demande une protection internationale ». Dans les deux cas, plus qu'un encadrement
juridique d’une pratique qui n’était jusqu’ici quasiment pas évoquée dans les textes
européens, les propositions de la Commission traduisent toutefois une forme de
reconnaissance et d’institutionnalisation de la rétention.
S’agissant du règlement Dublin, elles prévoient en effet qu’un demandeur d’asile admis à
déposer sa requête peut être placé en rétention afin d’établir son identification et/ou examiner
sa demande d’asile, ainsi que s’il présente un risque d’atteinte à la sécurité et à l’ordre public.
La Commission précise également les conditions de la détention (séparation entre demandeurs
d’asile et migrants en situation irrégulière, dispositifs spécifiques pour assurer le maintien de
l’unité familiale, proposition d’activités récréatives pour les enfants…). Aucune durée
maximale de rétention n’est mentionnée, la Commission se bornant à exiger que cette durée
soit « raisonnablement nécessaire » et que le maintien en rétention soit réexaminé par un juge
« à intervalles raisonnables », sur demande du demandeur d’asile concerné ou d’office.
Dans le même esprit, la Commission propose dans la directive « accueil », qui n’aborde
jusqu’ici que de façon très allusive l’hypothèse de la détention (cf supra), l’ajout d’une
disposition qui préciserait que « les États membres ne doivent pas appliquer de sanctions
pénales aux demandeurs d’asile du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, et leur
liberté de mouvement ne doit faire l’objet de restrictions que lorsque c’est nécessaire. À cet
égard, le placement en rétention des demandeurs d’asile ne doit être possible que dans des
conditions exceptionnelles définies de manière très claire dans la directive et dans le respect
des principes de nécessité et de proportionnalité en ce qui concerne tant la forme que la
finalité de ce placement en rétention. »
On notera que, même entourée de réserves, cette façon de normaliser la détention des
demandeurs d’asile – qui au demeurant est loin d’être exceptionnelle dans les États membres
– est en décalage avec les principes rappelés par le Haut Commissariat des Nations unies pour
les Réfugiés (UNHCR) dans ses Lignes directrices sur les critères applicables à la détention
des demandeurs d'asile de 1999 selon lesquelles le droit de chercher asile est un droit de
l'Homme et que les demandeurs d'asile ne doivent pas être détenus.

I-B La directive « retour »


Au-delà de la situation des demandeurs d’asile, c’est principalement la directive relative aux
normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des

4
ECRE, “The Dublin Regulation : Ten Recommendations For Reform”, 2007 ; JRS, "Dublin II: A
summary of JRS experiences in Europe”, 2008.
5
COM/2008/0815 final
6
COM(2008) 820 final/2

4
ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive « retour »7, qui aborde la
question de la détention des étrangers. Encore une fois, il ne s'agit pas d'un texte consacré à la
détention. Mais en traitant des procédures applicables en matière d'éloignement des étrangers,
la directive autorise qu’il y soit fait recours afin de préparer le retour et/ou de procéder à
l’éloignement d'un ressortissant de pays tiers. Les principaux aspects de la directive retour à
propos de la détention (art. 15 à 18) sont les suivants :
- la détention d’un étranger est possible, « en particulier » quand il existe un risque de
fuite, ou quand l'intéressé évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure
d’éloignement (ce qui veut dire que quand ces circonstances ne sont pas réunies il peut quand
même y avoir détention).
- la détention doit être « aussi brève que possible », mais la directive autorise une
période pouvant aller jusqu'à 18 mois en cas de « circonstances exceptionnelles » sans plus de
précisions sur ces circonstances.
- la directive impose soit un recours juridictionnel de la légalité de la détention dans les
plus brefs délais, soit la possibilité pour la personne détenue de former un recours pour que ce
contrôle juridictionnel ait lieu. Dans les deux cas la détention doit faire l’objet d’un réexamen
à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit
d’office.
- la directive fait aussi allusion aux conditions de détention : de préférence dans des
locaux ad hoc, sinon, les personnes détenues doivent être séparées des prisonniers de droit
commun. Elles doivent avoir le contact « en temps utile » avec leurs représentants légaux, les
membres de leur famille et les autorités consulaires compétentes. Les organisations et
instances nationales, internationales et non gouvernementales compétentes ont la possibilité
de visiter les centres de détention, éventuellement sur autorisation.
- une attention particulière est accordée à la situation des personnes vulnérables, mais il
n'y a pas de catégories a priori protégées contre la détention (y compris les mineurs non
accompagnés).

A travers ce rapide survol, on constate que l'encadrement européen de la détention, qui se


réfère aux principes posés par le droit international, est bien peu contraignant : aux termes de
la directive « retour », tous les étrangers sous le coup d'une mesure d'éloignement, ainsi que
dans certains cas des demandeurs d'asile en instance, peuvent être détenus, pour une durée
pouvant atteindre 18 mois, quels que soient leur condition et leur âge, dans n'importe quel
type de locaux, lesquels peuvent faire l'objet de contrôles extérieurs, mais dans des conditions
qui peuvent être fixées par les autorités.
Fin 2010, date d’expiration du délai de transposition de la directive « retour », il était encore
trop tôt pour mesurer les effets de son application, et pour analyser l’interprétation que ne
manqueront pas de fournir les juridictions internes et la Cour de justice de l’Union
européenne (CJUE) de ses dispositions. Dans l’affaire Kadzoev8, a CJUE a toutefois déjà eu
l’occasion d’en apprécier la portée après avoir été saisie par la Cour administrative de Sofia
(Bulgarie) du cas d’un Tchétchène, demandeur d’asile, qui avait passé 45 mois dans un centre
de placement temporaire, faute pour les autorités bulgares d’avoir pu procéder à son
éloignement ou de lui accorder le statut de réfugié du fait de l’incertitude sur son identité et sa
nationalité. Rappelant qu’un étranger ne peut être interné au seul motif de sa demande d’asile,
le juge de Luxembourg a également éclairé la notion de « perspective raisonnable
7
2008/115/CE du 16 décembre 2008
8
CJUE, 30 novembre 2009, Kadzoev.

5
d’éloignement » (qui seule permet de justifier la détention, selon l’article 15 § 4 de la
directive) : la possibilité de reconduite à la frontière doit être « réelle » au regard de la durée
maximale de rétention de 18 mois, ce qui n’était pas le cas pour l’intéressé, que la
Tchétchénie ni la Russie ne reconnaissaient comme leur ressortissant, que l’Autriche ni la
Géorgie ne voulaient accueillir, alors que la Turquie, également sollicitée, n’avait pas
répondu aux demandes.
En attendant que d’autres décisions de la CJUE viennent dessiner les contours de
l’enfermement européen des migrants, le droit international, et notamment la Convention
européenne des droits de l’homme, constituent la principale référence.

II - LES RESSOURCES DU DROIT INTERNATIONAL


Face aux disparités nationales, que ne corrige pas, dans le cas européen, la norme juridique
communautaire, on est naturellement porté à se tourner vers les instruments internationaux de
protection des droits de l’homme pour y trouver le fondement d’un encadrement du droit des
Etats à détenir les étrangers pour contrôler leurs frontières. Mais on va constater qu’aucune
réglementation spécifique et contraignante, à l'exception notable de l'article 5-1, f de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
(CEDH), ne prévoit explicitement les cas de détention d'une personne « pour l'empêcher de
pénétrer irrégulièrement sur le territoire » ou « contre laquelle une procédure d'expulsion est
en cours », selon les formules de la disposition précitée.
C’est de façon indirecte, par le biais de l’atteinte potentielle qu’est susceptible d’entraîner une
mesure d’enfermement à certains droits fondamentaux, que la question est évoquée au niveau
international. Pour en rendre compte, on propose de se référer au traitement qui est réservé par
le droit international au droit à la liberté et à la protection contre la torture et les traitements
inhumains et dégradants, inscrits dans des textes à portée générale, ainsi qu'aux principes qui
protègent des catégories spécifiques d’étrangers comme les demandeurs d'asile, les
travailleurs migrants ou les enfants.
On se livrera à cet exercice en combinant, pour les thèmes abordés, le droit « dur », c'est-à-
dire les traités, pactes et conventions, et le soft law qui rassemble les résolutions,
recommandations, les principes, les observations générales, les lignes directrices et autres
conclusions des rapporteurs spéciaux ou rapporteurs de groupes ad hoc. On insérera dans ce
recensement un aperçu des orientations prises par le Comité des droits de l’homme la Cour
européenne des droits de l’homme (Cour EDH) et en matière de privation de liberté et de
traitements inhumains et dégradants dans des affaires où ces instances ont eu à apprécier des
situations d’enfermement de migrants, en accordant une place particulière à la jurisprudence
issue de l’article 5-1 de la CEDH.

II-A Le droit à la liberté


Droits garantis
Le Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 (PIDCP) qui pose dans son
article 9 que: « tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut
faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa
liberté, si ce n'est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi » ne fait
pas allusion à la nationalité de l’individu dont il est question. Mais dans son Observation
générale n° 8 sur l’article 9 du Pacte, le Comité des droits de l’homme des Nations unies
estime que cette disposition « s'applique à tous les cas de privation de liberté, qu'il s'agisse
d'infractions pénales ou d'autres cas tels que, par exemple, les maladies mentales, le

6
vagabondage, la toxicomanie, les mesures d'éducation, le contrôle de l'immigration, etc. ». La
Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des
membres de leur famille de 1990 [ratifiée principalement par des pays d’émigration] pose
quant à elle que « Les travailleurs migrants et les membres de leur famille ont droit à la
liberté et à la sécurité de leur personne » (art. 16-1)
L’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme
quelconque de détention ou d'emprisonnement, adopté par l'Assemblée générale des Nations
unies en 1988 (résolution 43/173), qui rappelle les obligations dues au respect des droits des
personnes détenues, inclut les personne étrangères dans son champ de protection.
La Déclaration sur les droits de l'homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du
pays dans lequel elles vivent, adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 47/144 du
13 décembre 1985, dispose que « Les étrangers jouissent, conformément au droit interne et
sous réserve des obligations internationales pertinentes de l'Etat dans lequel ils se trouvent,
en particulier des droits suivants : a) Le droit à la vie, à la sûreté de leur personne; nul
étranger ne peut être arbitrairement arrêté ou détenu; nul étranger ne peut être privé de sa
liberté, si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi ».
On retrouve, dans des termes à peu près identiques, l’affirmation de ce principe de liberté
dans les instruments régionaux. Ainsi la CEDH de 1950 proclame-t-elle que « Toute personne
a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas
suivants et selon les voies légales (…) » (art. 5-1).

Restrictions autorisées
La question reste entière de savoir si on peut priver un étranger de liberté pour des raisons de
contrôle migratoire, autrement dit si ce motif relève des restrictions autorisées.
Concernant le Pacte, l’Observation n° 8 du Comité, citée plus haut, laisse entendre
indirectement qu’il l’admet. Et de fait le Comité a été amené à de nombreuses reprises à juger
de la légitimité de mesures de détention d’étrangers, par exemple à propos du droit à être
informé sur les raisons de la détention (CDH Wilson c/ Philippines, 11 nov 2003), du droit à
une protection juridictionnelle (CDH Trinité et Tobago, 19 août 2004), ou encore de la durée
de la détention (CDH A. c/ Australia, 30 avril 1997).
Beaucoup plus explicite est la Convention internationale sur la protection des droits de tous
les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990. Pour un alinéa qui pose le
droit à ne pas être privé de liberté comme la règle (« Les travailleurs migrants et les membres
de leur famille ne peuvent faire l'objet, individuellement ou collectivement, d'une arrestation
ou d'une détention arbitraire; ils ne peuvent être privés de leur liberté, si ce n'est pour des
motifs et conformément à la procédure prévus par la loi » (art. 16-4), elle consacre deux longs
articles aux dispositions à prendre lorsqu’il y a néanmoins privation de liberté (art. 16 et 17),
qui neutralisent de fait cette règle.
Le seul texte de portée internationale qui prévoit explicitement et encadre l’internement des
migrants est la Convention européenne des droits de l’homme, dont l’article 5-1 dispose que «
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf
dans les cas suivants et selon les voies légales (…) » Parmi les six cas énumérés on trouve :
« l’arrestation et la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer
irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou
d’extradition est en cours » (art. 5-1, f).
On se propose de mesurer l'encadrement de la détention tel qu'il est prévu par l'article 5, et de
présenter un état des grandes lignes de la jurisprudence qu'en a dégagée la Cour EDH.

7
L'article 5-1 de la CEDH

Définition de la privation de liberté


La Cour EDH a été amenée à plusieurs reprises à préciser ce qu’il fallait entendre par
« privation de liberté » au sens de la Convention, et notamment en quoi celle-ci doit être
distinguée de la simple restriction à la liberté de circuler. Elle l'a fait pour la première fois en
1980 dans un arrêt Guzzardi c/ Italie9 en définissant quatre critères pour la privation de liberté
: la nature, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure.
Dans Guzzardi, le requérant avait été placé sur décision judiciaire sous « surveillance
spéciale » et assigné à résidence dans une petite île proche de la Sardaigne d'une superficie
totale de 50 km2. L'espace disponible pour les personnes qui y étaient placées était de 2,5 km2.
Le requérant pouvait y circuler de jour, mais pas la nuit ; il ne pouvait quitter l'île « pour des
motifs valables » sans autorisation, devait se présenter aux autorités deux fois par jour et
signaler par avance aux autorités le nom et le numéro de son interlocuteur quand il désirait
donner ou recevoir une communication téléphonique. L'intéressé a été soumis pendant dix-
huit mois à ces conditions. Sur la base des quatre critères énumérés plus haut, la Cour a estimé
qu'il y avait bien privation de liberté au sens de l'article 5.
Au contraire dans l'affaire Raimondo c/ Italie10, le requérant, également soumis par les
autorités italiennes à une mesure de « surveillance spéciale », assigné à résidence à son
domicile, devait prévenir les autorités mais non demander l'autorisation s'il quittait son
domicile. Appliquant les critères utilisés pour Guzzardi, la Cour a considéré que les
circonstances caractérisaient non la privation de liberté mais des restrictions à la liberté de
circuler. Il ressort de cet arrêt qu'il ne suffit pas qu'une personne soit obligée de demeurer à
une place donnée pour caractériser la privation de liberté au sens de l'article 5 : ce qui écarte a
priori la situation que connaissent souvent les demandeurs d'asile, qui doivent attendre dans
un centre ad hoc l'issue de la procédure, celle-ci relevant plutôt de la restriction à la liberté de
circuler. Cette restriction doit toutefois être justifiée, et proportionnée au regard de l'article 4
du protocole 4 de la CEDH (v. infra).
Dans l’affaire Amuur11, la Cour s’est pour la première fois, en 1996, prononcée sur la
détention dans un contexte de contrôle migratoire, qu'elle a analysée au regard des quatre
critères retenus dans l’arrêt Guzzardi, en ajoutant qu'il fallait aussi prendre en compte le
« degré et l'intensité » de la mesure pour distinguer privation de liberté de restriction à liberté
de circuler. Dans cet arrêt, la Cour reconnaît que les États membres du Conseil de l'Europe
sont confrontés à des arrivées croissantes de demandeurs d'asile dans leurs aéroports, qu'ils
disposent bien du droit souverain à contrôler les entrées d'étrangers sur leur territoire, mais
que ce droit ne les dispense pas de respecter la CEDH.
S’appuyant sur une fiction juridique, le gouvernement français plaidait dans l’affaire Amuur
que la zone de transit où étaient détenus les requérants n'était « fermée que côté français » car
ils pouvaient à tout moment la quitter pour la Syrie d'où ils venaient, ou toute autre
destination. La Cour a jugé que cet argument était théorique, et, articulant les prescriptions de
l’article 5 avec celle de l’article 3 CEDH (v. infra) qu’il ne pouvait être retenu dès lors que les
intéressés alléguaient être en danger dans ce pays qu’ils disaient avoir fui et n’avaient aucune

9
Guzzardi c/Italie, 2 octobre 1980
10
Raimondo c/Italie, 22 février 1994
11
Amuur c/France, 25 juin 1996

8
chance d’être admis dans un autre pays.

Interdiction de la détention arbitraire


L'article 5-1 CEDH exige que toute arrestation ou détention soit légale à la fois sur le fond et
sur le plan procédural. Dans l'arrêt Amuur, la Cour précise le sens de la formule selon laquelle
la privation de liberté doit être effectuée « selon les voies légales » : il ne faut pas seulement
qu’elle ait une base légale en droit interne, mais aussi au regard des autres normes juridiques
applicables aux intéressés (en l’occurrence il s’agissait de demandeurs d’asile placés en zone
de transit aéroportuaire par les autorités françaises en application de la loi françaises, mais qui
n’avaient à aucun moment pu accéder à la procédure d’asile, droit reconnu par la Convention
de Genève de 1951 sur les réfugiés). Elle aura l’occasion d’ajouter qu’il est essentiel que les
conditions de la privation de liberté soient clairement définies et que la loi elle-même soit
prévisible dans son application de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la CEDH12.
En disposant que « nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants » :
 a. s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
 b. s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance
rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation
prescrite par la loi;
 c. s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des
raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de
croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement
de celle-ci;
 d. s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa
détention régulière. afin de le traduire devant l'autorité compétente;
 e. s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse,
d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond;
 f. s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer
irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en
cours,
l'article 5-1 CEDH implique que si la détention n'est pas justifiée par un de ces six motifs, elle
est illégale au regard de l'article 5.
Quelles situations liées aux contrôles migratoires peuvent relever des différentes hypothèses
de l'article 5-1 ?

- Établissement de l'identité (art. 5-1b)


L'art. 5-1 b) renvoie aux seules situations où la détention a été décidée par une instance
juridictionnelle, dans un contexte où cette mesure est possible quand la loi nationale impose
l'obligation de prouver son identité et permet la détention de quelqu'un en vue de lui permettre
de répondre à cette obligation. Il faut noter qu'il ne s'agit pas de couvrir des situations où la
personne est détenue à titre de sanction pour n'avoir pas pu répondre à l'obligation de justifier
de son identité (ce qui n'est possible que lorsqu'il y a eu condamnation de justice à ce motif).

- Franchissement illégal d'une frontière (art. 5-1c)


La détention est possible lorsque la loi nationale prévoit que le franchissement d'une frontière
sans les documents requis constitue un délit. Au regard de l'article 5-1 c), elle pourra être
décidée dans trois situations : quand la personne a franchi illégalement une frontière ; quand il
est raisonnable de craindre qu'elle le fera si elle est laissée en liberté ; quand elle a ou semble

12
Tabesh c/Grèce, 26 novembre 2009

9
avoir commis ce délit et pourrait prendre la fuite avant qu'une procédure puisse être engagée à
son encontre. Il faut en outre que ces conditions restent vérifiées dans la durée pour que la
détention reste légale.

- Prévention de l'entrée irrégulière ou préparation d'une mesure d'éloignement (art. 5-


1f)
L'article 5-1 f) est la seule disposition autorisant explicitement la détention pour des motifs
d'immigration, dans deux circonstances : pour prévenir l'entrée irrégulière sur le territoire d'un
Etat, et en attendant l'exécution d'une mesure d'éloignement du territoire. Il pose clairement
l'obligation que la détention soit légale, et non arbitraire. Dans l’affaire Abdolkhani and
Karimnia c/Turquie, la Cour conclut à la violation de l’article 5 §1 parce qu’il n’existait pas
de dispositions légales claires qui prévoyaient la procédure de placement et de maintien en
détention dans la perspective d’un éloignement forcé13. L’argument du gouvernement turc
selon lequel, dans une autre affaire, le requérant n’était pas « détenu » mais « accueilli » dans
un centre où il était nécessaire de le garder sous surveillance pendant l’examen de sa demande
d’asile alors qu’aucun texte ne le prévoit n’est, pour la même raison, pas recevable14.
Pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre d’une mesure de détention doit en outre
se faire de bonne foi, et doit être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne
de pénétrer irrégulièrement sur le territoire15. Dans l'affaire Bozano c/France16, la police
française avait remis à la police suisse un ressortissant italien condamné par contumace pour
meurtre, afin de contourner le refus par la justice française d'autoriser son extradition. La
Cour a jugé que la détention qui avait précédé cette expulsion était illégale, puisqu'il s'agissait
d'une mesure destinée à mettre en œuvre une extradition déguisée. De la même manière elle a
estimé dans l'arrêt Conka c/Belgique17 que manquait de base légale la détention d'un groupe
d'étrangers de la même nationalité tous convoqués à la police au motif d'examen de situation
lorsqu'en réalité il s'agissait de les arrêter pour organiser leur expulsion collective.
L'article 5-1 f) ne requiert pas que la détention soit nécessaire, comme par exemple pour
empêcher la commission d'un délit, ou éviter la fuite. Dans l'arrêt Chahal c/Royaume-Uni18, la
Cour précise qu'il suffit que la détention ait pour finalité l'exécution d'une expulsion. Mais
outre que celle-ci doit être légale pour valider la mesure de détention qui la précède (cf ci-
dessus), il faut justifier que la procédure d'expulsion est en cours, et non pas seulement
envisagée : ainsi dans l'affaire Chahal, la Cour n'a pas considéré qu'il y avait violation de
l'article 5 du fait de la détention prolongée dès lors que le gouvernement prouvait sa diligence
à exécuter la mesure. Au contraire, dans un arrêt Quinn c/France19, comme plus tard dans
Abdolkhani and Karimnia c/Turquie20 elle a jugé qu'il y avait violation parce que l'Etat n'avait
pas conduit les procédures avec diligence. Elle a depuis, à plusieurs reprises, précisé sa
conception de la diligence : dans l’affaire Tabesh c/Grèce21, elle considère que « les autorités
nationales ont fait preuve de passivité, à défaut d’initiative visant à la délivrance des
documents de voyage » nécessaires à l’expulsion du requérant sans que celui-ci ait « refusé de
coopérer avec les autorités compétentes ». On notera que c’est la même idée qui a été reprise
par la CJUE dans l’affaire Kadzoev (v. supra), qui lie la légalité de la mesure de détention à la

13
Abdolkhani and Karimnia c/Turquie, 22 septembre 2009
14
D.B c/Turquie, 13 juillet 2010.
15
Saadi c/Royaume-Uni, 29 janvier 2008
16
Bozano c/France, 18 décembre 1986
17
Conka c/ Belgique, 5 février 2002
18
Chahal c/ Royaume-Uni, 15 novembre 1996
19
Quinn c/France, 22 mars 1995
20
Op. cit.
21
Op. cit.

10
faisabilité de la mesure d’éloignement projetée.

Garanties procédurales
La CEDH prévoit des garanties procédurales pour les personnes détenues, une fois établi que
la privation de liberté est légale. Selon l'article 5-2, toute personne arrêtée « doit être
informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son
arrestation et de toute accusation portée contre elle », « doit être aussitôt traduite devant un
juge (...) et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la
procédure ». Enfin, elle « a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il
statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est
illégale ». Les droits ouverts par l'article 5-2 doivent être accessibles en pratique. Concernant
le droit au recours, il concerne le droit à contester la décision à l'origine de la détention non
seulement au regard de la loi nationale, mais aussi au niveau international et notamment au
regard des prescriptions de la CEDH. Le contrôle de la légalité de la détention doit être répété
à intervalles réguliers pour tenir compte de l'évolution de la situation22.
Cet encadrement de la détention pour éviter la détention arbitraire est à rapprocher de
plusieurs décisions, prises notamment contre l'Australie, du Comité des droits de l'Homme qui
invite à distinguer le concept d'« arbitraire » du concept de « contraire à la loi », en ce qu'il
inclut un élément de non approprié et d'injuste23.

II - B Le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants/ le droit


d’être traite avec humanité et dignité
Des textes de portée générale
Le droit, pour les personnes emprisonnées ou détenues, de ne pas être soumises à des
traitements cruels, inhumains ou dégradants est prévu par la plupart des instruments
internationaux et régionaux. C’est le cas du PIDCP ainsi que des chartes et des conventions
régionales relatives aux droits de l’homme. L’Observation générale n° 20 du Comité des
droits de l’homme des Nations unies précise que le champ couvert par les dispositions du
Pacte va bien au-delà de ce qu’on entend habituellement par torture, en y incluant notamment
la situation des personnes arrêtées et emprisonnées.
La Convention des Nations unies de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants protège quant à elle les droits des personnes emprisonnées ou
détenues (articles 2, 11 et 16). L’Ensemble de principes pour la protection de toutes les
personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, adopté par
l'Assemblée générale dans sa résolution 43/173 du 9 décembre 1988, résume ce qu’on trouve
à peu près dans tous ces textes : « Aucune personne soumise à une forme quelconque de
détention ou d'emprisonnement ne sera soumise à la torture ni à des peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Aucune circonstance quelle qu'elle soit ne peut être
invoquée pour justifier la torture ou toute autre peine ou traitement cruel, inhumain ou
dégradant ». Par leur portée générale, ces protections bénéficient aussi aux non nationaux
même s’il n’est fait aucune mention de la détention pour contrôle migratoire.
Le même silence concernant les causes liées à l’application des règles sur l’immigration
entoure le droit à être traité avec humanité et dignité en cas de privation de liberté, également
protégé par ces textes. Seule la Convention sur les droits des travailleurs migrants de 1990

22
Par exemple, Weeks c/Royaume-Uni, 2 mars 1987
23
Par exemple CDH A c/Autralie 560/1993 ; CDH Baban c/Australie 1014/2001

11
prévoit le droit au respect de la dignité des migrants privés de liberté (art. 17). Sur cette
question, toutefois, l’Observation générale n° 9 du Comité des droits de l’homme mentionne
le respect de ce principe en ce qui concerne « toutes les institutions où des personnes sont
légalement détenues contre leur volonté, qu'il s'agisse des prisons ou, par exemple, des
hôpitaux, et des camps de détention ou des établissements de correction ». De même, la
Recommandation générale n° 30 du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale,
concernant la discrimination contre les non-ressortissants (2004), vise à « Assurer la sécurité
des non-ressortissants, en particulier face à la détention arbitraire, et veiller à ce que les
conditions de vie dans les centres d’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile soient
conformes aux normes internationales ».

Incidences sur la détention des étrangers


La prohibition des traitements inhumains et dégradants est régulièrement retenue pour
condamner des États dans des affaires de détention d’étrangers qui se plaignaient d’avoir, à
cette occasion, été maltraités. Par exemple, le Comité des droits de l’homme a jugé qu’un
demandeur d’asile iranien, atteint d’une maladie psychiatrique contractée après une longue
période de détention dans un camp d’Australie, pouvait invoquer la violation par les autorités
australiennes de l’article 7 du Pacte24.
La Cour EDH estime que pour tomber sous le coup de l’article 3 de la CEDH, un mauvais
traitement doit atteindre un « minimum de garanties », l’appréciation de ce « minimum » étant
par essence relative. Elle dépend, dit la Cour, « de l’ensemble des données, notamment la
durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge
et de l’état de santé »25. Il peut s’agir de souffrances psychologiques, par exemple dans une
espèce où la Cour a jugé que les personnes avaient été soumises « à une détresse ou à une
épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention »,
traitement pouvant être qualifié de dégradant « en ce qu’il était de nature à inspirer à ses
victimes des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à les humilier et à les
avilir »26. Elle précise toutefois qu'il n'est pas nécessaire de prouver que le but du traitement
était d'humilier ou de rabaisser la victime, il suffit qu'il ait eu cet effet 27, même si elle ajoute
que « les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et
d’humiliation », ce qui « n’emporte pas violation de l’article 3 »28.
Car la Cour EDH n'entend aucunement remettre en cause le « droit indéniable des Etats à
contrôler (...) l'entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire »29, et prend en considération
les éléments de contexte. Ainsi, souvent saisie d'affaires concernant la façon dont les migrants
sont traités en Grèce, elle relève que « les autorités grecques sont confrontées à un problème
complexe et difficile à gérer en raison de l'entrée illégale massive d'étrangers en Grèce »30.
Elle se livre par conséquent, pour apprécier les affaires qui lui sont soumises, à un examen
attentif des conditions et des circonstances, s'appuyant souvent des rapports d’ONG ou
d’organisations internationales à cette fin.

Conditions matérielles de la détention

24
C. c/Australie, CDH 2002
25
Van de Ven c/Pays-Bas, 4 février 2003
26
Kudla c/ Pologne, 26 oct. 2000
27
Al-Agha c/Roumanie, 12 janvier 2010
28
A.A. c/Grèce, 22 juillet 2010
29
Amuur c/France, 25 juin 1996
30
A. A. c/ Grèce, 22 juillet 2010

12
C’est notamment en se référant à un rapport de l’organisation Human Rights Watch que la
Cour, dans une affaire opposant une demandeuse d’asile iranienne aux autorités turques, a
considéré que les conditions de détention n’étaient pas suffisamment graves « même si des
problèmes d’hygiène sont constatés » pour fonder une violation de l’article 331. Pour apprécier
des allégations d'un requérant détenu plusieurs années dans un centre en Roumanie, elle
s'appuiera sur un rapport du Comité de prévention contre la torture du Conseil de l'Europe
pour distinguer deux périodes dans le séjour de l'intéressé : la première avant la visite du CPT,
où elle considère que l'article 3 a été violé (chambre partagée avec plusieurs personnes dont
deux atteintes de tuberculose, conditions d'hygiène précaire, pauvre qualité de la nourriture) ;
la seconde après cette visite, où elle estime qu'il n'y a pas violation du fait que les conditions
étaient améliorées (activités récréatives, offre de soins)32. Au cours de la période récente,
plusieurs affaires ont mis en cause les conditions dans lesquelles sont détenus les migrants et
les demandeurs d’asile en Grèce, alors que des rapports d’ONG et de diverses organisations
internationales ainsi que d’une délégation du Parlement européen ont pointé des conditions
matérielles « déplorables et inhumaines », « portant atteinte au sens même de la dignité
humaine », et ont fait état de mauvais traitements (violences, défaut de soins) dans les centres
de détention grecs. Une première condamnation était intervenue en 2001 pour le maintien
d’un étranger dans une cellule surpeuplée, sale, où il était privé d'air frais et de lumière du
jour, et ne pouvait pas pratiquer d'exercice physique33. La Cour tient compte des effets
cumulatifs : dans cette affaire, il y avait eu confirmation des allégations de l'intéressé par un
rapport du Comité de prévention contre la torture, en outre il était resté 18 mois en détention.
Les autorités grecques n'ont guère amélioré les conditions de détention des migrants
puisqu'elles ont à nouveau été condamnées en 2009 puis en 2010 pour violation de l'article 3 :
dans la première espèce le requérant, demandeur d’asile, alléguait avoir été enfermé dans une
baraque préfabriquée, sans possibilité de sortir à l’extérieur ni de téléphoner, sans disposer de
couvertures, de draps propres et de produits d’hygiène en quantité suffisante34. Dans la
seconde espèce, le requérant était maintenu dans un centre dont l’état de délabrement était
attesté, et il se plaignait d’avoir subi des violences et souffert du manque de diligence des
autorités à lui apporter une assistance médicale appropriée à son état de santé35.

Durée de la détention
La question de la durée de la détention est au cœur de nombre des décisions de la Cour
EDH36. Il faut d’abord retenir que pour la Cour, une longue durée de détention n’est pas un
motif d’annulation en soi. Mais elle peut l’être si elle est combinée avec la violation d’autres
droits comme les mauvais traitements, la condition personnelle du requérant, le défaut d’accès
aux procédures d’asile ou encore l’absence de protection juridictionnelle : par exemple, la
Cour a considéré qu’il y a détention arbitraire lorsque la privation de liberté se prolonge de
façon imprévisible et en l’absence de contrôle d’un juge dans un délai raisonnable 37. Dans
l'affaire Al-Agha, elle établit une corrélation entre les conditions précaires de détention et la
durée de la période de privation de liberté : ce qui est acceptable pour un séjour de courte
durée (confinement, accès limité à une activité physique, accès aux douches épisodique)

31
Z.N.S. c/Turquie, 19 janvier 2010
32
Al-Agha c/Roumanie, 12 janvier 2010
33
Dougoz, 6 mars 2001
34
S.D. c/Grèce, 11 juin 2009
35
A.A. c/Grèce, 22 juillet 2010
36
Par exemple Singh c/République tchèque, 25 janvier 2005 ; Chahal c/Royaume-Uni, 15
novembre 1996
37
Shamsa c/Pologne, 27 nov 2003

13
constitue une violation de l'article 3 si le séjour se prolonge plusieurs années 38. Elle applique
le même raisonnement dans l'affaire Charahili, où le requérant alléguait avoir été détenu plus
de dix-neuf mois dans une pièce en sous-sol d'un poste de police, sale et comportant des
problèmes de ventilation, dans des conditions de suroccupation, considérant que des locaux
adaptés pour une garde à vue de quatre jours (en application de la loi turque) n'étaient pas
appropriés pour le long séjour qu'y a passé l'intéressé39. Mais des conditions de détention
jugées correctes lui feront conclure à une non violation de l'article 3, malgré le caractère non
limité de la détention dont la Cour reconnaît pourtant qu'il « peut sans aucun doute causer à la
requérante] un sentiment d'anxiété »40.
Toutefois, rappelant régulièrement que la CEDH est « un instrument vivant à interpréter à la
lumière des conditions de vie actuelles »41, la Cour ne fait pas non plus de la durée pendant
laquelle une personne est soumise à un traitement inhumain et dégradant un élément
déterminant pour le constat de la violation de l'article 3. Dans l'affaire S.D. c/Grèce (cf infra),
elle ne retiendra pas l'argument du gouvernement grec selon lequel les exigences de l'article 3
n'étaient pas méconnues « compte tenu de la courte période de détention » (deux mois).

II - C Le droit d'asile

Principe
La Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés prend acte du fait que les personnes qui
fuient leur pays du fait des persécutions ont des difficultés pour avoir les documents
nécessaires à l’entrée sur le territoire d’un autre pays. Elle a donc institué une immunité
pénale pour qu’ils ne puissent être poursuivis pour cette raison dès lors qu’ils se présentent
d’emblée et sans délai aux autorités de ce pays comme demandeurs d’asile (art. 31 al.1 CG).
Cette immunité pénale ne limite pas la souveraineté territoriale des Etats, puisqu’elle ne
donne pas aux demandeurs d’asile un droit d’entrer sur le territoire, mais seulement le droit
d’y demander protection. Et il est de plus en plus fréquent que ce droit, lorsqu’il est
revendiqué par un demandeur d’asile qui se présente aux frontières, soit exercé alors que
celui-ci est placé en détention. (il faut se rappeler que c’est une des deux principales
hypothèses de détention des étrangers). Déjà, dans sa Conclusion n°. 44, « Détention des
réfugiés et des personnes en quête d'asile » (13 oct.1986), le Comité exécutif du HCR notait «
avec une profonde préoccupation qu'un grand nombre de réfugiés et de demandeurs d'asile
dans différentes régions du monde font actuellement l'objet de détention ou de mesures
restrictives similaires du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers en vue d'obtenir
l'asile, dans l'attente d'une solution à leur situation » ; et il exprimait « l'opinion qu'au vu des
souffrances qu'elle entraîne, la détention doit normalement être évitée ». En 1999, dans les
Lignes directrices sur les critères applicables à la détention des demandeurs d'asile, en
référence à l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, il posait comme
principe que le droit de chercher asile est un droit de l'Homme et que les demandeurs d'asile
ne doivent pas être détenus.

Restrictions admises

38
Op. Cit.
39
Charahili c/Turquie, 13 avril 2010
40
Z.N.S. c/Turquie, 19 janvier 2010
41
Selmouni c/France, 28 juillet 1999

14
Une fois ces principes posés, on constate que l’essentiel de ces deux textes est toutefois
consacré à la détention des demandeurs d’asile.
Les Lignes directrices énoncent que seules des exceptions strictement encadrées au principe
de non détention peuvent être admises. Elles ajoutent qu’en tout état de cause, il ne suffit pas
que la détention appliquée aux demandeurs d'asile soit prévue par la législation nationale des
États pour être dénuée d’arbitraire.
La détention doit aussi être conforme à l'article 31 de la Convention de Genève de 1951
relative aux réfugiés, selon lequel les États d'accueil ne peuvent ni sanctionner les réfugiés
pour entrée ou séjour irrégulier, ni imposer à leurs déplacements d'autres restrictions que
celles qui sont « nécessaires ». Toute la discussion va porter sur cette notion de « restriction
nécessaire ».
Dans sa Conclusion 44, le Comité exécutif du HCR indique dans quelles circonstances la
détention, qui ne doit jamais revêtir un caractère automatique, peut être qualifiée de «
restriction nécessaire » :
- le temps de la détermination de l'identité du demandeur ;
- dans le cadre d'une interview préliminaire, pour identifier le fondement de la demande d'asile (mais en
aucun cas pour toute la durée de la procédure de détermination) ;
- dans le cas où le demandeur a volontairement cherché à soustraire ses documents de voyage ou son
identité, dans l'intention de ne pas coopérer avec les autorités ;
- pour protéger la sécurité nationale et l'ordre public (ce cas se réfère aux circonstances où le demandeur
d'asile a des antécédents criminels ou lorsque, d'évidence, son admission sur le territoire serait susceptible
de poser un problème pour la sécurité nationale ou l'ordre public).
Fréquemment saisie de cas de demandeurs d'asile placés en détention, la Cour EDH voit dans
cette qualité un critère de vulnérabilité aggravant pour juger que la détention constitue une
violation de l'article 3 de la CEDH. C'est par exemple le cas dans l'affaire S.D. c/Grèce déjà
évoquée, où elle conclut que « les conditions de détention du requérant, en tant que réfugié et
demandeur d'asile, combinées à la durée excessive de sa détention [le requérant avait été placé
en détention pendant deux mois], en de pareilles conditions, s'analysent en un traitement
dégradant »42.
Dans l'arrêt Saadi c/Royaume-Uni elle explicite la notion d'entrée irrégulière appliquée à un
demandeur d'asile, à propos de l'article 5.1 f) de la CEDH qui permet de placer en détention
« une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire ». En l'espèce,
un demandeur d'asile irakien avait été arrêté à son arrivée à l'aéroport au Royaume-Uni et
détenu pendant huit jours pour l'examen accéléré de la demande d'asile qu'il avait
immédiatement présentée aux autorités. Il plaidait que le fait qu'il se soit présenté de lui-
même aux services de l'immigration pour déposer sa demande d'asile avait en quelque sorte,
bien qu'il soit démuni des documents exigés pour pénétrer dans le pays, « validé » son entrée,
et par conséquent que la détention dont il avait été l'objet violait l'article 5.1 de la CEDH.
Mais la Cour estime que tant qu’un Etat n’a pas « autorisé » l’entrée sur son territoire, celle-ci
est « irrégulière », et la détention d’un individu souhaitant entrer dans le pays mais ayant pour
cela besoin d’une autorisation dont il ne dispose pas encore peut viser – sans que la formule
soit dénaturée – à « empêcher [l’intéressé] de pénétrer irrégulièrement ». Se référant à la
conclusion no 44 du Comité exécutif du Programme du HCR, elle ajoute qu'on ne saurait lire
la première partie de l’article 5 § 1 f) comme autorisant uniquement la détention d’une
personne dont il serait établi qu’elle tente de se soustraire aux restrictions à l’entrée43.

42
S.D. c/Grèce, 11 juin 2009
43
Saadi c/Royaume-Uni, 29 janvier 2008

15
Dissuasion ou urgence
On notera que qu'aucun des instruments internationaux relatifs à la détention ou aux
demandeurs d'asile ne considère qu'entrerait dans le champ des « restrictions nécessaires »
une politique de détention visant à dissuader de futurs demandeurs d'asile, ou à inciter des
demandeurs d'asile à retirer leur requête. L'invocation d'une urgence, par exemple en cas
d'arrivée simultanée d'un très grand nombre de demandeurs d'asile, ne peut non plus justifier
leur placement dans des « camps fermés » si ce placement n'est pas accompagné d'une
recherche immédiate de solutions.
La politique australienne de détention systématique des demandeurs d’asile à des fins
principalement dissuasives a entraîné un nombre très important de contentieux individuels
devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies qui ont amené l’Australie a
modifier sa législation, notamment sur la durée de la détention des demandeurs d’asile.
Aucune procédure de ce type ne semble avoir été engagée devant la Cour EDH contre des
États membres du Conseil de l'Europe. Pourtant, plusieurs d'entre eux pratiquent également la
détention systématique (Chypre, Malte), et on constate une certaine tendance à la tolérance,
au sein des instances de l'UE, à l'égard de mesures prises par des États membres invoquant
des situations d'arrivées « massives » de demandeurs d'asile.

II – C Les droits de l'enfant


On peut tenir à peu près le même raisonnement sur la protection des droits des mineurs
détenus pour des raisons liés aux lois sur l’immigration que sur celle des demandeurs d’asile :
d’une part, le principe voudrait qu’ils ne soient pas détenus. Mais d’autre part, il existe
beaucoup de restrictions admises à ce principe.
Retenons que la qualité de mineur ne protège pas en soi d’une mise en détention. La
Convention internationale sur les droits de l’enfant (CIDE) la prévoit même explicitement, en
même temps qu’il énonce les garanties dont ils doivent bénéficier. L’article 37 de la
CIDE dispose que :
b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire: l'arrestation, la détention ou
l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu'une mesure de dernier ressort
et être d'une durée aussi brève que possible ;
c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne
humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge: en particulier, tout
enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l'on n'estime préférable de ne pas le faire
dans intérêt supérieur de l'enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la
correspondance et par des visites, sauf circonstances exceptionnelles ;
d) Les enfants privés de liberté aient le droit d'avoir rapidement accès à l'assistance juridique ou à toute
assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un
tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu'une décision rapide soit
prise en la matière.
Le Comité des droits de l’homme ne voit pas dans la détention des mineurs une violation en
soi de l’article 9 du Pacte dès lors qu’elle est conforme à la législation du pays et respecte les
conditions posées par l’article 944.
Deux affaires belges ont amené la Cour EDH à définir une position quant à la détention de
mineurs étrangers. Dans une affaire Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga c/Belgique (dite

44
Jalloh c/ Pays-Bas, CDH 15 avril 2002

16
aussi Tabitha, du prénom de la petite Congolaise de cinq ans détenue pendant deux mois en
Belgique où elle était en transit pour rejoindre sa mère réfugiée au Canada), la Cour n’a donc
pas non plus condamné la détention des enfants en tant que telle, mais le fait de détenir un
enfant dans les mêmes conditions qu'un adulte, sans tenir compte des besoins de son âge et de
la situation de vulnérabilité extrême résultant, le cas échéant, de son statut de mineur étranger
non accompagné, dans un centre initialement conçu pour adultes et donc non adapté aux
enfants (détention de type carcéral, promiscuité avec les adultes, absence de personnel
d'accompagnement psychologique ou éducatif et de personnel qualifié, etc.), alors qu‘il
existait des alternatives à l‘enfermement. Compte tenu des circonstances, elle a estimé que la
Belgique, en faisant preuve de « manque d'humanité », avait violé les articles 3.5 § 1 et 8 de la
CEDH, ainsi que les articles 3 et 10 (famille) de la CIDE45.
Avec l’affaire Muskhadzhiyeva et autres c/Belgique, la Cour a suivi et prolongé son
raisonnement à propos de la détention de jeunes enfants étrangers. Il s’agit en l’espèce d’une
mère et de ses quatre enfants, tous de nationalité tchétchènes, placés dans un « centre fermé »
belge en attendant leur expulsion vers la Pologne où ils avaient transité. En s’appuyant sur
plusieurs rapports d’expertise sur le « centre 127 bis » où la famille était détenue, elle
considère que la détention d’une mineure dans ce lieu inadapté aux enfants (fil barbelé,
personnel en uniforme, régime de groupe, programme quotidien fixe, impossibilité de circuler
librement dans les bâtiments ou à l’extérieur, insuffisance d’espace et de lumière du jour,
impossibilité de disposer de moments d’intimité) constitue une violation de l’article 3 CEDH
« compte tenu de « la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant » qui était « déterminante
et prédominait sur la qualité d’étranger en séjour illégal ». Mais la Cour va plus loin que dans
Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga, puisqu’elle refuse de tenir compte du fait que,
contrairement à la petite Tabitha, les enfants Muskhadzhiyeva n’étaient pas séparés de leur
mère, et affirme que « cet élément ne suffit pas à exempter les autorités de leur obligation de
protéger les enfants et d’adopter les mesures adéquates au titre des obligations positives
découlant de l’article 3 de la Convention »46.
Ces deux exemples sont à l’image de la démarche de la Cour EDH dans toutes les affaires
concernant la détention de migrants qu’on vient de recenser : elle se montre très attentive au
détail des conditions de détention, recoupe les informations dont elle dispose et veille à
sanctionner strictement les abus qui peuvent être commis par les autorités. On peut certes se
féliciter de cet encadrement. Mais on peut aussi, comme le regrette Christel Cournil à propos
des décisions concernant la détention d’enfants, constater que la Cour « accepte, voire
légitime le principe de la détention et du refoulement des mineurs ». « Dès lors », ajoute-t-
elle, « en ne retenant pas d’interdiction générale de refoulement ou de détention des mineurs
isolés, la Cour européenne s’engouffre dans une appréciation « technicienne » des conditions
de refoulement ou de détention en évaluant le degré de détresse des enfants, leur âge, etc. Elle
devra, en effet, procéder au cas par cas à la conciliation toujours délicate des contrôles
migratoires et des droits de l’Homme en cas de détention et de refoulement »47.

Car si la Cour de Strasbourg a réussi à imposer un véritable « droit commun européen de la


détention »48, il est en effet inquiétant de penser que, dans un contexte où les lois comme les
pratiques encouragent l’utilisation de l’enfermement comme un outil banal du contrôle

45
Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c/ Belgique, 12 oct. 2006
46
Muskhadzhiyeva et autres c/Belgique, 19 janvier 2010
47
Christel Cournil « Les droits de l’Homme en zones d’attente : condamnation européenne et
résistances françaises », Cultures & Conflits n°71, automne 2008
48
Béatrice Belda, Les droits de l’homme des personnes privées de liberté, Coll. Droit de la Convention
européenne – Thèse – N° 1, Ed. Bruylant, 2010 .

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migratoire, ce « droit commun » contribue à légitimer la détention à cette seule fin.

Novembre 2010

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