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REMERCIEMETS

Que mes directeurs de thèse, Madame le Professeur Christine Lazerges et Monsieur le


Professeur Raf Verstraeten, trouvent dans ces quelques lignes l’expression de mes plus
sincères remerciements pour la confiance qu’ils m’ont témoigné en acceptant de me guider
dans cette recherche, pour la liberté accordée tout en gardant un œil critique et pour leurs
nombreuses observations, toujours si enrichissantes dont ce travail s’est nourri.

Mes chaleureux remerciements à Monsieur le Professeur Raf Verstraeten pour


m’avoir impliquée dans la Commission de réforme de la cour d’assises belge, instituée en
2005 par le ministre de la Justice de l’époque, Mme Laurette Onkelinx.1 Ce privilège a été un
tremplin parfait pour l’analyse approfondie de ce thème.

Je tiens à exprimer ma vive reconnaissance à Monsieur le Professeur John R. Spencer


pour m’avoir aimablement accueillie et guidée pendant mon séjour à Cambridge pendant
l’été de 2006. L’accès à la bibliothèque de l’Université de Cambridge et dès lors à une mine
de données anglophones moins accessibles ainsi que le privilège de rencontrer une lay
magistrate anglaise et d’assister aux audiences de la Crown Court ont incontestablement
contribué à une meilleure compréhension du système anglais.

Merci à ma famille et mes amis pour leur inconditionnel et irremplaçable soutien, si


précieux.

Merci à mes collègues et au personnel de l’Instituut voor Strafrecht.

Toute ma gratitude à Sophie Navron et Stéphane Ostyn pour leur relecture minutieuse
et constructive.

1
Cette Commission a été instituée sous la direction du Professeur Raf Verstraeten et du Professeur Benoît Frydman
(arrêté royal du 20 juillet 2005 instituant une Commission de réforme de la cour d’assises, MB 9 août 2005).
SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE

UE PARTICIPATIO MARGIALISEE PAR L’EVOLUTIO VERS PLUS


DE SPECIALISATIO

TITRE I — UE MARGIALISATIO EXTRISEQUE

Chapitre I — La spectaculaire conquête par le juge correctionnel et le magistrate anglais

Chapitre II — La création des « juridictions d’exception »

TITRE II – UE MARGIALISATIO ITRISEQUE

Chapitre I — L’insoutenable séparation du fait et du droit

Chapitre II — L’insoutenable absence de garanties fondamentales du procès équitable

DEUXIEME PARTIE

UE SPECIALISATIO ERICHIE PAR L’EVOLUTIO VERS PLUS DE


PARTICIPATIO

TITRE I — U ERICHISSEMET ICOTESTABLE ?

Chapitre I — La renaissance contemporaine du jury populaire

Chapitre II — Les nouvelles exigences d’une justice pénale moderne : proximité,


transparence et participation

TITRE II — U ERICHISSEMET MULTIDISCIPLIAIRE

Chapitre I — Vers une « participation spécialisée » ?

Chapitre II — Vers une « spécialisation participative » ?

i
ABREVIATIONS

ABREVIATIOS

Ad Rem : Tijdschrift van de Orde van de


Codes, lois et conventions
Vlaamse balies (be)
CAA : Criminal Appeal Act (ang) AJpénal : Actualité juridique pénal (fr)
CESDH : Convention européenne de All E.R. : All England Law Reports
sauvegarde des droits de l’homme et des Am. J.Comp.L. : American Journal of
libertés fondamentales Comparative Law
CIC : Code d’instruction criminelle (be) Am. J.Crim.L. : American Journal of
CJA : Criminal Justice Act (ang) Criminal Law
C. électoral : Code électoral (be) A : Assemblée nationale (fr)
CJIA : Criminal Justice Immigration Act Anglo-Am. L. Rev. : Anglo-American Law
(ang) Review
C. jud. : Code judiciaire (be) Ann.dr. Louvain : Annales de droit de
CJPOA : Criminal Justice and Public Order Louvain
Act (ang) APC : Archives de politique criminelle (fr)
CLA : Criminal Law Act (ang) Arr.Cass. : Arresten van het Hof van Cassatie
COJ : Code d’organisation judiciaire (fr) (be)
CPB : Code pénal belge Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la chambre
CPF : Code pénal français criminelle de la Cour de cassation (fr)
CPIA : Criminal Procedure and Investigation B.U. L.Rev. : Boston University Law Review
Act (ang) Cal. L.R. : California Law Review
CPP : Code de procédure pénale (fr) Cardozo L.Rev. : Cardozo Law Review (am)
CYPA : Children and Young Persons Act Chi.-Kent L. Rev. : Chicago Kent Law
(ang) Review
DDHC : Déclaration des droits de l’homme et CJM : Criminal Justice Matters (ang)
du citoyen C.L.J.: Cambridge Law Journal
JA : Juries Act (ang) C.L.P. : Current Legal Problems (ang)
JPA : Justice of the Peace Act (ang) Colum. J. Eur. L. : Columbia Journal of
GVG : Gerichtsverfassungsgesetz (all) European Law
LOJ : Loi sur l’organisation judiciaire (sui) Cornell Int’l L.J. : Cornell International Law
LOTJ : Ley organica del Tribunal del Jurado Journal (am)
(es) Cr. App. R. : Criminal Appeal Reports (ang)
MCA : Magistrates’ Court Act (ang) Cr. App. R. (S) : Criminal Appeal Reports
IEPA : Northern Irland Emergency (Sentencing) (ang)
Provisions Act (ang) Crim. L. Forum : Criminal Law Forum (can)
PCCA : Powers of Criminal Courts Crim. L.R. : Criminal Law Review (ang)
(Sentencing) Act (ang) D. : Recueil Dalloz (fr)
StPO : Strafprozessordnung (all) Dalhousie J.Legal Stud. : Dalhousie Journal
YJCEA : Youth Justice and Criminal of Legal Studies (can)
Evidence Act (ang) DD : Delikt en Delinkwent (nl)
Doc.parl. : Documents parlementaires (be)
Revues et encyclopédies D.P. : Dalloz Périodique (fr)
AA : Arresten Arbitragehof (be) Dr. pén. : Droit pénal (fr)
A.C. : Law Reports: Appeal Cases (ang) Duke L.J. : Duke Law Journal (am)

iii
ABREVIATIONS

East. Europ. Const. Review : East European C : Nullum Crimen (be)


Constitutional Review (am) . Ir. Legal Q. : Northen Irland Legal
Eur. Journ. Crime Cr.L.Cr.J. : European Quartely (ang)
Journal of Crime, Criminal Law and J : Nederlandse Jurisprudentie (nl)
Criminal Justice
JB : Nederlands Juristenblad (nl)
EWCA Crim : Court of Appeal, Criminal
JECL : New Jouran of European Criminal
Division (ang)
Law
EWHC : England and Wales High Court
JW : Nieuw Juridisch Weekblad (be)
Gaz. Pal. : Gazette du Palais (fr)
.L.J. : New Law Journal (ang)
Harv. L.Rev. : Harvard Law Review
otre Dame L. Rev. : Notre Dame Law
Hastings Int'l & Comp. L. Rev. : Hastings Review (am)
International & Comparative Law Review
QHR : Netherlands Quarterly of Human
HCJAC : High Court Judiciary Appeal Cases Rights
(ang)
.Y.L. Sch. J. Int'l & Comp. L. : New York
HJCJ : Howard Journal of Criminal Justice Law School Journal of International &
Int’l J. Evidence & Proof : International Comparative Law
Journal of Evidence and Proof .Y.U. L. Rev. : New York University Law
Isr. L.Rev. : Israel Law Review Review
JCP G : La semaine juridique (fr) O.J.L.S. : Oxford Journal of Legal Studies
J. Crim. L. & Criminology : Journal of Orde dag : De orde van de dag. Criminaliteit
Criminal law and Criminology (am) en samenleving (be)
J.Crim.L. : Journal of Criminal Law (ang) PA : Les Petites Affiches (fr)
JICJ : Journal of International Criminal Pas. : Pasicrisie belge
Justice Pasin. : Pasinomie (be)
JLMB : Revue de jurisprudence de Liège, Pand.b. : Pandectes belges
Mons et Bruxelles
P&B : Tijdschrift voor procesrecht en
J.L.S. : Journal of Law and Society (ang) bewijsrecht (be)
JORF : Journal officiel de la Republique Panopticon : Tijdschrift voor strafrecht,
française (fr) criminologie en forensisch welzijnswerk (be)
Journ.Jur. : Le journal du juriste (be) Q.B. : Queen's Bench Division (ang)
Journ.proc. : Journal du procès (be) RABG : Rechtspraak Antwerpen Brussel Gent
JP : Justice of the Peace Reports (ang) R.Cass. : Recente arresten Hof van Cassatie
J. Transnational Law & Policy : Journal of (be)
Transnational Law and Policy (am) RCID : Revue catholique des institutions et du
JT : Journal des tribunaux (be) droit (fr)
Juristenkrant : De juristenkrant (be) RCJB : Revue critique de jurisprudence belge
JV : Justitiële Verkenningen (be) RDPC : Revue de droit pénal et de
KB : King’s Bench (ang) criminologie (be)
L. & Phil. : Law and Philosophy RdW : Recht der werkelijkheid. Tijdschrift
voor de sociaal-wetenschappelijke besturing
Law & Pol’y Q. : Law and Policy Quarterly
van het recht (nl)
(am)
Rechtstreeks : Rechtstreeks, Raad voor de
L.C.P. : Law and Contemporary Problems
rechtspraak (nl)
(ang)
RFAP : Revue française d'administration
L.S. : Legal Studies (ang)
publique
L.S.G. : Law Society’s Gazette (ang)
RFDA : Revue française de droit administratif
L.S.R. : Law and Society Review (am)
RICPTS : Revue internationale de
MB : Moniteur belge (be) criminologie et de police technique et
M.L.R. : Modern Law Review (ang) scientifique

iv
ABREVIATIONS

RIDP : Revue internationale de droit pénal Cons. const. : Conseil constitutionnel (fr)
R.J.T. : Revue juridique Thémis (ca) CIVI : Commission d’indemnisation des
RPDP : Revue pénitentiaire et de droit pénal victimes d’infraction (fr)
(fr) CJR : Cour de justice de la République (fr)
RSC : Revue de science criminelle et de droit CPS : Crown Prosecution Service (ang)
comparé (fr) CRC : Comittee on the Rights of Children
RTDH : Revue trimestrielle des droits de Crim. : chambre criminelle de la Cour de
l’homme (be) cassation (fr)
RW : Rechtskundig Weekblad (be) CSJ : Conseil supérieur de la Justice (be)
S. : Recueil Sirey (fr) CSM : Conseil supérieur de la magistrature
Stan. L.Rev. : Stanford Law Review (am) (fr)
St. L. Transatlantic L.J. : Saint Louis- TAP : Tribunal d’application des peines (be)
Warsaw Transatlantic Law Journal (am) TGI : Tribunal de grande instance (fr)
T.Strafr. : Tijdschrift voor strafrecht (be) TPE : tribunal pour enfants
Tul. J.Int’l. & Comp.L. : Tulane Journal of
International & Comparative Law (am)
Abréviations générales
TvR : Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis (nl)
Al. : alinéa
U. Chi. L. Rev. : University of Chicago Law
Art. : article
Review (am)
C. : contre
UKPC : United Kingdom Privy Council (ang)
Chap. : chapitre
Vl.Jurist : Vlaams jurist vandaag (be)
Ch. réunies : chambres réunies
W.L.R. : Weekly Law Reports (ang)
Chron. : chronique
Yale L.J. : Yale Law Journal (am)
Comm. : commentaire
Cmnd : command
Rapports
Consid. : considération
Rapport intermédiaire : Rapport
Dir. : direction
intermédiaire de la Commission de
réforme de la cour d’assises belge Ed. : éditeurs/édition
Et s. : et suivant
Ex p : ex parte
Editeurs
Ibid. : ibidem (au même endroit)
HMSO : Her Majesty’s Stationery Office
(ang) Inéd. : inédit
PUF : Presses universitaires France Inf. rap. : information rapide
WODC : Wetenschappelijk Onderzoek en L.c. : loco citato
Documentatie Centrum (nl) O.c. : opus citatus
Obs. : observations
Institutions et juridictions Préc. : précité
BGH : Bundesgerichthof (all) PV : procès-verbal
Cass. : Cour de cassation R : Regina
C.C. : Cour constitutionnelle (be) Resp. : respectivement
CCPR : Human Rights Committee S. : section
CCRC : Criminal Cases Review Commission Sch. : schedule
(ang) Somm. : sommaire
CEDH : Cour européenne des droits de Trad. pers. : traduction personnelle
l’homme V. : voir
Comm. EDH : Commission européenne des Vol. : volume
droits de l’homme

v
INTRODUCTION

ITRODUCTIO

« Si la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires,
la justice n’est-elle pas une chose trop sérieuse pour être laissée aux juristes ? »
[J.-P. GOFFINON, « Que les citoyens jugent ... », Journ.proc. 2003, n° 466, p. 4]

1. « Pour faire une bonne justice, on n’a encore rien inventé de mieux qu’un bon
juge », disait Gauthier.2 Si la justice pénale contemporaine connaît une avalanche de
réformes, de nouveautés procédurales et une multiplication des normes juridiques et subit des
transformations à une allure étourdissante, il ne faut pas ignorer que dans toute société la
qualité des décisions dépend inévitablement de la qualité des êtres humains.3 Mais qui est ce
juge et a fortiori ce bon juge ? Un excellent juriste, un technicien du droit, un professionnel
spécialisé ? On pourrait penser que les garanties qu’offre un juge s’amplifient
exponentiellement avec la gravité des affaires et qu’on réserve aux juges les plus compétents
les affaires les plus sérieuses, les plus complexes et les plus lourdes. De ce point de vue, la
participation de ‘simples’ citoyens, tirés au sort, à la justice criminelle semble de prime abord
une étrangeté ; « une familière étrangeté » : familière puisque coutumière et largement
positivement appréciée, et étrange parce qu’atypique.4 La figure habituelle du juge étant le
magistrat de carrière, professionnel du droit, le citoyen-juge entre en collision avec la
magistrature professionnelle. En effet, opposé à la ‘classe des jurisconsultes’, les deux
semblent être des ‘ennemis’ naturels.5

2. « La justice est l’affaire de tous ». A la lumière de cette constatation consensuelle


la participation des citoyens à l’œuvre de la justice semble à première vue légitime. La forme
la plus directe, la plus connue et choyée de participation, est le judicium parium (jugement
par des pairs) ou le jury populaire, composant essentiel de la cour d’assises continentale et de
la Crown Court anglaise. La cour d’assises ne nécessite pas d’introduction. Cette institution

2
Professeur Gauthier, cité par J. GRAVEN, « Evolution, déclin et transformation du jury » in X, Le jury face au droit
pénal moderne. Travaux de la troisième Journée d’études juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), Bruxelles,
Bruylant, 1967, p. 122.
3
V. CURRAN lors du débat « Professionnels et laïcs » au Centre Pompidou, le 11 juin 2007.
4
B. FRYDMAN, « Juge professionnel et citoyen : l’échevinage à la croisée de deux cultures judiciaires » in X, La
participation du citoyen à l’administration de la justice. Actes du colloque organisé le 25 novembre 2005 à la Maison
parlementaire de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 13.
5
N.H.M. DE ROOS, « Empirisch onderzoek naar het functioneren van het lekenelement in de rechtspraak : een kritisch
overzicht », JV 1978, p. 42.

1
INTRODUCTION

ancienne qui tourmente depuis longtemps les juristes et politiciens en divisant en deux camps
farouches adversaires et ardents partisans, a déjà fait couler beaucoup d’encre. Dans une
atmosphère souvent très émotionnelle, voire irrationnelle, elle ne cesse d’alimenter la
controverse tout en maintenant l’aura mythique qui la dote d’une existence évidente.6 Sur la
cour d’assises, on pourrait penser que tout a déjà été dit et écrit, les arguments favorables ou
adverses ayant été tous merveilleusement passés en revue, tout comme les mérites et
faiblesses de la cour d’assises ; avec, en guise d’épilogue commune et certaine, le maintien
du jury populaire. Pourtant, dans les débats souvent houleux sur le jury criminel, la
dépossession progressive de la cour d’assises et, par ricochet, l’implication des citoyens à la
fonction de juger en matière criminelle, sont souvent soigneusement édulcorées, voire
sagement occultées. La cour d’assises n’échappe pas à un courant gestionnaire privilégiant un
traitement efficace et performant d’un nombre élevé d’affaires. Un autre courant essentiel de
la justice pénale contemporaine et à première vue contradictoire au courant gestionnaire
ranime actuellement le débat : le courant du procès équitable qui, sous l’influence de la
Convention européenne des droits de l’homme (ci-après CESDH) et de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH), cherche à garantir un traitement
approfondi des affaires entièrement respectueux des droits de l’homme. Que les législateurs
luttent particulièrement pour ces nouveaux courants s’illustre dans la récente réforme de la
cour d’assises en Belgique avec la loi du 21 décembre 20097 ; dans les propositions de
réforme françaises du Comité de réflexion sur la justice pénale de septembre 2009 et, dans
son sillage, l’avant-projet du futur Code de procédure pénale de mars 2010 ainsi que dans la
piste de réflexion lancée en juin 2010 par le ministre de la Justice, Mme Michèle Alliot-
Marie, concernant le remplacement de la cour d’assises en premier ressort par un nouveau
tribunal criminel.8 En Angleterre, des réflexions similaires ont alimenté le rapport de réforme
des cours criminelles de Lord Robin Auld de 20019 et le Criminal Justice Act de 2003.
L’actualité patente de cette question ne fait dès lors aucun doute.

6
P.E. TROUSSE, « Rapport », in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de la troisième Journée d’études
juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 52. « Soyez sûrs », prédisait R. Legros, « que d’ici quelques années
vous vous trouverez (vraisemblablement sans moi) sur le même thème : mêmes discours, mêmes scénarios ou à peu
près » (R. LEGROS, « Un autre partisan de la cour d’assises » in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil,
Quel avenir pour le jury populaire en Belgique ?, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 195).
7
Loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises, MB 11 janv. 2010. En février 2010, une loi de
réparation est intervenue quant à la question de détention préventive (loi du 11 février 2010 modifiant la loi du 20
juillet 1990 relative à la détention préventive, MB 17 févr. 2010).
8
www.presse.justice.gouv.fr/videos-du-porte-parole-11812/jures-populaires-reforme-des-cours-dassises-19648.html.
9
Lord Auld fut désigné en 1999 par le Lord Chancellor pour examiner le fonctionnement des cours criminelles en
Angleterre et au Pays de Galles. Il déposa son rapport le 5 sept. 2001 (R. AULD, Review of the Criminal Courts of
England and Wales, Londres, HMSO, 2002, www.criminal-courts-review.org.uk/ccr-05.htm).

2
INTRODUCTION

3. Pratiquement dès la naissance du jury populaire sur le sol continental, les


législateurs et praticiens furent contraints de recourir à des moyens ‘d’esquive’ tant implicites
qu’explicites, tant judicieux qu’illégaux. Tel est également le cas en Angleterre, pays berceau
du jury populaire. Par différents biais, les législateurs cherchent en effet, tout en proclamant
bien leur attachement à l’institution du jury, des moyens pour confier les affaires les plus
graves à des magistrats de carrière. Ce mouvement, empreint d’une certaine hypocrisie, est
davantage favorisé par la récente réforme belge et les modifications imminentes françaises.
La cour d’assises semble en effet faillir : elle n’est pas apte à affronter le flux toujours
grandissant d’affaires criminelles et ses problèmes d’organisation mettent les différents pays
où elle existe en porte-à-faux avec l’exigence de juger dans un délai raisonnable, chère à la
CEDH. Les récentes condamnations de la France dans les affaires Faudo, Maloum et
Paradysz des 8 et 29 octobre 2009 l’illustrent de manière patente ; les récentes mises en
liberté de certains accusés belges pour cause de saturation de la cour d’assises font figure
d’exemples déplorables. Le recours à des échappatoires est en augmentation, ce qui risque de
porter atteinte aux principes de légalité et d’égalité des justiciables devant la loi et met en
question la légitimité de la cour d’assises.

Cette réalité frappante permet de dire que le juge correctionnel/magistrate anglais fait
une conquête spectaculaire et que l’institution du jury n’est dès lors pas une institution
évidente ni représentative de la qualité de notre justice pénale. Louable pour son principe de
participation démocratique des citoyens à la justice, et compréhensible en tant que réaction
révolutionnaire contre l’Ancien Régime, il s’agit toutefois de savoir si la place du jury est en
phase avec une justice contemporaine confrontée à un accroissement et à une
complexification des contentieux et du droit, à une internationalisation exponentielle de la
délinquance, à une mutation des technologies et à une administration emberlificotée des
preuves sous l’influence européenne et internationale. Réussit-elle à justifier sa raison d'être
dans une société caractérisée par une capacité limitée de l'appareil pénal ou faut-il repenser la
justice criminelle ?

4. Si l’écart entre l’image mythique et la réalité effective de la cour d’assises semble


inspiré d’un glissement progressif d’une conception substantielle vers une conception
‘managériale’ de la justice10, la dévalorisation de la participation citoyenne à la fonction de
juger en matière criminelle résulte aussi d’un autre enjeu qui dote cette question ancienne
d’une singulière actualité : celui de l’ascension des droits de l’homme. Hormis les
contingences gestionnaires de plus en plus prégnantes qui remettent le jury populaire en

10
B. FRYDMAN, « L’évolution des critères et des modes de contrôle de la qualité des décisions de justice » in X, La
qualité des décisions de la justice. Etudes réunies par P. Mbongo, Ed. du Conseil de l’Europe, 2007, p. 19.

3
INTRODUCTION

cause de manière implicite et extrinsèque, le débat sur la cour d’assises est actuellement
relancé par un nouvel élan réformateur, celui du procès équitable, particulièrement exprimé
par l’article 6 CESDH. Si a priori tout le monde y applaudit, il ne faut pas se contenter d’y
songer et d’évoquer des perspectives ; il faut initier de réels changements. Pourtant, avec le
jury populaire dans un contexte criminel, cela ne semble pas aisé.

En témoigne la récente condamnation de la Belgique par la (petite chambre de la)


CEDH dans l’affaire Taxquet du 13 janvier 2009 pour défaut de motivation en matière
criminelle. Une des caractéristiques traditionnelles du système du jury est sa prise de décision
sans phrases, ni explications ; il se prononce sur la base de son intime conviction. Comme
une sorte d’oracle, le jury ne rend son verdict sur la culpabilité que par ‘oui’ ou ‘non’, par
‘guilty’ ou ‘not guilty’. En 2009, après des années de tolérance, cela ne semble plus
acceptable aux yeux de la Cour de Strasbourg. Une personne n’a pas seulement le besoin,
mais également le droit de connaître les raisons de sa condamnation ou de son acquittement.
Au-delà des frontières belges, cette condamnation de la procédure énigmatique de la cour
d’assises, semble être une invitation ferme ou en tout cas un défi visant à amener d’autres
pays à concilier leur procédure criminelle avec les exigences de l’article 6 CESDH. Il ne
s’agit pas seulement des pays disposant d’un jury populaire au sens strict du mot — douze
citoyens du peuple qui décident seuls de la culpabilité —, tel qu’en Angleterre, mais aussi
des pays ayant déjà évolué vers une association du composant professionnel et laïque dans
une formule mixte de coopération, tel que la France. En effet, une analyse de droit comparé
démontre que l’absence de motivation n’est pas spécifique au jury stricto sensu. Ainsi, la
procédure d’assises française manque également, contrairement à ce que l’arrêt Taxquet
laisse penser11, d’une motivation des décisions criminelles, nonobstant l’introduction d’un
délibéré mixte en 1941 et la création d’un appel en matière criminelle en 2000.12

Si la dernière grande réforme de la procédure criminelle française a négligé en 2000


d’associer à l’instauration de son appel ‘tournant’ une obligation de motiver, la récente
modification de la procédure criminelle belge par la loi du 21 décembre 2009 lutte avec le
problème inverse : par un découplage de la délibération sur la culpabilité, une motivation du
verdict du jury devient possible ; en revanche, le législateur estime qu’un appel hiérarchique
de pleine juridiction est impossible sans entraver fondamentalement le principe du jury. La
cour d’assises belge décide encore, là où il s’agit des infractions les plus graves, en premier et
dernier ressort. Si cette différence d’approche entre ces deux pays pourtant proches en terme
de parenté historique est déjà intéressante à analyser, elle revient finalement à accorder plus

11
Infra, note 2065.
12
Infra, n° 269 et n° 376.

4
INTRODUCTION

de garanties à un prévenu devant le juge correctionnel qu’à un accusé qui comparaît devant la
cour d’assises. Existe-t-il dès lors un fossé profond entre les droits de l’homme qui sont en
pleine évolution et la procédure archaïque de la cour d’assises ?13

Le maintien du jury au sens strict du mot impose-t-il des sacrifices sur le plan du
procès équitable ? Inversement, l’ascension des droits de l’homme implique-t-elle
nécessairement des sacrifices sur le plan de la participation citoyenne ? La montée en
puissance de l’un doit-elle nécessairement s’accompagner du recul de l’autre ? Sans doute
« le surgissement des normes du procès équitable (l’appel, la motivation) invite à repenser
une institution dépouillée du prestige de la souveraineté, redevenue plus vulnérable […] ».14
Mais faut-il craindre que le jury ne puisse s’adapter aux exigences nouvelles de la politique
criminelle qu’en se détruisant ?15

5. A l’heure actuelle, le tournant est décisif. La marginalisation de la participation


citoyenne en matière criminelle, non seulement sous la contrainte des enjeux gestionnaires,
mais également sous la pression de la CEDH, aboutit-elle à la suppression pure et simple de
la participation et à la victoire de la spécialisation ? Au lieu d’une participation à part entière,
la tendance est-elle à une spécialisation intégrale ? Les rapports s’inversent-ils sous le poids
des droits de l’homme, sous l’effet de l’équité ?16 Mais une professionnalisation intégrale de
la procédure criminelle serait-elle souhaitable, eu égard à une autre tendance et volonté
accrue, — outre celle d’une plus grande spécialisation —, à savoir celle d’une plus grande
proximité qui vise à rapprocher la justice des justiciables, tout en étayant la confiance que les
citoyens lui accordent ? A la lumière de cette tendance, nombre de nouvelles formes
multidisciplinaires de participation émergent, ce qui propulse de nouveaux acteurs dans le
monde judiciaire et le jeu juridique. Ces exemples montrent-ils que la participation citoyenne
est pertinente et qu’une justice spécialisée n’est pas incompatible avec la participation, mais
tire au contraire profit d’une collaboration multidisciplinaire ? Serait-il à cet égard
contradictoire d’envisager une suppression totale de la participation citoyenne en matière
criminelle ?

6. Toutes ces questions convergent finalement vers le nœud central de notre étude :
quelle symbiose peut-on envisager en matière criminelle entre la participation et la
spécialisation ? La cour d’assises est-elle susceptible de rajeunissement, de flexibilité et

13
P. BONDUE, « Rapport introductif » in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de la troisième Journée
d’études juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 19.
14
D. SALAS, « Juger en démocratie » in AFHJ, La cour d’assises. Bilan d’un héritage démocratique, Paris, La
Documentation française, 2001, p. 8.
15
A. TOULEMON in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de la troisième Journée d’études juridiques Jean
Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 48.
16
D. SALAS, l.c., p. 12.

5
INTRODUCTION

d’avenir ? Ou convient-il plutôt de repenser la notion de la participation citoyenne et,


corrélativement, les rapports entre les citoyens et jurisconsultes ?

II

7. Bien qu’elle s’attèle pour l’essentiel à la forme la plus accomplie de la participation


citoyenne à la fonction de juger, celle du jury populaire, cette étude vise plus largement à
analyser également d’autres formes de participation citoyenne à l’œuvre de juger. Compte
tenu de la richesse de la matière, quelques limites de recherche s’imposent. Nous
n’envisageons en premier lieu que la participation à la fonction de juger en matière pénale,
en accordant une attention particulière à la matière criminelle. Si des échelons inférieurs
seront analysés, c’est pour nourrir la réflexion afin d’améliorer, de réformer et de repenser la
matière criminelle. Il s’agit ensuite de la participation à l’œuvre de juger. Certes, les citoyens
prennent aussi part au procès pénal en tant que partie — accusé ou partie civile — ou en tant
qu’auxiliaire de la justice — témoin ou expert —, mais nous n’envisagerons en principe que
la participation des citoyens en tant que juge ; juge sans robe. Finalement, il s’agit de la
participation des citoyens à la fonction de juger et de cette manière il importe de sonder la
fonction de juger et, par ricochet, la légitimité des juges professionnels. En effet, l’expression
« jugement par des pairs » concernant exclusivement la justice rendue par de ‘simples’
citoyens ou des citoyens ‘ordinaires’, cela implique que le magistrat de robe n’est pas
considéré comme un semblable, comme un concitoyen, mais comme un autre, comme un
dépositaire de l’autorité supérieure.17 Par l’usage des mots ‘simples citoyens’ pour les
distinguer des magistrats professionnels, nous pourrions donner l’impression que ces
derniers, présentant certaines qualités, sont supérieurs au ‘commun des mortels’, qu’ils
appartiennent à une certaine élite, l’élite du corps judiciaire, créant ainsi une dichotomie
péjorative entre justice d’en bas et justice d’en haut.18 Toutefois, notre analyse démontrera
que le citoyen-juge n’est parfois choisi qu’en raison de ses capacités essentiellement
juridiques. La notion de participation revêt dès lors différentes acceptions qui soulignent le
concept hétéroclite de juge : juré populaire, échevin, assesseur non professionnel ‘ordinaire’
ou ‘spécialisé’, juge de proximité, …

8. Pour mieux cerner les enjeux divers et complexes de ce sujet, les questions clés
avancées ci-dessus sont analysées dans trois pays. Fidèle aux conseils du micro-droit
comparé19 en vertu duquel il convient, pour permettre une comparaison au fond, de

17
B. FRYDMAN, « Juge professionnel et citoyen : l’échevinage à la croisée de deux cultures judiciaires », l.c., p. 20.
18
Ibid.
19
K. ZWEIGERT et H. KOTZ, Introduction to Comparative Law, Oxford, Clarendon Press, 1998, 3ème éd., p. 16 et s.

6
INTRODUCTION

restreindre la portée de l’étude à un nombre de pays assez limité, nous avons opté pour une
comparaison entre le droit criminel belge, français et anglais, ce qui nous conduit non
seulement à comparer la procédure criminelle de pays dotés de systèmes juridiques proches,
mais également de confronter nos résultats au système d’un pays de common law20. Souvent
le point de départ d’une étude comparative est le sentiment d’insatisfaction induit par une
solution apportée par son propre système de droit. C’est souvent cette insatisfaction qui
constitue un catalyseur pour la recherche d’autres systèmes. « De la différence naît la
comparaison, la comparaison provoque l’inquiétude, l’inquiétude suscite l’étonnement,
l’étonnement entraîne l’émerveillement et l’émerveillement le désir d’échange ».21 Par la
rencontre avec l’autre, on renforce la critique de son propre système. Cela permet de dégager
des solutions différentes et de porter un regard critique sur son propre système souvent tenu
comme « évident, normal, naturel, alors qu’il n’est, lui aussi, mais vu d’un autre point de
vue, rien moins qu’étonnant, conventionnel, artificiel, peut-être ».22 En effet, si le droit
comparé « brise la culture d’introspection »23 et « évite le desséchement du droit »24, il
introduit de nouvelles pistes de réflexion, « libérant les raisonnements juridiques du ‘monde
des évidences’ ».25 En réduisant « l’idée d’exclusivité », il constitue un « antidote à une foi
non critique dans le discours doctrinal ».26 Néanmoins, au-delà de l’amélioration du système
belge préalablement visée par notre étude, nous chercherons des amendements pour les
systèmes français et anglais. Et, de manière plus ambitieuse, nous examinerons l’opportunité
d’élaborer une sorte de ius commune partagé, dans la lignée de la défense des droits de
l’homme. La comparaison permet en effet de mettre en relief des liens communs.

Pour justifier le choix de ces pays, il convient en premier lieu de souligner leur
interconnexion historique. Si le jury belge puise ses racines en France — le jury fut imposé à
la Belgique avec l’ensemble de la législation française par décret du 9 Vendémiaire an IV qui
rattache les provinces belges à la France27 —, l’origine du jury français se trouve outre-
Manche, en Angleterre, dans un autre contexte, avec une autre histoire et une autre raison

20
La common law est une tradition juridique, un ensemble de principes créés par des juges qui sert comme fondement
des différents systèmes juridiques nationaux et qui les distingue des pays de la tradition européenne (J. BELL, « Le
droit comparé au Royaume-Uni », RIDC 1999, p. 1019).
21
Thomas Mann, cité par P. LEGRAND, « Sur l’analyse différentielle des juriscultures », RIDC 1999, p. 1067.
22
E. PICARD, « L’état du droit comparé en France, en 1999 », RIDC 1999, p. 898.
23
J. BELL, l.c., p. 1032.
24
J. VANDERLINDEN, « Autour et alentour d’une génération de comparatistes belges. Ouverture en forme de
justification », RIDC 1999, p. 782.
25
A. MANSOURI, « Approche méthodologique et fonctionnelle du droit comparé », RDIC 2006, p. 189.
26
H. Hotz, cité par A. MANSOURI, l.c., p. 185-186.
27
F. TULKENS, « La question du jury. Enjeux d’une controverse. Approche historique et critique » in ULB Ecole de
sciences criminologiques Léon Cornil, Quel avenir pour le jury populaire en Belgique ?, o.c., p. 89. En particulier,
« le Code d’instruction criminelle fut décrété le 17 novembre 1808, promulgué le 27 novembre 1808 et dans l’attente
de la mise en vigueur du Code pénal de 1810 et d’une loi d’organisation judiciaire, appliqué dès le 1er janvier 1811 »
(A. MASSET, « La procédure au stade de jugement », JT 2008, p. 659).

7
INTRODUCTION

d’être28. C’est le jury anglais que la Révolution française a transplanté sur le sol continental.
Remarquablement la racine du jury anglais est à attribuer aux Normands.29 En dépit de cette
interconnexion des origines et racines, la comparaison entre ces trois pays révèle une grande
diversité, les similitudes d’origine ayant évolué de manière disparate. La grande
ressemblance de l’origine conduit au fur et à mesure à un grand écart. Cependant, il est
frappant de constater que les trois pays étudiés sont confrontés aux mêmes problèmes,
donnent des solutions différentes mais obtiennent souvent les mêmes résultats.30 Une
constante qui émerge comme point de départ de notre étude est en effet la marginalisation de
la participation citoyenne en matière criminelle.

Au-delà des trois pays clés, nous évoquerons ponctuellement d’autres pays, au gré des
besoins et selon l’enrichissement qu’ils sont susceptibles d’apporter. Une attention
particulière sera accordée aux systèmes espagnol et russe qui ont récemment réinstauré le
jury populaire, au système néerlandais doté, en revanche, d’une justice criminelle purement
professionnelle et à l’Allemagne pour son modèle mixte de coopération. Nous irons
également aux Etats-Unis, au Japon, en Italie, en Autriche et dans le canton suisse de
Genève. Ces pays peuvent notamment procurer des perspectives prometteuses dans notre
quête d’une procédure criminelle innovée à partir de la CEDH, l’objectif final de cette étude.
Ainsi que nous l’avons déjà avancé, nous ne regarderons pour ce faire pas seulement vers
d’autres pays ; nous analyserons également d’autres échelons de la justice pénale susceptibles
d’illustrer les avantages d’une participation citoyenne et, le cas échéant, de nous détourner
d’une professionnalisation pure et simple de la justice criminelle.

III

9. La méthode utilisée consiste en une étude analytique du droit criminel positif avec
son passé révolutionnaire et ses espoirs de demain. Au lieu de revenir tout simplement en
arrière et d’étudier de manière descriptive la question de la participation citoyenne à la
fonction de juger en matière criminelle, nous envisageons de reprendre cette question en
sondant l’avenir, face aux défis imposés par l’utilité gestionnaire et la CEDH, par une analyse
critique-évaluative. Bien évidemment, s’il ne s’agit pas de refaire toute la genèse du jury
populaire tel que le firent magistralement, en leur temps, William Blackstone, Faustin Hélie,
Carl J.A. Mittermaier et Gabriel Tarde,31 traiter cette question implique également de toucher

28
F. TULKENS, « La question du jury. Enjeux d’une controverse. Approche historique et critique », l.c., p. 89.
29
P. DEVLIN, Trial by jury, Londres, University Paperbacks, 1966, p. 5-6.
30
K. ZWEIGERT et H. KOTZ, o.c., p. 34.
31
W. BLACKSTONE, Commentaries on the laws of England (1765-1769), Chicago, Chicago University Press, 1979,
tome IV, 520p. ; F. HELIE, Traité de l’instruction criminelle, Bruxelles, Bruylant, 1863-1869, 3 vol. ; C.J.A.

8
INTRODUCTION

à l’histoire, à la sociologie, à la conception de l’Etat de droit, ... Ces aspects ne seront


analysés que dans la mesure où ils portent une lumière particulière sur l’interaction entre la
notion de ‘participation’ et l’évolution vers une ‘spécialisation’ accrue de la justice
criminelle.

10. Par une comparaison systématique et intégrée, nous essayerons de dégager les
divergences et ressemblances caractéristiques des trois pays étudiés. D’emblée il faut
reconnaître la faillibilité de cette entreprise. « Les embûches de la comparaison sont
légions ».32 Etant en quelque sorte contaminé par son propre système, l’autre reste toujours
difficilement saisissable, surtout s’il relève d’une autre famille de droit. « A l’évidence,
chacun chez soi, c’est beaucoup plus confortable ».33 En premier lieu, il y a des pièges
linguistiques et de terminologie juridique. Si des termes similaires existent, « l’équivalence
n’est souvent qu’apparente ou très approximative quand elle n’est pas trompeuse »34. En
effet, un concept juridique peut revêtir une acception et un ordre juridique différent.
Imprégnés de particularisme national, des termes identiques peuvent induire en erreur en
désignant des concepts et des institutions radicalement différents. Ainsi un ‘magistrate’
anglais, juge non professionnel n’ayant pas été sélectionné parmi ‘l’élite’ du corps judiciaire,
ne ressemble en rien à un ‘magistrat’ français ou belge, professionnel du droit recruté sur
concours et hiérarchiquement soumis au Garde des sceaux/ministre de la Justice ; le mot
‘crime’ en français ne recouvre pas le même contenu que le ‘crime’ anglais ; et au sein d’une
même famille juridique, la ‘correctionnalisation judiciaire’ s’opère, malgré une équivalence
terminologique, de manière radicalement différente en France et en Belgique. Quant au ‘jury
populaire’, la parenté repose aussi plutôt sur l’apparence des mots que sur la réalité du
système politique et juridique.35 Le contraste procédural qui en découle est non négligeable.
Il ne suffit donc pas de traduire, il faut également interpréter.

Or, le besoin d’interpréter n’est pas exempt de risques. Il implique un travail


nécessairement subjectif et dès lors incertain. Les connaissances déjà acquises, les
présupposés inconscients, les souvenirs et attentes, la terminologie reçue,36 peuvent fausser la
compréhension du droit comparé. « Car l’on est ainsi spontanément conduit, plus ou moins, à
ramener l’inconnu ou le méconnu au connu, et le différent ou l’analogue à l’identique ».

MITTERMAIER, « Le jury et l’échevinage », Bulletin de la Société générale des prisons en France 1900, p. 277-284 et
G. TARDE, La philosophie pénale, Paris, Ed. Cujas, 1972, réimpression, 578p.
32
Fr.R. VAN DER MENSBRUGGHE, « L’utilisation de la méthode comparative dans la thèse de doctorat en droit »,
Ann.dr. Louvain 2006, p. 48.
33
Fr.R. VAN DER MENSBRUGGHE, l.c., p. 44.
34
E. PICARD, l.c., p. 895.
35
J. GRAVEN, l.c., p. 81-82.
36
P. LEGRAND, l.c., p. 1070.

9
INTRODUCTION

Mais « si l’on s’en tient à ramener l’inconnu au connu, cette méthode peut induire en erreur,
inciter au contresens, favoriser l’approximation ou la réduction abusive ».37 Pourtant, si
« traduire c’est trahir », la rencontre est un mécanisme qui peut entraîner le regard et nourrir
le dialogue.38

11. Ce dialogue, que nous tâcherons de mener au mieux, devient possible sur la base
d’un examen comparatif portant à la fois sur la loi, les travaux parlementaires, la doctrine et
la jurisprudence. Au-delà de l’opacité engendrée par la multitude des sources disponibles sur
un sujet qui inspire nombre de plumes érudites, il convient de souligner que les sources
classiques ne revêtent pas la même valeur dans les pays dotés d’une tradition continentale et
ceux de common law. En effet, en droit anglais, caractérisé par une casuistique fort complexe,
les règles de procédure pénale sont « éparpillées dans des textes législatifs, pour certains très
anciens, et dans une jurisprudence foisonnante alors qu’en France, elles sont l’objet de
quelques principes constitutionnels et d’un Code de procédure pénale ».39 L’arrêt de common
law ayant une autorité que n’a pas l’arrêt français, la source de droit qui reste la plus
importante en droit anglais est la jurisprudence, ce qui explique en partie la quantité de pages
du registre de jurisprudence. Au niveau supranational, les décisions de la CEDH constituent
un outil essentiel. Il serait en particulier intéressant d’examiner l’interprétation que les pays
étudiés donnent aux garanties imposées par la Convention et la Cour européenne des droits
de l’homme et quelle application ils en font. Il est, de certains points de vue, intéressant de
constater que différents pays se rejoignent dans la lutte contre une Cour européenne des
droits de l’homme trop interventionniste.

Au-delà des sources classiques, nous nous sommes parfois également intéressée aux
sondages, chiffres et statistiques. Enfin, il convient de souligner quelques expériences
particulières ayant incontestablement enrichi notre parcours scientifique, dont, notamment, le
privilège d’assister à la Commission de réforme de la cour d’assises belge, créée en 2004 et
instituée par arrêté royal en 200540, dont les rapports servirent de base à la récente réforme de
la cour d’assises en Belgique.

Pour guider le lecteur dans les différentes sources employées et distinguer le droit
français du droit belge, désignés comme système ‘continental’ pour faire la distinction avec
37
E. PICARD, l.c., p. 893.
38
V. CURRAN lors du débat « Professionnels et laïcs » au Centre Pompidou, le 11 juin 2007. Remarquons d’ores et
déjà que pour certains pays, parmi lesquels l’Espagne et la Fédération de Russie, un dialogue direct n’était, pour des
raisons linguistiques, pas possible. Pour ces pays, l’analyse s’est nécessairement faite à partir de sources secondaires,
écrites en anglais et français.
39
R. COLSON et S. FIELD, La fabrique des procédures pénales. Comparaison franco-anglaise des réformes de la
justice répressive, GIP Mission de recherche Droit et Justice, nov. 2009, synthèse p. 4.
40
Arrêté royal du 20 juillet 2005 instituant une Commission de réforme de la cour d’assises, MB 9 août 2005. Cette
Commission a été instituée sous la direction des professeurs B. Frydman et R. Verstraeten.

10
INTRODUCTION

le système anglais, nous précisons que l’abréviation ‘CPP’ renvoie au Code de procédure
pénale français ; pour la Belgique, il s’agit encore du ‘CIC’, le Code d’instruction criminelle
qui a fêté son bicentenaire en 2008. ‘CPF’ renvoie au Code pénal français ; ‘CPB’ au Code
pénal belge. Concernant la publication des arrêts de la Cour de cassation, nous opérerons
également une distinction entre la France et la Belgique. Ainsi, l’abréviation ‘Crim.’ renvoie
à la Chambre criminelle de la Cour de cassation française ; les arrêts sont généralement
publiés dans le Bulletin criminel (Bull. crim.). En Belgique, nous utilisons l’abréviation
‘Cass.’ ; les arrêts sont publiés dans la Pasicrisie (Pas.).

12. En ce qui concerne la structure de cette étude, il convient de souligner que certains
chapitres sont plus développés que d’autres. Il en est par exemple ainsi pour le chapitre relatif
à la compétence de la cour d’assises, pour celui qui porte sur les juridictions d’exception,
ainsi que pour le chapitre consacré à la motivation et l’appel en matière criminelle. Le
déséquilibre susceptible d’en découler nous semble toutefois justifié dans la mesure où ces
chapitres traitent de questions procédurales particulièrement techniques ou de règles ayant
récemment subi, après des siècles de stabilité, des modifications substantielles, voire des
bouleversements sous l’impulsion de la jurisprudence de la CEDH. De surcroît, nous
révélons d’ores et déjà que ces chapitres recèlent les germes potentiels de l’ébranlement
d’une institution profondément enracinée dans les trois pays étudiés. Si l’on cherche des
alternatives à une évidence, il ne semble pas seulement judicieux d’accorder à ces questions
une attention particulière ; c’est une nécessité.

IV

13. Comme point de départ de notre étude, nous partirons du constat que la juridiction
criminelle est dépouillée de ses compétences. En Belgique, en France et en Angleterre, la
cour d’assises ou la Crown Court constitue un symbole prestigieux et intouchable. En réalité,
elle se trouve toutefois menacée. Sur le plan quantitatif, elle n’occupe qu’une place résiduelle
par rapport à celle qui fut la sienne à l’origine. Qualitativement la souveraineté du peuple
semble difficilement compatible avec les droits de l’homme. Les marginalisations qui en
découlent, et qui se manifestent par divers biais, constituent, en dépit de la diversité des
modalités propres à cette participation citoyenne en matière criminelle, un point commun
entre les trois pays étudiés. C’est sur ce point que portera la première partie de notre analyse :
« Une participation marginalisée par l’évolution vers plus de spécialisation ».

Dans la seconde partie nous nous livrerons à l’étude des nouvelles formes alternatives
et multidisciplinaires de participation qui émergent et s’épanouissent à d’autres échelons de

11
INTRODUCTION

la justice pénale : « Une spécialisation enrichie par l’évolution vers plus de


participation ». A la lumière de cette analyse, nous tâcherons de dégager les mérites d’une
participation citoyenne et de découvrir si ces nouvelles exigences de la justice pénale
contemporaine peuvent dégager des perspectives permettant d’identifier « les clés d’une
mixité réussie entre professionnels et laïcs » ; une recherche relevant d’un équilibre entre
pouvoir et contrepouvoir.41 Comment disposer d’une participation citoyenne en matière
criminelle à une époque qui exige une spécialisation accrue ?

Première partie — Une participation marginalisée par l’évolution de plus de


spécialisation

Deuxième partie — Une spécialisation enrichie par l’évolution de plus de participation

41
V. CURRAN lors du débat « Professionnels et laïcs » au Centre Pompidou, le 11 juin 2007.

12
PREMIERE PARTIE

UE PARTICIPATIO MARGIALISEE PAR


L’EVOLUTIO VERS PLUS DE SPECIALISATIO
14. « Trial by jury is more than an instrument of justice and more than a wheel of the
Constitution : it is the lamp that shows that freedom lives ».42 Cette phrase célèbre prononcée
par Lord Devlin témoigne sans pareil de l’aura mythique qui nimbe le jury populaire perçu
comme bastion de la liberté. Prononcés il y a un demi-siècle sur le prototype du jury
populaire qu’est le jury anglais, ces mots semblent trouver un écho dans la loi belge du 21
décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises43 qui balaye toute proposition
cherchant à porter ouvertement atteinte à la souveraineté du peuple et, dans les propositions
de réforme de la procédure pénale française lancées par le Comité de réflexion sur la justice
pénale44 — reprises sur certains points par l’avant-projet du futur Code de procédure pénale
en mars 201045 —, qui ne remet pas en cause le système du jury mais envisage de
l’améliorer.

Pourtant, au-delà de toute nostalgie révolutionnaire et de l’idéologie qui entoure


l’institution de la cour d’assises et en particulier sa composante essentielle, le jury populaire,
la réalité démontre qu’au lieu de briller fort et claire, la flamme vacille ou s’éteint dans les
trois pays étudiés. Pour évaluer la réelle portée de la cour d’assises et de la Crown Court
anglaise, il convient de l’analyser d’un point de vue quantitatif (en ce qui concerne ses
compétences) et d’un point de vue qualitatif (en ce qui concerne sa procédure). Sur ces deux
plans, il est question de marginalisation. Celle-ci se manifeste de manière extrinsèque par
l’érosion graduelle mais subtile de ses attributions en faveur des magistrats de carrière et des
lay magistrates (Titre I — Une marginalisation extrinsèque) et de manière intrinsèque par
l’encadrement voire la remise en cause de la souveraineté du jury populaire (Titre II — Une
marginalisation intrinsèque). Si ces marginalisations interrogent de lege lata les ‘pourquoi’
et ‘comment’ et de lege ferenda le ‘jusqu’où’, elles témoignent des deux défis clés et
apparemment contradictoires de la justice criminelle contemporaine : le défi concernant le
traitement efficace d’un nombre exponentiel d’affaires et celui qui vise à un traitement
équitable au sens des engagements internationaux. En effet, au lieu d’être un bastion de la
liberté, la cour d’assises continentale et la Crown Court anglaise semblent également être les
sanctuaires de la lourdeur procédurale et de l’irrationalité.

TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

42
« Le procès par un jury est plus qu’un simple instrument de la justice et plus qu’une roue de la Constitution : c’est
la lampe qui montre que la liberté subsiste toujours » (P. DEVLIN, o.c., p. 164 ; trad. pers.).
43
Loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises, MB 11 janv. 2010.
44
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, sous la direction de Ph. LEGER, remis le 1er sept. 2009,
www.elysee.fr/documents/index.php?mode=view&lang=fr&cat_id=8&press_id=2866.
45
Avant-projet du futur Code de procédure pénale du 1er mars 2010, consultable sur le site :
www.justice.gouv.fr/art_pix/avant_projet_cpp_20100304.pdf.
15
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Titre I
UE MARGIALISATIO EXTRISEQUE

« Le Dieu subsiste mais on fait vide autour de son autel déserté et on lui demande de moins en moins d’oracles ».
[A. TOULEMON, La question du jury, Paris, Sirey, 1930, p. 64]

15. « Qui rend la justice criminelle en France ? » se demandait, à juste titre, Jean
Cruppi dans un ouvrage rédigé en 1898.46 La réponse apparaît, de prime abord, évidente : la
cour d’assises. Dans chacun des trois pays sur lesquels portera principalement notre étude,
l’institution du jury, incarnée par la cour d'assises en droit français (art. 214 CPP) et en droit
belge (art. 150 Constitution)47 et par la Crown Court en droit anglais48, est a priori
compétente pour juger les infractions les plus graves : les ‘crimes’, selon la terminologie
continental ; les infractions on indictment outre-Manche. Si l’on se réfère aux textes, qu’ils
soient constitutionnels ou législatifs, le jury pourrait apparaître comme le juge naturel de
toute affaire criminelle. Or, cette compétence ‘théorique’ est-elle le juste reflet de la pratique
judiciaire effective ? Quid des place, ampleur et valeur de la cour d’assises dans nos paysages
pénaux actuels ? Il importe en effet de démontrer, dans ce premier titre, que les ‘évidences’
ne sont pas … si évidentes.

16. En réalité cette ébauche de réponse est inexacte. Que ce soit en droit français ou
en droit belge, les vrais fournisseurs de la justice criminelle semblent plutôt être les tribunaux
correctionnels, le droit anglais privilégiant, pour sa part, les magistrates’ courts qui siègent
sans jury. Par différents biais et pour des raisons hétéroclites manifestement économiques et
gestionnaires, la tendance est à l’évitement du jugement populaire. La majorité des affaires
criminelles n’étant pas soumise à un collège de citoyens-juges, les cours d’assises semblent
pâtir d’une régression conjoncturelle : « nos tribunaux correctionnels [...] sont de véritables

46
J. CRUPPI, La cour d’assises, Paris, Calmann-Lévy, 1898, p. 2-3.
47
La cour d'assises est en droit continental également saisissable pour les infractions connexes ; en Belgique, elle
connaît en outre les délits de presse, excepté ceux qui sont empreints d’une connotation raciste ou de xénophobie
(infra, n° 110), ainsi que les délits politiques (art. 150 Constitution). Ces derniers ne seront pas analysés dans le cadre
de cette étude.
48
Cette juridiction fut établie en 1972 par le Courts Act de 1971. Elle est également compétente comme juge d’appel
contre les décisions des magistrates’ courts siégeant alors sans jury avec deux ou quatre juges professionnels (infra,
n° 366 et 452). Avant 1972, les affaires les plus sérieuses relevaient de la compétence des High Court judges qui se
déplaçaient dans tout le pays en garantissant, périodiquement (quatre fois par an), des assizes et des quarter sessions
(J.H. LANGBEIN, « The English Criminal Trial Jury on the Eve of the French Revolution » in A. PADOA SCHIOPPA,
The Trial Jury in England, France, Germany 1700-1900, Berlin, Duncker & Humblot, p. 16-18). Ce système
périodique fit les frais d’une criminalité croissante, d’où la création de la Crown Court qui constitue, contrairement au
système ancien, une juridiction permanente.

17
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

cours d'assises. On y juge les grands criminels et cela est tellement vrai que souvent des
cours d'assises chôment ».49 Ce déplacement du centre de gravité vers le tribunal
correctionnel et la magistrates’ court transparaît explicitement dans les chiffres clés de la
justice. En France et en Angleterre, le pourcentage d’affaires traitées par les jurés excède à
peine 1% alors que les statistiques plafonnent, en Belgique, à 0,01% de la somme globale
d’affaires traitées.50 Quant à la montée en puissance du juge correctionnel, il semble qu’elle
soit intimement liée à la création même de la cour d’assises. Dès l’origine, la compétence du
jury criminel comme d’ailleurs celle du jury civil51 et du jury d’accusation52 est sciemment
limitée. Au cours du 20ème siècle, le crescendo du juge correctionnel et de la magistrates’
court prend tacitement de l’envergure (Chapitre I — La spectaculaire conquête du juge
correctionnel/magistrate) tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

Cette prévalence du juge correctionnel sur le jury populaire, ‘victoire’ apparente de la


professionnalisation sur la participation démocratique, n’est bien évidemment pas exempte de
conséquences, dont le risque de « brouiller les frontières »53 entre crimes et délits, infractions
on indictment et celles triable either way. Plusieurs interrogations préoccupantes émergent.
Au sein d’une justice pénale lésée par une pénurie des moyens, le jugement populaire
apparaît comme un ‘luxe’ susceptible d’entamer, dans la sphère répressive, la célérité et
l’administration d’une justice bien huilée. Or, ce ‘luxe’ dispose-t-il d’une qualité supérieure
pour justifier son maintien dans les appareils judiciaires du 21ème siècle ? La cour d'assises,
même restreinte, réussit-elle à prouver ses mérites et à justifier sa raison d’être ? Par ailleurs,
le juge correctionnel et le magistrate anglais sont-ils aptes à assumer cet accroissement de
leurs compétences ? Et, si tel est le cas, leurs procédures sont-elles suffisamment fiables pour
prendre en charge des affaires sans cesse plus lourdes et complexes ?

49
De Baets, cité par F. DELECOURT, De la correctionnalisation des crimes, Discours prononcé à l’audience de rentrée
du 15 octobre 1873, Cour d’appel de Bruxelles, Imprimerie Jamin & Coosemans, 1873, p. 9.
50
Infra, n° 59.
51
N’existant pas en droit continental, le jury civil est, en droit anglais, limité aux affaires de fraude, diffamation,
poursuite malveillante et faux emprisonnement (s. 69 Supreme Court Act de 1981 et s. 66 County Courts Act de
1984). Y compris dans ces matières, le jury est en butte au déclin. La procédure coûteuse et l’inconsistance des
dommages intérêts en constituent les raisons principales (Ward v James [1966] 1 All E.R. 563 et Williams v Beesly
[1973] 3 All E.R. 144) ; v. également P. DEVLIN, o.c., p. 130 et s. et S. LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS, « The
Continuing Decline of the English Jury » in N. VIDMAR, World Jury Systems, Oxford, Oxford University Press, 2000,
p. 59-61.
52
La France, séduite par le système anglais, importa initialement aussi l’institution du jury d’accusation (grand jury).
Il s’agissait d’une vingtaine de citoyens, ayant pour mission de statuer, en appréciant les charges, sur le renvoi devant
la juridiction de jugement qui ne pouvait condamner qu’en s’étayant sur des preuves. En raison de la prononciation
fréquente de non-lieux, ce collège de citoyens fut, à l’issue d’une réflexion approfondie, supprimé en 1808 et
remplacé par la chambre d'accusation, section de la cour d'appel et composée de trois magistrats professionnels (J.
PRADEL, « Le jury en France. Une histoire jamais terminée », RIDP 2001, p. 175). En droit anglais le jury
d’accusation fut abandonné en 1933 (Administration of Justice Act de 1933 ; J.H. LANGBEIN, « The English Criminal
Trial Jury on the Eve of the French Revolution », l.c. p. 22-24).
53
J.-H. ROBERT, Droit pénal général, Paris, PUF, 2005, p. 91.

18
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

17. Ou convient-il de créer des procédures particulières qui permettent un jugement


criminel sans l’implication d’un jury populaire ? En effet, dans un second chapitre, nous nous
attacherons à démontrer que le renvoi massif des affaires vers le juge
correctionnel/magistrate anglais au détriment du jury populaire n’est pas la seule menace qui
plane sur la portée de la cour d'assises. Sa compétence est également mise en péril par la
nécessité et la volonté de créer des régimes spécifiques et des juridictions spécialisées, voire
d’exception (Chapitre II — La création des juridictions d’exception).

CHAPITRE I — LA SPECTACULAIRE CONQUETE PAR LE JUGE CORRECTIONNEL


ET LE MAGISTRATE ANGLAIS

CHAPITRE II — LA CREATION DES « JURIDICTIONS D’EXCEPTION »

19
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Chapitre I

LA SPECTACULAIRE COQUÊTE PAR LE JUGE CORRECTIOEL ET


LE MAGISTRATE AGLAIS

« La France n’a pas en réalité de juridiction criminelle, mais il lui en reste le décor,
où se jouent, pour le plus grand profit de l’éloquence judiciaire, quelques représentations de gala ».
[J. CRUPPI, La cour d'assises, Paris, Calmann-Lévy, 1898, p. 13]

18. Comme la variété des systèmes de justice populaire qui seront analysés au cours
de cette étude, les techniques ‘d’escamotage’54 relèvent d’une vaste palette créative :
correctionnalisation législative, correctionnalisation judiciaire, correctionnalisation dite a
posteriori, correctionnalisation a priori, guilty plea, jury waiver, … Elles présentent pourtant
toutes un point commun, à savoir l’essor progressif du juge correctionnel et le déclin, voire
l’éclipse corollaire, de l’institution du jury. Il importe alors de s’interroger sur la nature, les
finalités sous-jacentes et les conséquences de ces techniques. Mais avant d’aborder l’analyse
de ces procédés ‘échappatoires’, mettons préalablement en lumière la substructure inhérente
aux compétences des cours d’assises dans les systèmes en vigueur.

19. En Belgique comme en France, la compétence juridictionnelle est entièrement


déterminée par la nature des infractions, elle-même déterminée par la gravité des peines. La
compétence de la cour d'assises relève en particulier de la répartition classique des
infractions55 en trois catégories : si les contraventions sont jugées par le tribunal de police56,
les délits sont traités par le tribunal correctionnel et les crimes relèvent en principe de la cour
d’assises57. En droit anglais, en revanche, seuls coexistent deux types de juridictions pénales
au lieu de trois : la Crown Court, composée d’un juge professionnel et de douze jurés,
constitue, lorsque l’auteur plaide non coupable58, le juge naturel des infractions majeures

54
A. TOULEMON, La question du jury, Paris, Sirey, 1930, p. 86-87.
55
Il existe aussi des répartitions déterminées par le critère de l’intérêt protégé, telles que les infractions de droit
commun et les infractions politiques et de presse, les infractions de terrorisme, les infractions militaires, douanières,
fiscales et d’affaires.
56
Ou en France, lorsqu’il s’agit d’une contravention de la première à la quatrième classe, par la juridiction de
proximité (infra, n° 453).
57
Il s’agit en principe des crimes commis par des majeurs. Les mineurs ne relèvent a priori que du tribunal de la
jeunesse belge ou des juges des enfants français. Toutefois, pour les crimes commis par des mineurs âgés de seize à
dix-huit ans au moment des faits, il existe en France une cour d’assises des mineurs et en Belgique une procédure
particulière de dessaisissement (infra, n° 490).
58
Nous verrons ultérieurement qu’un guilty plea conduit à l’évitement du jury populaire. Afin de conférer une
protection significative aux mineurs délinquants (moins de 17 ans), une infraction indictable only commise par un
mineur n’est en principe pas portée devant la Crown Court, mais devant la youth ou la magistrates’ court.

21
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

(indictables offenses) ; la magistrates’ court, qui siège sans jury, juge les transgressions
mineures (summary offenses). Il y existe toutefois un troisième type d’infractions : les
offences triables either way. Celles-ci ne bénéficient pas (encore)59 de juridiction
correspondante. C’est une procédure d’attribution spécifique (procédure du mode of trial60)
qui détermine devant laquelle des deux cours criminelles l’affaire doit être renvoyée.

20. La catégorisation des infractions en crimes, délits et contraventions, est


relativement récente.61 L’Ancien Régime opérait une dichotomie entre ‘grand’ et ‘petit’
criminel avec, d’une part, des ‘infractions publiques’ requérant une peine exemplaire et,
d’autre part, des ‘infractions privées’ pour lesquelles primait la correction de l’auteur.62 Or,
sous l’influence de Cesare Beccaria63 et après l’instauration du jury sur le continent
français64, la division tripartite émerge à la fin de l’Ancien Régime. Ebauché dans le Code
brumaire an IV qui introduisait une distinction entre ‘peines afflictives et infamantes’,
‘peines correctionnelles’ et ‘peines de simple police’ ; le tripartisme est consacré par le Code
napoléonien de 1810 qui le dote de sa terminologie actuelle.65

L’individualisation de la peine y était toutefois inexistante. L’infraction plutôt que


l’auteur constituait le centre de gravité, ce qui nous situe résolument comme héritiers d’un
« Code du crime » plutôt que d’un « Code du criminel ».66 La classification en trois
catégories d’infractions traduisait, sur le plan juridique, une distinction sociologique
inhérente à la pensée criminologique de l’époque67 selon laquelle il existe trois catégories
distinctes de délinquants qui méritent graduellement une peine plus sévère : si les criminels
dits incorrigibles nécessitent des peines afflictives et infamantes, les auteurs de délits
bénéficient d’une présomption de rédemption tempérant la sanction. Légèrement
sanctionnées compte tenu de l’absence de personnalité criminelle, les contraventions
occupent l’échelle inférieure de la hiérarchie pénale. La division tripartite des infractions
s’attache à valider, de la sorte, le principe de proportionnalité des peines par rapport à la
gravité de l’infraction. La qualification d’une infraction en tant que crime, délit ou

Exceptionnellement, un renvoi est possible, v. infra, n° 498. Il en résulte que le right to a jury trial (infra, n° 98 et s.)
est théoriquement réservé aux majeurs.
59
Infra, n° 466 pour la proposition de Lord Auld concernant une juridiction intermédiaire (middle tier of justice),
appelée District Division.
60
Infra, n° 100.
61
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Paris, Economica, 2007, 14ème éd., p. 65, n° 109.
62
L. HUYBRECHTS et M. TRAEST, « Het strafrechtelijk sanctiestelsel en de straftoemeting door de rechter in België »,
T.Strafr. 2004, p. 3 et s.
63
C. BECCARIA, Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 1991, p. 77 et s.
64
J.-F. CHASSAING, « Les trois codes français et l’évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain »,
RSC 1993, p. 449.
65
L. HUYBRECHTS et M. TRAEST, l.c., p. 3 et s.
66
J. MOULY, « La classification tripartite dans la législation contemporaine », RSC 1982, p. 4.
67
J.J. HAUS, Principes généraux du droit pénal belge, Gand, Librairie générale de Ad. Hoste, 1879, 3ème éd., I, p. 243.

22
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

contravention est déterminée par la peine correspondante et, par conséquent, par un critère
d’ordre quantitatif. Déduite de la place qu’elle occupe dans l’échelle des peines, le fondement
réel est néanmoins bien la gravité de l’infraction.68 Techniquement, la répartition des faits
délictueux est donc « tirée du genre de la peine dont ils sont frappés » alors que sur le plan
de son fondement, « elle repose également et primitivement sur la criminalité des actes
punissables ».69

En droit anglais, la division en trois catégories instaurée par le Criminal Law Act de
1977 (ci-après CLA) est encore nettement plus récente70. Cette loi distinguait les infractions
majeures (indictable offences : trahison, génocide, assassinat, meurtre, torture, viol, vol avec
violences, ...), les infractions mineures (summary offences : ivresse publique, proxénétisme, ...)
ainsi qu’une catégorie intermédiaire d’infractions de gravité variable (offences triable either
way : vol, usage et trafic de stupéfiants, certaines violences contre les personnes, ...). Le
fondement de cette classification, consolidée ensuite par le Magistrates’ Court Act de 1980
(ci-après MCA), porte sur la gravité de l’infraction aux yeux de la société71 et, par conséquent,
sur un critère d’ordre davantage qualitatif.

21. Sur le plan juridique-technique, les intérêts de la pyramide hiérarchique des


infractions, consacrée par le Code pénal belge dans sa version ancienne72 et par le nouveau
Code pénal français de 1992 dans une formule apparemment nouvelle73, sont multiples. Outre
la compétence juridictionnelle, nombre de dispositions découlent directement de la division
tripartite qui offrent, au juge ainsi qu’aux justiciables, des indices immédiats sur les règles
applicables, tant en droit pénal de fond — pensons à la tentative, la complicité, le concours
des infractions, la récidive, le sursis, la prescription de la peine — qu’en ce qui concerne la
procédure pénale. En témoignent la prescription de l’action publique, la poursuite des
infractions commises à l’étranger, les règles mêmes de la procédure. Même sur la sphère
constitutionnelle cette distinction a un impact non négligeable. En France, le pouvoir
législatif est ainsi compétent pour déterminer la nature des crimes et délits et des sanctions
pénales correspondantes, tandis que les contraventions relèvent du domaine du règlement

68
M.-L. RASSAT, Droit pénal général, Paris, Ellipse, 2004, p. 270.
69
J.J. HAUS, Observations sur le projet de révision du Code pénal présenté aux Chambres belges, suivies d’un
nouveau projet, Gand, L. De Busscher-Braekman, 1835-1836, tome I, p. 62.
70
Dès le début du 19ème siècle existait, en droit anglais, une répartition bipartite, et non tripartite, des infractions avec
une distinction procédurale entre les infractions indictable et non-indictable. En 1967, la distinction entre felonies et
misdemeaners fut abolie et remplacée par la division entre infractions arrestable et non arrestable (s. 1 CLA ; R.M.
JACKSON, « The Incidence of the Jury Trial during the Past Century », M.L.R. 1937, p. 133).
71
INTERDEPARTEMENTAL COMMITTEE sous la présidence de L.J. JAMES, The Distribution of Criminal Business
between the Crown Court and the Magistrates’ Court, Londres, Home Office, 1975, § 41.
72
Art. 1 CPB : « L'infraction que les lois punissent d'une peine criminelle est un crime. L'infraction que les lois
punissent d'une peine correctionnelle est un délit. L'infraction que les lois punissent d'une peine de police est une
contravention ».
73
Infra, n° 22.

23
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

(art. 34 juncto art. 37 Constitution). L’impact de la tripartition est dès lors indéniable. Celle-
ci pourrait même être considérée comme la summa divisio74, voire le principe fondateur ou la
« matière première » 75 de notre droit pénal, tel que le suggère sa place au sein des codes
pénaux belge et français.

22. En dépit de cette valeur substantielle, la tripartition ne fut jamais exempte de


critiques. Elle n’est ni de tous les temps, ni de tous les lieux.76 Or, les idées criminologiques
de l’Ancien Régime ne pouvaient résister à l’épreuve du temps, ce qui rend, sous l’incitation
à l’individualisation des peines depuis l’avènement de la défense sociale nouvelle, la
classification tripartite et le critère sur lequel elle se fonde vulnérable. La recherche d’un
critère davantage qualitatif, inhérent à la nature intrinsèque de l’infraction77, prit une
importance accrue.78 Le législateur français ne resta d’ailleurs pas de marbre face à ces périls.
Ainsi, bien que l’avant-projet de réforme du Code pénal de 1986 ait abandonné la référence
aux « valeurs essentielles de la société » proposée par celui de 1983, il ajoutait les mots
« suivant leur gravité ». Ce changement fut aussi transposé dans le nouveau Code pénal de
1992 : « les infractions pénales sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et
contraventions ». Il ne s’agit cependant que d’un simple changement formel.79 Quant à la

74
L. DUPONT, Beginselen van strafrecht, I, Leuven, Acco, 2004, 5ème éd., p. 85.
75
M. CALEB, « La correctionnalisation dans la pratique des parquets », RDPC 1955-56, p. 17.
76
Aux Pays-Bas existe, depuis 1886, une distinction entre « misdrijven » et « overtredingen ». En Allemagne, une
distinction s’opère entre crimes (Verbrechen) et délits (Vergehen). Les contraventions (Ordnungswidrigkeiten) sont
soumises à un régime administratif. Le bipartisme se retrouve également dans le Code pénal italien de 1889 et de
1930 et dans les Code pénaux autrichiens de 1852 et de 1975.
77
En 1979, la Commission de révision du Code pénal belge propose ainsi de sauvegarder de jure la tripartition afin de
maintenir le jury populaire tout en créant pourtant, de facto, un bipartisme en diminuant considérablement le volume
des crimes sur la liste des infractions distinguées selon leur nature (Rapport sur les principales orientations de la
réforme, Bruxelles, Ministère de la Justice, 1979, p. 36).
78
Il y avait notamment des propositions de faire une distinction entre infractions à « l’ordre social » ou à « l’armature
naturelle de la société », et infractions à la « structure conventionnelle » (H. BEKAERT, « Ordre social et structure
conventionnelle », RDPC 1947-48, p. 1 et s. ; v. aussi J. RUBBRECHT, « Beschouwingen over de indeling van de
strafbare feiten », RW 1947, p. 145-152) ; entre « les crimes et les délits étant des atteintes à des valeurs essentielles
de la société » et les « contraventions constituant des atteintes à l’organisation de la vie sociale » (avant-projet du
Code pénal français de 1983 qui tentait d’abandonner le critère traditionnel quantitatif en le fondant sur la gravité de
l’infraction indépendamment de la peine y applicable) ; entre infractions « naturelles » et infractions « déterminées
par le législateur » ; entre droit pénal « naturel » et droit pénal « artificiel » (R. VERSTRAETEN et B. SPRIET, « De
driedelige indeling van de misdrijven als leidraad van het strafrecht : een verdachte eenvoud » in X, Liber Amicorum
Marc Châtel, Anvers, Kluwer Rechtswetenschappen, 1991, p. 472).
79
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, o.c., p. 69-70, n° 118-119 et J. PRADEL, « Le nouveau code
pénal (partie générale) », D. 1993, p. 169 ; à cet égard l’argument fut avancé que la loi n° 92-1336 du 16 décembre
1992 cherchait aussi, indirectement et en introduisant dans les art. 381 et 521 CPP une référence à la peine, à instaurer
une corrélation avec la répartition tripartite classique. Cette manœuvre, déplorée par certains auteurs, pourrait
cependant être relativisée compte tenu de la place moins importante de ces articles. Cette loi présentait en outre deux
lacunes : ne faisant aucunement référence aux crimes, elle occultait, en renvoyant uniquement à la peine
d’emprisonnement et à l’amende, les peines alternatives. Selon J.-H. Robert, le critère de distinction est dès lors bien
la gravité de la faute plutôt que la gravité de la sanction (J.-H. ROBERT, « La classification tripartite des infractions
selon le nouveau Code pénal », Dr. pén. 1995, chron. 1, p. 1-2).

24
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Belgique, elle choisit également de préserver la division traditionnelle des infractions en


dépit de critiques croissantes.80

23. Toutefois, si elle demeure sans mutation fondamentale, la division en trois


catégories des infractions n’en a pas moins subi de profondes métamorphoses dans les trois
pays étudiés, ce qui n’est pas sans illustrer son caractère artificiel et relatif, voire défectueux
et vétuste : si tripartition il y a, il n’y a pas ‘trinité’. En effet, bien que les règles de
compétence soient d’ordre public81, les transgressions à la division classique revêtent une
ampleur croissante. En autorisant certaines passerelles entre les différentes catégories
d’infractions, la réalité judiciaire se conforme de moins en moins à la hiérarchie théorique
prescrite par nos Codes : « telle infraction considérée hier comme crime, est aujourd’hui un
délit et sera peut-être demain une contravention, ou inversement ».82 En premier lieu, le
déplacement de la prépondérance de la catégorie des crimes/infractions on indictment vers la
catégorie des délits/infractions triable either way se réalisait et semble se réaliser aujourd’hui
encore davantage par de douteuses techniques gestionnaires et utilitaires visant la prise en
charge d’un maximum d’affaires (Section 1 — Une pratique d’utilitarisme illicite ?). Les
procédés utilisés émanent, majoritairement, de la pratique judiciaire qui, confrontée à des
qualifications inadéquates, ne pouvait attendre les interventions du législateur. Au regard de
leur ampleur et de l’absence de mise en œuvre uniforme, le risque de décalage entre la
pratique et la théorie n’est pas imaginaire. Confronté à une telle situation, le législateur ne
resta pas insensible. Oscillant entre mitigation et répression, les palliatifs législatifs avancés
sont toutefois de nature à créer des catégories d’infractions panachées renforçant la
complexité de notre droit pénal (Section 2 — Une politique du pendule légitime). Il convient
alors de souligner, dans les sections ultérieures et au-delà de la seule mise en exergue de
l’érosion de la justice populaire, les défaillances des alternatives utilisées. Cela s’inscrit déjà
modestement dans notre incitation à une refonte intégrale des compétences en matière
criminelle, une redéfinition de la carte judiciaire, ainsi qu’une réévaluation des règles
essentielles de notre œuvre pénale.

80
R. LEGROS, Voorontwerp van strafwetboek, Bruxelles, Moniteur belge, 1985, p. 81.
81
Crim. 16 déc. 1959, Bull. crim. 557 et Crim. 1er déc. 1993, Bull. crim. 366.
82
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, o.c., p. 75, n° 130.

25
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Section 1
Une pratique d’utilitarisme illicite ?

« Corriger la loi par fraude à la loi »


[J.L.E. ORTOLAN, Éléments de droit pénal, Paris, 1875, 4ème éd., t. II, n° 2066]

24. Le Code sanctionnateur de 1810 était empreint d’une rigueur extrême et peu digne
de notre époque.83 Le législateur classait, dans la catégorie des crimes, plusieurs faits ne
méritant pas une telle qualification, ce qui eut pour effet d’induire leur écrasement sur les
autres familles d’infractions.84 Une rigueur similaire s’appliquait en droit anglais depuis la
Glorious Revolution85. La sévérité ne portait d’ailleurs pas sur la seule sphère quantitative.
En se référant au catalogue des pénalités, il apparaît que les crimes donnaient lieu à « des
châtiments plus corporels (fer, gêne), plus irrémédiables (mort, déportation) ou simplement
plus humiliants (dégradation civique) que la simple prison correctionnelle ».86

25. Un tel ‘héritage’ n’était cependant pas l’unique souci des pays étudiés. En effet,
bien que les systèmes français et belge, d’un côté, et le système anglais, de l’autre, soient
fortement éloignés sur le plan de conceptions juridiques divergentes qui restent
nécessairement imprégnés de particularités nationales, ils sont confrontés à une
préoccupation conjointe : l’imperfection du jury. En comparant les trois pays, il apparaît en
effet que l’institution de la justice populaire, dès l’origine et à l’instar du Code pénal,
témoignait de faiblesses justifiant la quête d’alternatives (§ 1 — Fécessité des alternatives).
Au cours du 20ème siècle, cette nécessité devient prégnante. Les différentes vagues de
déclassement législatif, certes louables87, n’ont pas permis à la pratique de s’affranchir de sa
fonction primaire : la répression puissante d’une criminalité exponentielle. Compte tenu de la
lourdeur de la procédure criminelle, une application fidèle des règles de compétence
prescrites par nos Codes — le jugement de tous les crimes par la cour d’assises — générerait
sans doute une situation impraticable. Dès lors, il n’est pas surprenant que les acteurs du
terrain aient cherché des palliatifs, tant antérieurs que postérieurs au jugement de fond, qui

83
L. BASTIDE, Plaidoyer en faveur des circonstances très atténuantes ... Discours prononcé à l'ouverture de la
conférence des avocats, le 15 novembre 1887, Dijon, Impr. de Jacquot, Floret et Cie, 1888, p. 9.
84
Le vol de germes de blés entraînait, en droit français de l’époque, par exemple des poursuites criminelles.
85
Infra, n° 92.
86
J.-F. CHASSAING, « Les trois codes français et l’évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain »,
l.c., p. 449.
87
Infra, n° 104.

26
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

semblent substituer, dans une optique gestionnaire, la valeur pragmatique de spécialité et de


célérité à la philosophie démocratique de la participation. Cette évolution soulève des
questions : quelle autorité est responsable d’une telle redistribution, voire du bouleversement
des compétences ? De quels moyens dispose-t-elle pour finaliser cet objectif ? Et, surtout, sur
quoi se fonde sa légitimité ? Plus spécifiquement, pourquoi notre justice criminelle, ainsi que
celle des autres pays, se montre-t-elle d’emblée hostile à l’égard du jury criminel ?

26. Bien qu’indispensables et inscrits à l’ordre du jour des prétoires, les remèdes
judiciaires se montrent pourtant peu orthodoxes quant aux principes fondateurs de nos Codes
et à l’idéal du procès équitable qui semble sans cesse sacrifié aux impératifs gestionnaires.
Cela n’est pas sans incidences sur leur remise en cause (§ 2 — Défaillance des alternatives),
ainsi que sur la mise en œuvre ‘d’alternatives aux alternatives’.

§ 1 — FECESSITE DES ALTERFATIVES

27. Afin de contrecarrer les vices de la procédure d’assises, des palliatifs juridiques de
prime abord dissemblables, tant sur le plan de l’élaboration technique que sur celui de la
légalité, furent introduits en droit français, belge et anglais. Cette constatation confirme et
nourrit l’éloignement des systèmes, tout en mettant en exergue la relativité des solutions
apportées (A — Variété des techniques). Toutefois, en se penchant plus amplement sur la
question, il apparaît qu’à la base de ces solutions juridiques divergentes émergent des
préoccupations similaires ainsi que des résultats analogues (B — Unité des finalités et des
conséquences) qui rapprochent les différents systèmes tout en relativisant leurs dissonances.

A — VARIETE DES TECHNIQUES

28. Un premier moyen visant à renforcer le juge correctionnel au détriment de la


justice populaire est la ‘correctionnalisation’. Ce concept semble recouvrir un ensemble
d’expédients, tant légaux qu’illicites : à côté de la correctionnalisation dite législative et de la
correctionnalisation concomitante au jugement de fond dont nous traiterons ultérieurement88,
il existe en droit français ainsi qu’en droit belge un procédé largement utilisé : la
‘correctionnalisation judiciaire’. Prétendre que la ressemblance entre ces deux pays se
limiterait à la dénomination de ce phénomène serait exagérément sévère.89 Ainsi, il confère
un rôle prépondérant à la magistrature de bout et aux juridictions d’instruction (1) tout en se
caractérisant, dans les deux pays considérés, par des préoccupations et des objectifs communs
ainsi que par des résultats comparables.
88
Infra, n° 87 et s.
89
C. DE CRISENOY, « La correctionnalisation et les institutions correspondantes du droit belge et du droit anglais »,
RSC 1960, p. 419 et s.

27
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Confronté aux mêmes problèmes, le droit anglais élabore des solutions juridiques (à
première vue) radicalement différentes : ainsi, illustration incontestable, le guilty plea qui,
fidèle à la tradition accusatoire, semble placer le prévenu au cœur de la justice pénale (2).

1. Rôle central des autorités de poursuite et d’instruction en droit continental

29. L’histoire juridique française et celle de la Belgique témoignent de deux pratiques


de disqualification : la correctionnalisation dite a posteriori d’une part, tombée en désuétude
après les fameux arrêts Chevalot en droit français et Camu en droit belge ; le procédé massif
de correctionnalisation judiciaire en amont de la saisine de la juridiction de fond qui, d’autre
part, émerge au fil du temps comme une véritable doctrine des parquets menaçant presque
toute espèce de crimes.90

a) Pratique désuète postérieure au jugement de fond

30. Jusqu’au milieu du 20ème siècle existait, en France, non seulement en amont du
jugement de fond mais également postérieurement au verdict du jury, un procédé particulier
permettant aux magistrats de métier de se substituer à la juridiction populaire. Ce
« repêchage après acquittement », selon le jargon du Palais,91 avait également un équivalent
en droit belge jusqu’aux années 1980. Avec cette pratique, dénommée comme
« correctionnalisation a posteriori », un accusé acquitté par la cour d'assises était ensuite
poursuivi devant le tribunal correctionnel pour les mêmes faits autrement qualifiés. Le
ministère public avait ainsi l’opportunité de jouer sur plusieurs tableaux, tout en portant
ouvertement atteinte à la souveraineté du jury.92 Pensons par exemple à la possibilité de
poursuivre pour attentat à la pudeur à l’issue d’un acquittement pour viol, ou pour homicide
par imprudence après l’acquittement pour meurtre. La philosophie sous-jacente à cette
« rébellion vis-à-vis du jury »93 résidait dans la volonté utilitaire de réagir contre la
mansuétude des juges-citoyens94. En effet, en repêchant les accusations ayant échoué en
assises95, ce procédé assurait une répression satisfaisante. La question se pose toutefois de
savoir si cela n’induisait, en revanche, pas un affaiblissement concomitant de la justice
pénale, les jurés pouvant prononcer plus facilement un acquittement96 grâce à un tel remède.

90
Rapport cité dans la deuxième séance du deuxième Congrès de droit pénal, RPDP 1907, p. 1214 et s.
91
J.-Ch. LAURENT, « Procédure pénale et correctionnalisation », JCP 1950, n° 852.
92
Ch. LAPLANCHE, La correctionnalisation judiciaire, Thèse, Montpellier I, 1993, p. 189.
93
M. CALEB, l.c., p. 23.
94
Infra, n° 242.
95
L. HUGUENEY, note sous Crim. 20 mars 1956, D. 1957, p. 33-34.
96
M. Ortolan, cité par J. DABIN, Le pouvoir d’appréciation du jury et les nouvelles poursuites en correctionnelle
après acquittement en assises. Etude historique et critique, Bruxelles, Pierre Van Fleteren, 1913, p. 171.

28
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

31. Le fondement de cette pratique résidait, paradoxalement, dans un texte légal


prônant l’exclusion des doubles poursuites : « toute personne acquittée légalement ne pourra
plus être reprise ni accusée à raison du même fait » (ancien art. 360 CIC). Ce texte exprimait
la maxime ne bis in idem, déjà inscrite dans la Constitution de 1791. Lorsqu’une décision ne
peut plus être contestée par une voie de recours, elle obtient autorité de chose jugée et devient
irrévocable. Comparé à la correctionnalisation française antérieure au jugement97, la
correctionnalisation dite a posteriori présentait dès lors l’avantage de reposer sur un texte
légal qu’il suffisait à interpréter et n’était à l’époque pas incontestablement illégale.98 Il est en
effet permis d’errer à propos de l’interprétation d’un texte, ce que la Cour de cassation
française n’avait d’ailleurs pas manqué de faire depuis 1812.99 Les dispositions qui
constituaient le point de départ de cette ‘acrobatie juridique’ relevaient du pouvoir du
président de la cour d'assises100. Contrairement au Code du 3 Brumaire an IV, le président de
la cour d'assises n’avait pas pour obligation de soumettre au jury toutes les questions épuisant
l’ensemble des faits poursuivis.101 S’il omettait de poser une question subsidiaire, le jury ne
pouvait pas se prononcer sur une autre ‘étiquette’, de sorte que sa décision n’obtenait pas
autorité de chose jugée sur ce point. Sous une autre qualification102 du même fait, la voie était
ainsi ouverte aux nouvelles poursuites. La jurisprudence soutenait cette possibilité en
considérant qu’un acquittement purgeait, non le fait tel qu’il s’est passé, mais tel qu’il a été
qualifié.103 Elle envisageait ainsi le fait, dans l’ancien article 360 du Code d’instruction
criminelle, au regard de son sens juridique relatif, en l’occurrence, à la qualification donnée
aux faits matériels commis. Seul suffisait que le président s’abstienne de poser cette
question.104 En Belgique, après une résistance initiale,105 cette jurisprudence ‘d’esquive’ fut
étayée par la loi interprétative du 21 avril 1851 qui, à l’issue de deux arrêts de la Cour de
cassation portant sur une affaire d’infanticide, ajouta au fameux article 360 l’interprétation
« […] du fait, tel qu’il a été qualifié ».106

97
Infra, n° 34.
98
Le principe ne bis in idem est également prévu comme norme supérieure du droit international, notamment dans
l’art. 14 § 7 Pacte internationale relatif aux droits civils et politiques. Ce pacte datant du 16 déc. 1966 n’est ratifié en
France qu’en 1980 et en Belgique qu’en 1983.
99
Crim. 29 oct. 1812, S. 1813, I, p. 242 ; J.-Ch. LAURENT, l.c., n° 2.
100
Infra, n° 308 et s.
101
J. DABIN, o.c., p. 14-21.
102
Afin de trouver pleine application, il était indispensable qu’il n’y ait pas d’identité intégrale entre les deux
poursuites (Crim. 29 août 1863, Bull. crim. 238 et Crim. 17 avr. 1874, Bull. crim. 118). Il fallait effectivement une
distinction matérielle ou, selon une certaine jurisprudence, une différence quant au but à atteindre soit à l’intérêt à
protéger (Crim. 28 mai 1868, Bull. crim. 137).
103
Ch. réunies 25 nov. 1841, S. 1842, I, 93.
104
Crim. 14 déc. 1877, Bull. crim. 260.
105
Cass. 23 déc. 1831, Pas. 1831, p. 341.
106
Cass. 11 déc. 1848, Pas. 1849, p. 47 et Cass. 7 avr. 1849, Pas. 1849, p. 181 ; Doc.parl. Chambre 1979, n° 25-2.
Pour la France, v. la proposition de loi Parent (JORF 17 févr. 1879) ayant pour objet de modifier l’art. 360 CIC afin
de retourner au système du Code du 3 Brumaire an IV (J. DABIN, o.c., p. 156-162).

29
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

32. Bien que largement utilisé pour certaines infractions françaises107 telles que viol,
faux et infanticide, et, plus spécifiquement, lorsque la correctionnalisation en amont du
jugement criminel s’avérait difficile, le « repêchage après acquittement » était voué à
disparaître108. L’hostilité exprimée de la part de la doctrine109, excepté par René Garraud110,
ainsi que le faible taux d’application par les cours d’appel de la solution avancée par la Cour
suprême en témoignent. La correctionnalisation dite a posteriori présentait des inconvénients
pratiques notables : outre les reproches concernant la mise en cause d’une règle de droit
public octroyant à toute décision définitive un caractère irrévocable, ainsi que ceux portant
sur la dénégation d’une règle de défense qui veut que le caractère intangible de la chose jugée
enraye les poursuites et, par conséquent, l’inquiétude de l’accusé,111 cette pratique portait
atteinte à la souveraineté du jury ainsi que à la saisine in rem des juridictions de fond, tout en
dotant le président de la cour d’assises d’une influence excessive. Elle rallongeait davantage
la procédure, par l’ajout de nouvelles poursuites devant une autre juridiction, et facilitait des
défenses ‘perverses’. En effet, un accusé pouvait soutenir, devant le tribunal correctionnel,
être effectivement coupable de l’inculpation plus grave pour laquelle la cour d’assises l’avait
déclaré non coupable.112

Le célèbre arrêt Chevalot du 20 mars 1956113, dernier en la matière sur le sol français,
signait la mort jurisprudentielle de cette particularité. Deux ans plus tard, cette palinodie
bénéficiait d’une consécration législative : « aucune personne acquittée légalement ne peut
être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente »
(art. 368 CPP). Ainsi que le souligne Christian Laplanche, le principe de l’autorité de chose
jugée reconquérait ainsi toute sa force après un siècle d’incertitude.114 Précédant cet arrêt, la
loi du 25 novembre 1941, consacrée par l’ordonnance du 20 avril 1945,115 préfigurait déjà la
disparition de ce procédé : la formule discutable « du même fait » était supplantée par « aux
mêmes faits », annonçant dès lors un retour à la notion du fait envisagé au sens matériel, et

107
Crim. 10 févr. 1870, Bull. crim. 34 (outrage publique/attentat à la pudeur) ; Crim. 17 avr. 1874, Bull. crim. 118
(faux) ; Ch. réunies 25 nov. 1841, S. 1842, 1, p. 93 (infanticide). En droit belge en revanche, les statistiques ne
révèlent qu’une application restreinte (Doc.parl. Chambre 1979, n° 25-3, p. 7).
108
D’autres critiquaient en revanche son manque de souplesse, restant limitée à un nombre réduit de qualifications
criminelles (J.-Ch. LAURENT, l.c., p. 877).
109
Tel que par exemple M. Ortolan et F. Hélie parmi beaucoup d’autres (v. J. DABIN, o.c., p. 166 et s.).
110
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procédure pénale, Paris, L. Larose et
Tenin, 1907-1929, tome III, n° 1081.
111
W. ROUMIER, L’avenir du jury criminel, Paris, LGDJ, 2003, p. 50, n° 88.
112
La Cour de cassation avait à cet égard appliqué une mutilation du droit d’appréciation, en jugeant que le tribunal
correctionnel devait en cas de nouvelles poursuites supposer que les faits ne constituent pas des crimes (Crim. 3 nov.
1855, D. 1855, p. 442 ; J. DABIN, o.c., p. 93-94).
113
Crim. 20 mars 1956, D. 1957, p. 33, note L. HUGUENEY.
114
Ch. LAPLANCHE, o.c., p. 192.
115
Loi du 25 novembre 1941 sur le jury, JORF 12 déc. 1941, p. 5355 ; ordonnance n° 45-764 du 20 avril 1945 sur les
cours d’assises, JORF 21 avr. 1945, p. 2252.

30
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

non plus au sens juridique. Cette loi imposait en outre au président de la cour d’assises, par
l’ancien article 339 du Code d’instruction criminelle (actuel art. 351 CPP) et lorsqu’une autre
qualification relevait des débats, de poser une question subsidiaire.

En droit belge, il fallut attendre la loi du 26 février 1981116 pour que, sous l’influence
de l’article 14 § 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, cette situation
« inéquitable et malsaine »117 s’assainisse. L’article 360 du Code d’instruction criminelle
disposait dorénavant : « […] pour les mêmes faits, quelle que soit la qualification juridique
attribuée à ceux-ci ». En dépit de sa place spécifique au sein des dispositions relatives à la
cour d’assises, cet article qui a été consacré par la loi du 21 décembre 2009 (art. 339 CIC) est
considéré comme un principe général de droit.118 En droit anglais, en revanche, la règle
ancienne et fondamentale de common law de double jeopardy, qui interprète la maxime ne
bis in idem comme prohibant un deuxième procès après acquittement, fut récemment
bafouée.119 A l’issue d’un acquittement, un nouveau procès sera désormais envisageable si le
verdict d’acquittement est ‘corrompu’ (tainted, s. 54-57 Criminal Procedure and
Investigation Act de 1996, ci-après CPIA), ou que surviennent de nouvelles preuves
substantielles (s. 75-94 Criminal Justice Act de 2003, ci-après CJA).

b) Pratique courante antérieure au jugement de fond

33. En amont du jugement de fond, la technique française de la correctionnalisation


judiciaire consiste, pour le ministère public ou le juge/juridiction d’instruction, à oublier
délibérément certaines circonstances inhérentes aux faits afin de modifier la juridiction et de
minorer la peine. Il s’agit dès lors d’une falsification consciente de faits120 : pour l’affaire
considérée, les faits présentant les caractéristiques juridiques d’un crime sont assimilés, avant
la saisine de la juridiction de fond, à un délit passible de peines correctionnelles.

L’origine de cette ‘fiction’ est obscure, l’inventeur de la correctionnalisation


judiciaire étant méconnu ; celle-ci semble avoir émergé de manière spontanée et anonyme.
L’ancrage de la correctionnalisation judiciaire dans les usages ne fait aucun doute. Si,
encouragée et approuvée par plusieurs instructions ministérielles (circulaire du 16 août 1842

116
Loi du 26 février 1981 définissant les conséquences d'un arrêt d'acquittement rendu par une cour d'assises, MB 11
avr. 1981, p. 4525.
117
Le parcours parlementaire de cette loi démontre la prise de conscience de la complication de la fonction des jurés
— ils doivent se prononcer sur toutes les qualifications juridiques qui peuvent être données au fait constituant
l’accusation — et constitue l’une des premières incitations à l’instauration d’un délibéré conjoint des jurés et
professionnels suivant l’exemple français (Doc.parl. Chambre 1979, n° 25-3, p. 3 et Doc.parl. Sénat 1980-81, n° 226-
2, p. 2).
118
Cass. 5 mai 1992, Pas. 1992, I, p. 782.
119
Infra, n° 352.
120
Ch. LAPLANCHE, o.c., p. 55-58.

31
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

et du 23 août 1851)121 elle était déjà utilisée avant 1816 (antérieurement à la


correctionnalisation législative122), les chiffres-clés de la justice contemporaine attestent
résolument de son ampleur actuelle.123

La violation apparente de la classification tripartite des infractions et du principe de


légalité124 suscite des interrogations quant au fondement de ce pouvoir prépondérant du
parquet et du juge d’instruction. L’une des explications sous-jacentes relèverait de l’adage
« qui peut le plus, peut le moins ».125 En ne retenant aucun des éléments constitutifs de
l’infraction, le parquet peut refuser de poursuivre. Par la correctionnalisation, il ne considère
que quelques éléments, notamment ceux qui en font un délit. Il s’agit dès lors d’une
répression minorée mais davantage assurée, plutôt que d’une impunité qui aurait pu été
offerte par les jurés126. Ce raisonnement achoppe toutefois : la décision de poursuivre étant
prise, le parquet ne peut déroger aux règles prescrites par la loi.

34. Contrairement au système belge que nous évoquerons ci-dessous, la pratique de la


correctionnalisation judiciaire française ne dépend pas de l’octroi de circonstances
atténuantes et manqua longtemps d’assise légale. « La déclaration des circonstances
atténuantes doit être l’épilogue et pas le prologue du procès pénal » et devrait, dès lors,
relever exclusivement des juridictions de fond.127 Les magistrats mandatés à la poursuite ne
peuvent en aucun cas changer les étiquettes légales au gré de leurs appréciations
personnelles. En découle néanmoins, et paradoxalement, l’usage des techniques fort moins
orthodoxes qui biaisent le rapport entre le fait délictueux et sa définition légale, entre l’acte et
le texte. En particulier, par la correctionnalisation, les autorités de poursuite françaises
substituent des qualifications inexactes à celles prévues par la loi. Cela se fait par différentes
méthodes qui font preuve d’imagination et d’esprit d’adaptation.128 Nombre de crimes n’étant
que des délits aggravés, il apparaît qu’en négligeant une circonstance aggravante, un vol
aggravé peut, à titre d’exemple, être commué en vol simple. Une telle omission est
fréquemment utilisée, même en cas de décès de la victime.129 Il s’avère par ailleurs possible
d’écarter certains éléments matériels de l’infraction. Véritable disqualification, cette
manipulation permet, à titre d’exemple, d’édulcorer le viol en le considérant comme un
attentat à la pudeur. Contrairement à la première méthode, en l’occurrence fidèle à la

121
Ch. LAPLANCHE, o.c., p. 133 et s. et p. 139.
122
Infra, n° 105.
123
Infra, n° 58.
124
Infra, n° 65 et s.
125
A. CHAVANNE, « La correctionnalisation », RDPC 1955, p. 67.
126
Infra, n° 56 et 244 et s.
127
V. HUMBERT, Théorie des circonstances atténuantes, Thèse, Nancy, 1900, p. 93.
128
Pour une étude approfondie, v. Ch. LAPLANCHE, o.c., p. 239 et s.
129
Crim. 27 avr. 1962, Bull. crim. 101.

32
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

définition légale de l’infraction130, l’on attribue ici délibérément une définition mensongère à
l’infraction, ce qui témoigne de plus d’audace131. Une autre option permettant de renvoyer les
crimes devant le tribunal correctionnel consiste à déroger au principe de la plus haute
qualification en cas de cumul d’infractions. Polymorphe, l’infraction peut être envisagée sous
plusieurs angles susceptibles de commuer une qualification criminelle en qualification
correctionnelle. En considérant que le crime n’a pas eu lieu, on introduit ainsi une divisibilité
entre les incriminations. Enfin une infraction volontaire peut, en jouant sur l’élément
intentionnel tout en préservant l’élément matériel, se métamorphoser en infraction
involontaire.

35. Il fut souvent avancé que le tribunal correctionnel et la cour d’appel constituaient
des filtres prompts à parer la dite violation du principe de la légalité des incriminations d’un
caractère plus illusoire que réel. En effet, une fois devant la juridiction inférieure, il
incombait — avant l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004 (Perben II)132 —, au juge
correctionnel d’examiner d’office ses compétences et de trouver la qualification exacte (art.
469 CPP).133 L’acte de saisine restant indicatif et non attributif de compétence, le juge
correctionnel n’était pas contraint de s’associer à l'initiative du ministère public.134 Toutefois,
il ne pouvait statuer sur des faits autres que ceux visés dans le titre de poursuite, à moins que
le prévenu accepte expressément d'être jugé sur ces faits nouveaux.135 De même, rien
n’empêchait la cour d’appel, saisie de la cause entière par l'appel du ministère public,
d’examiner à nouveau la question de la compétence (art. 519 CPP).136 En cas d’appel unique
du prévenu, il est toutefois interdit d’aggraver son sort, tel que l’édicte la prohibition d’une
reformatio in pejus consacrée par l’article 515 du Code de procédure pénale.137 A cet égard,
une déclaration d’incompétence visant au renvoi devant la juridiction populaire pourrait être
considérée comme un alourdissement du sort compte tenu de l’éventualité d’une peine
criminelle.138

130
M. LAURENT in M. CALEB, l.c., p. 42.
131
M. CALEB, l.c., p. 45.
132
Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JORF 10 mars
2004, p. 4567.
133
Crim. 1er déc. 1971, JCP G 1972, II, n° 16987, obs. X et Crim. 22 mai 1996, Bull. crim. 212 (v. Ch. LAPLANCHE,
o.c., p. 362 et s.).
134
Crim. 29 juill. 1886, Bull. crim. 279 et Crim. 23 juin 1910, Bull. crim. 329.
135
Crim. 23 janv. 2001, Bull. crim. 20 et Crim. 2 oct. 2001, Bull. crim. 197. A condition que le prévenu ait été invité à
présenter sa défense sur la nouvelle qualification, un changement de qualification des faits dont le tribunal
correctionnel est saisi n’est pas contraire à la CESDH (Crim. 28 janv. 2004, Bull. crim. 22 et Crim. 3 mars 2004, Bull.
crim. 56).
136
Crim. 3 févr. 1988, Bull. crim. 55 ; Crim. 4 janv. 1990, Bull. crim. 1 et Crim. 29 avr. 1996, Bull. crim. 172.
137
Ce principe découle d’un avis du Conseil d’Etat du 12 nov. 1806 publié par décret et ayant dès lors obtenu force de
loi.
138
Crim. 19 juill. 1966, Bull. crim. 203.

33
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

36. Les parties — la personne mise en examen, le ministère public et la partie civile
— avaient également l’opportunité d’invoquer l’incompétence du juge correctionnel par une
exception d’incompétence (art. 469 al. 1 CPP). Le système français faisait toutefois, à cet
égard, preuve d’une inégalité patente : traditionnellement, la personne mise en examen et la
partie civile ne pouvaient, contrairement au parquet (art. 185 CPP), pas contester la
compétence lors de la phase préparatoire (art. 186 al. 1 et 3 CPP)139. Or, dans le cadre du
jugement même, les parties ne disposaient pas d’un traitement égalitaire : la latitude de la
partie civile s’avérait plutôt illusoire, celle-ci ne pouvant initier d’elle-même, sans l’appel du
ministère public, un recours lorsque le juge de jugement s’était prononcé dans un seul
jugement tant sur la question de la compétence que sur la question de fond. Dans ces limites
et à condition que la cour d’appel ait été saisie de l’intégralité de l’affaire,140 les parties
disposaient de cette faculté, même pour la première fois, devant la Cour de cassation141.
L’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000142 permettait, en instaurant un appel en matière
criminelle, de reprendre l’affaire à zéro devant quatre instances, notamment lorsqu’à l’issue
du traitement par le tribunal correctionnel, la cour d’appel dénonce sa compétence et l’affaire
est traduite devant la cour d’assises, ce qui ouvre éventuellement la porte à la cour d’assises
d’appel.

Afin de remédier à cette situation importune, la loi du 9 mars 2004 empêche la


personne mise en examen143 et la partie civile d’interjeter appel et de remettre en cause la
qualification une fois qu’elles se trouvent devant les juridictions de jugement.144 La
discussion sur la qualification correctionnelle devrait être close avec l’instruction
préparatoire.145 Le nouvel article 186-3 alinéa 1 du Code de procédure pénale dispose qu’il
faut désormais contester la qualification donnée et ainsi la compétence du juge correctionnel
au moment du règlement, en faisant notamment appel contre l'ordonnance de renvoi.146 Le

139
Un renvoi devant le tribunal correctionnel ne fait pas grief aux intérêts civils de la victime (Crim. 22 avr. 1998,
Bull. crim. 37).
140
Si seule la personne mise en examen interjette appel et n’a pas demandé à la cour d’appel de se déclarer
incompétente, cette dernière ne peut, conformément à l’interdiction de reformatio in pejus, que retenir sa compétence.
Dans ce cas, la cour d’appel applique bien la loi et on ne peut soulever l’exception d’incompétence pour la première
fois à la Cour de cassation (Crim. 13 févr. 1932, Bull. crim. 38 et Crim. 24 mars 1944, Bull. crim. 84 ; J.-Ch.
LAURENT, l.c., n° 45).
141
Crim. 29 oct. 1968, JCP G 1969, II, n° 16014, obs. M.C. FAYARD et Crim. 1er déc. 1993, Bull. crim. 366. Quand la
Cour de cassation rejette l’exception d’incompétence, la décision de la cour d’appel devient définitive et sera exercée.
En cas de cassation en revanche, elle renvoie à une autre cour d’appel.
142
Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes,
JORF 16 juin 2000, p. 9038.
143
L’avant-projet du futur CPP du 1er mars 2010 préfère la dénomination « partie pénale »,
www.justice.gouv.fr/art_pix/avant_projet_cpp_20100304.pdf.
144
Crim. 23 mai 2006, AJpénal 2006, p. 416, obs. G. ROUSSEL.
145
G. ROUSSEL, note sous Crim. 27 mars 2008, AJpénal 2008, p. 288.
146
Si la Cour de cassation exigeait initialement que la déclaration d’appel fasse apparaître de manière non équivoque
l’objet de ce recours (Crim. 22 août 2007, Dr. pén. 2007, comm. 146, p. 44-45, obs. A. MARON), elle précise

34
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

nouveau texte prévoit par ailleurs une autre exception à la contestation de la compétence du
tribunal correctionnel lors de l'audience de jugement : lorsque le tribunal correctionnel est
saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction (collège d’instruction en 2011)147 ou la
chambre de l'instruction, il ne peut plus, d'office ou à la demande des parties, se déclarer
incompétent (art. 469 al 4 CPP). La pratique largement répandue de la correctionnalisation
judiciaire se trouve ainsi, sous l’influence utilitaire, partiellement consacrée par le Code ou
en tout cas confortée.148 Le droit s’efface derrière le pragmatisme.

La nouvelle procédure prévoit néanmoins deux exceptions (art. 469 al. 4 CPP)149.
D’une part une victime ne s’étant pas constituée partie civile lors de la clôture de l’instruction
et celle qui s’est bien constituée partie civile, mais n’est pas assistée d’un avocat lors de
l’ordonnance de renvoi, peuvent encore soulever l’incompétence lors de la phase de
jugement, dans la mesure où elles n’ont pas bénéficié de ce privilège lors du renvoi au
tribunal correctionnel.150 D’autre part le juge correctionnel, saisi de poursuites exercées pour
un délit non intentionnel, conserve la possibilité de renvoyer le ministère public à mieux se
pourvoir s’il émerge des débats que les faits, parce qu’intentionnels, sont de nature à
entraîner une peine criminelle.151 La décision de la juridiction d’instruction ne lie dès lors pas
irrévocablement la juridiction de jugement. Si, lors d’un procès pour homicide involontaire, il
apparaît que le prévenu voulait donner la mort, le tribunal conserve la possibilité de se
déclarer incompétent.152 De manière sous-jacente, cette exception est vraisemblablement

ultérieurement que la mention explicite de l’art. 186-3 CPP dans l’acte d’appel n’est pas nécessaire (Crim. 10 août
2008, D. Actualité 2 févr. 2009 ; Crim. 10 déc. 2008, AJpénal 2009, p. 137, obs. L. ASCENSI et Crim. 25 nov. 2009,
AJpénal 2010, p. 85, obs. L. ASCENSI et D. Actualité 20 janv. 2010, obs. C. GIRAULT).
147
Afin de résoudre le problème de la solitude du juge d’instruction, de favoriser un travail en équipe, d’éviter le plus
en amont possible tout risque d’erreur et d’accroître dès lors la collégialité, la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant
à renforcer l’équilibre de la procédure pénale (JORF 6 mars 2007, p. 4206) envisageait dans un premier temps, après
l’affaire déplorable d’Outreau, pour les affaires criminelles ainsi que pour les affaires correctionnelles graves et
complexes, une cosaisine par des pôles de l’instruction pour arriver à un véritable collège d’instruction regroupant
trois juges d’instruction. En principe, ces dispositions entreront en vigueur le 1er janv. 2011 (loi n° 2009-526 du 12
mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, JORF 13 mai 2009, p. 7920).
L’avenir de ce collège ne semble pas assuré compte tenu des récentes propositions d’abolir le juge d’instruction en
faveur d’un « juge de l’enquête et des libertés » (art. 211-1 et s. avant-projet CPP,
www.justice.gouv.fr/art_pix/avant_projet_cpp_20100304.pdf).
148
Selon A. Darsonville une telle légalisation était déjà tacitement annoncée par la loi du 16 déc. 1992. Contrairement
à l’art. 381 CPP relatif à la compétence correctionnelle, cette loi omettait de préciser, dans l’art. 231 CPP relative à la
compétence de la cour d’assises que les crimes sont frappés d’une peine criminelle, facilitant ainsi une interprétation a
contrario des textes (A. DARSONVILLE, « La légalisation de la correctionnalisation judiciaire », Dr. pén. 2007, p. 9).
149
Cette disposition, combinée à celle prévue à l’art. 186-3 CPP, ne s’applique qu’aux procédures dans lesquelles
l’ordonnance de renvoi a été rendue postérieurement au 1er oct. 2004 (Crim. 4 janv. 2006, Bull. crim. 8 et Crim. 23
mai 2006, Bull. crim. 143).
150
Crim. 27 mars 2008, Bull. crim. 84 et Crim. 3 févr. 2010, JCP 2010, p. 758, note S. DETRAZ.
151
Crim. 24 mars 2009, Bull. crim. 60. Cela est également le cas si le prévenu lui-même revendique le caractère
intentionnel afin d’être en mesure d’invoquer la légitime défense, qui est par définition inconciliable avec une
qualification non intentionnelle (M. LENA, « Correctionnalisation judiciaire : quand l'auteur revendique le caractère
volontaire de l'homicide », D. Actualité 22 avr. 2009).
152
F. ZOCCHETTO, Rapport n° 441 (2002-03) sur le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité, fait au nom de la Commission des lois, www.senat.fr/rap/l02-441/l02-441.html.

35
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

justifiée par la gravité des faits. Hormis ces exceptions, l’erreur de qualification qui émane du
juge d’instruction (collège d’instruction en 2011) ou de la chambre de l'instruction est
définitivement paralysée à la porte de la juridiction de fond.

37. Si le nombre de règlements de juges153 diminuera, la plus–value pratique de ces


nouveautés légales issues du paradoxe incontestable de la correctionnalisation française en
tant que ‘mal nécessaire’, soulève des questions. Pour Jean Pradel, la justice y gagnera en
célérité, tout en s’exemptant en partie du « spectacle de changements de juridiction, toujours
gênant à l’égard de l’opinion publique ».154 Toutefois en pratique, les statistiques attestent
que le tribunal correctionnel se déclarait rarement incompétent. La majorité des magistrats du
siège, au premier degré et en appel, s’associaient tacitement à la décision du ministère public
ou du juge d’instruction, tout en semblant reconnaître l’utilité du procédé de la
correctionnalisation. Pour les parties il s’agissait aussi la plupart du temps, d’un « mensonge
accepté par tous »155. Le ministère public peut difficilement soulever l’incompétence
lorsqu’il se trouve lui-même à la source de la disqualification. La personne mise en examen a
généralement intérêt à bénéficier d’une correctionnalisation de son affaire, les peines
encourues en cour d'assises étant largement plus graves (sauf s’il veut jouer la carte de
l’acquittement plus probable devant la cour d’assises)156. En outre, une reformatio in pejus
étant proscrite, il incombe à la cour, en cas d’appel unique du prévenu, de légaliser une
transgression de la répartition des compétences. Les chiffres démontrent enfin que le nombre
de cassations restait insignifiant au regard de la masse d’affaires correctionnalisées157 :
« l’immense majorité des correctionnalisations est entérinée purement et simplement par
toutes les parties et par toutes les juridictions, y compris la Cour de cassation ».158 Parfois, la
Cour de cassation française ne reste pas muette aux abus de correctionnalisation. Rappelant
que la compétence des juridictions est d’ordre public, la Cour de cassation a ainsi cassé
l’arrêt de la cour d’appel ayant condamné un prévenu poursuivi pour agression sexuelle par
voie de citation directe alors qu’il résultait des constatations mêmes des juges de fond que les
faits incriminés consistaient en des actes de pénétration sexuelle (viol) qui n’appartiennent
qu’à la compétence de la cour d’assises.159

153
Infra, n° 40.
154
J. PRADEL, Manuel de procédure pénale, Paris, Ed. Cujas, 2004, 12ème éd., p. 108-109.
155
X. PIN, « La privatisation du procès pénal », RSC 2002, p. 257.
156
Infra, note 222 et 280.
157
Ibid.
158
Reims 9 nov. 1978, D. 1979, note J. PRADEL, p. 94.
159
Crim. 31 janv. 2007, Dr. pén. 2007, comm. 68, p. 29, note M. VERON (H. ANGEVIN, « Un an de droit des cours
d’assises », Dr. pén. 2007, n° 11, p. 29).

36
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

La récente consécration légale reflète l’intention (malheureuse) du législateur français


de pérenniser l’existence de la correctionnalisation, une volonté que nous constatons, en dépit
de nombreuses voix sollicitant sa suppression, également en Belgique avec la facilitation de
cette pratique par la loi du 8 juin 2008 et son extension par celle du 21 décembre 2009.160 Les
différences restent pourtant legio. En particulier, l’absence de critère fondant le recours au
procédé de correctionnalisation laisse la pratique française manifestement dénuée de
fondement juridique et sans statut légal. Elle repose essentiellement sur l’accord des parties.
L’inertie à cet égard interdit en principe et hormis quelques exceptions au tribunal
correctionnel, saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ou la chambre de
l'instruction, de revenir sur la qualification. Pourtant, la majorité du Comité de réflexion sur
la justice pénale, le ‘comité Léger’, se prononçait en faveur du maintien de la ‘souplesse’ de
la correctionnalisation judiciaire, surtout en cas de viol qui peut recouvrir des comportements
différents. Une minorité du Comité préférait, en revanche, le renvoi au tribunal correctionnel
à la demande de la victime, tout en maintenant la qualification criminelle de viol.161 Ainsi
que nous l’évoquerons ultérieurement, le ministre de la Justice, Mme Alliot-Marie, se penche
actuellement sur l’opportunité de la création d’un tribunal criminel, intermédiaire entre le
tribunal correctionnel et la cour d'assises, pour lutter contre « le phénomène inquiétant de la
déqualification de certains crimes ».

38. En Belgique, il convient d’évoquer la graduelle extension de la


correctionnalisation judiciaire ainsi que sa facilitation législative. Tout commence avec la loi
du 15 mai 1838 sur le jury162 qui dotait la correctionnalisation judiciaire antérieure au
jugement d’un fondement légal. Il ne s’agit désormais plus d’un procédé purement
empirique, ce qui le rend sans doute préférable au système prétorien français.163 La loi de
1838 permettait la correctionnalisation des crimes punissables, à l’époque, de cinq à dix ans
de réclusion. En particulier, les juridictions d’instruction — la chambre du conseil et la
chambre des mises en accusation — peuvent dorénavant accorder des circonstances
atténuantes, prérogative jusqu’alors strictement réservée aux juridictions de fond. La
dénaturation belge est dès lors tributaire de l'admission préalable des circonstances
atténuantes (ou d’une cause d’excuse). Par circonstances atténuantes, l’on entend l’ensemble
des modalités propres au fait à juger (extrinsèques) — dommage causé, gravité de
l’infraction, ... — ou à l’auteur (intrinsèques) — âge, provocation, casier judiciaire, … —,

160
Infra, n° 38.
161
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 41-42.
162
Bulletin officiel 1838, XVI, n° 57.
163
E. DE LE COURT, « Considérations historiques et d’actualité sur les circonstances atténuantes et la
correctionnalisation en Belgique », RDPC 1959-60, p. 134.

37
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

qui affaiblissent la gravité des faits ou la culpabilité de l’auteur. Il incombe au juge de


déterminer souverainement de les considérer dans l’espèce de l’affaire et pour les différents
auteurs164, afin d’opter pour une sanction inférieure au seuil maximum ou, le cas échéant,
même au seuil minimum des peines. Contrairement aux causes d’excuses — telle que la
provocation —, la loi ne peut les définir ou les énumérer de manière exhaustive, d’où leur
grande diversité.165 Rien ne force en outre les juridictions à transformer un crime en délit. A
l’opposé de la correctionnalisation dite législative166, la pratique judiciaire s’applique
uniquement au cas particulier en cause et ne constitue pas un droit pour le prévenu.

Afin de juguler d’éventuels abus, et pour que la modification de l’infraction demeure


restrictive et exceptionnelle, le législateur belge préconisait d’entourer la compétence des
juridictions d’instruction de limitations spécifiques. Elles se distinguent ainsi des juridictions
de fond qui, pour leur part, disposent d’un pouvoir illimité, y compris pour les crimes à
l’époque passibles de la peine de mort. Sur le plan matériel, la compétence des juridictions
d’instruction ne portait que sur une catégorie limitée de crimes. Quant à la procédure, la
chambre du conseil et la chambre des mises en accusation (pour la période de 1891-1919),
jadis constituées de trois juges, devaient décider à l’unanimité.167 Leur incombait en outre
d’expliciter les motifs de leur décision en exprimant clairement les circonstances
atténuantes.168 La mise en œuvre de cette dernière condition s’avérait cependant résolument
problématique : étayées par des formules standards — « attendu qu’il existe des
circonstances atténuantes relevant des éléments de la cause » —, leurs décisions faisaient en
pratique fréquemment — et encore à l’heure actuelle — fi des raisons réelles.

Bien que la loi de 1838 fût envisagée, dans l’expectative d’un nouveau Code pénal,
comme provisoire par le législateur, la loi du 15 mai 1849 sur les cours d'assises169 étendait
encore davantage le droit de correctionnaliser des juridictions d’instruction. Issue de la
volonté, fin 19ème siècle, d’individualiser autant que possible la peine, cette loi formalisait ce
que depuis Raymond Saleilles, la doctrine réclamait.170 Elle donnait en outre vocation à la

164
Cass. 9 oct. 1973, Pas. 1974, I, p. 145 et Cass. 2 oct. 2002, Pas. 2002, p. 1822.
165
S.-C. VERSELE, « De la nature des circonstances atténuantes », RSC 1952-53, p. 915-927.
166
Infra, n° 104.
167
G. TIMMERMANS, Commentaire de la loi du 4 octobre 1867 sur l’appréciation des circonstances atténuantes par
les cours et les tribunaux, Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1880, p. 40-44 ; depuis la loi du 25 oct. 1919 (MB 9 nov.
1919, p. 5929), qui instaurait le juge unique en chambre du conseil, cette règle est devenue inapplicable (Cass. 24 nov.
1947, Pas. 1947, I, p. 499 et RDPC 1947-48, p. 384). Il fallut attendre la loi du 1er févr. 1977 pour que cette formalité
soit explicitement supprimée pour la chambre du conseil ; pour la chambre des mises en accusation, v. Cass. 7 avr.
1981, Pas. 1981, I, p. 863 et Cass. 19 janv. 1982, Pas. 1982, I, p. 608.
168
P. BONDUE, « La correctionnalisation des crimes », RDPC 1955, p. 4 et 6.
169
MB 21 juin 1849, p. 1716.
170
« Le code pénal ne considère que des crimes auxquels il faut appliquer une peine abstraite, le jury a devant lui un
homme dont il tenait en mains la vie et l’honneur » (R. SALEILLES, L’individualisation de la peine : étude de
criminalité sociale, Paris, Alcan, 1927, 3ème éd., p. 12).

38
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

lutte contre des acquittements dits ‘scandaleux’ des jurés171. Cette intervention légale
permettait notamment, aux juridictions d’instruction, de correctionnaliser toutes les
infractions incriminées de travaux forcés pour une durée de dix à quinze ans. Qu’elle avait
bien ‘porté ses fruits’ se montre par les chiffres : si, avant 1849, une affaire sur trois se soldait
par un acquittement, seule une affaire sur six172 en bénéficiait après cette date.

La pratique fut ensuite consolidée par la loi du 4 octobre 1867, dite loi sur les
circonstances atténuantes.173 Il s’agit d’une lex specialis également considérée comme
transitoire à l’époque, dans l’attente d’une réforme du Code d’instruction criminelle174
(toujours ineffective à l’heure actuelle). Contrairement à la pratique française, la
correctionnalisation belge constitue donc une véritable institution légale dont le législateur a
fixé le domaine et la procédure. Elle n’est possible que pour les crimes énumérés à l’article 2
de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes. Son importance et sa portée sont
mises en évidence par la succession de lois qui élargissaient la possibilité d’accorder des
circonstances atténuantes, même au-delà du seuil criminel de vingt ans de réclusion.175 La
récente loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises continue sur l’élan
d’élargir cette technique contestable. Réfutant la proposition émise par le Conseil supérieur
de la Justice et approuvée par le Sénat en juillet 2009 de transférer directement au juge
correctionnel, sans l’intervention des juridictions d’instruction ou du parquet, les crimes qui
étaient déjà correctionnalisables en vertu de l’article 2 de la loi de 1867,176 le législateur s’est

171
Infra, n° 245.
172
G. LE CLERCQ, « Violences sexuelles, scandale et ordre public. Le regard du législateur, de la justice et des autres
acteurs sociaux au 19ème siècle », RBHC 1999, p. 16.
173
MB 5 oct. 1867. Cette loi entrait en vigueur au même moment que le Code pénal de 1867, le 15 oct. 1867.
174
Exp. des mot., Pasin. 1867, p. 276.
175
Ainsi, la loi du 23 août 1919 (MB 25-26 août 1919, p. 4146) ouvrait la voie à la correctionnalisation de tous les
crimes passibles d’une peine de réclusion inférieure à quinze ans, ainsi que pour des raisons d’intérêt publique aux
vols avec violences et aux vols qualifiés de quinze à vingt ans. La loi du 14 mai 1937 (MB 17 mai 1937, p. 3226) y
adjoignait les attentats à la pudeur et certains viols ; celle du 19 mars 1956 (MB 26 mars 1956, p. 1998) intégrait
l’incendie criminel. Avec la loi du 1er février 1977 (MB 19 févr. 1977, p. 2004), tout crime pouvait être
correctionnalisé à condition que la peine criminelle maximale imposable n’excède pas vingt ans (v. A. VANDEPLAS,
« Wijziging van de wet op de verzachtende omstandigheden », RW 1976-77, p. 1975-1979). Par les lois du 6 février
1985 (MB 19 févr. 1985, p. 1783), du 11 juill. 1994 (MB 21 juill. 1994, p. 19117), du 13 avril 1995 (MB 25 avr. 1995,
p. 10827), du 28 novembre 2000 (MB 17 mars 2001, p. 8495) et du 23 janvier 2003 (MB 13 mars 2003, p. 12041), le
champ d’application de la correctionnalisation fut davantage étendu, de sorte qu’elle devient possible pour certains
crimes dont la peine légale excède le seuil de vingt ans de réclusion. Il s’agissait notamment : de la prise d'otages
n'ayant causé qu'une incapacité permanente physique ou psychique (a contrario une maladie paraissant incurable, soit
la perte complète de l'usage d'un organe, soit une mutilation grave ; art. 347bis CPB) ; des vols qualifiés visés à l'art.
472 CPB et qui, par application de l'art. 473 du même Code, sont punis de la réclusion de vingt à trente ans si les
violences ou les menaces n'ont eu pour la victime d'autres suites qu'une incapacité permanente physique ou
psychique ; de l’incendie (art. 510 CPB) qui, par application de l'art. 513 al. 2 du même Code, est puni de réclusion
comprise entre vingt et trente ans si le feu a été mis pendant la nuit ; de l'incendie (art. 518 CPB) qui a causé des
blessures à une ou plusieurs personnes ; de la destruction ou le dégât de propriétés mobilières visés par l'art. 530 in
fine CPB et qui, par application de l'art. 531 du même Code, est puni de vingt à trente ans de réclusion si les violences
ou les menaces n'ont pour la victime d'autres suites qu'une incapacité permanente de travail personnel prévue à l'art.
400 du même Code ; des viols punis de réclusion de vingt à trente ans lorsque l’enfant est âgé moins de dix ans (art.
375 in fine CPB).
176
Infra, n° 118.

39
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

contenté de doubler la liste177 de cette disposition et ainsi de consacrer le pouvoir des


juridictions d’instruction et du ministère public. Il en résulte que hormis pour les délits de
presse178 et les délits politiques, la cour d’assises prend désormais uniquement connaissance
des crimes non correctionnalisables — par exemple ceux qui sont punissables d’une réclusion
à perpétuité (tel qu’assassinat, meurtre commis pour faciliter le vol ou l'extorsion), à
l’exception de l’article 347bis § 2, alinéa 2 et § 4 du Code pénal — et ceux qui sont bien
correctionnalisables en vertu du nouvel article 2 de la loi de 1867, mais qui ne sont de facto
pas correctionnalisés. Le nouvel article 216novies du Code d’instruction criminelle dispose
explicitement que « la cour d’assises connaît des crimes, à l’exception des cas où il est fait
application de l’article 2 de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes ».

39. Outre sa graduelle extension, la pratique de correctionnalisation judiciaire fut


progressivement facilitée par le législateur. Ainsi, la loi du 21 juillet 1994 relative aux
tribunaux de police et portant certaines dispositions relatives à l'accélération et à la
modernisation de la justice pénale179, étendit au ministère public la possibilité accordée
jusqu’à lors aux juridictions d’instruction. Depuis cette loi, le parquet peut citer un crime
directement, sans intervention du juge d’instruction, devant le tribunal correctionnel à
condition qu’il existe des circonstances atténuantes et qu’une instruction n'ait pas été
requise.180 Il convient de remarquer qu’une telle dénaturation par le ministère public hormis

177
Outre les crimes déjà correctionnalisables (supra, note 175), la correctionnalisation devient à partir du 1er mai
2010, date de l’entrée en vigueur de l’extension de la liste de l’art. 2 loi de 1867, également possible pour : tentative
de crime puni de la réclusion à perpétuité ; faux témoignage en matière criminelle si l'accusé a été condamné à la
réclusion à perpétuité (art. 216 al. 2 CPB) ; entrave méchante de la circulation ayant entrainée la mort d’une personne
(art. 408 CPB) ; enlèvement d’un mineur ayant causé la mort (art. 428 § 5 et 429 CPB) ; vol avec violences ou
menaces sans l’intention de tuer mais avec la mort comme conséquence (art. 474 CPB) ; vol ou extorsion de matières
nucléaires avec violences ou menaces et des circonstances aggravantes (art. 477sexies CPB).
Ainsi que le remarque Y. Liégeois, la récente réforme n’est pas sans soucis linguistiques. La nouvelle liste dispose
notamment que la tentative de crime ‘punie’ de réclusion à la perpétuité est désormais correctionnalisable. L’accord
au féminin de l’adjectif puni signifie qu’elle concerne la tentative et non le crime. Toutefois, s’il existe quelques
crimes dont la tentative est punie à perpétuité (violations graves du droit humanitaire international), le législateur
n’avait pas l’intention de renvoyer spécifiquement à ces cas pour décharger la cour d’assises. La différence par
rapport au texte néerlandais est en outre injustifiable. La circulaire col n° 6/2010 insiste dès lors sur une loi de
réparation (Circulaire col n° 6/2010 du Collège des procureurs généraux près les cours d’appel du 29 avr. 2010, p. 35
et s.). En septembre 2010, une proposition de loi est à cet égard déposée.
Dans la catégorie des crimes déjà correctionnalisables, la distinction appliquée dans les art. 347bis (prise d’otages) et
472 CPB (vol avec violences ou menaces avec des circonstances aggravantes) entre une incapacité permanente
physique ou psychique (qui était déjà correctionnalisable) et une maladie paraissant incurable, soit la perte complète
de l'usage d'un organe, soit une mutilation grave, soit (pour prise d’otages) la mort (à l’époque non
correctionnalisable) est abrogée. Pour les infractions envisagées aux art. 514bis (incendie pendant la nuit), 532bis
(destruction, dégât de propriétés mobilières d'autrui exécuté à l'aide de violences ou de menaces) et 377bis du CPB
(viol d’un enfant de moins de dix ans), le renvoi vers le tribunal correctionnel devient également possible lorsqu’elles
ont été commises avec la circonstance aggravante de motifs racistes.
Pour l’analyse des critères de cette liste, v. infra, n° 69.
178
Infra, n° 110.
179
MB 21 juill. 1994 (art. 2 al. 3 loi du 4 oct. 1867).
180
Cass. 13 juin 2001, RDPC 2002, p. 104, concl. DU JARDIN. L’absence d’un tel privilège pour la personne lésée ne
constitue pas une violation des art. 10 et 11 de la Constitution (C.C. n° 51/2002, 13 mars 2002, MB 2002, p. 23101 et
T.Strafr. 2003, p. 197).

40
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

le cas d’une instruction judiciaire, n’est pas contraignante pour le juge correctionnel (art. 3 loi
de 1867). A cet égard, l’analogie avec la procédure française est intégrale. Ainsi que nous
l’avons mentionné, la qualification du parquet est également, en France, librement appréciée
par les juridictions de jugement.

Par contre, si la décision de retirer de son juge naturel une infraction légalement
qualifiée comme crime relève d’une ordonnance/arrêt régulier(-ère) des juridictions
d’instruction, le tribunal correctionnel est contraint par cette décision (art. 3 loi de 1867)181.
Si les juridictions d’instruction indiquent qu’il existe des circonstances atténuantes (ou une
cause d’excuse)182 bénéficiant au prévenu et que celles-ci été sont formellement exprimées et
précisées183, le tribunal correctionnel ne peut pas se déclarer incompétent à ce titre. Bien
évidemment l’infraction doit être susceptible de correctionnalisation.184 Dans ces conditions,
la décision de renvoi des juridictions d’instruction a autorité de chose jugée et fixe de façon
définitive la compétence des juridictions de fond.185 A la différence de la dénaturation
intentée par le parquet, le juge correctionnel ne peut pas refuser l’existence de ces
circonstances atténuantes : s’il juge le fait prouvé, il doit impérativement les retenir et ne peut
se prononcer sur le bien-fondé d’avoir érigé tel ou tel fait en circonstance atténuante.186

En vertu de l’article 135 § 1 du Code d’instruction criminelle, issu de la loi du 12


mars 1998187, dite Franchimont I, le ministère public et la partie civile peuvent interjeter
appel de toutes les ordonnances de la chambre du conseil. Cette loi a également modifié le
sort de l’inculpé. Celui-ci ne pouvait traditionnellement pas interjeter un recours contre
181
Cass. 7 juin 1994, Pas. 1994, I, p. 566 et Cass. 21 févr. 2001, Pas. 2001, p. 345. Une requalification demeure
toutefois possible.
182
Cass. 6 févr. 1996, Pas. 1996, I, p. 171 et Cass. 23 juill. 2002, Pas. 2002, p. 1509.
183
Cass. 4 mars 1987, Pas. 1987, I, p. 807 et Cass. 15 juin 1994, Pas. 1994, p. 599 et RDPC 1995, p. 266. Cette
condition est aussi valable pour les juridictions de jugement quand elles souhaitent accorder des circonstances
atténuantes (infra, n° 93). Pour les juridictions d’instruction, l’adoption des motifs du réquisitoire du procureur du Roi
suffirait (Cass. 12 janv. 2000, Arr.Cass. 2000, p. 86 et Cass. 9 janv. 2001, Pas. 2001, p. 49).
184
Cass. 30 sept. 1987, Pas. 1988, I, p. 134. Avant la loi du 25 oct. 1919 (MB 9 nov. 1919, p. 5929) qui instaurait le
juge unique en chambre du conseil, il fallait également mentionner que la décision de dénaturation avait été prise à
l’unanimité.
185
Cass. 21 févr. 2001, Pas. 2001, p. 345.
186
Cass. 2 nov. 1995, RDPC 1996, p. 240. Contrairement aux travaux parlementaires (Doc.parl. Chambre 1949, p.
1016-1017) et un segment particulier de la doctrine (J. LECLERCQ, « Les effets de l’abrogation des lois modificatives
et abrogatoires et la règle de l’unanimité dans la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes », RDPC
1982, p. 938 et R. DECLERCQ, « Oude recepten en nieuw recht. Drie jaar cassatierechtspraak over strafrechtspleging »
in X, Liber Amicorum Marc Châtel, Anvers, Kluwer, 1991, p. 58), la Cour de cassation avait décidé à plusieurs
reprises que la correctionnalisation d'un crime est irrégulière lorsqu’elle est à tort fondée sur l'absence des
condamnations criminelles (Cass. 26 févr. 1986, Pas. 1986, I, p. 805 ; Cass. 26 mai 1998, P&B 1998, p. 300, note H.
VAN BAVEL et Cass. 15 nov. 2006, Pas. 2006, p. 2343 et RDPC 2007, p. 504, note X ; v. également P. ARNOU,
« Onbevoegdheid en foutieve correctionalisatie », (note sous Bruges 19 mai 1998), RW 1998-99, p. 1334). Après une
correctionnalisation régulière par la juridiction d’instruction, le tribunal correctionnel qui requalifie comme délit un
fait initialement qualifié de crime n’est pas obligé de prendre en considération les circonstances atténuantes qui
fondent le renvoi lorsqu’il déclare le fait dont il est saisi établi et sanctionne le fait ainsi requalifié (Cass. 11 mai 1999,
Arr.Cass. 1999, p. 652).
187
Loi du 12 mars 1998 relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction,
MB 2 avr. 1998.

41
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

l’ordonnance de renvoi de la chambre du conseil sauf en cas de rejet de l’exception


d’incompétence (art. 539 CIC)188. A la lumière de la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle, la loi Franchimont I a apporté une réforme importante : une contestation
sera désormais possible en cas d'irrégularités, d'omissions ou de causes de nullité visées à
l'article 131 § 1 du Code d’instruction criminelle ou relatives à l'ordonnance de renvoi et
lorsqu’il s’agit des causes d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action publique (art. 135 § 2
CIC). Toutefois, une contestation de la qualification des faits et donc de la
correctionnalisation n’est pas possible.189 Cela ne constitue ni une violation des articles 10 et
11 de la Constitution, ni du droit à un procès équitable.190 L’article 6 CESDH ne contient pas
le droit de demander le renvoi à la cour d’assises.

En cas d’omission de circonstances atténuantes ou de causes d’excuse dans la citation


du ministère public ou dans l’ordonnance/arrêt de renvoi des juridictions d’instruction, ou
lorsqu’une infraction telle qu’elle est qualifiée dans l’acte de saisine ne relève pas de la
compétence du tribunal correctionnel, le juge correctionnel devait — avant la loi du 8 juin
2008191 — se déclarer de plano incompétent, sans examiner la correspondance entre le fait et
la qualification192 même s’il était convaincu qu’il s’agissait réellement d’un délit.193 Le
renvoi n’était dans ce cas pas régulier.

Après ce contrôle formel, le juge correctionnel devait examiner sa compétence en se


fondant sur la qualification.194 C’est en effet la juridiction de jugement qui est le maître de la
qualification finale à donner aux faits.195 S’il décidait de requalifier le fait, il demeurait
compétent si la nouvelle qualification relève de la compétence du même juge ou d’un juge
inférieur (art. 192 CIC). Lorsque, après une requalification, les faits ne semblaient pas de
nature à être dénaturés parce que réservés à la compétence de la cour d'assises196 ou

188
Cass. 10 févr. 1987, Arr. Cass. 1986-87, p. 774, note R.D.
189
Cass. 21 sept. 1976, Pas. 1977, I, p. 78.
190
C.C. n° 7/2007, 11 janv. 2007, RDPC 2007, p. 850 (R. DECLERCQ, « Verzachtende omstandigheden en
correctionalisatie », T.Strafr. 2009, p. 247-251).
191
Loi du 8 juin 2008 portant des dispositions diverses (II), MB 16 juin 2008, p. 30562. Cette loi est entrée en vigueur
le 26 juin 2008. Elle est inspirée d’un article rédigé par G. STEFFENS, « Le règlement des juges en matière pénale et la
lutte contre l’arriéré judiciaire », JT 2004, p. 613. Pour son impact sur les affaires en cours, v. Cass. 8 oct. 2008,
JLMB 2009, p. 636, note O. MICHIELS et RDPC 2009, p. 88, concl. LOOP ; O. MICHIELS, « Courte réflexion sur
l’application dans le temps de la loi du 8 juin 2008 portant des innovations en matière de correctionnalisation des
crimes et de contraventionnalisation des délits », JLMB 2009, p. 638-641 et G.-F. RANERI, « Du nouveau en matière
de circonstances atténuantes et de règlement de juges », JT 2008, p. 738-740.
192
Cass. 22 août 1995, Pas. 1995, I, p. 736 et RDPC 1996, p. 424 et Cass. 8 sept. 1998, Arr.Cass. 1998, p. 871.
193
Cass. 6 févr. 1967, Pas. 1967, I, p. 690 et Cass. 2 mai 1978, Pas. 1978, I, p. 997.
194
Cass. 8 avr. 1981, Pas. 1981, I, p. 874 ; Cass. 12 mai 1998, Arr.Cass. 1998, p. 536 ; A. VANDEPLAS, « De
correctionalisatie en verzachtende omstandigheden », (note sous Anvers 10 déc. 1993), RW 1993-94, p. 960. Lorsqu’il
retient sa juridiction et omet d’établir une déclaration d’incompétence, il accepte également les circonstances
atténuantes (Cass. 4 avr. 2001, Journ.proc. 2001, n° 414, p. 27, note F. KUTY et Pas. 2001, p. 598, concl. LOOP).
195
A. JACOBS et O. MICHIELS, « Les innovations apportées par la loi du 8 juin 2008 à la correctionnalisation des
crimes et à la contraventionnalisation des délits », JLMB 2008, p. 1415.
196
Cass. 29 sept. 1993, Pas. 1993, I, p. 768.

42
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

incriminés d’une peine excédant le seuil de vingt ans et ne figurant pas dans la liste de
l’article 2 de la loi de 1867197, le juge correctionnel devait, en revanche et en cas de
dénaturation par le ministère public, se déclarer incompétent et renvoyer l’affaire au juge
d’instruction compétent (art. 193 CIC). La déclaration d’incompétence s’avérait également
nécessaire dans d’autres situations : quand, postérieurement à l’ordonnance de renvoi, des
éléments nouveaux étaient de nature à aggraver la peine ou à modifier la qualification des
faits. Le juge de fond demeurait ainsi maître de sa compétence. Il s’agissait, par exemple, de
circonstances dont la chambre du conseil ne pouvait avoir connaissance lors du renvoi.198 Il
était par ailleurs envisageable que celle-ci ait théoriquement pu connaître une circonstance,
sans en avoir de facto pris connaissance.199 Importaient également la situation dans laquelle
les juridictions d’instruction avaient explicitement exclu une qualification plus sévère ou une
circonstance aggravante que les juridictions de fond souhaitent quand même retenir.200 Il
s’agissait finalement, selon une certaine doctrine, de l’exclusion non explicite mais implicite
de certaines qualifications par les juridictions d’instruction201 en dépit de l’amplification
potentielle des déclarations d’incompétence qui pourrait en découler. Avant la loi du 8 juin
2008, la tentative de correctionnaliser pouvait alors échouer pour différentes raisons et ainsi
donner lieu à la procédure de règlement de juges.

40. En particulier, le droit d’annuler l’ordonnance de renvoi de la chambre du conseil


ou l’arrêt de renvoi de la chambre des mises en accusation n’appartient ni au tribunal
correctionnel, ni à la cour d’appel. En cas de conflit entre deux décisions judiciaires —
passées en force de chose jugée, qu'elles soient rendues en première instance ou en degré
d'appel — de nature à entraver le cours de la justice202, il appartient en principe à la Cour de
cassation203 de régler de juges (art. 525 et s. CIC)204. C’est notamment pour alléger cette
procédure qui ralentit souvent inutilement le cours de la justice, que la loi du 8 juin 2008 a

197
Cass. 17 juin 1997, Pas. 1997, I, p. 686. La Cour de cassation n’a parfois pas hésité à appliquer une interprétation
extensive. Elle confirme ainsi la correctionnalisation fondée sur l’art. 520 CPB qui, ne figurant pas comme telle dans
la liste d’art. 2 de la loi du 4 oct. 1867, est étroitement liée aux art. 510 à 519 CPB (Cass. 5 sept. 2000, T.Strafr. 2001,
p. 86).
198
On peut penser au décès de la victime (Cass. 7 mars 1989, Limb.Rechtsl. 1989, p. 121), à une incapacité physique
permanente ou psychique pour laquelle la correctionnalisation n’a pas été utilisée (Cass. 1er juill. 2003, Pas. 2003, p.
1310 et Cass. 6 sept. 2005, T.Strafr. 2006, p. 129, note T. DECAIGNY), à une maladie incurable ou à la perte complète
de l’usage d’un organe ou à une mutilation grave (Cass. 22 mai 1990, Pas. 1990, I, p. 1077 et Cass. 13 déc. 2000, JT
2001, p. 358).
199
Cass. 9 juin 1982, Pas. 1982, I, p. 1166 et Cass. 21 sept. 1983, Arr.Cass. 1983-84, p. 63.
200
Cass. 16 oct. 1939, Pas. 1939, I, p. 418 et Cass. 30 mai 1995, Pas. 1995, I, p. 563.
201
Cass. 17 déc. 1945, Pas. 1945, I, p. 290 ; Cass. 25 nov. 1986, Pas. 1987, I, p. 381 ; R. VERSTRAETEN,
« Contraventionalisatie, correctionalisatie en de bevoegdheid van het vonnisgerecht », (note sous Anvers 21 déc.
1989), RW 1990-91, p. 572, sp. p. 574-575 ; contra Cass. 7 sept. 1994, Pas. 1994, I, p. 693.
202
Cass. 16 déc. 1997, Pas. 1997, I, p. 1460 et Cass. 9 août 2005, Pas. 2005, p. 1512.
203
Dans les cas prévus à l’art. 540 CIC la cour d’appel ou le tribunal de première instance est compétente.
204
Cass. 13 juill. 1998, Arr.Cass. 1998, p. 793 ; Cass. 10 sept. 2002, Pas. 2002, p. 1597 et Cass. 3 mars 2004, Pas.
2004, p. 359. Pour le droit français, v. les art. 659-661 CPP (Crim. 27 avr. 1988, Bull. crim. 185 ; v. aussi Crim. 16
nov. 1960, Bull. crim. 525 et Crim. 6 août 1977, Bull. crim. 276).

43
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

complété les articles 3 et 5 de la loi du 4 octobre 1867. En particulier, le juge correctionnel


(ou la cour d’appel)205 peut quand même retenir sa compétence si, après un renvoi irrégulier
— un renvoi sans mention ou sans précision des circonstances atténuantes ou comportant des
circonstances atténuantes erronées —, il retient lui-même des circonstances atténuantes ou
des causes d’excuses.206 Le tribunal correctionnel pouvant alors toujours statuer sur les
crimes énumérés à l’article 2 de la loi de 1867, la rédaction de l’arrêt de renvoi n’est donc
plus importante. Il en est de même lorsque le juge correctionnel, après une requalification des
faits, constate que ceux-ci relèvent d’un juge supérieur mais retient quand même des
circonstances atténuantes ou des causes d’excuses. Bien évidemment, il faut également dans
ce cas qu’il s’agit bien d’un crime correctionnalisable.

L’avantage indéniable de cette consécration de la correctionnalisation judiciaire par la


loi du 8 juin 2008 consiste en la diminution du recours à la procédure de règlement de juges.
Cette procédure n’intervient désormais que si le juge correctionnel refuse lui-même
d’accorder des circonstances atténuantes ou des causes d’excuse ou lorsqu’il s’agit d’un
crime non correctionnalisable. La catégorie de crimes non correctionnalisables étant
progressivement réduite, dernièrement avec la loi du 21 décembre 2009, l’intervention de la
Cour de cassation pour régler de juges continuera de diminuer à l’avenir. En droit français, la
dénaturation n’étant pas corrélée à l’octroi de circonstances atténuantes, nous rappelons
qu’une déclaration d’incompétence par le juge correctionnel après un renvoi du juge
d’instruction n’est possible, depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, que dans les limites des
articles 186-3 et 469 alinéa 4 du Code de procédure pénale207, ce qui réduit également la
portée de la procédure de règlement de juges.

Remarquablement, le pouvoir du juge correctionnel d’accorder lui-même des


circonstances atténuantes pour retenir sa compétence pour un crime correctionnalisable mais
qui n’a pas ou pas correctement été correctionnalisé, fut également étendu, par la loi du 8 juin
2008 aux cas où celui-ci était saisi par une citation directe émanant du ministère public208
bien que ce conflit ne donne pas lieu à la procédure de règlement de juges. Le législateur
souhaitait notamment aussi éviter le recours à une nouvelle citation ou à une nouvelle
convocation par procès-verbal.209 En cas de crime correctionnalisable et si le juge estime
devoir admettre une circonstance atténuante ou une cause d’excuse, il ne doit pas décliner sa

205
La cour d’appel a une compétence similaire (G.-F. RANERI, « Du nouveau en matière de circonstances atténuantes
et de règlement de juges », JT 2008, p. 737-738).
206
Loi du 8 juin 2008 portant des dispositions diverses (II), MB 16 juin 2008, p. 30562.
207
Supra, n° 37.
208
En revanche, en cas citation de la partie civile du chef d’un crime, le tribunal correctionnel n’a d’autre option que
de se déclarer incompétent, même s’il est convaincu qu’il s’agit réellement d’un délit (G.-F. RANERI, l.c., p. 736).
209
Ibid.

44
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

compétence. Il en résulte qu’une nouvelle citation n’est pas nécessaire. De cette manière, le
législateur confie toutefois au tribunal correctionnel un nouveau pouvoir discutable, celui
d’attribuer lui-même la compétence.210 Dans un souci d’efficacité, de rapidité et
d’économie,211 il assouplit et facilite en outre une pratique discutable, ce qui est dans le
système en vigueur et d’un point de vue pratique une bonne chose puisque cela permet de
déformaliser et ainsi d’optimiser la procédure pénale212 mais en même temps et d’un point de
vue théorique déplorable eu égard à notre sympathie pour un système plus audacieux qui y
met un terme213.

2. Rôle central de l’accusé en droit anglais

41. La justice pénale anglaise, si attachée qu’elle soit à l’institution du jury enracinée
dans la tradition de common law, n’a pas non plus reculé devant une limitation de son
ampleur. Celle-ci s’appuie toutefois sur des expédients (à première vue) radicalement
différents de ceux avancés en droit continental. Contrairement au systèmes français et belge,
l’accusé semble jouer un rôle décisif dans le système anglais où il occupe une place centrale
dans la décision de répartition des affaires triable either way pour lesquelles il bénéficie d’un
right to a jury trial.214 Ainsi, il se distinguerait clairement de son compagnon d’infortune
français, qui certes doit se déclarer d’accord avec la correctionnalisation, mais dont le
consentement prend plutôt la forme d’une absence d’opposition et reste dès lors occulte, et de
son homologue belge qui n’a une influence sur le sort procédural de son affaire que par le
biais d’appel contre un renvoi au tribunal correctionnel (art. 135 § 2 et 539 CIC) ou de
pourvoi en cassation contre l’arrêt de renvoi à la cour d’assises (nouveaux art. 251-252
CIC)215. Une contestation de la qualification ne tombe pourtant pas sous le coup d’un recours.

Deux autres manifestations témoignent explicitement de la place accordée à l’accusé


par la justice pénale anglaise : d’une part, la faculté qu’a ce dernier — coupable ou innocent
— d’assumer, préalablement et quelle que soit l’infraction, sa culpabilité. Il s’agit du système
notoire — et souvent dénigré — de guilty plea (plaider coupable) ; d’autre part, la volonté
d’offrir à la personne mise en cause l’opportunité de renoncer au procès devant le jury et
d’exiger ainsi directement un procès devant un juge professionnel. Il s’agit de la pratique de

210
A. JACOBS et O. MICHIELS, l.c., p. 1418.
211
Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-612/1 et Doc.parl. Chambre 2007-08, n° 52 1013/001, p. 11.
212
G.-F. RANERI, l.c., p. 740.
213
Infra, n° 119.
214
Infra, n° 99. Ainsi que nous le verrons ultérieurement, la portée réelle de ce privilège de choix de juridiction
s’avère plutôt faible, ce qui relativise la place réelle du prévenu en droit anglais.
215
Ce pourvoi en cassation, supprimé par la loi du 12 mars 1998 (MB 2 avr. 1998, p. 10027) mais réinstauré par celle
du 30 juin 2000 (MB 17 mars 2001), peut directement être formé contre l’arrêt de renvoi, mais uniquement sur les
fondements prévus par l’art. 416 al. 2 CIC ainsi que sur ceux déterminés par l’art. 252 CIC (ancien art. 292bis CIC),
par exemple si le fait n'est pas qualifié de crime par la loi.

45
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

jury waiver qui, à l’extérieur du Royaume-Uni, est aussi répandue dans le monde anglo-
saxon que l’institution du jury. Ces deux options, qui s’évaluent sous différents angles
d’approches, seront détaillées ci-dessous. Nous verrons qu’elles participent, de manière non
négligeable, à l’érosion de la justice populaire.

a) Pratique de guilty plea

42. La pratique du plaider coupable, qui trouve sa mise en œuvre intégrale aux Etats-
216
Unis afin de régulariser les flots judiciaires, s’épanouit de manière croissante en droit
anglais. Après avoir été méconnue217 pour cause d’hostilité envers la culture américaine de
plea bargaining — qui aboutit à des négociations privées dans une matière d’ordre public et,
en ne se concentrant que sur la peine, présume la culpabilité218 —, elle s’est glissée presque
tacitement dans les usages anglais par la jurisprudence. Prétendre que le plea bargaining ne
revêtirait aucun rôle en droit anglais serait erroné : « A rose is a rose by any other name :
judicial plea bargaining is alive, well and living in the English courts ».219

43. Avant d’aborder son origine jurisprudentielle et son institutionnalisation légale, il


convient de définir et de situer cette procédure dans le cours du procès. Le guilty plea peut
être défini comme « un accord informel que l’accusé reconnaîtra sa culpabilité d’une
accusation particulière en échange de la promesse qu’il ne sera pas poursuivi pour une
infraction plus grave, ou quand il est déjà accusé d’une infraction plus sérieuse que son
plaider non-coupable sera accepté, ou simplement qu’il recevra une peine moins sévère que
celle encourue lorsqu’il contesterait l’affaire ».220 Lorsqu’il s’agit d’une indictable offence
— pour lesquelles il n’y a pas de droit mais l’obligation d’un jury trial221 —, la
reconnaissance du bien-fondé des inculpations soustrait l’accusé au verdict des jurés, sa peine
étant directement déterminée par le juge professionnel de la Crown Court. Le Prosecutor est
dans ce cas dispensé de prouver les accusations devant un tribunal impartial. Il n’informe le
juge que sur le plan des antécédents judiciaires de l’accusé ; les témoins ne sont pas contre-
interrogés. En cas d’infraction intermédiaire, un plaider coupable prive la personne mise en

216
C. DAVIS, « Sentences for Sale : a New Look at Plea Bargaining in England and America », Crim. L.R. 1971, p.
225.
217
Certaines tentatives visèrent même l’interdiction de la publication de l’ouvrage Fegotiated justice de J. Baldwin et
M.J. McConville (J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, « Plea Bargaining and the Research Dilemma », Law & Pol’y Q.
1979, p. 223-233).
218
Atkinson [1977] Crim. L.R. 238 et Dosetter [1998] Crim. L.R. 16.
219
« Il faut appeler un chat un chat : le plaider coupable judiciaire existe bel et bien dans les cours anglaises » (Ph.A.
THOMAS, « Plea bargaining in England », J. Crim. L. & Criminology 1978, p. 178 ; trad. pers.). Cela n’empêche pas
qu’on préfère éviter ce terme (v. par rapport à la Plea Fegotiation Framework for Fraud Cases, N. VAMOS, « Please
don’t call it “Plea Bargaining” », Crim. L.R. 2010, p. 617-630).
220
J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, Fegotiated Justice : Pressures to Plead Guilty, Londres, Robertson, 1977, p. 15,
note 2 (trad. pers.).
221
Infra, n° 99.

46
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

cause de son droit à être jugé par ses ‘pairs’. Dépendant du moment de son plea, l’affaire est
traitée soit devant la magistrates’ court, soit devant le juge professionnel de la Crown Court
sans jury. La culpabilité est automatiquement retenue (s. 9 (3) MCA 1980), sans discussion
sur la preuve ni contrôle de l’aveu.

Les tentatives de définition de la pratique de guilty plea démontrent clairement qu’il


s’agit d’un concept hétérogène recouvrant plusieurs significations. Outre la sentence
bargaining, une pratique qui pourrait être légitime, il existe également des procédés moins
orthodoxes : la charge et la fact bargaining. Dans le cas de la sentence bargaining, la peine
est négociée : l’accusé cède son droit à un jury et renonce à un acquittement potentiel en
contrepartie d’une minoration de peine ou d’une telle promesse.222 Ce type de plaider
coupable reste sans incidence sur les faits ou inculpations qui sont présentés dès lors d’une
manière conforme à la vérité. La charge bargaining relève, au contraire, de la discrétion de la
Prosecution223 qui négocie à cet égard avec le conseiller de la personne mise en cause. En
droit anglais, l’accusation ne dispose d’aucun veto lorsque la magistrates’ court décide de
traiter une affaire triable either way de manière sommaire, ou lorsque l’accusé opte pour un
procès devant le jury224. Il peut toutefois appliquer plusieurs techniques afin d’influer
directement l’attribution des affaires et ainsi la peine, à l’instar de la correctionnalisation à la
française. Le Prosecutor peut ainsi passer sous silence une ou plusieurs inculpations, ou
désavouer l’accusation la plus sévère. La jurisprudence de la Court of Appeal225 témoigne de
plusieurs exemples en la matière. Le Prosecutor peut également faire tomber l’inculpation
afin d’éviter le jugement populaire226 ; ou en revanche refuser le plaider coupable à une
inculpation moins grave et insister à un procès devant la Crown Court pour l’inculpation la

222
Plusieurs études révèlent en effet que le jury est souvent perçu comme plus indulgent et pitoyable que les
magistrats (C. HEDDERMAN et D. MOXON, Magistrates’ Court or Crown Court? Mode of Trial Decisions and
Sentencing, Home Office Research study n° 125, Londres, HMSO, 1992, p. 20). J. Vennard démontra que, concernant
les affaires contestées, les chances d’acquittement s’élèvent à 57% dans la Crown Court et 30% dans la magistrates’
court (J. VENNARD, « The Outcome of Contested Cases » in D. MOXON, Managing Criminal Justice, Londres,
HMSO, 1985, p. 31). Les statistiques témoignent également du taux élevé d’acquittements par la Crown Court : en
2008, 60% de ceux qui plaidaient non-coupables furent acquittés (Judicial and Court Statistics 2008, Londres, The
Stationery Office, 2009, p. 89). D’autres raisons pour préférer le trial by jury relèvent entre autres de l’obligation
accrue de disclosure entre l’accusation et la défense, de l’opposition plus facile aux preuves inadmissibles, du
traitement plus approfondi de l’affaire, de la méfiance souvent éprouvée à l’égard de magistrats soupçonnés de
soutenir la version policière, ainsi que de la plus-value en terme de jury equity (infra, n° 92) ; v. D. RILEY et J.
VENNARD, Triable-Either-Way Cases : Crown Court or Magistrates’ Court?, Home Office Research Study n° 98,
Londres, HMSO, 1988, p. 16-18.
223
Contrairement à notre procureur général qui relève du corps judiciaire, la partie poursuivante anglaise — le
Prosecutor — est un avocat.
224
Infra, n° 99.
225
Llewellyn [1978] 67 Cr. App. R. 149 ; Herbert [1991] 94 Cr. App. R. 230 et Grafton [1993] Q.B. 101 ; contra
Soanes [1948] 32 Cr. App. R. 136 et Coe [1969] 53 Cr. App. R. 66, dans lesquelles la cour d’appel exige quand même
que les accusations correspondent aux faits et s’oppose ainsi au « re-labelling ».
226
Canterbury and St. Augustine Justices ex p Klisiak [1982] Q.B. 398.

47
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

plus sévère.227 Un tel type de plaider coupable est donc amplement susceptible d’abus. En
pratique, il arrive même que l’on accuse plus sévèrement afin d’obtenir un plaider coupable
au moins pour certaines inculpations, ce qui ne peut bien évidemment être approuvé. Ce grief
touche davantage encore la fact bargaining, dont l’affaire Beswick de 1996228 offre une
illustration patente. En cas de négociation des faits, la partie poursuivante accepte de
présenter une version particulière des faits en échange d’une reconnaissance préalable de
culpabilité, de sorte que la véracité des faits est détournée. Il s’agit par exemple, à l’instar de
la pratique prétorienne de disqualification française, de la promesse faite par le Prosecutor de
ne pas faire mention de certaines circonstances aggravantes. Bien que ce type de plaider
coupable soit moins fréquent, l’affaire Beswick ne constitue pas un cas isolé.229 Le rôle de
l’accusation semble donc plus décisif que préconisé.

44. Conduisant au même résultat, en l’occurrence celui d’une peine inférieure à celle
normalement encourue230, chacune de ces formes de plaider coupable constitue finalement
une sentence bargaining. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné il n’y eut, pendant
longtemps, ni formalisation officielle du plaider coupable, ni cadre juridique précis en
Angleterre.231 Les ‘règles du jeu’, surtout distillées par des décisions émanant de la Court of
appeal sont, comme beaucoup d’autres concepts juridiques anglais, d’origine
jurisprudentielle. L’une des règles présentée comme véritable conditio sine qua non d’un
plaider coupable valable, concerne la volonté de l’accusé d’entrer dans cette voie alternative.
L’accusé doit toujours être libre de plaider coupable ou non-coupable.232 Son choix doit être
explicite et volontaire. Il en résulte que la décision est nulle quand l’accusé qui plaide
coupable n’était pas en mesure de prendre une décision volontaire et délibérée.233 En cas de
co-accusés, chacun conserve le droit de choisir le procès devant un jury, ce droit étant de

227
Ceci pourrait néanmoins résulter dans un acquittement, lorsque les douze jurés jugent le prévenu effectivement
coupable de la moindre accusation, qui n’avait pas été retenue (Hazeltine [1967] 2 Q.B. 857) ; v. aussi l’affaire Lee
[1985] Crim. L.R. 798.
228
Beswick [1996] 1 Cr. App. R. (S) 343.
229
V. par exemple Attorney General's Reference n° 44 of 2000 (Peverett) [2001] 1 Cr. App. R. 416.
230
C. DAVIS, l.c., p. 151.
231
Cette différence avec les Etats-Unis s’explique sans doute par la plus grande discrétion et flexibilité du juge
anglais. Par rapport à son pendant américain il exerce un rôle de contrôle judiciaire accru. Aux Etats-Unis en
revanche, la discrétion appartient plutôt à l’accusation. Le contrôle du juge est généralement minimal. Aux Etats-Unis
existe en outre davantage de peines planchers de sorte que le besoin de tempérer la sévérité de la loi s’y fait plus sentir
qu’au Royaume-Uni (J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, « Conviction by Consent : A Study of Plea Bargaining and
Inducements to Plead Guilty in England », Anglo-Am. L. Rev. 1978, p. 272-273 et J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE,
« Plea Bargaining and Plea Negotiation in England », LSR 1978-79, p. 288-28).
232
Herbert [1991] 94 Cr. App. R. 230 et Fazham & Fazham [2004] EWCA Crim 491.
233
Afin d’éviter des malentendus, l’accusé est censé plaider personnellement, c’est-à-dire sans représentation (Ellis
[1973] 57 Cr. App. R. 571). Dans des circonstances exceptionnelles, une représentation est bien possible, par exemple
lorsque l’accusé est sourd ou muet ; parfois la nullité résulte non de la pression exercée par le juge ou la défense, mais
de l’accusé lui-même. Celui-ci perd par exemple la liberté de choix en raison de l’influence de stupéfiants (Swain
[1986] Crim. L.R. 480).

48
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

nature essentiellement individuelle.234 Cette exigence d’individualité s’applique également en


cas de pluralité d’inculpations, le plaider intervenant alors séparément et de manière distincte
pour chaque charge.235

La question se pose toutefois de savoir si on est effectivement libre de plaider


coupable ou non-coupable. Une personne suspectée n’est-elle pas plutôt confrontée à une
justice accélérée, productive, et soucieuse de boucler le plus d’affaires possible ? En outre, ne
convient-il pas de se méfier des avocats ainsi que du juge ? Ces acteurs ‘spécialistes’
pourraient en effet être tentés, par des motifs justifiables — quête d’une justice prompte et
efficace —, ou illicites — tel que l’intérêt financier personnel236 —, d’exercer une pression
inappropriée. Le risque d’injustices réelles et apparentes, notamment pour des innocents,
n’est pas chimérique237. En effet, bien que la justice doive être rendue en public, et qu’une
discussion privée entre le juge et la défense puisse uniquement avoir lieu dans des
circonstances exceptionnelles238, les ‘négociations’ sont en réalité beaucoup plus fréquentes,
ce qui conforte l’impression d’une justice faite dans les coulisses239.

45. Afin d’entourer ces pratiques de garanties, la jurisprudence avait établi, dans le
célèbre arrêt Turner de 1970, des conditions strictes.240 Celles-ci se focalisaient en particulier
sur les deux protagonistes d’une sentence bargaining qui sont susceptibles d’entamer la
liberté de choix de la personne mise en cause : le juge et son propre conseiller. Afin d’éviter
toute forme de pression, le juge ne peut, en vertu de cette jurisprudence, donner aucune
indication sur la teneur précise de la peine qu’il envisage, ni garantir une réduction de celle-
ci.241 Il peut uniquement indiquer le type de peine — privative de liberté, amende, travail
d’intérêt général —, indépendant de la reconnaissance de culpabilité ou non de l’accusé.
Déclarer que, s’il plaide coupable, l’accusé bénéficiera d’une peine moindre que celle
encourue en cas de condamnation était alors fortement interdit. L’avocat a, pour sa part, le
devoir de donner le meilleur avis possible, si nécessaire en termes forts. Il peut informer son

234
Un renvoi à la Crown Court nécessite le consentement de chacun des co-defendants (Chief Constable of Forfolk v
Clayton [1983] 77 Cr. App. R. 24). Il en résulte que la distinction entre celui qui plaide coupable et en faveur duquel
une réduction de peine est prononcée, et celui qui est condamné après un procès, est justifiée (Hollyman [1979] Crim.
L.R. 60). Existent pourtant aussi des cas où l’(ancienne) House of Lords envoya les trois co-defendants devant un jury
contre leur gré, l’un d’entre eux ayant opté pour un jury (Brentwood justices ex p Ficholls [1991] 1 A.C. 1).
235
Boyle [1954] 38 Cr. App. R. 111.
236
Les conseillers ne seraient pas insensibles aux rémunérations prévues par l’Etat, celles-ci étant susceptibles de les
inciter à préférer un plaider coupable à la dernière minute à un aveu in limine litis ou à un procès contesté (A.
SANDERS et R. YOUNG, Criminal Justice, Oxford, Oxford University Press, 2007, 3ème éd., p. 397 et 399).
237
Infra, n° 90.
238
Pensons à la situation où le client souffre d’une maladie incurable terminale sans le savoir (Coward [1979] 70 Cr.
App. R. 70). V. également Grice [1977] 66 Cr. App. R. 167 ; Atkinson [1977] Crim. L.R. 238 et Dosetter [1998]
Crim. L.R. 16.
239
Pour d’autres critiques, infra, n° 78.
240
Turner [1970] 54 Cr. App. R. 352, 360.
241
Ryan [1977] 67 Cr. App. R. 177.

49
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

client qu’à l’issue d’un plaider coupable, la réponse pénale sera probablement moins sévère
que celle encourue après une condamnation au procès. Mais en esquissant les pros et cons des
deux options, il doit bien veiller à ne pas exercer une pression inadéquate. Il est censé insister
pour faire comprendre à son client qu’il ne doit entrer dans cette voie alternative que s’il est
réellement coupable des faits constituant l’accusation.

En dépit de ces règles qui témoignent de l’enracinement de cette pratique sur le sol
anglais, il reste à savoir de quelle manière une personne qui méconnaît le jeu juridique
préserve son autonomie sans se conformer à l’avis d’un ‘expert’. Il existe en effet plusieurs
exemples de pression démesurée242. Ne garantissant pas de protection suffisante, l’affaire
Turner ne fut que rarement suivie en pratique.243 Graduellement adoucie, la jurisprudence
amorçait ainsi la formalisation d’une pratique précipitant progressivement l’institution du
jury dans l’ombre.244 Cette formalisation fut d’ailleurs favorisée par le pourcentage élevé et
onéreux du phénomène appelé cracked trials ou procès timbrés. Il est question d’un procès
timbré lorsque la personne suspectée renonce à son plea d’innocence à la porte de la cour
d’assises après le déclenchement de la procédure et à l’issue de toutes les étapes de la
répartition des affaires.245 Les raisons sous-jacentes à cette pratique sont multiples.246 Il peut
s’agir d’une stratégie mise en œuvre par l’accusé qui attend le procès pour savoir si le témoin
principal se présente247 ou pour connaître le juge qui présidera son affaire. De telles
spéculations pourraient donner l’image d’un accusé qui manipule ou se joue du système. De
manière moins stratégique, l’accusé pourrait également retarder son plaider coupable pour
n’avoir pas encore bénéficié de conseil légal ou de disclosure suffisante des preuves. Quel
qu’en soit les motifs, les inconvénients inhérents à ce type de pratique sont graves : elle cause
non seulement une perte du temps, une déperdition financière, une monopolisation des
ressources humaines et un engorgement des prisons par les détentions préventives, mais
également un stress et angoisse inutile au chef des victimes et des témoins ainsi
qu’augmentation croissante des délais pour ceux qui souhaitent réellement contester leur
affaire.

242
J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, Fegotiated Justice : pressures to plead guilty, o.c., p. 39-58 ; contra S. McCABE
et R. PURVES, By-passing the Jury : A Study of Changes of Plea and Directed Acquittals in Higher Courts, Oxford,
Basil Blackwell, 1972, p. 26-27.
243
Pitman [1991] 1 All E.R. 468 et Bargery [2004] EWCA Crim 816.
244
90% des avocats et 2/3 des juges entendus se disaient favorables à un assouplissement des règles établies dans la
décision Turner (P. DARBYSHIRE, « The Mischief of Plea Bargaining and Sentencing Rewards », Crim. L.R. 2000, p.
900). Le même résultat découle de l’étude de M. ZANDER et P. HENDERSON : 67% des juges et presque 90% des
avocats souhaiteraient qu’une réforme autorise des discussions plus réelles (M. ZANDER et P. HENDERSON, Crown
Court Study, Royal Commission on Criminal Justice Research Study n° 19, Londres, HMSO, 1993, p. 145).
245
V. à cet égard P. ROBERTSHAW, « Cracked trials – What is Happening ? », Crim. L.R. 1992, p. 867-871.
246
S. CHOONGH, Review of Delay in the Criminal Justice System, Research series n° 2/97, Londres, Lord Chancellor's
Department, 1997, p. 8.
247
« En l’absence du témoin principal, pas de condamnation » (A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 428-429).

50
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

46. Le volume alarmant248 de tels cracked trials et, de manière plus générale, des
défaillances de la procédure devant la Crown Court249, ont contribué à l’institutionnalisation
d’une pratique jurisprudentielle. Contrairement à la philosophie de Turner visant à
l’évitement de la pression, plusieurs biais furent mis en œuvre pour inciter fortement l’accusé
— coupable ou innocent — à céder son droit à un jury, de préférence aussi rapidement que
possible.250 La voie actuelle consiste à offrir aux defendants de nombreux ‘bonus’
(sweeteners). Un premier exemple constitue le revirement de la jurisprudence établie dans
l’affaire Turner, dans l’affaire Goodyear de 2005. Depuis cette décision, le juge peut, à la
demande de l’accusé, indiquer le type et la durée maximale de la peine encourue lorsque
celui-ci assume préalablement sa culpabilité.251 Afin de garantir le bon déroulement de cette
procédure, la cour d’appel édicta plusieurs conditions destinées à relativiser l’impact attendu
de cette procédure. En particulier, la procédure peut seulement s’appliquer en audition
publique lorsque l’accusé sollicite l’indication par écrit.252 De cette manière, elle veut mettre
un terme aux discussions privées et légalise la justice négociée tout en ôtant à Turner toute
autorité.253 La jurisprudence de Goodyear n’a pas aussitôt fait école ; c’est ce que démontre
l’affaire Attorney General’s reference n° 80 de 2005.254

47. Antérieurement à la décision Goodyear, schedule 3 du Criminal Justice Act de


2003, partiellement entrée en vigueur en avril 2005, disposait déjà, pour les affaires triable
either way, que le prévenu peut solliciter une indication de la peine probablement encourue
s’il plaide coupable, notamment en ce qui concerne sa nature privative ou non de liberté. Le

248
M. ZANDER et P. HENDERSON, o.c., p. 241 : 26% de 65% des affaires originellement attribuées au jury relèvent
d’un changement tardif du plaider ; en 2004 il y avait 18.419 cracked trials (DEPARTMENT FOR CONSTITUTIONAL
AFFAIRS, Judicial Statistics - Annual Report 2004, 2005, Cm 6565, p. 88-89).
249
Infra, n° 56.
250
V. la proposition de J.K. Bredar relative à l’avancement de « la minute de vérité » (day of reckoning) afin que le
changement de plea ne puisse plus avoir lieu le jour même du procès, mais au moins sept ou dix jours avant (J.K.
BREDAR, « Moving Up the Day of Reckoning : Strategies for Attacking the Cracked Trials Problem », Crim. L.R.
1992, p. 155 et s.).
251
Goodyear [2005] Crim. L.R 659, reformulée dans l’affaire Seddon [2008] 2 Cr. App. R. (S) 174.
252
Le juge n’est en aucun cas tenu de donner une telle indication et ne doit pas opérer de distinction entre les
différents scénarios possibles, selon que l’accusé plaide coupable ou non-coupable, ou plaiderait coupable (P.W.
TAGUE, « Tactical Reasons for Recommending Trials rather than Guilty Pleas in Crown Court », Crim. L.R. 2006, p.
32). Le juge peut également suspendre son intervention jusqu’au dépôt du pre-sentence report. Quand il refuse de
donner une indication, il n’est pas censé motiver sa décision. Concernant l’avocat, il doit veiller à ce que son client ne
plaide coupable que s’il l’est réellement. Il doit également l’informer que l’Attorney General peut toujours instaurer
un appel contre une peine qui lui semble excessivement indulgente (unduly lenient) et que l’indication arrête de
produire son effet quand il plaide non-coupable (Patel [2009] EWCA Crim 1161). L’accusation doit veiller à ce que
le juge dispose de toutes les preuves pertinentes. Lorsqu’une indication est donnée, elle doit être communiquée à
toutes les parties concernées afin de ne pas déroger au caractère public et transparent de la justice (R. POWELL,
« Sentencing Procedure in the Crown Court », Mags CP 2005, 9.5(6)).
253
J. MORTON, « Opinion Pleas Please Me », J.Crim.L. 2005, p. 8-10. Depuis lors, on parle d’une « Goodyear
indication » ; v. par exemple Grealish et autres [2006] EWCA Crim 1095.
254
Attorney General’s Reference n° 80 [2005] EWCA Crim 3367. Dans cette décision, le juge a donné une indication
de la peine en violation des règles de Goodyear. Il n’a pas donné une indication à la demande de l’accusé ; il ne l’a
pas donné en public et il a bien énoncé qu’après un plaider non coupable et une condamnation au procès, la peine sera
largement plus sévère.

51
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

magistrat maintient la discrétion de donner une telle indication ou pas255 mais, s’il accepte
d’en donner une, et que la personne mise en cause décide alors de plaider coupable, le juge et
les juges ultérieurs, sont en principe liés par cette indication.256 A contrario, pour respecter la
liberté de l’accusé, l’indication n’a pas d’incidence en cas de plaider non-coupable.

48. La prévision de « rabais sur la peine »257 constitue ensuite une tentative
essentielle pour persuader les personnes poursuivies de se lancer sur la voie alternative du
plaider coupable. Quand un accusé évite le procès, il faut lui en récompenser en lui offrant
une réduction de la peine normalement encourue après condamnation. Le taux exact de la
réduction n’étant pas fixé légalement, cette absence de transparence est susceptible d’induire
des inégalités arbitraires258. Afin de formaliser et d’institutionnaliser le système, section 48
du Criminal Justice and Public Order Act (ci-après CJPOA), modifiée par section 144 (1)
CJA 2003 force les juges à prendre en considération l'étape de la procédure à laquelle le
contrevenant a fait part de son intention de plaider coupable, ainsi que les circonstances dans
lesquelles il l’a donnée. Lorsqu’il accorde une peine moins sévère que celle normalement
encourue, il doit, en vertu de la s. 174 (2) (d) CJA 20003, clairement l’énoncer. Si le juge
n’est pas contraint de réduire la peine, la cour d’appel l’y incite quand même vivement.259

Premiers pas louables vers un accroissement des garanties, ces dispositions


demeuraient cependant lettres mortes en pratique, leur mise en œuvre s’avérant
singulièrement complexe.260 Nombre de juges peinent en effet à donner des explications ou
ne statuent pas. En outre, les dispositions légales taisent le taux concret et les conditions de la
réduction. Reste dès lors la jurisprudence abondante et parfois divergente de la chambre
criminelle de la cour d’appel. En décidant, à plusieurs reprises et en termes clairs, qu’une
reconnaissance de culpabilité devait être traitée comme une circonstance atténuante261, cette

255
Une telle proposition était déjà avancée par la Royal Commission on Criminal Justice dans sa lutte contre les
cracked trials. Il s’agit plus particulièrement du système de réduction graduelle de la peine (sentence canvass).
Conformément à cette proposition, le juge dispose de la faculté d’indiquer le maximum de la réduction. Pour une
discussion, v. A. ASHWORTH, « The Royal Commission on Criminal Justice : part 3 : Plea, Venue and
Discontinuance », Crim. L.R. 1993, p. 830.
256
McDonald [2007] Crim. L.R. 737, comm. D. THOMAS. Sauf en cas de s. 3A PCCA 2000 (infra, n° 124) ; il faut
remarquer à cet égard que l’indication doit plutôt être considérée comme une sorte de plafond. Une mitigation
inférieure à cette indication demeure dès lors toujours possible (R. POWELL, « Sentencing Procedure in the Crown
Court », l.c.).
257
C. SAAS, « De la composition pénale au plaider-coupable : le pouvoir de sanction du procureur », RSC 2004, p.
839.
258
Infra, n° 71.
259
Hussain [2002] Crim. L.R. 327, comm. D.A. THOMAS et March [2002] Crim. L.R. 509.
260
R. HENHAM, « Bargain Justice or Justice Denied ? Sentence Discounts and the Criminal Process », M.L.R. 1999, p.
525-528 et R. HENHAM, « Truth in Plea Bargaining : Anglo-American Approaches to the Use of Guilty Plea Decisions
at the Sentence Stage », Anglo-Am. L.Rev. 2000, p. 10-15 ; pour d’autres critiques, v. A. ASHWORTH, « The Roles of
Legislature and Judiciary in English Sentencing » in S. DORAN et J. JACKSON, The Judicial Role in Criminal
Proceedings, Oxford-Portland Oregon, Hart Publishing, 2000, p. 300.
261
De Haan [1968] 2 Q.B. 108 et Skilton & Blackham [1982] Crim. L.R. 123 (infra, n° 79). Inversement le plaider
non-coupable ne peut pas constituer une circonstance aggravante (A. ASHWORTH, Sentencing and Criminal Justice,

52
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

chambre énonça des directives spécifiques permettant d’assister et de diriger le juge dans sa
tâche de punir.

Dans l’affaire Buffrey de 1993262, la cour d’appel décida que la récompense maximale
pouvait être une réduction d’un tiers de la peine normalement encourue, les accusés plaidant
d’emblée coupable pouvant par ailleurs bénéficier d’une plus grande réduction que ceux qui
changent leur plea last-minute.263 Dans une optique similaire, les accusés qui changent leur
plea à la dernière minute méritent une peine moindre que ceux qui sont condamnés à l’issue
d’un procès.264 Pour obtenir une réduction maximale, il importe donc de reconnaître sa
culpabilité le plus tôt possible. Une combinaison d’une charge bargaining, fact bargaining et
sentence bargaining résulte en une réduction massive pour l’accusé.265 Cette règle ne revêt
toutefois pas un caractère absolu : doivent également être pris en compte, tout en jugeant au
cas par cas, les mérites et les circonstances de chaque affaire. La tâche relève donc
essentiellement d’un exercice subjectif qu’il convient d’adapter, au gré de chaque affaire
individuelle.266 A cet égard, une ‘réduction’ de peine pourrait également consister à commuer
l’incarcération en peine non privative de liberté telle qu’une amende ou un travail d’intérêt
général (community service)267, celle-ci épargnant à l’accusé l’épreuve carcérale. La
jurisprudence a par ailleurs jugé pertinent d’accorder, dans certains cas, un crédit au-delà de
la réduction ‘routinière’, encourageant ainsi davantage la voie alternative268, notamment en
cas de coopération avec la partie poursuivante. Il peut s’agir d’un accusé introuvable qui se
livre à la police après trois ans269, ou qui fournit des informations précieuses sur d’autres

Londres, Butterworths, 2000, p. 134). La pratique américaine de trial tax ou trial penalty, qui permet de punir celui
qui ‘ose’ exercer son droit de plaider non-coupable en lui infligeant une peine supérieure au seuil fixé par la gravité de
l’infraction est interdite en droit anglais (R. HENHAM, « Truth in Plea Bargaining : Anglo-American Approaches to
the Use of Guilty Plea Decisions at the Sentence Stage », l.c., p. 5-6). Il ne peut pas y avoir de sanction à l’encontre de
celui qui exerce son droit à un jury. Compte tenu de la réduction de peine lorsque l’accusé reconnaît effectivement le
bien fondé des inculpations portées à son encontre, le fait de plaider non-coupable a quand même son prix.
262
Buffrey [1993] Crim. L.R. 319 ; dans Okee & West [1998] Cr. App. R. 199 une réduction de 10% est considérée
suffisante pour un plaider coupable tardif.
263
V. également Hollington & Emmens [1985] 7 Cr. App. R. (S) 364 et Rafferty [1998] Crim. L.R. 433, comm. X.
L’audition par la police pourrait constituer la première occasion à condition que l’accusé est suffisamment informé
des accusations.
264
C. FLOOD-PAGE et A. MACKIE, Sentencing Practice : An Examination of Decisions in Magistrates’ Court and the
Crown Court in the Mid-1990’s, Home Office Research Study n° 180, Londres, Home Office, 1998,
www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs/hors180.pdf, p. 91-92.
265
Attorney General's Reference n° 44 of 2000 (Peverett) [2001] 1 Cr. App. R. 416. Dans cette affaire d’attentat à la
pudeur sur onze élèves, sept accusations n’ont, grâce à une charge bargaining, pas été poursuivie. Pour les autres
inculpations, les faits ont été présentés de sorte qu’ils ne présentaient pas une connotation sexuelle. Finalement, le
juge indiquait n’infliger, à la demande de l’accusé et en cas de sa reconnaissance de culpabilité, qu’une peine
suspendue.
266
Buffrey [1993] Crim. L.R. 319. Si le juge accorde une réduction insuffisante pour le plaider coupable, un appel est
possible (McKeown [2004] EWCA Crim 461, cité par A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 388).
267
Okinikan [1993] 14 Cr. App. R. (S) 453 et Howells [1998] Crim. L.R. 836.
268
Lowe [1977] 66 Cr. App. R. 122 et Hoult [1990] Crim. L.R. 664 ; la même question est également posée dans les
affaires Sivan [1988] 10 Cr. App. R. (S) 282 ; Buffrey [1993] Crim. L.R. 319 et Sehitoglu & Ozakan [1998] 1 Cr. App.
R. (S) 89.
269
Hoult [1990] Crim. L.R. 664 et Claydon [1994] 15 Cr. App. R. 526.

53
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

infractions270. Afin d’éviter des abus, il convient de considérer la nature et la valeur de


l’information, le degré de volonté de la donner, ainsi que le risque encouru pour soi et pour
ses proches. Même si l’aide apportée ne minore pas le caractère sérieux de l’infraction dont
ils sont accusés, désapprobateurs Andrew Sanders et Richard Young se demandent pourquoi
la cour d’appel ne dote les ‘clients’ réguliers de la justice criminelle pas de ‘cartes de
fidélités’.271

La cour d’appel a même osé aller plus loin, en récompensant ceux qui étaient
traditionnellement exclus de ce privilège. En effet, contrairement à la règle générale de
réduction de la peine en échange d’un plaider coupable, la peine maximale était dans certains
cas toujours possible, y compris lorsque le bien-fondé des accusations est d’emblée reconnu
par le prévenu272 : le flagrant délit273 en constitue un exemple.274 Dans les affaires Sharkey
and Daniels de 1994, Fearon de 1996 et Gisbourne de 2005275, la cour d’appel change de cap
en estimant qu’il faut accorder une réduction de peine dans tous les cas, même si elle est
restreinte, quels que soient le volume et la force des preuves. Cette jurisprudence fut
consacrée législativement (s. 152 Powers of Criminal Courts Act (Sentencing) de 2000, ci-
après PCCA). Dans l’affaire Robin de 2002, la cour d’appel juge la réduction nécessaire en
rappelant qu’il faut considérer toutes les circonstances de l’affaire en cause, telle que
l’éventuelle ‘seconde victimisation’ de la victime et de ses proches dans le cadre d’un procès
douloureux.276 Dans l’affaire Stevens de 2006, elle affirmait récemment qu’il faut également
accorder une réduction277 en cas de flagrant délit. L’accélération de la procédure et le gain de
ressources et du temps qui résultent du plaider coupable méritent d’être récompensés. R.
Powell souligne également qu’en l’absence de récompense, l’accusé estimera n’avoir plus
rien à perdre.278

270
Lowe [1977] 66 Cr. App. R. 122. Pensons également à celui qui témoigne contre ses co-defendants. Un exemple
extrême et très contestable est la pratique de supergrass, utilisée en Irlande du Nord dans un contexte d’attentats
terroristes. Selon ce procédé, un criminel reçoit l’immunité intégrale en échange de preuves ou d’informations
données au ministère public ou à la police pour qu’ils puissent interpeller d’autres accusés ou démasquer d’autres
activités criminelles. Cette immunité vise à préserver l’intérêt public : les crimes graves doivent être découverts et
soumis à la justice, même si l’on doit récompenser une personne dont les bonnes intentions sont douteuses (Pour des
critiques, v. M. ZANDER, Cases and Materials on the English Legal System, Suffolk, Lexis Nexis, 2003, p. 308-310).
271
A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 387.
272
Costen [1989] Crim. L.R. 601.
273
Morris [1988] 10 Cr. App. R. 216.
274
D’autres illustrations concernent la protection du public (Stabler [1984] 6 Cr. App. R. 129 ; v. s. 2 (2) b CJA 1991),
le changement de plea à la dernière minute comme simple tactique (Hollington & Emmens [1985] 7 Cr. App. R. (S)
364 et Archer [1998] 2 Cr. App. R. 76).
275
Sharkey & Daniels [1994] 16 Cr. App. R. 257 (v. aussi Kelly [2002] 1 Cr. App. R. 11) ; Fearon [1996] Crim. L.R.
212, comm. X (v. aussi Duffy [2006] EWCA Crim 205) et Gisbourne [2005] Crim. L.R. (2006) 363-364, comm. D.A.
THOMAS ; contra March [2002] Crim. L.R. 509, ce qui démontre le manque de consistance sur ce point.
276
Robin [2002] EWCA Crim 551.
277
Stevens [2006] All E.R. 23.
278
R. POWELL, « Credit and Credit Plus : Reflecting on the Early Guilty Plea », Mags CP 2004, 8.2 (9).

54
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Afin d’étayer la cohérence et d’assister les cours sur ce point, le Sentencing


Guidelines Council établit en décembre 2004 une directive279 qui énonce des règles
spécifiques aux montants de la réduction. Il applique des fractions proportionnelles de la
peine totale en fonction de l’étape de la procédure : une réduction maximale d’un tiers
lorsque l’accusé plaide coupable in limine litis ; un quart si l’on attend jusqu’à
l’audiencement de l’affaire ; 10% si on n’assume sa culpabilité qu’après le commencement
du procès. Dans le seul cas où le plaider coupable tardif est inspiré par des raisons purement
tactiques, la réduction devrait être minimale, voire nihil.280 Avec cette directive la justice
gagne certes en transparence. Si elle insuffle une consistance accrue, c’est de sa mise en
œuvre que l’essentiel dépendra. Conformément aux affaires Last et Oosthuizen, le juge est
libre de s’éloigner des règles énoncées par la directive à condition d’en fournir des
explications.281

49. Finalement, une dernière manière d’encourager des plaiders coupable est
directement lié à la nature « two-tier » des cours criminelles anglaises. Pour les affaires
triable either way commises par un majeur, tant la magistrates’ court que la Crown Court
peuvent être compétentes. Afin d’encourager le nombre de procès sommaires, le législateur
anglais créa en 1996 la procédure de plea before venue. En vertu de cette procédure, la
personne mise en cause peut, avant la répartition de l’affaire entre les deux cours et
l’exposition des preuves, indiquer son intention de plaider coupable ou de maintenir son
innocence (s. 49 CPIA qui amende s. 17A-17C MCA 1980). Au sens strict, il ne s’agit donc
pas d’un plea, mais d’une indication de plea. Lorsque l’accusé décide de plaider non-
coupable, c’est la procédure traditionnelle qui s’applique. Le magistrate doit décider s’il
accepte de traiter l’affaire, auquel cas la personne mise en cause dispose du droit d’élire le
jury.282 S’il plaide coupable lors de la procédure de plea before venue, la cour d’appel estime
dans l’affaire Barber de 2001 et à l’encontre de l’affaire Rafferty de 1998, qu’une réduction
de plus d’un tiers, notamment 40%, est envisageable.283 Les sentencing guidelines prescrivent

279
www.sentencing-guidelines.gov.uk. Cette directive s’applique aux infractions commises après 10 janv. 2005, jugées
par la magistrates’ court, la Crown Court ou la youth court.
280
Selon P.W. TAGUE, la perspective d’une réduction de 10% n’est pas suffisante pour sacrifier son droit à un procès
devant le jury. Au contraire, il estime qu’il serait préférable, sur le plan tactique, de tenter sa chance au procès plutôt
que de plaider coupable, surtout lorsque l’obtention d’une peine non privative de liberté en échange d’une
connaissance de culpabilité est incertaine. La probabilité d’acquittement est plus importante à l’issue d’un procès
devant le jury. En revanche, après une condamnation prononcée par le jury, la peine n’excède souvent que
légèrement, voire est inférieure, à celle prononcée à l’issue d’un plaider coupable (v. aussi C. FLOOD-PAGE et A.
MACKIE, o.c., p. 180). Contrairement au plaider coupable, il est en outre toujours possible d’interjeter un appel contre
la décision sur la culpabilité (P.W. TAGUE, l.c., p. 23-37).
281
Last [2005] 2 Cr. App.R. (S) 64 et Oosthuizen [2006] Crim. L.R. 979, comm. D.A. THOMAS.
282
Infra, n° 100.
283
Rafferty [1998] Crim. L.R. 433, comm. X et Barber [2001] Crim. L.R. 998, comm. D.A. THOMAS.

55
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

également une réduction maximale pour ceux qui plaident coupable dès que possible.284
L’objectif de cette création légale vise donc à avancer le moment du plaider coupable tout en
évoluant vers un modèle de justice négociée. La pression que cette procédure pourrait
engendrer sur les personnes poursuivies ne fait pourtant pas de doute. Avant de connaître les
preuves de la partie poursuivante et, la plupart du temps, sans avoir déjà bénéficié du conseil
d’un avocat, la personne mise en cause est encouragée à avouer. Il s’agit dès lors de savoir si
elle souhaite réellement donner une telle indication, ce dont il est permis de douter. La
condamnation immédiate qui suit un plaider coupable met l’accusé en outre dans une
situation moins privilégiée qu’une détention provisoire préalable au procès.285

50. Quant à sa mise en œuvre, Lee Bridges et Andrew Herbert avancent toutefois que
cette réforme n’a pas eu l’effet escompté.286 Bien qu’inscrite dans la volonté de redistribuer
les affaires entre la magistrates’ court et la Crown Court afin de désengorger cette dernière,
l'effet positif était contrebalancé par un accroissement du nombre de renvois pour peine, de
sorte que le résultat final ne dénote pas une diminution de la charge du travail impartie à la
Crown Court, avec toutes les conséquences qui en découlent (déperdition de temps, de
ressources, accroissement des délais, ...)287. Il y avait alors bien le risque qu’on opte pour un
« low level trial » mais qu’on obtienne une « high level » peine.288 C’est pourquoi le Criminal
Justice Act de 2003 envisage d’étendre les pouvoirs de punition des magistrates et de réduire
les renvois pour peine.289

Il résulte de cette analyse que l’institutionnalisation d’une pratique essentiellement


fondée, ainsi que nous le verrons ultérieurement, sur des considérations d’ordre pragmatique,
incite nombre d’accusés à renoncer indirectement au droit à être jugé par un jury. Les chiffres
de la justice sont résolument explicites à cet égard, témoignant pour les deux cours
criminelles en 2008 d’un pourcentage élevé de plaider coupable : 64% en magistrates’ court
et 70% en Crown Court.290 Un autre mécanisme, permettant une érosion directe du jury
populaire est le jury waiver.

284
Martin [2006] EWCA Crim 1035.
285
G. BAVIDGE et K. KERRIGAN, « Plea Before Venue », F.L.J. 1998, p. 134.
286
A. HERBERT, « Mode of Trial and Magistrates’ Sentencing Powers : Will Increased Powers Inevitably Lead to a
Reduction of the Committal Rate ? », Crim. L.R. 2003, p. 315 et p. 319-321.
287
Un déclin d’environ 15.000 affaires renvoyées au jury par an pour le traitement de fond serait neutralisé par une
augmentation d’environ 10.000 renvois annuels pour peine (CRIMINAL STATISTICS England and Wales 2002, Londres,
Home Office, Cm 6054, figure 3.2, p. 62 ; infra, n° 121 et s.).
288
A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 408.
289
Infra, n° 121 et s.
290
Judicial and Court Statistics 2008, Londres, The Stationery Office, 2009, p. 109 et 140. Ainsi que nous le verrons
ultérieurement, des affaires contestées dans la Crown Court, un grand nombre s’achève par un acquittement, non
décidé par les douze jurés du peuple, mais ‘ordered’ ou ‘directed’ par le président (infra, n° 257 et 261).

56
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

b) Proposition de jury waiver

51. En critiquant la technique répandue de guilty plea, des voix se prononcent en


faveur d’un autre mécanisme échappatoire au jury populaire sans pour autant renoncer au
procès : la procédure de jury waiver ou le privilège de renonciation au bénéfice d’un procès
devant ses pairs ; une procédure qui permettrait de concilier des objectifs souvent perçus
comme ‘inconciliables’, en l’occurrence les droits de la défense et l’efficacité de l’appareil
judiciaire. Il ne s’agit pas du droit de substituer un procès sommaire à un procès devant le
jury, mais du choix explicite d’être traité par la Crown Court qui siègera néanmoins sans jury
mais à juge professionnel unique : le fameux bench trial.291 La personne poursuivie d’une
infraction triable either way bénéficierait ainsi d’une option élargie. A l’orée de son parcours
judiciaire, il pourrait être d’accord d’être jugé par des magistrats non-professionnels de la
magistrates’ court, exiger d’être renvoyé à la Crown Court au sens propre de l’institution
avec les douze citoyens-juges ou opter pour la Crown Court réduite à son élément
professionnel. Au lieu de l’option plaider coupable ou non-coupable, il pourrait dès lors
choisir d’être jugé par des citoyens ordinaires — en tant que lay magistrates ou jurés
populaires — ou par un juge professionnel, ce qui pourrait conforter l’impression de ‘juge-
shopping’. Le risque que son plea devient déterminé par, voire subordonné à son choix de
juge n’est pas imaginaire. Ainsi que nous le verrons ultérieurement, l’accusé continental
dispose dans une certaine mesure d’une prérogative similaire concernant les jurés, par
notamment la récusation péremptoire.292

52. Une telle critique n’a pas empêché la plupart des pays de la tradition dite de
common law (Etats-Unis, Canada, Nouvelle Zélande, ainsi que certains Etats d’Australie)
d’adopter, en tant qu’alternative à la pratique établie du plaider coupable, le jury waiver en
contrepartie du right to a jury trial, en tant qu’expression de la maxime « quilibet potest
renunciare juri pro se introducto » (quelqu'un peut renoncer à une disposition de la loi adoptée
pour son seul avantage)293. La proposition de waiver s’inscrit dans la recherche d’alternatives
à la procédure criminelle lourde, longue, onéreuse et imprévisible, tout en illustrant la montée
en puissance du juge professionnel et la nécessité de consolider son rôle.294 Comparé à de
simples citoyens susceptibles d’influences, le magistrat de carrière est plus équipé pour
analyser des preuves complexes, toujours plus techniques, scientifiques et internationales et

291
S. DORAN et J. JACKSON, « The Case for Jury Waiver », Crim. L.R. 1997, p. 155.
292
Infra, n° 145 et s.
293
Patton v US [1930] 281 U.S. 1930, 276 ; pour une défense du bench trial tel qu’il existe à Philadelphia et Pittsburg,
v. A.W. ALSCHULER, « Implementing the Criminal Defendants’ Right to Trial : Alternatives to the Plea Bargaining
System », U. Chi. L. Rev. 1983, p. 1024 et s. et S.J. SCHULHOFFER, « Is Plea Bargaining Inevitable? », Harvard L.Rev.
1984, p. 1062-1087.
294
S. DORAN et J. JACKSON, « The Case for Jury Waiver », l.c., p. 157.

57
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

pour traiter certaines affaires compliquées. Bien que les chances d’acquittement soient
amplifiées devant la Crown Court où les jurés peuvent acquitter contre les preuves (jury
equity)295, le jury n’est pas toujours exempt de préjugés racistes, religieux, ou portant sur les
apparences, … Plusieurs dérapages judiciaires en témoignent.296 L’injection d’une
professionnalisation accrue dans l’enceinte pénale ouvrirait vraisemblablement la porte à
davantage de rationalité et ainsi, de manière corrélative, à l’établissement d’une motivation
des verdicts et d’un droit intégral d’appel.

Les craintes de déstabilisation de l’institution du jury297, de rupture avec la tradition


anglaise imprégnée de cette juridiction, n’auraient qu’un impact faible. Sean Doran et John
Jackson soulignent ainsi qu’en cas de jury waiver, il y auraient moins d’erreurs judiciaires, ce
qui bonifierait la confiance accordée au jury. Il ne serait pas non plus question de discordance
avec la jury culture anglaise compte tenu du nombre significatif d’affaires déjà jugées par les
district judges.298 Pourquoi une telle option irait-elle à l’encontre de la tradition anglaise si
elle est acceptée dans d’autres pays où l’institution du jury est véritablement ancrée dans les
mœurs et dans certains cas même constitutionnellement protégée ?299 Penser que le juge
professionnel pourrait être réticent à un tel changement de fonctions s’avère également
infondé. Certes, un bench trial lui octroierait un rôle davantage actif et interventionniste,
proche de celui dont dispose son homologue continental. Outre les questions du droit, il devra
descendre dans l’arène des faits, jusqu’à lors réservé aux jurés. Mais dans la procédure
criminelle actuellement en vigueur, la mission du juge n’est pas aussi passive qu’on le croit.
Nous démontrerons ultérieurement que la portée de son pouvoir est largement sous-estimée.

Au-delà d’une objectivation de la justice, cette proposition de renonciation au right to


a jury trial qui recueillait également les suffrages de Lord Auld300 mais ne fut pas retenue
dans le Criminal Justice Act de 2003, tire sa valeur surtout de son incidence potentielle de
mettre un terme aux pratiques massives de plaider coupable301 : comparé au procès devant le
jury, le bench trial apparaît comme un genre de procès simplifié qui présente l’avantage de
295
Infra, n° 92 et 245.
296
S. DORAN et J. JACKSON, « The Case for Jury Waiver », l.c., p. 158-159 (infra, n° 155 et s.).
297
Si tous les accusés renoncent au jury, l’existence même de cette institution serait menacée. Ce cas de figure paraît
toutefois peu probable (A. ASHWORTH et M. REDMAYNE, The Criminal Process, Oxford, Oxford University Press,
2005, 3ème éd., p. 306).
298
Ce magistrat de carrière exerce une compétence concurrente aux lay magistrates de la magistrates’ court (infra, n°
455).
299
Aux Etats-Unis, le bench trial traiterait 14% de toutes les affaires fédérales (S. DORAN, J. JACKSON et M.L. SEIGEL,
« Rethinking Adversariness in Nonjury Criminal Trials », Am. J.Crim.L. 1995, Vol. 23, 1, p. 8-11).
300
Concernant le bench trial, Lord Auld accorde un rôle central au juge. Après avoir entendu les conclusions des deux
parties, le juge devrait être en mesure d’outrepasser la volonté de l’accusé d’être jugé sans jury s’il considère que
l’intérêt public requiert un procès avec des jurés populaires, comme dans des affaires contre l’Etat (R. AULD, Review
of the Criminal Courts of England and Wales, Londres, HMSO, 2002, www.criminal-courts-review.org.uk/ccr-
05.htm, chap. 5, n° 110 et s.).
301
S.J. SCHULHOFFER, l.c., p. 1087-1107.

58
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

célérité et une meilleure attribution des ressources. Par rapport au plaider coupable, il a le
mérite de garantir encore un procès lors duquel on pourra contester son affaire. On garde la
possibilité d’interroger les témoins, de s’opposer à l’admissibilité de certaines preuves, de
soumettre l’accusé ainsi que les témoins à une contre-interrogation et d’interjeter, le cas
échéant, un appel contre la décision. On resterait donc mieux dans la culture contradictoire.
La garantie d’un procès contradictoire permettrait, en outre, d’évoluer vers une justice
davantage centrée sur la victime. La pratique du plaider coupable pourrait en effet induire
une certaine amertume chez les victimes. En les privant d’une ‘reconnaissance’ en justice,
tout en accordant à l’auteur une récompense en échange de son plaider coupable — il peut
même échapper à une peine privative de liberté —, les victimes peuvent se sentir plus lésées
qu’épargnées.302

Bien évidemment, l’instauration d’un procès devant un seul magistrat de robe


nécessiterait une structure différente de celle utilisée lors d’un procès traditionnel devant les
jurés ; une simple transposition des règles régissant la Crown Court au bench trial, tel que
cela est le cas en France pour les cours d’assises spéciales303, est indéfendable.304 Convaincu
de la plus value d’une certaine collégialité305, l’alternative du bench trial à juge unique paraît
également fortement discutable, d’autant que ces affaires ne sont pas d’une gravité moindre.

53. A l’issue de ce tour d’horizon, il apparaît que les palliatifs utilisés illustrent les
différences (relatives) entre les systèmes de civil law et de common law : position forte du
ministère public et des juridictions d’instruction en continental (modèle traditionnel
inquisitoire) ; rôle central de l’accusé en droit anglais (modèle traditionnel accusatoire). En
dépit des divergences entre les solutions apportées, certaines similarités semblent émerger
quant à la mise en œuvre pratique de la correctionnalisation et du plaider coupable,
notamment entre la pratique de disqualification française lors de la phase d’avant-procès et la
technique anglo-américaine de charge et fact bargaining. Néanmoins, il convient d’être
particulièrement vigilant lorsqu’il s’agit de comparer des systèmes issus de familles
foncièrement dissemblables. Le prosecutor anglais et le procureur français disposent d’une

302
Attorney General's Reference n° 44 of 2000 (Peverett) [2001] 1 Cr. App. R. 416 et Bargery [2004] EWCA Crim
816. Pour cette raison, § 10.2 du Code for Crown Prosecutors oblige l’accusation, lors de l’évaluation d’un plaider
coupable, de prendre en considération les intérêts de la victime ainsi que les soucis qu’elle ou ses proches expriment
(A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 439 ; www.cps.gov.uk/publications/docs/code2004english.pdf).
303
Infra, n° 172.
304
Pour que l’abandon soit effectivement volontaire, il faudrait des garanties particulières en cas de co-defendants et
concernant le moment de la renonciation. Interviendront ensuite, nécessairement, un changement des règles de
preuves et l’introduction d’une obligation de motivation du juge professionnel (S. DORAN et J. JACKSON, « The Case
for Jury Waiver », l.c., p. 164 et s.).
305
Infra, n° 457.

59
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

discrétion importante et décident dans la majorité des cas du sort judiciaire des affaires. En
détournant sciemment les faits, ils influent sur l’accusation et sur la juridiction compétente. A
l’instar de la charge bargaining anglaise306, la correctionnalisation tend à minimiser la
sévérité ou la fréquence des actes de l’auteur, tout en faisant mentir son casier judiciaire.
Ainsi que le soulignent à juste titre John H. Langbein et Lloyd L. Weinreb307, la pratique
française présente néanmoins des traits particuliers. En droit français, la correctionnalisation
ne permet pas de faire un deal. Il n’y a pas de discussion entre le ministère public et l’accusé
quant à la voie à suivre pour le traitement du crime, le ministère public pouvant opter pour la
disqualification de manière unilatérale. Le système n’est en outre conditionné, ni par la
coopération de la personne mise en examen, ni par son aveu. La correctionnalisation
française s’avère pourtant caduque sans l’accord implicite des parties (accord ‘éclairé’ de la
partie civile)308. Celles-ci disposent en effet d’une prérogative — limitée depuis la loi du 9
mars 2004309 — leur permettant de soulever l’incompétence du juge correctionnel s’ils
démontrent qu’il s’agit d’un crime échappant dès lors à la compétence du juge correctionnel.
« La correctionnalisation n’est possible qu’en cas de faute admise par toutes les parties ».310
Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, la déclaration d’incompétence s’avère plutôt rare en
pratique. La personne mise en examen recevra une réduction de l’inculpation en échange de
sa coopération implicite en n’insistant pas sur les garanties procédurales associées aux
crimes, qui sont généralement supposées plus étendues. Finalement, la personne mise en
examen qui accepte la correctionnalisation n’est pas obligé, contrairement au système anglo-
américain, d’accepter la version présentée par le parquet. Au cours d’un procès, il lui est
toujours possible de contester les inculpations. Son aveu n’est donc ni irrévocable, ni
intégral ; il ne s’agit pas d’un choix entre tout ou rien.

54. Cependant, si le plaider coupable, au sens propre du terme, prend toute son
ampleur dans les pays de droit anglo-saxon, il existe également, dans les pays de droit
continental, des alternatives vecteurs de ‘contractualisation’ du droit pénal, qui consacrent le
rôle toujours plus prépondérant du ministère public et octroient une plus grande place à la
personne mise en examen.311 A l’instar de la procédure française de « comparution sur

306
R.S. FRASE, « Comparative Criminal Justice as a Guide to American Law Reform : How do the French Do it, How
Can we Found out and Why Should we Care? », Cal. L.R. 1990, p. 629.
307
J.H. LANGBEIN et L.L. WEINREB, « Continental Criminal Procedure : Myth and Reality », Yale L.J. 1978, p. 1551-
1559.
308
Supra, n° 36.
309
Supra, n° 37.
310
Ph. VOULAND, « La défense pénale est un métier », AJpénal 2007, p. 302.
311
Hormis l’opportunité de poursuite du parquet, nous pouvons penser à la transaction pénale belge (art. 216bis CIC),
dont l’élargissement est actuellement considéré pour lutter contre la fraude fiscale et sociale, même lorsque l’action
publique est déjà engagée (www.just.fgov.be/fr_htm/ordre_judiciaire/r-p-j/strategisch-plan-fr.doc). Contrairement au
plaider coupable, il s’agit d’une forme alternative aux poursuites se déroulant hors les tribunaux. En cas de réussite,

60
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

reconnaissance préalable de culpabilité » (CRPC), introduite par loi Perben II en matière


correctionnelle afin d’accélérer le traitement des affaires312, et avec laquelle la France a
franchi un pas vers une procédure étrangère aux pays de tradition civile, le Comité de
réflexion sur la justice pénale avance en matière criminelle et seulement pour certaines
catégories de crimes313 une « procédure simplifiée en cas de reconnaissance préalable de
culpabilité ». Dans la volonté d’accélérer la procédure314, il serait « inutile de consacrer une
large partie de l’audience à la matérialité des faits lorsque ceux-ci ne sont pas contestés ».315
Contrairement à la variante correctionnelle (CRPC), qui exclut tout débat lors de l’audience
d’homologation que ce soit sur les faits ou sur la peine, il y aurait en criminel encore une
audience en présence de l’accusé et de la victime. Celle-ci ne porterait pas sur la question de
culpabilité. La cour d'assises ne devrait que s’assurer du caractère fondé de la reconnaissance
de culpabilité. Les débats porteraient sur la peine. Pour éclairer la cour d’assises à cet égard,
les parties pourraient citer des témoins de moralité.316 En application de cette procédure, la
peine maximale encourue serait minorée.

Si cette ‘procédure criminelle sommaire’ permettrait de diminuer la pratique de la


correctionnalisation judiciaire, elle pousse, sur la voie de l’harmonisation des législations

elle apparaît comme une cause d’extinction de l’action publique. Le juge n’intervient à aucun moment. Cela constitue
une différence avec la composition pénale française (art. 41-2 CPP).
312
Cette procédure permet au parquet de proposer une peine d'emprisonnement de maximum un an à un individu qui
reconnaît être l’auteur d’un délit. S’il accepte, la personne mise en examen évite le procès. La variante française se
limite toutefois aux infractions punies d'une peine inférieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement et ne concerne dès
lors pas les infractions incombant à la cour d’assises. Elle n’est pas applicable aux mineurs, ni aux délits de presse,
aux délits politiques, aux homicides involontaires, aux délits compris dans certaines lois spéciales (J.-P. JEAN, Le
système pénal, Paris, La découverte, 2008, p. 87). Elle reste d’ailleurs soumise à l’homologation et au contrôle du juge
(v. par exemple B. PEREIRA, « Justice négociée : efficacité répressive et droits de la défense ? », D. 2005, p. 84-98).
Dans son rapport de réforme, S. Guinchard propose d’élargir cette procédure à tous les délits quelle que soit la peine
encourue, à l’exception des délits de presse, des délits politiques et des homicides involontaires (X, « Entretien avec
S. Guinchard : l’ambition raisonnée d’une justice apaisée », D. 2008, p. 1748-1755, sp. p. 1755, proposition 62). Cette
proposition est reprise par l’avant-projet du futur CPP du 1er mars 2010 (art. 334-38).
Pour la procédure, qui se développe graduellement « en désaveu de la jurisprudence de la Cour de cassation », faisant
prévalence au pragmatisme, v. P.-J. DELAGE, « “Plaider coupable” : la clarification par l’entérinement des pratiques »,
D. 2009, p. 1650 et F. DEFFERRARD, « La dénaturation du « plaider coupable » - (Après la loi n° 2009-526 du 12 mai
2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures) », Dr. pén. 2009, n° 7, étude 13.
En Belgique, le projet pilote de ‘plaider coupable’ lancé en matière correctionnelle par le parquet anversois en 2006,
était aussitôt avorté (v. P. DE HERT et T. DECAIGNY, « Plea bargaining past niet in Belgische correctionele
procedure », Juristenkrant 2006, n° 134, p. 4 et Doc.parl. Sénat 2005-06, n° 3-450/20).
313
Cette procédure simplifiée ne serait pas applicable à certains crimes extrêmement sévères (torture commise de
manière habituelle sur un mineur de moins de quinze ans), ni à ceux punissables d’une réclusion à perpétuité. Un viol
aggravé ou des coups mortels entreraient en revanche dans son champ d’application. Elle ne serait pas possible en
degré d’appel que si elle a été mise en œuvre en première instance (Rapport du Comité de réflexion sur la justice
pénale, o.c., p. 42-43).
314
Il convient notamment de diminuer les délais d’audiencement et d’instruction. Le délai moyen de traitement d’une
affaire criminelle (délai entre le début de l’instruction et l’audience) s’élève à trois ans, dont un peu plus de dix mois
entre la fin de l’instruction et l’audience. En appel, la durée de la procédure (soit le délai entre l’arrêt de la cour
d’assises en premier ressort et l’arrêt de celle en appel) est en moyenne de dix-sept mois. Le Comité de réflexion sur
la justice pénale juge ces délais trop importants, un souci d’ailleurs partagé par la doctrine (U. WEISS, « Pour un
plaider coupable criminel en droit français », Gaz. Pal. du 3 janv. 2009, p. 7-8).
315
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 42.
316
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 43.

61
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

européennes, la France davantage vers une justice ‘négociée’, à l’instar de l’exemple


anglophone. Nous allons tâcher de démontrer qu’il existe davantage de rapprochements en
termes de finalités et de répercussions entre les techniques d’esquive du jury populaire.

B — UNITE DES FINALITES ET DES CONSEQUENCES

55. Malgré leurs divergences en termes d’élaboration technique, les procédés


appliqués visent des finalités identiques : une répression effective, rapide et performante. Les
adversaires et les partisans de la correctionnalisation continentale et du plaider coupable
anglophone sont unanimes sur un point : la nécessité incontestable, voire incontournable, de
« juguler le flot toujours grandissant des infractions »317 (1). En effet, une application fidèle
des règles de compétence telles que prescrites par nos codes, notamment le jugement de tous
les crimes par l’institution du jury, induirait sans doute une saturation des moyens alloués.
Les trois systèmes convergent également sur le plan des résultats, chacun d’eux s’illustrant
par une régression notable du volume d’affaires soumises à la juridiction populaire ainsi que,
corrélativement, par la conquête spectaculaire du juge professionnel (2). Or, les magistrates
anglais n’étant pas de juristes, est-il judicieux de parler de ‘professionnalisation’ en évoquant
la procédure anglaise ?

1. A l’épreuve d’un nouveau défi

56. Au rang des raisons sous-jacentes de la confiscation progressive des pouvoirs de


la cour d’assises dans les trois pays considérés, il apparaît en premier lieu la lutte contre
l’extrême sévérité de la réponse pénale des anciens codes, ceux-ci qualifiant de crimes des
agissements ne méritant point cet ‘honneur’, ainsi que par l’incapacité de cette cour à garantir
une répression satisfaisante. Nous verrons ultérieurement de manière plus détaillé que le jury,
traditionnellement mandaté pour se prononcer sur la culpabilité de l’accusé sans pouvoir, en
raison de la séparation classique du fait et du droit, participer au prononcé de la peine, faillit
d’emblée à ce devoir. La scission stricte des pouvoirs induisait fréquemment un effet
pervers : l’indulgence excessive des citoyens-juges. En effet, par la prise en compte de
l’auteur plutôt que de l’acte, les jurés pouvaient difficilement faire abstraction des incidences
de leur décision, surtout lorsque l’accusé encourait la peine de mort. Cela met
significativement en lumière les écueils de la séparation entre faute et châtiment318. Il
semblerait que le jury, trop méfiant pour déléguer à d’autres le pouvoir d’exercer une
atténuation juste, s’était octroyé l’opportunité de moduler lui-même le résultat du procès. En
effet, redoutant que la cour n’inflige une peine trop sévère, les jurés optaient fréquemment

317
Ch. LAPLANCHE, o.c., p. 141.
318
Infra, n° 244.

62
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

pour un acquittement, y compris lorsqu’une telle décision s’avérait foncièrement injuste319.


Un tel excès de pouvoirs, certes louable dans certains cas, induisait un effet secondaire
déplorable : une répression aléatoire et capricieuse.

Afin d’endiguer ces périls et sous l’influence d’une politique criminelle axée sur
l’individualisation de la peine, la pratique judiciaire — de manière particulière mais
systématique320 — et le Parlement — de manière générale mais ponctuelle —321 se mirent,
dès l’instauration du jury populaire322, en quête de palliatifs plus ou moins heureux. La
correctionnalisation permet ainsi d’établir une correspondance entre le taux de la peine et la
gravité réelle des faits et la personnalité de l'auteur. Elle constitue un effort spontané qui vise
à atténuer l’écart entre les catégories abstraites de qualification et la réalité concrète ; un
effort qui restera sans doute utile, même avec une législation qui serait l’exact reflet des
valeurs sociales.323

57. A ces finalités de fond s’ajoute une raison davantage pragmatique : celle d’une
meilleure administration de la justice. Sur le plan historique, l’instauration du jury populaire
s’enracine dans la Révolution française et sa lutte contre les procédures barbares, les
châtiments cruels, les juges omnipotents ; bref, l’édifice judiciaire et l’époque troublée de
l’Ancien Régime. Ces motifs, justifiant certes le recours à une justice rendue par des
représentants de la société civile, sont caducs à l’heure actuelle. Ainsi, tant en droit belge
qu’en droit français, la méfiance traditionnelle à l’égard des juges de robe s’avère privée de
fondement, le recrutement de magistrats professionnels étant démocratisé et étant désormais
entouré d’exigences strictes.324 A l’heure actuelle, notre justice pénale est confrontée à un
nouveau défi. Si les lois se multiplient, celles-ci gagnent également en complexité. De la
même manière, les affaires croissent en nombre et se complexifient, tel que l’illustrent le
recours à la science, la nature technique et transnationale des preuves, ainsi que
l’augmentation constante du volume de témoins et de victimes. S’ensuit un allongement de la
durée des procès pénaux, notamment dans le cadre d’affaires complexes. En France,
l’instauration d’un double degré de juridiction en matière criminelle — certes louables dans
son principe — y a contribué.325 Face à une telle évolution, la quête d’une rationalité et d’une
efficience accrues, ainsi que d’une meilleure gestion du flux des affaires, est légitime.

319
Infra, n° 245.
320
Supra, n° 33 et s.
321
Infra, n° 105 et s.
322
Si l’origine du plaider coupable anglophone ne remonte pas si loin, cette pratique s’avère plus ancienne que ce qui
est généralement admis (infra, n° 78 et s.).
323
C. DE CRISENOY, l.c., 1960, p. 419-429.
324
Rapport intermédiaire de la Commission de réforme de la cour d'assises remis à Mme la ministre de la Justice L.
Onkelinx le 8 mars 2005 (ci-après Rapport intermédiaire du 8 mars 2005), p. 8.
325
Infra, n° 387.

63
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Caractérisée par une pénurie de ressources humaines, administratives et financières, notre


justice pénale se focalise davantage sur le contrôle de la criminalité (crime control), ainsi que
sur une stratégie utilitaire visant le traitement d’un maximum d’affaires aux dépens du due
process.326

Au regard de cette évolution, la pratique de la correctionnalisation continentale a le


mérite d’assurer une justice plus performante et rapide. D’un point de vue gestionnaire, la
justice rendue au correctionnel s’avère en effet ‘supérieure’ à celle assurée par la juridiction
populaire. Certes, cette dernière permet un traitement plus approfondi tout en étant souvent
perçue comme davantage démocratique. Elle s’avère toutefois plus lourde sur les plans
organisationnel et procédural, ainsi qu’extrêmement coûteuse. La justice correctionnelle est,
en revanche, moins ‘aventureuse’, moins sensationnelle — elle ne suscite pas le même intérêt
médiatique — et, ne requérant pas la même durée d’instruction et de détention préventive,
elle s’avère plus rapide. La nécessité d’admettre le principe de la correctionnalisation, tel que
l’atteste l’article 186-3 du Code de procédure pénale française327 et de faciliter et d’étendre
son application en droit pénal belge, en témoignent.

La même ‘value’ peut être attribuée à la pratique du plaider coupable anglais.328 La


justice négociée n’est pas seulement avantageuse pour le Trésor et les contribuables ; elle
paraît également apte à servir les attentes des différentes parties : l’accusateur peut s’assurer
d’une condamnation effective ; l’accusé — dans l’hypothèse qu’il soit effectivement
coupable —, pourra bénéficier d’une peine inférieure à celle normalement encourue après un
procès ; quant à la victime, elle se trouve épargnée les écueils d’un procès long et lourd329,
même si ce point doit être relativisé compte tenu de son ‘besoin’ de reconnaissance en
justice, plutôt que d’une quête de tranquillité personnelle330. Cette ‘plus-value’ doit
néanmoins être tempérée compte tenu du nombre d’affaires où le plaider coupable
n’intervient qu’à la dernière minute (cracked trials). En outre, la répercussion néfaste de cette
évolution semble induite par la mutation d’une justice pénale désormais tributaire
d’impératifs gestionnaires et pragmatiques au détriment de l’idéal de procès équitable, de la
quête de vérité. Or, faut-il réellement payer ce prix ?

326
R. HENHAM, « Truth in Plea Bargaining : Anglo-American Approaches to the Use of Guilty Plea Decisions at the
Sentence Stage », l.c., p. 22-23.
327
Supra, n° 37.
328
G. FISHER, « Plea Bargaining’s Triumph », Yale L.J. 2000, p. 893 et s.
329
Barnes [1983] 5 Cr. App. R. (S) 368.
330
Supra, n° 52.

64
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

2. Vers une professionnalisation de la justice pénale ?

58. L’impact principal et non négligeable des techniques appliquées concerne le


déclin de la compétence et, dès lors, de la portée de la cour d'assises et de la Crown Court.
Les statistiques sont explicites : si, entre 1826 et 1850, le nombre d’affaires renvoyées en
France devant la cour d’assises était de 5.000331, ce chiffre s’est progressivement délité au fil
des ans. Pour l’activité judiciaire de 2008, les statistiques révèlent 2.695 affaires devant le
jury, ce qui fait pâle figure par rapport au chiffre d’affaires traitées devant le tribunal
correctionnel, qui s’élève à 584.549 affaires.332 Converties en pourcentage, ces données
indiquent que moins de 1% des affaires sont traitées par le jury populaire.

59. Ce constat est davantage patent en Belgique. Toutes les affaires de mœurs (hormis
celles où il y a mort de la victime ; art. 376 CPB) sont systématiquement retirées du jugement
populaire333, contrairement à la situation en France où 70% des sessions de cours d'assises
sont consacrées à ce type d’infractions.334 De manière plus générale, les statistiques belges
dévoilent pour leur part un pourcentage plafonnant à 0,01% d’affaires traitées par le jury.335
Par l’extension graduelle de la correctionnalisation judicaire336, ce pourcentage diminuera
sans doute encore avec la nouvelle loi belge du 21 décembre 2009. Avec le doublement de la
liste de crimes correctionnalisables, une diminution de 15% de la charge du travail de la cour
d’assises est en tout cas escomptée. Un tel soulagement serait surtout attribuable à la
possibilité des juridictions d’instructions et du ministère public de correctionnaliser les

331
J. CRUPPI, o.c., p. 3-4.
332
www.justice.gouv.fr/art_pix/1_stat_chiffrescles09_20091116.pdf, p. 15.
333
Pour le crime de viol contre un mineur de moins de dix ans, le rapport de C. Falzone et J. Rutten démontre par
exemple que depuis 2000, plus aucune affaire de ce type n’est jugée en cour d’assises (C. FALZONE et J. RUTTEN,
Evaluation des lois de 1995 et quelques autres instruments connexes, Bruxelles, Service de la politique criminelle,
2008, p. 38-39, disponible sur : www.dsb-spc.be/doc/pdf/Evaluation-lois-1995.pdf).
334
C. MONIER, « La cour d'assises doit-elle être considérée comme le juge naturel des crimes sexuels ? » in D.
ZUCKER, Viol : appréciations judiciaires, policières, médicales et psychologiques, Malines, Kluwer, 2005, p. 231.
Avec l’augmentation, pour certains crimes commis contre des mineurs, du délai la prescription jusqu’à vingt ans et
l’ajournement du commencement de ce délai jusqu’à la majorité du mineur (art. 7 al. 3 CPP) par la loi n° 2004-204 du
9 mars 2004 (art. 706-47 CPP) et la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 (JORF 5 avr. 2006, p. 5097 ; art. 222-10 CPF), le
nombre d’affaires devrait continuer de croître.
En droit belge, les quelques voix disparates en faveur de l’élargissement de la compétence de la cour d’assises en
matière de mœurs (C. MONIER, l.c. et K. GERARD, « La cour d'assises, ‘juge naturel des infractions sexuelles’ » in D.
ZUCKER, o.c., p. 227-235 et p. 238-251), sont à juste titre réfutées. Dans ces affaires où il y a souvent des rapports
familiaux entre l’auteur et la victime il convient d’éviter une double victimisation. Aux assises, la publicité écrasante
risque de stigmatiser la victime, ce qui ne paraît pas opportun. Compte tenu de la meilleure prise en compte des
victimes dans la pratique correctionnelle contemporaine et la possibilité du juge correctionnel, par la loi du 21
décembre 2009, de prononcer après correctionnalisation des peines plus lourdes, un tel changement n’est pas
souhaitable (P. QUAK, « Court of Assizes : Not the Natural Judge for Sexual Offences » in D. ZUCKER, o.c., p. 213-
226 et Rapport intermédiaire de la Commission de réforme de la cour d'assises remis à Mme la ministre de la Justice
L. Onkelinx le 8 nov. 2005 (ci-après Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005), p. 44).
335
H. TUBEX, l.c., p. 91 ; v. également l’étude de S. SASSERATH révélant pour la période de 1931 à 1940 un taux de
correctionnalisation de crimes de 98,4% (S. SASSERATH, Exposé critique in Les Novelles : corpus juris belgici.
Procédure pénale, Bruxelles, Larcier, 1946-1951, p. 24) et celle de E. De Le Court qui dévoile pour l’an 1956, 2.193
crimes correctionnalisés par rapport à 12, jugés par la cour d’assises (E. DE LE COURT, l.c., p. 127).
336
Supra, n° 39.

65
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

tentatives de crime punissable de la réclusion à perpétuité (telle que la tentative d’assassinat)


et les vols à l’aide de violences ou menaces ayant entraîné la mort, mais sans l’intention de la
donner.337

Or, même avec une intervention tellement réduite, la cour d’assises génère une
surcharge sans précédent de notre système judiciaire pénal, tel que l’atteste le rapport
d'activités 2003 de la cour d'appel et du parquet général d'Anvers. Concernant les années
judiciaires 2003-04 et 2004-05, la planification de la Cour d’appel d’Anvers recelait au moins
vingt procès d'assises.338 En pratique, cela équivaut à deux procès par mois339, cadence
difficilement tenable compte tenu du déficit patent de moyens alloués. Au regard du nombre
total d’affaires criminelles programmées, un tel rythme arrêtait en outre l’ordre du jour de la
cour d’assises pour au moins sept années judiciaires consécutives et l’exposait aux
condamnations de la CEDH pour atteinte à l’exigence de délai raisonnable.340 En 2010,
plusieurs personnes mises en examen furent pour cette raison remises en liberté en raison du
calendrier complet de la cour d’assises.341 Les inconvénients organisationnels qui en
découlent ne font aucun doute. En effet, ainsi que le souligne la Commission de réforme de la
procédure criminelle belge, la cour d'assises n’est qu’une juridiction temporaire — elle ne
siège qu’à certaines intervalles — qui emprunte son personnel à diverses juridictions dès lors
temporairement dépouillées, parfois durant plusieurs mois, d’une partie de leurs effectifs.342
Les magistrats délégués aux assises ne sont plus en mesure d’assurer leurs audiences et le
traitement de leurs dossiers en correctionnel, ce qui contribue à l’aggravation de l’arriéré

337
Doc.parl. Chambre 2009-10, n° 52-2127/008, p. 56 (supra, n° 66).
338
H. COVELIERS, Rapport d’activités 2003 des cours d’appel fait au nom de la commission de la Justice, Doc.parl.
Sénat 2003-04, n° 3-454/1.
339
Contrairement aux procès d’assises français dont le traitement n’excède en général pas deux jours (A. BLANC,
« L’audience », l.c., p. 15) — une ‘rapidité’ dont les jurés ne semblent toutefois pas bénéficier, ceux-ci étant obligés
d’être présents au début de chaque affaire et cela tout au long du durée de la session (infra, n° 143 ; M. ANINAT, Etre
juré, Paris, l’Harmattan, 2006, p. 20) —, le jugement d’une affaire criminelle belge prend au moins une semaine. En
droit anglais, l’audition à la Crown Court d’une indictable offence prenait en 2008, en cas d’un plaidoyer non
coupable, au moyen 20h et 18 minutes. Un plaider coupable ne prenait qu’une heure et 39 minutes (Judicial and
Court Statistics 2008, Londres, The Stationery Office, 2009, p. 114-115).
Pour accroître la célérité de la justice et rationnaliser les procès, la loi belge du 21 décembre 2009 instaure une
audience préliminaire pour déterminer la liste de témoins (infra, n° 210). En droit français, la loi n° 2007-291 du 5
mars 2007 donna, dans cet objectif, un rôle plus déterminant au procureur général dans la détermination de
l’audiencement des affaires criminelles (art. 236-238 CPP ; F. ZOCCHETTO, Rapport n° 177 (2006-07) sur le projet de
loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, fait au nom de la Commission des lois,
http://cubitus.senat.fr/rap/l06-177/l06-177.html). Le Comité Léger propose d’introduire une procédure simplifiée en
cas de reconnaissance préalable de culpabilité en matière criminelle (supra, n° 54).
340
H. COVELIERS, Rapport d’activités 2003 des cours d’appel, l.c. Qu’elle se trouve déjà en porte-à-faux avec la
jurisprudence européenne est démontré par la condamnation de la Belgique dans l’affaire Lelièvre (CEDH 8 nov.
2007, Lelièvre c. Belgique, n° 11287/03, § 89-108). Dans cette affaire, une détention provisoire de presque huit ans
précédant le jugement populaire fut jugée déraisonnable. Pour les récentes condamnations de la France par la CEDH
dans les affaires Faudo, Maloum et Paradysz, infra, n° 588.
341
Plusieurs affaires lourdes programmées en 2010 en seraient la cause (Habran bis, L. Storme et l’affaire des
assassins de K. Van Fieuwenhuysen) ; v. Y. BARBIER, « Vijf moordverdachten vrij want assisen is overbezet », De
Standaard 6 nov. 2009.
342
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 6.

66
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

judiciaire : « ainsi par exemple dans l'affaire ‘Van Foppen’ deux magistrats et le magistrat
de presse de la cour ont été détachés pendant quinze semaines, ce qui représente pour 2002
une perte de vingt-deux audiences, soit un déficit évalué approximativement à 200 affaires
correctionnelles ».343

Ainsi que nous l’esquisserons plus loin, pareille surcharge de la cour d’assises
française conduit à une piste de réflexion audacieuse : son remplacement par un « tribunal
criminel »344. En particulier, les problèmes organisationnels de la cour d’assises mettent en
péril le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Quelques condamnations récentes de la
France prononcées par la Cour européenne pour violation de l’article 5 CESDH obligent
d’envisager des alternatives. Pour la première fois on reconnaît pourtant que le recours massif
à la correctionnalisation judiciaire, technique longtemps tolérée et même législativement
consacrée, n’est guère satisfaisant.

60. Le droit anglais suit un mouvement semblable : toutes les affaires criminelles
commencent devant la juridiction des magistrates et plus de 95% s’y terminent345, ce qui
n’est pas sans conforter la « présomption en faveur du procès sommaire »346. Un segment non
négligeable de ce pourcentage s’explique ratione personae, notamment par l’exclusion a
priori des délinquants mineurs du jugement populaire347. Les statistiques démontrent qu’en
1998, près de 50.000 mineurs furent sanctionnés par la justice sommaire pour des infractions
non-summary.348 En outre, parmi les 5% d’affaires atteignant finalement la Crown Court, une
vaste proportion aboutit à un guilty plea excluant ainsi le jury. Il en résulte que les douze
jurés, porte-parole de la société civile, entendent à peine 1% des affaires. Au regard de ces
chiffres, il semble que ce soit plutôt la qualité de la summary justice qui constitue la clef de
voûte du système de justice pénale. Inversement la fonction symbolique du jury l'emporte
largement sur sa signification pratique.349 Cela fut toutefois largement méconnu par le public,
ce qui dégage un grand décalage, voire paradoxe, entre d’un côté l’idéologie de la justice
populaire, celle-ci étant soutenue par l’attachement notable du public, de la politique, de la
presse et d’une partie de la profession légale, et d’autre côté la pratique effective du jury.350

343
Rapport d’activités 2003 des cours d’appel, l.c.
344
Infra, n° 391, 540 et 586.
345
www.official-documents.co.uk/document/cm67/6799/6799.pdf, p. 98 ; A. ASHWORTH et M. REDMAYNE, o.c., p. 297
et S. LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS, l.c., p. 61.
346
Practice Direction on Mode of Trial de 1990 ; I. BING, Criminal Procedure and Sentencing in the magistrates’
Court, Londres, Sweet & Maxwell, p. 74.
347
V. pourtant infra, n° 498.
348
A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 488.
349
P. DARBYSHIRE, Darbyshire on the English Legal System, Londres, Sweet & Maxwell, 2005, p. 499 (v. aussi infra,
n° 315).
350
P. DUFF, « The Limitations on Trial by Jury », RIDP 2001, p. 603 et 609.

67
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

61. Dans une optique similaire, il nous semble que la force de la correctionnalisation
continentale relève également, d’une certaine hypocrisie, pouvant s’avérer potentiellement
sournoise. Selon Simon Sasserath, l’octroi de circonstances atténuantes et la
correctionnalisation reviendraient presque à supprimer en douceur la cour d'assises sans
heurter une opinion publique prompte à se rebeller contre une suppression franche et
brutale.351 En effet, le procédé de la correctionnalisation passe inaperçu. Si la procédure
criminelle demeure intacte pour quelques crimes spécifiques, la correctionnalisation vise, de
manière extrinsèque et tacite, la dépossession globale de la cour d'assises. Du point de vue
anglais, il apparaît aussi que les droits fondamentaux sont rarement abolis ouvertement. Pour
des motifs économiques, utilitaristes et pragmatiques, ils s’amenuisent graduellement. Le
plaider coupable et sa lente instrumentalisation, ainsi que la forte hésitation, voire l’hostilité à
toucher au right to a jury trial352, en témoignent. Dire, à l’instar de Jean Cruppi, que
l’institution du jury est devenue un « trompe-l’œil »353 ne paraît dès lors guère sévère.
Ultérieurement, nous nous attacherons à déterminer si, même « à l’état de fantôme »354, la
cour d’assises est à même de justifier — non quantitativement mais qualitativement — sa
raison d’être et de légitimer son existence.

62. En tout état de cause, l’érosion du pouvoir du jury populaire semble


s’accompagner par le renforcement de celui du magistrat de carrière.355 D’un point de vue
juridique, ce constat est certainement valable pour les systèmes français et belge. Les affaires
correctionnalisées dérivent vers le tribunal correctionnel, en l’occurrence constitué en
principe356 de magistrats de carrière. Ces juges siégeant en permanence, et la procédure
requérant des formalités moindres, la correctionnalisation permet une justice davantage
prompte, rapide et moins onéreuse. Or, un tel constat s’applique-t-il également au droit
anglais ? Détourné de la Crown Court, les affaires sont en droit anglais jugé devant la
magistrates’ court. Mais ainsi que nous l’avancerons plus loin, les magistrates n’étant pas
des juristes, convient-il de parler d’évolution vers une ‘spécialisation’ accrue ? Ne s’agit-il
pas simplement du remplacement de douze citoyens-juges, les jurés, par trois magistrats non-
professionnels, les lay magistrates ou justices of the peace ? Dans la magistrates’ court, le
métier du juge est en effet exercé par des citoyens bénévoles et dépourvus de connaissances
351
S. SASSERATH, « L’abus des correctionnalisations par l’application systématique des circonstances atténuantes »,
RDPC 1937, p. 289 ; v. également P. DECHEIX, « En finir avec l’hypocrisie de la correctionnalisation judiciaire »,
JCP 1970, II, n° 180.
352
Infra, n° 101 et s.
353
J. CRUPPI, o.c., p. 13.
354
Defuisseaux cité par F. DELECOURT, o.c., p. 8.
355
F. LOMBARD, « ‘Les citoyens-juges’. La réforme de la cour d’assises ou les limites de la souveraineté populaire »,
RSC 1996, p. 780.
356
Ainsi que nous l’esquisserons plus loin, le législateur français permet depuis 2005 la présence d’un juge de
proximité non professionnel dans les chambres collégiales du tribunal correctionnel (infra, n° 459).

68
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

juridiques. Ceux-ci siègent le plus souvent en collégialité tripartite et prennent leurs décisions
par la règle de majorité. Malgré leur infériorité professionnelle évidente par rapport au juge
correctionnel du droit continental, il semble toutefois que la justice rendue par les magistrates
fasse, comparée à celle rendue par le jury populaire, preuve d’un professionnalisme
particulier. En traitant plusieurs affaires, les lay magistrates ont davantage d’expérience que
des citoyens ordinaires pour lesquels le rôle de juge se résume souvent à une épreuve isolée.
Les magistrats non-professionnels bénéficient en outre d’une formation leur permettant de se
familiariser avec la procédure, les techniques pour présider, ainsi que la théorie et la pratique
de la répression. Pour les questions de droit ils sont assistés par un juriste, le clerk.357

Le système anglais connaît d’ailleurs, depuis longtemps, l’existence d’un autre type
de juges : les district judges (s. 78 Access to Justice Act de 1999) connus avant 1999 sous le
nom de stipendiary magistrates (Stipendiary Magistrates Act de 1863 et JPA de 1949).358 Il
s’agit de juges permanents, juridiquement qualifiés comme barrister ou sollicitor, et
rémunérés comme des professionnels. Ceux-ci furent instaurés au 19ème siècle (depuis 1835)
afin de répondre aux critiques et aux scandales ciblant les lay magistrates. N’existant
initialement qu’à Londres, ils furent progressivement instaurés dans d’autres ressorts et
connurent une extension significative en nombre, notamment dans les ressorts où la charge de
travail s’avérait importante. Ils traitent un nombre important d’affaires appartenant à la
magistrates’ court359, notamment lorsqu’elles sont longues, complexes ou qu’elles
impliquent des mineurs. Contrairement aux justices of the peace, les stipendiary magistrates
siègent seuls et de manière permanente. N’ayant pas besoin d’avis légal, ils sont moins time-
consuming et sont perçus comme plus efficaces que leurs collègues non-professionnels.360

Si les lay magistrates se substituent graduellement aux jurés, les district judges
supplantent, à l’intérieur de la magistrates’ court et dans une visée de professionnalisation,
leurs collègues non-professionnels. Le processus d’érosion de l’institution du jury semble
ainsi gagner la justice populaire en général. Ce cream off361 s’explique de plus par le rôle
actif du clerk dont les fonctions s’accroissent au fil des ans.362 Cette évolution, assortie de la
suggestion de Lord Auld concernant une juridiction mixte (middle tier of justice)363, nous

357
Infra, n° 448.
358
Infra, n° 455.
359
Les district judges traiteraient, dans la majorité des grandes villes, environ 1/3 des affaires appartenant à la
magistrates’ court (A. SANDERS, Community Justice. Modernising the Magistracy in England and Wales, Londres,
IPPR Criminal Justice Forum, 2001, p. 6).
360
P. SEAGO, C. WALKER et D. WALL, « The Development of the Professional Magistracy in England and Wales »,
Crim. L.R. 2000, p. 638.
361
A. JAMES et J. RAINE, The Few Politics of Criminal Justice, Londres, Langman, 1998, p. 60.
362
P. DARBYSHIRE, « Raising Concerns About Magistrates’ Clerks » in S. DORAN et J. JACKSON, The Judicial Role in
Criminal Proceedings, Oxford – Portland Oregon, Hart Publishing, 2000, p. 183-194.
363
Infra, n° 466.

69
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

porte à interroger l’avenir de la participation des citoyens à l’œuvre de la justice. N’évolue-t-


elle pas, au fil des ans, vers un « endangered species » (espèce menacée) ?364

§ 2 — DEFAILLAFCE DES ALTERFATIVES

63. Après une plongée dans les procédés dépossédant le jury et leurs raisons d’être, il
apparaît que, si ces palliatifs aux procès lourds et onéreux ont acquis le même ancrage que
l’institution à laquelle ils remédient, ils ne sont pas non plus vierges de critiques ; ils
apparaissent plutôt comme des ‘maux’ nécessaires. S’ils vont à l’encontre des principes
essentiels du droit pénal (A — Reproches communs), ils essuient — compte tenu de la
spécificité des méthodes dans chacun des trois pays —, des reproches particuliers (B —
Critiques spécifiques).

A — REPROCHES COMMUNS

64. La correctionnalisation judiciaire et le guilty plea anglais occupent une place


paradoxale au sein de notre justice pénale. En dépit de leurs prépondérance et nécessité, ils
portent atteinte, de manière plus ou moins flagrante, aux règles de compétence et à la sécurité
juridique qui en découle (1). Ils sont également en porte-à-faux vis-à-vis du principe d’égalité
des justiciables devant la loi (2), d’où la crainte que « les dogmes fondamentaux du droit
pénal contemporain ne se révèlent plus guère que coquille vide ».365

1. Atteinte au principe de légalité

65. En matière pénale, les règles de compétence sont, contrairement à celles édictées
en matière civile, d’ordre public. En principe, toute dérogation à ces règles est proscrite.366 Il
existe toutefois des exceptions. A titre d’exemple, nous pouvons citer la plénitude de
juridiction de la cour d'assises pour juger les personnes renvoyées devant elle par ordonnance
ou arrêt de mise en accusation (art. 231 CPP).367 Etant attributive de compétence, la cour
d’assises conserve sa juridiction même si les infractions ne sont pas constitutives de crimes
ou sont entachées d’une erreur de qualification. Une seule exception existe en droit français
lorsqu’un mineur est renvoyé devant la cour d’assises des majeurs.368 Dans ce cas, la cour
d’assises doit se déclarer incompétente, soit en faveur de la cour d’assises des mineurs s’il

364
P. DARBYSHIRE, o.c., p. 490.
365
J.-F. CHASSAING, « Les trois codes français et l’évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain »,
l.c., p. 453.
366
M. CALEB, l.c., p. 33.
367
Crim. 28 janv. 1981, Bull. crim. 41 ; même si, par l'effet d'une loi nouvelle entrée en vigueur postérieurement à
l'arrêt de renvoi, les infractions dont elle est saisie ne sont plus constitutives de crimes mais de délits au moment où la
cour d’assises est appelée à statuer (Crim. 29 avr. 1997, Bull. crim. 155 et Crim. 21 janv. 1998, Bull. crim. 26).
368
Infra, n° 493 et s.

70
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

s’agit d’un mineur entre seize et dix-huit ans au moment des faits, soit en faveur du tribunal
pour enfants en cas d’un mineur de moins de seize ans. Contrairement au juge correctionnel,
la cour d’assises ne peut même pas contrôler sa compétence. Si, en Belgique, une partie
souhaite contester la compétence de la cour d’assises, il faut interjeter un pourvoi en
cassation immédiat contre l’arrêt de renvoi de la chambre des mises en accusation (art. 251
CIC). Une fois devant la cour d’assises, le déclin de compétence n’est plus possible. La
décision de mise en accusation couvre définitivement les vices de compétence. Une fois
devant la cour d’assises, le juge criminel n’est, dans certaines limites, pas tenu d’appliquer la
peine imposée par la loi, ce qui autorise une correctionnalisation concomitante au
jugement369.

66. Contrairement à ces illustrations qui n’entament aucunement la juridiction de la


cour d'assises, les tactiques analysées ci-dessus induisent de véritables déplacements dans la
pyramide hiérarchique des infractions tout en entravant les règles établies par nos codes ou la
Constitution. En cherchant à tout prix une qualification correctionnelle, la
correctionnalisation inflige « une torture […] aux textes »370. En cas de distorsion entre la
gravité réelle des faits et la peine prévue par la loi, le seul moyen logique, remarque à juste
titre Jan Rubbrecht, consiste en une réévaluation et éventuellement diminution des peines.
L’instauration et la généralisation de la technique de la correctionnalisation est à cet égard
étrange puisqu’elle est « une voie détournée » pour atteindre cet objectif.371 D’autres voix
doctrinales estiment, en revanche, que les juridictions d’instruction ne changent en rien la
nature de l’infraction.372 « Elles recherchent si l’infraction que la loi pénale frappe en
principe d’une peine criminelle […] ne se présente pas entourée de circonstances auxquelles
la loi a attaché l’effet de ne la rendre passible d’une peine correctionnelle ». Le cas échéant,
l’infraction n’a jamais été qu’un délit, de sorte que le juge naturel n’est pas la cour d'assises
mais le tribunal correctionnel. La notion de ‘correctionnalisation’ fait dès lors, selon ces
auteurs, preuve d’une terminologie malencontreuse. Cela implique pourtant d’admettre des
circonstances atténuantes chimériques ou de déqualifier l’infraction telle qu’elle a été
commise. Il en résulte que la réalité ne coïncide néanmoins plus avec les textes, ce qui met en
cause les principes de légalité et de sûreté qui en résultent.

369
Infra, n° 93.
370
R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Paris, Ed. Cujas, 2001, 5ème éd., p. 828.
371
J. RUBBRECHT, « De correctionalisatie van misdaden », RW 1937, p. 611.
372
N. DE COCQUEAU DES MOTTES, « De la correctionnalisation des crimes », RDPC 1913, p. 22 ; F. DELECOURT,
o.c., p. 33 et s. et G. TIMMERMANS, o.c., p. XXV.

71
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

La pratique prétorienne française de disqualification373 illustre de manière patente ce


type d’illégalité. Rebelle aux règles de compétence, elle fait une entorse à la hiérarchie
tripartite des infractions et à la légalité des incriminations. Ainsi que nous l’avons déjà
évoqué, cette critique est souvent tempérée par l’accord unanime des parties et la possibilité
dont dispose la cour d’appel pour redresser des qualifications erronées. Il convient toutefois
de rappeler que ce droit de restituer aux faits leur véritable qualification est neutralisé par le
seul appel de la personne mise en examen.374 De plus, la consécration législative par la loi
Perben II de la correctionnalisation provenant du juge d’instruction (collège d’instruction en
2011) ou de la chambre de l'instruction en paralysant dans certains cas sa contestation, ne la
rend pas légale. Compte tenu de l’absence de critères fondant cette pratique, les autorités
d’instruction conservent leur entière liberté (arbitraire). Cette critique vaut d’ailleurs pour la
technique discutable de charge bargaining, qui se pratique dans les coulisses, entre la
prosecution et la défense. Or, cela ne risque-t-il pas de nous éloigner des exigences
d’antériorité et de prévisibilité attachées au juge naturel, ainsi que se le demande à juste titre
Guillaume Royer : « l’efficacité de la justice pénale mérite-t-elle que le légalisme procédural
soit si ouvertement négligé »?375

67. Non seulement il faut préserver les citoyens de lois trop complexes, il est
également important de garantir une bonne application de ces lois. La sécurité juridique
conditionne l'exercice des droits des citoyens : « on trouve dans l’application rigoureuse de
la loi, même mauvaise, la garantie de sa défense »376 et « s’il importe de ne pas innocenter
les coupables, il importe aussi à la dignité de la justice, à l’intérêt social et à la protection
des individus de ne les punir que conformément à la loi »377. La dénaturation d’un crime en
délit signifie toutefois que la personne mise en cause sera jugée non pas par la cour d’assises,
mais par le juge correctionnel, selon une procédure différente qui, selon certains, s’avérerait
moins protectrice qu’en matière criminelle. Serait-il dès lors préférable d’exiger au moins
l’accord des parties en cause, à l’instar du droit français ?378 Il s’agit en outre de savoir
comment on peut demander aux justiciables de se comporter conformément à la loi si les
agents publics donnent le mauvais exemple : « on se plaint du peu de respect que les esprits,
dans nos mœurs communes, témoignent pour l’observation de la loi, que sera-ce si c’est la
magistrature qui donne l’exemple » ?379 Une telle situation induit une confusion des valeurs

373
Crim. 22 juill. 1910, S. 1914, I, p. 49, note J.A. ROUX et Crim. 11 sept. 1924, S. 1925, I, p. 92.
374
Supra, n° 35.
375
G. ROYER, « Le juge naturel en droit criminel interne », RSC 2006, p. 803-804.
376
H. VERDUN, Des pratiques judiciaires de correctionnalisation. Etude synthétique et critique, Thèse, Aix-en-
Provence, 1922, p. 72.
377
Dupin, cité par SIGNOREL in P. BONDUE, « La correctionnalisation des crimes », l.c., p. 6.
378
J. RUBBRECHT, « De correctionalisatie van misdaden », l.c., p. 613-615.
379
Ch. LAPLANCHE, o.c., p. 26-27.

72
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

ainsi qu’une dévaluation du droit pénal. Elle engendre, dans la conscience collective, une
sorte de tolérance ou indifférence à l’égard d’agissements foncièrement antisociaux380, ce qui
pourrait aboutir à une perte des effets préventifs381. L’intérêt de la société civile pourrait en
effet être entamé si la poursuite et la répression ne reflètent plus la gravité réelle de
l’infraction.

2. Atteinte au principe d’égalité

68. Si l’individualisation de la peine présente des avantages louables pour la personne


de l’auteur — elle permet l’adaptation de la peine à sa personnalité dans le cadre
d’amendement et de resocialisation —, la médaille a néanmoins un revers. Gabriel Tarde
avait déjà écrit qu’« individualiser la peine, c’est inégaliser pour des fautes égales »382. En
effet, outre la « torture infligée aux textes », la correctionnalisation française et belge, ainsi
que le plaider coupable anglophone, injectent de l’arbitraire dans la répression à différents
niveaux. Ils remettent en cause l’égalité des citoyens devant la loi ; principe primordial
consacré par les articles 7 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les
articles 6 et 14 CESDH et 14-1 du Pacte international relatif aux droit civils et politiques
ainsi que par les Constitutions nationales.

Cette violation peut en premier lieu être attribuée à l’usage abusif d’alternatives. Par
le truchement de circonstances atténuantes largement illusoires, la pratique de
correctionnalisation belge est devenue un automatisme vivement érodé par des clauses
« commodes et paresseuses »383. Selon la doctrine, elle revêt un caractère artificiel,
hétérodoxe et exorbitant.384 Il est en effet rare qu’un fait susceptible d’être correctionnalisé ne
le soit pas. En cherchant bien, il y aura toujours, et pour tout le monde, une caractéristique ou
une circonstance qui permet d’adoucir le degré de culpabilité. Même un casier judiciaire bien
‘rempli’ ne constitue pas un obstacle incontournable ; l’absence de condamnation préalable, y
compris en matière criminelle, suffit. Peuvent aussi bien se retrouver devant le juge
correctionnel le simple voleur que l’auteur d’un tiger kidnapping. De ce point de vue, la
correctionnalisation belge semble malmener le principe du juge naturel qui est, contrairement
au droit français, constitutionnellement protégé : « nul ne peut être distrait contre son gré du
juge que la loi lui assigne » dispose l’article 13 de la Constitution belge. La ligne
380
M. CALEB, l.c., p. 31.
381
P. BONDUE, « La correctionnalisation des crimes », l.c., p. 13.
382
G. Tarde, cité par J. PRADEL, « Vers un retour à une plus grande certitude de la peine avec les lois du 9 septembre
1986 », D. 1987, chron. II, p. 5.
383
S.-C. VERSELE, l.c., p. 927. Selon S. Sasserath, l’abus était encore plus inquiétant depuis la loi du 25 octobre 1919
qui instaura le juge unique en matière correctionnelle (S. SASSERATH, « L’abus des correctionnalisations par
l’application systématique des circonstances atténuantes », l.c., p. 290).
384
S. SASSERATH, « L’abus des correctionnalisations par l’application systématique des circonstances atténuantes »,
l.c., p. 286 ; contra F. DELECOURT, o.c., p. 43 et s.

73
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

jurisprudentielle révèle toutefois que cette disposition constitutionnelle n’interdit pas de


recomposer autrement la juridiction légalement compétente. Il n’existe dès lors pas de droit à
un jury en tant que tel en droit belge. Tous les individus se trouvant dans une situation
similaire385 doivent seulement être jugés selon les mêmes règles procédurales, objectivement
fixées et suffisamment précises.386 En principe il n’y a dès lors pas d’objection à une
correctionnalisation dans un cas particulier. En matière civile, la Cour de cassation statua
cependant que tout dessaisissement devait être une mesure exceptionnelle ne pouvant être
appliquée de façon extensive.387 Une « épidémie de correctionnalisations »388 s’avère
difficilement conciliable avec cette jurisprudence. Pourtant, c’est à cette ‘épidémie’ que la
pratique est contrainte pour éviter les ‘gifles’ de la CEDH pour violation du principe du
traitement dans un délai raisonnable.

69. Ainsi que nous l’avons déjà avancé, la loi belge du 21 décembre 2009 relative à la
réforme de la cour d’assises continue sur l’élan visant à élargir la technique contestable de la
correctionnalisation. Comme pour chaque extension de la pratique de correctionnalisation,
plusieurs questions se posent toutefois quant aux critères sur lesquels le législateur se fonde
pour étendre la liste du célèbre article 2 de la loi de 1867 sur les circonstances atténuantes. A
partir du 1er mai 2010, une correctionnalisation est par exemple possible pour l’infraction
d’enlèvement d’un mineur ayant entrainé la mort, punissable d’une peine de réclusion de
vingt à trente ans (art. 428 § 5 en 429 CPB), mais pas pour un viol ayant causé la mort (art.
376 CPB), ni pour une torture ayant causé la mort (art. 417ter CPB). La distinction que le
législateur y opère n’est guère claire. Il est, en revanche, étrange qu’il distingue entre ces
trois types de crimes alors que pour le prononcé de la peine complémentaire obligatoire —
même sans récidive — de la mise à la disposition (art. 34ter 3° CPB)389, ces trois infractions
sont soumises au même régime parce qu’elles sont « tellement odieuses » et dénotent « un
mépris tel des valeurs essentielles de la vie humaine, qu'il est légitime que la société dispose
des outils légaux nécessaires pour prendre les mesures de protection qui s'imposent à leur
encontre afin d'éviter que ces personnes ne puissent à nouveau nuire »390. Mystérieux
également, que les articles 428 § 5 (enlèvement d’un mineur ayant entrainé la mort) et 474 du
Code pénal (vol avec violences ou menaces sans l’intention de tuer mais avec la mort comme

385
Cass. 1er févr. 1984, Pas. 1984, I, p. 616 et RW 1984-85, p. 1250, note.
386
Cass. 7 janv. 1997, Pas. 1997, I, p. 34.
387
Cass. 1er oct. 1998, Arr.Cass. 1998, p. 933.
388
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, o.c., p. 82, n° 138.
389
Loi du 26 avril 2007 relative à la mise à disposition du tribunal de l'application des peines, MB 13 juill. 2007, p.
38299.
390
Doc.parl. Sénat 2006-07, n° 3-2054/1, p. 5 et R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009
tot hervorming van het hof van assisen » in R. VERSTRAETEN et F. VERBRUGGEN (éd.), Themis. Straf-en
strafprocesrecht, Bruges, Die Keure, 2010, p. 94-95.

74
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

conséquence) entrent désormais dans le champ d’application de la correctionnalisation, tandis


que ce n’est pas le cas pour l’article 518 in fine du même Code (incendie ayant entrainé la
mort). Dans ce dernier cas, il n’y a pas non plus d’intention de tuer la victime. Argumenter
que ce crime est punissable de la réclusion à perpétuité n’est pas fondé : cela est en effet
également le cas pour l’article 347bis § 2 alinéa 2 (prise d'otages d’un mineur) et § 4 du Code
pénal (prise d'otages ayant causé soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité
permanente physique ou psychique, soit la perte complète de l'usage d'un organe, soit une
mutilation grave, soit la mort) qui sont bien correctionnalisables.391 De manière plus
générale, il semble étrange que la proposition initiale de déterminer la compétence de la cour
d’assises par une liste positive et limitative des crimes ait été vivement critiquée392, en raison
de la difficulté à fixer les critères, alors que le législateur favorise lui-même une liste
limitative négative pour la correctionnalisation dont les critères semblent plutôt
discrétionnaires. Il en résulte corrélativement que les critères pour cataloguer une infraction
dans la liste des crimes non-correctionnalisables ne sont pas non plus clairs : à première vue,
il apparaît que la cour d’assises belge est uniquement compétente pour les infractions
punissables de la réclusion à perpétuité pour lesquelles la mort de la victime est administrée
intentionnellement par l’auteur. Il manque pourtant au crime non-correctionnalisable de
l’article 518 in fine du Code pénal cette exigence intentionnelle.393 En outre, le jury demeure
compétent pour certains crimes pouvant être frappés d’une réclusion de vingt à trente ans
dont le viol ayant entraîné la mort (art. 376 CPB) et la torture ayant causé la mort (art. 417ter
CPB) qui, pour une obscure raison, ont été distingués de l’infraction d’enlèvement d’un

391
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen », l.c.
p. 95.
392
Cette proposition était avancée par la Commission de réforme de la cour d’assises afin de mettre un terme à la
technique contestable de la correctionnalisation judiciaire tout en réduisant la portée de la cour d’assises. Elle a été
reprise par les propositions de loi (Ph. Mahoux) déposées le 26 avr. 2007 (Doc.parl. Sénat 2006-07, n° 3-2426/1) et le
25 sept. 2008 (Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-924/1) ; infra, n° 77. Outre les délits politiques et les délits de presse, la
liste positive contiendrait tous les crimes passibles d’une peine privative de liberté à perpétuité, tout en englobant
également quelques infractions réprimées par une peine privative de liberté de trente ans ou, exceptionnellement, par
une peine plus légère. Il s’agirait en particulier des infractions ayant entrainé la mort de la victime causée par
l’intention de l’auteur. Enfin, la liste contiendrait quelques infractions ayant entraînées la mort de la victime sans
l’intention de la donner qui témoignent d’une cruauté extrême causée par l’acte. Il s’agirait en particulier du viol ayant
entraîné la mort (art. 375 et 376 al. 1 CPB), de la torture ayant entraîné la mort (417ter al. 3, 2° CPB) et de
l’enlèvement ou de la détention de mineurs ayant entraîné la mort (art. 428 § 5 et 429 CPB).
Toutes les autres infractions incomberaient à la compétence du tribunal correctionnel. Ainsi, les tentatives pénales
(art. 52 CPB) seraient systématiquement retirées de la compétence du jury sauf en cas de connexité, ce qui constituait
une cause d’exaspération aux yeux du Conseil supérieur de la Justice (Avis du 11 février 2009 du Conseil supérieur
de la Justice relatif à la proposition de loi relative à la réforme de la cour d’assises, Doc.parl. Sénat 2008-09, n°
4924/2). Lors des débats parlementaires sur la réforme de la cour d’assises, il fut aussi avancé qu’une liste positive de
compétence manque de souplesse, notamment à l’égard de l’évolution de la criminalité. En effet, ce qui n’est pas
d’actualité aujourd’hui peut bien l’être demain (F. DELPEREE et T. VAN PARYS, Rapport relatif à la proposition de loi
relative à la réforme de la cour d’assises, fait au nom de la Commission de la justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n°
4924/4, p. 21).
393
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen », l.c.
p. 95.

75
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

mineur ayant causé la mort (art. 429 § 5 en 429 CPB) qui peut être porté devant le juge
correctionnel.

70. Hormis les critiques touchant aux critères de correctionnalisation, il convient


également de questionner la manière de correctionnaliser. Avec la loi du 21 décembre 2009,
le législateur belge continue avec un système dans lequel l’orientation des affaires dépend de
la volonté de ceux qui ont le pouvoir de la mettre en œuvre — le ministère public et les
juridictions d’instruction — et, par conséquent, de la politique menée dans chaque ressort.
Des faits similaires sont susceptibles d’atterrir devant la cour d'assises ou la juridiction
correctionnelle et ainsi d’être jugés suivant d’autres règles que celles qui auraient été
appliquées si l’infraction avait été correctement qualifiée d’emblée.394 Certains auteurs
échappent ainsi à une répression plus accrue.395 De plus, des personnes ayant le même degré
de responsabilité ne seront pas sanctionnées par la même peine. La discrétion du jury n’est-
elle pas remplacée par celle des autorités d’instruction ? Si les juridictions d’instruction
décident de correctionnaliser toutes les affaires appartenant à la liste nouvelle de l’article 2 de
la loi de 1867, la cour d’assises est pratiquement dépossédée ; si, en revanche, elles
n’utilisent pas de leurs prérogatives plus étendues, la délimitation promise de la cour
d’assises, reste lettre morte. Ainsi que nous le verrons ultérieurement, une exception existe en
matière de protection des mineurs, où le parquet n’a, en vertu de la nouvelle procédure de
dessaisissement, pas de discrétion : tous les crimes correctionnalisables doivent
nécessairement être portés devant la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse.396 Avec la
nouvelle loi du 21 décembre 2009, cela concerne aussi ceux qui ont été ajoutés à la liste de
l’article 2 de la loi de 1867.

71. En droit anglais, où la magistrates’ court est compétente pour la répartition des
affaires triable either way, une étude récente pointe également le caractère disparate des
décisions de répartition des affaires des magistrates’ courts, nonobstant les directives
poursuivant la cohérence nationale.397 Cette inconsistance entre les différentes cours relève,
selon Andrew Herbert, de la culture judiciaire individuelle de chaque magistrates’ court,
ainsi que de la foi qu’ils accordent au concept de ‘justice locale’. Si certaines cours préfèrent

394
F. Delecourt fait partie des rares auteurs soutenant que la pratique de la correctionnalisation ne porte pas atteinte au
principe d’égalité des justiciables. Tous les inculpés se trouvent dans des circonstances identiques devant la même
juridiction et seront jugés par le juge que la loi leur assigne (F. DELECOURT, o.c., p. 39-40).
395
Contrairement au tribunal correctionnel, la suspension n’est par exemple pas possible devant la cour d’assises (P.
BONDUE, « Rapport introductif », l.c., p. 20). On pourrait en revanche défendre l’idée qu’en retirant l’auteur criminel
de son juge naturel, le jury, et en le privant ainsi d’une probabilité accrue d’acquittement, les circonstances
atténuantes deviennent paradoxalement des circonstances aggravantes pour celui en faveur duquel elles sont
invoquées (Defuisseaux, cité par F. DELECOURT, o.c., p. 824).
396
Infra, n° 491.
397
A. HERBERT, « Mode of Trial and the Influence of Local Justice », HJCJ 2004, p. 67-71.

76
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

renvoyer à la Crown Court en cas de doute, d’autres maintiennent eux-mêmes la juridiction


(borderline cases). Pour la majorité des lay magistrates en effet, la consistance nationale de
la décision d’attribution des affaires paraît moins importante que leur responsabilité primaire
qui consiste à répondre aux besoins de la communauté locale. L’incertitude du résultat d’un
procès devant le jury risque d’être supplantée par l’arbitraire des alternatives : « the roulette
wheel has taken the place of the rule of law ».398 Parfois cela est au profit de la personne mise
en examen, parfois au détriment de celle-ci ; mais une telle évolution ne peut jamais être en
faveur de la justice.399

Le système du plaider coupable semble de prime abord moins menaçant pour le


principe d’égalité dans la mesure où ce ‘choix’ émane de l’accusé. Nous pourrions toutefois
émettre quelques réserves. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, la pratique anglaise de
reconnaissance préalable de culpabilité semble en réalité peu apte à garantir un échange libre
et équitable (free et fair trade), nonobstant l’établissement de règles spécifiques et de
directives rigoureuses. Ensuite, il n’y a pas d’égalité entre ceux qui décident finalement de
reconnaître leur culpabilité : à titre d’exemple, les accusés punis d’une peine minimum
obligatoire ne reçoivent pas la même réduction400. En outre, en se focalisant sur la
coopération de l’accusé et non sur sa personnalité, la perspective de resocialisation des
personnes condamnées n’est que partiellement réalisée.401 Un autre reproche adressé à la
technique du plaider coupable concerne, sur le plan de la discrimination des minorités
ethniques, son rapport douteux avec l’article 14 CESDH402. Plusieurs études démontrent en
effet que les minorités ethniques, et plus particulièrement les personnes d’origine afro-caraïbe
et asiatique, exercent plus fréquemment leur droit d’exiger un procès devant le jury que les
autochtones anglais.403 Une telle résistance relèverait d’une pensée (justifiée)404 selon
laquelle la chance d’acquittement serait plus conséquente lorsque le verdict émane d’un jury
‘vierge’, plutôt que de magistrats case-hardened (endurci). L’institutionnalisation du plaider

398
« La roulette a pris la place de la rule of Law » (A. ASHWORTH et M. REDMAYNE, o.c., p. 285).
399
J. BALDWIN et M.J. MCCONVILLE, « Sentencing Problems Raised by Guilty Pleas : an Analysis of Negotiated Pleas
in the Birmingham Crown Court », M.L.R. 1978, p. 558.
400
Infra, note 505.
401
B. PEREIRA, « Justice négociée : efficacité répressive et droits de la défense ? », D. 2005, p. 84-98.
402
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction
aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes
autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou
toute autre situation ».
403
GUS JOHN PARTNERSHIP, Race for Justice, Crown Prosecution Service, The Stationery Office, 2003,
www.cps.gov.uk/publications/equality/racejustice.html, § 37 et Ch. THOMAS, Are Juries Fair ?, Londres, Ministry of
Justice Reserach Series 1/10, 2010, p. 21-22. Pour des chiffres, v. HOME OFFICE, Statistics on Race and the Criminal
Justice System, 1999 (p. 38), www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs/s95race99.pdf et 2005 (p. 54),
www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs06/s95race05.pdf.
404
Supra, note 222.

77
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

coupable — ainsi que la proposition de retirer le right to a jury trial405 — aurait dès lors un
impact disproportionné sur les membres de telles minorités ethniques simplement parce
qu’ils exercent leur droit. Cela pourrait générer indirectement des inégalités raciales.406 Il
nous paraît toutefois nécessaire de relativiser ce risque, les minorités ethniques éprouvant
également certaines angoisses par rapport au jury populaire qui n’est pas toujours perçu
comme impartial.407

B — CRITIQUES SPECIFIQUES

72. Outre les objections à la violation des principes généraux du droit pénal, la
spécificité des artifices appliqués est également en butte à des reproches spécifiques. D’un
côté, la pratique continentale interroge quant à la séparation des pouvoirs (1). Les différents
acteurs de la justice pénale semblent tâtonner pour cerner les frontières de leur puissance : les
juges de fond s’érigent en législateurs ; les magistrats de bout et d’instruction empiètent sur
le pouvoir des juges de jugement. De l’autre côté, la pratique du plaider coupable semble
vouée à bafouer les principes chers à la Cour européenne des droits de l’homme (2).

1. Une pratique continentale à contre-pied de la séparation des pouvoirs

73. Afin d’assurer une justice résolument impartiale et indépendante, il existe une
distinction claire entre le législateur et le corps judiciaire. Le Parlement établit les règles du
jeu dont l’ordre judiciaire assure la bonne application : « la mission du juge n’est point de
corriger les défauts de la loi ; dès que vous le chargez de cette mission, il n’y aura plus de loi
et chaque arrêt sera une révision du code ».408 Au sein de l’ordre judiciaire, existe ensuite
une séparation claire entre les juridictions de poursuite et d’instruction, et les juridictions de
fond. Les magistrats du jugement ont pour tâche difficile d’apprécier les preuves avancées
par la partie poursuivante, de juger si les faits sont suffisamment établis afin de condamner la
personne mise en cause et, dans l’affirmative, de lui attribuer une peine juste. Ce pouvoir est
strictement interdit aux magistrats de bout ainsi qu’aux juridictions d’instruction.

74. Toutefois, les différentes techniques de correctionnalisation mettent en péril cette


distribution des compétences. Ainsi le parquet, qui ne dispose pas des mêmes garanties
d’indépendance que les juges du siège, bénéficie d’un large pouvoir qui lui permet d’orienter

405
Infra, n° 101.
406
A. ASHWORTH et M. REDMAYNE, o.c., p. 291.
407
Après condamnation, les individus issus d’une minorité ethniques seraient souvent sanctionnés par une peine
nettement plus sévère (R. HOOD, Race and Sentencing : a Study in the Crown Court, Oxford, Clarendon Press, 1992,
p. 125 ; infra, n° 148).
408
J.J. HAUS, Rapport sur le Livre II, Titre III du Code pénal in J.S.G. NYPELS, Législation criminelle, ou
commentaire et complément du code pénal belge, Bruxelles, Bruylant-Christophe, 1867-1870, tome II, p. 172 ; cité
également par P. BONDUE, l.c., p. 5 et par N. DE COCQUEAU DES MOTTES, l.c., p. 8.

78
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

les affaires et, par ricochet, d’en déterminer le sort. Le fait de les retirer de la cour d'assises
permet d’éviter des peines criminelles sévères avec toutes les conséquences qui en découlent.
Il en est de même en droit anglais avec la pratique de charge et fact bargaining ainsi qu’en
droit belge, de manière plus prégnante, pour les juridictions d’instruction. Contrairement aux
juridictions de fond, celles-ci ne peuvent en rien juger la culpabilité. La question de savoir si
les faits sont établis excède leur compétence. Toutefois, par la faculté systématique de
correctionnalisation que le législateur leur accorde, la chambre du conseil et la chambre des
mises en accusation interviennent dans l’appréciation des faits.409 Si, théoriquement, leur
décision ne juge en rien la culpabilité, ils considèrent, « d'une manière anticipative et
contraignante pour la juridiction de jugement que si les faits devaient être établis, il existe
des circonstances atténuantes de telle nature qu’il ne faut infliger qu’une peine d'une
catégorie d'infractions inférieure ».410 Or, n’est-il pas absurde de déclarer des circonstances
atténuantes pour des faits incertains ?411

75. Afin de limiter la correctionnalisation judiciaire tout en contrecarrant cette


critique, une solution fréquemment prônée porte sur l’élargissement massif du domaine de la
correctionnalisation dite législative.412 Une intervention législative garantirait en effet, de
manière générale et objective, un déclassement sur l’échelle des peines. D’autres tentatives
de réforme émanant de Gustave Timmermans et Simon Sasserath préconisèrent le maintien
du mécanisme de la correctionnalisation judiciaire avec, toutefois, la possibilité pour les
parties et le tribunal correctionnel d’office d’y renoncer413 : une sorte de « juge professionnel
waiver » ou formulé positivement un véritable droit au jury414. Lorsqu’on ne veut pas
bénéficier de la ‘faveur’ des circonstances atténuantes avant le procès et que l’on préfère un
procès devant la juridiction populaire au motif que les chances d’acquittement y seraient
majorées, on devrait avoir la possibilité de renoncer à la correctionnalisation. Cette
proposition s’avère pourtant fort critiquable, le fait d’orienter l’action publique au gré de la
personne mise en examen paraissant peu judicieux. En outre, un tel privilège porterait atteinte
à l’intérêt social. La société a intérêt à ce qu’un crime ne reste pas impuni, ce qui s’avère

409
G. TIMMERMANS, o.c., p. XXIX.
410
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 42.
411
Destriveaux, cité par P. BONDUE, l.c., p. 4.
412
P. BONDUE, l.c., p. 13 et N. DE COCQUEAU DES MOTTES, l.c., p. 25 et s. ; v. cependant L. DE HALLEUX, « Faut-il
réduire la compétence de la cour d'assises en matière criminelle ? », Ann.dr. Louvain 1938-39, p. 455-462 (infra, n°
104).
413
S. SASSERATH, « La correctionnalisation », RDPC 1955, p. 83-84 et G. TIMMERMANS, o.c., p. II, p. XXXVI-
XXXXVII et p. 186-187.
414
Infra, n° 99 et s.

79
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

davantage aléatoire devant le jury.415 Après correctionnalisation, un autre garde-fou pourrait


consister en la garantie d’être jugé en correctionnel par un collège de trois juges.416

76. Consciente de son système périlleux, la doctrine française fut maintes fois séduite
par le système belge de correctionnalisation par les juridictions d’instruction. Ainsi, selon
Henri Verdun qui reconnaissait le reproche à leur égard, il y aurait moins de disparité entre
vingt-neuf chambres de mises en accusation qu’entre quatre cents juges d’instruction.417 Le
risque de voir les juridictions d’instruction se mettre au siège du juge pourrait être minoré si
l’on prévoit suffisamment de garanties, telles que la prise de décisions à l’unanimité. C’est en
2004 que la France semble franchir ce pas418 en confirmant législativement sa pratique
prétorienne. En interdisant la contestation de la compétence lorsque l’ordonnance de renvoi
provient de la juridiction d’instruction (art. 469 al. 4 CPP), cette dernière est consacrée,
comme en droit belge, dans une fonction qui n’est traditionnellement pas la sienne.

77. En Belgique, le pouvoir des juridictions d’instruction semble également valorisé.


En élargissant davantage la portée de la correctionnalisation judiciaire par la nouvelle loi du
21 décembre 2009, le législateur semble en garantir l’avenir. De cette manière, il enterre
définitivement la piste avancée sous l’impulsion de la Commission de réforme de la cour
d’assises belge et reprise par la proposition de loi du 25 septembre 2008419 de ne plus fonder
la compétence du jury populaire sur une conception négative — la cour d’assises est
compétente pour les crimes qui ne sont pas correctionnalisés —, mais sur un mécanisme
positif en usant d’une liste qui détermine de manière explicite et exhaustive les infractions
appartenant à la juridiction des juges populaires. Ainsi que nous l’esquisserons plus loin, une
telle liste existe également en droit espagnol. Simplifiant l’ensemble de la procédure
criminelle, cette approche aurait toutefois permis, dans le sillage de Walter Ganshof
Vandermeersch420 et Robert Legros421, d’évacuer le système artificiel et tortueux de la
correctionnalisation issue des juridictions d’instruction et du parquet, source d’un tas
d’écueils procéduraux.

415
N. DE COCQUEAU DES MOTTES, l.c., p. 23.
416
S. SASSERATH, « La correctionnalisation », l.c., p. 92-93.
417
H. VERDUN, o.c., p. 101-106, sp. p. 106.
418
Supra, n° 37.
419
Doc.parl. Sénat 2006-07, n° 3-2426/1, p. 3-4 (supra, note 392346).
420
A l’orée de la seconde guerre mondiale, le Centre d’études et, en particulier, W. Ganshof Vandermeersch
réservaient à la compétence exclusive de la cour d’assises, outre les délits politiques et de presse, les crimes passibles
de mort et de perpétuité. Ceux-ci méritent un traitement profond. Les crimes passibles de travaux forcés de vingt ans
devant par contre être retirés au jury et confiés au juge correctionnel (CENTRE D'ETUDES POUR LA REFORME DE L’ETAT,
« Un projet de réforme de la compétence de la cour d'assises en matière d'infractions de droit commun », RDPC 1939,
p. 1404 et s.).
421
R. LEGROS, o.c., p. 162.

80
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Il nous semble problématique que des détournements de la qualification, opérés au


détriment de la vérité, soient consacré dans leur place prépondérante, voire obligatoire : « la
loi, en purgeant la qualification de son erreur, entérine le mensonge sur la réalité […] ».422
La solution la plus judicieuse, mais également la plus ambitieuse, consisterait en une refonte
intégrale des cadres légaux actuels.423 Au lieu de chercher et de développer des moyens
contestables, il faut attaquer ‘le mal’ à la racine. Certes, l’établissement d’un code parfait
dans lequel chaque infraction coïncide avec sa répression juste relève de l’utopie, nos codes
devant résolument bénéficier d’une marge ‘évolutive’. Il nous semble primordial, pourtant,
de bâtir sur des bases fiables.

2. Une pratique anglaise à contre-pied les garanties de la Convention


européenne des droits de l’homme ?

78. A côté de l’entorse faite au principe d’égalité des justiciables devant la loi, les
propositions et réformes novatrices qui encouragent la pratique du plaider coupable
entameraient la tradition accusatoire du procès ainsi que les principes fondamentaux garantis
par la CESDH.

Cette critique paraît toutefois relativement récente. Selon M.M. Feeley, le plaider
coupable s’enracinerait au contraire curieusement en tant que corollaire de l’émergence et de
l’essor de l’adversarial trial dans la seconde moitié du 19ème siècle, en particulier ‘grâce’ à la
représentation des accusés par un avocat.424 Jadis, l’accusé ne bénéficiait que rarement d’une
représentation au procès. Les procès étaient de très courte durée et se déroulaient de manière
sommaire : la possibilité d’interjeter appel contre la décision était quasi inexistante, tout
comme les règles de preuve. Avec la montée de la police moderne et le développement du
barreau, la nature des procès a évolué de façon significative, créant ainsi un terrain favorable
à l’apparition du plaider coupable. En effet, l’intervention des défenseurs dans la majorité des
affaires a rendu les procès davantage complexes et longs. Paradoxalement, une telle
augmentation des garanties contradictoires, autrement dit de cette technocratisation de la
justice pénale, constituait, selon M.M. Feeley entre autres, la base de son érosion. Le plaider
coupable émerge donc, selon cette doctrine de ‘professionnalisation’, concomitamment à
l’adversarial trial.

422
Ibid.
423
H. VERDUN, o.c., p. 99 et s. (pour la proposition d’une nouvelle juridiction criminelle, v. infra, n° 561 et s. et n°
593 et s).
424
M.M. FEELEY, « Legal Complexity and the Transformation of the Criminal Process : The Origins of Plea
Bargaining », Isr. L.R. 1997, p. 192-194 et p. 202-215 ; J.H. LANGBEIN, « Understanding the Short History of Plea
Bargaining », LSR 1978-79, p. 261-272 et M. ZANDER, « Plea Bargaining Goes Back a Hundred Years », F.L.J. 1998,
p. 323.

81
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

En outre, la réduction de la peine en échange d’un plaider coupable était


traditionnellement considérée comme la conséquence normale de l’expression d’un regret.425
Un tel constat fut mis en exergue dans différentes affaires.426 Dans cette optique, il n’est ni
question de tactique, ni de calcul rationnel. Au contraire, le plaider coupable serait sous-tendu
par des remords sincères. Il en résulte que le guilty plea ne peut pas violer le principe du
contradictoire et n’induit que peu de résistances éthiques. La raison sous-jacente porterait sur
le rapport entre le regret et la culpabilité par rapport aux faits : si un individu est innocent, il
ne peut se repentir et se sentir coupable d’un acte qu’il n’a pas commis. Les innocents
n’encourraient donc aucun risque, la réduction ne s’appliquant qu’à ceux qui la méritent.427

Progressivement, ces points de vue firent toutefois montre de fêlures. Initiant une
piste novatrice, Mike J. McConville et Chester L. Mirsky soutinrent que la pratique
expéditive du guilty plea ne serait pas le fruit d’une transformation constante, mais aurait
surgi subitement sous l’influence du contexte. Déjà au début du 19ème siècle, avancent les
deux auteurs, les avocats et les juges s’étaient bien familiarisés aux principes du procès
équitable, de sorte que le plaider coupable ne se développa pas grâce à la professionnalisation
des acteurs de la justice.428

Par ailleurs, rien n’atteste que l’accusé éprouve réellement des remords ; il peut s’agir
d’un simulacre simplement sous-tendu par son intérêt personnel. L’argument de regret
semble souvent utilisé afin de masquer la réalité pragmatique ou utilitaire de la décision.429
Dans l’affaire Cain de 1976430, c’est le plaider coupable lui-même, et non plus le regret, qui
accapare l’attention. La célérité de la justice, les coûts/bénéfices et le crime control drainent
de plus en plus les préoccupations en compromettant l’aspiration fondamentale de la justice
pénale : la quête de vérité. Au-delà des objections éthiques431, il s’agit dès lors de savoir
comment un tel système peut exister sous les auspices du droit international.432 Un système
institutionnalisé de plea bargaining induirait le renoncement à plusieurs principes
fondamentaux : la présomption d’innocence, le droit au silence, le privilège contre l’auto-

425
M.J. McCONVILLE, « Plea Bargaining : Ethics and Politics », J. Law & Society 1998, p. 562-563.
426
Turner [1970] 54 Cr. App. R. 352, 360 ; v. aussi Fraser [1982] 4 Cr. App. R. 254 et Karim [2005] EWCA Crim
533.
427
M.J. McCONVILLE, « Plea Bargaining : Ethics and Politics », l.c., p. 564.
428
Réfutant également la théorie de case pressure, leur étude empirique sur la ville de New York soulève en revanche,
que le triomphe du plaider coupable sur le procès s’explique par des mutations politiques et sociales, notamment par
des vagues d’immigration et l’émergence, en 1850, d’une ‘justice agrégée’ (M.J. McCONVILLE et Ch.L. MIRSKY, Jury
Trials and Plea Bargaining : A True History, Oxford-Portland, Hart Publishing, 2005, 351p.).
429
C. McCoy et N. Cohen, cités par R. HENHAM, « Bargain Justice or Justice Denied ? Sentence Discounts and the
Criminal Process », l.c., p. 522-523.
430
Cain [1976] Crim. L.R. 464.
431
S. D’ORAZIO, « La consécration de la justice pénale négociée », Ann. dr. Louvain 2003, vol. 63, n° 4, p. 416.
432
A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 433-435.

82
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

incrimination, le droit à un procès équitable et publique devant un tribunal impartial et


indépendant et la non-discrimination.

79. Le principe de la présomption d’innocence au sens du § 2 de l’article 14 du Pacte


international relatif aux droit civils et politiques et de l'article 6 CESDH — « toute personne
accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie »433, consacré par l’article préliminaire du Code de procédure pénale
français434 — implique que la charge de la preuve pèse sur l’accusation et que le doute profite
au prévenu. Il incombe, conformément à la jurisprudence de l’affaire Barbera, Messegue et
Jaberdo c. Espagne de 1988435, à la partie poursuivante d’indiquer à l’intéressé les charges
dont il fera l’objet — afin de lui permettre de préparer et de présenter sa défense — ainsi que
d’établir des preuves suffisantes pour fonder une déclaration de culpabilité.436 Cette exigence
constitue une protection contre des abus éventuels. Pourrait-on renoncer à ce privilège ?

Dans l’affaire X c. Royaume-Uni de 1972, la Commission européenne des droits de


l’homme s’est penchée sur cette question. Elle estimait que l’abandon d’un tel droit n’était
pas contraire à l’article 6-2 CESDH à la condition que le juge s’assure de la bonne
compréhension du prévenu et qu’il y ait suffisamment des garde-fous contre les abus
(assistance d’un avocat, informations claires sur les conséquences du plaider coupable,
notamment sur le plan des garanties auxquelles l’accusé renonce…).437 Bien évidemment, il
convient de s’assurer de la volonté éclairée et non équivoque438 qui préside à cette
renonciation, tout en respectant les limites légales de la réduction de peine. Or, ces garde-
fous existent-ils réellement dans le système anglais ? Si le plaider coupable peut, sur le plan
de la détermination de la peine, constituer une circonstance atténuante,439 il s’agit de savoir si
le consentement a été donné librement. Dans l’affaire Deweer c. Belgique de 1980, la Cour

433
CEDH 27 févr. 1980, Deweer c. Belgique, n° 6903/75, § 55 ; CEDH 10 févr. 1995, Allenet de Ribemont c. France,
n° 15175/89, § 35 et 37.
434
« Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les
atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».
En Belgique, la valeur importante de ce principe a été soulignée par la Cour de cassation (Cass. 11 déc. 1984, Pas.
1985, I, p. 452).
435
CEDH 6 déc. 1988, Barbera, Messeque et Jaberdo c. Espagne, n° 10590/83, § 77 ; v. également CEDH 20 mars
2001, Telfner c. Autriche, n° 33501/96, § 15.
436
Rappelé également dans CEDH 13 janv. 2005, Capeau c. Belgique, n° 42914/98, § 25.
437
Comm. EDH 23 mars 1972, X c. Royaume-Uni, n° 5076/71 (B. EMMERSON et A. ASHWORTH, Human Rights and
Criminal Justice, Londres, Sweet and Maxwell, 2001, p. 504-505).
438
V. aussi Comm. EDH 11 mai 1994, R.O c. Royaume-Uni, n° 23094/93 (S. D’ORAZIO, l.c., p. 385 ; Ph. FRUMER et
R. ERGEC, La renonciation aux droits et aux libertés : la Convention européenne des droits de l’homme à l’épreuve
de la volonté individuelle, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 140 et s.). Plus récemment, par exemple dans l’affaire
Scoppola c. Italie, la CEDH a rappelé cette exigence d’une renonciation non équivoque. Elle souligne en outre que,
« s'il est vrai que les Etats contractants ne sont pas contraints par la Convention de prévoir des procédures
simplifiées [...], il n'en demeure pas moins que, lorsque de telles procédures existent et sont adoptées, les principes du
procès équitable commandent de ne pas priver arbitrairement un prévenu des avantages qui s'y rattachent » (CEDH
17 sept. 2009, Scoppola c. Italie, n° 10249/03, § 139).
439
V. également Comm. EDH 21 mars 1975, X c. Royaume-Uni sur la recevabilité, n° 5574/72.

83
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

européenne estimait que le choix entre une amende transactionnelle modique et le risque d’un
procès long (avec ses répercussions économiques et financières) constitue une violation de
l’article 6-1 CESDH440 dans la mesure où il induit une pression disproportionnée. Andrew
Ashworth affine ce raisonnement pour le système du guilty plea anglais.441 La perspective
d’une réduction d’un tiers de la peine normalement encourue, voire d’une peine non privative
de liberté, encourage vivement les personnes mises en examen à s’engager sur la voie de la
moindre contestation et pèche par excès : « entre la perspective lointaine d’une peine plus
forte et la certitude immédiate d’une sanction moindre, le justiciable n’hésite pas
longtemps ».442 La pratique du plaider coupable risque en effet de séduire des innocents
prompts à avouer en échange d’une réduction de peine. Ce risque s’accroît de manière
patente lorsque le système du plaider coupable tend à être fortement institutionnalisé.
Diverses études443 et statistiques démontrent en effet l’existence réelle du danger d’aveux
‘mensongers’.444

80. Avec un système routinier de plaider coupable, la preuve se limite à la seule


obtention de l’aveu, de sorte que le droit au contradictoire et à la preuve est abandonné à
l’instar, corrélativement, du droit à interroger ou à faire interroger des témoins prévu par
l’article 6-3 (d) CESDH. Un tel mécanisme n’est pas de nature à encourager l’accusation ou
la défense à préparer correctement leurs affaires. Dès lors, le nombre d’affaires faibles ainsi
que le volume d’innocents condamnés s’accroît. La crainte que « ce ne sont pas les accusés
qui jouent le système, mais le système qui joue de plus en plus les accusés en les dépouillant
de garanties » semble dès lors compréhensible.445

81. Quant au privilège de ne pas témoigner contre soi-même, c'est-à-dire le droit de se


taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la CEDH considéra, dans l’affaire
Murray c. Royaume-Uni de 1996446, que ces droits constituent des normes internationales
inhérentes au droit à un procès équitable, même si l’article 6 CESDH ne les mentionne pas
expressément. Une telle constatation fut également validée par un arrêt antérieur, Funke c.
France de 1993447, ainsi que par des décisions postérieures448 telles que Coëme et d’autres c.

440
CEDH 27 févr. 1980, Deweer c. Belgique, n° 6903/75.
441
A. ASHWORTH et M. REDMAYNE, o.c., p. 288.
442
Ph. FRUMER et R. ERGEC, o.c., p. 148.
443
Dans l’étude de M. Zander et P. Henderson, 11% de ceux qui plaident coupables continueraient à clamer leur
innocence (M. ZANDER et P. HENDERSON, o.c., p. 138-41). Dans celle de J. Baldwin et M.J. McConville, il s’agirait de
pas moins de 57,8% (J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, Fegotiated Justice : Pressures to Plead Guilty, o.c., p. 68).
444
La nature et la force des preuves à l’encontre des defendants jouent un rôle important. La perception d’une
personne suspectée de son innocence ne correspond d’ailleurs pas toujours à la définition légale d’une personne non-
coupable ; en outre, certains accusés peuvent également agir dans une visée de défense légitime, de sorte qu’il
convient d’être particulièrement vigilant (A. ASHWORTH et M. REDMAYNE, o.c., p. 269).
445
A SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 442 (trad. pers.).
446
CEDH 8 févr. 1996, Murray c. Royaume-Uni, n° 18731/91, § 45.
447
CEDH 25 févr. 1993, Funke, Cremieux et Miailhe c. France, n° 10828/84, § 44.

84
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Belgique de 2000 et Saunders c. Royaume-Uni de 1996. Si ce droit n’est pas absolu449, la


Cour européenne proscrit l’usage des éléments de preuves obtenus en usant de procédures
coercitives.450 ‘Séduire’ un justiciable par une réduction importante de la peine encourue ne
revient-il pas à obtenir un aveu involontaire par la contrainte ? Afin de protéger des innocents
de manière appropriée, le système légal ne devrait pas prévoir un tel encouragement.451
Toutefois, si la correctionnalisation paraît indispensable pour les systèmes continentaux
encombrés, une bonne administration pénale anglaise semble inconcevable sans la pratique
du guilty plea. Une diminution de la réduction attribuée en échange d’une reconnaissance de
culpabilité constituerait, peut-être à cet égard, une piste intéressante.452

82. Un autre droit essentiel menacé par la pratique du plaider coupable concerne le
droit à un procès public et équitable garanti par l’article 6-1 CESDH. Alors que la justice
devrait se jouer en public, la pratique de plaider coupable, considérée par certains comme un
« suicide légal »453, se déroule en privé. Elle met en place une « justice de l’ombre »454.
L’une des caractéristiques du plaider coupable anglais relève non seulement de l’absence de
public, mais également de celle de la personne accusée. Certes, il y aura toujours une audition
publique où l’accusé plaidera coupable mais, ainsi que le note Andrew Ashworth, son sort
semble avoir été préalablement scellé lors de discussions privées, soit entre le juge et la
défense dans le cas d’une sentence bargaining, soit entre l’accusation et la défense dans le
cas d’une charge ou fact bargaining.455

83. Avec la violation potentielle de l’article 14 CESDH456, il semble légitime de


conclure que, malgré sa valeur pratique, le système du plaider coupable anglais est
difficilement conciliable avec quatre droits de la Convention européenne des droits de
l’homme. Une telle considération concerne également la procédure de comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité du droit français, bien que le législateur français se
soit efforcé de remédier aux écueils de la procédure anglo-saxonne.457 En n’envisageant pas

448
CEDH 17 déc. 1996, Saunders c. Royaume-Uni, n° 19187/91, § 68 et 71 ; v. également CEDH 22 juin 2000,
Coëme et d’autres c. Belgique, n° 32492/96, § 126.
449
Infra, n° 260.
450
CEDH, Saunders c. Royaume-Uni, préc., § 68.
451
A. ASHWORTH et M. REDMAYNE, o.c., p. 290.
452
A. ASHWORTH et M. REDMAYNE, o.c., p. 292-293.
453
A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 383.
454
V. aussi P. DARBYSHIRE, « The Mischief of Plea Bargaining and Sentencing Rewards », l.c., p. 905.
455
A. ASHWORTH et M. REDMAYNE, o.c., p. 292.
456
Supra, n° 68.
457
En particulier, il a prévu une procédure d’homologation publique par le juge et impose l’assistance du prévenu par
un avocat. Au regard du principe de la présomption d’innocence, le Conseil constitutionnel souligne qu’aucune
disposition n’interdit de reconnaître librement sa culpabilité (Cons. const. n° 2004-492 du 2 mars 2004, § 106-118).
Reste pourtant la question de savoir si la perspective d’une réduction de la peine ne constitue pas une pression
inappropriée sur la personne mise en examen. Le délai de réflexion de dix jours (art. 495-8 al. 5 CPP), est-il à cet
égard suffisant ? Pour une critique, v. également la proposition de loi n° 371 du 8 juin 2005 tendant à abroger la

85
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

simplement une procédure d’homologation par le juge professionnel, mais aussi une audience
en présence de l’accusé et de la victime, la proposition d’un ‘plaider coupable criminel’,
avancé dans le rapport Léger, semble à première vue présenter un garde-fou. Un plaider
coupable sans renonciation au droit à un procès devant un tribunal impartial et indépendant
semble en conformité avec l’article 6 CESDH et ses principes.458 Pourtant, cette audience
(minimaliste) ne porterait que sur la peine, la question de culpabilité ne pouvant plus être
contestée. Or, pour déterminer la peine, le juge, surtout s’il n’est pas professionnel, ne doit-il
pas nécessairement se pencher sur les faits ? Mais comment peut-il s’acquitter de cette tâche
si les témoins et experts susceptibles d’apporter des éléments importants sur sa culpabilité
n’ont pas été cités ? En outre, si cette procédure permettrait de simplifier et d’accélérer les
procès d’assises, le risque que l’aveu ne reflète pas forcément la réalité mais soit uniquement
inspiré de la volonté d’obtenir un allègement de la peine, n’est pas négligeable.459 Il faudrait
bien vérifier la volonté de l’accusé de reconnaître sa culpabilité et assurer la plénitude des
droits de la défense. D’autres difficultés pourraient surgir en cas de co-accusés dont les uns
plaident coupable et les autres non-coupable. Qu’advient-il, en outre, si une personne mise en
examen reconnaît sa culpabilité pour un certain fait mais pas pour la circonstance
aggravante ? Ou s’il change d’avis ?460 Après tout, convient-il de récompenser celui qui
reconnaît sa culpabilité ?461 Certes, le fait d’assumer sa culpabilité n’est pas en soi
irréfutable.462 C’est l’évolution vers une véritable culture du marchandage qui la dote d’une
connotation péjorative d’atteinte aux droits fondamentaux. Or, le besoin de célérité de la
justice pèse-t-il suffisamment lourd pour justifier un tel prix ?463

84. Intéressant à cet égard est la tentative de Mike J. McConville pour relégitimer le
système du plaider coupable, y compris dans sa forme bureaucratique.464 Celui-ci avance

procédure de comparution sur la reconnaissance préalable de culpabilité et à protéger les droits de la défense
(www.senat.fr/leg/ppl04-371.html).
458
Ainsi, la procédure devant la Cour pénale internationale, permettant à la chambre de première instance d’accepter
le guilty plea (s. 64 (8 a) et 65 Statut de Rome) et laissant une latitude conséquente au juge pour évaluer, voire refuser,
la reconnaissance de la culpabilité, ne semble pas contraire à la Convention (H.-D. BOSLY, « Admission of Guilt
Before the ICC and in Continental Systems », JICJ 2004, p. 1047).
459
H. MATSOPOULOU, « A propos du rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale », JCP G 2009, n° 38, p. 17.
460
Ces arguments furent aussi avancés pour réfuter la proposition belge de fixer légalement la durée maximale de
l’examen à l’audience en fonction du plaider coupable (en principe 3 jours) ou non coupable (en principe 5 jours) de
l’accusé (Doc.parl. Chambre 2008-09, n° 52 2127/001, art. 79; R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21
december 2009 tot hervorming van het hof van assisen », l.c., p. 122-123).
Les arguments craignant que le plaider coupable criminel marque « la fin des grandes audiences criminelles [et
sonne] le glas de l'éloquence judiciaire », et prive les victimes « de la thérapie du procès » (R. Badinter et X.
Flécheux, cités par F. ROME, « Rapport Léger, mais pas insignifiant ... », D. 2009, p. 2025), nous semblent moins
pertinents.
461
M. HUYETTE, « Quelles réformes pour la cour d’assises ? », D. 2009, p. 2440. V. aussi J. PRADEL, « Le rapport
Léger sur la justice pénale (01/01/2009) : la grande illusion », RDPC 2009, p. 551.
462
S. D’ORAZIO, l.c., p. 418.
463
X. PIN, Le consentement en matière pénale, Thèse, Paris, LGDJ, 2002, p. 594.
464
M.J. McCONVILLE, « Plea Bargaining : Ethics and Politics », l.c., p. 578 et s.

86
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

notamment que, ni la reconnaissance de culpabilité, ni son incorporation ouverte, ne sont en


violation avec la culture adversarial. Au contraire, le plaider coupable accomplirait ces
principes par la « commodification » des affaires et la « juridification » des auteurs. Par un
plaider coupable personnel, volontaire et non ambigu, le gain serait non seulement financier
(gain de temps et de ressources) et humain (victimes et témoins épargnés), « l’arène du
procès » serait en outre préservé en tant que merveille du système accusatoire pour les
affaires ‘méritantes’. Du coup les notions de coûts et intérêts ne menaceraient plus le modèle
accusatoire ; elles seraient attachées à ses objectives.465

En outre, il faut également veiller à ne pas surestimer le procès. Les opposants au


plaider coupable tendent à présenter le procès comme parfait. Toutefois, une contestation de
son affaire devant un juge ou un jury ne débouche pas toujours sur un happy ending.466
Œuvre humaine, le procès est une aventure qui ne garantit pas l’acquittement de tous les
innocents ; on y condamne, et on y condamne à des peines sévères. Si le plaider coupable est
défaillant, le procès n’est pas non plus exempt d’écueils : « un système qui pousse les
prévenus innocents au procès, minimisera ainsi le nombre des innocents qui sont condamnés.
Mais ceci n’aura lieu qu’au prix de maximiser le montant de la peine que chacun de ces
malheureux recevra ».467 En préférant la condamnation erronée de plusieurs personnes à des
peines réduites plutôt que la condamnation de quelques-unes à des peines nettement plus
graves, il semble que l’on pousse le bouchon un peu loin. Mieux vaudrait maximiser les
garanties afin d’optimiser la protection des droits de l’homme et de limiter, dans la mesure du
possible, le nombre d’innocents condamnés.

85. Si le bilan final montre, quantitativement, que la balance penche bien en faveur
des divers palliatifs utilisés en pratique, un tel constat s’avère caduque sur le plan qualitatif
en dépit des tentatives de relégitimisation. Or, une telle évaluation négative s’applique-t-elle
également aux interventions législatives que nous évoquerons dans la seconde section ?

465
M.J. McCONVILLE, « Plea Bargaining : Ethics and Politics », l.c., p. 581 et s. ; v. aussi M.M. FEELEY, l.c., p. 187 et
p. 204.
466
R.E. SCOTT et W.J. STUNZ, « A Reply : Imperfect Bargains, Imperfect Trials and Innocent Defendants », Yale L.J.
1992, p. 2012.
467
R.E. SCOTT et W.J. STUNZ, l.c., p. 2013 (trad. pers.).

87
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Section 2
Une politique du pendule légitime

« D’accord avec l’opinion, avec l’état des esprits, avec le sentiment public, avec les mœurs,
la loi peut tout. En lutte avec ces forces vives de la société et de la civilisation, elle ne peut rien»
[V. HUGO in M. PATIN, Chron. IV. Procédure pénale, RSC 1951, p. 676]

86. Le législateur ne fut pas non plus insensible au mode de répression aléatoire du
jury, à la rigueur des anciens codes, ainsi qu’aux artifices contestables utilisés par la pratique
judiciaire. Au regard des solutions judiciaires — notamment celle avancée par le système
français —, les tentatives parlementaires d’enterrer les ‘fraudes à la loi’, telle la
correctionnalisation dite législative, sont plus légitimes. Elles sont sous-tendues par une
volonté incontournable d’atténuation (§ 1 — Volonté indispensable de mitigation).

Toutefois, ces démarches assurant une répression formellement moins sévère et plus
adéquate mais aussi plus fréquente et effective devant le juge correctionnel au lieu que devant
le jury populaire, il s’agit de savoir si l’optique sous-jacente relève effectivement d’une
volonté d’adoucissement des anciens codes. Une telle politique n’est-elle pas implicitement
imprégnée d’un vœu incontestable de répression ? En outre, en raison du volume écrasant de
crimes transférés au juge correctionnel/magistrate, ce dernier doit relever le défi d’apporter
une réponse pénale à des infractions largement plus sévères. Il incombe dès lors au
législateur de mieux ‘l’armer’ afin de lui permettre d’assurer une répression efficace : « le
législateur n’agit pas toujours animé par le seul souci de rétablir une juste clémence ».468
L’élargissement de la portée du juge professionnel s’accompagne, par conséquent, d’un
accroissement de ses compétences ce qui témoigne à nouveau de sa conquête spectaculaire (§
2 — Réalité non négligeable de répression). En effet, si elle s’illustre sur le plan quantitatif
(accroissement du nombre de correctionnalisations), sa progression s’avère également
qualitative (extension des seuils de compétence correctionnels). Aboutissant ainsi à une
situation hybride et troublante, le souci sous-jacent demeure celui de savoir s’il ne convient
pas plutôt d’adapter les concepts et les taux des peines existants.

468
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, o.c., p. 80, n° 136.

88
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

§ 1 — VOLOFTE IFDISPEFSABLE DE MITIGATIOF

87. Outre la correctionnalisation judiciaire et le plaider coupable, deux autres moyens


permettent d’adoucir la réponse pénale. Il s’agit, en premier lieu, de la correctionnalisation
‘contemporaine au jugement’ qui met en exergue que le jeu de mitigation ne s’arrête pas à la
porte de la juridiction populaire. Nous verrons que cette pratique autorise des passerelles
entre les trois catégories d’infractions sans entraver les règles de compétences (A — Une
atténuation attribuée par les juridictions de fond). Elle se distingue ainsi d’un second
procédé issu de l’intervention parlementaire : le système français notoire de la
‘correctionnalisation législative’ qui est également utilisé, de manière plus ou moins
fréquente, dans les deux autres pays. Contrairement à la correctionnalisation concomitante au
jugement, ce procédé consiste en un déclassement légal des crimes vers une catégorie
inférieure et agit dès lors directement sur la tripartition (B — Une atténuation envisagée par
le législateur). La correctionnalisation législative s’avère quand même également justifié. De
manière ponctuelle, il n’envisage que la mise en adéquation du Code pénal et des pénalités
prévues avec les mœurs et valeurs sociales et la criminalité évolutive. Il s’inscrit en outre
dans une politique criminelle qui prend en considération, autant que faire se peut, la
personnalité de l’auteur.

A — UNE ATTENUATION ATTRIBUEE PAR LES JURIDICTIONS DE FOND

88. Le juge naturel des crimes, la cour d'assises/Crown Court, n’est pas contraint de
prononcer une peine criminelle. Elle peut elle-même correctionnaliser. Les statistiques
françaises de l’an 2006 démontrent que la majorité des peines prononcées par l’institution du
jury n’est pas de nature criminelle : parmi toutes les condamnations en assises, 61% d’entre
elles donneraient lieu à une peine correctionnelle.469 Dans une optique d’atténuation,
l’institution du jury peut en effet mitiger le sort de la personne mise en accusation devant lui.
Ce pouvoir s’exerce en aval du procès pénal, après une contestation intégrale de l’affaire, et
en respectant la hiérarchie classique des compétences (1). En étudiant le droit anglais, il
s’agit toutefois de savoir si, en amont du procès, un transfert plus direct n’est pas
envisageable. Il s’agit en particulier de propositions visant à abolir le right to a jury trial et à
confier le choix de juridiction au magistrates, ce qui rapprocherait à nouveau le système
anglais de notre correctionnalisation (2).

469
www.justice.gouv.fr/art_pix/1_chiffrescles06.pdf.

89
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

1. En aval : la correctionnalisation ‘contemporaine’ au jugement

89. La relation entre le juge et la loi paraît souvent noir-et-blanc : soit il y a la


perception d’un juge passif et réduit à n’être que la « bouche de la loi », soit on lui accorde
un rôle plus interventionniste, prompt à maximiser le risque d’arbitraire. Après le régime
contestable des ‘peines fixes’ du Code pénal de 1791, qui traduisait certes le triomphe du
principe de la légalité des incriminations et des peines470 ainsi que la primauté du législateur
au juge mais lui accordait également la dénomination bien méritée du « Code de fer », le
Code pénal de 1810 introduisait des peines sous forme de fourchettes dotées de maxima et de
minima explicitement déterminés par la loi.471 Le juge disposant d’une latitude restreinte, il
ne pouvait pas prendre en considération les circonstances atténuantes en matière criminelle.
Une peine inférieure au minimum légal était impossible. Un tel système inflexible et doté
d’une marge d’appréciation judiciaire encadrée par deux limites permettait de garantir
l’exemplarité et l’égalité des justiciables devant la loi, mais paralysait l’individualisation de
la peine. Le seuil des minima étant d’ailleurs élevé, les montants des peines s’avéraient
relativement similaires. La correctionnalisation dans l’enceinte de la cour d’assises, d’une
part lors de la décision sur la culpabilité et d’autre part, après condamnation, lors de la
détermination de la peine fut entamée pour échapper au ‘carcan’ des dispositions impératives.
Ces deux types de correctionnalisation, l’un plus légitime que l’autre, seront successivement
traités ci-dessous.

a) Disqualification lors de la décision sur la culpabilité

90. Comparé aux autres juridictions, l’une des particularités de la cour d’assises
concerne la prise des décisions à l’aide d’une liste des questions portant sur les éléments
constitutifs de l’infraction imputée selon les termes précis de la loi.472 Si ce système sera
analysé ultérieurement sous l’angle de la (non)motivation des décisions criminelles, nous
souhaitons démontrer ici que cette spécificité criminelle permet aux jurés d’influer sur la
peine. En répondant, à titre d’exemple, négativement aux questions portant sur les
circonstances aggravantes ou à certains éléments de la qualification, les citoyens-juges
peuvent disqualifier l’infraction portée devant lui. Ils ont ainsi la possibilité d’apprécier les
faits de telle manière que la cour ne peut plus statuer sur un crime, mais sur un délit. De cette
façon une question subsidiaire proposant au jury une nouvelle qualification de nature
correctionnelle, conduit à une disqualification du fait originel lorsqu’elle reçoit une réponse

470
E. DE LE COURT, l.c., p. 129.
471
A l’exception des peines à perpétuité pour lesquelles des pénalités fixes étaient maintenues. Selon M. Garçon, le
minimum de la peine était nécessaire pour protéger de la société, en contrepoids du maximum qui protège l’intérêt des
inculpés (E. DE LE COURT, l.c., p. 139).
472
Infra, n° 308.

90
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

positive tandis que la question principale a été appréciée négativement. En niant la


pénétration, un viol peut à titre d’exemple être commué en attentat à la pudeur.

Il convient de souligner la relativité et le danger de ce pouvoir : pour un tel


adoucissement, le jury dépend du président. A l’exception des questions résolument
nécessaires, le président de la cour d'assises belge473, ou la cour en cas de contestation, décide
souverainement des questions résultant des débats, à condition que des faits autres que ceux
envisagés dans l’ordonnance de renvoi474 ne soient pas soumis au jury. A défaut de questions
subsidiaires, le jury ne peut pas considérer une qualification alternative et moins grave. Une
réponse négative à la question principale entraîne le cas échéant un acquittement qui n’est pas
toujours mérité. Cette conséquence gênante, dont les jurés ne sont pas toujours conscients,
intervint fréquemment lorsque les jurés n’étaient pas impliqués dans la détermination de la
peine.475 Rappelons à cet égard que les procédures française et belge usaient, dans ce cas et
jusqu’à la moitié du 20ème siècle, d’un garde-fou malheureux avec la correctionnalisation dite
a posteriori476.

91. En dépit de la conception radicalement différente de la physionomie de la cour


d'assises, ce système de questions constitue encore un point commun entre les procédures
criminelles française et belge. Bien qu’héritier du système francophone, la procédure
d’assises belge s’en éloigne fortement. Nous verrons ultérieurement que la séparation entre le
fait et le droit y demeure entièrement en vigueur quant à la question de culpabilité. Le jury
belge décide seul sur la culpabilité. Cette indépendance est récemment consacrée dans la
nouvelle loi du 21 décembre 2009.477 En France, en revanche, les trois juges de la cour et les
neuf jurés décident ensemble sur la culpabilité et la peine. En dépit de cette association
intégrale des professionnels à la délibération de simples citoyens, le législateur français a
conservé le ‘carcan’ des questions — y compris pour les cours d'assises spéciales sans
jury478.

92. Le système anglais échappe pour sa part à la rigueur de la feuille des questions.
Avant de se retirer dans la chambre de délibération, les jurés, juges uniques de la culpabilité,
entendent le résumé énoncé par le président (summing-up)479. C’est sur la base de cette
analyse qu’ils doivent prendre une décision. A la différence du droit continental, le jury

473
Cass. 27 nov. 1979, RW 1979-80, p. 2965, note. Pour le droit français, v. dans le même sens Crim. 9 janv. 1974,
Bull. crim. 8.
474
Cass. 8 mai 1996, JLMB 1996, p. 1285 et Pas. 1996, I, p. 444.
475
Infra, n° 244 et s.
476
Supra, n° 30.
477
Infra, n° 334.
478
Infra, n° 312.
479
Infra, n° 259 et s.

91
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

anglais n’est pas impliqué au moment du prononcé de la peine, ce pouvoir étant réservé au
président de la Crown Court. Pour éviter que celui-ci ne prononce une peine trop sévère, la
seule discrétion en chef des jurés, en l’absence de qualifications alternatives480, est celle qui
consiste à opter ou non pour l’acquittement. Historiquement on en retrouve nombre
d’exemples, surtout en réaction du bloody code qui introduisait, après la Glorious Revolution,
une expansion massive des felony laws punissables de la peine de mort.481 Pour contrecarrer
cette sévérité, dont le jury craignait l’application par le juge de carrière, les douze jurés n’ont
pas hésité à exercer une large discrétion de modération482 : la « jury equity »483 ou « pious
perjury »484 (pieux parjure). Ce pouvoir subsiste dans le système en vigueur. Plus
particulièrement les jurés se procurent le pouvoir remarquable d’outrepasser la loi qu’ils
jugent trop sévère et oppressive485, nonobstant des preuves écrasantes et leur conviction
concernant la culpabilité de l’auteur, et parfois en dépit des indications données par le juge
professionnel.486 Ainsi, ils rendent un verdict non pas according to evidence, mais according
to conscience. Ainsi que nous l’avons mentionné ci-dessus, un tel phénomène se produisait
fréquemment en droits français et belge, lorsque le jury n’était pas encore impliqué dans la
phase répressive. En résultaient des acquittements arbitraires, inconsistants et douteux, ainsi
qu’un détournement du principe de dissuasion. En s’octroyant le droit de déterminer les
éléments constitutifs de l’infraction, les jurés s’érigeaient en censeurs de la loi487.

Il en résulte que les jurés ne sont pas simplement des juges de fait mais qu’ils trouvent
dictent et créent le droit. Selon certains, un tel pouvoir s’avère justifié, le jury n’étant pas
contraint d’appliquer ce qu’il juge disproportionné. « Le jury se parjure de peur d’être
cruel ».488 Il serait d’ailleurs l’expression du rôle démocratique de la justice populaire. En
exerçant une telle mitigation, le jury s’érige en gardien contre l’inhumanité et la tyrannie.489
480
Infra, n° 310.
481
A titre d’exemple, le vol de biens ou d’argent pour une valeur excédant un shilling constituait un crime.
482
T.A. GREEN, Verdict According to Conscience. Perspectives on the English Criminal Trial Jury 1200-1800,
Chicago et Londres, University of Chicago Press, 1985, p. 275.
483
P. DEVLIN, o.c., p. 160 et s ; v. in extenso sur ce thème T.A. GREEN, o.c., 409p. En droit américain, ce pouvoir est
indiqué en tant que « jury nullification ».
484
W. BLACKSTONE, Commentaries on the laws of England (1765-1769), Chicago, Chicago University Press, 1979,
tome 4, p. 239.
485
En cas de récidive, la loi imposait pour certaines infractions des peines planchers sévères.
486
M. MATTRAVERS, « ‘More Than Just Illogical’ : Truth and Jury Nullification » in A. DUFF, L. FARMER, S.
MARSHALL et V. TADROS (éd.), The Trial on Trial – Truth and Due Process, Oxford, Hart Publishing, 2004, tome I,
p. 71. Sur le plan pratique, différents types de jury equity peuvent être distingués : ceux qui revêtent une connotation
politique (Clive Ponting [1985] Crim. L.R. 318) et ceux qui sont l’expression d’une lutte contre une injustice telle que
le racisme ou la pauvreté. Dans plusieurs affaires, le jury n’a pas d’objection spécifique contre une loi, mais contre
l’application de cette loi dans le cas particulier en cause (telle l’affaire Ponting). Dans d’autres cas, il prend position
contre une loi estimée odieuse : soit le fait commis par l’auteur ne mérite pas la qualification de crime, soit la peine
prescrite par la loi paraît trop sévère ou inappropriée.
487
M. GARÇON, « Faut-il modifier la composition et les attributions du jury », RDPC 1954-55, p. 458.
488
Barthe, cité par L. JAUME, « Les libéraux français et le jury criminel », La Revue Tocqueville 1997, Vol. XVIII n°
2, p. 63.
489
T.A. GREEN, o.c., p. 296.

92
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Lord Auld y perçoit, en revanche, à juste titre une atteinte au serment du jury, une attaque
flagrante contre la justice pénale et la recherche de la vérité, ainsi qu’une insulte au droit.490
Le jury peut ainsi dénaturer une loi équilibrée et nécessaire ; en lui permettant de se mettre au
siège du Parlement et « d’usurper ces pouvoirs »491, un tel procédé viole la séparation stricte
des pouvoirs. Enfin, même en cas de raisons tangibles, la vérité est sacrifiée. Sans toucher à
la qualification, il semble dès lors préférable d’accorder une mitigation lors de la
détermination de la peine.

b) Disqualification lors de la détermination de la peine

93. La cour d’assises peut opérer elle-même une correctionnalisation si, lors de la
détermination de la peine, elle prend en considération des circonstances atténuantes, lui
permettant d’opter souverainement pour une peine inférieure au seuil maximum prévu par le
législateur voire, le cas échéant, au seuil minimum des peines, en dépouillant toutefois les
minima prévus par la loi de leur signification. La seule limitation concerne l’interdiction de
prononcer une peine excédant le maximum prévu par la loi, le juge de fond n’étant en
revanche pas obligé de prononcer une peine inférieure au minimum légal.

94. En droit belge, le juge qui retient des circonstances atténuantes, est obligé de
prononcer une peine moins sévère que celle imposée par la loi pour le crime.492
Facultativement, il peut aller au-delà de cette première modération et faire abaisser la peine
d’un deuxième, voire troisième échelon. Ainsi, selon l’échelle prévue par l’article 80 du Code
pénal belge, les infractions passibles de réclusion à perpétuité seront, par le truchement de
circonstances atténuantes, minorées à la réclusion à temps ou à une peine d’emprisonnement
de trois ans au minimum.493 La cour d’assises belge pourrait parfaitement, en respectant le
seuil minimum, prononcer une peine d’emprisonnement de trois ans pour un meurtre. Le
spectre des pénalités envisageables par la cour d'assises s’avère donc très large.494 Sans entrer
dans les détails, il apparaît qu’un adoucissement des peines ‘alternatives’ s’avère également

490
R. AULD, o.c., chap. 5, n° 101.
491
R.J. O’HANLON, « The Sacred Cow of Trial by Jury », Irish Jurist 1990-92, p. 68, cité par et contra T. BROOKS,
« The Right to a Jury Trial », Journal of Applied Philosophy 2004, p. 198-199.
492
Cass. 17 oct. 1966, Pas. 1966, I, p. 227 ; Cass. 22 juill. 1988, Pas. 1988, I, p. 1343, avis R. DECLERCQ et RDPC
1988, p. 1088, note et Cass. 14 mars 2001, Pas. 2001, p. 404.
493
« La réclusion de vingt ans à trente ans, [sera remplacée] par la réclusion de quinze ans à vingt ans ou un terme
inférieur ou par un emprisonnement de trois ans au moins. La réclusion de quinze ans à vingt ans, par la réclusion de
dix ans à quinze ans ou de cinq ans à dix ans ou par un emprisonnement d'un an au moins. La réclusion de dix ans à
quinze ans, par la réclusion de cinq ans à dix ans ou par un emprisonnement de six mois au moins. La réclusion de
cinq ans à dix ans, par un emprisonnement d'un mois au moins ». En cas de violation du délai raisonnable, il est
possible de prononcer une peine inférieure aux seuils prévus par l’art. 80 CPB (art. 21ter Titre préliminaire du Code
de procédure pénale).
494
Pour les mineurs délinquants qui comparaissent devant la cour d'assises, la réclusion ou détention à perpétuité est
exclue (art. 57bis loi du 8 avr. 1965 relative à la protection de la jeunesse). L’âge constituant une excuse atténuante, le
maximum ne pourra excéder trente ans.

93
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

possible.495 La cour d'assises belge peut également, dans certains cas, prononcer une peine de
travail (art. 37ter CPB)496 lorsqu’elle n’envisage qu’une peine correctionnelle. En droit
français, la peine de travail d’intérêt général est uniquement prévue pour un délit puni d’une
peine d’emprisonnement.

95. En droit français, en revanche, le législateur semble aller plus loin. Depuis l’entrée
en vigueur du nouveau Code pénal en 1994, les textes ne prévoit plus de peines minimales
(art. 322 loi du 16 déc. 1992). Le juge pourra ainsi prononcer des peines indulgentes sans
recourir aux circonstances atténuantes, ce qui semble renforcer sa liberté.497 La question
relative à l'octroi des circonstances atténuantes n'a donc plus à être posée à la cour et au jury
réunis.498 Le mécanisme des circonstances atténuantes (ancien art. 463 CPF) et des excuses
légales (anciens art. 65 et 321 (provocation) CPF) fut d’ailleurs intégralement supprimé. Le
ratio legis d’une telle suppression consiste à mettre la personnalisation des peines au cœur de
la justice pénale. Il en résulte que la pénalité n’est indiquée, dans la loi, que par la seule
limite d’un maximum. Le système de plafond se substitue au système de ‘fourchette’.499 A
cet égard, Jean Pradel observe qu’avec cette suppression, il est évident que « le législateur
[…] a uniquement voulu simplifier le droit de demain en supprimant une institution qui avait
donné lieu à une jurisprudence considérable ».500 Le juge dispose donc d’un pouvoir très
vaste concernant le quantum de la peine.

En matière criminelle toutefois, des limites encadrent ce jeu extrême de clémence, ce


qui relativise la liberté et les différences avec le droit belge. Sur le plan procédural il y a,
ainsi nous l’esquisserons plus loin, des règles spécifiques en ce qui concerne des majorités
requises. Sur le plan matériel, la cour d’assises qui envisage de prononcer une peine
criminelle de réclusion ou de détention, ne peut descendre en dessous de dix ans (le nouveau
seuil entre crimes et délits en vertu de l’art. 131-1 in fine CPF : dix ans est le minimum de la

495
Pour l’amende, v. art. 83 CPB (Cass. 13 janv. 2004, Pas. 2004, p. 73 et RW 2004-05, p. 741, note S.
VANDROMME). Pour le droit français, v. art. 131-2 à 131-12 CPF.
496
Doc.parl. Chambre 2000-01, n° 50 549/6, p. 5 et n° 50 0549/11, p. 33-34 ; M. ROZIE, « Ook het hof van assisen
kan een werkstraf opleggen », (note sous Cass. 8 janv. 2003), RABG 2003, p. 291. Une peine de travail n’est pas
possible pour les crimes suivants : prise en otage (art. 347bis CPB), viol et viol/attentat à la pudeur aggravé (art. 375-
377 CPB), corruption de la jeunesse et prostitution (art. 379-387 CPB), meurtre et ses divers espèces (art. 393-397
CPB) et meurtre pour faciliter le vol (art. 475 CPB).
497
V. sur ce point J.H. SYR, « Les avatars de l'individualisation dans la réforme pénale », RSC 1994, chron., p. 217.
Sous l’empire de l’ancien Code, l’indulgence des juridictions de fond n’étaient possible qu’en reconnaissant
l’existence des circonstances atténuantes (Crim. 21 févr. 1991, Bull. crim. 90 et RSC 1992, chron., p. 776, obs. A.
BRAUNCHWEIG) sans même les décrire (Crim. 14 mars 1983, Bull. crim. 77). Cette reconnaissance obligatoire était le
fruit d'une longue jurisprudence, rappelée par la Cour de cassation dans l'arrêt Passerini (Crim. 21 févr. 1991, Bull.
crim. 90 et RSC 1992, chron., p. 65, obs. A. VITU) ; contra l’arrêt Amirali (Crim. 6 févr. 1991, Bull. crim. 61 et RSC
1992, chron., p. 65, obs. A. VITU).
498
Crim. 14 déc. 1994, RSC 1995, chron., 367, obs. J.-P. DINTILHAC et Crim. 20 mars 1996, Bull. crim. 121.
499
J. PRADEL, « Le nouveau code pénal (partie générale) », l.c., p. 208. Une exception existe en matière douanière.
500
J. PRADEL, « Le nouveau code pénal (partie générale) », l.c., p. 208. La loi a toutefois instauré des causes
d’exemption et de diminution des peines (art. 132-78 CPF ; repentis).

94
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

peine criminelle et le maximum de la peine correctionnelle501). Lorsqu’une infraction est


frappée de la réclusion ou de la détention à perpétuité et que la cour d’assises envisage une
peine correctionnelle, le montant de cette peine ne peut être inférieur à deux ans. Lorsque
l’infraction est punie de réclusion ou de détention criminelle à temps, la juridiction peut
prononcer une peine de réclusion ou de détention criminelle d’une durée inférieure à celle
encourue, ou une peine d'emprisonnement d’au moins un an (art. 132-18 CPF, dont le
président de la cour d'assises donne lecture après le vote sur la culpabilité). En combinant ces
deux articles, le législateur se rapproche ainsi de la situation antérieure du double degré
d'abaissement, mais en instaurant désormais deux planchers : une limite criminelle de dix ans
et, au sein de l’échelle correctionnelle, une seconde limite d’un ou deux ans en fonction des
cas.502 Un sursis reste toutefois possible, relativisant dès lors la prégnance de ces
planchers.503 Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec défendent également l’idée que pour
un crime infligé corrélativement d’une peine privative de liberté et d’une amende, la cour
d’assises pourrait suffire avec l’amende (même d’un Euro), puisque l’article 132-18 du Code
pénal n’exclu pas les crimes de la possibilité du juge de n’envisager qu’une des pénalités
prévues.504

Dans tous les autres cas, et hormis le récidive505, le juge maintient son pouvoir
discrétionnaire, ce qui le débarrasse, selon Jacques-Henri Robert, du devoir de s’interroger
sur le fondement du droit de punir.506 La crainte d’un retour au système arbitraire des peines
de l’Ancien Régime fut en outre exprimée.507 Une telle évolution ne risque-t-elle pas
d’induire une disparité, de porter atteinte au principe d’égalité des justiciables devant la loi,

501
Infra, n° 116.
502
J. PRADEL, « Le nouveau code pénal (partie générale) », l.c., p. 209.
503
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Le nouveau droit pénal général, Paris, Economica, 2000, 7ème éd., p. 792, n° 958.
504
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Le nouveau droit pénal général, o.c., p. 663, n° 774.
505
En matière de récidive ou de multi-récidive, le législateur français a récemment franchi, avec la loi du 10 août 2007
un pas déplorable vers un véritable système de peines planchers afin de contraindre les juges à faire des choix plus
rigoureuses dans le prononcé des peines et garantir ainsi la certitude de la sanction. Le nouvel art. 132-18-1 CPF
dispose de manière générale que pour les crimes commis en état de récidive légale, la peine d’emprisonnement, de
réclusion ou de détention pour un crime, doit obligatoirement excéder un certain seuil. Au regard des circonstances de
l’infraction, de la personnalité de l’auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion qu’il présente, une peine
inférieure à ce seuil est néanmoins envisageable. En cas de multi-récidive, une telle porte de sortie n’est possible
qu’en cas de « garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion », ces conditions semblant toutefois difficiles à
satisfaire (loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, JORF 11
août 2007, p. 13466 débattue depuis 2004 ; v. à cet égard l’étude récente de législation comparée du Sénat, Les peines
minimales obligatoires, sept. 2006, n° 165, www.senat.fr/lc/lc165/lc165.html et H. MOUTOUH, «Les peines planchers
pour prendre le droit pénal au sérieux», D. 2006, chron., p. 2940 et s. Les peines planchers ou les peines minimales
obligatoires sont d’inspiration anglo-saxonne. En droit anglais, ce concept n’existe que dans quelques cas spécifiques.
Pour les mandatory life sentences, d’autres peines minimales obligatoires et leur éventuelle réduction en cas de
plaider coupable, v. P. MURPHY, Blackstone’s Criminal Practice 2010, Oxford, Oxford University Press, 2009, p.
2082-2104.
506
J.-H. ROBERT, o.c., p. 393.
507
J.-F. CHASSAING, « Les trois codes français et l’évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain »,
l.c., p. 452.

95
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

ainsi que d’affaiblir la sécurité juridique et le pouvoir de dissuasion ?508 Assiste-t-on à un


accroissement des peines, le seuil maximum étant le seul point d’appui dont dispose le
juge ?509

96. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, le jury, en droit anglais, ne peut influencer
le résultat final d’un procès qu’en prononçant le verdict le plus favorable à l’accusé :
l’acquittement. Lors du prononcé de la peine, seul le juge professionnel est en mesure
d’attribuer un adoucissement. Le juge peut considérer qu’un élément donné justifie une
atténuation de la peine (s. 166 CJA 2003). Il n’existe ni liste, ni définition des circonstances
atténuantes envisageables. En droit anglais, il semble que la règle d’or concerne l’obligation
du juge de respecter la peine maximale510, celui-ci ayant en principe carte blanche pour le
reste, excepté pour les règles relatives aux peines planchers.511 En droit anglais, l’absence de
circonstance atténuante ne peut, à l’encontre de la pratique américaine du trial tax ou trial
penalty, être considérée comme une circonstance aggravante. Si la reconnaissance préalable
du bien fondé des inculpations portées à son encontre constitue une circonstance mitigeante
justifiant une réduction de la peine normalement encourue512, la personne condamnée à l’issu
de son plaider non-coupable doit être sanctionnée par la peine normale, et non par une peine
aggravée ; on ne peut être puni pour avoir exercé son droit de contester l’affaire devant des
semblables.

97. La correctionnalisation ‘concomitante’ au jugement de fond, lors de la


détermination de la peine, est donc justifiable et devrait être maintenue.513 Elle s’inscrit dans
une politique criminelle axée sur l’individualisation accrue des peines. Elle n’affecte pas la
compétence des juridictions répressives et manifeste simplement le principe de plénitude de
juridiction du jury. Elle n’enfreint pas « l’architecture symétrique »514 qui, en vertu de la
division des infractions, attribue les crimes exclusivement au jury. Ce type de
correctionnalisation n’a pas d’incidence sur la qualification et ne modifie pas la peine légale.
Elle touche uniquement à la peine effectivement applicable. Il s’agit dès lors d’une solution
médiane entre un verdict trop sévère et un acquittement scandaleux : poursuivi pour crime,

508
J. PRADEL, « Le nouveau code pénal (partie générale) », l.c., p. 209.
509
La réponse à cette question serait négative (A.M. VAN KALMTHOUT et P.J.P. TAK, Ups and downs van de
minimumstraf : een verkennende studie naar het voorkomen van minimum-straffen in Frankrijk, België, Duitsland,
Engeland en Wales, Nijmegen, Wolf Legal publishers, 2003, p. 29).
510
Pour les infractions les plus graves, le maximum est explicitement prévu par la loi applicable à l’infraction
concernée. Pour les infractions intermédiaires, la détermination de la peine dépend de la juridiction où elles seront
jugées : devant la Crown Court, le juge est censé respecter la peine maximale indiquée par la loi ; devant la
magistrates’ court, il y a un plafond spécifique du pouvoir de punition (infra, n° 122).
511
Supra, note 505.
512
Supra, n° 79.
513
V. également R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? » in X, Recht
in beweging, 13ème VRG Alumnidag, Anvers-Apeldoorn, Maklu, 2006, p. 315.
514
E. DE LE COURT, l.c., p. 132.

96
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

l’accusé est considéré coupable d’un délit.515 Pourtant, une telle mitigation n’est pas non plus
exempte de critiques : en permettant au juge de fond d’appliquer une peine qui coïncide
davantage avec le sentiment de justice, on lui donne le pouvoir de chercher des circonstances
atténuantes partout, dans les faits qui modifient la culpabilité comme dans des faits
extérieurs. En détournant la réalité et la vérité, il devient ainsi possible, dans le respect de la
lettre de la loi, de porter atteinte à son esprit.

2. En amont : l’abolition du right to a jury trial ?

98. En amont du procès pénal, le juge de jugement joue-t-il, ou pourrait-il jouer, un


rôle contributif de mitigation dans la répartition des affaires qui permettrait d’éviter la cour
d'assises ?

Si, depuis la loi du 8 juin 2008, le juge correctionnel belge peut, de manière indirecte,
influer sur la répartition des affaires criminelles en validant des correctionnalisations
irrégulières516, il ne peut pas prendre lui-même l’initiative de retirer des affaires à la cour
d’assises. Il dépend à cet égard de l’initiative des juridictions d’instructions ou du ministère
public. Le tribunal correctionnel ne peut pas non plus renvoyer à la cour d’assises s’il s’agit
d’un crime non correctionnalisable ou s’il ne juge pas opportun de retenir lui-même des
circonstances atténuantes. Dans ce cas de conflit négatif, seule la Cour de cassation peut, lors
de la procédure de règlement de juges, renvoyer devant la juridiction compétente. En
Belgique, la seule autorité compétente pour envoyer un crime devant la cour d’assises,
lorsqu’elle trouve des charges suffisantes pour motiver la mise en accusation, est la chambre
des mises en accusation (art. 231 modifié CIC).517 L’accusé n’a pas l’opportunité de choisir
la juridiction. Il ne peut pas opter pour le jury, ni à l’inverse pour le tribunal correctionnel. A
cet égard, la Commission européenne des droits de l’homme considéra, dans l’affaire
Zarouali c. Belgique de 1994, que le fait de comparaître devant la cour d’assises, en dépit du
souhait de l’accusé d’être jugé par des juges professionnels plutôt que par un jury, ne
constituait pas une violation des droits de la défense.518 Une citation directe est également
proscrite en matière criminelle519. Le seul moyen dont disposent le procureur général et les
autres parties consiste en un pourvoi en cassation contre l’arrêt de renvoi devant la cour

515
C. QUERET, La correctionnalisation en 1990, Paris II Panthéon-Assas, 1990, p. 8.
516
Supra, n° 40. Le juge correctionnel peut ainsi créer sa propre compétence (F. DERUYCK, « Over de
correctionalisering van misdaden : pleidooi voor een ‘intelligent design’ » in F. DERUYCK, M. DE SWAEF, J. ROZIE, M.
ROZIE, Ph. TRAEST et R. VERSTRAETEN (éd.), De wet voorbij. Liber Amicorum Luc Huybrechts, Anvers, Intersentia,
2010, p. 136).
517
Cass. RG P.10.0262.F, 3 mars 2010.
518
Un tribunal au sens de l’art. 6-1 CESDH, ne doit pas nécessairement et exclusivement être composé de juges de
carrière ou de juristes (Comm. EDH 29 juin 1994, Zarouali c. Belgique, n° 20664/92 ; Cass. 4 févr. 1992, Pas. 1992,
I, p. 491) ; infra, n° 577.
519
R. VERSTRAETEN, Handboek strafvordering, Anvers, Maklu, 4ème éd., 2007, p. 181, n° 302.

97
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

d'assises, celui-ci ne pouvant être immédiat que dans les cas prévus aux articles 416 alinéa 2
et 252 du Code d’instruction criminelle520.

En droit français, le renvoi à la cour d’assises relève, depuis janvier 2001, du juge
d’instruction (art. 181 CPP ; collège de l’instruction en 2011521). La loi du 15 juin 2000, qui
instaurait en droit français un appel tournant en matière criminelle, a en particulier supprimé
le double degré d’instruction afin de ne pas alourdir ni allonger l’instance criminelle de
manière excessive522. Toutefois, en cas d’appel contre l’ordonnance du juge d’instruction
(art. 185-186 CPP) ou lorsqu’elle exerce son pouvoir d’évocation (art. 206-207 CPP), la
chambre de l’instruction récupère sa faculté de rendre un arrêt de mise en accusation. La cour
d'assises française peut, dès lors, être saisie soit par ordonnance, soit par arrêt de mise en
accusation. Dans l’avant-projet du futur Code de procédure pénale du 1er mars 2010 la
décision de renvoi à la cour d’assises incombe au procureur de la République ou, en cas de
contestation, au « juge ou le tribunal de l’enquête et des libertés » et, en cas de contestation, à
la « chambre de l’enquête et de l’instruction » (art. 334-54 avant-projet CPP)523.

En Angleterre, en revanche, les magistrates’ courts jouent un rôle déterminant dans la


procédure d’attribution et le sort des affaires criminelles. Ainsi que nous l’avons déjà avancé,
toutes les affaires criminelles y commencent. Le right to a jury trial ou le droit à être jugé par
ses pairs dont semble bénéficier l’accusé anglais paraît dès lors relatif. Ce ‘droit’ se trouve en
outre menacé en faveur des lay magistrates suivant une politique criminelle soucieuse
d’optimiser la gestion rationnelle et efficiente des affaires graves ?

a) Le right to a jury trial : un droit relatif

99. Contrairement aux Etats-Unis où le droit à un jury est constitutionnellement


protégé par le Sixth Amendment de la Constitution américaine524, le concept de droit
constitutionnel n’a pas d’ancrage historique en Angleterre. Dans les années 1980
uniquement, il submerge lors des débats sur la nécessité d’un Bill of Rights.525 Certes,
plusieurs auteurs enracinent ce droit dit ‘constitutionnel’ dans la clause 39 de la Grande

520
Ancien art. 292bis CIC ; Cass. 25 juin 1996, Pas. 1996, I, 692 et Cass. 13 févr. 2002, Pas. 2002, 419 (supra, n°
65).
521
Supra, n° 147.
522
Infra, n° 376.
523
Avant-projet du futur Code de procédure pénale du 1er mars 2010, consultable sur le site :
www.justice.gouv.fr/art_pix/avant_projet_cpp_20100304.pdf.
524
En critiquant le système du plaider coupable américain, T. Lynch défend toutefois l’idée qu’aux Etats-Unis,
l’exercice libre de ce droit est contrecarré par la menace d’une répression largement plus sévère après une
condamnation au procès (trial tax ou trial penalty). La grande disparité des peines prononcées à l’issue d’un plaider
coupable ou non-coupable démontre en effet que le Gouvernement pénalise ceux qui optent pour le jury (T. LYNCH,
« The Case against Plea Bargaining », Regulation 2003, p. 26) ; vu le volume spectaculaire des plaiders coupable,
l’usage réel de son right to a jury trial est « virtuellement nihil ».
525
P. DARBYSHIRE, « The Lamp that Shows that Freedom Lives - is it Worth the Candle? », Crim. L.R. 1991, p. 743.

98
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Charte de Jean sans Terre (Magna Charta) de 1215526 — « aucun homme libre (freeman) ne
sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de
quelques manières que ce soit. Fous ne le condamnerons pas non plus à l'emprisonnement
sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays » —, mais autant d’autres
voix doctrinales réfutent cette opinion commune mais erronée.527 Pendant plusieurs siècles, il
n’y eut pas de choix de juridiction. Jusqu’à la moitié du 19ème siècle, la procédure ordinaire
consistait en un jugement rendu par un juge et un jury. Toutefois, ces jurés n’étant jadis que
des témoins privilégiés, la clause 39 de la Grande Charte ne pouvait renvoyer à un verdict du
jury, mais uniquement à la décision du juge.528 Le mot freeman n’avait en outre pas la
signification actuelle ; il désignait une classe limitée qui, dans le système féodal, craignait le
jugement par des ‘inférieurs’.529

En droit anglais, le right to a jury trial n’est donc ni constitutionnellement assuré, ni


enraciné dans l’histoire. Il n’est ni ancien, ni universel.530 S’agit-il d’ailleurs d’un droit ?
Bien que la Convention européenne des droits de l’homme n’assurer nulle part le droit au lay
justice531, un examen approfondi du système anglais révèle que le droit au choix est bien réel.
Cette prérogative anglaise se limite toutefois aux affaires qui relèvent de la catégorie
intermédiaire (triable either way). Concernant les affaires on indictment ainsi que celles only
summary, les suspects ne peuvent choisir la juridiction qui traitera leur cause. Ainsi que nous
l’avons déjà évoqué, si les infractions les plus sérieuses aboutissent obligatoirement devant la
Crown Court, les affaires de moindre importance sont réservées à la magistrates’ court. Mais
même pour la catégorie intermédiaire dont les affaires sont jugées, soit devant la magistrates’
court soit devant la Crown Court après la procédure de répartition, il semble inopportun et
problématique de parler de droit proprement dit.

100. La procédure d’attribution des affaires triable either way entre les deux cours
criminelles (mode of trial) qui, compte tenu des contingences budgétaires, est essentielle à
l’efficacité de la justice criminelle, se déroule en plusieurs étapes (s. 18-21 MCA 1980).
Après la lecture des accusations, le clerk informe la personne mise en cause qu’elle peut

526
www.droitshumains.org/Biblio/Text_fondat/GB_01.htm ; v. W. BLACKSTONE, o.c., p. 349-350.
527
« Il a toujours fait preuve de mauvaise histoire d’imputer l’origine du système (de jury) à la grande Charte »
(W.R. CORNISH, The Jury, Londres, Allen Lane, 1968, p. 12).
528
W. FORSYTH, The History of Trial by Jury, Londres, J.W. Parker, 1852, p. 103.
529
P. DARBYSHIRE, « The Lamp that Shows that Freedom Lives - is it Worth the Candle? », l.c., p. 743 ; selon W.
Holdsworth en revanche, une telle réfutation fait entorse à la vérité. Si, sur le plan littéral, il ne peut s’agir que d’une
erreur d’interprétation, la Grande Charte se révolte en filigrane contre la répression arbitraire, tout en affirmant le
droit à un procès équitable. Dans le langage du 13ème siècle, ce texte constitue dès lors une tentative visant à la
réalisation de ces idéaux (W. HOLDSWORTH, A History of English Law, Londres, Methuen, 1923, 3ème éd., p. 214-215).
530
HOME OFFICE, Mode of Trial : a Consultation Document, Londres, HMSO, 1995, Cm. 2908, p. 7.
531
Elle ne l’interdit pas non plus (Comm. EDH 22 mars 1972, X c. Autriche, n° 4622/70, § 6 ; Comm. EDH 29 juin
1994, Zarouali c. Belgique, supra, n° 98) ; v. aussi CEDH 25 nov. 1993, Holm c. Suède, n° 14191/88, § 30 et J.
JACKSON, « Modes of Trial : Shifting the Balance Towards the Professionnal Judge », Crim. L.R. 2002, p. 253-254.

99
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

choisir de plaider coupable, auquel cas l’affaire sera traitée de manière sommaire, sans jury.
Il indique que, le cas échéant, l’affaire peut être renvoyée à la Crown Court pour la
détermination de la peine (committal for sentence, modifié par la CJA 2003) et demande
ensuite à la personne suspectée si elle reconnaît sa culpabilité.532 Ainsi que nous l’avons déjà
mentionné, la personne mise en cause, si elle reconnaît sa culpabilité à ce plea before
venue533, sacrifie son droit à être jugé par ses pairs, l’affaire étant traitée devant la
magistrates’ court sans convocation des témoins. Lorsqu’elle persévère dans son innocence
ou ne veut pas plaider coupable, il appartient à la magistrates’ court de déterminer le mode
du procès. En prenant en considération les conclusions des deux parties, les magistrates
pèsent minutieusement la nature de l’infraction et vérifient, traditionnellement sans
connaissance du passé judiciaire de la personne mise en examen534, si leurs prérogatives de
répression535 suffisent à opérer une répression adéquate de l’infraction. Si la magistrates’
court estime que l’affaire, excédant ses pouvoirs, échappe à ses compétences et doit être
traitée devant le jury, elle communique la décision à l’accused et renvoie l’affaire devant la
Crown Court (s. 21).536 Il en résulte que le souhait d’une personne d’être traitée de manière
sommaire pourrait facilement être remis en cause par la décision de la magistrates’ court qui
juge l’affaire plus apte pour un traitement devant la Crown Court. Un procès sommaire est
pour les affaires triable either way dès lors uniquement possible en cas de consentement entre
les magistrates et la personne mise en cause. La partie poursuivante ne joue à cet égard pas
de rôle direct dans la décision portant sur le mode du procès.

Théoriquement, le right to a jury se cantonne donc à des infractions issues de la


catégorie intermédiaire pour lesquelles la magistrates’ court privilégie la voie sommaire alors
que la personne mise en cause souhaite pour sa part comparaître devant un jury. Dans ce cas
de figure exclusivement, il est possible de parler d’un véritable droit d’élire le jury. Compte
tenu du nombre considérable de guilty pleas, il s’agit enfin uniquement de ceux qui, en dépit
des incitations, n’ont pas souhaité plaider coupable. Cette opportunité est de surcroît dévolue

532
Ce choix de l’accusé est une décision essentiellement individuelle et implique en principe sa présence lors de la
procédure concernant le mode du procès (supra, n° 233). Dans des conditions exceptionnelles limitées à la santé, son
absence peut être excusée.
533
Supra, n° 49.
534
Colchester Justices ex p Forth East Essex Building Co Ltd [1977] 1 W.L.R. 1109 ; en vertu de la nouvelle s. 19
MCA 1980 modifiée par sch. 3 § 5 CJA 2003 (pas encore en vigueur) la magistrates’ court peut être informée des
condamnations antérieures.
535
Pour les pouvoirs restreints de punition, infra, n° 122.
536
Il en résulte que le magistrat peut renvoyer l’affaire au jury contre le gré de la personne suspectée. Contre ce
renvoi, celle-ci peut néanmoins instaurer un appel auprès de la Divisional Court. Ceci n’est toutefois pas une sinécure.
Dans le seul cas où aucun autre magistrat n’aurait pris cette décision, la Divisional Court annule la décision de la
magistrates’ court en cause (McClean ex p Metropolitan Police Commissionner [1975] Crim. L.R. 289 et
Forthampton Magistrates’ Court ex p Commissionners of Customs and Excise [1994] Crim. L.R. 598). Lorsque la
magistrates’ court ne suit pas strictement la procédure prescrite dans s. 18-21 MCA 1980, il est question d’excès de
juridiction et la condamnation peut être annulée par order of certiorari (Kent justices ex p Machin [1952] 2 Q.B. 355).

100
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

aux majeurs.537 Toutefois, malgré la relativité du right to a jury trial, les chiffres témoignent
de l’engorgement de la Crown Court. Nombre de personnes accusées d’avoir commis une
infraction triable either way souhaitent en effet exercer leur droit à un jury538. Or, compte
tenu des inconvénients patents en termes de délais et de moyens, la volonté de réformer la
procédure de distribution des affaires n’est pas illogique.

b) Un droit voué à l’extinction ?

101. La question inhérente à la répartition des affaires triable either way est depuis
quelque temps vivement débattue en droit anglais. Afin de rationaliser la justice criminelle et
d’éviter que des affaires triviales n’engorgent la Crown Court, plusieurs commissions et
rapports tentèrent de réformer la procédure de cette catégorie d’infractions. Après quelques
sérieux dérapages de justice, un changement radical était envisagé par l’instauration de la
Royal Commission on Criminal Justice ou la Runciman Commission en 1993.539 Dans
l’objectif d’augmenter l’efficacité de la justice criminelle, l’une de ses idées concernait
l’abolition du choix de juridiction de l’accusé dans des affaires triable either way.540 Les
justifications sous-jacentes à cette réforme radicale étaient multiples. Primo, celle-ci devait
préserver les lay magistrates du déclin de juridiction là où ils sont bien compétents541 tout en
endiguant la dilapidation de précieuses ressources. Secundo, l’accusé ne devrait pas disposer
d’un choix fondé sur la seule supposition d’une chance d’acquittement accrue. Une telle
stratégie semble en effet apte à conforter la croyance selon laquelle nombre d’accusés
‘jouent’ le système. Tertio, la majorité de ceux optant dans des affaires triable either way
pour le jury, plaident finalement coupable, induisant ainsi des cracked trials. Enfin, les lay
magistrates traitant la majorité écrasante des affaires, il semble qu’une confiance accrue en
leurs modalités d’intervention s’avérerait judicieux.

Le système alternatif proposé par la Runciman Commission se déroulerait en deux


temps. En premier lieu, il pourrait y avoir un accord entre l’accusé et la partie poursuivante
concernant la juridiction compétente pour le jugement de l’affaire en cause. En l’absence
d’un tel accord, la décision quant au mode du procès devrait être retirée aux accusés et
confiée aux lay magistrates. La décision gagnerait ainsi en objectivité après une mise en

537
Afin d’épargner les mineurs du formalisme et des rituels intimidants de la Crown Court (infra, n° 516), ceux-ci
sont en principe jugés par la youth ou la magistrates’ court. Curieusement, un renvoi pour peine reste possible : « so
young adults can get justice for kids and sentencing for adults » (infra, n° 139 et s. ; A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p.
488).
538
Supra, n° 60.
539
J.J. EDDLESTON, Blind Justice : Miscarriages of Justice in Twentieth Century Britain, Oxford, ABC – CLIO, 2000,
445p.
540
Rapport de la Royal Commission on Criminal Justice, Londres, HMSO, 1993, Cm. 2263, § 6.13 ; contra L.J.
JAMES, o.c., § 59.
541
Infra, n° 122.

101
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

balance de l’intérêt de l’incriminé et de la charge de la justice, de sorte que seules les affaires
‘méritantes’ atteindraient la cour d'assises. Pour la prise de cette décision, le magistrate
devrait prendre en considération la gravité de l’infraction, la complexité de l’affaire, la peine
probable et son effet, ainsi que le passé pénal de l’incriminé.

102. Bien que ce désir de rupture avec la tradition émane d’une réelle volonté
politique542, le temps n’était pas encore mûr pour pouvoir tourner la page et entériner un tel
changement radical. Le Gouvernement préféra même faire marche arrière. Dans le livre blanc
Justice pour tous de 2002 relatif au fonctionnement de la justice, la proposition radicale
concernant l’abolition du droit de choisir un jury est abandonnée. Le droit d’élire le jury doit
être maintenu, mais il convient de trouver des moyens aptes à endiguer cracked trials et
abus543. La doctrine ne manqua pas non plus de critiquer les attaques au droit à un jury. Au
lieu de minorer les erreurs judiciaires544, ces prospectives ne relèveraient-elles pas plutôt
d’une optique gestionnaire érigeant l’usage efficace des ressources au cœur des enjeux ?545
L’enjeu principal ne semble en effet plus concerner le souci d’assurer un procès équitable à
tout le monde, mais de distribuer efficacement les moyens disponibles afin de traiter le plus
grand nombre d’affaires. A l’instar de la formalisation du système de plaider coupable, la
proposition risque en outre d’entraver les droits des minorités ethniques à la lumière de
l’article 14 CESDH. L’ébranlement du principe d’égalité des justiciables devant la loi
pourrait également naître si les condamnations préalables ou la ‘réputation pénale’ de
l’accusé sont des facteurs déterminants dans l’offre d’un jury.546 Une telle situation risquerait
d’aboutir à une justice à deux échelons (two tier justice) dans laquelle la Crown Court serait
compétente pour ceux qui sont dépourvus de passé criminel, la magistrates’ court prenant en

542
Soutenue par le Gouvernement en 1995 ainsi que par le rapport Farey sur la révision des délais en matière pénale
en 1997, la proposition de loi relative au mode du procès en matière pénale (Mode of trial Bill de 1999) constitue la
première tentative parlementaire d’abolition du choix de juridiction de l’accusé dans les affaires triable either way
(HOME OFFICE, Mode of Trial : a Consultation Document, o.c., p. 7 et M. NAREY, Review of Delay in the Criminal
Justice System : a Report, Londres, Home Office, 1997, 56p.). En dépit de son radicalisme et nonobstant l’opposition
conséquente (HL Deb 20 janv. 2000, C 1246-1298), cette proposition fut reprise dans la Mode of Trial Bill de 2000
déposée à la House of Commons, les magistrates ne pouvant toutefois plus avoir égard aux circonstances personnelles
de l’accusé (HC Deb 14 févr. 2000, C 407W ; v. également M. BABER, The Criminal Justice Mode of Trial Bill n° 2,
Home Affairs Research paper 2000, p. 33). Lord Auld adhérait également aux propositions de la Commission
Runciman et du rapport Farey. En cas de désaccord entre les parties, la décision appartiendrait au district judge ; la
personne mise en examen aurait un droit d’appel (R. AULD, o.c., chap. 5, n° 141 et s. et sp. n° 171).
543
Infra, n° 45.
544
S. ENRIGHT, « Cost Effective Criminal Justice », F.L.J. 1993, p. 130.
545
A. ASHWORTH, « The Royal Commission on Criminal Justice : Part 3 : Plea, Venue and Discontinuance », Crim.
L.R. 1993, p. 835 et s. ; S. FIELD et P.A. THOMAS, « Justice and Efficiency? The Royal Commission on Criminal
Justice », J.L.S. 1994, p. 1-19 et R. YOUNG et A. SANDERS, « Plea Bargaining and the Next Criminal Justice Bill »,
F.L.J. 1994, p. 120.
546
N. O’MAY, « In the Dock - The Incorporation of the European Convention on Human Rights Will Affect Every
Stage of a Defendant's Progress through the Criminal Justice System », L.S.G 2000, 97.28 (24).

102
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

charge les récidivistes.547 En outre, cette proposition n’est-elle pas susceptible de frayer la
voie à une totale abolition du jury, voire au « début de sa fin » ?

Outre ces critiques de principe, il s’agit de savoir si la justice gagne effectivement des
ressources au cas où les accusés sont dépouillés du choix de juridiction désormais dévolu aux
lay magistrates. Ces derniers, qui se sentent déjà à la hauteur de leurs pouvoirs,548
retiendront-ils davantage d’affaires pour leur propre juridiction en s’octroyant un rôle central
dans la procédure de distribution des affaires ? Redistribueront-ils volontairement les affaires
en dépit du surcroît de travail qui en découle ? En outre, le renvoi à la Crown Court pour
peine (committal for sentence549) demeure encore possible. Il s’agit dès lors de savoir si le
retrait des affaires à la Crown Court en accordant la décision d’envoyer une affaire au jury
populaire non plus aux accusés mais aux lay magistrates, n’est pas contrecarré par l’existence
de cette porte de arrière. Un tel changement n’induirait-il pas, en revanche, un accroissement
notable des renvois pour peine ?

103. Contrairement à la correctionnalisation concomitante au jugement, un tel pouvoir


dévolu aux lay magistrates permettrait d’opérer une mitigation non pas directe, mais
indirecte. Celle-ci affecterait en particulier la décision de répartition et, de manière
secondaire, la juridiction et les peines applicables. On pourrait y voir un rapprochement avec
nos procédures de correctionnalisation judiciaire550. Mais à la différence des systèmes
français et belge où l’initiative de correctionnalisation relève du ministère public ou des
juges/juridictions d’instruction, l’autorité en charge de l’orientation des affaires dans la
proposition anglaise, en l’occurrence le lay magistrate, serait également le juge de l’affaire,
ce qui risque d’induire non pas un « juge-shopping », mais un « prévenu-shopping ». En
outre, ne s’agissant que d’affaires dans lesquelles le prévenu dispose d’un right to a jury
trial, à savoir les infractions triable either way, cette proposition, à juste titre en butte à des
critiques acerbes, n’affecte en rien les infractions on indictment pour lesquels la Crown Court
reste le juge naturel.

B — UNE ATTENUATION ENVISAGEE PAR LE LEGISLATEUR

104. Comme les protagonistes de la machine judiciaire, le Parlement a apporté son


écot au triomphe du juge correctionnel par la technique de la correctionnalisation dite

547
Lord Taylor in HOME OFFICE, Mode of Trial : a Consultation Document, o.c., p. 4 ; M. ZANDER, o.c., p. 40. Une
telle objection avait déjà été exprimée en 1975 par le comité James (L.J. JAMES, o.c., § 59).
548
« On traite déjà 96% des affaires. Combien de plus veut-on qu'on juge? » (A. HERBERT, « Mode of Trial and
Magistrates’ Sentencing Powers : Will Increased Powers Inevitably Lead to a Reduction of the Committal Rate ? »,
l.c., p. 317).
549
Infra, n° 121 et s.
550
Infra, n° 33 et s.

103
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

‘législative’. Il s’agit de la décision parlementaire concernant un acte qui, jusqu’à lors


qualifié de crime — ou plus rarement de contravention —, sera désormais relégué au rang de
délit.551 Contrairement à la correctionnalisation contemporaine, la correctionnalisation légale
agit, à l’instar de la correctionnalisation judiciaire, directement sur la division tripartite des
infractions et, dès lors, sur la compétence de la cour d'assises. A l’opposé de la
correctionnalisation judiciaire, les interventions législatives s’imposent à tous, de sorte que le
grief d’insécurité juridique et l’incompatibilité avec le principe d’égalité devant la loi ne se
posent pas.552 En luttant contre les mêmes défaillances — rigueur excessive et injustifiable du
Code pénal et indulgence manifeste de l’institution du jury —, ces mouvements traduisent,
sous prétexte de mitigation, une volonté de répression effective. Cesare Beccaria en fit
d’ailleurs la remarque : « le meilleur frein du crime est la certitude d’être puni »553.

Le déclassement législatif, avec la catégorie des crimes qui ne cesse de s’amoindrir au


profit de celle des délits, revêt une ampleur importante en droit français comme en droit
anglais (1), même si la division tripartite s’avère plus récente outre-Manche554. Si cette
pratique semble moins répandue en Belgique, c’est sous le régime hollandais qu’en émergent
les premières expressions (2). Une extension générale visant à mettre un terme aux abus de la
correctionnalisation judiciaire n’a pas survécu aux débats parlementaires de la récente
réforme de la cour d’assises.

1. Vagues de décriminalisation en droit français et droit anglais

105. En France, la loi du 25 juin 1824555 peut, de manière « mesquine et étroite »556,
être considérée comme la première loi de correctionnalisation légale. Par cette loi, les vols
commis dans l’hostellerie par d’autres que l’hôtelier ou ses préposés devenaient des délits. La
loi du 13 mai 1863 portant modification de plusieurs articles du Code pénal557 transformait
ensuite vingt-deux faits qualifiés auparavant comme crime. Cette loi s’inscrivait ainsi dans un
courant d’adoucissement.558 Dans un autre esprit — suspicion à l’égard du jury dont la
faiblesse répressive favoriserait l’impunité des coupables tout en encourageant les criminels
potentiels —, nombre de lois furent créées pour endiguer l’impuissance de la justice

551
M. PATIN, « La correctionnalisation législative des crimes », RSC 1948, p. 187-188.
552
Contra M. PATIN, qui considère que la correctionnalisation légale est plus discutable dans la mesure où elle
introduit une confusion singulière et dangereuse dans des lois répressives qui s’imposent à tous (M. PATIN, « La
correctionnalisation législative des crimes », l.c., p. 187).
553
C. BECCARIA, o.c., p. 123.
554
Supra, n° 19.
555
Duvergier, p. 515.
556
J. SIGNOREL, De la correctionnalisation des crimes, Paris, A. Rousseau, 1907, p. 4.
557
Duvergier, p. 418.
558
Etaient, à titre d’exemple concernés : les vols agricoles, la subordination de témoins, la contrefaçon de marques,
l’évasion avec violences et le bris de scellés, ...

104
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

populaire. La loi française du 27 mars 1923 sur la correctionnalisation de l’avortement559


ainsi que celle du 17 février 1933 sur la bigamie en constituent les premières illustrations. Le
Code pénal de 1810 infligeait à de tels faits des peines criminelles. Le jury refusa toutefois
fréquemment qu’une telle rigueur soit appliquée.560 Il préféra acquitter — y compris lorsque
la culpabilité ne faisait aucun doute — plutôt qu’exposer l’accusé au risque d’une peine trop
austère infligée par des magistrats de métier. Les interventions légales ambitionnaient de
mettre un terme à cette « répression paralysée »561. Le crime d’avortement fut transformé en
délit passible d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans562 ; celui de
bigamie, d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende563 tout en
respectant le seuil correctionnel traditionnel. Ces dispositions permettaient également au juge
d’atténuer la peine par l’ancien système de circonstances atténuantes et du sursis. L’un des
impacts déplorables d’une telle indulgence se traduisit toutefois par une augmentation
exorbitante du nombre d’avortements. Ultérieurement, la répression s’accentua alors avec le
décret-loi du 29 juillet 1939 qui accordait au juge correctionnel la possibilité de prononcer
une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans en cas d’avortement professionnel, sans
pouvoir accorder ni sursis, ni circonstances atténuantes564.

106. A l’instar de plusieurs infractions de droit commun, le jugement des crimes et


délits de presse fut en France également retiré de la cour d'assises, contrairement à la
procédure belge où le jury populaire demeure (théoriquement) le juge naturel des ces deux
types d’infractions565. Par le décret français du 31 décembre 1851, « le tribunal correctionnel
de Paris faisait pleuvoir des années de prison et peines d’amendes sur les journalistes et les
directeurs de journaux »566 jusqu’à lors bénéficiaires d’une quasi-immunité. La législation
pénale fit cependant preuve d’une véritable navette entre les deux cours pénales. Malgré la
réinstauration de la compétence de la cour d'assises par la loi sur la liberté de la presse du 29

559
Loi du 27 mars 1923 modifiant les dispositions de l'article 317 du Code pénal sur l'avortement, JORF 29 mars
1923.
560
M.M. RAITER démontre effectivement que « le jury [pour l’avortement] comme pour l’infanticide recule devant la
sévérité de la loi. En 1900, on constate 45 acquittements sur 73 accusés, soit une proportion de 62%. Les
circonstances atténuantes, ont été accordées à 21 accusés sur 26, soit une proportion de 81%. […]. On voit que le
jury persiste à se montrer indulgent jusqu’à la faiblesse pour des crimes auxquels elle n’attribue pas, peut-être, la
même gravité que le législateur lui a donné » (M.M. RAITER, Avortement criminel et dépopulation : examen de la loi
de correctionnalisation (étude de sociologie criminelle), Thèse, Paris, 1925, p. 113-114).
561
M.M. RAITER, o.c., p. 164.
562
W. JEANDIDIER, « La correctionnalisation législative », JCP G 1991, n° 3487, p. 53 et M. PATIN, « La
correctionnalisation législative des crimes », l.c., p. 187.
563
W. JEANDIDIER, « La correctionnalisation législative », l.c., p. 53.
564
Décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la nationalité française, JORF 30 juill. 1939, p. 9607.
565
Infra, n° 110.
566
B. SCHNAPPER, « Le jury français aux XIX et XXème siècles » in A. PADOA SCHIOPPA, The Trial Jury in England,
France, Germany 1700-1900, Berlin, Duncker & Humblot, 1987, p. 205-206.

105
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

juillet 1881567, le législateur opta définitivement pour la voie correctionnelle avec


l’ordonnance du 6 mai 1944.568 Afin de ne pas entraver outre mesure la liberté de la presse,
un garde-fou fut toutefois instauré dans l’article 47 de la loi de 1881 : le ministère public a le
monopole de l’action publique ; la saisine directe du juge correctionnel par la partie civile est
exclue.

107. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, le jury anglais se montrait méfiant à
l’égard du juge professionnel et du législateur (jury equity)569. Afin de réduire le nombre
d’infractions triable either way et d’éroder le droit d’un accusé d’exiger un procès devant le
jury, le Parlement anglais élargit, par une rivière législative, la catégorie des infractions
inférieures et la portée de la justice ‘inférieure’. Il s’agit sans doute de la manifestation la
plus directe de la redistribution des compétences en défaveur du jury.570

Timidement annoncée par le Wilful and Malicious Trespass Act de 1820 et par la
Larceny Act de 1827,571 le Juvenile Offenders Act de 1847 constituait le premier pas légal
vers un accroissement des compétences de la summary jurisdiction. Lorsqu’un vol simple
(larceny)572 était commis par un mineur âgé de quatorze ans ou moins, celui-ci comparaissait
devant le justice of the peace avec le consentement de ses parents.573 Cette loi visait
l’instauration d’une justice davantage expéditive ainsi que l’évitement, pour les jeunes dans
la mesure du possible, du trauma causé par une détention provisoire au procès.574 Cette
tendance au déclin du nombre d’infractions relevant de la Crown Court se poursuivit avec
l’Act for Diminishing Expense and Delay in the Administration of Criminal Justice in Certain
Cases de 1855. Avec cette loi, quelques infractions ‘graves’ telles que le vol commis par un
majeur pour une valeur inférieure à 5 shillings — ou, indépendamment de la valeur, lorsque
la personne mise en cause plaide coupable —, pouvaient être traitées par la juridiction
inférieure avec l’accord préalable de celle-ci.575 Pour la première fois, le législateur offrait

567
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, JORF 30 juill. 1881, p. 4201 (modifiée par la loi du 16 mars 1893,
JORF 17 mars 1893, p. 1378 et le décret-loi du 10 janvier 1936, JORF 12 janv. 1936, p. 522). Pour une étude
approfondie, v. A. PRUDHOMME, De la compétence du jury et des tribunaux correctionnels en matière de délits de
presse, Thèse, Paris, Ed. Arthur Rousseau, 1912, 128p. et H. BLIN, A. CHAVANNE et R. DRAGO, Traité du droit de la
presse : ancien code de la presse de Barbier, Paris, Librairies techniques, 1969, 671p.
568
Ordonnance du 6 mai 1944 relative à la répression des délits de presse, JORF 20 mai 1944. A l’exception des
simples contraventions et du crime prévu par l’art. 23 de la loi de 1881 (H. BLIN, A. CHAVANNE et R. DRAGO, o.c., p.
365).
569
Supra, n° 92 et 245.
570
Des expressions plus subtiles d’une telle marginalisation seront traitées ultérieurement (infra, n° 123).
571
L. RADZINOWICZ et R. HOOD, The Emergence of Penal Policy in Victorian and Edwardian England, Oxford,
Clarendon Press, 1990, p. 620.
572
Infraction de common law, codifiée par le Larceny Act de 1916 et transposée dans le Theft Act de 1968.
573
Juvenile Offenders Act de 1847 (s. 10 et 11). En 1850, cet âge était augmenté jusqu’à seize ans (R.M. JACKSON,
« The Incidence of the Jury Trial during the Past Century », l.c., p. 133).
574
INTERDEPARTEMENTAL COMMITTEE sous la présidence de L.J. JAMES (JAMES COMMITTEE), The Distribution of
Criminal Business between the Crown Court and the Magistrates’ Court, Londres, Home office, 1975, § 13.
575
Ibid.

106
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

ainsi le choix à l’accusé. Compte tenu du dédoublement de la charge de travail du jury qui en
résulte, cette loi généra une véritable révolution en droit pénal.576 Le Summary Jurisdiction
Act de 1879 (s. 62 et 63) consolidait cette évolution et codifiait, pour la première fois dans
une liste, les infractions pouvant être retirées de la Crown Court avec l’accord de la personne
mise en cause, notamment lorsque la peine privative de liberté excédait trois mois. D’autres
infractions y étaient au fur et à mesure adjointes.577 L’une des répercussions louables
concerna le déclin de l’incarcération.578 Dans le sillage de Cesare Beccaria, Leon
Radzinowicz et Roger Hood constatent ainsi qu’une répression davantage certaine gagne en
dissuasion tout en diminuant le nombre des poursuites et la population carcérale. Ce
changement en matière de procédure pénale avait également des effets pour la phase
d’exécution des peines ainsi que sur la perception et le contrôle de la criminalité.

Au 20ème siècle, le Children Act de 1908579, le Criminal Justice Act de 1925580 et le


Criminal Justice Administration Act de 1962581 introduisirent des nouvelles révisions de la
liste des affaires sommaires. Le jury ne traitait dès lors plus que 10% des affaires environ582.
La porte vers la Crown Court ne fut toutefois pas entièrement close, les magistrates ayant,
par le Criminal Justice Act de 1948, la faculté de renvoyer pour peine.583 Plus récemment, le
comité James584, dont les propositions aboutirent à l’introduction de la division tripartite des
infractions (CLA de 1977) en droit anglais, proposait le transfert de certaines infractions
majeures — telles que bigamie, parjure, conduite imprudente et dangereuse entraînant la mort
(reckless and dangerous driving) — vers la catégorie intermédiaire, ainsi que celui de
certaines infractions hybrides — telles qu’infraction de boire et conduire (drink and drive),
vol en dessous de 20£ et dommages pénaux en dessous de 100£585 — vers la catégorie

576
R. VOGLER, A World View on Criminal Justice, Ashgate, Ashgate Publishing Limited, 2005, p. 211.
577
Les magistrates’ courts devenaient ainsi compétentes pour les infractions, hormis l’homicide, commises par un
enfant âgé de moins de douze ans, celles commises par des mineurs âgés de douze à seize ans figurant sur une liste
spéciale, et le vol commis par un majeur pour une valeur inférieure à 40 shillings. Indépendamment de la valeur des
dommages, les adultes plaidant coupable pouvaient être traités de manière sommaire pour des infractions similaires.
En 1881, la liste s’étoffa en englobant l’infraction de diffamation pénale (Fewspaper Libel and Registration Act de
1881) et, quelques années plus tard, celle de fausses prétentions des majeurs et des dommages volontaires (malicious
damages) chiffrés à moins de 40 shillings (Summary Jurisdiction Act de 1899 ; 20£ depuis le Criminal Justice
Administration Act de 1914 ; R.M. JACKSON, « The Incidence of the Jury Trial during the Past Century », l.c., p. 137).
578
L. RADZINOWICZ et R. HOOD, o.c., p. 618 et sp. p. 623-624.
579
Par cette loi la magistrates’ court s’ouvrait à tous les attentats à la pudeur (indecent assault) contre un mineur de
moins de seize ans (R.M. JACKSON, « The Incidence of the Jury Trial during the Past Century », l.c., p. 137).
580
Cette loi transférait vers le summary trial, parmi d’autres, le vol sans violence, quelques infractions de faux, le
parjure, ainsi que la quasi-intégralité des infractions commises par un mineur de moins de dix-sept ans.
581
Pouvaient désormais être jugés par la magistrates’ court : l’abandon d’enfant, certaines infractions de faux et usage
de faux, ainsi que l’attentat à la pudeur perpétré par une personne âgée de 16 ans minimum (L.J. JAMES COMMITTEE,
o.c., § 16).
582
R. VOGLER, o.c., p. 211.
583
V. s. 38 MCA 1980 et s. 41 CJA 2003 (infra, n° 121).
584
L.J. JAMES COMMITTEE, o.c., § 43-45.
585
L.J. JAMES, o.c., § 115-132 et § 136-169.

107
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

inférieure. Le Criminal Justice Act de 1988 (s. 37 et 39)586 y adjoignait quatre offences
triable either way : coups et blessures (common assault and battery), conduite sans
permission, prise de voiture sans accord et dommage pénal jusqu’à 2.000£ (majoré jusqu’à
5.000£ par s. 46 CJPOA). Compte tenu de la réduction de l’engorgement de la Crown Court
de 6%, la réforme n’a pas manqué son but.587 Le résultat non négligeable des interventions
légales, également sous-tendues par des contingences économiques et budgétaires, est une
érosion significative du nombre de procès devant le jury. Dans un contexte où l’appareil
pénal est confronté à sa capacité limitée et où l’arriéré judiciaire prend une tournure
inquiétante, le règlement du flux judiciaire investit l’échiquier politique sous des auspices
injonctifs ; dans une telle conjoncture le jury peine à trouver sa place.

2. Interventions ponctuelles en droit belge ?

108. L’histoire pénale belge ne connut pas cet élan de décriminalisation législative.588
Les transferts législatifs de la catégorie des crimes en faveur de celle des délits étaient moins
fréquents, ce qui pourrait être expliqué par la légalisation de la pratique de la
correctionnalisation judiciaire depuis 1838589. Une autre explication relève
vraisemblablement de la réforme globale du Code pénal en 1867, plus de trente ans après
l’indépendance de la Belgique, qui visait l’adoucissement de l’extrême rigueur, voire de
l’injustice du Code pénal de 1810 issu de la période de dominance française.

Antérieurement à cette date, le législateur avait déjà révélé sa volonté de chercher des
peines davantage proportionnelles à la gravité de l’infraction. Ainsi, la loi du 29 février 1832
transformait en délits certains vols auparavant qualifiés comme crimes.590 Cette loi retirait
également à la juridiction de la cour d'assises, en faveur de celle du tribunal correctionnel, les
mineurs de moins de seize ans prévenus de crimes, à l’exception de ceux passibles de la
peine de mort, de travaux forcés à perpétuité ou de déportation. Quant à la loi monétaire du 5

586
P. DUFF, « The Defendant’s Right to Trial by Jury : A Neighbour’s View », Crim. L.R. 2000, p. 88.
587
CRIMINAL STATISTICS 1989, § 6.12. Le Gouvernement anglais avançait, par ailleurs, un nombre additionnel
d’infractions pouvant être traitées de façon sommaire : possession d’une arme offensive, fuite sans paiement, ...
(HOME OFFICE, Mode of Trial : a Consultation Document, o.c., p. 7.
588
Sous l’empire des Hollandais (1815-1830), le mouvement s’amorça pourtant avec deux arrêtés ‘bienfaisants’ du
Prince souverain des Pays-Bas qui accordaient au juge le pouvoir de commuer la peine afférente à certains crimes en
une peine moins sévère (E. DE LE COURT, l.c., p. 131 ; J.J. HAUS, Principes généraux du droit pénal, o.c., p. 119 ; J.
LECLERCQ lors de la Mercuriale prononcée le 1er sept. 1982 à la Cour d’appel de Mons, p. 4-5. Le jury fut aboli au
cours de cette période par l’arrêté royal du 6 nov. 1814). Il s’agit de l’arrêté du 9 septembre 1814 permettant, en cas
de circonstances atténuantes, de commuer une réclusion en emprisonnement lorsque le préjudice n’excède pas 50 Fr.
(Pas. 1814-15, p. 257 et 255) et de l’arrêté du 20 janvier 1815 autorisant la transformation des travaux à temps en
réclusion tout en exemptant le coupable de l’exposition publique.
589
Supra, n° 38.
590
Loi du 29 février 1832, Pas. 1832, p. 272. Il s’agit, d’une part, de vols domestiques et de vols émanant d’un
aubergiste ou d’un hôtelier (art. 386 CPF 1810) et, d’autre part, de vols de vache dans une prairie (art. 388 CPF
1810) ; v. J.S.G. NYPELS, Le Code pénal belge interprété principalement au point de vue de la pratique, Bruxelles,
Bruylant-Christophe, 1867, p. 21.

108
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

juin 1832, elle minorait d’un degré, dans l’échelle des peines, les pénalités afférentes au
crime de fausse monnaie591. La réforme de 1867 apporta également son écot : après avoir
remplacé la notion de « peine afflictive et infamante » par celle de « peine criminelle »592, elle
éradiqua certaines peines cruelles et immorales telles que le carcan, la marque et la
déportation. Enfin, elle réévalua les infractions et lança de nouvelles dispositions sur la
tentative, la récidive, la complicité et les circonstances atténuantes.593 En outre, dans son
deuxième livre, nombre de peines applicables aux crimes furent minorées d’un, voire de deux
degrés. Il en résulterait une atténuation profonde : alors que le Code pénal de 1810 prévoyait
la peine de mort pour une trentaine de crimes, la version de 1867 n’en gardait que sept594, les
autres étant désormais passibles d’une peine privative de liberté. Mettant ainsi un terme à
l’extrême rigueur de son prédécesseur, tant dans la partie spéciale que générale du Code
pénal, le droit belge ne connut pas les mêmes vagues continues de correctionnalisation légale
que le système français.

109. Toutefois, le Code pénal belge actuellement en vigueur recèle encore nombre
d’infractions qui, contrairement au droit français, sont formellement encore imprimées de la
marque de crime595 et justifient le recours à la technique alternative de la correctionnalisation.
Des incitations à un transfert législatif direct et obligatoire au tribunal correctionnel furent
parfois énoncées. Deux exemples spécifiques et récents596 en témoignent : une forme
restreinte de ‘redistribution’ qui, par la loi du 7 mai 1999, retire les délits de presse
d’inspiration raciste ou xénophobe de la compétence de la justice populaire afin d’assurer une
répression effective et un étrange cas de figure par la loi du 15 mai 2006 dans le domaine de
la protection de la jeunesse.597 D’ores et déjà, nous pouvons révéler qu’on reste en Belgique
avec ces deux exemples. Ainsi que nous l’esquisserons plus loin, la tentative du Conseil
supérieur de la Justice598, suivie par le Sénat599, de renvoyer directement devant le tribunal
correctionnel tous les crimes punissables d’une réclusion en dessous du seuil de vingt ans

591
Ibid.
592
Code pénal de 1867, MB 9 juin 1867, entrée en vigueur le 15 oct. 1867 ; J.S.G. NYPELS, Législation criminelle, ou
commentaire et complément du code pénal belge, o.c., n° 37 et s.
593
E. DE LE COURT, l.c., p. 140-141 et S. SASSERATH, « La correctionnalisation », l.c., 1955, p. 77.
594
J.S.G. NYPELS, Législation criminelle, ou Commentaire et complément du code pénal belge, o.c., p. 47-48.
595
Songeons à l’infraction de faux (non fiscal) qui est malheureusement encore qualifiée comme crime.
Systématiquement correctionnalisée, avec des inconvénients liés à l’attribution des amendes, cette qualification ne
coïncide plus avec l’opinion publique.
596
Un autre exemple constitue la correctionnalisation législative du faux fiscal par la loi du 10 février 1981 (MB 14
févr. 1981, p. 1714).
597
Loi du 7 mai 1999 modifiant la Constitution, MB 29 mai 1999, p. 19310 et loi du 15 mai 2006 modifiant la
législation relative à la protection de la jeunesse et à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié
infraction, MB 17 juill. 2006, p. 29028.
598
Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 23-27.
599
Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/5, p. 4-5.

109
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

ainsi que ceux figurant dans la liste ancienne de l’article 2 de la loi du 4 octobre 1867 qui
excèdent ce seuil600, n’a pas été retenue par le législateur réformant la procédure d’assises.601

110. Le premier exemple s’inscrit dans le champ de compétence de la cour d’assises


belge pour les délits de presse, ceux-ci étant étroitement liés à la liberté d’expression.
Contrairement au droit français602, l’actuel article 150 de la Constitution belge garantit le jury
en tant que juge naturel de ces affaires.603 Le motif historique sous-jacent réside dans la
réaction contre la domination hollandaise qui réprimait entre 1815 et 1830 sévèrement les
délits de presse (arrêté du 20 avril 1815). Les nombreuses condamnations de journalistes
devant une cour d’exception — la cour d'assises étant supprimée — en témoignent. Cette
répression constitue une des causes directes de la Révolution belge.604 La (re)naissance du
jury en Belgique avec la Constitution de 1830 était dès lors intimement liée à ce contexte
particulier. A l’origine exclusivement instauré pour les délits politiques et de presse, le jury
ne bénéficiera d’une compétence élargie aux crimes qu’ultérieurement.605 A l’heure actuelle,
le maintien du jury comme juge naturel des délits de presse serait sous-tendu par l’idée que
les douze jurés seraient davantage représentatifs de l’opinion publique, tout en étant
indépendants du pouvoir, et qu’ils remplissent un rôle de « chien de garde de la
démocratie ».606

Un délit de presse réunit cumulativement quatre conditions constitutives607 : il


requiert l’expression d’une opinion ou d’une idée ; l’énonciation de cette opinion doit être
punissable et l’infraction doit découler de l’écrit lui-même ; l’opinion doit être reproduite
dans un écrit imprimé et une publicité effective doit être donnée à la publication. L’écrit doit,
par conséquent, avoir fait l’objet d’une certaine diffusion.608 Réunissant ces conditions, les
délits de presse entrent dans la juridiction de la cour d'assises. Constitutionnellement
garantie, cette compétence se trouve néanmoins en porte-à-faux avec la pratique. La

600
Supra, note 175.
601
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen », l.c.
p. 93-94 (infra, n° 118).
602
Supra, n° 106.
603
Cass. 18 janv. 2006, FC 2007, p. 367 et Pas. 2006, p. 181 ; à l’exception des délits de presse commis par des
ministres (art. 103 Constitution) et ceux commis par des mineurs (art. 36, 4° loi de 1965 sur la protection de la
jeunesse, MB 15 avr. 1965, p. 4014).
604
A. MAST, De vrijheid van de drukpers, Bruges, Die Keure, 1962, p. 8 (infra, n° 420 et 422).
605
Ph. TRAEST, « The jury in Belgium », RIDP 2001, p. 44-45.
606
CEDH 20 mai 1999, Bladet Tromso et Stensaas c. Forvège, n° 21980/93, § 62 et CEDH 17 déc. 2004, Pedersen et
Baadsgaard c. Danemark, n° 49017/99, § 72.
607
Cass. 17 janv. 1990, JLMB 1990, p. 412, note F. JONGEN et Journ.proc. 1990, n° 169, p. 33, note M. HANOTIAU ;
Cass. 7 déc. 2004, RDPC 2005, p. 1265, note G. ROSOUX ; Cass. 18 janv. 2006, FC 2007, p. 367 et Pas. 2006, p. 181 ;
v. aussi J. ENGLEBERT, « Quand y a-t-il « délit de presse » au regard de l’exigence de publicité? », (note sous Cass. 18
janv. 2006), AM 2007, p. 162-163.
608
Sur les délits de presse sur internet, v. parmi d’autres Q. VAN ENNIS, « Le délit de presse sur internet : la cohérence
et rien de plus ? », (note sous Bergen 14 mai 2008), JT 2009, p. 48-50.

110
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

jurisprudence belge montre, en effet, que les délits de presse sont très rarement soumis à la
juridiction du jury populaire. Au cours des cinquante dernières années, seules deux affaires
furent portées devant le jury.609 Hormis la liberté de presse, cette désuétude s’explique par
des raisons organisationnelles, à savoir la lourdeur de la procédure.610 Il en résulte que la
répression pénale des délits de presse est érodée à une pure fiction qui dénote de facto
l’immunité pénale des journalistes. Les procès se déroulent par voie d’action civile. Entamant
la confiance du public à l’égard des institutions, cet état de choses pourrait inciter les auteurs
à commettre des infractions toujours plus grave.611

En matière de lutte contre le racisme, cette situation constitua une cause permanente
d’exaspération. Sous l’impulsion de la Convention des Nations Unies du 7 mars 1966
concernant l’élimination de toute forme de discrimination raciale612, transposée en droit belge
par la loi Moureaux du 30 juillet 1981, le législateur belge était censée apporter une réponse
efficiente aux actes à caractère raciste ou xénophobe commis par le biais de la presse.613 La
loi du 7 mai 1999 confortait cette volonté en modifiant la Constitution pour que les délits de
presse inspirés par le racisme ou la xénophobie soient retirés de la compétence de la cour
d’assises et confiés au tribunal correctionnel.614 Par cette ‘redistribution’615 partielle, le
Parlement mettait ainsi, pour un type spécifique de délit de presse, un terme à cette
impunité.616

Toutefois, contrairement à la conclusion de la Commission de réforme de la cour


d’assises belge et par la suite la nouvelle loi du 21 décembre 2009, il nous paraît souhaitable
d’élargir cette dépossession limitée de la cour d’assises à tous les délits de presse.

609
Par exemple l’arrêt de la cour d’assises d’Hainaut (Mons) du 23 juin 1994 quant à l’application de la loi du 30
juillet 1981 sur la distribution des pamphlets incitant à la haine raciale contre des migrants (F. JONGEN, « Un délit de
presse devant la cour d’assises », JLMB 1994, p. 516).
610
F. TULKENS, « Le jury et les délits politiques et de presse » in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de
la troisième Journée d’études juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), Bruxelles, Bruylant, 1967, p. 261-271.
611
Proposition de révision de l’art. 150 de la Constitution, Doc.parl. Sénat 1996-97, n° 1094/1.
612
Approuvée par la loi du 9 juillet 1975 portant approbation de la Convention internationale sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, faite à New York le 7 mars 1966, MB 11 déc. 1975, p. 15791 ; v.
également l’art. 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 déc. 1966.
613
Loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, MB 8 août 1981,
p. 9928. En 1987, 90% des plaintes pour racisme furent classées sans suite. Trois quarts des 10% poursuivis furent
acquittés. En mai 1992, on constatait que seules quatorze condamnations avaient été prononcées depuis l’introduction
de la loi ‘antiracisme’ de 1981, Doc.parl. Sénat 1996-97, n° 1-145/1.
614
Ne renvoyant pas à une législation spéciale, ce transfert n’empêche pas que le tribunal correctionnel est également
compétent pour les délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie qui ne font pas l'objet de poursuites
répressives en application de la loi du 30 juill. 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la
xénophobie (Cass. 13 sept. 2005, RDPC 2006, p. 574).
615
Le terme ‘correctionnalisation’ ne paraît pas judicieux dans la mesure où il s’agit majoritairement des ‘délits’ et
pas de ‘crimes’ de presse. Souvent il s’agit en effet de diffamie.
616
Pour des critiques doctrinales sceptiques, v. E. FRANCIS, « Bedenkingen bij de correctionalisering van racistisch
geïnspireerde drukpersmisdrijven », RW 1999-00, p. 377-394 et D. VOORHOOF, « De ‘correctionalisering’ van
racistische drukpersmisdrijven : naar een effectieve strafvervolging? » in X, De Gordiaanse knoop van
antidemocratische partijen. De Wet als tweesnijdend zwaard, Gand, Mys & Breesch, 2001, p. 38-63.

111
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

L’existence de voies alternatives617 s’avère insuffisante.618 A cet égard et comparée aux


autres Etats européens, la Belgique fait en effet figure d’exception. Prétexter qu’un renvoi
massif de ces affaires au tribunal correctionnel ouvrirait la voie à pléthore de procès pénaux
ne suffit pas pour justifier l’immunité et l’impunité actuelles. Par ailleurs, une répression
effective ne constituerait guère une menace pour la liberté de la presse qui demeure l’un des
principes fondamentaux de toute société démocratique. Une piste de réflexion pourrait
consister en l’organisation d’un monopole du ministère public pour initier l’action publique,
à l’instar du droit français.619

111. Outre ce transfert spécifique et partiel vers le juge correctionnel, le législateur


belge a récemment introduit, dans un autre domaine — celui de la protection de la jeunesse
—, une sorte de correctionnalisation législative qui, curieusement, semble contrecarrer les
règles de la correctionnalisation judiciaire : il s’agit du nouvel article 57bis de la loi du 8 avril
1965 relative à la protection de la jeunesse, issu de la loi du 13 juin 2006620. En vertu de cette
disposition, le tribunal de la jeunesse devant lequel une personne âgée d’au moins seize ans
au moment des faits a été déférée peut, par décision motivée, se dessaisir et renvoyer l'affaire
au ministère public aux fins de poursuite lorsqu’il juge une mesure de garde, de préservation
ou d'éducation inadéquate. Cette poursuite aura lieu, soit devant une chambre spécifique du
tribunal de la jeunesse qui applique les règles ordinaires si la personne est suspectée de délit
ou de crime susceptible de correctionnalisation ; soit devant la cour d’assises, si la personne
est soupçonnée d'avoir commis un crime non correctionnalisable. Les crimes susceptibles de
correctionnalisation — dont le nombre est doublé par la loi du 21 décembre 2009621 — sont
dès lors nécessairement portés devant la chambre spécifique. En droit commun, en revanche,
le procureur dispose (depuis la loi du 21 juillet 1994) de la faculté, et non de l’obligation, de
renvoyer les crimes correctionnalisables devant le tribunal correctionnel par le biais des
circonstances atténuantes et à la condition qu’une instruction n'ait pas été requise (art. 3 al. 2
loi du 4 oct. 1867)622. A cet égard, Raf Verstraeten, Stef De Decker et Tim Van hoogenbemt
se demandent, à juste titre, si la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse est contrainte

617
La réparation, le droit de réponse et exceptionnellement des mesures préventives en référé.
618
V. également la proposition de J. MILQUET, M. FORET et A. DELCOURT-PETRE de modifier la Constitution,
Doc.parl. Sénat 1997-98, n° 1-837/1 et l’intervention de F. JONGEN et H.D. BOSLY à la table ronde sur le thème
« Quel avenir pour le jury populaire », Journ.proc. 1993, n° 242, p. 21-22.
619
Rapport définitif de la Commission de réforme de la cour d'assises remis à Mme la ministre de la Justice L.
Onkelinx le 23 déc. 2005, p. 83.
620
Loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait
qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait, MB 15 avr. 1965, p. 4014 et la loi du 13 juin 2006
modifiant la législation relative à la protection de la jeunesse et à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait
qualifié infraction, MB 2 juin 2006, p. 29028.
621
Supra, n° 38 et note 177.
622
Supra, n° 39.

112
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

d’accepter les circonstances atténuantes proposées par le parquet et doit, par conséquent,
donner suite à cette correctionnalisation.623 Compte tenu de la disposition visant l’application
des règles ordinaires tant du droit pénal que de la procédure pénale (art. 57bis § 1 al. 1 loi du
8 avr. 1965), la réponse à cette question semble négative. Ainsi que nous l’avons analysé plus
haut, le tribunal correctionnel n’est pas contraint par la dénaturation suggérée par le parquet,
de sorte qu’un renvoi devant la cour d'assises s’avère toujours possible624. Mais cela tranche
avec la disposition particulière qui attribue à la cour d'assises la compétence exclusive des
crimes insusceptibles de correctionnalisation. Afin d’éviter tout risque d’impunité en cas de
refus de correctionnalisation par la chambre spécifique, la dénaturation par le ministère
public prend donc, selon les auteurs mentionnés ci-dessus et contrairement au droit commun,
un caractère contraignant en matière de protection de la jeunesse.

112. A l’issue de cette analyse, nous pourrions avoir l’impression que ces
interventions — systématiques comme en France et en Angleterre, ou spécifiques comme en
Belgique —, certes bienvenues, ne constituent que des ‘retouches’ : en ne visant que les
infractions spécifiques du droit pénal spécial (actuel livre II CPB de 1867), elles laisseraient
intactes les règles générales du livre I de ces codes. Générant ainsi une législation
fragmentée, il s’agit d’une solution moins drastique, moins audacieuse et plus prudente. Dans
le point suivant, nous illustrerons toutefois que cette appréciation s’avère trop sévère tant
pour le droit français que plus récemment pour le droit belge. Nous essayerons en outre de
démontrer que, pour la plupart des infractions, l’adoucissement s’avère plus symbolique que
réel.

§ 2 — REALITE FOF-FEGLIGEABLE DE REPRESSIOF

113. La montée en puissance du juge correctionnel/magistrate par voie législative est


également imputable à l’élargissement de ses compétences au-delà de ses prérogatives
naturelles. Ce mouvement est progressivement constatable en France mais trouve également
une vocation dans les propositions de réforme belges. Des incitations à l’accroissement des
compétences des magistrates émergent par ailleurs dans la procédure anglaise.

En comparant les trois pays, il apparaît que des différences significatives existent à cet
égard, en premier lieu sur le plan des raisons sous-jacentes à cette extension des
compétences. Si le transfert d’un nombre accru d’affaires vers le juge ‘inférieur’ requiert un
élargissement de sa portée en droit continental (A), ‘l’épanouissement’ des magistrates

623
R. VERSTRAETEN, S. DE DECKER et T. VAN HOOGENBEMT, « Jeugd(beschermings)recht en strafrecht : een
problematische relatie » in J. PUT et M. ROM (éd.), Het nieuwe jeugdrecht, Gand, Larcier, 2007, p. 136-137.
624
Supra, n° 39.

113
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

anglais repose, inversement — outre la réforme de la procédure d’attribution des affaires


triable either way et l’explosion du nombre de plaider coupable625 —, sur le transfert d’un
nombre excessif d’affaires vers le juge ‘supérieur’, la Crown Court, pour le prononcé de la
peine (committal for sentence) (B). En deuxième lieu, le taux des pénalités et la puissance du
juge correctionnel/magistrate diffèrent de manière considérable.

A — ELARGISSEMENT DU SEUIL CORRECTIONNEL TRADITIONNEL

114. Le seuil traditionnel des peines correctionnelles ne pouvait, en droits français et


belge, excéder cinq ans d’emprisonnement, ce qui les distinguaient clairement des crimes.
Corrélativement à la technique fréquemment utilisée de la correctionnalisation législative, le
Parlement français devait pourtant élargir la fourchette des peines correctionnelles au-delà de
ce seuil traditionnel, permettant pour certaines infractions des peines correctionnelles allant
jusqu’à dix ans. En Belgique, l’article 25 du Code pénal témoignait d’une évolution similaire
pour certaines pénalités spécifiques. Avec la nouvelle loi du 21 décembre 2009 ayant étendu
la correctionnalisation judiciaire, cette disposition subit une vraie métamorphose. Désormais
— à partir du 1er mai 2010 —, le juge correctionnel belge peut prononcer des peines
correctionnelles allant jusqu’à vingt ans (dans certains cas même quarante ans en cas de
récidive).

Une différence intéressante s’opère également sur le plan des conséquences de cette
ascension du juge correctionnel. En France, cette tendance donne naissance à une catégorie
hybride d’infractions : des « délits-crimes » (1). En droit belge, en revanche, le législateur n’a
pas associé un tel bouleversement d’une réflexion approfondie sur les répercussions d’un tel
durcissement potentiel de la répression correctionnelle. S’il veut bien éviter la création de
« crimes-délits », ce qui dénoterait une conception radicalement différente en termes d’effets,
la simple qualification en tant que « délits » semble insatisfaisante (2).

1. Des « délits-crimes » en droit français

115. Lorsque le tribunal correctionnel devient compétent pour nombre d’infractions


jusqu’alors dévolus à la cour d'assises, il est corrélativement nécessaire d’adjoindre à ses
prérogatives la faculté de prononcer une peine privative de liberté plus lourde. Ce
mouvement, qui tire le juge correctionnel vers le haut, s’amorça en France avec le décret-loi
du 8 août 1935 qui majorait les peines d’escroquerie et d’abus de confiance jusqu’à dix ans

625
Supra, n° 60 et n° 101.

114
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

d’emprisonnement.626 Le juge correctionnel était ainsi en mesure de prononcer une peine


d’une durée analogue à celle d’une peine criminelle.

Ce décret-loi eut un effet de boule de neige, le mouvement s’étayant avec le décret-loi


du 24 mai 1938627 correctionnalisant la falsification des chèques, ainsi qu’avec celui du 29
juillet 1939628 qui remaniait la répression de l’avortement en autorisant un emprisonnement
supérieur au seuil traditionnel de cinq ans sans possibilité de sursis ou de circonstances
atténuantes. En correctionnalisant l’infanticide en 1941, le législateur modifiait une nouvelle
fois le plafond traditionnel de cinq ans. Depuis cette loi, le juge correctionnel peut prononcer,
outre l’amende, une peine d’emprisonnement comprise entre trois et dix ans. Afin de
s’assurer d’une peine ‘fixe’, l’octroi de sursis ou de circonstances atténuantes était proscrit.
Parmi d’autres exemples ayant subi une évolution similaire, nous pouvons citer la corruption
et le trafic d’influence, même commis par un fonctionnaire public, la concussion, le vol et
l’escroquerie par faux titre, la fausse feuille de route par l’officier public, les atteintes à la
liberté de travail, ainsi que le port d’armes.629 Or, pour des raisons d’ordre symbolique, la loi
du 13 avril 1954 recriminalise l’infanticide.630

Après-guerre, la politique du pendule entre mitigation et répression se poursuivait :


d’une part la loi du 11 février 1951 accorde au juge de nouveau la faculté de reconnaître des
circonstances atténuantes.631 D’autre part la loi du 31 décembre 1970632 illustre entre autres,
la tendance à une répression accrue pour le trafic de stupéfiants, sans pour autant voulant
confier ces infractions à la cour d’assises. Si la gravité effective de cette infraction dénote le
besoin d’une qualification criminelle, le législateur s’est rendu compte de l’impossibilité
réelle de la donner. Compte tenu de la capacité moindre de la cour d’assises pour siéger, ces
infractions sont demeurées pour l’essentiel de nature correctionnelle, ce qui aurait permis
d’éviter l’engorgement de la cour d’assises en la délestant de 3.000 affaires nouvelles, soit
l’équivalent du nombre total dont elle connaisse actuellement.633 Au-delà de l’élargissement
du seuil correctionnel à dix ans, la dérogation par rapport aux autres délits concerne
626
Décret-loi du 8 août 1935 modifiant et complétant les dispositions des art. 405 et 408 du Code pénal, JORF 9 août
1935, p. 8688.
627
JORF 25 mai 1938, p. 5875.
628
Décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la nationalité française, JORF 30 juill. 1939, p. 9607.
629
V. notamment la loi du 16 mai 1943, JORF 1er avr. 1943 ; la loi du 24 novembre 1943, JORF 27 nov. 1943 ; la loi
du 8 décembre 1943, JORF 17 déc. 1943 ; la loi du 24 mai 1946, JORF 25 mai 1946 et la loi du 6 décembre 1947,
JORF 7 déc. 1947.
630
Loi ° 54-411 du 13 avril 1954 relative à la répression des crimes et délits commis contre les enfants, JORF 14 avr.
1954, p. 3580.
631
Loi n° 51-144 du 11 février 1951 abrogeant toutes les dispositions qui, en matière de droit commun suppriment ou
limitent le droit qui appartient aux juges d’accorder le sursis aux peines qu’ils prononcent et de faire bénéficier le
coupable de circonstances atténuantes, JORF 13 févr. 1951, p. 1515.
632
Loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie, et à la
répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses, JORF 3 janv. 1971, p. 74.
633
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, o.c., p. 81, n° 137.

115
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

également la prescription de l’action publique, la prescription de peines et le concours des


infractions. Cette quête de sûreté et de célérité répressives accrues concerne également les
infractions de proxénétisme634, d’agressions sexuelles autres que le viol635 ainsi, à titre
d’exemple, d’association de malfaiteurs, d’extorsion de signature et de destruction ou
détérioration d’un bien immobilier par explosion ou incendie et la plupart des vols aggravés
par la loi du 2 février 1981636. Leur sont adjoints, en 1992, la fabrication des effets émis par
le trésor public, les falsifications de marques, quelques cas d’évasion de détenus, la
soustraction par le dépositaire publique et l’abus d’autorité contre la chose publique637.

116. De manière plus générale, le nouveau Code pénal a porté le seuil des peines
correctionnelles à dix ans (art. 131-4 CPF ; vingt ans pour certains cas de récidive). Dès lors,
si la cour d’assises n’envisage qu’une peine correctionnelle, elle ne peut en principe pas
prononcer une peine d’emprisonnement supérieure à dix ans.638 De cette manière, la
hiérarchie entre crimes et délits est en quelque sorte redéfinie, voire modernisée, tout en étant
également privée de son évidence. Une catégorie hétérogène d’infractions est née : les
« délits-crimes » ou les « pseudo-crimes ».639 Il s’agit de délits auparavant qualifiés comme
crimes qui sont punissables d’une peine d’emprisonnement de dix ans. Tout en évitant la
procédure lourde et onéreuse de la cour d'assises et garantissant une répression efficace, le
législateur n’a pas souhaité les faire échapper totalement aux conséquences de la qualification
criminelle.640 En dépit de leur étiquette correctionnelle, plusieurs règles propres à la matière
criminelle leur sont applicables, de sorte qu’elles empiètent sur le domaine criminel : une
assimilation des délits punis de dix ans d’emprisonnement aux crimes est ainsi réalisée sur les
plans de la récidive (art. 132-8 et 132-9 CPF), de la détention provisoire (loi du 30 déc. 1996,
JORF 1er janv. 1997, p. 9) et de la période de sûreté qui est automatiquement appliquée
lorsque la peine équivaut ou excède dix ans (art. 132-23 CPF).641 Malheureusement le
législateur manqua de cohérence dans cette logique, en n’envisageant pas la même
assimilation concernant d’autres aspects642. On peut penser aux règles d’application de la loi
pénale dans l’espace (art. 113-6 CPF), ainsi qu’à celles relatives à la prescription de l’action

634
Loi n° 75-624 du 11 juillet 1975 modifiant et complétant certaines dispositions de droit pénal, JORF 13 juill. 1975,
p. 7219.
635
Loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, JORF 24 déc. 1980. Pour des critiques, v. W. JEANDIDIER, « La
correctionnalisation législative », l.c., p. 54.
636
Loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, dite loi Peyrefitte ou loi
« Sécurité et liberté », JORF 3 févr. 1981, p. 415.
637
Loi du 22 juillet 1992, JORF 23 juill. 1992.
638
Crim. 6 oct. 1999, RSC 2000, p. 387, obs. B. BOULOC.
639
W. JEANDIDIER, « La correctionnalisation législative », l.c., p. 58.
640
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, o.c., p. 85, n° 141.
641
Ibid.
642
Ibid.

116
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

publique643 et des peines (à l’exception du trafic de stupéfiants qui en vertu de l’art. 706-31
CPP devient un délit à prescription criminelle (20 ans) et les agressions sexuelles sur mineurs
pour lesquelles le délai de prescription de l’action publique est porté à dix ans et pour
certaines à vingt ans (art. 8 al. 2 CPP).

La différence entre peines privatives de liberté criminelles et correctionnelles s’avère


dès lors formelle : « le délit conteste au crime son monopole par la répression d’infractions
haut placées dans la hiérarchie de la gravité ».644 A juste titre, Jean-François Chassaing
observe qu’en créant un ‘super tribunal’ correctionnel en place d’une vraie cour d’assises,
une telle réforme génèrera un contentieux non négligeable645 sur le plan quantitatif.

2. De « crimes-délits » vers de simples « délits » en droit belge

117. En droit pénal belge, l’article 25 du Code pénal témoignait également de la


volonté de prévoir une dérogation au quantum correctionnel traditionnel pour une catégorie
spécifique d’incriminations, et non de manière générale. Avant la récente réforme de la cour
d’assises intervenue fin 2009 cet article, introduit par la loi du 1er février 1977646, disposait :
« la durée de l'emprisonnement correctionnel est, sauf les cas prévus par la loi, de huit jours
au moins et de cinq ans au plus. Elle est de dix ans au plus s'il s'agit d'un crime punissable de
la réclusion de dix ans à quinze ans ou pour un terme supérieur ou de la réclusion à
perpétuité, qui a été correctionnalisé ». Elargissant la correctionnalisation judiciaire des
juridictions d’instruction pour certains crimes dont la peine de réclusion excède vingt ans647,
cette loi requérait l’instauration de peines correctionnelles supérieures à cinq ans.648 Pourtant,
afin d’éviter que la peine, en cas de récidive et de concours, ne s’élève à quarante ans,
l’article 60 du Code pénal fut également modifié pour plafonner dans ces cas
l’emprisonnement à vingt ans.

118. La loi du 21 décembre 2009 change de manière radicale le contenu de cette


disposition et ainsi les pouvoirs de répression des juges correctionnels. Si l’intitulé de cette
loi prétend être « relative à la réforme de la cour d’assises », elle dépasse le domaine
criminel et un impact non négligeable sur la procédure correctionnelle. Désormais l’article 25
643
Dans l’avant-projet du futur CPP du 1er mars 2010 le délai de prescription criminelle est portée à quinze ans (art.
121-6 avant-projet CPP). Ce délai ne commencera plus à courir à compter de la découverte de l’infraction, mais à
compter du jour où l'infraction a été commise sauf pour les crimes d'atteinte volontaire à la vie commis de façon
occulte ou dissimulée (www.justice.gouv.fr/art_pix/avant_projet_cpp_20100304.pdf ; pour une critique, v. Ph.
VOULAND, « Quels changements pour la pratique ? », AJpénal 2010 p. 169-174.
644
W. JEANDIDIER, « La correctionnalisation législative », l.c., p. 51.
645
J.F. CHASSAING, « Les trois codes français et l’évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain »,
l.c., p. 451.
646
Loi du 1er février 1977 modifiant la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes et le Code pénal, MB 19
févr. 1977, p. 2004.
647
Supra, note 175.
648
Doc.parl. Sénat 1974-75, n° 540-1.

117
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

du Code pénal dispose : « la durée de l’emprisonnement correctionnel est, sauf les cas prévus
par la loi, de huit jours au moins et de cinq ans au plus. Elle est de cinq ans au plus s’il
s’agit d’un crime punissable de la réclusion de cinq ans à dix ans qui a été correctionnalisé.
Elle est de dix ans au plus s’il s’agit d’un crime punissable de la réclusion de dix ans à
quinze ans qui a été correctionnalisé. Elle est de quinze ans au plus s’il s’agit d’un crime
punissable de la réclusion de quinze ans à vingt ans qui a été correctionnalisé. Elle est de
vingt ans au plus s’il s’agit d’un crime punissable de la réclusion de vingt ans à trente ans ou
de la réclusion à perpétuité qui a été correctionnalisé ».

Retraçons en quelques lignes la genèse de cette modification importante. Une des


préoccupations essentielles des réformateurs de la cour d’assises belge était de réduire la
compétence de la juridiction populaire. Différentes techniques sont alors passées en revue,
dont la proposition de la Commission de réforme de la cour d’assises reprise par la
proposition de loi (Mahoux) du 25 septembre 2008 concernant une liste positive et limitative
de crimes appartenant à la compétence de la cour d’assises afin de mettre un terme aux abus
de la correctionnalisation judiciaire649 ; ensuite la proposition du Conseil supérieur de la
Justice ainsi que du Sénat de renvoyer directement devant le tribunal correctionnel tous les
crimes qui étaient déjà correctionnalisables sous l’ancien article 2 de la loi de 1867, tout en
ouvrant ensuite la correctionnalisation par voie judiciaire — par l’attribution des
circonstances atténuantes ou d’une cause d’excuse — à tous (dans la proposition du
Conseil)650 ou certains (selon le Sénat)651 crimes jusqu’à lors non correctionnalisables, qui
échapperaient à ce renvoi direct, les crimes dits de la « zone grise »652. Dans les deux cas, la
restriction importante de la portée de la cour d'assises induirait inéluctablement une conquête
spectaculaire du tribunal correctionnel. Mais contrairement au législateur français, les
propositions belges considéraient que ces crimes devraient être baptisés « crimes relevant de
la compétence du tribunal correctionnel », ce qui nécessiterait une modification de la
Constitution quant à la compétence de la cour d’assises.653 Une requalification comme ‘délit’
— avec maintien des taux de peine en tant qu’emprisonnement plutôt que réclusion —
bouleverserait l’ensemble des règles afférentes à ces infractions et induirait des répercussions
absolument indésirables, voire néfastes, y compris sur le plan de l’intimidation générale de la
peine.654 Le maintien de la qualification ‘crime’, en revanche, permettrait de maintenir toutes

649
Supra, note 392.
650
Avis du 11 février 2009 du Conseil supérieur de la Justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 21-27.
651
Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/5, p. 62.
652
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 59 et s.
653
Proposition de révision de la Constitution, déposée par Ph. MAHOUX le 26 juill. 2007, Doc.parl. Sénat 2006-07, n°
4-106/1 ; R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 315.
654
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 46-47.

118
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

les conséquences qui se produisent en droit pénal matériel (tentative, participation,


compétence extraterritoriale, circonstances atténuantes, récidive, concours), ainsi que sur la
plan de la procédure pénale (compétence, possibilité de citation directe ou de comparution
volontaire, prescription de l’action publique, prescription de la peine et réhabilitation). En
modifiant a minima les textes légaux, on estimait pouvoir réaliser l’objectif d’élargissement
de la compétence des juridictions correctionnelles sans pour autant toucher plus que
nécessaire à l’économie générale des lois pénales. A la différence du système français, les
propositions belges préféraient la création des « crimes-délits » ou des « pseudo-délits », ce
qui permettrait également de préserver l’effet psychologique, l’infraction conservant
l’étiquette criminelle.

En dernière étape de la discussion parlementaire, la Chambre des représentants, qui


s’accordait sur la nécessité de réduire la compétence de la cour d’assises, mais s’opposait à
l’option du transfert direct et obligatoire des crimes déjà correctionnalisables devant le
tribunal correctionnel, réfutait l’idée de confier à la compétence du tribunal correctionnel des
‘crimes’. S’appuyant sur la hiérarchie pyramidale des infractions, des crimes peuvent
uniquement être octroyées à la compétence du tribunal correctionnel en cas de circonstances
atténuantes. Ce revirement conservatif, particulièrement déploré par le Sénat, mais approuvé
sans amendement655, a eu comme conséquence néfaste de consacrer et étendre la
correctionnalisation judiciaire en doublant la liste de l’article 2 précité656. Cela heurte
toutefois de plein fouet la volonté initiale de mettre un terme à cette technique d’esquive.657

119. Bien évidemment le législateur s’est rendu compte qu’une telle ‘promotion’ du
juge correctionnel ne se réalisera pas sans réformes. Pour gérer l’élargissement de ses
compétences, le législateur lui accorde le pouvoir de prononcer des peines d’emprisonnement
allant jusqu’à vingt ans. Il n’y a en effet pas d’objection constitutionnelle à l’extension du
concept de peine correctionnelle et ainsi du concept de délit.658 Pour certains crimes, il en
résulte une aggravation (potentielle) substantielle.659 Ainsi les crimes punissables d’une peine
criminelle de quinze à vingt ans qui seront renvoyés au tribunal correctionnel — tel que le
viol d’un mineur entre quatorze et seize ans (art. 375 al. 4 CPB) —, sont désormais
punissables non pas d’un maximum de dix ans, mais de quinze ans maximum. Pour ceux qui
sont punissables d’une réclusion de vingt à trente ans ou à perpétuité — telle que l’ incendie

655
Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/8, p. 11 et s.
656
Supra, n° 38.
657
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen », l.c.,
p. 94.
658
R. DECLERCQ, « Verzachtende omstandigheden en correctionalisatie », l.c., p. 251.
659
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen », l.c.,
p. 96.

119
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

pendant la nuit si l'auteur a dû présumer la présence d’une ou plusieurs personnes au moment


de l'incendie (art. 510 juncto 513 al. 2 CPB) —, la peine correctionnelle maximale passera
désormais à vingt ans au lieu de dix ans, cette durée de vingt ans étant son minimum
criminel. En bref, pour les crimes frappés législativement d’une réclusion de quinze ans, la
peine correctionnelle est alors aggravée de cinq ans ; pour ceux qui excédent le seuil de vingt
ans de réclusion, il peut même y avoir doublement du maximum de la peine au correctionnel.
Les débats parlementaires ne révèlent toutefois pas de réflexion profonde à cet égard.660 En
cas de récidive, une peine allant jusqu’à quarante ans est dans certains cas même possible
(art. 56 C. pénal n’a pas été changé)661. Remarquons que cette peine est supérieure à celle
pouvant être infligée par la cour d’assises en cas de crime sur crime, ce qui entrave le
principe d’égalité.662

Or, le juge correctionnel ne risque-t-il pas d’abuser de son nouveau pouvoir ? Et, si la
marge d'appréciation s'étend, n'y aura-t-il pas le risque de peines toujours de plus en plus
lourdes ? Il est à noter que les juges de fond restent évidemment compétents pour attribuer
des circonstances atténuantes. Mais pourrions-nous accorder foi à ce qu’ils détermineront la
peine, de manière rationnelle et réfléchie, en faisant application des circonstances atténuantes
dans tous les cas opportuns, de sorte que le dépassement du seuil traditionnel de cinq ans
n’aura lieu que lorsqu’une telle peine s’imposera au terme d’un processus raisonné et motivé
de détermination de la sanction ?663 La loi sur la réforme de la cour d’assises n’est, en ce qui
concerne les dispositions relatives à la compétence, à peine entrée en vigueur, mais il est
d’ores et déjà temps de la repenser. La suggestion de réévaluer le caractère adéquat des
peines existantes664 semble en tout cas sage. Au lieu de démissionner devant la faillibilité des
lois et d’attendre des solutions émanant de la pratique, le législateur doit assumer sa
responsabilité.665 Lorsque les taux de pénalité ne correspondent plus aux mœurs et à l’opinion
publique, c’est au législateur de réécrire le code.

660
Ibid.
661
L’augmentation du taux de la peine a également des conséquences pour l’amende susceptible de frapper des
personnes morales. Le montant de celle-ci dépendant de la peine privative de liberté, il augmenterait
disproportionnellement. Etrangement les dispositions à l’égard de l’amende (art. 84 al. 1 CPB) et la peine de travail
— celle-ci reste fixée au maximum 300h. — n’ont pas été modifiées, ni celles relatives au concours des délits (art. 60
CPB). En cas de concours de plusieurs délits, les peines seront cumulées sans qu'elles puissent néanmoins excéder le
double du maximum de la peine la plus forte. En aucun cas, cette peine ne peut excéder vingt années
d'emprisonnement. En cas de concours d’un crime punissable d’au moins vingt ans qui est correctionnalisé, aucune
aggravation de la peine n’est dès lors possible. La durée de l’interdiction de tous ou certains droits (art. 31 CPB), en
revanche, est augmenté de dix à vingt ans pour les crimes punissables d’une réclusion de vingt ans ou plus ayant été
correctionnalisés (Pour plus de détails, v. R. VERSTRAETEN ET L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot
hervorming van het hof van assisen », l.c., p. 97).
662
Art. 54-55 CPB.
663
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 47-48.
664
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 315-316.
665
A. DARSONVILLE, l.c., p. 10.

120
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

120. En ce qui concerne les implications, ces crimes correctionnalisés ne sont, fidèle à
la philosophie de cette technique, considérés que comme des délits. Une exception est
toutefois prévue en ce qui concerne la prescription de l’action publique : pour les crimes
passibles d’une réclusion d’au moins vingt ans, le délai de prescription reste, après
correctionnalisation, celui de crimes, avec cette différence que la durée est portée à dix ans.
Pour les six crimes figurant auparavant déjà dans la liste de l’article 2 de la loi de 1867, à
l’exclusion du crime de l’article 375 in fine du Code pénal, cela signifie une extension du
délai de prescription de cinq à dix ans. Pour les crimes désormais ajoutés à cette liste, il s’agit
d’une diminution du délai de prescription de quinze à dix ans. L’article 21 du Titre
préliminaire du Code de procédure pénale est par conséquent modifié.666 Une autre
conséquence concerne la composition du tribunal correctionnel. En vertu du nouvel article 92
§ 1 alinéa 1 du Code judiciaire, les crimes punissables d’une réclusion d’au moins vingt ans
(peine établie par la loi) qui sont renvoyés au tribunal correctionnel, sont obligatoirement
traités par un collège de trois magistrats professionnels.

B — DIMINUTION DES COMMITTALS FOR SEFTEFCE

121. Le lay magistrate anglais connut également une montée en puissance, mais à un
autre niveau. Au 19ème siècle, en droit anglais, le quantum des peines prononcées par le
magistrate ou le justice of the peace ne pouvait excéder trois mois d’emprisonnement ou 3£
d’amende. En dépit du doublement de la peine privative de liberté, ainsi que de l’extension de
l’amende jusqu’à 100£ par le Criminal Justice Act de 1925, ces taux restent largement
inférieurs à ceux utilisés par son homologue continental. Le juge non professionnel anglais se
rapprocherait plutôt de notre juge de paix. Toutefois, depuis la création des affaires triable
either way par le Criminal Law Act de 1977, cette comparaison s’avère caduque. Au rang des
infractions intermédiaires, pour lesquelles — rappelons-le — la magistrates’ court a une
compétence concurrente avec la Crown Court et joue un rôle déterminant dans l’attribution de
ces affaires, figurent nombre d’infractions comparables à nos ‘délits’. Il s’agit par exemple du
vol ou de l’usage et du trafic des stupéfiants, d’où notre étonnement de ce pouvoir de punition
restreint des magistrates anglais. Nous verrons que, pour accorder à de telles infractions leur
juste peine, le législateur a prévu un garde-fou particulier, la procédure de committal for

666
Pour une synthèse des délais de prescription criminelle, v. A. MASSET et D. VANDERMEERSCH, « La loi du 21
décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises : première lecture critique », JT 2010, p. 223 : les crimes de
droit international humanitaire sont imprescriptibles ; les crimes non correctionnalisables se prescrivent après quinze
ans ; les crimes correctionnalisables, mais non correctionnalisés après dix ans ; les crimes punissables d’une réclusion
à perpétuité ou de vingt à trente ans qui sont correctionnalisés se prescrivent après dix ans ; ce délai vaut également
pour les crimes d’abus sexuels commis sur mineurs et de mutilation sexuelle visés aux art. 372-377, 379, 380 et 409
CPB. Finalement pour les crimes punissables d’une réclusion de moins de vingt ans qui ont été correctionnalisés, le
délai de prescription est de cinq ans.

121
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

sentence, qui permet au lay magistrate de renvoyer l’affaire à la juridiction supérieure, la


Crown Court (1). C’est notamment l’usage abusif de cette opportunité qui conduisit à
envisager une extension des prérogatives répressives des magistrates’ courts (2).

1. Déclin fréquent des magistrates anglais

122. Jugeant les peines traditionnelles insuffisantes pour la nouvelle catégorie


d’infractions, le Criminal Law Act de 1977 élargit le pouvoir de punition des lay
magistrates : ceux-ci peuvent prononcer, pour les infractions triable either way, une peine de
six mois d’emprisonnement (avec un maximum de douze mois en cas de récidive) ainsi
qu’une amende de 5.000£.667 Cette augmentation fut consolidée par le Magistrates’ Courts
Act de 1980 (s. 32 et 133 ; voir aussi s. 78 et 131 PCCA 2000). Toutefois, pour certaines
infractions triable either way traitées par les magistrates tel que le vol, l’octroi de peines plus
lourdes semblait nécessaire.668 Dans ce cas ainsi que pour les infractions de mœurs, les
magistrates disposent, depuis le Criminal Justice Act de 1948 et afin de pouvoir opter pour
une peine plus sévère, de la possibilité de renvoyer (commit) devant la Crown Court pour le
prononcé de la peine (s. 29 MCA 1952). Cette procédure, exclusivement appliquée aux
infractions triable either way commises par des majeurs et passibles d’une amende égale ou
inférieure à 5.000£ (s. 38 MCA 1980 et s. 3 PCCA 2000), fut modifiée par le Criminal Justice
Act de 2003.

La magistrates’ court peut dès lors, si elle juge l’octroi d’une peine plus sévère
nécessaire, après le traitement de l’affaire et l’établissement de la culpabilité, renvoyer
l’affaire devant la juridiction supérieure — la Crown Court — qui siège dans ce cas sans
jury. La décision ne se référant pas à l’article 6 CESDH, il n’est pas nécessaire, ni
obligatoire, de motiver un tel renvoi. Pour éviter des renoncements fréquents, la Divisional
Court669 insiste, dans l’affaire Pamment de 1994, sur une vigilance particulière lors de la
distribution des affaires. Plus particulièrement, il convient de bien mesurer la gravité de
l’infraction au moment de l’attribution des affaires.670 En outre, la magistrates’ court doit
avertir l’accusé qu’il peut être renvoyé pour peine. Dans l’affaire Kaymanesh de 1994, la
Divisional Court décide que, le juge s’il a accepté la juridiction, ne peut plus traduire en
Crown Court, sauf en cas de preuves ou d’informations supplémentaires et afférentes au
caractère ou aux antécédents de la personne poursuivie.671 Si l’arrêt Marsh de 1994 souligne,

667
MCA 1980 (s. 31, p. 133).
668
Forth Essex Justices ex p Lloyd [2001] Crim. L.R. 145.
669
Cette cour faisant partie de la Queen’s Bench Division, une des sections de la High Court, est compétente pour les
appels « by way of case stated » contre les magistrates’ courts et les Crown Courts. Il s’agit essentiellement de
questions de droit.
670
Dover Justices ex p Pamment [1994] Crim. L.R. 471.
671
Manchester Magistrates’ Court ex p Kaymanesh [1994] Crim. L.R. 401.

122
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

au contraire, que le juge maintient en tout cas sa discrétion de renvoyer, il précise également,
à l’instar de l’affaire Pamment, qu’il faut bien réfléchir avant de retenir la juridiction.672
Toutefois, lorsque consécutivement à l’intervention implicite ou explicite de la magistrates’
court, la personne mise en cause croit qu’elle serait punie par cette juridiction, elle ne peut
plus être renvoyée pour peine devant la Crown Court673, ni par cette juridiction, ni par une
autre.674 La discrétion des magistrates est ainsi soumise au principe général d’espérance
légitime.675

En dépit de cette jurisprudence, les chiffres de la justice témoignent de la pratique


régulière, voire systématique, de renvoi pour peine. La seule année 2001 comptabilisait ainsi
26.000 renvois.676 En 2003-04, les statistiques de la Crown Prosecution Service suggèrent
que la charge de travail de la Crown Court serait déterminée, de manière considérable, par le
déclin de juridiction de magistrates677 taxés d’inertie. Le renvoi devant la Crown Court n’est,
en outre, pas toujours justifié : après le déclin des lay magistrates, celle-ci prononce
fréquemment des peines similaires à celles que peuvent infliger les juges inférieurs.678

2. Extension des pouvoirs en réaction aux abus de pouvoir

123. Compte tenu des contingences économiques (managerialism), des moyens furent
prospectés afin d’affronter le déclin fréquent des magistrats non-professionnels de traiter les
affaires jusqu’au bout. Hormis les déclassements directs par voie légale679, l’amélioration de
la distribution des affaires entre les deux cours criminelles fut envisagée de manière plus
subtile, par notamment l’élargissement du pouvoir des lay magistrates. La Criminal Justice
Mode of Trial Bill de 2000 et la Criminal Justice Bill de 2002680 proposent ainsi de doubler
les pouvoirs punitifs auparavant attribués aux magistrates’ courts afin que ceux-ci puissent

672
Forth Sefton Magistrates’ Court ex p Marsh [1995] 16 Cr. App. R. (S) 401.
673
V. également South Hampton Magistrates’ Court ex p Sansome [1999] 1 Cr. App. R. (S) 112 et Forwich
magistrates’ Court ex p v Elliot [2000] 1 Cr. App. R. 152.
674
Fottingham Magistrates’ Court ex p Davidson [2000] 1 Cr. App. R. (S) 167 et Norwich Magistrates’ Court ex p
Elliot [2000] 1 Cr. App. R. (S) 152 ; il incombe au prévenu de prouver qu’il avait effectivement une telle attente
(Sheffield magistrates’ Court ex p Ojo [2001] Crim. L.R. 43). Toutefois, lorsqu’il ne suit pas les conditions
accompagnant sa peine, un renvoi devant la Crown Court pourrait encore être légalement justifié (Wirral Borough
Magistrates’ Court and CPS [2005] EWHC 3166).
675
Wirral Magistrates’ Court ex p Jermyn [2001] Crim. L.R. 45-47, comm. X.
676
M. ZANDER, o.c., p. 14.
677
S. CAMMIS, « ‘I Will in a Moment Give You the Full History’. Mode of Trial, Prosecutorial Control and Partial
Accounts », Crim. L.R. 2006, p. 41. L’adéquation fréquente avec les souhaits de la partie poursuivante n’inciterait-elle
pas les magistrates à déléguer leur responsabilité sur ce point à la Crown Prosecution Service ? (D. RILEY et J.
VENNARD, o.c., p. 11). S. Cammis rappelle, à cet égard, que les magistrats responsables de la décision du mode du
procès devaient en principe prendre cette responsabilité sans connaissance de la réputation pénale de l’accusé et
d’éventuelles circonstances atténuantes (S. CAMMIS, l.c., p. 42).
678
C. FLOOD-PAGE et A. MACKIE, o.c., p. 89-90 ; C. HEDDERMAN et D. MOXON, o.c., p. vi-vii et 2 et A. HERBERT,
« Mode of trial and Magistrates' Sentencing Power : Will Increased Powers Inevitably Lead to a Reduction in the
Commital Rate? », l.c., p. 318.
679
Supra, n° 107.
680
Criminal Justice Bill de 2002, § 4, p. 1 ; part 12, clauses 137-138.

123
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

désormais prononcer des peines d’emprisonnement de douze mois. Dans une optique
similaire, l’abolition de la faculté des lay magistrates de renvoyer pour peine à la Crown
Court, une fois qu’ils avaient accepté de traiter l’affaire, était envisagée.

Cette proposition est sous-tendue par l’idée que nombre d’affaires se dénoueraient
devant les juges ‘inférieurs’ une fois leur portée élargie. Cela impliquerait un
désengorgement important de la Crown Court. Or, cette présomption ne serait-elle toutefois
pas illusoire ou, à tout le moins, davantage utopique que pertinente ? Un élargissement des
prérogatives de répression déboucherait-elle effectivement sur une diminution du nombre de
renvois ? Le risque de net widening ne serait-il pas davantage plausible ?681 Des pouvoirs
élargis sont en effet susceptibles d’induire, pour ceux qui n’encourent qu’une peine privative
de liberté de six mois à l’heure actuelle, le prononcé de peines privatives de liberté plus
longues. Cette évolution ne serait pas exempte de conséquences sur la population carcérale,
dès lors a fortiori augmentée. Au lieu d’une diminution des taux de renvoi, ce serait plutôt
l’encombrement des prisons qui occupe le devant de la scène.682 Outre ces écueils, il convient
de souligner que la procédure devant les magistrates’ courts bénéficie de garanties moindres
comparée à celle qui relève du jury. Si le traitement des affaires s’avère moins approfondi,
l’aide légale n’est, contrairement à la Crown Court, pas systématiquement garantie. Les
magistrates’ courts ne disposent d’ailleurs pas des informations relatives au réquisitoire
(prosecution case). Ainsi, et compte tenu de la confiance moindre accordée aux magistrates’
courts683, ce transfert en leur faveur ne majorerait-il pas le nombre d’élections du jury par les
accused ? Du point vue des magistrates, en revanche, un élargissement de leurs pouvoirs
pourrait accroître leur crédibilité. Afin de leur permettre d’assumer pleinement cette nouvelle
tâche, une formation plus approfondie serait nécessaire.

124. Le Criminal Justice Act avalisa, en 2003, l’élargissement des prérogatives


répressives des magistrates proposée par les deux projets de loi. A partir de son entrée en
vigueur, la magistrates’ court pourra prononcer des peines d’emprisonnement allant jusqu’à
douze mois (s. 154 CJA 2003). L’interdiction faite aux magistrates’ courts de traduire en
Crown Court pour la détermination de la peine, une fois la juridiction acceptée, fut également
retenue.684 L’entrée en vigueur de section 41 et schedule 3 de cette loi (partiellement en avril

681
A. HERBERT, « Mode of Trial and Magistrates’ Sentencing Powers : Will Increased Powers Inevitably Lead to a
Reduction of the Committal Rate ? », l.c., p. 322 et M. ZANDER, « Why oh Why do Magistrates Commit so Many
Cases to the Crown Court ? », F.L.J. 2003, p. 689.
682
A. HERBERT, « Mode of Trial and Magistrates’ Sentencing Powers : Will Increased Powers Inevitably Lead to a
Reduction of the Committal Rate ? », l.c., p. 322.
683
A. SANDERS, o.c., p. 8.
684
V. à cet égard A. KEOGH, Criminal Justice Act 2003. A Guide to the Few Law, Londres, The Law Society, 2004,
561p.

124
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

2005), annonce un changement radical de procédure, les magistrates’ courts ne pouvant


virtuellement plus renvoyer pour peine. Lorsqu’ils ont accepté la juridiction et que la
personne mise en cause est consentante, section 3 du Powers of the Criminal Courts
(Sentencing) Act de 2000 ne s’applique plus. Cette nouvelle procédure permettra dès lors aux
magistrates de retenir une proportion plus vaste d’affaires, plutôt que de les traduire devant la
Crown Court. Or, les magistrates n’œuvrent-ils pas déjà à la limite de leurs capacités ? En
vertu de section 3A de la même loi, un renvoi pour peine reste pourtant encore possible si
l’accusé avait indiqué qu’il souhaitait plaider coupable lors de la procédure de plea before
venue, dans le cas d’une peine prolongée, ou lorsque la peine s’avère nécessaire en terme de
protection publique.

Si, pour les systèmes français et belge, la dépossession de la cour d’assises conduit à
une augmentation des pouvoirs de répression des tribunaux correctionnels, l’extension des
pouvoirs des lay magistrates permettrait en droit anglais de décharger la Crown Court. Une
telle extension qui concerne essentiellement les infractions triable either way s’ajoute aux
autres moyens d’esquive : le guilty plea, le jury waiver et les propositions d’abolir le right to
a jury trial.

Conclusion du chapitre I

125. Le droit pénal est une institution connexe à la conscience publique et sociale. Si
cette dernière ne cesse de se métamorphoser et d’évoluer et évoluera encore davantage dans
la justice de demain, la justice accuse un certain retard sur les mutations sociales.685 Tel
qu’en témoigne l’ensemble de nos dispositions criminelles, le clivage est en effet frappant
entre langage courant (les mœurs) et langage juridique. Préconisée comme le juge naturel des
crimes les plus graves, la cour d’assises est contrecarrée dans sa tâche ; elle apparaît de plus
en plus, dans les trois pays considérés, comme le talon d’Achille d’une machine judiciaire
éprouvée par une inflation des affaires et une complexité exponentielle. En appliquant
fidèlement les règles de compétence prescrites par nos codes, notre justice pénale risque
l’effondrement. Le maintien de la tripartition actuelle avec la distribution des compétences
qui en découle n’est pas viable sans ‘routes échappatoires’. En tenant compte des coûts et
bénéfices inhérents au système, une justice rationnelle et efficace nous semble en effet
impensable en maintenant intégralement la cour d’assises.

Compte tenu de l’insuffisance des multiples et ponctuelles interventions législatives


qui témoignent du caractère légitime de cette politique du pendule qui oscille entre une

685
J. VANDERVEEREN, « Le jury en Belgique », RDPC 1954-55, p. 517.

125
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

volonté indispensable de mitigation et une réalité répressive prégnante, ces routes


échappatoires sont majoritairement judiciaires : correctionnalisation judiciaire et guilty plea.
Or, si elles semblent peu conformes à la lettre de la loi, la plupart furent à l’origine
néanmoins conformes à son esprit. En effet, « à une loi injuste, répond une pratique illégale,
certes, mais juste ».686 Compte tenu toutefois de leur usage abusif et de leur consécration, en
France, par la loi Perben II et en Belgique, par les lois du 8 juin 2008 et 21 décembre 2009, la
justice semble perdre le contact avec ses propres principes fondateurs. Il s’agit dès lors de
savoir si le mal induit par les alternatives est moindre que celui auquel elles sont censées
remédier. Si la cour d’assises y perd avec les déclassements, la justice gagne-t-elle en temps
et en argent ?687 Ou un déficit démocratique est-il la conséquence déplorable ?

Des questionnements similaires émergent quant à un autre mécanisme d’érosion de la


cour d'assises : la création de juridictions d’exceptions que nous nous essayerons d’analyser
dans le chapitre suivant.

686
Ch. LAPLANCHE, o.c., p. 37.
687
J. PRADEL, « Les méandres de la cour d'assises française de 1791 à nos jours », R.J.T. 1997, p. 146.

126
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Chapitre II

LA CRÉATIO DES « JURIDICTIOS D’EXCEPTIO »

« Such a trial, dear Sir, with no jury or judge, would be wasting our breath ».
« I’ll be judge, I'll be jury, » Said cunning old Fury,
« I'll try the whole cause, and condemn you to death ».
[L. CAROLL, Alice in Wonderland, Ch. 3]

126. A la différence de la correctionnalisation qui concerne en principe les infractions


situées au bas de l’échelle criminelle, à savoir celles qui, en raison de l’évolution sociale, ne
peuvent être considérées que comme des délits688, les législateurs tendent également à
marginaliser la juridiction populaire au sommet de ses compétences, pour les crimes les plus
graves qui frappent la société dans sa conscience collective, comme le terrorisme et la fraude
complexe. La création et l’appel de juridictions dérogatoires pour ces matières en témoignent.
Le jury ne semble pas apte à juger de tels types d’affaires. En effet, au-delà des raisons
pragmatiques, les faiblesses des jurés mêmes constituent la base de la création d’exceptions.
Les problèmes ne s’arrêtent donc pas à la porte de la cour d’assises : ils y commencent.

127. Avant d’être des juges, les jurés de la cour d'assises et de la Crown Court sont de
simples citoyens sélectionnés par tirages au sort sur les listes électorales et présumés dès lors
comme étant des représentants de la société civile. Extirpés de leur quotidien, ils sont
contraints d’intégrer l’arène pénale au niveau le plus haut pour juger les affaires les plus
graves. A cet égard, il convient de souligner que, confrontés à ce devoir civique, la plupart
des citoyens sont pleinement conscients de la gravité de leur mission et font preuve d’une
vigilance scrupuleuse, certains craignant même de ne pas être ‘à la hauteur’.689 Nous ne
pouvons que louer une telle loyauté.690 Toutefois, leur ‘virginité’ juridique, louée par une
certaine doctrine comme une plus-value à la participation citoyenne ainsi que comme un
contre-pouvoir à la routine aveugle et technocratique des magistrats de carrière, comporte des
risques considérables. D’une part, les ‘juges d’un jour’ ne sont pas habitués à s’acquitter
d’une telle épreuve, ce qui les rend plus vulnérables aux divers modes de pression et

688
Pour la Belgique, il convient pourtant de rappeler que la loi du 21 décembre 2009 ajoute aux crimes
correctionnalisables d’autres crimes punissables de vingt à trente ans et même des crimes punissables à perpétuité (art.
347bis § 2 CPB : prise d’otage d’un mineur et art. 347bis § 4 CPB : prise d’otage ayant causé soit une maladie
paraissant incurable, soit une incapacité permanente physique ou psychique, soit la perte complète de l'usage d'un
organe, soit une mutilation grave, soit la mort ou prise d’otage avec torture).
689
A. GIDE, Les souvenirs de la cour d’assises, Paris, Gallimard, 1950, p. 11-12 et p. 90-91.
690
C. BAHUCHET, « Comment appréhender la peine aux assises ? Récit d’une double expérience », AJpénal 2004, p.
66.

127
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

d’influence susceptibles d’entraver le prononcé de verdicts impartiaux et justes (Section 1 —


La menace d’intimidation des jurés). Or, est-il tolérable qu’un système expose à de tels
risques des personnes qui n’ont pas choisi une telle responsabilité ? D’autre part, de sérieuses
questions peuvent être soulevées quant à leur aptitude à juger compte tenu de leur manque
d’expérience et de connaissances juridiques. Des citoyens ordinaires sont-ils bien à même de
comprendre et d’apprécier les preuves toujours plus complexes au procès toujours plus
internationaux, surtout lorsqu’ils sont — en droit anglais comme en droit belge — livrés à
eux-mêmes pour remplir cette mission (Section 2 — Le risque d’incompréhension des
jurés) ? Il est légitime d’émettre des réserves quant aux aptitudes des jurés. Le système du
jury populaire semble en effet un îlot curieux dans une justice qui, confrontée à une
complexification de la délinquance, prône une ‘professionnalisation des professionnels’. Que
l’on ait toutefois recours à des solutions dérogatoires radicales permettant d’exclure tout
élément profane sans preuve d’incompétence s’avère pour le moins remarquable.

Section 1
La menace d’intimidation des jurés

« This one thing to be tempted, Escalus. Another thing to fall. I do not deny,
The jury passing on the prisoner’s life, May in the sworn twelve have a thief or two,
Guiltier than him they try ».
[W. SHAKESPEARE, Measure for Measure, 1604, II. i. 17]

128. Comme chaque juridiction, voire davantage puisqu’elle administre des peines
plus lourdes, la cour d’assises doit juger avec indépendance et impartialité. Il s’agit d’une
évidence. Toutefois, la présence de juges occasionnels rend ces exigences vulnérables. Ainsi
que nous le démontrerons ultérieurement, un procès d’assises, souvent caractérisé par une
intensité dramatique et une couverture médiatique extensive, voire virulente, échappe à
l’ordinaire de la vie judiciaire. La justice étant au cœur des attentes — surtout lorsque les
affaires touchent la société —, les regards du public et de la presse deviennent acérés.691 Les

691
L’affaire belge Hammani de 2005 en constitue une illustration patente : la critique ouverte du pouvoir exécutoire et
de la police empêchait la juridiction populaire de délibérer sereinement afin de prononcer en toute indépendance et
impartialité son verdict (B. TAVERNIER, « Assisenjury moet in alle sereniteit kunnen beraadslagen », Juristenkrant
2005, n° 117, p. 2) ; v. aussi J. DALLEST, « Traitement judiciaire du procès sensible, enjeux collectives et contraintes
individuelles », AJpénal 2006, p. 103.

128
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

crimes étant du « pain pour les gazettes »692, les médias n’hésitent d’ailleurs pas à donner
leurs propres versions ou à nourrir certaines pistes pour rafler la mise. « Aux assises la
représentation d’une faute humaine, centrale dans la tragédie grecque se transforme pour un
accusé en une sorte d’exhibitionnisme impudique ».693 Cet intérêt exacerbé menace la
présomption d’innocence et la sérénité du procès. Condamné avant l’ouverture des débats,
l’accusé pourra-t-il encore bénéficier d’un jugement équitable ?694 En effet, comme il n’est
pas imaginaire que les avocats des grands procès cèdent aux « sirènes des médias »695, le
danger que les citoyens-juges soient ‘empoisonnés’ par ces sources extérieures est palpable.

Ce souci est partagé par la CEDH, qui reconnaît qu’« une campagne virulente est
dans certains cas susceptible de nuire à l’équité du procès, en influençant l’opinion publique
et, par la même, les jurés appelés à se prononcer sur la culpabilité de l’accusé ».696 La
liberté d’expression, chère à la CEDH, doit être dûment mise en balance avec le droit à un
procès équitable garanti par l’article 6 de sa Convention. Pour garantir le procès équitable des
restrictions sur la publicité antérieure sont possibles sans violation de l’article 10 CESDH.697
Dans l’affaire Craxi c. Italie, la CEDH souligne que les juridictions appelées à connaître cette
affaire étaient entièrement composées de juges professionnels. Contrairement aux membres
d’un jury, ces derniers jouissent d’une expérience et d’une formation leur permettant
d’écarter toute suggestion extérieure au procès. Devant le jury, qui est « par essence plus
influençable »698, cela pourrait être problématique699. Les cours suprêmes nationales par
contre n’en sont pas toujours convaincues. Bien qu’estimant qu’une publicité antérieure au
procès puisse nuire à l’accusé, la Court of Appeal anglaise est très réticente d’intervenir en
présumant qu’il n’y a pas de raison de craindre la partialité du jury. Celui-ci serait
suffisamment capable de faire abstraction des influences extérieures et de prendre en compte
les directives fermes du président de la Crown Court qui sont à cet égard indispensables.700
La Cour de cassation belge y ajoute la qualité supérieure de la procédure criminelle : une

692
T. PECH, « L’homme de lettres aux assises : Gide, Mauriac, Giono » in AFHJ, La cour d’assises. Bilan d’un
héritage démocratique, Paris, La Documentation française, 2001, p. 193-211, sp. p. 197.
693
A. GARAPON, Bien juger : essai sur le rituel judiciaire, Paris, Ed. Odile Jacob, 1997, p. 264.
694
Pensons aux affaires médiatisées belges Dutroux (2004), Van Themsche (2007) De Gelder (2009) et Janssen
(2010), à l’affaire française d’Outreau (2004-05) ainsi qu’aux affaires Bulger (1993) et West (1996) en Angleterre.
695
F. SAINT-PIERRE, « L’avocat de la défense et les grands procès », AJpénal 2006, p. 110.
696
CEDH 5 avr. 2001, Priebke c. Italie décision sur la recevabilité, n° 48799/99 ; CEDH 5 déc. 2002, Craxi c. Italie,
n° 34896/97, § 98 et s. et CEDH 13 janv. 2009, Taxquet c. Belgique, n° 926/05, § 76 et s.
697
Comm. EDH 9 mars 1987, G. Hodgson, D. Woolf Productions Ltd. et Fational Union of Journalists c. Royaume-
Uni 1987, n° 11553/85.
698
Comm. EDH 8 juill. 1978, Ensslin, Baader et Raspe c. Allemagne, n° 7572/76.
699
CEDH, Craxi c. Italie, préc., § 104.
700
West [1996] 2 Cr. App. R. 374 ; Stone [2001] Crim. L.R. 465, comm. D.C. ORMEROD et T. REES et Hamza [2006]
Crim. L.R. (2007) 320, comm. D.C ORMEROD. Vu la présomption fondamentale de la publicité des débats (R (Malik)
v Central Criminal Court [2007] 1 W.L.R. 2455), l’exclusion de la presse dans l’intérêt de la justice est uniquement
possible si le procès serait non équitable (Yam [2008] EWCA Crim 269).

129
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

couverture médiatique massive en amont du procès, voire une publicité défavorable, ne


porterait pas atteinte aux droits de la défense ni à la présomption d’innocence compte tenu
des opportunités contradictoires accrues aux assises.701 Cela témoigne, pour le moins, d’une
grande confiance accordée aux jurés populaires qui sont sur ce point assimilés aux magistrats
de carrière. A titre exceptionnel, une condamnation prononcée par le jury anglais peut être
annulée702, notamment lorsque la publicité adversaire intervient à un moment crucial de la
procédure tel que la retraite des jurés dans la salle de délibération.703 Afin d’évaluer les
difficultés du jury à ignorer les analyses médiatiques, l’affaire Maxwell avançait le test de
« balance of probabilities » : la publicité antérieure au procès a-t-elle eu un tel impact au
point de rendre la condamnation prononcée par le jury injustifiée ?704 Mais quel quota
publicitaire est dès lors susceptible d’entamer l’équité d’un procès ? Il faut veiller à ne pas
mettre en péril la liberté de la presse, autre ‘gardien’ de notre démocratie. En outre, le risque
de préjugés (raciaux, sociaux, …) et d’influences ne pourra jamais être entièrement exclu,
même en l’absence de publicité antérieure au procès.

129. Le défi consistera donc à recruter un jury suffisamment solide pour demeurer
objectif. Par des biais différents on cherche à garantir l’impartialité des jurés tant sur le plan
de la sélection qu’en ce qui concerne leur fonctionnement. A cela s’ajoute un impératif de
taille : préserver une autre caractéristique essentielle du jury, à savoir sa représentativité (§ 1
— Garde-fous internes : la difficile entente entre représentativité et impartialité). Confronté
à des situations d’urgence, le législateur estimait toutefois que ces garde-fous internes
s’avèrent insuffisants. Des temps exceptionnels exigent des solutions extraordinaires, telle
paraît être la devise sous-jacente. Remarquablement la voie extraordinaire gagne
constamment du terrain au-delà du champ limité qui encadre sa création. Cela pose question
quant à ses finalité, légitimité et avenir (§ 2 — Solutions externes surabondantes).

701
Cass. 19 févr. 2008, FJW 2008, p. 179, 256, note E. BREWAEYS et T.Strafr. 2008, p. 110, note ; v. aussi Cass. 15
déc. 2004, JT 2004, p. 4, note, FC 2006, p. 44, concl. M.P. et RDPC 2005, p. 331, concl. R. LOOP.
702
Taylor [1994] 98 Cr. App. R. 361 : nonobstant les multiples avertissements du président, il était impossible
d’affirmer que le jury n’était pas influencé par la publicité extensive, sensationnelle, imprécise et trompeuse.
703
McCann [1991] 92 Cr. App. R. 239. Plusieurs interrogations émergent à cet égard : quelle est la probabilité que
cette publicité adverse soit connue par les jurés ? Quel est son impact sur le lecteur lambda lors de la lecture ? Quel
est son impact sur la délibération ? (v. l’affaire écossaise Montgomery v HM Advocate [2001] 2 W.L.R. 779 ; T.
HONESS, « Empirical and Legal Perspectives on the Impact of Pretrial Publicity », Crim. L.R. 2002, p. 720). On
suppose que l’influence de la publicité est inversement proportionnelle au temps passé, ce qui conduit parfois à la
décision de reporter le procès (Stone [2001] Crim. L.R. 465, comm. D.C. ORMEROD et T. REES). Certaines
informations ont en effet tendance à s’émousser (fade away), bien que des études empiriques démontrent que ceci soit
moins le cas pour des informations émotives racontées narrativement (T. HONESS, l.c., p. 722-723).
704
Maxwell [1995] inéd. (M. LEVI et D. CORKER, « Pretrial Publicity and its Treatment in the English Courts », Crim.
L.R. 1996, p. 630).

130
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

§ 1 — GARDE-FOUS IFTERFES : LA DIFFICILE EFTEFTE EFTRE


REPRESEFTATIVITE ET IMPARTIALITE

130. Pour sélectionner les juges occasionnels — qui sont au nombre de douze en droit
anglais et en droit belge (art. 123 C. jud.) et neuf en droit français (douze en appel ; art. 296
CPP) —, les systèmes étudiés s’appuient sur la liste électorale d’où sont tirés au sort les jurés
potentiels705. Afin d’asseoir et de maximiser la légitimité des verdicts, le jury est censé
refléter toutes les strates de la société civile. Cette liste électorale ne constituera toutefois
qu’un point de départ, le législateur (A — La quête législative d’un jury impartial et
représentatif) et les parties (B — La quête des parties de ‘leur’ jury) disposant de moyens
pour s’assurer de la représentativité et de l’impartialité du jury à différents stades clés de la
procédure : lors de la sélection des jurés, de la formation du jury et pendant les débats.

A — LA QUETE LEGISLATIVE D’UN JURY IMPARTIAL ET REPRESENTATIF

131. Soucieuse d’éviter qu’un jugement soit prononcé par des personnes
‘corrompues’, la loi énonce des conditions d’aptitude spécifiques (1), tout en prévoyant
l’exclusion de certaines personnes (2). Ces conditions, vérifiées aux différentes étapes de la
formation du jury706, constituent un premier filtre dans la recherche d’un jury représentatif et
objectif.

1. Les conditions d’aptitude au service de la représentativité du jury

132. Afin d’être qualifié pour la fonction de juré, il faut réunir certaines qualités en
termes d’âge, de nationalité et d’aptitude. En droits français et belge, celles-ci devront être
remplies par les jurés titulaires et les jurés supplémentaires (‘jurés suppléants’ en droit belge)
qui, dans l'intérêt du bon déroulement des débats ou lorsque la nature des affaires l'exige,
peuvent être tirés au sort (art. 296 CPP et art. 124 C. jud.).707

705
En droit anglais où 8% des personnes éligibles ne figurent pas sur le registre électoral (J. SPRACK, Emmins on
Criminal Procedure, Oxford, Oxford University Press, 2002, 9ème éd., p. 262), l’on proposa, à l’instar des Etats-Unis,
de sélectionner à partir d’autres sources telles que le Driver and Vehicule Licensing Authority ou les annuaires
téléphoniques (R. AULD, o.c., chap. 5, n° 23).
706
Pour la procédure de sélection, v. H. ANGEVIN, La pratique de la cour d’assises : traité formulaire, Paris, Litec,
2005, 4ème éd., p. 66 et s., n° 161 et s. En droit belge, le bourgmestre adresse aux personnes retenues un questionnaire
établi conformément à l’arrêté ministériel du 19 octobre 1972 (MB 24 nov. 1972, 13075 ; modifié dernièrement par
celui du 2 mai 1995, MB 14 juin 1995) afin de vérifier si les personnes retenues remplissent les conditions légales
pour être juré et de finaliser l’établissement de la liste communale (art. 223 à 224 C. jud.).
707
Les jurés supplémentaires (dont le nombre varie d’un à douze) disposent des mêmes droits que les jurés effectifs et
prêtent également serment. Ils ne prennent part à la délibération qu’en cas d’empêchement ou de défaillance d’un des
jurés effectifs. C’est pourquoi ils ne peuvent en principe pas quitter les locaux de la cour d'assises pendant la
délibération (Crim. 7 déc. 1976, Bull. crim. 351). En droit anglais, ce type de jurés n’existe pas (infra, n° 156).
Les jurés supplémentaires doivent être distingués des ‘jurés suppléants’, résidents de la ville siège de la cour d’assises
(art. 264 CPP) qui figurent sur une liste spéciale. En Belgique, ce type de jurés, dénommés ‘jurés de complément’
(ancien art. 233 C. jud.), fut aboli par la loi du 21 décembre 2009.

131
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

133. Concernant l’âge des jurés prospectifs, le droit anglais applique une très large
fourchette : toutes les personnes âgées de dix-huit à septante ans entrent dans le champ
d’application (s. 1 JA 1974 et s. 119 CJA 1988). En droit belge, le Code judiciaire fixait
traditionnellement un intervalle plus restreint en ne retenant que les personnes âgées de trente
à soixante ans (ancien art. 217 C. jud.). Lors des récents débats parlementaires relatifs à la
réforme de la cour d’assises, une éventuelle diminution jusqu’à l’âge de la majorité civile, tel
que cela existe en droit anglais (art. 1 (a) Juries Act de 1974, ci-après JA), fut rejetée. Le
jugement de criminels passibles des peines les plus sévères constituerait une responsabilité
trop lourde pour être confiée à de jeunes majeurs dépourvus de la maturité nécessaire et
d’ailleurs requise pour les juges de métier (art. 187 et s. C. jud.).708 Une discussion du même
ordre fut amorcée en France. En écartant le rapport avec le droit de vote709 et en se référant
aux inconvénients pratiques qu’un procès d’assises long pourrait causer aux étudiants710,
l’âge minimal requis fut fixé à vingt-trois ans (art. 255 CPP)711. Cet âge doit être atteint au
moment du tirage au sort du jury.712 En Belgique, la loi du 21 décembre 2009 fixe l’âge
minimum de jurés à vingt-huit ans, âge auquel on peut également devenir magistrat
professionnel (art. 217 modifié C. jud.).713 En ce qui concerne l’âge maximal, le législateur
français eut la sagesse de tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie en ne
déterminant pas de limite d’âge maximale. Compte tenu des ennuis éventuels qu’une telle
charge publique pourrait causer aux personnes âgées, il est préférable de prévoir une dispense
à partir d’un certain âge, tel que l’applique la France dès soixante-dix ans (art. 258 CPP).714
La loi belge du 21 décembre 2009 ne retient pas ce système et fixe l’âge maximum à
soixante-cinq ans. En pratique, il est toutefois possible de retrouver au banc du jury une
personne de soixante-neuf ans dans la mesure où l’établissement de la liste communale
n’intervient que tous les quatre ans (art. 218 C. jud.).

708
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 303.
709
« Une chose est en effet de participer à une élection et de prendre une décision, de faire un choix, après avoir
écouté les uns et les autres, lu les commentaires des journaux, participé à des discussions publiques et contradictoires
et pris le temps de réfléchir ; autre chose est de prendre une décision seul, sans le secours d'une discussion avec des
proches, sans aucune préparation au rôle de juge et être, en quelque sorte brutalement, au bout de quelques heures,
le dispensateur ou non de la liberté de l'autre et — il n'y a pas si longtemps — l'arbitre de la vie ou de la mort de cet
autre au moment où, en fait, on commence à peine à entrer dans la vie » (Ch. LEDERMAN, Jurés d'assises et
magistrats, 1997, www.regards.fr/archives/1997/ 199703/199703cit04.html).
710
Les jeunes se montrent eux-mêmes hostiles à la possibilité d’endosser la fonction de juré dès dix-huit ans (J.-M.
GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97) sur la réforme de la procédure criminelle sur la réforme de la procédure
criminelle, fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du
Règlement et d'administration générale, www.senat.fr/rap/l96-275/l96-275_toc.html).
711
De vingt-cinq ans en 1791, l'âge minimum a été ramené à vingt-et-un ans en 1793 et porté à trente ans par la
Constitution de l'an VIII, condition qui perdurera jusqu'à la loi n° 72-1226 du 29 décembre 1972 (JORF 30 déc. 1972,
p. 13783 ; v. J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c.).
712
Crim. 14 nov. 1985, Bull. crim. 355.
713
Ainsi, la proposition avancée de diminuer l’âge minimum jusqu’à l’âge d’éligibilité aux élections fédérales (vingt-
et-un ans) fut rejetée (F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 40).
714
Crim. 28 févr. 1967, Bull. crim. 79. Au Royaume-Uni cette dispense a été abolie par la CJA 2003.

132
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

134. Hormis l’exigence d’âge, il existe dans les trois pays étudiés une condition
(indirecte) de nationalité. Celle-ci est, sauf en cas d’erreur, automatiquement réalisée dans la
mesure où les noms des jurés sont tirés au sort dans la liste électorale. Les étrangers ne
bénéficiant pas du droit de vote aux élections fédérales, il existe une présomption de
nationalité en faveur de ceux dont le nom figure sur cette liste.715 Avec l’internationalisation
de la criminalité, cette condition est toutefois critiquable. Les jurés belges étaient-ils à titre
d’exemple bien placés pour juger les crimes perpétrés lors du génocide rwandais en 2001 ?716

135. Ensuite, il est impératif de jouir des droits politiques, civils (et de famille en
France), ainsi que de savoir lire et écrire (art. 255 CPP et art. 217 C. jud.717). En droit anglais,
cette exigence est formalisée par le critère d’une connaissance linguistique suffisante (s. 10
JA 1974). La nécessité d'avoir résidé sur le territoire national de façon continue pendant au
moins cinq ans depuis l'âge de treize permet d'exclure les personnes qui ne maîtrisent pas
suffisamment la langue anglaise. De manière sous-jacente, cette exclusion légale des illettrés
— qui n'empêche pas leur inscription sur la liste électorale — permettrait au jury d’avoir un
certain ‘niveau’. Elle relève a priori de considérations pratiques : nonobstant l’oralité des
débats, principe clé de la procédure criminelle718, les jurés sont confrontés à des pièces
écrites. A titre d’exemple, ils doivent lire la formule du serment ; ils votent par bulletin écrit
(art. 356 CPP et art. 329bis et s. CIC). En droit belge, ils peuvent consulter dès la délibération
sur la culpabilité non seulement l’acte d’accusation et le cas échéant l’acte de défense, mais
aussi les procès-verbaux qui constatent l’infraction et les pièces du procès (art. 326 al. 1
CIC).

Au-delà de cette exigence de savoir lire et écrire, il s’agit de savoir si des handicaps
physiques peuvent empêcher quelqu’un d’exercer son obligation civique. En droit anglais,
qui porte une attention particulière à cette question, ces personnes sont présumées aptes à
suivre les débats. Conformément à l’article 14 CESDH proscrivant toute discrimination, le
Juries Act de 1974 fut amendée par le Disability Discrimination Act de 1995. Pourtant, en cas
de doute, le juge peut décharger une personne lorsqu’il considère que son handicap

715
Crim. 14 févr. 1961, Bull. crim. 90.
716
Ce procès fut la première et seule application de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves
du droit international humanitaire (MB 5 août 1993, p. 17751) qui retenait la compétence universelle des juridictions
belges pour juger les crimes de droit international, quels que soient le lieu du crime, la nationalité des accusés ou des
plaignants et l’endroit où se trouve l’auteur présumé (R. DECLERCQ, Beginselen van strafrechtspleging, Malines,
Kluwer, 2007, p. 604, n° 1285). L’abrogation de cette loi en 2003 renforce le caractère exceptionnel de ce procès (art.
27 de la loi du 5 août 2003 relative aux violations graves du droit international humanitaire, MB 7 août 2003, p. 40506
qui exige désormais un critère de rattachement ; Cass. 17 déc. 2003, Pas. 2003, p. 2040).
717
En Belgique, pays caractérisé par trois langues officielles, il importe d’avoir une connaissance suffisante de la
langue dont il est fait usage à l'audience de la cour d'assises près de laquelle on est appelé à exercer les fonctions de
juré (art. 224, 2° C. jud. et 48 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, MB 22
juin 1935, p. 4002).
718
Infra, n° 184.

133
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

l’empêche de remplir efficacement la fonction de juré719 (s. 9B JA 1974 ; sch. 33-1, part. 1
CJA 2003). En revanche, les malades mentaux sont bien écartés. Il en est de même en France
où sont exclus les majeurs incapables et les aliénés (art. 256, 8° CPP). La Cour de cassation
veille à l’interprétation stricte de ces dispositions.720 En Belgique, le nouvel article 287 alinéa
4 du Code d’instruction criminelle permet au président, le cas échéant d’office, d’exclure les
personnes « qui, d’évidence, ne sont pas en état de remplir la tâche de juré ».721

136. Traditionnellement existaient également des conditions liées à la fortune et


indirectement au sexe. Jusqu’en 1972, le droit anglais exigeait que les individus soient
possédants pour pouvoir exercer la fonction de juré.722 Or, selon l’étude du Comité Morris,
une telle exigence signifiait que 78% des personnes figurant sur la liste électorale et 95% des
femmes s’avéraient inéligibles.723 En France et en Belgique, le législateur révolutionnaire
réservait les fonctions de juré aux électeurs, c'est-à-dire aux personnes dotées d’un certain
revenu et qui acquittaient le cens.724 Au lieu d’un échantillon représentatif de la société civile,
cette exigence générait dès lors des jurys plutôt élitistes tout en entamant leur légitimité
démocratique.725 La plupart des criminels étant peu fortunés, cette exigence s’avérait en outre
incompatible avec le principe du ‘jugement par des pairs’.

Si cette condition perdura officiellement jusqu'à l'établissement du suffrage


universel,726 l’exigence pécuniaire pour figurer au rang des jurés d’assises potentiels est
aujourd’hui proscrite. Le jury fut ainsi démocratisé. Plusieurs études démontrent toutefois
que la représentativité des femmes au sein du jury et celle des minorités ethniques, reste

719
Cela est par exemple le cas pour une personne sourde, incapable de suivre les débats sans interprète. La présence
injustifiable d’une treizième personne au cours de la délibération conduit nécessairement à son exclusion (Osman
[1996] 1 Cr. App. R. 126). Selon Lord Auld cela se trouve en porte-à-faux avec les exigences d’une société moderne
et civilisée (R. AULD, o.c., chap. 5, n° 44 et s.).
720
Crim. 29 févr. 1984, Bull. crim. 84.
721
Loin d’exclure les personnes ayant un handicap physique, cette disposition vise notamment les personnes qui se
trouvent sous la dépendance de substances (médicaments, alcool, …) et celles privées des moyens physiques ou
psychiques nécessaires pour suivre et juger une affaire criminelle. Avant la loi du 21 décembre 2009, ces personnes
étaient écartées par la récusation péremptoire à condition que leur déficience ou infirmité soit découverte à temps.
722
J. OLDHAM, Trial by Jury. The Seventh Amendment and Anglo-American Special Juries, New York, New York
University Press, 2006, p. 130 et s. L’abolition de l’exigence de propriété n’est pourtant pas approuvée unanimement
(N. BLAKE, « The Case for the Jury » in M. FINDLAY et P. DUFF, The Jury Under Attack, Londres, Butterworths,
1988, p. 142-143).
723
Jusqu’au Courts Act de 1971 (s. 35 (7)), le juge anglais avait le pouvoir d’instituer un jury exclusivement masculin
ou féminin. L’affaire Sutton [1969] 53 Cr. App. R. 504 en constitue une illustration (C. ELLIOT et F. QUINN, English
Legal System, Edinburgh, Harlow : Pearson, 2006, 7ème éd., p. 201 ; pour l’usage ancien du jury of matrons, infra, note
3342).
724
Le décret du 19 juillet 1831 réservait la fonction de juré aussi aux fonctionnaires exerçant des fonctions non
rémunérées, aux docteurs, licenciés en droit, en science et lettres, aux notaires et avoués, ainsi qu’aux officiers de
terre et de mer jouissant d’une pension de retraite (J. VANDERVEEREN, l.c., p. 495).
725
S. LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS, l.c., p. 70.
726
Pour les hommes âgés de plus de vingt-et-un ans (sauf les militaires) en 1848 en France et en 1919 en Belgique ;
pour les femmes en 1944 en France et en 1948 en Belgique.

134
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

souvent problématique. Par le recours à la récusation, il n’est en effet pas impossible que
pour certaines affaires, notamment de mœurs, un jury soit majoritairement masculin.727 Tel
qu’il résulte de l’affaire Zarb Adami c. Malte du 20 juin 2006, cela peut constituer une
violation de l’article 14 juncto 4-3 (d) CESDH728. Dans cette affaire, la CEDH a condamné la
Malte pour discrimination fondée sur une pratique bien ancrée en vertu de laquelle seul un
pourcentage négligeable de femmes est appelé à servir en qualité de juré. Celles-ci
obtiendraient plus facilement une excuse. Cette distinction n’aurait aucune justification
objective et raisonnable. Cette décision s’avère remarquable d’un triple point de vue : primo,
sur le plan de l’applicabilité de la CESDH. L’obligation de servir en qualité de juré pouvant
être considérée en tant que « service formant partie des obligations civiques normales », elle
constitue une des exceptions au principe général d’interdiction de tout travail forcé ou
obligatoire énoncé à l’article 4-2 CEDSH. Si le requérant n’a pas été contraint d’accomplir
un travail forcé ou obligatoire au sens de cette disposition, il ne peut se prévaloir d’un droit
substantiel protégé par la Convention. Secundo, en cas d’applicabilité, la violation constatée
par la CEDH semble discutable dans la mesure où la sanction de payer une amende en cas de
non-comparution est imposée à toute personne, homme ou femme, qui aurait enfreint les
mêmes dispositions légales, de sorte que la sanction en elle-même n’est pas discriminatoire.
Tertio, la CEDH se fonde pour sa décision principalement sur des statistiques produites par
les parties, la discrimination pouvant découler d’une situation de facto.

Que le législateur ne reste pas indifférent à cette question de rapport entre hommes et
femmes au sein du jury populaire, est bien mis en exergue par la loi belge du 21 décembre
2009. Si une parité sexuelle au sein du jury populaire était réfutée lors des discussions de
modernisation de la procédure criminelle en 2000729, la nouvelle loi contient une disposition
visant à garantir qu’au moment de la formation du jury730 au maximum deux tiers des jurés
puissent être du même sexe (art. 289 § 3 CIC). Le législateur souhaite ainsi d’augmenter la
représentativité du jury et garantir un certain équilibre entre les deux sexes.731 In concreto le
jury ne peut au moment de sa composition pas contenir plus de huit hommes/femmes.732
Corrélativement le président de la cour d’assises obtient un droit de récusation afin de remplir
cette condition (art. 289 § 2 in fine CIC). Il nous semble qu’une telle exigence qui n’est

727
Contra Ch. THOMAS, « Exposing the Myths of Jury Service », Crim. L.R. 2008, p. 422 (infra, n° 146).
728
CEDH 20 juin 2006, Zarb Adami c. Malte, n° 17902/02, § 75 et s. ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure
pénale, Paris, Litec, 6ème éd., 2010, p. 208, n° 169.
729
Doc.parl. Sénat, 1999-00, n° 2-282-3, p. 41.
730
Pour éviter des problèmes pratiques, ce rapport n’est plus obligatoire lorsqu’un juré fut remplacé dans une phase
ultérieure du procès (Doc.parl. Sénat 2009-10, n° 4-924/8, p. 8).
731
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 202.
732
En Autriche, le jury doit contenir pour les affaires de mœurs, au moins deux personnes du sexe de l’auteur et au
moins deux personnes du sexe de la victime (§ 300 (2a) StPO).

135
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

d’ailleurs pas requise au niveau correctionnel, pourrait restreindre le droit de récusation des
parties et brider d’une certaine manière le hasard du tirage au sort, caractéristique essentielle
de la sélection des jurés.733 Or, une telle exigence tendrait « à induire que les hommes et les
femmes jugeraient différemment ».734 Notons à cet égard l’étude empirique de Cheryl
Thomas qui révèle que, si les jurés féminins se montrent en général plus austères avant
l’entrée dans la salle de délibération, il n’y a plus de différence par rapport à leurs collègues
masculins après la délibération.735 Ainsi que le remarque Yves Liégeois, une telle exigence a
des répercussions énormes sur le nombre de jurés à appeler afin de pouvoir constituer le jury.
Au lieu d’appeler soixante personnes, il faudra pour satisfaire à l’exigence de parité sexuelle
convoquer au moins nonante, voire cent-vingt personnes, ce qui implique une multiplication
du travail administratif et corrélativement une augmentation des coûts.736

137. Finalement l’analyse des conditions requises pour être juré démontre qu’a priori
aucune condition d’intelligence n’est requise pour les candidats juges-citoyens.737 En droit
comparé, seule l’Italie impose dans certains cas une condition d’intelligence, notamment
lorsqu’il s’agit de qualifier pour la cour d'assises en appel738.

2. Les exclusions législatives au service de l’impartialité du jury

138. Au-delà des conditions d’âge, de nationalité et de connaissance linguistique, la


loi exclut certaines catégories de personnes en raison de leur fonction ou incompatibilité
personnelle.

733
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen », l.c.,
p. 108.
734
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 22 ; v. au monde anglo-saxon C. J. MILLS et W.E. BOHANNON, « Juror
Characteristics : to what extent are they related to jury verdicts? », cité par P. DARBYSHIRE, A. MAUGHAN et A.
STEWART, What Can the English Jury System Learn From Jury Research Published up to 2001?,
http://eprints.kingston.ac.uk/23/, p. 12-13.
735
Ch. THOMAS, Are Juries Fair ?, o.c., p. 19.
736
Intervention d’Y. LIÉGEOIS, « De nieuwe wetgeving m.b.t. het hof van assisen (Wet van 21 december 2009) : een
kritische analyse » lors de la session multidisciplinaire « Getuigen voor het hof van assisen », Louvain, 27 avr. 2010.
737
A cet égard, il importe de souligner que le système belge recèle curieusement une disposition qui permet d’opérer
une distinction entre deux groupes de jurés. Le juge responsable de l’établissement de la liste définitive des jurés
maintient l’inscription de toutes les personnes dont il n'a pas retiré le nom de la liste provinciale et qui possèdent un
certain diplôme ou certificat (art. 223, 7° C. jud.) ou qui exercent une certaine fonction (art. 223, 8°-223, 9° C. jud.). Il
y ajoute un nombre identique de personnes tirées au sort dans la liste provinciale, qui ne remplissent pas ces
conditions (art. 232 al. 2 C. jud.). Bien que la possession de tels diplômes ne constitue pas une conditio sine qua non
pour être juré, il en résulte que la liste définitive contiendra nombre de personnes diplômées (J. DURANT,
« Commentaar bij artikel 232 Gerechtelijk Wetboek » in R. DECORTE, J. LAENENS, P. LEMMENS et D. LINDEMANS
(éd.), Gerechtelijk recht. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, Anvers, Kluwer,
1984, p. 141-142 et C. DE BAECK, Rapport relatif au projet de loi contenant le Code judicaire, fait au nom des
Commissions de la justice et de l’emploi, du travail et de la prévoyance sociale, Doc.parl. Sénat 1964-65, n° 170, p.
76-77). Nonobstant la proposition d’abolir cette disposition, elle est maintenue par la loi du 21 décembre 2009.
738
Infra, n° 389.

136
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

a. Inéligibilité fonctionnelle

139. Dans les trois pays étudiés existaient, traditionnellement, et quelle que soit
l’affaire considérée, des catégories de personnes inéligibles compte tenu de leur fonction
professionnelle. Il s’agit en premier lieu des personnes appartenant au corps judiciaire.739
Paradoxalement la raison d’être de cette exclusion se trouve dans leur plus-value, à savoir
leur connaissance légale, leur expérience juridique et leur spécialisation. En particulier, le
risque de case-hardening qui découlerait de ces mérites priverait les magistrats de toute
fraîcheur d’esprit, capacité indéniablement propre aux jurés.740 Leur appartenance à un jury
risquerait en outre d’influencer les profanes, ce qui semble un argument étrange en droit
français dans la mesure où les magistrats de métier collaborent avec les jurés pour le
jugement de culpabilité et la détermination de la peine.741 Le Royaume-Uni y ajoutait
habituellement les barristers, sollicitors, clerks, agents et officiers de police, ainsi que les
officiers de probation, tous étant, à l’instar des magistrats, peu aptes à présenter la même
indépendance que de simples citoyens. Une telle inéligibilité des agents de police et du
personnel de l’administration pénitentiaire perdure aujourd’hui en France (art. 257, 4°
CPP).742 L’incompatibilité absolue s’étend en droit continental ensuite aux membres du
pouvoir législatif et exécutif, conformément au principe de séparation des pouvoirs.743 Le
jury étant envisagé comme une garantie contre la tyrannie de l’Etat, l’exécutif ne saurait
intervenir au niveau judiciaire. Sont également exclus les militaires en service actif744 afin
d’assurer la continuité du service militaire. Tout comme sont exclus, en droit belge, les
ministres de culte reconnu par l'État pour cause de clémence potentielle et, depuis la loi du 21

739
Art. 257, 2° CPP et art. 224, 4° C. jud. Il s’agit en général des magistrats du siège et du parquet (droit continental),
d’ordre judiciaire, administratif, financier, quel que soit le degré de juridiction et qu’ils soient juges de carrière ou
juges occasionnels. Sont ainsi exclus en droit belge, les juges sociaux et consulaires et les assesseurs en matière
d'exécution des peines. L’exclusion se termine avec la fin de la fonction exercée. Les magistrats honoraires peuvent
dès lors rejoindre la catégorie des citoyens éligibles (Crim. 19 mai 1842, Bull. crim. 124). En droit anglais, il s’agit
également des justices of the peace (Sch. 1, part I JA 1974).
740
Crim. 24 sept. 1825, Bull. crim. 192.
741
Infra, n° 269.
742
Cette disposition est interprétée de manière stricte (Crim. 19 déc. 1967, Bull. crim. 333 et Crim. 13 nov. 1969, Bull.
crim. 298). A l’instar de la France, le greffier est exclu en Belgique (art. 224, 4° C. jud.) ; a contrario le surveillant de
prison (Cass. 18 févr. 1987, JT 1987, 233 et Pas. 1987, I, p. 721). La loi belge du 21 décembre 2009 y ajoute les
référendaires près la Cour de cassation, les membres des secrétariats de parquet (art. 224, 4° C. jud.), les membres du
Conseil du contentieux des étrangers et du greffe (art. 224, 5° C. jud.), les membres, référendaires et greffiers près la
Cour constitutionnelle (art. 224, 6° C. jud.), les membres du Conseil supérieur de la Justice (art. 224, 9° C. jud.), les
titulaires d'une fonction de management ou d'encadrement dans un département ministériel, un service public fédéral
ou un service public de programmation (art. 224, 10° C. jud.). A. Vandeplas souhaitait aussi l’exclusion des avocats et
des policiers (A. VANDEPLAS, « Kanttekening - Over de samenstelling van de jury », RW 2000-01, p. 1216).
743
Art. 257, 1°-3° CPP et art. 224, 3° C. jud.
744
Art. 257, 4° CPP et art. 224, 11° C. jud. Les militaires en congé ou à la retraite (Crim. 16 mars 1948, Bull. crim.
91) entrent de nouveau en ligne de compte.

137
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

décembre 2009, « les délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une
assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle ».745

140. Afin d’améliorer la représentativité du jury et d’accroître corrélativement la


confiance du public, le législateur anglais, s’inspirant des propositions d’influence
américaine746 de Lord Auld, amorça une révolution véritable à cet égard. Par le Criminal
Justice Act de 2003, les magistrats, avocats, policiers, … ne sont plus a priori et d’office
exempts de la fonction de juré. Le devoir civique de juré relevant de la responsabilité de
chacun, ces ‘initiés’ du système devront dès lors être autorisés, voire obligés de siéger (Sch.
33 CJA 2003, entrée en vigueur le 5 avril 2004). De cette manière, la loi ouvre la porte à une
certaine professionnalisation de la justice criminelle ; non pas à l’extérieur et au détriment du
jury, mais à l’intérieur. Il fut en particulier défendu que le risque de voir un juge peser trop
lourd dans la délibération achoppe : les académiciens juridiques, avocats non pratiquants et
étudiants de droit, admis à la fonction de juré, seraient susceptibles d’exercer un ascendant
similaire. De plus, les citoyens, aujourd’hui largement émancipés, seraient moins
impressionnés par les professionnels qu’auparavant. Au contraire, peut-être serait-il
profitable à la compréhension des jurés d’avoir parmi eux un juriste. Par ailleurs, il ne serait
pas illicite qu’un ‘expert en la matière’ éprouve lui-même la fonction de juré dans l’optique
d’augmenter sa compréhension des vices de la procédure et en vue de le sensibiliser dans son
contact avec les citoyens-juges.747 Prétendre que ces acteurs de justice n’ont pas le même
regard ouvert s’avère selon le législateur en outre infondé : il n’est pas non plus exclu que
d’autres personnes aient déjà été confrontées à la justice et parfois, même négativement en
tant qu’auteur ou victime. Afin d’éviter toutefois que le juge ou l’avocat ne connaisse l’une
des parties en cause, il semble opportun de les écarter de leur ressort habituel748, ou de
reporter leur obligation de siéger à une autre affaire. Une excuse discrétionnaire émanant du
président reste en outre envisageable. Néanmoins, l’éventuel déficit de personnel susceptible
d’en résulter ne peut être sous-estimé.749

A l’issue de ces modifications législatives, la représentativité du jury anglais est sans


doute optimisée, ainsi que l’illustrent les résultats des études de Cheryl Thomas.750 Qu’une

745
Art. 224, 12° C. jud. (v. aussi A. VANDEPLAS, « Kanttekening - Over de samenstelling van de jury », l.c., p. 1216).
L’Angleterre y ajoutait traditionnellement les sœurs et les moines (Sch. 1, part. I JA 1974). Le droit français a
contrario dispose explicitement que l’objection morale d'ordre laïque ou religieux ne constitue pas un motif grave
susceptible de justifier l'exclusion de la liste (art. 258-1 al. 2 CPP).
746
Une comparaison avec les Etats-Unis est toutefois difficilement soutenable compte tenu du maintien intégral outre-
Atlantique des récusations péremptoires (R. AULD, o.c., chap. 5, n° 27 et s.).
747
R. AULD, o.c., chap. 5, n° 27 et s.
748
R.G. PARRY, « Jury Service for All ? Analysing Lawyers as Jurors », J.Crim.L. 2006, p. 168-169.
749
W. ROUMIER, o.c., p. 368, n° 684.
750
Le nombre de jurés siégeant a augmenté de 54% à 64% et le nombre de disqualifications et d’excuses a chuté
respectivement d’un tiers et d’un quart (Ch. THOMAS, « Exposing the Myths of Jury Service », l.c., p. 421 et Ch.

138
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

telle ouverture aux professionnels bonifie en outre l’impartialité et l’indépendance du jury


semble toutefois à redouter, en dépit de la décision de la cour d’appel dans l’affaire
Abdroikov751. En effet, cela ne revient-il pas à remplacer la spéculation de préjudice par la
spéculation de confiance ?752 Il est vrai que tous les citoyens-juges anglais ont en quelque
sorte des préjugés et qu’ils ne décident pas seuls mais comme une entité collective suivant le
serment de ne juger qu’en rapport avec les preuves. Mais pourrait-on demander à un avocat
ou à un juge professionnel, cité comme juré, d’accepter comme tel, les directions du
président de la Crown Court, même lorsqu’ils les jugent inexactes ? Qu’adviendrait-il s’ils
nient le résumé du juge ou relèvent des comportements inacceptables chez d’autres jurés ?753
Que penser d’ailleurs du tirage au sort d’un prosecutor en tant que juré d’assises ? Celui-ci
est par sa profession dévoué à l’accusation. La justice est-elle dans ce cas « seen to be
done » ?754 Pour la France, en revanche, dotée depuis 1941 d’une collaboration complète
entre les magistrats de carrière et les jurés, il s’agit de savoir pourquoi la démocratisation de
la loi de 1978755 n’alla pas jusqu’au bout.

b. Incompatibilité personnelle

141. Outre les incompatibilités fonctionnelles, les différents systèmes permettent


d’exclure des personnes ayant un rapport particulier avec l’affaire en cause ou qui sont
atteintes d’une incapacité personnelle particulière. Le droit anglais et le droit français
interdisent ainsi aux personnes apparentées ou alliées jusqu’au degré d’oncle ou de neveu de
l’accusé ou de son avocat de siéger au banc du jury (art. 291 CPP),756 leur conviction ne
pouvant pas uniquement découler des seuls éléments débattus devant la cour d'assises. Dans
le même ordre d’idées sont exclues les personnes ayant une connaissance particulière de

THOMAS, Diversity and Fairness in the Justice System, Ministry of Justice Research 2/2007,
www.justice.gov.uk/docs/JuriesReport2-07-webVersion.pdf).
751
Abdroikov, Green et Williamson [2006] Crim. L.R. 245, comm. N.W. TAYLOR (R.G. PARRY, l.c., p. 175) ; v.
également Khan [2008] Crim. L.R. 641, comm. N. TAYLOR et Yemoh [2009] EWCA Crim 930 : la sélection d’un
policier comme juré n’est pas en soi une cause de préjudice pour l’accusé. Il peut être question d’une perception de
préjudice si ce policier a une connexion personnelle avec l’officier qui témoigne au procès ou s’il dispose d’une
connaissance spéciale des preuves au-delà de ce qui est présenté à l’audience.
752
R.G. PARRY, l.c., p. 163-182.
753
R.G. PARRY, l.c., p. 170.
754
A. MCBRIDE, Defending the Guilty :Truth and Lies in the Criminal Courtroom, Londres, Penguin Books, 2010, p.
259.
755
B. FAYOLLE, « La procédure criminelle entre permanence et réforme » in AFHJ, La cour d’assises. Bilan d’un
héritage démocratique, Paris, La Documentation française, 2001, p. 74-78.
756
En Belgique en revanche, la cour n’est pas obligée de demander au futur juré s’il a un lien familial avec l’une des
parties (F. D’HONDT, « Naar een tegensprekelijke samenstelling van de jury ? Het Hoogste Hof formeel overstag ? »,
(note sous Cass. 31 mai 1995), R.Cass. 1996, p. 96). Nous verrons ultérieurement que les règles relatives à la
récusation pour cause y procurent une solution. La seule disposition relative à la parenté concerne celle entre les juges
eux-mêmes (art. 301 et s. C. jud.). Quoique ces articles ne fassent aucune référence aux jurés d’assises, ils s’y
appliquent dans la mesure où les jurés peuvent être considérés comme des juges au sens de l’art. 6 CESDH pour une
période temporaire. Le cas échéant, l’un des jurés est dispensé (art. 287 al. 2 CIC) ou récusé (art. 289 CIC). Ces règles
ne concernent que la formation du jury (J. DURANT, l.c., p. 157).

139
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

l’affaire en cause pour avoir participé à l’enquête ou à l’instruction, par exemple comme
témoin757 (art. 291 CPP et art. 127 C. jud. qui s’applique également aux jurés d’assises758). Il
en est de même en droit anglais, nonobstant l’origine testimoniale des jurés (self-informing
jury).759

142. En droit anglais comme en droit français, les personnes peuvent par ailleurs être
disqualifiées au regard de leur ‘passé judiciaire’ ou ‘défaut de moralité’760 : leur expérience
(négative) de la justice risque en effet de corroder leur verdict et d’entamer ainsi
l’impartialité et l’indépendance, chères à la CEDH.761 Le droit anglais écarte ainsi du banc du
jury les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement à vie, à une détention pendant
la Majesty’s pleasure, à un emprisonnement pour protection publique, à une peine prolongée
(s. 227 ou 228 CJA 2003) ou à une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans (s. 321 et
sch. 33-1, part. 2 CJA 2003). Lorsque la peine privative de liberté est inférieure à cinq ans,
l’exclusion ne s’applique que si la condamnation est intervenue dans les dix dernières années,
y compris lorsque l’exécution de la peine a été suspendue. Une interdiction similaire
s’applique aux personnes soumises à l’une des formes de liberté contrôlée au cours des cinq
années qui précèdent le procès762, ainsi qu’aux individus condamnés à un service d’intérêt
général lors les dix dernières années. Cette restriction ne s’applique toutefois pas aux
personnes condamnées à une amende. Le législateur français écarte pour sa part, ceux dont le
casier judiciaire mentionne une condamnation pour crime indépendamment de la durée 763 ou
pour délit passible d’une peine supérieure ou égale à six mois d’emprisonnement (art. 256, 1°
CPP, rétabli par la loi du 15 juin 2000).764 Sont également concernés les individus à
l’encontre desquels sont engagées des poursuites pénales et qui se trouvent en état

757
Aussi ceux ayant témoigné au cours de l’instruction qui ne sont pas appelés devant la cour d'assises (Crim. 12 juin
1974, Bull. crim. 216). La qualité de témoin de la cause prévaut sur la qualité de juré. Toutefois, la simple citation
d’un juré comme témoin n’est pas suffisante. Il faut que le juré soit effectivement témoin de la cause (Cass. 14 sept.
2004, Pas. 2004, p. 1332).
758
Cass. 4 mars 1987, Pas. 1987, I, p. 798 et RDPC 1987, p. 701.
759
Au lieu d’être des juges impartiaux, les jurés anglais étaient à l’origine des témoins de l’affaire en cause (J.
OLDHAM, o.c., p. 115-126 ; infra, n° 301).
760
G. STEFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, Paris, Dalloz, 2006, 20ème éd., p. 458.
761
V., parmi beaucoup d'autres, CEDH 23 avr. 1996, Remli c. France, n° 16839/90, § 48 ; CEDH 10 juin 1996, Pullar
c. Royaume-Uni, n° 22399/93, § 30 et CEDH 17 janv. 2007, Farhi c. France, n° 17070/05, § 23-25.
762
Pensons à une libération conditionnelle (s. 40 CPIA 1994) ou à une probation (Juries Disqualification Act de
1984).
763
Avec ou sans sursis (Crim. 1er févr. 1966, Bull. crim. 28).
764
Pour le durcissement de ces exigences pendant le régime de Vichy, v. A. BANCAUD, « « La cour d’assises pendant
le régime de Vichy : une juridiction politiquement encombrante » in AFHJ, La cour d’assises. Bilan d’un héritage
démocratique, Paris, La Documentation française, 2001, p. 54. Pour le régime du nouveau Code pénal, v. W.
ROUMIER, o.c., p. 363-364, n° 671.

140
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

d’accusation, (de contumace) ou sous mandat de dépôt ou d’arrêt (détention provisoire) ainsi
que les personnes condamnées disciplinairement ou professionnellement.765

En Belgique, une telle disqualification explicite n’est introduite que par la loi du 21
décembre 2009. Dans le système ancien, seule existait une exclusion indirecte (ancien art.
217 C. jud.) par les dispositions privant certaines personnes de l’exercice de leurs droits
politiques après une condamnation judiciaire (art. 31, 4° CPB). Hormis ces cas, le parquet,
ayant accès au casier judicaire des jurés potentiels, pouvait les exclure par le biais de la
récusation sans cause.766 Compte tenu de la proposition de la Commission de réforme
d’assises d’y mettre un terme et de l’insuffisance des exclusions prévues par le Code pénal767,
il apparut nécessaire d’adapter la législation en vigueur sur ce point. Au lieu de se fonder sur
des critères restreints768 du Code électoral pour l’exercice du droit de vote, la Commission
avançait son propre critère : pouvant être exclues de la fonction de juré, les personnes ayant
été condamnées à une peine d’emprisonnement excédant quatre mois ou une peine de travail
excédant soixante heures.769 En effet, contrairement au droit politique d’élire et d’être élu
(art. 3, 1er Protocole additionnel CESDH), la participation des citoyens à la fonction de juger
en matière criminelle ne constitue pas un droit essentiel de la vie démocratique et n’est pas
garantie par les conventions internationales. Une distinction entre les conditions requises
pour être juré et la législation relative à la privation du droit de vote ou des droits politiques
en général, s’avère donc judicieux. Nonobstant le maintien du système de récusation
péremptoire en tant que droit fondamental de la défense et ainsi la possibilité du parquet
d’exclure les jurés potentiels avec un casier judiciaire lourd, la nouvelle loi a retenu cette
nouvelle condition d’exclusion.770

765
Pensons aux personnes en état de faillite et non réhabilitées (art. 256, 6° CPP). Avant la loi du 9 mars 2004, le
système français se montrait aussi peu indulgent à l’égard des jurés démissionnaires. En particulier, lorsque sans motif
légitime et à trois reprises, un individu n’avait pas déféré à la convocation de siéger et avait été condamné à l’amende
prévue par la loi, celui-ci ne pourrait plus exercer les fonctions de juré (ancien art. 288 al. 5 CPP).
766
Infra, n° 149.
767
L’interdiction du droit d’être juré n’est comme accessorium obligatoirement prévue que pour certaines infractions
(par exemple art. 382 CPB : débauche, corruption ou prostitution d'un mineur) ou en cas de condamnation à une peine
très sévère (art. 31-33 CPB).
768
Art. 6 C. électoral écarte définitivement de l'électorat et du droit de vote ceux qui ont été condamnés à une peine
criminelle ; art. 7 al. 1, 2° du même code vise temporairement ceux qui ont été condamnés à une peine correctionnelle
d’au moins quatre mois à l’exception des condamnés sur base des art. 419 et 420 CPB. Le droit de voter de ces
derniers est suspendu pendant six ans si la peine est comprise entre quatre mois et trois ans, et douze ans si elle est
égale ou supérieure à trois ans. Non seulement ces exclusions sont limitées en durée, elles n’envisagent que des peines
privatives de liberté. En outre, l’art. 7 C. électoral est déclaré inconstitutionnel en raison de ses effets
disproportionnés. Il permet notamment de priver une personne condamnée de plein droit de ses droits électoraux
pendant un délai qui peut être très supérieur à celui de l’exécution de sa peine (C.C. 14 déc. 2005, n° 187/2005, JLMB
2006, p. 540, note N. BANNEUX).
769
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 306. Une peine de
travail est envisageable pour des délits et des crimes correctionnalisés (art. 37ter CPB ; loi du 17 avril 2002 instaurant
la peine de travail comme peine autonome en matière correctionnelle et de police, MB 7 mai 2002, p. 19021).
770
L’art. 594 al. 1 CIC relatif à l’accès aux informations enregistrées dans le casier judiciaire est corrélativement
modifié.

141
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

143. Outre ces exclusions législatives pouvant être infligées de manière unilatérale, le
juré potentiel peut échapper à son devoir civique en sollicitant lui-même une dispense. Ainsi
que nous l’avons déjà évoqué, en droit français, les personnes âgées de plus de soixante-dix
ans bénéficie du droit de demander une dispense (art. 258 CPP).771 Ce privilège incombe
également aux personnes n’ayant pas la résidence principale dans le département du siège de
la cour d’assises (art. 258 CPP).772 Contrairement au droit belge, les législateurs français et
anglais permettent en outre à ceux ayant déjà rempli cette fonction au cours des cinq
dernières années en droit français (art. 258-1 CPP) et des deux dernières années en droit
anglais (s. 8 (2) JA 1974), de se soustraire à la citation. Pour le reste, les trois pays étudiés
autorisent certaines personnes, à l’appréciation libre de la cour, à être exemptées pour une
raison personnelle grave.773 Ainsi, dans l’affaire Dutroux, les participants à la marche
blanche ou les signataires d’une pétition en lien avec l’affaire774, pouvaient bénéficier d’une
dérogation. Indépendamment de l’affaire en cause une excuse peut, à titre d’exemple, être
accordée aux personnes exerçant une profession indépendante ou ayant la charge de petits
enfants ou de proches malades.

Il ne fait aucun doute qu’une politique libérale de dispenses pose des sérieuses
questions en termes de représentativité et de légitimité de l’institution du jury. Certes, il n’est
pas favorable à la justice de faire siéger des réfractaires, mais la crédibilité de la juridiction
populaire est entamée si certaines catégories de personnes font fréquemment défaut. A cet
égard, une intéressante particularité anglaise ne peut être passée sous silence : la faculté
d’ajournement (deferral)775 ou l’autorisation accordée à celui qui présente une excuse
valable, telle que travail ou maladie, de remplir sa tâche civique à une date ultérieure (s. 9A
JA 1974).776 Seulement lorsqu’un juré potentiel ne peut remplir ce devoir pendant douze mois
en raison d’une circonstance exceptionnelle (mort, croyance incompatible avec la fonction de
juré, …) celui-ci peut être excusé.777 Pourtant, en dépit de cette faculté, il existe la conception

771
Sans demande explicite, la cour peut dispenser d’office si elle considère qu’une telle personne n’est pas à même à
remplir cette fonction (Crim. 6 juill. 1982, Bull. crim. 180). Outre-Manche, cette excuse existait à partir de soixante-
cinq ans (sch. 1, part. III JA 1974) et pareille dispense s’appliquait aux membres du Parlement, aux militaires en
activité de service, aux membres d’un groupe religieux ayant une croyance incompatible avec la fonction de juré,
ainsi qu’aux docteurs, infirmières, pharmaciens, vétérinaires, … Il était d’intérêt public que ces derniers continuent
d’exercer leurs professions. Depuis la CJA 2003 (s. 321 et sch. 33), cette dispense d’office fait partie de l’histoire
législative. Seule l’exclusion discrétionnaire est maintenue (C. ELLIOT et F. QUINN, o.c., p. 218).
772
Cette dispense d’office ne fait plus partie de la législation belge depuis la loi du 18 juin 1869 sur l’organisation
judiciaire (art. 108).
773
S. 9 JA 1974 ; art. 258 al. 2 CPP et pour le droit belge, art. 287 al. 3 CIC (Cass. 22 mars 1995, Pas. 1995, I, p. 342
et Cass. 23 sept. 2003, Pas. 2003, p. 1453, RW 2004-05, p. 63, note A. VANDEPLAS. Depuis la loi du 21 décembre
1930 (MB 18 mars 1931, p. 1420), le privilège accordé aux femmes pour être excusées à leur demande est abrogé).
774
J. DURANT, l.c., p. 116.
775
Une telle faculté existe depuis le Criminal Justice Act de 1988 (s. 120).
776
S. LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS, l.c., p. 69.
777
P. DARBYSHIRE, o.c., p. 505.

142
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

d’une sous-représentation récurrente de certaines catégories de personnes, souvent les


personnes les plus capables.778 La (quasi)impunité des jurés défaillants779 et l’indemnisation
restreinte des jurés effectifs et supplémentaires/suppléants, surtout pour les professions
indépendantes, y contribuent vraisemblablement, notamment lors de longs procès. En
particulier, le fait que l’indemnisation ne recouvre pas entièrement la perte de revenu de la
majorité des personnes s’avère problématique.780 Le manque d’enthousiasme ne semble dès
lors pas prioritairement fondé sur la perspective même d’être juge aux assises, mais relèverait
directement des inconvénients connexes à la vie personnelle et professionnelle qui résultent
d’une telle obligation. Oserait-on y voir une preuve du syndrome « not in my backyard » ? En
effet, si les sondages effectués auprès du public démontrent que la grande majorité s’avère
attachée à l’institution du jury,781 l’enthousiasme s’émousse face à la perspective réelle de
siéger. Tel qu’en témoigne André Gide, c’est en effet « tout autre chose d’écouter rendre la
justice ou d’aider à la rendre soi-même. Quand on est parmi le public, on peut y croire
encore. Assis sur le banc des jurés, on se redit la parole du Christ : ‘ne point juger’ »782.

Il semble que le risque soit plus élevé en France où s’applique le système de jury de
session. Pendant la durée d’une session (un trimestre), les quarante personnes dont le nom
figure sur la liste de session doivent se présenter au début de chaque affaire.783 Cet impératif
empêche les jurés potentiels, qui ne savent qu’au jour du commencement du procès s’ils sont
ou non retenus, de s’organiser pour être disponibles. Plus louable semble alors la constitution

778
V. également A. Gide, à propos de la composition des jurés : « tous ceux qui méritent d’être juré, semblent avoir
soigneusement été écartés » (A. GIDE, o.c., p. 180).
779
L’art. 288 al. 3-6 CPP prévoie pourtant une amende de 3.750 €. Le maximum de l’amende belge ne peut, après
décimes additionnels, s’élever qu’à 2.750 € (art. 316 CPB). En droit anglais il s’agit d’une amende de £ 100 (s. 20 (1)
JA 1974). Cette amende ne s’applique pas au juré qui peut démontrer une explication raisonnable pour son absence ou
indisponibilité (s. 20 (4) JA 1974 ; v. à titre d’exemple Andrews [2009] Crim. L.R. 289, obs. N. TAYLOR).
780
Dans les trois pays, une indemnisation est prévue pour l’exercice de la fonction de juré (‘indemnisation forfaitaire
de session’ en France), ainsi qu’un remboursement journalier des frais de déplacement, y compris en France les repas
lorsqu’on siège effectivement. A la différence du droit belge où le candidat juré, ayant répondu à la convocation sans
avoir siégé ou assisté aux débats, reçoit une indemnité moindre, l’indemnisation journalière de session française est
versée chaque jour de présence à l’audience, que le candidat ait tiré au sort ou pas. Contrairement au droit français,
l’employeur belge est censé continuer à payer le salaire à son employé pendant les cinq premiers jours d’absence (art.
2 arrêté royal 28 août 1963, MB 11 sept. 1963 ; pour les travailleurs indépendants et certains fonctionnaires, il existe
des règles spéciales en vertu de l’art. 32, 2° arrêté royal du 27 avr. 2007, MB 25 mai 2007). Après cette période,
l’employeur qui continue à payer le salaire reçoit une indemnité. En droit anglais, l’employeur n’est pas tenu de verser
un revenu à un employé appelé au banc des jurés, mais peut bénéficier d’une subvention s’il le fait (S. LLOYD-
BOSTOCK et Ch. THOMAS, l.c., p. 71). En France, les salariés peuvent recevoir une indemnité pour perte de revenu
professionnel. Nonobstant les propositions d’augmenter les indemnisations (v. l’Avis du 11 février 2009 du Conseil
supérieur de la Justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 7), l’indemnisation belge est fixée à 40,10 € si on a
siégé et à 9,88 € si on n’a pas siégé.
781
Infra, n° 599 et s.
782
A. GIDE, o.c., p. 7.
783
M. ANINAT, o.c., p. 20. Pour le tirage au sort du jury de jugement, il faut au moins vingt-trois jurés en première
instance et vingt-six en appel (H. ANGEVIN, o.c., p. 74, n° 90). En Belgique, les personnes convoquées ne doivent se
présenter que pour une seule affaire. En droit anglais, les douze jurés traitent en principe une affaire. Ensuite, ils
rentrent dans le pool des jurés pendant deux semaines et ils peuvent être appelés à siéger dans plusieurs affaires. Si la
deuxième affaire commence dans les 24h de la composition du jury, il est possible que le même jury traite dans la
même composition plusieurs affaires (P. MURPHY, o.c., p. 1607).

143
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

du jury quelques jours à l’avance. Pour éviter toutefois le risque d’influence des jurés, une
constitution d’au moins huit jours à l’avance ne semble pas opportune. La loi belge du 21
décembre 2009 ramène ce délai à deux jours ouvrables avant l’audience de fond (art. 287 al.
1 CIC).784 Si le procès débute le lundi, le jury devrait être constitué le jeudi précédent. De
cette manière, l’examen de l’affaire au fond peut débuter dès le premier jour du procès785, les
jurés peuvent s’organiser dans les meilleures conditions, et une séance d’information pouvant
être organisé en leur faveur avant leur entrée en fonction. Selon Cheryl Thomas, une telle
réforme serait probablement inutile au regard des résultats de son étude récente qui,
contrairement à la majorité des études entreprises à cet égard786, tiennent à briser quelques
mythes courants brouillant la perception du système du jury. Elle démontre notamment qu’il
est erroné de penser que le jury ne soit pas représentatif, tout comme le fait que les jurés
cherchent à s’abstenir de leur devoir civique et cela même avant la réforme des règles de
recrutement des jurés par le Criminal Justice Act de 2003.787

B — LA QUETE DES PARTIES DE ‘LEUR’ JURY

144. Bien que la liste finale ne contienne que des personnes éligibles et en principe
aptes à siéger, la désignation des jurés n’est pas le simple fruit du hasard. Dans les trois pays
étudiés existe un correctif spécifique à ce mode de formation du jury populaire : « une
sauvegarde souveraine contre les imperfections presque inévitables des listes et les caprices
aveugles du scrutin ».788 En particulier, les parties disposent de prérogatives plus ou moins
étendues qui leur permettent de récuser les personnes tirées au sort. Elles peuvent ainsi
empêcher qu’une personne, jugée peu fiable en termes d’indépendance ou d’impartialité,
puisse siéger comme juré. La philosophie sous-jacente traduit l’idée qu’il n’inspire pas la
confiance en la justice si on doute de ses juges : « la confiance du public est majoritairement
fondée sur la croyance qu’un procès par douze personnes du peuple tirées au sort d’une
section de la société civile apporte du bon sens, d’impartialité et d’indépendance et garantit

784
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 225 et p. 95.
785
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 17-18.
786
Selon l’étude de R. Matthews et collègues, seul un tiers des personnes appelées à concourir à la formation du jury
donne suite à cette convocation (R. MATTHEWS, L. HANCOCK et D. BRIGGS, Juror’s Perceptions, Understanding,
Confidence and Satisfaction in the Jury System : a Study in Six Courts, Londres, Home Office, 2004-05, p. 25-26).
Celle de J. Airs et A. Shaw révèle que 38% des candidats jurés ont obtenu une excuse (20% pour le soin des petits
enfants et des personnes âgées, 40% pour des raisons médicales et 10% pour des raisons professionnelles). Seuls 34%
étaient disponibles pour endosser la fonction de juré, plus de la moitié d’entre eux obtenant d’ailleurs un report à une
date ultérieure (J. AIRS et A. SHAW, Jury Excusal and Deferral, www.homeoffice.uk/rds/pdfs/r102.pdf). Pour une
synthèse des études empiriques à cet égard, v. P. DARBYSHIRE, A. MAUGHAN et A. STEWART, l.c.
787
Ch. THOMAS, « Exposing the Myths of Jury Service », l.c., p. 415-430 et Diversity and Fairness in the Justice
System, o.c. ; contra P. DARBYSHIRE, « Letter. Exposing the Myths of Jury Service », l.c., p. 888-891.
788
Ch. NOUGUIER, La cour d’assises : traité pratique, Paris, Cosse et Marsal, 1870, tome V, p. 707.

144
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

que le système soit perçu comme équitable aux yeux de l’accusé et du public plus large ».789
La récusation décisive ou péremptoire, faculté propre aux assises, constitue une expression
fondamentale du droit de la défense et du droit à un procès équitable (1). En effet, un accusé
passible de lourdes peines accepterait davantage le verdict s’il dispose d’une voix dans la
composition de ‘son’ jury790, même s’il n’en peut, de jure ou de facto, donner d’explication
valable. Cette prérogative est même considérée comme « inhérente à l’institution du
jury »,791 voire « son accessoire indispensable, son principe de vie »792. Compte tenu
toutefois de ses limites, la quête d’indépendance et d’impartialité s’effectue également et
nécessairement par d’autres biais (2).

1. Récusation péremptoire comme expression essentielle du droit de la défense

145. En dépit de son origine anglo-saxonne et de son importation sur le continent, la


récusation péremptoire ou la mise à l’écart d’un juré sans motif lors de la formation du jury,
distingue les systèmes de manière notable : s’appliquant de plein droit dans la procédure
criminelle continentale, ce privilège a été supprimé en droit anglais. Pourtant, en laissant
intact le droit équivalent de l’accusation, le législateur anglais manqua de cohérence et arma
inégalement les deux parties au procès. Cependant, en pratique la distinction semble souvent
superficielle. En droit continental, l’égalité n’est pas non plus intégralement garantie. En
dépit de ces différences, les trois pays étudiés possèdent un point commun : l’exclusion de la
partie civile de cette prérogative.

a. Une (quasi)-inégalité des armes en droit anglais

146. Depuis le 15ème siècle, la défense anglaise disposait d’une faculté particulière : la
peremptory challenge. Sur simple intuition et souvent sur la seule apparence (sexe, couleur
de peau, tenue vestimentaire, âge, accent, coupe de cheveux, …)793, la défense pouvait
évincer un individu de la fonction de juge.794 Comme en droits français et belge, ce privilège
s’éroda au fil du temps.795 Toutefois, cette évolution aboutit inversement, en droit anglais, à
l’abolition intégrale de cette prérogative. Le législateur anglais tint notamment compte de
l’entorse regrettable faite au principe de représentativité allant de pair avec une récusation

789
D. RILEY et J. VENNARD, « The Use of Peremptory Challenge and Stand By of Jurors and Their Relationship to
Trial Outcome », Crim. L.R. 1988, p. 731 (trad. pers.).
790
J.L. GOBERT, « The Peremptory Challenge - An Obituary », Crim. L.R. 1989, p. 529.
791
Crim. 24 déc. 1813, Bull. crim. 261 ; J.L. GOBERT, l.c., p. 528.
792
F. HELIE, o.c., p. 433, n° 4758 et cité par W. ROUMIER, o.c., p. 372 et s., n° 694. Dans le même sens, G. BELTJENS,
Le Code d’instruction criminelle belge et les lois spéciales annotés d’après les principes juridiques, la doctrine des
auteurs belges et français, les décisions des cours et tribunaux, Bruxelles, Bruylant-Christophe, 1903, p. 829, n° 3.
793
W. BLACKSTONE, o.c., p. 353.
794
D. RILEY et J. VENNARD, l.c., p. 731.
795
Ainsi, le nombre de récusations sans motif fut réduit de vingt-cinq à douze en 1925, de douze à sept en 1948 et de
sept à trois en 1977 (s. 43 CLA 1977 ; J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., p. 265).

145
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

péremptoire. William Blackstone, en revanche, considéra ce pouvoir comme cardinal pour la


défense : il permettait de corriger les aléas du tirage au sort ainsi qu’un éventuel déséquilibre
au niveau racial796 ou sexuel. Par ailleurs, en choisissant certaines personnes plutôt que
d’autres pour siéger à ‘son’ jury, on pourrait manipuler le verdict. Ce risque s’avérait
davantage prégnant en cas de pluralité d’accusés, le droit anglais autorisant dans ce cas un
cumul de récusations.797 Au lieu d’exclure des personnes réellement préjugées au détriment
de l’accusé, la récusation permettait au contraire d’influencer la composition du jury et le
verdict en sa faveur. Aucune preuve empirique n’atteste pourtant d’un usage tactique et du
rapport présumé entre les récusations sans motivation et l’accroissement des acquittements,
tel que l’illustrent différentes études.798 Pourtant l’abolition de la récusation péremptoire a
bien été consacrée en 1988 (s. 118(1) CJA).799 Rompant avec une longue tradition, le
législateur anglais prenait ainsi distance par rapport à d’autres pays anglo-saxons tels que les
Etats-Unis. Désormais, la défense ne peut écarter un candidat qu’en justifiant ce vœu.800

147. Sur ce point, il est intéressant de noter l’inégalité entre la défense et l’accusation.
Si le pouvoir de la Crown pour récuser sans motif fut aboli en 1307,801 l’accusation dispose
néanmoins encore du droit de stand-by802, ce qui reflète la peremptory challenge. Il s’agit
d’une pratique permettant d’écarter provisoirement et sans motivation un juré potentiel qui
retourne par la suite dans le pool des jurés et devient en quelque sorte un juré de réserve.803
On essaie d’abord de constituer le jury sans lui. Le cas échéant, lorsqu’il ne reste pas
suffisamment de personnes, il peut être rappelé.804 En théorie, ce droit est illimité jusqu’à
l’exhaustion du panel des jurés. Pour exercer ce droit, la prosecution dispose d’informations
fournies par la police et auxquelles la défense n’a pas accès, ce qui entame à nouveau le
principe d’égalité des armes. Ainsi, elle pourrait consulter le casier judiciaire des candidats

796
N. BLAKE, l.c., p. 147 et D. RILEY et J. VENNARD, l.c., p. 732.
797
Par exemple, dans un procès de dix accusés, le total de récusations s’élevait à trente en cas de cumul.
798
Selon les études de J. Baldwin et M.J. McConville et de D. Riley et J. Vennard cette pensée ne se fonde que sur des
spéculations (J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, Jury Trials, Oxford, Clarendon Press, 1979, p. 92-93 et D. RILEY et J.
VENNARD, l.c., p. 738). Il n’est pas question d’un usage abusif. Seulement, dans une affaire sur sept, cette faculté
serait utilisée, et rares sont les cas où l’on exerce plus d’une récusation.
799
V. aussi le Comité Roskill et le White Paper, Criminal Justice : Plans for Legislation, Londres, HMSO, 1986,
Cmnd. 9658.
800
Infra, n° 153.
801
N. BLAKE, l.c., p. 147.
802
Mason [1981] Q.B. 881 et Jalil [2009] Crim. L.R. 443, comm. N.W. TAYLOR.
803
Lorsque l’on envisage une récusation de la liste entière du jury (challenge to the array), une motivation est requise
(s. 12 (6) JA 1974 ; Thomas et d’autres [1989] 88 Cr. App. R. 370). Une telle pratique, qui nécessite le non-respect du
hasard ou des préjugés en chef de l’officier responsable de l’établissement de la liste (Danvers [1982] Crim. L.R. 680
et Ford [1989] 89 Cr. App. R. 278), est extrêmement rare et presque toujours sans succès (Sheppard [1773] 1 Leach
101) ; v. également aux Etats-Unis où il est interdit de récuser tous les noirs (Batson v Kentucky) ou toutes les femmes
(Taylor v Louisiana ; C. DAVIES et Ch. EDWARDS, « ‘A jury of Peers’ : a Comparative Analysis », J.Crim.L. 2004, p.
155).
804
S. LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS, l.c., p. 76 et J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., p. 266.

146
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

jurés (jury vetting).805 Cet usage fut pourtant restreint par des directives (non obligatoires) qui
minorèrent considérablement sa portée en encadrant l’accusation dans l’exercice de son droit
du stand-by.806 En particulier, celle-ci ne pourra l’exercer que si la sécurité nationale est en
cause ou que le jury semble inapte à juger. Conformément au principe crucial d’égalité des
armes, il aurait toutefois été plus logique de l’abolir en même temps que les peremptory
challenges.

148. Une autre question intéressante, sensible sur le plan politique, concerne la
corrélation entre l’abolition de la récusation péremptoire et la représentativité raciale du jury,
question à laquelle nous serons sans doute davantage confrontés à l’avenir. En dépit de
l’ancien jury de medietate linguae,807 la représentativité raciale est loin d’être acquise en droit
anglais, bien qu’une étude récente de Cheryl Thomas avance le caractère mythique de la non-
représentativité des jurés et souligne que les préjugés éventuels des jurés individuels sont
neutralisés par la collégialité de la décision.808 D’autres études, en revanche, soulignent bien
l’influence des préjugés raciaux sur le résultat du procès.809 Encouragé par ceux-ci, la défense
a parfois sollicité l’intervention du juge pour s’assurer de la présence de ‘pairs’ issus de la
même minorité ethnique que son client.810 Toutefois, vouloir garantir à tout prix la
représentativité d’une minorité ethnique sous-entend qu’un procès ne serait pas équitable si le
jury est blanc. Cela, ne risque-t-il pas d’attiser le racisme ?811 En outre, si l’on permet à des
minorités ethniques d’avoir un jury ‘racialement’ équilibré, quid des membres de certains
groupes politiques, des homosexuels, des alcooliques, voire des criminels ?812

Depuis l’affaire McCalla de 1986, la composition du jury est une tâche purement
administrative qui échappe à la discrétion du président, la défense ne pouvant choisir par
avance un jury conforme à ses souhaits.813 Plus récemment, le principe de la sélection au
hasard et sa compatibilité avec l’article 6 CESDH furent consacrés par l’arrêt Smith de
2003814. La question raciale demeure cependant problématique dans le monde judiciaire

805
S. LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS, l.c., p. 77.
806
Guidelines on the Exercise of the Right to Stand-By [1989] 88 Cr. App. R. 123.
807
Le jury de medietate linguae, constitué en moitié d’étrangers, exista jusqu’à 1870 pour les accusés étrangers (D.A.
RAMIREZ, « The Mixed Jury and the Ancient Custom of Trial by Jury De Medietate Linguae : A History and A
Proposal for Change », B.U. L.Rev. 1994, p. 777-818).
808
Ch. THOMAS, « Exposing the Myths of Jury Service », l.c., p. 419-420 et Ch. THOMAS, Diversity and Fairness in
the Justice System, o.c.
809
Pour une synthèse, v. P. DARBYSHIRE, A. MAUGHAN et A. STEWART, l.c., p. 16-20.
810
Avec succès dans l’affaire Binns [1982] Crim. L.R. 522. On voit la même problématique dans les affaires Bansal,
Bir Mahio et Singh [1985] Crim. L.R. 151 et Frazer [1987] Crim. L.R. 418.
811
Thomas et d’autres [1989] 88 Cr. App. R 370.
812
P. DARBYSHIRE, A. MAUGHAN et A. STEWART, l.c., p. 19. Pourrait-on à titre d’exemple revendiquer des jurés
« vierges au mariage » (J.-M. DUCOS, « Les délirantes requêtes de Fourniret », Le Parisien 22 janv. 2008) ?
813
McCalla [1986] Crim. L.R. 335 ; Ford [1989] 89 Cr. App. R. 278 et Q.B. 868 (J. SPRACK, Emmins on Criminal
Procedure, o.c., p. 269).
814
Smith [2003] Crim. L.R. 634, comm. D. TAUSZ et D.C. ORMEROD et 1 W.L.R. 2229.

147
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

anglais, tel que l’illustrent nombre de débats et d’études relatifs à cette question.815 La CEDH
y apporta également son écot en condamnant le Royaume-Uni dans l’affaire Sander.816
Toutefois, la proposition visant à garantir, dans certaines conditions, la présence d’au moins
trois personnes issues de la même communauté ethnique que l’accusé, reste à implémenter.817
De facto, la question demeure en suspens, telle qu’en témoigne l’affaire El Faisal de 2004 :
en autorisant un accusé soupçonné d’incitation au meurtre sur des juifs et des hindous à
exclure les jurés de confessions religieuses similaires, le juge porta atteinte au random
selection.818

b. Une (quasi)-égalité des armes en droits français et belge

149. A la différence du droit anglais, la possibilité de récuser un nombre de personnes


tirées au sort sans motifs a été maintenue dans les systèmes continentaux (art. 297-298 CPP
et art. 289 CIC819). Contrairement au ministère public et à la défense, la partie civile ne
dispose pas de ce droit820, ce qui fut déploré par une certaine doctrine ainsi que par le Comité
de réflexion sur la justice pénale au regard du principe d’égalité des parties au procès et de
l’accroissement des droits des victimes.821 Techniquement, une telle aspiration est
extrêmement difficile à concrétiser, surtout lorsque plusieurs parties civiles sont susceptibles
de collaborer avec le parquet, risquant ainsi d’altérer le principe d’égalité au préjudice de
l’accusé.822 La piste avancée par la proposition de loi française du 13 octobre 2004
concernant l’instauration, pour la partie civile, d’un tel privilège au détriment du parquet,
paraît également peu judicieuse.823 Si la victime peut en effet s’intéresser de près à l’action
815
V. également la question délicate de la discrimination opérée à l’égard d’Irlandais accusés de terrorisme, tel que
l’illustrent des erreurs judiciaires célèbres (P. DARBYSHIRE, A. MAUGHAN et A. STEWART, l.c., p. 20).
816
CEDH 9 mai 2000, Sander c. Royaume-Uni, n° 34129/96 (infra, n° 157).
817
Cette proposition a été avancée par la Commission for Racial Equality, la Commission Runciman en 1993 et par
Lord Auld en 2001 (J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., p. 269).
818
El Faisal [2004] EWCA Crim 456, cité par P. THORNTON, « Trial by Jury : 50 Years of Change », Crim. L.R. 2004,
p. 124.
819
Par cet article la nouvelle loi belge du 21 décembre 2009 inscrit les règles relatives à la composition du jury
populaire, auparavant intégrées dans le Code judiciaire (pour la récusation, art. 247 C. jud.) dans le Code d’instruction
criminelle.
820
Crim. 8 déc. 1881, Bull. crim. 256. Un juré ne peut pas non plus récuser lui-même (Crim. 26 août 1842, Bull. crim.
221). Outre sa demande éventuelle d’être excusé, il peut exclusivement solliciter de l’une des parties qu’elle prononce
une récusation à son encontre : la récusation de complaisance (Crim. 18 juill. 1907, Bull. crim. 331 ; W. ROUMIER,
o.c., p. 96, n° 169).
821
W. ROUMIER, o.c., p. 384, n° 720 et Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 40 ; contra F.
DESPREZ, « L’octroi à la partie civile d’un droit de récusation des jurés d’assises. Une proposition inopportune du
Comité de réflexion sur la justice pénale », Gaz. Pal. du 26 nov.2009, p. 3447-3451 et J. PRADEL, « Le rapport Léger
sur la justice pénale (01/01/2009) : la grande illusion », l.c., p. 548-549. Pour une analyse sur le rôle de la victime au
sein de l'instance répressive, v. A. BOTTON, « Examen de la proposition d’octroi à la victime d’un droit de récusation
des jurés d’assises », D. 2010, p. 517 et s.
822
Une solution consisterait à octroyer à l’accusé un nombre de récusations deux fois supérieur à celles dont disposent
le ministère public et la partie civile, mais cela induirait un accroissement disproportionnel du nombre de jurés à tirer
au sort pour la formation du jury de jugement (Doc.parl. Sénat, 1999-00, n° 2-282/3, p. 46-47).
823
Proposition de loi n° 24 (M. DREYFUS-SCHMIDT et M. CHARASSE) tendant à modifier certaines dispositions du code
de procédure pénale et à permettre la réparation intégrale de la victime partie civile en cas d'acquittement au bénéfice
du doute, déposée le 13 oct. 2004, www.senat.fr/leg/ppl04-024.html (art. 3).

148
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

publique, il incombe exclusivement au parquet de l’exercer dans l’intérêt général. En outre,


l’adéquation des intérêts ne s’avère pas systématique. La proposition conservait de plus les
règles actuelles relatives au nombre de récusations (art. 298 et s. CPP) : cinq pour l’accusé
(six en appel) ; quatre pour la partie civile (cinq en appel).824 Une telle inégalité, qui régit
actuellement le rapport entre l’accusé et le ministère public, est manifestement indéfendable.
A l’instar de la procédure belge, il serait préférable de pourvoir les deux protagonistes au
procès d’un nombre de récusations similaire.825

150. En ce qui concerne l’exercice de cette particularité de la procédure criminelle,


dont les règles sont prescrites sous peine de nullité826, il existe un (quasi) parallélisme
intégral entre les procédures française et belge : émanant en premier lieu de l’accusé et
ensuite du ministère public827, la récusation a lieu lors de la composition du jury, avant
l’ouverture de l’audience et la prestation du serment.828 La prononciation même est exempte
de toute formalité. Une fois exercée, la récusation est irrévocable.829 Lorsque les parties ont
épuisé leur nombre de récusations et que le jury n’est pas encore constitué, chaque nom qui
sort après de l’urne est automatiquement retenu.830 En revanche, compte tenu de la nouvelle
exigence en droit belge concernant le respect d’un certain équilibre entre les deux sexes au
jury, les parties ne peuvent plus récuser pour motif du sexe, une fois que le quota est
atteint.831

L’exercice de ce droit s’effectue dans l’indépendance absolue. Si une des parties a


épuisé son quota de récusations, elle ne peut bénéficier des récusations inutilisées par l’autre
partie.832 Il en est de même en cas de pluralité d’accusés : le nombre de récusations reste celui
dont dispose un accusé individuel (art. 298 CPP et art. 289 § 2 al. 2 CIC). Si les co-accusés

824
Ces nombres contrastent avec le système en vigueur sous l’empire de l’ancien CIC (W. ROUMIER, o.c., p. 384, n°
721).
825
Le nombre de récusations dépend de la quantité de jurés suppléants (art. 124 C. jud.) : au minimum six (Cass. 23
août 1965, Pas. 1965, I, p. 1201) et au maximum douze récusations.
826
Cass. 24 mars 1832, Pas. 1832, p. 92. Les conflits relatifs à l’exercice du droit de récusation appartiennent à la
cour qui prend à cet égard une décision motivée (Crim. 25 juin 1840, Bull. crim. 187).
827
En particulier, la récusation devrait être exercée à mesure que les noms des jurés sortent de l’urne (Cass. 25 avr.
1910, Pas. 1910, I, p. 240) et notamment avant que le nom suivant soit tiré au sort (Crim. 16 févr. 1950, Bull. crim.
62). Si elle est exercée simultanément par les deux parties, elle s’impute sur le contingent de la défense. Un tel ordre
pourrait être avantageux pour le parquet qui ‘gagne’ une récusation lorsque l’accusé a déjà écarté une personne qu’il
ne désirait pas non plus voir au banc des jurés (ce qui pourrait expliquer pourquoi le ministère public dispose en
France d’une récusation moindre que la défense). Louable semble dès lors la proposition d’inverser l’ordre de
récusation fidèle à la philosophie des droits de la défense (W. ROUMIER, o.c., p. 383, n° 718 ; v. aussi la proposition
de J. Vermassen in Doc.parl. Sénat, 1999-00, n° 2-282/3, p. 40).
828
Le président n'est pas obligé d'informer l'accusé du nombre de récusations, ni de la manière de les exercer, bien
qu'il soit d'usage de le faire (Crim. n° 95-82696, 17 janv. 1996, inéd.). En raison de l’adage « Femo censetur legem
ignorare », les éventuelles fausses informations à cet égard ne sont pas de nature à entraîner la nullité de la procédure.
829
A. VANDEPLAS, « Over de wraking van gezworenen », (note sous Cass. 30 juill. 1996), RW 1996-97, p. 1191-1192.
830
Cass. 23 août 1965, Pas. 1965, I, p. 1201.
831
Supra, n° 136.
832
Crim. 24 déc. 1813, Bull. crim. 261 ; v. aussi G. BELTJENS, o.c., p. 829, n° 11.

149
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

réussissent à se concerter833, tel que cela est présumé à défaut de déclaration contraire834,
c’est à l’avocat de l’un d’entre eux que revient l’exercice du pouvoir de récuser (art. 299 CPP
et art. 289 § 2 al. 2 CIC). Faute d’accord, le sort détermine l’ordre des récusations (art. 300
CPP et art. 289 § 2 al. 3 CIC). Que les accusés soient lésés par un nombre individuellement
moindre de récusations par rapport au parquet ne constitue ni une violation du droit de la
défense, ni de l’article 6 CESDH ou 14 du Pacte international.835

151. Afin d’être en mesure d’exercer efficacement ce droit, il est indispensable de


disposer d’un minimum d’informations. Dès lors, dans les deux systèmes et sous peine de
nullité, la liste des futurs jurés est signifiée à tous les accusés836 au plus tard l’avant-veille
(art. 282 CPP) ou quarante-huit heures (art. 241 C. jud.) avant l’ouverture des débats837. En
particulier, la défense est, sous peine de nullité, informée de l’état civil838 et de la profession
de chaque juré titulaire et supplémentaire839/suppléant. Bien évidemment, il faut que les
informations procurées soient exactes.840 Ainsi que nous le verrons ultérieurement, les
informations relatives au domicile ou à la résidence des jurés sont proscrites en France (art.
282 al. 2 CPP). En droit belge, en revanche, ces données figurent sur le formulaire des
questions adressé aux jurés (prévu par l’art. 223 C. jud.)841, qui est annexé au dossier
répressif (art. 241 C. jud.).842

A juste titre, nous pourrions nous interroger sur la possibilité de remettre en cause
l’impartialité d’un juré et de justifier dès lors sa décision de récuser si l’on ne dispose que de

833
Crim. 30 janv. 1979, Bull. crim. 46.
834
Crim. 27 avr. 1977, Bull. crim. 141.
835
Cass. 3 oct. 1989, Pas. 1990, I, p. 137.
836
Cass. 23 sept. 1864, Pas. 1865, I, p. 358.
837
Crim. 1er juin 1988, Bull. crim. 242 et Cass. 16 nov. 1988, Pas. 1989, I, p. 280 et RDPC 1989, p. 209 ; Cass. 15
mai 1996, Pas. 1996, I, p. 487. Il en va de même pour chaque révision de la liste de session (Crim. 3 oct. 1979, Bull.
crim. 270). Compte tenu de la composition du jury au moins deux jours ouvrables avant l’audience de fond, la liste de
jurés candidats devrait obligatoirement être signifiée deux jours, non avant l’ouverture des débats, mais avant
l’audience de composition du jury.
838
Crim. 25 mai 1972, Bull. crim. 170 et Crim. 17 avr. 1985, Bull. crim. 147 (omission des dates, lieux de naissance et
professions des jurés).
839
Crim. 28 nov. 1979, Bull. crim. 340.
840
Quod non en cas d’erreur sur le nom (Crim. 18 nov. 1841, Bull. crim. 328) ou sur la date de naissance (Crim. 21
janv. 1960, Bull. crim. 38). Des imprécisions quant à l’identité du juré, voire l’absence de telles informations,
n’entraînent pas la nullité quand les autres informations permettent à l’accusé d’identifier les jurés et d’exercer son
droit de récusation (Crim. 30 juin 1949, Bull. crim. 222 (âge) ; Crim. 8 mars 1977, Bull. crim. 89 (profession). Une
telle jurisprudence s’applique en droit belge (Cass. 20 juin 1934, Pas. 1934, I, p. 329) et lorsque l’absence des
informations concernant la profession de certains jurés correspond effectivement à la réalité (Crim. n° 97-80993, 10
déc. 1997, inéd.).
841
Arrêté ministériel du 19 oct. 1972 relatif à l’exécution des articles 221, 223 et 227 du Code judiciaire et notamment
ces annexes, MB 24 nov. 1972 ; Cass. 26 janv. 1970, Pas. 1970, I, p. 442.
842
L’annexe n’est pas prescrite à peine de nullité (Cass. 15 mai 1996, Pas. 1996, I, p. 487). Les jurés potentiels
doivent quand même le remplir sous peine d’amende (art. 316 CPB ; supra, note 779). Dans une affaire récente de vol
par la victime veuve des pièces du dossier d’assises, parmi lesquelles les adresses des jurés, une large protection
policière a été prévue pour protéger les jurés (X, « Ontredderde weduwe steelt assisendossier », De Standaard 12 juin
2010).

150
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

ces seules données.843 Peut-on véritablement servir l’impartialité et le droit de la défense avec
cette faculté ‘aveugle’ ?844 En outre, l’égalité entre les parties n’est pas absolue. A l’instar du
droit anglais, le ministère public dispose officieusement d’une quantité d’informations
supérieure à celle de la défense. Selon la Cour de cassation belge, son refus de communiquer
les bulletins de renseignements des jurés potentiels ne constitue pas une violation du principe
d’égalité des armes, ni du droit de la défense, ni du procès équitable.845 La défense dispose en
effet de l’exercice discrétionnaire du droit de récusation. Il s’avère en outre nécessaire de
protéger la vie personnelle des jurés potentiels.846 Pour le droit français en particulier, il s’agit
de savoir si, à la lumière de la collégialité intégrale entre la cour et les jurés, le refus de
récuser une personne n’avaliserait pas la critique de l’influence inappropriée qu’exerceraient
les juges de la cour sur la composition d’un jury avec lequel ils décident et collaborent.847

152. Jugeant ce privilège insatisfaisant, la proposition de loi belge du 25 septembre


2008, inspirée par le mouvement de réforme de la Commission d’assises, propose la
suppression intégrale de la récusation péremptoire.848 Plus audacieuse que le législateur
anglais, cette proposition concernait le ministère public et la défense. La philosophie sous-
jacente est similaire : l’usage discrétionnaire, voire arbitraire de la récusation sans motivation
sur des simples apparences. Souvent, la récusation péremptoire sert à écarter les personnes
les plus rationnelles, éclairées et intellectuelles. Le bons sens, qualité louée des citoyens-
juges, ne semble pas exister auprès de ces personnes. Leur intelligence apparaît plutôt comme
un handicap, ce qui tend à nourrir l’impression qu’on se montre aux assises hostile à toute
forme de raison et d’objectivité. La limitation quantitative du nombre de récusations et
l’éventuelle neutralisation de ses effets par la même prérogative du parquet sont à cet égard
insuffisante.849 De plus, l’absence de motif justifiant cette mise à l’écart pourrait frustrer,
voire vexer le juré qui, a priori, satisfait à toutes les conditions. Une récusation est en effet
souvent vécue comme un rejet, un échec, et cela d’autant plus qu’elle se fait en public et sans
explication.850 Malheureusement, cette proposition n’a pas trouvé de grâce aux yeux du
législateur qui maintien la récusation sans cause comme droit essentiel de la défense.

843
B. MEYER, « Récusation des jurés : comment vider un droit de sa substance ou la lui rendre… », AJpénal 2006, p.
240.
844
B. Meyer cité par F.-L. COSTE, « Récusé ! », AJpénal 2006, p. 246.
845
Cass. 31 mai 1995, Pas. 1995, I, p. 567 et R. Cass. 1996, p. 97, note F. D’HONDT ; v. également Cour ass. Brabant
12 nov. 1990, RDPC 1991, p. 282, note J.P.S et Cour ass. Brabant 19 avr. 1993, RDPC 1993, p. 912, note ; contra
Cour ass. Namur 6 oct. 1986, Journ.proc. 1986, n° 94, p. 31.
846
Un surplus d’informations dont dispose le ministère public pourrait quand même le mettre dans une situation
privilégiée dans la mesure où il pourrait s’en servir pour son réquisitoire (F. D’HONDT, l.c., p. 95-96).
847
F.-L. COSTE, l.c., p. 246.
848
Proposition de loi (Ph. MAHOUX) relative à la réforme de la cour d'assises, Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-924/1, p.
2. Pour le droit français, v. M. HUYETTE, « Quelles réformes pour la cour d’assises ? », l.c., p. 2437.
849
F. HELIE, o.c., p. 434.
850
W. ROUMIER, o.c., p. 388, n° 728.

151
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Contrairement aux propositions françaises, la loi du 21 décembre 2009 n’entend pas d’élargir
cette prérogative à la partie civile afin de ne pas rompre l’équilibre au détriment de la
défense.851 Les nouvelles conditions législatives, notamment pour exclure des personnes
manifestement incapables et des personnes ayant un certain ‘passé’ judiciaire, sont en
revanche retenues.852

2. Récusation pour cause et ses équivalents comme garde-fou d’impartialité

153. Ainsi que nous l’avons déjà avancé, la défense — et aussi la prosecution en
dehors du droit de stand-by — qui souhaite exclure une personne du jury est tenue, en droit
anglais, de prouver explicitement le bien-fondé de ce vœu853 (s. 12 (1) JA 1974) : l’incapacité
du juré prospectif, son passé pénal, son lien de parenté ou son hostilité apparente.854 Une telle
récusation n’est à la disposition des parties qu’au moment de la constitution du jury
populaire. En particulier, elle devrait obligatoirement intervenir antérieurement au serment
individuel de chacun des jurés (s. 12 (3) JA 1974).855 La pratique démontre néanmoins que la
récusation pour cause demeure souvent une faculté purement théorique. Il paraît en effet
difficile de trouver une raison valable pour exclure quelqu’un du banc du jury, ce qui
renforce encore le caractère arbitraire des récusations péremptoires. Ainsi que nous l’avons
souligné plus haut, les informations dont dispose la défense sur les candidats jurés sont très
limitées.856 La procédure américaine de voire dire en vertu de laquelle des enquêtes sur la vie
privée des jurés potentiels sont effectuées,857 n’existe pas dans une telle mesure en droit
anglais. Dans l’affaire Brownlow de 1980, Lord Denning statua comme obiter dictum que le
fait de se plonger dans la vie privée des jurés prospectifs est inconstitutionnel en raison de la
violation du droit à la vie privée et de l’essence même du jury : sa sélection par tirage au
sort.858 Afin d’éviter tout glissement vers les pratiques américaines, rares sont les cas où l’on
peut interroger les jurés sur leurs croyances et préférences pour dresser leur profil

851
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 225 et p. 96.
852
Supra, n° 142.
853
Chandler (n° 2) [1964] 2 Q.B. 322.
854
R. BUXTON, « Challenging and Discharging Jurors : part 1 », Crim. L.R. 1990, p. 228.
855
Davinder Singh Bhogal [1985] 81 Cr. App. R. 45. Si le juré a déjà commencé à prêter serment, il incombe à la
discrétion du juge de permettre ou non une récusation pour cause (Harrington [1976] 64 Cr. App. R. 1).
856
On est en principe au courant du nom et, contrairement au droit français, de l’adresse des jurés. Depuis 1973, les
informations sur la profession des jurés sont proscrites en raison des abus constatés par le Lord Chancellor (S.
LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS, l.c., p. 75 et N. BLAKE, l.c., p. 145).
857
Un telle pratique, effectuée par des avocats spécialisés (jury consultants), porte manifestement atteinte au respect
de la vie privée, ébranle le principe de random selection, favorise une justice de classe et prolonge la procédure de
manière injustifiable, tant sur le plan organisationnel que financier. Les affaires médiatisées d’O.J. Simpson et de
Michael Jackson dans lesquelles la sélection du jury a pris plusieurs semaines constituent à cet égard des illustrations
patentes. En droit anglais, il est en principe interdit de fish for information (Broderick [1970] Crim. L.R. 155).
858
Sheffield Crown Court ex p Brownlow [1980] 3 All. E.R. 444. Dans l’affaire McCann [1991] 92 Cr. App.R. 239
une telle pratique est par contre déclarée conforme au principe du tirage au sort (S. LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS,
l.c., p. 77).

152
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

psychologique. Dans l’affaire Kray par exemple, les citoyens-juges furent interrogés sur
l’éventuel impact de la publicité faite antérieurement au procès.859 En Belgique, cette
question fut abordée dans l’affaire Zarouali de 1992 dans laquelle l’avocat, craignant que son
client ne soit en butte à des préjugés raciaux, sollicita une enquête préalable pour connaître
les convictions politiques, religieuses, morales, ainsi que l’attitude générale des jurés à
l’égard d’étrangers. S’agissant d’une tentative visant à optimiser l’exercice de son privilège
péremptoire de récusation, cette requête a toutefois été rejetée par la cour d’assises.860 En
droit anglais, on reste aussi plutôt hostile aux ingérences dans la vie privée des jurés, tel
qu’en témoigne l’affaire Andrews où la requête visant à soumettre les futurs jurés à un
questionnaire fut rejetée.861 La vérification de la sincérité des réponses serait d’ailleurs
problématique.862 Un questionnaire plus général, administré sous le contrôle scrupuleux du
juge, s’avérerait sans doute davantage judicieux. Il empêcherait notamment de s’arrêter aux
premières impressions sur une personne et contribuerait à la rationalisation d’une justice où
« Thémis a pour attribut une balance, pas un dé ».863 Rien n’empêche quand même de mener
sa propre enquête afin de mieux connaître les jurés potentiels de son affaire, ce qui est sans
doute facilité par la technologie et le progrès électronique. Or, il est pratiquement impossible
de vérifier toutes les personnes retenues864, surtout dans des ressorts résidentiels où le panel
comporte plusieurs centaines d’individus. L’aide légale ne couvre en outre pas les coûts d’un
tel niveau.865

154. Pour éviter que les jurés, présents pendant tous les débats866, ne soient distraits
ou influencés par des sources extérieures, la procédure criminelle prévoit quelques garanties
particulières. En premier lieu, le procès se déroule sans interruption (art. 307 al. 1 CPP et art.
280 al. 4 CIC867). Le renvoi en continuation, possible dans d’autres procédures, est
inconvenable aux assises.868 Bien évidemment, ce principe n’est pas absolu. Une suspension
des débats est acceptable afin de permettre le repos nécessaire aux juges, aux jurés, à
l’accusé, ainsi que, depuis la loi française du 9 mars 2004 et la loi belge du 21 décembre

859
Kray [1969] 53 Cr. App. R. 412.
860
Comm. EDH 29 juin 1994, Zarouali c. Belgique, préc.
861
Andrews [1998] Crim. L.R. (1999) 156-158, note D.J.B.
862
J.L. GOBERT, l.c., p. 534-535.
863
B. MEYER, l.c., p. 242.
864
Morris [1991] 93 Cr. App. R. 102.
865
J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., p. 269-270.
866
Cass. 28 avr. 1999, Arr.Cass. 1999, p. 586.
867
Cass. 11 sept. 1996, Pas. 1996, I, p. 786. Cet article ne s’applique pourtant qu’à partir de l’ouverture des débats, ce
qui n’aura lieu qu’après la constitution du jury, jusqu’à leur déclaration (R. DECLERCQ, o.c., p. 1011, n° 2251et p.
1013, n° 2253). En Belgique, il ne s’applique dès lors pas à la procédure relative à la détermination de la peine (Cass.
4 févr. 1986, Pas. 1986, I, p. 677 et RW 1986-87, p. 583, note A. VANDEPLAS).
868
Les débats ne peuvent pas être arrêtés avant l’examen intégral de l’affaire. Il est donc impossible de commencer
l’examen d’une autre affaire pour revenir ensuite à celui de la première (Crim. 14 déc. 1977, Bull. crim. 397 ; H.
ANGEVIN, o.c., p. 186, n° 512).

153
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

2009, à la partie civile (art. 307 al. 2 CPP et art. 280 in fine CIC)869. La continuité des débats
n’empêche pas non plus, sans atteinte au droit à un procès équitable, que les jurés rentrent
chez eux le soir pour le repos nocturne.870 Le droit anglais a plus récemment rejoint le
système continental sur ce point (art. 13 JA 1974, modifié par s. 43 CJPOA 1994 (en vigueur
le 3 févr. 1995).871

En second lieu, le serment qui scelle la formation du jury sert à assurer l’impartialité
des jurés.872 Selon Faustin Hélie, « c’est le serment qui fait le juré »873, il lui donne son nom
et son pouvoir, et seuls des motifs sérieusement établis peuvent le remettre en cause.874 Selon
une formule devenue plus ‘garantiste’ en droit français — avec depuis la loi du 15 juin 2000,
une meilleure prise en compte de la victime ainsi qu’une attention particulière accordée par le
texte français au principe de la présomption d’innocence et au secret de la délibération — et
plus rationnelle en droit belge — ajoutant explicitement depuis la loi du 21 décembre 2009
l’obligation de décider, non plus « suivant votre conscience et votre intime conviction » mais
« d’après les preuves » —, les jurés français et belges sont censés jurer de décider avec
l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre (art. 304 CPP et art.
290 CIC). La mise en œuvre de cette formalité substantielle875, accomplie avant l’ouverture
des débats876 et l’entrée en fonction, n’est toutefois pas toujours évidente en pratique. En
effet, bien qu’il s’agisse d’un engagement moral comme « promesse de garder leur
conscience ouverte jusqu’à la clôture des débats »,877 le serment ne garantit pas toujours
l’impartialité des citoyens appelés à remplir temporairement la fonction du juge.878 D’une

869
En droit français, il est permis de statuer sur une demande de mise en liberté d’un accusé impliqué dans une autre
affaire dans l’intervalle entre la suspension de la procédure et la reprise de l’audience (148-1 CPP ; Crim. 7 déc. 1988,
Bull. crim. 415). Le moment (Crim. 27 févr. 1985, Bull. crim. 96) et la durée des suspensions (Crim. 14 déc. 1977,
Bull. crim. 397 et Crim. n° de 99-85.684, 19 avr. 2000, inéd.) sont souverainement et sans obligation de motivation
déterminés par le président de la cour d’assises. Des débats ayant duré une nuit entière pendant 17h15 consécutives,
privent cependant les accusés, défenseurs et jurés du repos nécessaire et portent atteinte au droit de la défense et
l’égalité des armes (CEDH 19 oct. 2004, Makhfi c. France, n° 59335/00, § 38-42, D. 2005, p. 472, note D. ROETS).
D’autres motifs sont par exemple la fatigue d’un témoin (Crim. 27 févr. 1985, Bull. crim. 96) ou la prise de
connaissance des pièces nouvelles versées aux débats (Crim. 16 oct. 1974, Bull. crim. 296). Pour le droit belge, v.
Cass. 30 janv. 2001, Pas. 2001, p. 192 et Cass. 15 déc. 2004, JT 2004, p. 4, note, FC 2006, p. 44, concl. M.P. et
RDPC 2005, p. 331, concl. R. LOOP.
870
Cass. 4 févr. 1992, Pas. 1992, I, p. 491. Il est également possible que des mesures d’enquête supplémentaires
soient nécessaires afin de résoudre des difficultés surgies en cours d’audience.
871
La nécessité de séquestrer les jurés dans un hôtel lorsqu’ils ne réussissent pas à rendre un verdict appartient à la
souveraineté de la cour. Dans ce cas, le juge doit instruire le jury que leur délibération ne peut pas continuer à l’hôtel
(Tharakan [1995] 2 Cr. App. R. 368 et Young [1995] Q.B. 324).
872
Ainsi que des jurés supplémentaires (Crim. 30 oct. 1974, Bull. crim. 309 et RSC 1975, p. 432, obs. J. ROBERT). Le
défaut de constatation du serment de ces derniers ne porte pas atteinte au droit de la défense lorsqu’ils n’ont pas été
appelés à remplacer des titulaires empêchés (H. ANGEVIN, o.c., p. 86, n° 231). Pour le droit belge, v. Cass. 12 juin
1973, Pas. 1973, I, p. 948.
873
Cité par F.-L. COSTE, l.c., p. 246.
874
F.-L. COSTE, l.c., p. 246-247.
875
Crim. 4 juin 1982, Bull. crim. 148.
876
Crim. 1er juin 1983, Bull. crim. 167.
877
W. ROUMIER, o.c., p. 393-394, n° 735.
878
V. toutefois Cass. 4 févr 1992, Pas. 1992, I, p. 491.

154
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

part, il ne peut pas empêcher qu’une cause d’incompatibilité879 entravant l’impartialité


objective ou subjective d’un juré ne se révèle qu’après la prestation du serment et la
formation du jury.880 D’autre part, il est possible que l’un des jurés se comporte de manière
inappropriée ou fasse une intervention malheureuse lors du déroulement des débats pouvant
trahir son opinion sur la culpabilité de l’accusé, ce qui le rendrait alors inapte à juger. Quels
moyens sont dès lors susceptibles d’être mis en œuvre pour remédier à ces écueils, que ce
soit pendant les débats ou lors de la délibération ?

155. En droit belge, une récusation motivée pourrait intervenir en vertu des causes
énoncées à l’article 828 du Code judiciaire, celui-ci étant d’application intégrale en matière
pénale (art. 2 CIC). Cette disposition ne limite pas son application aux juges professionnels,
mais concerne également les jurés d’assises, tant lors de la formation du jury que pendant le
déroulement de la procédure.881 Lorsque survient, pendant les débats, une défaillance aux
exigences découlant du serment882 ou une cause objective ou subjective mettant en doute
l’impartialité de l’un des jurés, la cour se prononce souverainement sur la décision d’écarter
le juré mis en cause. Ainsi, dans l’affaire Dutroux, un juré, usant de son droit de poser une
question, demanda à un témoin s’il estimait que l’accusé avait des remords, tout en précisant
qu’il n’en avait pas l’impression. Une telle assertion malheureuse confortait bien la crainte de
préjugés du juré en question.883 Un autre exemple concerne une carte de visite donnée par un
juré à l’avocat de la défense lors de la suspension des débats en disant « good luck » et
« merci pour les clins d’œil ». Aux yeux de la Cour de cassation, celui-ci ne pouvait plus être
considéré comme impartial au sens de l'article 6-1 CESDH.884

En droit français existe une disposition similaire à celle énoncée à l’article 828 du
Code judiciaire belge. L’article 668 du Code de procédure pénale énumère les cas où il est

879
Pensons au juré qui avoue en cours de la délibération qu’il ne sait ni lire ni écrire (Crim. 3 avr. 1991, Bull. crim.
154).
880
Ces notions relèvent de la jurisprudence de Strasbourg (CEDH 1er oct. 1982, Piersack c. Belgique, n° 8692/79, § 28
et s ; CEDH 24 févr. 1993, Fey c. Autriche, n° 14396/88, § 28 et CEDH 31 juill. 2007, Ekeberg et autres c. Forvège,
n° 11106/04, § 31 et s.). Elles doivent être jugées de manière concrète (CEDH, Pullar c. Royaume-Uni préc., § 30 et
s.) et s’appliquent comme composants essentiels du droit à un procès équitable garanti par l’art. 6 CESDH également
aux jurés d’assises (CEDH 25 nov. 1993, Holm c. Suède, n° 14191/88, § 31 ; CEDH, Pullar c. Royaume-Uni préc., §
29 ; CEDH, Gregory c. Royaume-Uni préc., § 43 et CEDH, Ekeberg et autres c. Forvège, préc., § 31). En particulier,
l’on opère une distinction entre une démarche objective visant à savoir si le juge offre des garanties suffisantes pour
exclure tout doute légitime et une démarche subjective qui tâche de déterminer les convictions intimes d’un juge en
telle circonstance (CEDH, Piersack c. Belgique, préc., § 30). L’impartialité subjective est présumée jusqu’à preuve du
contraire ; v. aussi la décision récente de la Cour de cassation belge relative à la place du procureur général dans les
prétoires d’assises et à sa robe de couleurs identiques à celui du président (Cass. RG P.10.0119.N, 27 avr. 2010).
881
B. MAES, Inleiding tot het burgerlijk procesrecht, Bruges, Die Keure, 2006, p. 189.
882
Cass. 16 juin 2004, JLMB 2004, p. 1137, RDPC 2005, p. 106 et T.Strafr. 2005, p. 277, note S. VANDROMME.
883
Finalement, c’était pourtant la menace du juré en question de se suicider après une éventuelle récusation qui a
conduit à son remplacement (La Libre, 13 mai 2004).
884
Cass. 16 oct 1984, Pas. 1985, I, p. 243. Le fait que les jurés puissent circuler librement pendant une suspension
n’implique pas nécessairement qu’ils cherchent à communiquer intentionnellement avec des tiers sur la cause même
(Cass. 30 janv. 2001, Pas. 2001, p. 192).

155
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

possible de demander qu’un magistrat s’abstienne de siéger s’il semble partial.885 Toutefois,
cet article ne s’applique qu’aux magistrats de carrière, le Code d’instruction criminelle
n’ayant retenu que la récusation sans motifs.886 Outre les considérations pragmatiques et
fonctionnelles887, l’on craignait notamment qu’en cas de refus d’une récusation motivée, le
juré soit rancunier et ne vote plus au regard des preuves et de son intime conviction : « de
garantie d’impartialité, la procédure de récusation motivée se [transformerait] en cas de
rejet de la demande, en quasi garantie de partialité ».888 La récusation péremptoire, en
revanche, « atténue autant que possible les blessures […] et du moins il n’en laisse subsister
aucune trace ».889 A cet égard, il importe de rappeler que le droit français énonce des
conditions légales d’aptitude plus élaborées que celles du droit belge : citons à titre
d’exemple l’existence d’un lien de parenté entre l’une des parties et un juré.

156. Mais quid si la cause de partialité ne se révèle qu’après la formation du jury ?


Pour garantir l’impartialité des jurés pendant les débats, le droit français a établi une
interdiction de manifester son opinion (art. 311 al. 2 CPP). Cette disposition généra une
jurisprudence abondante de la Cour de cassation, tant sur le moment de la manifestation de
l’opinion, que sur sa portée.890 Le juré qui donne prématurément, après la constitution du
jury,891 son opinion sur l’affaire en cause, doit être écarté.892 En effet, une opinion ne peut
être manifestée qu’à l’intérieure de la salle de délibération.893 En ce qui concerne la portée, il
doit s’agir des paroles, écrits et gestes qui traduisent un parti pris ou une opinion
prématurément arrêtée au fond sur la culpabilité de l’accusé.894 Les applaudissements d’un
juré après le réquisitoire du ministère public en constituent un exemple.895 Par contre, le fait
de poser une question visant à élucider un point n’est pas en soi une manifestation illicite de
son opinion.896 Comme en droit belge, l’appréciation de cette ‘preuve’ de partialité appartient
à la cour d’assises, soit d’office (constaté au procès-verbal des débats), soit sur demande des

885
B. MEYER, l.c., p. 238.
886
Sous la règne des lois du 16 et 29 septembre 1791, le système français combinait la récusation péremptoire alors
restreinte à vingt noms et la récusation pour cause qui s’avérait illimitée (Titre XI, art. 9 à 11, Duvergier, tome III, p.
344 ; Ch. NOUGUIER, o.c., p. 710). V. également Remli c. France préc., § 34.
887
W. ROUMIER, o.c., p. 386-387, n° 725.
888
D. Roets, cité par W. ROUMIER, o.c., p. 386, n° 725.
889
F. HELIE, o.c., p. 434, n° 4758.
890
Pour une analyse approfondie, v. W. ROUMIER, o.c., p. 395-402, n° 739-760.
891
Lorsqu’une opinion est exprimée avant la formation du jury, telle que l’intention de condamner quels que soient les
débats, il convient que les parties interviennent par leur privilège de récusation péremptoire. La période comprise
entre la formation du jury et la prestation du serment n’est cependant pas couverte (W. ROUMIER, o.c., p. 396, n° 742).
892
Crim. 4 nov. 1958, Bull. crim. 663.
893
Crim. 21 juin 1923, Bull. crim. 240 et Crim. 23 mars 1939, Bull. crim. 63.
894
Crim. 16 janv. 1873, Bull. crim. 14. Une simple correction matérielle ne suffit pas.
895
Crim. 29 août 1912, Bull. crim. 468.
896
Crim. 20 déc. 1967, Bull. crim. 337 et RSC 1968, p. 653, obs. J. ROBERT ; Crim. 31 janv. 1996, Bull. crim. 56 et
Crim. 28 janv. 1998, Bull. crim. 34 et Dr. pén. 1998, comm. 57, p. 18, note A. MARON.

156
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

parties (arrêt de donner acte, art. 313 à 315 CPP), et sous contrôle de la Cour de cassation.897
Compte tenu de l’impossibilité française de récuser pour cause les jurés, ces modes de
preuves sont primordiales.898 Lorsqu’elle constate une violation de l’exigence d’impartialité
avant le verdict, la cour d’assises n’a, pour éviter l’interruption de la procédure, d’autre
solution que d’ordonner immédiatement le remplacement du juré en cause par un juré
supplémentaire899 ou de renvoyer à défaut l’affaire à la prochaine session.900 Cette solution
s’impose également en cas d’empêchement d’un des jurés effectifs. En droit continental en
effet, il s’avère impossible de continuer lorsque le nombre de jurés est inférieur à celui
qu’impose la loi. Ce remplacement peut même avoir lieu pendant la délibération, sachant que
le juré supplémentaire/suppléant a assisté à tous les débats.901

En droit anglais et une fois le jury constitué, il appartient uniquement au juge de la


Crown Court d’écarter un juré (s. 13 et 16 (1) JA 1974).902 Les raisons ne sont pas définies
législativement, mais une décharge est uniquement possible en cas de nécessité patente.903
Une distinction s’opère entre les irrégularités qui précèdent la retraite dans la salle de
délibération et les préjudices qui lui succèdent. Avant la retraite, le juge pourrait dispenser un
juré non seulement en raison du décès d’un proche, d’une maladie, mais également au motif
d’une incapacité quelconque l’empêchant de rendre un verdict impartial et juste ou d’une
conduite manifestement inappropriée.904 Nous pouvons penser à celui qui fait des mots
croisés905 ou s’endort pendant les débats906. L’exclusion s’avère aussi nécessaire à l’égard du
juré qui télécharge des informations sur internet afin de les utiliser dans la salle de

897
W. ROUMIER, o.c., p. 407 et s., n° 772.
898
Crim. 14 janv. 1988, Bull. crim. 20 et D. 1988, p. 206, note H. ANGEVIN.
899
Crim. 4 nov. 1958, Bull. crim. 663 et Cass. 14 févr. 1977, Arr.Cass. 1977, p. 657. Contrairement à la jurisprudence
antérieure selon laquelle la défaillance de l’un des jurés altérait de manière corollaire l’impartialité de ses homologues
et nécessitait l’annulation des débats et le renvoi à une autre session (Crim. 18 janv. 1855, Bull. crim. 13), la Cour de
cassation ne vise à l’heure actuelle que le juré soupçonné d’avoir manifesté son opinion (Crim. 28 févr. 1952, Bull.
crim. 64 et S. 1953, I, p. 81, note L. HUGUENEY). Le président demande aux autres de faire abstraction de ce qu’ils ont
entendu (W. ROUMIER, o.c., p. 408, n° 774).
900
Crim. 29 août 1912, Bull. crim. 468. Ainsi le remplacement avait été proclamé à l’égard d’un juré qui avait voulu
remettre au conseil de l'accusé un pli non cacheté, sur lequel était écrit « rien est impossible à Dieu » (Crim. n° 06-
81.286, 4 avr. 2007, inéd.).
901
Cass. 22 mars 1995, Pas. 1995, p. 342 et R.Cass. 1995, p. 278, note F. D’HONDT. Le nouvel art. 328 al. 4 et 5 CIC
interdit à cet égard aux jurés suppléants de communiquer avec d’autres personnes sous peine d’amende.
902
Une récusation pour cause est uniquement possible lors de la sélection des jurés (Morris [1991] 93 Cr. App. R.
102).
903
Hambery [1977] Q.B. 924 (voyage que le juré ne pouvait/voulait pas ajourner).
904
Richardson [1979] 1 W.L.R. 1316 (mort d’un proche). Il s’agit par exemple d’une dépendance alcoolique ou aux
psychotropes (s. 20 JA 1974). D’autres exemples concernent le cas où un juré communique avec un tiers ou demande
la date de naissance de l’accusé pour établir son profil astrologique. Un simple contact n’est pourtant pas suffisant. Il
faut prouver au moins la tentative de passer des informations (Prime [1973] 57 Cr. App. R. 632).
905
The Times, 4 janv. 1980, p. 286.
906
Pour le droit français, v. Crim. 27 août 1903, Bull. crim. 323.

157
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

délibération907 ou de celui qui, par le biais d’un sondage d’opinion sur Facebook, demande
du conseil à ses amis pour la prise de la décision.908 Ainsi que le démontre l’affaire Marshall
de 2007, il incombe au président, avant le commencement du procès, d’avertir les jurés qu’ils
doivent se décider sur la base des preuves présentées à l’audience, ne doivent pas discuter de
l’affaire avec les tiers ou leur famille ou mener leur propre enquête, par exemple par le biais
d’internet.909 Dans la mesure où, contrairement aux droits français et belge, il n’y a en
Angleterre pas de jurés supplémentaires, le jury peut légalement continuer avec neuf jurés
sans que son fonctionnement soit bloqué (s. 16 (1) JA 1974). Si plus de trois jurés s’avèrent
défaillants, il faut néanmoins décharger le jury entier.910 Une telle conséquence pourrait
également, mais pas nécessairement, s’imposer lorsque des preuves inadmissibles sont
révélées au détriment de l’accusé.911 Nous démontrerons ultérieurement que la discrétion du
juge est intégralement consacrée sur ce point.912 En outre, lorsqu’un juré fait preuve de
partialité, il convient de savoir si ses collègues n’ont pas été ‘contaminés’ et s’il s’avère
nécessaire de décharger le jury entier.913 Il faut notamment examiner si une personne
raisonnable, ayant considéré les faits imputés à l’accusé, conclurait qu’il y a une possibilité
ou un danger réel que le tribunal soit partial.914 Le test pour décharger un juré individuel
consiste à savoir si la présence du juré en question pourrait priver l’accusé d’une délibération
équitable.915

157. Lorsqu’il n’est question de bias qu’après la retraite dans la salle de délibération,
il faut se conformer à la nécessité de se décider sans désemparer et de préserver le secret de la
délibération916. Celui qui a quitté la salle de délibération pour utiliser un téléphone public
porte atteinte à ces principes.917 La cour d’appel considéra qu’il convenait alors de décharger
le jury entier afin d’éviter des spéculations sur ce qui s’était passé, nonobstant l’ignorance

907
Karakaya [2005] Crim. L.R. 574, comm. D. TAUSZ et N.W. TAYLOR ; contra Marshall & Crump [2007] Crim.
L.R. 562, comm. N.W. TAYLOR et J.Crim.L. 2007, 396, comm. A. JAMES. Le même vaut à l’égard de celui qui a visité
à propre initiative l’endroit de l’infraction (Davis [2001] 1 Cr. App. R. 115).
908
U. KHAN, « Juror dismissed from a trial after using Facebook to help make a decision », The Telegraph 24 nov.
2008.
909
Marshall [2007] EWCA Crim 35. Toutefois, un tel avertissement peut aussi induire un effet contre-productif.
910
s. 16 (1) JA 1974 (J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., p. 273-275).
911
Dans l’affaire Weaver [1967] 51 Cr. App. R. 77, un policier avait révélé le passé judiciaire de l’accusé sans y être
autorisé. Le juge n’avait toutefois pas déchargé le jury, ce qui fut consacré par la cour d’appel dans la mesure où la
défense était elle-même responsable pour cette ‘révélation’ et le juge avait minimisé le degré de préjudice dans son
summing-up. V. également Lawson [2007] 1 Cr. App. R. 277.
912
Hood [1968] 52 Cr. App. R. 265 et Azam [2006] Crim. L.R. 776-780, comm. D.C. ORMEROD.
913
Spencer [1987] A.C. 128.
914
Gough [1993] A.C. 646 ; Re Medicaments and Related Classes of Goods [2001] 1 W.L.R. 700 ; v. également
Morrison [2009] EWCA Crim 1457.
915
S [2009] EWCA Crim 104 et F [2009] EWCA Crim 805.
916
Thompson [1962] 1 All E.R. 65 et Schofield [1993] Crim. L.R. 217.
917
Goodson [1975] 1 W.L.R. 549. Ces principes ne sont toutefois pas d’interprétation stricte. Bien évidemment, il est
possible d’aller aux toilettes sous l’accompagnement de l’huissier. Ce dernier doit s’abstenir des remarques qui
pourraient informer le juré du casier judiciaire de l’accusé (Brandon [1969] 53 Cr. App. R. 466).

158
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

des jurés des conversations effectuées.918 Dans le même ordre d’idées, personne ne peut
entrer dans la salle de délibération919 et, outre les communications routinières, aucune parole
ne doit être échangée entre les jurés et l’usher (huissier).920 La même règle s’applique
également en droit belge où les jurés, à l’instar de leurs homologues anglais, se prononcent
seuls sur la culpabilité. A cet égard, la Cour de cassation sanctionna à juste titre le rejet d’une
demande de récusation du banc entier du jury921 suivant les termes de l’article 828 du Code
judiciaire dans une affaire où le président de la cour d’assises, méconnaissant l’article 328
alinéa 2 (ancien art. 343 al. 2) du Code d’instruction criminelle922, s’était introduit dans la
salle de délibération des jurés. Cette intervention ayant lieu en l’absence des parties, le jury
ne pouvait plus être considéré comme un tribunal impartial. En France, ce problème ne se
pose pas avec la même envergure compte tenu de la présence de professionnels dans la salle
de délibération. Que la salle de délibération des jurés soit considérée comme un lieu privé
(art. 226-1 et s. CPF), « c’est-à-dire un lieu où quiconque ne peut pénétrer ou accéder sans le
consentement de l’occupant », en l’occurrence le président de la cour d’assises, découle d’un
récent arrêt de la Cour de cassation. Le fait de filmer les reflets des membres du jury en
pleine délibération et en permettant l’identification de certains d’entre eux, constitue une
atteinte à la vie privée.923

En ce qui concerne le pouvoir dont dispose le juge pour remédier aux irrégularités, le
domaine du racisme procure une mine jurisprudentielle intéressante. L’émergence
problématique de préjugés raciaux lors de la délibération fut notamment soulevée par les
affaires Gregory c. Royaume-Uni de 1997 et Sander c Royaume-Uni de 2001.924 Dans ces
deux affaires, le président de la Crown Court, informé par l’un des jurés des préjugés raciaux
perçus chez l’un ou certains de ses collègues lors de la délibération925, avait refusé de
démissionner les jurés de leur fonction. Il avait suffit de leur rappeler la nécessité de rendre

918
Généralement, il semble difficile de savoir si le juré a également influencé ses homologues sans violer le secret de
la délibération. En cas de doute, mieux vaut décharger le jury entier (R. BUXTON, l.c. part 2, p. 291).
919
Une exception avait été faite dans l’ancienne affaire Fewton 1849 où un médecin pouvait entrer dans la salle de
délibération en cas de maladie d’un juré (affaire citée par R. BUXTON, l.c. part 2, p. 290). La délibération française se
déroule également sans présence d’un greffier (Crim. 25 avr. 1968, Bull. crim. 123).
920
Brandon [1969] 53 Cr. App. R. 466 ; Lamb [1974] 59 Cr. App. R. 196 : des explications sur des questions de droit
doivent être données publiquement dans la salle d’audience avant le prononcé du verdict.
921
Cass. 13 févr. 2007, T.Strafr. 2007, p. 315, note ; v. également F. EVERS, « Justitie onterecht weer in slecht
daglicht [Voorzitter hof van assisen mag zich tijdens het proces, zonder de aanwezigheid van de verdediging, niet
onderhouden met de jury] », Juristenkrant 2007, n° 144, p. 4.
922
« Ful n'y pourra entrer pendant la délibération, pour quelque cause que ce soit, sans une autorisation écrite du
président. Celui-ci ne devra y pénétrer que s'il est appelé par le chef du jury et accompagné (de ses assesseurs) de
l'accusé et de son défenseur, de la partie civile et de son conseil, du ministère public et du greffier. […] ».
923
Crim. 16 févr. 2010, D. Actualité 18 mars 2010, obs. S. REVEL.
924
CEDH 25 févr. 1997, Gregory c. Royaume-Uni, n° 22299/93 et CEDH 9 mai 2000, Sander c. Royaume-Uni, n°
34129/96 et [2000] Crim. L.R. 767.
925
Pour une comparaison, v. P. ROBERTSHAW, « Responding to Bias Among Jurors », J.Crim.L. 2002, p. 84-96.

159
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

un verdict impartial étayé sur les preuves.926 Cette intervention, valorisée par la Cour
européenne dans l’affaire Gregory, fut toutefois condamnée dans l’affaire Sander. Ces deux
affaires se distinguent à un double égard. D’un côté, dans l’affaire Sander, la défense a
clairement demandé au président, contrairement à l’affaire Gregory, de congédier le jury au
motif qu'il y avait un réel danger de parti pris. De l’autre côté, dans l’affaire Sander un juré
avait en effet avoué au juge avoir proféré des blagues raciales.927 Si cela ne prouve pas en soi
que le juré en question nourrissait un réel préjugé à l'encontre du requérant, la note
‘dénonciatrice’ transmise au président par un autre juré n’était pas conciliable avec la
réfutation collégiale du préjugé racial, cosignée par le juré rapporteur. D'une manière
générale, la Cour estime que « des avertissements ou instructions prononcés par un juge,
aussi clairs, détaillés et énergiques soient-ils, ne peuvent modifier des opinions racistes du
jour au lendemain ». Une démission du jury entier aurait été préférable au regard de l’article
6 CESDH, ce qui prouve que dans certains cas une intervention du juge s’avère encore
possible lorsque le verdict n’a pas été rendu. Si un juré s’interroge pendant le procès sur
l’impartialité d’un ou plusieurs homologues, il peut dès lors légitimement exprimer ses
doutes928, à condition qu’il les communique à la bonne instance929. L’étude de Cheryl
Thomas, démontre toutefois que 48% des jurés interrogés ne sont pas au courant de cette
possibilité.930

Postérieurement au verdict, une telle intervention semble peu compatible avec le


secret de la délibération explicitement traduit en droit anglais aussi bien par une règle de
common law que par l’article 8 du Contempt of Court Act de 1981931, qui proscrit la
révélation de ce qui se passe dans la salle de délibération.932 A titre exceptionnel, cette règle
pourrait être adoucie, notamment lorsque le jury ne parvient pas à obtenir un accord sur le
verdict933, ne délibère pas et substitue la ration par la chance en décidant à pile ou face934 ou

926
V. également Momodou et d’autres [2005] J.Crim.L. 19, comm. L. McGOWAN.
927
P. ROBERTSHAW, l.c., p. 88-89.
928
Cela est même encouragé par la Practice Direction « Crown Court : Guidance to Jurors » (2004, 1 W.L.R 665) ; v.
aussi Mirza & Connor [2004] Crim. L.R. 921, comm. D.C. ORMEROD et R. PERCIVAL et Crim. L.R. 1041, comm. C.
BARSBY et A.J. ASHWORTH et Smith & Mercieca [2005] Crim. L.R. 476, comm. N.W. TAYLOR et T. REES dans
laquelle la House of Lords déclare qu’elle pourrait valider la solution du juge de donner une instruction ferme aux
jurés de suivre ses instructions sur le droit au lieu de les décharger, à condition que cette instruction soit suffisamment
compréhensible, quod non in casu.
929
La note d’un juré adressée après le verdict à la mère de l’accusé pour l’informer des irrégularités lors de la
délibération, ne peut constituer qu’une contempt of court (s. 8 Contempt of Court Act de 1980) ; a contrario si elle
était adressée à la Crown Court, à l’huissier ou à la cour d’appel (Attorney General v Scotcher [2005] 1 W.L.R. 1867).
930
Ch. THOMAS, Are Juries Fair ?, o.c., p. 39.
931
Infra, n° 202.
932
En droit français, aucune pièce ne peut révéler ce qui se passe dans la salle de délibération (Crim. 22 juin 1988,
Bull. crim. 285).
933
Gorman [1987] 2 All E.R. 435.
934
Vaise v Delaval de 1785, cité par K. QUINN, « Jury Bias and the European Convention on Human Rights : a Well-
Kept Secret », Crim. L.R. 2004, p. 1008.

160
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

en usant d’un ouija board935, ou lorsque la décision du jury a été affectée par des éléments
extérieurs936. En dehors de ces cas, l’impartialité du jury est présumée et, conformément à la
jurisprudence actuelle, la porte de la salle de délibération reste définitivement close937. Ainsi,
la cour d’appel n’est pas intervenue dans l’affaire Alexander et Steen où le chef du jury
envoya, post verdict, une bouteille de champagne à l’avocat de la prosecution en y adjoignant
le message : « what does a lady need to do to attract your attention ? ». La cour d’appel
considéra en l’occurrence qu’il n’y avait pas de danger réel de partialité du jury.938 Aux yeux
de Lord Steyn, l’effet d’une telle règle absolue, consiste en la protection, pour 1% des
affaires traitées par le jury, de l’efficacité du système plutôt qu’en l’évitement de l’erreur
judiciaire. Il serait choquant, énonce-t-il, si la CEDH considérait qu’une erreur judiciaire peut
être ignorée dans l’intérêt de la justice.939 Il est inévitable qu’un juré amène au banc ses
propres a priori940, mais les préjugés des différents citoyens-juges et leur poids dans la
délibération s’avèrent difficilement quantifiables à l’heure actuelle. Certes, le mystère qui
nimbe la délibération et le verdict des jurés relève du besoin de promouvoir une discussion
libre et franche préservant l’intégrité du procès pénal et la confiance accordée à la justice.941
Il est bien évident qu’un bon juge devrait être en mesure d’exprimer son opinion en toute
indépendance, sans craindre la critique ou les intimidations, surtout dans des affaires
émotives.942 Il convient d’ailleurs de veiller au respect du caractère définitif du verdict et
d’empêcher à refaire le procès en public sur la base des preuves émanant des jurés. Toutefois,
ce caractère définitif fut déjà mis entre parenthèses par la modification des règles de double
jeopardy (s. 54-57 CPIA 1996)943, ainsi que par la possibilité de réexaminer des affaires
sérieuses (partie 10 CJA 2003)944. En outre, il s’agit de savoir si l’ignorance bonifie
davantage la confiance.945 Or, ne convient-il pas de protéger les jurés de l’extérieur, mais
également des éventuels coups de force de leurs collègues dans l’enceinte de la salle de
délibération ? La liberté d’un homme étant en cause, l’injustice ne peut être le prix à payer
pour protéger la délibération en catimini. En revanche, le jury pourrait-il encore fonctionner
935
Young [1995] Q.B. 324. Dans cette affaire, un examen était possible dans la mesure où les jurés se trouvaient
séquestrés dans un hôtel, ce qui témoigne de l’interprétation stricte de la salle de délibération.
936
Brandon [1969] 53 Cr. App. R. 466.
937
De la longue tradition de cette jurisprudence témoigne l’affaire Ellis v Deheer [1922] 2 K.B. 113.
938
Alexander et Steen [2004] EWCA Crim 2341 ; v. antérieurement et dans le même sens, Cunningham [2003]
EWCA Crim 1769.
939
Lord Steyn, cité par G. DALY, « Jury Secrecy : R v Mirza ; R v Connor and Rollock », Int’l J. Evidence & Proof
2004, p. 189.
940
C. ELLIOT et F. QUINN, o.c., p. 208-209.
941
Attorney-General v Scotcher [2005] 2 Cr. App. R. 35 (P. THORNTON, l.c., p. 689). La condamnation du jury de
contempt of court a toutefois été retenue (P. DARBYSHIRE, o.c., p. 521).
942
Attorney-General v Associated Fewspapers & d’autres [1993] 2 All E.R. 535.
943
Infra, n° 352 (N. HARALAMBOUS, « Investigation Impropriety in Jury Deliberations : A Recipe for Disaster ? »,
J.Crim.L. 2004, p. 415).
944
L. McGOWAN, « Trial by Jury - Still a Lamp in the Dark ? », p. 522-523.
945
L. McGOWAN, l.c., p. 520.

161
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

de manière efficiente si l’on autorise une exception au secret, par exemple lorsqu’il y a un
risque réel de préjudice contraire à l’article 6 CESDH ? Mais où situer alors la frontière ?946
De plus, l’abandon du secret ne conduit-il pas à une « injustice not only being done, but also
being seen to be done » ?947 Ne serait-il pas plus simple d’envisager des solutions externes
plus radicales, surtout lorsque le risque d’intimidation s’avère extrêmement imminent ?

§ 2 — SOLUTIOFS EXTERFES SURABOFDAFTES : LA DIFFICILE EFTEFTE EFTRE


SPECIALISATIOF ET EGALITE

158. Dans certains domaines spécifiques, la procédure de sélection et la possibilité de


décharger des jurés semblent aux yeux du législateur des armes impuissantes pour assurer le
traitement efficace et serein de l’affaire en cause. Particulièrement en matière de terrorisme,
l’intimidation d’un ou de plusieurs jurés risque de paralyser le fonctionnement de la cour
d'assises ordinaire948 : soit le jury ne parvient pas à être constitué, soit l’affaire se clôture avec
un acquittement pervers. Dans une société close, telle que l’Irlande du Nord — un des quatre
composants du Royaume-Uni qui entre, pour cette raison, dans le champ d’étude du droit
anglais —, il n’est en effet pas imaginaire que les jurés partagent les mêmes antagonismes
idéologiques, politiques ou religieux que les organisations terroristes — ce qui conforte la
maxime ‘jugement par des pairs’ dans son sens littéral949 — ; ou, à l’inverse, que les jurés,
éprouvant des sentiments de haine, vengeance, paranoïa ou ayant peur d’être ultérieurement
victime d’attaques, basculent vers une sévérité excessive.

Particulièrement confrontées à ce phénomène déstabilisant, la France et l’Irlande du


Nord eurent recours à des mesures radicales illustrant l’érosion du jury et corrélativement la
recherche de spécialisation. Mais y a-t-il des preuves empiriques témoignant de
l’ébranlement de la juridiction ordinaire ? Ou s’agit-il d’une « législation de panique » (A —
Recours à la spécialisation en réponse à une menace supposée) ? N’aurait-il pas été suffisant
d’envisager, à l’instar de la Grande-Bretagne et de la Belgique, des alternatives seulement
lorsqu’il s’avère impossible de constituer un jury ou qu’une intimidation réelle des jurés est
avérée (B — Recours à des mesures ponctuelles en réponse à une menace démontrée) ?

946
J. MORTON, « Inside the Juryroom », J.Crim.L. 2004, p. 1-3.
947
K. QUINN, o.c., p. 1014.
948
J. LIMOUZY, Rapport n° 202 (1985-86) relatif au projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à
la sûreté de l’Etat, fait au nom de la Commission des lois, JORF 18 déc. 1986.
949
J.D. JACKSON, « Paradoxes of Lay and Professional Decision Making in Common Law Criminal Systems », RIDP
2001, p. 582.

162
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

A — RECOURS A LA SPECIALISATION EN REPONSE A UNE MENACE SUPPOSEE

159. Lors d’événements spéciaux de crise ou de conflit national sérieux, la cour


d’assises est concurrencée par des juridictions d’exception : la Diplock Court nord-irlandaise
et la cour d’assises spéciale française. Il convient néanmoins de s’interroger sur la nature de
ces juridictions. Au lieu de ‘juridiction d’exception’, la notion ‘juridiction spécialisée’ ou
‘juridiction de droit commun à composition spéciale’950 est souvent privilégiée pour éviter
ainsi la connotation péjorative ‘d’exception’ maintes fois synonyme d’excès et de menace des
droits de la défense.951 Le caractère exceptionnel découlerait, d’une part, du fait que ces
juridictions ne peuvent connaître certains faits ou juger certaines personnes que par
l’attribution formelle de cette compétence par un texte spécifique et, d’autre part, de la
composition dérogatoire au droit commun. Au point de vue de la création de ces juridictions,
la notion ‘d’exception’ semble à première vue bien justifiée, puisqu’elles dépendent, à la
différence des juridictions militaires et politiques, de certaines circonstances spécifiques
d’urgence, de sorte qu’elles sont en principe limitées dans leur portée et ‘condamnées’ à
disparaître dès que la situation ne les exige plus.952 Pourtant, face à une progression
incontestable du phénomène terroriste et d’autres nouvelles formes de criminalité et la prise
en compte de ces phénomènes par le droit interne et européen953, la « procédure pénale
bis »954 et l’érosion corollaire du jury semble en train de s’étendre (1). Cette évolution
soulève plusieurs questions. Elle paraît problématique quant à l’égalité des justiciables devant
la loi. Les tentatives à cet égard consistant à ‘copier-coller’ dans un contexte purement
professionnel, autant que possible la philosophie accusatoire du jury populaire ne risquent-
elles d’ailleurs pas d’induire un déficit procédural (2) ? Si, avec les mots de Theo A. De
Roos, les raisons qui sous-tendent la création de telles juridictions constituent bien des notes
tristes de l’histoire nord-irlandaise et française, elles sont l’occasion parfaite de comparer le
jury à la jurisprudence des juges professionnels.955 Dans un premier point, nous nous
focaliserons sur l’origine et la portée de ces juridictions pour analyser ensuite leur procédure.

950
R. Perrot, cité par A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, Les « mondes judiciaires » et la construction d’un horizon
réformateur commun (1981-2004), GIP Mission de recherche Droit et Justice, 2004, p. 196.
951
W. JEANDIDIER, « Les juridictions pénales d’exception dans la France contemporaine », JCP G 1985, I, n° 3173.
952
W. JEANDIDIER, « Les juridictions pénales d’exception dans la France contemporaine », l.c. et E. LAMBERT
ABDELGAWAD, Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et
internationales, GIP Mission de recherche Droit et Justice, mai 2007, p. 9.
953
On envisage de mettre en œuvre une coopération judiciaire effective afin d’aboutir à une collaboration étroite des
magistrats dans la lutte contre le terrorisme (F. VIRICEL, Etude comparative franco-irlandaise des juridictions
spéciales en matière de terrorisme, mémoire disponible sur www.juripole.fr/memoires/compare/Fabienne_Viricelle/).
954
Ch. LAZERGES, « La dérive de la procédure pénale », RSC 2003, p. 649-652.
955
TH.A. DE ROOS, Is de invoering van lekenrechtspraak in de Federlandse strafrechtspleging gewenst ?,
Universiteit Tilburg, 2006, p. 93.

163
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

1. Une dérogation jalonnée en pleine évasion ?

160. Bien que le recours à la voie de spécialisation, également utilisé dans d’autres
pays956, soit issu et limité au terrorisme957, son acheminement vers un amalgame incluant
d’autres infractions semble l’ancrer progressivement au-delà de son existence extraordinaire.

a. Le dédoublement de la procédure en réponse au phénomène croissant du


terrorisme

161. La scission politique entre une majorité protestante — les Unionistes, soucieux
de rester affiliés à la Grande-Bretagne —, et une minorité catholique — les Fationalistes
prônant la réunification avec la République d’Irlande —, fut en Irlande du Nord une source
permanente de discrimination.958 Ainsi, le jury nord-irlandais, à l’époque majoritairement
protestant959, était plus enclin à condamner les catholiques nationalistes, d’autant que le
terrorisme bénéficiait d’un ancrage dans certaines branches politiques.960 Tout au long des
19ème et 20ème siècles, l’Irlande du Nord baigna dans un climat d’insécurité et de violence.961
Après quelques tentatives infructueuses pour y remédier962, le législateur britannique fut,
dans des années 1970 fortement troublées, contraint à une politique de criminalisation et à
une législation d’urgence. Ne parvenant pas à confronter les attentats à la procédure
ordinaire, le Gouvernement fut suspendu en 1972.963 A la même époque, le phénomène
terroriste faisait son apparition sur le sol français. Si à partir des années 1970, celui-ci
prospéra avec les groupements CUPF, Flb, FLNC et les terroristes basques964, le phénomène
terroriste acquerra une dimension internationale dans les années 1980 avec la politique
française menée au Moyen-Orient. L’attitude traditionnelle d’indifférence constituait en effet

956
En Espagne, l’Audiencia nacional fut créée en 1977 pour l’instruction et le jugement des actes terroristes perpétrés
sur tout le territoire (J.L. DE LA CUESTA, « Traitement juridique du terrorisme en Espagne », RSC 1987, p. 601). Dans
la République d’Irlande, existe la Special Criminal Court, dont la création était déjà embryonnaire à la fin du 19ème
siècle particulièrement troublé (J.D. JACKSON, K. QUINN et T. O’MALLEY, « The Jury System in Contemporary
Ireland : in the Shadow of a Troubled Past », L.C.P. 1999, p. 213-214).
957
Ch. LAZERGES, « La dérive de la procédure pénale », l.c., p. 649.
958
Aujourd’hui, la différence serait moins conséquente (55% des Protestants et 45% des Catholiques ; v. C.D.
RASNIC, « Northern Ireland Criminal Trials Without Jury : The Diplock Experiment », Ann. Surv. Intl & Comp. L.
1999, p. 240).
959
L’exigence de propriété était plus facilement remplie par les Protestants, ce qui empêchait une certaine
homogénéité de la société, condition nécessaire pour garantir la représentativité du jury (Ch. CARLTON, « Judging
Without Consensus : The Diplock Courts in Northern Ireland », Law & Pol’y Q. 1981, p. 225-242 et S.C. GREER et A.
WHITE, Abolishing the Diplock Courts : The Case for Restoring Jury Trial to Scheduled Offenses in Forthern Ireland,
Londres, The Cobden Trust, 1986, p. 60).
960
Tel que l’IRA et Sin Feinn (F. VIRICEL, o.c.).
961
F. VIRICEL, o.c.
962
V. la proposition relative à la création d’une cour spéciale pour quelques infractions extrêmement sérieuses
(Criminal Procedure (Forthern Ireland) Act de 1922).
963
D. BONNER, « Combating Terrorism : Supergrass Trials in Northern Ireland », M.L.R. 1988, p. 23-53.
964
V. à titre d’exemple les attentats perpétrés aux Galeries Lafayette et au Printemps (déc. 1985), à la Tour Eiffel et à
la Galerie du Claridge (févr. 1986), à la librairie Gibert (févr. 1986), à la Fnac (févr. 1986), au TGV Paris/Lyon (mars
1986). Depuis l’attentat du RER Port-Royal, et même sans d’autres manifestations réelles, la menace n’a jamais faibli.

164
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

une niche favorable à l’expression des terroristes étrangers.965 L’entrave à la confiance et à la


foi accordée aux institutions966 nécessitaient une réponse efficace et urgente.

162. Par le Forthern Ireland Emergency Provisions Act de 1973 (FIEPA, modifiée en
1991 et 1996), le Parlement britannique instaura la Diplock Court en Irlande du Nord, son
nom faisant référence au président de la Commission de réforme. Il s’agit d’une cour spéciale
à laquelle est confiée la répression des infractions à connotation terroriste afin de ‘juridicier’
la répression et de mettre un terme à la procédure antérieure de détention sans procès qui
intensifiait les troubles.967 En dépit de la gravité accrue de telles infractions, la Diplock Court
est construite sans jury, avec un juge professionnel unique. Cette révolution dans le monde
anglo-saxon fut étrangement approuvée sans réel débat par la Chambre des Lords et par un
seul vote par celle des Commons.968 Pour mener une politique orientée vers davantage de
condamnations969, le jury semblait une arme ineffective.970 En particulier, le risque persistant
d’intimidation des jurés et de verdicts pervers entravait notablement la justice. L’abolition de
l’exigence de propriété en faveur d’un tirage au sort et le maintien du droit du stand-by ainsi
que des récusations péremptoires s’avéraient insuffisants. L’intimidation des jurés demeurait
un danger singulier.971

163. Sous une pression publique similaire et favorable à une répression efficace ainsi
qu’à l’endiguement des intimidations et menaces susceptibles d’altérer la sérénité du
procès972, la création d’une cour d’assises ‘spéciale’, exclusivement composée de juges de
robe, s’imposa en France dans les années 1980. Celle-ci n’est pas une pionnière, plusieurs
juridictions dérogatoires ayant déjà jalonné l’histoire politique française.973 La matière
militaire974, tout comme la Cour de sûreté de l’Etat instaurée par la loi du 15 janvier 1963 en

965
F. VIRICEL, o.c.
966
E. CARTIER, « Le terroriste dans le nouveau Code pénal français », RSC 1995, p. 225 et s.
967
E. BLOCH, « La législation d’exception en Irlande », RSC 1987, p. 632.
968
B. DICKSON, « Northern Ireland Emergency Laws - The Wrong Medicin », Public Law 1992, p. 592.
969
Avec l’introduction de la Diplock Court, le volume de condamnations a augmenté et corrélativement la violence a
diminué (B. DICKSON, l.c., p. 609 et L.K. DONOHUE, « Terrorism and Trial by Jury : the Vices and Virtues of British
and American Criminal Law », Stan. L.Rev. 2006-07, p. 1335-1336).
970
S.C. GREER et A. WHITE, o.c., p. 50 et J.D. JACKSON, « The Restoration of Jury Trial in Northern Ireland : Can we
Learn from the Professional Alternative? », St. L. Transatlantic L.J. 2001-02, p. 15.
971
J.D. JACKSON, K. QUINN et T. O’MALLEY, l.c., p. 221.
972
B. FAYOLLE, l.c., p. 80.
973
G. ROYER, « Le juge naturel en droit criminel interne », l.c., p. 787. Pour une analyse historique, v. in extenso W.
JEANDIDIER, « Les juridictions pénales d’exception dans la France contemporaine », l.c.
974
Avec en particulier les tribunaux militaires ayant été créés pour juger les conflits découlant de la guerre contre
l’Algérie et le Haut tribunal militaire. La création de ce tribunal spécial par simple ordonnance, exception au pouvoir
ordinaire du Parlement (art. 16 Constitution de 1958) pour répondre à une situation d’urgence, fut déclarée illégale par
le Conseil d’Etat dans l’affaire Canal du 19 oct. 1962 (W. JEANDIDIER, « Les juridictions pénales d’exception dans la
France contemporaine », l.c.). Pour les nombreuses juridictions d’exception sous le Consulat et l’Empire, v. R.
MARTINAGE, « Du tribunal criminel à la cour d’assises » in AFHJ, La cour d’assises. Bilan d’un héritage
démocratique, Paris, La Documentation française, 2001, p. 32-36 et sous le régime de Vichy, v. A. BANCAUD, l.c., p.
53-56.

165
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

réponse à des attentats terroristes « d’une ampleur exceptionnelle inquiétante »975, en


constituent des exemples. En 1981, cette cour fut supprimée en raison de son incompatibilité
avec la Convention européenne des droits de l’homme, ses délais de garde-à-vue exorbitants,
ainsi que les interférences entre le pouvoir gouvernemental et le pouvoir judiciaire au niveau
de la mise en accusation976. Depuis la loi du 21 juillet 1982977 qui supprima les Tribunaux
permanents des forces armées (créés par le décret du 22 sept. 1953), la cour d’assises spéciale
est compétente en temps de paix pour les infractions militaires prévues par le livre III du
Code de justice militaire (comme par exemple la désertion à bande armée ; art. 697-1 al. 1
CPP), ainsi que pour les crimes de droit commun et les délits connexes commis par des
militaires dans l’exercice de leur fonction lorsqu’il y a un risque de révélation d’un secret
relatif à la défense nationale (ce qui doit être constaté par la chambre de l’instruction ; art.
698-7 al. 1 CPP). Tombent également dans son champ d’application, certains crimes contre
les intérêts fondamentaux de la Nation tels que la trahison et l’espionnage (art. 702 al. 2
CPP). La protection des intérêts essentiels pour la sûreté de l’Etat nécessitait un autre juge
que celui du droit commun. Les autres crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la
nation étaient instruits et jugés par les juridictions de droit commun (art. 702 al. 1 CPP) ou
des tribunaux territoriaux des forces armés en temps de guerre (art. 699 CPP). Avec la
suppression de la Cour de sûreté de l’Etat, la matière du terrorisme se trouvait donc dans un
vide juridique.

Après une nouvelle vague d’attentats dotant, à partir de 1985, le terrorisme d’une
envergure internationale978, la lutte contre le terrorisme investit le cœur des agendas
électoraux.979 S’appuyant sur le précédent de 1982980, la loi du 9 septembre 1986 élargit la
compétence de la cour d’assises spéciale aux actes du terrorisme (art. 706-16 CPP)981. Dans
un premier temps, celle-ci fut limitée aux faits postérieurs à son entrée en vigueur. Mais cela
posait des questions sur les suites d’une affaire relevant initialement de la cour d’assises
ordinaire, lorsque l’infraction révèle après coup son caractère terroriste. Selon le principe de
plénitude de juridiction (art. 231 CPP), le jury demeurait compétent. Toutefois, si les jurés,

975
J.P. MARGUENAUD, « La qualification des actes de terrorisme », RSC 1990, p. 1.
976
Loi n° 81-737 du 4 août 1981 portant suppression de la Cour de sûreté de l’Etat, JORF 5 août 1981, p. 2142. La
présence en son sein de militaires pour juger des personnes dépourvues de lien avec le corps militaire fut également
critiquée (F. VIRICEL, o.c.).
977
Loi n° 82-621 du 21 juillet 1982 relative à l'instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de
sûreté de l'Etat et modifiant les codes de procédure pénale et de justice militaire, JORF 22 juill. 1982, p. 2318. Si cette
loi a été abrogée par l’ordonnance n° 2006-637 du 1er juin 2006, ratifiée par la loi n° 2007-289 du 5 mars 2007 portant
modification du Code de justice militaire et du Code de la défense, ses dispositions ont été retenues par le nouveau
Code pénal de 1992 (B. BOULOC, « Les cours d’assises sans jurés ont-elles disparu ? », D. 2008, p. 1490-1491).
978
F. VIRICEL, o.c.
979
J.P. MARGUENAUD, l.c., p. 1.
980
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 108-109.
981
Ch. LAZERGES, « La dérive de la procédure pénale », l.c., p. 644.

166
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

envahis de peur pour juger des terroristes, refusent de siéger, ils pouvaient paralyser la cour
d’assises telle que l’illustre l’affaire Schleicher et Halfen.982 Remédiant à ces écueils, la loi
du 30 décembre 1986983 élargissait la compétence de la cour spéciale aux procédures en
cours. Selon Claude Garcin, cette loi démontrait que la cour d’assises sans jury répond à une
nécessité.984

164. Toutefois, la manière dont cette dénonciation du droit commun fut introduite,
surtout en France, sans preuve empirique de son fondement sous-jacent, à savoir
l’intimidation des jurés985, n’est pas exempte de questionnements. Outre quelques affaires
particulières témoignant de la difficile constitution du jury986, on s’est engagé dans l’empire
dangereux d’hypothèses, érigeant l’intimidation et l’incapacité des citoyens quant à la prise
de responsabilité au rang de vérité tangible.987 Un « juré angoissé » est en effet un « mauvais
juré »988, mais des changements ponctuels concernant leurs sélection et fonctionnement
n’auraient-ils pas été suffisants ? S’il s’avère possible d’influencer un ou deux jurés,
l’intimidation du jury entier paraît toutefois peu vraisemblable.989 Remarquablement, le
nouveau système ne suscita que peu d’intérêt doctrinal. La loi du 9 septembre 1986 n’était
guère commentée. Si des critiques étaient énoncées à l’égard de la loi du 30 décembre 1986,
elles concernaient plutôt sa rétroactivité.990 Le concept de la cour d’assises professionnelle
n’était pas remise en cause ; son atteinte à la cour d’assises de droit commun passait presque
inaperçue.991 Préoccupé par la volonté d’éviter la restauration d’une juridiction d’exception
— la Cour de sûreté de l’Etat —, la question qui aurait pu causer une polémique idéologique
particulière — celle de l’éviction du jury et de la participation des citoyens à la fonction de

982
J.P. MARGUENAUD, l.c., p. 1. La défiance de cinq jurés après une intervention intimidante d’un des accusés, rendait
la continuation du procès impossible (A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 111).
983
Loi n° 86-1322 du 30 décembre 1986 modifiant le code de procédure pénale et complétant la loi du 9 septembre
relative à la lutte contre le terrorisme, JORF 31 déc. 1986, p. 15890.
984
C. GARCIN, La notion de juridiction d’exception en droit pénal : pour une nouvelle classification, Thèse, Lyon III,
1987, p. 703.
985
S. GREER et A. WHITE, « Restoring Jury Trial to Terrorist Offences in Northern Ireland » in M. FINDLAY et P.
DUFF, o.c., p. 64 et W.L. TWINING, « Emergency Provisions and Criminal Process : The Diplock Report », Crim. L.R.
1973, p. 406.
986
V. par exemple le refus des jurés de siéger après des menaces téléphoniques des membres du mouvement subversif
OAS (J. PRADEL, « Les infractions du terrorisme, un nouvel exemple de l’éclatement du droit pénal », D. 1987, p. 39
et s.). La situation en Corse en procure d’autres exemples (P. RANCE, « Témoignages sur les Cours d'assises
spécialement composées », Gaz. Pal. du 8 mars 2008, www.lextenso.fr).
987
S.C. GREER et A. WHITE, o.c., p. vii.
988
Lord Diplock, cité par D. BONNER, l.c., p. 25.
989
S.C. GREER et A. WHITE, o.c., p. 49.
990
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 114-115.
991
Ce n’est qu’ultérieurement, lors des réformes intervenues aux années 1990, que J. Pradel écrit : « il y a là
indéniablement un recul du jury dans les secteurs clés de la criminalité, la criminalité organisée. Il n’est pas exclu
que le législateur traite un jour de la même façon d’autres crimes, comme le crime de banditisme » (J. PRADEL, « Les
méandres de la cour d'assises française de 1791 à nos jours », l.c., p. 146 ; A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 116).

167
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

juger — ne fut pas abordée.992 La place des jurés et des non-professionnels semble s’affaiblir
tacitement dans le consensus et le non dit.993

b. L’extension vers un amalgame d’autres infractions

165. Afin de souligner son caractère exceptionnel, la cour d’assises spéciale française
et la Diplock Court nord-irlandaise ne sont compétentes que pour des infractions envisagées
par le législateur.994 Ainsi, la Diplock Court n’était en théorie compétente que pour les
infractions spécifiquement énumérées dans la schedule 1 de la loi (FIEPA 1996, « schedule
in »). A l’origine, l’absence de connexion terroriste empêchait l’intervention de la procédure
dérogatoire.

Le législateur français, conscient que la définition du terrorisme relève d’une


« entreprise périlleuse »995, déduit cette définition des incriminations déjà existantes dans le
Code pénal et des lois spéciales, de sorte que le terrorisme reste une infraction de droit
ordinaire plutôt que d’une nouvelle infraction autonome.996 Ainsi, des incriminations de droit
commun peuvent tomber dans le champ d’application de la cour d’assises spéciale,
notamment lorsqu’elles sont « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle
ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par intimidation ou
terreur » (art. 421 et art. 450-1 CPF). Il s’agit, à titre d’exemple, des atteintes volontaires à la
vie ou à l’intégrité de la personne, de l’enlèvement, des vols, extorsions et destructions. Au
fil des ans, la liste de ces incriminations fut étendue à d’autres infractions ordinaires telles
que le blanchiment par la loi du 15 novembre 2001997, ainsi que certaines infractions en
matière d'armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires avec la loi du 12 décembre
2005998. Il en est de même en droit britannique où le champ d’action s’est élargi à des
catégories relevant du droit ordinaire.

992
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 110-111.
993
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 108.
994
Cela constitue une différence avec la Special Criminal Court irlandaise qui est compétente chaque fois que la
juridiction ordinaire est inapte à garantir une répression effective et à maintenir la paix publique.
995
E. CARTIER, l.c., p. 225 et s.
996
Crim. 7 mai 1987, Bull. crim. 186 et RSC 1987, p. 621, obs. R. KOERING-JOULIN. Afin de permettre des
extraditions, le législateur refuse en tout cas de doter de telles infractions d’un caractère politique (F. LOLOUM et P.
NGUYEN HUU, « Le Conseil constitutionnel et les réformes du droit pénal en 1986 », RSC 1987, p. 565 et s. et E.
CARTIER, l.c., p. 225 et s.). Une pareille sensibilité a été exprimée au niveau international avec la Convention de
Strasbourg sur le terrorisme en 1977. Cette Convention avance une liste impressionnante d’infractions qui ne peuvent
pas être considérées comme ayant un caractère politique. La ratification de la France n’a eu lieu que par la loi du 16
juillet 1987. Elle avait quand même énoncé une réserve lui attribuant le droit de refuser l’extradition. Selon les
accords de Dublin (1979) les infractions terroristes échappent dans une large mesure à la sphère politique.
997
Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, JORF 16 nov. 2001, p. 18215.
998
Loi n° 2005-1550 du 12 décembre 2005 modifiant diverses dispositions relatives à la défense, JORF 13 déc. 2005,
p. 19160.

168
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

166. L’entorse éventuelle au principe d’égalité des justiciables devant la loi, qu’on
pourrait voir dans la nouvelle procédure prévue par l’article 706-25 du Code de procédure
pénale, fut rejetée par le Conseil constitutionnel.999 En vertu de l’article 34 de la Constitution
le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations, les
personnes auxquelles elles s’appliquent pourvu que ces dérogations n’apportent pas de
discrimination injustifiée et qu’elles soient assorties des garanties égales notamment en ce qui
concerne les droits de la défense. Selon le Conseil constitutionnel, le traitement différent se
justifie par la volonté du Parlement d’empêcher des pressions et menaces qui entravent la
sérénité de la juridiction de fond. Il n’apporte pas de discrimination injustifiable.1000 La
même considération n’est cependant pas valable pour les crimes et délits contre la sûreté de
l’Etat ; la légitimation du régime extraordinaire du terrorisme émerge alors avec sa spécificité
propre. L’extension aux infractions ne relevant pas de cette nature et qui ne sont pas
nécessairement en relation avec les infractions visées à l’article 706-16 CPP ne semble pas
constitutionnelle.1001 Limitant autant les exceptions, il paraît que le Conseil constitutionnel
reconnaît implicitement la valeur constitutionnelle de l’institution du jury.1002

La Cour de cassation réfute également une éventuelle atteinte au principe d’égalité


protégée par l’article 7 et 10 de la Déclaration universelle, l’article 14 CESDH et l’article 14
et 26 du Pacte international. La nouvelle juridiction est compétente, sans distinction, pour
toutes les infractions qui relèvent du champ d’application d’article 706-16 du Code de
procédure pénale, les droits de la défense pouvant d’ailleurs s’exercer sans discrimination.1003
Selon la Cour suprême, la compatibilité avec les principes fondateurs ne fait dès lors aucun
doute. Dans le sillage de Jean-Pierre Mignard, il semble toutefois que dans la « guerre contre
le terrorisme », le principe d’égalité est érodé, ou au moins concurrencé par une demande de
sécurité.1004

167. Bien évidemment, une justice extraordinaire n’échappe pas aux auspices
internationaux des droits de l’homme.1005 L’article 15 CESDH n’interdit pas la création de
tribunaux d’exception lorsqu’une urgence publique menace la vie de la nation, à condition

999
Cons. const. n° 86-213 DC du 3 sept. 1986, JORF 5 sept. 1986, p. 10786, § 7-13 (F. LOLOUM et P. NGUYEN HUU,
l.c., p. 565 et s. et E. CARTIER, l.c., p. 225 et s).
1000
F. LOLOUM et P. NGUYEN HUU, l.c., p. 565 et s.
1001
Ibid. ; E. CARTIER, l.c., p. 225 et s.
1002
M. MIGNON-GARDET, « Le rapport du Haut comité consultatif sur la réforme de la procédure criminelle : un sens
de l'équilibre, interview de maître François Sarda, », PA 1996, n° 58, p. 5.
1003
Crim. 24 nov. 2004, Bull. crim. 296 et RSC 2005, p. 332, obs. D.N. COMMARET ; v. dans le même sens, Crim. 7
mai 1987, Bull. crim. 186.
1004
J.-P. MIGNARD, « Les grandes questions du système de la justice pénale », Paris, le 26 févr. 2008.
1005
E. LAMBERT ABDELGAWAD, o.c., p. 9.

169
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

qu’une telle dérogation soit justifiée par des raisons objectives et raisonnables.1006 Il faut
notamment veiller à ce que les dérogations n’aillent pas au-delà du nécessaire requis par la
situation réelle. En outre, les normes internationales des droits de l’homme doivent être
intégralement respectées. Ainsi, l’on ne peut porter atteinte à certains droits essentiels tels
que la présomption d’innocence ou le droit d’être jugé par un tribunal impartial et
indépendant, ainsi que le l’affirme la Cour de cassation pour l’article 698-6 du Code de
procédure pénale.1007 Le droit à un jury n’est en effet pas internationalement garanti.

168. Au-delà du terrorisme, la compétence de la cour d’assises spéciale n’a cessé de


croître, tant ratione materiae que ratione personae, le terrorisme initiant dès lors une
professionnalisation de la justice au détriment de la participation citoyenne. Ratione materiae
la cour d’assises spéciale a obtenu la compétence en matière de stupéfiants (art. 706-27 CPP)
pour les infractions visées aux articles 222-34 à 222-40 du Code pénal, ainsi pour le délit de
participation à une association de malfaiteurs (art. 450-1 CPF) s'il a pour objet de préparer
l'une de ces infractions.1008 L’affaiblissement du jury populaire continue et cela, selon les
débats parlementaires, au-delà du risque d’intimidation des jurés. Vu le ‘gonflement’ de la
voie extraordinaire, il semble que l’évolution vers une spécialisation accrue s’enracine
davantage dans l’extrême gravité et la complexité des affaires, que dans une suspicion à
l’égard des jurés.1009 Le domaine de stupéfiants en témoignerait. Cela est pourtant également
le cas pour d’autres affaires.1010 « Fécessité fait loi », mais « fait-elle au demeurant des
bonnes lois ? »1011 Il faut toujours être prudent avec une législation qui est dictée par des
circonstances : « hard cases make bad law ».1012 Ainsi que le mentionne à juste titre Christine
Lazerges, l’inflation législative risque, par corrections légales et déclassements, d’induire une
perte de cohérence dommageable.1013 Ce risque ne cessera en outre de croître. A la lumière
d’autres défis, la tentation de multiplier les régimes d’exception au nom d’une plus grande

1006
Quod non dans l’affaire CCPR 4 avr. 1998, Joseph Kavanagh c. Irlande, n° 819/1998. La large discrétion du
directeur du parquet de renvoyer des affaires devant la Special Criminal Court sans raisons objectives et raisonnables
constitue une violation du principe d’égalité des justiciables devant la loi et du principe de protection égale sans
discrimination.
1007
Crim. 22 sept. 1998, Bull. crim. 231.
1008
Loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal et à la modification de
certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur, JORF 23
déc. 1992, p. 17568 (Crim. 8 nov. 2000, Bull. crim. 334 et Crim. 24 nov. 2004, Bull. crim. 296 et RSC 2005, p. 332,
obs. D.N. COMMARET).
1009
J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c. ; contra S. Guinchard et J. Buisson selon lesquels la complexité de
l’affaire ne figure pas dans la loi comme condition d’application de la compétence spécifique (S. GUINCHARD et J.
BUISSON, Procédure pénale, Paris, Litec, 6ème éd., 2010, p. 223, n° 179).
1010
W. ROUMIER, o.c., p. 62, note 220.
1011
R. OTTENHOF, « Le droit pénal français à l’épreuve du terrorisme », RSC 1987, p. 608.
1012
« Il vaut mieux ne pas tailler la loi à la mesure de(s) cas atypiques » (J.D. JACKSON, « Paradoxes of Lay and
Professional Decision Making in Common Law Criminal Systems », l.c., p. 592 ; trad. pers.).
1013
Ch. LAZERGES, « La dérive de la procédure pénale », l.c., p. 644.

170
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

efficacité est grande.1014 Corrélativement, le principe d’égalité des justiciables devant la loi
sera davantage menacé.1015

Ratione personae cette professionnalisation est depuis la loi du 23 janvier 2006


envisagée pour les mineurs terroristes âgés d’au moins seize ans.1016 Avant cette date, les
mineurs étaient obligatoirement confiés à la cour d’assises des mineurs qui, en dépit d’une
certaine spécialisation, est encore constituée d’un jury.1017 En cas de crime commis
conjointement par un majeur et un mineur advenait dès lors soit une disjonction, synonyme
d’alourdissement insupportable en particulier pour les victimes, soit le jugement des deux
criminels par la cour d'assises des mineurs, ce qui entamait la cohérence et l’égalité entre
terroristes majeurs dont certains étaient jugés par un jury, et d’autres par des professionnels.
Afin d’y remédier, le législateur instaura dans ce cas particulier la possibilité d’une cour
d'assises ‘spéciale’ des mineurs dotée d’une spécialisation complémentaire.1018 Le Conseil
constitutionnel a déclaré cette loi, à l’exception des articles 6 et 19, conforme à la
Constitution.1019

Dans le même ordre d’idées, Jean-Pierre Marguénaud s’interrogeait sur la répartition


des compétences en cas de concours entre un crime terroriste qui relève de la cour d’assises
spéciale et un crime contre l’humanité qui relève de la cour d’assises ordinaire.1020 Bien que
l’expérience belge, lors du procès Rwanda en 2001, ait démontré que le jury savait s’en
sortir, la nécessité d’une spécialisation dans ce domaine pourrait également être défendue.1021

169. En droit nord-irlandais où la portée de la Diplock Court excéda également


l’intention initiale du législateur — ainsi en 1980, 40% des affaires n’avaient aucun rapport
avec les troubles politiques qui ont été à la base de sa création1022 —, l’on tâcha d’y remédier
en attribuant à l’Attorney general (procureur général) le pouvoir de renvoyer des affaires non
terroristes devant la Crown Court ordinaire (schedule-out). Bien que ce cas de figure ne soit
pas envisageable pour toutes les infractions, environ 85 à 90% des affaires furent retirées de

1014
E. Decaux in E. LAMBERT ABDELGAWAD, o.c., p. 111.
1015
M. DANTI-JUAN, L’égalité en droit pénal, Thèse, Poitiers, Ed. Cujas, 1987, p. 36.
1016
Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à
la sécurité et aux contrôles frontaliers, JORF 24 janv. 2006, p. 1129.
1017
Infra, n° 493 ; Crim. 11 sept. 2002, Bull. crim. 164.
1018
Infra, n° 494.
1019
Cons. const. n° 2005-532 DC du 19 janv. 2006, JORF 24 janv. 2006, p. 1138 (M.-H. GALMARD, « Vers une
nouvelle approche du phénomène terroriste ? Apports de la loi du 23 janvier 2006 relative à lutte contre le terrorisme
et portant dispositions diverses relatives aux contrôles transfrontaliers », RPDP 2007, p. 7).
1020
J.P. MARGUENAUD, l.c., p. 23.
1021
D. VANDERMEERSCH, « La répression en droit belge des crimes de droit international », RIDP 1997, p. 1128.
1022
L.K. DONOHUE, l.c., p. 1339.

171
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

la liste en 2006.1023 Ce dispositif s’inscrit dans la foule de mesures de normalisation qui


succédèrent au cessez-le-feu déclaré en 2005.1024 Plus que la cour d’assises ‘spéciale’
française et la Special Criminal Court irlandaise qui, par l’extension de leur portée, semblent
jouir de facto d’un avenir pérenne, l’exception nord-irlandaise fut toujours considérée comme
provisoire.1025 Conformément aux principes d’une vraie juridiction ad hoc, elle était vouée à
disparaître. En effet, la Diplock Court devait constituer « une parenthèse la plus brève que
possible »1026. Ainsi, en 1996, l’on envisagea d’évoluer vers une présomption en faveur du
jury avec une procédure de certify in plutôt que de certify out, ce qui constituerait une
affirmation symbolique de la confiance accordée au jury.1027 En 1999, un an après le Good
Friday Agreement, un rapport de réforme examina l’éventuel retour global au système
préalable du jury, ainsi que cela avait été déjà annoncé après l’étude de Baker en 1984.1028
Après la déclaration de l’Armée révolutionnaire Irlande (IRA) visant à mettre un terme à sa
campagne violente, une telle proposition semble cristallisée par le Forthern Ireland
Terrorism Act de 2006. Cette loi promulgua la suppression (théorique) de la Diplock Court
au plus tard le 31 juillet 2007 (échéance reconductible une année exclusivement).1029 Bien
évidemment, le retour au jury nécessitera l’instauration d’un mécanisme approprié de
protection des jurés. Toutefois, en vertu de section 1 (2) du Justice and Security (Forthern
Ireland) Act de 2007, le Director of Public Prosecutions, peut toujours ordonner que le
procès on indictment aura lieu sans jury, s’il estime qu’il y a un risque de préjudice pour
l’administration de la justice lorsque le procès a lieu avec un jury.

Il est remarquable de constater que malgré son usage fortement érodé, l’institution du
jury demeure pour beaucoup le mode idéal du procès, un butoir important contre la tyrannie
de l’Etat et une expression directe de la démocratie. Il ne peut toutefois être question d’une
telle plus-value que lorsque la société s’avère cohérente et le jury représentatif, contrairement
à l’Irlande du Nord où la situation fluctue, en dépit des mouvements de paix. Les associations
paramilitaires dissidentes existent encore et continuent à opérer et à recruter des membres.1030

1023
L.K. DONOHUE, l.c., p. 1339. En cas de concours d’une infraction terroriste et d’une infraction non terroriste, la
Diplock Court est compétente pour le tout (S. DORAN et J.D. JACKSON, « Diplock and the Presomption Against Jury
Trial : A Critique », Crim. L.R. 1992, p. 757).
1024
M. PECK, O. GAY et G. BERMAN, The Terrorism (Forthern Ireland) Bill 2005-06, House of Commons Library,
25p.
1025
Chaque année, la liste des scheduled offences devait être renouvelée (v. la partie 7 Terrorism Act 2000, renouvelée
en 2002, 2003, 2004).
1026
Expression utilisée par E. Decaux in E. LAMBERT ABDELGAWAD, o.c., p. 116.
1027
S. DORAN et J.D. JACKSON, « Diplock and the Presomption Against Jury Trial : A Critique », l.c., p. 764. Ceux-ci
rappellent à cet égard d’ailleurs l’option de jury waiver (supra, n° 51 ; J.D. JACKSON, « The Restoration of Jury Trial
in Northern Ireland : Can we Learn from the Professional Alternative? », l.c., p. 23).
1028
M. PECK, O. GAY et G. BERMAN, o.c., p. 12-13. V. également S.C. GREER et A. WHITE, o.c., p. 72-75.
1029
M. PECK, O. GAY et G. BERMAN, o.c., p. 13 et 18-25.
1030
L.K. DONOHUE, l.c., p. 1326-1327 et p. 1329.

172
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

La calamité du 19ème siècle demeure un défi pour le Gouvernement britannique du 21ème


siècle. La question se pose alors de savoir si ce n’est pas plutôt la force de la tradition qui
préserve l’institution du jury de l’extinction.1031 De manière plus générale, il s’agit de savoir
si la menace du terrorisme n’est pas en passe de devenir un péril omniprésent. La lutte contre
un phénomène ubiquiste ne mène-t-elle pas à un état permanent d’urgence ? Or, lorsque la
dérogation devient la règle générale, ne convient-il pas d’adapter le système ?

2. Une dérogation ‘emprisonnée’ dans une procédure de droit commun ?

170. Afin de contrecarrer les critiques portant sur la création d’une juridiction
d’exception ainsi que sur l’atteinte au principe d’égalité des justiciables devant la loi, les
législateurs français et nord-irlandais tentèrent de préserver autant que faire se peut la
procédure criminelle ordinaire. Louable dans son intention, cela pose toutefois, dans un
contexte purement professionnel, des questions essentielles.

a. La transposition caricaturale d’une logique accusatoire dans un monde


professionnel

171. S’opposant à toute législation d’exception, le législateur semble envisager non


pas une justice extraordinaire, mais une ‘justice ordinaire spéciale’. Une telle volonté s’inscrit
dans la lignée du droit international. Selon la résolution onusienne 2005/30 du 19 avril 2005
(§ 8), il convient de veiller à ce que ces tribunaux pénaux spéciaux fassent partie intégrante
de l’appareil judiciaire ordinaire, appliquent des procédures normales et garantissent un
procès équitable ainsi qu’un droit d’appel tant du verdict de culpabilité que de la
condamnation.1032

A première vue, l’unique mais majeure différence entre la nouvelle cour et la


juridiction traditionnelle populaire concerne leur composition. La Diplock Court était
constituée d’un seul juge professionnel par souci de cohérence avec la matière civile et la
crainte d’atteinte à la valeur essentielle d’oralité par un collège de juges.1033 En France, le
législateur a opté pour une composition professionnelle collégiale avec un président et six
assesseurs en premier ressort (huit en appel ; art. 698-6 al. 1 CPP), ce qui ne mérite pas, faute
d’élément laïque, la dénomination de ‘cour d’assises’.1034 Il incombe au Premier président de
la Cour d’appel de Paris de choisir les magistrats chargés de présider cette juridiction

1031
J.D. JACKSON, K. QUINN et T. O’MALLEY, l.c., p. 203.
1032
E. LAMBERT ABDELGAWAD, o.c., p. 8.
1033
J.D. JACKSON et S. DORAN, « Conventional Trials in Unconventional Times : The Diplock Court Experience »,
Crim. L. Forum 1993, p. 511.
1034
J. PRADEL, « Les infractions du terrorisme, un nouvel exemple de l’éclatement du droit pénal », l.c., p. 39 et s. et
W. ROUMIER, o.c., p. 61, note 212.

173
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

spécialement composée. Les présidents choisissent ensuite leurs assesseurs.1035 Bien qu’il soit
dans ce domaine question d’une spécialisation du corps policier et des juges d’instruction
rassemblés dans un pôle antiterroriste à compétence nationale, les juges de jugement ne sont
ni des spécialistes, ni même des habitués de ce type de dossier.1036 Il est donc question d’une
cour d’assises spéciale ‘ordinaire’. Uniquement pour les ‘cours d’assises spéciales des
mineurs’, il est question d’une certaine spécialisation : elle est notamment constituée par un
président et six assesseurs professionnels dont deux, dans le respect de l’ordonnance du 2
février 1945, sont juges des enfants (art. 706-25 CPP).1037 Cependant, cette spécialisation
concerne uniquement la question d’enfance.

Pour ces deux cours purement professionnelles, la spécialité semble surtout exprimée,
non de manière qualitative, mais quantitative, vu le nombre plus élevé de professionnels
siégeant dans ces cours. Notons en outre, pour les crimes terroristes, la centralisation des
poursuites, de l’instruction, et de l’établissement du jugement à Paris. Cela permet d’asseoir
la compétence sur l’intégralité du territoire français (art. 706-17 CPP) et d’assurer une
meilleure connaissance technique du dossier1038. Toutefois, il s’agit d’une compétence
concurrente, surajoutée et facultative. Il appartient au juge d’instruction de constater
souverainement que les faits entrent dans le champ d’application de l’article 706-16 du Code
de procédure pénale.1039 Si une autre juridiction prend connaissance de l’affaire, le procureur
peut requérir qu’elle se dessaisisse en faveur de la cour parisienne.1040 Une telle compétence
concurrente existe aussi pour les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS ; art. 706-73 à
706-75 CPP), parmi lesquelles des cours d’assises à compétence étendue au ressort d’une ou
plusieurs cours d’appel, devant lesquelles pourront être renvoyées les affaires de délinquance
organisée (art. 706-73 CPP) ou d’autres crimes et délits commis en bande organisée (art. 706-
74 CP) qui « sont ou apparaîtront d’une grande complexité ».1041

172. A l’exception du jury, la procédure se déroule de manière identique devant la


nouvelle cour, ce qui permet de préserver le caractère oral. Seul le président, à l’exception

1035
A cet égard D. Coujard, président de l’affaire Colonna, a demandé des ‘vrais' juges, « qui aient quitté le parquet
depuis au moins deux ans » (P. RANCE, l.c.).
1036
P. RANCE, l.c.
1037
J.P. COURTOIS, Rapport n° 117 (2005-06) sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant
dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, fait au nom de la Commission des lois,
www.senat.fr/rap/l05-117/l05-117.html (infra, n° 493-494).
1038
J.F. RICARD et M.-A. HOUYVET, « Lutte contre le terrorisme : spécificité de la loi française », AJpénal 2004, p.
191.
1039
Crim. 7 mai 1987, Bull. crim. 187 et Crim. 14 mars 1989, Bull. crim. 123.
1040
Les dispositions spéciales des art. 706-19 à 706-20 CPP sont d’ordre public (Crim. 15 nov. 2006, AJpénal 2007, p.
35, obs. G. ROYER).
1041
Infra, n° 230. La liste de ces cours d’assises, excepté en matière de terrorisme, est fixée par l’article D 47-13 CPP
créé par le décret n° 2007-699 du 3 mai 2007, JORF, 5 mai 2007 p. 7963.

174
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

des assesseurs, connaît par exemple le dossier.1042 Si de manière sous-jacente, il semble que
cela vise à éviter le jury populaire sans pour autant détruire la qualité accusatoire du procès,
cela s’avère toutefois étrange dans un contexte purement professionnel. Ainsi, en vertu de
l’article 706-25 du Code de procédure pénale, cette curieuse juridiction obéit aux règles du
droit criminel commun1043, à l’exception bien évidemment des règles spécifiquement
afférentes aux jurés (art. 698-6 al. 2 CPP)1044. Il s’agit toutefois de savoir s’il est possible de
transplanter des ‘organes vitaux’ entre organismes dissimilaires sans réflexion
1045
approfondie ? A titre d’exemple, l’article 231 du Code de procédure pénale ne figurant
pas sur la liste des règles non applicables, il semble que cette juridiction professionnelle
jouisse également d’une plénitude de juridiction.1046 Elle est compétente pour juger tous les
accusés renvoyés devant elle par l’arrêt de mise en accusation. Demeure-t-elle cependant
compétente lorsqu’une affaire est, à l’issue d’un changement de qualification, dépourvue de
toute connotation terroriste ? Une telle interprétation est douteuse selon Jean-Pierre
Marguénaud. La plénitude de juridiction régnant aux assises s’explique, selon cet auteur, par
le maximum de garanties qu’elle offre, notamment en raison de la présence de simples
citoyens.1047 Les douze représentants de la société sont supposés être davantage indépendants
par rapport au pouvoir public que les magistrats professionnels. Sans cette plus-value dans la
cour d’assises spéciale, il serait ainsi illogique qu’une plénitude similaire soit offerte à une
cour d'assises sans jury. L’article 706-25 du Code de procédure pénale n’est pas dénué
d’ambiguïté à cet égard. Une fois saisie, la cour d’assises spéciale semble permettre une
« cristallisation de la qualification ».1048

L’emprunt à la procédure d’assises s’avère problématique à d’autres égards :


l’absence traditionnelle de motivation et d’appel des verdicts. Le défaut du second degré de
juridiction, caractéristique traditionnelle de la cour d’assises ordinaire, était indéfendable,
voire absurde devant une cour intégralement professionnelle, ainsi que l’avança également le
Comité des droits de l’homme1049. Comment le système exceptionnel pourrait-il répondre aux

1042
P. RANCE, l.c.
1043
Ainsi, devant la cour d’assises spéciale, les exceptions tirées d'une nullité autres que celles purgées par l'arrêt de
renvoi devenu définitif et entachant la procédure qui précède l'ouverture des débats doivent également, à peine de
forclusion, être soulevée dès l'ouverture des débats (Crim. 11 févr. 1987, Bull. crim. 69, D. 1987, p. 215, note H.
ANGEVIN et RSC 1987, p. 463, note A. BRAUNSCHWEIG).
1044
Telles que les règles relatives aux conditions d’aptitude et à la formation du jury (art. 254 à 267 CPP), à la
signification de la liste des jurés (art. 282 CPP), à la révision de cette liste (art. 288 à 292 CPP) et à la formation du
jury de jugement (art. 293 et art. 295 à 305 CPP).
1045
H.R. Uviller, cité par J.D. JACKSON et S. DORAN, « Addressing Adversarial Deficit in Non-jury Criminal Trials »,
Isr. L.Rev. 1997, p. 689.
1046
Crim. 27 juill. 1993, Bull. crim. 251.
1047
J.P. MARGUENAUD, l.c., p. 20-21.
1048
J.P. MARGUENAUD, l.c., p. 21.
1049
CCPR/C/79/Add.80,4/08/1997, § 23 (F. ANDREU-GUZMAN, « Les Tribunaux militaires et les Juridictions
d’exception dans le système onusien des droits de l’homme » in E. LAMBERT ABDELGAWAD, o.c., p. 92).

175
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

exigences des droits de l’homme et du procès équitable lorsque la justice ordinaire, dont il est
la ‘copie’, ne le fait pas ? Au regard de la gravité des faits, la procédure devrait être entourée
de garanties fondamentales incluant le droit au recours. Une telle considération a, compte
tenu de l’exigence d’un double degré de juridiction énoncée à l’article 14 § 5 du Pacte
international et l’article 2 § 1 du Protocole 7 CESDH, conduit à l’instauration d’une voie de
recours en matière criminelle.1050 Ainsi que nous l’analyserons plus loin, il fallut toutefois
attendre la loi du 15 juin 2000. La même réflexion ne fut étrangement pas menée pour la
motivation des décisions. Au lieu d’obliger les juges professionnels à justifier le bien-fondé
du jugement, les magistrats de carrière de la cour d’assises spéciale sont censé s’appuyer sur
le même carcan de questions auxquelles il suffit de répondre par ‘oui’ ou par ‘non’.1051 Une
telle lacune est absolument incompréhensible et injustifiable. A cet égard, la procédure de la
Diplock Court, qui obligeait le juge professionnel à motiver la condamnation et instaurait un
droit automatique d’appel (s. 11-5 et 11-6 FIEPA 1996), paraît largement préférable.

b. Un déficit accusatoire ?

173. Il s’agit ensuite de savoir si la volonté de s’inscrire dans une procédure ordinaire
n’est pas un simple camouflage1052 ; une sorte de loup ‘dérogatoire’ déguisé en brebis
‘ordinaire’. En analysant la procédure spéciale, celle-ci présente en effet des dérogations
indéniables au stade de la poursuite1053, de la procédure et de l’indemnisation. L’abrogation
du droit au silence en Irlande du Nord, ainsi que l’affaiblissement des règles relatives à
l’administration des preuves, en témoignaient.1054 Devant la Diplock Court, le risque d’être
condamné sur des preuves non corroborées (telles que des supergrasses1055) s’avérait
davantage prégnant, ce qui faisait entorse au standard élevé de la procédure ordinaire que
nous esquisserons ultérieurement.1056 En matière terroriste, certaines preuves étaient dès lors
autorisées, alors qu’elles auraient été exclues dans un procès ordinaire. La faculté dont
disposait le juge pour se dessaisir, s’il était au courant de preuves inadmissibles, au profit
d’un autre juge, ne fut que rarement exercée.1057

1050
Infra, n° 376.
1051
Infra, n° 297.
1052
G. LEVASSEUR, « Dix ans d’évolution législative en France (1977-1987) », RIDP 1987, p. 211.
1053
Sans entrer dans les détails, il existe par exemple des règles spécifiques quant à la garde-à-vue, les perquisitions,
les visites à domicile et la détention provisoire.
1054
C.D. RASNIC, l.c., p. 247. Bien évidemment, torture ou traitement humain dégradant sont proscrits par l’art. 3
CESDH (J.D. JACKSON et S. DORAN, « Conventional Trials in Unconventional Times : The Diplock Court
Experience », l.c., p. 505 et P. HUNT et B. DICKSON, « Northern Ireland Emergency Laws and International Human
Rights », FQHR 1993, p. 178).
1055
Supra, note 270.
1056
D. BONNER, l.c., p. 28 et p. 43 et R.F. JULIAN, « Judicial Perspectives on the Conduct of Serious Fraud Trials »,
Crim. L.R. 2007, p. 765.
1057
§ 76 Terrorism Act 2000 et s. 12 FIEPA 1996 (S.C. GREER et A. WHITE, o.c., p. 17 et J.D. JACKSON et S. DORAN,
« Addressing Adversarial Deficit in Non-jury Criminal Trials », l.c., p. 663).

176
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

En droit français, la cour d’assises spéciale n’est pas tenue de décider à la majorité
qualifiée. Contrairement à la cour d’assises ordinaire, une majorité simple suffit (art. 698-6,
3° CPP). Cette différence, soulevée en question prioritaire de constitutionnalité1058 en tant
que violation du principe d’égalité des citoyens devant la loi et du principe de la présomption
d’innocence, n’a pas donné lieu à un renvoi au Conseil constitutionnel. La Cour de cassation
considère d’une part que la question ne porte pas sur l'interprétation d'une disposition
constitutionnelle dont le Conseil n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application et ne
serait donc pas nouvelle et, d'autre part, que le Conseil constitutionnel a déjà déclaré
conforme à la constitution l'article 706-25 CPP qui renvoie aux dispositions de l'article
contesté.1059

174. Devant une juridiction purement professionnelle s’opère en outre un changement


manifeste de ton et de style. En l’absence de citoyens ordinaires, il s’avère, en premier lieu,
moins nécessaire de s’attacher aux principes de continuité et d’oralité des débats.1060
Contrairement aux jurés, le juge professionnel dispose d’un accès au ‘pire ennemi’ des
débats : le dossier, qui lui permet de connaître plus spécifiquement le contexte et la réputation
de l’accusé, dont les jurés anglophones étaient traditionnellement exclus1061. Ainsi, dans la
Diplock Court, le dossier faisait de manière indirecte son apparition au procès criminel. Une
telle révolution professionnelle, en introduisant en droit anglais un « îlot de civil law dans un
océan de common law »1062, démontre que les deux modèles de justice, ‘accusatoire’ et
‘inquisitoire’, ne se conçoivent pas de manière stricte. En second lieu, le transfert du jury au
juge de carrière aura un impact non négligeable sur le rôle et le comportement des différents
protagonistes. D’une part, il est évident qu’une mutation aura lieu en ce qui concerne la
conduite des avocats. Le ‘cirque’ tragique qui se déroule souvent devant les jurés n’aura pas
de sens devant des juges professionnels, au contraire.1063 La justice évolue dès lors vers une
dimension plus austère et rationnelle. De l’autre côté, et en l’absence de jury, le rôle du juge
devient davantage interventionniste et actif, surtout lorsqu’il remplit seul cette tâche comme
en Irlande du Nord.1064 De maître du droit, le juge descend désormais intégralement dans

1058
Infra, note 2339.
1059
Crim. 19 mai 2010, D. Actualité 2 juin 2010, obs. L. PRIOU-ALIBERT.
1060
Infra, n° 184 et s. (J.D. JACKSON et S. DORAN, « Addressing Adversarial Deficit in Non-jury Criminal Trials »,
l.c., p. 647).
1061
J.D. JACKSON et S. DORAN, « Addressing Adversarial Deficit in Non-jury Criminal Trials », l.c., p. 657 (infra, n°
216 et s.).
1062
Expression utilisée par X. LAGARDE, « Finalités et principes du droit de la preuve - Ce qui change », JCP G 2005
I, Etude n° 133, p. 774.
1063
J.D. JACKSON et S. DORAN, « Conventional Trials in Unconventional Times : The Diplock Court Experience »,
l.c., p. 512. Selon les témoignages sur les cours d’assises spécialement composées, les avocats de la défense ne l’ont
toutefois pas toujours bien compris (P. RANCE, l.c.).
1064
S. DORAN et J.D. JACKSON, Judge Without Jury : Diplock Trials in the Adversary System, Oxford, Clarendon,
1995, chap. 5-7.

177
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

l’arène des faits. Une certaine collégialité pour le jugement d’affaires d’une telle gravité
semble à cet égard préférable. Malgré les éventuels problèmes organisationnels, un collège de
juges inspire en effet une confiance accrue.1065

Par ailleurs, dans un système purement professionnel, le risque d’‘acclimatation’ à


certaines preuves et arguments favorables ou préjudiciables à la défense devient plus
probable.1066 Des problèmes peuvent également survenir sur le plan de l’indépendance et de
l’impartialité. Contrairement aux citoyens tirés du peuple, très éloignés de l’Etat, du jeu
procédural et des détails relatifs à la phase préparatoire, les juges sont des initiés du système.
A la différence du jury qui fait une partie intégrante de la communauté et insufflerait le débat
judicaire directement des valeurs de la société qu’il incarne (‘of’ the community), le juge fait
son métier. S’il est responsable à l’égard de la société (‘to’ the community)1067, il ne la reflète
pas, ce qui pourrait s’avérer désastreux pour des affaires qui touchent la conscience collective
en plein cœur.

En guise d’argument, nous pourrions avancer qu’il existe, spécifiquement en matière


terroriste, la nécessité de garantir le jugement par le peuple. Hormis son impact afférent, il
s’agit d’un type d’infractions pour lequel les théories du complot ciblant la police et le corps
judiciaire sont les plus à craindre. N’est-il pas également pour cette raison que le corps
judiciaire rejette généralement la notion de juridiction ‘spéciale’ au profit de celle de cour
d’assises ‘spécialement composée’, celle-ci n’étant pas « aux ordres du Gouvernement » ?1068
L’apparence d’indépendance est cependant d’autant d’importance. Les incitations au retour
du jury en témoignent. Mais existent-ils encore des jurés impartiaux pour le jugement de
telles affaires ? Au regard de l’effroyable héritage du 11 septembre 2001 et des attentats de
Madrid et de Londres, existe-t-il encore un Américain, un Espagnol, un Britannique
susceptible d’être suffisamment impartial pour juger un acte terroriste ?1069 En outre, la
procédure ordinaire prise comme référence pour critiquer les systèmes d’urgence est-elle si
efficiente ? La professionnalisation n’est-elle pas également un facteur d’efficacité et de
rapidité, les juridictions d’exception disposant des meilleurs moyens et conditions de travail ?
Les récentes condamnations de la France par la CEDH et la Cour de cassation pour violation
du principe du délai raisonnable que nous analyserons plus loin, laissent toutefois présumer

1065
D. BONNER, l.c., p. 52.
1066
Ainsi, le nombre d’acquittements chuta de 53% en 1984 à 29% en 1993 en Irlande du Nord, tandis que le taux
d’acquittement des jurés se maintenait autour du 48%. Le taux de plaider coupable des protestants augmenta de 31 à
70%, ceux-ci ne pouvant plus compter sur la ‘sympathie’ du jury (C.D. RASNIC, l.c., p. 252).
1067
S. Diamond in J.D. JACKSON, « The Restoration of Jury Trial in Northern Ireland : Can we Learn from the
Professional Alternative? », l.c., p. 19.
1068
P. RANCE, l.c.
1069
L.K. DONOHUE, l.c., p. 1331.

178
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

autre chose. En effet, le fait de réserver sept, voire neuf magistrats de carrière pour le
jugement d’une affaire, semble de nature à causer nombre d’écueils organisationnels pour la
machine judiciaire entière. Si le système du jury populaire n’est pas satisfaisant, l’alternatif
de la cour d’assises professionnelle ne l’est pas non plus. Peut-être serait-il davantage
judicieux de s’affranchir du « grip of jury thinking »1070 et de redessiner intégralement la
carte judiciaire.

B — RECOURS A DES MESURES PONCTUELLES EN REPONSE A UNE


MENACE DEMONTREE

175. Contrairement à la situation en France et en Irlande du Nord, la Belgique et la


Grande-Bretagne, également favorables à l’instauration de mesures supplémentaires en
matière de terrorisme afin de protéger les jurés (1), n’envisagent de recourir à leur exclusion
qu’en cas de preuves attestant l’impossibilité de constituer le jury ou l’intimidation avérée de
celui-ci (2).

1. Un consensus sur la nécessité de protéger les jurés

176. Au lieu d’évincer in abstracto, lorsqu’il est question du terrorisme, tout élément
laïque au profit d’un monde professionnel et une procédure à part, des interventions in
concreto, en amont, pendant et en aval du procès pénal, permettraient peut-être de relever le
défi terroriste.

177. Antérieurement au procès et pour diminuer les éventuels problèmes de


constitution du jury, il serait envisageable d’élargir le pool des jurés. Avec un quota plus
conséquent de jurés potentiels, la probabilité de trouver douze (neuf en France) citoyens non
défaillants est optimisée. En Belgique, les procès d’assises de Mons et Brabant de 1986
contre les alliés de la doctrine des CCC (Cellules Communistes Combattantes)1071 ainsi que
l’affaire Haemers1072 de 1993, ont en effet démontré que les citoyens sont de moins en moins
enclins à accomplir leurs devoirs civiques.1073 Pour « permettre au président de la cour
d'assises de lever le blocage afin que l’accusé puisse comparaître devant ses juges »1074, les
règles relatives à la composition du jury (anciens art. 237-238, art. 245 et art. 248 C. jud.,
1070
« de l’obsession pour les jurys » (S. DORAN, « The Symbolic Function of the Summing-up in the Criminal Trial :
Can the Diplock Judgment Compensate ? », F. Ir. Legal Q. 1991, p. 373 ; trad. pers.).
1071
Les CCC ont commis plusieurs attaques à la bombe dans les années 1984-1985.
1072
La bande à Haemers est devenue célèbre en commettant une série de hold-up. P. Haemers a également été tenu
responsable de l'enlèvement de l'ancien premier ministre belge P. Vanden Boeynants en 1989. Lors de la composition
de son jury en 1993, le président de la cour d'assises fut confronté à l’énorme défaillance des citoyens appelés à siéger
comme jurés.
1073
Ainsi que nous l’avons déjà avancé, l’impossibilité de constituer un jury ne résulte pas uniquement du manque de
civisme des citoyens (Doc.parl. Chambre 1992-93, n° 1075/2) vu la politique libérale de certains présidents
d’attribuer des dispenses.
1074
Doc.parl. Chambre 1992-93, n° 1075/2.

179
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

nouveaux art. 287 et s. CIC) furent modifiées par les lois du 13 novembre 19871075 et du 15
juillet 19931076. En particulier, l’on procède préalablement à un tirage au sort supplémentaire
des jurés afin d’atteindre le nombre exigé.1077 En droit anglais, il convient de souligner la
faculté dont dispose le huissier, sur décision de la cour, de chercher des gens dans la rue s’il
ne reste pas suffisamment de personnes pour constituer le jury (s. 6 JA 1974). Selon la
jurisprudence, une telle pratique n’est a priori pas contraire au principe du tirage au sort.1078

Pour diminuer le risque d’intimidation, l’interdiction française relative à la


communication d’informations sur le domicile ou la résidence des membres du jury,
introduite en réaction à des cas de menaces, d’harcèlement téléphonique ou d’intimidation
des futurs jurés (art. 282 al. 2 CPP), fut envisagée comme mesure de protection1079. La
proposition anglaise d’effectuer la sélection des jurés par nombre, et non par nom, s’inscrit
dans la même optique.1080 Toutefois, l’anonymat ne sert pas à la protection des jurés pendant
les débats, ceux-ci rentrant chaque jour chez eux. La proposition d’instaurer un ‘jury des
débats’ de trente-six personnes, dont un ‘jury de jugement’ de douze membres tirés au sort
juste avant l’entrée dans la salle de délibération1081, semble pourtant peu judicieuse au regard
des écueils organisationnels et des ennuis professionnels et personnels induits, pour les jurés,
par la longueur des procès. Une autre piste qui consiste à transférer le procès dans un autre
ressort, n’apporte toutefois pas de solution lorsque la peur émane d’un risque pressenti et
global.

178. Pendant le procès et si les jurés sont maintenus, il s’avère nécessaire d’assurer
leur protection. L’on peut par exemple songer à une protection policière. Une telle mesure,
onéreuse compte tenu du nombre important de personnes à protéger et de la longueur des
procès d’assises, pourrait cependant faire croire que la menace émane de l’accusé tout en
induisant des préjugés susceptibles d’entraver l’objectivité des jurés et de fausser le verdict.
Pour y remédier, une option pourrait consister à ne pas dévoiler les motifs de cette protection
aux jurés ; or, pour éviter les spéculations un minimum d’informations serait toutefois utile.
1075
Loi du 13 novembre 1987 portant modification des articles 120, 124, 238, 245 et 247 du Code judiciaire, MB 31
déc. 1987, p. 19771. Cette loi (art. 4) a notamment augmenté le nombre des jurés suppléants (Doc.parl. Chambre
1986-87, n° 893/1).
1076
Loi du 15 juillet 1993 modifiant les articles 237, 238 et 246 du Code judiciaire, MB 24 juill. 1993, p. 17288.
1077
Il faut maintenant au minimum soixante juré potentiels (art. 237 C. jud.).
1078
V. par exemple Salt 1996, cité par S. LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS, l.c., p. 70.
1079
Loi n° 83-466 du 10 juin 1983, JORF 11 juin 1983, p. 1755. Il fallut toutefois attendre la loi n° 94-89 du 1er
février 1994 (JORF 2 févr. 1994, p. 1803) pour mettre un terme à la possibilité qu’avaient les avocats de se faire
communiquer la liste administrative contenant ces informations. En Belgique, la communication des informations au
conseiller, et non à l’accusé, fut jugée impossible vu que « la défense est une notion indissociable et indivisible en
matière telle que toute pièce communiquée au conseil de l’accusé l’est également à ce dernier » (Cass. 31 mai 1995,
Pas. 1995, I, p. 567 et R.Cass. 1996, p. 97, note F. D’HONDT).
1080
Comerford [1998] 1 W.L.R. 191 (S. LLOYD-BOSTOCK et Ch. THOMAS, l.c., p. 76 et J. SPRACK, Emmins on
Criminal Procedure, o.c., p. 264).
1081
L.K. DONOHUE, l.c., p. 1354.

180
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Un soutien psychologique pendant la durée du procès et les jours suivants pourrait être
envisagé pour les jurés.1082 Telle semble également être la vision du législateur belge qui
oblige, dans le nouvel article 281 § 1 du Code d’instruction criminelle, le président à
communiquer aux jurés les instances auxquelles ils peuvent s’adresser pour obtenir un
soutien psychologique au terme de leur mission.

Compte tenu du nécessaire libre accès du public au Palais de justice, la sécurité au


procès ne peut qu’être limitée, hormis pour les cas de huis clos : « seule une bunkérisation est
à même d’assurer une étanchéité des lieux »1083. Peut-être faudrait-il envisager une
modification de l’agencement des cours afin que les jurés disposent d’un accès autonome et
n’aient pas de contact avec l’accusé, ses proches et le public. Mais la vengeance ne se
limitant pas nécessairement à la durée du procès, le prix à payer pour des citoyens ordinaires,
à savoir des sentiments d’insécurité ou d’angoisse perpétuels, est trop élevé.1084 Le même
risque concerne également les juges de carrière. Nous pourrions cependant postuler que ceux-
ci sont plus enclins à y faire face compte tenu de leurs professionnalisme et expérience. Leur
choix de métier implique en outre l’acceptation implicite de ce danger1085, ce qui n’est pas le
cas pour les citoyens ordinaires tirés au sort sur les listes électorales. Une autre option visant
à endiguer la méfiance pourrait consister à faire collaborer jurés et professionnels, ce qui
pourraient rassurer les jurés sur les capacités de la machine judiciaire à les protéger de
manière efficace.1086

Dans une visée davantage répressive, le droit anglais a changé ses règles de votes.
Depuis des siècles la règle d’unanimité de votes caractérisait la procédure de la Crown
Court.1087 Les décisions du jury tant en faveur qu’au détriment de l’accusé devaient être
soutenues par chacun des douze jurés. Si une telle unanimité présentait l’avantage d’éviter
des compromis boiteux autour de graves questions morales et de pousser les jurés à s’engager
dans une vraie délibération pour tenter de dégager un consensus beyond a reasonable
doubt1088, elle fut cependant à l’origine d’un nombre élevé de jurys bloqués (hung jury ou
jury ‘pendu’). En effet, l’intimidation d’un seul juré refusant de s’accorder à l’opinion des

1082
Proposition de loi n° 929 (Y. FAVENNEC et collègues) tendant à permettre à la mise en place d’un soutien
psychologique pour les jurés de cour d’assises, déposée le 4 juin 2008, www.assemblee-
nationale.fr/13/propositions/pion0929.asp.
1083
J. DALLEST, l.c., p. 104. V. aussi Crim. 1er juin 1883, Bull. crim. 134.
1084
L.K. DONOHUE, l.c., p. 1358.
1085
Selon les témoignages reçus par P. Rance, les assesseurs de l’affaire Colonna ne se seraient pas sentis en danger
(P. RANCE, l.c.).
1086
W. ROUMIER, o.c., p. 65, n° 114-115.
1087
M.D.A. FREEMAN, « The Jury on Trial », C.L.P. 1981, p. 68-69 (v. aussi infra, n° 292).
1088
L'unanimité des votes serait mieux en conformité avec le principe de la présomption d’innocence : si un certain
nombre de jurés n’est pas convaincu de la culpabilité, celle-ci ne serait pas prouvée « beyond a reasonable doubt »
(J.D. JACKSON et N.P. KOVALEV, « Lay Adjucation and Human Rights in Europe », Colum. J. Eur. L. 2006-07, p.
113).

181
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

onze autres était suffisante pour empêcher la Crown Court de rendre un verdict. Pour sortir
de cette impasse, la seule solution consistait à décharger le jury et à ordonner un nouveau
procès, ce qui n’était ni profitable à une justice déjà saturée, ni à la société. De surcroît, il
s’agissait également de savoir comment le nouveau jury, qui risquait d’être influencé par la
couverture médiatique du premier procès, devrait s’acquitter de sa tâche, sachant que le
premier jury était deadlocked (dans une impasse).1089 Que se passait-t-il en outre si le
deuxième jury se trouvait également bloqué ? Selon les conventions, il n’y avait pas de
troisième procès,1090 l’accusé s’en sortant avec un acquittement. Pour y remédier le Criminal
Justice Act de 1967 autorisait les jurés, sous certaines conditions1091, à rendre leur verdict à
une majorité d’au moins dix voix/deux, soit de dix/un ou de neuf/un lorsqu’un ou plusieurs
jurés ont été déchargés. Il semble que cette modification s’inscrit à nouveau dans une
« guerre contre la criminalité ». Sans s’aventurer dans la voie d’une exclusion du jury
populaire, il faut s’assurer que les accusés n’échappent pas à la condamnation pour cause
d’intimidation d’un ou plusieurs jurés ; cet objectif semble atteint, l’étude de Cheryl Thomas
effectuée en 2010, estimant à 0,6% le pourcentage de jurys bloqués.1092

Un autre moyen mis en œuvre par le législateur anglais consiste à ériger en infraction
la tentative d’intimidation ou de menace physique ou financière sur certaines personnes
impliquées dans un procès, y compris les jurés (s. 51 CJPO 1994). Les sanctions furent ainsi
augmentées pour ceux qui menacent le jury (sch. 9, s. 11 Terrorism Act de 2000 ; v.
également s. 54-57 Criminal Procedure and Investigations Act de 1996). En droit français,
plusieurs infractions sont assorties d’une circonstance aggravante lorsqu’elles sont commises
à l’encontre d’un juré.1093 D’autres infractions sanctionnent le fait d’influencer le
comportement d’un juré dans l’exercice de ses fonctions.1094 L’impact de telles mesures
risque toutefois d’être limité, les organisations dissidentes n’hésitant pas à demander à leurs
membres de mourir pour leur cause.

179. Postérieurement au procès, le droit anglais prévoit deux remèdes exceptionnels :


un droit automatique d’appel contre un verdict corrompu par intimidation, ce qui n’est

1089
G. WILLIAMS, The Proof of Guilt : a Study of the English Criminal Trial, Londres, Stevens & Sons, 1963, 3ème éd.,
p. 320.
1090
J. SPRACK, A Practical Approach to Criminal Justice, Oxford, Oxford University Press, 2004, 10ème éd., p. 375 ; v.
pourtant Bell [2010] Crim. L.R. 582, comm. N.W. TAYLOR.
1091
Infra, n° 292.
1092
Ch. THOMAS, Are Juries Fair ?, o.c., p. 27.
1093
Il s’agit notamment de meurtre (art. 221-4, 4° CPF), des tortures et actes de barbarie (art. 222-3, 4° CPF), des
violences volontaires (art. 222-8, 4°, art. 222-10, 4°, art. 222-12, 4° et art. 222-13, 4° CPF) et de l’empoisonnement
(art. 221-5 CPF).
1094
Tel que les infractions de destruction, dégradation et détérioration de biens (art. 322-3, 3° CPF), et menaces et
intimidations (art. 434-8 CPF ; W. ROUMIER, o.c., p. 65, note 235). En droit belge uniquement les dispositions
relatives aux infractions de corruption passive (art. 249 CPB) et d’outrage et violence (art. 282 CPB) font mention des
jurés.

182
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

toutefois pas simple contre une juridiction populaire ; et la possibilité d’un nouveau procès
lorsque les accusés ont été acquittés par des jurés intimidés (comme cela fut évoqué par le
Criminal Procedure and Investigations Act de 1996). Contrairement à la règle traditionnelle
de l’acquittement définitif, les juges de la High Court disposent, selon section 54 de cette loi,
de la faculté d’annuler un acquittement si une personne a été condamnée en raison de
l’intimidation d’un juré ou d’un témoin dans la même affaire1095

2. L’abolition du jury comme ‘ultimum remedium’

180. Malgré cette préférence pour des mesures ponctuelles, il est remarquable de
constater que ces deux pays, davantage conservateurs, évoluent également vers des solutions
plus radicales. Après l’écroulement de plusieurs affaires en raison de l’intimidation des
jurés1096, l’Angleterre a récemment donné le feu vert à une clause d’exception qui permet
d’échapper au jury. En vertu de section 44 du Criminal Justice Act de 2003, entrée en vigueur
le 24 juillet 2006,1097 l’affaire peut, sur requête de la Prosecution, être traitée par un juge
professionnel lorsqu’il estime qu’il existe des preuves « d’un danger réel et actuel de
“corruption” du jury »1098 et « lorsqu’en dépit des mesures qui pourraient raisonnablement
être prises (y compris une protection de la police) afin d’éviter une telle intimidation, la
probabilité qu’elle aura lieu serait tellement substantielle qu’il est nécessaire dans l’intérêt
de la justice de conduire le procès sans jury » (jury tampering).1099 Avant de prendre cette
décision radicale1100, le juge doit informer les parties et leur offrir la possibilité de se
défendre sur ce point. Ensuite, il peut décider de continuer lui-même le procès ou ordonner
un nouveau procès sans jury. Cette option qui, comparée au droit français et nord-irlandais, a
le mérite d’exiger l’existence d’un danger réel et actuel, permettrait d’épargner du temps et
des dépenses. Le cas échéant, le président doit motiver sa décision (s. 48 (5) (a) CJA 2003).
Toutefois, cela conforte l’impression d’un Etat actuellement peu apte à affronter de tels
problèmes et à protéger les jurés.1101 Dans l’affaire T de 2009, la première affaire où ce
nouveau pouvoir du président de la Crown Court fut en cause, la cour d’appel donne des
directives afin de garantir l’application exceptionnelle de cette disposition. Détachée de son
‘amour’ traditionnel pour l’institution du jury populaire, elle considère que le procès devant

1095
Infra, note 2279.
1096
C. ELLIOT et F. QUINN, o.c., p. 217 ; v. par exemple Williams [1997] 2 Cr. App. R. 221 ; Watmore [1998] 2 Cr.
App. R. (S) 46 (intimidation des témoins) et Hardy [2004] 2 Cr. App. R. (S) 48.
1097
Criminal Justice Act 2003 (Commencement n° 13 and Transitional Provision) Order 2006, n° 1835 (C. 61)
www.opsi.gov.uk/si/si2006/20061835.htm.
1098
Les preuves de ce danger ne sont pas nécessairement des preuves admissibles au procès de l’accusé (T [2009]
Crim. L.R. (2010) 82, comm. N.W. TAYLOR).
1099
Trad. pers.
1100
Les parties peuvent interjeter un appel contre cette décision du juge (P. MURPHY, o.c., p. 1609).
1101
P. THORNTON, l.c., p. 696.

183
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

un juge unique ne constitue pas une atteinte au procès équitable dans la mesure où celui-ci
offre toutes les garanties présentes dans un procès devant le jury et constitue un tribunal
impartial et indépendant au sens de l’article 6 CESDH1102 : il s’agit d’une véritable révolution
dans l’histoire criminelle anglaise. En 2010, l’avènement du premier procès sans la présence
des ‘douze hommes en colère’, ne fut pas épargné par les protestations du public.1103 Le souci
qu’une « door is being kicked open to further non jury cases » (une porte a été ouverte pour
d’autres affaires sans jury) demeure. La CJA 2003 ne consisterait-elle pas plutôt à éviter le
jury — également pour un co-accusé non impliqué dans l’intimidation —, plutôt qu’à
endiguer la corruption ?

181. En Belgique, l’option d’une juridiction d’exception a toujours été rejetée.


Pendant la seconde guerre mondiale, le droit belge prévoyait exclusivement une exception au
système ordinaire par l’arrêté-loi du 26 mai 1944 relatif à la compétence et à la procédure en
matière de crimes et délits contre la sûreté de l’Etat.1104 Le jugement de ces crimes était
confié à des juridictions militaires.1105 Plus récemment, la Cour suprême belge a cassé les
condamnations prononcées à l’encontre des membres de l’organisation DHKP/C. Le transfert
d’un juge de Dendermonde à Bruges uniquement pour les suspects du terrorisme, induisait
une suspicion de partialité tout en donnant l’impression qu’il s’agissait d’une juridiction
d’exception, ce qui était inacceptable.1106

Lors des débats parlementaires relatifs à la récente réforme de la cour d’assises, la


question fut également abordée. La Commission de réforme de la cour d’assises, puis les
propositions de loi du 26 avril 2007 et du 25 septembre 2008, avancèrent un garde-fou
législatif dans les cas où il est impossible de constituer le jury pour cause de menaces ou de
pression réelle. En particulier, si le président de la cour d’assises constate, après convocation
du nombre requis de candidats (trente-deux dans sa proposition)1107, qu’il est impossible de
former le jury, il devrait convoquer un nombre similaire de nouveaux jurés pour tenter de
recomposer le jury. A la demande du président, cette procédure pourrait encore se répéter
ultérieurement. Lorsqu’à l’issue de ces trois tentatives il est manifestement impossible de
former un jury dans un contexte lié au terrorisme, l’affaire devrait être portée devant la cour

1102
T [2009] Crim. L.R. (2010) 83.
1103
« Fo jury, no justice » et « secret evidence, secret justice » (The Independant, 13 janv. 2010).
1104
Arrêté-loi du 26 mai 1944 relatif à la compétence et à la procédure en matière de crimes et délits contre la sûreté
de l’Etat, MB 2 sept. 1944 (v. R. LEGROS, « Un autre partisan de la cour d’assises » in ULB Ecole de sciences
criminologiques Léon Cornil, Quel avenir pour le jury populaire en Belgique ?, o.c., p. 198).
1105
J. VANDERVEEREN, l.c., p. 515.
1106
Cass. 19 avr. 2007, RW 2006-07, p. 1721, note G. MAES et T.Strafr. 2007, p. 376, note P. DE HERT et J. MILLEN.
1107
Ce chiffre renvoie à sa proposition de diminuer le nombre de jurés potentiels à huit (infra, n° 282), compte tenu de
son intention d’abolir la distinction entre jurés titulaires et jurés de complément, ainsi que d’abolir la faculté de la
récusation péremptoire (supra, n° 152 ; R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de
assisenprocedure ? », l.c., p. 302-305)

184
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

d’appel qui statue en premier et dernier ressort, conformément au principe du ‘privilège de


juridiction’. Le ministre de la Justice exprima de son côté son intention de supprimer la cour
d’assises pour les affaires de terrorisme (art. 137-138 CPB). A l’instar de l’exemple français,
ces affaires seraient confiées à une cour d’assises siégeant sans jury, mais à un collège
professionnel qui siégerait à cinq magistrats professionnels, à savoir un président et quatre
assesseurs.1108 Si au moins un des accusés concernés est un mineur dessaisi, deux des
magistrats professionnels seraient tenus de suivre une formation spécifique continue visée à
l’article 259sexies § 1, 1° al. 3 ou 259sexies § 1, 2° al. 2 du Code judiciaire.1109 Ainsi, il
réfutait la solution de la Commission d’attribuer la compétence à la cour d’appel. Devant
cette cour, on ne manquerait en effet pas de plaider qu’il s’agit d’un crime politique relevant
de la compétence exclusive de la cour d'assises.

Horrifié par l’atteinte au composant essentiel de la cour d’assises — le jury —, et


craignant l’inconstitutionnalité d’une telle cour d’assises purement professionnelle, le Sénat
belge ne pouvait pas se rallier à cette volonté radicale du Gouvernement. Le problème de
représailles pourrait d’ailleurs se poser pour d’autres incriminations, telles que la criminalité
organisée et le trafic des stupéfiants.1110 Il n’y avait pas non plus la volonté d’anticiper un
problème ne s’étant pas encore posé en pratique. Il en résulte qu’aucune réforme spécifique
n’est intentée sur le plan du terrorisme.

182. Il ne fait aucun doute que le phénomène terroriste gagnera en ampleur. La prise
de conscience et la volonté de renforcer les autorités de poursuites, tant en droit interne qu’au
niveau international, en témoignent. Ainsi, le Gouvernement belge envisage également
d’engager dans sa lutte anti-terroriste des citoyens non-juristes tels que des experts,
informaticiens, islamiques et comptables.1111 A nouveau, le recours à la spécialisation et à la
multidisciplinarité est avancé. Le citoyen ‘spécialiste’ y est davantage envisagé dans son rôle
d’auxiliaire. De ‘simples’ juristes ne suffissent plus. La place occupée par de citoyens
ordinaires gagne en pénibilité. En aucun cas l’on ne saurait mettre en danger leur vie. Mais
lorsque leur marginalisation semble relever d’une cause extérieure, à savoir les menaces des
organismes dissidents, leur existence est également mise en péril par une cause à son for, à
savoir leur difficulté à comprendre le jeu procédural.

1108
L’option d’un appel contre cette juridiction professionnelle n’était pas avancée.
1109
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 172 et s.
1110
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 62.
1111
X, « Politie rekruteert burgers in de strijd tegen terreur », De Standaard 3 janv. 2008.

185
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Section 2
Le risque d’incompréhension des jurés

« Is that the verdict of you all ? Yes, most of us »


[J. MORTON, « Inside the Juryroom », J.Crim.L. 2004, p. 1-3.]

183. Comparé à la procédure correctionnelle, le procès d’assises a le mérite, par ses


principes fondateurs — l’oralité et la continuité des débats —, d’aller jusqu’au bout d’une
affaire dans laquelle des peines sévères peuvent être infligées. Cette plus-value, en particulier
imputable à la présence de laïcs, ignorants du droit et du dossier établi dans la phase
préparatoire, n’est toutefois pas exempte d’écueils : une justice ‘émotive’, lourde et
irrationnelle semblent en effet être le revers de la médaille (§ 1 — Les principes fondateurs
de la procédure criminelle : sa plus-value incontestable, sa menace déplorable). Au-delà des
préjugés propres à chaque citoyen et des pressions éventuelles dont il peut être l’objet, le
risque que les citoyens tirés au sort se perdent dans le monde complexe du droit est tangible.
L’idée que la procédure actuelle et les retouches apportées ne sont guère suffisantes gagne
progressivement du terrain. A l’instar du terrorisme, les solutions d’optimalisation
aboutissent dès lors, dans certains domaines, à l’exclusion des juges populaires (§ 2 — Les
tentatives entamées vers plus de rationalité), ce qui pousse à se demander si les exceptions et
systèmes dérogatoires ne se répandraient pas comme des ‘tumeurs’ dans un corps malsain.
Afin d’examiner les solutions potentielles et les remèdes apportés par le Criminal Justice Act
de 2003 et la loi belge du 21 décembre 2009, revenons d’abord aux mérites/faiblesses de la
procédure criminelle traditionnelle.

§ 1 — LES PRIFCIPES FOFDATEURS DE LA PROCEDURE CRIMIFELLE : SA PLUS-


VALUE IFCOFTESTABLE, SA MEFACE DEPLORABLE

184. La procédure d’assises est régie par un principe absolu, essentiel, voire sacral, et
qui la distingue de la phase d’instruction et de son pendant correctionnel1112 : l’oralité des

1112
Au correctionnel, la partie orale est à nuancer pour des raisons gestionnaires. Le juge correctionnel se fonde
majoritairement sur des preuves écrites obtenues dans la phase préparatoire (infra, n° 469 et s.). Cette phase connaît
en Belgique un allongement depuis le ‘petit Franchimont’ (loi du 12 mars 1998 relative à l'amélioration de la
procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction (MB 2 avr. 1998, p. 10027) qui a créé des mini-débats
occasionnels dans la phase de l’instruction judiciaire (art. 136 et art. 61ter et 61quinquies CIC).

186
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

débats1113 et le traitement contradictoire et continu qui en résulte. En vertu de ce principe


fondateur, les jurés doivent former leur conviction à partir de l’instruction orale à l’audience
de la cour d’assises.1114 Le composant laïque exige en effet que toute l’instruction
préparatoire soit refaite oralement à l’audience malgré l’existence — en droit continental —
d’un dossier complet. A l’audience, le dossier n’étant plus que le socle du débat judiciaire, il
semble que le seul document d’importance aux assises soit le procès-verbal des débats.1115 En
effet, l’oralité étant le meilleur moyen « d’outrepasser le tri réducteur auquel est contraint de
procéder tout rédacteur du procès-verbal »1116, l’instruction doit émerger à l’audience : « la
discussion orale est la seule qui puisse faire jaillir la vérité d’un débat: elle place les accusés
et les témoins en face les uns des autres; elle provoque les explications et les révélations, les
délégations, les aveux, — elle dépouille les faits de leurs premières apparences et les livre
aux yeux de leur nudité. Les jurés forment leur conviction dans le débat qui s’ouvre devant
eux, dans les dépositions, dans la parole plus ou moins assurée, l’accent plus ou moins
sincère des témoins, dans l’attitude, les explications, la physionomie même des accusés »1117.
Ce principe se justifiait également sur un plan pratique : lorsque les jurés étaient souvent
illettrés, l’on ne pouvait se fier aux seules preuves présentées oralement, sauf en conférant
aux érudits et magistrats une influence dominante.1118

185. Contrairement au droit pénal belge, où l’article 280 alinéa 1 du Code


d’instruction criminelle modifié par la loi du 21 décembre 2009 énonce clairement que
« l'instruction à l'audience est menée oralement », l’oralité des débats n’est pas prescrite
comme telle dans le Code de procédure pénale français. Elle découle de la disposition en
vertu de laquelle « les témoins déposeront oralement » (art. 331 al. 3 CPP), ainsi que de celle
qui s’oppose à ce que les jurés disposent des déclarations écrites des témoins (art. 347 al. 3
CPP).1119 D’autres manifestations du triomphe de l’oral sur l’écrit concernent le pouvoir
discrétionnaire du président qui se manifeste obligatoirement à l’audience et en présence de

1113
Il s’agit d’une formalité substantielle de la procédure d’assises, prescrite à peine de nullité (Crim. 19 mars 1896,
Bull. crim. 107 ; Crim. 6 mai 1998, Bull. crim. 155 et Cass. 8 janv. 1844, Pas. 1844, I, p. 107). Elle ne s’étend pas aux
décisions de droit prises par la cour sans jury (Cass. 19 janv. 1970, Arr.Cass. 1970, p. 450 ; R. DECLERCQ, o.c., p.
1014, n° 2259).
1114
Crim. 9 avr. 1986, Bull. crim. 120 et D. 1986, somm. p. 305, obs. J. PRADEL et H. ANGEVIN, p. 188.
1115
F. SAINT-PIERRE, « L’avocat face au dossier de la procédure », AJpénal 2007, p. 307.
1116
B. FAYOLLE, l.c., p. 68.
1117
F. HELIE, o.c., p. 507.
1118
J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c.
1119
En droit belge, l’ancien art. 341 al. 1 CPP allait dans le même sens (Cass. 21 févr. 1979, Pas. 1979, I, p. 750). Les
jurés ne pouvaient pas consulter les déclarations déposées sous serment auprès du juge d’instruction (Cass. 12 nov.
1985, RW 1985-86, p. 2549, note A. VANDEPLAS et Cass. 16 juin 2004, JLMB 2004, p. 1137 et RDPC 2005, p. 106).
Peu importe si les pièces étaient régulières ou pas (Cass. 31 mai 1995, Pas. 1995, I, p. 567 et R.Cass. 1996, p. 97, note
F. D’HONDT). En revanche, la lecture à l’audience des déclarations actées par écrit n’ayant pas été faites sous serment
devant le juge d’instruction était permise (Cass. 20 août 1991, Pas. 19914, I, p. 951 et RW 1991-92, p. 847, note A.
VANDEPLAS). Pour ne pas donner aux jurés l’impression que certaines informations leur sont cachées, la loi du 21
décembre 2009 supprime l’exception relative aux déclarations écrites des témoins (art. 326 al. 1 CIC).

187
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

toutes les parties1120, l’interdiction (en droit français et anglais) de motiver les arrêts par
référence à la procédure écrite, l’interdiction de mentionner au procès-verbal des réponses
des accusés et du contenu des dépositions sans ordre du président (art. 379 CPP)1121 ainsi que
l’interdiction d’accès au dossier au cours des débats. Contrairement au droit belge (art. 326
al. 1 CIC)1122, cette prohibition s’étend en France également au délibéré. En droit français,
l’on délibère sans pièce et sans dossier. Les seuls documents autorisés dans la salle de
délibération étant l’ordonnance de renvoi et l’acte d’accusation, le dossier est ‘confisqué’.1123
Afin d’accorder un poids correct aux preuves établies lors du déroulement des débats, les
juges sont censés les ‘retravailler’. La consultation d’une pièce du dossier pendant la
délibération est uniquement autorisée en présence du ministère public et des conseillers de
l'accusé et de la partie civile (art. 347 al. 4 CPP).1124 A l’heure actuelle, l’interdiction de
consulter le dossier au cours des débats est remise en cause. Afin de permettre aux assesseurs
et jurés de statuer dans les meilleures conditions possibles, le Comité de réflexion sur la
justice pénale propose à l’unanimité des voix de leurs donner un accès à tout moment, et ce
jusqu’à la clôture des débats, à toute pièce du dossier.1125

En droit anglais, la place cardinale de l’oralité des débats est consacrée par
l’interdiction traditionnelle des preuves par ouï-dire (hearsay). Considérant que l’on ne peut
témoigner sur les perceptions d’un autre, les preuves ‘non immédiates’, celles qui émanent
d’une personne autre que celle qui dépose oralement au procès1126, étaient en principe
proscrites. Ainsi, il était legio d’exclure les preuves fournies par une personne absente,
puisque celle-ci ne pouvait pas faire l’objet d’une contre-interrogation. De manière extensive,
les déclarations déposées même sous serment dans la phase préparatoire étaient également
écartées. De cette façon, la common law a été construit autour des exigences de la présence

1120
Cass. 16 févr. 1999, RDPC 1999, p. 1181.
1121
Il convient en particulier d’éviter que, si l’affaire est renvoyée à une autre cour d’assises, celle-ci soit influencée
par le compte-rendu de ce qui a été dit lors du premier pocès (Crim. 18 févr. 2009, AJpénal 2009, p. 232, obs. G.
ROYER).
1122
En vertu de cette nouvelle disposition (supra, n° 135), l’acte d’accusation, les procès-verbaux qui constatent
l’infraction et les pièces du procès, y compris l’éventuel acte de la défense (Cass. 20 janv. 2004, Pas. 2004, p. 119)
ainsi que tous les textes légaux qui pourraient être utiles afin de comprendre les questions auxquelles il faut répondre
(Cass. 7 déc. 2005, Pas. 2005, p. 2439 en RW 2008-09, p. 360, note A. VANDEPLAS) peuvent être mis à la disposition
du jury.
1123
R. VOUIN, « La cour d’assises française de 1808 à 1958 » in X, Problèmes contemporaines de procédure pénale.
Recueil d’études en hommage de M.L. Hugueney, Paris, Sirey, p. 235 et Ph. VOULAND, « L’exercice quotidien de la
fonction de défense et la loyauté de la preuve », AJpénal 2005, p. 278.
1124
On n’y songe que très rarement (Ph. VOULAND, « L’exercice quotidien de la fonction de défense et la loyauté de la
preuve », l.c., p. 279). L’oralité des débats est violée si le président communique aux assesseurs et aux jurés un
document procuré par le ministère public sans qu’il découle du procès-verbal qu’il a été donné lecture de ce document
et sans débat contradictoire sur celui-ci (Crim. 13 févr. 2008, AJpénal 2008, p. 239, obs. S. LAVRIC).
1125
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 39.
1126
Il s’agit à titre d’exemple des déclarations d’un enfant à sa mère (Sparks [1964] A.C. 964), d’un témoin à la
police, ou d’un décédé aux jurés par un ouija board (Young [1995] Q.B. 324). Pour des exceptions, v. s. 23-24 CJA
1988.

188
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

de non-professionnels. Un témoin pourrait apporter une clarté bienvenue et nécessaire aux


juges-citoyens qui n’ont pas accès au dossier. Ainsi que nous le verrons plus loin, cette
interdiction a été adoucie par le Criminal Justice Act de 2003. Une autre manifestation qui
démontre les failles du principe d’oralité est l’autorisation (bienvenue) dont disposent dans
certaines limites les témoins, en guise d’aide mémoire, de relire avant l’audience leur
déclaration antérieure.1127

186. En dépit de l’avantage indéniable d’un tel traitement au fond qui permet une
observation directe du comportement des différents acteurs, le danger de dérapages n’est
jamais loin. Aux assises, la dramaturgie et la subjectivité de la perception risquent de
métamorphoser la juridiction populaire en monde irrationnel (A — Une justice à coups de
théâtre). En outre, l’oralité des débats bute, dans un monde informatisé, technocrate et
contraint à une administration complexe des preuves, sur des limites exponentielles (B —
Une justice à complexité progressive). Si son fondement s’expliquait au 19ème siècle par un
nombre conséquent de jurés illettrés, l’oralité ne peut plus échapper au courant de la
spécialisation.

A — UNE JUSTICE A COUPS DE THEATRE

187. Comme dans un spectacle, l’émotion semble régner dans la juridiction populaire.
La masse des témoins qui passent la revue (1), les différents masques que revêtent les
‘ténors’, chacun essayant de devancer ses adversaires en persuasion et éloquence (2), n’y sont
pas pour rien. Le jury s’y trouve assujetti.

1. Quantité et qualité des témoins

188. En France et en Angleterre, ainsi qu’en Belgique avant la loi du 21 décembre


2009, il n’existe aucune limite concernant les témoins à entendre.1128 La liberté est à cet

1127
s. 120 et s. 139 CJA 2003 ; South Ribble Magistrates ex p Cochrane [1996] 2 Cr. App. R. 544 et Gordon [2002]
EWCA Crim 1 et Cass. 28 févr. 1990, Pas. 1990, I, p. 760 et RDPC 1990, p. 684.
En droit français, le président peut autoriser les témoins à s'aider de documents au cours de leur audition (art. 331 al. 3
CPP). Cette disposition issue de la loi Perben II a généralisé les exceptions déjà reconnues par la jurisprudence (Crim.
8 janv. 1981, Bull. crim. 7). Cette autorisation du président doit résulter du procès-verbal (Crim. 7 nov. 2007, AJpénal
2008, p. 95, obs. S. LAVRIC). Pour le droit belge, v. dans le même sens l’art. 295 al. 3 CIC (Cass. 28 mars 2001, Pas.
2001, p. 510 et RDPC 2001, p. 1000). Les notes doivent être déposées et rajoutées au dossier (Doc.parl. Chambre
1997-98, n° 1085/4, p. 2 et Doc.parl. Chambre 1996-97, n° 1085/10, p. 35). Il s’agit là d’un progrès indéniable.
Auparavant, l’on attendait des efforts conséquents de la part des témoins et experts, ou du juge d’instruction en cas de
décès du témoin, obligé d’apprendre par cœur ce qu’ils avaient statué ou constaté juste après les faits ou lors de
l’instruction souvent vieille de plusieurs années (Cass. 3 avr. 1916, Pas. 1917, p. 75 et Cass. 9 avr. 1986, D. 1986, p.
305 ; Y. LIEGEOIS, « De waarheid, niets dan de waarheid », Orde dag 2004, p. 22). Il ne fait aucun doute que la
mémoire humaine, compte tenu de son caractère éphémère, ne peut pas toujours ou que partiellement, concilier le laps
de temps souvent exceptionnel de l’instruction avec la fiabilité du témoignage.
1128
Cass. 4 nov. 1929, Pas. 1930, I, p. 15.

189
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

égard (quasi)absolue1129, tant pour les témoins de fait que — en droit continental — pour les
témoins de moralité, qui contrairement aux premiers, n’apportent aucune plus-value
concernant les faits. La présence de ces derniers se justifie par leur lien plus ou moins proche
avec l’accusé ou la victime dont ils peuvent dépeindre le caractère, la personnalité ou le
passé.1130 En principe, les témoins régulièrement appelés doivent être entendus (art. 329
CPP)1131, ce qui distingue la procédure criminelle des procédures contraventionnelle (art. 153
CIC) et correctionnelle (art. 190 CIC), celles-ci ne prescrivant une audition de témoins que
s’il y a lieu. En matière correctionnelle, le juge répressif apprécie en effet la nécessité et
l'opportunité d’une demande d'audition d’un témoin en tenant notamment compte des
éléments de l’enquête et, le cas échéant, du fait que l’intéressé peut déjà avoir été entendu au
cours de l'instruction préliminaire.1132 La cour d'assises, en revanche, ne peut pas apprécier
l’utilité d’un témoin donné pour le traitement de l'affaire. Avant la récente réforme de la
procédure criminelle belge, tel était également le cas dans la procédure criminelle belge bien
que le président disposait, depuis la loi du 30 juin 20001133, de la possibilité de renoncer à
l’audition des témoins régulièrement cités par les parties (ancien art. 354 al. 1 CIC) sauf en
cas d’opposition.

Conformément au principe d’égalité des armes, l’initiative d’appeler un témoin à


comparaître devant le jury appartient à toutes les parties : ministère public, accusé, et partie
civile.1134 L’accusé et la partie civile pouvaient également s’adresser au parquet en

1129
Qualitativement, certaines personnes sont bien évidemment exclues comme témoin, tels que les ascendants et
descendants de l’accusé, ses frères et sœurs, son mari ou femme — même après le divorce —, … (art. 335 CPP et art.
303 CIC). La loi belge du 21 décembre 2009 y ajoute les cohabitants légaux, même après qu’ils ont mis fin à la
cohabitation légale. Ces personnes, limitativement énumérées (Crim. 1er déc. 1999, Bull. crim. 286) peuvent toutefois,
à l’exception des enfants de moins de quinze ans et des interdits légaux en droit belge, être entendues sous serment en
l’absence d’opposition (art. 336 al. 1 CPP et art. 303 § 2 CIC ; Crim. 15 oct. 2003, Bull. crim. 191 et Cass. 31 mai
1989, Pas. 1989, I, p. 1038 et RW 1989-90, p. 1250, note A. VANDEPLAS). Cela n’est pourtant pas non plus une
obligation (Cass. 9 oct. 1967, Pas. 1967, I, p. 186). En cas d’opposition, elles peuvent être entendues sans prêter
serment, à titre de renseignement en vertu du pouvoir discrétionnaire du président (art. 336 al. 2 CPP ; Crim. 3 juill.
1990, Bull. crim. 423 ; Cass. 13 juin 1990, RW 1990-91, p. 1232, note C. D’HAESE et RDPC 1990, p. 1020, note ;
Cass. 1er mars 1994, Pas. 1994, I, p. 220 et RW 1994-95, p. 534, note A. VANDEPLAS et Cass. 29 mars 2001, Pas.
2001, p. 511 et RDPC 2001, p. 1002). Ainsi que W. Roumier le fait remarquer, le fait d’entendre des témoins sous
renseignement a autant de valeur que sous serment puisque les jurés ne sont pas habitués à faire la distinction quant à
la valeur probante et que le président n’est pas obligé de les avertir qu’il s’agit d’un simple renseignement (Crim. 11
oct. 1978, Bull. crim. 268 ; W. ROUMIER, o.c., p. 344 et s., n° 640 et s.).
En vertu du nouvel art. 305 CIC la partie civile peut, à sa demande, être entendu comme partie et non comme témoin.
1130
Bien évidemment, certaines personnes appartiennent aux deux catégories.
1131
Cela était, en droit belge, même valable en l’absence de citation ou de notification lorsqu’il n’y avait pas
d’opposition à leur audition (Cass. 14 juin 2000, RW 2000-01, p. 1306, note A. VANDEPLAS, RDPC 2001, p. 128 et
T.Strafr. 2001, p. 84).
1132
Le prévenu ne dispose pas d’un droit illimité pour obtenir la convocation de témoins. Il appartient au juge
d’apprécier si cette audition s’avère nécessaire à la manifestation de la vérité (Cass. 27 avr. 1999, R.Cass. 2000, p.
121, note P. TRAEST, RDPC 2000, p. 359 et T.Strafr. 2001, p. 118, note F. VERBRUGGEN).
1133
Loi du 30 juin 2000 modifiant le Code d'instruction criminelle, l'article 27 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la
détention préventive et l'article 837 du Code judiciaire, en vue de rationaliser la procédure devant la cour d'assises,
MB 17 mars 2001, p. 8440.
1134
Les parties peuvent également s’opposer à l'audition d'un témoin qui n'a pas été indiqué ou qui n'a pas été
clairement désigné dans l'acte de notification (art. 330 al. 1 CPP).

190
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

demandant de citer sur leur requête les témoins indiqués par eux (ancien art. 321 CIC). Ainsi,
les coûts de citation et les salaires des témoins cités, seront, le cas échéant, à la charge du
parquet dans les cas où ils jugent que leur déclaration peut être utile pour la manifestation de
la vérité. Contrairement au droit belge, le droit français a instauré une limite de cinq témoins
à cet égard (art. 281 CPP).1135 En cas de refus du ministère public, l’accusé et la partie civile
peuvent convoquer à leurs propres frais les témoins. Le frein financier est toutefois couvert
par le droit d’assistance judiciaire dont dispose, en droit belge, une personne insolvable. En
particulier, la détention provisoire — dans laquelle se trouve le plus souvent celui qui
compare devant la cour d’assises — induit une présomption (irréfragable) de ressources
moindres.1136 En droit anglais, les témoins sont exclusivement appelés par l’accusé et la
prosecution. Le Prosecutor est obligé de convoquer tous les témoins, même lorsqu’ils
n’apportent aucune contribution à la preuve du crime. Il est dispensé de cette obligation
seulement si la crédibilité d’un témoin pose de sérieuses questions.1137 Pour la défense, en
revanche, il n’existe aucune limite quant aux témoins à appeler : elle peut convoquer
n’importe quel témoin, et ceci dans n’importe quel ordre.

En vertu de son pouvoir discrétionnaire (art. 310 al. 2 CPP et pour le droit belge, art.
281 § 2 CIC)1138 et de sa quête de la vérité, le président de la cour d’assises continentale
dispose également de la faculté d’appeler des témoins (art. 330 dernier al. CPP). Il doit
notamment veiller à ce qu’un témoin crucial ne soit pas oublié. Ainsi, il peut entendre des
personnes n’ayant pas strictement la qualité de témoin.1139 Le pouvoir du président anglais,
qui conformément à la tradition accusatoire est présumé plutôt passif et neutre par rapport à
son homologue continental, est limité et rarement utilisé.1140 Il ne peut appeler des témoins
cruciaux que comme ultimum remedium, en cas d’omission des parties, tout en veillant à ne
pas usurper le rôle de l’accusateur. En outre, il doit s’assurer de ne pas donner l’impression
aux jurés qu’il s’agit d’un témoin crucial. Théoriquement, il pourrait exercer ce pouvoir
jusqu’au retrait du jury dans la salle de délibération.1141 Afin de garantir l’équité au procès, il
peut ex improviso permettre la citation de témoins ultérieurement.1142 L’exclusion d’un

1135
Crim. 7 mai 2003, Dr. pén. 2003, comm. 138, p. 25, note A. MARON.
1136
Art. 1 § 2 arrêté royal du 18 décembre 2003 déterminant les conditions de la gratuité totale ou partielle du
bénéfice de l'aide juridique de deuxième ligne et de l'assistance judiciaire, MB 24 déc. 2003 (dernièrement modifié le
26 avr. 2007 ; Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 56-57).
1137
Russel-Jones [1995] 1 Cr. App. R. 538 et Brown & Brown [1997] 1 Cr. App. R. 112 (I. DENNIS, The Law of
Evidence, Londres, Sweet & Maxwell, 2007, p. 523).
1138
Infra, n° 282.
1139
Supra, note 1129.
1140
Roberts [1984] 80 Cr. App. R. 89 (S. UGLOW, Evidence – Text and Materials, Londres, Sweet & Maxwell, 2006,
2ème éd., p. 49).
1141
I. DENNIS, o.c., p. 524.
1142
Cameron [2001] Crim. L.R. 587 (S. UGLOW, o.c., p. 47-48).

191
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

témoin se justifie en revanche lorsque le juge considère qu’il est incapable de comprendre les
questions ou de donner des réponses compréhensibles.

189. La liberté d’appeler (en principe) tous les témoins que l’on souhaite ouïr s’inscrit
dans le respect du principe d’oralité des débats1143, du droit à un procès équitable et des droits
de la défense. Aux assises, l’on va jusqu’au bout en examinant minutieusement chaque
élément de preuve. Une telle démarche n’est toutefois pas exempte d’inconvénients. Ainsi,
l’on peut user de cette liberté absolue de manière prodigue, ce qui peut générer des procès
infinis. Dans le système belge (en tout cas avant sa réforme en 2009 qui octroie au président
un contrôle marginal sur ce point1144), des procès avec des dizaines voire centaines de
témoins successifs ne sont pas exceptionnels. En l’absence de restrictions qualitatives dans la
procédure traditionnelle, nombre de témoins, surtout ceux de moralité, n’apportent aucune
plus-value réelle et étaient parfois manifestement impertinents. Une illustration patente
constitue la citation comme témoin de moralité de personnes célèbres n’ayant plus de contact
avec l’accusé depuis plus de trente ans1145. En découlent une théâtralité dangereuse du
procès, un ralentissement déplorable de la procédure, ainsi qu’une augmentation indéniable
des coûts. Il n’est pas incompréhensible que les jurés se trouvent sursaturés par tant de
versions divergentes, voire inutiles, surtout lorsque nombre d’entre eux omettent de prendre
des notes. Un juré peut ainsi oublier la teneur des propos d’un témoin ou, pire, ne plus savoir
faire la part des choses entre la déclaration d’un témoin et l’interprétation (déformée) des
parties de cette déclaration. La qualité du procès et la sérénité des débats sont ainsi
vraisemblablement menacées. En droit français, où les juges professionnels peuvent canaliser
la portée de tels excès par leur présence dans la salle de délibération, ce risque s’avère moins
élevé : la ‘virginité juridique’ des simples citoyens et le risque d’erreur qui en résulte est ou
peut être contourné par la sagacité et l’expérience des professionnels1146.

2. Force des protagonistes

190. Outre la quantité importante de témoins susceptibles de brouiller l’esprit des


jurés, la cour d’assises semble un terreau d’héroïsme pour les avocats, telles qu’en
témoignent les grandes carrières écloses en son sein.1147 En effet, la juridiction populaire

1143
Sans impossibilité expressément constatée et justifiée, il faut aux assises entendre des témoins, même en cas
d’aveu de l’accusé (Crim. 2 août 1872, Bull. crim. 203 ; H. ANGEVIN, o.c., p. 189, n° 521).
1144
Infra, n° 210.
1145
Tel que les artistes Jan Decleir et Panamarenko au procès belge de L. Mayeres de 2005 (De Standaard 20 oct.
2005). Pensons également à la jardinière d’enfants sollicitée pour témoigner du comportement de l’accusé lorsqu’il
était enfant, sans toutefois avoir eu de contact ultérieur avec celui-ci.
1146
Infra, n° 270.
1147
V. ainsi pour le ‘sorcier des assises’, Henri Robert, Y. OZANAM, « L’avocat en cour d’assises (XIXème et XXème
siècle) » in AFHJ, La cour d’assises. Bilan d’un héritage démocratique, Paris, La Documentation française, 2001, p.
152.

192
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

occupe pour le barreau une place d’honneur inversement proportionnelle au poids statistique
de la cour d’assises.1148 Son exceptionnalité et sa procédure particulière y contribuent sans
doute. Rien étonnant, dès lors, à ce qu’ils soient souvent les défenseurs les plus ardents du
jury : « demander aux ténors de la cour d’assises la suppression du jury est demander aux
joueurs de mandoline s’il faut supprimer les concerts en plein air »1149. Toutefois et bien
qu’on ne puisse pas le dire à haute voix, l’impression que la capacité rhétorique obtient
souvent gain de cause ou est très ‘présente’ aux assises n’est pas un leurre. Devant la
juridiction populaire, les avocats et le ministère public deviennent les véritables protagonistes
du jeu. Il est évident qu’ils n’adoptent pas les mêmes attitudes lorsqu’ils plaident devant des
citoyens ordinaires ou devant des magistrats de carrière. D’une part, ils doivent se départir de
leur jargon technique pour parler au jury avec un langage accessible et compréhensible, ce
qui confère une plus-value à la transparence de la justice.1150 D’autre part, les grands orateurs
peuvent abuser de leur position forte pour contourner le droit à leur avantage, que ce soit
dans leurs plaidoiries ou lors de l’audition des témoins.1151 Le spectacle peut en effet pousser
« à un pharisaïsme détestable ».1152

191. Conformément au principe du contradictoire au procès, il est essentiel de pouvoir


interroger un témoin et d’avoir l’opportunité adéquate de contester ses déclarations.
Toutefois, et bien que ce droit ne soit pas absolu ainsi que nous l’évoquerons ultérieurement,
l’impact de l’interrogatoire est non négligeable. Fidèle au modèle accusatoire dans sa forme
la plus traditionnelle, le procès anglais prend majoritairement la tournure d’un combat, d’une
‘petite guerre’ entre les deux parties protagonistes, souvent « en propos plus aigre que
doux ».1153 La maîtrise de l’interrogatoire des témoins et experts, ainsi que, le cas échéant,
celui de l’accusé, est entre les mains des parties. Le juge est consacré dans son rôle d’arbitre.
Il ne peut poser de questions qu’en dernier lieu. En particulier, chaque interrogation se
déroule en trois étapes : le témoin est d’abord interrogé par la partie en faveur de laquelle il
se présente (examination in chief), puis par la partie adversaire (cross-examination)1154, avant
de l’être à nouveau par la première partie (re-examination).1155 Au lieu de laisser le témoin
raconter librement sa version, la méthode la plus souvent utilisée lors du contre-interrogatoire

1148
Y. OZANAM, l.c., p. 159.
1149
A. TOULEMON, o.c., p. 6.
1150
J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c.
1151
Parfois, l’on entend même les critiques des jurés, qui en dépit de lourdes sanctions rompent le silence. V. par
exemple l’interview de certains jurés après le procès Hemeleers de 2008 (De Standaard 18 janv. 2008), dans lequel ils
affirment se sentir manipulés et trompés (Humo, 5 févr. 2008).
1152
A. GARAPON, Bien juger : essai sur le rituel judiciaire, o.c., p. 256.
1153
R. VOUIN, l.c., p. 233.
1154
Contrairement au droit américain (amendement VI), ce droit n’est pas prescrit par la constitution (J.D. JACKSON,
« Hearsay : the Sacred Cow that Won’t be Slaughtered? », Int’l J. Evidence & Proof 1998, p. 174).
1155
Doosti [1986] 82 Cr. App. R. 181.

193
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

consiste à énoncer pléthore de questions pour élucider, compléter et corriger la version du


témoin, tout en cherchant à semer des doutes sur ses déclarations, à attaquer les preuves
défavorables et à détruire ou diminuer l’effet avantageux de l’interrogatoire principal.1156
Cette méthode constitue, selon différents auteurs, le moyen le plus efficace pour vérifier la
crédibilité d’un témoin et découvrir la vérité. Cette technique serait « beyond any doubt the
greatest legal engine ever invented for the discovery of truth ».1157 Les avocats disposent dès
lors, par un tel contre-interrogatoire, d’une arme très puissante pour convaincre le jury. En
dépit des règles strictes relatives à la formulation des questions1158 ainsi que de l’éventuelle
intervention du président1159 lorsque l’interrogatoire devient agressif ou fait preuve
d’atteintes déontologiques, il semble souvent question de jeu tactique1160. Il n’est pas
improbable que le témoin l’éprouve comme une expérience traumatique, voire comme une
sorte de torture. En effet, celui-ci court le risque d’être mis à nu, y compris pour des
événements très éloignés dans le temps. Le stress pourrait en outre induire une perte de
confiance, ce qui s’avère problématique lorsque ce manque d’assurance est perçu par le jury
comme un manque de sincérité.1161 Il s’agit dès lors de savoir si le contre-interrogatoire n’est
pas davantage l’ennemi que le garant de la vérité.1162

Cela contraste avec le droit continental où, par la structure narrative, les personnes
venues déposer à la barre sont entendues sans être interrompues (art. 331 al. 4 CPP et pour le
droit belge, art. 301 CIC).1163 Il s’agit en l’occurrence de leur permettre de s’exprimer avec
spontanéité. Les éventuelles questions ne pourront être posées qu’après la déposition du
témoin.1164 Contrairement aux jurés et assesseurs qui peuvent poser des questions directes
après avoir demandé la parole au président (art. 301 al. 2 CIC),1165 les parties ne peuvent, en

1156
S. UGLOW, o.c., p. 468-469.
1157
« Sans aucun doute le meilleur moteur légal jamais inventé pour la découverte de la vérité » (J.H. Wigmore cité
par I. DENNIS, « The Right to Confront Witnesses : Meanings, Myths and Human Rights », Crim. L.R. 2010, p. 266 ;
trad. pers.).
1158
Les questions de l’interrogatoire principal ne peuvent pas être suggestives. Pour éviter des abus, l’on ne peut
diriger le témoin dans la direction voulue. Concernant le contre-interrogatoire, il existe une plus grande latitude (I.
DENNIS, o.c., p. 569-570).
1159
Si le contre-interrogatoire est unfair, le président peut diriger le jury de ne pas y faire attention (Essa [2009]
EWCA Crim 43).
1160
V. à cet égard les dix commandements de T.A. PRATT, « The Ten Commandments of Cross-examination »,
www.thefederation.org/documents/Pratt-SP03.htm et Ch. AYELA, J. MESTRE et V. PERONNET, Vérités croisés. Cross
examination, une petite révolution procédurale, Paris, Litec Lexis Nexis, 2005, p. 73 et s.
1161
S. UGLOW, o.c., p. 472. Le ‘training’ des témoins est interdit, mais nécessaire (Momodou & Limani [2005] 2 Cr.
App. R. 6, J.Crim.L. 2006, p. 19).
1162
P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, Criminal Evidence, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 215 et s.
1163
Le président peut uniquement interrompre pour clarifier les choses. Le fait de présenter au cours de la déposition
des documents de conviction ne constitue pas une interruption au sens de l’art. 331 al. 4 CPP (Crim. 9 déc. 1992, Bull.
crim. 413 et D. 1993, somm. p. 205, obs. J. PRADEL et Crim. 1er juin 1994, Bull. crim. 20).
1164
Cass. 2 mars 1988, Pas. 1988, I, p. 794 et RDPC 1988, p. 807 et Crim. 12 févr. 2003, Bull. crim. 35 et Dr. pén.
2003, comm. 79, note A. MARON.
1165
Avant la modification apportée par la loi du 30 juin 2000, le parquet disposait, à la différence de la défense, du
même pouvoir que les jurés et les assesseurs, ce qui, selon la Cour de cassation, ne portait pas atteinte à l’art. 6

194
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

droit belge, poser des questions que par son intermédiaire. Le président peut reformuler la
question ou, le cas échéant, refuser de la poser (art. 301 al. 3 CIC), tel que le dispose l’article
281 § 2 in fine du Code d’instruction criminelle, notamment lorsque celle-ci ne contribue pas
à la recherche de la vérité.1166 Pourtant, le nouvel article 301 du Code d’instruction criminelle
n’étant pas prescrit à peine de nullité1167, il est en pratique souvent permis de poser
directement les questions. En droit français, en revanche, le législateur a été séduit par la
cross-examination anglo-saxonne qu’il considère comme supérieure à l’interrogatoire mené
par le président de la cour d’assises pour renforcer autant que possible le caractère
contradictoire de la procédure1168, exigence consacrée et choyée par la CEDH.1169

192. Depuis la loi du 15 juin 2000, l’interrogatoire croisé est un fait acquis dans la
procédure criminelle française. Il s’agit de la formalisation d’une pratique dominante dans les
prétoires d’assises et tolérée par certains présidents d’assises. Les avocats de l’accusé et de la
partie civile ainsi que le procureur général (art. 312 al. 1 CPP) à égalité avec les jurés et
assesseurs (art. 311 CPP), ils peuvent poser directement des questions à l’accusé, à la partie
civile et à toute personne appelée à la barre, après avoir demandé la parole au président mais
sans passer par son intermédiaire.1170 Pour l’accusé et la partie civile, l’ancien système reste
par contre en application (art. 312 al. 2 CPP). Ceux-ci doivent obligatoirement passer par
l’intermédiaire du président. Il n’existe pas de restrictions quant aux questions. Il est
uniquement interdit d’accompagner celles-ci de déclarations ou de commentaires susceptibles
d’influencer le témoin ou de dénaturer sa déposition.1171 Bien sûr, le président qui reste (pour
le moment) le meneur du procès, exerce un contrôle non négligeable et peut, par son pouvoir

CESDH, ni à l’art. 14 du Pacte international (Cass. 3 oct. 1989, Pas. 1990, I, p. 137). Au lieu d’accorder le même
privilège aux avocats de la défense, tel qu’il fut souvent requis (Doc.parl. Sénat 1999-00, n° 2-282/3, p. 35-39 ; P.
VAN EECKHAUT, « Oog in oog met de jury », Vl.Jurist 1992, p. 16 et J. VERMASSEN, « Assisen : rechtspraak in
opspraak », Orde dag 2004, p. 37-38), le législateur a préféré priver ce doit au parquet.
1166
Cass. 4 mai 1993, Pas. 1993, p. 429 et RW 1993-94, p. 193, note A. VANDEPLAS.
1167
Cass. 11 mai 1994, Pas. 1994, I, p. 461 et RW 1994-95, p. 636, note A. VANDEPLAS.
1168
Contrairement à la loi du 16 et 29 août 1791 (art. 6 et art. 9 du titre VII) et au Code des délits et peines (art. 353),
le Code d’instruction criminelle introduisait l’audition sous direction du président d’assises (v. toutefois Crim. 31 mai
1972, Bull. crim. 185). Avec la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale (JORF 4 janv.
1993, p. 215), le Parlement envisageait une métamorphose au rôle du juge en le réduisant à un simple arbitre qui
s’occupe de la police d’audience et de l’organisation du bon déroulement des débats. Au lieu d’une narration
spontanée des témoins, le témoignage se déroulerait par la réponse aux questions. Cette révolution anglo-américaine
était pourtant aussitôt enterrée par la nouvelle majorité parlementaire avant son entrée en vigueur (loi n° 93-1013 du
24 août 1993, JORF 25 août 1993, p. 11991 ; W. ROUMIER, o.c., p. 308-310, n° 566 et s.). Pour une critique, v. J.
PRADEL, « Observations brèves sur une loi à refaire. A propos de la loi du 4 janvier 1993 sur la procédure pénale », D.
1993, p. 39-40.
1169
V., parmi beaucoup d’autres, CEDH 23 juin 1993, Ruiz-Mateos c. Espagne, n° 12952/87, § 63 ; CEDH 26 avr.
2001, Meftah c. France, n° 32911/96, § 39 ; CEDH 5 nov. 2002, Wynen c. Belgique, n° 32576/96, § 32 et CEDH 24
juill. 2007, Baumet c. France, n° 56802/00, § 49.
1170
Dans un souci d’unification, il en est de même au niveau correctionnel (art. 442-1 CPP).
1171
Crim. 5 mars 1986, Bull. crim. 92. Les jurés devront bien évidemment veiller à ne pas manifester une opinion
préconçue sur les faits incriminés (supra, n° 156).

195
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

de police et de direction des débats1172, interdire tout ce qui tendrait à compromettre la dignité
de l’audience ou à prolonger inutilement les débats (art. 309 CPP). Il peut également
demander de reposer la question ultérieurement si cela concorde avec le cours des débats
qu’il a déterminé.1173

Une telle innovation, qui pourrait être considérée comme une nouvelle percée de
l’américanisation du procès pénal, s’inscrit dans un mouvement de rééquilibrage des forces à
l’audience et permet une meilleure participation des intérêts en cause.1174 L’égalité des
parties est mise en avant, à l’instar de leur activisme : plutôt qu’une logique verticale
‘d’imposition’, l’on favorise une logique horizontale de ‘discussion’.1175 Une telle tendance
émerge également à la lumière d’une privatisation de l’institution répressive et d’une justice
négociée.1176 Cela implique une mutation de la fonction du parquetier devenu moins un
défenseur des intérêts de la société qu’un accusateur en face de la défense, ce qui semble
toutefois difficilement conciliable avec notre tradition. A cet égard, il convient néanmoins de
souligner que, contrairement à la loi de 1993 portant réforme de la procédure pénale, le
législateur français de l’an 2000 fut plus prudent en n’imposant pas le double interrogatoire
par le ministère public et la défense.1177

Plus globalement, avec l’introduction passée presque inaperçue de ce « nouvel art de


vivre judiciaire »1178, la loi du 15 juin 2000 semble émerger derrière le mouvement de
convergence des différentes traditions judiciaires européennes vers un modèle universel de
procès équitable1179, s’articulant autour des principes du contradictoire1180, d’égalité des
armes et des droits de la défense.1181 Cela illustre la fragilité croissante de la stricte et
traditionnelle distinction entre procédures accusatoire et inquisitoire, ainsi que le processus
d’influence réciproque entre les deux modèles.1182 Faisant écho à la loi du 4 janvier 19931183,
le Comité de réflexion sur la justice pénale favorise davantage ce mouvement en envisageant

1172
Il détermine l’ordre des débats (Crim. 23 févr. 2000, Bull. crim. 81) et dès lors également l’ordre des questions
posées à l’accusé (Crim. 21 sept. 1893, Bull. crim. 264).
1173
Crim. 25 mars 1987, Bull. crim. 142.
1174
Ch. AYELA et D. DASSA-LE DEIST, « Le développement de la cross examination dans le procès pénal français -
Une approche éthique », JCP G 2006, I, p. 2094-2095.
1175
Ch. AYELA et D. DASSA-LE DEIST, l.c., p. 2095.
1176
X. PIN, l.c., p. 245.
1177
F. LE GUNEHEC, « Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les
droits des victimes. Troisième partie : dispositions concernant la phase de jugement », JCP G 2000, p. 1351.
1178
Ch. AYELA et D. DASSA-LE DEIST, l.c., p. 2095 et Ch. AYELA, J. MESTRE et V. PERONNET, o.c., p. 11.
1179
Ch. AYELA et D. DASSA-LE DEIST, l.c., p. 2094 et X. PIN, l.c., p. 245.
1180
L’importance de ce principe est en outre démontrée par l’article préliminaire du Code de procédure pénale, qui
date aussi de 2000. Avec la cross examination le législateur renforce son contenu (Ch. AYELA et D. DASSA-LE DEIST,
l.c., p. 2094)
1181
Il existe également un interrogatoire direct en en droit allemand (§ 239 StPO) sauf pour l’interrogation des
enfants.
1182
Ch. AYELA et D. DASSA-LE DEIST, l.c., p. 2094.
1183
Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, JORF 4 janv. 1993, p. 215.

196
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

de transformer le rôle du président de la cour d’assises, comme d’ailleurs celui du juge


correctionnel et de police, en celui d’arbitre neutre du débat judiciaire.1184 Afin d’aboutir à un
système équivalent à la procédure anglo-américaine, la majorité de la commission est
partisane de ne plus attribuer au président la ‘direction des débats’, mais seulement le pouvoir
de ‘veiller à leur bon déroulement’.1185 Afin d’éviter qu’il puisse endosser à la fois la fonction
de juge d’instruction, enquêteur et juge de jugement, le président ne participerait plus à
l’élaboration des preuves. Il incomberait aux parties d’animer les débats.1186 Afin de ne pas
allonger les débats, cette proposition est à conjuguer avec celle qui envisageait d’introduire
en matière criminelle une procédure simplifiée en cas de reconnaissance préalable de
culpabilité.

Toutefois, il s’agit de savoir si une telle promotion des parties s’avère judicieuse
devant une juridiction populaire. Certes, une interrogation directe et une participation
davantage interactive de la défense semble séduisante, celles-ci optimisant le dynamisme de
l’audience.1187 La présence de laïcs au sein de la cour d’assises requiert toutefois une certaine
vigilance. Par le contre-interrogatoire direct, les acteurs se rencontrent, négocient et
confrontent les vérités. Mais le fait d’affirmer que cela permet d’aller au bout de la recherche
de la vérité nous semble problématique. Les défendeurs, souvent virtuoses du mot et
talentueux au jeu de la dramaturgie d’assises, risquent de faire dominer certains aspects de la
vérité et de minimiser les autres. Le risque de ne valoriser que l’un des aspects de la vérité au
détriment du témoignage intégral n’est pas imaginaire, d’où le rejet de la Commission de
réforme de la cour d’assises et, dans son sillage, celui du législateur belge pour adhérer à
1188
cette évolution . Il convient à cet égard de souligner que les témoins français déposent
toujours de manière narrative et non-interrompue.1189 En outre, la présence de professionnels
dans la salle de délibération constitue une garantie non négligeable. Les protagonistes se

1184
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 31-32.
1185
En particulier, l’audience débuterait avec l’exposé du ministère public des faits reprochés. Celui-ci et les avocats
auraient ensuite l’opportunité de contre-interroger les parties en cause et les témoins. Le président vérifierait
uniquement le respect du contradictoire et la bonne tenue des débats. Il pourrait intervenir pour poser des questions. A
l’instar du système en vigueur, il prend encore connaissance du dossier et peut déterminer l’ordre des interrogatoires
(Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, l.c., p. 32-33). Pour une appréciation positive de cette
proposition, v. M. HUYETTE, « Quelles réformes pour la cour d'assises? », l.c., p. 2438-2439. Soucieuse des difficultés
pratiques dans les affaires complexes impliquant de nombreuses preuves et mettant en cause plusieurs accusés, H.
Matsopoulou est partisane du maintien du pouvoir du président quant à la direction des débats (H. MATSOPOULOU,
« A propos du rapport d'étape du Comité de réflexion sur la justice pénale », l.c., p. 16-17).
1186
V. également E. DE MONTGOLFIER, Le devoir de déplaire, Neuilly-sur-Seine, 2006, p. 54-55.
1187
M. PEZET, JORF AN CR, séance du 9 oct. 1992, p. 3564.
1188
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 314.
1189
Pour une récente cassation, v. Crim. n° 06-81707, 15 nov. 2006, inéd. La méthode narrative exercerait une plus
grande influence sur le jury, les juges occasionnels supposant que ce témoin a été moins influencé par des questions
suggestives (J.W. STRONG et K.S. BROUN, McCormick on Evidence, Saint Paul, West Publishing co., 1999, p. 10).
Selon l’étude empirique de D. Greer, le contre-interrogatoire est moins complet et moins précis que la narration libre
et l’examen direct (S. UGLOW, o.c., p. 326).

197
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

trouvent alors simultanément en face de deux auditoires très différents. Pourtant, il s’agit de
savoir si une telle réforme n’est pas préjudiciable à l’objectivité, à la rationalité et à la
sérénité procédurale. Est-elle au service du contradictoire ?1190 Loin d’être un argument
contre le contradictoire, nous pourrions être sceptique quant à son usage devant un jury au
sens propre du mot : de simple citoyens qui tranchent seuls sur les questions de fait. Là où
l’on peut attendre qu’un magistrat professionnel, expert en la matière, ne se laisse pas ou
moins séduire par « l’art oratoire »1191 d’un avocat ou par sa sympathie à l’égard d’une
partie, il n’en est pas de même pour un juge occasionnel avec lequel un bon avocat d’assises
sait jouer comme « Paganini joue du violon »1192. Malgré leur bonne volonté, il est « difficile
de ne pas prêter l’oreille à l’éloquence qui sait bien faire appel au cœur pour mieux étouffer
la raison ».1193 Il s’agit enfin d’évaluer l’intérêt de toutes ces années d’instruction et
d’enquête lorsque le procès d’assises se déroule plutôt, d’après l’exemple anglais, comme un
combat entre les parties.1194

B — UNE JUSTICE A COMPLEXITE PROGRESSIVE

193. Accessible par son versant spectaculaire, la cour d’assises se révèle comme un
lieu clos par la technicité du droit et des règles de sa procédure. L’administration des preuves,
qui incarne sans doute le noyau dur de la procédure pénale générale et de la procédure
d’assises en particulier, se trouve au cœur d’une justice évolutive.1195 Le contentieux et les
preuves acquièrent une dimension transfrontalière et internationale, ce qui induit des
mutations sur le plan de leurs technicité et complexité.1196 Le bon sens des citoyens
ordinaires est-il suffisant pour rendre une décision objective fondée sur l’ensemble des
preuves (1)1197 ? Et, au-delà de l’appréciation des éléments présentés, les jurés sont-ils
suffisamment enclins à intégrer la sphère complexe du droit avec son jargon hermétique et sa
procédure technique (2) ?

1190
J. DANET, «Le procès d’assises après la réforme. Regards sur les pratiques», RSC 2003, p. 295.
1191
F. SAINT-PIERRE, « La nature juridique des droits de la défense dans le procès pénal », D. 2007, p. 260.
1192
Ch. Lachaud, cité par V. BRAULT-JAMIN, « L’appel des arrêts d’assises », RPDP 2003, p. 689.
1193
C. GERBET, Jury criminel ou échevinage ? Etude comparative de la question en Suisse et en France, Thèse, Paris,
1941, p. 197.
1194
Contra W. ROUMIER, o.c., p. 313, n° 757.
1195
C. AMBROISE-CASTEROT, « Recherche et administration des preuves en procédure pénale - la quête du Graal de la
vérité ? », AJpénal 2005, p. 262.
1196
X. LAGARDE, l.c., p. 771. Songeons à la criminalité organisée, à la criminalité en col blanc, au terrorisme et aux
crimes contre l’humanité, dont témoigne par exemple le génocide rwandais devant la Cour d’assises de Bruxelles en
2001 (supra, n° 168).
1197
W. ROUMIER, o.c., p. 279, n° 511.

198
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

1. A l’épreuve de la preuve

194. Au-delà de la quantité massive de témoins auxquels les jurés sont confrontés aux
assises et de leur qualité parfois douteuse, deux questions épineuses requièrent une attention
particulière : l’exclusion des preuves déloyalement obtenues et le besoin de corroboration
dans certains cas.

195. Avec les preuves, on cherche à reconstituer autant que faire se peut le drame afin
de découvrir la vérité ou « la sûreté humaine relative à l’existence d’une infraction et la
culpabilité du prévenu ».1198 Ainsi que nous l’avons déjà avancé, le jury doit fonder sa
décision sur les preuves présentées devant lui lors d’un débat contradictoire ou il prête en tout
cas ce serment. Ainsi, en vertu du serment anglais, il jure « by Almighty God/Allah, … that I
will faithfully try the defendant and give a true verdict according to the evidence ».1199 Des
preuves obtenues de manière illégale, irrégulière ou simplement impropre1200, ne devraient
pas être prises en considération pour fonder une condamnation. C’est pourquoi les différents
systèmes nationaux prévoient à cet égard des règles d’exclusion. Il s’agit de règles
particulières qui dévoilent de manière incontestable l’hétérogénéité des systèmes nationaux,
surtout en cas de preuves obtenues dans un autre pays, ce qui, ainsi que nous le verrons
ultérieurement, complique ou empêche une harmonisation européenne efficace. La présence
de non-professionnels dans la cour d’assises ne simplifie pas les choses. De nouveau en droit
français où le jury n’est pas livré à lui-même, mais est conforté dans une délibération mixte,
ce problème paraît moins imminent.

196. Dans la procédure criminelle belge, l’article 291 du Code d’instruction


criminelle (ancien art. 312bis CIC) dispose que les parties doivent invoquer in limine litis1201
et par voie de conclusions les irrégularités, omissions, moyens d'irrecevabilité, d’extinction
de l’action publique ou causes de nullités qu'elles souhaitent soumettre à la cour. Malgré les
propositions d’une purge complète, tant lors des débats parlementaires de 2000 que de ceux
de 20091202, le Parlement n’a pas jugé opportun, ni lors de la modernisation de la procédure
criminelle en 2000, ni lors de la réforme de 2009 de suivre l’exemple français1203 sur ce

1198
R. VERSTRAETEN, o.c., p. 846, n° 1745 (trad. pers.).
1199
« [Je jure] devant Dieu/Allah, … tout-puissant d’examiner honnêtement les charges portées contre l’accusé et de
me décider d’après les preuves » (http://juror.cjsonline.gov.uk/guide/assets/downloads/Oaths_and_affirmation.pdf ;
trad. pers.).
1200
M. DELMAS-MARTY et J.A. VERVAELE, La mise en œuvre du Corpus Juris dans les Etats membres, Vol. I, Anvers,
Intersentia, 2000, p. 27-28.
1201
Pas pour la première fois en Cassation (Cass. 28 janv. 2004, Pas. 2004, p. 180 et RDPC 2004, p. 938).
1202
Amendement du Gouvernement et du G. Bourgeois afin que les irrégularités, omissions ou causes de nullité visées
à l’art. 131 § 1 CIC ou relatives à l’ordonnance de renvoi ne puissent plus être soulevées devant la cour d’assises en
raison de l’incapacité des laïcs de saisir cette problématique (Doc.parl. Chambre 1999-00, n° 50-542/2) et Doc.parl.
Chambre 2008-09, n° 52-2127/003, p. 2-4 (infra, n° 208).
1203
Infra, n° 208.

199
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

point. Les moyens examinés par la chambre des mises en accusation en vertu de l’article
235bis du Code d’instruction criminelle lors du règlement de la procédure (§ 1) ou dans
d’autres cas (§ 2), ne peuvent en principe plus être soumis à la juridiction de jugement. Il y a
quand même des exceptions : les moyens touchant à l’appréciation de la preuve et les causes
d'irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique si elles ne sont acquises que
postérieurement aux débats devant la chambre des mises en accusation. Les parties qui ne
sont appelées dans l'instance qu'après le renvoi à la juridiction de jugement peuvent d’ailleurs
encore soulever ces moyens devant le juge de jugement, en l’occurrence la cour d’assises,
sauf si les pièces sont retirées du dossier conformément à l'article 131 § 2 ou au § 6 dudit
article 235bis. Avant la récente réforme intervenue en 2009, il existait une autre exception
importante pour les moyens qui concernaient l’ordre public. Selon la Cour de cassation, cette
exception devait être interprétée de manière restrictive de sorte qu’elle concernait
uniquement les moyens de preuves et non causes d'irrecevabilité ou d’extinction de l’action
publique.1204 Ainsi que nous l’esquisserons plus loin, la loi du 21 décembre 2009 a introduit
une réforme importante en cette matière.

D’ores et déjà, nous pouvons avancer qu’il est possible, dans les limites de l’article
235bis du Code d’instruction criminelle, de soulever des moyens devant la cour d’assises. La
décision sur ces points incombe exclusivement à la cour, c’est-à-dire au président et à ses
deux assesseurs. Le jury étant toutefois déjà constitué, les juges populaires assistent comme
des témoins passifs à cette étape importante de la procédure1205 et devront plus tard se plier à
un exercice difficile : arriver à faire abstraction de certaines preuves si la cour décide de les
écarter.1206 En effet, les preuves déloyalement obtenues ne peuvent servir de base à une
condamnation criminelle. Mais comment les jurés peuvent-ils faire abstraction d’une donnée
et ne pas la prendre en considération1207, surtout lorsque la pertinence du débat juridique et
technique leur échappe ? S’ils ignorent les motifs de ces exclusions, il est possible que les
jurés ne comprennent pas la nécessité de faire cet écart.1208 Un tel système pourrait même
pousser les parties à présenter des preuves déloyales afin de semer le doute dans l’esprit des
jurés. La loyauté de telles pratiques est fortement douteuse. Afin d’éviter des manœuvres
dilatoires, un pourvoi en cassation contre la décision de la cour n’est envisageable qu’après le
1204
Cass. 9 janv. 2002, JT 2002 (résumé), p. 366, note O. KLEES et RDPC 2002, p. 684 (R. VERSTRAETEN et L.
GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen », l.c., p. 98-99).
1205
Une décision en conseil est pourtant possible pour les questions d’assistance judiciaire (Cass. 19 mai 1987, Pas.
1987, I, p. 1148) et avant la loi du 30 juin 2000 pour une requête de mise en liberté provisoire (art. 27 § 3 al. 2 de la
loi relative à la détention préventive du 20 juillet 1990 ; R. DECLERCQ, o.c., p. 1018, n° 2280).
1206
Pour les mineurs, la cour peut interdire au jury de prendre en considération les pièces concernant la personnalité et
le milieu du mineur et qui ont été établies dans le cadre de la procédure entamée devant le tribunal de la jeunesse
(Cass. 21 mars 2006, FC 2006, p. 206 et Pas. 2006, p. 658 (R. DECLERCQ, o.c., p. 1016, n° 2270).
1207
R.F. JULIAN, « Judicial Perspectives on the Conduct of Serious Fraud Trials », l.c., p. 765.
1208
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 55.

200
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

jugement de fond. Il est ainsi possible qu’après un lourd procès d’assises, l’on constate que la
procédure est entachée d’une nullité totale.

197. En droit anglais en revanche, où le contentieux du droit et de la procédure relève


de la compétence exclusive du président de la Crown Court, celui-ci demande en principe au
jury de quitter la salle d’audience chaque fois qu’il décide des questions de droit. En
particulier, lorsque la défense estime qu’il y a un souci sur le plan de la recevabilité de
certaines preuves avancées par la prosecution, par exemple concernant l’admission d’un
aveu, elle fait une objection. Lors de la procédure de « trial within a trial » (procès dans le
procès ; s. 76 et 78 PACE 1984), le président entend les témoins et les arguments de la
défense. Cette procédure se déroule en audience publique en présence de toutes les parties
mais en principe sans les jurés. Ces règles visent à éviter la prise en compte de preuves
impertinentes ou illégales par les jurés. Selon l’affaire Anderson de 1930, la retraite du jury
ne peut avoir lieu sans demande ou accord de la défense.1209 D’autres affaires attribuent en
revanche ce type de décision à la libre appréciation du juge.1210 Si dans l’affaire Mitchell de
1998, Lord Steyn avance l’importance du droit de l’accusé à exiger l’absence de jury, Lord
Lane souligne dans l’affaire Hendry de 1988 qu’il incombe toujours au président de décider
sur la présence ou l’absence des jurés.1211 En pratique, le jury est généralement exclu.

Pour passer le test d’admissibilité, les preuves doivent être pertinentes1212, non-
préjudiciables1213, dotées d’une valeur probante et non assujetties à une règle d’exclusion.
Les preuves exclues ne seront en principe jamais portées à la connaissance des jurés.1214
Parfois, la demande aux citoyens-juges de quitter la salle, peut laisser croire que des
circonstances défavorables à l’accusé vont être discutées.1215 Au pire, cela pourrait induire
une spéculation, voire frustration, les jurés s’interrogeant sur l’importance ou la nuisibilité de
ce qu’on leur cache. Cet écueil ne contrebalance toutefois pas le grand avantage de ce
système par rapport à la procédure belge : les jurés anglais peuvent prendre une décision sans
être distraits par des preuves triviales et impertinentes ou des preuves illégales. De cette
façon, le juge professionnel peut protéger l’intégrité de l’administration de la justice et la

1209
Anderson [1930] 21 Cr. App. R. 178 ; v. aussi Ajodha v The State [1981] 73 Cr. App. R. 129.
1210
P. ROWE, « The Voire Dire and the Jury », Crim. L.R. 1986, p. 226-232.
1211
Hendry [1988] 88 Cr. App. R. 187 et Mitchell v R [1998] 2 Cr. App. R. 35 (R. MAY, Criminal Evidence, Londres,
Sweet & Maxwell, 1999, p. 415).
1212
Kearley [1992] 2 A.C. 228.
1213
Gough [1993] A.C. 646.
1214
Mitchell v R [1998] 2 Cr. App. R. 35. En revanche, le témoin déclaré admissible dépose à nouveau lors du procès,
cette fois-ci en présence du jury. Cette manière de procéder, coûteuse en termes de temps, permet au témoin de
‘répéter’ sa déposition, ce qui peut influencer son comportement devant le jury. Pour cette raison, la défense préfère
parfois ne pas s’opposer aux preuves de la Prosecution pour ainsi éviter la procédure de trial within a trial (P.
MURPHY, o.c., p. 1684-1685).
1215
Anderson [1930] 21 Cr. App. R. 178 et Hendry [1988] 88 Cr. App. R. 187.

201
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

non-discrimination, tout en luttant contre des verdicts erronés.1216 Loin d’être un simple
arbitre passif ne veillant qu’au bon déroulement de la procédure, le président peut influer sur
les preuves soumises à la considération des jurés et sur lesquelles ils devraient fonder leur
conviction1217, en excluant les preuves perverses ou irrégulières. Ce pouvoir n’est pas
restreint aux preuves avancées au cours du procès, mais concerne également toutes les
preuves obtenues à la phase antérieure. A fortiori, il vérifie s’il existe suffisamment de
preuves qui peuvent être considérées par les citoyens-juges. ‘L’arbitraire’ du jury serait dès
lors à relativiser. Avant la condamnation de la Belgique dans l’affaire Taxquet du 13 janvier
20091218, la Cour de cassation belge y voyait même un avantage certain pour l’accusé, celui-
ci obtenant une décision motivée de la cour sur la légalité et la régularité des preuves, tout en
ne restant pas dans l’obscurité quant aux preuves sur lesquelles se fonde la décision du
jury.1219 Cela nous semble cependant très contestable.

198. Un autre problème particulier concernant les preuves concerne les preuves des
témoins particulièrement vulnérables ou suspects. En raison de leur caractère aléatoire,
celles-ci ne peuvent suffire à fonder une condamnation. Ainsi, l’ancien droit anglais
prescrivait la corroboration législative pour les affaires de parjure, d’excès de vitesse, de
procuration et de trahison.1220 Des règles ad hoc exigeaient d’ailleurs que les preuves de
certains témoins considérés comme peu fiables soient corroborées par d’autres. Il s’agissait
des preuves émanant d’enfants, de complices ou de celles avancées dans des affaires de
mœurs.1221 Dans ces cas, le président devait demander aux jurés d’observer une vigilance une
vigilance particulière. Le jury devait notamment être informé des dangers d’une
condamnation fondée sur des preuves non corroborées. Cependant, en raison du risque de
confusion pour les jurés, des lois ultérieures (s. 34-2 CJA 1988 pour les enfants et s. 32-1
CJPOA 1994 pour les autres catégories) reléguaient cette obligation d’avertissement des jurés
au passé juridique anglais1222 et réintégrèrent ainsi la common law sans règle générale de
corroboration. En common law, l’on supposait en effet que les jurés avaient un degré de
compréhension suffisamment élevé pour évaluer correctement les preuves, tant par le serment
qu’avec le contre-interrogatoire. Le risque d’erreur diminuerait en outre avec la nécessité de
prouver au-delà du doute raisonnable.

1216
P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 69.
1217
Stirland v DPP [1944] A.C. 315 et Sang [1979] 69 Cr. App. R. 282.
1218
Infra, n° 318.
1219
Cass. 30 janv. 2007, FC 2008, p. 64 et T.Strafr. 2007, p. 313, note (infra, n° 315).
1220
S. UGLOW, o.c., p. 407.
1221
S. UGLOW, o.c., p. 408.
1222
R. MAY, o.c., p. 400 et s. et S. UGLOW, o.c., p. 374-375 et 409.

202
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Dans le système en vigueur, le juge n’est plus obligé de prévenir les jurés de la
vulnérabilité de telles preuves. Il incombe à sa discrétion de donner un tel avertissement ou
pas.1223 Les termes et la force de l’avertissement restent également dans sa discrétion. De
facto, il semble toutefois que les règles, bien qu’érodées, ont informellement survécu.1224

199. En droit belge, le président est depuis la loi du 8 avril 20021225 obligé d’avertir
les jurés que les témoignages anonymes (art. 86bis et ter CIC) ne peuvent être pris en
considération en tant que preuve que pour autant qu'ils soient corroborés dans une mesure
déterminante par d'autres moyens de preuve (art. 326 al. 3 CIC). Cela vise à se conformer à la
ligne jurisprudentielle de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, bien que les
règles de preuves, à l’instar de la recevabilité des témoignages1226, incombent au droit
interne1227, la CEDH s’est prononcée à maintes reprises sur cette question. Dans certaines
conditions elle autorise les déclarations écrites d’un témoin absent ou anonyme, par exemple
lorsque les tentatives pour le retrouver sont infructueuses ou en cas de décès.1228 Nonobstant
la règle générale selon laquelle la production des preuves a lieu lors d’une audience publique,
en présence de l’accusé et dans le respect du contradictoire1229 selon lequel « tout doit
pouvoir être discuté entre l’accusateur et l’accusé, sous les yeux ou, plutôt, près des oreilles
des juges »1230 — contrainte strictement appliquée en droit anglais qui interdisait
traditionnellement les preuves par ouï dire —, le droit d’appeler et d’interroger des témoins

1223
Makanjuola [1995] 3 All E.R. 730. Le président pourrait suggérer aux jurés qu’il est judicieux de chercher des
preuves d’appui (Jobe [2004] EWCA Crim 3155), par exemple si le témoignage émane d’un enfant (L & F [2004]
EWCA Crim 1414 ; S. UGLOW, o.c., p. 374-375). Lorsqu’il donne un tel avertissement, il devrait également identifier
les preuves de support potentielles (P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 464 et s. et p. 472 et s.).
1224
La Court of Appeal n’a pas l’habitude d’intervenir (Ely [2005] ECWA Crim 3248).
1225
Loi du 8 avril 2002 relatif à l'anonymat des témoins, MB 31 mai 2002, p. 23725.
1226
CEDH 27 oct. 1993, Dombo Beheer c. Pays-Bas, n° 14448/88, § 31.
1227
CEDH 12 juill. 1988, Schenk c. Suisse, n° 10862/84, § 46 et s. et CEDH 6 févr.2007, Mentes c. Turquie, n°
36487/02, § 29.
1228
CEDH 12 janv. 1991, Isgrò c. Italie, n° 11339/85, § 32 et 35 ; Crim. 3 févr. 1993, Bull. crim. 57 et Crim. 23 juin
1999, Bull. crim. 147. Aucune disposition n’interdit que le témoignage d’un témoin dans l’impossibilité de
comparaître soit reproduit au cours de l’audience, soit par le juge d’instruction, soit par le président en vertu de son
pouvoir discrétionnaire (Cass. 16 nov. 1988, Pas. 1989, I, p. 280 et RDPC 1989, p. 209 ; A. VANDEPLAS, « Over de
voorlezing van verklaringen van een afwezige getuige », RW 2002-03, p. 706-707 et pour le droit français Crim. 25
oct. 1995, Bull. crim. 319 et Dr. pén. 1996, comm. 51, p. 18, note A. MARON et Crim. 31 mars 1999, Bull. crim. 65).
Cette option a été consacrée par la loi belge du 30 juin 2000 (art. 316 CIC ; ancien art. 354 al. 1 CIC). Dans le même
ordre d’idées, le retrait définitif d’un témoin après son audition, et avec l’accord de toutes les parties, n’empêche pas
que le président donne lecture de ses déclarations écrites recueillies par un officier de police judiciaire (Cass. 28 mars
2001, Pas. 2001, I, p. 510 et RDPC 2001, p. 1000). Toutefois, si un témoin est présent, le président ne peut pas donner
lecture à ses déclarations antérieures sans l’entendre ou avant de l’entendre à l’audience (Crim. 9 avr. 1986, Bull.
crim. 120 et D. 1986, p. 305, obs.). La lecture ne peut dès lors intervenir qu’après l’audition. Cela s’impose même au
pouvoir discrétionnaire du président (Crim. 2 nov. 1949, D. 1950, p. 75 ; J. PRADEL, « La lecture du procès-verbal de
confrontation des témoins avec l'accusé, en présence d'un de ceux-ci non encore entendu, constitue une violation du
principe de l'oralité des débats », D. 1990, p. 221). Par contre, aucune disposition n’oblige le président à donner
lecture des déclarations écrites des témoins absents à l’audience (Cass. 28 mars 2001, préc.).
1229
CEDH 15 juin 1992, Lüdi c. Suisse, n° 12433/86, § 49 et CEDH 23 avr. 1997, Van Mechelen et autres c. Pays-
Bas, n° 21363/93, § 51 et CEDH 10 févr. 2005, Graviano c.Italie, n° 10075/02, § 37.
1230
S. Guinchard et J. Buisson, cités par W. ROUMIER, o.c., p. 307, n° 562.

203
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

n’est dès lors pas absolu.1231 Dans les limites des droits de la défense et du procès équitable,
un assouplissement du principe d’oralité est donc possible. Une violation de ce principe
émergera seulement si l’on n’a pu, à aucun stade de la procédure, interroger un témoin dont
les déclarations ont été lues à l’audience1232 et qui ont contribué à la condamnation de
l’auteur.1233 En effet, lorsqu’un verdict est seulement ou décisivement fondé sur des
déclarations que l’accusé n’a pas eu l’opportunité d’examiner, et sans qu’il y ait eu
confrontation lors de l’instruction ou de l’audience, les droits de la défense sont limités à un
degré incompatible avec l’article 6 CESDH.1234 Ces preuves doivent nécessairement être
confortées (critère qualitatif) par d’autres preuves (critère quantitatif).1235 A elle seule, la
déclaration d’un témoin absent à l’audience ne suffit pas pour être une preuve déterminante
des faits imputés à l’accusé.1236 Cela est également valable pour un témoignage anonyme.
Selon la jurisprudence de Strasbourg, une condamnation ne peut pas se fonder uniquement, ni
dans une mesure déterminante, sur les déclarations d’un témoin anonyme. Dans une optique
similaire, la Cour de cassation statua que, lorsqu’un accusé a déposé des conclusions fondées
sur le défaut de confrontation avec un témoin dont il considère que les déclarations
constituent la charge principale de l’accusation, la cour d’assises ne peut, sans réponse aux
conclusions, passer outre l’absence du témoin et condamner l’accusé.1237 Depuis la loi belge
du 21 décembre 2009 l’avertissement de la nécessité de corroboration que le président est
censé donné aux jurés ne concerne plus seulement les preuves obtenues par un témoignage
anonyme (art. 86bis et 86ter CIC), mais également celles qui ont été obtenues lors d’une
téléconférence (art. 112bis § 6 CIC), lors d’une vidéoconférence ou d’un circuit de télévision
fermé avec altération de l'image et de la voix (art. 298 § 5 CIC) et lors d’une audition par
conférence téléphonique (art. 299 § 4 et 5 CIC).

Toutefois, il reste à savoir si les jurés, qui décident seuls, sont suffisamment aptes à
comprendre la direction ‘cryptique’1238 de corroboration donnée par le président et, le cas

1231
CEDH 19 déc. 1990, Delta c. France, n° 11444/85, § 33.
1232
CEDH 24 nov. 1986, Unterpertinger c. Autriche, n° 9120/80, § 31.
1233
CEDH, Delta c. France préc., § 37 et CEDH 13 nov. 2003, Rachdad c. France, n° 71846/01, § 23.
1234
V., parmi beaucoup d’autres, CEDH 20 nov. 1989, Kostovski c. Pays-Bas, n° 11454/85, § 44 ; CEDH 20 sept.
1993, Saïdi c. France, n° 14647/89, § 43-44, JCP G 1994, II, n° 22214, note P. CHAMBON et RSC 1994, p. 142, obs.
L.E. PETTITI ; CEDH, 20 déc. 2001, P.S. c. Allemagne, n° 33900/96, § 24 ; CEDH, 14 sept. 2005, Mayali c. France,
n° 69116/01, § 31 ; CEDH 13 juin 2006, Vaturi c. France, n° 75699/01, § 58 et CEDH 13 janv. 2009, Taxquet c.
Belgique, n° 926/05, § 66-69 : « il ne ressort pas du dossier si la condamnation du requérant, qui a toujours nié les
faits reprochés, s’est fondée sur des éléments de preuve objectifs ou encore sur la seule information fournie par le
témoin anonyme ou sur la simple déclaration d’un des co-inculpés incriminant le requérant » (§ 66).
1235
CEDH 26 avr. 1991, Asch c. Autriche, n° 12398/86, § 28 et CEDH 27 sept. 1990, Windisch c. Autriche, n°
12489/86, § 30 et 31.
1236
V., parmi beaucoup d’autres, CEDH 20 sept. 1993, Saïdi c. France préc., § 43-44 et CEDH 27 févr. 2001, Luca c.
Italie, n° 33354/96, § 40.
1237
Crim. 19 sept. 1989, Bull. crim. 321 et Crim. 6 mars 1991, D. 1992, somm. p. 96, note J. PRADEL et Dr. pén. 1991,
comm. 213, note A. MARON (H. ANGEVIN, o.c., p. 209, n° 584).
1238
R. DECLERCQ, o.c., p. 1041, n° 2363.

204
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

échéant, s’ils cherchent effectivement à fonder leur décision sur d’autres preuves. Les
citoyens sont peu familiarisés avec l’appréciation des preuves. Ainsi, même avec des
avertissements forts du juge, ils gardent leur liberté et peuvent condamner en l’absence de
corroboration. L’absence traditionnelle de motivation et le secret de la délibération,
caractéristiques traditionnelles inhérentes à la procédure d’assises, empêchent en effet de
veiller à la bonne application de cette règle.

2. A l’épreuve de la technicité du droit criminel

200. Au-delà de savoir si l’accusé a réellement commis les faits, les jurés sont censés
se prononcer sur des questions du droit : sur l’existence de causes d’exonération telles que la
contrainte irrésistible (art. 71 CPB), de causes d’excuse comme la provocation, de
circonstances aggravantes comme la préméditation, … Ainsi que nous le démontrerons
ultérieurement en sondant la séparation entre le fait et le droit, l’argument selon lequel le jury
ne jugerait que les faits sans s’occuper du droit est dès lors erroné. Le jury fait bel et bien du
droit. De plus, bien que les étudiants en droit peinent parfois à s’en sortir et que les praticiens
multiplient les différentes interprétations, l’on attend des citoyens ordinaires qu’ils répondent
à ces questions de droit sans information ni accès préalable au dossier. Certes, l’on peut
demander aux personnes qui comparaissent devant le jury de s’exprimer de manière
compréhensible, en explicitant le cas échéant les termes techniques ou les concepts juridiques
dont les jurés ne saisissent pas la portée.1239 Mais, ainsi que nous l’avons déjà avancé, le
risque d’interprétations divergentes n’est pas imaginaire.

A cet égard, un rôle particulier pourrait revenir à l’expert, auxiliaire indispensable


dans la quête de la vérité. En explicitant les preuves mathématiques, psychiatriques et
psychologiques, celui-ci introduit dans une certaine mesure la rationalité dans les prétoires.
Pourtant, la décision du jury ne sera jamais purement cartésienne. S’y ajoutent également des
considérations irrationnelles, telles que l’attitude, l’éloquence, le charisme, voire l’apparence
de l’expert, des défendeurs et des témoins. Selon une étude de la chambre des Commons, des
facteurs non-verbaux influencent au moins autant les jurés que les déclarations de
l’expert.1240 Malheureusement, le comportement d’une personne ne constitue pas un guide
impeccable. S’il peut donner des indices sur sa fiabilité, une bonne mémoire et perception ne

1239
W. ROUMIER, o.c., p. 279, n° 513.
1240
P.W. WHITE, Crime Scene to Court : The Essentials of Forensic Science, Cambridge, The Royal Society of
Chemistry, 2004, 2ème éd., 470p., cité par HOUSE OF COMMONS - SCIENCE AND TECHNOLOGY COMMITTEE, Forensic
Science on Trial, Londres, The Stationary Office, 2004-05, p. 63-64,
www.publications.parliament.uk/pa/cm200405/cmselect/cmsctech/96/96i.pdf.

205
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

se reflètent pas toujours dans le comportement.1241 Le jury est-il à même d’opérer une
distinction entre la force des preuves et la personnalité de celui qui les procure ?1242 De plus,
les jurés peuvent considérer aveuglement que l’expert, bardé d’une liste impressionnante de
qualifications scientifiques, a plus d’autorité. Mais à quel instant un expert acquiert-il une
‘autorité’ fiable1243, surtout lorsqu’il est contredit par un autre expert1244 ? De cette façon, au
lieu de leur faciliter la tâche, l’arrivée de l’expert pourrait introduire un peu plus de confusion
de nature à compliquer la prise de décision.1245

Que le jury, privé d’accès au dossier, se perde dans la masse des interprétations, que
certains éléments du dossier ne soient pas pris en compte ou que certaines notions soient
interprétées à l’encontre de la volonté réelle du législateur, relèvent d’un risque tangible1246,
en dépit de la vigilance scrupuleuse avec laquelle la majorité des jurés abordent sans doute sa
mission. Le jury est-il « the high point of amateurism »1247 (le sommet d’amateurisme) ?
Prétendre qu’aucun des jurés ne serait en mesure de comprendre verserait sans doute dans
une sévérité excessive1248 ; tout comme le fait d’espérer que tous les jurés ont tout compris
relève de l’utopie. Le système de coopération mixte préserve en partie la France de ces
écueils. En droit belge et en droit anglais, par contre, les jurés sont livrés à eux-mêmes.
Certes, les jurés anglais bénéficient des instructions souvent étendues du président avant de
se retirer dans la salle de délibération.1249 Toutefois, plusieurs études illustrent leur
compréhension déplorable.1250

201. Ensuite, il n’est pas improbable que la portée réelle de leur devoir, à savoir la
prise d’une décision sur la culpabilité par les preuves fournies à l’audience, soit contournée
par la notion floue et quasi transcendante1251 de ‘l’intime conviction’ (art. 353 CPP ; pour le

1241
S.D. PENROD et B.L. CUTLER, « Eyewitness Expert Testimony and Jury Decision making », L.C.P. 1989, p. 83 et
S. UGLOW, o.c., p. 325. Par ailleurs, un comportement qui inspire de la confiance ne dit rien sur la véracité du
témoignage.
1242
HOUSE OF COMMONS - SCIENCE AND TECHNOLOGY COMMITTEE, o.c., p. 64.
1243
Stockwell [1993] 97 Cr. App. R. 260.
1244
Ainsi, dans l’affaire belge Van Themsche, l’expert de la défense avançait la thèse d’un ‘crime autiste’ au lieu de
celle d’un ‘crime raciste’ défendu par l’expert du juge d’instruction, demandant alors l’internement au lieu de la
condamnation (De Standaard 5 oct. 2007).
1245
Ch. BOURRIER et A. ROQUES, « L’influence de l’expert psychiatre sur l’intime conviction du juge : une atteinte
aux règles du procès équitable, », Gaz. Pal. du 16 oct. 2003, p. 2799.
1246
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 24.
1247
L. Blom-Cooper Q.C., cité par P. THORNTON, l.c., p. 698-699.
1248
Selon A. Blanc, le souci d’incompréhension des jurés n’est pas fondé : les exposés des experts sont suffisamment
limpides et les jurés sont capables à raisonner logiquement et d’argumenter sur l’effet probant des arguments (A.
BLANC, « La preuve aux assises : entre formalisme et oralité, la formation de l’intime conviction », AJpénal 2005, p.
274). La médiatisation des activités de la police scientifique influence d’ailleurs les citoyens parmi lesquels figurent
les éventuels jurés (M. SAVART, « L’expertise scientifique en matière pénale », AJpénal 2006, p. 72).
1249
Infra, n° 259.
1250
Infra, n° 202.
1251
H. LECLERC, « Les limites de la liberté de la preuve. Aspects actuels en France », RSC 1992, p. 15.

206
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

droit belge, ancien art. 342 CIC) ainsi que par celle, trouble1252, du beyond a reasonable
doubt qui, en dépit de son application ancienne1253 et universelle dans des pays de common
law,1254 de civil law, et dans des juridictions pénales internationales1255, reste privée d’une
signification évidente. Devant le jury, la partie poursuivante doit prouver chaque élément de
l’accusation ainsi que la culpabilité de l’accusé au-delà de doute raisonnable, faute de
quoi1256 l’unique solution consiste en l’acquittement. Ce standard élevé vise à éviter les
condamnations erronées. Plus le dommage risque d’être grand, moins on veut courir de
risques.1257 Nonobstant l’absence de consensus sur la nécessité d’une définition de cette
formule1258, le juge anglais tenta d’instruire les jurés sur cette notion à plusieurs reprises.1259
Différentes formules furent ainsi passées en revue, témoignant de la discrétion du juge à cet
égard1260 : ‘être sûr’1261, ‘pratiquement certain’1262, ‘raisonnablement sûr’1263. Nombre de
formules furent rejetées1264, dont ‘moralement sûr’ qui coïncide avec notre exigence classique
‘d’illumination intime’ ou d’intime conviction1265 en raison de sa susceptibilité d’encourager
les jurés à prendre en considération des facteurs moraux.1266 Celle-ci serait notamment de
nature de minimiser la valeur de preuves. Pour la même raison l’expression ‘se sentir sûr’1267
est réfutée. En effet, le juge doit inciter les jurés à mettre de côté les sentiments afin de ne
juger que sur preuves. Il ne suffit pas de se ‘sentir’ sûr ; il faut ‘être’ sûr.1268

1252
Secretary of State for the Home Department ex p Khawaja [1984] A.C. 74 (R. PATTENDEN, « Explaining a
Reasonable Doubt to Juries : R v Lifchus », Int’l J. Evidence & Proof 1998, p. 253).
1253
L’on retrouve ses racines à la fin du 17ème siècle avec les idées associées au concept de moral certainty et au degré
le plus élevé de probabilité (B.J. SHAPIRO, Beyond Reasonable Doubt and Probable Cause : Historical Perspectives
on the Anglo-American Law of Evidence, California, University of California Press, 1991, p. 2-42).
1254
Woolmington v DPP [1935] A.C. 462 et McGreevy v DPP [1973] 1 W.L.R. 276.
1255
Art. 66 (3) Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juill. 1998, entré en vigueur le 1er juill. 2002.
1256
Woolmington v DPP [1935] A.C. 462 ; v. aussi Cass. 7 déc. 1999, Arr.Cass. 1999, p. 1592.
1257
P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 352. Le revers de la médaille est l’acquittement de nombreuses personnes
(I. DENNIS, o.c., p. 481).
1258
S’agissant, selon certains, d’une phrase d’art, une définition est simplement impossible (Hepworth & Fearnley
[1955] 39 Cr. App. R. 152). Le juge ne pourra jamais s’assurer que cette notion a été comprise par les jurés ; d’autres
réfutent la nécessité d’une définition puisqu’il s’agit d’une notion claire du langage ordinaire et compréhensible pour
de simples citoyens ; d’autres finalement jugent l’optique d’une définition inopportune car il faudrait permettre aux
jurés d’appliquer à chaque affaire les valeurs du moment.
1259
Yap Chuan Ching [1976] 63 Cr. App. R. 7 (S. UGLOW, o.c., p. 13-14).
1260
McGreevy v DPP [1973] 1 W.L.R. 276 (R. MAY, o.c., p. 66-67). Dans d’autres arrêts, l’on souligna que ce n’est
pas la formule qui compte, mais le summing-up entier (Hepworth & Fearnley [1955] 39 Cr. App. R. 152).
1261
Bracewell [1979] 68 Cr. App. R. 44.
1262
Law [1961] Crim. L.R. 52.
1263
Head & Warrener [1961] 45 Cr. App. R. 225.
1264
Telle que la formule « un doute pour laquelle on pourrait donner une raison » (Yap Chuan Ching [1976] 63 Cr.
App. R. 7, réfutée dans Stafford & Luvaglio [1968] 53 Cr. App. R. 1) ou l’expression « un tel doute qui vous influence
lorsque vous vous occupez de vos propres affaires, par exemple lorsque vous prenez un prêt hypothécaire ou quelque
chose de cette nature » (Stephens [2002] EWCA Crim 1529). Cette tentative de faire référence aux expériences réelles
des jurés risque, par sa subjectivité, de réduire le standard (Stafford & Luvaglio [1968] 53 Cr. App. R. 1).
1265
M.-C. NAGOUAS-GUERIN, « Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale », RSC 2002, p. 285-286 et s.
1266
Onufrejzk [1955] 1 All E.R. 247, cité par R. PATTENDEN, « Explaining a Reasonable Doubt to Juries : R v
Lifchus », l.c., p. 258-259.
1267
Notion utilisée dans l’affaire Summers [1952] 36 Cr. App. R. 14.
1268
Quinn [1983] Crim. L.R. 475 Cette expression a également été avancée par le Judicial Studies Board dans sa
specimen direction que les juges sont encouragés d’adopter (www.jsboard.co.uk/).

207
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Pourtant, là où la notion d’intime conviction risque de minimiser la valeur des preuves


en nourrissant l’impression qu’on peut être convaincu de la culpabilité sans que la preuve ait
été rapportée1269, l’option ‘d’être sûr’ donne l’impression erronée de la nécessité d’une
certitude absolue.1270 Certaines personnes appliquent en outre l’idée erronée que les preuves
doivent s’accroître proportionnellement à la gravité du crime, ce qui les conduit à condamner
dans des affaires mineures et à acquitter dans des affaires sérieuses.1271 Au lieu d’une
certitude absolue, rarement probable, il s’agit plutôt d’un très haut degré de probabilité qui
consiste à être ‘pratiquement sûr’.1272 L’on autorise dès lors une condamnation en cas de
doute. Le doute doit toutefois transcender le raisonnable. Mais quel sens attribuer au terme de
‘raisonnable’ ? Il s’agit d’une question de valeur qui peut fluctuer au gré des jurés. « L’intime
conviction est comme le tact de l’aveugle, comme l’œil d’un bon tonnelier ou comme le
palais d’un dégustateur : un appareil de précision sans précision ».1273 Et, peut-être n’y a-t-il
aucune personne ‘raisonnable’ au sein du jury.1274

Peu importe la notion utilisée, le jury doit être amené à assumer sa mission
principale : préserver les innocents des préjudices extrêmement douloureux générés par une
condamnation. Il ne peut rendre un verdict de culpabilité que lorsqu’il estime que les faits
sont incompatibles avec toute autre décision.1275 Judicieuses s’avèrent dès lors la proposition
de loi française et la nouvelle loi belge qui visent à rationnaliser le serment en levant toute
référence à la notion ambiguë de l’intime conviction et en se référant directement à la
nécessité de preuve : « […] que vous ne pouvez en conscience, avec l'impartialité et la
fermeté qui conviennent à une femme ou à un homme probe et libre retenir sa culpabilité que
si la preuve en est rapportée par l'accusation »1276 et pour le droit belge, « […] de vous
décider d'après les preuves et les moyens de défense, avec l'impartialité et la fermeté qui
conviennent à un homme probe et libre » (nouvel art. 290 CIC). En effet, l’intime conviction
ne dispense pas les douze citoyens de procéder à l’application fidèle des règles élémentaires
de l’administration des preuves.

1269
Proposition de loi n° 24 (M. DREYFUS-SCHMIDT et M. CHARASSE), l.c.
1270
Ainsi, une étude a révélé qu’aux yeux de 51% des jurés, ‘sûr’ signifie 100% sûr ; 75% pensent qu’il s’agit d’une
certitude à environ 90% ; un quart se contente d’une sûreté de moins de 90% et 4% considèrent qu’une certitude à
70% suffit (M. ZANDER, « The Criminal Standard of Proof - How Sure is Sure ? », F.L.J. 2000, p. 1517 et P. ROBERTS
et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 364).
1271
J.W. MONTGOMERY, « The Criminal Standard of Proof », F.L.J. 1998, p. 582.
1272
Miller v Minister of Pensions [1947] 2 All E.R. 372.
1273
Q. SALDANA, « Le jury technique », RIDP 1933, p. 24.
1274
R. PATTENDEN, « Explaining a Reasonable Doubt to Juries : R v Lifchus », l.c., p. 260.
1275
Bracewell [1979] 68 Cr. App. R. 44.
1276
Proposition de loi n° 24 (M. DREYFUS-SCHMIDT et M. CHARASSE), l.c.

208
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

202. Toutefois, « il ne suffit pas que les muets se mettent à parler pour que les sourds
entendent … ».1277 Encore faut-il que les jurés appliquent de facto les règles du jeu. Ce qui
paraît évident à l’égard d’un juge professionnel, et qui peut être contrôlé par le public et les
parties, ne l’est pas pour le jury populaire. Compte tenu de l’absence traditionnelle
d’obligation de motivation du verdict, ainsi que du secret de la délibération explicitement
traduit en droit anglais par l’article 8 du Contempt of Court Act de 19811278, l’on ne peut que
supposer et espérer que les citoyens-juges ont compris les preuves et appliqué la procédure,
tout en bénéficiant d’une excellente mémoire et en se fondant réellement sur les preuves.
« The lamp that shows that freedom lives » s’avère plutôt obscure.1279 En effet, le jury anglais
étant une sorte de ‘boîte noire’, « on ne sait pas ce qui se passe à l’intérieure, on peut
uniquement influencer ce qui entre dedans ».1280

Contrairement aux Etats-Unis où plusieurs études portent sur la compétence des jurés,
les recherches dans la salle de délibération anglaise sont rares.1281 La nature particulière de la
juridiction populaire complique la réalisation de des recherches fiables. Il est difficile de
vérifier si le jury a pris sa décision de manière correcte. Parfois, l’on prend comme indice la
compatibilité entre les juges de métier et les juges occasionnels. Les juges de carrière
auraient-ils pris la même décision ? L’étude américaine de Harry Kalven et Hans Zeisel
témoigne de la correspondance considérable entre la décision effective du jury et celle qui
aurait été prise par les magistrats de carrière (78%).1282 Cela ne signifie toutefois pas que le
jury a eu tort dans la minorité des cas dépourvus d’opinion consensuelle, ou que les décisions
concertées débouchent effectivement sur le bon résultat.1283 Le fait que le juge aurait pris la
même décision ne prouve pas que le jury a compris les preuves et les règles à appliquer. Il est
parfaitement possible qu’un juge professionnel et un corps de citoyens prennent leur décision
sur un fondement résolument différent. En tout cas, il est remarquable que cette étude se

1277
Expression utilisée par M. LEMONDE, « L'appel en matière criminelle. Le beurre et l'argent du beurre? » in X,
Justice et double degré de juridiction, Paris, Dalloz, 1996, p. 98.
1278
McCluskey [1993] 98 Cr. App. R. 216. En droit français, le vote a lieu au scrutin secret (en vertu de l’art. 358 al. 2
CPP les bulletins de vote sont brûlés). Le secret est consacré par la jurisprudence (Crim. 22 mars 1995, Bull. crim.
121 ; Y. LAURIN, « Le secret du délibéré », D. 2007, p. 856). Aucune pièce procédurale ne peut relever ce qui se passe
dans la salle de délibération (Crim. 22 juin 1988, Bull. crim. 285). En Belgique, le secret de la délibération a
également été maintenu, en dépit de l’introduction d’une motivation criminelle (infra, n° 334).
1279
L. McGOWAN, l.c., p. 531.
1280
B.J. SHAPIRO, o.c., p. xii-xiii (trad. pers.).
1281
P. DARBYSHIRE, o.c., p. 516; v. tout récemment la critique de M. Coen et L. Heffernan sur la Law Commission’s
Consultation Paper on the Admissibility of Expert Evidence in England and Wales : A Few Approach to the
Determination of Evidentiary Reliability (M. COEN et L. HEFFERNAN, « Juror Comprehension of Expert Evidence : a
Reform Agenda », Crim. L.R. 2010, p. 195-211).
1282
H. KALVEN et H. ZEISEL, The American Jury, Boston, Little, Brown & Co., 1966, p. 63. Cette étude est la seule
tentative dans l’histoire criminelle américaine qui vise à enregistrer la délibération des jurés avec l’accord du juge et
des parties et sans connaissance des juges-citoyens. Pour des critiques, v. J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, o.c.,
1979, p. 7.
1283
T. BROOKS, l.c., p. 200.

209
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

focalise sur la correspondance entre le magistrat professionnel et le jury, comme si la


fonction du jury consistait à être d’accord avec le juge et à se comporter comme un
expert.1284 Si le magistrat de robe constitue en effet le critère d’exactitude de la décision du
jury, pourquoi ne pas confier la mission de juger à celui-ci ? Les conclusions tirées de cette
étude diffèrent en outre en fonction de l’attitude envers l’institution du jury populaire : selon
les uns, l’accord dans 78% des cas prouve que le système du jury est bien stable et
satisfaisant ; d’après les autres, le désaccord dans 22% des cas est un signe inquiétant
d’anarchie et d’excentricité du jury.1285

En droit anglais, les résultats des études de simulation (avec un jury fantôme)1286,
initiées notamment en matière de fraude complexe, fluctuent.1287 D’une part, selon les études
de la Crown Court et de Sally Lloyd-Bostock, 90% des jurés affirment ne pas avoir eu de
problème de compréhension.1288 Le même résultat fut obtenu en matière de fraude complexe,
l’interview des jurés plusieurs mois après le procès Jubilee Line illustrant que leur
incompréhension présumée ne fut pas à l’origine de l’écroulement de cette affaire.1289
Plusieurs mois après le procès, les jurés purent en effet énoncer les questions pertinentes,
même sans documents. Un résultat similaire fut obtenu par l’étude de Terry Honess et
collègues après l’acquittement des accusés dans l’affaire Maxwell.1290 La performance des
jurés dans des affaires de fraude complexe est d’ailleurs appréciée de manière positive par les
juges professionnels.1291 Les jurés savent notamment opérer une distinction entre les accusés,
en condamnant les uns et acquittant les autres.1292 Selon d’autres analyses, en revanche, le
portrait des jurés n’est guère flatteur : plus de la moitié des personnes n’auraient pas
intégralement compris ce qui se passait à l’audience, n’oseraient pas questionner le juge, et

1284
M.D.A. FREEMAN, l.c., p. 85.
1285
H. KALVEN et H. ZEISEL, « Het basispatroon van meningsverschillen tussen jury en rechter », JV 1978, p. 80.
1286
On présente à un jury fantôme un procès réel avec les mêmes preuves et les mêmes directions sur le droit et on
présuppose que leur manière de délibérer et d’approcher les choses reflètent celle d’un jury réel (v. l’étude de J.
BALDWIN et M.J. McCONVILLE, « Criminal Juries », Crime & Just. 1980, p. 273-282).
1287
P. DARBYSHIRE, A. MAUGHAN et A. STEWART, l.c.
1288
M. ZANDER et P. HENDERSON, o.c., p. 206 et 216-17 et S. LLOYD-BOSTOCK, « The Jubilee Line Jurors : Does the
Experience Strengthen the Argument for Judge-only Trials in Long and Complex Fraud Cases », Crim. L.R. 2007, p.
259-263.
1289
S. LLOYD-BOSTOCK, « The Jubilee Line Jurors : Does the Experience Strengthen the Argument for Judge-only
Trials in Long and Complex Fraud Cases », l.c., p. 255-273 ; v. également S. WOOLER, Review of The Investigation
and Criminal Proceedings Relating to the Jubilee Line Case, HMCPSI, 2006, 139p.,
www.attorneygeneral.gov.uk/attachments/JubileeLineRep_pt_1.pdf.
1290
T. HONESS, M. LEVI et E. CHAPMAN, « Juror Competence in Processing Complex Information : Implications from
a Simulation of the Maxwell Trial », Crim. L.R. 1998, p. 765-773.
1291
V. les interviews effectuées par M. Zander (M. ZANDER, « Jury Power », F.L.J. 2007, p. 1380) et R.F. Julian (R.F.
JULIAN, « Judicial Perspectives on the Conduct of Serious Fraud Trials », l.c., p. 751-768 et R.F. JULIAN, « Judicial
Perspectives in Serious Fraud Cases – The Present Status of and Problems posed by Case Management Practices, Jury
Selection Rules, Juror Expertise, Plea Bargaining and Choice of Mode of Trial », Crim. L.R. 2008, p. 764-783).
1292
R.F. JULIAN, « Judicial Perspectives on the Conduct of Serious Fraud Trials », l.c., p. 758.

210
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

méconnaitraient leurs droits concernant la prise de notes.1293 Selon certains juges, le jury se
tromperait même dans une affaire sur quatre1294, ce constat portant peut-être davantage sur la
complexité des règles légales que sur l’aptitude des jurés.1295

Il faut toutefois veiller à ne pas surestimer ces réponses. Les jurés ‘fantômes’ ne se
trouvent pas dans la même situation que les jurés effectifs1296 dans la mesure où ils ne
consacrent pas les mêmes temps et disponibilité au procès. En effet, le degré de
responsabilité des jurés peut difficilement être évalué en laboratoire où, n’ayant pas à décider
du sort d’un homme, leurs conscience et vigilance s’avéreraient vraisemblablement moindres.
Il semble donc important d’observer un certain scepticisme. En outre, la compréhension
d’une personne est une donnée difficilement quantifiable : un juré peut affirmer avoir
compris sans que ce soit réellement le cas. En effet, il paraît difficile d’admettre qu’on n’a
pas compris.1297 Parfois, la compréhension s’accroît au fil des débats. Un procès de longue
haleine favorisera ainsi la compréhension de jurés progressivement familiarisés avec la
terminologie, tout en entamant toutefois la mémorisation des preuves sur le long terme.

203. Bien évidemment ces critiques adressées aux juges profanes n’impliquent pas
que nous surestimons la capacité des juges de robe. Le magistrat de carrière n’est pas non
plus un scientifique. Face à une criminalité spécialisée, il a également besoin d’experts pour
se frayer un chemin dans la complexité ‘qui menace’ le procès. Les progrès en matière
d’ADN (art. 706-54 et s. CPP), de preuves balistiques, toxicologiques, mathématiques,
biologiques, narcotiques ainsi que de celles qui relèvent d'une expertise médicolégale, en
témoignent. Le juge peut aussi prendre une décision irrationnelle et inconsistante, tant sur le
plan de la culpabilité qu’à celui de la peine.1298 Il n’y a pas de preuves qu’il y aura plus de

1293
Selon l’étude de R. Arens et collègues seulement un tiers peut se souvenir correctement des instructions du juge
(R. ARENS, D. GRANFIELD et J. SUSMAN, « Jurors, Jury Charges and Insanity », Cath. U. L. Rev. 1965, p. 1 ; v. aussi
N. HARALAMBOUS, l.c., p. 41). Selon celle de R. Matthews et collègues, 43% des jurés ont affirmé avoir tout compris,
ce qui implique malheureusement que 57% n’ont pas compris l’intégralité ; 2% ont compris moins de la moitié ; dans
4% des cas, les jurés ont indiqué de ne pas avoir entendu les preuves (R. MATTHEWS, L. HANCOCK et D. BRIGGS, o.c.,
p. 12-13). Dans l’étude récente de Ch. Thomas, 51% des jurés de Nottingham reconnaissaient avoir des difficultés à
comprendre les instructions du juge. Si la majorité des jurés de Winchester (68%) les considéraient compréhensibles,
seulement une minorité déclarait les avoir entièrement compris (Ch. THOMAS, Are Juries Fair ?, o.c., p. 36-37). Un
glossaire comprenant les termes techniques ainsi que des aides visuelles (diagrammes, graphiques, …) pourraient être
utiles à cet égard (T. HONESS, M. LEVI et E. CHAPMAN, l.c., p. 764-765).
En droit belge, l’étude de L. Van Langenhove démontre aussi que le jury a des difficultés d’évaluer (L.
VANLANGENHOVE, Juryrechtspraak en psychologie, Anvers, Kluwer, 368p.). La pratique révèle d’ailleurs que le
dossier est peu consulté lors de la délibération (Ph. TRAEST, « Juries, Evidence and the Role of Lay Participation in
the Belgian Criminal Process » in J.M. REIJNTJES et J.F. NIJBOER (éd.), Proceedings of the First World Congress on
Few Trends in Criminal Investigation and Evidence, La Haye, Koninklijke Vermande, 1997, p. 376).
1294
A. GEDDES, « Juries aren’t delivering justice », The Guardian 27 mars 2002.
1295
J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, « Criminal Juries », l.c., p. 273-274.
1296
T. HONESS, M. LEVI et E. CHAPMAN, l.c., p. 771. Leur représentativité peut également être redoutée (J. BALDWIN
et M.J. McCONVILLE, « Criminal Juries », l.c., p. 282-283).
1297
R. MATTHEWS, L. HANCOCK et D. BRIGGS, o.c., p. 12-13.
1298
T. BROOKS, l.c., p. 199.

211
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

consistance et d’uniformité quand la décision sera prise par des juges de métier, ceux-ci
présentant toutefois l’avantage de former une juridiction permanente, contrairement au jury.
Un juge professionnel est en outre plus équipé. Il dispose des pièces écrites du dossier qui lui
permettent de se forger une opinion davantage globale et moins ‘colorée’ de l’affaire. Qu’il
ne s’est fondé que sur les preuves peut d’ailleurs être démontré dans sa motivation et contrôlé
en appel. Les exigences de sa formation sont en outre devenues plus sévères. Mais la
brillance d’un juge professionnel est-elle toujours supérieure à la sagesse de douze esprits
moyens sélectionnés au hasard ?1299 La plus-value d’un juré relève peut-être, justement, de sa
propension à rendre une décision radicalement différente de celle d’un juriste ? Etant une
épreuve résolument humaine, le droit demeurera susceptible d’erreurs et d’imperfections. Le
défi consiste donc à endiguer ces écueils autant que faire se peut.

§ 2 — LES TEFTATIVES EFTAMEES VERS UFE RATIOFALITE ACCRUE

204. Face à une telle procédure, supérieure par son traitement au fond des affaires
mais déficitaire en terme de rationalité et de transparence, les différents pays cherchent à
optimiser la performance des jurés. Dans un souci conservateur visant à maintenir le jury, les
réformes entamées ne peuvent consister qu’en de simples retouches (A — Retouches internes
valorisant le jugement populaire). A la lumière de l’européanisation à laquelle le droit pénal
pourra de moins en moins déroger, émergent toutefois des solutions plus radicales imposant
de l’extérieur un rapprochement des différents systèmes (B — Solutions externes manifestant
l’européanisation). A l’instar du domaine du terrorisme, il y a dans ces solutions peu de place
pour une juridiction populaire.

A — RETOUCHES INTERNES VALORISANT LE JUGEMENT POPULAIRE

205. Si l’on maintient le jury, l’une des garanties visant à s’assurer que les jurés ne
prennent leur décision qu’en rapport avec les preuves relève de la présence de juges de
carrière dans la salle de délibération et de leur collaboration avec les citoyens. Or, à l’heure
actuelle, seul le législateur français a osé faire ce pas.1300 Les deux autres pays n’envisagent
que des correctifs ponctuels pour guider et assister les jurés populaires dans leur quête de
vérité. Valorisant le jugement populaire, les propositions de réforme belge font pourtant
preuve d’une méfiance à l’égard des jurés (1). Pour maximiser la rationalité aux assises, il
semble nécessaire d’exclure autant que possible les jurés ou d’alléger en tout cas les preuves

1299
P. DEVLIN, « Trial by Jury for Fraud », O.J.L.S. 1986, p. 315.
1300
Pour propositions similaires en droit belge, v. le Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 23 et s., repris par les
propositions de loi (Ph. MAHOUX) relatives à la réforme de la cour d’assises du 26 avr. 2007 (Doc.parl. Sénat 2006-
07, n° 3-2426/1) et du 25 sept. 2008 (Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-924/1 ; infra, n° 272 et s.).

212
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

à apprécier. Les récentes réformes anglaises s’illustrent, en revanche, par la confiance


accordée aux aptitudes des juges populaires (2). Pour améliorer les performances de ceux-ci,
il faut leur procurer un plus grand accès aux preuves. Or, paradoxalement, cette divergence
d’orientation aboutit-elle à une convergence des procédures ?

1. Voie de méfiance en droit belge

206. Afin d’améliorer la performance du jury et de l’encadrer dans une procédure plus
rationnelle, la Commission de réforme belge n’envisageait que de s’engager dans une
philosophie d’exclusion. Une première manifestation concerne la volonté de traiter les
questions procédurales visées à l’article 235bis du Code d’instruction criminelle en l’absence
des jurés. Une deuxième réforme concerne l’établissement d’une liste de témoins.

a) Une audience préliminaire pour les questions procédurales

207. Afin de faciliter leur tâche, il faut préserver autant que possible les douze
citoyens du peuple des preuves déloyalement obtenues, face auxquelles ils devront s’adonner
à la schizophrénie mentale afin de les exclure.1301 Ainsi que nous l’avons déjà avancé, le
système anglais de « bander les yeux du jury »1302 est préférable au système belge de
gymnastique mentale. Certes la procédure de trial within a trial n’est pas exempte
d’inconvénients — spéculation, gaspillage du temps, mise à l’épreuve de la patience des jurés
—, ceux-ci pouvant toutefois être évités par l’organisation d’une audience publique
préliminaire, préalablement à l'ouverture des débats sur le fond de l'affaire et à la formation
du jury, voire à la convocation des jurés potentiels.1303 Si elle semble de facto peu
révolutionnaire sur ce point — il s’agirait d’une formalisation et d’une généralisation de la
réunion informelle préalable déjà utilisée dans quelques ressorts1304 —, l’audience
préliminaire modifierait profondément l’architecture de la procédure criminelle.

Selon la philosophie de la Commission, une telle audience ‘de mise au point’ se


déroulerait uniquement en présence des parties. En ajoutant ainsi une étape en amont du
procès, la Commission estimait nécessaire d'avancer le moment où l'accusé devrait bénéficier
du conseil d’un avocat dans le respect des droits de la défense. En particulier, l'accusé devrait
dans tous les cas obtenir l'assistance d'un conseiller dès la clôture de l'instruction.1305 Quant à

1301
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 55.
1302
S. SEIDMAN, J.D. CASPER et L. OSTENGNER, « Blindfolding the Jury », L.C.P. 1989, p. 247-267. Il convient à cet
égard de remarquer que les magistrates, qui sont également des non-professionnels, sont aussi censés faire
l’exclusion, tout comme le président de la Crown Court. De quelle manière sont-ils plus aptes à le faire que les jurés ?
1303
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 311 et s.
1304
V. également en droit anglais où existe, en matière de fraude complexe, la procédure plus formelle de la
preparatory hearing (s. 7 CJA 1987).
1305
Art. 31 de la proposition de loi du 25 sept. 2008 relative à la réforme de la cour d'assises, Doc.parl. Sénat 2007-
08, n° 4-924/1, p. 12.

213
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

ses missions, l’audience préliminaire pourrait être envisagée pour solutionner les vices de
procédure visés à l'ancien article 312bis juncto article 235bis du Code d'instruction criminelle
(il s’agit des irrégularités, omissions ou causes de nullités visées à l'article 131, § 1er, ou
relatives à l'ordonnance de renvoi et des causes d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action
publique1306). De cette façon, elle permettrait de régler les contestations relatives aux nullités
en l’absence du jury. Une fois constitué, le jury pourrait dès lors commencer à examiner
l’affaire au fond avec un dossier ‘net’.1307 Par ricochet, la durée effective du procès pourrait
être réduite, ce qui s’avère judicieux pour éviter, notamment, des intrusions inouïes dans la
vie personnelle des jurés. Cet avantage est également valorisé par le Conseil supérieur de la
Justice.1308

Pourtant, en raison d’un désaccord sur le moment où on pourrait attaquer la décision


relative aux moyens de procédure soulevés lors de l’audience préliminaire — soit par un
pourvoi en cassation immédiat, tel que cela est le cas pour l’article 235bis et 235ter du Code
d’instruction criminelle, soit par un pourvoi en cassation après l’arrêt final —, cette
proposition prometteuse fut finalement abandonnée. Les uns considéraient qu’une cohérence
avec les articles 235bis1309 et ter est indispensable ; les autres avançaient qu’une cassation
immédiate induirait un prolongement indésirable de la procédure. Pourtant, conformément à
l’ancien article 312bis du Code d’instruction criminelle, la proposition initiale ne prévoyant
qu’une cassation ultérieure, conjointement avec l'arrêt définitif, ce reproche semble mal
fondé. En effet, l’audience préliminaire faisant intégralement partie de l’audience au fond,
une division des opportunités de cassation ne serait pas nécessaire.1310 L’argument que cette
audience préliminaire n’induirait que des abus — les parties pouvant soulever les moyens
visés à l’article 235bis du Code d’instruction criminelle successivement à trois reprises dans
une procédure d’assises, à savoir devant la chambre des mises en accusation, à l'audience
préliminaire et lors des débats devant le jury1311 — et qu’elle viderait l’objectif primaire de
‘purge de nullité’ par la chambre des mises en accusation de son sens, tout en ayant un
impact injustifié sur les jurés, manquait aussi de fondement. La finalité essentielle de

1306
Supra, n° 196.
1307
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 311.
1308
Avis du 11 février 2009 du Conseil supérieur de la Justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 30.
1309
Le pourvoi en cassation contre les arrêts de renvoi rendus par la chambre des mises en accusation en application
des art. 135 et 235bis CIC ou qui sont eux-mêmes affectés d'une irrégularité, doit être interjeté immédiatement (art.
416 al. 2 CIC), sans que l'inculpé a le choix d'introduire son recours ultérieurement, conjointement avec l'arrêt
définitif (Cass. 31 oct. 2006, T.Strafr. 2007, p. 48, concl. M. TIMPERMAN).
1310
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 235 et s. Certains préfèrent alors ‘première’ audience ou ‘audience
introductif’ ou ‘préparatoire’ (ibid., p. 240).
1311
Sénateur Vandenberghe qui ne manqua pas de souligner que le problème découle des innombrables modifications
fragmentaires intervenues dans le Code d’instruction criminelle, saisissait l’occasion de déplorer l’abandon de la
réforme globale de la procédure pénale, le fameux ‘Grand Franchimont’ (F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 239).

214
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

l’audience préliminaire consistait précisément dans l’évitement de ces incidents pendant les
débats au fond et l’éventuel ‘empoisonnement’ des jurés qui en découlerait.

208. Nonobstant la demande de réserver cette question épineuse à une réforme plus
globale et réfléchie dans la mesure où un revirement de ces règles de procédure n’aurait pas
sa place dans la loi relative à la cour d’assises1312, le Parlement a pris en charge « ces
critiques curieuses »1313, causant ainsi une sorte de « big bang »1314. Certains ont cherché à
éviter le problème en prévoyant une purge complète de nullités par l’arrêt de renvoi de la
chambre des mises en accusation, tel que cela est le cas en droit français. En France, les
nullités entachant la procédure antérieure à l’arrêt de renvoi, s’il y en a, sont couvertes par
l’ordonnance du juge d’instruction (art. 181 al. 4 CPP). Il n’y a pas de disposition similaire
pour l’arrêt de mise en accusation, mais l’article 595 du Code de procédure pénale oblige les
parties à proposer les moyens de nullité de l’instruction à peine de nullité devant cette
chambre.1315 Dans un arrêt très récent du 10 juin 2009, la Cour de cassation française a
confirmé que « cette sage disposition est dictée par le souci d'étouffer des demandes
dilatoires devant la cour d’assises » en faisant une application stricte et littérale de ladite
disposition.1316 En particulier, elle considère que la cour d’assises qui prononce l'annulation
de la procédure, après avoir accueilli une exception de nullité pour cause d'impartialité d'un
enquêteur ayant participé à l'enquête préliminaire, méconnaît le sens et la portée des articles
181 alinéa 4 et 215 du Code de procédure pénale selon lesquels la décision de mise en
accusation, lorsqu'elle est devenue définitive, couvre, s'il en existe, les vices de procédure.
L'ordonnance de renvoi aux assises est d’ailleurs susceptible d'appel devant la chambre de
l'instruction (art. 186 al. 1 in fine CPP). « On ne peut admettre qu'une personne garde en
“portefeuille” une nullité pour ne l'invoquer que devant la cour d’assises dans le but de faire
chuter la procédure à un stade où elle est très engagée. C'est une question de correction
judiciaire, de loyauté et cela d'autant plus que l'on est en matière criminelle où la procédure
est spécialement lourde ».1317

1312
E. LIBERT et E. DE RAMMELAERE, Rapport relatif à la proposition de loi relative à la réforme de la cour d’assises,
fait au nom de la Commission de la justice, Doc.parl. Chambre 2009-10, n° 52-2127/008, p. 71 et 75 et un
amendement dans ce sens, Doc.parl. Chambre 2009-10, n° 52-2127/10, 1-2.
1313
R. VERSTRAETEN en L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen »,
l.c., p. 100.
1314
Intervention d’Y. LIÉGEOIS, « De nieuwe wetgeving m.b.t. het hof van assisen (Wet van 21 december 2009) : een
kritische analyse » lors de la session multidisciplinaire « Getuigen voor het hof van assisen », Louvain, 27 avr. 2010.
1315
S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 1297, n° 2301. Les autres nullités, par exemple celles qui entachent la
composition du jury ou qui concernent les conditions d’aptitude des jurés, doivent être soulevées in limine litis, à
savoir avant l’ouverture des débats et dès que le jury de jugement a été constitué (art. 305-1 CPP ; v. récemment Crim.
n° 05-86266, 15 nov. 2006, inéd. et Crim. 31 mai 2007, Bull. crim. 147). Cet article concerne également les cours
d’assises spéciales (Crim. 11 févr. 1987, Bull. crim. 69).
1316
Crim. 10 juin 2009, Bull. crim. 119 (J. PRADEL, « Procédure pénale - Juillet 2008-juin 2009 », D. 2009, p. 2244-
2245).
1317
J. PRADEL, « Procédure pénale - Juillet 2008-juin 2009 », l.c., p. 2244.

215
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Un amendement belge rejoignait à cette interprétation.1318 Toutefois, à la différence


de la procédure française qui prévoit également une règle similaire pour l’ordonnance de
renvoi d’un délit au tribunal correctionnel (art. 179 in fine CPP), ainsi que pour l’ordonnance
de renvoi d’une contravention au tribunal de police ou au juge de proximité (art. 178 in fine
CPP), la piste belge envisageait une différence entre la procédure correctionnelle et la
procédure d’assises. Si, devant le tribunal correctionnel, les parties ont encore la possibilité
de soulever de tels vices de procédure, elles seraient privées de ce privilège devant la cour
d’assises. Si elle juge la procédure irrégulière, une partie doit obligatoirement soulever ce
moyen devant la chambre des mises en accusation. A l’audience d’assises pourraient
uniquement être soulevés les moyens n’étant acquis que postérieurement aux débats devant la
chambre des mises en accusation. L’inertie des parties sur ce point pourrait dès lors avoir des
conséquences importantes. De cette façon, les parties disposeraient de droits de défense
moindres aux assises, comparé au tribunal correctionnel. Selon le Conseil d’Etat, une telle
différence serait uniquement possible si elle repose sur un critère objectif, en l’occurrence
difficile à trouver. Plus fondamentalement, il s’agissait de savoir si cette proposition était
compatible avec les exigences d’un procès équitable, ce qui semble fort discutable. Ainsi que
l’avançait le Conseil d’Etat, « il peut être admis qu’un moyen tiré de l’existence d’une
irrégularité, omission ou cause de nullité visée à l’article 131, § 1, ou tiré de l’existence
d’une cause d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique ne puisse plus être soulevé
devant la cour d’assises lorsqu’il a été débattu devant la chambre des mises en accusation.
Par contre, il semble douteux que l’on puisse condamner un accusé sans que de tels moyens
n’aient jamais été examinés par une juridiction d’instruction ou par le juge du fond ».1319

209. Heureusement, cette piste n’a pas survécu à la navette parlementaire.


Malheureusement, cela est également le cas pour les questions procédurales, pour l’audience
préliminaire. La loi du 21 décembre 2009 maintient finalement l’ancien article 312bis CIC
(nouvel art. 291 CIC) et, a fortiori, la présence des jurés lors du règlement des questions de
procédure. Il s’agit sans aucun doute une occasion manquée. Pour éviter des répétitions
abusives, l’exception d’ordre public prévue à l’article 235bis du Code d’instruction
criminelle est supprimée pour les moyens de preuves. Il en résulte qu’il n’est plus possible de
soulever un moyen devant la cour d’assises et a fortiori devant le jury si celui-ci a déjà été
analysé par la chambre des mises en accusation.1320 Peuvent uniquement être soumis à la cour

1318
Doc.parl. Chambre 2008-09, n° 52-2127/003, p. 2-4.
1319
Avis n° 47.277/2 du 15 oct. 2009 du Conseil d’Etat, Doc.parl. Chambre 2008-09, n° 52-2127/006, p. 5-6.
1320
Cette solution était également envisagée par la Commission de procédure pénale et le projet de loi (enterré) relatif
au Code de procédure pénale, le fameux ‘Grand Franchimont’ (Doc.parl. Sénat 2003-04, n° 3-450/1, p. 110-111 et
Doc.parl. Sénat 2005-06, n° 3-450/21, p. 128-129) ; v. R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21
december 2009 tot hervorming van het hof van assisen », l.c., p. 101.

216
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

d’assises les incidents procéduraux que les parties n’ont pas soulevés devant la chambre des
mises en accusation et les moyens qui n’existaient pas encore à ce stade préliminaire de la
procédure. Cela est également d’application au niveau correctionnel L’exception relative à
l’appréciation de la preuve demeure également d’application.

b) Une audience préliminaire pour la liste des témoins

210. Nonobstant son destin qui aurait pu être plus ambitieux, l’audience préliminaire
est uniquement retenue1321 par la loi du 21 décembre 2009 pour l’établissement de la liste des
témoins que les parties souhaitent ouïr, qui émane également des propositions de la
Commission de réforme de la cour d’assises. Afin d’éviter un usage disproportionné, voire
abusif de témoins1322 et d’alléger autant que possible les procès d’assises, il convient de
limiter le nombre de témoins, tant de fait que de moralité. Cette proposition touchait ainsi à la
tension entre le traitement à fond de l’affaire conformément au principe d’oralité et le
traitement de l’affaire dans des limites rationnelles. Le procès équitable ne pose pas
d’obstacles à cet égard, le droit d’interroger des témoins n’étant pas, rappelons le, absolu aux
yeux de la CEDH.1323

Si la Commission et dans son sillage la proposition de loi du 25 septembre 2009


envisageaient une limite qualitative pour les témoins de fait et une limite quantitative pour les
témoins de moralité (avec une certaine marge d’appréciation revenant au président de la cour
d’assises si la nécessité d’un témoignage supplémentaire s'impose à la lumière d'un élément
apparu lors des débats1324), la loi du 21 décembre 2009 ne consacre que le critère qualitatif,
tant pour les témoins de fait que pour les témoins de moralité. Une limite quantitative nuirait
aux droits de la défense. En particulier, le procureur général et les parties doivent déposer au
plus tard cinq jours avant l’audience préliminaire, la liste des témoins qu’ils souhaitent
entendre, avec leurs coordonnées et en distinguant les personnes appelées à témoigner sur les

1321
La troisième mission, l’examen des éventuelles demandes d’actes d’instruction complémentaire (art. 61quinquies
CIC), lui fut également retirée (F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 163). En revanche, en vertu de l’art. 321 CIC le
président peut charger la chambre des mises en accusation de contrôler l'application des méthodes particulières de
recherche d'observation ou d'infiltration, en application de l'art. 235ter CIC.
1322
Supra, n° 188.
1323
Supra, n° 199.
1324
Pour les témoins de fait, il est difficile d’inventer une limite quantitative. A la recherche de la vérité, aucun
élément relatif aux faits ne peut être occulté. Pourtant, il faut que le témoin constitue également une plus-value. La
Commission proposait alors d’investir le juge d’un contrôle marginal afin d’empêcher les personnes ‘manifestement
inappropriées’, — qui ne peuvent contribuer à l’examen des faits imputés à l’accusé ou à la question relative à la
culpabilité — d’alourdir la procédure. Les parties pourraient s’opposer à cette décision. Le dépôt de conclusions crée
l’obligation de motiver (Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 60). Le nombre de témoins de moralité devrait être
limité à cinq témoins par accusé et par victime directe, ce qui est plus large que la notion de partie civile (art. 32
proposition de loi du 25 septembre 2008 relative à la réforme de la cour d’assises, Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-
924/1). Si cela s’avère nécessaire, le président pourrait, dans des circonstances concrètes et à la demande des parties,
autoriser des témoins supplémentaires. Pour une comparaison, v. le droit italien (CEDH 27 juill. 2007, Pisano c.
Italie, n° 36732/97, § 22).

217
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

faits et la culpabilité, et les témoins de moralité. Il incombe ensuite au président, lors de


l’audience préliminaire qui se déroulera en public et en présence des parties en cause, mais
sans les assesseurs et sans le jury1325, de rejeter les demandes des parties lorsque les témoins
présentés sont manifestement étrangers aux faits et aux questions relatives à la culpabilité de
l’accusé ou à sa moralité (art. 278 § 2 al. 4 CIC). Cette nouvelle procédure accorde dès lors
un rôle crucial au président de la cour d’assises afin de restreindre et de rationnaliser le
nombre de témoins. De manière incompréhensible, la loi semble même lui accorder un
pouvoir irrévocable dans la mesure où l’article 278 § 4 dispose que l’arrêt de l’audience
préliminaire n’est susceptible d’aucun recours. Un pourvoi en cassation, conjointement à
l’arrêt final contre le refus d’autoriser certains témoins dont l’audition avait été sollicitée de
manière motivée, devrait en tout cas être possible pour assurer le respect des droits de la
défense.1326

En principe, seuls les témoins mentionnés dans l’arrêt de l’audience préliminaire sont
entendus. L’audition des témoins non repris dans cet arrêt ne sont entendus que si le président
autorise leur audition lorsque celle-ci paraît nécessaire compte tenu des éléments révélés lors
des débats (art. 306 CIC). Sont en tout cas entendus le ou les fonctionnaire(s) de police
responsable(s) de la rédaction d’une synthèse chronologique des faits, des premières
constatations, et du déroulement de l’instruction. Cela est également le cas pour le ou les
fonctionnaire(s) de police responsable(s) de la rédaction de l’enquête de moralité1327. Ceux-ci
peuvent être entendus de manière collégiale, ce qui permettrait d’alléger l’oralité des débats
(art. 278 § 2 al. 5 et 6 CIC). En particulier, une seule personne sera tenue de présenter la
synthèse claire et chronologique des faits ; d'autres agents de police peuvent éventuellement
être présents pour apporter un commentaire supplémentaire spécialisé ou pour répondre à des
questions (art. 278 § 2 al. 6 CIC) ; le juge d'instruction sera également entendu.1328

211. Avec l’audience préliminaire, le législateur belge crée donc une procédure
d’assises qui se déroule en trois étapes : l’audience préliminaire consacrée à la liste des
témoins, l’audience relative à la composition du jury et l’audience de fond. Cela implique
également que les parties doivent être citées pour comparaître devant trois audiences
différentes. L’inflation du travail administratif et des coûts qui en découle risque d’anéantir
les avantages escomptés en termes d’allègement et d’optimalisation.

1325
Le jury n’est d’ailleurs pas encore constitué à ce moment. Le moment exact où cette audience doit avoir lieu n’est
pas précisé, l’amendement portant sur son organisation cinq jours avant l’audience de fond étant rejeté (Doc.parl.
Chambre 2009-10, n° 52-2127/008, p. 79 en 115).
1326
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen »,
l.c., p. 103.
1327
Infra, n° 513.
1328
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 164.

218
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

2. Preuve de confiance en droit anglais

212. Au moment où la Belgique, en quête d’une procédure criminelle davantage


rationnelle et allégée, se lance dans la voie de la méfiance, le législateur anglais a récemment
franchi un cap en assouplissant les règles relatives aux preuves par ouï-dire1329 et à celles de
mauvaise réputation (bad character) ce qui aboutit à soumettre davantage de matériel à la
considération des jurés.

a) Libéralisation de hearsay evidence (preuves par ouï-dire)

213. Traditionnellement en Angleterre, la preuve n’est pas libre. A la différence du


droit français, nombre de preuves sont exclues, de sorte que les citoyens-juges sont censés
prendre une décision dans l’ignorance de certains faits pertinents.1330 Ainsi que nous l’avons
déjà avancé, le droit anglais interdisait des preuves par ouï-dire (hearsay), parmi lesquelles
figuraient également les déclarations déposées même sous serment dans la phase
préparatoire. Le fondement de cette règle d’exclusion se trouve dans le trial by jury1331 et
notamment dans la peur que les jurés accordent un poids immérité aux preuves dont la
fiabilité et la véracité ne pouvaient pas être vérifiées à l’audience et qui n’étaient pas
soumises à un contre-interrogatoire. Il existait quelques exceptions (s. 23-24 CJA 1988), mais
celles-ci étaient plutôt la source d’une certaine confusion et de complexité. L’inefficacité de
la règle d’exclusion était d’ailleurs une cause d’exaspération aux yeux de nombre de
praticiens. Le risque est-il tellement élevé qu’il faut exclure toutes ces preuves ?1332 Cela ne
conduit-il pas, en revanche, à l’acquittement d’un nombre conséquent d’accusés en raison de
preuves existantes, mais non admissibles ? En outre, à l’heure actuelle où le déclin du jury
paraît être la tendance principale, la grande majorité des litiges se déroule sans jury, ce qui
met en cause la justification de cette règle d’exclusion1333.

214. Le législateur n’est pas resté sourd à ces reproches. En autorisant, dans certaines
limites, des preuves documentaires ou celles qui émanent d’une personne absente, il
bouleversa le paysage des preuves pénales.1334 L’icône de la procédure criminelle, l’oralité,
conserve son importance cardinale, tout en devant dès lors être relativisée.1335 En particulier,
par le Criminal Justice Act de 2003, les preuves ‘non immédiates’ ne sont plus a priori
exclues (s. 114, en vigueur en avril 2005). La prudence du législateur concernant

1329
Supra, n° 185.
1330
J.R. SPENCER, « Les limites en matière de preuve. Aspects actuels », l.c., p. 42-44.
1331
Blastland [1986] 1 A.C. 41.
1332
J.D. JACKSON, « Hearsay : the Sacred Cow that Won’t be Slaughtered? », l.c., p. 170.
1333
J.D. JACKSON, « Hearsay : the Sacred Cow that Won’t be Slaughtered? », l.c., p. 178-180.
1334
I. DENNIS, o.c., p. 694 et s. Pour une analyse approfondie, v. J.R. SPENCER, Hearsay Evidence in Criminal
Proceedings, Portland, Hart Publishing, 2008, 341p.
1335
P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 51.

219
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

l’autorisation de telles preuves est toutefois explicite dans l’expression « if, but only if » (si et
seulement si). Ainsi, les preuves par ouï-dire sont uniquement autorisées dans les limites de
la loi, lorsque toutes les parties sont d’accord ou en l’absence de cet accord, s’il est dans
l’intérêt de la justice de les autoriser.1336 Cette dernière condition appartient entièrement à la
discrétion du juge, ce qui remet en cause l’uniformité.1337 En effet, la portée de cette
disposition n’étant éclairée ni par le Parlement, ni par la doctrine ou la jurisprudence1338, elle
risque d’être source de complexité et de continuer à soulever des problèmes dans les années à
venir.1339

En vertu de la s. 116 CJA 2003 (témoins indisponibles), la discrétion du juge (sous


application de l’art. 78 PACE) existe uniquement dans cinq situations : témoin décédé,
témoin atteint d’une incapacité physique ou psychique, témoin à l’étranger ou simplement
introuvable et témoin absent par peur de comparaître.1340 Cette dernière raison étant délicat à
apprécier — la peur est un état mental difficilement distinguable de la simple réticence à
témoigner —, ces preuves sont uniquement autorisées si elles sont dans l’intérêt de la
justice1341 (s. 116 (4) CJA 2003). Concernant la compatibilité de cette exception avec les
normes internationales, la Court of Appeal souligne dans l’affaire Sellick de 2005 que si
l’absence d’un témoin a été causée par l’accusé, à savoir par l’intimidation du témoin,
l’admission de ses déclarations faites antérieurement ne porte pas atteinte à l’article 6-3 (d)
CESDH.1342 La condamnation d’un accusé sur les seules déclarations d’un témoin absent
n’est dès lors pas toujours interdite. Décider autrement, à savoir permettre à l’accusé de
s’appuyer de manière justifiable sur l’article 6 CESDH et d’exclure les preuves à charge de
tels témoins, l’inciterait insidieusement à intimider ceux-ci dans un esprit contraire à la

1336
S. 118 CJA 2003 abolie les règles de common law (Sukadeve Singh [2006] 2 Cr. App. R. 12), mais maintient huit
exceptions.
1337
Il devrait notamment prendre en considération : la valeur probante, les autres preuves, l’importance de ces
preuves, la fiabilité de celui qui a fait les déclarations, la fiabilité des preuves, l’oralité des preuves, la difficulté de les
contester et le préjudice (s. 114 (2) CJA 2003 ; Taylor [2006] Crim. L.R. 639, comm. D.C. ORMEROD).
1338
V. notamment T. WORTHERN, « The Hearsay Provisions of the Criminal Justice Act 2003 : So Far, Not So
Good », Crim. L.R. 2008, p. 438-439.
1339
T. WORTHERN, l.c., p. 442.
1340
Sed [2005] 1 Cr. App. R. 4 (incapacité physique ou psychique, tel que démention ou Alzheimer) ; Radak [1999] 1
Cr. App. R. 187 (témoin à l’étranger) ; Boulton [2007] EWCA Crim 942 (peur de comparaître ; cela est interprété
sensu lato et comprend également la peur de blessure d’une autre personne ou des pertes financières). Si l’on veut
s’appuyer sur l’une de ces exceptions, il faut la prouver (Wood & Fitzsimmons [1998] Crim. L.R. 213).
1341
La cour devrait prendre en considération le contenu de la déclaration, le risque de non équité pour une des parties
en cause et les éventuelles mesures alternatives pour protéger le témoin (s. 116 (4) CJA 2003).
1342
Sellick [2005] Crim. L.R. 722, comm. S. LEAKE et D.C. ORMEROD ; v. aussi Arnold [2004] EWCA Crim 1293 et
Kelly [2007] EWCA Crim 1715.

220
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

Convention.1343 Celui qui a causé l’absence du témoin dispose dès lors d’un faible recours au
principe d’égalité des armes.1344

Comme garde-fous particuliers, la loi exige que l’identité du témoin absent soit en
tout cas connue par la cour (s. 116 (1) (b) CJA 2003). Les preuves des témoins absents ne
sont d’ailleurs autorisées que si, données oralement, elles auraient été admissibles. Pour
éviter que le jury ne donne un poids disproportionné à ces preuves par rapport à celles qui
sont présentées oralement à l’audience1345, il ne peut les consulter dans la salle de
délibération que si les parties ont donné leur accord ou que le juge l’estime approprié (s. 122
CJA 2003). Enfin, le président peut mettre un terme au procès si l’affaire contre l’accusé est
entièrement ou partiellement fondée sur une déclaration non-orale qui est tellement
invraisemblable qu’elle rend la condamnation de l’accusé unsafe (s. 125 (1) CJA 2003).

215. Une telle réforme permet au jury de fonder sa décision sur davantage de preuves
pertinentes. Or, il s’agit de savoir si celle-ci gagne en sagacité. Il convient de remarquer, à cet
égard, que cette libéralisation des preuves n’a pas emporté l’entière approbation de la (petite
chambre de la) CEDH qui tient à la règle de corroboration. Une condamnation ne peut pas
être fondée exclusivement ou de manière déterminante sur la déclaration d’un témoin absent
dont les déclarations faites à la police ont été lues à l’audience. La CEDH n’a dès lors pas
hésité à condamner à l’unanimité le Royaume-Uni dans les affaires Al-Khawaja et Tajeri de
2009 pour violation de l’article 6-1 juncto 6-3 (d) CESDH.1346 Dans l’affaire Al-Khawaja, le
président avait donné lecture d’une déclaration de l’une des victimes qui s’était suicidée
avant le procès. Dans l’affaire Tajeri, il s’agissait de la lecture de la déclaration d’un seul
témoin qui, pour des raisons de peur — non causée par l’accusé —, ne voulait pas témoigner
à l’audience. Dans les deux cas, la condamnation était exclusivement et de manière décisive
fondée sur la déclaration du témoin absent. La direction claire et non équivoque donnée par le
président aux jurés concernant les risques d’une condamnation fondée sur des preuves à la
fiabilité non contrôlée à l’audience et pour lesquelles l’accusé n’a pas eu l’opportunité de
contre-interroger le témoin en question était, selon la CEDH, insuffisante. Une exception est
possible si l’accusé est à l’origine de l’absence du témoin par exemple par l’intimidation de

1343
S. UGLOW, o.c., p. 627.
1344
I. DENNIS, o.c., p. 714-715. Quid si l’absence du témoin n’est pas effectivement mais probablement due à
l’intimidation de l’accusé ? Peut-on s’appuyer de manière décisive sur des preuves par ouï-dire en raison d’une
probabilité ? (S. LEAKE et D.C. ORMEROD, « Evidence : whether reading to jury witness statement forming sole or
decisive evidence against defendant infringing right to fair trial », (comm. sous Sellick 2005), Crim. L.R. 2005, p. 725
et s.).
1345
A. SAMUELS, « Hearsay Evidence : the Principles (Such as They Are) », Criminal Lawyer 2008, p. 5-6.
1346
CEDH 20 janv. 2009, Al-Khawaja et Tajeri c. Royaume-Uni, n° 26766/05 et 2228/06.

221
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

celui-ci ou lorsque le témoin en question est le co-accusé. Les nouvelles règles de hearsay
doivent donc passer le test sévère imposé par la CEDH.1347

Les cours anglaises, pour leur part, ne semblent pas convaincues par la vision de la
CEDH. Jugeant dans l’affaire Cole et Keet de 2007 que l’article 6 CESDH « imposed no
absolute embargo on the admission of hearsay evidence merely because it was the sole or the
decisive evidence against a defendant »1348, la cour d’appel et la Cour suprême, dans l’affaire
Horncastle et autres de 2009, ne constatent aucune violation de l’article 6-3 (d) CEDSH
lorsqu’une condamnation est exclusivement ou de manière déterminante fondée sur des
preuves admises en application du Criminal Justice Act de 20031349. La nature décisive de la
preuve ne serait qu’un élément à mettre en balance par la cour ; d’autres éléments à
considérer sont l’envergure du summing-up du juge, l’absence d’une demande d’application
de section 125 CJA 2003, …1350 Il convient notamment d’éviter que nombre d’auteurs
échappent à une condamnation en raison de l’absence d’un témoin crucial dont les
déclarations sont crédibles. Le Gouvernement anglais a d’ailleurs demandé le renvoi des
affaires Al-Khawaja et Tajeri à la Grande Chambre de la CEDH où elles furent entendues le
19 mai 2010.

b) Libéralisation de bad character evidence (preuves de mauvaise réputation)

216. Contrairement aux preuves démontrant le bon caractère de l’accusé1351, le droit


anglais proscrivait traditionnellement la révélation aux jurés de son bad character, sauf
lorsque celle-ci émane de lui-même. Cette différence avec la procédure continentale, qui
autorise largement la prise en compte de la personnalité comme élément de preuve, était
sous-tendue par la crainte que des antécédents judiciaires n’exercent un poids inapproprié sur
le verdict du jury et soient préjudiciables à l’accusé. Le risque que les juges occasionnels, au
courant du passé judiciaire de la personne traduite devant eux, raisonnent plutôt sur le
caractère de l’accusé que sur les faits en allégation1352 et les preuves avancées, pour ne juger
ensuite que sur des probabilités, n’est pas imaginaire. En effet, la présomption de récidive
d’une personne dotée d’un casier judiciaire existe. Une étude effectuée par Sally Lloyd-
Bostock révèle à cet égard que le jury est plus enclin à condamner lorsqu’il connaît les
antécédents judiciaires de l’accusé, surtout lorsqu’il s’agit d’une infraction de nature
1347
L’importance primordiale du droit de contre-interroger un témoin était également reconnue par la House of Lords
dans l’affaire Davis [2008] 1 A.C. 1128. Une condamnation exclusivement ou de manière déterminante fondée sur un
témoignage anonyme rend le procès non équitable.
1348
« n’impose pas un embargo absolu sur l’admission des preuves par ouï-dire purement en raison du caractère
exclusif ou déterminant des preuves contre l’accusé » (Cole et Keet [2007] 1 Cr. App. R. 5 ; trad. pers.).
1349
Horncastle et d’autres [2009] EWCA Crim 964 (cour d’appel) et [2010] 2 W.L.R. 47 (Cour suprême).
1350
Ibid.
1351
Vye [1993] 1 W.L.R. 471 qui confirme Berrada [1989] 91 Cr. App. R. 131.
1352
Wigmore, cité par S. UGLOW, o.c., p. 31.

222
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

identique à celle qui est soumise à son jugement et que les antécédents se situent dans le
domaine des mœurs.1353 Par ailleurs, le silence sur ce point pourrait induire une spéculation
sur des antécédents judicaires préjudiciables. En cas de pluralité d’accusés, des preuves sur la
bonne réputation de l’un d’entre eux pourraient impliquer la mauvaise réputation de l’autre.
Dans ce cas, le juge ne devrait pas omettre de souligner les dangers de la spéculation.1354

217. Sous l’impulsion de Lord Auld, les règles de droit anglais ont été modifiées. Il
est illogique de permettre à la défense d’avancer la bonne réputation et de refuser à
l’accusation de mettre en avant le contraire. Ensuite, il faut éviter que les jurés ne tombent
dans le jeu de la devinette et de la spéculation. Nonobstant la réfutation par le Gouvernement
dans son rapport « Justice for All » (justice pour tous) de 20021355, la réforme a été introduite
par le Criminal Justice Act de 2003 (s. 98-113, entrée en vigueur en décembre 2004). Pour
autoriser des preuves de mauvaise réputation1356 au procès, section 101 prévoit un accès doté
de sept portes exclusives (« if, but only if »). Ainsi, les preuves ne sont autorisées que si
toutes les parties sont d’accord1357, si les preuves sont fournies par l’accusé lui-même,
lorsqu’elles sont importantes sur le plan explicatif (s. 102 CJA 2003)1358 ou pertinentes quant
à un point litigieux important entre la défense et l’accusation (s. 103 CJA 2003)1359, lorsque
la propension de l’accusé au mensonge entrave la défense d’un co-accusé, lorsque ces
preuves visent à corriger une fausse impression donnée par l’accusé ou à contrer l’attaque de
l’accusé sur le caractère d’un tiers.1360 A l’instar des règles de hearsay, section 107 CJA 2003
dispose comme garde-fou que le président peut mettre un terme à l’affaire si les preuves sont
si ‘contaminées’ qu’elles rendent la condamnation de l’accusé unsafe. Il peut également
interdire certaines preuves s’il apparaît qu’elles causent un effet pervers sur l’équité de la
procédure (s. 101 (3) CJA 2003). Le pouvoir discrétionnaire d’exclusion en vertu de la
section 78 du Police and Criminal Evidence Act de 1984 demeure également d’application.

218. L’avenir démontrera si la volonté de mettre un terme à la spéculation des jurés en


étendant leur champ d’appréciation sera favorable à l’accusé. Il serait souhaitable que Sally
Lloyd-Bostock reprenne son étude effectuée en 2000 quant à l’impact de ces preuves sur les

1353
Il est toutefois surprenant de constater qu’un acquittement est davantage probable en cas d’infraction préalable
dissimulée qu’en l’absence d’infraction préalable (S. LLOYD-BOSTOCK, « The Effects on Juries of Hearing about the
Defendant's Previous Criminal Record : a Simulation Study », Crim. L.R. 2000, p. 734-755).
1354
Teeluck [2005] UKPC 14.
1355
CJS, Justice for all, Londres, HMSO, 2002, Cm 5563, p. 79-80, www.cjsonline.gov.uk.
1356
Il s’agit notamment des preuves autres que celles qui sont en relation avec les faits allégués et qui sont en rapport
avec l’enquête ou la poursuite de ces faits (s. 98 CJA 2003) ; v. in extenso, J.R. SPENCER, Evidence of Bad Character,
Portland, Hart Publishing, 2006, 254p.
1357
Kalu [2007] EWCA Crim 22.
1358
Campbell [2005] EWCA Crim 248.
1359
Par exemple pour montrer l’intention ou un modus operandus.
1360
Highton [2005] 1 W.L.R. 3472, Lord Woolf.

223
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

jurés. Il paraît en tout cas judicieux que le juge, dans son résumé, enjoigne les jurés de ne pas
trop s’appuyer sur les antécédents judiciaires d’une personne. En aucun cas, le casier
judiciaire ne peut être utilisé pour soutenir une affaire faible ou troubler la raison des
jurés.1361 En citant le fameux cas d’Oscar Slater, John R. Spencer pointe également ce
risque.1362 La direction du président devrait souligner que, même avec un casier judiciaire
défavorable, l’accusé n’est pas nécessairement coupable, ni menteur. Le jury doit être
encouragé à n’apprécier cette information qu’à la lumière d’autres preuves, en dépit de
l’abolition des règles de corroboration.1363

219. Par différents biais mais dans une volonté commune, le législateur belge et
anglais cherchent une optimalisation de leur procédure criminelle et une meilleure
compréhension des jurés : soit en allégeant le processus de preuves soumises à leur jugement,
comme en Belgique ; soit en étendant leur accès à certaines preuves, tel qu’en Angleterre.
Dans certaines matières, ces améliorations semblent pourtant insuffisantes.

B — SOLUTIONS EXTERNES MANIFESTANT L’EUROPEANISATION ?

220. Dans certaines matières, le risque de complexité relative à la nature et à la


quantité des preuves se pose particulièrement et les retouches semblent faillir. Il en est ainsi
dans le monde sophistiqué de la finance et du commerce (international). A cet égard, le
besoin de recourir à une professionnalisation accrue se manifeste non seulement en droit
anglais (1), mais encore davantage au niveau européen (2).

1. Impasse nationale en matière de fraude complexe

221. Depuis quelques années, la fraude complexe (s. 4 et 7 CJA 1987) a investi
l’agenda politique du Royaume-Uni. L’échec d’une répression efficace de tels litiges généra
des soupçons à l’égard de jurés suspectés d’être plus cléments pour les suit crimes (white
collar crime) que pour les street crimes (blue collar crime). Outre les répercussions
déplorables pour la machine judicaire et les différents participants, y compris les jurés, il est
fâcheux pour l’image de la justice de constater que les grands fraudeurs échappent à une
répression méritée. Depuis deux décennies, on cherche alors des alternatives, oscillant
maintes fois entre la proposition pragmatique et le rejet idéologique de l’abolition du
jugement populaire en faveur d’une spécialisation accrue.

1361
S. UGLOW, o.c., p. 32 et Hanson [2002] J.Crim.L. 6-11.
1362
J.R. SPENCER, Evidence de Bad Character, Portland, Hart Publishing, 2006, p. 13; v. aussi Hanson [2005] EWCA
Crim 824.
1363
S. UGLOW, o.c., p. 32.

224
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

222. Pour lutter contre une impunité imméritée des fraudeurs, le Fraud Trials
Committee ou le comité Roskill envisageait pour la première fois, en 1983, de supprimer le
jury pour de tels contentieux. L’échec d’une réponse efficace à ce type de criminalité était
donc bien imputé aux jurés. Les arguments étayant cette option radicale étaient multiples :
l’incapacité (spéculative) des simples citoyens de maîtriser le montant élevé et complexe
d’informations, ainsi que les inconvénients générés par la longueur de tels procès.1364 En
effet, compte tenu de la multitude d’accusés, d’un nombre et d’un usage important de
preuves, statistiques et théories mathématiques et de la masse de documents souvent
caractéristique des affaires de fraude1365, les procès étalés sur plusieurs mois ou années ne
sont pas exceptionnels.1366 Il s’agit souvent d’un cercle vicieux : le procès est long parce qu’il
est complexe ; il est complexe parce qu’il est long. Ces procès échappent ainsi à l’ordinaire
de la vie judiciaire et ont un impact néfaste sur le trésor. Le jury n’est en outre pas préparé à
une responsabilité aussi lourde. En tout cas, il est indéfendable de demander aux jurés un tel
effort. Outre les ennuis et frustrations éventuels, les répercussions sur leur vie personnelle
seraient considérables (perte de revenu, de l’opportunité de promotion, …1367). De plus, la
perspective d’une telle intrusion rend difficile la création d’un jury représentatif, ceux qui
peuvent se libérer pendant la durée du procès n’étant pas forcément les plus aptes à
comprendre les preuves complexes.1368 Le jury risque donc de moins refléter la société civile
que ce que le législateur avait escompté.

Il est vrai que le juge, tout comme la défense et l’accusation, pourraient prémunir les
jurés d’une complexité accablante et de la lourdeur du procès en réduisant le niveau de
difficulté pour être à la portée du jury. Toutefois, cela ne s’avère possible qu’en retirant au
jury une partie importante des preuves pertinentes ou en délaissant certaines inculpations.1369
Une telle ‘simplification’ de la complexité et, ainsi, une ‘marginalisation’ de la criminalité du
litige afin d’éviter l’écrasement des juges populaires et de maximiser leur compréhension est
extrêmement critiquable. Il en découle notamment que la totalité de l’affaire n’est pas
avancée1370, ni présentée comme il faudrait. L’objectif primaire de la justice pénale ne doit

1364
A. DOIG, Fraud, Devon, Willian Publishing, 2006, p. 206.
1365
S. UGLOW, o.c., p. 110-115.
1366
D. KIRK, « Fraud Trials : A Brave New World », J.Crim.L. 2005, p. 509-510. Entre 2002-05, 26 procès durèrent
plus de six mois ; 8 affaires prirent au moins un an (House of Lords, Hansard vol.690/62, 20 mars 2007).
1367
Ces contraintes professionnelles et personnelles ne sont-elles pas, de surcroît, susceptibles d’empêcher les jurés
d’effectuer leur fonction avec liberté d’esprit (S. LLOYD-BOSTOCK, « The Jubilee Line Jurors : Does the Experience
Strengthen the Argument for Judge-only Trials in Long and Complex Fraud Cases », l.c., p. 269) ?
1368
Supra, n° 143 (D. KIRK, l.c., p. 512).
1369
R.F. JULIAN, « Judicial Perspectives on the Conduct of Serious Fraud Trials », l.c., p. 759-760.
1370
House of Lords, Hansard vol.690/62, 20 mars 2007, Lord Goldsmith.

225
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

pas consister à chercher à tout prix la réduction de la durée des procès. Il faut en premier lieu
des procès justes.1371

La solution avancée envisageait le recours à une nouvelle juridiction qui réunit un


juge professionnel et des membres profanes de la société civile dotés d’une expérience
particulière en matière économique et financière (Fraud Trials Tribunal)1372. Jugeant
ensemble les faits en cause, le juge professionnel s’occupera des questions de droit, y
compris de l’admissibilité des preuves, et de la détermination de la peine. Un tel système
multidisciplinaire qui combinerait la spécialisation du droit et celle du monde financier
emporte l’adhésion de Lord Auld. Les deux assesseurs bénéficieraient d’un vote égal, de
sorte qu’ils pourraient mettre en minorité le magistrat de carrière.1373 Cela aboutirait à
l’abolition du right to a jury trial en matière de fraude complexe.

Conscient des difficultés afférentes au rôle des deux experts et à leur sélection, le
législateur a finalement retenu l’alternative d’un juge professionnel unique (s. 43 CJA 2003).
Le juge peut notamment ordonner, sur requête de la partie poursuivante, le traitement par un
juge unique professionnel lorsqu’il considère que la complexité ou la longueur sont telles que
le procès engendra un ennui excessif, une lourdeur insupportable pour le jury, et qu’il est
dans l’intérêt de la justice de procéder sans citoyens-juges. Or, dans quels cas l’abolition du
jury sera-t-elle dans l’intérêt de la justice ?1374 Comment estimer qu’une affaire sera trop
longue pour être confiée à une juridiction profane ?1375 Parle-t-on d’une durée de six
semaines ou de six mois ? Comment faire le tri entre une affaire complexe et sérieuse, et une
qui ne l’est pas ? Selon la loi, l’exclusion du jury est exclusivement possible en cas d’accord
des trois figures clés du domaine pénal — la prosecution, le juge et le Lord Chancellor —, de
sorte que le déclin sera probablement moins fréquent qu’on le redoute.

Cependant, afin de préserver l’uniformité des décisions et l’égalité des justiciables


devant la loi, il faut éviter de mettre en vigueur une disposition radicale et trop vague en
terme de critères.1376 Le droit civil pourrait initier une voie judicieuse à cet égard. En vertu de
s. 69 (1) du Supreme Court Act de 1981, le jugement des affaires de fraude, diffamation,
calomnie, poursuite malveillante ou faux emprisonnement, appartient normalement au jury
populaire. Cependant, l’affaire pourrait être retirée à son juge naturel lorsque la cour
1371
House of Lords, Hansard vol.690/62, 20 mars 2007.
1372
A. DOIG, o.c., p. 206.
1373
A. DOIG, o.c., p. 206-208. Pour une critique des arguments de Lord Auld, v. D. CORKER, « Trying Fraud Cases
without the Jury », Crim. L.R. 2002, p. 283-294. Une proposition similaire a, dans un premier temps et de manière
générale, été avancée par la Commission de réforme belge (Rapport intermédiaire du 8 mars 2005, p. 12 et s. ; infra,
n° 553 et s.).
1374
D. CORKER, l.c., p. 287-288.
1375
P. DEVLIN, l.c., p. 312.
1376
D. KIRK, l.c., p. 511 et 513.

226
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

considère qu’elle nécessite un examen prolongé des documents ou une enquête scientifique
de n’importe quelle nature qui ne peut être faite commodément (conventiently) en présence
des jurés. Pour faire cette appréciation, la cour prend notamment en considération la durée du
procès, les coûts et l’éventuelle incompréhension des jurés, ...1377 Une telle exception eut de
considérables répercussions sur la physionomie des procès civils, dont l’importance accrue de
la phase préparatoire et, par conséquent, l’éloignement du principe d’oralité des débats, un
changement du rôle du juge et une transformation corrélative des règles de preuves. La
rationalisation du procès et la conduite davantage sereine des avocats émergent comme des
conséquences bénéfiques.

223. Section 43 du Criminal Justice Act de 2003 annonce sans doute une nouvelle ère
juridique. A l’instar des exceptions en matière de terrorisme1378, des circonstances
particulières semblent pousser le législateur vers une marginalisation de la cour d’assises
pour les infractions les plus graves. L’assouplissement des règles de preuves ne lui semble à
cet égard pas suffisant. Toutefois, il s’agit de savoir si un procès sans jury garantit les mêmes
protections que la juridiction populaire. Serait-il en effet plus efficace ?1379 Compte tenu de la
controverse ciblant cette tentative qui vise à mettre un terme au droit à un jury pour ce type
de litiges, l’entrée en vigueur de cette disposition fut soumise à l’accord des deux chambres
du Parlement. Pour l’heure, le fiat n’est pas encore donné. En effet, les arguments de la non-
représentativité des jurés et de la complexité sont également valables pour d’autres
contentieux. Le domaine de la fraude n’a pas le monopole de ces points. Avec un tel
précédent, la pression se fera sans doute sentir sur d’autres terrains où les avantages du jury
semblent entamés par ces inconvénients. En effet, si l’on maintient le jury dans d’autres
matières susceptibles d’être atteintes par des difficultés similaires, quid du principe de
l’égalité des justiciables devant la loi ?1380

Pourtant, chaque acquittement ou effondrement déplorables d’une affaire de fraude


complexe, abondants dans la jurisprudence anglaise1381, exhume le débat sur l’abolition du
jury et la quête de pistes alternatives. En 2005, l’effondrement de l’affaire Jubilee Line1382,
après vingt-et-une semaines, en constitue un exemple parlant. Bien que la fin malheureuse de
cette affaire, en l’occurrence l’acquittement de tous les accusés1383, ne soit pas attribuable à

1377
R. AULD, o.c., chap. 5, n° 200.
1378
Supra, n° 163 et s. (P. THORNTON, l.c., p. 695).
1379
D. CORKER, l.c., p. 285-286.
1380
P. DEVLIN, l.c., p. 312.
1381
Par exemple le procès Guiness de 1992 (effondré après cinq mois) et l’affaire Maxwell de 1996 (effondré après
huit mois) ; D. KIRK, l.c., p. 509-510).
1382
Rayment et d’autres du 22 mars 2005, inéd.
1383
Il s’agissait de six accusés, dont l’un avait plaidé coupable.

227
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

l’incompétence des jurés quant à leurs capacités à comprendre et juger les preuves complexes
et techniques, il s’agit incontestablement d’un désastre financier illustrant le besoin de
réforme sur ce point.1384 Ainsi, Lord Goldsmith a relancé la piste favorable à un procès
devant un juge professionnel unique. Pour ce faire, il avançait les deux arguments classiques :
la complexité de l’affaire et la durée intolérable du procès. Le discours prononcé par la Reine
à la fin de la session parlementaire 2006 (Queen’s Speech) a réintroduit ce sujet controversé
dans l’agenda parlementaire.1385 La Fraud Trials (Without a Jury) Bill 2006 qui en découle
vise à ouvrir la voie à la réelle mise en œuvre de la section 43 du Criminal Justice Act de
2003. Cette proposition enlèvera notamment l’exigence du fiat de la Chambre des Lords.
Avec 216 contre 143 voix, la Chambre des Lords a cependant décidé de retarder cette
proposition de loi.1386 Mais après toutes ces demandes, il s’agit de savoir combien de temps
le législateur restera sourd à ces appels ?

224. Après tout, nous pourrions à nouveau nous demander si les domaines qui
frappent autant la société civile, comme la fraude et plus encore le terrorisme, ne requièrent
pas justement un jugement par le jury populaire. Au-delà des critiques, nous pourrions
également nous étonner du fonctionnement efficient du jury dans nombre d’autres affaires,
sans qu’il bénéficie toutefois d’un accès au dossier, d’arrière-plan juridique et d’une
expérience spécifique, autant de ‘privilèges’ dont disposent pour leur part les juges de
métier.1387 Nombreux sont dès lors ceux qui se demandent si, au lieu d’avancer une
législation d’urgence draconienne à l’issue d’affaires problématiques, une optimisation de
l’encadrement n’améliorerait pas la performance du jury, y compris dans les affaires les plus
complexes ?1388 Pourquoi ne pas permettre au jury d’accéder au dossier ? Pourquoi ne pas
mettre à sa disposition un glossaire explicitant la terminologie légale ? Sur un plan global, il
conviendrait d’optimiser les informations procurées aux jurés1389 et d’augmenter leurs
indemnisations. D’autres pistes de réflexion avancées concernent la diminution du nombre de
jurés, ainsi que l’autorisation d’une conférence de presse visant à expliciter les motifs des
jurés à l’issue du verdict et à garantir la transparence, tel que cela fut le cas dans le fameux

1384
L’aide légale des cinq accusés aurait pris environ £14.000.000 (G. LANGDON-DOWN, « Complex Criminal Trials :
Trial and Error », L.S.G. 2005). En totalité l’affaire aurait coûté au Trésor public £60.000.000 (P. DARBYSHIRE, o.c.,
p. 532).
1385
House of Lords, Queen’s Speech (www.publications.parliament.uk/pa/ld200607/ldhansrd/text/61115-0001.htm)
du 15 nov. 2006.
1386
House of Lords, Hansard vol.690/62, 20 mars 2007.
1387
Selon M. Zander on ne peut pas non plus ignorer l’expérience américaine, où le jury n’est guère attaqué sur ce
point et réussit bien à condamner (cité par T. BOWER, « Where is Lord Falconer’s evidence that juries have stymied
fraud trials ? », The Guardian, 22 nov. 2005).
1388
T. BROOKS, l.c., p. 200.
1389
P. DEVLIN, l.c., p. 312 (infra, n° 264).

228
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

arrêt Enron aux Etats-Unis.1390 De nouveau, il ne s’agit que des interventions ponctuelles
visant à sensibiliser l’intégralité des acteurs de la justice et surtout à sauvegarder le jury
populaire. Au regard de l’analyse abordée dans le point suivant, nous oserions soulever la
question de savoir si, de manière sous-jacente, ces atteintes au jury ne s’expliquent pas à la
lumière d’une européanisation du domaine pénal.

2. Impulsions européennes en matière de fraude communautaire

225. La fraude complexe et, plus généralement, la criminalité transfrontalière,


conquiert également la sphère européenne où la volonté d’une répression efficace aboutit à
des propositions faites au détriment du jury populaire.

a. Le droit pénal face à une criminalité transfrontalière

226. La criminalité ne prend pas seulement de l’envergure ; elle prend aussi des
nouvelles formes. Ce mouvement est facilité par le progrès technologique moderne ainsi que
par la ‘révolution’ du monde informatique et le morcellement des sociétés induit par
l’affaiblissement des frontières géographiques et linguistiques et, corrélativement, par une
mobilité cosmopolite. Les réseaux criminels dotés d’un professionnalisme accrue et d’un
savoir-faire élaboré ne s’arrêtent pas à la frontière d’un pays ; ils œuvrent à l’échelle
mondiale. En effet, la globalisation des télécommunications, du transport et de la sphère
financière leur fournit des perspectives transversales et outils nécessaires à la réalisation de
leurs objectifs. L’ampleur croissante des attaques terroristes, des trafics de stupéfiants et
d’êtres humains, ainsi que des violences armées, en constitue la preuve malheureuse.
L’impact néfaste sur la sécurité ainsi que sur la prospérité des différents Etats et de l’Union
européenne est incontestable.

Il est à cet égard assez curieux, avance Mireille Delmas-Marty, de constater l’écart
entre d’une part, la participation à un espace de libre circulation des hommes, des
marchandises, des services et des capitaux et la volonté d’adhérer à un Parlement européen, à
un exécutif commun, à une banque centrale et à une monnaie commune — dont des
associations toujours plus sophistiquées de criminels se servent volontairement —, et d’autre
part, la réticence notable, par l’attachement au principe de souveraineté nationale, de
permettre en même temps une protection judiciaire commune.1391 Pourquoi cette passivité

1390
House of Lords, Hansard vol.690/62, 20 mars 2007.
1391
M. DELMAS-MARTY in le Banquet 1999, n° 14 et « Europe du droit ou Europe du crime ? », Le Monde, 20 oct.
2000.

229
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

dans la lutte cruciale contre les menaces criminelles ? La souveraineté nationale n’est-elle
qu’une apparence eu égard à la délégation de la souveraineté économique et financière ?1392

227. La prise de conscience d’un tel déficit qui, au-delà de l’espace national, menace
les intérêts supranationaux1393 par, à titre d’exemple, la fraude contre le budget européen, a
donné lieu à différentes mesures. En droit international, la voie avait déjà été ouverte avec la
création des juridictions internationales de droit pénal pour les infractions les plus graves
contre l’humanité : le tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda et la Cour pénale
internationale. En matière communautaire, les premières tentatives s’articulent autour des
notions d’assimilation et d’harmonisation. Avec cette dernière, l’on envisage notamment de
rapprocher les législations autour de principes communs, cet objectif étant en premier lieu
poursuivi par la jurisprudence de la CEDH — en particulier construite autour du fameux
article 6 CESDH relatif au procès équitable —, et de la Cour de justice. Guidée par les
directives jurisprudentielles, les différents systèmes nationaux se rapprochent
progressivement. Pensons par exemple au renforcement du rôle de la défense dans le droit
continental — dont témoignent à titre d’exemple le plaider coupable et le contre-
interrogatoire à la française —, ainsi qu’à la prudente libéralisation des règles de preuves en
droit anglais. La Convention de 1995 sur la protection des intérêts financiers de l’Union (PIF)
et ses protocoles additionnels1394 illustrent également la coopération horizontale. L’institution
de l’office de lutte anti-fraude (OLAF, ancienne Unité pour Coordination de la Lutte Anti-
fraude (UCLAF)1395 traduit par ailleurs la volonté de coopération verticale, ce qui est
également consacré par l’article 280 du Traité d’Amsterdam et l’article 29 du Traité sur
l’Union européenne.

Toutefois, le défaut de ratification ou la transposition incorrecte de la Convention PIF


ainsi que l’hétérogénéité et la diversité des systèmes nationaux, empêche une répression
efficace.1396 La grande disparité de la problématique d’exclusion des preuves obtenues lors de
la phase préparatoire en constitue l’une des illustrations. De telles divergences sont davantage
délicates lorsqu’il s’agit de preuves recueillies à l’étranger, notamment lorsque celles-ci sont
compatibles avec le droit du pays dans lequel elles ont été obtenues et incompatibles avec

1392
E. ALT, « La coopération judiciaire dans un espace de liberté, sécurité et justice », Cultures & Conflits juin 2002,
n° 46, www.conflits.org/index793.html#texte.
1393
« Une délinquance qui se développe en Europe, mais également contre Europe », M. DELMAS-MARTY et J.A.
VERVAELE, o.c., p. 11.
1394
Parmi d’autres exemples, nous pouvons citer la Convention européenne d’entraide judiciaire de 1959, le Protocole
additionnel de 1978 et les accords de Schengen de 1985-1990.
1395
Règlement n° 1073/1999 du Parlement européen et du conseil du 25 mai 1999.
1396
M. DELMAS-MARTY et J.A. VERVAELE, o.c., p. 17-21.

230
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

celui où l’accusé sera jugé, ou inversement.1397 Une application divergente des règles,
notamment dans un contexte européen, risque d’induire une discrimination.

Au-delà des questions inhérentes aux preuves, la diversité est également palpable dans
la phase du jugement. Le Royaume-Uni pourrait-il, par exemple, refuser l’extradition de l’un
de ses citoyens vers les Pays-Bas en arguant du défaut de jury populaire ? Un tel
raisonnement fonde notamment le refus des Etats-Unis de la juridiction de la Cour pénale
internationale.1398 De la même façon, les suspects du procès Lockerbie pourraient-ils se
plaindre de ne pas jouir d’un procès équitable ?1399 Selon la Convention européenne des
droits de l’homme, l’on a droit à un tribunal impartial et indépendant établi par la loi, tel que
cela fut également consacré par le cinquième principe sur l’indépendance judiciaire du 7ème
congrès des Nations Unies adopté à Milan en 1986.1400 Or, en établissant une procédure ad
hoc pour les suspects de Lockerbie, n’a-t-on pas porté atteinte à ce principe ? Par ailleurs,
pourrait-on invoquer, aux Pays-Bas, son droit à un jugement professionnel et motivé, ou son
droit d’appel intégral pour solliciter l’annulation d’une condamnation prononcée par la cour
d’assises belge ? 1401 Ainsi que nous l’avons déjà avancé à plusieurs reprises, la CESDH ne
prescrit nulle part le droit à un jury.1402 Selon les termes de son article 6, il faut garantir un
tribunal indépendant et impartial. Bien évidemment, la CESDH n’étant qu’une norme
minimale, les Etats membres peuvent prévoir une protection supérieure. Toutefois, la norme
minimale étant respectée, l’on ne peut se plaindre de procès inéquitable. Ainsi, dans l’affaire
Leemans, une femme de nationalité néerlandaise fut condamnée par la cour d’assises belge en
vertu de la procédure en vigueur avant l’arrêt Taxquet et la nouvelle loi belge du 21 décembre
2009, c’est-à-dire sans motivation de sa condamnation. Voulant purger sa peine aux Pays-
Bas, elle fustigeait ce défaut devant la cour de Breda, compétente pour la transformation de
sa peine. Cette cour considéra pourtant que la cour d’assises belge avait pris sa décision en
conformité avec l’intégralité des exigences de l’article 6 CESDH.1403 Le fait que l’accusé ne
soit pas informé des motifs du verdict était (à cette époque) inhérent à cette juridiction et
n’est pas prescrit comme tel par la Convention. Un tel déficit fut en outre contrebalancé par

1397
V. l’analyse de J. Spencer dans M. DELMAS-MARTY et J.A. VERVAELE, o.c., p. 28-29.
1398
A. POWEL, « Three Angry Men : Juries in International Adjucation », F.Y.U. L. Rev. 2004, p. 2343.
1399
Cette affaire écossaise concernant deux accusés libanais fut jugée en 1999 aux Pays-Bas, sans jury, par trois juges
professionnels écossais, et selon les règles du droit écossais. En raison de la couverture médiatique considérable, l’on
cherchait notamment un terrain indépendant afin de juger cette affaire de manière impartiale. La méfiance mutuelle de
la Libye et de l’Ecosse empêchait de traiter l’affaire dans l’un de ces pays (M.T. KAMMINGA, « Comment : Trial of
Lockerbie Suspects before a Scottish Court in the Netherlands », FILR 1998, p. 417-420).
1400
www.asc41.com/undocs.htm.
1401
Ainsi, N. Benallal, condamné pour plusieurs attaques à main armée mais s’étant évadé à plusieurs fois, préférait
être jugé par une cour professionnelle hollandaise plutôt que par le jury en Belgique (De Standaard 17 janv. 2008).
1402
Supra, n° 98 et infra, n° 577.
1403
Breda, 7 oct. 2007, n° 2126.

231
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

la ‘plus-value’ que confère le fait d’être jugé par des juges issus du peuple. La cour
hollandaise reconnaissait dès lors ‘l’oracle’ du jury populaire belge, ce qui semble à nos yeux
une solution de facilité compte tenu du caractère indispensable d’une motivation des
décisions criminelles.1404 Cette décision, confirmée par la Cour suprême hollandaise le 1er
juillet 20081405, aurait peut-être été différente après l’arrêt Taxquet ?

228. En tout état de cause, il semble judicieux d’entreprendre une quête davantage
ambitieuse ; celle d’un véritable ‘verticalisme’ qui, par l’unification1406, viserait à endiguer la
discrimination1407 tout en dotant la communauté de modalités répressives performantes.

b. Emancipation du droit pénal à travers le Corpus juris ?

229. A la demande de la Commission européenne, une étude scientifique élaborée par


huit juristes issus des quinze Etats membres et effectuée sous la direction de Mireille Delmas-
Marty visait à faire face aux échecs des formes traditionnelles de coopération. Il s’agit du
Corpus juris, un ensemble de principes directeurs pour la protection pénale des intérêts
financiers de l’Union européenne avancé en tant que phase embryonnaire d’un véritable Code
criminel européen pour la poursuite, l’enquête et le jugement de la fraude communautaire. Il
émergeait, dès lors, comme l’une des pierres angulaires de la construction d’un super Etat
d’Europe. Au lieu de juxtaposer les instruments de la répression, le Corpus juris envisageait
d’outrepasser la simple harmonisation pour camper une véritable unification, en tout cas pour
la phase préparatoire. Il ambitionnait notamment la création d’un espace judiciaire construit
autour d’un parquet européen compétent pour la poursuite des huit infractions envisagées :
fraude au budget communautaire, fraude en matière de passation des marchés, blanchiment et
recel, association de malfaiteurs, corruption, malversation, abus de fonction et révélation des
secrets de fonction. L’unification ne serait néanmoins pas intégrale, le jugement de telles
infractions étant confié aux juridictions de droit interne, tout en respectant toutefois un corpus
supranational et intégré de règles techniques identiques, unifiées, et appliquées de la même
manière dans tous les Etats.

L’un de ces principes concernait le recours à un professionnalisme accru du corps


judiciaire compétent pour le jugement de telles affaires. Ainsi, la première version du corpus
exclut explicitement, dans son article 26 § 1, le jugement par un jury ou par des juges non
professionnels : « les infractions définies ci-dessus (art. 1 à 8) sont jugées par les juridictions
nationales, indépendantes et impartiales, […]. Les juridictions se composent obligatoirement

1404
Infra, n° 325 et s.
1405
Hoge Raad 1er juill. 2008, FJB 2008, p. 1957.
1406
M. DELMAS-MARTY in le Banquet 1999, n° 14.
1407
M. DELMAS-MARTY et J.A. VERVAELE, o.c., p. 29-31.

232
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

de juges professionnels, autant que possible spécialisés en matière économique et financière,


et non de simples jurés ou échevins ». De manière sous-jacente, cette tendance à la
professionnalisation visait à garantir la répression efficace d’un problème transversal. Les
huit sages étaient particulièrement sensibles au besoin d’éviter la condamnation des innocents
et l’acquittement des coupables, ce qui s’avérait davantage aléatoire devant une juridiction
inexpérimentée.1408 L’idée d’un ‘jury européen’ induirait en effet nombre de questions.1409 En
particulier le caractère transfrontalier de cette criminalité mettant en cause des auteurs,
complices et victimes de différentes nationalités, soulèverait des questions quant au
recrutement des juges populaires. L’oralité des débats qui prescrit la convocation de tous les
témoins s’avérait également problématique lorsque le fait s’était produit à des milliers de
kilomètres du lieu où il devait être jugé.1410 Hormis les inconvénients pratiques, il s’agit en
outre de savoir si la décision d’un jury supranational pourrait jouir d’une légitimité
européenne.

230. Cette proposition ne resta pas dépourvue d’écho. Si les Etats s’opposaient de
manière plus prononcée aux propositions qui concernent la phase préparatoire tout en
s’accordant sur l’option qui consiste à confier le jugement aux juridictions nationales
conformément au principe du contradictoire et à la valorisation de la souveraineté des
systèmes nationaux, leur enthousiasme déclinait lorsqu’il s’agissait du choix de juridiction,
en l’occurrence intégralement professionnelle. Seulement pour les Pays-Bas et le
Luxembourg, pays dans lesquels la justice pénale procède déjà sans élément laïque1411, une
telle option ne poserait pas de problème. Pour la Belgique et la France, rares semblaient
également être les inconvénients relatifs à ce point. Il est vrai qu’en Belgique, certaines des
infractions envisagées constituent des crimes et relèvent théoriquement de la compétence de
la juridiction populaire. Il s’agit par exemple de faux en écritures. Mais ainsi que nous
l’avons analysé plus haut, cette infraction fait de facto toujours l’objet d’une
correctionnalisation. Avant la loi belge du 8 juin 2008, cela s’avérait toutefois impossible
sans l’attribution de circonstances atténuantes. Dans ce cas, lorsque l’initiative provenait du
ministère public européen, il devrait saisir le juge d’instruction et veiller à ce qu’il indique
des circonstances atténuantes permettant de saisir le tribunal correctionnel pour un crime s’il
voulait s’assurer de ne pas être confronté à une déclaration d’incompétence.1412 Avec

1408
M. DELMAS-MARTY, Corpus Juris portant dispositions générales pour la protection des intérêts financiers de
l’Union européenne, Anvers, Intersentia Rechtswetenschappen, 1998, p. 161.
1409
Pour pareille discussion dans le contexte de la Cour pénale internationale, v. A. POWEL, l.c., p. 2341-2380.
1410
D. VANDERMEERSCH, l.c., p. 1128.
1411
Infra, n° 425 et s.
1412
M. DELMAS-MARTY et J.A. VERVAELE, o.c., p. 177.

233
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

l’assouplissement de la correctionnalisation par la loi du 8 juin 20081413, le juge correctionnel


peut rectifier une correctionnalisation irrégulière, de sorte que ce problème ne se poserait
plus. En droit français, les infractions envisagées sont toutes déclassées en délits. Depuis
2004, la France favorise même la voie de la spécialisation en prévoyant en cette matière des
magistrats spécialisés (art. 704 à 706-1 CPP), ainsi que pour certaines infractions commises
en bande organisée des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS ; art. 706-73 à 706-75
CPP).1414

Pour le Royaume-Uni, l’Irlande et la Suède, il y aurait par contre une incompatibilité


radicale.1415 Plusieurs sources (médiatiques) n’ont pas manqué de réfuter cette proposition de
Bruxelles perçue comme une attaque frontale au droit à un jury et au principe de due process
of law. Le fait qu’une telle ‘ingérence étrangère’1416, une telle harmonisation inquisitoire —
même s’il s’avère plus judicieux de la considérer comme une fusion des modèles accusatoire
et inquisitoire au sein d’un modèle contradictoire — puisse être imposée aux Etats membres
compte tenu de l’exigence d’une majorité qualifiée au lieu d’un veto, y contribuait.1417 L’on
pourrait passer outre l’opposition de l’un des Etats membres. En outre, comme pour les autres
domaines hostiles au jury, la crainte de l’effet déclencheur du Corpus juris dans d’autres
domaines fut soulevée. Pourquoi limiter cette voie de professionnalisation à la protection des
intérêts financiers de l’Union ? Cela ne risque-t-il pas d’ouvrir la voie à d’autres formes de
criminalité transversale telles que l’exploitation sexuelle des enfants, le trafic de stupéfiants,
le terrorisme, la criminalité organisée ? En revanche, les tentatives anglaises visant à éroder
le right to a jury trial ne s’inscrivent-elles pas, en partie et de manière sous-jacente, dans la
volonté de se conformer à l’agenda de Bruxelles pour l’axer sur le système continental ? Ces
attaques au jury sont-elles exclusivement inspirées par des motifs pragmatiques visant à la
gestion d’un maximum d’affaires ? Une telle manière de voir les choses est sans doute trop
anticipatrice. Toutefois, l’on ne peut nier le souci identique auquel le droit anglais se trouve
confronté, et face auquel il avance une solution comparable, bien que vivement débattue.
Indirectement il s’attachait, pour ce qui concerne le Gouvernement en tout cas, à cette voie
européenne. Selon Mireille Delmas-Marty en outre, la Chambre des Lords, bien que d’avis

1413
Supra, n° 40.
1414
Il s’agit de huit juridictions — comprenant une section du parquet et des formations d'instruction et de jugement
spécialisées — à compétence étendue au ressort d’une ou de plusieurs cours d’appel. Avec celles-ci, le législateur
cherche à traiter de façon cohérente et efficace des procédures dont la complexité et l'importance s'accordent
difficilement avec les contraintes de la carte judiciaire. Les JIRS ont en cette matière une compétence concurrente de
celles des juridictions de droit commun. Les crimes et délits constituant des actes de terrorisme restent de la
compétence spécialisée des juridictions parisiennes. Pour une appréciation, v. A.-S. Chavent-Leclère, « Les
juridictions interrégionales spécialisées : des compétences originales », AJpénal 2010, p. 106 et s.
1415
M. DELMAS-MARTY et J.A. VERVAELE, o.c., p. 94.
1416
J.R. SPENCER et N. PADFIELD, « L’intégration des droits européens en droit britannique », RSC 2006, p. 539.
1417
Il n’y avait pas de consensus sur la base juridique du Corpus juris (soit art. 280 al. 4 TCE soit art. 31 TUE).

234
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

défavorable, n’a pas totalement fermé la porte.1418 Lorsque tous les autres moyens ont
échoué, un système intégré pourrait en effet être envisagé. L’Ecosse a déjà prouvé qu’elle
pouvait organiser un procès sans jury dans l’affaire Lockerbie.1419

231. Compte tenu des vives critiques exprimées notamment par le monde anglais, la
version martyre de 1997 fut amendée par une version de suivi de 2000 visant à jauger
l’impact ainsi que la faisabilité du Corpus pour les différents ordres juridiques internes : le
recours aux juges professionnels est désormais suggéré sans être imposé.1420 Elle proposait en
particulier aux Etats membres de désigner des juges de carrière sans pour autant imposer ce
choix. Faisant ainsi valoir une préférence pour des juridictions spécialisées, ces dispositions
risquaient à nouveau d’induire des inégalités.

232. Le temps ne semblant pas encore advenu pour fonder l’unification, le Corpus
juris a été abandonné. Arriver à surmonter l’écart séparant (théoriquement) les systèmes de
tradition accusatoire et inquisitoire sur le plan du droit pénal fondamental, mais surtout de la
procédure pénale, ne sera pas pour demain. Le projet eut toutefois le mérite d’amorcer un
débat public sur le rôle du droit pénal et de la procédure pénale dans l’Europe de demain1421 ;
retenons en outre que dans une perspective européenne, la voie professionnelle visant à
endiguer la criminalité transnationale semble plus naturelle.

Conclusion du chapitre II

233. La cour d’assises n’échappe pas au courant de spécialisation qui touche


également le somment de ses compétences. La lutte contre certaines formes de criminalité, à
savoir le terrorisme, le trafic de stupéfiants, la bande organisée et la fraude complexe, paraît
difficile devant une juridiction arbitraire et aléatoire dont les membres, susceptibles
d’intimidation, ont des difficultés de compréhension. Confronté à ces faiblesses, le législateur
dut chercher des solutions, ponctuelles et anodines, ou drastiques et dérogatoires. Or, suffit-il
de douter de la performance des jurés pour en faire tabula rasa dans ces affaires collectives et
excessivement graves ? En effet, au lieu d’exiger des preuves effectives, le législateur semble
partir de simples spéculations soulevant ainsi la question de savoir si la raison sous-jacente
aux exceptions ne se trouve pas ailleurs. La recrudescence de la voie dérogatoire au-delà des
situations exceptionnelles pour lesquelles elle a été initiée n’est-elle pas plutôt la

1418
M. DELMAS-MARTY in le Banquet 1999, n° 14 ; v. le rapport du Select Committee on European Communities, le
18 mai 1999, www.publications.parliament.uk/pa/ld199899/ldselect/ldeucom/62/6203.htm#note30.
1419
Supra, note 1399.
1420
M. DELMAS-MARTY et J.A. VERVAELE, o.c., p. 344-345.
1421
M. DELMAS-MARTY et J.A. VERVAELE, o.c., p. 59.

235
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

conséquence d’une complexification de la criminalité et, plus globalement, d’une politique


d’insécurité et d’inquiétude que nos démocraties ‘en crise’ semblent mener ? Mais si tel est le
cas, la justice de demain n’a-t-elle pas davantage besoin d’auxiliaires spécialistes que de
simples citoyens ? Autant d’interrogations qui convergent vers cette question cruciale : cour
d’assises quo vadis ?

Conclusion du Titre I

234. Si la criminalité augmente, le rôle des juridictions populaires est de plus en plus
déserté.1422 Cela constitue une constante en France, en Belgique et aussi dans le pays berceau
du jury criminel, l’Angleterre. Pour ce faire, les trois pays étudiés usent cependant de
procédés divers, tant législatif que judiciaire, tant facultatif qu’absolu, tant unilatéral qu’avec
l’accord de l’accusé. Au soulagement de l’opinion publique, ceux-ci permettent le maintien
d’une cour d’assises pourtant dépouillée de ses compétences : c’est la marginalisation
extrinsèque.

En droit anglais, le jury est majoritairement mis hors jeu par la pratique judiciaire de
guilty plea. La reconnaissance de culpabilité étant une preuve suffisante, celle-ci rend le
ministère du jury criminel superflu. Celui qui plaide coupable est jugé sans jury. L’accusé a
donc à cet égard un rôle déterminant. Il en est de même dans la proposition de jury waiver
qui lui permettrait d’opter pour un jugement professionnel. Sur le plan législatif, le Criminal
Justice Act de 2003 abolit le jury en cas de jury tampering et pour les affaires de fraude
complexe. Celles-ci pourraient, dans des conditions strictes, être jugées par un magistrat de
carrière unique, comme à la Diplock court nord-irlandaise, compétente en matière de
terrorisme. A ces réformes législatives s’ajoutent des propositions visant à mettre un terme au
right to a jury trial, ainsi que des dispositions envisageant d’étendre la portée et les pouvoirs
des magistrates’ courts.

En Belgique, « l’euthanasie de la cour d’assises »1423 est réalisée par l’« automatisme
honteux » et la « découverte robotisée des circonstances atténuantes »1424 qui permet de
« baptiser délit ce que la loi a baptisé crime ».1425 Avec l’adoucissement de l’excès de
rigueur du Code pénal de 1810 par le Code pénal de 1867, la correctionnalisation judiciaire
aurait dû disparaître. Toutefois, si la violation de la Constitution n’est pas contestée dans la
pratique, elle est devenue plus facile avec la loi du 8 juin 2008 par laquelle le tribunal

1422
H. URTIN, « La crise du jury criminel », Revue de métaphysique et de morale 1930, p. 257.
1423
J. RUBBRECHT, « De correctionalisatie van misdaden », l.c., p. 617.
1424
R. DECLERCQ, « Verzachtende omstandigheden en correctionalisatie », l.c., p. 251.
1425
J. CRUPPI, « Les juridictions criminelles et l’échevinage », Et. crim. 1929, p. 99.

236
TITRE I — UNE MARGINALISATION EXTRINSEQUE

correctionnel peut éliminer lui-même le caractère criminel de l’infraction ; elle est devenue
plus flagrante avec la loi du 21 décembre 2009 qui double, sans critère claire, la liste de
crimes correctionnalisables de l’article 2 de la loi de 1867 sur les circonstances atténuantes.

La France, pour sa part, ne recourt pas seulement à la correctionnalisation législative


et son pendant extra-légal ; elle crée, pour certains crimes particuliers et pour raisons
différentes — crainte de divulgation de secrets de défense nationale, protection des jurés,
gravité et complexité des affaires avec imbrication de différents réseaux — des formes
particulières de jugement dénommées ‘cour d’assises’, celles-ci étant toutefois privées de leur
composant essentiel : le jury populaire. Tout récemment, les propositions du rapport du
Comité de réflexion de la justice pénale envisageaient d’instaurer une ‘procédure simplifiée’
en cas de reconnaissance préalable de culpabilité en matière criminelle. La mise en œuvre de
cette proposition semble toutefois tuée dans l’œuf par les pistes de réflexion avancées par le
ministre de la Justice français quant à la suppression de la correctionnalisation judiciaire et au
remplacement de la cour d’assises par un tribunal criminel. Avant d’analyser cette piste à
notre sens fort intéressante dans la mesure où elle permet d’organiser la compétence des
cours et tribunaux sans échappatoires, nous nous pencherons sur d’autres manifestations de la
marginalisation du jury populaire.

237
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Titre II
UE MARGIALISATIO ITRISEQUE

235. Outre la marginalisation extrinsèque, résultant de techniques pragmatiques


d’esquive — la pratique continentale de correctionnalisation judiciaire et la pratique anglo-
saxonne de guilty plea — ainsi que de la création des juridictions purement professionnelles
mais appelées formellement encore ‘cours d’assises’ et compétentes pour certains types de
crimes extrêmement graves, l’institution du jury est également entachée en son for intérieur.

D’une part, la séparation traditionnelle entre le fait et le droit, qui caractérise la


procédure d’assises classique dans laquelle le jury délibère seul sur la culpabilité à l'exclusion
des juges professionnels et qui incarne le principe de la souveraineté du peuple, généra des
inconvénients à l’origine de sa remise en cause. De manière plus ou moins étendue, les
magistrats de carrière des trois pays étudiés ont progressivement hérité d’une emprise accrue
sur la décision criminelle ce qui aboutit, en droit français, à leur association complète aux
jurés populaires pour la décision sur la culpabilité (Chapitre I — L’insoutenable séparation
du fait et du droit). La souveraineté du jury s’en trouve ébranlée ou au pour le moins affaiblie
ou encadrée.

Si, en tant que garantie contre la ‘tyrannie’ de la magistrature professionnelle, le jury


est né d’une méfiance à l’égard des magistrats de robe, il semble susceptible d’induire, par
ses verdicts énigmatiques, le risque qu’il est censé éviter : celui d’une justice arbitraire.1426 Si
ce risque semble inhérent au jury stricto sensu, il est devenu, compte tenu des exigences
croissantes résultant du critère du ‘procès équitable’ exprimé par l’article 6 CESDH, une
cause d’exaspération aux yeux de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’affaire
Taxquet c. Belgique du 13 janvier 20091427, (la petite chambre de) cette cour ne s’est plus
contentée des réponses ‘laconiques’ aux questions posées au jury comme ‘ersatz’ de
motivation ou motivation embryonnaire.1428 Même avant la confirmation de cette décision
par la Grande chambre de la CEDH, à laquelle l’affaire a été renvoyée à la demande du
Gouvernement belge, cette jurisprudence, dont nous examinerons la portée ci-dessous, a eu

1426
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De grensoverschrijdende en jury-ondermijnende impact van
Taxquet/België » in F. DERUYCK, M. DE SWAEF, J. ROZIE, M. ROZIE, Ph. TRAEST et R. VERSTRAETEN (éd.), De wet
voorbij. Liber Amicorum Luc Huybrechts, Anvers, Intersentia, 2010, p. 597.
1427
Infra, n° 318.
1428
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De grensoverschrijdende en jury-ondermijnende impact van
Taxquet/België », l.c., p. 597-598.

239
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

des répercussions importantes. Elle rendait l’intervention législative préoccupante, tout en


invitant, au-delà de l’Etat condamné, à s’interroger sur la compatibilité des procédures
criminelles française et anglaise avec cette jurisprudence européenne. Il n’est plus acceptable
de ne pas connaître les raisons d’un acquittement ou d’une condamnation. Dans de nombreux
pays — même de la tradition de common law1429 — un nombre croissant de voix s’élèvent
pour offrir également cette garantie aux crimes les plus graves. Il en va de même pour un
autre droit essentiel et prévu dans les engagements internationaux : le droit à un double degré
de juridiction qui permet de contrôler la décision du jury populaire mais qui demeure
résolument absent de la procédure criminelle belge et n’est garantie que de manière
insatisfaisante en France et en Angleterre. Si, sous l’influence de sa jurisprudence, la CEDH
semble renforcer son emprise sur la procédure criminelle des trois pays, les interventions
législatives qui en découlent semblent toutes se faire au détriment de ce composant essentiel
de la cour d’assises : le jury populaire. Après tout, le jury est-il compatible avec ces
exigences du procès équitable (Chapitre 2 — L’insoutenable absence des garanties
fondamentales du procès équitable) ?

CHAPITRE I — L’INSOUTENABLE SEPARATION DU FAIT ET DU DROIT

CHAPITRE II — L’INSOUTENABLE ABSENCE DES GARANTIES


FONDAMENTALES DU PROCES EQUITABLE

1429
J. JACKSON, « Making Juries Accountable », Am. J.Comp.L. 2002, n° 3, p. 477-530.

240
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Chapitre I

L’ISOUTEABLE SEPARATIO DU FAIT ET DROIT

« C’est en bâtissant que l’on devient architecte, en jouant de la


cithare que l’on devient citharède. De même, c’est à force de
pratiquer la justice, la tempérance et le courage que nous devenons
justes, tempérés et courageux ».
[ARISTOTE, Ethique à Ficomaque, Livre II, chapitre I, trad. Ph.
Remacle]

236. C’est dans l’originalité même de la cour d’assises — la présence des citoyens-
juges — que s’enracinent ses points d’achoppement.1430 Dans le chapitre précédant, nous
avons tâché d’illustrer les faiblesses des jurés. Bien évidemment l’étendue de ces faiblesses
dépend également du rapport et de la répartition des pouvoirs entre les deux organes clés de
la cour d’assises, la cour proprement dite (composant professionnel) et le jury (composant
populaire). Le jury représente-t-il la véritable voix du peuple indépendant ? Le président est-
il réellement cet arbitre passif que l’on tend souvent à dépeindre ? En dessinant un écart net
et simple entre les magistrats de carrière et les jurés, la réponse à ces questions semblait a
priori affirmative, ce qui témoignait d’une vision assez naïve. De facto et même de jure la
disjonction hermétique entre les jurés et la cour proprement dite s’est révélée chimérique et
insoutenable (Section 1 — La séparation du fait et droit : chronique d’une mort annoncée ?).

Les différences entre les trois pays étudiés s’avèrent à nouveau remarquables. Si le
droit belge connaît depuis 1919 une démarcation stable entre l’élément professionnel et
l’élément populaire, ce qui témoigne d’une collaboration stricto sensu au seul délibéré de la
peine, la cour d’assises française fit l’objet d’une profonde mutation par rapport à sa forme
traditionnelle de 1808. Evoluant vers une collaboration lato sensu, le législateur français
permit aux jurés populaires d’exprimer leur voix dans la détermination de la peine, tout en
ouvrant la délibération sur la culpabilité aux magistrats professionnels. Pour sa part, la
procédure anglaise semble maintenir le jury dans sa forme pure avec douze citoyens se
prononçant seuls sur les questions de fait, sans réelle connaissance des incidences de leur
verdict, le président étant le seul à déterminer la peine. Pourtant, l’influence exercée en
pratique par le juge professionnel, voire son emprise sur le procès pénal, remet en question
son rapport avec le jury, tout comme l’indépendance même des jurés. En effet, faisant à
certains moments de l’histoire preuve d’une méfiance à l’égard du corps professionnel, le

1430
R. VOUIN, « La cour d’assises française de 1808 à 1958 », l.c., p. 227.

241
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

boomerang s’est à d’autres moments retourné contre de simples citoyens. A la recherche de


la formule la plus fructueuse pour juger les affaires les plus graves, les différents pays
semblent bien prêts à s’adapter aux besoins d’une justice contemporaine même si cela
implique des sacrifices (Section 2 — Intensification des interdépendances et changements des
rôles).

Section 1
La séparation du fait et du droit : chronique d’une mort annoncée ?

237. Tout jugement repose sur le rapport entre un fait et une loi. Aux assises, la
conception traditionnelle part de l’idée que la constatation du fait doit être confiée à d’autres
personnes que celles qui sont appelées à appliquer la loi.1431 Toutefois, ‘le mur’ entre les
professionnels et les citoyens-juges n’était qu’imparfaitement construit, et ceci tant au niveau
psychologique que sur le plan strictement juridique (§ 1 — L’artificiel d’une séparation toute
naturelle). Dans les trois pays considérés, cette séparation est rapidement entamée par des
brèches. Avec plus ou moins d’audace, les législateurs cherchèrent des moyens susceptibles
de reformuler la répartition des compétences. Bien évidemment les réformes intentées sont
contaminées par l’esprit du siècle (§ 2 — Des passerelles visant une symbiose fructueuse
entre les juges professionnels et les jurés).

238. Pour analyser la répartition des compétences, il convient préliminairement de


scruter à la loupe la composition de la cour d’assises. A côté des juges populaires que nous
avons étudié in extenso dans le chapitre précédent, la cour d’assises et la Crown Court
connaissent un composant professionnel, un seul président dans les pays anglo-saxons — qui
est en droit anglais un High Court judge, un Circuit judge ou un Recorder (s. 5(1) Courts Act
de 1971) — ; un corps de juges professionnels dans le système continental, à savoir le
président et les deux assesseurs (art. 243 CPP et art. 119 C. jud.). En droit français, le
président de la cour d’assises est un membre de la cour d’appel désigné par le Premier
président « pour la durée de chaque trimestre et pour chaque cour d'assises » (art. 244 et 245
CPP). En droit belge, il est désigné pour l’intégralité de l’audience1432 ou pour certaines
affaires déterminées (art 120 C. jud. belge).1433 Il peut s’agir d’un président de chambre, d’un

1431
V. également W. ROUMIER, L’avenir du jury criminel, Paris, LGDJ, 2003, p. 37, n° 61.
1432
Dans la version francophone, l’article 120 C. jud. utilise le terme « session ».
1433
Pour la procédure de remplacement en cas d’empêchement, v. l’art. 246 CPP et pour le droit belge, l’art. 120 al. 2
C. jud.

242
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

conseiller ou, en droit belge, d’un membre de la cour d'appel admis à la retraite mais âgé de
moins de soixante-dix ans.1434

Afin d’armer le président aux défis spécifiques d’un procès d’assises, la loi belge du
21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises impose une formation spécialisée
préalable par analogie avec ce qui est requis pour exercer les fonctions de juge d'instruction,
de juge des saisies et de juge de la jeunesse (art. 120 al. 1 modifié C. jud.).1435 Pour
l’essentiel, cette formation est focalisée sur des capacités extrajudiciaires. Elle comprend des
techniques d'interrogatoire, la résistance au stress, la communication verbale et non verbale,
… Certains présidents, bénéficiant déjà d’une longue expérience en la matière — en tant que
président de la cour d’assises et non en tant qu’assesseur —, y seront exemptés (nouvel art.
120 al. 2 C. jud.).1436

Les deux assesseurs sont depuis la nouvelle loi belge choisis parmi les vice-présidents
et les juges les plus anciens en rang du ressort de la cour d'appel. Ils sont désignés, pour
chaque affaire par le premier président de la cour d'appel, en concertation avec les présidents
de tribunal de première instance concernés (art. 121 al. 1 C. jud. modifié).1437 En France, les
assesseurs peuvent être des conseillers de la cour d'appel ou des juges du tribunal de grande
instance du lieu de la tenue des assises (art. 249 CPP). Leur désignation relève des mêmes
dispositions que celle du président de la cour d’assises (art. 250 CPP).1438

Parmi ces deux magistrats, nous verrons ultérieurement que le président de la cour
d’assises occupe une place particulière et importante. Ainsi que William Roumier l’avance :
« le président est un personnage tout aussi emblématique que peut l’être l’institution du jury
populaire ».1439 En effet, en dépit du contre-interrogatoire français qui a été accueilli comme
un réel progrès des droits de la défense et remédie à certaines problématiques de prééminence

1434
Sur réquisition du procureur général, le premier président de la cour d’appel délègue un ou plusieurs membres de
cette cour qui assistent aux débats en qualité de président suppléant si cela s’avère profitable au bon déroulement des
débats ou nécessaire compte tenu de la nature des affaires (art. 120 al. 3 C. jud.). En droit français, il incombe
également au Premier président en personne de présider la cour d’assises « chaque fois qu’il le juge convenable » (art.
247 CPP).
1435
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 153-154. Cette nouveauté entrera en vigueur à une date déterminée par
arrêté du Roi (art. 237 loi du 21 décembre 2009). La loi ne prévoit pas de date limite.
1436
Depuis la loi organique française du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des
magistrats, issue de l’affaire dite d'Outreau (JORF 6 mars 2007, p. 4184), le législateur français impose une formation
continue aux magistrats (art. 14 al. 2 ord. n° 58-1270 du 22 déc. 1958 portant loi organique relative au statut de la
magistrature.). Les auditeurs de justice (les futurs magistrats) sont obligés d'effectuer un stage chez un avocat pendant
une durée de six mois (art. 19 ord. 22 déc. 1958).
1437
Il lui est également permis d’avoir recours à des magistrats issus d’autres arrondissements judiciaires et donc en
dehors de celui où se tient la cour d’assises (Doc.parl. Chambre 2008-09, n° 52-2127/004, p. 36). Dans les affaires où
le premier président de la cour d'appel a délégué un ou plusieurs présidents suppléants, sont également désignés un ou
plusieurs assesseurs suppléants. En France, il peut également être adjoint un ou plusieurs assesseurs supplémentaires
si la durée ou l'importance de la session rend cette mesure nécessaire (art. 248 al. 2 CPP).
1438
Pour la procédure de remplacement en cas d’empêchement, v. les art. 251 CPP et 121 al. 2 C. jud.
1439
W. ROUMIER, o.c., p. 301, n° 552.

243
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

du président dans la direction des débats1440, celui-ci demeure (pour le moment) le « chef
d’orchestre des débats ».1441 En droit continental, une contradiction accrue reste jusqu’à
présent1442 donc bien enfermée dans une tradition inquisitoire.1443 En outre, le président de la
cour d’assises dispose des pouvoirs propres qu’il exerce de manière personnelle sans le
concours des assesseurs. Hormis son pouvoir de police et de direction des débats (art. 309
CPP), il bénéficie notamment d’un pouvoir discrétionnaire, qui le distingue également de son
collègue correctionnel, et en vertu duquel il peut prendre sur-le-champ « toutes mesures qu’il
croit utiles pour découvrir la vérité » (art. 310 CPP et art. 281 § 2 CIC1444). Il convient de
souligner à cet égard, qu’il dispose de ces pouvoirs avant l’ouverture du procès. En France,
ceux-ci sont même opératoires avant le début de la session ou du trimestre pour lequel il a été
désigné.1445 Le président de la cour d’assises se distingue dès lors clairement de ses
assesseurs. Avec ceux-ci, il constitue ‘la cour’ proprement dite dont le rôle se différencie
résolument de celui des jurés populaires.

§ 1 — L’ARTIFICIEL D’UFE SEPARATIOF TOUTE FATURELLE

239. Si le jury, compte tenu de sa fraîcheur d’esprit et de son indépendance par


rapport au pouvoir public, semble être le juge naturel des faits, la détermination des
conséquences de ces faits semble exiger un esprit tellement technique qu’elle ne peut être
confiée qu’aux magistrats professionnels, maîtres du droit (A — Le jury, l’incarnation de
l’indépendance, le juge, l’incarnation de technicité ?). La séparation entre ces deux corps de
juges paraît dès lors l’évidence même, quod non (B — Un simplisme mythique toujours
d’actualité ?).

A — LE JURY, L’INCARNATION DE L’INDEPENDANCE, LE JUGE,


L’INCARNATION DE LA TECHNICITE ?

240. Né en Angleterre au cours de la période féodale, alors que la participation des


citoyens à la justice s’avérait fondamentale, le jury était l’unique garant de la liberté
individuelle dans la lutte opposant le peuple anglais à la royauté et aux hommes nommés par
la Couronne pour exercer le pouvoir, à savoir les juges. La séparation du fait et du droit est
donc le fruit d’une évolution politique du jury anglais.1446 Contrairement aux juges
1440
V. aussi W. ROUMIER, o.c., p. 305, n° 559.
1441
W. ROUMIER, o.c., p. 326, n° 601.
1442
Pour les critiques d’un président trop interventionniste par le Comité de réflexion sur la justice pénale, infra, n°
282.
1443
W. ROUMIER, o.c., p. 339, n° 630.
1444
Ancien art. 268 CIC (infra, n° 282).
1445
H. ANGEVIN, La pratique de la cour d’assises : traité formulaire, Paris, Litec, 2005, 4ème éd., p. 21, n° 50 (infra,
n° 282).
1446
J. VANDERVEEREN, l.c., p. 482-483.

244
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

professionnels, les douze citoyens tirés au sort sont en effet entièrement et nécessairement
déconnectés de l’Etat et profitent dès lors de la présomption d’incarner l’indépendance.1447 Ils
injecteraient en outre à la justice des valeurs sociales tout en neutralisant des critiques contre
les verdicts.1448 De ce point de vue les jurés seraient plus compétents pour juger leurs
concitoyens1449 que les juges, plus lointains et à la botte de l’Etat. Ce constat témoigne d’une
méfiance importante à l’égard des professionnels. Pour assurer le bon fonctionnement de la
justice, il fallait éviter le gouvernement du juge. Un juge qui se prononce tant sur le fait que
sur le droit serait trop puissant.1450 Les décisions des magistrats étant probablement toujours
suspectes, seul le jury semble avoir « des épaules assez solides pour porter le poids des
grandes condamnations et celui de certains acquittements ».1451

Une telle conception concordait à merveille avec la philosophie de la Révolution


française, qui prônait une profonde hostilité, issue du siècle des lumières, à l’égard des
professionnels et de l’ordre judicaire1452 : « si le jury n’est pas absolument aimé pour lui-
même, il l’est du moins contre une institution voisine, à savoir la magistrature
professionnelle. Prévention injustifiée […] mais prévention instinctive résultat d’un passé
d’horreur où trop souvent la magistrature a tenu première place, avec sa torture, ses
supplices, une législation atroce et l’insensibilité plus atroce encore de ceux qui
l’appliquaient […], implacables ministres d’une législation sans pitié ».1453 En vertu de cet
esprit révolutionnaire le jury fut, sur le sol continental, moins créé au nom du droit à être jugé
par ses pairs qu'au nom de la liberté, de la citoyenneté et, plus généralement, de la
souveraineté, transférée du Roi à la Nation.1454 Tous les pouvoirs, y compris le pouvoir
judiciaire, émanent de la Nation. La volonté résolue visant à limiter au maximum le pouvoir
des professionnels qui en dépit de leurs finesses du style tiendront toujours « sur leurs têtes
les cordons, titres et salaires »1455 et le souci d’éviter qu’ils reprennent la mainmise sur le
procès et ressuscitent l’horreur draconienne de l’Ancien régime, incitèrent les constituants à
introduire une séparation radicale entre les jurés et les juges (art 9, chap. V, titre III de la

1447
J.D. JACKSON et S. DORAN, « Judge and Jury : Towards a New Division of Labour in Criminal Trials », M.L.R.
1997, p. 760.
1448
A. GARAPON et I. PAPADOPOULOS, Juger en Amérique et en France, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 183 et L. JAUME,
« Tocqueville et la perspective libérale du jury » in AFHJ, La cour d’assises. Bilan d’un héritage démocratique, Paris,
La Documentation française, 2001, p. 112.
1449
« C'est une loi bien utile que celle qui veut que tout homme soit jugé par ses pairs » (C. BECCARIA, o.c., p. 92).
1450
G. ROUJOU DE BOUBEE, « De la légitimité des jurys de cour d’assises » in J. KRYNEN et J. RAIBAUT, La légitimité
des juges. Actes du Colloque des 29-30 oct. 2003, Toulouse I, 2004, p. 39.
1451
C. GERBET, o.c., p. 211-214.
1452
W. ROUMIER, o.c., p. 46, n° 79.
1453
A. MORNET, « Le jury criminel », Et. crim. 1929, p. 138.
1454
Pour les différentes significations de la notion de souveraineté et sa distinction des notions de ‘citoyenneté’ et de
‘civisme’, v. M. DAVID, « Souveraineté, citoyenneté, civisme : quelle légitimité pour le jury ? » in AFHJ, La cour
d’assises. Bilan d’un héritage démocratique, Paris, La Documentation française, 2001, p. 125-126.
1455
L. JAUME, l.c., p. 124.

245
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Constitution de 1791). Le principal théoricien en fut Adrien Duport, qui déclarait: « il faut
redouter l'esprit de corps qui se forme par opposition à l'esprit général de la société. La
véritable perfection de l'administration de la justice est de rendre impossible la réunion des
hommes sur un préjugé : ainsi, il est nécessaire d'avoir des jurés pour le fait et des juges
pour l'application de la loi ».1456 En effet, le jury ne peut pas être « une armure efficace
contre les abus envers la liberté s’il n’est lui-même à l’abri des magistrats qui
l’entourent ».1457 Pour éviter que l’autorité du juge diminue et affaiblisse l’autonomie des
jurés, ces derniers sont alors enfermés dans le jugement des faits. Cette scission fut reprise
par la Constitution de l’an III et l’an VIII et était affirmée par l’article 372 du Code brumaire
an IV.1458

241. En 1808, le Code d'instruction criminelle avait repris cette barrière érigée par la
Constituante qui enferme les « deux pouvoirs dans des cercles indépendants et
infranchissables »1459. Lors de la séance du 6 février 1808 Napoléon aurait déclaré qu’on « ne
saurait nier qu’un juge qui aurait le pouvoir de prononcer sur le fait et sur le droit ne fût
trop puissant. Le législateur doit se défier des passions, et ne mettre entre les mains de
personne le moyen de satisfaire des ressentiments personnels. Cette réflexion suffit pour
séparer les deux ministères ».1460 Ainsi le jugement des faits issus de l’affaire en cause
incombait intégralement aux jurés. Ceux-ci statuaient sur la culpabilité et déclaraient l’accusé
coupable ou innocent et le cas échéant ils admettaient ou écartaient des circonstances
aggravantes ou atténuantes. En revanche, les questions de procédure et la détermination de la
peine n’appartenaient qu’aux juges professionnels : « après le verdict du jury l’homme est
remis aux mains de deux puissances, à savoir la loi et les magistrats ».1461 Une telle
séparation semblait toute naturelle dans la mesure où la déclaration sur le droit est
subordonnée à celle sur le fait.1462

242. Hormis l’indépendance prétendument accrue des jurés par rapport à l’autorité
publique, les juristes français n’ont pas manqué de souligner, à l’instar de Montesquieu, que
« le jury n’est pas jurisconsulte »1463. En effet, « si tout homme est bon pour éclairer un fait,

1456
Cité par Ch. DE BEUDANT, De l'indication de la loi pénale dans la discussion devant le jury. Etude sur le jury,
Paris, Cotillon, 1861, p. 28.
1457
W. ROUMIER, o.c., p. 36, n° 59.
1458
P. REUTENAUER, « La participation du jury criminel à l’application de la peine. Loi du 5 mars 1932 », Lois
nouvelles 1932, p. 113.
1459
Ch. DE BEUDANT, o.c., p. 20-21 et W. ROUMIER, o.c., p. 39, n° 65.
1460
W. ROUMIER, o.c., p. 39, note 129.
1461
A.M. MANCHE, Le rôle du jury dans l’application de la peine, Thèse, Paris, 1934, p. 26.
1462
W. ROUMIER, o.c., p. 123, n° 219.
1463
MONTESQIEU, L’esprit des lois, Livre VI, chap. IV. et A. TOULEMON, « La question du jury. La séparation du fait
et du droit », Et. crim. 1930, p. 125.

246
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

il n’en est pas de même pour appliquer la loi ».1464 Pour tirer des conclusions du droit, des
connaissances juridiques techniques ainsi qu’un raisonnement déductif s’avèrent
1465
indispensables. Cette mission devrait être confiée aux magistrats de carrière qui, compte
tenu de leurs sagacité et expérience juridique, seraient cohérents et, selon certains, même
davantage impartiaux pour infliger la peine découlant des faits.1466 La technique d’attribution
de la peine suppose en effet la maîtrise d’un certain savoir, un métier que le jury ne peut, à
cause de sa ‘virginité juridique’ et de son caractère temporaire, maîtriser du bout des
doigts.1467 Il en résulte que « toute osmose entre l’acheminement des jurés et juges vers leur
décision » était interdite.1468 Si les juges n’avaient pas le droit d’intervenir dans la discussion
sur les faits, le jury ne pouvait pas soupeser les conséquences de son verdict, ainsi que le
rappela d’ailleurs la Court of Appeal anglaise dans la décision Larkin1469. En droit
continental, l’ancien article 342 alinéa 1 du Code d’instruction criminelle disposait
clairement que « les jurés manquent à leur premier devoir lorsque, pensant aux dispositions
des lois pénales, ils considèrent les suites que pourra avoir par rapport à l’accusé la
déclaration qu’ils ont à faire ». En droit anglais où l’affaire Bushell1470 de 1671 érigea
comme pierre angulaire le pouvoir du jury anglais en tant que juge des faits, la séparation se
comprend aussi à l’égard de l’occultation traditionnelle au jury des circonstances relatives à
la personnalité de l’accusé. Lorsque la question de la culpabilité doit être fondée sur les faits
qui sous-tendent immédiatement l’affaire en cause, la peine doit refléter plus généralement la
personnalité de l’accusé. Le jury anglais, en principe privé de ces informations1471, s’avérait
donc inapte à déterminer la peine. Plus généralement, la séparation entre le fait et le droit a
donné lieu à des règles anglaises spécifiques, tel que le hearsay, l’exclusion des preuves
illégalement obtenues, … De manière pragmatique, elle a également des incidences sur la
portée de l’intervention de la cour d’appel. Ainsi que nous l’esquisserons ultérieurement, la
Court of Appeal anglaise se penche majoritairement sur des questions de droit, à l’instar de
notre Cour de cassation.1472

1464
L. JAUME, l.c., p. 113 et D. SALAS, l.c., p. 10.
1465
P. SAVEY-CASARD, « La réforme du jury et la loi du 5 mars 1932 », RCID 1932, p. 332.
1466
M.B. Hoffman réfute néanmoins une telle conception, se demandant pourquoi il faut alors des jurés si on ne leur
fait pas confiance. Si le jury est plus partial, pourquoi lui confier la décision sur la culpabilité (M.B. HOFFMAN, « The
Case for the Jury Sentencing », Duke L.J. 2002-03, p. 990).
1467
P. MIMIN, « Le concours du jury à la détermination de la peine », RPDP 1932, p. 336-337. Selon M.B. Hoffman
l’exclusion du jury de cette phase cruciale du procès, n’est pourtant pas si traditionnelle que ce que l’on croit. Le jury
imposait des peines jusqu’au 17ème siècle (M.B. HOFFMAN, l.c., p. 958).
1468
A. PADOA SCHIOPPA, « Le jury d’Adrien Duport » in X, La Révolution et l’ordre juridique privé, rationalité ou
scandale ?, Actes du Colloque d’Orléans, 11-13 septembre 1986, CNRS-Université d’Orléans, Paris, PUF, 1988,
tome II, p. 617-618.
1469
Larkin [1943] 29 Cr. App. R. 18.
1470
Cite par J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 504 et 506.
1471
Supra, n° 216.
1472
Infra, n° 367.

247
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Il est remarquable à cet égard de constater que dans la magistrates’ court, qui
rappelons-le traite 95% de toutes les affaires, les lay magistrates non professionnels, se
prononcent seuls sur le fait et le droit. Ils ne sont pas liés par les instructions légales du clerk.
Toutefois, cette confiance accordée aux lay magistrates ne semble plus d’application
lorsqu’ils siègent dans la Crown Court avec le président de cette cour pour les appels contre
la magistrates’ court. Dans ce cas, les magistrats non professionnels sont liés par les
directions du juge sur le droit. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un ‘ersatz’ jury, mais des juges à
part entière, l’on y a importé le modèle du jury.1473 La distinction artificielle entre l’élément
professionnel et l’élément populaire y est donc aussi maintenue. Pour les questions de fait les
citoyens-assesseurs décident avec le président et ont même la possibilité de passer outre. Pour
les questions de droit, ils doivent, en revanche, suivre la décision du juge de carrière et ne
peuvent prendre une décision contraire.1474 L’argument selon lequel les assesseurs seraient
l’équivalent de jurés inexpérimentés n’est pas recevable dans la mesure où ils se prononcent
également sur des questions de droit devant la magistrates’ court.

243. Dès l’origine les législateurs eurent dès lors résolument conscience des mérites et
faiblesses des deux juges de la cour d’assises : l’indépendance des uns, la technocratie des
autres. La séparation des fonctions menait donc tout naturellement à la séparation des
organes : « ad quaestionem facti respondent juratores, ad quaestionem juris respondent
judices ».1475 Ainsi que le notent toutefois John Jackson et Sean Doran, il ne convient pas
d’affirmer simplement que le juge assure une justice of truth et le jury une justice of
fairness.1476 Cela s’avérerait trop simpliste. Il n’y a pas prépondérance de l’un sur l’autre : ils
présentent respectivement différentes approches sur les plans légal et extra-légal. Les
législateurs prirent rapidement conscience de la complémentarité des juges professionnels et
jurés.1477

B — UN SIMPLISME MYTHIQUE TOUJOURS D’ACTUALITE ?

244. En dépit de son profil de fonction simple et clair — le jugement sur la culpabilité
—, le jury n’a pas manqué, dès son instauration, de faillir à sa première mission. Les jurés
« ne se bornaient pas à proférer l’oracle qu’on leur demandait ».1478 En effet, dans les trois

1473
M. BOHLANDER, « ‘Take it from me…’ – The Role of the Judge and Lay Assessors in Deciding Questions of Law
in Appeals to the Crown Court », J.Crim.L. 2005, p. 442.
1474
V. Orpin [1974] 59 Cr. App. R. 231 et Cook v DPP [2001] Crim. L.R. 321.
1475
F.Ch. GRUBE, Richter ohne Robe. Laienrichter in Strafsachen im deutschen und anglo-amerikanischen
Rechtskreis, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2005, p. 101.
1476
J.D. JACKSON et S. DORAN, « Judge and Jury : Towards a New Division of Labour in Criminal Trials », l.c., p.
772.
1477
J.D. JACKSON et S. DORAN, « Judge and Jury : Towards a New Division of Labour in Criminal Trials », l.c., p.
766.
1478
H. MAAS GEESTERANUS, « Observations sur la crise du jury », Et. crim. 1930, p. 66.

248
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

systèmes étudiés, comme d’ailleurs dans d’autres pays1479, la pratique judiciaire illustre le
caractère artificiel de la démarcation entre les professionnels et les citoyens.

En premier lieu, il s’agit d’une construction juridique, qui témoigne d’un « goût
extrême de logique et de symétrie », mais qui s’avère incompatible avec la logique et la
conscience humaine.1480 En effet, comment diviser ce travail qui s’opère traditionnellement
dans le même esprit ?

245. Dans un système de peines fixes, la dichotomie entre le fait et le droit aurait été
opérationnelle. Dans cette hypothèse le jury sait d’avance et avec certitude quelle sera la
peine infligée par les professionnels à l’accusé qu’il a déclaré coupable. Mais au moment où
on offre au juge le pouvoir de moduler les peines, le système est bien perturbé par
l’incertitude qui en découle pour les jurés.1481 Certes, la cour est pour le prononcé de la peine
liée par la déclaration du jury et les limites imposées par la loi. Mais dans ces limites son
choix portant sur la peine est libre.1482 Craignant une sévérité excessive des professionnels et
estimant que le châtiment doit être proportionnel à la faute, les jurés, anxieux de ne pouvoir
influencer les magistrats sur le prononcé de la peine, n’ont eu le moindre scrupule de déclarer
l’accusé non coupable plutôt que de l'exposer au risque d'une sanction trop lourde, y compris
lorsque sa culpabilité ne fait aucun doute.1483 De cette façon, le jury semble moins intéressé
par la question afférente à la culpabilité réelle de l’accusé qu’à la pertinence d’une
punition.1484 Liant au crime le criminel, les jurés prennent en effet conscience que la vie d’un
être humain dépend de leur décision. Il est dès lors normal qu’ils s’inquiètent des
répercussions juridiques que la cour pourrait tirer de leur verdict.1485 Malheureusement, ce
désir de faire bien a poussé le jury à rendre des verdicts injustes, voire absurdes et, en raison
de leur infaillibilité présumée, irréparables.1486 Voilà un piège psychologique que le
législateur n’avait pas prévu. En effet, le jury s’aventurait dans le domaine de la fantaisie en
rendant des verdicts incompatibles avec les faits tels qu’ils résultent des débats (pieux
mensonge), ce qui était — rappelons-nous — confortée par la notion floue d’intime
conviction. Il s’agissait souvent, aux yeux du jury, d’un choix cornélien : soit il acquittait une

1479
Tel que l’Allemagne et l’Italie (A. PADOA SCHIOPPA, « Remarques sur l’histoire du jury criminel » in AFHJ, La
cour d’assises. Bilan d’un héritage démocratique, Paris, La Documentation française, 2001, p. 99-100).
1480
H. Donnedieu de Vabres, cité par W. ROUMIER, o.c., p. 270, n° 493. Aussi d’autres auteurs critiquaient le cloison
étanche entre le fait et le droit : « c’est une vaine utopie d’essayer d’obtenir ce résultat (la logique différentielle entre
le fait et le droit), et les législations qui ont renoncé à cette tentative inutile, méritent d’être applaudies », écrivait J.
Glaser. E. Cardina qualifiait cette distinction de « pure abstraction » ; S. Stern la considérait comme « irrationnelle et
fantastique, en plus d’impossible » (Q. SALDANA, l.c., p. 26-27).
1481
G. ROUJOU DE BOUBEE, l.c., p. 39.
1482
P. MIMIN, « Le concours du jury à la détermination de la peine », l.c., p. 333.
1483
P. MIMIN, « Le concours du jury à la détermination de la peine », l.c., p. 338.
1484
W.R. CORNISH, o.c., p. 165.
1485
H. AUBRUN, « La réforme du jury : résultat de la loi du 5 mars 1932 », RCID 1936, p. 54.
1486
A.M. MANCHE, o.c., p. 27.

249
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

personne dont il connaissait la culpabilité, soit il l’exposait au risque d’une peine


excessive.1487 La seule arme dont disposait le jury consiste à négliger certaines questions ou à
mettre en relief les réponses à donner aux questions. Ainsi, il pourrait nier des circonstances
aggravantes ou nier certains éléments constitutifs de l’infraction et ainsi faire abaisser le
maximum légal de la pénalité.1488 Cette pratique, toujours connue dans le système anglais en
vigueur en tant que jury equity, témoigne incontestablement d’une omnipotence des jurés et
d’une défiance accrue à l’égard des juges de robe : il faut contrecarrer la crainte d’une
sévérité excessive par un excès d’indulgence.1489 Certains se demandent toutefois si telle est
effectivement la volonté du jury. Peut-être usa-t-il de cette justification à la seule fin de
légitimer un acquittement en butte aux protestations de l’opinion publique.1490

A cet égard, il convient de noter qu’il ne s’agit pas d’une attitude rare et propre à un
jury en rébellion. Ainsi que nous l’avons déjà avancé, les acquittements ‘pervers’ ont émaillé
l’histoire pénale du 19ème siècle.1491 La division de l’œuvre juridique consistant à confier aux
uns la vérification des faits et la pénalisation à d’autres, si elle semblait naturelle en théorie,
émergeait ainsi comme le vice capital de notre procédure criminelle.1492 Avec cette pratique,
« il entre dans la jurisprudence du jury un élément d’arbitraire et de fantaisie qui imprime
aux verdicts ce caractère incalculable et imprévisible », disait Geesteranus.1493 De cette
façon, « la justice est privée de ces balances ».1494 Il est toutefois frappant de constater les
différences considérables entre les infractions poursuivies, ce qui témoigne d’une certaine
manière d’une justice de classe.1495 En particulier, l’on notait peu d’acquittements dans le
domaine de vols, incendies et escroqueries comparé aux infractions contre les personnes. Le
jury étant « galant et propriétaire »1496, il semblait particulièrement austère pour les
infractions dont il pouvait craindre de devenir lui-même la victime et singulièrement
indulgent pour celles qui ne le touchait pas en tant que victime ultérieure potentielle.1497 Il
réserva sa bienveillance aux crimes passionnels.1498 Bien évidemment de tels acquittements
dits scandaleux n’étaient pas exempts de risques. La perspective d’une impunité probable

1487
G. MICKELER, « Le jugement des peines perpétuelles : le cas des assises d’Eure-et-Loir au XIX siècle » in AFHJ,
La cour d’assises. Bilan d’un héritage démocratique, Paris, La documentation française, 2001, p. 46.
1488
P. MIMIN, « Le concours du jury à la détermination de la peine », l.c., p. 342 ; pour le système de questions, infra,
n° 308 et s.
1489
Corentin Guyho, cité par A.M. MANCHE, o.c., p. 34.
1490
P. REUTENAUER, l.c., p. 145.
1491
L. JAUME, l.c., p. 113.
1492
C. GERBET, o.c., p. 178 et A. TOULEMON, l.c., p. 126.
1493
H. MAAS GEESTERANUS, l.c., p. 66.
1494
H. MAAS GEESTERANUS, l.c., p. 69.
1495
A. CHRISTIN, « Jurys populaires et juges professionnels en France ou comment appréhender le jugement pénal »,
Genèses 2006, p. 140.
1496
P. SAVEY-CASARD, l.c., p. 331.
1497
P. REUTENAUER, l.c., p. 145.
1498
L. GRUEL, « Le code non écrit des juges populaires », La Revue Tocqueville 1997, Vol. XVIII n° 2, p. 79.

250
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

était en effet une vraie force d’attraction vers le crime et l’épanchement d’un « fleuve de
sang ».1499 Un déplorable amoindrissement de l’autorité de la justice en découlait. L’opinion
publique ne resta dès lors pas muette et protesta contre l’incohérence du jury et de ses
oracles : le jury acquitte l’accusé et la société condamne le jury1500, de sorte que « la lune de
miel entre le jury et l’opinion publique est sensiblement gâtée »1501. Toutefois, sur le plan
politique, le jury demeurait et demeure toujours une institution intangible. Certains préfèrent
alors imputer ces acquittements ‘pervers’ aux représentants du ministère public qui, face à
une défense éloquente, ne seraient pas assez talentueux pour convaincre les jurés.1502

246. Ainsi que l’analyse William Roumier, le cloisonnement classique n’est pas
seulement une aberration en termes de bon sens ; il émerge même comme une fiction
juridique.1503 On a confié deux opérations intellectuelles qui doivent constituer un acte de
conscience, à deux organismes distincts qui doivent s’ignorer.1504 Or, la décision pénale ne
forme-t-elle pas un tout ? Les faits sont-ils clairement séparables des considérations du droit ?
Qu’est-ce qui constitue un fait et qu’est-ce qui représente le droit?

De manière générale une distinction pourrait être opérée entre des faits bruts, qui sont
observés par des témoins et prouvés oralement ou par des déclarations faites antérieurement,
des conclusions tirées de ces faits et des classifications qui traduisent les faits dans une
description légale. Les faits bruts et les conclusions de ces faits sont à première vue des
questions de fait, qui nécessitent des preuves, a contrario les classifications qui sont, dans le
contexte du contrôle de la Cour suprême, des questions de droit qui exigent des
arguments.1505 Pourtant, cela n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Des faits purement bruts
n’existent pas ou sont très rares.1506 Ceux-ci incarnent par ailleurs, toujours, une inférence
avec le problème de classification. Dans une procédure juridique, chaque fait est fondé sur
des règles légales. Ainsi le fait et le droit sont inextricablement enchevêtrés1507, à l’instar des
formes et de la substance. Comme il est difficile de situer l’instant où le jour supplante la
nuit1508, il est difficile de dire où l’appréciation des faits se termine et où commence le
raisonnement légal et moral. En réalité le jury ne se limite pas à la considération des faits. Sa

1499
M. Sudraud lors du débat du 21 déc. 1928 sous la présidence de M. le président DE VALLES, « Faut-il supprimer le
jury ? », RPDP 1928, p. 240-241.
1500
S. Glaser, cité par C. GERBET, o.c., p. 209 et A.M. MANCHE, o.c., p. 10.
1501
A.M. MANCHE, o.c., p. 130.
1502
V. par exemple L. Latzarus lors du débat du 21 déc. 1928 sous la présidence de M. le Président DE VALLES,
« Faut-il supprimer le jury ? », RPDP 1928, p. 265.
1503
W. ROUMIER, o.c., p. 270, n° 495.
1504
A. TOULEMON, l.c., p. 127.
1505
C. MORRIS, « Law and Fact », Harv. L.Rev. 1941-42, p. 1303-1341.
1506
L. MORAWSKI, « Law, Fact and Legal Language », L. & Phil. 1999, p. 462.
1507
A.M. MANCHE, o.c., p. 24 ; G. MARSHALL, « Provisional Concepts and Definitions of Fact », L. & Phil. 1999, p.
449 et P. REUTENAUER, l.c., p. 145.
1508
P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 61.

251
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

mission va plus loin. En effet, il y a une dimension légale dans la mission du jury. Au-delà
des questions de faits, il s’agit de savoir si le droit s’applique aux faits.1509 Le jury ne se
prononce pas seulement sur ce qui s’est passé, mais également sur le caractère répréhensible
des actes et la pertinence d’une sanction. On ne demande pas aux jurés de déterminer les
faits, on leur demande de déclarer la culpabilité ou l’innocence. S’il ne s’agissait que des
faits, on ne leur demanderait pas de déclarer coupable ou innocent, mais on leur demanderait
si les faits ont bien eu lieu.1510 Pour déclarer la culpabilité ou l’innocence, le jury recourt à
des concepts juridiques de sorte qu’il fait implicitement mais nécessairement du droit.1511 En
outre, bien que les questions doivent être posées en fait1512 — à titre d’exemple, s’agissant
d’assassinat, les jurés doivent répondre à la question de savoir si l’accusé a donné
volontairement la mort à la victime avec préméditation, ce qui occulte les étiquettes légales
de meurtre et d’assassinat — la loi pénale a omis la définition de certains crimes, de sorte
qu’on ne peut les soumettre au jury que sous leur qualification légale. Souvent les questions
sont alors mélangées de fait et du droit.1513 Penser que « devant le jury il n’y pas de droit, il
n’y a que le fait » et que « même le droit est du fait »1514, est faux. Ainsi, le jury se prononce
par exemple sur la complicité, sur l’existence de causes d’exonération telles que la contrainte
irrésistible (art. 71 CPB), de causes d’excuse comme la provocation, de causes de
justification comme la légitime défense, de circonstances aggravantes à l’instar de la
préméditation, etc.

Malheureusement les questions juridiques se réduisent souvent à des cours de droit


accélérés et à des explications simplificatrices.1515 Ainsi que nous l’avons évoqué
précédemment, le jury peut se méprendre sur le contenu de ces concepts juridiques ou leur
conférer une portée non conforme à la loi ; un inconvénient d’autant plus préoccupant
prenant égard à la complexification de certaines formes de criminalité. A chaque nouveau
jury, une nouvelle initiation juridique doit être dispensée par le président. Or, certains jurés
peuvent s’avérer résolument rebelles à la langue du droit.1516

1509
C. MORRIS, l.c., p. 1316.
1510
C. GLEADOW, The History of Trial by Jury in the Spanish Legal System, Lewiston, The Edwin Mellen Press, 2000,
p. 219.
1511
J. Verhaegen, cité par R. DECLERCQ, « Het hof van assisen veroordeeld » in P. ARNOU (éd.), Om deze redenen.
Liber Amicorum Armand Vandeplas, Gand, Mys & Breesch, 1994, p. 105.
1512
Crim. 7 oct. 1825, Bull. crim. 199 et Crim. 15 juin 1827, Bull. crim. 146 (W. ROUMIER, o.c., p. 270-271, n° 497).
V. également Pand.b., v° La cour d’assises, p. 502, n° 2240 (infra, n° 309).
1513
V. même au 18ème siècle lorsque Lord Mansfield a statué que « By means of a general verdict [jurors] are
entrusted with a power of blending law and fact, and follow the prejudices of their affections or passions » (Shipley
1784, 4 Douglas 73, cité par P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 59-60).
1514
R. DECLERCQ, « Het hof van assisen veroordeeld », l.c., p. 105.
1515
A. MASSET, « Propos pour la suppression de la cour d’assises » in F. VERBRUGGEN, R. VERSTRAETEN, D. VAN
DAELE et B. SPRIET (éd.), Strafrecht als roeping. Liber amicorum Lieven Dupont, Louvain, Universitaire Pers Leuven,
2005, p. 912.
1516
A. TOULEMON, l.c., p. 128.

252
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

§ 2 — DES PASSERELLES VISAFT A UFE SYMBIOSE FRUCTUEUSE EFTRE LES


JUGES PROFESSIOFFELS ET LES JURES

247. Afin de pallier les écueils découlant d’une dichotomie stricte, le législateur
continental, reconnaissant la relativité de la séparation, autorisa des passerelles entre
l’élément populaire et l’élément professionnel. Au lieu de deux arbitres étrangers, les jurés et
les juges de carrière deviennent des contrepouvoirs réciproques, les uns associés dans
l’application de la peine, les autres impliqués dans le jugement des faits (A — L’immixtion
réciproque des jurés et juges professionnel en droit continental). En droit anglais, en
revanche, un rôle plus déterminant semble incomber au président de la Crown Court par le
fameux summing-up, qui lui permet de résumer l’affaire à la fin des débats (B — L’intrusion
unilatérale du juge professionnel en droit anglais).

A — L’IMMIXTION RECIPROQUE DES JURES ET DES JUGES


PROFESSIONNELS EN DROIT CONTINENTAL

248. Les ‘errements’ d’un jury soucieux d’endiguer la sévérité excessive du corps
professionnel conduisirent le législateur français et le législateur belge à associer le jury à la
délibération relative à la détermination de la peine. Redessinant ainsi, lentement, les rapports
entre les deux juges, il semble à première vue que les jurés disposent d’une emprise accrue
sur le procès criminel, ceux-ci se prononçant désormais sur la culpabilité tout en étant
impliqués dans l’attribution de la peine (1). Par ailleurs, afin d’éviter les erreurs judiciaires
susceptibles d’en résulter, le législateur avait, sous certaines conditions et par le procès
d’autorégulation, donné aux juges professionnels une voix dans la décision sur la culpabilité
(2). Au lieu d’une séparation radicale, le législateur prenait dès lors progressivement
conscience de la plus-value conférée par une certaine complémentarité.

1. L’association des jurés dans la détermination de la peine

249. En France, le système des circonstances atténuantes fut introduit par la loi du 25
juin 18241517. Celle-ci réservait l’octroi des circonstances atténuantes à un nombre restreint
de crimes punissables de pénalités inférieures, tels que l’infanticide maternel, certains coups
et blessures volontaires, le vol sur chemin public, le vol avec effraction et le vol dans les
champs et les auberges. Dans ces cas de figure, la cour à l’exception du jury (en raison de la
séparation des pouvoirs), avait la possibilité d’accorder des circonstances atténuantes.
Compte tenu du caractère insuffisant de cette loi et afin d’assurer une répression prompte et

1517
Duvergier, p. 515.

253
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

souple, tout en tarissant la méfiance du jury à l’égard des magistrats de carrière, la loi du 28
avril 18321518 permettait aux jurés de délibérer et de voter sur les circonstances atténuantes
dans toutes les affaires. Cette loi est souvent considérée comme la première entorse à la
séparation du fait et du droit, qui amenuise la barrière entre les magistrats et les jurés. En
effet, pour octroyer des circonstances atténuantes il faut bien considérer les conséquences de
son verdict. Si l’octroi même est bien une question de fait, la conséquence, à savoir la
diminution du degré la culpabilité de l’accusé, excède le domaine des faits.1519 Plus
particulièrement, lorsque les juges populaires retenaient des circonstances atténuantes, la cour
était obligée de descendre d’un degré maximum dans l’échelle des peines. La cour pouvait
ensuite minorer une nouvelle fois la peine d’un degré. Mais, cette deuxième mitigation
n’étant que facultative, ce système n’offrait pas de certitude aux jurés et n’était guère
suffisant en dépit de l’usage systématique qu’en faisaient les jurés, dépourvu de toute
réalité.1520 Les jurés ne pouvaient dès lors pas peser selon leur gré sur l’application de la
peine.1521 Le taux d'acquittement diminuait légèrement mais resta substantiel tout au long du
19ème siècle.1522

250. Souvent, les jurés tentaient d’obtenir, lors des débats, des informations sur les
peines encourues. Les avocats de la défense et le parquet anticipaient souvent sur un tel souci
dans leurs plaidoiries.1523 Si le jury est informé de la nature et de la portée de la peine, « il ne
doit plus marcher à l’aveugle », tel paraît être leur devise.1524 Avec pour seul risque une
injonction du président ou une sanction disciplinaire, le procès lui-même demeurait en effet
régulier.1525 En dépit des anciens articles 342 § 21526 et 343 du Code d’instruction criminelle
relatif au secret de la délibération, une pratique officieuse consistait à inviter le juge dans la
salle de délibération pour obtenir des éclaircissements ; pratique sur laquelle la Cour de
cassation a fermé les yeux.1527 Les magistrats de carrière et les jurés populaires qui devraient

1518
Loi du 28 avril 1832 contenant des modifications au Code pénal et au Code d’instruction criminelle, Duvergier,
tome 32, p. 215.
1519
W. ROUMIER, o.c., p. 271, n° 497.
1520
Ibid. En jugeant ce système insuffisant, J.-F. Bozérian (ainsi que Chaumie et Leydet par la suite) plaida, en 1885,
pour l’attribution au jury de la faculté — à la majorité des voix — d’accorder des circonstances très atténuantes. Cela
lui permettrait d’être indulgent sans aller jusqu’à l’acquittement. La peine pourrait ainsi être minorée jusqu’à une
peine correctionnelle minime. Cette proposition s’avérait pourtant discutable, ce pouvoir étant susceptible d’aboutir
au sacrifice de la souveraineté de la loi et de la conscience publique, tout en induisant des abus ainsi qu’un risque de
multiplication des crimes (L. BASTIDE, o.c., p. 20 et p. 28 et s. et H. VERDUN, o.c., p. 94).
1521
W. ROUMIER, o.c., p. 273, n° 501.
1522
G. MICKELER, l.c., p. 50-51 et A.M. MANCHE, o.c., p. 36.
1523
M. PATIN, « Le problème de l’organisation de la cour d’assises » in X, Les principaux aspects de la politique
criminelle moderne. Recueil d’études en hommage à la mémoire du professeur Henri Donnedieu de Vabres, Paris, Ed.
Cujas, 1960, p. 222.
1524
P. SAVEY-CASARD, l.c., p. 342.
1525
W. ROUMIER, o.c., p. 271-272, n° 498.
1526
En vertu de cet article les professionnels ne pouvaient pas faire des déclarations quant aux conséquences pénales.
Mais il n’y avait pas de nullité lorsqu’ils les indiquaient quand même (P. REUTENAUER, l.c., p. 118).
1527
Crim. 22 mars 1883, Bull. crim. 80 et Crim. 14 déc. 1895, Bull. crim. 331.

254
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

s’ignorer selon la lettre de la loi, se parlaient donc bien dans les faits.1528 La loi française du
10 décembre 19081529 entérinait cette pratique en autorisant formellement au président,
accompagné par le ministère public, le défenseur de l’accusé et le greffier, à accéder à la
chambre de délibération pour donner des explications sur le droit ou même des indications
sur les suites éventuelles de la décision envisagée par les jurés.1530 Des acquittements
immérités pouvaient ainsi être évités. Toutefois ce secours n’était que passager et s’avérait
insuffisant. La loi de 1908 n’avait pas non plus permis de diminuer le nombre
d’acquittements.1531 Afin d’y remédier, il pourrait s’avérer préférable de satisfaire à la
curiosité des jurés avant leur retraite dans la salle de délibération en leur donnant
préliminairement des indications sur les peines encourues et l’effet des circonstances
atténuantes.1532 Une autre solution, plus radicale, consistait — rappelons-le — en des vagues
de correctionnalisation entreprises par le législateur pour faire accorder les lois pénales avec
l’évolution de la société et diminuer la désapprobation qui semble exister dans l’esprit des
jurés.1533

251. Par la loi du 5 mars 1932 le législateur français jugeait opportun d’associer les
jurés directement à la détermination de la peine au lieu de seulement les informer sur ce
point.1534 Consacrant la désuétude de l’ancien article 342 du Code d’instruction
criminelle1535, cette loi couronnait la maîtrise du jury sur la peine tout en rendant inutile le jeu
peu sincère des réponses mensongères aux questions1536 visant à obtenir le résultat souhaité.
Cette loi a introduit le délibéré mixte sur le plan de la punition, en suivant l’exemple belge de
1919, grâce à la loi Émile Vandervelde,1537 qui s’éloigne sur ce point bien du droit anglais où
la séparation formelle est toujours effective de nos jours. La peine serait désormais fixée par
un collège de magistrats et de laïcs (art. 362 CPP et art. 343 CIC). Substituant un système de

1528
A. TOULEMON, l.c., p. 131.
1529
Loi du 10 décembre 1908 modifiant l’article 343 du Code d’instruction criminelle, JORF 12 déc. 1908, p. 8508.
1530
W. ROUMIER, o.c., p. 272, n° 498. Il faut le mentionner sur le procès-verbal. La version actuelle figure dans l’art.
328 al. 2 CIC qui requiert la présence de la cour, du greffier, de l'accusé et de son défenseur, de la partie civile et de
son conseil, du ministère public lorsque le président donne des explications complémentaires aux jurés pendant leur
délibération.
1531
Peut-être les jurés hésitaient de solliciter l’aide du président ou le président n’a pas donné suite aux soucis
exprimés lors de cet entretien. Le président n’ayant pas le pouvoir d’interroger les jurés, il n’est en outre pas
improbable qu’il ait ignoré leurs difficultés.
1532
P. REUTENAUER, l.c., p. 125.
1533
Supra, n° 104.
1534
Loi du 5 mars 1932 ayant pour objet d’associer le jury à la cour d’assises pour l’application de la peine, JORF 7
mars 1932, p. 2490.
1535
Supra, note 1526.
1536
Pour le système continental de questions, infra, n° 308.
1537
Art. 4 de la loi du 23 août 1919 sur la détention préventive, les circonstances atténuantes et la participation du jury
à l'application des peines, MB 25 août 1919, p. 4146. Avant cette date, il appartenait uniquement à la cour — et depuis
la loi du 15 mai 1838 aux juridictions d’instruction (supra, n° 38) — de considérer le bénéfice des circonstances
atténuantes en faveur de l’accusé. Les conditions des dommages-intérêts et restitutions qui sont des questions
purement pécuniaires restent l’œuvre de la cour (Exposé des motifs, Pasin. 1919, p. 352 et s.).

255
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

‘demi-séparation’1538 à la séparation absolue, ces lois ont marqué le véritable début de la


collaboration des citoyens avec les magistrats.1539

Selon certains auteurs, il était paradoxal ou en tout cas étrange de stigmatiser


l’incapacité du jury tout en finissant par étendre ses pouvoirs.1540 D’autres considéraient que
cette extension d’attributions n’était qu’illusoire, l’avis de la cour étant toujours
prépondérant.1541 Pourtant, au lieu d’être le fruit d’une réflexion accrue sur les pouvoirs et la
compétence du jury, la réforme résultait plutôt des inconvénients issus de la distinction entre
le fait et le droit et le risque d’acquittements immérités qui en découlait.1542 Ainsi elle n’avait
pas détruit la séparation mais uniquement creusé une large brèche à sens unique, abandonnant
le jury à ses propres lumières pour la décision sur la question de culpabilité.1543 En Belgique
l’association des jurés à la délibération sur la peine fut introduite en même temps qu’une
réflexion sur les circonstances atténuantes. Dès lors, elle s’inscrivait dans la recherche d’une
justice ‘plus saine’. Elle permettait en outre au jury d’examiner les faits avec une objectivité
accrue, celui-ci n’étant plus contraint, lors de la délibération sur la culpabilité, de se
préoccuper de la personnalité de l’auteur et de la peine.1544 Il semble que cette réforme fut
acceptée sans grande hostilité. Le représentant Charles Woeste y voyait toutefois un
précédent dangereux d’ingérence législative entamant l’indépendance du pouvoir judiciaire :
cela reviendrait à dire « vous avez jugé mal jusqu’à présent, vous avez acquitté, il fallait
condamner. Fous allons vous faciliter le besogne, et vous condamnerez désormais ».1545 Plus
tard, Maurice Garçon partageait cet avis en critiquant l’introduction en France de
l’association intégrale par la loi du 25 novembre 1941.1546 Loin d’améliorer l’exercice de la
justice en augmentant les garanties des justiciables, cela semblait viser à obtenir des

1538
Formule de P. Bouzat et J. Pinatel, cité par W. ROUMIER, o.c., p. 274, n° 502.
1539
Une telle réforme n’est pas issue du néant. Elle fut antérieurement proposée par Flandin en 1904, par Peret en
1906, par A. Briand en 1908 (Projet de loi ayant pour objet de conférer au jury criminel le pouvoir de délibérer sur
l’application de la peine, Doc.parl. Chambre des députés, sess. ord., séance du 20 mars 1908, annexe n° 1605, p. 242)
ainsi que par Debierre en 1919. Finalement la proposition émise par Bonnevay en 1925 inspira directement la réforme
en 1932 (M. GARÇON, « Faut-il modifier la composition et les attributions du jury ? », l.c., p. 468 et s. et W. ROUMIER,
o.c., p. 274, n° 502). Pareil système existait déjà en droit genevois qui, à cet égard, peut être considéré comme le
précurseur. V. également J. BARD, Etude comparative de l’échevinage et du jury, Thèse, Nancy, 1934, p. 99 ; A.M.
MANCHE, o.c., p. 13 ; P. REUTENAUER, l.c., p. 120 et P. SAVEY-CASARD, l.c., p. 336.
1540
A.M. MANCHE, o.c., p. 14 et P. SAVEY-CASARD, l.c., p. 337.
1541
Quel rôle incombe en effet aux braves gens « en présence d’un président de la cour d’assises en robe rouge, la
poitrine constellée de décorations et de deux autres magistrats en robe noire, tous trois gens de la loi, connaissant le
dossier et les textes à appliquer » ? (Doc.parl. Chambre 1918-19, séance du 13 août 1919, p. 1469).
1542
G. ROUJOU DE BOUBEE, l.c., p. 39.
1543
C. GERBET, o.c., p. 135-136.
1544
Doc.parl. Chambre 1918-19, séance du 13 août 1919, p. 1469.
1545
Doc.parl. Chambre 1918-19, séance du 13 août 1919, p. 1467.
1546
Infra, n° 269.

256
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

condamnations inenvisageables sans ces dispositions.1547 Déjà à cette époque le crime control
occupait dès lors le premier plan.

Selon les chiffres procurés par Claude Gerbet le taux d’acquittement a chuté en
France de 34% en 1931 à 25% en 1933, ce qui démontre que la réforme n’avait pas manqué
son objectif.1548 Toutefois, il semble que les jurés ont aussitôt compris qu’ils ne maîtrisaient
pas la peine et qu’il fallait continuer à user de réponses artificielles pour obtenir le taux
souhaité.1549 L’incertitude sur la nature et les limites de la peine encourue continuait de peser
sur le débat relatif à la culpabilité1550, l’absence d’assistance lors de cette délibération n’étant
dès lors pas dénuée de conséquences. Contrairement au système belge, qui continue à l’heure
actuelle de consacrer la relation entre les magistrats et les jurés dans une telle semi-
collaboration, la France envisagea d’emblée la loi de 1932 comme une mesure transitoire,
comme une étape vers une osmose accrue, un véritable ‘mariage’ des juges et des jurés.1551
Selon Henri Donnedieu de Vabres, il fallait en effet unir les qualités des magistrats et des
jurés pendant l’intégralité du procès plutôt que de restreindre arbitrairement cette
collaboration à la phase de la détermination de la peine.1552 Partageant cette opinion, Georges
Préot craignait — si on limitait la collaboration à la délibération sur la peine — que le débat
sur la culpabilité ne recommence avec le président.1553 Si l’on souhaite un amalgame, il faut
que celui-ci soit complet.1554 Pour la procédure belge, en revanche, la loi de 1919 reste la
dernière grande réforme concernant le rapport professionnel/profane. Ainsi que nous le
verrons ultérieurement, la collaboration entre les jurés et les magistrats de carrière introduite
par la nouvelle loi du 21 décembre 2009 ne concerne que la rédaction de la motivation a
posteriori à la prise de la décision sur la culpabilité et n’affecte pas la souveraineté du jury
sur le plan de la décision sur la culpabilité.1555

252. Le droit continental s’émancipait ainsi du système berceau du jury populaire : le


common law system. Certes, dans les pays anglo-saxons des voix s’élèvent parfois en faveur
de jury sentencing. Cela est notamment le cas aux Etats-Unis où le jury est dans le domaine
civil également compétent pour l’attribution des dommages-intérêts punitifs, la supériorité du

1547
M. GARÇON, l.c., p. 471.
1548
C. GERBET, o.c., p. 139.
1549
C. GERBET, o.c., p. 140.
1550
M. PATIN, « Le problème de l’organisation de la cour d’assises », l.c., p. 222.
1551
H. AUBRUN, l.c., p. 58 ; R. VOUIN, « Le destin de la cour d’assises française » in X, Le jury face au droit pénal
moderne. Travaux de la troisième Journée d’études juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 134 ; v.
également C. Gerbet qui parle d’une « condamnation à mort sans exécution » (C. GERBET, o.c., p. 142).
1552
H. Donnedieu de Vabres, cité par P. REUTENAUER, l.c., p. 146-147 ; v. également A.M. Manche selon lequel
« témoin, le jury veut être juge ; juge il a voulu connaître le châtiment ; le connaissant il a voulu le déterminer ; un
jour il veut être le maître » (A.M. MANCHE, o.c., p. 138-141).
1553
P. REUTENAUER, l.c., p. 147.
1554
Ibid.
1555
Infra, n° 334.

257
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

juge professionnel étant à cet égard mise en doute.1556 En Angleterre, le jury reste un étranger
au processus complexe de la détermination de la peine, qui conformément à la tradition,
incombe exclusivement au président de la Crown Court. Le jury peut seulement influencer la
peine en prononçant une condamnation pour une qualification inférieure si celle-ci lui a bien
été soumise.1557 A l’extrémité, il pourrait acquitter. On considérait que dans l’hypothèse où le
jury serait ajouté à la délibération sur la peine à infliger, il risquerait d’être plus facilement
incité à voter pour une condamnation.1558 Parfois le jury s’est pourtant spontanément efforcé
d’assortir son verdict de culpabilité d’une recommandation de clémence (mercy) afin
d’encourager le juge qui détermine les conséquences de la décision du jury à se montrer
indulgent.1559 Le président n’est pas contraint d’informer les jurés de cette possibilité, la cour
d’appel lui conseillant d’ailleurs de ne pas y faire allusion.1560 En outre, si le jury fait une
recommandation, le président maintient toute sa liberté. Il peut par exemple évoquer la
mauvaise réputation de l’accusé (traditionnellement inconnue aux jurés) pour repousser la
requête.1561 La cour d’appel s’est même opposée à ce type d’initiative émanant du jury pour
éviter des pressions des jurés sur un de leurs collègues hésitants.

2. L’implication des juges professionnels dans le domaine de la culpabilité

253. Concernant la culpabilité, la distinction entre les magistrats de carrière et les


citoyens-juges n’est pas non plus très stricte. Les professionnels n’ont en effet jamais été
entièrement étrangers aux questions de fait. En 1791 déjà, le législateur français prévoyait
une garantie contre des condamnations injustes. Le décret du 29 septembre – 21 octobre 1791
accordait ainsi aux juges professionnels la possibilité de provoquer, à l’unanimité, une
nouvelle décision émanant d’un jury ‘renforcé’.1562 En particulier, ce décret permettait au
tribunal, lorsqu’il jugeait la condamnation du jury injuste, d’ordonner une seconde réunion du
jury, maintenant avec les trois jurés adjoints ayant également assisté aux débats. Afin
d’optimiser leur légitimité, ce jury renforcé ne pouvait décider qu’à une majorité qualifiée de
quatre cinquièmes des voix.1563

1556
M.B. HOFFMAN, l.c., p. 951-1010.
1557
Infra, n° 310.
1558
W.R. CORNISH, o.c., p. 167-168.
1559
Sykes [1957] Cr. App. R. 688 et W.R. CORNISH, o.c., p. 165-166.
1560
Larkin [1943] 1 All E.R. 217.
1561
G. WILLIAMS, o.c., p. 339.
1562
V. également les art. 415 à 417 Code du 3 brumaire an IV (J. HILAIRE, « Un peu d’histoire » in X, Justice et
double degré de juridiction, Paris, Dalloz, 1996, p. 15).
1563
B. FAYOLLE, l.c., p. 85 et R. MARTINAGE, l.c., p. 36.

258
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

254. L’ancien article 352 du Code d’instruction criminelle allait plus loin en
permettant aux magistrats de la Cour, s'ils estimaient à l’unanimité des voix1564 que les jurés
s’étaient trompés au fond, de surseoir au jugement et de renvoyer l'affaire à une session
ultérieure afin d’être soumise à un nouveau jury composé différemment, et dont sont exclus
les jurés partie prenante à la décision annulée.1565 Cette décision devait être prononcée
immédiatement après la déclaration du jury.1566 En France, ce pouvoir ne fut que rarement
exercé avant d’être aboli par la loi du 25 novembre 1941 introduisant une coopération
intégrale.1567 En Belgique, où le délibéré mixte sur la culpabilité ne fut jamais introduit et où
le jury reste seul maître de la décision sur la culpabilité, cet article a survécu. Par la loi du 21
décembre 2009, il obtient un nouveau contenu avec l’introduction de l’obligation de motiver
les décisions criminelles (nouvel art. 336 CIC)1568.

En vertu de l’ancien article 352 du Code d’instruction criminelle, un tel pouvoir


incombe à l’appréciation souveraine de la cour1569, mais uniquement en cas de verdict de
condamnation.1570 La cour prend sa décision sans débat ni motivation1571. Un pourvoi en
cassation est seulement possible après l’arrêt définitif rendu au terme du nouvel examen de la
cause.1572 Selon Adrien Masset, une telle disposition, témoigne de « la faillibilité du jury et
surtout [...] de la supériorité qualitative de l’appréciation des juges professionnels ».1573 Aux
yeux de Faustin Hélie, en revanche, la souveraineté du jury populaire n’est pas entamée dans
la mesure où il ne s’agit que d’une simple transposition de la décision à un autre peuple, un
jury bis.1574 Les juges de carrière ne prennent pas la place des jurés, ils constatent seulement
leur erreur. S’agissant d’un second examen effectué par un jury radicalement différent, ce
privilège pourrait être envisagé comme une sorte de précurseur de l’appel ‘tournant’ introduit
en France par la loi du 15 juin 20001575. La déclaration du nouveau jury doit en tout cas être
respectée, même lorsqu’elle s’avérait identique à la décision du premier jury. L’extrême

1564
Connaissant à l’origine aussi l’exigence d’unanimité, la loi française du 9 septembre 1835 ne prévoyait que la
majorité (Duvergier, tome 35, p. 277).
1565
B. FAYOLLE, l.c., p. 85.
1566
P. MORLET, « La cour d’assises » in X, Droit pénal et procédure pénale, Malines, Kluwer, 2008, p. 58, n° 249.
1567
J. HILAIRE, l.c., p. 15.
1568
Infra, n° 337.
1569
Cass. 1er déc. 1958, Pas. 1959, I, p. 328.
1570
Après un acquittement, le président ne peut ordonner des poursuites que pour des infractions ne relevant pas de la
première poursuite mais dont les débats ont fait apparaître la possibilité. Le président dispose ainsi de la faculté —
sans assesseurs et sans jury — de renvoyer au juge d’instruction et peut même ordonner un mandat d’amener ou un
mandat d’arrêt (R. DECLERCQ, R. DECLERCQ, Beginselen van strafrechtspleging, Malines, Kluwer, 2007, p. 1069, n°
2457).
1571
Cass. 30 janv. 2007, FC 2008, p. 64, Pas. 2007, p. 207 et T.Strafr. 2007, p. 313, note.
1572
P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 58, n° 251. En revanche, le nouvel art. 337 CIC issu de la loi du 21
décembre 2009 semble prévoir un pourvoi en cassation immédiat contre cette décision de renvoi (infra, n° 374).
1573
A. MASSET, « Propos pour la suppression de la cour d’assises », l.c., p. 913.
1574
F. HELIE, o.c., tome III, n° 5239.
1575
Infra, n° 376.

259
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

réticence des juges de robe à user ce pouvoir1576, semble d’ailleurs témoigner de la volonté de
consacrer le verdict du jury.

Ainsi que nous l’esquisserons ultérieurement, le nouvel article 336 du Code


d’instruction criminelle attribue un pouvoir similaire à la cour en cas de condamnation, non
plus si elle est unanimement convaincue que les jurés se sont trompés au fond, mais si elle
est, lors de la rédaction de la motivation, convaincue qu’ils se sont manifestement trompés
concernant « les principales raisons, en particulier en ce qui concerne la preuve, le contenu
de termes juridiques ou l’application de règles de droit, ayant mené à la décision ». Si la
cour considère que le jury a pris la mauvaise décision, mais constate que cette décision peut
être motivée sur la base des preuves, elle ne peut rien faire. Cette reformulation témoigne-t-
elle de la conscience du législateur d’une plus grande application de cet article avec
l’introduction d’une motivation a posteriori et de sa volonté d’y remédier en mettant à l’abri
la décision du jury au fond et ainsi sa souveraineté ?

255. La tâche des magistrats ne consiste toutefois pas seulement à corriger les
éventuelles erreurs du jury. En droit belge, leur voix peut même, dans les limites de l’ancien
article 351 du Code d’instruction criminelle qui est intégralement consacré par la loi du 21
décembre 2009 (art. 335 CIC), s’avérer prépondérante lors de la prise de décision. En effet,
les jurés délibérant seuls sur la culpabilité, les magistrats peuvent intervenir lorsque les
citoyens-juges ne se prononcent en faveur d’une condamnation1577 qu’avec une majorité
simple de sept voix contre cinq.1578 Il en découle que les jurés sont obligés d’indiquer lorsque
leur verdict émane d’une telle majorité.1579 Les professionnels peuvent ainsi inverser le
verdict de culpabilité lorsque la décision a été prise à une majorité particulièrement
étroite.1580 Selon Karin Gérard, cela s’avère davantage fréquent qu’on ne le pense.1581 A notre
avis, l’exigence d’un recours à l’opinion de professionnels en cas d’une majorité trop étroite

1576
Il n’y aurait été que trois exemples jurisprudentiels. La première application daterait de 1857 (A. MASSET,
« Propos pour la suppression de la cour d’assises », l.c., p. 913 et J. VERHAEGEN in ULB Ecole de sciences
criminologiques Léon Cornil, Quel avenir pour le jury populaire en Belgique ?, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 29).
1577
Pour les circonstances aggravantes, une majorité simple suffit, de sorte que la décision ne peut sur ce point jamais
être déférée à la cour. Si, concernant le fait principal, deux questions sont posées au jury et celui-ci répond par une
majorité simple à la première et à une majorité qualifiée à la seconde, la cour devrait délibérer sur le tout (Cass. 7 mai
1850, Pas. 1850, p. 399 et Cass. 25 janv. 1864, Pas. 1864, p. 37).
1578
Abolie par la loi du 10 juillet 1967, cette disposition fut rétablie par l’art. 152 de la loi du 10 octobre 1967
contenant le Code judiciaire, MB 31 oct. 1967, p. 11360 (infra, n° 289).
1579
Le président doit informer les jurés sur ce point. Cette indication n’est pas nécessaire et est même interdite pour
une circonstance aggravante ainsi que pour une réponse favorable à l’accusé (Cass. 4 janv. 1971, Arr.Cass. 1971, p.
426). Une telle communication n’entraîne toutefois pas la nullité (Cass. 11 oct. 2005, Pas. 2005, p. 1898 et RW 2007-
08, p. 1238, note A. VANDEPLAS et R. DECLERCQ, o.c., p. 1068, n° 2454).
1580
Pourtant, lorsqu’une question subsidiaire a été posée il n’y aura pas ipso facto l’acquittement si la cour se rallie à
la minorité des jurés. Dans ce cas, le jury doit être renvoyé dans la salle de délibération pour se prononcer sur la
question subsidiaire (Cass. 19 sept. 2007, RDPC 2008, p. 284 (R. DECLERCQ, o.c., p. 1068, n° 2453 ; v. également
Pand.b., v° La cour d’assises, p. 634, n° 2943).
1581
K. Gérard in N. GHISLAIN, « Cour d’assises, levez-vous! », Journ.jur. 2002, n° 14, p. 2-3.

260
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

témoigne d’une certaine méfiance à l’égard des jurés. La souveraineté du jury se trouve, dans
ce cas, amoindrie, les magistrats pouvant, à la majorité de leurs membres, prendre une
décision contraire à celle de la majorité des jurés.1582 Le législateur a ainsi admis que les jurés
peuvent se tromper. En droit français, une telle disposition fut supprimée par la loi du 4 mars
1831 qui exige une majorité de plus de sept voix.1583

256. En outre, dans les deux systèmes continentaux la cour proprement dite est
compétente pour les questions de droit et les incidents soulevés devant elle. Elle exerce ce
pouvoir par voie d’arrêt avant de dire droit et est soumise aux règles ordinaires relatives à la
motivation et à la publicité.1584 En Belgique, les trois magistrats constituant la cour donnent
des arrêts avant de dire droit dans cinq cas : lorsqu’elle se prononce sur les moyens visés à
l’article 235bis du Code d’instruction criminelle qui sont soulevés par les parties en vertu de
l’article 291 du même code (ancien art. 312bis CIC) ; lorsqu’elle prend une décision comme
juridiction, par exemple de huis clos ou de renvoi de l’affaire à une autre audience ; quand le
ministère public (par réquisition) ou les parties (par conclusions) s’opposent à des mesures
prises ou ordonnées par le président (dans ce cas elle peut uniquement apprécier si cet acte
rentre ou non dans la sphère du pouvoir discrétionnaire et, si tel est le cas, elle ne peut que
constater son incompétence1585) ; lorsqu’elle donne acte des faits dont le ministère public ou
les parties demandent la constatation et ainsi accueille ou rejette la demande ou restitue aux
faits leur portée réelle1586 et enfin en cas de remplacement des jurés effectifs par des jurés
supplémentaires.1587 En cas d’incident, la cour est donc amenée à statuer sur des points de fait
quand l’incident a entre autres trait aux débats. Il est alors abusif de dire que la cour est le
simple juge du droit.1588

257. De manière indirecte, le juge professionnel dispose d’un rôle crucial dans
l’admissibilité de preuves. Cela est également le cas pour son homologue anglais (procédure
de trial within a trial)1589. La sélection des preuves par le magistrat de carrière conditionne et
régit le déroulement de l’audience. En vérifiant si l’affaire est apte à être soumise à la

1582
Ainsi que le fait remarquer R. Declercq, le législateur est dans ce cas (plus douteux) pourtant moins exigeant. En
particulier, pour décider seul, les jurés ont besoin d’une majorité de huit voix contre quatre (ou 2/3 de leurs membres).
Pour obtenir une condamnation après l’intervention de la cour en cas d’une majorité simple, il faut que deux
professionnels s’adjoignent aux sept jurés. Cela porte finalement le nombre de votes en faveur d’une condamnation à
neuf sur quinze (ou 3/5) (R. DECLERCQ, « Het hof van assisen veroordeeld », l.c., p. 106).
1583
Loi du 4 mars 1831 relative à la composition de la cour d’assises et aux déclarations du jury, JORF 20 août 1944.
1584
P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 46, n° 90.
1585
P. Morlet redoute que le fait de statuer sur le bienfondé de cette décision soit en soi une cause de nullité,
soulignant que la question n’a jamais comme telle été soulevée à la Cour de cassation ainsi que le flou doctrinal à cet
égard (P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 48, n° 93).
1586
P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 48, n° 94.
1587
P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 47, n° 92.
1588
P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 46, n° 90.
1589
Supra, n° 197.

261
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

juridiction des jurés, le président anglais joue un rôle crucial en tant que filtre. Avant le
commencement du procès, celui-ci dispose même du pouvoir d’acquitter l’accusé en raison
de la faiblesse de l’affaire et de l’insuffisance de preuves procurées par l’accusation (ordered
acquittals). L’objectif d’une telle prérogative réside d’une part dans la protection de l’accusé
contre le pouvoir de la Prosecution qui, ne disposant pas de preuves suffisantes, espère
combler cette faiblesse par le contre-interrogatoire et d’autre part dans la volonté d’éviter
qu’un verdict pervers ne soit rendu par des jurés. Interviennent également des considérations
d’ordre gestionnaire : en arrêtant des affaires trop faibles, on évite un gaspillage déplorable
en termes de ressources et de temps. Une fois le procès a commencé, le président ne peut
qu’ordonner aux jurés de prononcer un acquittement (directed acquittal) par son pouvoir de
sum up.

B — L’INTRUSION UNILATERALE DU JUGE PROFESSIONNEL EN DROIT


ANGLAIS

258. En droit anglais la séparation du fait et du droit n’a jamais empêché une
influence importante exercée par le juge de robe. En dépit de la séparation apparente entre le
jury — juge de faits — et le président — juge de la peine —, il existe une importante
passerelle unilatérale entre les deux qui met clairement en exergue que le président est loin
d’être un arbitre neutre, mais davantage un protagoniste fort dans la découverte de la vérité.
En témoigne, à la fin des débats et avant le retrait du jury dans la salle de délibération, son
summing-up qui lui permet de dessiner et de conditionner la mission des jurés (1). Avec ce
pouvoir, le juge est en mesure de tâter les frontières de sa propre mission compte tenu de la
distinction floue entre ‘conseiller’ les jurés et les ‘diriger’ dans la direction souhaitée (2).

1. Le summing-up du président anglais

259. En droit anglais, le dernier mot n’incombe pas à l’accusé1590 mais au juge. Cela
relativise sans doute le rôle plutôt passif qui lui est traditionnellement dévolu dans un modèle
accusatoire. L’objectif d’une telle procédure est de procurer des repères aux citoyens
ordinaires, censés décider si l’accusé est coupable, non en termes ordinaires du mot, mais en
définitions du droit.1591 Il s’agit également de les aider à résoudre les questions cruciales, ce

1590
En France, cette règle (art. 346 al. 3 CPP) a une portée générale et s’impose aussi devant la chambre de
l’instruction (Crim. 2 mars 2010, D. Actualité 26 avr. 2010, obs. C. GIRAULT).
1591
Le président informe les jurés du contenu de son rôle (Wootton [1990] Crim. L.R. 201) ; il leur précise leur devoir
de choisir parmi eux un chef du jury, ainsi que la nécessité, dans la mesure du possible, de rendre une décision à
l’unanimité des voix (supra, n° 292). En cas de qualifications alternatives, il les informe de la nécessité de s’accorder
sur la même qualification (A.J.C. SMITH, « Satisfying the Jury », Crim. L.R. 1988, p. 335-344. Si par exemple six
jurés sont convaincus que A est prouvé, alors que les six autres optent pour B, il est injustifiable de dire que le jury
entier est d’accord avec la culpabilité de l’accusé ; v. par exemple Agbim [1979] Crim. L.R. 171 et Mitchell [1994]
Crim. L.R. 66).

262
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

qui présume déjà que le jury a besoin de cette aide et témoigne de la perception britannique
de la faillibilité des jurés : « gentlemen of the jury, the facts of this distressing and important
case have already been put before you some four or five times, twice by prosecuting counsel,
twice by counsel for the defense and once at least by each of the various witnesses who have
been heard ; but so low is my opinion of your understanding that I think it is necessary, in the
simplest language, to tell you the facts again ».1592 Hormis l’assistance aux jurés visant à
l’obtention d’un verdict juste, raisonné, et fondé sur les preuves présentées lors des débats, le
summing-up du président constitue, pour certains auteurs, un garde-fou contre les préjugés
potentiels des jurés. Il permettrait de purger l’effet d’une publication préjudiciée aux procès
d’assises et de préserver les jurés des interprétations ‘abracadabra’ de certains avocats
influents.1593

260. Pour mesurer l’impact particulier du président dans cette phase cruciale du
procès, il convient d’analyser la portée de ces directions. Jusqu’où peut-il aller ? En 1745 le
juge était seulement à la disposition du jury pour lui expliquer le droit.1594 Notamment, avec
son résumé à la fin des débats le juge anglais procurait aux jurés des explications concernant
le droit à appliquer aux faits ; il explicitait les notions techniques (telles que « recklessness »,
« malicious »), les concepts juridiques méconnus des citoyens ordinaires (tel que
« grievous »)1595, ainsi que les différents ingrédients de l’accusation1596. Sa compétence s’est
ensuite graduellement étendue.

Puisque le jury peut aller au-delà de la règle du droit et échappe donc à l’application
stricte de la loi, le juge a aussi le devoir d’éviter que le jury soit trompé par des preuves
faibles.1597 Il leur donne un résumé des preuves et des arguments présentés par les deux
parties et les guide, même en termes forts, vers une approche systématique, logique et
rationnelle des preuves. Il rappelle également aux jurés leur responsabilité dans la prise de
décision sur les faits tout en insistant sur le traitement nécessairement individualisé des
accusés, ainsi que des différentes accusations éventuelles. Selon la décision Evans le juge
1592
« Messieurs du jury, les faits de cette affaire douloureuse et importante ont déjà été établis devant vous quatre ou
cinq fois, deux fois par l’accusation, deux fois par la défense et au moins une fois par chacun des différents témoins
qui ont été entendus ; mais ma confiance en votre compréhension est tellement basse qu’il me semble nécessaire de
vous raconter à nouveau, en termes les plus simples, les faits » (J. Swallow, cité par D. WOLCHOVER, « Should Judges
Sum up on the Facts ? », Crim. L.R. 1989, p. 790-791, trad. pers. ; v. également W. YOUNG, « Summing-up in
Criminal Cases – What Jury Research Says to Juries About Current Rules and Practice », Crim. L.R. 2003, p. 665).
1593
D. WOLCHOVER, l.c., p. 788. V. aussi le juré qui se sentait comme « a horse that has been indifferently ridden and
even mistreated for the past four months, suddenly in the hands of an expert horsman » (« un cheval qui est monté
avec indifférence [par un cavalier médiocre], voire maltraité [par lui] pendant les quatre derniers mois, est tout à
coup monté et mené par un cavalier expérimenté » (N. MADGE, « Summing-up – A Judge Perspective », Crim. L.R.
2006, p. 817 ; trad. pers.).
1594
Winsmore v Greenbank 125 E.R. 1330, cité par G. WILLIAMS, o.c., p. 303.
1595
Des mots avec un sens ordinaire en revanche ne devront pas être expliqués.
1596
McVey [1988] Crim. L.R. 127.
1597
G. WILLIAMS, o.c., p. 304.

263
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

peut commenter toutes les preuves, même celles qui n’ont pas été avancées par la partie
poursuivante ou la défense.1598 Il doit instruire les jurés sur la charge et le standard des
preuves.1599 En particulier, il faut bien souligner qu’il incombe à la Prosecution de prouver la
culpabilité de l’accusé au-delà du doute raisonnable. Le cas échéant il donne aussi des
avertissements sur les conclusions à tirer du silence de l’accusé. En insistant sur le fait que la
charge des preuves incombe à la Prosecution, le juge énonce que l’accusé a le droit de se
taire.1600 Toutefois, tel que le démontre l’affaire Condron c. Royaume-Uni l’accusé ne semble
pas bénéficier d’un droit absolu au silence.1601 En effet, le fait de tirer des conclusions du
silence de l’accusé n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 CESDH, indépendamment
d’un procès devant le jury.1602 Il est toutefois obligatoire et essentiel que le juge donne des
directions aux jurés. Il doit notamment souligner la nécessité d’être sûr que le silence de
l’accusé ne découle pas de l’avis légal de son conseiller.1603 Traditionnellement il fallait en
outre insister sur le besoin de preuves d’appui (s. 38 (3) CPPOA 1994). Un tel besoin de
corroboration se posait également pour les preuves d’identification apportées par des témoins
oculaires. Ainsi fallait-il informer le jury des dangers d’une condamnation fondée sur des
preuves d’identification, aussi connu en tant que Turnbull-direction.1604 Nous rappelons
qu’en Belgique, où le jury se prononce également seul sur la question de culpabilité, le
président doit avertir les jurés que les témoignages anonymes et depuis la nouvelle loi du 21
décembre 2009 ceux qui ont été obtenus lors d’autres auditions spéciales (conférence
téléphonique, vidéoconférence ou circuit de télévision fermé avec altération de l’image et de
la voix et conférence téléphonique avec altération de la voix) ne peuvent être pris en

1598
Evans [1990] 91 Cr. App. R. 173. Le juge est-il par exemple censé de présenter la question de provocation aux
jurés ? Avant 1957 la provocation devait être soulevée par le juge en cas de preuves suffisantes, même si cette défense
n’émanait pas de l’accusé (Hopper [1915] 2 KB 431). Après 1957, il devient obligatoire de poser cette question, y
compris lorsque le juge estime qu’une telle défense serait disproportionnée, écartant ainsi sa discrétion sur ce point
(Gilbert [1978] 66 Cr. App. R. 237). Toutefois, il paraît douteux que le Parlement ait eu cette intention. Selon l’affaire
Cambridge il faut des preuves (Cambridge [1994] 1 W.L.R. 971 ; v. aussi Stewart [1996] 1 Cr. App. R. 229). S’il y a
des preuves, la loi contraint le juge à soulever cette question, même s’il estime qu’aucun homme raisonnable n’aurait
agi comme l’accusé. Si le jury n’a pas été instruit sur ce point, la cour d’appel peut quand même décider que la
condamnation est solide (Van Dongen [2005] 2 Cr. App. R. 38 ; v. également M.C. DAVIES, « Leaving Provocation to
the Jury : A Homicidal Muddle ? », J.Crim.L. 1998, p. 374-388).
1599
Donoghue [1987] 86 Cr. App. R. 267 ; McVey [1988] Crim. L.R. 127 et Malinina [2007] EWCA Crim 3228.
1600
Becouarn [2006] 1 Cr. App. R. 2.
1601
CEDH 2 mai 2000, Condron c. Royaume-Uni, n° 35718/97, § 62 (infra, n° 316).
1602
CEDH 8 févr. 1996, Murray c. Royaume-Uni, n° 18731/91, § 51 (infra, n° 316).
1603
Bresa [2005] Crim. L.R. (2006) 179, comm. B.F.
1604
Turnbull [1976] 63 Cr. App. R. 132. Mais le juge n’est pas obligé d’utiliser des termes spécifiques (Bentley [1994]
99 Cr. App. R. 342 ; Pattenson & Exley [1996] 1 Cr. App. R. 51). Le jury devrait en effet prendre minutieusement en
considération les circonstances : combien de temps le témoin a-t-il vu l’accusé, à quelle distance, avec quelle
lumière ? (S. UGLOW, o.c., p. 416-418). Dans certaines conditions, une telle Turnbull-direction n’est pas nécessaire
Browning [1992] 94 Cr. App. R. 109) : lorsque l’accusé ne conteste pas sa présence au lieu du crime (Slater [1995] 1
Cr. App. R. 584), ni si l’identification de l’accusé est possible par photos (Blenkinsop [1995] 1 Cr. App. R. 7). Un
avertissement général sur les dangers d’erreurs d’identité est quand même approprié.

264
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

considération comme preuve que s’ils sont corroborés dans une mesure déterminante par
d'autres moyens de preuve (art. 326 al. 3 CIC).1605

Sur le plan des mensonges de l’accusé, le président doit veiller à ce que les jurés qui
en apprécient la prise en compte, gardent à l’esprit qu’un mensonge ne trahit pas
nécessairement la culpabilité de l’accusé. On peut très bien mentir pour des raisons
‘innocentes’, telles que la honte, la panique, la confusion, la volonté de protéger quelqu’un
d’autre… Cette direction ayant pris le nom de l’affaire d’autorité sur ce point, l’affaire
Lucas1606, fut confirmée par plusieurs décisions.1607 Le juge doit aviser le jury qu’il ne faut
pas attribuer une valeur probante excessive aux mensonges. Si l’accusation veut s’en servir,
le mensonge doit être prouvé « beyond a reasonable doubt ». Lorsqu’il n’est pas important
ou s’avère simplement secondaire, il serait préférable de ne pas faire référence au mensonge
afin que les jurés ne lui accordent pas une importance disproportionnée.1608 Il en est de même
pour les irrégularités matérielles potentielles. Si l’on attire l’attention du jury sur ces vices,
celui-ci risque de considérer des preuves qu’il est a priori censé ignorer.1609 Concernant la
réputation de l’accusé (s. 98-112 CJA 2003)1610, le juge doit se cantonner à une indication si
le sujet émerge.1611

Au-delà de la question de droit et de preuves, le juge anglais est, à l’inverse du droit


américain1612, autorisé à exprimer son point de vue sur les faits, même en termes forts, à la
condition qu’il ne manque pas de souligner que les jurés sont les seuls maîtres sur le plan des
faits et restent donc libre de suivre ou non ses directions.1613 Il serait même obligé de le faire,
surtout pour les affaires de longue durée1614. Ainsi dans l’affaire Amado-Taylor1615 la cour
d’appel annula une condamnation et ordonna un nouveau procès au motif que le juge, en
dépit de ses directives sur le droit à appliquer, sur l’admissibilité des preuves et sur la bonne

1605
Supra, n° 199.
1606
Lucas [1981] 2 All E.R. 1008.
1607
Goodway [1993] 4 All E.R. 894 et Burge [1996] 1 Cr. App. R. 163 (R. MAY, o.c., p. 82-83). Le fait de nier les
faits et sa culpabilité n’exige par contre pas une Lucas-direction (Edwards [2004] EWCA Crim 2102 ; S. UGLOW,
o.c., p. 413 et s. et I. DENNIS, o.c., p. 82-83).
1608
Keeton [1995] 2 Cr. App. R. 241.
1609
Lambert [2006] Crim. L.R. 995, comm. A.J. ROBERTS (W. YOUNG, l.c., p. 670-671).
1610
Sur l’impact de la connaissance du casier judicaire et les antécédents judicaires similaires ou dissimilaires de
l’accusé, v. W. YOUNG, l.c., p. 679.
1611
Payton [2006] Crim. L.R. 997, comm. A.J. ROBERTS ; Moustakim [2008] EWCA Crim 3096.
1612
Beaucoup d’Etats américains interdisent des commentaires sur les faits afin de préserver le jury en tant que juge
de faits. Le président ne peut donc pas exprimer son opinion sur la crédibilité ou le poids des preuves (State of
Louisiana v James Williams, n° 64409, 375 So.2d 1379 et State of Louisiana v Joe L. Walker Jr, n° Cr 97-1180, 710,
So.2d 304 ; N. MADGE, l.c., p. 823).
1613
Cohen & Bateman [1909] 2 Cr. App. R. 197 et Lawrence [1982] A.C. 510. Parfois cet avertissement n’est pas
suffisant pour combler un résumé non-équilibré (Mears v R [1993] 1 W.L.R. 818).
1614
Farr [1999] Crim. L.R. 506, comm. D.C.O ; v. également Wilson [1991] Crim. L.R. 838, comm. J.C.S. dans
laquelle le président jugeait non nécessaire de répéter les faits, ce qui n’a pas été sanctionné en appel puisqu’il
s’agissait d’une affaire courte et simple.
1615
Amado-Taylor [2000] 2 Cr. App. R. 189.

265
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

réputation de l’accusé, avait omis d’instruire les jurés sur le plan des preuves et des faits. Le
président avait en particulier voulu épargner aux jurés une « répétition oiseuse des faits », en
considérant qu’ils venaient d’entendre les versions des différentes parties, qu’ils disposaient
d’une transcription des interviews de la police dans la salle de délibération et que, tel qu’il
avait pu le constater, ils avaient pris des notes. A ses yeux, les jurés disposaient donc des
moyens ad hoc pour se rafraichir la mémoire et pouvaient demander des éclairages s’ils se
trouveraient confrontés à une difficulté quelconque. Selon la Court of Appeal ces arguments
ne suffisent guère. En premier lieu, la version des parties ne constitue pas un résumé
impartial des faits et ne peut donc en aucun cas se substituer au summing-up du juge. Le juge
ne peut pas se cacher derrière les plaidoiries des avocats.1616 De plus, le fait que le jury ait
pris des notes n’absout pas le juge de son devoir. Dans la pensée de la cour d’appel les
questions de fait incombent donc bien au jury, mais le juge, ayant une expérience sur le
processus des preuves en traitant de leur admission, peut/doit bien l’assister, le cas échéant en
usant même de termes persuasifs.1617

2. La frontière floue entre ‘conseiller’ et ‘diriger’

261. La question se pose de savoir quelle est la portée du pouvoir du président. Peut-il
aller jusqu’au bout, c’est-à-dire enjoindre le jury d’acquitter, voire de condamner l’accusé en
cause ? Est-il dans ce cas encore judicieux de parler d’une décision du jury ? Concernant
l’acquittement, le président de la Crown Court semble en effet disposer de ce pouvoir. Ainsi,
lorsqu’après le réquisitoire de l’accusation (« après mi-temps » dans le jargon)1618, le juge
considère qu’il n’y a pas suffisamment de preuves sur lesquelles le jury pourrait fonder un
verdict de culpabilité, ni qualitativement, ni quantitativement, il oriente les juges populaires
vers l’acquittement (directed acquittal).1619 Il s’agit dans ce cas d’une no case to answer. Le
président remplit cette mission en l’absence des jurés1620 et sans motivation.1621 Il lui est
également possible d’ordonner au jury d’acquitter sur une charge et de continuer le procès
pour une autre.1622 Le critère que le juge devrait appliquer est celui qui veut qu’aucun jury
dirigé de manière appropriée n’aurait condamné sur ces preuves. La question de la crédibilité

1616
Ibid.
1617
Cohen & Bateman [1909] 2 Cr. App. R. 197. Ainsi, la déclaration : « l’histoire de la défense est bien
remarquable » n’a pas été sanctionnée en appel (O’Donnell [1917] 12 Cr. App. R. 219). La cour d’appel n’est pas non
plus intervenue dans l’affaire Evans où le juge avait souligné les disparités dans la version de l’accusé (Evans [1990]
91 Cr. App. R. 173).
1618
A. MCBRIDE, o.c., p. 103 et s.
1619
Galbraith [1981] 73 Cr. App. R. 124 (R. MAY, o.c., p. 417-418 ; v. déjà Power [1919] 14 Cr. App. R. 17). Pour
les ordered acquittals, supra, n° 257.
1620
Crosdale v R [1995] 1 W.L.R. 864.
1621
Un juge qui indique dans son résumé qu’il y a suffisamment de preuves d’identification puisqu’il aurait sinon
retiré l’affaire au jury, porte atteinte à cette règle (Smith [1986] 85 Cr. App. R. 197 ; R. MAY, o.c., p. 419).
1622
Carson [1990] 92 Cr. App. R. 236 et Livesey [2007] 1 Cr. App. R. 35.

266
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

ne pouvant incomber qu’aux jurés, ce pouvoir doit être exercé de manière limitée.1623 Le juge
doit bien veiller à ne pas mettre en jeu son impartialité, quod non dans l’affaire Berrada.1624
La question se pose en outre de savoir quand on aura suffisamment de preuves. Où se trouve
la frontière ? Parfois, le juge ne suggère pas d’acquitter, mais y incite fortement.1625

Avec les ordered acquittals1626 ce type d’acquittement représenterait une part


conséquente (plus de la moitié) des acquittements de la Crown Court dans un procès où
l’accusé plaide non coupable1627, ce qui provoque des critiques évidentes tant sur le plan
budgétaire que sur le plan humain.1628 C’est pourquoi différentes études et autant de
propositions de réformes furent menées afin de réduire le nombre de ces acquittements.1629
Souvent la faillite est mise sur le compte de l’accusation. A maintes reprises, l’on évoque
néanmoins la politique trop libérale d’intervention du président qui usurperait ainsi le pouvoir
du jury.1630 Dans ce cas, c’est le jury qui acquitte formellement alors que c’est du juge que la
décision émane au fond. Le jury n’a ni délibéré, ni été autorisé à désobéir au président.
N’ayant pas de voix, on parle aussi de non-jury acquittals. Nous verrons ultérieurement que,
dans certains cas spécifiques, un tel acquittement prononcé par la Crown Court ne constitue
pas nécessairement le terme de l’affaire. Le Criminal Justice Act de 2003 autorise en effet un
droit limité d’appel contre des pretrial rulings. L’intervention du professionnel n’est dès lors
pas toujours valorisée. Le président doit en effet veiller à ce qu’il n’empiète pas sur le
pouvoir des jurés concernant l’appréciation des faits. Il peut donner une indication sur le
danger de condamner sur certaines preuves, mais il incombe uniquement au jury de peser ces
preuves.1631 Pourtant, la balance entre l’usurpation du juge des fonctions du jury et le danger
d’une condamnation non équitable est bien fragile. Les propositions relatives à la diminution
des directed et ordered acquittals témoignent aussi de la volonté de consacrer le jury dans
son rôle.1632

1623
Galbraith [1981] 73 Cr. App. R. 124 (suivi par Branson v Bower (n° 2) [2002] 2 W.L.R. 452) ; Brown [2002] 1
Cr. App. R. 46 ; v. également Jeneson [2005] EWCA Crim 1984 (A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 496 et s.).
1624
Dans cette affaire, l’instruction de ne pas accorder trop de poids à la bonne réputation de l’accusé révélait le
manque d’impartialité du président (Berrada [1989] 91 Cr. App. R. 131 ; D. WOLCHOVER, l.c., p. 781).
1625
Par exemple l’affaire Thorpe 1979, citée par M. ZANDER, o.c., p. 507.
1626
Supra, n° 257.
1627
J. BALDWIN, « Understanding Judge Ordered and Directed Acquittals in the Crown Court », Crim. L.R. 1997, p.
536 et B.P. BLOCK, C. CORBETT et J. PEAY, « Ordered and Directed Acquittals in the Crown Court : A Time of
Change », Crim. L.R. 1993, p. 95. Selon S. Uglow il s’agirait de 40% (S. UGLOW, o.c., p. 104).
1628
J. BALDWIN, « Understanding Judge Ordered and Directed Acquittals in the Crown Court », l.c., p. 536.
1629
Par exemple les directives de l’Attorney General et le Prosecution of Offences Act de 1985. La création du Crown
Prosecution Service et du Code des Prosecutors y contribuaient également. Ces mesures n’ont toutefois pas réussi à
diminuer le nombre de non-jury acquittals (J. BALDWIN, « Understanding Judge Ordered and Directed Acquittals in
the Crown Court », l.c., p. 537 et s. et B.P. BLOCK, C. CORBETT et J. PEAY, l.c., p. 95).
1630
B.P. BLOCK, C. CORBETT et J. PEAY, l.c., p. 103 et s.
1631
Ley [2007] 1 Cr. App. R. 325.
1632
B.P. BLOCK, C. CORBETT et J. PEAY, l.c., p. 106.

267
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

S’il s’agit de savoir si le juge est également autorisé à diriger les jurés vers une
condamnation, la réponse paraît selon la jurisprudence de Woolmington résolument négative.
Si tel était le cas, le juge déciderait à la place des jurés.1633 Toutefois à plusieurs reprises la
cour d’appel a reconnu un tel pouvoir exceptionnel, notamment lorsque les faits ne sont pas
contestés.1634 Si les faits ne font pas l’objet de discussion et que l’accusé avoue formellement
sa culpabilité, il n’est pas interdit au juge de dire au jury qu’un verdict de non-culpabilité est
impossible. Selon la jurisprudence de l’affaire Hill & Hall, le président peut diriger le jury
vers une condamnation en l’absence de toute preuve.1635 Puisque les ingrédients de
l’accusation ne sont pas contestés et qu’il n’y a dès lors rien à décider dans ce cas, le juge
n’empiète pas sur le pouvoir du jury.1636 L’(ancienne) Chambre des Lords, en revanche, a
statué qu’il incombait exclusivement aux jurés de décider des questions de fait1637, ce qui
constitue à nouveau une application du principe retenu dans l’affaire Woolmington. Plus
récemment elle rappela la non-intervention du juge quant à ce point dans l’affaire Wang.1638
Ainsi que le remarque Clive P. Walker, celle-ci réaffirme ainsi une balise à une époque où la
marginalisation du jury ne pourra probablement plus être arrêtée, à savoir l’indépendance du
jury dans la prise de sa décision. Même si le juge est d’opinion qu’aucune autre décision
n’est possible, il doit laisser la décision au jury. Dans une optique similaire, le juge ne peut
pas non plus ordonner aux jurés de se montrer indulgents dans leur verdict.

262. Sur les formules à appliquer, il n’existe aucun formalisme. Il n’y a pas de
rédaction officielle pour les directions du président. Il dispose d’une discrétion en ce qui
concerne le contenu et le style, tout en sachant que des éventuelles misdirections pourraient
frayer la voie à la cour d’appel.1639 Bien évidemment l’affaire doit être présentée au jury de
manière équitable et équilibrée1640, « however distasteful the offence, however repulsive the
defendant, however laughable his defence »1641. Il est un principe inhérent au procès que la
défense peut présenter sa version des faits au jury, le juge devant dès lors s’abstenir de tout

1633
Woolmington v DPP [1935] A.C. 462 et Leer [1982] Crim. L.R. 310, comm. D.J.B.
1634
Vickers [1975] 61 Cr. App. R. 48. Cela est également affirmé dans l’affaire Pico [1971] Crim. L.R. 599 ; contra
Martin [1973] 57 Cr. App. R. 279 et P. DEVLIN, o.c., p. 84.
1635
Hill & Hall [1989] Crim. L.R. 136, comm. J.C.S. (I. DENNIS, o.c., p. 115 et S. UGLOW, o.c., p. 68).
1636
R. MAY, o.c., p. 427-428.
1637
Dpp v Stonehouse [1978] A.C. 55. Depuis le 1er octobre 2009, les fonctions judicaires de la House of Lords sont
transférées à la Supreme Court.
1638
Wang [2005] Crim. L.R. 645, comm. C.P. WALKER ; v. aussi Caley-Knowles [2006] 1 W.L.R. 3181.
1639
Beaucoup d’appels sont fondés sur les misdirections du juge (E. GRIEW, « Summing-Up the Law », Crim. L.R.
1989, p. 768 et Ph. OTTAN, « The Role of the Judge in Criminal Cases » in M.J McCONVILLE et G. WILSON, The
Handbook of the Criminal Justice Process, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 328). Mais si aucune erreur
judiciaire n’a été commise, il n’est pas nécessaire que la cour d’appel annule la décision (s. 2 (1) CAA 1968).
1640
Derek William Bentley [2001] 1 Cr. App. R. 21.
1641
« quelque écœurant que soit le crime, quelque exécrable que soit l’accusé, quelque ridicule sa défense » (Marr
[1989] 90 Cr. App. R. 154 ; trad. pers.).

268
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

sarcasme et de considérations extravagantes1642. Pour assister le juge et rendre ses décisions


plus appeal-proof, le Judicial Studies Board a établi des directives.1643 Le summing-up doit
être équitable aux deux parties et présenté dans un langage simple, compréhensible, structuré,
concis et cohérent, ce qui n’est pas une sinécure1644. Les instructions doivent en outre être
adaptées aux besoins de chaque affaire individuelle.1645 Au-delà des standards in abstracto,
mieux vaut concrétiser.1646 Il faut veiller à ne pas embrouiller trop longtemps l’esprit des
jurés1647, ni à être trop sommaire1648. Il convient de déterminer au cas par cas l’équilibre entre
loquacité et concision.1649 La cour d’appel donne également des repères. Dans l’affaire
McVey elle a établi le contenu minimal des instructions du juge : chaque résumé doit au
moins contenir une direction concernant la charge et le standard des preuves, tout en
mentionnant les différents ingrédients de l’infraction en cause que le jury doit considérer.1650
De l’autre côté, il ne faut pas non plus troubler les jurés avec des considérations légales et
juridiques impertinentes.1651

263. Quant à l’impact des directions, surtout lorsqu’elles prennent plusieurs heures,
voire plusieurs jours — comme dans l’affaire Birmingham Six — et qu’elles sont rédigées de
manière trop abstraite et compliquée, on reste dans le noir. Ainsi que nous l’avons déjà
avancé, on ne sait pas si les jurés sont bien aptes à se rappeler les instructions orales du juge,
s’ils les comprennent et, dans l’affirmative, s’ils les appliquent.1652 En général et selon divers
auteurs, un bon juge sait orienter le jury dans la direction souhaitée, même s’il ne donne pas
des instructions sur le droit, notamment par son intonation, ses mouvements de tête, son
humour ou absence d’humour, …1653 Un bon juge ne permettrait pas aux jurés de commettre
une injustice et sait en outre bien camoufler son intervention.1654 Il sait laisser au jury
l’impression qu’il dispose de la liberté de décider seul, mais la pousse dans la direction

1642
Berrada [1989] 91 Cr. App. R. 131. Ainsi la cour d’appel a sanctionné le comportement du juge qui n’a pas
manqué de murmurer « oh mon Dieu », de gronder et de gémir pendant la dernière plaidoirie de la défense (Hircock
[1969] 53 Cr. App. R. 51).
1643
V. un exemple dans la décision Jackson [1992] Crim. L.R. 214 ; v. également R. MAY, o.c., p. 420.
1644
Marr [1989] 90 Cr. App. R. 154.
1645
M. ZANDER, o.c., p. 501.
1646
W. YOUNG, l.c., p. 683.
1647
Kumar [2005] EWCA Crim 1979, comm. D.C. ORMEROD.
1648
Clunis [2006] All E.R. 19.
1649
Farr [1999] Crim. L.R. 506.
1650
Annulation dans l’affaire McVey pour défaut de définition de vol (E. GRIEW, l.c., p. 769).
1651
E. GRIEW, l.c., p. 770.
1652
Selon une étude du Centre de criminologie de l’Université Middlesex la réponse à ces questions est négative. La
plupart des difficultés découleraient de la terminologie juridique incompréhensible ou en tout cas nouvelle pour les
douze jurés tirés du peuple qui n’ont généralement pas d’expérience avec la prise des notes (N. MADGE, l.c., p. 818 et
W. YOUNG, l.c., p. 684-685). En revanche, selon l’étude de la Crown Court 61% des jurés ont affirmé de n’avoir pas
de difficultés avec la compréhension des instructions, ce qu’il ne faut néanmoins pas nécessairement prendre à la
lettre (M. ZANDER, o.c., p. 504) ; v. également supra, note 1293.
1653
Ph. VOULAND, « L’exercice quotidien de la fonction de défense et la loyauté de la preuve », l.c., p. 279.
1654
G. WILLIAMS, o.c., p. 304 et 326; v. également Lord Birkett, cité par N. MADGE, l.c., p. 824.

269
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

voulue. Ainsi avec les mots de Lord Justice Fry : « some judges almost tell a jury how they
ought to find and so seem to me to assume a function which is not theirs according to our
constitution. I have always striven to avoid doing this, and to leave the question really as well
as formally to the jury taking, however, great care that they should never find a man guilty
whom I believed innocent ».1655 En effet, si le jury reste seul maître de la culpabilité et que
l’opinion du juge n’a formellement aucun poids, il n’est pas imaginaire qu’il exerce un
impact moral sur les jurés.1656 Le juge n’incarne-t-il pas, aux yeux des jurés, la voix de la
justice elle-même ?1657 Un tel pouvoir n’est-il pas, de facto, susceptible d’anéantir la liberté
du jury ? La frontière entre ‘donner un avis’ et ‘diriger’ est très floue.1658 N’est-il dès lors pas
plus judicieux de parler de « trial by judge and jury » plutôt que de « trial by jury » ? En
effet, si des one-sided instructions ou des instructions excessives sont bien sanctionnées1659,
la position de la cour d’appel n’est pas rectiligne quant à ce point. Ainsi, la Court of Appeal
n’est pas intervenue dans l’affaire Hepworth où le juge estima que l’accusé est
« pratiquement condamné par les preuves apportées par la prosecution. Vous [les jurés]
devez faire votre devoir »1660. Il est toujours question d’une appréciation subjective de fair-
play avec autant de variations qu’il y a des juges en appel.1661. Bien évidemment tout dépend
également de la personnalité du juge.

264. Sur quoi se fonde dès lors la légitimité du jury si celui-ci ne se borne qu’à se
conformer aux indications des juges professionnels ? Au lieu de servir aux jurés, David
Wolchover y voit un bénéfice pour le juge professionnel. Un tel système permettrait en effet
de lui épargner la responsabilité d’une décision fondée sur sa seule opinion et, dès lors, de le
préserver d’une certaine hostilité.1662 Il serait en quelque sorte un ‘paratonnerre’.
Remarquons également que, malgré le soin du juge professionnel, on ne pourra jamais
empêcher le jury de se prononcer à l’encontre de ses indications par ignorance, confusion ou
rébellion. On ne peut pas commander ou contraindre une croyance.1663 Pourtant cette
préservation de l’autonomie des jurés, également présente en droit belge, constitue une
menace pour la rationalité.1664

1655
« Certains juges disent quasiment aux jurés comment il faut juger et me semblent ainsi assumer une fonction qui,
en vertu de notre constitution, ne leur incombe pas. J’ai toujours tâché d’éviter ceci et de laisser la question
effectivement ainsi que formellement au jury, veillant cependant qu’il ne condamnerait jamais une personne que je
croyait innocente » (Lord justice Fry, cité par J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, Jury Trials, o.c., p. 79 ; trad. pers.).
1656
P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 77-78.
1657
G. WILLIAMS, o.c., p. 326.
1658
Chandler v DPP [1964] A.C. 763, p. 804 (R. MAY, o.c., p. 421).
1659
Wood [1996] 1 Cr. App. R. 207.
1660
Hepworth [1910] 4 Cr. App. R. 128 (D. WOLCHOVER, l.c., p. 786-787).
1661
D. WOLCHOVER, l.c., p. 787.
1662
D. WOLCHOVER, l.c., note 33.
1663
P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 81.
1664
P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 77-78.

270
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Afin d’endiguer dans la mesure du possible ce risque, Lord Auld souligne le besoin
d’informer au mieux les jurés au commencement du procès, tant sur le plan de leur mission
que sur celui de leurs pouvoirs tels que la prise de notes ou la possibilité de poser des
questions. Au lieu d’un exposé oral émanant du juge, un résumé objectif et écrit des faits, à
l’instar de différents Etats d’Amérique1665 constituerait peut-être une solution à envisager,1666
surtout dans des affaires longues et complexes, telle que celles de fraude. Les jurés pourraient
ainsi davantage se remémorer les instructions, tout en structurant leurs délibérations.1667 En
pratique une telle démarche est déjà entreprise par différents juges.1668 Bien évidemment,
avant la remise aux jurés il convient de soumettre ce document écrit aux différentes parties
afin que celles-ci puissent émettre des remarques et, le cas échéant, solliciter des
modifications.1669 Parfois le jury demande lui-même des instructions écrites, tel que cela fut
le cas dans l’affaire Lawson1670. Toutefois l’étude de Larry Heuer et Steven D. Penrod
n’apporte pas de preuves relatives à une meilleure remémoration du procès grâce à des
documents écrits, ni à un accroissement de la satisfaction des jurés, ni à une diminution de la
durée de l’affaire.1671 Il s’agit en outre de savoir si le Royaume-Uni est prêt à autoriser une
telle atteinte à la tradition orale de sa procédure criminelle. Si nous avons déjà évoqué le
déclin de l’oralité dans le système britannique1672, la proposition de Lord Auld allant dans ce
sens fût réfutée.1673

265. En droit français et en droit belge, c’est notamment le manque d’impartialité du


président sur ce point qui a conduit les législateurs à supprimer ce privilège consistant à
résumer les faits en tant que paroxysme du procès criminel. A l’origine, le président de la
cour d’assises pouvait, à l’instar de la procédure anglaise, également résumer les faits à
l’issue des débats d’audience et avant la délibération. En particulier, il devait communiquer
équitablement les arguments opposés et brosser un tableau honnête des constations1674, ce qui

1665
Puisque la vitalité du jury dépend de sa participation informée, ils ont envisagé des méthodes nouvelles (N.S.
MARDER, « Bringing Jury Instructions into the Twenty-First Century », Fotre Dame L. Rev. 2005-2006, p. 510-511).
1666
S. UGLOW, o.c., p. 66. Une autre solution consiste en une sorte d’éducation préliminaire des jurés (antérieurement
à la discussion des preuves) sur les notions de droit. Ainsi, ils auraient une version objective avant d’être embrouillés
par les différentes versions des parties. Cela contribuerait à la rationalisation du procès et améliorerait l’évaluation des
preuves.
1667
N. MADGE, l.c., p. 817; v. sur ce point notamment L. HEUER et S.D. PENROD, « Instructing Jurors : A Field
Experience », Law and Human Behavior 1989, p. 411 et s.
1668
Dans l’affaire McKechnie, le président indiquait dans son résumé qu’il fallait soumettre des questions écrites aux
jurés afin de les assister dans leur délibération (McKechnie [1992] 94 Cr. App. R. 51). Un tel support écrit faciliterait
la tâche de juger. Le taux des condamnations diminuerait corrélativement (N. MADGE, l.c., p. 822) ; v. également D,
Potter et Heppenstall [2007] EWCA Crim 2485.
1669
Wright [2000] Crim. L.R. 510, comm. J.C.S. (N. MADGE, l.c., p. 820).
1670
Lawson [1998] Crim. L.R. 883, comm. D.J.B. dans laquelle le juge a refusé cette demande, ce qui était son bon
droit selon la Court of Appeal.
1671
L. HEUER et S.D. PENROD, l.c., p. 409-430.
1672
N. MADGE, l.c., p. 821.
1673
M. ZANDER, o.c., p. 505.
1674
M. GARÇON, l.c., p. 10-11.

271
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

constituait une arme efficace contre l’effet oratoire des avocats. Compte tenu du risque de
voir émerger des arguments imprévus et non discutés par la défense et de porter atteinte aux
droits de la défense en faisant du président le concurrent du ministère public — avec la
circonstance déplorable d’avoir la parole en dernier lieu —, ce pouvoir du juge suscita bien
évidemment nombre de critiques de la part du barreau.1675 Le « spectacle d’un magistrat
partial n’est jamais beau »1676, de sorte que ce privilège ne pouvait pas survivre,
contrairement au droit anglais. Ainsi, le pouvoir du résumé du président fut aboli en Belgique
par le décret du 19 juillet 1835. Le revers de la médaille est que le jury se trouve en principe
sans repères pour la découverte des éléments de preuve. En France, non exempte d’exemples
d’abus, ce n’est qu’en 1881 que fut mis un terme à cette concurrence entre le ministère public
et le président de la cour d’assises.1677 A partir de cette date, l’échange d’informations entre
le jury et les magistrats fut interdit. Toutefois, ainsi que nous le verrons dans le point suivant,
le président français ne dut pas attendre longtemps pour pouvoir impunément résumer
l’affaire à sa guise1678, avec le pas héroïque que la France a fait avec la collaboration totale
entre les professionnels et les profanes. Loin des oreilles des parties, l’influence peut
désormais s’exercer en privé dans la salle de délibération.

Section 2
Intensification des interdépendances et changement des rôles

266. Si le droit anglais estime en théorie le jugement par le jury mais connaît en
pratique souvent le jugement par le juge, la France n’a pas hésité à redessiner ouvertement les
rapports entre professionnels et citoyens. Dans le sillage des réformes déjà entreprises ayant
sapé la raison d’être de l’ancien article 342 in fine du Code d’instruction criminelle, le
législateur français a finalement consacré la salle de délibération en tant que lieu d’échange
non seulement pour la peine, mais également pour la culpabilité.1679 Une telle extension de
l’association paraît logique dans la mesure où la détermination de la peine dépend du verdict

1675
M. GARÇON, l.c., p. 10-11 et Y. OZANAM, l.c., p. 151.
1676
R. VOUIN, « La cour d’assises française de 1808 à 1958 », l.c., p. 228.
1677
Loi du 11 juin 1881 qui modifie l’article 336 du Code d’instruction criminelle, Duvergier, tome 81, p. 122 à la
suite de l’affaire de Marie Bière (R. VOUIN, « La cour d’assises française de 1808 à 1958 », l.c., p. 228).
L’interdiction de résumer les débats figure toujours dans l’art. 347 al. 2 CPP, bien que le délibéré en commun lui ait
enlevé tout son intérêt (R. VOUIN, « La cour d’assises française de 1808 à 1958 », l.c., p. 229).
1678
J. PRADEL, « Les méandres de la cour d'assises française de 1791 à nos jours », l.c., p. 143.
1679
W. ROUMIER, o.c., p. 273 et s., n° 500 et s.

272
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

de culpabilité.1680 En effet, la décision sur la culpabilité étant la base du verdict, la


collaboration sur le plan de la peine n’a pas été suffisante. Il restait une multitude d’arrêts de
la Cour de cassation portant l’annulation des déclarations équivoques et/ou contradictoires
quant à la culpabilité.1681
Bien évidemment un tel délibéré conjoint, qui inaugure une conception totalement
différente de la procédure criminelle, soulève des nombreuses questions : quelle est la
nouvelle répartition des compétences entre les professionnels et les jurés ? Quelles en sont les
implications ? Une telle réforme témoigne-t-elle d’une profonde méfiance à l’égard de la
justice populaire (§ 1 — Le délibéré conjoint, une nouvelle conquête du juge
professionnel ?) ? Ou a-t-on veillé à préserver la prédominance des jurés en jonglant avec
leur nombre et les règles de la majorité (§ 2 — Le délibéré conjoint, la prédominance
encadrée du jury ?) ? En outre, une telle ‘révolution’ de la procédure criminelle française
questionne quant à la place immuable de la Belgique dans cette histoire.

§ 1 — LE DELIBERE COFJOIFT, UFE FOUVELLE COFQUETE DU CORPS


PROFESSIOFFEL ?

267. En 1941, la France fit un pas vers un modèle mixte dont la réussite avait déjà
dépassé ses frontières, par exemple en Italie depuis la loi du 19 octobre 19301682 et en
Allemagne qui, depuis le décret-loi du 4 janvier 1924, n’a plus de cours d’assises mais
uniquement des tribunaux d’échevins.1683 Le fait qu’un tel système n’ait pas été étranger à
1684
l’histoire juridique française et était déjà en vigueur dans plusieurs de ses colonies
(Martinique, Guadeloupe, la Réunion, …) a peut-être facilité la donne.1685

1680
Celle-ci était déjà annoncée par la proposition de loi (L. BRUNET) visant à abolir le dernier alinéa de l’art. 342 CIC
afin d’autoriser à la cour d’assises à remettre au chef du jury non seulement les questions auxquelles il fallait
répondre, mais également une note indiquant les peines encourues par l’accusé (Doc.parl. Chambre des députés, sess.
ord., séance du 30 juin 1902, annexe n° 2935, p. 108 ; v. W. ROUMIER, o.c., p. 273, note 1030).
1681
W. ROUMIER, o.c., p. 275, note 1041.
1682
Cette loi a été modifiée en 1935, en 1946 et finalement en 1951 (Ch. YOTIS, « La composition des juridictions de
jugement » in X, Les principaux aspects de la politique criminelle moderne. Recueil d’études en hommage à la
mémoire du professeur Henri Donnedieu de Vabres, Paris, Ed. Cujas, 1960, p. 210). Le droit étranger démontre des
évolutions communes en Suède, Finlande et Autriche (C. GERBET, o.c., p. 14).
1683
J. BARD, o.c., p. 39.
1684
Le tribunal du roi, le tribunal du comte, les assises féodales et le tribunal de police correctionnelle avec un juge de
paix et deux citoyens-assesseurs (loi du 19 et 22 juillet 1791) en témoignent. Durant des siècles il s’agissait même
d’une pratique très florissante (C. GERBET, o.c., p. 59 et s. ; v. également J. BARD, o.c., p. 11-29). Au lieu d’être un
engouement temporaire, l’échevinage était donc une tradition fort ancienne (A.M. MANCHE, o.c., p. 116). Une autre
application constitue la Cour suprême de Justice qui a été créée le 30 juillet 1940 pour les ministres accusés de
crimes/délits commis dans l’exercice ou à l’occasion de leur fonction. Cette cour contient un élément professionnel et
laïque à pouvoirs égaux (C. GERBET, o.c., p. 157 ; infra, n° 328).
1685
Outremer la constitution d’un jury serait difficile compte tenu des diverses origines des accusés. Une cour
criminelle correspondrait mieux aux conditions spéciales d’une colonie et assurerait une répression davantage égale
(H. AUBRUN, l.c., p. 63-64 ; J. BARD, o.c., p. 45 et s. et p. 131 et H. VERDUN, « La cour d’assises selon la loi du 25
novembre 1941 », JCP 1942, n° 260).

273
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

268. Même en Angleterre et en Belgique où le peuple reste consacré dans sa


souveraineté, des voix (timides) s’élèvent en faveur d’une collaboration repensée des
magistrats professionnels et des citoyens-juges. Ainsi avec ses propositions de réforme de la
procédure criminelle, Lord Auld a proposé d’instaurer un tribunal mixte de professionnels et
de laïcs qui serait, en tant que cour intermédiaire, compétent pour un vaste panel
d’infractions. Nous analyserons ultérieurement cette proposition en détail dans la mesure où
elle n’envisage pas de remplacer la cour d’assises, mais simplement de l’ajouter sur la carte
judicaire en tant que middle tier entre la summary jurisdiction et la Crown Court afin de
désencombrer cette dernière et dans la mesure où elle ne fait pas usage de simples citoyens
mais des magistrates non professionnels.1686

Concernant la Belgique, le modèle de mixité fut de temps en temps soulevé dans les
débats parlementaires lorsque l’avenir de l’institution du jury populaire fait débat. Si le temps
n’était pas encore mur pour suivre l’exemple français en 2000 lors des débats sur la
rationalisation de la cour d’assises, de nouvelles voix s’élevaient en faveur d’une telle option
avec la proposition de loi du 25 septembre 2008 inspirée de la deuxième option de la
Commission de réforme de la cour d’assises.1687

Il convient d’ores et déjà de souligner qu’aux cours des débats parlementaires menant
à la réforme de 2009, le législateur belge, après avoir reçu l’avis du Conseil supérieur de la
Justice à cet égard1688, a avec un conservatisme presque émouvant, aussitôt abandonné cette
piste sans y donner aucune réflexion. Il nous semble quand même intéressant de l’analyser
dans la mesure où comparé au système français, il s’agirait dans la proposition belge d’une
toute autre conception de la nécessité d’un tel délibéré mixte (A — Divergence de
justifications) ainsi que d’un rapport radicalement différent entre les professionnels et les
jurés (B — Divergence de rôles).

A — DIVERGENCE DE JUSTIFICATIONS

269. Avec la loi du 25 novembre 19411689, le législateur français tournait le dos aux
Anglais. En quelques années, la pleine collaboration entre la cour et les profanes se
substituait à l'indépendance totale.1690 A première vue une telle réforme semble bien

1686
Infra, n° 466 et s.
1687
Proposition de loi (Ph. MAHOUX) relative à la réforme de la cour d'assises du 25 septembre 2008, Doc.parl. Sénat
2007-08, n° 4-924/1, reprenant celle du 26 avril 2007 (Doc.parl. Sénat 2006-07, n° 3-2426/1).
1688
Avis du 11 février 2009 du Conseil supérieur de la Justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 12-13.
1689
Loi du 25 novembre 1941, JORF 12 déc. 1941, validée par l'ordonnance n° 45-764 du 20 avril 1945. Elle est
entrée en vigueur le 1er avr. 1942.
1690
Les professionnels demeurent pourtant seuls compétents pour les incidents qui émergent au cours des débats ainsi
que pour l’action civile.

274
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

marquée, voire contaminée par l’esprit du siècle. A l’époque où les nazis occupaient le nord
de la France, Pétain contrôlait le Sud et hissait l’exemplarité et la répression rapide au rang
de priorité absolue.1691 Alors que le jury était jusqu’alors loué pour son indépendance et sa
fonction de rempart contre l’arbitraire, ces mérites, sont désormais taxées de faiblesses
majeures.1692 Le jury serait en effet un obstacle aux vœux d’un régime fasciste. La
modification de la cour d’assises était alors envisagée, non pour qu’elle juge, mais afin
qu’elle condamne ; comme si les accusés étaient présumés coupables et les acquittements des
injures à la justice.1693 Ainsi la France introduisait sous le régime de Vichy — souvent
considérée comme « la période la moins glorieuse de la France » ou comme celle qui
marque, pour la justice « une nuit juridique et un brouillard judiciaire »1694 —, d’abord dans
le sud de son pays, puis sur l’ensemble du territoire un système dit d’échevinage, tout en
s’accrochant encore à la dénomination de ‘cour d’assises’. Parce que symbole de la liberté
révolutionnaire, on n’osait pas abolir le jury ; on souhaitait juste lui « enlever son venin »1695
ou mieux son « absence de venin ».

270. Dans un mouvement inverse à celui entrepris par la loi de 1932, l’amalgame
imaginé par le Gouvernement de Vichy consistait en l’ajout des trois magistrats
professionnels à la délibération sur la culpabilité.1696 Ensemble avec les douze citoyens du
peuple, les professionnels délibèrent sur les questions de la culpabilité et de la peine, tant
principale qu’accessoire et complémentaire, ainsi que sur des mesures d’éducation des
mineurs et, selon Henri Verdun, des frais de justice et la contrainte par corps.1697 Ainsi, les
jurés français semblaient, à l’instar de leurs collègues italiens et allemands dans la deuxième
moitié du 19ème siècle, s’être métamorphosés en ‘échevins’, c'est-à-dire en juges non
professionnels destinés à apporter aux juges de carrière une sensibilité propre. Toutefois, si
l’on se réfère au sens strict du mot, le terme d’échevinage est-il bien exact ? La qualification
d’échevins suppose une certaine continuité de fonctionnement, à l’instar des assesseurs
prud’homaux. Or, contrairement aux échevins allemands, les jurés français n’interviennent
que pour la session pour laquelle ils ont été désignés par le sort.1698 En outre, contrairement
aux échevins qui sont en principe désignés pour cette fonction, les jurés sont encore tirés au
sort. L’association n’est en outre pas intégrale. Ainsi les jurés ne sont pas associés aux
magistrats pour l’ensemble des questions, les professionnels restant seuls compétents pour les

1691
M. GARÇON, l.c., p. 469.
1692
Ibid.
1693
Ibid.
1694
S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 62, n° 57.
1695
J. Barthelemy, cité par A. BANCAUD, l.c., p. 54.
1696
S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 63, n° 57.
1697
H. VERDUN, « La cour d’assises selon la loi du 25 novembre 1941 », l.c.
1698
W. ROUMIER, o.c., p. 11, note 37.

275
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

incidents procéduraux et les dommages-intérêts.1699 Toutefois, le terme ‘jury’ n’est pas non
plus approprié dans la mesure où le caractère essentiel du jury populaire — la séparation du
fait et du droit — et dès lors son indépendance pour la prise de décision sur la culpabilité fait
défaut. Au lieu d’une forme moderne du jury, il semble dès lors davantage question d’un
‘échevinage atténué’.1700

271. La doctrine ne tarda pas à fustiger la rare hypocrisie d’un tel système prompt à
« sonner le glas »1701 du ou à asséner « le coup fatal »1702 au jury, en le dégradant dans un
système d’échevinage sans l’audace d’appeler un chat un chat de peur de soulever l’opinion
publique. Les jurés seraient réduits presque à l’impuissance, de sorte que la cour d’assises ne
subsisterait que pro forma.1703 Après la loi de 1941 le principe de souveraineté du jury serait
mort. S’agit-il sous l’effet de circonstances militaires et politiques, d’une promulgation du
système allemand sous l’apparence du jury français ? Une telle manière de voir les choses
trahit sans doute la vérité. Ainsi, le projet d’une association intégrale entre les professionnels
et les jurés avait déjà été examiné en 1932 lors du Congrès de Palerme1704 et avancé en 1933
par la Commission Matter et son projet de Code d’instruction criminelle de 1938. Il date
donc bien d’une période antérieure au fascisme des années 1940.1705 La réforme ne serait en
effet que « la finalisation d’une réforme incomplète réalisée dix ans plus tôt ».1706 En outre,
la qualification ‘vichyssoise’ manque de fondement dans la mesure où ce système n’a pas été
remis en cause après ces « heures tragiques de l’occupation ennemie ».1707 En dépit de
quelques critiques infimes qualifiant le nouveau système de « cour d’assises démultipliée »
ou de « version miniature de la cour d’assises » et de l’espoir qu’une telle modification
péricliterait avec la fin du régime lui-même au profit du système antérieure de demi-
collaboration (ainsi que l’évoquèrent par exemple Maurice Garçon1708 et la proposition de loi
d’Isorni du 6 novembre 19511709), l’échevinage fut confirmé au lendemain de la libération par
l’ordonnance du 20 avril 1945. Cette ordonnance avait pour père spirituel Henri Donnedieu

1699
V. pourtant C. Gerbet, selon lequel l’échevinage implique une collaboration intégrale et totale entre les juges de
carrière et les non-professionnels pour toutes les questions, tandis que une séparation perdure entre ceux-ci dans le
système d’assessorat (C. GERBET, o.c., p. 160).
1700
C. GERBET, o.c., p. 161.
1701
C. GERBET, o.c., p. 152.
1702
R. VOUIN, « La cour d’assises française de 1808 à 1958 », l.c., p. 229.
1703
M. GARÇON, l.c., p. 10-11.
1704
Infra, n° 540.
1705
C. GERBET, o.c., p. 175. Déjà en 1919 la proposition de Debierre envisageait de transformer la cour d’assises en
un assessorat avec un président et six jurés assesseurs décidant ensemble tant sur la culpabilité que sur la peine (C.
GERBET, o.c. p. 148).
1706
R. VOUIN, « La cour d’assises française de 1808 à 1958 », l.c., p. 231.
1707
M. PATIN, « Le problème de l’organisation de la cour d’assises », l.c., p. 224.
1708
M. GARÇON, l.c., p. 469.
1709
AN 6 nov. 1951, annexe n° 1378, p. 2713 (W. ROUMIER, o.c., p. 12, n° 16).

276
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

de Vabres.1710 Soutenu par d’autres grands criminalistes tels que Louis Hugueney et Joseph
Barthélémy, Maurice Patin y voyait dès lors plutôt le triomphe de la doctrine que
l’avènement d’un système de réaction.1711 Leur appréciation positive était en outre influencée
par les statistiques qui témoignent d’une chute spectaculaire du taux d’acquittement de 25%
en 1938 à 8% en 1942.1712 Qu’il demeure en application sous cette forme au 21ème siècle sans
grande opposition réaffirme la grande importance d’une participation citoyenne mais
encadrée.1713 En effet, si la France est tellement attachée au jury, pourquoi ne décrie-t-elle
pas le retour au système en vigueur avant le régime de Vichy ?

272. Contrairement à son voisin français auquel elle doit nombre de ses règles de
droit, la Belgique consacre, dans sa procédure criminelle actuelle, le jury dans le sens
traditionnel et ainsi — pour ce qui concerne la question relative à la culpabilité — la
séparation du fait et du droit. Le jury reste maître de la décision sur la culpabilité. Peut-être
qu’une telle stagnation par rapport à la procédure française peut être attribuée à l’application
encore plus étendue de la technique ou de la ‘jonglerie’ de la correctionnalisation judiciaire
en ce qui concerne, par exemple, le domaine de mœurs.1714 En retirant davantage d’affaires à
sa compétence, il y avait moins d’acquittements pervers qu’en France, d’où la nécessité
moindre d’y remédier. Dans le sillage de la proposition de réforme ayant finalement donné
lieu à la loi du 30 juin 20001715 et du rapport « dialogues de justice » émanant de Fred
Erdman et de Georges De Leval effectué en 2004, la Commission de réforme belge proposa
pourtant dès son premier rapport l’introduction du délibéré conjoint en tant qu’élément clé de
la réforme, tout en appréciant de manière positive les pas déjà entrepris en France et en
Italie1716. Pour reprendre ici les termes du rapport, cette délibération conjointe permettrait aux
yeux de la Commission, de cumuler les avantages du jury populaire et des magistrats
professionnels.1717 Constitutionnellement une telle option ne serait pas problématique. En
effet, si la Constitution belge interdit, en énonçant que « le jury est établi », de supprimer
celui-ci, elle n’interdit pas d’adjoindre certaines personnes au jury ou d’avoir un jury mixte.

273. Dans la philosophie de la Commission, qui a été reprise par les propositions de
loi du 26 avril 2007 et du 25 septembre 2008 relatives à la réforme de la cour d’assises1718, la

1710
Ordonnance n° 45-764 du 20 avril 1945 sur les cours d’assises, JORF 21 avr. 1945, p. 2252.
1711
M. PATIN, « Le problème de l’organisation de la cour d’assises », l.c., p. 224.
1712
D. SALAS, l.c., p. 11.
1713
A. BANCAUD, l.c., p. 57.
1714
Supra, n° 59.
1715
Proposition de loi (D. REYNDERS, J.J. VISEUR et A. DUQUESNE) modifiant le Code d’instruction criminelle,
l’article 27 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive et l’article 837 du Code judiciaire, en vue de
rationnaliser la procédure de la cour d’assises, Doc.parl. Chambre 1996-97, n° 49-1085/1, p. 2.
1716
Loi n° 287 du 10 avril 1951 Riordinamento dei giudizi di assise, Gazzetta Ufficiale n° 102 du 7 mai 1951.
1717
Rapport intermédiaire du 8 mars 2005, p. 17.
1718
Doc.parl. Sénat 2006-07, n° 3-2426/1 et Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-924/1.

277
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

présence du président dans la salle de délibération permettrait de procurer aux jurés des
éclaircissements utiles et nécessaires sur les notions techniques et juridiques auxquelles ils
sont confrontées, sans pour autant toucher aux questions de faits. Le président pourrait, en
respectant bien l’éthique de la délibération, créer une structure permettant aux jurés de mettre
en commun leurs réflexions et au professionnel de contrôler la légalité des preuves et leur
discussion contradictoire ainsi que le bon déroulement et l’éthique d’une délibération
exempte de rapports abusifs de force ou de domination inhérents aux groupes humains et qui
implique tous les membres du jury dans le processus décisif.1719 Sa présence apporterait une
sérénité nécessaire. Mais au-delà d’une rationalisation de la délibération, la présence dans la
salle de délibération d’un professionnel s’imposerait davantage encore pour une autre
réforme clé nécessaire, à savoir la motivation des décisions criminelles1720, une logique que
ni la France, ni d’ailleurs le législateur belge1721 ne semblent avoir suivie. Ainsi que nous
l’esquisserons plus loin, la rédaction de la motivation d’une décision criminelle est une tâche
lourde et technique qui ne peut être confiée aux citoyens ordinaires jugeant pour la première
fois. Pour ancrer un tel droit de l’homme au sein de la cour d’assises, il paraît obligatoire de
confier cette épreuve à des professionnels, soit en ouvrant à un juriste indépendant l’accès à
la salle de délibération, soit en évoluant vers un délibéré mixte.1722

274. Par divers angles d’attaque, les deux pays voisins critiquaient alors les faiblesses
du jury populaire. La France cherchait à éviter son indulgence et sa rébellion parfois
redoutable ; la proposition belge s’inspirait plutôt de la nécessité de mettre un terme à
l’infaillibilité des jurés et à leur manque de technicité. La collaboration entre magistrats
professionnels et jurés, envisagée par la Commission semble alors un étrange compromis
entre l’idéalisme révolutionnaire — la souveraineté du peuple — et le réalisme juridique —
la complexité et technicité des affaires et du droit.1723 Mais au-delà de ceci, la proposition
belge avait le mérite de chercher à inciter la justice criminelle à rendre compte de ses
décisions, tentative résolument absente en droit français. Ultérieurement, il s’agira cependant
de savoir si cette volonté ne reste pas vaine au sein de la juridiction populaire. Peut-être, en
gardant le silence sur cette question, la France fait-elle preuve d’un réalisme accru, jugeant
tacitement une motivation impossible aux assises ?

1719
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 25-26 ; Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/4, p. 15-16.
1720
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 316-317.
1721
Infra, n° 334.
1722
La proposition d’avoir recours à un spécialiste indépendant restant étranger aux débats, mais dont l’avis est
obligatoire, fut également avancée par J. Bard dans sa thèse de 1934 (J. BARD, o.c., p. 154).
1723
M. HARVEY, « The New French Revolution : Recent Changes to the Cour d’Assises » in P. FEUILLEE-KENDALL et
H. TROUILLE, Justice on Trial : The French ‘Juge’ in Question, Bern, P. LANGAG, 2004, p. 198 et s.

278
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

B — DIVERGENCE DE ROLES

275. Si elle semble attribuer au délibéré conjoint une mission plus prometteuse en tant
que conditio sine qua non pour la motivation des arrêts criminels et valorisait sur ce point la
présence des professionnels, la proposition de loi belge limitait par ailleurs le rôle que ces
derniers pourraient remplir dans le processus décisif. A cet égard, elle se distingue
résolument de son devancier français.

276. A première vue le système de Vichy a donné une prépondérance aux magistrats
de carrière. Depuis la loi de 1941 ils accèdent à la salle de délibération en tant que membres à
part entière. En l’occurrence, ils disposent à l’instar des jurés d’un droit de vote. Hormis le
fait d’être (co)responsables de la détermination de la peine, les magistrats professionnels
devenaient des véritables juges de fait. Une telle égalité est également perceptible dans la
salle d’audience. Au lieu de se trouver comme auparavant face à l’accusé et à son défenseur,
le jury forme désormais — si la disposition des lieux le permet —, avec les trois magistrats
professionnels une sorte de demi-cercle (art. 303 CPP). Cette configuration contribue à
renforcer l’isolement de l’accusé qui a alors devant lui un ensemble de douze juges.1724 Dans
la salle de délibération, en préservant formellement bien le vote sur chacun des aspects de la
qualification, chaque juré et magistrat professionnel reçoit un bulletin ouvert sur lequel il doit
écrire ‘oui’ ou ‘non’. Pour respecter le secret de la délibération, chacun doit remettre son
bulletin écrit et fermé au président afin qu’il le dépose dans l’urne. Sur le champ et en
présence des autres juges, le président dépouille chaque scrutin et mentionne le résultat du
vote. Les bulletins sont ensuite brulés. La déclaration constate que le vote a eu lieu à la
majorité requise sans indiquer le nombre de voix.1725

Toutefois, compte tenu de leurs autorité, prestige et expérience, peu propices à la


contradiction, il s’agit de savoir si la voix des juges professionnels n’est pas prépondérante
ou, en tous cas, ne pèse pas plus lourde dans la délibération. Ne bénéficient-t-ils pas
incontestablement d’un prestige qualitativement ascendant sur le jury criminel ?1726 Est-il en
effet difficile pour les jurés de ne pas épouser l’opinion du juge, comme le suppose André
Gide ?1727 Il ne fait aucun doute que le jury embarrassé par cette charge qui consiste à juger,
est en quête de repères. Il n’est pas imaginaire que le président qui est à sa disposition dans la
salle de délibération constitue sa référence première, même si cela entame son credo
d’indépendance.1728 Ainsi que l’évoquèrent divers auteurs, « un bon président qui adore son

1724
Y. OZANAM, l.c., p. 157.
1725
A. ROUX, « La réforme de la cour d’assises. Loi du 25 novembre 1941 », Lois nouvelles 1943, p. 12.
1726
M. GARÇON, l.c., p. 455-472.
1727
A. GIDE, o.c., p. 39.
1728
T. PECH, « L’homme de lettres aux assises : Gide, Mauriac, Giono », l.c., p. 206.

279
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

métier, qui adore les assises et qui adore les jurés, mène ces derniers où il veut ».1729 Celui-ci
peut élaborer son résumé à l’intérieur de la chambre de délibération, loin du contrôle
potentiel des parties. Pour éviter que le président ne refasse le procès dans la salle de
délibération alors que les débats sont clos, le législateur français à érigé un garde-fou
particulier, mais contestable et contesté1730, à savoir l’interdiction d’y consulter le dossier.1731

277. La proposition de loi belge du 25 septembre 2008 donnait en premier lieu


l’impression de se joindre finalement à l’évolution réalisée par la France plusieurs années
auparavant. Toutefois, sa conception d’un délibéré conjoint différait de manière significative
de celle de son prédécesseur français.1732 D’une part, ainsi que nous le verrons plus loin, elle
envisageait seulement l’ajout du président de la cour d’assises, à l’exception des assesseurs.
D’autre part elle cherchait à donner au président un rôle davantage compatible avec celui
qu’il arbore pendant les débats. A la différence du système français et tout en souhaitant
consacrer autant que faire se peut l’indépendance du jury, le président ne bénéficierait pas
d’un droit de vote ; davantage considéré dans son rôle d’expert juridique et de technocrate, il
ne serait qu’un ‘intrus’ doté d’une voix consultative, et non délibérative. Il resterait dès lors
étranger à la décision même. Le juge professionnel prendrait part à la prise de décision
seulement si le jury se prononce à une majorité trop étroite . Le garde-fou prévu pour le vote
sur la peine ne semble pas suffire. Pour le vote de la peine, l’article 343 du Code
d’instruction criminelle (ancien art. 364 CIC) dispose qu’il faut débuter avec le plus jeune
des jurés pour, après tous les jurés, finir avec le magistrat nommé en dernier lieu1733. Le
président ne peut voter qu’en dernier lieu afin d’éviter, dans la mesure du possible, qu’il
n’exerce son ascendant sur les jurés ou les assesseurs. Si tel n’était pas le cas, il pourrait
influencer ceux qui ne se sont pas encore décidés et susceptibles d’une sorte de
‘suivisme’.1734 Bien évidemment, rien n’empêche le président, partie prenante à la discussion,
d’avoir déjà divulgué son opinion.

Il ne fait aucun doute que la présence de la cour proprement dite au délibéré sur la
culpabilité a ou aurait des répercussions sur la dynamique de la délibération. Ainsi en droit
français le président n’a plus ni à rappeler aux jurés les fonctions à remplir dans la salle de
délibération, ni à leur expliquer comment ils devaient rédiger leur déclaration en cas de
circonstances atténuantes.1735 Décidant ensemble avec les jurés, le législateur français a aboli

1729
T. LEVY, Les Annonces de la Seine du 28 mars 1996 et A. GIDE, o.c., p. 179.
1730
Infra, n° 585.
1731
Y. OZANAM, l.c., p. 155-157.
1732
Dans sa proposition les deux assesseurs seront supprimés (infra, n° 282).
1733
J. BARD, o.c., p. 111.
1734
L. MOZERE, « Jurée sous influence ou la résistible jouissance du jugement », Droit et Société 2002, p. 407.
1735
A. ROUX, « La réforme de la cour d’assises. Loi du 25 novembre 1941 », l.c., p. 10.

280
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

le pouvoir de la cour de surseoir au jugement et de renvoyer l'affaire à une session ultérieure


afin d’être soumise à un nouveau jury composé différemment si l’erreur de ce dernier fait
l’objet d’une conviction unanime.1736 En droit belge, la réforme permettrait dans un
mouvement de simplification et d’allègement de la procédure de mettre un terme au système
rigide de questions1737, ainsi qu’à la figure du chef du jury1738, le traitement différent d’un
juré par rapport aux autres dans une délibération mixte n’étant plus justifiable.

278. Une différence notable émergerait ensuite quant à l’organisation de la


délibération. Ainsi à partir de l’entrée en vigueur de la loi de 1941, il n’y a en France qu’une
seule et unique délibération. On est alors censé délibérer sans désemparer (art. 362 CPP) ;
c’est une règle d’ordre public.1739 Il en résulte que si la décision est attaquée devant la Cour
de cassation, elle donne, comme en correctionnelle, nécessairement lieu à une cassation
intégrale, même en cas de simple vice de la peine.1740 Le cas échéant, la cour d’assises de
renvoi est donc censée recommencer intégralement le débat, même si le défaut ne porte que
sur la peine infligée. Avant la réforme, une cassation partielle était envisageable, notamment
si l’on n’attaquait que la peine. Dans ce cas la cour d’assises de renvoi était censée se
prononcer selon la décision de culpabilité de première instance. Si le verdict du jury est
régulier, il était et restait acquis pour l’annulation de la peine.1741

La proposition belge, pour sa part, choisissait de maintenir la scission entre la


délibération sur la culpabilité et le délibéré sur la peine qui règne actuellement dans sa
procédure criminelle. Reconnaissant bien les avantages qu’un délibéré unique pourrait
engendrer, à savoir le gain du temps et de sérénité, les deux délibérations obéissent, selon la
Commission de réforme de la cour d’assises, à des règles différentes.1742 Lorsqu’il s’avère
inacceptable que la personnalité, le passé et la manière de vivre de l’accusé marquent la
décision sur la culpabilité, la peine doit par contre être individualisée. La scission permettrait
en outre d’éviter des plaidoiries contradictoires.1743 En traitant les questions afférentes à la
culpabilité et à la peine dans un délibéré unique et conjoint, l’accusé qui conteste les faits ou
1736
Supra, n° 254.
1737
Infra, n° 312.
1738
Dans le système belge actuel, le chef du jury est le premier juré tiré au sort ou celui qui, avec son consentement,
est désigné par les jurés. Sa tâche consiste à communiquer le résultat de la délibération selon la formule consacrée à
l’art. 332 CIC. La déclaration du jury est signée par le chef du jury et remise par lui au président, le tout en présence
des jurés (art. 333 CIC). Il est également tenu de signer la motivation rédigée par la cour (art. 334 al. 3 CIC ; infra, n°
334). D’un point de vue psychologique, il pourrait être le « porte-parole » des autres jurés. En France, le « chef du
jury » a disparu en faveur d’un « premier juré désigné par le sort » qui doit cosigner le verdict avec le président (W.
ROUMIER, o.c., p. 301, note 1129).
1739
Crim. 11 juin 1949, JCP 1949, n° 5173, obs. J. MAGNOL.
1740
Crim. 3 déc. 1943, D. 1943, p. 24, note P. MIMIN et JCP 1943, n° 2159, obs. J. BROUCHOT et Crim. 6 févr. 1964,
Bull. crim. 44.
1741
Crim. 15 juin 1933, Bull. crim. 127.
1742
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 28.
1743
Ibid.

281
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

sa culpabilité est obligé de plaider subsidiairement des circonstances atténuantes et de


requérir le sursis1744. Une telle attitude qui fragilise la thèse principale de l’innocence et, par
conséquent, la position de la défense serait difficilement compréhensible pour les jurés. A cet
égard, la scission permettrait d’endiguer autant que faire se peut la confusion des jurés. Le
délibéré unique irait en outre à l’encontre de la philosophie sous-jacente aux propositions
(entretemps enterrées) de la Commission de réforme de la procédure pénale, le Franchimont
II du 13 janvier 2004, qui envisageait d’étendre cette scission également à la procédure
correctionnelle et contraventionnelle1745. Finalement un délibéré scindé resterait bien
nécessaire si, dans l’optique de la Commission, le président ne pouvait pas voter sur la
culpabilité, mais conserverait cette prérogative pour la peine. A l’instar du droit actuellement
en vigueur, une cassation se limitant à la peine, resterait donc bien possible. Depuis l’arrêt du
17 juin 2008 décidant du sort de l’affaire Goktepe1746, une limitation de la cassation semble
même possible en ce qui concerne la question de culpabilité. Notamment, la cassation
pourrait être limitée à la décision relative aux circonstances objectives aggravantes, laissant
la décision de culpabilité quant à l’infraction de base intacte.

279. Si l’hypothèse d’une adhésion de la Belgique au système français fit briller une
brève lueur d’espoir, sa conception radicalement différente du délibéré conjoint et du rôle
incarné par le professionnel infirme alors cette thèse. Si la France semble s’engager dans une
voie (naïve) d’égalité entre les deux types de juges, la proposition de loi belge cherche à
optimiser l’esprit d’indépendance des jurés.1747 Le président n’endossant que le rôle de
conseiller, la décision resterait exclusivement une décision des citoyens. Cette situation
permettrait au président de conserver une certaine réserve favorable à l’exercice du rôle
d’assistance et de soutien qui est le sien. A première vue, une telle option qui découle de la
1744
Une suspension de la peine ne peut pas être prononcée par la cour d’assises (art. 3 al. 1 loi du 29 juin 1964
concernant la suspension, le sursis et la probation, MB 17 juill. 1964).
1745
Art. 303 de la proposition de loi (H. VANDENBERGHE) contenant le Code de procédure pénale (Doc.parl. Sénat
2003-04, n° 3-450/1) : « si le ministère public ou le prévenu le demandent par une requête déposée avant le
réquisitoire et les plaidoiries, le juge ordonne qu'il sera statué en premier lieu sur l'existence des faits et sur la
culpabilité du prévenu. Quand un des prévenus demande l'application de cette procédure, elle s'applique à l'ensemble
des prévenus impliqués dans la même affaire. Après décision sur les faits et sur la culpabilité, les débats reprennent
leur cours dans le mois. Il n'est requis et plaidé que sur la peine ou la mesure applicable et sur leurs modalités, ainsi
que sur les réparations civiles. Le tribunal prononce son jugement au fond par une seule décision pour tous les
accusés jugés contradictoirement. L'appel du jugement sur les faits et sur la culpabilité n'est recevable qu'avec l'appel
du jugement au fond et saisit le juge d'appel de l'ensemble de l'action pénale. Il en est de même pour l'opposition
formée par une partie défaillante ». Une telle proposition est fondée sur le projet inédit du commissaire royal
BEKAERT du 12 novembre 1976 (L. DUPONT, « Waarover men niet (meer) spreekt. Een eentonig verhaal over
strafrechtelijke hervormingspogingen in België », Panopticon 1980, p. 445-449).
1746
Cass. 17 juin 2008, FC 2008, p. 284, concl. M. DE SWAEF et RABG 2009, p. 14, note D. VAN DER KELEN et L.
GYSELAERS (infra, n° 309). Intervenu après l’arrêt Taxquet c. Belgique, cela a également des conséquences sur le
niveau de la motivation (v. D. VAN DER KELEN et L. GYSELAERS, « Göktepe bis met een vleugje Taxquet », (note sous
Cour ass. Bruges 26 nov. 2009), RABG 2010, p. 445-453).
1747
V. à cet égard également la proposition de P. Crockaert en vue d’évoluer vers un délibéré en deux temps afin
d’éviter que les professionnels n’exercent une trop grande influence : d’abord l’examen de l’affaire avec le président
et ensuite la prise de décision en privé (J. VANDERVEEREN, l.c., p. 498).

282
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

réflexion de la Commission de réforme de la cour d’assises belge paraissait surprenante


compte tenu de sa volonté de supprimer, dans un premier temps, l’institution du jury
populaire et de le remplacer par un système mixte de collaboration1748. Pourtant, cette option
était cohérente. Une fois que l’on a opté pour le jury populaire, il convient d’accorder aux
citoyens l’entière confiance requise. Par ailleurs, la Commission réfutait l’hypothèse d’un
retour à une situation où les magistrats professionnels décideraient seuls de la peine, à l’instar
des pays de common law, ainsi que de l’Espagne et de la Fédération de Russie où le jury fut
récemment réintroduit.1749 Compte tenu des risques de rébellion du jury, analysés ci-dessus,
une telle réfutation est bien compréhensible. A juste titre, la Commission estimait que si on
opte pour le maintien du jury, « le principe démocratique doit être exploité à fond », ce qui
implique la participation des citoyens jusqu’au bout.1750 Par rapport à la situation française, la
proposition belge accordait une importance particulière à la prédominance populaire. De cette
façon, cette proposition s’avérerait plus facile à accepter, celle-ci consacrant le jury populaire
en tant que seul juge de fait et nourrissant ainsi l’impression de sauvegarder sa souveraineté.
Par l’assistance du président, la séparation du fait et du droit serait entamée, tout en restant
toutefois en application. Pourtant, aussi dans cette proposition, le président, privé d’un droit
de vote, pourrait bien influer sur la discussion des jurés et laisser dès lors une empreinte
importante sur le verdict du jury. En outre, la proposition consacrait également le garde-fou
de l’(ancien) article 351 du Code d’instruction criminelle, ce qui trahirait son refus de confier
aveuglement cette tâche aux juges-citoyens. Au lieu d’un ‘échevinage atténué’, il serait plutôt
question d’un ‘jury atténué’ ou plutôt d’un ‘jury encadré’.

Notons que cette proposition belge n’était pas pionnière concernant ce point. Depuis
1890, le droit genevois était déjà doté d’un tel système de coopération limitée : pour la
détermination de la peine le président suisse dispose d’une voix délibérative, pour la décision
sur la culpabilité, il n’a qu’une voix consultative.1751 En France, une telle proposition avait
été envisagée par Corentin Guyho en 1908. Au-delà de la volonté de préserver
l’indépendance du jury, sa proposition visait à empêcher que les professionnels ne perdent
leur dignité pour cause de faiblesse numérique. Lorsque les jurés ne se prononçaient pas à
une majorité simple, l’influence des magistrats de robe ne pouvait être qu’infime, avance-t-il.
Dans ce cas, ceux-ci ne pouvaient que renforcer une majorité déjà acquise. Etant en effet
largement minoritaires, ils ne pouvaient qu’endosser une fonction subordonnée et humiliante

1748
Infra, n° 553.
1749
Infra, n° 408.
1750
Rapport définitif de la Commission de réforme de la cour d'assises remis à Mme la ministre de la Justice L.
Onkelinx le 23 déc. 2005, p. 56.
1751
B. STRAULI, « Le jury genevois », RIDP 2001, 329-330. Sur la récente condamnation à mort du jury populaire
genevois, infra, n° 551.

283
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

dans ce délibéré commun,1752 de sorte qu’il valait mieux restreindre leurs prérogatives à un
rôle consultatif.1753 Ainsi que nous l’avons analysé plus haut, la France n’a pas donner suite à
cette proposition en attribuant un réel droit de vote aux trois magistrats de la cour associés à
la délibération sur la culpabilité. Ne serait-il pas en effet pas hypocrite d’associer le président
au délibéré pour que son apport soit bénéfique à la délibération, mais tout en l’excluant du
vote ? Toutefois, l’attachement au jury populaire a bien laissé des traces. Ainsi que nous
l’esquisserons ci-dessous, le législateur a bien cherché à garantir la prédominance du jury.

§ 2 — LE DELIBERE COFJOIFT, LA PREDOMIFAFCE EFCADREE DU JURY ?

280. Pour désamorcer la crainte d’une influence susceptible d’être exercée par le
corps des savants sur l’esprit des jurés, les systèmes s’attachèrent à préserver la dominance
du jury par l’usage de critères ‘quantitatifs’, tant sur le plan numérique (A — Le nombre de
jurés) que sur celui des règles de la majorité (B — Les règles de majorité). Il s’agit toutefois
de savoir si cela pourrait suffire pour contrer la dominance ‘qualitative’ du juge
professionnel.

A — LE NOMBRE DE JURES

281. L’une des répercussions naturelles du délibéré mixte semble concerner la


diminution du nombre de jurés, ce qui témoigne de la volonté d’adhésion à un système
d’échevinage doté d’un nombre moindre de membres comparé au jury populaire. Ainsi, la loi
française du 25 novembre 1941 était accompagnée d’une diminution accrue du nombre des
jurés, disposition rompant avec le chiffre évangélique de douze utilisé jusqu’alors. Cette loi
porta notamment le quota de juges-citoyens à six, tandis que les professionnels, intégralement
maintenus, demeuraient au nombre de trois. De manière sous-jacente, la minoration du
nombre de jurés permettrait d’optimiser la répression et rendrait la délibération moins lente et
moins confuse.1754 Pour éviter pourtant que le collège comporte un nombre impair de
membres (en l’occurrence neuf : six jurés et trois magistrats professionnels), les jurés étaient
portés à sept par l’ordonnance du 20 avril 19451755. Le collège comportait désormais donc dix
membres.1756 Ainsi fut réamorcé un judicieux retour à la règle antérieurement en vigueur qui
voulait que le partage des voix profite à l’accusé.1757 Finalement le nombre de membres serait
fixé à neuf par le Code de procédure pénale de 1958 toujours en application (art. 296 CPP),
1752
Corentin Guyho, cité par P. REUTENAUER, l.c., p. 131.
1753
P. MIMIN, « Le concours du jury à la détermination e la peine », l.c., p. 357-358.
1754
J. VANDERVEEREN, l.c., p. 479.
1755
Ordonnance n° 45-764 du 20 avril 1945 sur les cours d’assises, JORF 21 avr. 1945, p. 2252.
1756
M. PATIN, « Le problème de l’organisation de la cour d’assises », l.c., p. 226.
1757
W. ROUMIER, o.c., p. 11, n° 16.

284
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

ce qui témoigne d’un renforcement du composant populaire dans le processus décisif.1758 La


suprématie du jury était dès lors rétablie. Elle pourrait s’interpréter comme la traduction de
« l’importance nouvelle qu’on a voulu donner aux jurés au cours de la délibération, pour les
défendre contre l’influence qu’on avait accusé certains présidents d’exercer indûment sur
eux ».1759 De la même manière il s’agirait ultérieurement de déterminer la composition de
l’instance en appel, celle-ci devant présenter une certaine supériorité par rapport à l’instance
de premier degré.1760

282. En droit belge, la proposition d’un délibéré conjoint irait de pair avec une
restriction du nombre de jurés qui seraient portés à huit.1761 Une telle réduction s’inscrirait
dans la volonté d’alléger la procédure d’assises, tout en facilitant la délibération et la prise de
décision, ainsi que la motivation de celle-ci1762. Contrairement à la situation en France, la
proposition de loi du 25 septembre 2008 allait toutefois plus loin dans cette logique, en
réduisant également le composant professionnel. Dans le sillage de la Commission de
réforme de la cour d’assises, elle proposait de supprimer les assesseurs en matière
criminelle1763 et d’ajouter uniquement le président au délibéré sur la culpabilité. Elle
considérait en effet que l’apport des assesseurs est en pratique plutôt réduit. Il s’agit souvent
de jeunes magistrats peu expérimentés, qui — contrairement au président — ne connaissent
pas le dossier et ne prennent part aux discussions que sporadiquement. En outre, le président
exerce son pouvoir discrétionnaire seul, de sorte qu’« il se dit parfois à demi-mot, y compris
au sein des milieux judiciaires, que ces assesseurs font figure de ‘potiches’ ».1764 Pour juger
une telle accusation sévère, il convient de faire une incursion concise dans le domaine de
pouvoirs énormes et exclusifs du président de la cour d’assises.

Comme tous les magistrats présidant une juridiction, le président d’assises peut
interroger l’accusé et les témoins.1765 Dans le même sens, le président d’assises est

1758
Il convient en outre de rappeler qu’il y a en droit continental également des jurés supplémentaires dont le nombre
est à déterminer par la cour, avec une limite de huit en droit belge. En principe, ces jurés ne prennent pas part à la
délibération (v. Crim. 8 nov. 1972, Bull. crim. 330 ; H. ANGEVIN, o.c., p. 365, n° 1068). Si un des jurés effectifs ne
peut remplir sa mission, il peut être remplacé par un juré supplémentaire qui a assisté à tous les débats (sur base de
tirage au sort), sans qu’il en résulte une entorse aux exigences de l’indépendance ou de l’impartialité (Cass. 22 mars
1995, Pas. 1995, p. 342 et R.Cass. 1995, p. 278, note F. D’HONDT).
1759
A. VITU, « La cour d’assises dans le Code de procédure pénale », RSC 1959, p. 549.
1760
Infra, n° 388.
1761
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 14-15. Le ministre de la Justice de l’époque, L. Onkelinx, proposait un
jury au nombre de six personnes, ce qui fut réfuté par la Commission comme étant trop limité notamment au point de
vue de la représentativité.
1762
Infra, n° 332.
1763
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 9-11. Cette suggestion rejoint sur ce point la proposition de loi (Ch.
MARGHEM et A. COURTOIS) tendant à la réforme du Code judiciaire et du Code d’instruction criminelle, Doc.parl.
Chambre 2003-04, n° 51-1148/001).
1764
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 9.
1765
Cass. 24 avr. 2001, Pas. 2001, p. 683 et RW 2001-02, p. 1572 ; R. DECLERCQ, o.c., p. 1026, n° 2307.

285
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

responsable pour la police de l’audience (art. 309 CPP et nouvel art. 281 § 1 al. 2 CIC)1766 et
la direction des débats (art. 309 CPP et ancien art. 267 al. 1 CIC)1767. Ce dernier pouvoir
englobe la direction de l’instruction, le pouvoir d’écarter du débat tout ce qui ne pourrait
qu’inutilement la prolonger et la direction des jurés (art. 267 al. 1 CPP et nouvel art. 281 § 2
in fine 2 CIC).1768 Aux assises, le pouvoir du président va pourtant plus loin. En vertu de
l’article 310 du Code de procédure pénale et de l’article 281 § 2 du Code d’instruction
criminelle, le président de la cour d’assises dispose d’un pouvoir extraordinaire. Ainsi il peut
— dans le respect du principe de la continuité des débats1769 — compléter l’instruction à
l’audience, en prenant tout ce qu’il croit utile à la manifestation de la vérité.1770 Il est en effet
possible que les moyens de preuves recueillis lors de l’instruction se révèlent insuffisants
pour la manifestation de la vérité ou qu’il y ait des incidents imprévus lors des débats.1771 En
vertu du nouvel article 281 § 2 alinéa 2 du Code d’instruction criminelle belge, il peut dans le
cours des débats : « appeler, même par mandat d’amener, et entendre toutes personnes, ou se
faire apporter toutes nouvelles pièces qui lui paraîtraient, d’après les nouveaux
développements donnés à l’audience, soit par les accusés, soit par les témoins, pouvoir
donner un éclairage utile sur le fait contesté ». De manière saisissante ce pouvoir
discrétionnaire du président a été comparé au « tapis volant d’Aladin, avec lequel le président
peut survoler tous les obstacles procéduraux afin de garder le cap sur la procédure ».1772

L’exercice de ce pouvoir facultatif1773 n’a d’autres limites que les droits de la


défense1774 et les prohibitions formelles de la loi.1775 Il doit être enfermé dans les débats pour

1766
Pour le droit français, v. W. ROUMIER, o.c., p. 334-335, n° 615-618 ; pour le droit belge, v. R. DECLERCQ, o.c., p.
1019, n° 2285.
1767
Pour le droit français, v. W. ROUMIER, o.c., p. 335-339, n° 619-629 ; pour le droit belge, v. R. DECLERCQ, o.c., p.
1019 et s., n° 2286 et s.
1768
P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 42, n° 79.
1769
Sauf à reprendre les débats dès le début avec le concours du jury (W. ROUMIER, o.c., p. 339, n° 630).
1770
Pand.b., v° La cour d’assises, p. 411, n° 1746.
1771
A titre d’exemple, le président a le droit d'entendre toute personne dont la déposition semble de nature à éclairer la
conviction de la cour, même si celle-ci ne figure pas dans la liste des témoins (Crim. 9 déc. 1998, Bull. crim. 337),
voire des témoins notifiées mais auxquelles les parties ont renoncé (Cass. 9 oct. 1967, Pas. 1968, I, p. 189) ou des
témoins reprochables (Crim. 7 déc. 1966, Bull. crim. 282 ; supra, note 1129). Ce pouvoir lui permet aussi de joindre
un test polygraphe auquel l’accusé a été soumis avant l’examen de la cause par la cour d’assises (A. VANDEPLAS, « De
knelpunten bij de assisenprocedure », (note sous Cass. 11 oct. 2005), RW 2007-08, p. 1240). Pour d'autres exemples
v., R. DECLERCQ, o.c., p. 1021-1026, n° 2293 et 2298 et s. et pour le droit français H. ANGEVIN, o.c., p. 29-32, n° 74-
79 et W. ROUMIER, o.c., p. 344 et s., n° 640 et s.
1772
A. VANDEPLAS, « De voeging van stukken », (note sous Cass. 8 déc. 2004), RW 2007-08, p. 1319-1320.
1773
Le président n’est jamais tenu d’exercer son pouvoir discrétionnaire (Crim. 17 oct. 1990, Bull. crim. 344).
L’exercice de ce pouvoir est libre ; une corrélation directe avec certains nouveaux développements des débats n’est
pas nécessaire (Pand.b., v° La cour d’assises, p. 412, n° 1749). Les parties ne peuvent pas requérir l’exercice, ni
ordonner d’user de ce pouvoir (Crim. 16 mai 1979, Bull. crim. 177 ; Crim. 24 mars 1993, Bull. crim. 131 et Crim. 20
déc. 2000, Bull. crim. 385 et Dr. pén. 2001, comm. 53, note A. MARON). Le président peut refuser sans explication
(Crim. 21 nov. 1968, Bull. crim. 314 ; Crim. 23 nov. 1988, Bull. crim. 398. Pour le droit belge v. Cass. 11 juin 2002,
Pas. 2002, p. 1332 et RW 2002-03, p. 706, note A. VANDEPLAS et Cass. 21 mars 2006, FC 2006, p. 206 et Pas. 2006,
p. 658). Le droit d’imposer, tout comme le droit de refuser, échappent donc à tout contrôle (Crim. 21 nov. 1968, Bull.
crim. 314). De même, le président n’est pas non plus lié par ses propres décisions : il peut les exécuter soit en tout,
soit en partie, ou les rétracter ou les modifier (Crim. 17 août 1821, Bull. crim. 155). Les parties ne peuvent interjeter

286
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

commencer et finir avec eux1776 — c’est-à-dire jusqu’au moment où les jurés se retirent dans
la salle de délibération1777 —, et ne peut avoir lieu qu’en présence des jurés et des parties.1778
Mais aucune disposition n’interdit au président de préparer à l’avance l’exercice de ce
pouvoir et de prendre des mesures nécessaires en dehors des parties.1779 En effet, dès sa
désignation et contrairement à son collègue correctionnel, le président de la cour d’assises est
compétent pour accomplir tous les actes nécessaires à la préparation de la session dont la
présidence lui est confiée.1780 Il peut donc déjà ordonner, entre l’arrêt de renvoi et la venue de
l’affaire à l’audience, tous les actes d’information qu’il juge utile lorsqu’il considère
l’instruction incomplète ou en cas d’éléments nouveaux lors de son clôture (art. 283 al. 1
CPP et nouvel art. 255 CIC).1781 C’est un pouvoir d’investigation souverain1782, qui n’est
soumis à aucune formalité et, contrairement au pouvoir discrétionnaire qui s’exerce à
l’audience, à aucune contradiction.1783

un pourvoi en cassation que pour juger la légalité de cette décision s’il semble question d’un excès de pouvoir ou
d’une violation des règles procédurales et légales.
1774
Il n’est par exemple pas permis de déposer à propos d’une perquisition irrégulière (Crim. 28 août 1926, Bull. crim.
223 ; W. ROUMIER, o.c., p. 343, n° 637).
1775
Crim. 18 mai 1977, Bull. crim. 180. Pour le droit belge, v. Cass. 25 févr. 1987, RDPC 1987, p. 694, note J.S. ; v.
également O. KLEES, « A propos du pouvoir discrétionnaire du président de la cour d’assises » in H. BOSLY (éd.),
Liber Amicorum José Vanderveeren, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 65-74.
1776
Cass. 19 juin 1884, Pas. 1884, p. 238 et Cass. 16 févr. 1999, RDPC 1999, p. 1181. Bien évidemment il renaît en
cas de réouverture des débats (Pand.b., v° La cour d’assises, p. 425, n° 1815).
1777
Pand.b., v° La cour d’assises, p. 424, n° 1810.
1778
Cass. 27 août 1996, Pas. 1996, I, p. 745 et RW 1996-97, p. 1394, note A. VANDEPLAS ; Cass. 10 févr. 1998, RW
1999-00, p. 537, note A. VANDEPLAS et Cass. 21 avr. 2004, JT 2004, p. 520, note et Pas. 2004, p. 683. Ce pouvoir
n’est donc pas possible en l’absence des parties et des jurés, même s’il les en avise après (Cass. 27 août 1996, RW
1996-97, p. 1394, note A. VANDEPLAS). Pendant une suspension l’exercice n’est pas possible (Cass. 30 sept. 1992,
Pas. 1992, p. 1098 et RDPC 1993, p. 94).
1779
Crim. 14 juill. 1853, Bull. crim. 359 ; Cass. 12 nov. 1985, Pas. 1986, p. 283 et RW 1985-86, p. 2549, note A.
VANDEPLAS et Crim. 7 déc. 1988, Bull. crim. 413. En droit belge, ce pouvoir a été restauré par la loi du 30 juin 2000
en vertu de laquelle le président peut prendre tout acte qui relève de la compétence du juge d’instruction, à l’exception
d’un mandat d’arrêt (P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 36, n° 57). En droit français, la loi ne semble imposer
aucune limite à ce pouvoir antérieurement au procès, ce qui donne au président un pouvoir primordial (W. ROUMIER,
o.c., p. 332-333, n° 610).
1780
W. ROUMIER, o.c., p. 331, n° 609.
1781
H. ANGEVIN, o.c., p. 131, n° 356.
1782
Crim. 25 févr. 1969, Bull. crim. 95. D’autres compétences préalables au procès sont la décision de joindre ou
disjoindre deux ou plusieurs procédures (art. 285-286 CPP et art. 257-258 CIC), la décision de renvoyer l’affaire à
une autre session (art. 287 CPP et art. 256 CIC) et l’obligation en droit français d’interroger l’accusé (art. 272 et 273
CPP ; faculté en droit belge (art. 254 al. 3 CIC) ; v. plus en détail, W. ROUMIER, o.c., p. 333, n° 611-612 et R.
DECLERCQ, o.c., p. 1000-1001, n° 2211 et s.).
1783
Cass. 6 avr. 1914, Pas. 1914, I, p. 171 et Cass. 12 nov. 1985, Pas. 1986, I, p. 283. Dénommé comme
« discrétionnaire » (Cass. 26 oct. 1868, Pas. 1869, I, p. 224) ou « faculté discrétionnaire » (Cass. 2 mai 1910, Pas.
1910, I, p. 220), il est souvent confondu avec le pouvoir discrétionnaire qu’il exerce à l’audience. Plus tard on parle de
l’exercice du pouvoir discrétionnaire tant avant que pendant les débats (Cass. 9 avr. 1986, Pas. 1986, I, p. 961 et
RDPC 1986, p. 712), comme l’indique R. DECLERCQ, o.c., p. 1007, n° 2239 ; v. aussi Crim. 19 mars 1981, Bull. crim.
100 et D. 1982, p. 605, note H. FENOUX.
A la recherche de plus de contradictoire, le pouvoir illimité et unilatéral avant l’ouverture de l’audience, qui rapproche
le président du juge d’instruction, était une cause d’exaspération aux yeux de la Commission de réforme belge. En
particulier, elle jugeait le maintien d’un tel pouvoir insoutenable lorsque le président participerait au délibéré : « le
maintien du rôle visé à l'article 298 précité crée une tension entre cette compétence et les exigences en matière
d'impartialité et de droit à un procès équitable au sens de l'article 6 CESDH » (Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005,
p. 53-54). Le système procédural offre des garanties suffisantes pour éviter la présentation d'un dossier lacunaire
(Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 53-54). Ainsi que nous l’avons avancé plus haut, l'instauration d’une

287
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Il convient de remarquer que le pouvoir discrétionnaire exercé à l’audience, est un


pouvoir personnel qui n’incombe en principe qu’au président de la cour d’assises, sans
assistance des assesseurs, ni des jurés.1784 Bien évidemment rien ne s’oppose à ce que le
président consulte ses assesseurs ou les jurés,1785 mais il reste seul maître de cette décision et
n’est pas tenu de suivre leur avis. En ce qui concerne le droit belge, il serait même question
d’un pouvoir incommunicable. La cour ne peut jamais s’immiscer dans son exercice.1786 Si
elle est saisie par des conclusions, elle est censée se déclarer incompétente.1787 En droit
français, en revanche, la loi du 29 décembre 1972 permet une délégation du pouvoir
discrétionnaire — pas de la police et la direction des débats1788 — (art. 310 CPP) afin de
libérer les présidents parfois « embarrassés par ce pouvoir discrétionnaire dont les a investit
la loi ».1789 De cette manière, il permet donc d’impliquer les assesseurs dans l’exercice de ce
pouvoir normalement dévolu au seul président. Dans ce cas, la cour est tenue de statuer dans
les formes prévues pour les incidents contentieux et donc par arrêt motivé.1790

283. Par rapport à ce pouvoir extraordinaire du président de la cour d’assises, on


comprend mieux d’où vient la dénomination dénigrante ‘potiche’ qu’on utilise parfois à
l’égard des assesseurs. Une telle vision est sans doute trop sévère, telle que le remarquait
également la Commission de réforme belge lorsqu’elle confirmait bien l’utilité des assesseurs
pour la discussion des questions de droit délicates ou pour bien veiller au respect de certaines
formalités. Pourtant cette plus-value blêmi par rapport aux coûts et aux inconvénients que
représente pour l’organisation judiciaire l’assistance de deux juges d’instance aux discussions
d’assises, ceux-ci rappelons-le, étant ‘bloqués’ pendant tout le procès. En effet

‘audience préliminaire’ contradictoire permettrait de soumettre déjà des demandes d'actes d’instruction
complémentaires avant que débutent les débats sur le fond de l'affaire ou de combler les éventuelles lacunes de
l'instruction. Réfutant un délibéré conjoint entre les magistrats de robe et les jurés, la nouvelle loi juge opportun de
maintenir le pouvoir discrétionnaire du président, tant avant que pendant le procès (nouveaux art. 255 al. 1 et 281 § 2
al. 1 CIC). La possibilité du président d’assises d’interroger l’accusé préalablement au procès est également consacrée
(art. 254 al. 3 CIC). En France, le rapport Léger tâche également de renforcer le contradictoire en modifiant le rôle des
présidents à l’audience et celui du président de la cour d’assises en particulier (supra, n° 192).
1784
Crim. 4 mars 1958, Bull. crim. 208 et Crim. 4 juin 1969, Bull. crim. 187. Bien évidemment l’exécution peut être
déléguée à un juge d’instruction ou un officier de police judiciaire.
1785
Crim. 13 oct. 1832, Bull. crim. 414 ; v. Pand.b., v° La cour d’assises, p. 416, n° 1778 pour les jurés.
1786
Cass. 12 mai 1851, Pas. 1851, p. 381. Tout arrêt par lequel la cour d’assises aurait limité le pouvoir
discrétionnaire du président entache la procédure d’une nullité (Pand.b., v° La cour d’assises, p. 419, n° 1793). Pour
le droit français, v. Crim. 20 déc. 2000, Bull. crim. 385 et Dr. pén. 2001, comm. 53, note A. MARON.
1787
Crim. 12 juin 1981, Bull. crim. 198 et RSC 1982, p. 800, obs. J. ROBERT ; Crim. 26 juill. 1993, Bull. crim. 251 et
Crim. 9 déc. 1998, Bull. crim. 337.
1788
Crim. 11 janv. 1977, Bull. crim. 12.
1789
R. Merle et A. Vitu, cités par W. ROUMIER, o.c., p. 341, n° 634. Selon la Cour de cassation, il faut que le président
constate expressément qu’il est opportun de saisir la cour (Crim. 19 juin 1974, Bull. crim. 226 et D. 1974, p. 705, note
F. CHAPAR et Crim. 29 oct. et 16 nov. 1976, Bull. crim. 298 et 327 et Crim. 20 déc. 2000, Bull. crim. 385. La Cour de
cassation n’est pourtant pas toujours si exigeante ; v. Crim. 18 déc. 1980, Bull. crim. 357 et D. 1981, p. 312, note F.
CHAPAR). Au lieu d’une délégation générale, il faut donc une délégation spéciale (Crim. 21 mars 1984, Bull. crim.
121).
1790
W. ROUMIER, o.c., p. 342, n° 634.

288
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

l’indisponibilité de deux juges a des répercussions considérables sur la machine judiciaire et


la collectivité des justiciables.1791 La suggestion de faire prévaloir des considérations
pragmatiques, tout en prenant en compte les intérêts des justiciables soucieux de voir leurs
litiges jugés dans un délai raisonnable est alors compréhensible. Visant à lutter contre
l’arriéré judicaire, la loi belge du 13 avril 2005 qui a complété l’article 195 alinéa 4 du Code
judiciaire semble avancer dans la bonne direction. Elle permet en particulier que « les juges
effectifs appelés à siéger seuls qui sont désignés par le président en qualité d’assesseur pour
former le siège d’une cour d’assises peuvent être remplacés, pendant la durée de la session
de la cour d’assises, par un juge suppléant exerçant cette fonction depuis dix ans au moins et
qui siège ou a siégé régulièrement en matière répressive dans une chambre à trois juges, ou
par un magistrat suppléant visé à l’article 156bis ».1792 Ainsi, les lacunes constatées au
tribunal de première instance provenant de la désignation de deux de ses juges pour la cour
d’assises peuvent être comblées. Il serait toutefois plus facile et efficace de supprimer
purement et simplement les assesseurs de la cour d’assises. Ne pourrait-t-on pas être confiant
quant aux capacités du président pour appréhender seul les questions de droit qu’il tranche
pour l’instant avec ses deux assesseurs, se demandait la Commission de réforme de la cour
d’assises ? Il est en effet choisi pour sa compétence et son expérience par le ministre de la
Justice et le Conseil supérieur de la Justice.1793 Il en est d’ailleurs ainsi dans l’ensemble des
pays de common law, tout comme en Espagne et dans la Fédération de Russie1794.

284. Outre ces considérations pragmatiques, la proposition de ne retenir que le


président comme seul composant professionnel, retenue par la proposition de loi du 25
septembre 20081795, témoignait de la volonté de garantir et de conforter la prépondérance des
jurés. La participation de trois magistrats professionnels à la délibération risquerait de
déplacer le centre de gravité de la discussion du jury-citoyen vers les magistrats
professionnels. Un jury serait en effet moins intimidé s’il se trouve seul avec un président que
s’il y a un collège de professionnels dans la salle de délibération.

285. Pour l’instant un tel système ne reste qu’un beau projet. La nouvelle loi du 21
décembre 2009 maintient la composition professionnelle de la cour d’assises, y compris les
deux assesseurs. Ne retenant pas le délibéré conjoint, le législateur ne voit aucune raison

1791
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 309.
1792
Loi du 13 avril 2005 modifiant diverses dispositions légales en matière pénale et de procédure pénale en vue de
lutter contre l’arriéré judiciaire, MB 3 mai 2005, p. 20760.
1793
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 309. Pour le
respect des formalités, le président pourrait se faire assister par son greffier ; pour des recherches ou d’aide juridique,
un référendaire pourrait être mis à sa disposition.
1794
Infra, n° 408.
1795
Proposition de loi (Ph. MAHOUX) relative à la réforme de la cour d'assises, Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-924/1.

289
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

impérative de réduire le nombre de jurés, ni de réduire corrélativement le nombre de


professionnels. De cette façon, il réfute également la tentative de solution intermédiaire du
Sénat conscient que la composition actuelle peut être « très pénalisante en termes de moyens
humains à libérer » et en particulier que la présence de deux assesseurs au sein de la cour
d’assises peut constituer un handicap considérable pour le système judiciaire, non seulement
pour le parquet mais également pour le siège1796 : une réduction du composant professionnel
au seul président avec la possibilité pour la chambre des mises en accusation, pour les
affaires complexes ou de longue haleine ou les affaires très médiatisées, d’exiger, lors de la
décision du renvoi à la cour d’assises et cela d’office ou à la demande des parties1797, une
composition à trois juges professionnels.1798 Il aurait pourtant été difficile de discerner les
critères sur la base desquels la chambre des mises en accusation exercerait son pouvoir
d’appréciation. Cela ne relève-t-il pas, en outre, de la compétence du législateur que d’établir
la composition des cours et tribunaux ?1799

En ce qui concerne le nombre de jurés, la nouvelle loi du 21 décembre 2009 n’apporte


pas non plus de nouveauté. Réfutant le délibéré conjoint qui, par l’arrivée d’un professionnel
dans la salle de délibération — même si celui-ci n’aurait qu’une voix consultative1800 —,
paralyserait la dynamique du groupe, cette loi conserve le nombre traditionnel de douze
jurés.1801 L’origine de ce chiffre reste un mystère. Certes, on peut y trouver une résonance
mystique dans la tradition chrétienne avec les douze tribus d’Israël et les douze disciples, ou
même une signification cosmique ancienne avec les douze signes du Zodiac. Mais ne s’agit-il
pas d’une simple coïncidence, d’une importation seulement issue du modèle de common
law ?1802 Pourtant même dans ce système, le nombre de douze jurés n’est pas absolu. Ainsi
que nous l’avons déjà mentionné, le jury anglais peut continuer avec au moins neuf jurés, ce
système n’usant pas de jurés supplémentaires. Il en est de même en droit américain où les
règles spécifiques d’un procès d’assises dépendent de l’Etat en question. Ainsi la Supreme
Court a décidé qu’un jury de moins de douze personnes était acceptable dans certains
procès1803, à condition qu’elle comporte au minimum six membres1804. Pour bien faciliter la

1796
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 6.
1797
Pour éviter des demandes injustifiées de renvoi à trois juges, la chambre des mises en accusation aurait un pouvoir
d’appréciation sur ce point. L’amendement en vue d’obliger cette chambre de donner suite à la demande émise par
une des parties a par conséquent été rejeté (F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 232 et 266).
1798
Doc.parl. Chambre 2008-09, n° 52-2127/001. Cette décision ne serait pas susceptible de recours.
1799
F. Delpérée fait remarquer à cet égard qu’il y a d’autres juridictions, telle que la Cour constitutionnelle, qui
siègent à composition variable (F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 189).
1800
Avis du 11 février 2009 du Conseil supérieur de la Justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 12 et s. et F.
DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 30 et s.
1801
Rappelons pourtant que parmi ces douze personnes il ne peut y avoir, au moment de la constitution du jury, plus
de huit hommes/femmes (supra, n° 136).
1802
P. ROBERTS et A. ZUCKERMAN, o.c., p. 101.
1803
Colgrove v Battin [1973] 413 U.S. 149 et Williams v Florida [1970] 399 U.S. 78.

290
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

discussion et la confrontation d’opinions, le recours à un certain nombre de jurés s’avère en


effet nécessaire.1805 Bien évidemment, la vérité émanant de douze bouches semble
logiquement plus fiable que celle qui serait clamée par cinq. Tout comme la vérité énoncée
par trois juges professionnels est plus tangible que celle d’un seul d’entre eux. Mais alors, la
découverte de la vérité par vingt-quatre jurés n’est-elle pas également davantage pertinente
que celle qui émane de douze jurés ? Entrent toutefois également en ligne de compte les
contingences budgétaires et la disponibilité des citoyens.1806

286. Il semble alors que sur le plan numérique, le jury ne soit pas intouchable.
Pourtant les systèmes étudiés veillent bien à ce que la supériorité des citoyens-juges par
rapport aux magistrats professionnels soit consacrée, même à l’époque de Vichy où le
nombre de jurés restait deux fois plus important que celui de professionnels. Cependant, la
récente décision du Conseil constitutionnel français du 20 janvier 2005 relative à la loi du 26
janvier 2005 qui permet aux juges de proximité de compléter le tribunal correctionnel en
créant ainsi un échevinage correctionnel1807 —, permet d’envisager cette question sous un
angle nouveau. Il avait notamment décidé que la proportion de non-professionnels devrait
être minoritaire. Ainsi que le font remarquer Serge Guinchard et Jacques Buisson, cette
décision pose des questions sur la validité de la composition de la cour d’assises au regard de
l’article 66 de la Constitution et en vertu duquel l'autorité judiciaire est garante de la liberté
individuelle. Une peine privative de liberté ne peut ainsi être prononcée par une juridiction ne
comportant que des non-professionnels.1808 Une juridiction ‘mixte’ est dès lors bien admise à
la condition qu’elle présente des garanties de capacité et d’indépendance. Est donc bien
requise une prépondérance des juges professionnels. Le nombre de jurés étant trois fois
supérieur à celui des juges professionnels et les règles de majorité, ce que nous essayerons
d’analyser ci-dessous, leur donnant un poids significatif, cela remettrait en cause la
composition de la cour d’assises. Il nous semble toutefois exister une différence importante
entre les deux procédures : si, au niveau correctionnel, l’ajout d’un juge de proximité
constitue une alternative à un système purement professionnel, il s’agit de l’inverse dans la
procédure criminelle où l’association de magistrats de carrière constitue une alternative à
l’indépendance intégrale d’un système non professionnel.

1804
Ballew v Georgia [1978] 435 U.S. 223.
1805
M.L. McCOY, N. NUNEZ et M.M. DAMMEYER, « The Effect of Jury Deliberations on Jurors’ Reasoning Skills »,
Law and Human Behavior 1999, p. 557-575.
1806
Un nombre plus élevé de jurés augmente également le risque d’impasses (R.T. ROPER, « Jury Size and Verdict
Consistency : A Line Has to be Drawn Somewhere ? », LSR 1980, p. 979 et s.).
1807
Infra, n° 459.
1808
Cons. const. n° 2005-510 DC du 20 janv. 2005 (S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 244, n° 201) ; infra, n° 462.

291
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

B — LES REGLES DE MAJORITE

287. Hormis leur nombre supérieur à celui des magistrats de carrière, la prééminence
du peuple est bien consacrée par les règles de majorité. Au fil du temps des différentes règles
de vote furent utilisées en droit français en fonction du caractère plus ou moins autoritaire ou
libéral du pouvoir politique.1809 Dans le système introduit par la loi du 25 novembre 1941
avec six citoyens-juges et trois professionnels, il fallait pour rendre une décision défavorable
à l’accusé une majorité simple de cinq voix contre quatre. Un tel système témoignait bien
d’une marginalisation du jury, celui-ci n'étant pas systématiquement majoritaire dans la
décision de jugement. En outre, il ne fallait convaincre que deux citoyens pour mettre en
échec la décision des quatre autres jurés, soit la majorité des juges populaires.
L’augmentation du nombre de jurés, qui passait de six à sept avec l’ordonnance de 1945,
n’était guère satisfaisante à cet égard. Avec sept jurés et trois magistrats professionnels et
l’exigence d’une majorité de six voix contre quatre, les jurés se trouvaient sur un pied
d’égalité avec les juges professionnels, la majorité pouvant être acquise avec le vote de
seulement trois de ses membres. Elle présentait toutefois le mérite de faire dépendre la
majorité de deux voix (six-quatre) au lieu d’une (cinq-quatre). Pourtant, il suffit encore que la
moitié des jurés se rallie aux magistrats de la cour pour que celle-ci obtienne la majorité
nécessaire de six contre quatre.

288. Dans sa composition actuelle, la cour d'assises française comprend, en première


instance, neuf jurés et trois magistrats prenant une décision à douze. Pour les réponses en
faveur de l’accusé (cause d’exemption, d’irresponsabilité, acquittement) une majorité simple
suffit. Au profit de l’accusé il existe ensuite une ‘minorité de faveur’.1810 Les décisions prises
au détriment de l’accusé (réponse affirmative aux circonstances aggravantes, réponse
négative à la question sur les causes d’irresponsabilité et d’exemption ou de diminution de la
peine, condamnation) requièrent une majorité de huit voix sur douze (art. 359 CPP).1811 Un
verdict de culpabilité ne peut donc être rendu sans que cinq jurés au moins (c'est-à-dire la
majorité de neuf jurés) y consentent.1812 Un tel système de double majorité témoigne de la

1809
Ainsi en période de Constituante/Directoire la loi exigeait une majorité de dix voix sur douze. La loi du 19
fructidor an V requérait même l’unanimité, se satisfaisant d’une majorité si l’unanimité n’était pas acquise au bout de
24h. Selon le Code d’instruction criminelle une majorité simple de sept voix sur douze suffisait, ce qui était peu
favorable à l’accusé. Les lois de 1831 et 1848 avaient ensuite opté pour une majorité qualifiée de huit voix sur douze.
En 1835 et 1853 elle était portée à sept voix sur douze (R. MARTINAGE, l.c., p. 32 ; v. aussi B. FAYOLLE, l.c., p. 77).
1810
H. ANGEVIN, o.c., p. 367, n° 1078.
1811
Crim. 7 mai 1986, Bull. crim. 157 et Crim. 6 avr. 1994, Bull. crim. 133. Statistiquement P.-S. Marquis de Laplace
qui a dédié ses forces à la théorie des probabilités, estime que « pour donner une garantie suffisante à l’innocence, on
doit exiger au moins la pluralité de neuf voix sur douze ». Dans un jury de douze membres, la probabilité d’erreur
serait 1/8192 en cas de décision à l’unanimité, un peu moins que 1/10 (1/8 chez Laplace) en cas de majorité de huit
voix sur douze et à peu près 1/27 (1/22 chez Laplace) en cas de neuf voix sur douze (P.-S. Marquis LAPLACE, Essai
philosophique sur les probabilités, Bruxelles, Hauman et Comp., 1840, 7ème éd., p. 162-163).
1812
J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c.

292
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

volonté de donner une prépondérance au composant citoyen. Quel que soit le vote des
magistrats, toute décision défavorable à l’accusé nécessite l’adhésion d’une majorité de jurés,
ce qui satisfait « au vœu initial de voir l’accusé jugé par les citoyens, ses pairs, qui avait pu
paraître, un moment, perdu de vue » par la loi de 1941.1813 Si, dans l’hypothèse où les
magistrats formeraient un bloc défavorable à l’accusé, seulement quatre jurés se ralliaient à la
décision des magistrats pour une condamnation, l’acquittement s’avérerait nécessaire. En
revanche, les trois magistrats de carrière peuvent être outrepassés par les jurés. Les jurés étant
au nombre de neuf, cela signifie qu’ils peuvent à eux seuls décider non seulement du principe
de la culpabilité mais aussi (dans certaines limites) du niveau de la peine prononcée. Pourrait-
on en conclure que les jurés ‘gardent’ théoriquement la décision et qu’il est dès lors encore
judicieux de parler de ‘jury populaire’ non seulement en première instance, mais également
en appel ? Une telle conception présume néanmoins que les professionnels n’exercent aucune
influence, et que les jurés prennent leur décision en toute indépendance. Or, « le nombre n’est
pas toujours un contrepoids contre l’influence des magistrats particulièrement zélés ».1814

289. En droit pénal belge, une réduction du nombre de professionnels et de jurés, ainsi
que l’envisageait la proposition de loi belge du 25 septembre 2008, aurait eu des
répercussions sur les règles de majorités. Un jury de huit membres nécessiterait en
particulier, pour un verdict de culpabilité, une majorité confortable (six-deux ; sept-un) ou
l’unanimité. En cas de majorité simple (cinq voix contre trois), la voix du président serait
décisive. La loi du 21 décembre 2009 qui, pour sa part consacre les douze jurés, maintient les
règles de majorité du système en vigueur. Pour décider seul de la culpabilité, une majorité
qualifiée de huit voix sur douze est requise. En cas de majorité simple (sept-cinq) en faveur
d’une condamnation, le système de l’ancien article 351 du Code d’instruction criminelle1815
est consacré (art. 335 CIC) et les juges professionnels devront se prononcer. Cela implique
que si sept jurés optent pour la condamnation et la majorité de la cour (deux) se rallient à
l’opinion de la minorité (cinq), il y a une majorité de huit contre sept en faveur d’une
condamnation mais l’accusé sera, en l’absence de questions subsidiaires1816, tout de même
acquitté1817. S’il paraît difficilement compréhensible, pour les jurés, qu’il faille suivre la

1813
H. ANGEVIN, o.c., p. 4, n° 9.
1814
P. BUQUET, « L’avenir du jury criminel » in ISPEC, Aix-en-Provence, PUAM, 2007, p. 234.
1815
Supra, n° 255.
1816
En cas de questions subsidiaires, le jury est renvoyé dans la salle de délibération pour délibérer sur celles-ci (Cass.
19 sept. 2007, RDPC 2008, p. 284 ; v. R. DECLERCQ, o.c., p. 1068, n° 2453).
1817
Il en était de même dans la proposition de loi du 25 septembre 2008 qui ne retenait que le seul président de la cour
d’assises. En revanche, en droit français qui connaissait avant la loi de 1831 un système identique, une majorité
simple des cinq magistrats (deux-trois) en faveur de l’innocence ne donnait pas lieu à un acquittement puisque la
majorité finale restait la condamnation (neuf-huit ; W. ROUMIER, o.c., p. 49, n° 85). Il fallait donc que quatre
magistrats soient favorables à l’innocence pour porter la majorité finale à neuf voix contre huit en faveur d’un
acquittement. Un tel système, qui était moins favorable à l’accusé, exigeait que la cour mentionne le nombre de voix

293
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

décision de la minorité en dépit d’une majorité finale favorable à la condamnation, il y a une


majorité parmi les trois professionnels en faveur de l’acquittement. Il semble dès lors que
leur voix a plus de poids. Soulignant que le nombre de votes demeure inconnu du public, la
Commission de réforme de la cour d’assises réfutait cette critique.1818 Si, à l’issue d’une
véritable délibération, il apparaît qu’une minorité importante se prononce en faveur de
l’acquittement, il y a lieu de douter du caractère convaincant « au-delà de tout doute
raisonnable » des éléments de preuve apportés lors des discussions et qui sous-tendent le
verdict. Cela est d’autant plus tangible lorsque une majorité de professionnels se joint à cette
minorité.

290. En ce qui concerne le vote sur la peine, le droit belge et le droit français exigent
en principe une décision à la majorité absolue des votants (art. 362 al. 2 CPP et art. 343
CIC).1819 En droit français il existe toutefois des règles spécifiques pour certains types de
peines. Ainsi, depuis le nouveau Code pénal de 1992, une majorité qualifiée de huit voix sur
douze (dix sur quinze en appel) est requise lorsque la cour d’assises souhaite infliger la peine
maximale, ce qui doit expressément figurer sur la feuille des questions.1820 Si tel n’est pas le
cas, la feuille de questions doit effectivement constater que la décision a été prise à la
majorité absolue.1821 Il en est de même lorsque la cour envisage de prononcer la peine
d’emprisonnement correctionnel maximale (art. 362 al. 2 CPP),1822 mais pas pour les peines
complémentaires telles que l’interdiction de séjour1823, ni pour la fixation du maximum de la
durée de la période de sûreté. Lorsque la majorité qualifiée n’est pas acquise et que les faits
sont passibles d’une peine perpétuelle, la cour d'assises peut uniquement prononcer une peine
égale ou inférieure à trente ans. Si la peine normalement encourue s’élève à trente ans et que
la majorité qualifiée ne l’approuve pas, seule une peine égale ou inférieure à vingt ans est
envisageable (art. 362 al. 2 CPP). Une telle règle est l’héritière de l’époque où la
reconnaissance des circonstances atténuantes minorait la sanction d’un degré sur l’échelle des
peines. En matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants qui bénéficient d’une cour

se ralliant à la minorité du jury, ce que le représentant Lelièvre considérait comme une atteinte au secret de vote
(Doc.parl. Chambre, séance du 5 déc. 1867, Ann. Parl. p. 275. V. également Pand.b., v° La cour d’assises, p. 659, n°
3066).
1818
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 27.
1819
En droit anglais, qui ne confie cette mission qu’au seul juge, président de la Crown Court, cette question ne se
pose pas.
1820
Crim. 14 déc. 1994, Bull. crim. 410, Dr. pén. 1995, comm. 84, note M. VERON et RSC 1995, chron., 574, obs. B.
BOULOC et Crim. 6 déc. 1995, Bull. crim. 368 et RSC 1996, p. 397, obs. J.P. DINTILHAC : inférieure à ce montant, une
majorité simple (de sept voix en premier degré) suffit (Crim. 3 sept. 2003, Bull. crim. 151).
1821
Crim. 20 déc. 1995, Bull. crim. 391.
1822
Crim. 29 oct. 1997, Bull. crim. 360 et D. 1998, somm. p. 172, obs. J. PRADEL.
1823
Crim. 14 déc. 1994, Bull. crim. 410, Dr. pén. 1995, comm. 84, note M. VERON et RSC 1995, chron., p. 367, obs.
J.-P. DINTILHAC et p. 574, obs. B. BOULOC.

294
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

d'assises spéciale1824, ces règles ne s’appliquent pas, de sorte qu’une peine de vingt-cinq ans
reste toujours envisageable.1825 En droit belge, il existe uniquement une exception en cas
d’un internement pour un crime ou un délit politique ou de presse (art. 10 in fine loi de
défense sociale du 1er juillet 1964 ; art. 13 in fine loi du 21 avril 2007)1826. Au lieu d’une
majorité absolue, il faut dans ce cas l’unanimité des votants, chacune des quinze voix ayant la
même valeur.1827

Quant aux modalités à appliquer pour la détermination de la peine, une délibération


préalable au vote est indispensable afin que le président puisse fournir tous les
éclaircissements utiles au choix de la peine, tout en précisant les limites à ne pas dépasser.
Cette délibération permet aux opinions diverses de se rapprocher.1828 En droit belge,
lorsqu’après deux votes, plus de deux opinions n’ont pas recueilli la majorité absolue, les
juges ou jurés ayant émis l’opinion la moins favorable à l’accusé doivent rallier l’une des
autres positions. Le cas échéant, le processus peut se poursuivre ; le droit français écartera
dans ce cas, à chaque fois, la peine la plus sévère.1829 La nouvelle loi du 21 décembre 2009
n’introduit pas de modifications notables sur ce point.

291. Une constante des deux systèmes concerne l’exigence d’une majorité forte ou
qualifiée et l’insuffisance d’une majorité simple qui n’est pas, tel qu’en témoigne le droit
comparé, un principe général. Cela n’est toutefois pas le cas en l’absence de jury, comme
dans les cours d’assises spéciales où les règles de majorité qualifiée ne sont pas en
application. Une majorité simple de quatre voix sur sept étant dans ce cas suffisante (art. 698-
6 CPP)1830, on s’arrête si quatre voix défavorables sortent de l’urne. Il ne s’agit pas de
chercher à connaître l’opinion de l’intégralité de la cour.1831 La feuille des questions doit en
faire mention, sans que le nombre de voix puisse être autrement exprimé.1832 Dans le contexte
du jury populaire, en revanche, l’exigence d’une majorité qualifiée présente le mérite
d’inciter à un réel débat visant à faire émerger un consensus. Une majorité simple au
contraire risque de substituer à la discussion le simple vote sans donner lieu à une véritable
discussion.

1824
Supra, n° 163 (Crim. 21 mai 2008, Bull. crim. 129 et AJpénal 2008, obs. M. HERZOG-EVANS, p. 334 ; E. GARÇON
et V. PELTIER, « Un an de droit de la peine », Dr. pén. 2009, n° 3, p. 23).
1825
Crim. 21 mai 2003, D. 2003, p. 1944.
1826
Loi du 1er juillet 1964 de défense sociale à l'égard des anormaux, des délinquants d'habitude et des auteurs de
certains délits sexuels, MB 17 juill. 1964 ; v. aussi art. 13 § 2 in fine de la loi du 21 avril 2007 relative à l'internement
des personnes atteintes d'un trouble mental, qui entrera en vigueur au plus tard le 1er janv. 2010 (MB 13 juill. 2007, p.
38271).
1827
R. DECLERCQ, o.c., p. 1075, n° 2473.
1828
P. MIMIN, « Le concours du jury à la détermination de la peine », l.c., p. 375.
1829
B. WAECHTER, « Le jury criminel à l’épreuve de la souveraineté pénale », PA 1996, n° 43, p. 7.
1830
Crim. 21 mars 2003, Bull. crim. 104.
1831
P. RANCE, l.c.
1832
H. ANGEVIN, o.c., p. 58, n° 138.

295
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

292. Il en est de même en droit anglais. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, l’on
exigeait même l’unanimité avant le Criminal Justice Act de 1967. Pour lutter contre le
nombre élevé de hung jurys les jurés peuvent depuis cette loi rendre leur verdict à une
majorité d’au moins dix/deux1833, soit de dix/un ou de neuf/un lorsqu’un ou plusieurs jurés
ont été déchargés. S’il ne reste que neuf jurés, il faut une décision à l’unanimité. Toutefois,
afin d’éviter corrélativement que le jury, qui n’a plus besoin du fiat de tous de ses membres,
procède et vote sans discussion préalable sur les preuves, le système anglais n’autorise un
verdict de majorité qu’après un certain laps de temps. En particulier, le jury doit tâcher de
discuter pendant au moins deux heures et dix minutes1834, ou autant de temps que le président
estime nécessaire compte tenu de la nature et de la complexité de l’affaire pour aboutir à
l’unanimité. Si tel n’est pas le cas, la condamnation risque fort d’être annulée.1835 Après cet
intervalle le juge peut donner une direction de majorité1836, tout en encourageant toujours les
douze citoyens-juges vers l’unanimité.

Pour préserver l’indépendance et la liberté des jurés sur ce point, le président doit bien
veiller à ne pas imposer une deadline concernant le verdict.1837 Il exerce par exemple une
pression inappropriée s’il menace le jury d’une ‘incarcération’ toute la nuit jusqu’à ce que le
verdict soit rendu.1838 Au 19ème siècle, une pratique similaire consistait à isoler les jurés, et à
les priver de nourriture, de lumière et d’eau, afin de les inciter à rendre rapidement leur
verdict.1839 Il semble que ce risque soit encore plus prégnant le vendredi après-midi1840, les
gens votant à la va-vite pour regagner leur domicile. La Court of Appeal n’a toutefois pas

1833
En 2002, 21% des condamnations étaient rendues sur majority verdict (T. INGMAN, The English Legal System,
New York, Oxford University Press, 2004, p. 218 et s.).
1834
Practice note (Crime : majority verdict) 1970, 1 W.L.R. 916. L’objectif de ces dix minutes est de permettre aux
jurés de se diriger vers la salle de délibération. Il convient pourtant de remarquer qu’il s’agit d’une direction, pas
d’une obligation (Trickett et Trickett [1991] Crim. L.R. 59).
1835
Barry [1975] 1 W.L.R. 1190 et Shields [1997] Crim. L.R. 758, comm. D.J.B.; v. également la gravité et la
complexité de l’affaire dans Rose [1982] 1 W.L.R. 614 (J. SPRACK, A Practical Approach to Criminal Justice, o.c., p.
375).
1836
Lors de son summing-up, le juge pourrait déjà indiquer qu’après quelques temps une majorité suffit, mais il ne
peut pas dire quand (Thomas [1983] Crim. L.R. 745, comm. D.J.B.). Lorsque le jury déclare l’accusé coupable à la
majorité, la majorité doit être révélée (s. 17 JA 1974 ; Austin [2003] Crim. L.R. 426, comm. G. UNDERHILL et J.C.
SMITH). Le clerk demande au chef du jury si tout le monde est d’accord avec le verdict. Dans l’affirmative, le verdict
est prononcé. Si à ce moment aucun des jurés ne proteste, on présume que tous les jurés sont d’accord (Austin [2003]
préc. ; v. aussi Hart [1998] Crim. L.R. 417, comm. J.C.S.). Il faut statuer publiquement sur le nombre de jurés
soutenant le verdict et le nombre de jurés dissidents (Bateson [1970] 54 Cr. App. R. 11). C’est une formalité
substantielle. La décision énonçant qu’il y a une majorité de dix voix sans explicitement dire qu’il y a alors deux jurés
dissidents est alors annulée (Barry [1975] 1 W.L.R. 1190 ; v. également Maloney [1996] 2 Cr. App. R. 303 (rectifié).
Dans l’affaire Pigg, la Chambre des Lords a toutefois renversé cette jurisprudence en statuant qu’elle était capable de
compter (Pigg [1983] 1 All E.R. 56 ; v. aussi Austin [2003] Crim. L.R. 426). Des réponses ambigües sont en tout cas
interdites (Mendy [1992] Crim. L.R. 313).
1837
McKenna [1960] 1 Q.B. 411.
1838
Ibid.
1839
J. SPRACK, A Practical Approach to Criminal Justice, o.c., p. 376.
1840
P. DARBYSHIRE, « Notes of a Lawyer-Juror », F.L.J. 1990, p. 1266-1267.

296
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

toujours été cohérente dans son contrôle.1841 Concernant l’évaluation des limites de
l’intervention du président de la Crown Court quant à l’orientation des jurés vers un verdict,
la jurisprudence s’avère très riche.

293. Il convient de noter une autre particularité du système anglais : la règle de


symétrie des arrêts de condamnation et d’acquittement. En droit français le fait de ne pas
acquérir la majorité qualifiée requise pour une condamnation (huit voix sur douze), entraîne
l’acquittement, ce que Pierre-Simon Marquis de Laplace estimait rassurant : « le plus souvent
le juge qui absout un accusé, ne le regarde pas comme innocent. Il prononce seulement qu’il
n’est pas atteint par des preuves suffisantes pour qu’il soit condamné. On est rassuré par la
pitié que la nature a mise dans le cœur de l’homme, et qui dispose l’esprit à voir difficilement
un coupable dans l’accusé soumis à son jugement. Ce sentiment plus vif dans ceux qui n’ont
pas l’habitude des jugements criminels, compense les inconvénients attachés à l’inexpérience
des jurés ».1842 En droit anglais, en revanche, il faut au moins dix voix, soit en faveur d’une
condamnation, soit en faveur d’un acquittement. Le fait de n’obtenir que neuf voix contre
trois en faveur d’une condamnation ne suffit donc pas pour acquitter l’accusé. La faillite de la
prosecution pour convaincre le nombre exigé de jurés pour condamner l’accusé n’entraîne
pas automatiquement l’acquittement — le cas échéant il y aura un hung jury —, de sorte qu’il
semble à l’instar du Gerry Maher que le droit anglais n’apporte pas suffisamment de poids au
principe de la présomption d’innocence.1843

Compte tenu de la jurisprudence abondante sur cette question, le risque d’impasses


généré par cette règle est élevé. Selon la décision Boyes de 1991, il est interdit d’indiquer
qu’à défaut de verdict un nouveau procès s’avère nécessaire avec tous les inconvénients qui
en découlent, tant pour le Trésor que pour les parties.1844 Les propos tenus par un juge dans
les années 1950 estimant qu’ « il est essentiel que vous atteignez une conclusion définitive,
sinon un autre jury doit refaire votre travail »1845, ne seraient donc pas approuvés de nos
jours. Cependant, lorsque le jury se trouve dans l’impasse, le juge tente parfois d’obtenir une
décision en exprimant une direction Walhein, c’est-à-dire en soulignant l’inconvénient public
et les conséquences financières générées par le désaccord des jurés et la mise en branle d’un

1841
Ainsi elle n’a pas sanctionné l’instruction au jury de rendre le verdict ce jour même, jugeant qu’il s’agissait d’une
affaire succincte et que le verdict d’unanimité pouvait être atteint à temps (Baker [1998] Crim. L.R. 351, comm.
D.C.O.) ; v. aussi Buttle [2006] Crim. L.R. 840, comm. N.W. TAYLOR et Thompson [2004] EWCA Crim. 3377. La
perspective de revenir encore la semaine suivante pourrait toutefois inciter les jurés à se dépêcher et à prendre un
verdict le vendredi soir (Duffin [2003] EWCA Crim 3064).
1842
P.-S. Marquis LAPLACE, o.c., p. 161-162.
1843
G. MAHER, « Jury verdicts and the presumption of innocence », L.S. 1983, p. 151.
1844
Boyes [1991] Crim. L.R. 717.
1845
Creasey [1953] 37 Cr. App. R. 179.

297
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

nouveau procès.1846 Ces indications risquant toutefois de faire pression sur la minorité
dissidente, il serait préférable que le juge s’abstienne ou, le cas échéant, se cantonne à la
direction Watson en l’occurrence moins radicale. Selon la Watson-direction, le juge, après
avoir rappelé le serment prêté par les jurés, leur indique que « si malheureusement vous
n’atteignez pas de verdict, il faut le dire ».1847 Le juge dispose d’une discrétion de la donner
ou pas.1848 Il semble que par cette volonté d’éviter des hung juries des considérations
pragmatiques et la philosophie de crime control investissent à nouveau le premier plan.

Conclusion du chapitre I

294. Si les décisions de la cour d’assises sont souvent présentées comme étant des
‘décisions du peuple’, qui transforment cette juridiction alors en summum de la participation
citoyenne à l’œuvre de juger, il convient, après cette analyse, de nuancer cette pensée. Né
d’une méfiance à l’égard des magistrats de carrière, on a rapidement constaté que le jury
populaire n’est pas la panacée : ironiquement, l’institution qui devrait le mieux refléter
l’opinion publique, a soulevé la colère du public.1849 Plutôt que d’adhérer à la traditionnelle
méfiance d’abord vis-à-vis des composants professionnels et ensuite à l’égard de la
participation citoyenne, le droit continental semble s’orienter vers un système qui érige la
‘confiance’ et la ‘coopération’ au rang d’axes clés. Cela est au moins le cas en ce qui
concerne le droit français. Loin d’être stable, la relation entre les magistrats professionnels et
les jurés d’assises semble être plutôt perpétuellement réévaluée et remise en question. D’une
séparation totale, la France s’est engagée dans une philosophie de ‘partage’ ou de
‘supervision mutuelle’, à l’instar des tribunaux pour enfants.1850 Ainsi, les citoyens ont cessé
de ne juger qu’en fait et ont cessé de juger seuls.1851 Pourtant la destruction de
l’indépendance du jury qui en résulte n’a pas été totale dans la mesure où les rapports
numériques et les règles de votes donnent un poids prépondérant aux jurés.

1846
Walhein [1952] 36 Cr. App. R. 167. Depuis l’existence de verdicts de majorité, cette direction est moins
nécessaire.
1847
Watson [1988] Q.B. 960.
1848
Il serait mieux de l’incorporer dans le résumé du juge ou après que le jury a bénéficié de suffisamment du temps
pour considérer sa majorité direction (Buono [1992] 95 Cr. App. R. 338). Toutefois, il ne faut jamais donner une
direction Watson ensemble avec une direction sur la majorité (Atlan [2005] Crim. L.R. 63). Si le président donne cette
direction, il faut d’abord laisser suffisamment de temps aux jurés pour considérer un verdict de majorité et la donner
de préférence pendant le summing-up.
1849
A. TOULEMON, o.c., p. 5.
1850
Infra, n° 503.
1851
G. GIUDICELLI-DELAGE et M. MASSE, « Rapport introductif » in J. PRADEL, Quelle participation des citoyens au
jugement des crimes ?, Travaux de L’institut de sciences criminelles de Poitiers, Paris, Ed. Cujas, 1997, p. 7.

298
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Si la Belgique emprunte la même voie concernant la détermination de la peine, celle-


ci s’enlise dans la cloison traditionnelle au niveau de la question sur la culpabilité. Plus que
son homologue français elle s’accroche au besoin d’indépendance du peuple afin de défendre
un écart entre les deux types de juges de la procédure criminelle en vigueur, mais un « écart
rapproché ». Si une telle volonté est expressément prononcée par le législateur de 2009, elle
était également perceptible dans la proposition de loi du 25 septembre 2008 qui envisageait
pourtant, à l’instar de la Commission de réforme belge, l’instauration d’un délibéré mixte. En
effet, contrairement au système français, celle-ci l’interprétait ‘à la suisse’ en préservant en
principe l’autonomie des jurés, par notamment l’ajout d’un seul component professionnel (au
lieu de trois) à sa délibération, ainsi que la privation de droit de vote pour le président. Cette
manière de voir les choses aurait pour avantage de permettre au juge de remplir un rôle
neutre de ‘conseiller’ et de prendre en charge la motivation des décisions du jury et aurait
pour cette raison mérité une profonde réflexion.

En droit anglais, la réalité est également plus complexe que la théorie. Les
compétences du jury ne sont pas aussi étendues. Il n’est par exemple pas impliqué dans la
détermination de la peine. Les pouvoirs du juge de carrière, en revanche, excèdent souvent
les limites préconisées. Par son jugement sur l’admissibilité des preuves, les ordered et
directed acquittals et son pouvoir étendu, à la fin du procès, de sum up sur le droit et les faits,
le président de la Crown Court marque sans doute le « trial by jury » par son empreinte
professionnelle. Toutefois, et ainsi que nous le verrons dans le point suivant, il existerait un
garde-fou : le système de contrôle des interventions judiciaires par la Court of Appeal.

299
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Chapitre II

L’ISOUTEABLE ABSECE DE GARATIES FODAMETALES DU


PROCES EQUITABLE

« Le jury populaire a toujours raison, même quand il a tort »


[W. VAN LAEKEN, « Een vrouw, een mes en het volk », De Standaard 23 mars 2004, p. 17]

295. Si la justice humaine n’est pas parfaite, la justice populaire le semble encore
moins ; pas forcément à cause de son manque de technicité et d’expérience, mais surtout en
raison de son caractère arbitraire. Traditionnellement, il manqua à cette justice deux garanties
essentielles qui protègent les justiciables en correctionnel contre des injustices et des erreurs,
à savoir la motivation des décisions et le contrôle des décisions en appel.

A nouveau des différences frappantes se dessinent entre les trois systèmes criminels
analysés. En effet, si le droit anglais, déjà depuis plus d’un siècle, et plus récemment la
France se sont efforcés de créer un appel criminel et de se conformer sur ce point aux
exigences du procès équitable, l’accusé belge reste encore privé de ce droit (art. 355 CIC). En
revanche, tandis que la motivation reste une malencontreuse inconnue ou, en tout cas, un
concept qui a « du mal à s’épanouir »1852 devant le jury populaire anglais et la cour d’assises
française, le législateur belge l’a, sous l’impulsion de la Cour européenne, récemment
introduit. L’article 149 de la Constitution belge qui énonce clairement, comme c’est
d’ailleurs le cas dans d’autres pays1853, que « tout jugement est motivé » semble ainsi
finalement consacré en matière criminelle. A la suite d’une condamnation prononcée par la
CEDH, la question phare n’était, pour la Belgique, plus celle de savoir si une motivation des
décisions criminelles est nécessaire, mais comment elle pourrait être élaborée en matière
criminelle. Les législateurs français et anglais en semblent moins convaincus. En France, à
l’instar des pays de common law, l’obligation de motiver ne résulte pas explicitement d’un
texte constitutionnel. Etant inexistante dans l’Ancien régime où le droit divin sous-tend toute
idée de justice1854, la motivation semble une véritable « fille de la Révolution » qui faisait son
apparition avec le décret du 8 septembre 1789 et les lois du 16 et 24 août 1790 sur

1852
S. GJIDARA, « La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles », PA 2004, n°
105, p. 3.
1853
V. également l’art. 120 § 3 Constitution espagnole et l’art. 111 Constitution italienne.
1854
M. ORILLARD-LENA, Les voies de recours en matière pénale. Essai d’une théorie générale, Thèse, Paris II
Panthéon-Assas, 2007, p. 562.

301
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

l’organisation judiciaire (art. 15 du Titre V).1855 Le caractère obligatoire de la motivation a


été acquis et consacré par la Constitution du 5 fructidor de l’an III (art. 208). La sanction ne
fût déterminée que par l’article 7 de la loi du 28 avril 1810 qui déclare nuls les arrêts exempts
de motifs.1856 Depuis la loi de 1958 il s’agit d’une obligation législative pour le juge et d’un
droit pour le justiciable.1857 Indirectement rattachée à la notion européenne du procès
équitable, la motivation jouit en outre, en droit français d’une protection constitutionnelle.1858
Ainsi, en 2000 le Conseil constitutionnel a décidé que chaque décision prononçant une peine
doit être motivée.1859 D’où vient alors l’absence d’une telle obligation évidente en matière
criminelle ? Est-elle superflue ou simplement impossible devant une juridiction qui connaît à
côté des professionnels des juges profanes ? Et surtout, une telle situation est-elle encore
défendable dans notre Etat de droit actuel en quête d’un respect accru des droits de la défense
au sens des traités internationaux ? Comment les législateurs réussissent-ils en effet à opposer
une résistance opiniâtre contre un principe qui ne fait aucun doute (Section 1 — L’absence de
motivation) ?

Pareilles questions peuvent être soulevées à l’égard du double degré de juridiction en


matière criminelle (Section 2 — L’absence d’(un vrai) appel). Pourquoi un criminel reste-t-il
en droit belge dépourvu de cette voie de recours qui semble si nécessaire et si naturelle en
matière correctionnelle ? Y a-t-il uniquement des considérations pragmatiques ou également
des objections plus profondes ? Et si ‘l’appel’ semble avoir été introduit sur le sol anglais et
français, s’agit-il d’un nouvel examen de l’affaire de fond devant une juridiction supérieure
au sens propre du mot ? Plus généralement la question se posera de savoir comment le
concept du jugement par le peuple peut concorder avec toute notion de contrôle. La
souveraineté du peuple n’est-elle pas en soi incompatible avec un contrôle quelconque ? Ou
convient-il, dans une justice contemporaine confrontée aux nouvelles exigences et nouveaux
défis de redéfinir le concept de souveraineté du peuple et ainsi les rapports entre les
professionnels et les citoyens afin de permettre un contrôle de ceux-ci ?

1855
Etrangement la motivation a été étrangère aux débats des lumières, bien qu’elle ait été espérée depuis longtemps
(P. TEXIER, « Jalons pour une histoire de la motivation des peines » in X, Actes du colloque Limoges 1998 par
l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique, Paris, LGDJ, 2000, p. 6 et 11).
1856
P. TEXIER, l.c., p. 15 et Ch. PERELMAN, « La motivation des décisions de justice. Essai de synthèse » in Ch.
PERELMAN et P. FORIERS (dir.), La motivation des décisions de justice, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 416.
1857
J. LEROY, « La force du principe de motivation » in X, Actes du colloque Limoges 1998 par l’Association Henri
Capitant des amis de la culture juridique, Paris, LGDJ, 2000, p. 36.
1858
Infra, n° 325.
1859
Cons. const. n° 2000-433 DC du 27 juill. 2000, JORF 2 août 2000, p. 11922, § 56.

302
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Section 1
L’absence de motivation en matière criminelle

« Lorsque l'on pend quelqu'un, on lui dit pourquoi c'est »


[MOLIERE, Amphitryon, Acte III, scène IV]

« But never give your reasons :


for your judgment will probably be right, but your reasons will certainly be wrong »
[W. MURRAY cité par G. WILLIAMS, The Proof of Guilt, Londres, Stevens & Sons, 1963, 3ème éd., p. 314]

296. A la lumière du courant de transparence qui souffle à l’intérieur de la justice


pénale comme nouvelle exigence, nécessaire au bon fonctionnement de l’Etat de droit, il faut
que la justice, pour être bien crédible, se soucie au-delà d’une répression efficace des
infractions, de la compréhension et de l’acceptation de ses décisions.1860 Une telle obligation,
qui est proclamée partout, gagne du terrain dans notre société actuelle. Si la société demande
des comptes au monde politique, économique et financier — et même aux joueurs de
football1861 —, elle le fait encore davantage avec l’institution judiciaire, sans doute parce
qu’elle occupe une place primordiale et requiert un budget exponentiel.1862 Au service du
public la justice elle-même est censée justifier la manière dont elle use de son pouvoir.1863
Cela est davantage le cas à un moment où l’inflation législative submerge notre système
pénal et risque non seulement d’ébranler la qualité rédactionnelle et la légitimité des lois mais
également d’entraver leur compréhension et leur bonne applicabilité.1864 Le recours au juge,
qui figure comme passerelle entre la loi et la société civile, est donc indispensable. Son
interprétation des lois engendre toutefois le risque d’arbitraire, de subjectivité et d'insécurité
juridique, a fortiori si ce juge n’est pas un professionnel, d’où la nécessité d’une motivation
des décisions et de leur contrôle. En effet, des lois incertaines et incompréhensibles ne
sauraient entacher de carences similaires les décisions judiciaires qui en émanent.1865 Les
décisions judiciaires doivent bien exposer le cheminement et les étapes intellectuelles de la
réflexion du juge, démontrant ainsi que sa décision a bien été ‘méditée’ et est le fruit d’une

1860
B. FAYOLLE, l.c., p. 86.
1861
Le fiasco de l’équipe de France lors de la coupe du monde de 2010 a fait écho jusqu’au Parlement.
1862
Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, JORF 2 août 2001, p. 12480 (LOLF).
1863
Ch. PERELMAN, « La motivation des décisions de justice. Essai de synthèse », l.c., p. 422.
1864
C.J. GUILLERMET, La motivation des décisions de justice. La vertu pédagogique de la justice, Paris, l’Harmattan,
2006, p. 38-39.
1865
C.J. GUILLERMET, o.c., p. 40.

303
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

démarche rationnelle dans laquelle chaque élément est bien pesé.1866 « Parce qu’elle n’est
qu’humaine mais inspire au juste, il fallait à la justice un remède afin que les jugements
cessent d’être torses, équivoques ou arbitraires : la motivation ».1867

L’escapisme de la cour d’assises émerge à cet égard comme une curiosité


incompréhensible (§ 1 — Un îlot d’irrationalité dans une société en quête de justification).
Ainsi que le remarque Adrien Masset, la cour d’assises est présentée comme un progrès
social et une avancé démocratique ; elle veut être révolutionnaire mais son obscurantisme la
coiffe d’un attribut propre aux régimes dictatoriaux.1868 Or, « qu'est-ce qui est finalement
totalitaire? », se demande Marc Preumont : « un système qui condamne par ‘oui’ ou ‘non’
sans dire pourquoi et sans appel possible ou un système dans lequel les juges ont une
formation juridique adéquate, de l'expérience, un sentiment de responsabilité, un devoir bien
accompli d'indépendance et où il existe un recours d'appel? »1869 A l’instar de Voltaire, nous
pouvons en effet nous demander : « la justice est peinte un bandeau sur les yeux, mais doit-
elle être muette ? »1870 Mais la cour d’assises peut-elle ne pas être muette ? Peut-elle être un
lieu de rationalité et de transparence sans porter atteinte à sa caractéristique essentielle, à
savoir la participation citoyenne ? Peut-on demander au jury, quel que soit la qualité de ses
membres, de maîtriser en l’espace d’une session la technique relativement élaborée qu’est la
motivation juridique ? Ou l’introduction de la motivation des décisions criminelles sonne-t-
elle nécessairement le glas du jury populaire en faveur d’un plus grand professionnalisme (§
2 — La quête d’une rationalité inévitablement « destructive » ?) ?

§ 1 — UF ILOT D’IRRATIOFALITE DAFS UFE SOCIETE EF QUETE DE


JUSTIFICATIOF

297. Malgré la grande variation des différents systèmes de jury dans les trois pays
étudiés — jury décidant seul sur la question de culpabilité ou système mixte participatif —, il
semble exister en France et en Angleterre ainsi qu’en Belgique avant la loi du 21 décembre
2009 une constante, à savoir l’absence d’accountability des jurés à l’égard des parties et du
public.1871 En effet, le jury (ensemble avec la cour dans le système mixte français) est
traditionnellement dispensé de rendre compte des motifs de ses décisions, qui méritent dès

1866
W. ROUMIER, o.c., p. 237, n° 437.
1867
G. GIUDICELLI-DELAGE, La motivation des décisions de justice, Thèse, Poitiers, 1979, p. 5.
1868
A. MASSET, « Propos pour la suppression de la cour d’assises », l.c., p. 914.
1869
M. PREUMONT in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil, Quel avenir pour le jury populaire en
Belgique ?, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 182.
1870
VOLTAIRE, Pièces originales concernant la mort des sieurs Calas, 1762.
1871
Le droit espagnol constitue à cet égard une exception unique en requérant une motivation de la culpabilité de
l’accusé des jurés eux-mêmes (infra, n° 414).

304
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

lors bien la dénomination de ‘verdict’ plutôt que celle de ‘jugement’1872. Il répond sèchement
par ‘oui’ ou par ‘non’ aux questions qui lui sont soumises 1873, par ‘guilty’1874 ou ‘not guilty’.
Ainsi son verdict est définitivement marqué du sceau de la vérité1875 : « vox populi, vox dei ».
Au lieu d’y voir l’image d’une omnipotence unique qui donne à la juridiction populaire une
supériorité incontestable sur toutes les autres juridictions, il semble à notre sens plutôt
question d’une malheureuse infériorité, indéfendable dans la justice démocratique
contemporaine.

Pourtant, à l’origine, le Code d’instruction criminelle ne laissait aucun doute et ne


faisait aucune exception : l’obligation de motiver s’imposait à la cour d’assises comme à
toute autre juridiction, ce qui fut affirmé par un ancien arrêt de la Cour de cassation de 1897
selon lequel « l’arrêt de la cour d’assises doit être motivé ».1876 L’échec quant à la mise en
œuvre d’une telle obligation, en procurant la motivation d’une interprétation propre,
n’empêche pas que cela reste de jure une contrainte à respecter.1877 La désobéissance de la
pratique à cet égard ne saurait dès lors été approuvée. Ainsi que l’a défendu Geneviève
Giudicelli-Delage, « une pratique défectueuse ne devrait pas porter atteinte à une règle
légale clairement posée ».1878 D’où vient alors cette rébellion ? Quel est son fondement sous-
jacent ?

298. A première vue, l’absence de motivation criminelle semble soutenue par une
justification en soi : la souveraineté du peuple qui ne décide que par son intime conviction.
Mais une telle toute-puissance et prépondérance du peuple, qui trouve pour le droit
continental sa naissance dans l’esprit révolutionnaire contre la ‘tyrannie’ des juges
professionnels, est-elle encore défendable et justifiable à l’heure actuelle ? Ne conduit-elle
pas, finalement, au mal qu’elle était censée attaquer, à savoir l’arbitraire des décisions
judiciaires (A — La souveraineté du peuple : une légitimité intrinsèque sous attaque) ? En
outre, suffit-il de l’encadrer par un système particulier de questions pour être à l’abri des
condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme (B — Une souveraineté
encadrée par le système des questions) ?

1872
T. BROOKS, l.c., p. 204 et s.
1873
Cela est déjà parfois trop difficile. Ainsi, en 1930 un jury ayant répondu « oui à l’unanimité » était renvoyé dans
la salle de délibération. Son « non à la majorité » qui en découlait étant à nouveau une réponse irrégulière, il fut
renvoyé pour une troisième délibération. Cette fois il retournait avec un simple « non ». Les renvois du jury pour
défaillance aux formalismes de la loi l’ont donc conduit à un tout autre résultat (acquittement) par rapport à sa
première décision (condamnation) ; v. C. GERBET, o.c., p. 209-210).
1874
Uniquement en cas de condamnation, il faut indiquer si la décision a été rendue à l’unanimité ou à la majorité.
1875
J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c.
1876
Crim. 19 févr. 1897, Bull. crim. 66 (G. GIUDICELLI-DELAGE, o.c., p. 238-239).
1877
G. GIUDICELLI-DELAGE, o.c., p. 242.
1878
G. GIUDICELLI-DELAGE, o.c., p. 239.

305
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

A — LA SOUVERAINETE DU PEUPLE : UNE LEGITIMITE INTRINSEQUE


SOUS ATTAQUE

299. Pour expliquer le caractère delphique de ses décisions, il semble en premier lieu
judicieux de se concentrer sur la notion même de jury populaire qui semble, par sa nature,
exonéré de la nécessité de rendre compte de ses décisions (1). Son obligation de puiser sa
décision aux tréfonds de sa conscience — son intime conviction — semble même faire
obstacle à toute justification (2).

1. Le peuple souverain, le peuple divin ? A la recherche de la notion du « jury


populaire »

300. Comme chaque jugement, mais peut-être ici davantage puisque l’institution du
jury populaire se veut une forme de démocratie directe, la décision de la cour d’assises est
rendue ‘au nom du peuple’. Comme les délégués élus représentent la société au Parlement,
les jurés tirés au sort la représentent dans la justice criminelle : « si tous les jugements sont
rendus « au nom du peuple », ce n'est pas, en ce qui concerne la cour d’assises, par l'effet
d'un symbole, mais par une réalité vivante. Le jury, qui compose, avec la cour sensu stricto,
la cour d’assises, est en effet une émanation directe du peuple français, donc de la plus haute
autorité française en démocratie […] ».1879 La motivation étant une explication de la décision
aux parties et au public qui permet de la contrôler et de la contester, il semble illogique que le
peuple doive se justifier à soi-même. En effet, il ne serait pas utile qu’il s’offre lui-même la
garantie d’avoir jugé comme il devrait.1880 Par le seul fait d’être of the community, le juré
n’est pas, comme le juge professionnel, responsable to the community.1881 Ses décisions
purgeraient la légitimité de son appartenance directe à la société civile.

Toutefois, pour insuffler à la justice les valeurs sociales communément souscrites, il


est important que le jury soit le reflet des différentes couches sociales dont la société est
imprégnée. Or, dans une société qui gagne en diversité et en hétérogénéité et dans laquelle le
pouvoir de l’Etat devient de plus en plus diffus et assujetti au contrôle, la représentativité est
davantage problématique. Rien ne garantit que des jurés individuels reflètent dans un cas
particulier la société multiculturelle.1882 Il est en outre chimérique de considérer le jury
comme l’interprète de l’opinion publique. C’est quoi, l’opinion de la nation ? Selon la pensée
de Jean Carbonnier, il s’agit d’un concept « imprécis, diffus, changeant et difficile à

1879
M.L. RASSAT, Traité de procédure pénale, Paris, PUF, 2001, p. 99.
1880
G. GIUDICELLI-DELAGE, o.c., p. 323.
1881
J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 487-489.
1882
J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 512 ; contra Ch. THOMAS, « Exposing the Myths of Jury
Service », l.c., p. 422 et Ch. THOMAS, Diversity and Fairness in the Justice System, o.c. (supra, n° 143).

306
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

comprendre »1883, d’une élaboration de la conscience collective, mais pas d’une réalité
objective.1884 Selon Gérard Blanc, le jury est d’ailleurs loin d’être l’émanation directe du
peuple car la notion de souveraineté populaire est liée au fonctionnement démocratique dans
la société et donc à un processus électoral de désignation.1885 Or, en dépit de la
démocratisation du jury français par la loi de 1976 et du jury anglais par le Criminal Justice
Act de 2003, les jurés ne sont pas élus démocratiquement et n’ont pas de représentativité
particulière.1886

En se fondant sur la même ‘incarnation souveraine’ de la volonté générale1887, il est


parfois avancé que le peuple ne se trompe pas, que l’affaire est seulement présentée de
manière mauvaise1888 ou encore qu’il n’y a pas d’acquittement scandaleux ; il y a juste,
parfois, de mauvais officiers du ministère public1889. Bénéficiant d’une divinité intouchable,
l’adage ancien « errare humane est » ne semble pas valoir pour les jurés à l’égard desquels il
paraît que « l’errare inhumana est ». Pourtant, étant comme les juges des êtres humains, les
jurés peuvent bien se tromper. Mettre les déficiences sur le compte du parquet semble en
outre abusif. Ainsi que le remarque Raoul Declercq, un juge ne peut pas se cacher derrière la
performance médiocre du parquet. Il ne peut pas errer parce que les parties ont été
méprisables.1890

Il n’est pas improbable qu’une telle conception soit nourrie par le mystère qui nimbe
le jury classique : peut-être se trompe-t-il, mais on ne peut le savoir ni pendant les débats —
sauf si un des jurés se prononce de manière malheureuse, par exemple lors de l’interrogatoire
de l’accusé1891 —, ni après, la délibération des jurés étant entièrement secrète. A cet égard et
rappelons le, la prestation du serment ne peut pas rassurer.1892 A côté d’un manque de social
accountability, le jury faillit donc également sur le plan de due process accountability,
contrairement au juge dont les décisions sont motivées et peuvent d’ailleurs être attaquées par
un appel.1893 Le jury est-il si différent d’un juge professionnel qui rend tout de même sa
décision au nom du peuple ?

1883
Cité par R. LEGROS, « Considérations sur les motifs », l.c., p. 17.
1884
R. LEGROS, « Considérations sur les motifs », l.c., p. 20.
1885
G. BLANC, « La souveraineté populaire en question », JCP 1996, n° 3952, p. 308.
1886
Supra, n° 140.
1887
Rousseau, cité par T. SOULARD, « Réflexion sur la notion d’intime conviction. Genèse et portée de l’article 353 du
Code de procédure pénale », RPDP 2004, p. 564.
1888
L. Cornil, cité par R. DECLERCQ, « Het hof van assisen veroordeeld », l.c., p. 104.
1889
H. Bekaert, cité par R. DECLERCQ, « Het hof van assisen veroordeeld », l.c., p. 104.
1890
R. DECLERCQ, « Het hof van assisen veroordeeld », l.c., p. 104.
1891
Supra, n° 155 et s.
1892
Supra, n° 154.
1893
J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 494 et s.

307
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Une telle question se pose davantage encore à la lumière des brèches, voire des
remises en cause du concept de ‘souveraineté du peuple’, ainsi que nous l’avons analysé
précédemment et que nous l’esquisserons ultérieurement. Rappelons que, depuis la loi
française de 1941, la souveraineté du jury, même si celui-ci reste prépondérant dans la salle
de délibération1894, n’est qu’un mythe. Par le double degré de juridiction que le législateur
français a instauré en 2000, une telle évolution vient d’être consacrée.1895 La raison sous-
jacente qui fonde la création du jury sur le continent, à savoir une ardente méfiance à l’égard
des professionnels, semble au fur et à mesure affaiblie et même commuée en méfiance à
l’égard des citoyens. Mais pourquoi le législateur français n’est-il dès lors pas allé jusqu’au
bout et continue-t-il avec un système qui se prononce de manière monosyllabe ? Accorde-t-il
une confiance aveugle aux magistrats de carrière qui, associés au délibéré sur la culpabilité,
préserveraient les décisions prises conjointement avec les citoyens de toute erreur judiciaire ?
Mais pourquoi a-t-il alors instauré un appel en matière criminelle ? Peut-être s’accroche-t-il
encore, en dépit des atteintes de jure à la souveraineté du jury, à son maintien de facto par le
poids numérique de jurés dans le délibéré et les exigences de majorité qui en découlent?1896

En droit anglais, la souveraineté du jury populaire ne semble pas aussi inébranlable


que ce qui est souvent préconisé. Si le président de la Crown Court exerce une emprise
indirecte sur le procès, il est explicitement possible d’attaquer la décision du jury avec
l’instauration d’un appel devant la Court of Appeal en 1907 et l’intervention de la Criminal
Cases Review Commission instaurée en 1995.1897 A cet égard, et si l’on comprend
‘souveraineté’ au sens d’absence de contrôle, le seul jury qu’il convient a priori d’appeler
‘souverain’ est bien le jury belge, celui-ci étant en principe incontrôlable en raison de
l’absence d’échevinage et d’appel. Ce système semble donc étranger aux autres. Avec sa
création récente d’une motivation a posteriori sans délibération mixte ni double degré de
juridiction, ce système s’éloigne davantage de ses ancêtres : les systèmes français et
anglais.1898

301. Si la souveraineté du peuple est insuffisante pour justifier le défaut de motivation


criminelle, où se trouve alors la racine du caractère énigmatique de la juridiction populaire ?
Selon William Roumier, il faut plutôt la chercher dans l’origine testimoniale des jurés.
Traditionnellement, les jurés anglais étaient self-informing.1899 Ils appartenaient à la local

1894
Supra, n° 288.
1895
Infra, n° 376.
1896
Supra, n° 288.
1897
Infra, n° 351.
1898
Infra, n° 334.
1899
J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 490 (supra, n° 138).

308
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

neighbourhood et étaient supposés avoir constaté les faits ou connaître leur auteur présumé.
Dans un rôle actif et oraculaire de fact-finding, ils ramassaient et pesaient les preuves. Les
jurés étaient donc des témoins auxquels il ne convenait pas de demander des comptes sur les
motifs de leur déclaration. En effet, pour les témoins, « la parole suffit ».1900 Ayant toutefois
évolué vers un rôle passif d’évaluation des preuves présentées,1901 vers un rôle de juge, il est
incompréhensible qu’un tel bouleversement de fonction — surtout dans un pays qui accorde
tellement d’importance aux précédents1902 — ne soit pas accompagné d’un changement du
modus operandus et se soit implanté comme tel dans les systèmes continentaux. En effet les
jurés ayant perdu la qualité de témoin, leur évaluation n’atteint pas le même degré de
certitude qu’à l’époque où ils avaient une connaissance personnelle de l’affaire en cause.
Reste toutefois l’obstacle clé de la procédure criminelle qui peut empêcher que la garantie
d’appel joue son rôle, à savoir le secret de la délibération, qui met le jury à l’abri de tout
contrôle. Il semble en effet que si un appel est formellement possible contre le verdict du jury
anglais, cet appel devra, ainsi que nous le verrons ultérieurement, être fondé sur l’irrégularité
de certaines preuves ou de la procédure du summing-up, plutôt que sur l’erreur du jury qui
reste, compte tenu du secret qui nimbe la délibération, inconnue. Il s’agit en outre de savoir si
une motivation s’avère conciliable avec la notion de l’intime conviction sur laquelle se fonde
la décision des jurés.

2. L’intime conviction, un laissez-passer des sentiments ?

302. Avant que la cour d'assises se retire, le président français donne lecture d’une
instruction « imprégnée du lyrisme révolutionnaire »1903 qui est, en outre, affichée en gros
caractères dans le lieu le plus apparent de la salle de délibération : « La loi ne demande pas
compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de
règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance
d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement
et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur
raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense » (art. 353 CPP).
L’ancien article 342 du Code d’instruction criminelle belge y ajoutait en outre — avant sa
modification en 2009 —que « la loi ne leur dit point : « Vous tiendrez pour vrai tout fait
attesté par tel ou tel nombre de témoins » ; elle ne leur dit pas non plus : « Vous ne

1900
W. ROUMIER, o.c., p. 218, n° 399.
1901
J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 490.
1902
J. SPREUTELS, « La motivation des sentences pénales en Angleterre » in Ch. PERELMAN et P. FORIERS, (éd.), La
motivation des décisions de justice, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 198-199.
1903
R. CHARLES, « Rapport » in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de la troisième Journée d’études
juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 40.

309
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

regarderez pas comme suffisamment établie toute preuve, qui ne sera pas formée de tel
procès-verbal, de telles pièces, de tant de témoins ou de tant d'indices ». Les deux articles se
finissaient par la formule célèbre : « La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme
toute la mesure de leurs devoirs : « Avez-vous une intime conviction ? » Dans la procédure
française actuelle le sort de l’accusé dépend encore de la réponse à cette question. Ainsi que
le fait remarquer Thierry Soulard, il est assez rare que le Code de procédure pénale achève
ses dispositions en une question. Et quelle question alors : « même Socrate pour accoucher
les âmes progresse à l’aide de questions plus fermées ».1904 Il convient alors d’examiner
l’origine et la justification du concept de l’intime conviction et de s’interroger sur son rapport
avec l’obligation de motiver.1905

303. Découlant du mot latin « convictio », la notion ‘conviction’ était déjà utilisée au
16ème siècle. Sa première signification renvoyant à la reconnaissance de culpabilité de
quelqu’un, elle a ensuite été transformée dans le sens d’une appréhension des faits avec plus
ou moins de certitude, d’assurance.1906 Dans ce sens, elle a fait son apparition légale avec
l’article 24 de la loi du 16-29 septembre 1791. Par cette loi, le législateur révolutionnaire a
opté expressément pour une rupture avec le système ancien des preuves légales traduit par
l’ordonnance de 1670, et selon lequel la « force probante de chaque élément de preuve
résultait d’un barème établi par la loi ».1907 Dans ce système le juge n’avait aucune
autonomie, mais devait au contraire mécaniquement condamner lorsque la preuve avait été
administrée même s’il était convaincu de la faiblesse de cette preuve.1908 Depuis la
Révolution qui se méfiait des magistrats de robe et supprimait les preuves légales, le système
de preuves morales est en vigueur. En vertu de ce système, le juge dispose d’une marge de
liberté dans l’appréciation du degré de vraisemblance des preuves administrées et décide
d’après sa conscience et son intime conviction.1909 Il n’est pas lié par un système légal qui
fixe la valeur de chacune des preuves.1910 Bien évidemment, la formule des articles 353 et
342 précités fut adaptée en tenant compte des grandes mutations de la cour d’assises, d’abord
en ajoutant les jurés à la détermination de la peine, puis en introduisant, en droit français, le

1904
T. SOULARD, l.c., p. 560.
1905
Pour le caractère flou et empirique de cette notion, supra, n° 201 et s.
1906
T. SOULARD, l.c., p. 557.
1907
W. ROUMIER, o.c., p. 230, n° 421.
1908
A.A. RACHED, L’intime conviction du juge. Vers une théorie scientifique de la preuve en matière criminelle,
Thèse, Paris, 1942, p. i.
1909
Ph. TRAEST, « De innerlijke overtuiging van de rechter en de motiveringsplicht » in F. VERBRUGGEN, R.
VERSTRAETEN, D. VAN DAELE et B. SPRIET, Strafrecht als roeping : Liber Amicorum Lieven Dupont, Louvain,
Universitaire Pers, 2005, p. 556 et s.
1910
S. GJIDARA, l.c., p. 11.

310
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

délibéré mixte.1911 Par rapport aux anciennes versions, elle ne fait pas non plus mention du
résumé du président.1912 La philosophie sous-jacente est toutefois bien respectée.

A l’instar de sa procédure pénale en générale, le système de preuves morales français


ne tarda pas à envahir l’Europe occidentale et à devenir le droit commun de la procédure
pénale1913, même à l’autre bout de la Manche. En effet, s’il convient d’affirmer que le droit
anglais est bien assujetti à l’observation de certaines règles strictes sur le plan des preuves, il
n’y est point question d’un système de preuves légales. The law of evidence ne concerne en
effet que l’admission des preuves sans en déterminer la valeur. Le summing-up du juge,
notamment sur les preuves, n’est en outre jamais absolu. Ainsi que nous l’avons mentionné
précédemment, les directions données par le président ne font office que d’avertissements ou
de balises, ce qui donne une liberté accrue aux jurés pour s’y conformer ou en faire
abstraction.

304. L’intime conviction apparut ensuite comme étant consubstantielle au jury dans la
mesure où les douze citoyens du peuple seraient, en raison de leur manque de savoir
juridique, incapables de comprendre, voire d’appliquer un système de preuves légales.1914
Des ignorants ne peuvent que s’appuyer sur la voix intime de leur conscience. Ainsi, selon
Cesare Beccaria, le jury n’a d’autres moyens que de décider d’après ses sentiments en raison
d’une ignorance assimilée, non à un manque de savoir ou à une intelligence inférieure, mais à
un manque de connaissance juridique.1915 Il en résulte que la notion d’intime conviction
s’impose par la nature même et la mission du jury.1916 Toutefois, la cour d’assises ne dispose
pas d’un monopole concernant cette notion. Comprise dans le sens d’une libre appréciation
des preuves, la notion d’intime conviction s’applique aussi en matière correctionnelle et
contraventionnelle aux juges professionnels1917, ce qui en droit français a été explicitement
inscrit dans le Code (art. 427 CPP et 536 CPP). Signalons, à cet égard, la position unique de
Robert Legros qui déplore une telle extension qu’il estime erronée. En particulier, Robert
Legros réfute que la preuve soit libre en droit pénal.1918 Dans sa conception, le droit pénal
doit être régi par un système de preuves légales sans pour autant revenir à la preuve légale au
sens de l’Ancien régime. Il s’agirait plutôt d’un ensemble de preuves administrées par le

1911
T. SOULARD, l.c., p. 558-559.
1912
Art. 372 du Code des délits et des peines du 3 Code Brumaire an IV et avec encore plus de précision l’ancien art.
342 CIC.
1913
A.A. RACHED, o.c., p. 109.
1914
C. TOURNIER, L’intime conviction du juge, Thèse, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2003,
p. 286.
1915
C. BECCARIA, o.c., p. 91-92 (A.A. RACHED, o.c., p. 119).
1916
A.A. RACHED, o.c., p. 107.
1917
Cass. 10 nov. 1992, Pas. 1992, I, p. 1247.
1918
R. LEGROS, « La preuve légale en droit pénal », JT 1978, p. 589-595.

311
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

législateur sous certaines formes et dont il détermine parfois la force probante. Certes, le juge
peut apprécier ces preuves librement, mais il ne convient pas de confondre cette latitude avec
l’intime conviction contenue dans l’ancien article 342 du Code d’instruction criminelle qui,
selon cet auteur, ne concerne que le contexte spécifique de la cour d’assises. Si l’on envisage
l’intime conviction comme la règle d’or de la preuve en matière pénale, pourquoi la formule
« attendu que le tribunal est intimement convaincu que … », « pour ces motifs condamne »,
ne suffit-elle pas, se demande-t-il ?1919 C’est parce que l’intime conviction ne suffit pas pour
les juges professionnels. La conviction du juge professionnel doit émaner des preuves
légalement fournies dans le cadre d’un procès et dans le respect du droit de la défense et d’un
procès équitable. En effet, contrairement au jury, le juge doit appliquer les règles légales :
« en droit le jury statue en fait, en fait (dans la réalité des choses) le juge statue en
droit ».1920 Il n’est pas important que le tribunal ait acquis une conviction, ni que celle-ci
corresponde à la réalité ; elle doit résulter d’un procès équitable. Mais au lieu de regretter
l’extension de l’intime conviction vers les juges professionnels, ne convient-il pas de
déplorer, plutôt, l’irrationalité de cette notion telle qu’elle est comprise dans l’article 353 du
Code de procédure pénale français et l’ancien article 342 du Code d’instruction criminelle
belge devant le jury ?

Selon l’opinion majoritaire1921, l’intime conviction s’applique bel et bien aux autres
juridictions ; il n’y a, sur ce point, aucune distinction avec la procédure criminelle. Une
grande différence émerge toutefois en ce qui concerne le contrôle. Aux assises françaises, la
notion d’intime conviction règne de manière absolue. Etant de nature indémontrable, elle
‘épargne’ aux jurés et à la cour de rendre des comptes sur les éléments qui les ont
convaincus. Pour se forger une intime conviction, ceux-ci doivent seulement s'interroger dans
le silence et chercher dans la sincérité de leur for intérieur sur l’impression induite par les
preuves rapportées contre l'accusé et les moyens de sa défense. Une telle épreuve est
également attendue des juridictions professionnelles avec néanmoins cette différence que ces
derniers sont bien censés justifier les motifs qui sous-tendent leur décision. En effet, pour
restreindre l’indépendance dans l’appréciation souveraine des preuves et ainsi cantonner le
danger d’arbitraire qui peut découler de la liberté du juge, le magistrat de carrière ne peut
purger ses convictions que des preuves produites devant lui et doit en procurer une

1919
R. LEGROS, « La preuve légale en droit pénal », l.c., p. 589.
1920
R. LEGROS, « La preuve légale en droit pénal », l.c., p. 590.
1921
V. par exemple D. Holsters, cité par P. DE HERT, « Leve de republiek, leve de jury. Historische, bewijstechnische,
democratische en politieke argumenten » in M. ADAMS et P. POPELIER, Recht en democratie, Anvers, Intersentia,
2004, p. 481.

312
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

motivation.1922 De ce point de vue, l’exigence de motivation ne semble dès lors pas


incompatible avec l’intime conviction.1923

305. En l’absence d’obligation quant à la justification du bien-fondé de sa décision, le


jury peut se soustraire aux prescriptions légales sans que personne ne puisse le contrôler.
Cela n’empêche pas que l’intime conviction du jury doit être fondée sur les preuves
présentées lors d’un débat contradictoire. En théorie, le principe de l’immédiateté des preuves
contraint le jury à ce faire et canalise ainsi sa liberté.1924 Il lui assure par ailleurs les
meilleures conditions pour se forger une conviction. L’intime conviction implique
uniquement que les jurés ne doivent pas expliciter les preuves sur lesquelles se fonde leur
décision.1925 Nombre d’auteurs en concluent que le haut degré de probabilité qu’il faut
distiller des preuves est bien assis sur la raison. Il s’agirait de l’état d’esprit qui tient les faits
pour vrais en s’appuyant sur des motifs solides. Ainsi, selon Jean-Philippe Dolt, la conviction
est l’acquiescement de l’esprit fondé sur des preuves évidentes et la certitude qui en
découle.1926 Etant « le fruit d’un débat judiciaire » dans lequel elle se trouve au fur et à
mesure confirmée, atténuée, renforcée ou modifiée, l’intime conviction serait loin de signifier
que le juge peut décider d’après ses pures impressions personnelles, des humeurs de dernière
minute, et en faisant fi des règles.1927 Une telle ‘rationalisation’ résulterait même directement
de l’article 353 du Code de procédure pénale qui juxtapose, dans la même phrase, les mots
‘impression’, ‘raison’ et ‘preuves’.1928 Il en résulterait, selon ces auteurs, que l’intime
conviction n’est ni arbitraire, ni discrétionnaire.

Sans aucun doute, les experts et les preuves entendus à l’audience laisseront des traces
sur la conviction du jury. Toutefois, la « meilleure des preuves n’emporte pas forcément la
conviction du juge et la plus intime conviction n’a jamais constitué une preuve ».1929 La
conviction n’étant pas une certitude, mais seulement une croyance, elle risque de s’étayer sur

1922
P. BUQUET, l.c., p. 245.
1923
B. FAYOLLE, l.c., p. 86 ; contra D. Vernier, cité par W. ROUMIER, o.c., p. 219, n° 401. Selon G. Stefani et G.
Levasseur elle s’applique également aux juridictions d’instruction, mais ceci n’est pas expressément mentionné par le
Code de procédure pénale (Crim. 4 sept. 1813, Bull. crim. 199).
Sur ce point, il n’y aurait donc pas de distinction entre les jurés et les magistrats de carrière (A.A. RACHED, o.c., p.
167-169 ; D. HOLSTERS, « De bewijswaarde van het proces-verbaal betreffende de vaststelling van misdrijven », RW
1980-81, p. 1358; contra R. LEGROS, supra, n° 304).
1924
W. ROUMIER, o.c., p. 231, n° 423. Ainsi que nous l’avons déjà analysé, au correctionnel ce principe est loin d’être
absolu.
1925
A. BLANC, « La preuve aux assises : entre formalisme et oralité, la formation de l’intime conviction », l.c., p. 271
et s.
1926
J.Ph. DOLT, « L’appréciation des preuves par les jurés pour la formulation de leur conviction intime : mythe ou
réalité ? », RDPC 1995, p. 221 ; v. également C. TOURNIER, o.c., p. 283-284.
1927
T. SOULARD, l.c., p. 555 et 568 et A.A. RACHED, o.c., p. 119.
1928
T. SOULARD, l.c., p. 577.
1929
T. SOULARD, l.c., p. 556.

313
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

des impressions mal définies1930 : « rien n’est plus fragile, éphémère, subjectif, suspect
qu’une impression surtout lorsqu’on la renforce avec le qualitatif ‘intime’ ».1931 L’intime
conviction exprime en effet l’idée que « le juge se convainc lui-même, comme les deux
parties ont essayé de le convaincre auparavant » et ainsi que la fonction de juger exige un
travail en soi.1932 Au lieu d’inviter des citoyens à raisonner sur les preuves, une telle notion
pousse à notre avis à ne plus raisonner, mais à recevoir simplement des impressions. Et « une
justice qui condamne sans explication, s’expose à faire croire qu’elle juge sans
compréhension ».1933 Ainsi que nous l’avons déjà avancé, l’oralité et la théâtralité des débats
contraignent les jurés à se fonder sur des impressions, mais risquent également de les pousser
à se fonder sur des probabilités, prestiges, sentiments, passions, illusions et contre-vérités.1934
Selon Edmond Locard, « la certitude morale est une intoxication mixte où les stupéfiants de
la défense tendent à contrebalancer les convulsants de l’accusation ».1935 Nous ne pouvons
que souscrire à cette crainte. Au lieu d’une rationalisation, l’intime conviction mène à la
subjectivité. Elle risque d’être faussée par les apparences trompeuses et séduisantes des
preuves prétendument scientifiques.

Hormis l’oralité des débats et le principe de l’immédiateté des preuves qui règnent
aux assises, certains considèrent le président comme un garde-fou indispensable. Le président
de la cour d’assises, qui représente une intelligence discursive1936, doit amener les jurés sur
les chemins de leur intime conviction et veiller au respect du contradictoire. De cette façon, il
contribuerait à la base objective du jugement. Le délibéré mixte français offrirait ainsi des
garanties contre des décisions fondées sur la vaine passion et le caprice détestable. Une autre
garantie constituerait le contrôle de la Cour de cassation. Bien que cette Cour ne puisse ni
contrôler les motifs de la conviction, ni les circonstances dans lesquelles s’est forgée la
conviction de la cour et du jury au cours de la délibération1937, elle peut toutefois vérifier le
respect du principe du contradictoire.1938 Ainsi que l’avance Aly A. Rached, la souveraineté
de la conviction, dont les motifs sont d’ordre psychologique, ne dispense pas de motiver sa
décision en se référant à l’existence d’un fait incriminé et à la qualification de ce fait par
rapport à la loi applicable.1939 La motivation de la décision judiciaire, qui souffre aux assises

1930
A.A. RACHED, o.c., p. 70-71. Selon B. Waechter, en revanche, « le passage par l’urne dépossède les votants de
leur opinion individuelle pour se fondre en une décision commune » (B. WAECHTER, l.c., p. 6-8).
1931
T. SOULARD, l.c., p. 560.
1932
A. GARAPON, J. ALLARD et F. GROS, Les vertus du juge, p. 8.
1933
H. Leclerc, cité par V. BRAULT-JAMIN, l.c., p. 716.
1934
A.A. RACHED, o.c., p. 290.
1935
E. Locard, cité par J.Ph. DOLT, l.c., p. 222.
1936
C. TOURNIER, o.c., p. 283-284.
1937
Crim. 22 juin 1988, Bull. crim. 285 (A.A. RACHED, o.c., p. 216). Pour la Belgique, v. cependant infra, n° 370.
1938
T. SOULARD, l.c., p. 569.
1939
A.A. RACHED, o.c., p. 217.

314
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

de sérieuses restrictions, serait donc résolument distincte de la motivation de sa conviction,


dont la souveraineté est générale.1940 Dans une telle optique, il ne faut pas motiver la
conviction, mais seulement la décision que l’on prend. Il ne faut pas rendre compte des
circonvolutions de son intime conviction — celles-ci fluctuent au gré des débats et des
délibérations —, mais uniquement du raisonnement qui sous-tend la décision finale.1941 Il
convient, en particulier, d’énoncer toutes les caractéristiques de l’infraction et d’indiquer les
éléments de preuve sur lesquelles se fonde la conviction du jury quant à la culpabilité de
l’accusé.1942 Il s’agit de la qualification en droit des faits et des circonstances par rapport à la
loi appliquée. Une violation de cette obligation (insuffisance, défaut ou motivation obscure)
pourrait être sanctionnée par la Cour de cassation qui vérifie l’existence des preuves (il faut
les indiquer, sinon il y a défaut de motivation) et contrôle si le juge a bien puisé sa conviction
dans des éléments de preuves reconnues par la loi.1943

Cependant, il y a des cas où ce que l’on croit, pense et sent (passivement), ne coïncide
pas avec ce que l’on accepte et dit (activement). On peut dire quelque chose mais croire le
contraire, ou le croire mais pour une autre raison.1944 En effet, après l’examen de l’intégralité
des preuves, le jury peut être convaincu de la culpabilité de l’accusé mais refuser de le
condamner parce qu’il estime que la loi qui prescrit sa condamnation n’est pas juste ; ou
parce qu’il a le sentiment que l’accusé ment sans être capable de s’en assurer de manière
tangible.1945 Selon la formule déjà analysée, le jury anglais doit être convaincu que la
culpabilité de l’accusé est prouvée beyond a reasonable doubt. En vertu de son serment, il ne
peut fonder cette décision que sur les preuves. Mais en cas de jury equity, le jury est
convaincu de la culpabilité mais prononce toutefois l’acquittement, par exemple pour éviter
que le juge, seul responsable de la détermination de la peine, n’inflige une peine trop sévère.
Le cas échéant, le verdict traduit ce que le jury accepte, plutôt que ce qu’il croit.1946 Selon
certains auteurs, cette possibilité constitue l’une des raisons de la popularité du jury, voire
son essence. Lorsqu’il serait, dans ce cas, contraint de motiver sa décision, il devrait soit
dévoiler le fait d’avoir pris une décision contraire au serment qu’il a prêté « to give a true
verdict according to the evidence » — notamment qu’il a fondé sa décision sur la morale car
s’il la fonde sur les preuves, il aurait dû prendre une décision contraire —, soit mentir. Dans
ce cas, la motivation semble donc incompatible avec l’intime conviction. L’introduction

1940
A.A. RACHED, o.c., p. 219.
1941
W. ROUMIER, o.c., p. 240, n° 444.
1942
A.A. RACHED, o.c., p. 242-243.
1943
A.A. RACHED, o.c., p. 243.
1944
L.J. COHEN, « Should a Jury Say What it Believes or What it Accepts ? », Cardozo L.Rev. 1991-92, p. 465-466.
1945
L.J. COHEN, l.c., p. 468-469.
1946
L.J. COHEN, l.c., p. 471.

315
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

d’une obligation de motiver conduirait dès lors corollairement à la fin du pouvoir de jury
equity — une logique suivie par le système espagnol1947 — et, pour certains, à la fin du
jury.1948 Selon certains auteurs une telle réforme aurait toutefois comme répercussion de
privilégier la recherche de la vérité par rapport à la recherche de la justice. Si l’on fonde
exclusivement sa décision sur les preuves, on ouvre la voie à l’obligation de motiver dans le
respect scrupuleux de la CEDH. Mais, aux yeux de Thierry Soulard, le vrai — ce qui
implique la recherche des preuves, méthode, ration et rigueur — ne saurait faire obligation au
juste et c’est dans « cet interstice irréductible que la légitimité de l’intime conviction
s’enracine ».1949 Selon ce dernier, il faut donc maintenir l’absence de motivation puisqu’il
reste toujours une partie irréductible non contrôlable qu’on ne peut pas motiver : l’intime
conviction.1950 Mais si tel est le cas, comment les juges professionnels réussissent-ils alors à
motiver ?

306. La clé de la solution réside dans la notion de « libre appréciation des preuves ».
Le juge peut donner son appréciation des preuves qui correspond le mieux à sa conscience
intime, mais encore faut-il qu’il se fonde sur les preuves administrées, ce que la motivation
formelle permet de vérifier. Il s’agit dès lors d’une liberté sous conditions. Il faut toujours
avoir une base sur laquelle l’intime conviction est permise : les preuves admissibles qui ont
été soumises à la contradiction des parties, ce à quoi le président sera également chargé de
veiller. Certes, on n’aura jamais la certitude que la décision a été prise sur la base des preuves
présentées ; un juge peut toujours puiser au-delà de la règle légale, mais l’obligation de
motiver instaure toutefois une garantie considérable.1951 Avec une motivation, le juge fait
entrer les faits dans la catégorie juridique correspondante en reconnaissant dans les faits bruts
les éléments caractéristiques de la notion de droit.1952 Au lieu de motiver les motifs, la
motivation sert alors à démontrer de quelle manière il a pris sa décision.1953 Or, dans cette
lignée, s’inscrivait la proposition de la Commission de réforme belge (art. 316 de la
proposition de loi du 25 septembre 2008) quant à la réécriture de la formule de l’intime
conviction afin qu’elle se réfère explicitement aux preuves.1954 Au lieu de bloquer alors
l’extension de la notion d’intime conviction envers les juridictions professionnelles, comme
le défendait Robert Legros, il convient de rationaliser la mission du jury. Ainsi que nous
l’esquisserons plus loin, la nouvelle loi belge du 21 décembre 2009 a suivi cette sage

1947
Infra, n° 413.
1948
T. GROVE, A Juryman’s Tale, Londres, Bloomsbury, 1998, p. 206.
1949
T. SOULARD, l.c., p. 576.
1950
C. TOURNIER, o.c., p. 283-284.
1951
J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 487.
1952
S. GJIDARA, l.c., p. 8.
1953
Ph. TRAEST, « De innerlijke overtuiging van de rechter en de motiveringsplicht », l.c., p. 565.
1954
Supra, n° 201 ; v. également B. FAYOLLE, l.c., p. 86.

316
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

suggestion. La formule de l’ancien article 342 du Code d’instruction criminelle est modifiée
comme suit : « la loi prévoit qu’une condamnation ne peut être prononcée que s’il ressort
des éléments de preuve admis que l’accusé est coupable au-delà de tout doute raisonnable
des faits qui lui sont incriminés » (art. 327 CIC).

L’intime conviction n’étant qu’un mode d’appréciation des preuves, elle ne saurait
donc pas empêcher la mise en œuvre d’une motivation en matière criminelle. Les deux
notions sont bien compatibles. Cependant, il s’agit ensuite de savoir si le système de
questions qui régi la délibération criminelle continentale et jalonne la compétence du jury par
les réponses apportées, n’est pas en soi suffisant.

B — UNE SOUVERAINETE ENCADREE PAR LE SYSTEME DE QUESTIONS

307. A l’instar du summing-up du juge anglais qui dessine un cadre à partir duquel le
jury devrait s’acquitter de sa mission, le système continental procure aux jurés des repères
par son système de questions. Il faut en effet poser des questions précises pour que ceux-ci
puissent répondre par ‘oui’ ou ‘non’ pour condamner ou acquitter. Par ce système, la
procédure d’assises témoigne de la volonté de canaliser les sentiments et de structurer la
délibération des jurés (1). Mais, au-delà de la question de savoir si cet objectif est atteint, il
convient d’examiner si un tel système « d’ersatz » motivation suffit au point de vue de la
jurisprudence strasbourgeoise (2).

1. Canaliser les sentiments dans une rigueur des questions

308. En matière criminelle française, l’ensemble des réponses aux questions constitue,
conjointement, le verdict ainsi que la motivation.1955 Il est dès lors primordial d’accorder une
attention particulière à la rédaction des questions. En Belgique, ce système était
traditionnellement avancé pour relativiser la nécessité d’une motivation en matière
criminelle. Or, ainsi que nous l’esquisserons plus loin, même avec une motivation, le
législateur belge s’accroche encore à ce système. Etrangement, cette matière constitue encore
un point commun entre la procédure mixte française (art. 348 à 351 CPP) et la procédure
belge du jury souverain (art. 322 à 326 CIC).1956 Dans les deux systèmes, la responsabilité de
poser et de lire les questions incombe en principe intégralement au président de la cour

1955
Crim. 30 avr. 1996, Bull. crim. 181 et RSC 1996, p. 877, obs. J.P. DINTILHAC (A. BLANC, « La preuve aux
assises : entre formalisme et oralité, la formation de l’intime conviction », l.c., p. 271 et s.).
1956
Supra, n° 91.

317
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

d’assises.1957 Les parties peuvent faire des suggestions, mais le refus de poser la question
dans les termes de la défense ne constitue pas une violation de l’article 6 CESDH.1958

309. Il existe trois catégories de questions : les questions obligatoires, les questions
spéciales/subsidiaires et les questions conditionnellement obligatoires. En premier lieu, il y a
des questions qui purgent le dispositif de la décision de mise en accusation et qui sont
absolument nécessaires.1959 Ainsi, les jurés (avec la cour en France) doivent obligatoirement
être interrogés sur tous les éléments constitutifs de l’infraction pénale ainsi que sur les
éventuelles circonstances aggravantes.1960 En vertu de l’article 349 du Code de procédure
pénale français, de telles questions sont posées en termes généraux : « l’accusé est-il
coupable d’avoir commis tel fait ? »1961. Cette formule est préférable à la disposition belge
qui spécifie : « l'accusé est-il coupable d'avoir commis tel meurtre, tel vol, ou tel autre
crime? »1962 (art. 323 CIC), puisqu’elle spécifie que les questions doivent en principe être
posées en fait. Interdites à cet égard sont des questions complexes qui regroupent plusieurs
infractions ou accusés dans une même question.1963 Cela n’était néanmoins pas le cas pour les
circonstances aggravantes objectives pour lesquelles on appliquait traditionnellement la règle
fataliste d’emprunt de criminalité. En dépit d’une jurisprudence constante de la Cour de
cassation selon laquelle les questions concernant les circonstances aggravantes objectives ne
doivent — à la différence des circonstances aggravantes morales telle que la
préméditation1964 — pas être individualisées en fonction des différents auteurs,1965 la Cour
européenne de Strasbourg condamna à deux reprises la Belgique pour violation des droits de
la défense, notamment dans l’affaire Göktepe c. Belgique du 2 juin 2005 et dans l’affaire

1957
Le fait que le juge participe à l’arrêt des questions, n’est pas incompatible avec sa participation ultérieure, en cas
d’une majorité simple, au jugement sur la culpabilité (Cass. 27 mai 1986, Pas. 1986, I, p. 1175). La cour n’est
compétente que lorsqu’une des parties soulève un incident, ce qu’elle apprécie de manière souveraine (art. 352 CPP ;
Crim. 6 mai 1997, Bull. crim. 173 et Crim. 17 déc. 1997, Bull. crim. 431). En cas de contestation sur les questions, la
cour d'assises doit motiver sa décision sur les questions (Comm. EDH, R c. Belgique décision sur la recevabilité du 30
mars 1992, n° 15957/90). Pour le droit belge, v. Cass. 11 oct. 2006, Pas. 2006, p. 2026 et RDPC 2007, p. 249 (R.
DECLERCQ, o.c., p. 1049, n° 2395).
1958
Cass. 11 mai 1994, Pas. 1994, I, p. 461 et RW 1994-95, p. 636, note A. VANDEPLAS.
1959
R. DECLERCQ, o.c., p. 1050, n° 2396.
1960
Crim. 11 déc. 1996, Bull. crim. 461 et Crim. 9 juin 1999, Bull. crim. 131. Cette obligation ne vaut pas pour l’état
de récidive qui ne constitue ni un fait punissable, ni une circonstance aggravante (Crim. 23 févr. 2000, Bull. crim. 81).
1961
A l'égard des mineurs, jugés par la cour d’assises des mineurs, il existe deux questions spécifiques (infra, n° 525).
1962
Ces termes sont purement indicatifs et peuvent être confus dans la mesure où les questions ne doivent pas être
posées en droit, mais en fait (Pand.b., v° La cour d’assises, p. 502, n° 2241-2242). Souvent le président recourt à la
définition légale pour la formulation des questions. Des termes équivalents aux termes légaux ne sont pas interdits
(Cass. 26 avr. 1989, JLMB 1989, p. 970, note P.H. et RDPC 1989, 769, note). En tout cas, il faut mais il suffit que la
question reprenne tous les éléments constitutifs du crime (P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 46-47, n° 210).
1963
Crim. 26 janv. 1989, Bull. crim. 32, D. 1989, p. 207, note H. ANGEVIN et Crim. 21 févr. 1996, Bull. crim. 82 (W.
ROUMIER, o.c., p. 222, n° 406) ; v. aussi Crim. 14 avr. 1999, Bull. crim. 81, D. 1999, somm. p. 323, obs. J. PRADEL ;
Pour le droit belge, v. P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 47-48, n° 212-214.
1964
Cass. 15 nov. 1948, Pas. 1948, I, p. 635.
1965
Cass. 17 avr. 1996, Pas. 1996, I, p. 349 et RDPC 1997, p. 214 ; Cass. 16 févr. 1999, RDPC 1999, p. 1181 et Cass.
28 mars 2001, Pas. 2001, I, p. 511 et RDPC 2001, p. 1002.

318
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Delespesse c. Belgique du 27 mars 20081966. Elle s’alignait ainsi sur la pratique courante de
certaines cours qui individualisaient les questions en fonction des différents auteurs.1967
L’arrêt Göktepe qui a finalement été consacré par la Cour de cassation dans son arrêt du 17
juin 20081968, ne semble pas seulement inaugurer la fin de l’ère des circonstances aggravantes
objectives ; il a également donné lieu, en Belgique, à la création de la procédure de
réouverture du procès après une condamnation par la CEDH.1969 Ces décisions, qui exigent
désormais que les questions relatives aux circonstances aggravantes objectives soient
individualisées pour chaque auteur/complice1970, auront sans doute des répercussions pour le
droit français qui s’appuie sur la règle d’assimilation du complice à l’auteur (art. 121-6
CPF).1971 En effet, bien que l’article 349 alinéa 3 du Code de procédure pénale dispose que
chaque circonstance aggravante fait l’objet d’une question distincte, la jurisprudence permet,
afin d’éviter des contradictions des réponses1972, de grouper les questions aggravantes réelles
pour les administrer conjointement à tous les coaccusés d'un même crime.1973 Cela paraît peu
compatible avec les décisions Göktepe et Delespesse précitées.

Il nous semble qu’une telle individualisation des questions est également nécessaire
en cas de victimes multiples. Si la Cour de cassation n’a pas sanctionné un arrêt de la cour
d’assises qui groupait la question d’assassinat pour plusieurs victimes, cela découlerait du
manque d’opposition des parties quant au libellé proposé pour le formulaire des questions
avant la remise au jury.1974

310. Outre les questions obligatoires interviennent, en second lieu, des questions
spéciales et des questions subsidiaires dont les débats ont fait émerger la nécessité.1975 Il

1966
CEDH 2 juin 2005, Goktepe c. Belgique, n° 50372/99, § 30-31, JLMB 2005, p. 1556, note N. COLETTE-BASECQZ,
JT 2005, p. 713, note P. RENSON, RABG 2005, p. 1465, note D. VANDERKELEN et L. GYSELAERS, RDPC 2005, p.
1247, note M. NEVE et T.Strafr. 2006, p. 78, note P. HERBOTS et CEDH 27 mars 2008, Delespesse c. Belgique, n°
12949/05, § 29-31, FC 2008, p. 260, note J. ROZIE. Pour une analyse générale, v. Ch. HENNAU-HUBLET, « La
participation punissable : vers un affranchissement de l’emprunt de criminalité », RDPC 1990, p. 591-603 et J.
VERHAEGEN, « Le vol avec meurtre : un ‘concours idéal’ érigé par la loi en circonstance aggravante subjective »,
RDPC 1997, p. 185-195.
1967
Cass. 5 mai 1993, Pas. 1993, I, p. 434 et Cass. 1er févr. 1995, Pas. 1995, p. 117 et RW 1996-97, p. 741, note A.
VANDEPLAS.
1968
Cass. 17 juin 2008, FC 2008, p. 284, concl. M. DE SWAEF et RABG 2008, p. 14, note D. VANDERKELEN et L.
GYSELAERS; v. également Cass. 11 févr. 2009, JLMB 2009, p. 886 et RDPC 2009, p. 728, concl. D. VANDERMEERSCH.
1969
Infra, n° 353.
1970
Pour les conséquences pour la complicité, v. J. VANHEULE, Strafbare deelneming, Anvers, Intersentia, 2010, p.
481-518.
1971
« Les circonstances aggravantes réelles qui sont purement matérielles, inhérentes au fait même, ne peuvent
exister à l'égard de l'un des auteurs sans exister à l'égard de l'autre » (Crim. 2 avr. 1898, Bull. crim. 144).
1972
Crim. 10 oct. 1984, Bull. crim. 297.
1973
Ibid. ; Crim. 28 oct. 1992, Bull. crim. 347 et Crim. 14 avr. 1999, D. 1999, somm. p. 323, obs. J. PRADEL). En
revanche, rien n’interdit de poser des questions distinctes pour chacun des coaccusés sur une circonstance aggravante
réelle (Crim. 8 mars 1977, Bull. crim. 89).
1974
Cass. 6 mai 2009, RDPC 2009, p. 945.
1975
Crim. 12 mai 1970, Bull. crim. 158 et D. 1970, p. 515-520, note F. CHAPAR. Le président n’est pas tenu de
préciser de quelle partie des débats résulte cette circonstance aggravante (Cass. 17 févr. 1976, Pas. 1976, I, p. 676).

319
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

s’agit, d’une part, de questions spéciales sur des circonstances aggravantes non mentionnées
dans l’arrêt de renvoi (art. 350 CPP et art. 324 CIC)1976 et, d’autre part, de celles qui avancent
une qualification nouvelle issue des débats1977. Ces questions peuvent être posées d’office par
le président ou à la demande des parties.1978 A la condition que ne soient pas soumis au jury
des faits autres que ceux du chef desquels le renvoi a été prononcé, il appartient à
l’appréciation souveraine du président et en cas de contestation à la cour de poser de telles
questions.1979 En effet, contrairement au juge correctionnel et de police qui sont censés
donner aux faits la qualification exacte, cela ne constitue, pour le président de la cour
d’assises belge, qu’une simple faculté.1980 Ainsi, lorsqu’il apparaît à l’issue des débats une
qualification plus légère — par exemple de violences volontaires et mort occasionnelle en cas
d’accusation pour meurtre —, le président belge n’est pas obligé de poser à cet égard une
question aux jurés. Une telle question peut être suggérée par les parties1981, mais il incombe
au président d’en déterminer l’opportunité1982, de sorte qu’il peut exercer lui-même une
influence sur l’impact des jurés : lorsqu’il pose une telle question, il force les jurés à réfléchir
sur les différentes qualifications possibles et leur attribue le pouvoir de déterminer
intégralement le sort de l’accusé avec pourtant le risque que le jury se contente de la
qualification inférieure. S’il refuse de la poser, le jury prend une décision de tout ou rien :
soit il condamne pour la qualification plus sévère, soit il acquitte. En cas de condamnation, la
cour d’assises peut retenir des circonstances atténuantes lors de la détermination de la peine.
Toutefois, il nous semble préférable que toutes les circonstances soient soumises au jury,
comme c’est d’ailleurs le cas lorsque les magistrats de carrière jugent une affaire.

En droit français, pour chaque qualification légale autre que celle donnée par la
décision de mise en accusation, une ou plusieurs questions subsidiaires doivent être posées si
la réponse à la question principale a été négative (art. 351 CPP).1983 Cela exprime la plénitude
de juridiction pour tous les faits dont la cour d’assises est saisie. Il s’agit par exemple de la
tentative du crime. Bien évidemment, ces questions doivent porter sur les faits de la décision

1976
Crim. 23 févr. 1983, Bull. crim. 66 et Cass. 19 juin 1991, Pas. 1991, I, p. 915. Au préalable le président doit poser
les questions résultant du dispositif de l’arrêt de renvoi (Crim. 30 avr. 1985, Bull. crim. 165).
1977
Pand.b., v° La cour d’assises, p. 561, n° 2563. S’agissant d’une tentative de viol, la question subsidiaire que les
débats pourraient relever est celle d’attentat à la pudeur avec violence ; s’agissant d’un vol commis en tant qu’auteur,
la question subsidiaire pourrait concerner la même infraction mais alors en tant que complice.
1978
Crim. 23 févr. 1983, Bull. crim. 66.
1979
Cass. 27 nov. 1979, RW 1979-80, p. 2965, note et Cass. 11 mai 1994, Pas. 1994, I, p. 461 et RW 1994-95, p. 636,
note A. VANDEPLAS. On ne pas invoquer le moyen pour la première fois devant la Cour de cassation. En cas
d’objections, il faut d’abord soulever l’incident devant la cour d’assises (Cass. 17 févr. 1976, Pas. 1976, I, p. 676).
1980
P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 43, n° 198.
1981
R. DECLERCQ, o.c., p. 1051, n° 2399.
1982
Cass. 11 mai 1994, Pas. 1994, I, p. 461 et RW 1994-95, p. 636, note A. VANDEPLAS.
1983
Crim. 19 nov. 1986, Bull. crim. 350 et Crim. 1er juin 1988, Bull. crim. 243. Sauf si l’accusé et son conseiller y
renoncent (Crim. 13 déc. 1995, Bull. crim. 381 ; Crim. 20 août 1997, Bull. crim. 289 et Crim. 18 févr. 1998, Bull.
crim. 69).

320
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

de mise en accusation. Les faits peuvent dès lors être autrement qualifiés à condition qu’ils
résultent des débats, mais le président doit bien veiller à ne modifier ni la substance, ni la
nature des faits, ni à substituer une accusation à celle sur laquelle l’arrêt de renvoi est
fondé.1984 Il ne peut pas élargir la saisine de la cour d’assises en substituant ou ajoutant une
nouvelle infraction aux faits retenus dans la décision de renvoi,1985 même avec le
consentement de l’accusé1986, sans que celle-ci soit discutée au cours des débats.1987 Ainsi, un
meurtre ne peut pas être requalifié en violences volontaires ayant entraîné la mort sans
l’intention de la donner en l'absence de questions posées à cet égard ou sans indiquer les
motifs qui fondaient la requalification.1988 Ces conditions remplies, il est censé poser la
question subsidiaire. Cependant, l’accusé qui n’a ni suggéré de poser une telle question, ni
soulevé un incident lors de la lecture des questions, n’est pas recevable à se plaindre de ce
qu’elle n’ait pas été posée d’office.1989

Une telle problématique se pose également en droit anglais qui ne connaît pas le
système de questions. Dans les cas énumérés aux articles 6 (2)-(4) et 4 (2) du Criminal Law
Act de 1967, les jurés y ont aussi la possibilité de prononcer des verdicts alternatifs. De cette
façon ils peuvent condamner l’accusé pour une accusation moins sévère. Cette loi ouvre par
exemple la porte à une condamnation pour tentative ou à une condamnation pour complicité.
Entre autres exemples, il peut également s’agir d’une condamnation pour meurtre, pour coups
et blessures volontaires ou infanticide en cas de déclaration non coupable pour assassinat. En
cas de conduite dangereuse causant la mort, le jury peut condamner pour conduite
imprudente, ce qui est une summary offence.1990 Hormis ces cas, la condamnation pour une
qualification plus légère est, en vertu de la jurisprudence de Springfield de 1969 uniquement
possible si cette infraction constitue « un pas nécessaire » pour cerner l’infraction
commise.1991 L’affaire Wilson de 1984 permet par contre de condamner pour une autre
infraction s’il est une « normal course » qu’une personne qui commet A, commettra aussi
B.1992 Il appartient à la discrétion du juge de soumettre cette option au jury, sauf si une telle

1984
H. ANGEVIN, o.c., p. 279, n° 790.
1985
Crim. 24 janv. 1996, Bull. crim. 42. Une erreur matérielle relative par exemple à la date ou concernant le nom de
l’accusé ou de la victime, peut en revanche être rectifiée.
1986
Crim. 21 févr. 1996, Bull. crim. 82.
1987
Par exemple si la préméditation ne fait pas partie de la décision de renvoi, le président ne peut pas, sans porter
atteinte aux droits de la défense, poser une question spéciale sur cette circonstance aggravante sans avertir les parties
avant les plaidoiries et réquisitions (Crim. 4 févr. 2009, AJpénal 2009, p. 232 ; v. également Crim. 13 juin 2007,
AJpénal 2007, p. 442, obs. S. LAVRIC et Crim. 13 févr. 2008, AJpénal 2008, p. 239, obs. S. LAVRIC).
1988
Crim. n° 08-82880, 10 déc. 2008, inéd.
1989
Crim. 5 oct. 1967, Bull. crim. 241 (H. ANGEVIN, o.c., p. 279, n° 791).
1990
Pour plus de details, v. J. SPRACK, A Practical Approach to Criminal Procedure, o.c., p. 370.
1991
Springfield [1969] 53 Cr. App. R. 608.
1992
Wilson [1984] A.C. 242, cité par J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., 318).

321
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

alternative n’a pas été discutée contradictoirement.1993 L’affaire Fairbanks de 1986 avançant
comme critère « l’intérêt de la justice »1994, le juge devrait, pour éviter que le jury ne prenne
une décision de tout ou rien, selon Sean Doran, présenter au jury les accusations et les
défenses alternatives à condition qu’une telle manière de procéder ne porte pas atteinte aux
droits de la défense et que l’accusé ait la possibilité de les contester.1995 Toutes les
possibilités doivent être confiées aux jurés. Dans l’affaire Maxwell, la Chambre des Lords
estime toutefois qu’il incombe à la Prosecution de présenter de telles accusations.1996 En tout
cas, si le juge veut soulever, dans son résumé, une question qui n’a pas été abordée lors du
procès, il doit d’abord la soumettre aux différentes parties afin qu’elles puissent statuer
contradictoirement.1997

311. Outre les questions absolument obligatoires et spéciales/subsidiaires, le droit


belge fait ensuite mention des questions conditionnellement obligatoires. L’obligation de
poser ces questions s’impose uniquement lorsque l’accusé ou l’avocat les soulève
explicitement. Dans ce cas, la question doit être posée même en cas d’opposition de l’autre
partie.1998 Bien évidemment, le président peut également la poser d’office.1999 Il en est ainsi
en cas de cause d’excuse légale de diminution de la peine telle que la provocation (art. 325
CIC).2000 Une telle obligation s’impose aussi lorsque les parties envisagent l’application de la
loi de défense sociale du 1er juillet 19642001. S’il résulte des débats que l’accusé est atteint
d'un trouble mental qui abolit ou altère gravement sa capacité de discernement ou de contrôle
ou si l’accusé ou son avocat ont évoqué cette question, il faut la soumettre aux jurés (art. 10
de la loi de défense sociale).2002 Pour le droit français qui, depuis le nouveau Code pénal, ne
connaît plus ni circonstances atténuantes, ni excuses légales,2003 il en est de même pour les
causes légales d'exemption ou de diminution de la peine (art. 349 al. 4 CPP surtout dans le
domaine des repentis) et, depuis la loi du 15 juin 2000, pour les causes d’irresponsabilité

1993
Hazell [1985] Crim. L.R. 513.
1994
Il ne concerne pas uniquement l’intérêt de l’accusé, mais aussi celui du public (Fairbanks [1986] 1 W.L.R. 1202) ;
v. plus récemment, Coutts [2005] Crim. L.R. 784, comm. S. LEAKE et D.C. ORMEROD et Foster [2008] 1 W.L.R.
1615. Selon Coutts, le juge n’est pas obligé de diriger le jury sur une inculpation alternative, sauf si celle-ci découle
clairement des preuves.
1995
S. DORAN, « Alternative Offences : Let the Jury Choose », Crim. L.R. 1992, p. 846-847 et p. 853.
1996
Maxwell [1990] 1 W.L.R. 401.
1997
Cristini [1987] Crim. L.R. 504 ; v. également Hembling [2005] Crim. L.R. 586, comm. D.C. ORMEROD.
1998
Cass. 25 mars 1901, Pas. 1901, I, p. 179.
1999
Ibid.
2000
R. DECLERCQ, o.c., p. 1052, n° 2402. Il incombe à la cour de juger si le fait proposé constitue une excuse légale
admise comme telle par la loi (Pand.b., v° La cour d’assises, n° 2603, p. 568).
2001
V. aussi la loi du 21 avril 2007 relative à l'internement des personnes atteintes d'un trouble mental (MB 13 juill.
2007, p. 38271) qui entrera en vigueur à la date fixée par le Roi et au plus tard le 1er janvier 2012. Cette loi remplacera
la loi de défense sociale du 1er juillet 1964 (MB 17 juill. 1964, p. 7818).
2002
V. aussi l’art. 13 § 1 de la loi du 21 avril 2007. La défense peut proposer d’aborder cette question même si elle a
été auparavant rejetée par les juridictions d’instruction (Cass. 3 nov. 1952, Pas. 1953, I, p. 129).
2003
Supra, n° 95.

322
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

pénale (349-1 CPP) qui ne sont posées que lorsqu’elles sont invoquées comme moyen de
défense.2004 Le nouveau Code pénal prévoit six causes d’irresponsabilité pénale à cet égard :
« trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement ou le contrôle de ses
actes », « la contrainte à laquelle l’accusé n’a pu résister », « l’ordre ou l’autorisation de la
loi », « la légitime défense de soi-même ou d’autrui », « l’erreur de droit » et « l’état de
nécessité ».2005 En droit belge, certaines de ces causes — par exemple celle qui est relative à
la légitime défense — ne font pas partie de la catégorie des questions conditionnellement
obligatoires dans la mesure où celles-ci sont évoquées dans la question portant sur l’existence
d’une cause de justification qui fait déjà partie de la question relative à la culpabilité.2006

312. L’accusé bénéficiant du droit à être informé de manière détaillée sur la nature et
la cause des faits qui lui sont reprochés, ainsi que sur leur qualification juridique, il est
nécessaire de procéder à une lecture des questions.2007 Ainsi, l’accusé peut soulever un
incident sur lequel, le cas échéant, la cour d’assises doit se prononcer.2008 Il en résulte qu’on
ne peut pas changer les questions une fois entré dans la salle de délibération, l’accusé n’ayant
pas eu la possibilité de se défendre, d’où le caractère rigide des questions. Si le jury (avec la
cour en France) décide de ne pas retenir la culpabilité de l’accusé pour l’infraction contenue
dans l’arrêt de renvoi, il ne peut déclarer l'intéressé coupable d'un autre délit ou crime qu'il
aurait éventuellement constaté qu’à condition qu’une question ait été posée explicitement à
propos de cette autre qualification. Faute de question subsidiaire, la situation vire au « tout ou
rien ».2009 Une réponse négative aux seules questions soumises ne peut qu’entraîner
l’acquittement, sans qu’il soit possible de rouvrir les débats afin d'examiner une autre

2004
H. ANGEVIN, o.c., p. 301, n° 851 et p. 320, n° 892 et S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 1306, n° 2310.
2005
Art. 122-1 à 122-7 CPF.
2006
Cass. 13 févr. 1950, Pas. 1950, I, p. 406 ; P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 46, n° 207.
2007
Crim. 31 mai 1946, Bull. crim. 127 ; Crim. 5 déc. 1984, Bull. crim. 386 et CEDH 25 mars 1999, Pelissier et Sassi
c. France, n° 25444/94, § 51 (W. ROUMIER, o.c., p. 220, n° 404). Le président ne peut pas laisser entendre qu’à ses
yeux la culpabilité est bien établie (Crim. 20 août 1997, Bull. crim. 288, Dr. pén. 1997, comm. 148, obs. A. MARON et
D. 1998, somm. p. 177, obs. J. PRADEL). La lecture n’est toutefois pas obligatoire pour les questions qui traduisent les
termes de la décision de mise en accusation ou, plutôt, de l’arrêt de renvoi (Pand.b., v° La cour d’assises, p. 498, n°
2213 et P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 42, n° 196-197) (art. 348 CPP ; Crim. 15 oct. 1997, Bull. crim. 335).
Cela n’est pas contraire à l’art. 6 CESDH (Crim. 4 nov. 1999, D. 2000, inf. rap. p. 21 et Crim. 23 oct. 2002, Dr. pén.
2003, comm. 40, p. 23, obs. A. MARON et M. HAAS), même si elles ne sont pas reprises littéralement (Crim. 9 mars
1994, Bull. crim. 93 et Crim. 30 mars 1994, Bull. crim. 127).
2008
Crim. 23 févr. 1983, Bull. crim. 66. En l’absence d’opposition, l’intervention de la cour est irrecevable. Le fait de
ne donner lecture à une question subsidiaire qu’à l'issue des débats, juste avant leur clôture, constitue une violation de
l’art. 6-1 et 6-3 CESDH puisque l’accusé n’est pas informé de manière détaillée sur la nature et la cause de
l’accusation portée contre lui et ne dispose pas du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense
(CEDH 26 sept. 2006, Miraux c. France, n° 73529/01, § 31 et s. ; v. également concernant une question spéciale,
Crim. 13 juin 2007, Bull. crim. 160 ; contra Crim. n° 06-88832 et n° 06-85477, 31 mai 2007, inéd.).
2009
Poursuivi pour assassinat ou meurtre, le jury ne peut que prononcer un acquittement s’il estime qu’il n'y avait pas
intention de tuer et si aucune question supplémentaire n'a été posée sur une qualification plus légère (par exemple
coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner). Peu importe si, à l'analyse des faits,
le jury est convaincu que la qualification alternative (plus légère) s'applique bel et bien (Rapport intermédiaire du 8
nov. 2005, p. 64).

323
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

qualification potentielle. Il est vrai que le président français est, sous certaines conditions,
obligé de poser une question subsidiaire soit d’office, soit à la demande des parties, mais
ainsi que nous l’avons déjà avancé, si l’on a omis de poser cette question ou de soulever un
incident, l’accusé ne peut pas se plaindre de l’omission du juge qui ne l’a pas posée
d’office.2010 Il en découle que le ‘carcan’ des questions piègent les jurés et juges
professionnels dans des catégories strictes. Les questions limitent leur marge de manœuvre,
ce qui laisse peu de place au jugement d’équité2011 ainsi que l’avance André Gide : « les
questions sont ainsi posées qu’elles laissent rarement le jury voter comme il l’eût voulu et
selon ce qu’il estimait juste ».2012 Le jury est corseté par ce système. Pour être juste, il faut
parfois répondre de manière erronée au questionnaire. Un tel système est encore
compréhensible lorsque les jurés sont censés ‘se débrouiller seuls’ de la culpabilité de
l’accusé. Il l’est moins dans un système de délibération mixte, et pas du tout dans les cours
d’assises spéciales qui, pour leur part, sont exclusivement constituées de magistrats
professionnels.2013 Si, pour les jurés, un tel système permettait de structurer leurs délibération
et pensée2014 — ce qui conduit William Roumier à plaider pour le maintien de ce système en
cas de motivation au lieu de sa substitution2015 —, cela n’est pas nécessaire pour les
magistrats de carrière.

La Commission belge de réforme de la cour d’assises, en revanche, envisageait


corrélativement à l’introduction du délibéré mixte la suppression du système rigoureux des
questions. La présence d’un professionnel lors du jugement de la culpabilité permettrait
davantage de souplesse en ce qui concerne les qualifications alternatives.2016 Il serait en effet
judicieux que la quête de vérité ne soit pas entravée par un système rigide et un formalisme
désuet. En France, une proposition similaire fut avancée par Henri Verdun en 1942, celui-ci
estimant que les questions subsidiaires trahissaient trop souvent les sentiments personnels du
président. Comme dans la procédure correctionnelle, il faut délibérer d’après l’arrêt de renvoi
et les éléments du débat.2017 La disparition du questionnaire permettrait davantage de latitude

2010
Supra, n° 310.
2011
T. PECH, « L’homme de lettres aux assises : Gide, Mauriac, Giono », l.c., p. 206.
2012
A. GIDE, o.c., p. 17-18.
2013
W. ROUMIER, o.c., p. 217, note 854. A cet égard la procédure de la Diplock Court, qui comble l’absence du jury
par l’obligation du juge professionnel de motiver sa décision (FIEPA 1996, s. 11-5 et 11-6) —, semble bien préférable
(C.D. RASNIC, l.c., p. 250). Le législateur anglais a donc bien compris qu’un jugement purement professionnel va de
pair avec une motivation. Il faut démontrer qu’il a été prouvé que l’accusé a commis les faits (J.D. JACKSON et S.
DORAN, « Addressing Adversarial Deficit in Non-jury Criminal Trials », l.c., p. 675-676).
2014
L’affaire Papon avec ses 768 questions interroge cependant quant à la capacité d’une telle quantité de questions à
structurer la discussion (CEDH 15 nov. 2001, Papon c. France décision sur la recevabilité, n° 54210/00).
2015
W. ROUMIER, o.c., p. 234, n° 430.
2016
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 63-65 ; v. également l’art. 346 de la proposition de loi (Ph. MAHOUX) du
25 sept. 2008 relative à la réforme de la cour d'assises, Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-924/1, reprenant celle du 26 avr.
2007, Doc.parl. Sénat 2006-07, n° 3-2426/1.
2017
H. VERDUN, « La cour d’assises selon la loi du 25 novembre 1941 », l.c.

324
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

sur le plan des faits, ceux-ci pouvant plus facilement être examinés sous différents aspects et
qualifications. Elle n’a pas été retenue par la loi du 21 décembre 2009 qui rejette le délibéré
mixte au niveau de la culpabilité. L’invariabilité du système français sur ce point témoigne-t-
elle de nouveau de la volonté de consacrer l’indépendance des jurés ? Elle est pour le moins
remarquable en ce qui concerne les cours d’assises spéciales.

En Angleterre, en revanche, Lord Auld se prononça en faveur d’un système de


questions qu’il souhaite, ironiquement, emprunter aux pays vers lesquels la common law
avait exporté ses procédures.2018 En particulier, il propose de soumettre aux jurés une liste
structurée de questions écrites ayant recueilli l’aval des parties et du juge. Le jury devrait y
répondre par écrit (par le chef du jury), ce qui permettrait de cerner chacune des étapes ayant
conduit à la prise de décision.2019 Ainsi, le jury pourrait prendre des conclusions rationnelles
de manière plus confiante et avec une rapidité accrue, les parties pouvant par ailleurs mieux
apprécier leurs éventuels fondements d’appel.2020 Toutefois, avec un système de questions
dont la compatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme sera examinée
dans le point suivant, il y aura le risque que le jury soit plus facilement encouragé dans la
direction d’une condamnation et que la culture de discussion s’étiole, d’où, une nouvelle fois,
la plus-value d’une motivation qui implique d’approfondir la réflexion.2021

2. Une atteinte injustifiable aux exigences supranationales finalement


reconnue par la CEDH

313. L’obligation de motiver les décisions judiciaires ne figure pas comme tel ni dans
la Déclaration universelle des droits de l’homme, ni dans la Convention européenne. En vertu
de l’article 45 CESDH, la Cour européenne des droits de l’homme est elle-même obligée de
motiver ses arrêts2022, mais étrangement aucune disposition explicite n’impose cette exigence
aux tribunaux nationaux. L’obligation de justifier les décisions judiciaires découle néanmoins
d’une notion-clé de l’article 6-1 CESDH, notamment du droit d’être entendu par un tribunal
impartial.2023 Elle est dès lors inhérente au procès équitable.2024 En particulier, le droit à un
procès équitable englobe le droit de présenter les observations pertinentes pour son affaire.

2018
J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 529.
2019
Lord AULD, o.c., chap. 5, n° 88 et s.
2020
A.N. PRICHARD, « A Reform for Jury Trial », F.L.J. 1998, p. 476.
2021
B. FAYOLLE, l.c., p. 88.
2022
Il en est de même pour la Cour de cassation. Des défauts sur ce point étant d’ailleurs sanctionnés par la CEDH
(CEDH 19 févr. 1998, Higgins c. France, n° 20124/92, CEDH 1998-I, § 43). Selon J. Leroy cette décision remet au
premier plan la question de l’absence de motivation en cour d’assises (J. LEROY, l.c., p. 44).
2023
La CEDH se fonde aussi sur cet article pour sanctionner le manque de motivation du refus d’indemnisation pour
une détention provisoire après acquittement (v. CEDH 7 avr. 2005, Dimitrellos c. Grèce, n° 75483/01, § 17 et CEDH
7 juill. 2006, Papa c. Grèce, n° 21091/04, § 14).
2024
L. BORE, « La motivation des décisions de justice et la convention européenne des droits de l'homme », JCP 2002,
Etude n° 104, p. 121.

325
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Pour que ce droit ne reste pas « une coquille vide », il faut recevoir des réponses aux moyens
invoqués.2025 Une motivation permet de vérifier si l’affaire a en effet été entendue et
examinée. Elle sert également à manifester l’impartialité objective qui démontre que la
décision est bien fondée sur un raisonnement juridique logique et cohérent, et qu’elle n’est
pas le simple fruit de préjugés personnels.2026

314. Par sa jurisprudence, la CEDH tient la motivation des décisions judiciaires en


haute estime. Les juridictions nationales sont obligées d’indiquer clairement les motifs sur
lesquels se fondent leurs décisions.2027 Un défaut de motivation risque alors d’être sanctionné
par la Cour de Strasbourg qui n’examine pas, à cet égard, le bien-fondé des moyens
invoqués ; elle vérifie seulement si les moyens pertinents pour solutionner le litige ont fait
l’objet d’une réponse de la part de la juridiction saisie. A première vue, cela semble
impliquer que le procès devant un jury qui ne se conforme pas à cette obligation de motiver
est incompatible avec la jurisprudence de Strasbourg. La Cour européenne a toutefois
longtemps évité cette conséquence en se montrant peu exigeante quant à l’étendue de la
motivation. Ainsi, dans l’affaire Hadjianastassiou c. Grèce de 1992 à propos d’un Tribunal
militaire grec, la Cour européenne laisse une liberté accrue aux Etats-membres quant au
choix des moyens appropriés pour assurer que leur système judicaire est compatible avec les
exigences de la Convention.2028 Une telle compatibilité peut uniquement être jugée à la
lumière des circonstances de chaque espèce.2029 Traditionnellement, la CEDH refusait alors
d’uniformiser la rédaction des décisions judiciaires en Europe2030 en consacrant une
conception plutôt pragmatique : l’étendue de la motivation peut varier selon la nature de la
décision, la diversité des moyens susceptibles d’être soulevés et la variété des dispositions
légales, des coutumes et des conceptions doctrinales qui existent dans les différents Etats.2031
Elle prenait donc en considération les particularités de chaque système juridique.2032 Dans
l’affaire Van de Hurk c. Pays-Bas de 1994, elle soulignait qu’il faut considérer si le procès

2025
CEDH 21 mars 2000, Dulaurans c. France, n° 34553/97, § 33-34 et JCP 2000, II, p. 1034, note A. PERDRIAU (L.
BERTIER et A.B. CAIRE, « La motivation des décisions de justice et la Convention européenne des droits de l’homme.
De l’intime conviction des jurys d’assises à la conviction des destinataires des décisions de justice. Réflexions autour
de l’arrêt Taxquet c/ Belgique, 13 janvier 2009 », RFDA 2009, p. 679 et L. BORE, l.c., p. 122).
2026
Ibid.
2027
CEDH 19 avr. 1994, Van de Hurk c. Pays-Bas, n° 16034/90, § 61 ; CEDH 16 déc. 1992, Hadjianastassiou c.
Grèce, n° 12945/87, § 33 et CEDH 19 févr. 1998, Higgins et autres c. France, n° 20124/92, § 42 (F. KUTY,
« L’obligation de motiver des décisions judiciaires au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme », (obs. sous CEDH, Higgins et autres c. France du 9 févr. 1998), RTDH 1998, p. 849).
2028
CEDH, Hadjianastassiou c. Grèce, préc., § 33 ; v. aussi CEDH 17 janv. 2008, Ryakib Biryukov c. Russie, n°
14810/02, § 31.
2029
CEDH 9 déc. 1994, Ruiz Torija c. Espagne, n° 18390/91, § 29 ; v. aussi CEDH, Higgins et autres c. France, préc.,
§ 42 et CEDH 4 oct. 2007, Sanchez Cardenas c. Forvège, n° 12148/03, § 49.
2030
S. GJIDARA, l.c., p. 15-16.
2031
F. KUTY, l.c., p. 849.
2032
L. BORE, l.c., p. 124.

326
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

global a été équitable, une réponse détaillée à chaque argument n’étant alors pas
nécessaire.2033 Ainsi, dans l’affaire Garcia Ruiz c. Espagne de 1998, la CEDH avançait
qu’une cour d’appel qui rejette les arguments des appelants peut suffire avec une reprise des
motifs du tribunal de première instance.2034

Dans la même lignée, elle prenait conscience des contraintes propres aux systèmes du
jury en énonçant dans sa jurisprudence classique que la réponse à des questions
soigneusement posées pourrait suffire. Ainsi, dans l’affaire Saric c. Danemark de 1999, la
CEDH avançait que l’absence de motifs découle du fait que la culpabilité a été déterminée
par un jury, « ce qui n’est pas en soi contraire à la Convention ».2035 Dans l'affaire
Hadjianastassiou précitée, non pas le système de questions, mais la communication tardive
du procès-verbal qui reproduisait ces questions — notamment postérieurement à la date à
laquelle l’accusé devait, à peine d'irrecevabilité, formuler des moyens à l'appui du pourvoi en
cassation qu'il avait formé contre cet arrêt — a donné lieu à une violation de l’article 6
CESDH.2036 Plus explicitement, la CEDH énonçait, lorsqu’elle statuait sur la recevabilité de
l’affaire Papon c. France de 2001, que « les questions formaient une trame sur laquelle est
fondée la décision [du jury] » et que « la précision des questions permet de compenser
adéquatement l’absence de motivation ».2037 Dans l’affaire W.R. c. Belgique de 1992, la
Commission européenne des droits de l’homme y ajoutait que les questions peuvent être
suggérées par l’accusation ou la défense.2038 Celles-ci peuvent en outre soulever un incident
contentieux (art. 352 CPP) et ainsi obtenir une réouverture des débats.2039

315. Permettant de sauvegarder leur procédure criminelle et, dès lors, leur
souveraineté nationale, les Cours de cassation française et belge se sont (dans un premier
temps) alignées sans exception sur cette ligne jurisprudentielle classique de Strasbourg. A
maintes reprises, elles décidèrent que l’ensemble des réponses aux questions posées et
conformes à l’arrêt de renvoi, par lesquelles on peut indirectement connaître l’intime
conviction du jury, « tiennent lieu de motifs »2040. Ainsi, il n’est ni porté atteinte à la

2033
CEDH, Van de Hurk c. Pays-Bas, préc., § 61 ; CEDH 9 déc. 1994, Hiro Balani c. Espagne, n° 18064/91, § 27.
2034
CEDH 21 janv. 1999, Garcia Ruiz c. Espagne, n° 30544/96, § 26 ; v. aussi CEDH 19 déc. 1997, Helle c.
Finlande, n° 157/1996/776/977, § 59-60 et CEDH, Sanchez Cardenas c. Forvège, préc., § 49.
2035
CEDH 2 févr. 1999, Saric c. Danemark décision sur la recevabilité, n° 31913/96.
2036
CEDH, Hadjianastassiou c. Grèce, préc., § 34 et 36 (L. BORE, l.c., p. 124).
2037
CEDH 15 nov. 2001, Papon c. France décision sur la recevabilité, n° 54210/00 ; v. aussi Comm. EDH 29 juin
1994, Zarouali c. Belgique décision sur la recevabilité, n° 20664/92.
2038
Comm. EDH 30 mars 1992, W.R c. Belgique décision sur la recevabilité, n° 15957/90 ; v. aussi Comm. EDH 15
mai 1996, Planka c. Autriche décision sur la recevabilité, n° 25852/94.
2039
Crim. 23 févr. 1983, Bull. crim. 66.
2040
M. Orillard-Léna remarque à cet égard l’approche différente de la CEDH. Si la formule appliquée par la Cour de
cassation laisse penser que les arrêts de la cour d’assises sont motivés, les décisions européennes ne parlent que d’une
« absence de motivation » (M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 568-569).

327
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

CESDH2041, ni à l’article 149 de la Constitution belge.2042 En particulier, le jury ne peut se


prononcer que sur les faits contenus dans l’arrêt de renvoi, lui-même motivé, par lequel le
juge d’instruction en France et la chambre des mises en accusation en Belgique le
saisissent.2043 La Cour suprême peut en outre vérifier la qualité des questions et l’éventuelle
incompatibilité des réponses. La nullité est en tout cas nécessaire en cas de réponses
inconciliables.2044 En effet, en droit français la déclaration de la cour d’assises doit être en
concordance avec la feuille des questions.2045 Cette condition remplie, la Cour de cassation
ne peut que rejeter le reproche d’absence de motivation. Louis Boré souligne pourtant, à juste
titre, que ces questions ne font que traduire l'accusation et les réponses la décision sur la
culpabilité. La décision de mise en accusation ne constitue pas une motivation ; elle ne fait
que clôturer l’instruction.2046 En outre, pour véritablement indiquer l’impartialité, il faut
motiver au sens juridique. Il faut avoir la garantie que les observations soumises au tribunal
ont été dument examinées.2047

316. Cette ligne jurisprudentielle européenne courante posait également des questions
sur le plan de la compatibilité de la procédure anglaise qui ne connaît pas le système de
réponses à des questions spécifiques. Des directions claires et fermes, établies par le
président dans son summing-up, peuvent-elles être de nature à compenser la non-motivation
de la Crown Court anglaise ? A la suite de l’affaire Condron c. Royaume-Uni de 2000
relative au droit de garder le silence, la réponse à cette question semblait affirmative.2048
Contrairement à sa décision dans l’affaire Murray c. Royaume-Uni de 1996 où la CEDH
conclut, dans le contexte de la Diplock Court, à la conformité avec l’article 6 CESDH, la
décision sur les implications du silence ayant été prise de manière ouverte et motivée par un
juge expérimenté au lieu d’un jury populaire2049, elle conclut ici à sa violation. En l’absence
de motivation du jury ainsi que de recours automatique devant les juridictions d’appel, on ne
peut que spéculer sur le poids accordé par les jurés au silence des requérants. Il est alors

2041
V., parmi beaucoup d’autres, Crim. n° 00-84244, 6 déc. 2000, inéd. et Crim. n° 01-86061, 4 avr. 2002, inéd.
2042
Cass. 1er févr. 1995, Pas. 1995, I, p. 117 et RW 1996-97 (abrégé), p. 741, note A. VANDEPLAS ; Cass. 31 mai 1995,
Pas. 1995, I, p. 567 et R.Cass. 1996, p. 97, note F. D’HONT ; Cass. 16 juin 2004, RDPC 2005, p. 106 et T.Strafr.
2005, p. 277, note S. VANDROMME et Cass. 30 janv. 2007, FC 2008, p. 64 et T.Strafr. 2007, p. 313, note. Le procès
équitable et les droits de la défense sont garantis lorsqu’au cours de la procédure d’assises, l’accusé ayant pu faire
valoir ses moyens de défense (R. DECLERCQ, o.c., p. 1066, n° 2445).
2043
Crim. 30 avr. 1996, Bull. crim. 181 et RSC 1996, p. 877, obs. J.P. DINTILHAC.
2044
Crim. 3 déc. 1997, Bull. crim. 410. En Belgique, il est possible de renvoyer le jury en cas d’obscurité ou de
réponses incomplète ou équivoque (Cass. 31 déc. 1935, Pas. 1936, I, p. 105). Pour le droit anglais, v. Diedrich [1997]
Crim. L. R. 58.
2045
Crim. 20 déc. 1995, Bull. crim. 391 et RSC 1996, p. 687, obs. J.P. DINTILHAC. Quod non en cas de condamnation
et des réponses négatives aux questions (Crim. 3 déc. 1997, Bull. crim. 410 et Crim. 20 oct. 1999, Bull. crim. 225).
2046
L. BORE, l.c., p. 124 et C.J. GUILLERMET, o.c., p. 96.
2047
F. KUTY, l.c., p. 852.
2048
CEDH 2 mai 2000, Condron c. Royaume-Uni, n° 35718/97, § 62.
2049
CEDH 8 févr. 1996, Murray c. Royaume-Un, n° 18731/91, § 51.

328
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

impérieux de s’assurer que le jury a été instruit de manière appropriée par le président de la
Crown Court sur les conséquences à tirer du silence de l’accusé, quod non en l’espèce.2050 La
CEDH semblait alors accepter le verdict du jury en tant que mot final de l’affaire à condition
qu’il y ait des garanties, parmi lesquelles des instructions fermes du président.2051 A l’instar
du système continental de questions auquel Lord Auld cherche adhésion, une telle ‘garantie’
nous semble toutefois insuffisante : même avec des directions fermes du président, on ne sait
jamais si le jury les a compris et a fortiori suivi.2052

317. Selon la jurisprudence traditionnelle et au point de vue juridique, les trois pays
ne violaient donc pas les exigences européennes. La question continua cependant d’être
soulevée devant les différentes Cours suprêmes. Il en fut ainsi dans l’affaire Leemans de
2007, développée ci-dessus2053, ainsi que dans l’affaire écossaise Transco Plc v HM Advocate
de 20052054. La Commission de réforme de la cour d’assises belge et dans son sillage la
proposition de loi du 25 septembre 2008, jugeant une motivation des décisions criminelles
indispensable, font à cet égard remarquer que la CESDH et sa jurisprudence ne constituent
qu’un standard minimum. Il incombe à chaque pays d’évaluer sa compatibilité avec les
exigences du procès équitable et le cas échéant d’aller au-delà du minimum requis afin
d’atteindre une haute qualité d’administration de la justice.2055 Il fallut toutefois attendre une
condamnation de la Belgique par la CEDH pour que cette tentative de réforme soit accélérée.

318. En particulier, dans l’affaire Taxquet c. Belgique du 13 janvier 2009 la (petite


Chambre de la) Cour de Strasbourg semble avoir pris une décision révolutionnaire. Rappelant
en premier lieu la jurisprudence de Zarouali c. Belgique et de Papon c. France précitée, — à
savoir que « la précision des questions permet de compenser adéquatement l’absence de
motivation des réponses du jury », et que « cette appréciation se trouve renforcée par le fait
que la cour d’assises doit motiver le refus de déférer à une question de l’accusation ou de la

2050
CEDH Condron c. Royaume-Uni, préc., § 55 et s. ; v. également CEDH 8 oct. 2002, Beckles c. Royaume-Uni, n°
44652/98, § 65.
2051
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De grensoverschrijdende en jury-ondermijnende impact van
Taxquet/België », l.c., p. 606-607.
2052
R. AULD, Review of the Criminal Courts of England and Wales, Londres, HMSO, 2002, www.criminal-courts-
review.org.uk/ccr-05.htm, chap. 5, n° 88.
2053
Supra, n° 227.
2054
Dans cette affaire, la défense avait exprimé la volonté de ne pas être jugée devant un jury en raison de l’atteinte à
son droit à un procès équitable pour cause d’absence de motivation criminelle, ainsi que de garanties procédurales
insuffisantes pour combler un tel défaut (Transco Plc v HM Advocate [2005] 1. J.C. 44). En ce qui concerne
l’éventuelle violation de l’article 6 CESDH, la Cour d’appel avançait qu’il faut une peur objective d’iniquité du
procès. Ce sévère critère ne semblait pas rempli. Pourtant, dans d’autres décisions, la CEDH semble avoir elle-même
initié la perspective d’une appréciation moins stricte. Ainsi dans l’affaire Holm c. Suède de 1993, elle avançait le
critère de doute sur les capacités d’un juré. Lorsqu’il y a un doute, la peur est justifiée (CEDH 25 nov. 1993, Holm c.
Suède, n° 14191/88, § 33). Dans l’affaire De Cubber c. Belgique de 1984, elle appliquait le critère selon lequel
« justice must not only be done, it must also be seen to be done » (CEDH 26 oct. 1984, De Cubber c. Belgique, n°
9186/80, § 26). Ces critères auraient-ils permis de suivre la thèse des appelants ?
2055
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 30.

329
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

défense au jury »2056 —, la Cour européenne allait ici toutefois plus loin. Eprouvant depuis
l’affaire Zarouali, une évolution au sein de la jurisprudence nationale et supranationale, elle
soulignait que « la motivation est indispensable à la qualité même de la justice et constitue
un rempart contre l’arbitraire »2057. Le requérant n’ayant reçu en l’espèce que des « réponses
laconiques formulées de manière vague et générale » qui nourrissaient « l’impression d’une
justice arbitraire et peu transparente »2058, elle ne pouvait que conclure à la violation de
l’article 6-1 CESDH. Se posait en outre le problème d’un témoignage anonyme : sans
motivation on ne peut pas savoir si le jury s’est fondé exclusivement ou de manière
déterminante sur ce témoignage.

La CEDH ne mâchait donc plus ses mots : aux assises, où le jury ne tranche pas sur la
base du dossier mais en fonction de ce qu’il a entendu à l’audience, il faudrait « un résumé
des principales raisons pour lesquelles la cour d’assises s’est déclarée convaincue de la
culpabilité du requérant ». Il faudrait mettre en avant les considérations sur lesquelles le jury
fonde son intime conviction et les « raisons concrètes » pour lesquelles il a répondu
positivement ou négativement à chacune des questions. Cela permettrait aussi à la Cour de
cassation d’exercer un contrôle. Pour la première fois, la CEDH a donc abandonné la marge
de latitude traditionnellement laissée aux Etats en ce qui concerne la motivation et donnait à
celle-ci la portée qu’elle mérite en tant que principe même du procès équitable. Voilà, une
décision sage et bienvenue.

319. Aussitôt, même avant la décision à intervenir de la Grande Chambre de la CEDH


à laquelle l’affaire Taxquet a été renvoyée, cette condamnation a accéléré les réformes de la
procédure criminelle belge déjà dans l’air du temps. Elle posait de sérieuses questions pour
les procès en cours. Après la décision Taxquet du 13 janvier 2009, la pratique était obligée
d’improviser.2059 Les solutions adoptées manquaient de cohérence. Certaines cours d’assises
préféraient ignorer la gifle européenne, s’assurant ainsi d’un pourvoi en cassation. Pourtant,
dans ses premiers arrêts post-Taxquet, la Cour de cassation, — également compétente pour
les pourvois contre les arrêts de la cour d’assises prononcés avant le 13 janvier 2009, mais

2056
CEDH 13 janv. 2009, Taxquet c. Belgique, n° 926/05, § 42, JLMB 2009, p. 204 et JT 2009, p. 284, note J. VAN
MEERBEECK.
2057
CEDH, Taxquet c. Belgique, préc., § 43.
2058
CEDH, Taxquet c. Belgique, préc., § 48.
2059
Certaines cours d’assises ont essayé de préciser les questions en y ajoutant certains faits (par exemple : assassinat
« par plusieurs coups de couteau ») ; d’autres, sous l’inspiration d’une directive émise par le Collège des procureurs
généraux, ont préféré d’établir une motivation avec les juges professionnels lors de la délibération de la peine.
D’autres, encore, ont refusé de motiver dans la mesure où il fallait alors lever le secret de la délibération : « un débat
[…] sur la motivation qui pourrait résumer les principaux motifs concrets ayant été pris en considération, obligerait
chaque membre du jury à faire part de sa décision qu'il a prise selon son intime conviction comme le prescrit le
serment, à l'expliquer et à la motiver, ce que les membres du jury considèrent comme une charge insurmontable »
(sanctionné par Cass. RG P.09.0903.N, 17 nov. 2009).

330
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

n’ayant pas encore obtenus force de chose jugée —, faisait l’autruche. Elle considérait qu’en
l’absence de conclusions conformes à l’(ancien) article 312bis du Code d’instruction
criminelle concernant une question de droit ou une contestation des faits et en l’absence de
questions supplémentaires, concernant entre autres une cause d’exonération, le verdict est
suffisamment motivé par les réponses des jurés aux questions posées dans les termes de la loi
et déterminant tous les éléments de l’infraction.2060 Une telle considération était pour le
moins étrange puisque le jury, le cas échéant, ne pouvait pas, dans la législation en vigueur,
aller au-delà d’un simple ‘oui’ ou ‘non’ pour répondre à ces conclusions. De plus, il lui était
même interdit de le faire.2061 La Cour de cassation persistait en outre dans sa jurisprudence
traditionnelle2062 en avançant que la composition de la cour d’assises présente des garanties
suffisantes, que l’accusé est en mesure d’obtenir une décision motivée sur la légalité et
conformité des preuves et peut savoir sur quelles preuves le jury s’est fondé, et qu’il
bénéficie de possibilités suffisantes pour les contester à l’audience.

Dans des arrêts ultérieurs, la Cour de cassation a, en revanche, bien reconnu l’autorité
de la chose interprétée qui s’attache à l’arrêt du 13 janvier 2009 ainsi que la primauté d’un
traité ratifié par la Belgique sur le droit interne.2063 S’il s’agit sans doute d’une palinodie
sage, il semble dans un premier temps ouvrir la boîte de Pandore. En effet, il résulte des
cassations prononcées que plusieurs affaires d’assises doivent être refaites, parmi lesquelles
la célèbre affaire Habran qui a duré en total six mois et aurait coûté entre 4 et 5 million
d’€.2064 Le législateur avait donc tout intérêt à précipiter la réforme de la procédure
criminelle.

320. Il va de soi qu’une telle condamnation aura également des répercussions sur la
France et le Royaume-Uni, qui ne pourront plus se cacher derrière leurs systèmes ‘d’oracle’.
Contrairement à ce que l’arrêt Taxquet laisse entendre dans son § 432065, la procédure
criminelle française ne connaît pas non plus d’obligation de motiver des décisions
criminelles. En dépit du délibéré conjoint des magistrats et jurés et de la création des cours

2060
Cass. 27 janv. 2009, FC 2009, p. 202 et RW 2008-09, 1262, note E. DE BOCK ; Cass. 17 févr. 2009, JLMB 2009, p.
889 et Cass. RG P.09.0006.N, 10 mars 2009.
2061
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De grensoverschrijdende en jury-ondermijnende impact van
Taxquet/België », l.c., p. 599. Il était également étrange de faire dépendre la protection d’une règle supranationale
d’un acte procédural, tel que le dépôt de conclusions (v. aussi G. LATOIR, « Bloemen verwelken, schepen vergaan,
maar het hof van assisen blijft eeuwig bestaan. Het debat omtrent het hof van assisen », Ad Rem 2009, p. 40-41).
2062
Supra, note 2042.
2063
Cass. 10 juin 2009, JT 2009, p. 431, concl. D. VANDERMEERSCH ; Cass. RG P.09.1697.F, 10 févr. 2010 et Cass.
RG P.09.1741.F, 17 mars 2010. Le 5 juin 2009 l’affaire a été renvoyée à la Grande Chambre de la CEDH
conformément à l’art. 43 CESDH. Le 21 octobre 2009 elle y était entendue.
2064
Cass. 30 sept. 2009, JLMB 2009, p. 1640 et JT 2009, p. 691, note J. VAN MEERBEECK.
2065
§ 43 disposant : « ainsi, certains Etats, à l’instar de la France, ont institué un double degré de juridiction pour les
procès en assises ainsi que la mise en forme des raisons dans les décisions des juridictions d’assises », pourrait
nourrir l’impression que la cour d’assises française motive ces décisions, quod non.

331
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

d’assises purement professionnelles, elle applique encore le système des questions. Or, les
réponses, aussi précises soient-elles, ne peuvent pas suffire en guise de motivation : si « les
questions constituent actuellement un guide pour la délibération du jury et les réponses à ces
questions un embryon de la motivation »2066, elles n’expliquent pas en soi le pourquoi d’une
décision. Le fondement sur la base duquel le fait a été déclaré établi, reste inconnu. Ne
donnant que la conclusion de la délibération et non le cheminement qui sous-tend le verdict,
les parties et le public ne connaissent que la réponse finale. Ignorant les motifs pour lesquels
la cour d’assises a répondu positivement ou négativement à chacune des questions, ce qui est
d’ailleurs le cas pour le choix de la peine, elles restent avec un goût amer.2067 Après les
réponses du jury, on ne peut dire ‘qu’amen’ et espérer que l’accusé et la victime retrouvent la
paix avec la décision.

Pourtant, dans un arrêt du 14 octobre 2009, la Cour de cassation française rejette


l’autorité de l’arrêt Taxquet en considérant que : « sont reprises dans l'arrêt de condamnation
les réponses qu'en leur intime conviction, magistrats et jurés composant la cour d'assises
d'appel, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité qualifiée des
deux tiers, ont donné aux questions sur la culpabilité, les unes, principales, posées
conformément au dispositif de la décision de renvoi, les autres, subsidiaires, soumises à la
discussion des parties » et « qu'en cet état, et dès lors qu'ont été assurés l'information
préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la
défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l'arrêt satisfait aux
exigences légales et conventionnelles invoquées ».2068 A la différence de ses décisions
traditionnelles, il convient de remarquer que la Cour de cassation n’énonce plus que « les
réponses tiennent lieu de motifs ». Elle n’ose donc plus dire que les arrêts de la cour d’assises
sont motivées2069, mais souligne — pas sans attitude d’esquive —, les spécificités de la
procédure d’assises française pour justifier l’escapisme de la procédure criminelle sur ce
point : la composition de cette juridiction avec des magistrats de carrière et des jurés ; le
principe de la continuité des débats ; la spécificité du délibéré avec le vote secret et la
majorité qualifiée de deux tiers et bien sur les réponses aux questions sur la culpabilité
conformément au dispositif de la décision de renvoi qui ont été soumises à la discussion des

2066
JOAF CR du 21 janv. 1997, p. 14.
2067
W. ROUMIER, o.c., p. 217, n° 398.
2068
Crim. 14 oct. 2009, AJpénal 2009, p. 495, note J. LASSERRE CAPDEVILLE et D. 2009, p. 2778, note J. PRADEL et
Dr. pén. 2009, comm. 143, p. 38, comm. A. MARON et M. HAAS.
2069
A.-S. CHAVENT-LECLERE, « Motivation et procès équitable », (comm. sous Crim. 20 janv. 2010), Procédures
2010, comm. 129.

332
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

parties.2070 L’arrêt ayant bien respecté ces règles spécifiques formulées par le législateur, il
serait conforme au procès équitable.

La ténacité de la Cour de cassation française — depuis l’arrêt d’octobre 2009 elle a


réfuté une dizaine de fois l’autorité de la décision Taxquet2071 — s’explique-t-elle par un
souci pragmatique, à savoir sa volonté d’éviter que de nombreuses affaires d’assises aient à
être rejugées ? Ainsi que cela découle du communiqué annexé à la décision du 14 octobre
2009,2072 la Cour de cassation tient compte de la (petite) chance de voir la Grande Chambre
de la CEDH reprendre sa jurisprudence antérieure tolérante et conservative, transformant la
décision du 13 janvier 2009 en « arrêt fantôme »2073. Cela semble toutefois, compte tenu de
l’unanimité des voix, invraisemblable ; il s’agit en outre d’une considération déplorable dans
la mesure où la CESDH et la jurisprudence de la CEDH ne constituent qu’un standard
minimum.2074 Le communiqué avance également les différences de la procédure criminelle
belge par rapport à la procédure française, à savoir l’absence de délibéré mixte sur la
culpabilité ainsi que d’un double degré de juridiction. Cet argument manque pourtant de
fondement2075 ; « il rend a contrario l’inertie de la procédure française encore plus
contestable ».2076 Ainsi que nous l’esquisserons plus loin, la doctrine et le Comité de
réflexion sur la justice pénale sont, en revanche, quasi unanimement convaincus que la
motivation en matière criminelle n’est « pas seulement souhaitable », mais « sans doute
inéluctable », tant en première instance qu’en appel.2077

2070
Ibid.
2071
Crim. n° 08-87172, 9 déc. 2009, inéd. ; Crim. n° 08-87981, 09-80772, 09-82459, 08-88112, 09-82243, 20 janv.
2010, inéd. ; Crim. 20 janv. 2010, Bull. crim. 13 et 14, D. Actualité 26 févr. 2010 et 3 mars 2010, obs. C. GAYET et
Procédures 2010, comm. 129, obs. A.-S. CHAVENT-LECLERE ; Crim. n° 09-84451, 3 févr. 2010, inéd. ; Crim. n° 09-
84825, 09-84377, 17 févr. 2010, inéd. « Rarement la Cour de cassation aura eu à se prononcer aussi souvent en si
peu de temps sur la spécificité de la motivation elliptique des arrêts de la cour d’assises » (C. GAYET, « Motivation
des arrêts d'assises et droit européen des droits de l'homme », (obs. sous Crim. 20 janv. 2010), D. Actualité 3 mars
2010).
2072
www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/arret_14_13851.html.
2073
J.P. MARGENAUD, « Tempête européenne sur la cour d’assises », RSC 2009, 658. En vertu de l’art. 46 CESDH, les
Hautes Parties contractantes « s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels
elles sont parties ».
2074
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De grensoverschrijdende en jury-ondermijnende impact van
Taxquet/België », l.c., p. 610 (supra, n° 317).
2075
K. GACHI, « Cour d’assises : validité de la non-motivation des arrêts », (note sous Crim. 14 oct. 2009), D. 2009, p.
2546.
2076
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De grensoverschrijdende en jury-ondermijnende impact van
Taxquet/België », l.c., p. 610.
2077
Ainsi, J.P Margenaud, qui considère le manque de motivation comme « l’apocalypse judiciaire », conseille aux
pénalistes français d’accorder à cet arrêt « la plus grande attention » (J.P. MARGENAUD, « Tempête européenne sur la
cour d’assises », l.c., p. 657-659). Aux yeux de M. Huyette « la polémique du bien-fondé [du principe de la
motivation] est aujourd’hui dépassée » (M. HUYETTE, « Quelles réformes pour la cour d’assises ? », l.c., p. 2440-
2441). Selon M.L. Rassat, la condamnation de la Belgique signifie « un des plus grands gifles qu’elle [la CEDH] lui
[la France] ait jamais donné » (M.-L. RASSAT, « Encore et toujours la Cour européenne des droits de l’homme »,
JCP 2009, n° 16, p. 3).

333
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Il convient finalement de souligner que la Cour de cassation a récemment eu


l’opportunité d’envisager cette question sous l’angle de la constitutionnalité. A différentes
reprises, elle a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de
constitutionnalité fondée sur l’incompatibilité de la non-motivation des arrêts d’assises avec
la Constitution au nom des articles 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme et des principes du droit à une procédure juste et équitable, d’égalité des justiciables
devant la loi et devant la justice. Selon la Cour de cassation ces questions ne concernent pas
la constitutionnalité des dispositions, mais l’interprétation qu’elle en a donné au regard du
caractère spécifique de la motivation des arrêts de la cour d’assises.2078 La Cour de cassation
réfute dès lors que son interprétation de la loi puisse faire l'objet d'un contrôle de
constitutionnalité. Mais ainsi que le remarque à juste titre François Boucard, « le contrôle de
constitutionnalité se trouve ainsi amputé de l'essentiel, puisque l'interprétation judiciaire
prend souvent le pas sur la lettre du texte ».2079 A quoi bon, en effet, apprécier la
constitutionnalité d'un texte si le juge en donne sa propre interprétation, qui échappe à tout
contrôle ?

321. Dans la doctrine anglaise, la palinodie de la CEDH dans l’affaire Taxquet est
presque passée inaperçu. Seul S. Crosby émit un commentaire en considérant que la CEDH
était allée trop loin compte tenu du pouvoir essentiel, surtout dans les pays dépourvus de
protection constitutionnelle suffisante, de « jury equity ».2080 Confiants, les Anglais sont peut-
être également convaincus que la Grande Chambre de la CEDH reviendra sur ses pas en ne se
font-ils pas de soucis entretemps ? L’étude empirique réalisée récemment par Cheryl
Thomas, qui conclut que les jurés sont efficaces et que ses décisions sont équitables, n’incite
d’ailleurs pas aux bouleversements.2081 Intéressante à cet égard est l’affaire écossaise Beggs v
HM advocate de 20102082 où la question de la non-motivation du jury fut soulevée.
S’appuyant sur l’analyse de l’affaire Taxquet d’un juge norvégien, qui avançait que si la
CEDH avait l’intention d’exiger pour tous les Etats une motivation des décisions du jury, elle
n’aurait pas examiné en l’espèce si les questions étaient suffisamment précises et elle aurait
été plus nette, les juges écossais ne se plient pas devant la décision européenne. Cet
argument, en vertu duquel la CEDH ne sanctionne que les manquements du système de
2078
Crim. 19 mai 2010, D. Actualité 1er juin 2010, obs. S. LAVRIC et Crim. 4 juin 2010, D. Actualité 9 juill. 2010, obs.
L. PRIOU-ALIBERT.
2079
F. BOUCARD, « La question prioritaire de constitutionnalité et les cours suprêmes - Une partie de billard à trois
bandes? », JCP G 2010, n° 804, p. 1494.
2080
S. CROSBY, « Taxquet v Belgium, R v Ponting, Trials by Jury and a Hommage to Neil MacCormick », FJECL
2009, p. 4-5 (supra, n° 92).
2081
Ch. THOMAS, Are Juries Fair ?, o.c., 87p.
2082
Beggs v HM advocate [2010] HCJAC 27. Dans une affaire irlandaise, le jury a toutefois essayé d’indiquer, dans le
sillage de la décision Taxquet, les raisons de sa décisions (Lillis [2010] cité par T. DALY, « An Endangered Species ?:
The Future of the Irish Criminal Jury System in Light of Taxquet v. Belgium », FJECL 2010, p. 161-162).

334
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

questions, a contrario dans l’affaire Papon, est également avancé par quelques auteurs
français pour éviter des répercussions sur leur procédure criminelle.2083 Il nous semble au
contraire que si la CEDH avait l’intention de consacrer sa jurisprudence classique, elle
n’aurait rien ajouté de plus. Les juges écossais y ajoutent que les plaidoiries des parties et les
directions du président forment une trame suffisante pour la décision du jury, et que les
parties n’avaient pas soulevé des manquements sur ce point. Compte tenu de notre analyse ci-
dessus, ces interprétations ne suffisent guère.

322. A juste titre, Thom Brooks ne manque pas de soulever que, dans la majorité des
cas anglais, la motivation fait également défaut lorsque l’affaire relève d’un plaidoyer
coupable. Or, les juges professionnels, s’ils sont obligés de donner une motivation, suffiraient
souvent avec une justification sommaire selon des formules prérédigées et stéréotypes2084 :
« le principe de motivation » devenant ainsi « une motivation de principe ». Cette tendance à
déroger à l’obligation de motiver se dessine également devant des juridictions purement
professionnelles, tel qu’en témoignent le système hollandais2085 ainsi que les juges
correctionnels continentaux. Contrairement à ce qu’il faudrait, la motivation ne fait pas partie
de leur routine quotidienne. Selon Serge Guinchard et Jacques Buisson, il convient alors de
bannir l’affirmation hypocrite d’un « principe dont chacun sait qu’il est violé tous les jours
par de nombreux tribunaux correctionnels », d’une part en copiant l’ordonnance de renvoi du
juge d’instruction et, d’autre part, pour cause de surcharge du travail, en ne rendant des
motifs qu’a posteriori lorsque le prévenu interjette appel.2086 Faut-il dès lors également
supprimer l’obligation de motiver les décisions judiciaires pour les professionnels ? Si tel est
effectivement le cas dans les prétoires correctionnels, le temps est venu de changer les
mentalités et de sensibiliser les magistrats. Que l’arrêt Taxquet soit alors une invitation
adressée à d’autres juridictions, dont la Cour de cassation au premier rang dont « les motifs,
sont, en toute hypothèse, squelettiques, et, selon les cas, elliptiques ou sibyllins ».2087

323. Pourtant, lors de l’audience de l’affaire Taxquet devant la Grande Chambre de la


CEDH en octobre 2009, il est frappant de constater la solidarité commune, voire le front
unique des pays du système continental et de la common law contre tant d’ingérence
européenne. Déterminés à protéger leur système de jury populaire, les pays cherchent à
donner des interprétations limitatives (peu convaincantes) à l’arrêt Taxquet. Ils fustigent la

2083
Ainsi, F. Desprez considère qu’une amélioration du système de questions suffirait, à l’instar de la décision Papon
c. France (F. DESPREZ, « Le contrôle accru de la Cour européenne des droits de l’homme quant à la motivation des
arrêts d’assises », (note sous CEDH 13 janv. 2009), Gaz. Pal. du 14 mai 2009, www.lextenso.fr).
2084
T. BROOKS, l.c., p. 205-206.
2085
Infra, n° 418 et s.
2086
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Paris, Litec, 2010, 6ème ed., p. 248, n° 201.
2087
M.-L. RASSAT, « Encore et toujours la Cour européenne des droits de l’homme », l.c., p. 4.

335
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

‘brutalité’ croissante des décisions européennes qui favoriserait l’émergence de standards


uniformes et communs aux Etats d’Europe, au détriment du respect des particularités propres
aux différents systèmes de jury et expriment leur inquiétude quant au caractère imprévisible
et inconsistant de la jurisprudence de la CEDH.2088 La Grande Chambre de la CEDH, cèdera-
t-elle à tant d’amour national ?

§ 2 — LA QUETE D’UFE RATIOFALITE IFEVITABLEMEFT ‘DESTRUCTIVE’ ?

324. Si la motivation bénéficie depuis peu d’une protection renforcée à l’échelle


européenne, la majorité de la doctrine, n’a jamais eu de doute sur la nécessité de motiver (A
— Consensus sur la nécessité d’une motivation criminelle). Ce consensus doctrinal va
pourtant immédiatement de pair avec un consensus plus pessimiste sur la mise en œuvre de
cette obligation dans le contexte d’un jury populaire (B — Consensus sur la mise en œuvre
épineuse). Il s’agit de savoir si la « fin du verdict insondable, entraîne la conclusion
inéluctable de la fin du jury ».2089

A — UN CONSENSUS SUR LA NECESSITE D’UNE MOTIVATION


CRIMINELLE

325. L’absence de motivation n’est pas acceptable. Il existe un large consensus sur ce
point. Gabriel Tarde énonçait déjà : « […] Tant que ses verdicts passaient pour des
inspirations d'oracles probants eux-mêmes, il était permis à la rigueur de comprendre ses
décisions sans attendus ni considérants. Mais un jugement ou arrêt doit être motivé: cela lui
est essentiel. C'est la garantie la plus élémentaire et la plus certaine des sentences
judiciaires. Or, si l'on ne veut voir s'écrouler avant peu l'institution du jury sous la risée
universelle, qu'on oblige les jurés à développer, à indiquer au moins par écrit les motifs de
leur opinion. Je n'en demande pas davantage et je ne demande pourtant que le minimum des
exigences auxquelles le justiciable a droit et qui ne lui ont jamais été refusées en pays civilisé
sauf par les inventeurs du jury ».2090 Ainsi que nous l’avons avancé, la motivation bénéficie
d’une protection constitutionnelle dans plusieurs pays. Ainsi, la motivation des décisions
judiciaires est directement prévue par la Constitution belge (art. 149 Constitution) ; en
France, elle revêt une valeur constitutionnelle.2091 C’est dans ce point de vue, compte tenu du

2088
T. DALY, l.c., p. 164-166.
2089
W.R. CORNISH, o.c., p. 258 et J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, Jury Trials, o.c., p. 86.
2090
G. TARDE, La philosophie pénale, Paris, Ed. Cujas, 1972, réimpression, p. 454 ; v. également R. CHARLES,
« Rapport » in X, Le jury face au droit pénal moderne, o.c., p. 49.
2091
V. entre autres Cons. const. n° 84-182 du 18 janv. 1985, JORF 20 janv. 1985, p. 819, § 8 (pouvoir disciplinaire) ;
Cons. const. n° 98-408 DC du 22 janv. 1999, JORF 24 janv. 1999, p. 1317 (CPI) et Cons. const. n° 2004-492 DC du 2

336
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

défaut de codification de la constitution en Angleterre, que S. Crosby défend la fonction


cruciale du jury en tant que garantie essentielle.2092 L’importance de la prise de décisions
motivées est également démontrée par le nombre élevé de dispositions qui en font
explicitement mention. Ainsi, l’article 485 du Code de procédure pénale dispose que « tout
jugement doit contenir les motifs et un dispositif », la sanction étant la nullité (art. 593 CPP).
En droit belge, les articles 163 et 195 du Code d’instruction criminelle contiennent une
disposition similaire pour les décisions de condamnation en matière correctionnelle et de
police. D’autres dispositions concernent la détention provisoire (art. 137 et s.
CPP)/préventive (art. 16 § 5 de la loi belge du 20 juill. 1990), les décisions ordonnant ou
refusant le sursis et, le cas échéant, la probation (art. 3 et 8 de la loi du 1er juill. 1964) ainsi
que les circonstances atténuantes (art. 1, 2 et 4 de la loi du 4 oct. 1867).2093

La cour d’assises ne saurait échapper à ce courant. Ses verdicts émanant — en ce qui


concerne la Grande-Bretagne et la Belgique en tout cas — de non-professionnels novices
quant à l’appréhension du processus judiciaire, on pourrait même défendre le caractère
crucial d’une motivation. Il y a en effet un côté illogique à l’absence de motivation dans la
juridiction populaire.2094 Il est véritablement surprenant qu’une cour dénuée de toute
expérience et susceptible d’émotivité soit en mesure de condamner et d’acquitter sans
explication.2095 Ou avec les mots de Jean Graven, il faut « une singulière inconscience […]
pour s’en remettre à la seule “conscience” où à la seule “fraîcheur d’impression” de juges
populaires improvisés et nullement préparés à leur rôle alors qu’il faudrait avant tout
recourir à la plus véritable “science” dans les procès les plus délicats, les plus obscurs
psychologiquement et précisément les plus importants qui soient ».2096

Il n'est plus acceptable de ne pas connaître les motifs d'un acquittement ou d'une
condamnation se rapportant aux infractions les plus lourdes alors que les juges doivent
systématiquement motiver leurs décisions pour les infractions plus légères.2097 La motivation
permet en effet de vérifier si le juge a bien appliqué les lois et n’a pas fait œuvre personnelle,
ce qui traduit la soumission du juge au pouvoir législatif et exécutoire.2098 Elle permet au juge

mars 2004, JORF 10 mars 2004, p. 4637, § 25-26 (V. BRAULT-JAMIN, l.c., p. 714 et J. PRADEL, « Les méandres de la
cour d’assises française de 1791 à nos jours », l.c., p. 152).
2092
Supra, n° 321.
2093
Beaucoup de textes reprennent le principe général de la motivation (art. 81 à 82-1 et 87 al. 3 CPP) ou ajoutent un
degré supplémentaire de motivation (art. 132-19 CPF et art. 145 CPP).
2094
Ph. TRAEST, « Juries, Evidence and the Role of Lay Participation in the Belgian Criminal Process », l.c., p. 375.
2095
W. ROUMIER, o.c., p. 231, n° 424.
2096
J. GRAVEN, « Evolution, déclin et transformation du jury » in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de
la troisième Journée d’études juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 121-122.
2097
Rappelons à cet égard que les décisions prises par le président de la cour d’assises en exercice de son pouvoir
discrétionnaire ne sont pas non plus motivées (Cass. 18 juill. 1985, Pas. 1985, I, p. 141 et Cass. 21 mars 2006, FC
2006, p. 206 et Pas. 2006, p. 658).
2098
L. BORE, l.c., p. 121.

337
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

de prendre conscience des éventuelles failles de son raisonnement et fait office de protection
contre la « brutalité de l’arbitraire ».2099 La motivation est ainsi l’effort de diminuer au
maximum les préjugés, les maximes d’expérience et autres inférences subjectives
nécessairement en jeu dans l’élaboration de toute décision humaine.2100 Compte tenu du
principe de la liberté des preuves, il faut motiver pour des raisons de clarté et de loyauté.
Ainsi, la motivation est de nature à accroître la qualité du verdict2101 en permettant aux juges
d’objectiver leur intime conviction sur la base d'éléments de preuve, tout en les légitimant
aux yeux de leurs supérieurs et de la société.

Il est en outre important que les parties directement menacées par la décision
reçoivent une explication. Non seulement les parties ont le droit de savoir pourquoi et sur
quelle base l’accusé a été condamné ou acquitté, mais elles ont aussi le besoin de savoir. Une
rupture de l’égalité sur ce point avec les parties qui en jouissent en correctionnelle2102,
s’avère résolument intolérable, surtout puisque la comparution devant la cour d’assises ou le
tribunal correctionnel dépend d’une pratique résolument condamnable : la
correctionnalisation judiciaire.2103 D’une part, les motifs de condamnation ou d’acquittement
permettent aux parties d’apprécier en connaissance de cause leurs chances en appel et de
préparer le cas échéant leur recours contre cette décision.2104 La motivation devient alors « un
préalable nécessaire à l’exercice des voies de recours »2105. Une telle fonction didactique de
la motivation présume que le nombre d’appels diminuera lorsqu’on connaît les justifications
du dispositif et conduira dès lors à un raccourcissement en dissuadant les parties de prolonger
les procès.2106 D’autre part, il est important qu’au-delà du règlement du litige, la décision qui
aura sans doute un impact conséquent sur la vie de l’accusé et de la victime, doit être
comprise — ce qui n’est pas nécessairement acceptée — et intériorisée, notamment dans le
cadre de la réintégration et de la reconstitution de l’individu, ce qui traduit la mission
2099
L. Aynes, cité par C. SEVELY-FOURNIE, « Répression et motivation. Réflexions sur la motivation des arrêts et
jugements des juridictions répressives », RSC 2009, p. 786.
2100
F. MARTINEAU, « Critères et standards rhétoriques de la bonne décision de la justice » in X, La qualité des
décisions de la justice. Etudes réunies par P. Mbongo, Ed. du Conseil de l’Europe, 2007, p. 98.
2101
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 31.
2102
En droit français, le principe d’égalité des justiciables devant la loi est aussi entravé en matière criminelle,
notamment entre les mineurs âgés de treize à seize ans qui sont renvoyés devant le tribunal pour enfants et y reçoivent
une motivation de la décision prononcée à leur encontre, et les mineurs âgés de seize à dix-huit ans qui sont jugés par
la cour d’assises des mineurs et qui en sont privés (infra, n° 329 et n° 521).
2103
Supra, n° 33 et s. La Cour de cassation refusait pourtant de poser une question préjudicielle à la Cour
constitutionnelle lorsque celle-ci compare deux procédures différentes et ne concerne donc pas une distinction entre
des personnes ou des parties se trouvant dans une même situation juridique, mais une distinction entre des personnes
se trouvant en la même qualité dans des situations juridiques différentes valant sans distinction pour toutes les parties
(Cass. 30 janv. 2007, FC 2008, p. 64 et T.Strafr. 2007, p. 313, note).
2104
V. également quelques arrêts de la CEDH disposant qu’un tribunal inférieur doit donner des motifs afin de
permettre aux parties d’exercer effectivement leur droit d’appel existant (CEDH 27 sept. 2001, Hirvisaari c. Finlande,
n° 49684/99, § 30 et CEDH 4 oct. 2007, Sanchez Cardenas c. Forvège, n° 12148/03, § 45 et 49).
2105
M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 562 et 567.
2106
V. le professeur Wrobléwski, cité par W. ROUMIER, o.c., p. 237, n° 437.

338
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

‘palliative’ de la justice pénale.2107 « Fon ridere, non lugere, neque detestari, sed
intelligere », disait B. Spinoza.2108 En effet, une décision rationnelle et objective contribue à
véhiculer une image positive de la justice et incite les usagers à respecter les règles du jeu et à
y adhérer. La rédaction des décisions devrait contribuer à cette fonction.2109 L’intelligibilité
d’une décision de justice permet au justiciable de comprendre, ce qui est une conditio sine
qua non pour toute adhésion.2110 Elle permet également d’apaiser l’opinion publique. En
effet, une justice qui démontre au public qu’elle est l’œuvre de la raison et non de la
versatilité gagne en légitimité.2111 Toutefois, il ne faut pas oublier que la perception qu’ont
les justiciables de la justice ne résulte pas seulement du contenu des décisions judiciaires ;
elle relève surtout de leur traitement par la justice.2112 Selon Kees Schuyt, l’adhésion à une
décision judiciaire a peu à voir avec la motivation. Il est plus facile d’adhérer à une décision
en sa faveur. En effet, en cas de décision défavorable, il est plus difficile pour le juge de
convaincre l’intéressé du caractère juste de cette décision.2113

Finalement, ainsi que la Commission de réforme de la cour d’assises belge l’avance,


la motivation des décisions ouvre la voie à leur contrôle.2114 Ainsi, d’éventuelles erreurs de
fait, de droit ou de cohérence, peuvent être corrigées. Selon Serge Guinchard et Jacques
Buisson, « toute décision qui n’est pas passée par l’effort intellectuel de la motivation,
garantie contre l’arbitraire, est plus susceptible qu’une autre d’être entachée d’erreurs, que
le juge soit un simple citoyen ou un magistrat professionnel ».2115 Avec une justification de la
décision en première instance, on renforce le débat contradictoire en appel. La cour d’appel
est mieux placée pour (re)juger l’affaire, à moins qu’on ne crée pas une forme sui generis
d’appel qui au lieu d’infirmer ou de confirmer la décision inférieure, rejuge l’intégralité de
l’affaire et qui a dès lors plutôt profit à ne pas connaître la motivation des premiers juges.2116
Mais, même en cas d’absence d’appel, il faut motiver les décisions afin de garantir
l’impartialité objective du tribunal2117 et de faciliter la tâche de la Cour de cassation

2107
C.J. GUILLERMET, o.c., p. 44 et p. 52.
2108
« Fe pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais comprendre » (B. SPINOZA, Tractatus Theologico
Politicus, 1670).
2109
C.J. GUILLERMET, o.c., p. 17-18 et p. 46.
2110
F. MARTINAU, l.c., p. 96.
2111
G. GIUDICELLI-DELAGE, La motivation des décisions de justice, o.c. ; Or, au lieu d’éviter l’arbitraire, la motivation
ne sert-elle pas davantage à l’apaisement des juges (D. OSSON in X, Conviction intime et abus sexuel, Les cahiers de
la SFPL 1998, n° 3, p. 5) ?
2112
Ch. LAZERGES, « Réflexions sur l’erreur judiciaire », RSC 2006, p. 718.
2113
Cité par M. MALSCH et E. DE BAKKER, « Niet-professionele procesdeelnemers over de rechtspraak : inleiding »,
RdW 2002, p. 8.
2114
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 318.
2115
S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 243, n° 201.
2116
Infra, n° 388.
2117
L. BORE, l.c., p. 121.

339
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

également dotée d’un rôle unificateur.2118 La seule manière d’être résolument impartial est de
le montrer.

S’il existe alors des bonnes raisons pour « briser ce dernier bastion de l’arbitraire
judiciaire »2119, il s’agit de savoir comment une telle motivation peut être implémentée dans
un système de jury au sens strict du mot, tel qu’il existe en Belgique et Angleterre, et dans un
système mixte comme en France.

B — UN CONSENSUS SUR UNE MISE EN ŒUVRE EPINEUSE

326. Sous la pression de la condamnation prononcée par la (petite Chambre de la)


CEDH le 13 janvier 2009 et du risque de voir d’autres affaires cassées par la Cour de
cassation, le législateur belge s’est hâté d’adapter sa procédure criminelle, ce qui a aboutit à
la loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises. Bien que la volonté de
motiver les décisions en matière criminelle soit déjà clairement exprimée dans les rapports de
réforme de 2005 de la Commission de réforme de la cour d’assises belge, l’arrêt Taxquet
constituait un catalyseur particulier. En France, il y eut également des tentatives
(infructueuses) avec le rapport de 1996 du Haut comité consultatif sur la procédure de
jugement en matière criminelle (ci-après le Haut comité Deniau) auquel renvoi tout
récemment le Comité de réflexion sur la justice pénale2120 dans son rapport remis au Garde
des Sceaux le 1er septembre 2009. Si, ainsi que nous le verrons ultérieurement, la France a
franchi un cap important en instaurant, en 2000, un appel criminel, la Belgique s’attelle à
permettre une justification des décisions rendues par la cour d’assises.

L’analyse ci-dessous démontrera toutefois que la mise en œuvre d’une telle exigence
n’est pas aisée, ni devant le jury populaire au sens propre du mot, ni dans un système
participatif mixte. Hormis les obstacles en termes de rédaction (2), il semble difficile
d’imaginer une motivation en tant qu’œuvre collective d’un groupe de neuf/douze identités
issues d’horizons variés pour remplir la mission occasionnelle de juger (1).

1. La motivation du jugement : œuvre collective ?

327. Envisager une motivation par un jury au sens propre du mot implique que douze
esprits différents convergent vers une seule justification sous-tendant la décision finale. Au-

2118
R. LEGROS, « Considérations sur les motifs », l.c., p. 7. Un contrôle contribuerait à l’établissement d’une
jurisprudence cohérente et unitaire et à la sérénité de la justice (W. ROUMIER, o.c., p. 235, n° 433).
2119
W. ROUMIER, o.c., p. 218, n° 400.
2120
Il n’y avait pas d’unanimité sur ce point : selon certains membres du Comité la motivation donnerait le coup de
grâce au jury. En particulier, l’expertise technique nécessaire pour la rédaction de la motivation augmenterait
l’ascendance des professionnels et se trouverait en porte-à-faux avec la notion de l’intime conviction (Rapport du
Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 39).

340
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

delà de la conclusion, il faut être collectivement satisfait des raisons qui mènent à cette
conclusion et dont la motivation doit être la traduction. Certes, on pourrait limiter
l’approbation de la motivation aux jurés qui soutiennent la décision prise, a contrario ceux
qui auraient souhaité une autre décision. Mais même dans ce cas, la motivation peut-elle
véritablement être une œuvre collective ? En pratique, les jurés peuvent avoir des impressions
et des convictions divergentes, voire contradictoires. Autant de têtes, autant de motifs… Il
n’est par exemple pas exclu qu’un juré condamne sur la base de preuve A, un autre sur la
base de preuve B, et encore d’autres sur une simple intuition ou un sentiment d’empathie ou
d’aversion.2121 Avec l’obligation de motiver, une simple croyance ne suffit plus. Or, même en
supposant que les jurés ne se fondent que sur les preuves présentées devant eux dans
l’audience contradictoire, il serait très difficile de résumer les opinions différentes et de
déceler clairement les fondements qui sous-tendent la décision ; les jurés peuvent en effet
accorder un poids radicalement différent aux preuves. En cas de d’accusés multiples et de
qualifications alternatives, un tel souci gagne encore en ampleur.2122 Non seulement il faut
d’abord s’accorder sur la qualification (par exemple meurtre/homicide involontaire), mais il
faut ensuite qu’il y ait consensus quant au fondement de cette qualification. En outre, le jury
devra justifier qu’il n’a pas fondé sa décision de manière déterminante sur un témoignage
anonyme.

Concrètement cela impliquerait que non seulement la décision mais également les
motifs doivent ressortir du débat qui précède le vote sur la culpabilité et que le vote portera
indissociablement sur la/les décisions et sur la/les motivations sous-jacentes. Pourtant, avec
un nombre tellement élevé de jurés, le risque d’aboutir à une impasse pour n’avoir pas trouvé
de consensus quant à une motivation unique, ou à une certaine amertume pour certains jurés
puisqu’ils ne se trouvent finalement pas à cent pourcent dans la décision prise, s’avère
tangible. En effet, contrairement à un verdict d’acquittement pour lequel des différents motifs
sont possibles — il suffirait qu’un seul élément constitutif de l’infraction ne soit pas établi ou
qu’il y ait un doute en faveur de l’accusé2123 — il faudrait, pour une condamnation,
poursuivre les débats jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint. Toutefois, dans les systèmes
actuellement en vigueur de vote par bulletin secret, il est bien possible que certains jurés ne
disent rien au moment du tour de table et souhaitent garder le silence sur leurs décision et
motifs.2124 Du point de vue de la motivation, il semble néanmoins difficile, voire impossible
de dégager une décision collective et de faire une synthèse fidèle des différents points de vue

2121
V. J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 522.
2122
R. TAYLOR, « Juror Unanimity in Homicide Cases », Crim. L.R. 2001, p. 283-300.
2123
V. également W. ROUMIER, o.c., p. 242-243, n° 447.
2124
M. HUYETTE, « Quelles réformes pour la cour d’assises ? », l.c., p. 2441-2442.

341
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

si on ne connaît pas les différentes opinions des juges. Le système de réponses secrètes et
écrites constitue dès lors un obstacle particulier à l’expression d’une motivation.2125 Selon la
Commission de réforme de la cour d’assises belge, un vote formel resterait pourtant
nécessaire et cela pour chacun des aspects de la qualification.2126

328. Au-delà du problème de concordance, il y a en outre l’inexpérience des jurés.


Novices quant à cette épreuve, ils ne sont pas nécessairement aptes à rationaliser leurs
réflexions empiriques et à structurer leur conviction par une argumentation dialectique.2127
Motiver, à l’instar de juger, est une mission complexe et technique sur les plans juridique et
humain : « c’est être seul, mais être seul ensemble ».2128 Est-il après tout judicieux de
demander aux jurés de justifier leur décision ? Il s’agit déjà d’une épreuve difficile pour les
professionnels.2129 Selon Jean Spreutels, l’impossibilité pour le peuple de motiver sa décision
sur la culpabilité serait la raison pour laquelle la CEDH n'a pas repris explicitement
l'obligation de motiver parmi les articles de sa Convention.2130

Aux yeux de William Roumier, un tel argument manque de fondement. Pour soutenir
sa position, il avance l’exemple de la Cour de Justice de la République qui est compétente
pour le jugement des crimes et délits commis par des ministres dans l’exercice de leur
fonction. Cette Cour, qui connaît également un composant populaire — douze citoyens-juges,
à savoir des jurés parlementaires à côté des trois magistrats du siège de la Cour de cassation
—, s’inspire de la procédure d’assises pour le vote sur la culpabilité et la peine (art. 32 loi du
23 novembre 19932131) ; avec néanmoins cette différence, selon la majorité de la doctrine2132,
que la décision prise par la Cour de Justice de la République doit contenir des motifs. La
décision du sang contaminé du 9 mars 1999, ainsi que celle du 16 mai 2000 témoignent
qu’elle s’acquitte bel et bien de cette épreuve nonobstant l’existence des avis divergents et la
présence de non-professionnels.2133 Cela prouverait que la présence de non-professionnels au
sein de la juridiction d’assises n’est pas de nature à empêcher, voire à exclure la motivation.
En effet, pourquoi les jurés parlementaires seraient-ils capables et non les jurés
populaires ?2134 Il nous semble qu’il existe toutefois une profonde différence entre

2125
J. PRADEL, « De la motivation des arrêts d’assises », D. 2009, p. 2781.
2126
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 34.
2127
B. FAYOLLE, l.c., p. 89.
2128
R. JUY-BIRMAN, J.-M. FLORAND et J. REYNAUD, « Pour une motivation des arrêts de la cour d’assises », PA 2005,
n° 46, p. 7.
2129
J.D. JACKSON, « Making Juries Accountable », l.c., p. 522.
2130
J. Spreutels in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil, o.c., p. 54.
2131
Loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, JORF 24 nov. 1993, p.
16188. Antérieurement à cette loi, ce contentieux appartenait à la compétence de la Haute Cour de Justice.
2132
W. ROUMIER, o.c., p. 246, n° 454.
2133
CJR 9 mars 1999, D. 1999, inf. rap. p. 86 (W. ROUMIER, o.c., p. 246-247, n° 454).
2134
W. ROUMIER, o.c., p. 246-247, n° 454 et M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 569.

342
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

parlementaires et jurés : les uns, démocratiquement élus et alors volontaires à cette fonction,
sont familiarisés avec la nécessité de se justifier par la contrainte de l’exposé des motifs
propre au processus législatif ; les autres, tirés au sort, n’ont pas forcément cette expérience,
ni la volonté de remplir cette fonction civique lourde.

329. L’analyse du droit comparé ouvre également des perspectives à cet égard. En
droit anglais, les lay magistrates sont depuis l’incorporation des standards internationaux de
la CESDH dans le droit interne par le Human Rights Act de 19982135, également encouragés à
expliquer oralement les raisons qui les ont poussés à condamner ou acquitter. N’oublions
toutefois pas que ces juges non professionnels jouissent de l’assistance d’un juriste (clerk).
L’Espagne, qui réintroduisait en 1995 le système de jury populaire2136, juge les citoyens du
jury eux-mêmes capables de motiver leur décision sur la culpabilité et rompt ainsi avec une
des caractéristiques essentielles du jury de common law. Fidèle à sa Constitution (art. 120 § 3
Constitution), le droit espagnol introduisait, déjà avant le revirement de la jurisprudence de la
CEDH, l’obligation pour la cour d’assises de motiver ses décisions, même avec un jury au
sens strict, c’est-à-dire un corps de neuf citoyens qui, à l’instar du jury anglo-saxon, se
prononce seul sur la culpabilité.2137 Avant de se retirer dans la salle de délibération, le
président leur transmet un résumé écrit mentionnant les faits et circonstances atténuantes à
considérer. Ce résumé est préalablement présenté aux parties afin de garantir le contradictoire
sur ce point.2138 Après le vote, le jury est censé rédiger un document qui précise qu’il a bien
délibéré sur les faits. Ce document contient également la décision énonçant que les faits sont
prouvés à la majorité ou à l’unanimité, la désignation des faits qu’il estime non prouvés, le
verdict de culpabilité ou d’innocence et les éventuels incidents de la délibération, tel que le
refus de voter. Au final il contient des explications succinctes sur les raisons qui ont amené le
jury à considérer certains faits prouvés et d’autres pas (art. 61 (1) (d) Ley organica 5/1995 del
Tribunal del Jurado, ci-après LOTJ).2139 Il incombe en principe au chef du jury de rédiger le

2135
J.R. SPENCER et N. PADFIELD, l.c., p. 538.
2136
Infra, n° 404.
2137
C. GLEADOW, o.c., p. 219 (infra, n° 408). La procédure suisse du canton de Genève où le jury est depuis 1992
contraint de motiver systématiquement ses réponses aux questions (art. 297-301 CPP) procure pourtant un précédent.
Comme en Espagne, le greffier pourrait assister les jurés dans cette tâche (art. 304 al. 3 CPP ; B. STRAULI, l.c., p.
343). Ce système est toutefois menacé par la promulgation d’un nouveau Code de procédure pénale fédérale qui
envisage, à partir du 1er janvier 2011 d’uniformiser la procédure pénale des différents cantons (infra, n° 551). En droit
autrichien, les jurés doivent également rendre compte de leurs considérations par écrit et cela séparément pour chaque
question posée. § 331 (3) StPO dispose qu’après le vote le chef du jury donne « in einer kurzen Fiederschrift,
gesondert für jede Frage, die Erwägungen von denen die Mehrheit der Geschworenen bei der Beantwortung dieser
Frage ausgegangen ist ». Toutefois ce procès-verbal (Fiederschrift) n’est pas intégré dans la décision écrite et ne peut
donc pas être utilisé pour attaquer le jugement (E. STEINIGER, « Die Anfechtung mangelhafter Tatsachenfeststellungen
im Geschworenenverfahren », Osterreichische Juristenzeitung 1992, p. 687). Sa raison d’être se trouverait dans
l’éventuelle procédure de ‘correction’ réglée au § 332 (4) f StPO.
2138
C. GLEADOW, o.c., p. 263-264.
2139
C. GLEADOW, o.c., p. 266.

343
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

document sauf s’il défend une opinion dissidente de la majorité. Il est également possible de
demander une aide rédactionnelle au président ou d’un secretario (greffier). Les premiers
jurés en ont fait un usage extensif2140. Dans certains cas, ce greffier a pourtant répondu à des
questions légales posées par le jury en dépassant les limites de la rédaction. Quelques auteurs
y voient la preuve de la supériorité d’un système mixte sur celui du jury populaire ou un
premier pas vers un système d’échevinage.2141 Ainsi que nous le verrons ultérieurement,
certaines affaires démontrent en outre qu’il ne s’agit pas d’une sinécure pour les jurés, ceux-
ci étant parfois contraint à répondre à une centaine de questions.2142 Lorsque le document, qui
doit être signé par chaque juré2143, est imprécis ou incomplet, le juge peut renvoyer le jury à
trois reprises.2144

D’autres exemples font tous preuve d’un système d’échevinage. Il en est ainsi pour le
tribunal pour enfants français. Ce tribunal réussit à donner des explications pour ses décisions
en dépit de la présence de deux assesseurs non professionnels (art. 15 et 16 ord. 2 févr.
1945).2145 Dans cette juridiction, les assesseurs jouissent néanmoins, à la différence des jurés,
de tous les droits et pouvoirs du juge professionnel, notamment en ce qui concerne la
consultation du dossier. Il s’agit par conséquent d’une vraie collégialité. Eu égard au
caractère permanent de cette juridiction, les assesseurs y jouissent en outre d’une certaine
expérience. Nous pouvons également évoquer le système allemand dans lequel les
professionnels prennent en charge le libellé de la motivation, y compris lorsque, lors du vote,
ils ont été ‘minorisés’ par les juges non professionnels (§ 275 § 2 StPO). Il en est de même en
droit italien qui connaît une cour d’assises constituée de deux juges de carrière et de six
jurés.2146

330. Finalement, même dans les systèmes consacrant un jury indépendant tel que la
Belgique, l’obligation de motiver n’est pas entièrement inconnue.2147 En particulier, depuis la

2140
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », Hastings Int'l & Comp. L. Rev. 1997-98, p. 374-376.
2141
S.C. THAMAN, « Spain returns to Trial by Jury », l.c., p. 375.
2142
C. GLEADOW, o.c., p. 279 ; pour une appréciation plus approfondie, infra, n° 414.
2143
Le refus d’un juré de signer est acté dans le document (art. 61 LOTJ).
2144
Après la troisième fois, le jury est déchargé et il y a un nouveau procès devant un autre jury. Si celui-ci n’arrive
pas non plus à une décision, l’accusé est acquitté (C. GLEADOW, o.c., p. 267).
2145
Infra, n° 521.
2146
V. R. JUY-BIRMAN, J.-M. FLORAND et J. REYNAUD, l.c., p. 3 et s.
2147
En droit anglais il n’y a aucun texte légal qui oblige de motiver la peine (D.A. THOMAS, « Sentencing, the Case for
a Reasoned Decision », Crim. L.R. 1963, p. 243). Seules deux situations requièrent une motivation : lorsque le juge
impose une peine à une personne de moins de vingt-et-un ans et lorsqu’il refuse de prononcer la peine obligatoire
(Jackson [1966] 50 Cr. App. R. 127). En pratique, il est de coutume judiciaire de motiver la peine (HL Debates vol.
333, cd 585, Lord Hailsham de St. Marylebone). Souvent, les juges procurent d’ailleurs des considérations strictement
non-nécessaires — les fameux « homélies du juge » —, qui leur donne la réputation d’être trop bavards (J.
SPREUTELS, l.c., p. 203 et S. WHITE, « Homilies in Sentencing », Crim. L.R. 1971, p. 690-699).

344
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

réforme belge du 30 juin 20002148, la cour d’assises décide, en cas de condamnation, sur
proposition du président avec une majorité absolue sur les raisons ayant conduit à cette peine
(art. 343 in fine CIC ; ancien art. 364 CIC). Cette disposition est le résultat d'un amendement
du député Vandeurzen, soucieux du fait que « les motifs joints à l'arrêt soient le reflet des
délibérations ».2149 En vertu de l’article 344 du Code d’instruction criminelle (ancien art.
364bis CIC) tout arrêt de condamnation fait mention des « motifs ayant conduit à la
détermination de la peine infligée ». Cette dispositions trouve son origine dans un
amendement du sénateur Hugo Vandenberghe qui renvoyait à la jurisprudence de la
CEDH2150 en indiquant que cette dernière « a toujours insisté sur le fait qu'une décision
judiciaire n'a une qualité juridique suffisante que si elle est motivée ».2151 Le juge est ainsi
obligé de réfléchir sur la situation individuelle du délinquant. Une motivation permet en outre
à la Cour de cassation d’exercer un contrôle, bien qu’il ne s’agisse que d’un contrôle
marginal de la légalité de la peine.2152 Avec cette exigence la procédure criminelle belge se
rapproche de son pendant correctionnel pour lequel la loi du 27 avril 1987 introduisait
l’obligation de motiver dans l’article 195 du Code d’instruction criminelle (pour le tribunal
de police, voir art. 163 CIC).2153 Ces dispositions vont toutefois plus loin en requérant
également que le juge indique d'une manière « qui peut être succincte mais doit être précise »
les raisons du choix et le taux de chacune des peines ou mesures prononcées2154, sauf lorsque
la loi ne lui laisse aucun choix2155 ou qu’il n’envisage que d’imposer la peine minimale.2156
Selon Raoul Declercq, cette motivation spécifique des choix et montant de la peine n’est pas
applicable aux assises.2157

Nous pourrions nous demander si la motivation de la peine aux assises n’illustre pas
qu’une coopération des professionnels et laïcs peut en effet être fructueuse. Suffit-il dès lors
d’introduire en Belgique un type de collaboration similaire pour le débat sur la culpabilité
2148
Loi du 30 juin 2000 modifiant le Code d’instruction criminelle, l'article 27 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la
détention préventive et l'article 837 du Code judiciaire, en vue de rationaliser la procédure devant la cour d'assises,
article 381 du Code d’instruction criminelle, MB 17 mars 2001, p. 8440.
2149
Doc.parl. Chambre, 1999-00, n° 50-0542/003, p. 4 ; Cass. 20 janv. 2004, Pas. 2004, p. 119 (R. DECLERCQ, o.c., p.
1072, n° 2465). L’importance de la motivation est également démontrée par la loi de défense sociale de 1964.
L’obligation de l’art. 343 CIC s’étend aux décisions ordonnant l’internement d’un accusé (art. 10 de cette loi ; v.
également art. 13 § 2 al. 2 loi du 21 avril 2007 relative à l’internement qui entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier
2012). Ce dernier a notamment intérêt à connaître les raisons pour lesquelles il est interné.
2150
Doc.parl. Sénat, 1999-00, n° 2-282/2, p. 4.
2151
Doc.parl. Sénat, 1999-00, n° 2-282/3, p. 23.
2152
La Cour de cassation ne peut pas substituer son appréciation sur l’opportunité de la peine (J.-L. DENIS, l.c., p.
1025).
2153
Loi du 27 avril 1987, MB 20 mai 1987, p. 7634.
2154
Cass. 1er mars 1994, RW 1994-95, p. 123, note (J.-L. DENIS, « La motivation des peines », RDPC 1997, p. 1030-
1031.
2155
Cass. 10 févr. 1988, Pas. 1988, p. 687 et RDPC 1988, p. 693 et Cass. 6 mai 2009, RDPC 2009, p. 945.
2156
Cass. 13 juin 1989, Pas. 1989, I, p. 1104.
2157
Cass. 4 févr. 1992, Pas. 1992, I, p. 491 et Cass. 19 juill. 1993, RW 1993-94, p. 820, note A. VANDEPLAS (R.
DECLERCQ, o.c., p. 1073, n° 2468).

345
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

afin d’obtenir également une motivation ? Il y a toutefois une grande différence entre la
décision sur la culpabilité et celle sur la peine. En particulier, au moment de la détermination
de la peine, la culpabilité est fixée et il s'agit seulement de déterminer les circonstances
atténuantes, ce qui est moins difficile. Par ailleurs, pourquoi n’existe-t-il alors toujours pas de
motivation de la peine en droit criminel français2158 ?

Le projet du Corpus juris prévoyait également la motivation des décisions (art. 26 §


3), ce qui induisait des inconvénients pour le système français, notamment sur le plan de
l’absence de motivation de la peine infligée par la cour d’assises.2159 L’instauration d’un
double degré de juridiction par la loi du 15 juin 2000 est sans doute une occasion manquée à
cet égard. Ainsi, la peine faillit incontestablement à sa mission pédagogique qui vise à aider
le condamné à évoluer et à s’inscrire dans un processus de soin, d’introspection et de remise
en question2160 ; soit les meilleures garanties contre la récidive. Afin d’y remédier, Camille
Julia Guillermet propose d’introduire une césure du procès pénal et, dès lors, de la
délibération.2161 S’il est impossible de motiver la culpabilité, une justification de la peine
serait ainsi, à l’instar du droit belge, possible. Nous pouvons en conclure que, si la Belgique
peut tirer des leçons de l’exemple français d’échevinage, il en est inversement de même pour
le droit français sur le plan de la motivation de la peine, les deux pays ayant encore un long
chemin à parcourir concernant la motivation de la culpabilité, nonobstant la solution retenue
par la loi belge du 21 décembre 2009.2162 En effet, même si certains auteurs considèrent que
les plaidoiries aux assises ne visent que rarement l’acquittement et portent majoritairement
sur le quantum de la peine2163, la motivation de la peine n’est pas suffisante, surtout lorsque
l’accusé plaide innocent.

331. Si le législateur français ne semble pas encore emballé par une telle
modification, la pratique judiciaire essaya parfois d’évoluer sur ce point. En effet, il n’est pas
non plus formellement interdit de motiver. Les timides tentatives de la Cour d’assises du Val-
de-Marne du 5 et 7 mai 1999 semblent être, à cet égard, des illustrations intéressantes. Après
la lecture de la déclaration du jury et de la cour, celle-ci a voulu insérer une analyse des faits
2158
Selon une jurisprudence constante, la motivation spéciale des peines d’emprisonnement sans sursis (art. 132-19
CPF) n’est pas applicable aux délibérations de la cour d’assises qui sont régies par l’art. 362 CPP (Crim. 29 avr. 1997,
Bull. crim. 155 ; C. GAYET, « Motivation des arrêts d’assises et droit européen des droits de l’homme », l.c.).
2159
Ce projet poserait également des problèmes pour le juge correctionnel, qui est uniquement obligé de motiver son
verdict lorsqu’il envisage une peine privative de liberté sans sursis (art. 132-19 CPF). En cas de récidive, la loi exige
dans quelques cas une motivation spéciale (art. 132-18-1 et art. 132-19-1 CPF ; v. Cons. const. n° 2007-554 DC du 9
août 2007, JORF 11 août 2007, p. 13478, § 3).
2160
A. BLANC, « L’audience », l.c., p. 19.
2161
C.J. GUILLERMET, o.c., p. 99-100 et s.
2162
Infra, n° 334 et s.
2163
Ainsi par exemple P. Maisonneuve, cité par J.-F. CHASSAING, « L’appel des arrêts des cours d’assises : le poids de
l’histoire » in AFHJ, La cour d’assises. Bilan d’un héritage démocratique, Paris, La Documentation française, 2001,
p. 138.

346
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

susceptible d’expliciter les circonstances dans lesquelles le crime a été commis.2164 La Cour
de cassation, en revanche, s’est opposée à cette initiative de motivation formelle : « les arrêts
de condamnation prononcés par les cours d'assises ne peuvent comporter d'autres
énonciations relatives à la culpabilité que celles qui, tenant lieu de motivation, sont
constituées par l'ensemble des réponses données par les magistrats et les jurés aux questions
posées conformément à l'arrêt de renvoi ».2165

Une volonté similaire émerge de temps en temps dans les prétoires anglais où le jury
essaye parfois de donner des explications au juge censé déterminer la peine en cas de
condamnation. Ainsi, dans l’affaire Mills de 20032166, le jury a transmis une note au juge afin
de spécifier qu’il ne voulait pas condamner l’accusé pour trafic de drogues, mais pour
l’importation de produits prohibés autres que des drogues. Dans cette affaire, un chauffeur
qui transportait un chargement considérable de stupéfiants dans son camion déclara savoir
qu’il importait des produits prohibés, mais pensait qu’il s’agissait de pornographie. La
question posée aux jurés visait à savoir si le chauffeur savait qu’il transportait des produits
prohibés, sans préciser exactement quoi. Le jury avait répondu par l’affirmative en
prononçant ainsi un verdict de culpabilité. Mais, alors que le juge imposait une peine sévère
(seize ans d’incarcération) pour importation de drogues, le jury lui indiquait dans une note de
ne pas avoir voulu condamner pour cela. Au regard du prononcé de la peine, le jury a donc
essayé d’expliciter les motifs de sa décision de culpabilité afin de permettre au juge de
prononcer une peine correcte. Le président de la Crown Court par contre ne se trouvait pas
lié par cette précision et a refusé de modifier la peine, ce qui a été consacré par la cour
d’appel. Se ralliant à la vision de la Cour de cassation française, le jury n’a point à préciser
son verdict de culpabilité ; il ne peut pas ajouter quoi que ce soit, il a juste à dire guilty ou not
guilty.2167 L’affaire Jones2168 par contre qui semble permettre au juge — lorsqu’il y a
plusieurs bases de manslaughter — d’inviter les jurés à indiquer sur quelle base leur verdict
est fondé, paraît être à cet égard une exception qui vise à faciliter la mission du juge quant à
la détermination de la peine. Celle-ci pose toutefois des problèmes dans la mesure où les
jurés ne s’accordent pas unanimement sur les raisons qui sous-tendent leur verdict. Comment
les obliger, en outre, à se conformer à cette demande ?2169

2164
W. ROUMIER, o.c., p. 227, n° 414.
2165
Crim. 15 déc. 1999, Bull. crim. 307 et 308 et Dr. pén. 2000, comm. 93, note A. MARON.
2166
Mills [2003] Crim. L.R. 896, comm. D.A.T.
2167
Larkin [1943] 29 Cr. App. R. 18.
2168
Jones [1999] The Times 17 févr. 1999.
2169
M. ZANDER, o.c., p. 511.

347
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Nous ne pouvons qu’applaudir ces prudentes tentatives de la pratique judiciaire. Il


serait toutefois plus sain pour l’égalité des justiciables devant la loi que de telles initiatives
n’émanent pas seulement de la pratique, mais également du législateur. La justice ne peut
qu’y gagner. Elle sera mieux comprise, moins critiquée et plus respectée.2170 Cependant,
contrairement à William Roumier selon lequel une motivation des décisions criminelles est
envisageable sans faire tabula rasa du système actuel de questions2171 — ce à quoi nous ne
pouvons toutefois pas souscrire —, sa réalisation concrète nous semble moins aisée. Au-delà
de notre conclusion estimant qu’il est difficile d’exiger de « douze hommes en colère » une
seule et cohérente justification, il existe de nombreux inconvénients concernant la rédaction.

2. Rédaction : œuvre professionnelle ?

332. Même s’il réussit à déduire un consensus sur le fondement de la décision, le jury
lui-même n’est pas armé pour reproduire dans une motivation juridique les mécanismes
complexes qui sous-tendent leur vision de l’accusé. En effet, cette épreuve lourde et
technique nécessite une assistance juridique : « un homme sensé pouvait trouver cent choses
et les arranger mais savoir les exprimer n’appartient qu’à l’homme de bien, c’est-à-dire au
magistrat ».2172 On semble donc obligé de confier cette tâche à des professionnels. A moins
de ne pas évoluer vers un système purement professionnel, les seules solutions consistent soit
à évoluer vers un délibéré mixte ainsi que l’exigeait la Commission belge de réforme de la
cour d’assises, soit à adjoindre un juriste familiarisé avec la terminologie juridique et le jeu
procédural au corps des jurés.2173 Partant d’une telle prémisse professionnelle, la mise en
œuvre ne semble, en pratique, ni aisée, ni exempte d’obstacles. Outre l’allongement
considérable de la durée des délibérations pour entreprendre la rédaction de la motivation,
nombre de questions émergent : qui doit prendre en charge la rédaction de la motivation ?
Quelle sera l’étendue de la motivation ? A quel moment doit-elle être rédigée ? Quel sera son
impact sur le rôle des citoyens-juges ? Des opinions divergentes sont-elles autorisées ?

333. Différents projets ont essayé d’y répondre. Ainsi en France, le Haut Comité
Deniau2174 se prononçait en 1996, en faveur d'une motivation — ou plutôt d’une « mise en
forme des raisons » —2175 des jugements criminels en premier comme en deuxième ressort.

2170
R. JUY-BIRMAN, J.-M. FLORAND et J. REYNAUD, l.c., p. 10.
2171
W. ROUMIER, o.c., p. 234, n° 430.
2172
CICERON, L’orateur, III, n° 38, cité par F. MARTINEAU, l.c., p. 100.
2173
Si un tel ‘expert’ pouvait entraver l’indépendance du jury dans le passé, cet argument n’est plus valable dans le
système anglais en vigueur dans la mesure où, depuis la CJA 2003, des avocats et des magistrats peuvent faire partie
du jury (A.N. PRICHARD, l.c., p. 475 ; supra, n° 140).
2174
Rapport du Haut comité consultatif (J.-F. DENIAU) sur la procédure de jugement en matière criminelle, Rapport au
ministère de la Justice, le 6 févr. 1996 (ci-après Rapport DENIAU ; infra, n° 581).
2175
En raison de la spécificité de la cour d’assises et pour distinguer la motivation en matière criminelle de celle qui
est applicable en matière correctionnelle, le Haut Comité Deniau préférait la dénomination « les raisons du

348
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Soucieux du temps qu’une telle rédaction exige, le Haut comité proposait de la mettre en
forme à l’issue de la délibération mais avant la lecture de la décision, « soit à un intervalle
ultérieur de huit jours, voire de quinze jours en cas de grande complexité ». Cette proposition
d’une motivation a posteriori a été accueillie avec beaucoup d’hostilité. En somme, les
motifs seraient comme une sorte « d’alibi juridique »2176, postérieurs au dispositif, alors
qu'on était légitimement habitué à l'inverse.2177 Tel que l’expression « attendu que … » le
suggère, les motifs devraient être le fondement de la décision et il est dès lors indispensable
qu’ils la précèdent.2178 On ne peut pas poser un résultat et chercher après-coup à le justifier.
Un jugement est un tout homogène. Quelle image la justice donne-t-elle à l’accusé condamné
à une peine à perpétuité lorsqu’elle ne peut pas immédiatement donner les raisons qui sous-
tendent cette décision ?2179 En outre, en vertu du principe de la continuité des débats qui est
indispensable compte tenu de la présence des jurés, il faut nécessairement prononcer l’arrêt
de condamnation ou d’acquittement à l’issue des débats. Il n’est pas possible de renvoyer le
prononcé de la décision à une date ultérieure. S’il est nécessaire que la motivation soit
approuvée par le jury, il est impossible de prendre les jurés en otage pendant quinze jours ou
pendant le temps nécessaire à l’élaboration de la motivation.2180 Finalement, il convient
d'observer que durant la période qui sépare le jugement de la motivation, il est possible que la
décision ait fait l'objet de divers commentaires, voire d’une couverture médiatique. Cela
complique la tâche du rédacteur de la motivation qui peut avoir tendance à répondre aux
critiques plutôt qu’à mettre en forme les considérations de fait et de droit qui ont emporté la
conviction.2181 A ces critiques de fond s’ajoutent des écueils organisationnels : si la rédaction
de la motivation prend plusieurs jours, il en résulte un allongement des délais d’audiencement
ainsi qu’une immobilisation plus longue des magistrats de carrière. Afin de permettre à
l’accusé de juger si un appel pourrait être opportun, il faut également allonger les délais de
recours.2182

jugement » à celle de « motivation ». Aux assises la motivation ne devrait en effet pas être aussi détaillée que devant
les tribunaux correctionnels (JOAF CR du 22 janv. 1997, p. 37 et s. ; contra P. DEVEDJIAN, qui ne voit pas d’intérêt
d’introduire un nouveau concept puisque la motivation est d’ores et déjà simplifiée).
2176
S. GJIDARA, l.c., p. 11.
2177
Une telle motivation existe également en Italie et en Allemagne. En Allemagne, après avoir exposé oralement la
décision et les motifs, les juges professionnels sont tenus de rédiger les motifs écrits dans les cinq semaines (§ 268
StPO et § 275 StPO). Puisqu’on n’a qu’une semaine pour interjeter appel, beaucoup interjettent déjà appel par
précaution.
2178
H. ANGEVIN, « De la motivation des décisions des juridictions comportant un jury », Dr. pén. 1996, p. 1-2.
2179
J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c.
2180
Bien que ce délai ne soit que « la soupape pour le dix millième cas », il risque d’être appliqué beaucoup plus
fréquent (P. CLEMENT in JOAF CR du 22 janv. 1997, p. 39).
2181
H. ANGEVIN, « De la motivation des décisions des juridictions comportant un jury », l.c., p. 2.
2182
M. HUYETTE, « Quelles réformes pour la cour d’assises ? », l.c., p. 2442.

349
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Malgré ces critiques qui penchent unanimement vers une motivation concomitante à
la prise de décision, le rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale du 1er septembre
2009 ne voit d’autres solutions que de renvoyer soit à cette proposition du Haut comité
consultatif, soit d’exiger non pas une motivation littérale, mais des réponses à des questions
précises portant sur les éléments de preuves, les éléments de fait et de personnalité en cas de
condamnation, ainsi que le choix de la peine.2183 Son indécision sur ce point trahit-elle sa
prise de conscience de l’épineuse mise en œuvre de cette exigence de motivation ?

334. Le législateur belge, de son côté, a récemment clairement opté pour une
motivation a posteriori de la décision de la cour d’assises.2184 Mais, contrairement à la
solution française proposée par le Haut comité consultatif comme d’ailleurs au système
allemand, il ne la fonde pas sur la nécessité de prévoir un laps de temps nécessaire pour la
rédaction, mais sur le fait que la souveraineté des douze jurés populaires doit être maintenue.
Lors des débats parlementaires relatifs à la réforme de la cour d’assises, une vive opposition
au délibéré mixte a contraint le législateur, voulant se conformer à la nouvelle jurisprudence
de la CEDH, à « un grand écart peu élégant »2185 : le découplage du délibéré sur la
culpabilité en deux. Notamment, pour conjuguer souveraineté du jury populaire et motivation
des décisions, la loi du 21 décembre 2009 organise la délibération sur la culpabilité en deux
temps. Les jurés délibèrent d’abord seuls sur la question de culpabilité par le système
classique des questions. En particulier, le chef du jury note et signe leur déclaration et la
remet au président, en présence des jurés. Le président et le greffier la signent, puis ce dernier
la glisse dans une enveloppe fermée (art. 333 al. 2 CIC). Il en prend également une copie
(pour connaître les questions et les réponses exactes). L’accusé ne prend à ce moment pas
encore connaissance de la décision. De cette façon, les jurés restent seuls maîtres de la
décision de culpabilité. Ensuite, postérieurement à la prise de décision, la cour se retire
immédiatement avec le jury (et le greffier) afin de formuler, en concertation avec les jurés,
les principales raisons ayant amené à la décision (art. 334 al. 1 CIC). Après cette deuxième
délibérations, la décision est signée par le président, le greffier et le chef du jury. Ensuite,
l’ouverture de l’enveloppe a lieu en audience publique, en présence de l’accusé, et ce n’est à
ce moment que celui-ci prend connaissance de la décision et de la motivation.2186

2183
Cette proposition était déjà avancée par le Sénat (JO AN, session 1996-97, Projet de loi n° 2938, Exposé des
motifs, p. 16 ; W. ROUMIER, o.c., p. 217, n° 397). Ouvrant la porte à de nombreuses cassations et étant impraticable
sur le plan budgétaire, elle n’a pas été retenue (W. ROUMIER, o.c., p. 245, n° 452).
2184
Art. 334 CIC. Cette disposition est toute de suite d’application, également aux procès en cours.
2185
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De grensoverschrijdende en jury-ondermijnende impact van
Taxquet/België », l.c., p. 613.
2186
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 159.

350
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

A l’instar de la Commission de réforme de la cour d’assises belge, le législateur est


donc convaincu que la rédaction de la motivation, qui est avant tout une exigence formelle et
juridique, doit être l’œuvre de professionnels. De ce point de vue, il rejette le système
espagnol. Contrairement à la Commission, il les contraint à cette mission sans être impliqué
dans le débat sur la culpabilité. S’il existe un consensus sur le point de confier la rédaction à
un magistrat de carrière, technicien du droit, le rôle de ce dernier s’amenuise pourtant : de
véritable soutien lors de la délibération2187 sur la culpabilité dans la proposition de loi initiale
il est réduit, dans la nouvelle loi, au rôle de simple plume au service d’une décision antérieure
dans laquelle il ne fut pas impliqué. Le législateur semble pour le moins témoigner d’une
position ambiguë à l’égard des juges de robe : s’il s’en méfie particulièrement aux assises
pour la décision sur la culpabilité, il leur accorde à nouveau sa confiance pour la délibération
sur la peine.2188

Pour justifier une telle motivation a posteriori, les débats parlementaires s’inspiraient
de la pensée du philosophe du droit Chaim Perelman. Dans son traité sur l'argumentation
juridique ce dernier explique que, lors de la rédaction d'une décision de justice, plutôt que
d'examiner les motifs les uns après les autres pour aboutir à une décision, on applique en
réalité la démarche inverse. Pour rendre la justice, on part souvent du résultat auquel on tâche
d’adapter ensuite le droit.2189 A l’instar de ce que préconise la reine rouge dans Alice au pays
des merveilles : « la sentence d’abord, le verdict après » ou comme la pensée de Christian
Atias : « avant de consulter les sources du droit, il [le juge] aura déjà une opinion sur le
résultat à atteindre, sur le juste ».2190 Les philosophes semblant partisans de la cour
d’assises2191, il paraît pour le moins étrange de ne pouvoir justifier une décision qu’après que
celle-ci a été prise ; de chercher ses motifs dans l’après-coup.2192

Bien que la rédaction ait lieu en présence des jurés et que la solution belge ne
constitue pas un obstacle au principe de la continuité des débats, la motivation est rédigée
postérieurement à la prise de décision par des professionnels non présents dans la salle de
délibération. Elle risque ainsi de n’apparaître que comme un habillage juridique effectué par
des professionnels et de ne pas refléter l’analyse que les jurés ont développée pendant

2187
A l’instar du droit genevois (art. 327 al. 1 phr. 2 let. a-d CPP), l’exclusion du président du droit de vote — sauf en
cas de majorité simple —, garantirait son impartialité sur ce point. Opérant en arrière-plan, il pourrait assumer son
rôle dans les meilleures conditions possibles. Bien évidemment, il serait assisté formellement par le greffier.
2188
M. DEWART, « Quel avenir pour le verdict populaire? », JT 2009, p. 311.
2189
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 33 ; v. également J. Carbonnier, cité par R. LEGROS, « Un autre partisan de
la cour d’assises », l.c., p. 203.
2190
Cité par R. LEGROS, « Un autre partisan de la cour d’assises », l.c., p. 204.
2191
R. LEGROS, « Un autre partisan de la cour d’assises », l.c., p. 203.
2192
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen »,
l.c., p. 113.

351
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

plusieurs heures, jours. Elle risque de « ne constituer qu’un faux-fuyant tel un wagon qu’on
accroche en queue de convoi »2193. Les professionnels ne sont tenus que d’apporter leur
bagage technique à ce que d’autres ont déterminé.2194 Comment peuvent-ils reconstruire
correctement, a posteriori, le processus dynamique et discursif de la prise de décision ? Un
tel système ne risque-t-il pas de transformer, voire de trahir, les vrais motifs du jury ?2195
Contrairement aux lumières philosophiques dont le législateur s’est inspiré, il nous semble, à
l’instar de la Commission de réforme belge, que la motivation doit se construire au fil de la
délibération et contribuer à celle-ci.2196 C’est en motivant que se dégage une décision. Le
débat préalable est nécessaire afin de contrôler la validité de la décision vers laquelle le jury
s'oriente. Qu’une motivation a posteriori semble un exercice épineux est également reconnu
par la Cour d’assises de Luxembourg dans son arrêt, en aval de l’arrêt Taxquet mais en amont
de la nouvelle loi, du 19 octobre 2009.2197 Craignant qu’une motivation peine à refléter la
délibération si elle est rédigée par une personne ‘étrangère’ à celle-ci, cette cour considère
opportun de ne rédiger une motivation post verdict qu’après la déclaration du jury de n’être
pas à même de procurer lui-même, pour chacune des questions, un résumé des principales
raisons l’ayant amené à retenir ou à rejeter les accusations figurant dans le questionnaire.
Cette cour préfère alors dans un premier temps l’option espagnole et ne retient la solution du
législateur que comme garde-fou.

Afin d’éviter que le magistrat professionnel, s’il ne partage pas l’opinion des jurés,
saisisse l’opportunité de la rédaction de la motivation pour offrir aux parties un moyen pour
se pourvoir en cassation, comme cela existe par exemple en droits allemand2198 et italien —
les fameux « motivations suicidaires » —, le législateur belge exige que le chef du jury
appose sa signature au bas de la motivation pour attester de la conformité de celle-ci avec les
éléments dégagés par le tribunal au cours de son délibéré. Cela constituait cependant l’une
des raisons de l’échec de la proposition du Haut comité français. Quid en effet, si le chef du
jury refuse de donner son accord ? Ou quid si un ou certains juré(s) change(nt) d’opinion lors
de la délibération avec les professionnels ? Les débats parlementaires ne révèlent pas une
réflexion approfondie sur ce point.

2193
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 69.
2194
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 31.
2195
G. BLANC, « La souveraineté populaire en question », l.c., p. 309.
2196
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 32 ; v. aussi A. MASSET et D. VANDERMEERSCH, « La loi du 21 décembre
2009 relative à la réforme de la cour d’assises : première lecture critique », JT 2010, p. 232.
2197
Cour ass. Luxembourg 19 oct. 2009, JLMB 2009, p. 1736.
2198
En droit allemand, les échevins ne doivent pas signer (§ 275 (2) StPO). Les autres juges professionnels, s’il y en a,
le font, ce qui permet un contrôle. On présume que la signature du juge professionnel atteste que les raisons
correspondent à la délibération (Ch. RENNIG, « Influence of Lay Assessors and Giving Reasons for the Judgment in
German Mixed Courts », RIDP 2001, p. 489). Dans la Schöffengericht où il n’y a qu’un juge professionnel, ce dernier
pourrait donc bien manipuler le verdict (Ch. RENNIG, l.c., p. 492 ; infra, n° 477).

352
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

335. Un autre point ayant échappé à l’attention des parlementaires concerne le cas
d’une majorité simple (le jury n’obtient qu’une majorité de sept voix contre cinq pour une
condamnation). Il semble découler de la chronologie des nouvelles dispositions — l’article
334 du Code d’instruction criminelle qui prescrit le délibéré commun pour la rédaction de la
motivation précédant le nouvel article 335 du même Code qui reprend la prise de décision par
la cour en cas de majorité simple — que le jury informe la cour de ses motifs avant que cette
dernière ne prenne une décision.2199 Selon la Cour de cassation, il n’est dans ce cas, et
lorsque la majorité de la cour rejoint la majorité des jurés (au moins deux magistrats de
carrière se prononcent en faveur de la condamnation de l’accusé), pas nécessaire d’établir une
motivation distincte avec d’une part les motifs du jury et d’autre part ceux de la cour.2200 Les
motifs de condamnation sont dans ce cas les motifs du jury. En revanche, si la majorité de la
cour se joint à la minorité des jurés, l’acquittement de l’accusé et sa motivation ne sont pas
soutenus par la majorité des jurés. En effet, le cas échéant seulement cinq jurés, une minorité
au sein du jury, souscrit la décision. Il semble alors difficile d’exiger que la motivation soit
fondée sur les motifs de ces cinq jurés, qui ne sont d’ailleurs, par le secret de la délibération,
pas nécessairement révélés.2201 Il semble alors que, le cas échéant, les motifs seront ceux des
magistrats professionnels ayant à la majorité opté pour cette décision.2202 Si le législateur a
voulu consacrer le jury en tant que maître de la décision de culpabilité et réduit
corrélativement l’intervention des professionnels à la simple rédaction des principales raisons
qui sous-tendent la décision du jury, il ne s’agit pas, ici, de la décision du jury optant
majoritairement pour une condamnation.

Mais quid alors en cas de questions subsidiaires ? L’article 335 du Code d’instruction
criminelle n’ayant trait qu’à la question principale, la réponse négative de la cour à cette
dernière et alors l’acquittement pour celle-ci ne met pas un terme à l’affaire si le président
avait soumis au jury des questions subsidiaires2203. Le cas échéant le jury doit se retirer à
nouveau pour se prononcer, sans la cour, sur les questions subsidiaires. Cette décision, soit de
condamnation, soit d’acquittement, doit en tout cas être fondée sur les motifs des jurés. Il en
découle qu’il y aura, le cas échéant, cinq délibérations sur la question de culpabilité : d’abord

2199
Lorsque les magistrats de la cour se retireraient pour prendre cette décision immédiatement après la déclaration du
jury, sans d’abord recevoir les motifs du jury, ils devraient prendre leur décision sans connaître les raisons ayant
conduit le jury à la déclaration de culpabilité. En outre, ainsi que le remarque le Collège des procureurs généraux, le
fait de connaître dans ce cas la déclaration du jury et pas dans les autres cas (enveloppe fermée), semble difficilement
compatible avec le principe d’égalité des justiciables devant la loi (Circulaire col n° 6/2010 du Collège des procureurs
généraux près les cours d’appel du 29 avr. 2010, p. 133).
2200
Cass. RG P.09.0498.N, 23 juin 2009.
2201
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen »,
l.c., p. 114.
2202
Ibid.
2203
Cass. 19 sept. 2007, RDPC 2008, p. 284.

353
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

celle des jurés seuls sur la question principale qui donne lieu à une décision de condamnation
à la majorité simple de sept voix contre cinq ; ensuite, celle des jurés et de la cour qui vise à
rédiger les motifs de cette décision. Puis, la délibération de la cour sur la question principale.
Ensuite, si la cour rejoint la minorité des jurés, celle du seul jury sur les éventuelles questions
subsidiaires et, finalement, celle des jurés et de la cour pour la rédaction des motifs pour la
décision relative à ces questions subsidiaires. Il en résulte en outre deux motivations émanant
de deux organes différents : celle d’acquittement pour la question principale fondée sur les
motifs de la cour et celle de condamnation ou d’acquittement pour la question subsidiaire
fondée sur les motifs du jury.

336. Après la question de savoir qui doit motiver et quand, il convient de s’interroger
sur la portée de la motivation prévue par la loi belge du 21 décembre 2009. En vertu de
l’article 334 alinéa 2 du Code d’instruction criminelle, il faut procurer les « principales
raisons » — ce qui semble moins exigeant que les « raisons concrètes » souhaitées par la
CEDH2204 — « de leur décision ». La notion « de leur décision » renvoie non seulement aux
motifs de culpabilité ou d’innocence2205, mais également aux éventuelles circonstances
aggravantes ou causes d’excuse.2206 Contrairement à la décision de la Cour de cassation du
10 juin 2009 et préalablement à la promulgation de la nouvelle loi qui n’exige une motivation
que s’il y a contestation, quod non en cas de reconnaissance de culpabilité2207, la loi du 21
décembre 2009 ne fait aucune distinction à cet égard. La reconnaissance de culpabilité ne
constituant en droit belge pas en soi une preuve de culpabilité, le jury devrait dire si, le cas
échéant, il est convaincu de cette culpabilité.2208 Au lieu de répondre à chaque moyen
invoqué par les parties, la motivation pourrait se limiter à l’explication des raisons qui
fondent le dispositif, pour éviter une inflation de conclusions, de retards, voire
d’impasses.2209 Un tel devoir général de motiver est compatible avec l’exigence du procès
équitable.2210 Il n’est pas non plus nécessaire de rédiger une motivation pour chaque question
soumise au jury. Des opinions divergentes qui auront comme effet de démolir la portée de
l’arrêt ne sont pas permises.

337. Mais quid si les magistrats de carrière constatent que la décision prise n’est pas
justifiable ? Vu que le jury est encore livré à lui-même pour la prise de la décision sur la

2204
A. MASSET et D. VANDERMEERSCH, l.c., p. 229.
2205
V. par exemple, Cass. RG P.09.1697.F, 10 févr. 2010.
2206
Avis n° 47.078/AG du 25 août 2009 du Conseil d’Etat, Doc.parl. Chambre 2008-09, n° 52-2127/002, p. 16 ; v.
aussi Doc.parl. Chambre 2008-09, n° 52-2127/004, p. 10-11.
2207
Cass. 10 juin 2009, JLMB 2009, p. 1394, note A. JACOBS ; v. également Cass. RG P.09.1005.F, 14 oct. 2009.
2208
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen »,
l.c., p. 115.
2209
Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/4, p. 170-171 et p. 253 et s.
2210
CEDH, Van de Hurk c. Pays-Bas, préc. et CEDH, Taxquet c Belgique, préc. (supra, n° 2033).

354
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

culpabilité et que les magistrats de carrière ne peuvent intervenir qu’après ce moment, une
telle constatation n’est pas improbable. En effet, l’ignorance des jurés sur le niveau juridique
contient de risques considérables.2211 Pensons au cas où les jurés ont été convaincus de
manière déterminante par le témoignage d’un témoin anonyme, en dépit de l’avertissement
du président. Pensons également au cas où ils donnent des motifs multiples, voire
contradictoires et a fortiori, au cas où le jury, se cachant derrière le secret de la délibération,
ne donne pas de motifs.2212 En vertu de l’article 330 du Code d’instruction criminelle le
nombre de suffrages ne peut pas être exprimé hormis le cas de déclaration affirmative sur le
fait principal à la simple majorité. Comment les professionnels seront-ils, le cas échéant, en
mesure de rédiger la motivation ? Cette question semble davantage pénible s’il n’y pas de
décision avouée, par exemple en cas d’égalité des voix (six-six), et si les six membres
favorables à l’acquittement ne présentent, en dépit de l’obligation légale, pas leurs motifs. La
cour pourrait-elle, le cas échéant, suffire avec une simple déclaration : « l’accusé est acquitté
sur base de doute » ?

En cas de condamnation, il faut quand même être plus exigeante. Si les magistrats
professionnels constatent des motifs contradictoires, impertinents, inacceptables, voire
simplement inexistants, pour aboutir à la culpabilité, ils pourraient, soit essayer de procurer
eux-mêmes une justification juridique à la décision prise, au risque de ne plus refléter
l’analyse faite par les jurés et d’outrepasser leur mandat, soit décider d’office d’envoyer à
l’unanimité des voix l’affaire à une autre cour d’assises. Il semble en effet à première vue que
le législateur a maintenu le garde-fou de l’ancien article 352 du Code d’instruction
criminelle. La portée de la nouvelle disposition est pourtant différente. Dans le passé, la cour
pouvait renvoyer à la session suivante si elle était unanimement convaincue que les jurés « se
sont trompés au fond ». Désormais, l’article 336 du même code ne le prévoit que si les jurés
« se sont manifestement trompés concernant les principales raisons, en particulier en ce qui
concerne la preuve, le contenu de termes juridiques ou l'application de règles de droit, ayant
mené à la décision ». Les magistrats ne peuvent donc pas être contraints de rédiger une
motivation contraire aux règles générales de preuves, mais ils ne peuvent plus appliquer ce
pouvoir s’ils ne s’accordent pas en ce qui concerne la fiabilité d’un ou certains
témoignages.2213 Les professionnels ne peuvent donc pas outrepasser la décision du jury si

2211
Supra, n° 246.
2212
En témoigne par exemple un arrêt de la Cour d’assises d’Anvers du 4 mai 2009, sanctionné par Cass. AR
P.09.0903.N, 17 nov. 2009 (supra, note 2059).
2213
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De Wet van 21 december 2009 tot hervorming van het hof van assisen »,
l.c., p. 116.

355
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

celle-ci peut bien être motivée par des preuves. L’ajout du « manifestement » implique en
outre le souhait d’éviter des interventions inconscientes de la part de la magistrature.

Compte tenu du fait qu’avec l’obligation de motiver, les erreurs du jury seront
davantage visibles, cette disposition risque de voir son application accrue. Or, un
accroissement sensible du nombre de renvois pourrait être de nature à causer des écueils
énormes pour un système ‘à bout de souffle’ sur le plan des moyens disponibles et
menacerait l’organisation de notre appareil judiciaire. De plus, il en découle également que la
souveraineté du jury sera remise en cause non directement par le législateur, mais
indirectement par le corps judiciaire. Si le législateur n’a pas l’audace de porter atteinte à la
souveraineté du jury populaire en permettant un délibéré mixte, il semble avoir facilité
l’opportunité des magistrats de carrière. Ce régime de contrôle de la motivation « porte en
lui-même les stigmates du peu de confiance par la loi à la clairvoyance du jury ».2214 Etait-ce
pour cette raison, et notamment pour tempérer une ingérence ‘injustifiée’ dans la décision du
jury, que la loi du 21 décembre 2009 n’a finalement retenu ce pouvoir de la cour qu’en cas de
condamnation, et non d’acquittement ? Si, en cas de déclaration ‘non coupable’, les juges
professionnels constatent qu’il est question d’une erreur concernant « la preuve, le contenu
de termes juridiques ou l'application de règles de droit, ayant mené à la décision », c’est
toujours fini, rideau, « Roma locuta, causa finita ». La souveraineté du jury est absolue à cet
égard. Ainsi que le remarquent à juste titre Damien Vandermeersch et Adrien Masset « ce
paternalisme de bon aloi nous paraît actuellement en rupture avec l’émergence des droits
des victimes et l’égalité procédurale entre parties ».2215

338. En guise de conclusion, il paraît que la motivation rime difficilement avec le jury
au sens propre du mot. L’échevinage s’y prêterait plus facilement. Telle est en tout cas
l’opinion de la Commission de réforme belge qui considère le délibéré mixte, et dès lors
l’ajout d’un component professionnel, comme une conditio sine qua non pour la motivation
des décisions criminelles. Si le législateur belge n’a pourtant pas suivi cette logique, il en est
toutefois de même pour son homologue français. Au lieu de juger la motivation des décisions
criminelles non nécessaire, ce dernier se rend-il compte de son incompatibilité avec
l’institution du jury ? Son immobilisme sur ce point, aussi déplorable qu’il soit2216, se
comprend à la lumière du recours étrange qu’il a instauré.

2214
A. MASSET et D. VANDERMEERSCH, l.c., p. 232.
2215
A. MASSET et D. VANDERMEERSCH, l.c., p. 229.
2216
Contra Ch. Jolibois qui énonçait que l’absence de motivation est de moindre importance par rapport au grand
projet d’instauration d’un double degré de juridiction (Ch. JOLIBOIS, « Le renforcement de la protection de la
présomption d’innocence et des droits des victimes : l’apport du Sénat », RSC 2001, p. 65 et s.). Nous ne pouvons que
regretter une telle déclaration.

356
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Section 2
L’absence d’(un vrai) appel en matière criminelle

339. La tâche herculéenne de juger étant, en matière criminelle, confiée à une instance
qui est loin d’être divine, la justice populaire semble exposée à deux risques particuliers :
d’une part, celui de voir les citoyens-juges se comporter de manière irresponsable, tel qu’en
témoignent des affaires analysées ci-dessus où ils cherchent son verdict par un ouija board ou
par un simple coup de dés2217 ; d’autre part, le risque d’erreur judiciaire au sens strict du
mot.2218 Il n’y a pas « d’agir sans erreur », tout doit alors être fait a priori afin de prévenir
les erreurs judiciaires et a posteriori afin de les réparer (§ 1 — La nécessité de protéger
contre un verdict erroné).2219

Sur ce dernier point, le droit criminel belge semble extrêmement déficient. Consacrant
de manière quasi-inconditionnelle la souveraineté du peuple, l’ancien article 350 de son Code
d’instruction criminelle disposait traditionnellement que « la déclaration du jury ne pourra
jamais être soumise à aucun recours ». Si Bérard des Glajeux écrivait en 1892 que le
jugement criminel « n’a pas de lendemain »2220, cela vaut encore pour la procédure d’assises
belge en vigueur. Le droit français et le droit anglais offrent-ils alors davantage de garanties
sur ce point ?

A première vue, la réponse à cette question semble affirmative, les deux connaissant
formellement un ‘appel’ contre les décisions criminelles. Ainsi l’Angleterre permet déjà
depuis 1907 une réformation de la décision du jury par la Court of Appeal. La France connaît
depuis la fameuse loi du 15 juin 2000 un appel contre les décisions de la cour d’assises.
Pourtant, une analyse plus approfondie révélera que les voies de recours instaurées sont loin
de se rapprocher de ce qui est habituellement connu en tant qu’‘appel’ (§ 2 — Tentatives

2217
J.R. SPENCER, « Does Our Present Criminal Appeal System Make Sense ? », Crim. L.R. 2006, p. 688.
2218
Pour les différentes notions d’erreur judiciaire, v. Ch. LAZERGES, « Réflexions sur l’erreur judiciaire », l.c., p.
709-710. Au sens strict il s’agit d’une erreur commise dans l’appréciation de la culpabilité qui ne peut surgir qu’au
procès pénal. Au sens large, il est question d’un dysfonctionnement de la justice pénale, qui résulte par exemple d’une
longue détention provisoire des personnes innocentes, comme ce fut le cas dans le procès d’Outreau. Sensu stricto il
ne s’agissait là pas d’une erreur judiciaire, les accusés étant tous acquittées par la cour d’assises d’appel. V. également
Ph. CONTE, « Les galeux de la République ; à propos de l’affaire d’Outreau », JCP 2006, I, n° 101, p. 19-21.
2219
Ch. LAZERGES, « Réflexions sur l’erreur judiciaire », l.c., p. 710.
2220
B. des Glajeux, cité par F. CHAUVAUD, La chair des prétoires. Histoire sensible de la cour d’assises - 1881-1932,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 34.

357
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

prometteuses mais insatisfaisantes). Cela soulève une question essentielle : est-il überhaupt
possible de concilier le concept d’appel et la présence du peuple au sein de la cour d’assises ?
Et, si la réponse à cette question semble théoriquement négative, suffit-il, afin d’éviter des
erreurs judiciaires, de changer d’angle d’approche et de donner un nouveau contenu au droit
traditionnel de double degré de juridiction afin de permettre un contrôle du jury ?

§ 1 — LA FECESSITE DE PROTEGER COFTRE UF VERDICT ERROFE

340. Comme pour la nécessité de justifier les décisions judiciaires, il existe un large
consensus sur le besoin de protéger les justiciables contre un verdict erroné. Il en est de
même aux assises. Mais une telle nécessité implique-t-elle nécessairement d’instaurer un
contrôle de ses verdicts ? Le caractère sui generis de la procédure criminelle ne présente-t-
elle pas davantage de garanties que la procédure correctionnelle, de sorte qu’elle se trouve
préservée de l’organisation d’un appel (A — La ‘supériorité’ de la procédure criminelle ?) ?
En outre, la Cour européenne des droits de l’homme semble laisser aux Etats contractants une
liberté accrue par rapport à l’obligation d’un double degré de juridiction qu’elle prescrit dans
son article 2 § 1 du Protocole n° 7 de la CESDH (B — La conformité aux exigences
internationales). S’il est alors nécessaire de protéger les justiciables contre un verdict erroné,
un tel besoin ne semble pas imposer l’instauration d’un appel en matière criminelle. Pourquoi
le droit français et anglais n’ont-ils pas alors hésité à créer une deuxième étape dans la chaîne
du jugement criminelle, tandis que le droit belge demeure défaillant sur ce point ?

A — LA ‘SUPERIORITE’ DE LA PROCEDURE CRIMINELLE ?

341. Un argument souvent avancé pour justifier l’absence traditionnelle d’un double
degré de juridiction en matière criminelle, est celui selon lequel cette absence n’est que
relative. Tout d’abord, la cour d’assises n’est pas le seul endroit auquel l’appel fait défaut. Sa
procédure n’est donc guère exceptionnelle à cet égard. Ainsi, il existe en droit belge, pour les
infractions emportant une peine correctionnelle et commises par des magistrats
limitativement2221 énumérés à l’article 479 du Code d’instruction criminelle, un privilège de
juridiction, ce qui implique que la cour d’appel est en premier et dernier ressort
compétente.2222 Lorsque le législateur instaure un appel, disait l’ancienne Cour d’Arbitrage
belge, il ne peut pas le faire de façon discriminatoire.2223 L’absence d’un double degré de

2221
Cass. 7 oct. 1963, RW 1963-64, p. 1651.
2222
Eventuellement une autre cour d’appel que celle dont relève le prévenu (Cass. 21 juin 1995, Pas. 1995, I, p. 672).
Pour plus de details, v. R. VERSTRAETEN, « Voorrecht van rechtsmacht » in L. DUPONT et B. SPRIET, Strafrecht voor
rechtspractici, IV, Leuven, Acco, 1991, p. 95 et R. DECLERCQ, o.c., p. 609, n° 1295.
2223
C.C. n° 60/96, 7 nov. 1996, JLMB 1996, p. 1692 et RDPC 1997, p. 667.

358
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

juridiction pour les personnes auxquelles s'applique le privilège de juridiction, n'est pourtant
pas manifestement déraisonnable. Le fait d’être jugé par des cours qui se situent au sommet
des juridictions de fond et, de surcroît, par un siège nécessairement composé de trois
magistrats constituerait, pour les personnes tombant sous le champ de l'article 479, une
garantie suffisante. De plus, le fait de priver, par l’application des règles de connexité,
d’autres personnes attraits devant la cour d'appel en même temps que celles auxquelles
s’applique le privilège de juridiction, ne relèverait pas non plus, selon la Cour d’Arbitrage,
d’une discrimination. S’il s’avère souhaitable, pour une bonne administration de la justice,
d’éviter des décisions inconciliables sur des faits commis à la fois par des personnes
mentionnées à l’article 479 du Code d’instruction criminelle et d’autres personnes, cela
« n’emporte pas que les seconds puissent être privées d’un double degré de juridiction sans
que l’article 10 de la Constitution soit violé ».2224 Toutefois, afin d’éviter la multiplicité des
instructions et des débats, qui serait de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité
judiciaire, la différence de traitement entre les personnes étant renvoyées devant la cour
d’appel conjointement avec des magistrats et celles qui sont renvoyées devant la juridiction
de droit commun, peut se justifier.

342. En deuxième lieu, le jugement des infractions commises par des ministres
pendant l’exercice de leur fonction appartient, depuis la modification de la Constitution belge
par la loi du 12 juin 1998, à la Cour d’appel de Bruxelles (art 103 Constitution)2225, qui siège
alors à sept magistrats. Pour les infractions commises en dehors de leur fonction mais pour
lesquelles ils sont jugés au cours de l’exercice de leur mandat, le jugement appartient à la
cour d’appel territorialement compétente et qui siège dans ce cas à cinq magistrats. En
France, rappelons que dans ce cas, la Cour de Justice de la République est compétente en
premier et dernier ressort.2226 Ces arrêts peuvent uniquement être attaqués par la voie de
recours de cassation.

Il convient de constater qu’il s’agit dans ces deux cas du jugement de personnes dans
un contexte spécifique, ce qui justifie l’exception à cet égard. Ainsi la Cour d’Arbitrage belge
énonçait que cette exception a été instaurée afin de garantir à l’égard de ces personnes une
justice impartiale et sereine, pour éviter des poursuites téméraires, injustifiées et vexatoires
tout comme un traitement trop sévère ou indulgent.2227 Or, la situation des criminels devant la
cour d’assises est-elle suffisamment spécifique pour justifier également une exception sur ce

2224
Ibid., consid. B.8.
2225
Loi du 12 juin 1998 relative à la modification de la Constitution, MB 16 juin 1998, p. 19579. Antérieurement, leur
jugement relevait de la compétence de la Cour de cassation.
2226
Loi du 12 juin 1998 – Modification de la Constitution, MB 16 juin 1998, p. 19579 (supra, n° 328).
2227
C.C. n° 60/96, 7 nov. 1996, préc., consid. B. 3.

359
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

point ? En premier lieu, l’argument pourrait être avancé que la cour d’assises se trouve déjà
au niveau de la cour d’appel.2228 Il serait donc difficile de confier la mission de contrôle à
cette dernière qui deviendrait dans ce cas une sorte de troisième degré. Cela n’empêche
pourtant pas d’imaginer d’autres formules d’appel ou, plus ambitieusement, que la création
d’une instance de contrôle conduirait à redessiner la carte judiciaire.

En deuxième lieu, la procédure criminelle serait, selon différents auteurs dont Faustin
Hélie2229, entourée de garanties suffisantes pour éviter des erreurs judiciaires, en amont et
pendant le procès criminel (1), ainsi qu’en aval du verdict du jury (2). Aucune affaire n'étant
traitée de manière aussi approfondie qu'une affaire devant le jury, l'organisation de sa
procédure garantirait dans son ensemble le respect des droits de la défense. Le faible taux de
pourvois en cassation contre ses décisions ne l’atteste-t-il pas ?

1. En amont et pendant le procès criminel

343. En amont du procès d'assises, il existe en Belgique — et en France avant la loi


du 15 juin 2000 — un double degré d'instruction. Contrairement à la procédure
correctionnelle, la saisine de la juridiction de jugement doit, en matière criminelle, toujours
être précédée d'une instruction, elle-même soumise à un contrôle. La chambre du conseil ne
peut pas ordonner le renvoi à la cour d’assises. Estimant que les faits dont elle est saisie
constituent un crime, cette chambre doit rendre une ordonnance de transmission des pièces
afin que le procureur général saisisse la chambre des mises en accusation (ancienne chambre
d’accusation en droit français). C'est à celle-ci qu'il appartient de saisir la cour d’assises par
un arrêt de mise en accusation si, après un nouvel examen de l’affaire, elle considère que
l'individu soupçonné est coupable d'un crime (art. 221 et 231 CIC ; en France ancien art. 181
CPP). Dans son Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procédure pénale,
René Garraud avait merveilleusement décrit le rôle de la chambre d'accusation: « Son
intervention marque une phase régulière et nécessaire de la procédure criminelle préalable.
La chambre des mises en accusation ne peut pas ne pas être saisie. Elle sert de concierge à
la cour d’assises, dont elle ouvre ou ferme définitivement la porte d'entrée. En effet, sans la
décision qu'elle rend sur ce point, aucun individu ne peut être traduit devant une cour
d’assises ».2230 Elle permet d’éviter que la cour d’assises ne soit saisie d'affaires peu solides
et constitue donc un filtre supplémentaire « de l'existence de laquelle on déduisait que les
risques d'erreur deviendraient rarissimes ».2231

2228
Crim. 15 nov. 1855, D. 56-1-79 et Crim. 29 janv. 1857, D. 57-1-74, cités par C. GERBET, o.c., p. 325.
2229
F. HELIE, o.c., tome 3, p. 330, n° 4557.
2230
R. GARRAUD, o.c., tome III, n° 1037.
2231
W. JEANDIDIER, La juridiction d'instruction de second degré, Paris, Ed. Cujas, 1982, p. 42.

360
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

344. Contrairement à l’opinion défendue par certains auteurs2232, un tel double degré
d’instruction ne suffit néanmoins pas à combler l’absence d’appel devant les juridictions de
jugement, ce que la France a bien compris en le supprimant par la loi du 15 juin 20002233. En
particulier, la pratique française mettait en exergue les faiblesses de cette étape de la
procédure pénale. Souvent, la chambre d’accusation n’allait pas au-delà d’un simple contrôle
formel en reprenant in extenso l'ordonnance de renvoi, tant dans ses motifs que dans l'objet
de sa décision. Elle ne complétait pas l'instruction et se comportait plutôt comme une
chambre d'enregistrement.2234 En outre et surtout, elle ne pouvait pas, dans le respect du
principe de la présomption d’innocence, usurper le rôle du juge de jugement.2235 Tel est
encore le cas en droit belge où la chambre des mises en accusation n’examine que l'existence
de charges suffisantes et ne peut pas s’exprimer sur la valeur des preuves. En effet, la mise en
examen n’est pas la même chose qu’une condamnation ; la décision d’instruction n’est pas un
préjugé de l’affaire et la détention provisoire ne constitue pas une peine.2236 Dès lors, le
double degré d'instruction ne garantit pas de manière satisfaisante le respect des droits de la
défense et ne peut pas pallier l'absence du double degré de juridiction en matière criminelle.

345. Pour le droit anglais, rappelons que le président de la Crown Court peut lui-
même exercer cette fonction de filtre en usant de son pouvoir d’ordered acquittals.2237 Ce
pouvoir lui permet d’acquitter l’accusé avant le début du procès pour cause de faiblesse de
l’affaire ou d’insuffisance des preuves produites par l’accusation. Ainsi que nous l’avons
indiqué précédemment, ces issues précoces qui préservent les accusés de l’omnipotence de
l’accusation représentent une part importante des acquittements prononcés par la Crown
Court. Nombre d’affaires ne passent pas le cap de ce filtrage, ce qui semble témoigner de
l’empire que conquiert le juge professionnel sur le sort de l’affaire au détriment des citoyens-
juges. Afin de revaloriser le jury dans son rôle, le législateur a récemment créé la possibilité
d’interjeter un appel contre ces décisions depuis le Criminal Justice Act de 20032238.

346. Pendant le procès criminel, plusieurs garde-fous cherchent à offrir à l’accusé le


maximum de garanties. Nous rappelons qu’un soin particulier est accordé à la composition du
jury.2239 Avec la récusation et le serment, on souhaite garantir l’impartialité des jurés ; avec la

2232
M. FRANCHIMONT in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil, o.c., p. 44 ; v. également le Haut
Comité Deniau : « le deuxième degré obligatoire au stade de l'instruction […] n'a été introduit dans notre droit qu'à
raison du défaut d'un deuxième degré de jugement » (Rapport DENIAU, l.c.).
2233
Infra, n° 376.
2234
W. ROUMIER, o.c., p. 161, n° 285.
2235
V. néanmoins M.-L. Rassat, cité par W. ROUMIER, o.c., p. 162, n° 287.
2236
M. LEMONDE, « L'appel en matière criminelle. Le beurre et l'argent du beurre? », l.c., p. 87.
2237
Supra, n° 257.
2238
B.P. BLOCK, l.c., p. 106 (infra, n° 352).
2239
Supra, n° 130.

361
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

procédure de trial within trial on veut contrôler les preuves auxquelles ils ont accès. La
solennité des débats, la plénitude de juridiction, tout comme le délibéré mixte français et les
règles de vote exigeantes — avec, en droit belge, le garde-fou en cas de majorité simple (art.
335 CIC) —, s’inscrivent dans cette volonté : « le délinquant a droit, c'est vrai, à un double
examen de son affaire, mais il est jugé en tout par six personnes, souvent en quelques minutes
à chaque degré, et au vu principalement d'une procédure écrite; le criminel est jugé par
douze personnes, qui lui consacrent au minimum une après-midi, souvent plusieurs journées,
parfois plusieurs semaines ... et qui se déterminent à l'issue d'une procédure orale entraînant
l'audition de tous les experts, de tous les témoins, et après une délibération réglementée qui
peut durer plusieurs heures. Peut-on vraiment affirmer que ces garanties ne compensent pas
l'absence de double degré ? ».2240 Toutefois, dans le sillage de Raoul Declercq, il nous
semble que l’argument selon lequel l’absence d’appel se justifie par la ‘supériorité’ de la
procédure criminelle sur le plan des garanties n’est qu’un sophisme. En effet, si tel était le
cas, chaque appel pourrait être supprimé à condition que la procédure en premier degré se
soit déroulée de manière correcte et satisfaisante.2241

2. En aval du verdict du jury

347. Postérieurement au verdict du jury existait, dans la procédure française ancienne,


la possibilité pour les juges professionnels d’ordonner une nouvelle décision émanant d’un
jury ‘renforcé’.2242 Ceux-ci avaient en outre la faculté particulière de surseoir au jugement de
condamnation trompeur du jury en vertu de l’ancien article 352 du Code d’instruction
criminelle, celui-ci étant sous certaines conditions strictes toujours en vigueur en droit belge,
mais dans une formule modifiée (art. 336 CIC).2243 Toutefois, ce garde-fou ne constitue ni un
droit de la défense, ni un équivalent ou un substitut du droit d’appel. L’accusé n’a pas le droit
de demander aux juges d’exercer cette prérogative. D’ailleurs, l’affaire est portée devant un
autre jury qui juge en premier et dernier ressort.

348. Hormis cela, le condamné par la cour d’assises ne dispose, en Belgique (et
autrefois en France), que des voies extraordinaires de recours telles que le pourvoi en
cassation, la demande en révision et, plus récemment, le réexamen ou la réouverture du
procès après une condamnation prononcée par la CEDH. Ces voies de recours n’étant
toutefois envisageables que dans certaines limites, des erreurs judiciaires peuvent uniquement
être réparées lorsqu’elles entrent dans le champ d’application de ces procédures.

2240
Rapport d’A. BRAUNSCHWEIG, L'appel en matière criminelle, févr. 1982, cité par J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275
(1996-97), l.c. Dans la même ligne d’idées, v. K. Gerard, citée par N. GHISLAIN, l.c., p. 2-3.
2241
R. DECLERCQ, « Het Hof van Assisen veroordeeld », l.c., p. 102.
2242
Supra, n° 253.
2243
Supra, n° 254.

362
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

349. Le pourvoi en cassation2244 a pour seule mission de veiller au respect de la loi et,
en particulier, des règles de forme ou des vices de procédure2245. Cela est en soi bien
justifiable dans la mesure où ces règles ont été établies en faveur des parties en cause. Par sa
nature particulière, la Cour de cassation ne peut pas toucher à l'appréciation donnée par la
cour d’assises à un élément de preuve. Ne pouvant invoquer aucun moyen juridique, cette
Cour est inaccessible aux parties mécontentes du verdict. Seuls les cas de violation de la loi
ou d’excès de peine infligée par la cour d’assises peuvent l’amener à faire rejuger l'affaire. La
mission de la Cour de cassation se distingue alors de celle de la cour d’appel : la première
souhaite préserver la rule of law ; la dernière aspire à la protection contre a wrong result, une
erreur judiciaire au sens ordinaire du mot, à savoir la condamnation d’une personne innocente
ou l’acquittement d’un coupable, ce qui s’avère malheureusement possible même en
respectant toutes les règles procédurales.2246

On pourrait avancer qu’en raison des formes particulièrement rigoureuses de la


procédure d’assises, il serait en pratique presque toujours possible d'invoquer la
méconnaissance réelle ou prétendue d'un point procédural.2247 Pourtant, selon le rapport de
Jean-Marie Girault, les arrêts de la cour d'assises française ne donnent en pratique que
rarement lieu à un pourvoi en cassation (environ 8%).2248 Loin de signifier que la cour
d’assises fonctionne alors de manière satisfaisante, cela semble plutôt faire référence au
caractère aléatoire de la cassation.2249 De plus, le remède en cas de cassation consiste à
attribuer aux parties en cause un nouveau procès auquel les règles de due process seront
appliquées de manière satisfaisante dans le respect de la rule of law. La Cour suprême
renvoie alors la décision finale au jury populaire, laissant ainsi intacte la souveraineté du
peuple.

350. Une autre voie de recours extraordinaire, qui existe tant dans la procédure
française qu’en Belgique, est la procédure de révision. En permettant de rectifier des erreurs
de fait et de déroger au principe de l’autorité de chose jugée, cette voie de recours va au-delà

2244
En vertu de l’art. 346 al. 2 CIC le président de la cour d’assises belge est obligé de signaler à l’accusé la faculté
d’un pourvoi en cassation dans un délai de quinze jours. En cas d’omission, il n’y a pas de nullité mais le délai de
cassation ne court pas.
2245
Pourtant, ainsi que W. Roumier le fait remarquer, son contrôle est parfois un contrôle déguisé des faits. Ainsi, la
Cour de cassation effectue une vérification de la constatation du juge de fond quant aux éléments constitutifs de
l’infraction et causes d’irresponsabilité ou circonstances entraînant l’extinction de l’action publique. En l’absence de
vice procédural, sa procédure reste toutefois fermée et seules la révision ou la grâce du Président de la République
sont à envisager (W. ROUMIER, o.c., p. 173, n° 306).
2246
J.R. SPENCER, « Does Our Present Criminal Appeal System Make Sense ? », l.c., p. 683.
2247
J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c.
2248
Ce pourcentage est en baisse selon les dernières statistiques ; une cassation effective n’a que rarement lieu (J.-M.
GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c. ; v. également Y. CORNELOUP, « La justice criminelle : pouvoir ou
autorité ? », Gaz. Pal. du 21 sept. 1999, p. 1338).
2249
Y. CORNELOUP, l.c., p. 1338.

363
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

d’un pourvoi en cassation (art. 622 à 626 CPP et 443-447 CIC).2250 Pour cette raison, elle est
parfois qualifiée d’« ultime voie de recours ».2251 En effet, bien qu’une décision définitive
obtienne autorité de chose jugée et est alors considérée comme la vérité, elle peut toujours
être entachée d’une erreur de fait. Pour y remédier, le législateur a mis sur pied une voie de
recours particulière dans le seul intérêt de la victime de cette erreur : le condamné. Toutefois,
dans la mesure où elle porte atteinte au principe de sécurité juridique, la révision ne peut être
qu’exceptionnelle dans son application. En premier lieu, elle ne concerne que l’erreur de fait
en cas de condamnation. Tant l’erreur de droit que, en France, les arrêts d’acquittement sont
alors devenus irrévocables et ne peuvent faire l’objet que d’une cassation dans l’intérêt de la
loi, celle-ci ne pouvant pas être préjudiciable à la personne acquittée et étant en outre
réservée au procureur général (art. 620-621 CPP). Ainsi que nous l’analyserons plus loin, la
loi du 21 décembre 2009 sur la réforme de la cour d’assises belge semble permettre un
pourvoi en cassation contre un acquittement bien que l’article 409 du Code d’instruction
criminelle demeure sans modification.2252

La révision est ensuite entourée de conditions strictes. Ainsi, elle n’est envisageable
que dans les cas limitativement prévus par la loi2253, tels que de nouvelles preuves2254 ou des
indices ignorées par le juge de premier ressort et dès lors découverts postérieurement au
premier procès, et qui sont susceptibles de remettre en cause la décision définitive (art. 622,
4° CPP et art. 443, 3° CIC).2255 S’il était, en vertu de la loi française du 8 juin 18952256 et
dans la procédure belge actuellement en vigueur (art. 443, 3° CIC2257), nécessaire qu’un tel
fait établisse l’innocence du condamné, il suffit depuis la loi française ‘Seznec’ du 28 juin

2250
Pour les origines de cette procédure, v. W. ROUMIER, o.c., p. 166-167, n° 294.
2251
M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 272.
2252
Infra, n° 374.
2253
Ainsi la demande en révision n’est ni possible contre un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
(Crim. 5 mai 1994, Bull. crim. 171), ni contre une condamnation pour contravention (Crim. 5 mai 1994, Bull crim.
172), ni contre une condamnation à des dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile (Crim. 4 nov.
1996, Bull. crim. 390 ; W. ROUMIER, o.c., p. 165, note 644).
2254
Parfois il s’agit cependant d’une nouvelle interprétation du fait plutôt que d’un nouveau fait. En acquittant l’auteur
principal, la cour d’assises de renvoi fait disparaître le fait principal et il n’y a plus de socle nécessaire pour la
responsabilité du complice définitivement condamné en première instance. Cela peut pourtant paraître choquant
lorsque le complice n’avait pas instauré un appel contre la décision (Crim. 24 mai 2006, AJpénal 2006, p. 316, obs. C.
GIRAULT). Contrairement à la Cour de cassation qui semble juger que le non-exercice du droit de recours revient, pour
l’accusé, soit à renoncer à l’établissement de son innocence, soit à accepter de manière tacite la justesse de la
condamnation prononcée (Crim. 21 mars 1994, Bull. crim. 107), il pourrait y avoir d’autres raisons du non-exercice de
cette voie de recours, telle que l’impossibilité d’interjeter appel pour cause d’absence ou d’incapacité à assumer les
frais supplémentaires pour poursuivre la procédure (M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 282-283).
2255
La proposition de l’élargir dans d’autres cas, sans nouveaux faits (JORF AF CR séance du 25 mars 1999, p. 2959),
ne peut dès lors pas être retenue sans détourner la procédure de révision (W. ROUMIER, o.c., p. 168, n° 295). Il en
découle que le premier juge demeure à l’abri de critiques, celui-ci ne disposant pas de toutes les informations.
2256
Loi du 8 juin 1895 sur la révision des procès criminels et correctionnels et les indemnités des victimes d’erreurs
judiciaires, Duvergier, tome 95, p. 213.
2257
« Si la preuve de l'innocence du condamné ou de l'application d'une loi pénale plus sévère que celle à laquelle il a
réellement contrevenu paraît résulter d'un fait survenu depuis sa condamnation ou d'une circonstance qu'il n'a pas
été à même d'établir lors du procès ».

364
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

1989 — qui a réformé cette procédure après quelques déplorables erreurs judiciaires2258 —,
qu’il soit de nature à jeter un doute sur sa culpabilité dans la mesure où le doute doit
bénéficier au coupable.2259 La révision prononcée le même jour pour les affaires Machin et
Sécher en constitue un exemple tout récent.2260 La révision est ensuite possible en cas de
condamnation d’un autre accusé pour le même fait afin d’établir l’innocence du condamné
(art. 622, 2° CPP et art. 443, 1° CIC) et lorsqu’un témoin entendu a ultérieurement été
condamné pour faux témoignage (art. 622, 3° CPP et art. 443, 2° CPP).2261 Finalement, la
révision peut être demandée lorsqu’après une condamnation pour homicide, sont présentées
des pièces propres « à faire naître de suffisants indices » sur l’existence de la prétendue
victime de l’homicide (art. 622, 1° CPP ; pour le droit belge, v. art. 445 in fine CIC). Comme
après une cassation, la révision donne lieu à un nouveau procès d’assises. L’arrêt de la cour
d’assises française n’étant pas motivé, l’appréciation des faits ne saurait pas uniquement
relever de la Commission de révision.2262 Instaurée dans l’intérêt du condamné, la juridiction
de renvoi ne peut pas prononcer une condamnation plus sévère.2263

La pratique ne donne que très rarement lieu à une révision. Elle semble plutôt utilisée
afin de clarifier le nom d’une personne condamnée plusieurs années après sa condamnation,
ou même post mortem.2264 En France, l’affaire Dils, considérée comme l’une des plus graves
erreurs judiciaires de l’histoire française, constitue un exemple connu. Il s’agit du premier
mineur condamné à une peine de réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises des
mineurs de la Moselle en 1989. Après la révision pour nouveaux faits en avril 20012265, P.
Dils a de nouveau été condamné par une autre cour d’assises des mineurs en juin de la même
année. Disposant maintenant d’un droit d’appel, il fut finalement acquitté après trois procès
d’assises en avril 2002.2266 Si la procédure de révision a donc bien ses mérites, c’est
2258
Loi n° 89-431 du 23 juin 1989 relative à la révision des condamnations pénales, JORF 1er juill. 1989, p. 8145.
Cette loi réalisait la judiciarisation et l’unification de la procédure de révision (M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 273).
2259
Crim. 14 mai 1927, Bull. crim. 114 ; F. DEFFERRARD, « Le doute, le suspect et l’innocence », (note sous Cass. 3
avr. 2001), D. 2001, p. 2228.
2260
Crim. 13 avr. 2010, Bull. crim. 71 et 72 et D. Actualité 21 avr. 2010, obs. L. PRIOU-ALIBERT.
2261
Selon la Cour de cassation il s’agit d’un témoignage qui, ayant été reçu avant que la condamnation à réviser ait été
prononcée, est susceptible de jeter une suspicion soit sur la décision elle-même (lorsque ce témoignage a été rendu en
la cause), soit sur la sincérité des dépositions qui l'ont précédée (lorsqu'il est recueilli dans une autre cause). V. Cass.
17 mars 2004, JT 2004, p. 475, concl. M.P. et RDPC 2004, p. 953, concl. J. SPREUTELS ; G. SCHAMPS, « La législation
et la jurisprudence ayant marquée le droit belge en 2004 en matière pénale et en procédure pénale », RSC 2005, chron.
p. 179.
2262
Comm. rév. 25 juin 2001, D. 2001, somm. p. 2878.
2263
Crim. 31 juill. 1909, D. 1912, I, p. 79.
2264
L’affaire belge d’Irma Laplasse en constitue un exemple. Cinquante années après son exécution (1945) pour
collaboration, Irma Laplasse fut, après une révision pour faux témoignages, condamnée à une détention à perpétuité
par la Cour militaire de Bruxelles (W. MOONS, Het proces Irma Laplasse, Groot-Bijgaarden, Scoop, 1996, 208p.). V.
également M. HARVEY, l.c., p. 193.
2265
Curieusement le tiers suspect n’avait rien avoué. Il n’y avait que des indices à son encontre. La présomption de sa
dangerosité extrême pour la société a pourtant suffit pour mettre en question la condamnation de P. Dils (Crim. 3 avr.
2001, D. 2001, p. 2227, note F. DEFFERRARD ; M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 279).
2266
F. DEFFERRARD, « Le doute, le suspect et l’innocence », l.c., p. 2229.

365
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

finalement l’instauration d’un appel en matière criminelle qui a permis de réparer cette
‘erreur judiciaire’. En effet, étant liée au contexte spécifique d’un élément nouveau, la
révision ne suffit pas à combler l’absence d’appel. En effet, en appel, on peut simplement
contester le bien-fondé de la première décision.2267 Pour la révision, il faut un élément
nouveau, jetant une nouvelle lumière sur l’affaire, qui se transforme alors nécessairement par
rapport à la première décision. En outre, l’accusé qui interjette appel est toujours présumé
innocent, malgré le verdict de première instance.

351. En Angleterre, il existe depuis 1995 (Criminal Appeal Act) une procédure
comparable de review par la Criminal Cases Review Commission (CCRC).2268 Il s’agit d’un
mécanisme qui identifie et permet de corriger des erreurs judiciaires. Il assure au public que
la justice reste une porte ouverte.2269 Avec le Human Rights Act de 1998, une telle innovation
en droit anglais s’inscrit dans la volonté de renforcer la position de la victime d’une
condamnation erronée, et de rendre la justice davantage user-friendly.2270 En particulier, la
CCRC doit décider de renvoyer une affaire à la cour d’appel lorsqu’il s’agit d’une
condamnation de la Crown Court, ou à la Crown Court s’il convient d’attaquer la décision de
la magistrates’ court. Contrairement à la procédure continentale, la décision de renvoi
incombe à une Commission indépendante et multidisciplinaire.2271

En énonçant des conditions précises, le législateur anglais veut également en limiter la


portée. Ainsi, un nouveau jugement de l’affaire est uniquement possible en cas de
« possibilité réelle » (real possibility)2272 que la condamnation ou la peine — prononcée sur
le sol anglais ou nord-irlandais — ne soit pas maintenue par la cour d’appel (s. 13 CAA
1995).2273 La commission peut prendre en considération des éléments de droit. Il faut, en
outre, que toutes les voies de recours aient été purgées — on a interjeté un appel ou une leave
to appeal a été refusée — et qu’interviennent un argument ou des éléments de preuve qui

2267
W. ROUMIER, o.c, p. 168, n° 295.
2268
Celle-ci remplaçait le Criminal Cases Unit (CCU) de l’Home Office (s. 17 CAA 1968) qui, par respect pour la cour
d’appel, n’exerçait ce pouvoir que rarement (R. NOBLES et D. SCHIFF, « The Criminal Cases Review Commission :
Establishing a Workable Relationship with the Court of Appeal », Crim. L.R. 2005, p. 173 et p. 176).
2269
G. ZELLICK, l.c., p. 950.
2270
A. JAMES, « Miscarriages of Justice in the 21th Century », l.c., p. 327.
2271
Sur la composition, v. K. MALLESON, « The Criminal Appeal Act 1995 : part 2 : The Criminal Cases Review
Commission : How Will it Work ? », Crim. L.R. 1995, p. 930. Sur la question de savoir s’il s’agit d’un tribunal au
sens de l’art. 6 CESDH, v. A. JAMES, « Miscarriages of Justice in the 21th Century », J.Crim.L. 2002, p. 331-332. En
Belgique, la demande en révision est portée devant la Cour de cassation ; en France elle est portée devant une
Commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation (art. 623 al. 2 CPP et art. 444 al. 2 CIC).
2272
Ce test, appliqué dans l’affaire Pearson (CCRC ex p Pearson [2000] 1 Cr. App. R. 141), suppose davantage
qu’une simple possibilité ou chance, mais peut-être moins qu’une probabilité, vraisemblance ou certitude.
2273
Si en vertu de la décision R (Dowsett) v CCRC [2007] EWCA Crim 1923, la CCRC n’est pas obligé de renvoyer
l’affaire à la cour d’appel en raison d’une condamnation prononcée par la CEDH, la (petite chambre de la) CEDH
considérait dans l’affaire Al Khawaja c. Royaume-Uni de 2009 (préc., § 34) que les exigences de l’art. 6-3 CESDH
constituent des droits minima qui doivent, en tant que garanties expresses et non simples illustrations, être accordés à
toute personne accusée d’une infraction.

366
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

n’ont pas été soulevés en première instance (s. 13 (1) CAA 1995).2274 A titre exceptionnel, ces
deux dernières conditions ne doivent pas être remplies (s. 13 (2) CAA 1995).2275

A la différence de la procédure continentale de révision — selon laquelle la Cour de


cassation doit en matière criminelle renvoyer à une autre cour d’assises —, la décision finale
incombe en droit anglais, à des magistrats professionnels, à savoir ceux de la cour d’appel à
laquelle la CCRC avait renvoyé. En vertu de s. 14 (5) CAA 1995, ceux-ci disposent d’une
discrétion une fois que l’affaire a été renvoyée. Ainsi, ils peuvent également considérer
d’autres arguments que ceux retenus par la CCRC pour le renvoi — il est possible que de
nouveaux éléments surgissent seulement après le renvoi2276 —, voire des arguments rejetés
par cette dernière. La cour d’appel, qui devrait se demander si un autre jury aurait pris cette
décision en tenant compte des nouveaux éléments, bénéficie dès lors d’un pouvoir unique :
elle dispose, comme seul organe, de la possibilité de rouvrir une condamnation criminelle.
Bien évidemment, le succès de la CCRC dépend aussi de la politique menée par la cour
d’appel. Si elle refuse généralement de porter atteinte au verdict du jury, la commission sera
aussi, pour ne dilapider ni son temps ni ses ressources, plus réticente à soumettre des affaires
à sa juridiction.2277 En pratique, 96% des affaires ne sont pas renvoyés.2278 Une fois celles-ci
renvoyées, les chances de succès sont pourtant considérables.

352. En deuxième lieu, et contrairement à la révision qui n’est possible qu’après


condamnation, le droit anglais permet également, depuis le Criminal Justice Act de 2003, un
nouveau procès après un acquittement si certaines conditions strictes s’avèrent remplies (part
10, s. 75, sch. 5).2279 En particulier, et à l’instar de la révision continentale, de nouvelles

2274
G. ZELLICK, « The Criminal Cases Review Commission and the Court of Appeal : the Commission’s
Perspective », Crim. L.R. 2005, p. 937. Ces conditions remplies, il n’y a pas de limite au nombre d’applications. Une
telle accessibilité illimitée, même après des refus antérieurs, fait l’objet de nombreuses critiques. La CCRC ne risque-
t-elle pas de devenir la victime de son succès (C.H. BRANTS, CCRC in Engeland en Wales, Universiteit Utrecht,
Willem Pompe Instituut voor strafrechtswetenschappen, 2006) ?
2275
K. MALLESON, « The Criminal Appeal Act 1995 : part 2 : The Criminal Cases Review Commission : How Will it
Work ? », l.c., p. 931.
2276
Poole [2003] Crim. L.R. 60, comm. G. UNDERHILL et D.C. ORMEROD ; selon l’affaire Day et Howell en revanche,
il faut uniquement considérer les arguments identifiés par la CCRC et ceux pour lesquels celle-ci donne une
autorisation spécifique (Day [2003] EWCA Crim 1060 et Howell [2003] EWCA Crim 01).
2277
K. MALLESON, « Appeals Against Conviction and the Principle of Finality », J.L.S. 1994, p. 154-155. Pour la
relation entre la CCRC et la cour d’appel, v. également R. NOBLES et D. SCHIFF, l.c., p. 173-189 et G. ZELLICK, l.c., p.
948. Un rejet de la requête, qui doit être motivé, peut être attaqué par un judicial review.
2278
R. NOBLES et D. SCHIFF, l.c., p. 174. En 2001, seulement 148 affaires des 4.481 applications ont été renvoyées à la
cour d’appel. Dans 55 de ces affaires, la condamnation fut annulée (A. JAMES, « Miscarriages of Justice in the 21th
Century », l.c., p. 327). En mars 2010, il y avait 11.871 applications complétées dont 454 ont été renvoyées et 414
entendues par la cour d’appel. Parmi celles-ci, 293 condamnations furent annulées (www.ccrc.gov.uk/).
2279
Il s’agit de l’implémentation du rapport de Macpherson et de la proposition de la Law Commission (I. DENNIS,
« Prosecution Appeals and Retrials for Serious Offences », Crim. L.R. 2004, p. 620). Auparavant, un nouveau procès
était déjà possible en cas de tainted acquittals (s. 54-57 CPIA 1996). Ces dispositions n’ont pourtant jamais été
utilisée (D. HAMER, « The expectation of Incorrect Acquittals and the ‘New and Compelling Evidence’ Exception to
Double Jeopardy », Crim. L.R. 2009, p. 65). Une autre application réside dans s. 107 (1) CJA 2003 en tant que garde-
fou à la révélation de preuves de mauvaise réputation de l’accusé, notamment lorsque le juge est convaincu que ces

367
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

preuves substantielles doivent semer un doute sur l’innocence de l’accusé (s. 78 CJA 2003).
Il s’agit de preuves tellement fortes que l’on prend le risque de soumettre la personne une
seconde fois au péril d’une condamnation.2280 Il s’agit par exemple des preuves ADN qui
surgissent après le premier procès.2281 Le cas échéant, il faut en outre que le nouveau procès
soit dans l’intérêt de la justice, que le DPP (Director of Public Prosecutions) et la cour
d’appel aient donné leur accord, et que cela ne fasse pas entorse au principe de ne bis in idem,
principe bien connu mais n’ayant pas de portée absolue. En effet, bien qu’une telle réforme
semble bafouer la règle fondamentale et ancienne contre le double jeopardy2282, elle n’est pas
incompatible avec le Pacte international ou le Protocole n° 7 additionnel à la CESDH, dans la
mesure où ceux-ci interdisent un deuxième procès pour des faits ayant conduit à une
condamnation ou à un acquittement par un jugement définitif. Le Protocole n° 7 permet
même, dans son article 4-2, la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure
pénale de l’Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés, ou un vice
fondamental dans la procédure précédente, sont de nature à affecter le jugement intervenu. La
réforme s’inscrit dans la volonté de rééquilibrer la justice pénale en prenant en considération
les droits de la victime.2283 Pourtant, afin d’éviter des abus et de sauvegarder l’autorité du
jury sur ce point, la liste des infractions relevant d’une telle réforme est limitée. Elle contient,
pour Angleterre, vingt-neuf infractions, toutes punissables à perpétuité : assassinat, meurtre,
kidnapping, viol, vol avec armes, … Ces dispositions, entrées en vigueur le 4 avril 2005 mais
s’appliquant de manière rétroactive, ont été appliquées pour la première fois dans l’affaire
Dunlop en 2006.2284 Jugeant toutes les conditions remplies, le retrial de M. Dunlop qui,
postérieurement à son acquittement, avait reconnu sa culpabilité, a conduit à sa
condamnation. A l’instar de la révision continentale, le nouveau procès est porté devant un
autre jury. Le verdict final restant entre les mains du peuple, l’attaque du jury n’est dès lors
que relative.2285

353. Une dernière voie de recours extraordinaire concerne la procédure française de


réexamen et la procédure belge de réouverture de la procédure après une condamnation de la
CEDH. Celles-ci sont respectivement issues de la loi française du 15 juin 2000 et de la loi

preuves sont tellement contaminées qu’une condamnation éventuelle ne sera pas sûre. Après une décharge du jury, un
nouveau procès s’avère dans ce cas également possible.
2280
I. DENNIS, « Prosecution Appeals and Retrials for Serious Offences », l.c., p. 635.
2281
Il est également possible que la preuve en question ait été connue avant le verdict en première instance, mais
qu’elle n’ait pas été soulevée (I. DENNIS, « Prosecution Appeals and Retrials for Serious Offences », l.c., p. 633).
2282
J. SPRACK, A Practical Approach to Criminal Justice, o.c., p. 298-299.
2283
Selon D. Hamer l’importance de cette possibilité transcende l’application symbolique (D. HAMER, l.c., p. 64).
2284
Dunlop [2006] EWCA Crim 1354 ; contra Miell [2008] 1 W.L.R. 627.
2285
I. DENNIS, « Prosecution Appeals and Retrials for Serious Offences », l.c., p. 637-638.

368
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

belge du 1er avril 20072286. Avant ces dates, une condamnation prononcée par la Cour de
Strasbourg n’avait qu’un effet déclaratif et était dès lors sans incidence directe sur la décision
des juridictions nationales2287, les Etats membres disposant d’une liberté de choix quant aux
moyens pour se mettre en conformité et s’acquitter de leurs engagements internationaux (art.
46 CESDH).2288 En vertu de l’article 41 CESDH, la partie lésée pouvait uniquement obtenir
une ‘satisfaction équitable’. La condamnation subsistait, consacrant dès lors le concept
absolu de souveraineté nationale et l’autorité de chose jugée. Il en résultait que la partie lésée
continuait de subir les conséquences négatives d’une condamnation. Pour y remédier, le
législateur a jugé opportun d’intervenir en inventant une nouvelle procédure plutôt qu’en
amendant la procédure existante de révision2289. En effet, au-delà d’une simple appréciation
des faits, la Cour européenne fait également des considérations de droit.

La nouvelle procédure de réexamen/réouverture est entourée de conditions


spécifiques (art. 626-1 à 626-7 CPP et art. 442bis-442octies CIC).2290 En particulier, un
réexamen ou une réouverture est uniquement possible en cas de condamnation définitive par
la CEDH.2291 Ni une telle décision de la Commission des droits de l’homme, ni une décision
d’irrecevabilité2292, ne sont suffisantes. A la différence de la révision qui n’est possible qu’en
matière criminelle et correctionnelle, le réexamen est possible pour toute personne
condamnée, peu importe qu’il s’agisse d’un crime, d’un délit ou d’une contravention, pour
autant qu’il y ait violation de l’une des dispositions de la Convention ou de l’un de ses
protocoles additionnels. Toutefois, une condamnation ne suffit pas à fonder une demande de
réexamen. Il faut en outre justifier la persistance des conséquences dommageables qui en
résultent (art. 626-1 CPP et art. 442quinquies CIC). Si la Cour a par exemple constaté une

2286
Loi du 1er avril 2007 modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de la réouverture de la procédure en
matière pénale, MB 9 mai 2007, p. 25415 qui entrait en vigueur le 1er déc. 2007. Cette nouvelle procédure fut créée
après la condamnation par la CEDH de la Belgique dans l’affaire Göktepe du 2 juin 2005 (supra, n° 309). En France,
quelques affaires médiatiques déplorables eurent la même répercussion (affaire Remli et Hakkar ; M. ORILLARD-
LENA, o.c., p. 232 -233).
2287
Crim. 3 févr. 1993, Bull. crim. 57, D. 1993, p. 515, note J.-F. RENUCCI et JCP 1994, II, n° 22197, note P.
CHAMBON et Crim. 4 mai 1994, Bull. crim. 166, D. 1995, p. 80, note J.-F. RENUCCI et JCP 1994, n° 22349, note P.
CHAMBON (W. ROUMIER, o.c., p. 169, n° 297).
2288
CEDH 29 nov. 1991, Vermeire c. Belgique, n° 12849/87, § 26 et CEDH 13 juill. 2000, Scozzari et Giunta c. Italie,
n° 39221/98 et 41963/98, § 249.
2289
Proposition de J. LANG, JORF AF CR séance du 10 févr. 2000 p. 1009-1010 (W. ROUMIER, o.c., p. 169, note 663).
2290
Pour une analyse plus approfondie, v. E. DREYER, « A quoi sert le réexamen des décisions pénales après
condamnation à Strasbourg? », D. 2008, p. 1705 et s. ; J.-F. RENUCCI, « Le réexamen d’une décision de justice
définitive dans l’intérêt des droits de l’homme », D. 2000, p. 655 et s. et pour le droit belge, A. VERHEYLESONNE et O.
KLEES, « La loi belge du 1er avril 2007 relative à la réouverture de la procédure pénale à la suite d'un arrêt de
condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme », RTDH 2008, p. 773-800.
2291
Seul le réexamen d’une décision pénale est possible, a contrario un arrêt qui statue sur l’action civile (CRD pén.
30 mai 2002, Bull. crim. 3 ; pour le droit belge, v. art. 442bis CIC et Cass. 19 févr. 2008, Pas. 2008, p. 483 et T.Strafr.
2008, p. 459, note ; Cass. 9 avr. 2008, JT 2008, p. 403, note J. VAN MEERBEECK et T.Strafr. 2008, p. 215, note et
Cass. 17 juin 2008, FC 2008, p. 284 et RABG 2008, p. 14, note D. VANDERKELEN et L. GYSELAERS et Cass. 11 févr.
2009, JLMB 2009, p. 886, note et RDPC 2009, p. 728, concl. D. VANDERMEERSCH.
2292
CRD pén. 4 oct. 2001, Bull. crim. 200.

369
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

atteinte au principe de publicité ou à celui du délai raisonnable, des dommages et intérêts


peuvent suffire à réparer le dommage subi.2293 S’il y a par contre atteinte aux droits de la
défense ou au droit d’un tribunal impartial et indépendant — le temps nécessaire à la
préparation de l’affaire s’étant par exemple avéré insuffisant ou le prévenu n’ayant pu
bénéficier de l’assistance de l’avocat de son choix —, il faut un réexamen.2294

Quand la demande en réexamen ou de réouverture est justifiée, la Commission de


réexamen français2295 et la Cour de cassation belge (art. 442quater CIC), renvoient l’affaire
devant une juridiction de même ordre et de même degré que celle qui a rendu la décision
litigieuse (art. 626-4 CPP et art. 442sexies CIC).2296 Si la décision attaquée émane de la cour
d’assises, l’affaire est renvoyée devant une autre cour d’assises. Selon la jurisprudence de la
Cour de cassation belge, un tel renvoi peut être limité à la peine ou à la question visant à
déterminer la culpabilité de l’accusé quant à une circonstance aggravante objective, ce qui
laisse ainsi intacte la décision de culpabilité pour le fait principal émanant de la première
cour d’assises.2297

En ajoutant une nouvelle chaîne au procès pénal, il n’est pas exclu d’avoir un
nouveau procès d’assises, statuant en premier ressort (et en France éventuellement en appel),
une nouvelle cassation et pourquoi pas une nouvelle condamnation par la CEDH. Cela risque
d’aboutir à une « justice en boucle »2298 mettant en cause le droit d’être jugé dans un délai
raisonnable. Au lieu de profiter à l’accusé, la procédure risque de se retourner contre le
principal intéressé.2299 Il n’est en outre pas impensable, ainsi que l’avance Maud Orillard-
Léna, qu’un laps de temps important se soit écoulé depuis les faits, ce qui multiplie les
difficultés pratiques. Il faut réunir le dossier et retrouver toutes les personnes appelées à jouer
un rôle dans la procédure.2300 Consciente de ces inconvénients, la décision de la Cour de
cassation du 7 décembre 2005 est cependant déplorable : « si le défaut d'accomplissement de

2293
CRD pén. 15 févr. 2001, JCP 2001, II, 10642, note J. LEFEBVRE (affaire Voisine).
2294
CRD pén. 30 nov. 2000, JCP 2001, II, 10642, note J. LEFEBVRE (affaire Hakkar) ; CRD pén. 6 déc. 2001, Bull.
crim. 25 et CRD pén. 24 janv. 2002, Bull. crim. 1 ; J. LEFEBVRE, « Premières décisions rendues par la Commission de
réexamen d’une décision pénal », (comm. sous CRD pén. 15 févr. 2001 et CRD pén. 30 nov. 2000), JCP G 2001, II,
10642.
2295
Celle-ci est composée de sept magistrats de la Cour de cassation (art. 626-3 CPP), ce qui peut soulever des
problèmes d’impartialité, deux magistrats de la Commission étant des représentants de la Chambre criminelle (M.
ORILLARD-LENA, o.c., p. 242-243).
2296
En droit belge, la Cour de cassation peut également annuler la décision attaquée sans renvoi (art. 442sexies CIC).
2297
Cass. 17 juin 2008, FC 2008, p. 284, concl. M. DE SWAEF et RABG 2008, p. 14, note D. VANDERKELEN et L.
GYSELAERS.
2298
J.-F. RENUCCI, « Le réexamen d’une décision de justice définitive dans l’intérêt des droits de l’homme », l.c., p.
659. L’affaire Hakkar en est une illustration parlante dans laquelle la première décision fut été rendue par la Cour
d’assises de l’Yonne en 1989, la dernière par la Cour de cassation en 2006. Entre ces deux dates et après cassation et
réexamen, il y eut également la décision de la Cour d’assises des Hauts-de-Seine en 2003 et celle de la Cour d’assises
d’appel des Yvelines en 2005.
2299
C. GIRAULT, note sous Cass. 6 sept. 2006, n° 4743.
2300
M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 243.

370
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

la formalité de la présentation des pièces à conviction prévue par l'article 341 du Code de
procédure pénale est de nature à vicier les débats lorsque l'accusé en a sollicité l'exécution,
il n'en est pas de même lorsque, comme en l'espèce, il est formellement constaté que la
présentation demandée est devenue impossible par suite de la disparition des pièces à
conviction ».2301 La cour d’assises qui se prononce sans débat contradictoire sur les pièces à
conviction ne s’expose-t-elle pas, en effet, à une nouvelle condamnation de la cour de
Strasbourg?2302

354. Ce tour d’horizon des voies de recours, toutes dotées d’un caractère limité, dont
dispose une personne condamnée par la cour d’assises permet d’affirmer qu’elles ne sont
guère suffisantes pour combler l’absence d’appel. La cassation ne concerne que des questions
de droit ; la révision n’est possible que pour des erreurs de fait, surtout en cas de nouveaux
éléments ; et le réexamen ne s’ouvre que s’il s’agit d’une condamnation par la CEDH mettant
en doute le bien-fondé de la décision nationale. Il en résulte que l’accusé est privée d’une
garantie essentielle dont dispose son homologue en matière correctionnelle. Loin d’être
‘supérieure’, la procédure criminelle belge fait sur ce point preuve d’une déplorable
infériorité.

B — LA CONFORMITE DE LA PROCEDURE CRIMINELLE AUX EXIGENCES


SUPRANATIONALES

355. Comme l’exigence de motivation ne figure pas comme telle dans la Convention
européenne des droits de l’homme, l’article 6 CESDH ne garantit pas expressis verbis aux
justiciables un double degré de juridiction.2303 En vertu de l'article 2 § 1 du Protocole n° 7
additionnel à la CESDH, « toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un
tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de
culpabilité ou la condamnation. L'exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il
peut être exercé, sont régis par la loi ».2304 Le même principe est énoncé dans l'article 14 § 5
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques2305 ainsi que dans l’article 40
alinéa 2 b) V de la Convention internationale des droits de l’enfant en vertu duquel les Etats

2301
Crim. 7 déc. 2005, Bull. crim. 329.
2302
E. DREYER, « A quoi sert le réexamen des décisions pénales après condamnation à Strasbourg? », l.c., p. 1705 et s.
2303
Cass. 5 avr. 1996, Pas. 1996, I, p. 283 et Cass. 17 déc. 2003, Pas. 2003, p. 2037.
2304
Protocole n° 7 à la CESDH du 22 novembre 1984, publié par décret n° 89-37 du 24 janvier 1989 (JORF 27 janv.
1989, p. 1233), la ratification ayant été autorisée par la loi n° 85-1475 du 31 décembre 1985. La Belgique a signé ce
Protocole le 11 mai 2005. Un projet de loi portant assentiment au Protocole a été adopté par le Sénat (Doc.parl. Sénat
2005-06, n° 3-1760/1) et la Chambre (Doc.parl. Chambre 2006-07, n° 51-2812/2), mais n’a pas encore été publié au
Moniteur belge. Le Royaume-Uni en revanche ne l’a pas encore ni signé, ni ratifié.
2305
Pacte international relatif aux droits civils et politiques ouvert à la signature à New York le 16 décembre 1966,
publié par décret n° 81-76 du 29 janvier 1981 (JORF 1er févr. 1981, p. 398), l'adhésion par la France ayant autorisée
par la loi du 25 juin 1980 ; l’adhésion de la Belgique par la loi du 15 mai 1981 (MB 6 juill. 1983, p. 8806).

371
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

parties veillent en particulier à ce que tout enfant suspecté ou accusé d'infraction à la loi
pénale, s'il est reconnu avoir enfreint la loi pénale, ait au moins le droit « à faire appel de
cette décision et de toute mesure arrêtée en conséquence devant une autorité ou une instance
judiciaire supérieure compétentes, indépendantes et impartiales, conformément à la loi ».

356. Le fait que le droit d’un double degré de juridiction n’est pas absolu découle
immédiatement de l’article 2 § 2 du Protocole n° 7 additionnel à la CESDH qui prévoit que
ce droit « peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont
définies par la loi ou lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute
juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son
acquittement ». La cour d’assises qualifie-t-elle comme « la plus haute juridiction » ?2306
Ainsi que nous l’avons avancé précédemment, plusieurs auteurs considèrent que c’est le cas
en raison de sa composition et de ses garanties.2307 Le législateur français, qui a émis une
réserve lors de la ratification de ces textes internationaux, en semble moins convaincu :
« l’examen peut se limiter à un contrôle de l’application de la loi, tel que le recours de
cassation ».2308 La même réserve a été établie par la Belgique lors de sa ratification de
l'article 14 § 5 du Pacte international ainsi que de l’article 40 alinéa 2 b) V de la Convention
internationale des droits de l’enfant.2309 Les deux pays semblent ainsi conscients de la
particularité singulière de la cour d’assises. Grâce à ces réserves, derrière lesquelles les Cours
de cassation se cachent traditionnellement, les engagements internationaux n’ont pas d’effets
directs sur l’ordre juridique interne et ne sont dès lors pas applicables aux personnes déférées
devant la cour d’assises.2310 Ainsi, la France et la Belgique se trouvent à l'abri d'une
condamnation à Strasbourg.2311

Mais même sans réserve, il semble que le système français traditionnel s’avérait, à
l’instar du système belge en vigueur, bien conforme. Selon la jurisprudence européenne, les
Etats disposent d’un large pouvoir d'appréciation concernant les modalités d'exercice de ce
droit de recours, et peuvent restreindre l’étendue de celui-ci, tel qu’en témoigne l’affaire
Krombach c. France de 2001.2312 En effet, la deuxième phrase de l'article 2 § 1 du Protocole
n° 7 prévoit que l'exercice du droit au réexamen doit être « régi par la loi », sans pour autant

2306
W. ROUMIER, o.c., p. 176, n° 314.
2307
F. LOMBARD, l.c., p. 774.
2308
CEDH 13 févr. 2001, Krombach c. France, n° 29731/96, § 96-100.
2309
Cass. 31 oct. 2006, Pas. 2006, p. 2226.
2310
Cass. 20 févr. 1990, Pas. 1990, I, p. 709 ; v. toutefois Crim. n° 05-82553, 28 mars 2006, inéd. (F. DESPORTES et L.
LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Paris, Economica, 2009, p. 226-227, n° 357). En outre, l’art. 2 du
Protocole n° 7 étant limité à la déclaration de culpabilité ou à la condamnation de la personne poursuivie, ce droit au
double degré de juridiction ne pourrait pas concerner la décision relative à l'exécution de la peine (Cass. 10 oct. 2007,
RDPC 2008, p. 150).
2311
Crim. 19 déc. 1990, Bull. crim. 443 et Crim. 23 juin 1999, Bull. crim. 147.
2312
CEDH, Krombach c. France, préc., § 96-100.

372
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

préciser sa portée et sa mise en œuvre réelle, ce qui laisse une liberté accrue aux Etats
membres. Il s’avère nécessaire que les limitations apportées par les législations internes au
droit de recours poursuivent, par analogie avec le droit d’accès au tribunal consacré par
l’article 6-1 CESDH, un but légitime et ne portent pas atteinte à la substance même de ce
droit2313. Mais, dans la limite de cette condition, il est par exemple envisageable de soumettre
la saisine de la juridiction d’appel à une autorisation préalable ou de limiter l'examen d'une
déclaration de culpabilité ou d'une condamnation par une juridiction supérieure aux seuls
points de droit.2314 De cette façon, la CEDH semble honorer la solution anglaise de leave to
appeal2315, ainsi que la Cour de cassation continentale en tant qu’instance hiérarchique de
réexamen de l’affaire en cause. Ainsi, dans l’affaire Taxquet du 13 janvier 2009, elle a rejeté
comme « manifestement mal fondée » la plainte évoquant que l’arrêt de la cour d’assises
n’était susceptible de recours que devant la Cour de cassation qui ne traite pas du fond des
affaires.2316 De ce point de vue, il n’est en principe pas nécessaire de s’appuyer sur les
réserves émises.

357. Sur le plan juridique, il n'y a donc pas d'obligation impérieuse pour les Etats
contractants de prévoir un double degré de juridiction. Pourtant, l’esprit de la Convention les
invite à aller au-delà des textes en poursuivant le bon sens et l’équité.2317 A cet égard,
l'institution d'un appel constitue une obligation morale, et ce d'autant plus que de nombreux
Etats, y compris ceux qui ont adopté le jury, offrent d'ores et déjà une « deuxième chance » à
la personne condamnée pour crime. Tel est notamment le cas au Royaume-Uni, en Espagne,
en Grèce, en Suède, en Italie et, plus récemment, en France ainsi que devant le Tribunal et la
Cour pénale internationale de la Haye pour des crimes contre l'humanité.2318 La Belgique
semble alors l’un des rares pays qui demeure défaillant sur ce point. Pourtant, les raisons
incitant la France à s’orienter vers un double degré de juridiction y sont également valables.

En premier lieu, il est hallucinant de penser que, contrairement aux juges


professionnels, le jury ne peut pas se tromper. La pratique regorge d’exemples attestant qu’il
est loin de rendre des décisions infaillibles.2319 En outre, lorsque le jury se trompe, les
2313
Ibid.
2314
CEDH, Krombach c. France, préc., § 96-100 et sur la recevabilité, CEDH 27 avr. 2000, Haser c. Suisse, n°
33050/96. Dans nombre d’Etats, ledit réexamen est en effet restreint aux questions de droit ; v. CEDH 18 janv. 2000
Loewenguth c. France, préc. et CEDH 18 janv. 2000, Pesti et Frodl c. Autriche, n° 27618/95 et 27619/95 ; telle était
aussi la position de la Comm. EDH : Fielsen c. Danemark du 9 sept. 1992, n° 19028/91 ; Saussier c. France du 20
mai 1998, n° 35884/97 et Deperrois c. France du 22 juin 2000, n° 48203/99.
2315
Infra, n° 366.
2316
CEDH 13 janv. 2009, Taxquet c. Belgique, n° 926/05, § 83-84.
2317
W. ROUMIER, o.c., p. 182, n° 329.
2318
M. LEMONDE, « L'appel en matière criminelle. Le beurre et l'argent du beurre? », l.c., p. 86.
2319
Rappelons les condamnations françaises d’Omar Haddad et Dominici qui eurent un grand retentissement sur
l'opinion publique. Elles sont encore considérées comme des erreurs judiciaires ou, au moins, comme des affaires sur
lesquelles toute la lumière n'a pas été jetée et qui auraient mérité un deuxième regard. En Belgique, l’acquittement de

373
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

conséquences sont sans doute encore plus néfastes dans la mesure où ses jugements portent
(en principe) non sur de simples délits, mais sur des crimes.2320 Cet argument est également
avancé par le Comité des droits de l’enfant qui, tout en déplorant des réserves de la Belgique
à l’article 40 alinéa 2, b) V de la Convention internationale des droits de l’enfant, est
« préoccupé par le fait que la possibilité de former recours auprès de la Cour de cassation
[…] est strictement limitée aux seuls points de droit et prive en conséquence le défendeur de
la possibilité de faire réexaminer entièrement son affaire par une instance supérieure, ce qui
est d'autant plus important que la Cour d'assises connaît des affaires les plus graves et
impose des peines relativement lourdes ».2321 Il est en effet injustifiable et illogique que les
délinquants frappés de peines relativement faibles aient la possibilité de voir leur affaire
rejugée alors que des criminels quelquefois condamnés à la perpétuité ne bénéficient que d'un
seul degré de juridiction.2322 Dans la décision Taxquet c. Belgique précitée, la CEDH
considérait que « la distinction s’opère, non pas entre différents groupes de personnes, mais
sur la base du type de l’infraction et de la gravité que lui a attribué le législateur » et n’en
déduit aucune forme de discrimination contraire à la Convention.2323 Cependant, une telle
entrave à l’égalité des justiciables devant la loi qui heurte toute logique et équité, dépend
souvent de la pratique artificielle de correctionnalisation. Tandis que ceux qui bénéficient
d’une déqualification jouissent d’un double degré de juridiction, les (in)fortunés traduits
devant la cour d’assises en sont privés. A l’instar de la palinodie jurisprudentielle concernant
la motivation des décisions criminelles, il suffit en outre que la CEDH change sa ligne
jurisprudentielle pour que la Belgique soit en porte-à-faux.2324

Intervient ensuite, sur un plan plus général, la considération selon laquelle l’appel et
la motivation servent à accroître la crédibilité de la justice : « si la décision est confirmée, la
vérité est renforcée et légitimée ; si la décision est infirmée, la justice sait reconnaître ses
erreurs et demeurer impartiale ».2325 S’il s’agit d’un remède à la disposition de la personne
condamnée, cela permet également de contrôler la qualité de la justice en se conformant aux
exigences du droit à un procès équitable. Transcendant le cas individuel de l’espèce, il sert
aussi à promouvoir la consistance, la cohérence, et dès lors la prévisibilité.2326 Ainsi que le
fait à juste titre remarquer Jean-Marie Girault, une harmonisation est néanmoins difficilement

E. Van Steen en 2004 a fait beaucoup de bruit. Dans cette affaire, l’accusé qui avait tué sa femme fut acquitté sur la
base d’une contrainte irrésistible (art. 71 CPB).
2320
J. PRADEL, « ‘L'appel’ contre les arrêts d'assises : un apport heureux de la loi de 15 juin 2000 », D. 2001, p. 1964.
2321
CRC, « Observations finales du Comité des droits de l'enfant : Belgium », 13 juin 2002, CR/C/15/Add. 178, n° 6.
2322
Rapport DENIAU, l.c.
2323
CEDH, Taxquet c. Belgique, préc., § 87.
2324
F. DELPÉRÉE et T. VAN PARYS, l.c., p. 77.
2325
P. Hennion, cité par W. ROUMIER, o.c., p. 156, n° 277.
2326
R. PATTENDEN, « Criminal Appeals – The Purpose of criminal Appeals » in M.J. McCONVILLE et G. WILSON, The
Handbook of the Criminal Justice Process, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 487.

374
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

réalisable dans une juridiction qui comprend un composant populaire et, pour cette raison, ne
siège que temporairement.2327

Finalement un appel en matière criminelle permettrait de raccourcir la durée de la


phase préparatoire, le double degré d’instruction pouvant corrélativement être supprimé. Un
tel argument nous semble toutefois peu convainquant dans la mesure où l’on ajoute plus en
aval que ce que l’on supprime en amont, à savoir un nouveau procès sur le fond de l’affaire.
Comment l’instauration d’un double degré en matière criminelle pourrait-elle faciliter le
respect du délai raisonnable ? Pour y remédier, il faudra réfléchir à des moyens permettant de
réduire le délai d’audiencement, tel que l’a fait la loi française du 5 mars 20072328. Cette loi
prévoit notamment d’octroyer un rôle plus déterminant au procureur général dans la
détermination de l’audiencement des affaires criminelles.2329 Les récentes condamnations
prononcées par la CEDH2330 pour violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable et
l’accroissement corollaire du recours à la correctionnalisation judiciaire qui semble en
découler, poussent le Gouvernement à aller plus loin dans la recherche d’une réelle
alternative à la cour d’assises.

358. A la lumière de ces arguments, il s’agit de savoir combien de temps le législateur


belge pourra encore rester sourd. Bien qu’aux yeux de la Cour de cassation, le principe de
double degré de juridiction ne soit pas un principe général du droit2331, il constitue toutefois
un principe de base dans la procédure belge en vigueur.2332 Même les partisans les plus
ardents de la cour d’assises se rejoignent sur ce point essentiel : « je sais que c'est tout un
surcroît de travail, je sais que c'est un surcroît de procédure […] je sais que ça compliquera
un peu les choses mais je crois que si on veut répondre aux conditions de la Convention
européenne des droits de l'homme, on doit avoir un appel de la cour d’assises ».2333

Pourtant, à l’instar de la motivation, la mise en œuvre d’un tel droit essentiel dans un
contexte non professionnel, ne semble pas aisée. Plutôt que d’une mauvaise volonté, la

2327
M. LEMONDE, « L'appel en matière criminelle. Le beurre et l'argent du beurre? », l.c., p. 97.
2328
Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, JORF 6 mars 2007, p.
4206 (supra, note 130).
2329
Art. 236 à 238 CPP (F. ZOCCHETTO, Rapport n° 177 (2006-07), l.c.).
2330
Infra, n° 588.
2331
Cass. 16 mai 2001, Pas. 2001, p. 881 et Cass. 27 févr. 2002, Pas. 2002, p. 601.
2332
R. DECLERCQ, « Het hof van assisen veroordeeld », l.c., p. 102. Il en est de même en droit français. Bien qu’il
n’ait pas de valeur constitutionnelle, le double degré de juridiction jouit d’une protection constitutionnelle. Il y a des
décisions du Conseil constitutionnel qui protègent tant l’existence que l’exercice de ce droit : Cons. const. n° 80-127
DC du 19-20 janv. 1981, JORF 22 janv. 1981, p. 308, § 70 et s. et Cons. const. n° 92-316 DC du 20 janv. 1993, JORF
22 janv. 1993, p. 1118, § 35. Pour une analyse de celles-ci, v. L. CADIET et S. GUINCHARD, « Le double degré de
juridiction » in X, Justice et double degré de juridiction, Paris, Dalloz, 1996, p. 3 et N. MOLFESSIS, « La protection
constitutionnelle du double degré de juridiction », Justices 1996, p. 17-33. Ce droit est en outre expressément garanti
par le dernier alinéa de l’article préliminaire du Code de procédure pénale.
2333
Ph. MAYENCE in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil, o.c., p. 37 ; v. dans le même ouvrage
également R. LEGROS, p. 54.

375
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

faillite de la Belgique témoigne peut-être d’une conception davantage logique de


l’incompatibilité du concept de participation citoyenne à l’œuvre de la justice et de son
contrôle par une instance supérieure. Convaincu de la nécessité, est-il en effet possible
d'envisager une réforme ambitieuse au sens des dispositions internationales, sans entraver la
nature même du jugement populaire ?

§ 2 — DES TEFTATIVES PROMETTEUSES MAIS IFSATISFAISAFTES

359. Hormis l’argument selon lequel la procédure d’assises dispose de garanties


suffisantes pour préserver une personne d’un verdict erroné, une explication davantage
théorique permet de justifier l’absence traditionnelle de tout contrôle : la souveraineté du
peuple. C’est le contenu et la force de cette notion qui semble conditionner la possibilité
d’attaquer ou non les arrêts du jury. Les approches différentes des trois pays étudiés sont à
cet égard remarquables : si la Belgique se trouve dans une impasse sur le plan de
l’omnipotence du jury, l’Angleterre et la France semblent avoir outrepassé la prétendue
infaillibilité du peuple. La réalité dévoile toutefois autre chose : l’appel ‘hiérarchique’ anglais
est souvent difficile d’accès, de sorte qu’il y semble, comme en Belgique, de facto question
d’un respect des décisions du jury (A — Approche « souverainiste-traditionnelle » en droit
belge et anglais). L’appel ‘tournant’ français s’inspire de nouveau, pour sa part, de la
souveraineté du peuple qu’il transfère à la juridiction d’appel, ce qui met dès lors en doute sa
légitimité au point de vue des exigences internationales (B — Approche « souverainiste-
moderniste » en droit français ?).2334

A — APPROCHE « SOUVERAINISTE-TRADITIONNELLE » EN DROIT BELGE


ET ANGLAIS

360. Au sens propre du mot, l’appel entraîne un nouvel examen de l'affaire au fond
devant une juridiction supérieure et traduit la règle de double degré de juridiction. Mais
existe-t-il une instance supérieure au peuple ? C’est de la réponse à cette question épineuse
que semble dépendre la création d’un double degré de juridiction en matière criminelle. Pour
que la décision criminelle reste une décision intégrale du peuple, le concept de jury populaire
semble à première vue incompatible avec toute notion de contrôle (1). La Belgique, rejetant
tant l’appel hiérarchique que tournant, paraît se trouver dans l’obligation de souscrire à une
telle constatation. Ainsi, la Commission de réforme de la cour d’assises belge ne semble
envisager qu’une forme d’appel déguisé en cassation. En revanche, le droit anglais, qui

2334
Terminologie empruntée à A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, Les « mondes judiciaires » et la construction d’un
horizon réformateur commun (1981-2004), GIP Mission de recherche Droit et Justice, 2004, p. 132 et s.

376
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

dispose d’un appel hiérarchique, se trouve de facto confronté au même obstacle. Son recours
semble davantage être une cassation déguisée en appel (2).

1. Le jury et l’appel : un duo antinomique ?

361. Est-ce que les arrêts de la cour d’assises sont incontestables parce qu’ils émanent
d’une autorité souveraine ou est-ce qu’ils sont souverains parce qu’ils sont
2335
incontestables ?

Quand le peuple a décidé, il ne paraît pas judicieux de confier le contrôle de cette


décision et son éventuelle remise en cause aux juges de carrière dans la mesure où cet angle
d’attaque sous-tend que des professionnels pourraient faire mieux que des citoyens.2336 Une
telle analyse amène la Commission de réforme belge — dans l’option de maintenir le jury —
et finalement la loi du 21 décembre 2009 à rejeter la solution d’un appel hiérarchique. Le
projet de réforme de la procédure pénale, mieux connu en tant que « Franchimont II », ne
s’était pas non plus aventuré dans cette voie.2337 Nous pourrions néanmoins nous demander, à
cet égard, et ainsi que le fit Amandine Abegg avant nous : « pourquoi la ‘souveraineté’ du
jury interdirait-elle une réformation des décisions, tandis qu'une loi votée par l'Assemblée
nationale, dont la souveraineté ne saurait être remise en cause, peut être modifiée par le
Parlement ou même annulée par le Conseil constitutionnel » ?2338 En France, chaque loi
organique — œuvre des parlementaires — est, avant sa promulgation, soumise à la
supervision professionnelle du Conseil constitutionnel. Contrairement au système belge, ce
contrôle est préalable et systématique (art. 61 Constitution).2339 Le Conseil constitutionnel
ayant censuré les dispositions votées par la loi, elles ne verront pas le jour, ce qui dépossède
également le Parlement de sa souveraineté absolue. Le Parlement lui-même peut également
être amené à modifier les textes à sa propre initiative.2340 Pourtant, il existe une grande
différence entre le processus législatif et la fonction de juger en matière criminelle. En effet,
le Parlement n’est pas constitué par le peuple, mais par des représentants élus de manière
démocratique et qui exercent à leur gré cette mission dans l’intérêt de tous. C’est au fur et à

2335
P. BUQUET, l.c., p. 221.
2336
Entretien écrit de F. TULKENS, le 27 janv. 2004.
2337
Doc.parl. Sénat 2003-04, n° 3-450/20.
2338
A. ABEGG, L'appel des décisions des cours d’assises, Mémoire sous la direction de Ch. Lazerges, Montpellier,
2001-2002, p. 33 et s. Cet argument est également avancé par F. Kernaleguen, cité par M.-H. GOZZI, « La réforme des
cours d’assises : entre nécessité et utilité », PA 1996, n° 21, p. 11.
2339
Depuis le 1er mars 2010 ce contrôle constitutionnel connaît en France une extension par voie préjudicielle lors
d’un procès en cours (loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve
République, JORF 24 juill. 2008, p. 11890 et la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à
l'application de l'article 61-1 de la Constitution, JORF 11 déc. 2009, p. 21379). En Belgique existe d’une part le
recours en annulation dans les six mois après la publication au Moniteur et d’autre part — de manière a posteriori et
in concreto — le système des questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle.
2340
J-P. PECH, « La légitimité du jury de cour d’assises » in J. KRYNEN et J. RAIBAUT, La légitimité des juges. Actes
du Colloque des 29-30 oct. 2003, Université Toulouse I, 2004, p. 42.

377
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

mesure qu’ils acquièrent une certaine expérience. Au jury, par contre, le peuple est
directement impliqué dans le jugement d’un cas concret. On pourrait avancer que les
parlementaires ne prennent leur décision qu’après des discussions approfondies et que leur
navette parlementaire est justifiée par un exposé des motifs. Les jurés qui n’ont aucune
expérience et prennent leur décisions sans motivation devraient ainsi davantage être soumis à
un contrôle. Mais comment imaginer alors un tel contrôle, la naissance du jury s’enracinant
notamment dans la protection contre la tyrannie des magistrats et la méfiance à l’égard des
juges professionnels ? Quelle autorité se situe au-dessus du peuple ? Rappelons-nous des
mots d’Adrien Duport qui fut considéré comme le père du jury criminel continental : « sur le
fait, c’est le peuple lui-même qui juge par les jurés et il n’existe aucune puissance au-dessus
du peuple ».2341

362. Il est toutefois remarquable que l’appel, acquis depuis plus d’un siècle dans le
pays berceau du jury populaire, demeure problématique en Belgique. La notion du peuple
est-elle alors plus forte en droit belge ? En effet, en droit anglais, il existe un appel
hiérarchique contre la décision de la Crown Court devant la Court of Appeal avec trois juges
professionnels.2342 Depuis 19072343, des professionnels sont alors en mesure de remettre en
cause la décision prise par des citoyens-juges. Aujourd’hui, ce pouvoir ne fait plus l’objet de
discussion. Toutefois, en pratique, le droit d’appel semble souvent théorique compte tenu de
la grande réticence dont fait montre la cour d’appel pour remplir sa mission.2344 Ayant
tendance à agir plutôt comme une institution de révision, il apparaît en effet que la Court of
Appeal fonctionne différemment que ce qu’avait envisagé le Parlement à l’origine. L’une des
raisons de son ‘inertie’ relève du respect de la souveraineté populaire et de la peur de
déresponsabiliser le jury. Une politique libérale des appels aurait en effet une conséquence
fâcheuse sur la délibération des jurés. Face à la possible annulation de leur décision, les jurés
risquent notamment de mener moins soigneusement leurs délibérations, ce qui accroit le

2341
A. Duport, cité par G. ROUJOU DE BOUBEE, « De la légitimité des jurys de cour d’assises », l.c., p. 40.
2342
L’appel contre une décision de la magistrates’ court est porté devant la Crown Court qui siège alors sans jury
avec un président et deux magistrats non professionnels ou à la Divisional Court of the Queens Bench (case stated :
aussi lorsque erreur de droit ou excès de juridiction). Contrairement à la Court of Appeal contre la peine prononcée
par la Crown Court (Reynolds [2008] 1 W.L.R. 1075), la Crown Court peut, en méconnaissance du principe de
reformatio in pejus, augmenter en appel la peine prononcée par la magistrates’ court.
Pour alléger la procédure d’appel anglaise qui se trouve fragmentée dans différentes lois compliquées et ouvre la porte
à quatre instances différentes (la Supreme Court, la Court of Appeal, la High Court et la Crown Court), la proposition
fut avancée de supprimer l’appel by way of case stated et la judicial review et d’instaurer — pour une question de
droit d’implication générale — un fast-track appeal contre les décisions de la magistrates’ court, c’est-à-dire une
procédure leapfrog auprès de la Court of Appeal au lieu de la Crown Court (X, « Rethinking Appeal and Review in
Criminal Proceedings », Crim. L.R. 2008, p. 175-176).
2343
En dépit d’une première tentative visant à créer l’appel en 1844, il fallut attendre le Criminal Appeal Act de 1907,
à l’issue d’une erreur judiciaire particulière, notamment l’affaire d’Adolf Beck 1896-1904 (K. MALLESON,
« Miscarriages of Justice and the Accessibility of the Court of Appeal », Crim. L.R. 1991, p. 331).
2344
G. WILLIAMS, o.c., p. 330.

378
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

risque de condamnations sur des preuves douteuses. Ce laxisme potentiel poussa le Lord
Chief Justice à réfuter la possibilité d’un appel en 1848.2345 En guise d’argument, il fut
également avancé qu’il semble davantage nécessaire de corriger l’erreur d’un magistrat que
celle du jury. En corrigeant les erreurs d’un juge, on contribue à la cohérence et à
l’uniformité des décisions ; on donne des précédents. Cela n’est pas le cas pour les jurés : si
on annule la décision d’un jury, une telle décision ne servira pas de direction pour les jurés à
venir.2346

Prenant égard au traitement profond et oral de l’affaire, la cour d’appel est ensuite
convaincue que le jury est le mieux placé pour juger les preuves.2347 La Crown Court est
l’endroit où les preuves sont présentées et mesurées à fond. La cour d’appel, par contre,
n’entend pas la totalité de l’affaire et ne décide que sur une transcription écrite. Au lieu d’un
rehearing, il s’agit d’une review des passages spécifiquement indiqués par les parties. Mais, à
cause de l’absence de motivation, la cour d’appel ne se trouve pas en mesure de vérifier si le
jury s’est fondé sur les preuves et sur lesquelles.2348 En effet, le jury ne se prononçant que de
manière monosyllabique et ses choix étant voués à demeurer secrets, il est très difficile de
découvrir si la décision du jury constitue une erreur. Méconnaissant les motifs du jury, la
cour d’appel ne peut pas effectuer son contrôle. De cette façon, l’absence de motivation
entrave l’opportunité d’appel.2349 Une autre explication du respect du jury se trouverait dans
le caractère définitif des décisions de la justice pénale ainsi que dans le besoin de garantir une
justice efficace et rapide, ce qui paraît logique dans un modèle de crime control qui vise le
maximum de condamnations. Au lieu des hung verdicts2350 ou des décisions ambigües, il faut
mettre un terme au conflit.2351 L’appel constitue à cet égard une entorse à la certitude de la
décision. Il apporte à nouveau confusion et doute, et discréditerait l’intégralité du système
pénal, de l’instruction au jugement. Une croissance du nombre d’appels alourdirait en outre
le système pénal en augmentant l’arriéré judicaire et en soulevant des questions quant aux
délais : « justice delayed is justice denied ».2352 En revanche, dans un modèle de due process
of law, le besoin d’un caractère définitif des décisions se pose moins. L’angle d’approche

2345
K. MALLESON, « Appeals Against Conviction and the Principle of Finality », l.c., p. 157 et s.
2346
K. MALLESON, « Appeals Against Conviction and the Principle of Finality », l.c., p. 159 et s.
2347
McIlkenny [1992] 93 Cr. App. R. 287 et Azam [2006] Crim.L.R. 776, comm. D.C. ORMEROD.
2348
R. PATTENDEN, « The Standards of Review for Mistake of Fact in the Court of Appeal, Criminal Division », Crim.
L.R. 2009, p. 28.
2349
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « De grensoverschrijdende en jury-ondermijnende impact van
Taxquet/België », l.c., p. 607-608.
2350
Supra, n° 178.
2351
K. MALLESON, « Appeals Against Conviction and the Principle of Finality », l.c., p. 159.
2352
K. MALLESON, « Appeals Against Conviction and the Principle of Finality », l.c., p. 157 et s.

379
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

d’un tel modèle favorise plutôt le procès équitable, l’intégrité et le respect des droits de la
défense, de sorte qu’il faut renverser une condamnation si besoin.2353

Ainsi que nous l’avons déjà évoqué précédemment, ce modèle cède néanmoins du
terrain à la politique gestionnaire de crime control. Il en résulte alors que le droit anglais, qui
dispose formellement d’un droit d’appel hiérarchique contre les décisions du jury, c’est-à-
dire d’un recours devant une juridiction supérieure, s’avère peu accessible, notamment pour
consacrer de facto la volonté du jury. Pour ce faire, elle a même inventé un processus
particulier, la procédure de « leave to appeal », que nous analyserons ultérieurement. Nombre
d’erreurs judiciaires continuent dès lors d’être passées sous silence2354, d’où les amendements
au Criminal Appeal Act2355 et la création de la Royal Commission et de la Criminal Cases
Review Commission pour y faire face.2356 Le verdict du jury est donc quasiment entouré
d’une présomption de vérité tant pour des raisons de principe que pragmatiques.2357

363. Réfutant un tel appel hiérarchique, la loi du 21 décembre 2009, à l’instar de la


Commission de réforme de la cour d’assises belge, ne voit pas non plus l’intérêt d’un appel
‘tournant’ ou ‘circulaire’, tel que cela fut instauré en France. En effet, contrairement à un
appel hiérarchique d’un échelon supérieur — qui repose sur l'idée de ‘contrôle’2358 — dont
son histoire est imprégnée, la France a introduit sur son sol judiciaire la possibilité de faire
rejuger l’ensemble de l’affaire devant une autre cour d’assises désignée par la Cour de
cassation et dotée de trois jurés supplémentaires.2359 Il s’agit donc d’un appel porté devant
une autre juridiction du même degré, ce qui paraît peu naturel car « difficilement conciliable
avec l'idée de contrôle qui semble s'imposer ».2360 A juste titre, Jean-François Chassaing
considère qu’un tel type d’appel s’enracine dans une conception assez pessimiste de la justice
selon laquelle il vaut mieux « deux déclarations de culpabilité émanant de deux juridictions
différentes, mais de même nature, avant de considérer un homme coupable ».2361 Pour

2353
J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., p. 610-612.
2354
K. MALLESON, « Appeals Against Conviction and the Principle of Finality », l.c., p. 162.
2355
Si en 1963 le retrial était possible dans des conditions très restrictives, il fut généralisé en 1988 pour les affaires
on indictment ; en 1995 la CCRC était créée et la prosecution pouvait instaurer un appel contre une peine
manifestement indulgente et contre certains acquittements tainted ; depuis 1996 l’accusation dispose d’un appel
interlocutoire pour certains cas complexes, ce qui a été généralisé en 2003 (s. 57-61 CJA 2003) tout comme l’appel
contre certains acquittements (s. 75-97 CJA 2003).
2356
K. MALLESON, « Appeals Against Conviction and the Principle of Finality », l.c., p. 151 et s. (supra, n° 351).
2357
R. PATTENDEN, « The Standards of Review for mistake of Fact in the Court of Appeal, Criminal Division », l.c., p.
30.
2358
C’est un héritage du droit romain dans lequel l'appel fera son apparition avec la procédure extra ordinem, c'est-à-
dire au moment où les fonctionnaires deviendront les maîtres de la justice. Ceux-ci étant invité à revoir la décision
d'un subordonné, il s'agit en fait d'un recours hiérarchique (J.-F. CHASSAING, « L'appel des arrêts des cours d’assises :
le poids de l'histoire », l.c., p. 136).
2359
J.-F. CHASSAING, « L’appel des arrêts des cours d’assises : le poids de l’histoire », l.c., p. 136-138.
2360
Ibid.
2361
J.-F. CHASSAING, « L’appel des arrêts des cours d’assises : le poids de l’histoire », l.c., p. 137 et p. 140.

380
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

défendre ce type d'appel, les défenseurs citent deux précédents. Le premier est tiré du droit
canonique ; le second précédent, celui institué sous la Révolution pour les tribunaux de
district dont la compétence était principalement civile, est certainement le seul cas d'appel
circulaire pur.2362 Certains en trouvent (à tort) une autre expression dans l’ancien article 352
du Code d’instruction criminelle.2363

Après s’être appuyée depuis deux siècles sur la souveraineté du jury pour exclure
l'appel, la France a réussit à laisser tomber cette conception du jury sans pour autant mener
un large débat sur sa fonction.2364 Le premier à couper le lien traditionnel entre le peuple et
son infaillibilité fut le Haut comité Deniau qui déclare que « le caractère souverain du jury
ne constitue pas un obstacle à l'appel ».2365 Cette déclaration marque un changement du
registre — l’abandon total de toute référence à la théorie politique — et élève la réflexion sur
un terrain strictement juridique et technique.2366 Cette position fut confortée par la décision
du Conseil constitutionnel. Celui-ci, n’ayant jamais dit que le jury était constitutionnellement
établi, l’accepta toutefois expressément en n’autorisant que certaines exceptions, notamment
dans le domaine du terrorisme. Il en découle que le Conseil constitutionnel ne s’oppose pas
aux limitations de la juridiction populaire, ce qui ouvrirait d’une certaine manière la porte
d’un appel.2367 Hormis l’argument selon lequel le jury n'est pas élu démocratiquement et n'a
aucune représentativité particulière, ainsi que le rejet du principe selon lequel l'arrêt du jury
est rendu ‘au nom du peuple’ alors que tous les arrêts le sont, même s’ils sont rendus par des
magistrats professionnels ou des échevins,2368 une telle solution « désidéologisé »2369 est sans
doute également confortée par les atteintes antérieures à la souveraineté du jury.

D'une part, l'absence d'appel en matière criminelle n’était pas, en France, liée au jury.
Ainsi, l’appel était également exclu pour les cours d’assises purement professionnelles.2370
Comment justifier l'absence de cette voie de recours sous-tendue par l’idéologie d’une
souveraineté du jury, alors qu'il est question d’une cour dépourvue de toute participation
citoyenne et qu’une partie non négligeable des crimes est réprimée sans l'intervention de
jurés? D’autre part, l’association intégrale des magistrats de carrière à la délibération sur la
2362
Pour une étude plus approfondie, v. J.-F. CHASSAING, « L'appel des arrêts des cours d’assises : le poids de
l'histoire », l.c., p. 136-137.
2363
V. BRAULT-JAMIN, l.c., p. 698 (supra, n° 254).
2364
J.-F. CHASSAING, « L'appel des arrêts des cours d’assises : le poids de l'histoire », l.c., p. 140.
2365
Rapport du Haut comité consultatif (J.-F. DENIAU) sur la procédure de jugement en matière criminelle, Rapport au
ministère de la Justice, le 6 févr. 1996.
2366
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 144.
2367
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 145.
2368
« Les magistrats professionnels s’expriment aussi au nom du peuple, ce qui change c’est l’organe qui représente
le peuple » (A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 135).
2369
« L’idée de souveraineté du jury en tant qu’elle était par principe incompatible avec le recours est cruellement
ravalée au rang de symbole » (A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 143 et p. 156).
2370
Supra, n° 171.

381
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

culpabilité annonçait, ainsi que nous l’avons déjà avancé, la mort de la souveraineté du jury
criminel ou du moins la mettait en cause.2371 L’ancien registre de la souveraineté populaire
est en outre décrédibilisée au profit d’un nouveau consensus, celui de la souveraineté
juridique : la logique et l’omniprésence des droits de l’homme et du standard de procès
équitable. Cette mutation se manifeste tant dans le discours parlementaire que dans la
doctrine.2372 Il s’avère à cet égard toutefois étrange de ne pas user d’un raisonnement
identique pour créer une motivation en matière criminelle et, d’autre part, de créer une forme
sui generis de l’appel au lieu d’un appel intégral. Le fait de laisser comme « dernier clin
d’œil »2373 la décision à un « autre » peuple ne prouve-t-il pas l’attachement toujours probant
à la souveraineté populaire ?

Peut-être convient-il alors de l’envisager non comme une attaque à la souveraineté du


peuple, mais comme la volonté accrue du législateur de prévenir les erreurs judiciaires. Cette
volonté l’a conduit à remettre en cause l’infaillibilité populaire.2374 Une telle conception
substituerait à la notion de jury souverain celle de jury légitime mais non infaillible.2375 Mais
suppose-t-on alors que le peuple bis ne peut plus se tromper ? Suffit-il alors simplement
d’avoir un second jury, même sans garanties plus étendues ? La raison pour confier la
deuxième décision à un autre jury pourrait se trouver dans la considération que, par rapport à
une décision professionnelle, le verdict d’un jury présente l’avantage d’apaiser l’opinion
publique et d’éviter une trop grande professionnalisation. Dans cette optique, l’appel se
présente comme un changement d’acteurs qui pourraient jeter un autre regard sur les mêmes
faits. Il ne serait qu’un « moindre mal réformateur qui n’aboutit que parce que les
propositions plus radicales ont échouées ».2376

364. Il est remarquable que la Commission de réforme belge, qui propose également,
en se rapprochant du système français à cet égard, de substituer à la séparation du fait et du
droit la collaboration entre les jurés et les juges professionnels, s’oppose vivement à la
solution française de l’appel circulaire. Rappelons cependant que la collaboration qu’elle
envisageait diffère du système français dans la mesure où elle souhaitait consacrer davantage
la souveraineté du peuple en privant le président — les assesseurs seraient abolis — du droit
de vote.2377 La décision demeurerait, contrairement au droit français, tout à fait une décision
du peuple. Dans cette optique, que Antoine Vauchez et Laurent Willemez qualifieraient de

2371
J.-F. CHASSAING, « L’appel des arrêts des cours d’assises : le poids de l’histoire », l.c., p. 141.
2372
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 148 et 156.
2373
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 157.
2374
Ch. LAZERGES, « Réflexions sur l’erreur judiciaire », l.c., p. 713.
2375
JOAF CR du 21 janv. 1997, p. 13.
2376
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 158-159.
2377
Supra, n° 277.

382
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

« souverainiste traditionnelle »2378, la remise en cause de la souveraineté du peuple et le


contrôle de ses décisions semble plus difficile. Le peuple ayant décidé, il s’agit de déterminer
la logique qui sous-tend le fait de confier la deuxième décision à d’autres citoyens. En effet,
compte tenu de la mise en concurrence de deux systèmes similaires, d’où la deuxième cour
d’assises tire-t-elle sa légitimité pour en censurer une autre ? Rien ne garantit que sa décision
soit meilleure. Ensuite, il s’agit de savoir quel sera l’impact psychologique d’une annulation
de la décision en appel par d’autres citoyens sur les jurés de première instance. Enfin,
l’affaire ayant déjà été traitée au fond par la cour d’assises en première instance, un nouveau
procès au fond conduira sans doute à un alourdissement non négligeable de la procédure, tant
sur les plans organisationnel et budgétaire qu’émotionnel. La création d’un appel criminel ne
risque-t-elle pas d’enliser notre système judiciaire déjà encombré par l’allongement de la
procédure, le surcroît du travail et l’augmentation des frais de justice ? Un tel argument n’est
toutefois guère convainquant si l’on considère l’appel comme un ‘droit’ auquel chacun doit
avoir accès.

2. Une cassation déguisée en appel, un appel déguisé en cassation ?

365. Si le législateur belge analysa les solutions française et anglaise lors des débats
parlementaires préalables à la récente réforme de sa cour d’assises, l’appel en matière
criminelle reste toutefois absent du Code d’instruction criminelle belge. Dans son article 355,
issu de la loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises, ce Code dispose
que « les arrêts de la cour d’assises ne peuvent, sous réserve de l’application des articles de
la section 2 [opposition], être attaqués que par la voie de la cassation et dans les formes
déterminées par la loi ». Après la réfutation d’un délibéré mixte entre les magistrats de
carrière et les jurés, le législateur belge s’accroche aussi sur ce point à la souveraineté du jury
populaire. Il semble dès lors qu’il applique une conception différente de la souveraineté du
peuple que son homologue français. Voilà un point de concordance entre le législateur et la
Commission de réforme de la cour d’assises, cette dernière réfutant tout appel —
hiérarchique, tournant — contre les décisions du jury. Toutefois, grâce à l’introduction d’une
motivation des décisions de la cour d’assises, la Cour de cassation peut exercer un plus grand
contrôle. De manière plus ambitieuse et par l’enregistrement des témoignages déposés lors de
l’audience criminelle, la Commission de réforme de la cour d’assises estimait qu’un contrôle
par la Cour de cassation était possible en ce qui concerne la violation de leur force probante.
Ne s’agit-il toutefois pas d’une forme d’appel déguisé en cassation ? Pourrions-nous y voir
un étrange parallèle avec la procédure anglaise où la réticence de la Court of Appeal à

2378
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 133.

383
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

remettre en cause les décisions populaires est confortée par une procédure particulière : le
mécanisme de leave to appeal, qui conduit à une sorte de cassation déguisée en appel ?

a. La solution anglaise de leave to appeal

366. Ainsi que nous l’avons annoncé ci-dessus, il paraît en pratique extrêmement
difficile d’atteindre la Court of Appeal après avoir été condamné par un jury à l’issue d’un
plaider non coupable2379. Cela signifie soit que la justice criminelle fonctionne bien en
première instance, soit que la cour d’appel est difficilement accessible. En droit anglais, il
semble que cette dernière explication soit la bonne. Le nombre d’affaires qui réussit
effectivement à atteindre la cour d’appel est limité. La procédure pénale anglaise a elle-même
instauré un obstacle : la porte de la Court of Appeal ne peut s’ouvrir qu’avec son autorisation
préalable ou celle de la Supreme Court (ancienne Chambre des Lords).2380 Contrairement à la
summary justice qui, pour les infractions mineures, connaît un droit automatique d’appel
auprès de la Crown Court, tant contre une condamnation que contre la peine, pour une
question de fait, de droit ou une question mélangée, il n’existe, à l’exception des erreurs du
droit, pas de droit automatique d’appel contre les condamnations prononcées par la Crown
Court.2381 Pour les décisions de la Crown Court, la Court of Appeal constitue dès lors un
filtre, celle-ci sélectionnant elle-même les affaires traduites devant elles.2382 Une telle
autorisation est également nécessaire lorsque l’appel est limité à la peine2383, en cas d’appel
interlocutoire contre la décision d’exclure ou d’autoriser certaines preuves de la prosecution
(s. 62 CJA 2003) ou contre la fin préliminaire de l’affaire (s. 58 CJA 2003 contre une ruling
de no case to answer) et en cas d’appel contre certains acquittements.2384 En l’absence d’une
leave, le verdict ne peut plus être remis en cause sauf en cas de renvoi par la Criminal Cases
Review Commission.2385

2379
En cas de plaider coupable, l’appel est en principe restreint à la peine. Concernant la culpabilité, on renonce à la
possibilité d’interjeter un appel, sauf lorsqu’on n’avait pas l’intention de plaider coupable ou lorsqu’il s’agit d’une
erreur de droit et on n’avait pas d’autre possibilité que de reconnaître sa culpabilité (Chalkley [1998] 2 Cr. App. R.
79 ; R. PATTENDEN, « Criminal Appeals – The Purpose of Criminal Appeals », l.c., p. 496).
2380
K. MALLESON, « Decision-Making in the Court of Appeal : the Burden of Proof in an Inquisitorial Process », Intl.
J. Evidence & Proof 1996-97, p. 175.
2381
J.R. SPENCER, « Does Our Present Criminal Appeal System Make Sense ? », l.c., p. 680-681.
2382
K. MALLESON, « Miscarriages of Justice and the Accessibility of the Court of Appeal », l.c., p. 324.
2383
Cela n’est pas possible contre une peine obligatoirement imposée par la loi (peine à perpétuité pour assassinat).
2384
Supra, n° 351. Déjà sous s. 36 CJA 1972 il pouvait instaurer un appel pour une question de droit, comme notre
cassation dans l’intérêt de la loi, sans que la décision de la cour d’appel ait une incidence pour les parties ; v. aussi s. 9
(11) CJA 1987 et s. 35 CPIA 1996 concernant l’appel contre la décision préliminaire du juge d’exclure certaines
preuves de l’accusation. L’appel interlocutoire en faveur de la prosecution semble créé à la lumière de la philosophie
de « rebalancer la justice », la Prosecution ne disposant traditionnellement pas d’un appel contre les arrêts
d’acquittement. L’accusé par contre ne peut rien faire contre une case to answer ou contre une décision d’autoriser les
preuves de l’accusation, ce qui le met dans une situation moins avantageuse (J.R. SPENCER, « Does Our Present
Criminal Appeal System Make Sense ? », l.c., p. 690 ; pour une évaluation de ces pouvoirs, v. D.C. ORMEROD, A.
WATERMAN et R. FORTSON, « Prosecution Appeals – Too Much of a Good Thing ? », Crim. L.R. 2010, 169-194).
2385
Supra, n° 351.

384
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

367. Pour les raisons indiquées ci-dessus et pour éviter une surcharge de la cour
d’appel celle-ci est très réticente à donner son autorisation quant à la contestation d’une
condamnation sur le plan des faits, ou, dans certains cas, d’un acquittement. Les statistiques
démontrent que la majorité des demandes sont refusées.2386 Le test d’autorisation est en effet
très strict. En vertu de section 2 (1) du Criminal Appeal Act de 1968, la cour d’appel pouvait
uniquement annuler une condamnation sur la base de trois critères : une erreur de droit2387,
une irrégularité matérielle ou une condamnation unsafe ou insatisfaisante (unsatisfactory)
dans l’intérêt de la justice.2388 En pratique, elle semblait plus encline à le faire dans les deux
premiers cas — par exemple en cas de l’exclusion ou de l’admission irrégulière des
preuves2389 ou de défaillances dans le résumé du juge avec, par exemple, l’omission d’une
direction ferme sur le besoin de corroboration de certaines preuves —, ce qui la transformait
plutôt en une Cour de cassation qui ne se focalisait que sur des questions techniques du droit.

Par le Criminal Appeal Act de 1995, seul le critère d’une condamnation unsafe a été
retenu, ce qui semble renforcer l’évolution vers un modèle de crime control. Il ne faut pas
annuler une condamnation correcte simplement pour cause d’une irrégularité procédurale.2390
La cour d’appel semble dès lors faire primer le caractère définitif des condamnations sur
l’équité de la procédure suivant la philosophie que la fin justifie les moyens. Une violation de
l’article 6 CESDH ne conduirait pas nécessairement à l’annulation de la condamnation.2391
Uniquement en cas d’entraves sérieuses à l’équité de la procédure, la condamnation ne repose
plus sur des bases solides et peut être annulée. La loi n’indiquant néanmoins pas clairement
ce qu’elle entend par unsafe, il existe un ensemble instable et imprévisible de
jurisprudence.2392 Selon la décision Mullen de 1999 « unsafe » peut aussi concerner une
erreur de procédure, même si la culpabilité de l’accusé ne fait aucun doute.2393 Ainsi, le

2386
J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, Jury Trials, o.c., p. 83-86. Au fil des années, le taux d’autorisation a pourtant
augmenté de 11% (avec un degré de succès de 7%) en 1954 à 35% (avec un degré de succès de 20%) en 2004 (v. J.R.
SPENCER, « Does Our Present Criminal Appeal System Make Sense ? », l.c., p. 681).
2387
En cas d’erreur de droit, la loi est fausse dans sa formulation, dans son interprétation ou dans son application aux
faits ; en cas d’erreur de fait, l’accusé n’a pas commis les faits ou ceci n’a pas été prouvé (R. PATTENDEN, « Criminal
Appeals – The Purpose of Criminal Appeals », l.c., p. 488).
2388
R. PATTENDEN, « Criminal Appeals – The Purpose of Criminal Appeals », l.c., p. 500.
2389
Même si la défense n’a pas fait objection au procès, un verdict inconsistant sera annulé si aucun jury raisonnable
n’avait pas pris cette décision (Burke [2006] EWCA Crim 3122 et W. [2009] EWCA Crim 476).
2390
Chalkley [1998] 2 Cr. App. R. 79 : « neither the misconduct of the prosecution, nor the fact that there has been a
failure to observe some general notion of ‘fair play’ are, in themselves, reasons for quashing a conviction » (A.
CLARKE, « Safety of Supervision ? The Unified Ground of Appeal and Its Consequences in the Law of Abuse of
Process and Exclusion of Evidence », Crim. L.R. 1999, p. 108 et s., sp. p. 113). Avec le Consultation Paper
« Quashing convictions » de 2006, le Gouvernement souhaitait mettre un terme au pouvoir de la Court of Appeal pour
annuler une condamnation pour cause d’irrégularité procédurale si la culpabilité de l’accusé ne fait pas de doute (pour
une critique, v. J.R. SPENCER, « Quashing convictions for procedural irregularities », Crim. L.R. 2007, p. 835-848).
2391
J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., p. 639.
2392
A. SANDERS et R. YOUNG, o.c., p. 568-571.
2393
Mullen [2000] 2 Cr. App. R. 143 et Togher [2001] 1 Cr. App. R. 457 (J.R. SPENCER, « Does Our Present Criminal
Appeal System Make Sense ? », l.c., note 11).

385
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Criminal Appeal Act de 1995 semble recouvrir dans une nouvelle formule (plus simple) les
anciens critères.2394

368. Sur le plan des faits, la cour d’appel applique une interprétation très
restrictive.2395 Rappelons à cet égard que son contrôle est entravé par l’absence de motivation
des décisions du jury et par le secret du délibéré.2396 Pour corriger une condamnation du jury
sur le plan des faits, la cour d’appel semble en principe exiger de nouvelles preuves qui
n’étaient pas disponibles en première instance, ce qui la rapproche à cet égard de la cour de
révision continentale.2397 La condamnation est-elle safe à la lumière de ces nouvelles
preuves ? Bien que cela ne soit pas spécifié, il semble que la charge de la preuve incombe à
l’accusé en appel, celui-ci devant alors convaincre la cour de son innocence.2398 Sans
nouvelles preuves, une condamnation est unsafe s’il y a : « some lurking doubt in our minds
which makes us wonder whether an injustice has been done. This is a reaction which may not
be based strictly on the evidence as such ; it can be produced by the general feel of the case
as the court experiences it ».2399 La cour d’appel dispose dès lors d’une grande latitude, étant
à la fois juge de fait et gardien du droit.

Or, même avec de nouvelles preuves, la cour d’appel reste vigilante pour contester et
a fortiori annuler une condamnation prononcée par le jury.2400 Elle cherche ainsi à garantir
que la responsabilité finale de condamner des personnes incombe toujours au jury2401, même
si la décision de celui-ci présente certains défauts.2402 Cette volonté pourrait être contrecarrée

2394
V. à cet égard J.R. SPENCER, « Quashing convictions for procedural irregularities », Crim. L.R. 2007, p. 841-842.
2395
K. MALLESON, « Miscarriages of Justice and the Accessibility of the Court of Appeal », l.c., p. 329-330. J.R.
Spencer le compare même au système de « triage » que les médecins appliquaient pendant la première guerre
mondiale, aidant en premier lieu ceux qui n’ont besoin que de soins rapides et laissant de côté ceux qui nécessitent des
soins compliqués puisqu’ils empêchent le traitement des blessés légers (J.R. SPENCER, « Does Our Present Criminal
Appeal System Make Sense ? », l.c., p. 693).
2396
R. PATTENDEN, « The Standards of Review for Mistake of Fact in the Court of Appeal, Criminal Division », l.c.,
p. 28.
2397
R. PATTENDEN, « Criminal Appeals – The Purpose of Criminal Appeals », l.c., p. 495. Exceptionnellement elle
autorise un appel, même en l’absence de nouvelles preuves (s. 13 CAA 1995).
2398
J.R. SPENCER, « Does Our Present Criminal Appeal System Make Sense ? », l.c., p. 681.
2399
« des doutes latentes qui font que nous nous demandons s’il y a une injustice. C’est une réaction qui ne devrait
pas être strictement fondée sur les preuves (tels qu’elles ont été présentéss devant la cour). Il peut être question d’un
sentiment général de la cour de l’affaire » (Lord Widgery in Cooper [1969] 53 Cr. App. R. 82 ; trad. pers.). La cour
d’appel applique le standard subjectif de lurking doubt. Il s’agit d’un « reasoned… unease » concernant la
condamnation prononcée par le jury (R. PATTENDEN, « The Standards of Review for Mistake of Fact in the Court of
Appeal, Criminal Division », l.c., p. 25-26). V. aussi Daniels [2008] EWCA Crim 498.
2400
G. WILLIAMS, o.c., p. 331 (Rowland [1947] KB 460).
2401
J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., p. 641.
2402
Ainsi, la connaissance d’un juré particulier de l’affaire en cause ne donne pas nécessairement lieu à l’annulation
de la décision, à la condition qu’il ne se soit pas encore formé cette opinion avant le procès (Box [1964] 1 Q.B. 430).
Lorsque le préjudice ne se révèle qu’après le procès, la décision ne peut pas être annulée (v. également Pennington
[1985] 81 Cr. App. R. 217). Des irrégularités concernant la composition du jury ne sont pas non plus suffisantes pour
annuler une décision de la Crown Court (s. 18 JA 1974 ; v. par exemple Raviraj [1987] 85 Cr. App. R. 93). Ainsi, la
surdité d’un juré ne suffit pas à annuler la décision, même si celle-ci a dès lors été prise par onze, et non douze jurés
(Chapman [1976] 63 Cr. App. R. 75.).

386
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

en cas de droit automatique d’appel, lequel conduirait sans doute à une surcharge de la cour
d’appel et, potentiellement, à une déstabilisation de l’institution du jury. Il en découle que
celui qui veut attaquer la décision de condamnation prononcée par le jury optimise ses
chances s’il réussit à démontrer parallèlement une irrégularité procédurale ou une erreur dans
le summing-up du juge.2403

369. La conception anglaise de l’appel présente le mérite de constituer un double


filtrage : d’une part, on ne peut pas passer sans l’autorisation de la cour d’appel ; d’autre part,
pour optimiser sa chance d’obtenir gain de cause, on a tout intérêt à soulever un vice
procédural. Pourtant, le parallèle avec notre Cour de cassation n’est pas intégral. En effet, si
la cour d’appel anglaise décide d’annuler la décision de la Crown Court, elle ne renvoie pas
nécessairement l’affaire à un autre jury2404, mais peut substituer sa propre décision à celle du
jury, ce qui renforce son caractère hybride. Il convient de souligner qu’un tel « appel
motivé » dont l’opportunité est jugée par une instance supérieure, a également été avancé en
France par le Haut comité Deniau. Celui-ci a notamment proposé de n’autoriser un appel
criminel qu’en cas d’avis favorable de la Cour de cassation. Cette dernière jugerait en
particulier l’existence d’un « risque sérieux d'erreur sur la matérialité des faits ou
l'appréciation de la peine prononcée ».2405 Cet « examen de l'erreur manifeste d'appréciation
et d'un contrôle poussé de la qualification » permettrait d’éviter des appels dilatoires après
des procès « bien jugés », tout en imposant une limite sérieuse à la possibilité d’appel afin de
« mieux juger moins mais juger mieux »2406. L'examen de la recevabilité aurait lieu sur la
base de critères juridiques visant à l'application des principes de proportionnalité et du procès
équitable. Pour justifier ce filtrage, les partisans s'appuyaient sur un rapport du Conseil de
l'Europe.2407 Ainsi que nous l’avons avancé précédemment, la CEDH ne s’oppose pas à ce
que les Etats membres soumettent l’accessibilité de la cour d’appel à une telle condition.2408

Selon Jean Pradel, une telle exigence doit toutefois être écartée dans la mesure où elle
apporte une certaine lourdeur, transforme la Cour de cassation en une juridiction de fait et
restreint le principe de double degré de juridiction.2409 L’appel correctionnel n’étant pas
soumis à un tel filtrage, cela questionne également quant au principe d’égalité des justiciables
devant la loi2410. S’agissant d’un ‘droit’ d’appel comme expression d’un droit de défense

2403
J. BALDWIN et M.J. McCONVILLE, Jury Trials, o.c., p. 85.
2404
Elle renvoie l’affaire uniquement à un autre jury si cela est dans l’intérêt de la justice (art. 7 CAA 1968).
2405
J. PRADEL, « ‘L'appel’ contre les arrêts d'assises : un apport heureux de la loi de 15 juin 2000 », l.c., p. 1970.
2406
M. LEMONDE, « L'appel en matière criminelle. Le beurre et l'argent du beurre? », l.c., p. 97.
2407
Rapport explicatif du Conseil de l'Europe relatif au Protocole n° 7 de la CESDH,
http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/117.htm, n° 19.
2408
Supra, n° 356.
2409
J. PRADEL, « ‘L'appel’ contre les arrêts d'assises : un apport heureux de la loi de 15 juin 2000 », l.c., p. 1970.
2410
Entretien avec J.-M. Fayol-Noireterre, par G. BLANC, JCP G 1996, Entretien n° 3951, p. 306.

387
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

internationalement protégé, le recours devrait être inconditionnel.2411 Cette opinion est


également partagée par la Commission de réforme belge selon laquelle un filtrage d’appel est
incompatible avec notre tradition.2412 S’y ajoute également la question de savoir quelle sera
l’autorité compétente pour un tel filtrage et la difficulté de déterminer les critères sur la base
desquels une telle limitation ad hoc pourrait s’effectuer.2413 Ces arguments furent aussi pris à
cœur par le projet du Corpus juris qui prescrivait, dans son article 27, l’exigence d’un double
degré de juridiction avec un droit automatique d’appel également possible en cas
d’acquittement par le ministère public européen. Voilà, un autre point qui compliquait
l’adhésion du Royaume-Uni au Corpus juris.2414

b. La solution belge d’une cassation élargie

370. Rejetant aussi bien un appel hiérarchique qu’un appel tournant, la proposition fut
déposée quant à la création, en Belgique, d’une cassation élargie afin de permettre une sorte
de contrôle des arrêts de la cour d’assises.2415 Il s’agirait d’un contrôle effectué par la Cour de
cassation qui transcenderait le contrôle purement formel.2416 Ce contrôle devrait être exercé
dans le respect des principes actuellement en vigueur en matière de pourvoi en cassation. En
particulier, il y aurait un contrôle intrinsèque de la motivation. Il convient notamment de
vérifier s’il y a une motivation et si celle-ci n’est pas contradictoire, ambiguë ou imprécise.
Un tel contrôle permettrait également de vérifier si les règles relatives à l’admissibilité des
preuves ont été respectées. Par exemple, le témoignage anonyme a-t-il en effet été corroboré
par d’autres preuves ? Finalement, la Cour de cassation pourrait examiner si les motifs ont pu
fonder la décision juridique de condamnation ou d’acquittement, ce qui traduit le passage des
faits au droit.

371. Au-delà de ce contrôle lié à l’obligation de motiver, la Cour de cassation devrait,


selon la proposition de la Commission de réforme de la cour d’assises, effectuer un contrôle
marginal concernant l’appréciation des témoignages par la cour d’assises.2417 Au lieu de
substituer sa propre appréciation à celle du jury, la Cour de cassation pourrait uniquement
censurer l’appréciation de la cour d’assises si elle avait conféré aux témoignages en question

John R. Spencer émet une critique similaire par rapport à la summary justice où existe un droit automatique d’appel
(J.R. SPENCER, « Does Our Present Criminal Appeal System Make Sense ? », l.c., p. 680-681).
2411
W. ROUMIER, o.c., p. 184, n° 334.
2412
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 36.
2413
Ph. Traest in F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 56.
2414
M. DELMAS-MARTY, o.c., p. 163-164.
2415
Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-924/1, p. 3 et s. ; la proposition de loi du 25 sept. 2008 s’inspire à cet égard sur les
propositions de la plume de la Commission de réforme.
2416
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 319.
2417
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 38-39.

388
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

un contenu ou une portée qu'ils n'ont pas.2418 Ce contrôle marginal devrait en principe se
dérouler selon les règles spécifiques de la « violation de la foi due aux actes ». Cela signifie
que la Cour de cassation vérifierait sur ce point si les témoignages n’ont pas reçu un contenu
qu'il n'ont pas.

Ce recours devrait être ouvert tant contre une décision de condamnation que contre un
acquittement, dans le respect des règles relatives au fonctionnement dévolutif des voies de
recours existantes en matière correctionnelle et de police.2419 Le pourvoi contre un
acquittement, portant sur l’action publique, ne pourrait être introduit que par le ministère
public. Celui de la partie civile ne pourrait avoir de conséquences que sur le niveau de
l'action civile.2420

Pour permettre à la Cour de cassation de bien exercer ce contrôle, il paraît inévitable


d’introduire l'enregistrement des débats devant la cour d'assises, tel que cela existe de
manière systématique dans les pays Anglo-saxons2421. Une transcription ne serait toutefois
possible qu’en fonction du contrôle marginal exercé par la Cour de cassation et cela dans les
conditions suivantes : la partie qui s'est pourvue en cassation devrait désigner exactement le
passage contesté à peine d'irrecevabilité du moyen pour manque de précision. Ce passage
devrait en outre être relaté à la motivation (ou une partie de celle-ci).2422 On éviterait ainsi
une audition intégrale des débats tout en maintenant le caractère essentiellement oral de la
procédure. Le risque de réticence que les jurés et autres acteurs sont susceptibles d’éprouver
face à l’enregistrement, semble à première vue réel, mais non insurmontable. Afin d’éviter
d’éventuels inconvénients techniques, il conviendrait d’augmenter les moyens et d’adapter
l’infrastructure.

372. Contrairement à la procédure correctionnelle pour laquelle il existe un appel de


pleine juridiction, la cassation élargie en matière criminelle nécessiterait le renvoi à une autre
cour d’assises. Supposant qu’il y ait bien une augmentation du nombre de pourvois en
cassation et de renvois, il s’agit dès lors de savoir si une telle solution est gérable sur le plan

2418
La formulation utilisée par la Cour de cassation dans un arrêt du 28 janv. 1997 peut faire autorité : « la mission de
la Cour se limite à contrôler, lorsque le juge a fondé sa décision sur un acte ou un écrit, s'il a attribué aux termes de
celui-ci son sens usuel ou non et, dans la négative, si, d'une part, l'interprétation donnée est conciliable avec ces
termes, vu le sens que le juge leur a attribué, et si, d'autre part, l'interprétation donnée est fondée sur l'ensemble de
l'acte ou sur une partie, qui a été préférée » (Cass. 28 janv. 1997, Pas. 1997, I, p. 120).
2419
Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4924/1, p. 22-23.
2420
V. Cass. RG P.09.1697.F, 10 févr. 2010.
2421
On en retrouve déjà un précédent avec le procès Rwanda, où tout a été enregistré (Doc.parl. Sénat 9 avr. 2001, n°
2-573). En France, l’enregistrement sonore des débats a été introduite par la loi du 9 mars 2004 (art. 308 al. 2 CPP).
S’il est ordonné par le président, il peut être utilisé devant la cour d’assises d’appel ou la Cour de cassation ou, après
cassation ou annulation sur demande en révision, devant la juridiction de renvoi.
2422
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 38-39. Une autre répercussion d’une telle cassation élargie consisterait
dans la suppression du pouvoir de la cour de renvoyer l’affaire à une autre session (ancien art. 352 CIC).

389
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

organisationnel. En outre, en maintenant la cassation ‘traditionnelle’ limitée pour les affaires


correctionnelles, le contrôle étendu au niveau criminel pose question quant à sa compatibilité
avec les articles 10 et 11 de la Constitution. La Commission de réforme de la cour d’assises,
à l’origine de cette proposition, réfutait cette critique en jugeant qu’une situation particulière
demande un moyen particulier. Soulignons toutefois, à nouveau, qu’on n’entre souvent dans
cette situation particulière qu’en échappant à la pratique artificielle de la correctionnalisation
judiciaire.

373. Au-delà des frontières belges, une proposition similaire a été envisagée en
France par Antoine Lyon-Caen, Maurice Zavaro et Jacques Larché2423, avant la réforme
intervenue en 2000. Ils envisageaient notamment d’élargir l’étendue de la Cour de cassation à
l’erreur des faits et à la loyauté des débats.2424 William Roumier, en revanche, réfute une telle
option en soulignant que la Cour de cassation n’est pas une voie de recours ordinaire.2425 On
risque de la transformer, contrairement à notre tradition, en un troisième degré de juridiction.
Pourtant, ainsi que cela fut déjà avancé2426, la Cour de cassation se rend parfois également sur
le terrain des faits, notamment dans l'usage qu’elle fait de la notion de ‘recevabilité’ en cas de
révision,2427 en dépit de la volonté de la Commission de la Chambre qui estimait —
contrairement à la Commission du Sénat2428 — que dans le cadre de l'examen d'une demande
de révision, l'appréciation des faits doit être totalement maintenue en dehors de la sphère de
compétence de la Cour de cassation.2429 La procédure de révision ne peut toutefois pas faire
office de solution : elle reste dépendante des éléments de fait qui n'ont, jusqu’alors, été
soumis à aucune autre instance.

374. La loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises réfutant


l’enregistrement de débats, le seul changement porte sur le fait que la Cour de cassation
pourrait effectuer un contrôle de la motivation. En vertu de l’article 337 alinéa 3 du Code

2423
JORF Sénat CR 25 juin 1999, p. 4467 ; v. également la sympathie pour une telle option exprimée par M. Zavaro
lors du Colloque du 3 févr. 1996, à Saintes « The jury or not the jury ? ».
2424
W. ROUMIER, o.c., p. 174, n° 307.
2425
Pour la même raison, il réfute la proposition d’Y. Corneloup de mettre en vigueur une Cour suprême criminelle —
composée de trois magistrats d’un grade équivalent à celui de magistrats de la Cour de cassation et ayant une
expérience éprouvée de la cour d’assises ; deux avocats nommés par le Conseil supérieur de la magistrature et quatre
jurés tirés au sort parmi les anciens jurés —, afin de concilier la souveraineté du peuple et de permettre aux parties de
contester le verdict de fond (Y. CORNELOUP, l.c., p. 1340). Selon Y. Corneloup une telle cour n’interviendrait
qu’après que la décision de la cour d’assises est devenue définitive et que la cassation n’est plus possible. Elle serait
également censée renvoyer devant une autre cour d’assises (W. ROUMIER, o.c., p. 175, n° 308).
2426
Supra, note 2245.
2427
Ainsi, la Cour de cassation considérait en ce qui concerne la crédibilité de la rétractation des déclarations d’un co-
inculpé que « la rétractation de déclarations faites au cours du procès ne peut être considérée comme un fait nouveau
d'où résulterait la preuve de l'innocence du requérant, et rendre la demande en révision recevable, que si sont
produits des éléments de nature à rendre vraisemblable la sincérité de cette rétractation » (Cass. 1er déc. 1958, Pas.
1959, I, p. 326).
2428
Doc.parl. Sénat 1892-93, n° 146, p. 111-112.
2429
Doc.parl. Chambre, 1893-94, n° 191, p. 312.

390
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

d’instruction criminelle, le pourvoi en cassation contre la déclaration du jury et la motivation,


doit être introduit, sauf en cas d'acquittement et de renvoi en cas d’erreur manifeste (art. 336
CIC), en même temps que le pourvoi en cassation contre l'arrêt définitif (art. 359 CIC).
Imposant également une motivation des arrêts d’acquittement, il semble qu’une cassation
devient également possiblement pour ces arrêts. La loi du 21 décembre 2009 manque
pourtant de clarté sur ce point, ayant maintenu la disposition que « dans le cas d'acquittement
de l'accusé, l'annulation de l'ordonnance, qui l'aura prononcé, et de ce qui l'aura précédée,
ne pourra être poursuivie par le ministère public que dans l'intérêt de la loi et sans
préjudicier à la partie acquittée » (art. 409 CIC). Selon différents auteurs, cette disposition
est pourtant implicitement abrogée par la modification de l’alinéa 2 de l’article 410 du Code
d’instruction criminelle qui dispose désormais que « la même action [l’annulation de l’arrêt]
appartiendra au ministère public contre les arrêts d’acquittement […] ». Cela permettrait
dorénavant un pourvoi du ministère public contre un arrêt d’acquittement, par exemple en
raison des motifs contradictoires, équivoques ou illégales.2430 L’ordonnance d’acquittement
n’ayant plus la même portée compte tenu de son remplacement par un arrêt motivé
d’acquittement, A. Masset et D. Vandermeersch considèrent que la partie civile est autorisée
à se pourvoir contre un acquittement, sur le plan civil, à savoir contre la décision
d’incompétence rendue sur l’action civile à la suite de l’acquittement.2431 Le cas échéant — si
le renvoi n’est prononcé par la Cour de cassation que sur le plan civil — l’affaire devrait être
jugée, selon ces auteurs, par une autre cour d’assises qui statuera sans jury.2432 En revanche,
un pourvoi de la partie civile ne serait pas possible contre une décision de renvoi à la session
suivante, cette décision ne jugeant pas la demande civile.2433

375. A nos yeux, cette solution d’une cassation élargie témoigne de la volonté de
permettre un contrôle des verdicts du jury, mais également de la difficulté de l’instituer par
les voies traditionnelles. Etant contraint de maintenir le jury populaire, il est louable que la
Commission de réforme belge cherche une solution pour rapprocher la procédure criminelle
de la procédure correctionnelle. Celle-ci n’est pourtant qu’un palliatif, certes créatif, mais
dérogatoire. La Cour de cassation ne connaissant pas le fond des affaires, le contrôle par cette
cour est limité. Or, le droit d’appel étant un droit de l’homme, il ne peut pas être limité.
L’argument plaidant qu’avec une diminution du nombre d’affaires traitées par la cour

2430
Intervention d’Y. LIEGEOIS, « De nieuwe wetgeving m.b.t. het hof van assisen (Wet van 21 december 2009) : een
kritische analyse » lors de la session multidisciplinaire « Getuigen voor het hof van assisen », Louvain, le 27 avr.
2010 ; v. également D. DILLENBOURG, « La réforme de la cour d’assises et ses incidences sur les juridictions
correctionnelles », RDPC 2010, p. 438 et s.
2431
A. MASSET et D. VANDERMEERSCH, l.c., p. 230-231 ; Cass. 17 mars 2010, JT 2010, p. 238.
2432
A. MASSET et D. VANDERMEERSCH, l.c., p. 231.
2433
Ibid.

391
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

d’assises, un double degré de juridiction en matière criminelle serait moins impératif2434,


n’est guère convaincant. Telle était également la vision du Conseil supérieur de la justice qui
considérait la nécessité d’un appel en matière criminelle comme décisive pour l’avenir du
jury populaire.2435 « Si l’on veut introduire la possibilité d’un recours, il faut prévoir un
recours digne de ce nom et ne pas de limiter à une sorte d’appel allégé ».2436 La possibilité
de renvoi à une autre session et dès lors à un autre jury n’est guère une justification pour
l’absence d’appel en matière criminelle, ce ‘garde-fou’ n’étant ni un droit pour l’accusé, ni
possible contre un verdict d’acquittement.2437 Ni le droit belge, ni le droit anglais, ne
réussissent alors à garantir in extenso le droit d’appel. Examinons avec beaucoup d’intérêt
alors la procédure criminelle française.

B — APPROCHE « SOUVERAINISTE-MODERNISTE » EN DROIT


FRANÇAIS ?

376. Avec la loi du 15 juin 2000 complétée par la loi du 4 mars 2002,2438 la France a
prêté l'oreille à la nécessité d’instaurer un double degré de juridiction en matière criminelle
(art. 380-1 à 380-15 CPP).2439 Corrélativement, elle a supprimé la chambre d'accusation et
donc le double degré d'instruction afin de ni alourdir, ni allonger, excessivement, l'instance

2434
F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 4-5.
2435
Avis du 11 févr. 2009 du Conseil supérieur de la Justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 18 et s.
2436
Avis du 11 févr. 2009 du Conseil supérieur de la Justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 20.
2437
A. MASSET et D. VANDERMEERSCH, l.c., p. 230.
2438
Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes,
JORF 16 juin 2000, p. 9038. Pour la genèse de cette loi, v. in extenso les rapports de Ch. Lazerges (Rapport n° 1468
(1999-2000) relatif au projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes,
fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles et Rapport n° 2136 (1999-00) sur le projet de loi, modifié par
le Sénat, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits, fait au nom de la Commission des lois de
l'Assemblée nationale, www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r2136.asp, p. 109 et s.) et celui de J. Dray (Rapport
n° 3607 (2001-02) fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions
restant en discussion de la proposition de loi complétant la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de
la présomption d'innocence et les droits des victimes, www.assemblee-nationale.fr/11/pdf/rapports/r3607.pdf). La loi
n° 2002-307 du 4 mars 2002 complétant la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence
et les droits des victimes, JORF 5 mars 2002, p. 4169.
2439
Une telle réforme ne vient pas du néant. Elle était en germe depuis les années 1980. Ainsi la Commission Léauté
proposait en 1982 au sein de chaque département un « tribunal criminel » avec trois juges du tribunal de grande
instance et six jurés et au sein de chaque cour d'appel une « cour criminelle » avec trois juges appartenant à la cour
d'appel et neuf jurés. Selon un amendement déposé en 1992 par la Commission des lois de l'Assemblée nationale, lors
de l'examen de ce qui est devenu la loi de 1993 portant réforme de la procédure pénale, le deuxième examen aurait
lieu devant une juridiction de même degré mais d'un autre ressort. La cour d’assises d'appel aurait été composée de
trois magistrats et de neuf jurés, tandis que la cour d’assises de première instance disposerait de sept jurés, ce qui
sous-tend une organisation et une conception différente de l’appel. Rejetant un appel hiérarchique, le rapport du Haut
Comité Deniau proposait ensuite une « petite cour d’assises » avec cinq jurés et trois magistrats en première instance
et la cour d’assises existante en appel avec neuf jurés et trois magistrats d'un grade plus élevé que les précédents
(infra, n° 581). Une telle proposition était également soutenue par le projet de tribunal d’assises qui n’envisageait
pourtant plus une juridiction permanente. Une session serait organisée « chaque fois qu’une affaire doit être jugée »
(M. LEMONDE, « L'appel en matière criminelle. Le beurre et l'argent du beurre? », l.c., p. 92). L’échec de ces
propositions était mis sur le compte des changements politiques et du manque de moyens financiers (Ch. LAZERGES,
Rapport n° 2136 (1999-00), l.c. et J. PRADEL, « ‘L'appel’ contre les arrêts d'assises : un apport heureux de la loi de 15
juin 2000 », l.c., p. 1965). Ainsi que nous le verrons ultérieurement, l’option d’un tribunal criminel figure
actuellement à nouveau dans l’agenda politique (infra, n° 586).

392
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

criminelle. En effet, le maintien du double degré d’instruction, à côté du double degré du


jugement, risquerait de porter atteinte au principe du délai raisonnable de la CESDH.2440
Ainsi, la loi du 15 juin 2000 a bouleversé la structure de l'instruction préparatoire. Elle a mis
fin à cent quatre-vingt douze ans de règne de la chambre d'accusation sur l'instruction
criminelle, ce que déplorent nombre d’auteurs.2441 Ainsi, le juge d'instruction a fait une
spectaculaire conquête.2442 Au-delà de ses compétences habituelles, il dispose désormais
d’une voix sur la clôture de la procédure, même pour le renvoi en jugement des infractions
les plus graves. Selon Wilfried Jeandidier, cette mission semble toutefois trop lourde pour
être confiée à une seule personne.2443 Un tel accroissement du rôle du juge d’instruction
paraît étrange au regard de la tendance contemporaine « d’affaiblissement de l’homme le plus
puissant de la France ».2444 En effet, selon Wilfried Jeandidier il est assez paradoxal que « le
juge d'instruction, si décrié, en particulier à l'occasion de quelques affaires outrageusement
médiatisées, sorte renforcé […] ».2445 Si ces critiques semblaient s’être cristallisées, avec la
loi du 5 mars 2007 sur l’équilibre de la procédure pénale à la suite de l’affaire Outreau2446, un
nouveau bouleversement semble imminent avec l’avant-projet du futur Code de procédure
pénale du 1er mars 2010. Inspiré par les idées du Comité de réflexion sur la justice pénale,
celui-ci envisage de supprimer le juge d’instruction. Dans cette optique, le pouvoir de
renvoyer à la cour d’assises incomberait au procureur de la République et en cas de
contestation au juge de l’enquête et des libertés (qui remplacerait le juge d’instruction). Un
appel serait possible devant la chambre de l’enquête et des libertés (qui remplacerait la
chambre de l’instruction ; art. 334-54 Avant-projet CPP). Une telle évolution constituerait un
grand contraste avec le système belge où le pouvoir de renvoi à la cour d’assises n’incombe
qu’à la chambre des mises en accusation.

Pour le moment, c'est au juge d'instruction qu'il appartient de renvoyer devant la cour
d’assises française les personnes accusées de crime ou de délit connexe (art. 181 CPP).2447
Toutefois, il demeure toujours possible d’infliger un appel contre la décision de mise en
accusation du juge d’instruction en vertu de l’article 186 alinéa 1 in fine du Code de

2440
W. ROUMIER, o.c., p. 164, n° 288.
2441
R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel. Procédure pénale, Paris, Ed. Cujas, 2001, 5ème éd., p. 453, n° 382
et R. VOUIN, « Prière pour la chambre d'accusation », JCP 1955, I, Etude n° 1221.
2442
W. JEANDIDIER, « Requiem pour la chambre d'accusation », JCP G 2000, I, Etude n° 260, p. 2064.
2443
W. JEANDIDIER, « Requiem pour la chambre d'accusation », l.c., p. 2065.
2444
W. ROUMIER, o.c., p. 163, note 634.
2445
« Le partage avec un autre magistrat [le juge des libertés et de la détention] dans le domaine des libertés est un
épiphénomène » (W. JEANDIDIER, « Requiem pour la chambre d'accusation », l.c., p. 2065).
2446
Supra, note 147.
2447
La Commission de réforme de la cour d’assises belge optait pour une suppression de l’intervention de la chambre
du conseil. Le ministère public devrait par conséquent adresser directement une réquisition à la chambre des mises en
accusation (Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 50).

393
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

procédure pénale, la chambre d’accusation étant rebaptisée ‘chambre de l’instruction’. Par


ailleurs, par la loi du 15 juin 2000, le rôle des parties dans la phase d’instruction s’est
renforcé, de sorte qu’il est peu probable que le dossier soit incomplet.2448

377. Si l’instauration d’un appel en matière criminelle s’avère louable dans son
principe, surtout à l’égard de la cour d’assises sans jury, une analyse plus approfondie
démontrera néanmoins que le recours instauré par le législateur français n’est pas un appel au
sens propre du mot en dépit de sa dénomination « d’appel en matière criminelle ». En effet, il
diffère sensiblement de ce qui est habituellement connu sous le nom d’appel, à tel point que
l’on peut s’interroger sur sa nature véritable. A l’instar d’une ombre dans la caverne de
Platon, il s’agit de savoir s’il n’est pas question d’une sorte d’appel « putatif » (1). Le
législateur demeure-t-il solidaire de la souveraineté populaire qu’il prétend avoir outrepassée
pour envisager un appel ? Il est en effet étrange que soit avancée la ‘mort’ du jury pour
introduire un appel en droit français tout en créant, par ailleurs, un appel sui generis non
hiérarchique devant un autre peuple qui jugera selon les mêmes conditions. Il s’agit dès lors
de savoir si l’on n’aurait pas tout simplement transféré le problème. Or, la question se pose
de savoir quelle aurait été l’alternative. Les tentatives visant à augmenter la légitimité de
l’institution d’appel afin d’avoir un appel hiérarchique au lieu d’un appel tournant, ne
conduisent-elles pas à une victoire à la Pyrrhus, à savoir un gain de légitimité au prix du jury
populaire (2) ?

1. Le recours criminel français : un appel ‘putatif’ ?

378. Comme en matière correctionnelle, la nouvelle voie de recours a un double


effet : suspensif et dévolutif. Ainsi il est interdit d’aggraver le sort de l’accusé sur son seul
appel (art. 380-3 CPP2449). Mais ne s'agissant pas d'un appel au sens traditionnel du mot, ces
deux effets sont limités.

379. L'effet suspensif signifie que l'exécution de l'arrêt, tant sur l'action publique que
civile, est suspendue pendant l'écoulement des délais d'appel et l'instance d'appel ouverte par
l'exercice de cette voie de recours.2450 Cet effet connaît des exceptions en matière criminelle
dans la mesure où, sur le plan de l’action publique, l’ordonnance de prise de corps contre un

2448
Art. 81 al. 9 et 82-1 et art. 82-2 CPP (W. ROUMIER, o.c., p. 163, n° 288).
2449
Crim. 26 mars 2003, D. 2003, inf. rap. p. 1480 ; il en est de même pour la partie civile s’il y a seulement appel sur
intérêts civils (Crim. 28 avr. 2004, Bull. crim. 101 et Crim. 31 oct. 2006, D. 2007, p. 84). Pour cette raison il est rare
que le parquet ne fasse pas également appel, afin de permettre à la cour d’assises d’aggraver le sort de l’accusé. La
circulaire d’application du ministre de la Justice du 11 déc. 2000 recommandait même qu’un appel incident soit
automatiquement formé en cas d’appel principal de l’accusé (M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 203). Pour la période 2003-
2005 l’accusé n’était seul à interjeter appel que dans 5% des cas (L. CHAUSSEBOURG et S. LUMBROSO, « L’appel des
décisions des cours d’assises : conséquences sur la déclaration de culpabilité », Infostat Justice 2008, n° 100, p. 3).
2450
Cela n’est pas le cas en droit anglais où la peine est immédiatement exécutée, même si on interjette un appel. Pour
une critique, v. J.R. SPENCER, « Does Our Present Criminal Appeal System Make Sense ? », l.c., p. 685.

394
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

accusé condamné par la première cour d’assises à une peine privative de liberté non couverte
par la détention provisoire est mise à exécution ou continue de produire ses effets jusqu’à ce
que la durée de la détention ait atteint celle de la peine prononcée (art. 367 al. 2 CPP), et dans
la mesure où la cour d’assises de première instance peut ordonner que les peines
complémentaires auxquelles elle a condamné l’accusé soient appliquées.2451

380. Par effet dévolutif, on veut dire que l'affaire est portée devant le juge saisi du
recours, mais seulement dans certaines limites. En particulier, le juge de second degré ne peut
juger que dans quatre limites : les faits du procès, la qualité et les intérêts des appelants et les
termes de l'acte. Concernant cette dernière limite notamment, c'est-à-dire les termes de l'acte
ou l'objet de l'appel, l'effet dévolutif diffère ici profondément de l'appel formé contre les
jugements des tribunaux correctionnels et de police. En matière correctionnelle et de police,
on applique la maxime « tantum devolutum, quantum appelatum » (art. 509 CPP), ce qui
implique que l'appelant peut se pourvoir seulement contre l'un ou quelques-uns des chefs de
jugement, la juridiction d'appel ne pouvant dès lors examiner ce dont elle n’est pas saisie.
Admettre une solution contraire reviendrait à autoriser le juge à connaître des faits ou
éléments qu'on ne lui a pas déférés, c'est-à-dire à outrepasser sa saisine et à statuer ultra
petita. En matière criminelle, cette maxime est sans application. L'appel des décisions des
cours d’assises réduit à néant la décision attaquée et les juges d'appel procèdent au réexamen
de l'affaire en son entier (art. 380-1 al. 2 CPP) « comme en cas de renvoi après cassation »
(art. 380-14 al. 3 CPP2452) ou comme la juridiction correctionnelle après opposition au
jugement par défaut. Les juges d’appel ne vont ni confirmer, ni infirmer, ni réformer la
décision prise. Ils ne le peuvent même pas pour cause d’absence de motivation. Ils vont donc
juger à nouveau lors d’un nouveau procès aussi complet. L’arrêt frappé d’appel n’existe plus
à l’égard des parties demeurant en cause : « on efface tout et on recommence ».2453 L'effet
dévolutif ne joue donc pas pleinement. Ainsi, un appel sur les seules dispositions de l’arrêt
relatif à la peine doit être déclaré irrecevable.2454 Une telle conception de l’appel figurait
également dans la proposition de loi belge (rejetée) du 10 août 2007 de Philippe Monfils.2455

Le législateur français n’a toutefois pas été cohérent. Premièrement, il impose à


nouveau la lecture de l’arrêt de renvoi, des questions posées à la cour d’assises de première
instance — même s’il s’agit dans certaines affaires complexes d’une centaine de questions —

2451
M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 223-224.
2452
Crim. 2 févr. 2005, Bull. crim. 39.
2453
H. ANGEVIN, o.c., p. 459, n° 1296.
2454
Crim. 2 févr. 2005, Bull. crim. 39.
2455
Proposition de loi (Ph. MONFILS) organisant un recours contre les arrêts de la cour d’assises, Doc.parl. Sénat
2007, n° 4-147/1.

395
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

et des réponses à ces questions (art. 327 CPP).2456 Cela serait de nature à pallier l’absence de
motivation et donnerait des indications sur la première décision, ce qui semble néanmoins
absurde.2457 Avec le réexamen, la cour d’appel doit juger sans a priori, en toute
indépendance.2458 Une telle lecture aboutit dès lors à un mélange des genres : « les juges de
première instance deviendront accusateurs alors que l’accusation doit rester le fait du
ministère public »2459 Il serait en outre incohérent de relire l’acte d’accusation en appel alors
même qu’il y avait des acquittements dont il n’a pas été relevé appel.2460 Il faut donc
supprimer cette obligation, celle-ci n’étant pas non plus prescrite en cas de renvoi à la cour
d’assises après cassation.2461 Du même point de vue, la proposition du Comité de réflexion
sur la justice pénale de prévoir, hormis les cas de procédure simplifiée en cas de
reconnaissance de culpabilité2462, la retranscription ou l’enregistrement des procès d’assises
pour servir les cours d’assises d’appel — en cas de contestation des parties, elles pourraient
avoir une connaissance exacte des propos tenus en première instance2463 —, manque de
logique. Deuxièmement, malgré le nouveau procès intégral, la victime ne peut pas se
constituer partie civile pour la première fois devant la cour d’assises d’appel, bien que cette
dernière n’infirme, ni ne confirme la décision mais la rejuge à fond. L’article 380-6 du Code
de procédure pénale se réfère uniquement à la partie civile déjà constituée.2464

381. Une autre particularité concerne l’appel contre un acquittement. Dans un premier
temps, le parquet pouvait uniquement interjeter un appel principal contre la condamnation
pour assurer la défense de la société ou un appel incident2465 après l’appel principal de
l’accusé, ce qui se justifiait en cas de pluralité d’accusés.2466 En cas d’acquittement, on
préservait ainsi le dogme de l’infaillibilité du jury.2467 Ceci témoignait à nouveau de

2456
Crim. 12 févr. 2003, JCP 2003, I, n° 162, p. 1624, obs. A. MARON. Le procès-verbal doit en faire mention sous
peine de cassation (Crim. 31 mars 2004, AJpénal 2004, p. 247, obs. J. LEBLOIS-HAPPE ; Crim. 25 mai 2005, AJpénal
2005, p. 333 et Crim. 2 sept. 2005, Bull. crim. 216).
2457
V. BRAULT-JAMIN, l.c., p. 706.
2458
W. ROUMIER, o.c., p. 208-209, n° 384. L’arrêt rendu sur un incident contentieux ne peut pas faire l’objet d’un
appel devant la cour d’assises d’appel (art. 316 al. 3 CPP). Mais un tel arrêt n’ayant aucune autorité de chose jugée
pour la cour en appel, la partie qui a soulevé l’incident en premier ressort peut recommencer en appel. La cour d’appel
n’est donc pas tenue par cette décision de première instance (H. ANGEVIN, o.c., p. 450, n° 1276).
2459
M. Peyrot, cité par W. ROUMIER, o.c., p. 209-210, n° 386.
2460
Ph. EDMOND-MARIETTE et B. LAVIELLE, « Des maux aux actes Outreau et puis… rien ? », AJpénal 2006, p. 163.
2461
Crim. 12 mai 1999, Bull. crim. 96 (W. ROUMIER, o.c., p. 210, n° 387).
2462
Supra, n° 54.
2463
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 39-40.
2464
Une exception existe à l’égard du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions,
celui-ci étant autorisé à intervenir pour la première fois devant la cour d’assises d’appel (Crim. 17 mars 2004, Bull.
crim. 68).
2465
Crim. 2 mai 2004, AJpénal 2005, p. 163 : en cas de désistement de la défense de son appel contre un verdict de la
cour d’assises, l’appel incident du ministère public devient également caduc (Crim. 2 févr. 2005, Bull. crim. 40).
2466
J. PRADEL, « ‘L'appel’ contre les arrêts d'assises : un apport heureux de la loi de 15 juin 2000 », l.c., 2001, p. 1967.
2467
W. ROUMIER, « Pour en finir avec une réforme inachevée : à propos de l’appel des décisions en matière
criminelle », Dr. pén. 2003, chr. 28, p. 4 ; v. Crim. 23 mai 2001, Bull. crim. 133 et RSC. 2001, p. 836, obs. D.
COMMARET. Selon L. Mortain l’explication de cette option pourrait aussi se trouver dans la composition des

396
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

l’assimilation au pourvoi en cassation — sauf dans l'intérêt de la loi2468 — et à la révision,


qui ne sont en France pas non plus possibles contre un acquittement. Cette règle résultait de
la volonté clairement exprimée par les parlementaires de donner au condamné une seconde
chance2469 : « la société ne doit pas jouer avec cet homme poursuivi pour crime comme un
chat joue avec la souris ».2470 Au regard de l’article 2 du Protocole n° 7 CESDH, le droit de
faire examiner la déclaration de culpabilité ou sa condamnation devant une juridiction
supérieure ne revient qu’à la personne déclarée coupable d’une infraction pénale. L’absence
d’un tel privilège pour le ministère public n’est donc pas sanctionnée par la CEDH.

Sur le plan juridique, la France n’était donc pas obligée d’étendre le droit d’instaurer
un appel contre les acquittements. Pourtant, pour préserver l’égalité des armes et la
philosophie d’équilibre2471 et afin d’endiguer les problèmes en cas de pluralité d'accusés et de
l’acquittement de certains d’entre eux2472, la loi du 4 mars 2002 s’est rapprochée de la voie de
recours classique2473 en ouvrant l’appel du parquet aux arrêts d'acquittement. Compte tenu de
la spécificité de la procédure devant la cour d’assises, l'appel des acquittements doit toutefois
présenter un caractère exceptionnel. C'est pourquoi la loi du 4 mars 2002 réserve cette
possibilité au procureur général.2474 Le cas échéant, l’appel de ce dernier doit nécessairement

commissions des lois. En particulier, elle suggère que « la plus grande représentation des avocats explique peut être
qu'en 2000 on ait choisi une solution qui leur était plus bénéfique ». Prudemment, elle ajoute que cette hypothèse ne
peut occulter que ces avocats sont avant tout des parlementaires qui votent la loi dans l'intérêt général (L. MORTAIN,
Consensus au parlement : l'instauration de l'appel des décisions de cour d’assises, Mémoire sous la direction de M.
FRANCOIS, Paris I, 2002-2003, p. 36).
2468
Art. 572 CPP (Crim. 16 juill. 1996, Bull. crim. 297).
2469
Ch. LAZERGES, Rapport n° 2136 (1999-00), l.c., p. 110.
2470
JORF Sénat CR 25 juin 1999, p. 4466.
2471
Dire qu’un nouveau procès après un acquittement est peu humain à l’égard de l’accusé manque du fond. Une telle
considération humanitaire ne vaut-elle dès lors pas aussi pour les victimes (W. ROUMIER, o.c., p. 190-191, n° 347) ?
Au correctionnel, il est également possible d’instaurer un appel contre un acquittement, peu importe qu’il soit
défavorable à l’accusé.
2472
Rien n’empêche en effet que celui qui a été acquitté en première instance fasse — comme simple témoin — de
nouvelles déclarations en appel et disculpe ainsi ses anciens co-accusés en avouant le crime et en assumant l’entière
responsabilité des faits (W. ROUMIER, o.c., p. 192, n° 352), sans risque d’être condamné ; ou en revanche, qu’il charge
ses anciens co-accusés, tel que cela fut le cas dans l’affaire médiatisée des époux Guillemot (F.-J. PANSIER et C.
CHARBONNEAU, « Présentation de la loi du 4 mars 2002 complétant la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption
d’innocence », PA 2002, n° 60, p. 12).
2473
Cette modification, qui renforce l'équilibre de la procédure pénale, a été préconisée par le rapport d'information
sur l'évaluation de la loi du 15 juin 2000 par Ch. Lazerges, rapporteur de cette loi. Dans un premier temps ce rapport
envisageait de limiter ce droit du ministère public en cas de pluralité d’accusés (Ch. LAZERGES, Rapport n° 3501
(2000-01) fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de
la République) ; contra J. DRAY, Rapport n° 3607 (2001-02), l.c.
2474
F. LE GUNEHEC, « Présentation de la loi du 4 mars 2002 complétant la loi du 15 juin 2000 sur la présomption
d’innocence. Pour l’essentiel, quelques retouches de bon sens », JCP G 2002, I, Actualité n° 206, p. 859. Cette
opportunité n’incombe ni au procureur de la République, même s’il agit sur les instructions du procureur général
(Crim. 2 sept. 2009, D. 2009, p. 2349, obs. M. LENA), ni à la partie civile. Cette dernière peut en pratique toujours
s'adresser au parquet pour lui demander d'exercer son droit d'appel. Si celui-ci refuse, il y a fort à parier que c'est
parce que la décision sur l'action publique est parfaitement fondée, remarque W. Roumier (W. ROUMIER, l.c., p. 6). A
la condition qu’elle ait également été partie civile en premier ressort, la partie civile qui n’a pas instauré un appel sur
les intérêts civils, peut quand même exercer en appel les droits reconnus à la partie civile (Crim. 28 sept. 2005, RSC
2006, p. 108, note A. GIUDICELLI). Des nouvelles demandes ne sont pas possibles, sauf en cas de préjudice souffert

397
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

porter sur tous les chefs d’accusations. La cour d’assises en appel doit en effet rejuger
l’intégralité de l’affaire. Il en résulte que l’appel du ministère public en matière criminelle est
une question de tout ou rien, ce qui confirme à nouveau la spécificité de cette voie de recours
devant la cour d’assises.2475

382. Finalement, la désignation de la cour d’assises d’appel fait l’objet d’une


procédure particulière qui affuble la Cour de cassation d’un rôle étrange (art. 380-14
CPP).2476 Contrairement à la matière correctionnelle où on connaît d’avance son juge d’appel,
il relève de la compétence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation de désigner la
cour d’assises compétente en appel2477. Ainsi que le soulignent Serge Guinchard et Jacques
Buisson, le choix effectué par la Cour suprême sera toujours suspect pour les personnes
concernées, celles-ci pouvant avoir l’impression que ce choix est davantage dicté par des
raisons d’opportunité de la répression qu’une pure régulation des flux judiciaires.2478 Il est en
outre contraire à la position du Conseil constitutionnel.2479 Sur quels critères la Chambre
criminelle effectue ce choix ? Faute de précisions dans la loi du 15 juin 2000 quant à la
désignation de la cour d’assises d’appel, la pratique consiste généralement à suivre les
observations du parquet. Souvent, la Cour de cassation applique le critère de proximité
géographique avec une priorité pour le ressort de la même cour : proximité des personnes
appelées à déposer au procès, prévisibilité de la charge de travail et, bien sûr moindre coût.
La désignation d'une cour voisine évite ainsi des déplacements importants aux parties, aux
témoins, aux experts et aux enquêteurs. En outre, elle permet une meilleure gestion de
l'augmentation des contentieux des cours d’assises. Cependant, le revers de la médaille est le
risque d'aggraver la situation de certaines cours d’assises, notamment en région parisienne où
elles tournent déjà à plein régime. La proposition de loi du 13 octobre 2004 (caduque)
tendant à modifier certaines dispositions du Code de procédure pénale, abandonnait toutefois
ce critère. En vertu de cette proposition, la cour d’assises d’appel devrait être désignée dans
le ressort d’une autre cour d’appel afin de contribuer autant que possible à la sérénité de la
justice.2480

depuis la première décision. Cette possibilité pour la victime d’exercer les droits reconnus à la partie civile jusqu’à la
clôture des débats est inscrite à l’art. 380-6 al. 2 in fine CPP.
2475
En revanche, si l’accusé interjette appel, les réponses négatives aux questions restent acquises (Crim. 24 juin
2009, AJpénal 2009, p. 413, obs. G. ROUSSEL).
2476
La Cour de cassation peut également constater l’irrecevabilité du recours interjeté (art. 380-15 CPP). Lorsque
l’arrêt de première instance a été rendu par une cour d’assises sans jury, la Cour de cassation peut décider, ce qu’elle a
fréquemment fait, de désigner la même cour d’assises, celle de Paris, autrement composée. L’affaire Boualem Bensaïd
de 2001 en constitue un exemple (H. ANGEVIN, o.c., p. 463, n° 1309).
2477
H. ANGEVIN, o.c., p. 460 et s., n° 1300 et s.
2478
S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 245, n° 201.
2479
Ibid.
2480
Proposition de loi n° 24 (M. DREYFUS-SCHMIDT et M. CHARASSE), l.c.

398
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

383. Non seulement le recours institué en matière criminelle déroge à certaines


qualités de l’appel traditionnel, mais il présente en outre des caractéristiques spécifiques. En
particulier, l'appel circulaire en matière criminelle a renforcé la composition de la cour
d’assises en appel avec trois jurés.2481 Le chiffre évangélique de douze est ainsi à nouveau
consacré. Seulement en cas de connexité, s’il n’y a que l’accusé du délit connexe qui
interjette un appel, la cour d’assises décide en appel sans jury (art. 380-1 al. 3 CPP).2482

La représentation plus importante des jurés a été considérée comme nécessaire pour
donner une plus grande légitimité aux décisions qui seront rendues en appel. Par contre, le
législateur n’exige pas que les magistrats professionnels aient un grade supérieur en appel. Il
n’est pas nécessaire que les assesseurs soient des conseillers. Il est seulement interdit que les
magistrats de première instance participent à la décision en appel.2483 Ne répondant pas à la
définition d’un vrai appel, il ne semble donc pas non plus s’agir d’un vrai appel tournant.
Comment l'appeler, alors ? Selon Robert Badinter, peu importe : « je ne sais pas s'il s'agit à
proprement parler d'un appel, d'un recours ou d'une deuxième chance, mais je sais, en tout
cas, qu'il s'agit d'une autre possibilité juridictionnelle. Quelle que soit sa qualification
juridique, pour les accusés et pour les condamnés, cela suffit »2484. En effet, pour les
condamnés innocents de l’affaire d’Outreau, peu importait comment le recours était nommé.
Un autre regard porté sur leur affaire a permis de sauver le procès de l’erreur judiciaire au
sens strict du mot.2485 De ce point de vue, la qualification de « putatif » est injustifiée.

384. Quant à la procédure, cette juridiction d’appel demeure soumise à la procédure


qui règne en première instance.2486 Bien évidemment, les règles sont adaptées au nombre plus
élevés de jurés en appel.2487 Avec douze jurés au lieu de neuf en première instance, l'article
298 du Code procédure pénale a par exemple été modifié : devant la cour d’assises d’appel,
l'accusé pourra récuser six jurés (et non cinq) et le ministère public cinq (et non quatre) (art.
380-14 CPP). Est également requise une majorité de dix voix sur quinze, c’est-à-dire d’au
moins sept jurés (majorité dans majorité) pour une condamnation, et pour un rejet d’une
cause d’irresponsabilité.
2481
Corrélativement les dispositions relatives aux cours d’assises spéciales ont été modifiées. Ces cours sont
désormais composées, lorsqu'elles statuent en appel, d'un président et de huit assesseurs (art. 698-6 al. 1 CPP).
2482
Ajouté par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité,
JORF 10 mars 2004, p. 4567 ; Crim. 7 juill. 2005, Bull. crim. 204.
2483
H. ANGEVIN, o.c., p. 464, n° 1314.
2484
JORF Sénat 31 mai 2000, p. 33 ; v. également H. TEMIME, « Appel des arrêts de la cour d’assises », RSC 2001, p.
83.
2485
Ch. LAZERGES, « Réflexions sur l’erreur judiciaire », l.c., p. 709 et 713.
2486
Crim. 18 juin 2003, Bull. crim. 125 et RSC 2004, p. 137, obs. A. GIUDICELLI et H. ANGEVIN, o.c., p. 466, n° 1318.
2487
Le nombre de jurés de session est porté de tente-cinq à quarante, et celui des jurés suppléants de dix à douze. La
liste de session sera complétée par les jurés suppléants, si, en raison des absences ou à la suite des radiations par la
cour, il reste, moins de vingt-six jurés (et non vingt-trois) jurés (art. 289-1 al. 1 CPP ; J. PRADEL, « ‘L'appel’ contre les
arrêts d'assises : un apport heureux de la loi de 15 juin 2000 », l.c., p. 1972).

399
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

2. A la recherche d’un appel hiérarchique à part entière : une victoire à la


Pyrrhus ?

385. A l’exception de quelques difficultés matérielles et géographiques, la première


évaluation de la loi du 15 juin 2000 a été positive.2488 Cependant, l’allongement de la
procédure pourrait soulever des difficultés particulières pour la victime, d’abord, mais
également pour les témoins qui auront à revivre le procès.2489 Afin d’éviter que le second
procès n’induise une douleur insupportable, la loi du 9 mars 2004 prévoit que le président
peut ordonner, à la demande de la victime ou de la partie civile, que leur audition fasse
l’objet d’un enregistrement audio-visuel utilisé devant la juridiction en appel (art. 308 al. 4
CPP). Cependant, cela ne résout pas toutes les difficultés, notamment si la prise en compte
d'un élément nouveau nécessite une nouvelle confrontation entre l'accusé et le plaignant ou la
partie civile.2490 Jean Pradel est, à cet égard, partisan d’une scission entre la question sur la
culpabilité et la peine, comme en common law et dans la procédure criminelle belge, ainsi
que de l’autorisation d’un seul appel contre la peine.2491 L’instruction à l’audience d’appel
serait alors limitée à l’interrogatoire de l’accusé sur sa personnalité, son passé et les motifs
afférents aux faits. Mais comment débattre de la sanction sans revenir sur les faits ?2492
Comment se prononcer sans connaître l’affaire et sans avoir assisté à l’audition des témoins ?

2488
Ch. LAZERGES, Rapport n° 3501 (2000-01), l.c. ; contra J. Pradel selon lequel il s’agit d’un rapport
d’autosatisfaction (J. PRADEL, « La loi n° 2002-307 du 4 mars 2002 : un placebo pour guérir certains maux de la
réforme du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence », D. 2002, p. 1694).
2489
Cela vaut également en cas d’un renvoi après une cassation.
2490
J. DANET, l.c., p. 306.
2491
J. PRADEL, « La loi n° 2002-307 du 4 mars 2002 : un placebo pour guérir certains maux de la réforme du 15 juin
2000 sur la présomption d'innocence », l.c., p. 1697. Une telle faculté à l’anglaise semble compatible avec l’art. 2 du
Protocole n° 7 CESDH en vertu duquel il existe le droit de faire examiner par une juridiction supérieure « la
déclaration de culpabilité ou la condamnation ». Une telle scission présenterait l’avantage d’épargner aux victimes un
« second chemin de croix judiciaire », notamment dans les affaires de mœurs (J. PRADEL, ibid.). En outre, la tâche de
la cour d’assises d’appel serait allégée, celle-ci n’ayant pas l’obligation d’auditionner tous les témoins puisque la
déclaration de culpabilité ne serait pas contestée dans son principe. Cette option recueillait également la sympathie de
W. Roumier qui réfutait à cet égard, à juste titre, toute comparaison avec la pratique anglo-saxonne du plaider-
coupable (W. ROUMIER, l.c., p. 5). Selon la Comm. EDH en revanche, le Protocole n° 7 ne laisse pas de choix aux
Etats. S’appuyant sur le rapport explicatif de ce Protocole, elle invoque, pour justifier l’usage du mot « ou », la
procédure de plaider coupable (Comm. EDH, Fielsen/Danemark du 9 sept. 1992, n° 19028/91). Par ailleurs, il ne faut
pas oublier que la peine est déterminée par rapport à la personnalité de l'accusé et que les circonstances dans
lesquelles l'infraction a été commise sont de nature à influencer le choix de la sanction. En limitant l'appel à la peine,
on risque de les perdre de vue, d’où le rejet du Gouvernement de l'amendement de M. Girault qui allait dans ce sens
(JO Sénat CR 27 mars 1997, p. 1787-1788). La lecture de l'arrêt de renvoi, lequel relate les faits avec précision, ainsi
que l'exposé de la décision de condamnation, suffisent-ils à informer la cour et le jury à ce sujet (W. ROUMIER, o.c., p.
187, n° 340) ?
Contrairement à la procédure correctionnelle il existe également, aux assises belges, une disjonction entre la
culpabilité et la peine (art. 343 CIC). En cas de cassation pour peine illégale, la cour d’assises à laquelle l’affaire sera
renvoyée est censée déterminer la peine à partir de la décision de culpabilité du premier jury, sans être tenue par les
circonstances atténuantes prononcées par celui-ci (Cass. 22 juill. 1988, Pas. 1988, I, p. 1342 et RDPC 1988, p. 1088 et
Cass. 14 mars 2001, Pas. 2001, p. 131 et R. DECLERCQ, o.c., p. 1079, n° 2489 ; contra Cass.17 oct. 1966, Pas. 1967,
I, p. 227). Mais rien ne s’oppose à ce que les témoins soient entendus à la demande de l’accusé (Cass. 6 oct. 2004,
Pas. 2004, n° 462 ; P. MORLET, « La cour d’assises », l.c., p. 60, n° 255).
2492
V. BRAULT-JAMIN, l.c., p. 714.

400
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

386. L’instauration d’appel aurait aussi le mérite de changer l'ambiance et le


formalisme des débats du procès en première instance. La recherche d'un moyen de cassation
ou son évitement n'aurait plus lieu, en première instance, de préoccuper parfois jusqu'à
l'obsession la défense et le président.2493 Les débats seraient plus ‘décontractés’2494, ce qui
permettrait, selon Yves Jacob, d'approcher la vérité avec une certitude accrue — « la peur de
l'erreur judiciaire a presque abandonné les jurés » — et, selon Henri Angevin, de rapprocher
la procédure d’assises et la procédure correctionnelle.2495 Cependant, cela risque également
de déresponsabiliser les jurés, ceux-ci se montrant plus indulgents afin d’éviter le recours
automatique à l’appel d’un accusé n’ayant plus rien à perdre si la peine prononcée est égale
ou supérieure à celle requise par le ministère public ; ou inversement, qui se montreraient
plus sévère compte tenu de cette ‘seconde chance’, au risque d’entamer le principe selon
lequel le doute profite à l’accusé. 2496

En outre, les jurés en appel peuvent s’opposer à ce qu’un accusé déclaré coupable par
la première cour d’assises, et dont la culpabilité est établie au point de n’être parfois pas
contestée, use de ce droit que lui confère désormais la loi et impose aux victimes un second
procès douloureux.2497 La pratique démontre, à quelques exceptions près, qu’entre 2003 et
2005, la décision de culpabilité est en effet confirmée à 92%2498. Les peines sont soit
confirmées, soit aggravées. Cette constatation démontre, selon Geneviève Giudicelli-Delage,
que le rapport des citoyens avec l'appel n'est pas naturel. Etant considéré comme un droit
principal, le ‘droit’ d'appel existe-t-il dans les faits?2499 Si l’on considère l’apparente volonté
de jurés prompts à ‘punir’ un accusé dont la culpabilité ne fait aucun doute et qui impose sa

2493
J. DANET, l.c., p. 299 et M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 200.
2494
Y. JACOB, « La cour d’assises » in J. PRADEL (dir.), Les dispositions procédurales de la loi du 15 juin 2000 sur la
présomption d'innocence - deux années d'application, sous la direction de J. PRADEL, Paris, Ed. Cujas, 2003, p. 69.
2495
H. ANGEVIN, « Mort d’un dogme. A propos de l’instauration par la loi du 15 juin 2000, d’un second degré de
juridiction en matière criminelle », JCP G 2000, n° 260, p. 1799 ; contra J. Danet selon lequel il est inadmissible que
l'existence d'un appel vienne à faire oublier l'obligation de respecter la procédure, les exigences de procès équitable et
l'obligation de neutralité stricte pour le président. La défense aura d'ailleurs dans pareille hypothèse intérêt à soulever
un incident non plus dans l'objectif immédiat de s'assurer d'un moyen en cassation, mais pour démontrer en appel que
les conditions du procès de première instance ne furent pas respectueuses de la procédure et disqualifier en quelque
sorte le verdict rendu en premier ressort (J. DANET, l.c., p. 299).
2496
B. FAYOLLE, l.c., p. 85 ; contra V. Brault-Jamin qui y voit un surcroît de liberté pour les jurés (V. BRAULT-JAMIN,
l.c., p. 693).
2497
Y. JACOB, « La cour d’assises », l.c., p. 70. Il convient de remarquer que l’appel n’est pas possible pour la
personne qui est condamné par défaut (art. 379-5 CPP ; Crim. 30 janv. 2008, Bull. crim. 26). Après la condamnation
de la France dans l’affaire Krombach (CEDH 13 févr. 2001, Krombach c. France, n° 29731/96), celle-ci peut se
pourvoir en cassation.
2498
Cela implique aussi que pour 8% la décision sur la culpabilité a été modifiée. Ainsi 43 acquittés en premier ressort
ont été condamnés en appel (3,2%) et 64 condamnés ont bénéficié d’un acquittement en appel (4,8%). Il est
remarquable que ces derniers aient globalement été condamnés à des peines moins lourdes en première instance que
les condamnés par les deux cours d’assises (L. CHAUSSEBOURG et S. LUMBROSO, l.c., p. 1 et p. 3).
2499
Cité par L. GYSELAERS, La réforme de la procédure criminelle en 2000 : une réforme ambitieuse en France, une
réforme hésitante en Belgique, Mémoire sous la direction de Ch. Lazerges, Paris I Panthéon-Sorbonne, 2003-04, p.
88.

401
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

victime à une seconde souffrance, nous pouvons en douter.2500 Il s’agit cependant de savoir si
de telles considérations préoccupent réellement des jurés dont la plupart méconnaissent le
processus juridique.2501 L’accroissement spectaculaire du taux d’acquittement après l’affaire
d’Outreau démontre cependant que des facteurs ‘extérieurs’ peuvent avoir un réel impact sur
le jury.2502 L’appel faisant figure de dernière chance, les jurés n'hésiteraient pas à se
prononcer en faveur d'un acquittement en cas de doute.2503

387. Ensuite, il s’agit de savoir si la nouvelle procédure, qui ajoute une nouvelle
étape, ne met pas en danger le principe du délai raisonnable consacré par l’article
préliminaire du Code de procédure pénale et garanti par les articles 5-3 et 6-1 CESDH. Si les
premiers taux d’appels enregistrés étaient inférieurs aux estimations de 30%2504, le chiffre
remonte en 20052505 et la durée de la procédure en appel — la durée entre la date de l’arrêt de
la cour d’assises de premier ressort et la date de l’arrêt de la cour d’assises d’appel — a
presque doublé entre 2001 (8,6 mois) et 2005 (16,8 mois).2506 Hormis les délais
d’audiencement, des problèmes particuliers touchent les personnes en détention
provisoire2507, surtout compte tenu des considérables disparités régionales. Certaines cours
d’assises, notamment en région parisienne, tournent déjà à plein régime. Ainsi que nous
l’esquisserons plus loin, dans quelques affaires récentes la CEDH a rappelé la France à
l’ordre.2508 Le raccourcissement espéré de la procédure, par la suppression du double degré
d'instruction — ce dernier étant obligatoire, contrairement à l'appel qui est facultatif2509 —,
s’avère redoutable. En effet, l'absence de double degré automatique d'instruction ne signifie
pas la suppression de tout contrôle par la chambre de l'instruction. En revanche,
l'augmentation, par la loi du 15 juin 2000, des droits des parties au cours de l'instruction
semble impliquer l’accroissement des droits d'appel des parties contre les ordonnances du
juge d'instruction. La chambre de l'instruction ne pouvant plus porter systématiquement un
2500
J-P. PECH, « La légitimité du jury de cour d’assises », l.c., p. 45.
2501
Entretien avec J.-M. Fayol-Noireterre, par G. BLANC, JCP G 1996, Entretien n° 3951, p. 305.
2502
Si ce taux était de 4,5% en 2000, il s’élevait à 8% en 2004 et à 8,3% en 2005. Il est encore plus élevé en appel :
8,5% en 2004 et 9,3% en 2005 (J.-P. JEAN, o.c., p. 93-94). Selon J.-M. Hayat toutefois, l’accroissement du nombre
d’acquittements datait déjà d’un an, avant la ‘déflagration’ de l’affaire d’Outreau (J.-M. HAYAT, « Le point de vue du
juge de siège », PA 2007, n° 139, p. 28).
2503
Y. JACOB, « La cour d’assises », l.c., p. 69.
2504
Pour le premier semestre de 2001, le chiffre enregistré était de 25%. Il s’élevait à 23,6% en 2002, à 21,6% en 2003
et à 21,3% en 2004 (Annuaire statistique de la Justice, Direction de l’Administration générale et de l’équipement,
2007, p. 124-125). Y. Jacob remarquait néanmoins que l'activité des cours d’assises sur le plan national a augmenté de
17% du seul fait de l'instauration du double degré de juridiction, en considérant un taux moyen de 25% d'appels
criminels et de 8% de cassations (Y. JACOB, « La cour d’assises », l.c., p. 70).
2505
24,8% en 2005 (Annuaire statistique de la Justice, Direction de l’Administration générale et de l’équipement,
2007, p. 124-125).
2506
Ibid.
2507
Ch. LAZERGES, « Réflexions sur l’erreur judiciaire », l.c., p. 714.
2508
Infra, n° 588.
2509
V. également O. DUFOUR, « Loi du 15 juin 2000 : une réforme efficace mais qui nécessite l’allocation des moyens
nouveaux », PA 2001, n° 130, p. 5-7.

402
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

second regard sur les dossiers criminels, elle ne peut d’ailleurs plus éviter les lacunes
susceptibles de retarder l'examen par la cour d’assises. De plus, le caractère non permanent
des juridictions de première instance et d'appel n'est pas fait pour accélérer la procédure.

388. Hormis ces considérations pragmatiques interviennent également des questions


plus fondamentales. Le choix français consistant à faire intervenir, le cas échéant, deux jurys
dans une seule affaire — ce qui est très intéressant sur le plan du droit comparé —, témoigne-
t-il de l’optimisme et d’une confiance accrue en l’autocorrection par un pays épris de
participation ?2510 Ou, peut-être, cette étrange forme d’appel non hiérarchique ne constitue-t-
elle qu’une solution de facilité qui permet d’évacuer la question épineuse de la motivation
des décisions en matière criminelle et qui pour cette raison doit être réfutée ?

L'appel constitue une garantie contre l'erreur judiciaire. Mais cela ne veut pas dire que
le deuxième degré de juridiction est à l'abri des erreurs. Pour éviter ce risque, l'appel doit être
porté devant une juridiction offrant davantage de garanties que celle dont la décision est
attaquée. Mais est-ce bien le cas ? Au lieu de bénéficier, en appel, d’une institution dotée
d’une autorité accrue, on risque d’être soumis à un second tirage de loterie devant un autre
jury.2511 Le droit peut-il être assujetti à une chance, surtout lorsque ce ‘jeu’ multiplie par deux
la complexité et la lourdeur de la procédure alors qu’il convient d’apporter des
simplifications ? Faute de véritable institution de contrôle supérieure, ne risque-t-on pas
« d’être mal jugé… à deux reprises » ?2512 En effet, la décision de la juridiction en appel
semble simplement s’imposer parce qu’elle intervient en dernier. L’argument paraît donc
2513
faible. De surcroît, l’appel circulaire n’est-il pas en opposition avec les dispositions
internationales, notamment celles de l'article 2 du Protocole n° 7 à la CESDH qui prévoit
explicitement une juridiction supérieure, qualification à laquelle la cour d’assises d’appel
satisfait difficilement en dépit de ses trois jurés supplémentaires ? La CEDH elle-même
semble toutefois à nouveau reconnaître les contraintes liées au système du jury. Rappelant,
dans la décision Labergère c. France du 26 septembre 2006, que la France vient de consacrer
le droit à un double degré de juridiction par la loi du 15 juin 2000 et que cette possibilité
traduit la volonté du législateur français de donner ‘une seconde chance’ aux condamnés2514,
elle ne semble pas s’opposer à l’appel tournant. Une fois qu’une telle voie de recours existe,
un droit d’accès effectif doit être assuré, quod non dans cette affaire2515. Rappelons que la

2510
V. CURRAN lors du débat « Professionnels et laïcs » au Centre Pompidou, le 11 juin 2007.
2511
Interview de J. TOUBON par P. RANCE, D. 2000, n° 23, p. VII.
2512
M. Peyrot, cité par M. LEMONDE, « L'appel en matière criminelle. Le beurre et l'argent du beurre? », l.c., p. 97.
2513
J.-F. CHASSAING, « L’appel des arrêts des cours d’assises : le poids de l’histoire », l.c., p. 138.
2514
CEDH 26 sept. 2006, Labergère c. France, n° 16846/02, § 19.
2515
CEDH, Labergère c. France, préc.e, § 23.

403
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

CEDH se contentait déjà de la Cour de cassation en tant qu’instance supérieure. A nos yeux,
la cour d’assises d’appel n’ayant pas davantage de légitimité et restant autant muette que la
cour d’assises en première instance, il reste à établir un véritable appel. « La copie n’est
jamais l’original. Toujours envisagée comme inférieure à l’original, la copie est considérée
comme en étant différente d’une manière qui connote l’échec ».2516

389. Les voix doctrinales favorables à un appel véritablement hiérarchique en matière


criminelle sont alors louables.2517 La question se pose toutefois de savoir comment le mettre
en œuvre sans entraver la participation citoyenne à l’œuvre de la justice. Peut-on concilier ce
qui semble à première vue inconciliable ? Dans l’optique de conserver la participation
démocratique aux deux degrés de juridiction, William Roumier propose, à l’instar de
l’exemple italien,2518 d’élever le grade des magistrats en appel pour garantir la supériorité de
la juridiction en appel.2519 Ce n'est pas le nombre de magistrats, mais la plus longue
expérience qui donne une supériorité. Ainsi, à l’instar de la loi du 13 juin 1856 la supériorité
« se manifeste non seulement par le nombre, mais en outre par le titre, le costume, la
présence, l'étendue et la variété des attributions, les lumières et l'expérience des
magistrats ».2520 En particulier, William Roumier propose de retenir, en première instance, un
président désigné parmi les présidents des tribunaux de grande instance. En appel, il suggère
d’opter pour un président de chambre de la Cour d'appel.2521 Selon le même raisonnement, le
ministère public serait représenté en première instance par le procureur de la République du
tribunal de grande instance et, en appel, par un magistrat du parquet général.

2516
G. Deleuze, cité par P. LEGRAND, l.c., p. 1065.
2517
A côté des propositions de limiter l’appel de l’accusé à la peine (supra, n° 385), il fut envisagé de généraliser
l’appel de la partie civile aux arrêts d’acquittement. En l'état actuel, la partie civile ne peut pas, en ce qui concerne les
intérêts civils, faire appel principal aux verdicts d'acquittement (Crim. 28 mars 2001, Bull. crim. 84). La justification
de cette interdiction se trouverait dans la volonté d'éviter une apparente contradiction entre la juridiction de première
instance, qui aurait acquitté l'accusé et débouté la partie civile de sa demande en dommages-intérêts, et la cour
d’assises d'appel qui, saisie de la seule action civile, ferait droit à cette demande. Seul le pourvoi en cassation contre
l’arrêt civil est possible. Rejetant une telle exclusion au nom de l’uniformité avec la procédure correctionnelle et du
principe d’égalité des citoyens devant la loi — l'accusé bénéficie de deux possibilités afin d'obtenir gain de cause —,
W. Roumier propose avec raison de généraliser la possibilité de la partie civile de faire appel quelle que soit la
décision, tout en la limitant aux intérêts civils (W. ROUMIER, l.c., p. 6 ; v. également M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 207-
211). Une autre proposition porte sur la généralisation du droit d’appel en cas d'acquittement au procureur de la
République qui demeure irrecevable dans le système en vigueur (Crim. 26 juin 2002, Bull. crim. 145 et Crim. 23 juill.
2003, Bull. crim. 140 et Procédures 2003, comm. 261, note J. BUISSON). Selon J. Danet, il semble s'agir de confier le
pouvoir d'appeler à des magistrats expérimentés plutôt qu'à de jeunes substituts dont on semble craindre l'entêtement
(J. DANET, l.c., p. 302). Pourtant, celui qui a soutenu l'accusation en premier ressort semble le mieux placé pour
apprécier si l'acquittement est une erreur inacceptable.
2518
Le droit italien bénéficie depuis la loi du 10 avril 1951 d’un double degré de juridiction devant une cour avec la
même composition - consacrant ainsi la conception d’un appel tournant -, mais avec un président ayant le rang de
conseiller en cassation et un assesseur appartenant à la cour d’appel (V. BRAULT-JAMIN, l.c., p. 699).
2519
W. ROUMIER, l.c., p. 7.
2520
La loi du 13 juin 1856, Duvergier, tome 56, p. 136 (W. ROUMIER, o.c., p. 205, n° 377).
2521
V. également M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 221.

404
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

La supériorité des jurés, en revanche, ne peut être déterminée que par un critère
quantitatif.2522 Au lieu de porter le nombre de jurés en appel de neuf à douze, ainsi que le
préconise la loi du 15 juin 2000 (art. 296, al. 1 CPP), le législateur français aurait également
pu diminuer le nombre de jurés en première instance afin de minorer les coûts. William
Roumier remarque en effet que le rapport numérique entre jurés et magistrats professionnels
n’est pas important dès lors que la prééminence du jury est sauvegardée.2523 Quand même il
est difficile de considérer qu’un nombre plus élevé des citoyens suffit pour rendre la décision
plus légitime. D’autres garanties pour réaliser une plus grande légitimité du jury 2524, comme
par exemple l’exigence d’un diplôme plus élevé à l’instar du système italien2525, ou un tirage
au sort sur les listes d'anciens jurés, ne semblent toutefois pas opportunes. Les citoyens ne
tirent pas leur légitimité de leur niveau intellectuel, mais de leur simple bon sens, chaque cas
étant d’ailleurs différent et devant être traité de manière spécifique.2526

390. Une autre piste pourrait consister à maintenir la cour d’assises en première
instance sur le modèle belge, et à créer une cour d’assises en appel d’après l’exemple
français ; soit une sorte d’immixtion entre les deux systèmes où les jurés se prononceraient en
toute souveraineté, en premier degré, sur la question de la culpabilité, tandis qu’ils
s’adjoindraient l’étroite collaboration des magistrats professionnels en appel. La supériorité
de la juridiction en appel consisterait dès lors dans l’ajout de magistrats professionnels au
délibéré sur la culpabilité. Une telle solution ne semble pourtant pas non plus satisfaisante
dans la mesure où nous sommes convaincus des avantages d’une mixité en première instance,
notamment en ce qui concerne la motivation des décisions. Un retour au jury au sens strict
équivaudrait à faire un pas en arrière. Le recours à deux jurys alourdirait, en outre,
l’organisation judiciaire.

391. Jacques Toubon proposa pour sa part de maintenir la cour d’assises mais en tant
qu’instance d’appel. En effet, en rejetant la solution d’un appel tournant pour cause

2522
W. ROUMIER, l.c., p. 6-7 .
2523
W. ROUMIER, l.c., p. 7. Pourtant, qu’il s’agisse d’acquittement ou de condamnation, il semble difficile de garantir
que les jurés puissent emporter à eux seuls une décision. Ainsi, l’avant-projet du Tribunal d’assises, fixant le nombre
de jurés en première instance à cinq, de sorte qu’une décision défavorable à l'accusé supposait en première instance
une majorité qualifiée d'au moins six voix sur huit, nécessite toujours l’adhésion d’un professionnel. La solution de la
Commission Léauté, qui retenait six jurés en premier ressort n'était pas non plus à l'abri de critiques. Dans un tel
système le jury pourrait être divisé en parts égales. Si trois jurés jugeaient l'accusé coupable et les trois autres le
considéraient innocent, la décision finale reviendrait aux magistrats (W. ROUMIER, l.c., p. 7). La proposition de W.
Roumier - sept jurés en premier ressort - risque en revanche de ne pas donner suffisamment de suprématie à l’instance
d’appel qui connaîtrait alors neuf jurés (W. ROUMIER, o.c., p. 207, n° 381). A cet égard, le nombre de douze jurés en
appel apparaît comme la solution la plus aisée.
2524
W. ROUMIER, l.c., p. 7.
2525
Dans le système italien, les jurés de premières instances sont titulaires d'un certificat d'études primaires, tandis que
ceux en appel doivent posséder d'un diplôme de fin d'études secondaires.
2526
Entretien avec J.-M. Fayol-Noireterre par G. BLANC, JCP G 1996, Entretien n° 3951, p. 306.

405
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

d’absence de ‘supériorité’ au sens de la CESDH, celui-ci déposait, en 1996, son avant-projet


de tribunal criminel départemental comme une première tentative d’intenter un appel
hiérarchique.2527 Un tel tribunal serait compétent en première instance dans chaque
juridiction où existe actuellement une cour d’assises. Mais à la différence de celle-ci, ce
tribunal était perçu comme une juridiction permanente qui présentait dès lors l’avantage de
permettre aux parties de connaître leur juge à l’avance. Il comprendrait trois magistrats
professionnels et deux citoyens-assesseurs qui auraient accès à l’intégralité du dossier et
devraient motiver leur décision. Yves Jacob va encore plus loin en proposant une solution
similaire à cette différence près que le tribunal ne comprendrait, en première instance, que
des juges professionnels au lieu d’une forme d’échevinage,2528 comme c'est d’ailleurs le cas
pour les infractions en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants. Ainsi, le cours de la
justice serait accéléré, car il n'y aurait plus lieu de consacrer des audiences à la formation du
jury. L'appel serait ensuite porté devant la cour d’assises qui subsisterait dans sa forme et
avec ses règles actuelles mais serait située au siège de la cour d'appel. A côté des neuf jurés
tirés au sort, la cour d’assises serait présidée par un président de la chambre ou un conseiller
de la cour d'appel appartenant au premier grade de la hiérarchie judiciaire ou placé hors
hiérarchie, ainsi que par des assesseurs appartenant à la cour d’appel. Ainsi, la cour d’assises
deviendrait la juridiction supérieure telle que prévue par l’article 2 du Protocole n° 7
CESDH.

Si elles suscitent actuellement un intérêt particulier avec le groupe de réflexion initié


par le ministre de la Justice, M. Alliot-Marie2529, ces deux propositions n’ont pourtant pas vu
le jour. Le projet Toubon, qui bouleversait le rôle du jury par une solution complexe et
coûteuse, tomba à l’eau après un changement de majorité parlementaire. La ligne de défense
souverainiste autour du jury populaire, qui jugeait un appel possible sans la remise en cause
du jury, prévalait encore à cette époque.2530 Le risque que les profanes en appel hésiteraient
de remettre en cause la décision d’un tribunal plus professionnel et expérimenté est en outre
tangible. De plus, la plupart des procès risqueraient d’être jugés sans jury, celui-ci
n'intervenant qu'en appel.2531 L’institution populaire subirait dès lors une marginalisation
incontestable. Dans la proposition d’Yves Jacob, les décisions de la cour d’assises ne
seraient, contrairement à celles du tribunal criminel départemental, pas motivées. Cela
semble peu défendable. Comment justifier qu'un jugement rendu par un tribunal composé de

2527
Pour une analyse approfondie de ce projet, v. M. LEMONDE, « L'appel en matière criminelle. Le beurre et l'argent
du beurre? », l.c., p. 87.
2528
Y. JACOB, « La réforme de la cour d’assises : une deuxième chance pour les accusés », RDPC 2001 p. 170.
2529
Infra, n° 586.
2530
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 132.
2531
J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c.

406
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

professionnels puisse être réformé par un jury n'ayant pas à motiver sa décision? L’accusé qui
a été acquitté en première instance mais condamné en appel n'a-t-il pas au moins le droit de
connaître les raisons qui ont motivé le verdict?

392. L’analyse de Fabrice Defferrard et Vincent Durtette de la condamnation de la


France pour violation de l’article 6-1 CESDH dans la décision Barbier c. France du 17
janvier 20062532 est particulièrement intéressante. Dans cette affaire, la demande d’appel de
M. Barbier, condamné par la cour d’assises et incarcéré à la maison d’arrêt de Reims, a été
déclarée irrecevable pour n’avoir pas été enregistrée dans le délai légal en raison de
problèmes matériels non imputables au requérant.2533 La CEDH estimait qu’il y avait
violation du droit à un débat contradictoire au stade de la recevabilité. Le requérant pouvait
uniquement formuler des observations sur la désignation de la cour d'assises d'appel et non
sur la recevabilité de l'appel. Toutefois, l’introduction d’un débat contradictoire sur ce point
ne résoudrait pas, selon ces auteurs, tous les écueils. Vu l’étrange forme de l’appel tournant
en droit français regroupant premier et second degré au niveau de la cour d’appel de sorte que
seule la Cour de cassation décide de tout contentieux, la décision sur la recevabilité est
insusceptible d’appel. Un véritable appel hiérarchique, notamment une instance en premier
degré au niveau du tribunal de grande instance et une instance d’appel au niveau de la cour
d’appel, permettrait de pallier ce problème. Dans ce schéma seulement, « la problématique
de la recevabilité recouvre la place et l’importance qu’elle doit avoir ».2534 Si le droit d’appel
criminel n’est pas en soi en cause, puisque la loi le prévoit, sa mise en œuvre l’est davantage.
Pourtant, en se référant à la proposition de la Commission Léauté de 1982 — un ‘tribunal
criminel’ avec trois juges du tribunal de grande instance et six jurés au sein de chaque
département, ainsi qu’une ‘cour criminelle’ avec trois juges appartenant à la cour d'appel et
neuf jurés au sein de chaque cour d'appel2535 —, il semble que ces deux auteurs restent
favorables à la présence du jury aux deux degrés et, par conséquent, à une sorte d’appel
circulaire.

393. Henri Angevin n’envisage enfin que la suppression du jury populaire en guise de
solution. « Certes le jury est un héritage de la Révolution. Mais n’en est-il pas de même de la
conscription, que l’on a supprimée, ou du franc, que l’on s’apprête à remplacer par une
autre unité monétaire »?2536 En jugeant l’appel et la motivation des décisions cruciales, il

2532
CEDH 17 janv. 2006, Barbier c. Franc, n° 76093/01, § 25-33, D. 2006, p. 1209.
2533
F. DEFFERRARD et V. DURTETTE, « L’appel, le contradictoire et le prisonnier », D. 2006, p. 1210.
2534
F. DEFFERRARD et V. DURTETTE, l.c., p. 1212.
2535
Supra, note 2439.
2536
H. ANGEVIN, « Mort d’un Dogme. A propos de l’instauration par la loi du 15 juin 2000, d’un second degré de
juridiction en matière criminelle », l.c., p. 1795.

407
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

propose de déférer les accusés de crimes aux juridictions correctionnelles ou à des


juridictions analogues, ce qui paraît loin d’être irrationnel : « celles-ci auraient, dans des
délais plus raisonnables, rendu des décisions motivées, ce qui eût satisfait aux vœux de
rapidité et de transparence si souvent manifestés. Elles auraient gagné en sérénité et en
absence de passion ce qu’elles auraient perdu en solennité, voire en théâtralité. Elles
auraient enfin évité, dans une large mesure, les disparités, si souvent dénoncées, des
sentences, selon la localisation de la cour d’assises qui les prononce ».2537 Une telle solution
recueille également un soutien doctrinal en Belgique. Selon Marc Preumont, qui partage
l'opinion de Paul-Emile Trousse sur ce point, l’absence d’appel ne peut pas être comblée en
maintenant la cour d’assises.2538 Ainsi, il propose de créer une nouvelle juridiction spécialisée
dont la composition serait un peu plus ‘étoffée’ que celle des tribunaux correctionnels.2539
Cette solution semble aussi, timidement, avancée par le Conseil supérieur de la Justice qui,
tout en se prononçant au fond en faveur du maintien de la cour d’assises, considère un appel
en matière criminelle essentiel. Difficilement compatible avec le jury populaire — l’appel
tournant devant un second jury échoue tant sur le plan pragmatique que du point de vue
logique —, ne convient-il alors pas de supprimer celui-ci ?2540

Conclusion du chapitre II

394. La loi du 15 juin 2000 constitue sans doute l’une des plus grandes mutations que
la procédure criminelle française ait connue depuis longtemps, notamment depuis la loi du 25
novembre 1941 instaurant l’échevinage criminel.2541 Mettant un terme à l’anomalie que
présentait dans la procédure pénale française l’absence d’un second degré de juridiction en
matière criminelle, elle marque un pas historique : le triomphe des droits de l’homme. Il était
en effet vain de renforcer les droits de la défense dans différents stades de la procédure tout
en s’attachant encore à cette anomalie lourde qui caractérisait la cour d’assises.2542 Qu’une
telle réforme n’ait pas conjointement donné lieu à l’instauration d’une motivation des
décisions criminelles semble dès lors un mystère. Avec un rôle moins sacral et moins
symbolique octroyé au jury, il n’est plus défendable d’imposer des décisions aussi
importantes sans qu’elles soient motivées. Y compris pour ses plus ardents défenseurs,

2537
Ibid.
2538
M. PREUMONT in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil, o.c., p. 57.
2539
P.E. TROUSSE, l.c., p. 70-77.
2540
Avis du 11 févr. 2009 du Conseil supérieur de la Justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 2 et 20. Le
collège de PG n’est pas non plus partisan d’un appel de pleine juridiction.
2541
J. DANET, l.c., p. 289.
2542
Ch. LAZERGES, Rapport n° 1468 (1998-99), l.c. et Ch. LAZERGES, Rapport n° 2136 (1999-00), l.c., p. 109 et s.

408
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

l’absence de motivation est insupportable.2543 Cela est encore davantage le cas devant les
cours d’assises sans jury où cette manière de rendre la décision, par des réponses aux
questions, est simplement inacceptable.

Il est à cet égard remarquable que la loi belge du 21 décembre 2009 réussisse à créer
une motivation des décisions criminelles mais échoue sur le plan du double degré de
juridiction, aux antipodes de son homologue français. La différente conception de la
souveraineté populaire et du rôle des professionnels, ainsi que l’existence ou l’absence de
juridictions criminelles d’exception, continuent donc de distinguer ces deux systèmes.
Toutefois, en analysant plus précisément les voies de recours intentées en matière criminelle,
une constante émerge : la distinction entre les diverses formes de recours est en train de
s’estomper. On envisage un pourvoi en cassation qui excède le simple contrôle du droit ;
l’appel est encadré par des contraintes spécifiques et des voies hybrides font leur apparition
dans les différents pays.2544 Est-ce grave pour autant ? Faut-il un appel au sens propre du
mot ? Laissant de côté l’argument selon lequel cette créativité entame, en variant au gré des
procédures, la cohérence du système d’appel2545, il paraît indispensable, afin d’éviter les
erreurs judiciaires, qu’il existe un contrôle effectif. Cela n’est à notre avis possible que si
l’instance en appel est entourée de garanties supérieures à celles de la première instance,
quod non dans le système français. En effet, en y regardant de plus près, l’audace française
paraît moins prononcée que nous pourrions le croire à première vue. En confiant, par son
‘appel seconde chance’, la décision à un autre peuple2546, elle ne fait que déplacer le
problème. Une telle approche ‘horizontale’, qui ajoute une nouvelle étape à la chaîne déjà
longue du procès, ne garantit pas l’exercice d’une meilleure justice. En effet, si le premier
jury peut se tromper, rien ne garantit que le deuxième ne le fasse pas. Faut-il dès lors
également instaurer une instance contre ses verdicts ? En outre, à l’instar de la cour d’assises
française de première instance, l’instance compétente en appel dispense également un
jugement delphique, ce qui est à l’heure actuelle indéfendable. Le système anglais n’est pas
préférable à cet égard. L’accès à cette voie de recours est tellement limité que le droit de faire
appel, pourtant érigé au rang des droits de l’homme, reste souvent illusoire.

2543
Par exemple P. DE HERT, « Hervorming van assisenhof : België blijft slow », Panopticon 2006, p. 11.
2544
J.-F. RENUCCI, « Le réexamen d’une décision de justice définitive dans l’intérêt des droits de l’homme », l.c., p.
657-658.
2545
M. ORILLARD-LENA, o.c., p. 227.
2546
M. DAVID, l.c., p. 125-132.

409
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

Conclusion du Titre II

395. Souvent présenté comme une procédure à cinq étoiles, l’existence du jury serait
justifiée, même si celle-ci ne traite, en réalité, qu’un nombre infime d’affaires criminelles.
Toutefois, après l’analyse de ce titre, il convient de constater que les législateurs des trois
pays étudiés ne semblent eux-mêmes pas convaincu de cette ‘supériorité’ de la cour d’assises.
Si celle-ci échoue du point de vue managérial, elle échoue aussi du point de vue de la qualité
de la justice. Il manque en effet à la cour d’assises quelques garanties essentielles que la
présence du jury populaire ne peut combler. Au contraire, la présence d’un jury populaire
semble difficilement compatible avec quelques exigences du procès équitable. Conscient de
ces faiblesses, les trois systèmes étudiés prévoient certains mécanismes de nature à encadrer
voire remettre en cause la souveraineté du jury populaire.

Si, en droit anglais, le président de la Crown Court joue un rôle non négligeable dans
son summing-up et jouit de pouvoirs étendus afin de garantir l’acquittement de l’accusé si la
Prosecution ne présente pas suffisamment de preuves, la cour d’appel peut dans certaines
conditions, depuis 1907, remettre en cause la condamnation prononcée par le jury populaire.
Cette possibilité est dans certaines conditions étendue avec la création de la Criminal Cases
Review Commission et la possibilité pour la partie poursuivante d’interjeter un appel contre
un acquittement, ces pouvoirs de contrôle étant pourtant entravés par l’absence de motivation
en matière criminelle.

Un problème similaire se pose également en France où l’évolution vers un délibéré


mixte de coopération sur le plan de la culpabilité et de la peine n’a pas été associée à une
motivation des décisions criminelles ; où le système de questions n’a pas été remis en cause
lors de la création des cours d’assises purement professionnelles, et où une forme étrange et
insatisfaisante d’appel a été instauré — il n’y a pas plus de légitimité dans la décision douze
jurés qu’il n’y en a dans celle de neuf entre eux — lui permettant d’évacuer cette question
cruciale.

La condamnation de la Belgique dans l’affaire Taxquet du 13 janvier 2009 par la


CEDH pour défaut de motivation constitue à cet égard un défi pour les autres pays qui
‘jouissent’ d’une procédure criminelle énigmatique. Au charisme aléatoire du jury est préféré
la garantie du procès équitable.2547 Si une attaque ouverte à la souveraineté du peuple semble
impensable pour le législateur belge, il offre toutefois un garde-fou par le biais du nouvel
article 336 du Code d’instruction criminelle.

2547
D. SALAS, l.c., p. 18.

410
TITRE II — UNE MARGINALISATION INTRINSEQUE

S’il est quantitativement mis hors jeu, le jury populaire est qualitativement mis
davantage sous tutelle. Malgré son encadrement, il n’offre pas les mêmes garanties que celles
dont dispose le condamné en correctionnel. Sur le plan des droits de l’homme, la survie de la
cour d’assises paraît donc menacée : « il ne sert à rien de ‘replâtrer’ une institution
anachronique à l'aide de palliatifs qui ne font, de toutes façons, que corriger plus ou moins
les défauts. Le jury transformé n'est plus le jury. Alors, autant le supprimer ».2548

2548
M. PREUMONT in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil, o.c., p. 182.

411
Conclusion de la première partie

396. La recrudescence frappante de la criminalité ainsi que la complexité du


contentieux s’accompagnent nécessairement de règles plus complexes de droit. La
spécialisation de certaines formes de délinquance entraînant en retour celle de la réaction
pénale, le procès pénal est devenu plus technique et scientifique qu’il ne l’était par le passé.
Cette évolution exige une justice solide pour y faire face, d’où l’incontournable et nécessaire
spécialisation du juge. La tâche du juge se transforme en une vraie « tâche herculéenne »2549
ou avec les mots du professeur Vitu : « l’art de juger s’est compliqué »2550. Outre la seule
expression de la lettre de la loi, le juge moderne doit disposer, pour le jugement des faits et la
détermination de la peine, de solides connaissances juridiques, certes, mais également de
connaissances sociales, économiques et psychologiques, …. Une certaine polyvalence est par
ailleurs requise, pour qu’il puisse naviguer entre des interventions législatives exponentielles
et un amalgame inextricable de règles juridiques évoluant perpétuellement sous la pression
du droit international et communautaire. Cette évolution conduit à une « professionnalisation
des professionnels ». En outre, la physionomie des enquêtes et de l’instruction se trouve
profondément modifiée. La complexité et la croissance phénoménale des techniques
d’instruction exigent une collaboration interdisciplinaire, de sorte que l’importance de
l’expertise et le recours aux dits « auxiliaires de la justice » qui en découle va en
augmentant.2551 Ces développements dégénèrent le droit et la fonction de juger qui devient de
plus en plus affaire de spécialistes, de sorte que le principe du jury populaire est remis en
question.

Compte tenu de cette tendance qui rend la légitimité de l’appareil judiciaire de plus en
plus tributaire des « rationalisation » et « spécialisation professionnelle », l’étude des
procédures criminelle belge, française et anglaise démontre que la participation de citoyens à
la fonction de juger en matière criminelle est sans cesse marginalisée, tant de manière
implicite que par quelques interventions explicites. Malgré la complaisance du législateur
pour le jury, ce dernier décline dans tous les pays du continent où il a été institué. Par le
mécanisme longtemps illégal et déplorable, mais pourtant nécessaire, toléré et généralisé2552
de la correctionnalisation, avec la pratique de guilty plea et la création des juridictions
criminelles purement professionnelles, la cour d’assises est « abusivement détrônée de

2549
F. OST, « Jupiter, Hercule ou Hermès : trois modèles du juge » in P. BOURETZ (dir.), La force du droit. Panorama
des débats contemporains, Paris, Ed. Esprit, 1991, p. 241-272.
2550
A. VITU, « La collaboration des personnes privées à l’administration de la justice criminelle », RSC 1956, p. 675-
707.
2551
« A aucun moment de son histoire, la justice pénale n’a pu s’enorgueillir de compter autant d’auxiliaires de
justice » (G. DI MARINO, « Rapport introductif », RPDP 2005, p. 768).
2552
J. GRAVEN, l.c., p. 102.

413
l’essentiel »2553. Privée de substance, seule sa façade subsiste.2554 Par ricochet, les tribunaux
correctionnels et les magistrates’ court gagnent sans cesse en ampleur.2555 Pour des motifs
gestionnaires similaires mais par des techniques diverses, les choix politiques cèdent donc le
pas à des contraintes économiques.

En deuxième lieu, le jury est également marginalisé ou pour le moins corseté en son
for intérieur. A l’origine contre-pouvoir et fruit d’une méfiance nourrie à l’encontre des juges
de carrière, le jury fait aujourd’hui paradoxalement les frais d’une suspicion croissante. « Le
désir de se défaire du jury est une constante de notre histoire judicaire ».2556 D’une part, la
séparation entre le fait et le droit n’est pas tenable. Par plusieurs réformes le cloisonnement
absolu entre le rôle du jury et celui des magistrats de robe fut mis à mal, bien qu’il s’agisse
souvent d’une mise à mort très masquée. D’autre part, la procédure criminelle est bien en
deçà des garanties qu’offre en théorie la procédure correctionnelle pour administrer une
bonne justice.2557 Hormis les contingences économiques et budgétaires, le débat sur la
procédure criminelle est relancé au nom des exigences des droits de l’homme et en particulier
celui du procès équitable. La quête d’efficacité et de qualité de la justice est donc commune
aux trois pays étudiés. « Malgré de notables différences contextuelles, c’est le même souci de
protection des droits de la défense qui constitue […], le moteur idéologique d’importantes
réformes de la justice ».2558

La Convention des droits de l’homme et la jurisprudence de la CEDH se présentent à


cet égard comme un « horizon de réforme commun ».2559 Les droits de l’homme vont
insuffler une dynamique plus juridique que politique à la cour d’assises.2560 « Fous
demandons à nos cours d’assises avant tout de bien juger. Fous attendons du législateur
d’en régler les procédures conformément à cette exigence ».2561 Si cette tendance entre en
tension avec une contingence apparemment contradictoire, le besoin de l’efficacité répressive
du système pénal2562, elle induit un résultat similaire : la marginalisation de la forme la plus
aboutie de participation de citoyens à la fonction de juger en matière pénale. En effet, qu’il
s’agisse de renforcer la protection juridique des justiciables ou d’accroitre l’efficacité

2553
Ph. TOUSSAINT, « Introduction » in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil, Quel avenir pour le jury
populaire en Belgique ?, o.c., p. 5.
2554
F. TULKENS, « La question du jury. Enjeux d’une controverse. Approche historique et critique », l.c., p. 110.
2555
H. URTIN, l.c., p. 257.
2556
Ph. LEMAIRE, « « Quatre points de vue sur le jury criminel : un avocat à la cour d’appel de Paris », PA 1996, n°
43, p. 11.
2557
B. DAYEZ, « La cour d’assises : une foire aux monstres », Journ.proc. 1999, n° 366, p. 14.
2558
R. COLSON et S. FIELD, o.c., synthèse p. 7.
2559
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 14.
2560
D. SALAS l.c., p. 17.
2561
D. SALAS, l.c., p. 8.
2562
R. COLSON et S. FIELD, o.c., synthèse p. 7.

414
répressive, le jury populaire est remis en cause, soit parce qu’il n’offre pas suffisamment de
garanties et prive les exigences du procès équitable d’une substance pourtant effective devant
les juridictions inférieures ; soit parce que sa procédure lourde et onéreuse ralentit l’efficacité
et le traitement d’un stock exponentiel de crimes. Si le jury populaire est (extrinsèquement)
dépossédé par des techniques d’esquives, son déclin se manifeste intrinsèquement à favoriser
l’ascension des droits de l’homme.

L’étude comparée révèle à cet égard que, comparé à l’Angleterre et à la Belgique, la


France va plus le loin dans cette marginalisation. Si la participation citoyenne évolue avec la
substitution d’un système mixte de collaboration à un système de pure participation, le
législateur français n’hésite pas à la dissocier entièrement de la cour d’assises : en matière de
terrorisme et de stupéfiants, la cour d’assises subsiste, mais elle est privée de jury.

415
DEUXIEME PARTIE

UE SPECIALISATIO ERICHIE PAR L’EVOLUTIO


VERS PLUS DE PARTICIPATIO
397. Il a été clairement établi dans la première partie, que la tendance générale des
pays connaissant l’une ou l’autre des formes de participation citoyenne en matière criminelle
est celle d’une spécialisation et d’une professionnalisation accrues. Par différents moyens
d’esquive, on tente d’éviter le recours au jury criminel, tant pour des crimes moins sévères
que pour ceux au sommet de son échelle de compétence ; on évolue davantage vers des
systèmes mixtes de coopération ou on s’y intéresse de près ; on cherche, avec une créativité
louable, des moyens susceptibles de contrôler le verdict du jury. La participation citoyenne
semble dès lors réservée à une catégorie toujours plus étroite de crimes et, même pour cette
catégorie, elle semble contrecarrée par le rôle croissant des professionnels qui risque de
réduire l’implication des citoyens à une (quasi) virtualité. Ainsi que nous l’avons analysé,
l’air du temps marqué par un mouvement au pragmatisme gestionnaire et à l’idéologie
d’utilitarisme, y joue sans doute un rôle important.

La première partie de notre étude s’est achevée par une question cruciale : faut-il,
pour sortir de l’impasse, favoriser la voie radicale d’une professionnalisation pure et simple
de la justice criminelle et corrélativement celle d’une remise en cause de la participation
citoyenne, à l’instar de deux de nos voisins, les Pays-Bas et le Luxembourg ?2563 Si cette
option est sans doute plus franche que les techniques ‘d’escamotage’ qui régissent
actuellement la matière criminelle, il convient toutefois de souligner que dans d’autres pays
et à d’autre échelons de la chaîne pénale, la participation de citoyens à la fonction de juger en
matière pénale (re)naît. Or, les nouvelles formes de justice qui en résultent témoignent-elles
du dynamisme et de la vitalité de la participation citoyenne ? Mettent-elles en exergue qu’une
justice en quête de professionnalisme et de spécialisation accrus tire profit de l’implication de
simples citoyens ?

Pour bien analyser la notion de la « participation des citoyens à l’œuvre de la


justice », il convient d’abord d’analyser la renaissance contemporaine du jury populaire dans
d’autres pays et ensuite d’abandonner le monde du jury populaire pour se pencher sur les
autres formules de participation citoyenne à l’administration de la justice. Elles interrogent
quant à la fonction de juger et sur les finalités de notre justice pénale. Au lieu d’être
marginalisée, la participation constitue-t-elle alors également un enrichissement indéniable
dans notre justice pénale contemporaine (Titre I — Un enrichissement incontestable ?), au

2563
Pour la suppression du jury populaire et de la cour d’assises au Grand Duché de Luxembourg, v. A. SPIELMANN,
« De l’abolition du jury à la suppression de la cour d’assises (au Grand Duché de Luxembourg) », RDPC 1987, p.
719-733. Il convient de remarquer que la cour d’assises luxembourgeoise a longtemps fonctionné sans jury, celui-ci
ayant été aboli en 1856. Elle était alors constituée de six membres, tous professionnels, mais jugeait suivant la
procédure criminelle traditionnelle sans appel et sans motivation. L’absence de ces deux droits fondamentaux était
inacceptable, de sorte que le vœu d’abolir la cour d’assises fut exaucé en 1987, 140 ans sa première remise en
question.

419
point de nous inviter à reconsidérer la réforme de la procédure criminelle et les rapports
potentiels entre les juges professionnels et les citoyens (Titre II — Un enrichissement
multidisciplinaire) ? En effet, ne serait-il pas contradictoire de recourir, d’une part, à une
coopération accrue des citoyens ordinaires dans l’œuvre de juger tout en supprimant, d’autre
part, la forme la plus aboutie de la participation citoyenne, à savoir le jury populaire ? Ou le
recours à une implication accrue de la société civile n’est-il qu’un prétexte ; un moyen au
service de la « culture du résultat » ?

TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

420
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Titre I
U ERICHISSEMET ICOTESTABLE ?

398. Si en Belgique, en France et en Angleterre l’érosion semble inhérente au jury


populaire et constitue une constante qui dépasse la grande variété de ces différents systèmes,
elle ne semble pour autant pas universelle. Quelques pays poursuivent ou considèrent le
mouvement inverse et vont à contre-courant de cette évolution globale. La renaissance de
l’institution du jury populaire qui en découle, jette une nouvelle lumière sur la question de la
participation de simples citoyens à l’œuvre de juger en matière criminelle (Chapitre I — La
renaissance contemporaine du jury populaire). Le jury présente-t-il dès lors une plus-value
que les trois pays étudiés dans la première partie semblent négliger ? Ou y a-t-il en revanche
des inconvénients à un système purement professionnel ?

En outre, et au-delà de la matière criminelle de (nouvelles) formes de participation


ordinaire ou spécialisée à l’œuvre de la justice émergent, à différents échelons de la chaîne
pénale et par différents biais : pensons, en droit français, aux juges de proximité, aux
citoyens-assesseurs non professionnels du tribunal pour enfants, aux délégués du procureur
ou, en droit belge, aux assesseurs non professionnels des nouveaux tribunaux d’application
des peines ; pensons également à la pierre angulaire de la justice pénale anglaise : la lay
magistracy. Si, à la lumière du courant gestionnaire et de celui du procès équitable analysés
in extenso dans la première partie, cette évolution étonne, elle traduit la volonté générale de
rendre la justice plus proche, plus accessible et plus transparente, afin de rapprocher
justiciables et justice (Chapitre II — Les nouvelles exigences d’une justice pénale
contemporaine : proximité, transparence et participation).

CHAPITRE I — LA RENAISSANCE CONTEMPORAINE DU JURY POPULAIRE

CHAPITRE II — LES NOUVELLES EXIGENCES D’UNE JUSTICE PENALE


CONTEMPORAINE : PROXIMITE, TRANSPARENCE ET PARTICIPATION

421
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Chapitre I

LA REAISSACE COTEMPORAIE DU JURY POPULAIRE

399. Après le bilan plutôt négatif pour le jury populaire que nous avons analysé dans
la première partie, nous constatons avec beaucoup d’intérêt que cette institution n’est pas
partout moribonde. Ainsi, l’Espagne et la Fédération de Russie ont récemment réintroduit le
jury populaire dans leur système pénal.2564 Aux Pays-Bas, une attention particulière a
récemment été accordée à cette question lors des élections en 20062565, remettant ainsi en
cause l’unique certitude qui semble y exister en droit pénal et, dès lors, leur position (quasi)
unique au monde2566 : la légitimité apparemment évidente d’une justice purement
professionnelle. Mais lorsqu’il semble, pour les Néerlandais, plutôt s’agir de la force
attrayante de ce qui est un ‘noble inconnu’2567, il est question en Espagne et dans la
Fédération de Russie du retour à un ‘amour perdu’. En effet, l’institution du jury populaire
n’est pas étrangère à ces deux derniers systèmes qui convergent, depuis peu, vers une même
quête de démocratie après une longue période de dictature. Le jury y serait la clef de voûte du
processus de démocratisation (Section 1 — La participation comme protection contre le
despotisme et la dictature : les exemples espagnol et russe).

Les Pays-Bas ayant toujours été, en revanche, une high trust society, ils n’ont jamais
fait preuve d’enthousiasme à l’égard de l’institution du jury populaire (Section 2 — La
participation comme contrepouvoir à une professionnalisation introvertie ? L’exemple
néerlandais).2568 Sont-ils dès lors précurseurs, ou plutôt retardataires ?2569 Toutefois, les
Pays-Bas n’échappent pas non plus aux incitations à la réforme. Les rapports semblent en
train de se transformer.2570 Conscient de la tension contemporaine entre la société civile et la
justice pénale, les récentes protestations semblent annoncer un changement de ton. La
professionnalisation néerlandaise est-elle de retour ? Ou inversement, au lieu d’être

2564
Remarque préalable : l’analyse des systèmes espagnol et russe s’est nécessairement faite sur la base des sources
disponibles en anglais et français.
2565
C.H. Brants remarque pourtant que cette question émerge avec une certaine régularité (C.H. BRANTS, « Mag het
volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces » in A.H. KLIP, A.L. SMEULERS et M.W. WOLLESWINKEL,
Krities. Liber amicorum et amicarum voor prof.mr. E. Prakken, Deventer, Kluwer, 2004, p. 130-131).
2566
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 129.
2567
Ainsi que nous l’esquisserons plus loin, le jury y a seulement existé lors de la domination française de 1810-1813.
2568
P. DE HERT, « Leve de republiek, leve de jury. Historische, bewijstechnische, democratische en politieke
argumenten », l.c., p. 486.
2569
O.R. DELANGE, « Deelname van leken aan rechtspraak », JV 1978, p. 25.
2570
G. CORSTENS, « La justice pénale néerlandaise : évolution radicale », RSC 2007, p. 423 et s.

423
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

marginalisée et érodée par l’évolution vers une professionnalisation accrue, la participation


citoyenne est-elle susceptible d’endiguer les risques d’une spécialisation intégrale de la
justice ? Avant d’aborder ces questions, considérons d’abord la renaissance du jury en
Espagne et au sein de la Fédération de Russie.

Section 1
La participation comme protection contre le despotisme et la dictature : les
exemples espagnol et russe

400. Avec la Ley Organica del Tribunal del Jurado (ci-après LOTJ), le droit espagnol
a réintroduit le jury populaire en 1995. La Fédération de Russie l’avait réalisé deux ans plus
tôt. Ces réformes qui, ainsi que nous le verrons, s’inscrivent dans un processus plus large de
démocratisation de la procédure pénale ou en tout cas une telle volonté, apportent de
nouvelles perspectives sur la relation tendue entre professionnels et non-professionnels, celle-
ci étant particulièrement marquée par le passé politique tumultueux de ces deux pays. En
effet, la confrontation aux dictatures qui a forgé leur histoire a ouvert la porte à des régimes
davantage participatifs (§ 1 — Le jury comme « baromètre de la situation politique et
sociale »). Toutefois, l’évolution des mentalités a marqué la procédure contemporaine de son
empreinte. Ainsi, l’Espagne et la Russie ont opté pour un système hybride de jury populaire
qui puise dans la base accusatoire anglo-saxonne, mais la module avec des caractéristiques
particulièrement inquisitoires, au point même de risquer la marginalisation de cette institution
à laquelle les législateurs espagnol et russe ont récemment réinsufflé la vie (§ 2 — Le
caractère hybride des nouvelles procédures criminelles).

§ 1 — LE JURY COMME « BAROMETRE DE LA SITUATIOF POLITIQUE ET


SOCIALE »2571

401. La première chose que nous remarquons en analysant la réforme espagnole et


russe, c’est qu’il ne s’agit pas d’une introduction, mais d’un retour au jury. Au lieu d’être une
importation étrangère, l’institution du jury existe tant en Espagne qu’en Russie, en amont de
la prise de pouvoir des dictateurs (A — Un passé dictatorial). On pourrait y voir la preuve

2571
Expression utilisée par C. GLEADOW, o.c., p. 147.

424
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

que la réinstauration du jury est intimement liée aux contextes politique, social, culturel et
historique d’un pays (B — Une démocratisation contemporaine).

A — UN PASSE DICTATORIAL

402. L’histoire du jury espagnol est caractérisée par des guerres et des révolutions.
Les 19ème et 20ème siècles ont été particulièrement troublés, ce qui reflète également
l’organisation de la justice criminelle. En effet, les convulsions politiques ont compliqué
l’enracinement et le développement du jury sur le sol espagnol.2572

A l’origine, le sort du jury espagnol était intimement lié à l’existence des lois de
liberté d’expression, ce qui le dota d’une portée extrêmement limitée tel qu’en témoigne la
loi du 22 octobre 1820 (Ley de Libertad de Imprenta).2573 A l’instar d’autres pays, l’Espagne
chercha à restreindre l’arbitraire autorité politique et judiciaire, ainsi qu’à faciliter la liberté
de presse.2574 Le jury était considéré comme le gardien de la liberté d’expression. La
participation de citoyens à la fonction de juger constituerait notamment une garantie contre
l’abus de juges représentant l’Etat qui les rémunère. Supprimé en 1823 pendant l’absolutisme
royal dans la foulée de l’abolition des lois sur la liberté de presse, le jury fut restauré pendant
le nouveau régime libéral en 1837 (art. 2 Constitution 1837). Si son domaine d’intervention
demeurait restreint — sa renaissance étant à nouveau liée à la liberté de presse —, l’éligibilité
en tant que juré était en outre limitée à ceux qui payaient des taxes. Cette stratification sociale
inégale compliqua notablement l’enracinement du jury. Son histoire prend en effet des allures
de saga sans fin ou témoigne au moins de son existence capricieuse : abolition en 1845,
restauration en 1852, suppression en 1853, réintroduction en 1864, abolition en 1867,
restauration en 1868 et suspension en 1875.2575 D’une crise à l’autre, il semble que le jury
émerge comme une constante sporadique dans les Constitutions espagnoles qui, au 19ème
siècle, consacrent chaque période de liberté.2576 Le recours à la participation citoyenne dans
la fonction de juger s’inspirait dès lors plutôt d’arguments de nature politique que juridique.

Tel fut également le cas au 20ème siècle. De 1888 à 1923, l’on n’eut pas seulement
recours au jury pour les délits de presse, mais également pour d’autres crimes. Les conditions
d’éligibilité demeuraient pourtant élitistes et, à maintes reprises, la bourgeoisie manipula la

2572
C. GLEADOW, o.c., p. 55.
2573
C. GLEADOW, o.c., p. 72. Le jury fut été introduit sur le sol espagnol par l’occupation de Napoléon en 1808 (A.M.
MARTIN et M.F. KAPLAN, « Psychological Perspectives on Spanish and Russian Juries » in M.F. KAPLAN et A.M.
MARTIN, Understanding World Jury Systems through Social Psychological Research, New York, Londres,
Psychology Press, 2006, p. 83).
2574
C. GLEADOW, o.c., p. 59.
2575
C. GLEADOW, « Spain Returns to Trial by Jury : Theoretical Foundations and Practical Results », St. L.
Transatlantic L.J. 2001-02, p. 61.
2576
C. GLEADOW, o.c., p. 95 et S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 246.

425
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

composition du jury en refusant de siéger à côté de ‘simples’ citoyens.2577 En 1923,


l’abolition du jury porta l’empreinte du régime totalitaire de Primo de Rivera (au pouvoir de
1923 à 1930). Elle s’explique notamment par la lutte du dictateur contre le terrorisme et par
sa volonté de ne pas recourir au jury pour ce type d’affaires.2578 En réaction au remplacement
du jury par des juges professionnels ainsi qu’à la diminution de la liberté de la presse, la fin
de ce régime fut consacrée, pendant la seconde République, par la restitution du jury en 1931
(art. 103 Constitution du 9 décembre 1931).2579 Sa portée fut à nouveau largement restreinte,
les jurés n’étant plus que huit au lieu de douze, et la question de la culpabilité ne relevant
plus de leurs prérogatives. La restitution fut en outre de courte durée. La guerre civile
espagnole de 1936 signa une nouvelle fois brutalement le glas du jury. Le général Franco
n’était pas encore au pouvoir, mais le jury fut déjà suspendu en faveur des cours spéciales,
telles que par exemple le tribunal spécial pour les infractions de rébellion et celui compétent
pour les infractions contre la sécurité de l’Etat (People’s Tribunal (Tribunales Populares) et
Fationalist Tribunal).2580 Le jury était en particulier attaqué pour son imprévisibilité et son
incohérence : s’il condamnait sévèrement les infractions contre la propriété, il présenta à
maintes reprises une indulgence injustifiée pour les crimes passionnels.2581 En 1939, avec la
prise du pouvoir de Franco, le jury fut proscrit. L’administration de la justice se trouvait sous
contrôle. Cette situation perdura de jure jusqu’en 1978 et de facto jusqu’en 1995.
L’avènement et la chute de la cour d’assises étaient donc résolument tributaires de la
politique en vigueur : adopté par les régimes libéraux et progressifs, le jury fut à chaque fois
aboli par les régimes répressifs et autocratiques, ce qui témoigne de l’interdépendance du
droit et des circonstances politiques et sociales.2582

403. Une autre belle illustration de cette interdépendance est le système russe où la
restauration du jury marque également l’avènement d’une institution ancienne. En particulier,
le jury russe fut introduit en 1864 (Courts Charter), parmi l’une des réformes de l’ordre
judiciaire entreprise par le Tsar Alexandre II qui libéra également les paysans du serfdom en
1861.2583 Le jury fut cependant d’emblée considéré comme une institution faible2584, celui-ci
acquittant dans environ 50% des cas. Il était en outre surtout utilisé pour juger des dissidents
politiques et des intellectuels, ce qui conduisit probablement Lénine à le supprimer en 1917.

2577
C. GLEADOW, o.c., p. 127.
2578
C. GLEADOW, o.c., p. 143.
2579
C. GLEADOW, o.c., p. 146.
2580
C. GLEADOW, o.c., p. 150 et p. 162 et S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 249.
2581
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 247-248.
2582
C. GLEADOW, o.c., p. 287 et R.O. LEMPERT, « Citizen Participation in Judicial Decision making : Juries, Lay
Judges and Japan », St. L. Transatlantic L.J. 2001-02, p. 1.
2583
M. NEMYTINA, « Trial by Jury : A Western or a Peculiarly Russian Model ? », RIDP 2001, p. 365.
2584
S.C. THAMAN, « The Good, the Bad or the Indifferent : 12 Angry Men in Russia », Chi.-Kent L. Rev. 2007, p. 793.

426
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

En effet, sous la Révolution des Bolcheviks (Lenin’s decree on Court), toutes les institutions
judicaires créées par Alexandre II furent abolies. Considéré par la doctrine comme une
invention bourgeoise,2585 le jury populaire fut remplacé par un système mixte composé d’un
juge professionnel et de deux assesseurs laïques.2586 Dans ce tribunal mixte, le juge et les
citoyens se prononçaient théoriquement à pied d’égalité sur les questions de fait et de droit en
ayant les mêmes pouvoirs sur le plan de l’interrogation des témoins et en ce qui concerne
l’examen des preuves et de la punition. En réalité, les assesseurs se bornaient toutefois à se
conformer à l’opinion du juge professionnel ce qui leur valut une réputation de ‘béni-oui-oui’
(nodders).2587 Etant quasi toujours d’accord avec le magistrat de carrière, ils ne constituaient
pas un contrepouvoir effectif aux professionnels. Si la participation citoyenne a en principe
toujours existé en Union soviétique, il ne s’agissait en pratique que d’une répression du
Gouvernement. En effet, tout comme les droits de la défense, les acquittements étaient quasi-
inexistants dans ce système mixte (0,38% était libérés).2588 Virtuellement, chaque affaire
débouchait sur une condamnation. Or, si des condamnations étaient rares devant le jury, la
question se pose de savoir si « l’acquittement en matière criminelle ne deviendrait pas un
mythe si au jury est substituée une juridiction exclusivement composée de juges
professionnels, résultat qui, au point de vue de la justice et même de l’intérêt social serait
sans doute bien plus dangereux encore ».2589

Comme en Espagne, il est important d’examiner ce système dans un contexte plus


large. En effet, aucun système légal ne fonctionne dans un vacuum.2590 Ainsi, la victoire de
Lénine en 1917 signe également celle du communisme sur le Tsar, ainsi que l’avènement
d’une nouvelle théorie sur le droit. En fait, le communisme, qui est au fond une théorie
économiste, prône un monde sans domination ni oppression. Pour réaliser l’idéal
communiste, à savoir une société sans classe dans laquelle la loi et le droit ne sont plus
nécessaires, il faut d’abord instaurer un contrôle gouvernemental intégral avec une
interdiction du libre commerce, un contrôle de l’output industriel et l’interdiction d’exercer
des professions libérales.2591 Bien évidemment, cette théorie a des implications énormes en
matière juridique. Notamment, dans la philosophie marxiste-léniniste, le droit est un

2585
S.A. PASHIN, « The Reasons for Reintroducing Trial by Jury in Russia », RIDP 2001, p. 253.
2586
Il en était de même en Allemagne en 1924 (infra, n° 473), en Italie en 1931 (fascisme), en Espagne en 1939 (sous
le régime de Franco) et en France en 1941 (sous le régime de Vichy ; v. pourtant supra, n° 271).
2587
I. DLINE et O. SCHWARTZ, « The Jury Still out on the Future of Jury Trials in Russia », East. Europ. Const. Review
2002, p. 104 et S.C. THAMAN, « The Good, the Bad or the Indifferent : 12 Angry Men in Russia », l.c., p. 795.
2588
J.W. DIEHM, « The Introduction of Jury Trials and Adversarial Elements into Former Soviet Union and Other
Inquisitorial Countries », J. Transnational Law & Policy 2001-02, p. 25.
2589
B. PERREAU, « Faut-il admettre en matière criminelle le système du jury ou celui de l’échevinage », RIDP 1931, p.
374.
2590
J.W. DIEHM, l.c., p. 16.
2591
J.W. DIEHM, l.c., p. 17-18.

427
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

instrument du Gouvernement. Il sert à l’avènement du régime totalitaire. Tous les membres


de l’institution judiciaire étant des membres du parti communiste2592, les cours et tribunaux
étaient en réalité des institutions corrompues entre les mains du Gouvernement et le système
pénal n’était conçu que pour servir les vœux du parti communiste (« telephone law »)2593.
Rien ne pouvait rivaliser avec l’autorité de l’Etat. Tout le monde étant en outre endoctriné de
cette façon, ce système était considéré comme le seul bon.2594 Bien évidemment, une telle
philosophie n’était pas fructueuse pour l’institution du jury populaire.

B — UNE DEMOCRATISATION CONTEMPORAINE : LA GENESE DES LOIS


INSTITUANT LE JURY POPULAIRE

404. Pendant le régime de Franco, le pouvoir judiciaire espagnol était perçu comme
trop éloigné du citoyen, voire comme l’institution la moins démocratique de l’Etat. Il
appartenait à la classe moyenne et élevée de la société.2595 La nécessité d’une réforme après
la mort du Général fut donc considérée comme une évidence.2596 La Constitution du 29
décembre 1978 prévoyait dans son article 125 la relance de la participation citoyenne dans
l’administration de la justice. Cet article disposait, en particulier, que « les citoyens pourront
exercer l’action populaire et participer à l’administration de la justice grâce à l’institution
du jury, sous la forme et pour les procès à caractère pénal que la loi déterminera, ainsi que
devant les tribunaux coutumiers et traditionnels ». Si certains considéraient cette disposition
comme « une simple déclaration de principe » et d’autres comme « un accord » sur
l’introduction de la participation citoyenne dans le système pénal, la majorité la considérait
comme « une obligation ».2597

Pourtant, la loi sur le jury ne datant que de 1995, le débat parlementaire concernant le
nouveau jury populaire dura dix-sept ans. Il en résulte que la seconde partie du 20ème siècle
resta largement dépourvue de jury, même si la démocratie était déjà théoriquement établie
depuis 1978.2598 La proclamation du jury n’était donc pas une priorité sur la voie de la
démocratie ou, au moins, son rétablissement après des années de dictature ne semblant pas
simple. Les professionnels du droit se montraient très réticents à la perspective de perdre leur

2592
J.W. DIEHM, l.c., p. 23-24.
2593
S.C. THAMAN, « Jury Trial and Adversary Procedure in Russia : Reform of Soviet Inquisitorial Procedure or
Democratic Window-dressing? » in G.B. SMITH et R. SHARLET (éd.), Russia and its Constitution : Promise and
Political Reality, Leiden, Brill NV, 2008, p. 151-153.
2594
J.W. DIEHM, l.c., p. 26.
2595
C. GLEADOW, o.c., p. 226.
2596
C. GLEADOW, o.c., p. 169.
2597
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 250-251.
2598
Le pouvoir judiciaire en matière criminelle incombait à cette époque à des juges professionnels qui déterminaient
tant la question de culpabilité que la peine (C. GLEADOW, o.c., p. xxii).

428
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

pouvoir2599 ; la majorité du public n’était pas consciente du concept du jury et de ses


implications. La question d’incorporer des citoyens à l’administration de la justice fut
d’ailleurs en butte à une opposition parlementaire importante trahissant une dichotomie
patente entre la gauche et la droite. Aucun des deux bords ne voulant être anticonstitutionnel
ou anti-démocratique et tous étant convaincus de la nécessité d’une participation citoyenne,
la question centrale consistait à savoir s’il fallait des jurés populaires ou des échevins.
Nombreux sont ceux qui se prononcèrent en faveur d’un système mixte sur le modèle de
l’exemple allemand.2600 Remarquons également que la formulation de l’article 125 de la
Constitution de 1978 (« sous la forme […] que la loi déterminera ») laisse la porte ouverte à
un échevinage (escabinado). Selon ses partisans, celui-ci permettrait une forme plus moderne
de participation : il résoudrait la scission artificielle entre le fait et le droit, contribuerait à
éviter le problème de ‘stagnation’ professionnelle2601 et serait la seule forme qui permettrait
la motivation des décisions prescrite par l’article 120.3 de la Constitution espagnole.2602

Sous l’impulsion de l’Association Pro-Jurado, un lobby fort en faveur du jury


populaire et d’une séparation entre le fait et le droit, la piste de l’échevinage fut finalement
abandonnée.2603 De cette façon, le législateur exprime la volonté sous-jacente de réduire
autant que possible l’impact du juge professionnel.2604 Par rapport aux échevins, le jury serait
plus indépendant et embrasserait mieux les principes d’oralité, d’immédiateté des preuves, de
publicité et d’égalité des armes.2605 La version embryonnaire de la loi sur le jury fut déposée
par le Gouvernement social le 11 mars 1994.2606 Cette proposition a donné lieu à la Ley
Organica del Tribunal del Jurado du 22 mai 1995 qui, pour sa part, fut amendée avant son
entrée en vigueur le 24 novembre 1995. Elle est considérée comme le dernier acte du
Gouvernement social.2607 Malgré sa mise en œuvre longtemps attendue, le jury est considéré,

2599
C. GLEADOW, o.c., p. 195-196.
2600
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 237-238 et p. 250-251. Pour ce modèle, infra, n° 473.
2601
Le risque qu’un juge professionnel soit influencé par les précédents légaux et les interprétations juridiques ainsi
que par ses propres habitudes sur la base desquelles il développe des classifications rigides de délinquants, lui
empêcherait de considérer le délinquant de manière individuelle (C. GLEADOW, o.c., p. 225).
2602
Pour cette raison, le jury au sens propre du mot a également été rejeté en Italie. L’article 111 de la Constitution
italienne requiert des motifs pour chaque décision judiciaire.
2603
Cette association rejetait l’échevinage qu’elle considérait comme une forme perverse du jury au motif que
l’interférence des professionnels empêcherait les échevins d’exercer les mêmes pouvoirs que les jurés (C. GLEADOW,
o.c., p. 211-212).
2604
C. GLEADOW, l.c., p. 65-66. Pour les différentes propositions parlementaires et doctrinales d’implémentation de
l’art. 125 Constitution, v. S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 254.
2605
L’égalité des parties serait moins garantie dans la procédure inquisitoire où le juge et le ministère public sont des
magistrats-collègues, ayant les mêmes valeurs et les mêmes arrière-plans juridiques (C. GLEADOW, o.c., p. 215-217).
2606
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 254-255.
2607
Les parties droites (PP : Partido popular), des fervents adversaires de l’institution du jury populaire, n’étaient pas
encore au pouvoir. Les nombreux amendements de leur part révélèrent leur opposition (C. GLEADOW, o.c., p. 246).

429
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

en droit espagnol, comme la pierre angulaire démocratique de la réaction contre le système


de Franco.2608

405. En Russie, les tribunaux mixtes restèrent en vigueur durant presque quatre-vingt
ans. En 1959 et en 1965, on proposa toutefois de porter le nombre de laïcs, jusqu’alors au
nombre de deux, à six puis à douze.2609 On souhaiterait aussi leur offrir le pouvoir de décider
seuls à la majorité, ce qui constituerait déjà un signe précurseur du jury. Celui-ci fait sa
réapparition sur la scène politique dès 1987 avec les propositions de réforme sous Mikhail
Gorbachov. Le Perestroika reconnaissait que le trial by jury pourrait être de nature à
développer l’indépendance judiciaire. En 1989, cette institution et la procédure accusatoire
avec la présomption d’innocence, furent proposée par Mikhail Gorbachov.2610 A partir de
cette date, la tendance fut aux incitations à la réforme. Le concept de réforme judiciaire a été
lancé en 1991 par Boris Yeltsin. Finalement, via la loi du 16 juillet 1993, le jury fut
réintroduit (art. 123 Constitution de la Fédération russe 1993), d’abord à titre expérimental
dans neuf des quatre-vingt neuf régions. Il fallut attendre l’année 2002-2003 pour qu’il y ait
une extension graduelle du système du jury avec l’entrée en vigueur du nouveau Code de
procédure pénale (UPK RF) le 1er juillet 2002.2611 Hormis la volonté de promouvoir le procès
équitable et les droits de la défense, l’objectif de cette réforme ambitieuse était de diminuer le
pouvoir considérable de l’accusation et d’émanciper les cours de l’étreinte du Gouvernement.
Une attention particulière devrait être accordée au principe de la présomption d’innocence, au
droit de garder le silence, au droit d’exclure des preuves illégales et au droit de
représentation.2612 Toutefois, ainsi que nous l’esquisserons plus loin, il ne suffit pas de voter
des lois ou d’imposer la rule of law pour devenir une société démocratique. Le défi consiste à
dépasser et à tourner la page d’un siècle de tradition et d’histoire.2613

406. Le jury renaît alors sur les sols espagnol et russe en tant que réaction contre des
systèmes oppressifs. Aussitôt il convient de remarquer que le mouvement résolument
favorable à une implication accrue des citoyens dans la fonction de juger reste circonscrit à

2608
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 250
2609
S.C. THAMAN, « The Resurrection of Trial By Jury in Russia », Stan. J.Int’l.L. 1995, p. 68.
2610
S.C. THAMAN, « Europe’s New Jury Systems : the Case of Spain and Russia », L.C.P. 1999, p. 238.
2611
S.C. THAMAN, « The Good, the Bad or the Indifferent : 12 Angry Men in Russia », l.c., p. 796.
2612
S.R. PLOTKIN, « The Jury Trial in Russia », Tul. J.Int’l. & Comp.L. 1994, p. 1 et S.C. THAMAN, « The
Resurrection of Trial By Jury in Russia », l.c., p. 75-77. Certains s'appuyaient sur la décision de la Cour
constitutionnelle russe du 2 févr. 1999 pour généraliser l’application du jury populaire. En vertu de cette décision la
peine de mort ne pouvait pas être prononcée si le jury n’était pas garanti (art. 20 Constitution), ce qui sous-tend un
droit à un jury en cas de peine de mort (S.C. THAMAN, « The Good, the Bad or the Indifferent : 12 Angry Men in
Russia », l.c., p. 798 et s). Cependant, il convient de remarquer que la peine de mort est rendue impossible par la
signature du Président Poetin de la CESDH en 1996 (moratorium de Poetin) et par sa déclaration du 10 juillet 2001
concernant l’abolition la peine de mort.
2613
J.W. DIEHM, l.c., p. 27.

430
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

un nombre limité d’infractions. Pour ces nouvelles procédures criminelles, il est alors
également impossible d’introduire le jury sans mécanisme d’esquive (huida del jurado).
Ainsi, le législateur espagnol a soigneusement établi une liste d’infractions relevant de la
compétence de la cour d’assises, option qui, en Belgique, a formellement été rejetée par le
Conseil supérieur de la Justice et la loi du 21 décembre 2009 sur la réforme de la cour
d’assises.2614 La liste espagnole est plutôt conditionnée par la nature de l’infraction que par sa
gravité. Elle contient les crimes contre la vie humaine, les infractions commises par des
fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction, les affaires de calomnie et de diffamation, les
crimes contre la sécurité, contre la liberté et contre l’environnement, ainsi que l’omission
d’aide à une personne en danger (art. 1 LOTJ).2615 Etrangement, il ne s’agit donc pas
seulement des infractions les plus sévères, ce qui pose question quant aux critères appliqués
pour établir cette liste. La possibilité d’ajouter à l’avenir d’autres infractions à la liste est bien
prévue. En revanche, l’Audiencia Facional est compétente pour les infractions contre la
famille royale, le terrorisme et les grandes affaires de stupéfiants (art. 1 (3) LOTJ).

En Russie, la compétence du jury fut limitée aux infractions les plus sévères telles que
l’assassinat, la trahison et le viol. Ici, le critère est, comme en Belgique et en France, la
sévérité de la peine applicable et dès lors la gravité de l’infraction. Il s’agit notamment des
infractions autrefois punissables de la peine de mort ou d’une peine privative de liberté
supérieure à dix ans. Si seules les affaires les plus sévères sont réservées au jury populaire
russe, il convient en outre de remarquer que l’accusé russe semble bénéficier, pour celles-ci,
d’un véritable « droit à un jury ». En théorie, il y existe un véritable choix : soit l’accusé opte
pour le jury populaire — présumé plus clément et prompt à acquitter2616 —, ce qu’il doit faire
explicitement et confirmer à une audience préliminaire ; soit il préfère le tribunal mixte ou un
bench alternatif de trois juges professionnels.2617 Cette caractéristique de la procédure russe
semble empruntée à la procédure américaine où la renonciation au jury (« jury waiver ») est
bien établie dans certains Etats.2618 En effet, dans l’ancienne procédure russe, l’accusé n’avait
pas de choix. En 1864, chaque affaire susceptible d’infliger une peine privative de liberté ou
une diminution des droits civils était réservée au jury.

Nonobstant l’indulgence présumé du jury populaire, beaucoup d’accusés russes optent


en pratique pour le bench professionnel. Il est contestable que ces ‘choix’ soient volontaires.

2614
Supra, n° 69.
2615
C. GLEADOW, l.c., p. 66 et p. 256 et S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 259-260.
2616
N. MARIE-SCHWARTZENBERG, « Le nouveau Code de procédure pénale de la fédération de Russie : rupture ou
continuité », RSC 2004, p. 311.
2617
S.C. THAMAN, « The Resurrection of Trial By Jury in Russia », l.c., p. 86.
2618
M. NEMYTINA, l.c., p. 367.

431
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

L’usage fréquent de jury waiver semble plutôt témoigner des pressions exercées par les
conseillers et le représentant du ministère public qui se montreraient réticents à mettre en
œuvre la nouvelle procédure criminelle.2619 Dès le début, la portée de la nouvelle cour
d’assises fut dès lors réduite. Des considérations budgétaires font à nouveau leur apparition,
entamant la valeur démocratique du jury. Plus loin nous analyserons la question de se savoir
si cette réforme ne cacherait pas une réalité plus sombre, à savoir celle d’une simple façade
démocratique.

L’Espagne, pour sa part, exclut explicitement la possibilité pour l’accusé de renoncer


à un procès devant le jury : elle voit dans un tel privilège une violation de l’article 24 de sa
Constitution qui établit l’égalité des justiciables devant la loi. Toutefois, contrairement aux
Etats-Unis où le droit à un jury relève d’un droit constitutionnel historiquement enraciné, le
‘droit à un jury’ n’est dans le système espagnol pas synonyme du droit de l’accusé à être jugé
par des pairs en tant que garantie contre la corruption de la Prosecution et le juge partial.2620
Il s’agirait plutôt du droit et du devoir des citoyens de participer directement aux affaires
publiques (art. 23.1 Constitution)2621. Le recours au jury ne semble en Espagne donc pas viser
l’instauration d’une institution alternative en opposition aux juges de carrière, mais à
instaurer quelques normes procédurales satisfaisant les exigences du procès pénal et surtout
le droit constitutionnel des citoyens à participer directement au jugement.2622 En résultent dès
lors des conceptions divergentes : si l’accusé se trouve au centre de la procédure criminelle
russe et peut, dans une certaine mesure, choisir l’instance et les modalités de traitement de
son affaire, le droit espagnol met l’accent sur le droit des citoyens à être impliqués dans
l’œuvre de juger. Un jury waiver est alors exclu en Espagne. D’autres différences se dégagent
sur le plan de la procédure criminelle, ce que nous développerons dans le paragraphe suivant.

2619
En 1994, la défense n’a opté pour le jury que dans 254 des 1.465 affaires (1 sur 5 ; J.W. DIEHM, l.c., p. 33). En
1995, il s’agirait d’environ un accusé sur trois (v. aussi S.C. THAMAN, « Jury Trial and Adversary Procedure in
Russia : Reform of Soviet Inquisitorial Procedure or Democratic Window-dressing? », l.c., p. 156).
2620
J.A. VARGAS, « Jury Trials in Spain : A Description and Analysis of the 1995 Organic Act and a Preliminary
Appraisal of the Barcelona Trial », F.Y.L. Sch. J. Int'l & Comp. L. 1998-99, p. 197-198.
2621
Pour inciter les citoyens à remplir cette fonction, le législateur a prévu une rémunération qui s'élève, en vertu de la
résolution du 21 septembre 2006, à 67 € par jour pour les jurés effectifs et à 33,50 € pour les jurés potentiels. Celle-ci
comprend aussi leurs transport, déjeuner et logement (art. 6 et 7 LOTJ ; M. JIMENO-BULNES, « A Different Storyline
for 12 Angry Men Verdicts Reached by Majority Rule : the Spanish Perspective », Chi.-Kent L. Rev. 2007, p. 766). Il
y a en outre des mesures coercitives (C. GLEADOW, o.c., p. 257). Rappelons que les jurés effectifs et suppléants belges
ne reçoivent qu’une indemnité de 40,10 € pour chaque jour où ils ont, soit siégé, soit assisté aux débats (art. 31 arrêté
royal du 27 avr. 2007 ; supra, note 780).
2622
Exposición de Motivos, cité par S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 257.

432
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

§ 2 — LE CARACTERE HYBRIDE DES FOUVELLES PROCEDURES PEFALES

407. Si, dans ses grandes lignes, le modèle accusatoire met l’accent sur le combat
entre deux parties, réduisant le juge à un rôle passif d’arbitre (« fight theory »), le modèle
inquisitoire repose sur une inquiry qui cantonne les parties à l’arrière-plan et attribue au juge
un rôle actif de recherche dans la vérité (« truth theory »). Ainsi que nous l’avons déjà
avancé, les deux modèles qui sont apparemment dotés de dynamiques radicalement
différentes, sont en quête d’une procédure équitable et se rapprochent à cet égard l’un de
l’autre.2623 Cela semble également être le cas pour les systèmes russe et espagnol. Avec
l’instauration du jury populaire, les législateurs cherchent à conforter le contradictoire, la
transparence et l’immédiateté des preuves en modifiant le rôle des participants et en insistant
sur les droits de la défense. A première vue, il semble que le prototype du jury — le jury
anglo-saxon — fut leur source d’inspiration, ce qui traduirait un glissement de la tradition
inquisitoire vers la reine des procédures accusatoires.2624 Pourtant, en y regardant de plus
près, les deux procédures restent imprégnées d’éléments inquisitoriaux, voire étrangers au
jury traditionnel, ce qui donne lieu à une procédure hybride (A — Une procédure accusatoire
‘encadrée’). Or, il s’agira de savoir si ce rapprochement entre les deux modèles sur un mode
‘néo-inquisitoire’2625 peut s’avérer fructueux (B — Une illusion démocratique ?).

A — UNE PROCEDURE ACCUSATOIRE ‘ENCADREE’

408. A première vue, les jurys populaires espagnol et russe semblent très proches du
jury anglo-saxon. Ainsi, concernant la composition, la Russie a opté pour un juge
professionnel unique, douze citoyens et deux remplaçants.2626 En Espagne, il en est de même
pour la composante professionnelle. La préférence pour un juge unique fut motivée par des
considérations économiques et financières. En effet, si l’introduction du jury a nombre de
répercussions au niveau criminel, elle a également des répercussions au niveau correctionnel
en raison de l’indisponibilité des magistrats de carrière. En n’optant que pour un seul juge de
carrière dans les prétoires d’assises, le législateur espagnol souhaite éviter la dépense

2623
J.W. DIEHM, l.c., p. 6-7.
2624
S.C. THAMAN, « The Jury as Catalyst for the Reform of Criminal Evidence Procedures in Continental Europe : the
Cases of Russia and Spain » in J.M. REIJNTJES et J.F. NIJBOER (éd.), Proceedings of the First World Congres on Few
Trends in Criminal Investigation and Evidence, La Haye, Koninklijke Vermande, 1997, p. 394.
2625
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 241.
2626
Chaque habitant russe qui maîtrise la langue et a plus de vingt-cinq ans est éligible. Bien évidemment certaines
personnes sont exclues (ainsi les condamnés, quelle que soit l’infraction commise, sauf si leur condamnation a été
annulée), certaines sont inéligibles (tels que les officiers publiques, les professions juridiques, …) et d’autres peuvent
demander une excuse à partir d’un certain âge ou pour une raison particulière (garde d’enfants, convictions religieuses
ou raisons professionnelles). V. S.C. THAMAN, « Europe’s New Jury Systems : the Case of Spain and Russia », l.c., p.
239. La défense tout comme l’accusation dispose du droit de récuser. En cas de pluralité d’accusés, ils doivent
s’accorder ; un accusé peut bénéficier des récusations non exercées par ses co-accusés, à condition qu’il y ait au moins
quatorze jurés dans le pool (S.R. PLOTKIN, l.c., p. 9-10).

433
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

afférente aux juges supplémentaires.2627 A côté de ce juge, le système espagnol exige neuf
jurés et deux remplaçants, ce qui pourrait trahir une certaine influence française.2628 Mais,
contrairement au système français, la séparation stricte entre le fait et le droit est
intégralement consacrée dans les procédures criminelles espagnole et russe.2629 Ainsi, dans
ces deux pays le jury délibère seul sur la question de culpabilité ou d’innocence. Remarquons
à cet égard que l’Espagne consacre un jury à nombre impair de membres, de sorte que la
parité des votes pouvant bénéficier à l’accusé est impossible.2630 En cas de condamnation, la
détermination de la peine n’incombe qu’au président, magistrat de carrière.

409. Pourtant, dans les procédures espagnole que russe, la séparation est à relativiser.
En premier lieu, la liste des questions soumise aux jurés2631 pour structurer leur délibération
peut contenir une question particulière visant à savoir si l’accusé mérite de l’indulgence. De
cette manière les jurés peuvent tout de même exprimer leurs sentiments quant aux
conséquences de leur verdict. En second lieu, les présidents espagnol et russe ne sont pas
entièrement étrangers aux questions de fait. A l’instar de la procédure anglo-saxonne, le
président espagnol évalue les preuves de la phase préparatoire et détermine leur admissibilité
dans une audience préliminaire (art. 30-34 LOTJ). En particulier, à l’audience préliminaire,
quatre types de motions peuvent être invoquées in limine litis : l’incompétence de la cour, la
violation des droits fondamentaux pendant la phase d’instruction, la motion en vue d’ajouter
ou d’éliminer des faits et la demande d’exclusion ou d’inclusion de certaines preuves.
L’ensemble de cette procédure vise d’une part à éviter des accusations non substantielles et
d’autre part à vérifier les preuves et les témoins qui seront présentés au procès afin d’exclure
autant que possible le dossier du procès pénal.2632 De cette façon, les grandes questions sont

2627
Le rapport 3/12 tel qu’il existait en 1872 et 1888 fut formellement rejeté (S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial
by Jury », l.c., p. 263-264). Rappelons la proposition similaire de la Commission de réforme de la cour d’assises belge
(supra, n° 282).
2628
En Espagne une personne est éligible à l’âge de dix-huit ans. La défense et l’accusation peuvent chacune récuser
trois jurés pour cause et quatre jurés sans cause. Si au moins 20 des 36 jurés potentiels ne se présentent pas, il y aura
des nouveaux summons. Contrairement à la Russie une voire dire directe (supra, n° 153) est possible en Espagne,
mais contrairement aux Etats-Unis celle-ci n’a en principe pas lieu en public. Pour les règles d’exclusion (de certains
condamnés, d’officiers publiques, de membres du corps judiciaire, militaires, …) et les causes d’excuse (en raison de
l’âge, …) ainsi que l’établissement des listes de jurés, v. S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p.
265-266 et p. 267-271.
2629
Les propositions espagnoles visant à instaurer un système d’échevinage à la place du jury témoignent de la
difficulté à séparer le fait et le droit (S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 320).
2630
Il en est de même en France pour le jury en appel qui se prononce avec les magistrats de carrière à quinze. Il y a
également neuf jurés en premier ressort, mais ceux-ci prennent conjointement leur décision avec les trois magistrats
de carrière, ce qui porte le nombre à douze. En droit anglais il est exceptionnellement, en cas d’empêchement ou de
décharge de jurés, possible de continuer avec neuf jurés (supra, n° 156).
2631
Infra, n° 413.
2632
S.C. THAMAN, « The jury as Catalyst for the Reform of Criminal Evidence Procedures in Continental Europe : the
Cases of Russia and Spain », l.c., p. 394. En Espagne, cela implique une réforme importante : le dossier a
généralement, au détriment du principe d’oralité à l’audience, un impact important sur le procès et l’évaluation des
preuves, système dans lequel les juges étaient par ailleurs endoctrinés (S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by
Jury », l.c., p. 272).

434
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

réservées au procès et le procès lui-même est consacré en tant qu’arène de la vérité2633.


L’audience préliminaire envisage également de renforcer la participation contradictoire des
parties dans les diverses mesures d’investigation.2634 La procédure espagnole cherche ainsi à
rationaliser et à alléger le procès à l’audience, une volonté à laquelle se ralliait également,
rappelons-le, la Commission de réforme de la cour d’assises belge2635.

En droit russe, existe également le concept d’audience préliminaire. D’abord, il y a


une audition à laquelle l’accusé peut opter pour un procès devant le jury ; s’ensuit une
audience à huis clos devant le juge professionnel. Celui-ci y vérifie s’il y a suffisamment de
preuves, si l’accusé a bien compris les accusations et s’il plaide coupable ou non
coupable.2636 Des preuves illégalement obtenues — par exemple en violation du droit de
garder le silence —, peuvent être exclues par le juge à l’audience préliminaire. Une telle
exclusion est même possible sans qu’il y ait violation d’un droit constitutionnel.2637 La
tendance actuelle consiste à exclure uniquement les preuves en forte violation du droit.2638 En
cas d’insuffisance des preuves, le juge peut ordonner des investigations supplémentaires.2639
Il peut également ordonner un nouveau procès.

410. Les présidents espagnole et russe assument alors un rôle plus important qu’il n’y
paraît à première vue. Hormis ses compétences lors de l’audience préliminaire, le président
espagnol peut prononcer, d’office ou à la demande de la défense, une dissolution anticipée du
jury en cas de charges insuffisantes contre l'accusé (no case to answer) ou si la prosecution
demande le dismissal avec l’accord de l’accusation privée.2640 En cas d’accord entre les
parties sur les faits et à condition que l’infraction ne soit passible que d’une peine privative
de liberté inférieure à six ans, le président peut directement infliger la peine
(conformidad).2641 En cas de preuves insuffisantes pour fixer la culpabilité beyond a
reasonable doubt, il est possible de recourir à un directed acquittal qui, tel que nous l’avons
analysé dans la première partie, peut s’avérer délicat dans la mesure où le juge empiète sur le
domaine des jurés. En ce qui concerne le summing-up, les prérogatives du président espagnol
sont plus restreintes que celles de son homologue anglais : il ne peut pas exprimer son
opinion personnelle sur les faits.2642 Il en est de même en droit russe où le manque
2633
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 282.
2634
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 273.
2635
Supra, n° 206 et s.
2636
S.R. PLOTKIN, l.c., p. 4.
2637
S.R. PLOTKIN, l.c., p. 15 et S.C. THAMAN, « The Resurrection of Trial By Jury in Russia », l.c., p. 90-91.
2638
M. NEMYTINA, l.c., p. 367.
2639
S.C. THAMAN, « The Resurrection of Trial By Jury in Russia », l.c., p. 102.
2640
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 316-317.
2641
C. GLEADOW, o.c., p. 262 (infra, n° 411).
2642
Le juge espagnol doit notamment expliquer aux jurés leur rôle ainsi que les règles procédurales propres à la
délibération et au vote. Il doit exposer la nature des faits constitutifs de l’infraction ainsi que les circonstances

435
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

d’objectivité du juge professionnel dans son summing-up peut constituer, comme en


Angleterre, le fondement d’un appel. Toutefois, le juge russe peut également aller plus loin,
surtout par rapport à ses homologues anglo-américains dans la mesure où il peut donner des
indications sur les taux de peine ou, à l’époque, sur la possibilité d’une condamnation à
mort.2643 Contrairement à ses collègues de tradition anglo-saxonne, les juges espagnol et
russe donnent en tout cas aux jurés un résumé écrit des faits qui précise le degré de
participation de l’accusé. Avant la remise aux jurés, ce résumé est porté à la connaissance des
parties qui peuvent l’amender et émettre des objections.2644

411. Au-delà du rôle du président, le parallèle avec la procédure anglo-saxonne


semble plus évident pour le droit espagnol. Ainsi, il est en principe interdit de lire les
déclarations des témoins de la phase préliminaire. Le procès est « le forum où la vérité est
déterminée devant les yeux du jury ».2645 La procédure pénale russe reste par contre
davantage imprégnée par le modèle traditionnel inquisitoire. La Russie semble en effet avoir
implanté le jury dans un système purement inquisitoire. En particulier, le procès n’est pas
conçu comme un combat entre parties, mais comme une inquiry. Le ministère public présente
un acte d’accusation, il n’y a pas de contre-interrogatoire direct et, contrairement au système
anglo-saxon, un plaider coupable ne mettra pas un terme à la procédure.2646 La
reconnaissance préalable de culpabilité constitue en droit russe seulement une preuve parmi
d’autres. Tous ceux qui sont accusés de crimes relevant de la compétence de la cour d’assises
et qui ont explicitement opté pour cette cour seront jugés par un jury, qu’ils plaident ou non
coupable. Afin d’éviter les pressions des investigateurs pour contraindre les accusés à des
reconnaissances de culpabilité qui, en l’occurrence, constitueraient la preuve par excellence,
la délibération des juges-citoyens est incontournable.2647 Cela a bien évidemment un impact
sur le taux de jury trials et renforce la recherche de techniques visant à diminuer le nombre

modifiant, excluant ou modérant la culpabilité (art. 54 (1) et (2) LOTJ ; M. JIMENO-BULNES, l.c., p. 765). Il doit
préciser que le doute profite à l’accusé et qu'il ne faut pas attacher de valeur aux preuves inadmissibles qui auraient
été présentées (S.C. THAMAN, « Europe’s New Jury Systems : the Case of Spain and Russia », l.c., p. 253 et S.C.
THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 353-354).
2643
S.C. THAMAN, « The Resurrection of Trial By Jury in Russia », l.c., p. 123-124.
2644
C. GLEADOW, o.c., p. 263.
2645
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 297-298. Parfois des preuves par ouï-dire ont pourtant
été autorisées (S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 300).
2646
Le nouveau CPP du 5 décembre 2001 prévoit pourtant cette procédure pour les affaires n’ayant qu’une gravité
légère ou moyenne (peine privative de liberté de cinq ans maximum ; art. 316 al. 2 UPK RF). Cette procédure
réévalue l’aveu à un niveau supérieur de preuves, mais risque d’entamer le droit à un procès équitable (N. MARIE-
SCHWARTZENBERG, l.c., p. 319).
2647
M. NEMYTINA, l.c., p. 367. Bien évidemment, si tous les accusés plaident coupable, l’examen à l’audience peut
être raccourci (S.C. THAMAN, « The Resurrection of Trial By Jury in Russia », l.c., p. 103-104).

436
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

de procès devant le jury et éviter des situations ingérables.2648 La pression exercée sur les
accusés pour qu’ils renoncent au jury en témoigne.

De cette façon, la procédure russe se distingue également de la procédure espagnole


où un guilty plea ou conformidad est possible, dans certaines conditions et pour certaines
infractions — celles punissables d’une peine privative de liberté inférieure à six ans —, mais
uniquement après la présentation des preuves (art. 50 LOTJ). Le cas échéant, le jury espagnol
est immédiatement dissolu et la peine est tout de suite prononcée sans que le président soit
strictement lié par la conformidad.2649 En pratique, cette procédure est également utilisée
antérieurement au procès pour éviter que des affaires de gravité légère ne soient envoyées au
jury. Il y a même des preuves de véritables négociations.2650 Si la compétence du jury est déjà
réduite ratione materiae, les deux pays ne manquent alors pas de créer des moyens
particuliers d’inspiration américaine visant à échapper au jury, à savoir la procédure de jury
waiver dans la Fédération de Russie et la procédure de guilty plea (conformidad) en Espagne.

412. Les procédures espagnole et russe se rejoignent ensuite en ce qui concerne les
règles de votes et de majorité, celles-ci réfutant l’unanimité des voix pour la prise d’une
décision, ce qui évite en principe des hung juries. En Espagne, une décision défavorable à
l’accusé doit être prise à la majorité qualifiée de sept voix sur neuf (art. 59 (1) LOTJ) ; pour
une décision favorable à l’accusé, cinq voix suffissent.2651 Il n’y a pas de limite temporelle à
la délibération, mais si les jurés ne réussissent pas à rendre un verdict dans les deux jours, le
président peut les appeler dans le prétoire afin de vérifier s’ils ont bien compris le formulaire
du verdict et la procédure de vote.2652 En droit pénal russe, le jury est incité à atteindre
l’unanimité des voix afin d’encourager la discussion. Toutefois, s’il ne l’obtient pas après
trois heures, une majorité simple de sept voix sur douze est suffisante. Le risque, dans ce
système, est bien évidemment que le jury se borne à attendre simplement trois heures.

413. Une autre différence par rapport au prototype anglo-saxon du jury concerne la
liste des questions. En effet, dans les procédures espagnole et russe, le verdict n’est pas un

2648
Une procédure d’examen raccourci des preuves sur lesquelles les parties s’accordent, qui existe pour les
infractions inférieures à cinq ans d’emprisonnement, est à cet égard proposée (I. DLINE et O. SCHWARTZ, l.c., p. 106-
107).
2649
Le président peut infliger une peine inférieure ou même suspendre la peine. Il peut également rejeter le
conformidad, par exemple si le crime n’a pas été commis ou en cas d’excuse ou de justification (S.C. THAMAN,
« Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 315).
2650
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 311-312.
2651
C. GLEADOW, l.c., p. 66. A l’instar du droit anglais, le fait de ne pas obtenir la majorité qualifiée pour une
condamnation, ne conduit pas per se à l’acquittement. Si les jurés espagnols n’obtiennent qu’une majorité en faveur
de condamnation de six voix contre trois ou de cinq contre quatre, il est question d’un hung jury. Il aurait été plus
facile d’avoir une décision favorable à l’accusé si la majorité de sept n’avait pas été obtenue (S.C. THAMAN, « Spain
Returns to Trial by Jury », l.c., p. 361 ; supra, n° 293).
2652
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 358.

437
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

simple ‘coupable’ ou ‘non coupable’, mais une réponse à une liste des questions à l’instar du
système continental.2653 Le juge professionnel est responsable de la préparation de cette liste
qui est également soumise aux parties. En Espagne, il met notamment un formulaire écrit et
structuré à la disposition des jurés. Celui-ci contient, hormis l’acte criminel et sa qualification
légale, les faits qu’ils doivent déclarer prouvés ou non prouvés (art. 52 (1) LOTJ). La
première question concerne les faits qui prouvent le crime et l’identité de l’accusé comme
auteur ; la deuxième, porte sur les allégations de la défense ; la troisième concerne les faits
susceptibles d’excuser l’auteur, voire de justifier le crime. Afin de souligner la séparation du
fait et du droit, le président s’engage à accentuer la nature factuelle plutôt que la nature légale
des faits.2654 Ensuite, le formulaire du verdict espagnol avance d’éventuelles causes
d’aggravation ou de mitigation.2655 Enfin, il peut indiquer la possibilité pour le jury de faire
une recommandation d’indulgence et ainsi aider à éviter des acquittements pervers si les jurés
craignent la sévérité excessive du juge.2656 Bien évidemment, les parties peuvent demander
d’ajouter certaines questions omises par le juge ou d’en exclure d’autres et, si elles ne sont
pas d’accord avec la formulation, elles peuvent émettre des objections.2657

En Russie, au moins trois questions sont incontournables : celles visant à savoir si le


corpus deliciti est prouvé, si l’accusé est l’auteur de cet acte et, finalement, s’il est
effectivement coupable.2658 Cette structure spécifique de la liste des questions qui opère une
distinction entre la preuve des actes criminels, l’identité de l’auteur, et sa culpabilité, autorise
implicitement la jury nullification2659 — dont il existe des précédents historiques2660 —, dans
la mesure où des réponses contradictoires s’avèrent possibles.2661 Le jury peut en effet juger
l’accusé non coupable, même si les faits sont prouvés et que l’accusé en est l’auteur. Notons
toutefois que ce pouvoir octroyé au jury suscite des critiques. Par la discrétion effrénée du
jury d’acquitter par sympathie ou pour mitiger la sévérité de la loi, nonobstant des preuves
écrasantes et sa conviction concernant la culpabilité de l’auteur, il s’érige en censeur de la
loi.2662 A cet égard, la Russie se distingue résolument de la procédure espagnole où un

2653
C. GLEADOW, l.c., p. 72.
2654
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 336-338.
2655
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 346-347.
2656
Il ne faut pourtant pas surestimer ce pouvoir : la suspension de la peine est impossible en cas de récidive et en cas
d’infraction punissable d’une peine privative de liberté supérieure à deux ans, tel que l’homicide (S.C. THAMAN,
« Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 348).
2657
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 351.
2658
Selon la Cour suprême le jury peut uniquement décider des questions de pur fait, retirant même la question
d’intention (mens rea) à son jugement. Cette question est considérée comme une question de droit (pour une critique,
v. S.C. THAMAN, « Europe’s New Jury Systems : the Case of Spain and Russia », l.c., p. 250).
2659
Supra, n° 92 et 245.
2660
S.C. THAMAN, « The Good, the Bad or the Indifferent : 12 Angry Men in Russia », l.c., p. 801-802.
2661
M. NEMYTINA, l.c., p. 365-366.
2662
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 243.

438
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

contrôle du président permet de pallier les erreurs potentielles. En Espagne un renvoi des
jurés dans la salle de délibération est notamment nécessaire en cas de contradiction entre la
réponse positive aux questions de fait et la commission de ces faits d’une part et la
déclaration d’acquittement d’autre part.2663 Cela traduit explicitement l’interdiction de jury
nullification. Des acquittements fondés sur le bon sens mais en contradiction avec tout ce qui
est prouvé ne sont dès lors pas possibles en Espagne. L’affaire Otegi du 27 juin 1997
démontre cependant que l’on peut être favorable à l’accusé et prononcer un acquittement
(scandaleux) même si cela ne correspond pas à la réalité.2664 Pour ce faire, il faut toutefois
éviter des réponses contradictoires.

414. Par le biais de la liste des questions, on pourrait deviner le raisonnement du jury
populaire mais, ainsi que nous l’avons déjà avancé2665, le législateur espagnol est allé plus
loin. Il exige que les jurés procurent eux-mêmes une motivation succincte de leur décision et
leur impose ainsi une exigence qui semble difficilement réalisable, voire impossible dans les
autres pays dotés d’un jury, quelle que soit sa forme2666. Le caractère énigmatique étant l’une
des caractéristiques essentielles du jury anglo-saxon, le système espagnol constitue de ce
point de vue un modèle unique au monde.2667 Rappelons qu’il incombe en principe au chef du
jury de rédiger la motivation, avec ou sans l’aide du secretario (greffier), sauf si son opinion
diffère de celle de la majorité du jury. Le document doit en principe être signé par chaque
juré. Cette obligation, dont certains se demandent si elle vise à pallier, faute d’exigence
d’unanimité, l’éventuel manque d’échanges dans la salle de délibération2668, peut être
considérée comme l’innovation la plus remarquable du droit espagnol. Elle témoigne en tous
cas de son incompatibilité avec un pouvoir de jury nullification.

Toutefois, la confiance aveugle accordée à la capacité des jurés de rédiger eux-mêmes


une motivation juridique a été accueillie avec une hostilité importante : la motivation est en
effet la source de nombreux conflits dans la jurisprudence de la cour d’appel.2669 La pratique
démontre notamment que le jury peine souvent à se conformer à cette obligation, les

2663
Un renvoi est également possible si le jury ne s’est pas prononcé sur l’intégralité des accusations ou des accusés,
s’il n’a pas obtenu la majorité requise, en cas de contradiction, d’erreur de vote ou de méthode de délibération ou en
cas d’altération substantielle des faits proposés dans le formulaire de verdict. Si, après trois fois, le jury est encore
défaillant, le juge peut ordonner un nouveau jury. Si celui-ci n’arrive pas non plus à une décision, il doit acquitter
(S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 376).
2664
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 379. Dans cette affaire, un jeune révolutionnaire ayant
assassiné deux policiers basques fut acquitté. Ce verdict serait attribuable au peur des jurés de représailles terroristes.
(S.C. THAMAN, « Europe’s New Jury Systems : the Case of Spain and Russia », l.c., p. 236).
2665
Supra, n° 329.
2666
Ainsi que nous l’avons avancé plus haut, la procédure suisse du canton de Genève et le droit autrichien procurent
déjà des précédents d’une telle obligation (supra, note 2137).
2667
M. JIMENO-BULNES, l.c., p. 769.
2668
M. JIMENO-BULNES, l.c., p. 774.
2669
M. JIMENO-BULNES, l.c., p. 761.

439
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

statistiques révélant que plus de la moitié des arrêts du jury est motivée de manière
inappropriée.2670 Or, des défauts quant aux motifs interrogent également sur la solidité de la
décision prise. En effet, si la motivation doit émerger pendant la délibération pour conduire à
la seule bonne décision, des manquements à ce processus entravent le résultat final. Souvent
les jurés se contentent de phrases standards, en se référant par exemple à « la preuve de
l’expert » ou à « la déposition de l’accusé » en guise de motivation, ou ne donnent qu’une
motivation très minimaliste telle que ‘témoins’2671. Ainsi, dans l’affaire retentissante Otegi,
l’acquittement prononcé par le jury a été annulé en raison de l’insuffisance des motifs
invoqués. Au lieu de donner une explication, même succincte à l’une des réponses aux 91
questions, le jury n’aurait fait que des suppositions de doute raisonnable, en ne précisant ni
l’origine ni la portée des ces doutes.2672 S’il y a bien une différence qualitative entre la
motivation d’une décision de condamnation et celle d’un acquittement, la faillite du ministère
public de prouver la culpabilité ou le respect du principe de doute devant bénéficier à
l’accusé doit bien être précisée.

Bien évidemment, cette tâche consistant à motiver n’est pas une sinécure. En premier
lieu, les formulaires du verdict sont souvent corrodés par un excès de détails ou sont trop
‘touffus’. Au lieu de rationaliser la tâche des membres du jury, ils sèment la confusion.2673 Le
système des questions semble alors un couteau à double tranchant.2674 Il en est de même en
droit russe où il n’est pas non plus rare que le juge pose plus d’une centaine de questions au
jury, celles-ci étant parfois très complexes ou même intentionnellement erronées pour
permettre aux parties — surtout au ministère public et à la victime considérée comme une
partie à part entière — de trouver matière à interjeter appel contre l’acquittement prononcé
par le jury.2675 Au cas par cas, la Cour suprême est obligée de vérifier si le formulaire du
verdict est satisfaisant.2676 La doctrine reconnaît en outre qu’il peut être difficile pour neuf
personnes de se mettre d’accord sur les motifs qui sous-tendent le verdict.2677 Le 20

2670
M. JIMENO-BULNES, l.c., p. 773.
2671
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 366.
2672
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 373 ; v. également l’annulation prononcée en 2002 par la
Cour suprême du verdict et de la peine dans l’affaire d’assassinat Wanninkhof en raison du manque de motifs en
violation de l’article 61 (1) (d) LOTJ. Le nouveau procès devant un autre jury était ratifié par la Cour suprême en
2003. Un test ADN démontra le vrai assassin en 2006 (M. JIMENO-BULNES, l.c., p. 759-775). Cette erreur judiciaire
souleva une tempête de protestations. Dans une note publique, l’Association Pro-Jurado prenait la défense de
l’institution du jury populaire (Nota Sobre el « Caso Wanninkhof » de la Asociación Pro-jurado, 23 sept. 2003,
www.estudiojuridicomiguelcid.com).
2673
A.M. MARTIN et M.F. KAPLAN, l.c., p. 83.
2674
Pour améliorer la procédure, C. Gleadow avançait une proposition absurde, soit l’instauration d’un maximum de
six questions (C. GLEADOW, l.c., p. 72).
2675
Infra, n° 416.
2676
M. JIMENO-BULNES, l.c., p. 770.
2677
Certains argumentent que l’article 120.3 de la Constitution porte exclusivement sur la motivation de la peine et ne
concerne donc pas la décision rendue par des jurés.

440
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

décembre 2004 l’obligation des jurés de motiver leurs décisions fut pourtant confirmée par la
Cour constitutionnelle espagnole.2678 Certes, le contrôle du juge qui peut renvoyer le jury
dans la salle de délibération en cas d’absence de motivation semble faire office de garde-fou
(s. 63 (1) (e) LOTJ). Avec le contrôle exercé par la Cour suprême, le droit espagnol bénéficie
ainsi d’une double garantie. Toutefois, un tel renvoi n’est pas possible en cas de motivation
inadéquate (art. 63 (1) LOTJ).2679 En outre, en appel, on contrôle plutôt les preuves évaluées
par le juge que par le jury. En effet, le juge professionnel, qui n’est en principe compétent
que pour la détermination de la peine, doit également expliciter les raisons qui sous-tendent
le jugement, indépendamment de la motivation des jurés. Il doit déterminer la suffisance des
preuves que le jury estime prouvées. Cela peut s’avérer problématique si le juge ne partage
pas l’opinion des jurés sur les faits ou n’aime pas être soumis au verdict des citoyens. En
désaccord avec le jury, les juges espagnols n’ont pas hésité à critiquer le verdict, ouvrant
ainsi la porte à la Cour suprême.2680

415. En droit pénal russe, l’obligation de motiver incombe au juge professionnel. Si


celui-ci est lié par les réponses des jurés aux questions, il peut introduire des erreurs dans la
motivation sur lesquelles peut, le cas échéant, se fonder l’annulation de cette décision en
appel.2681 Ainsi que nous l’avons déjà avancé, ce risque existe aussi dans les systèmes mixtes
allemand et italien.2682 A cause de cette possibilité octroyée au juge, le jury n’a pas
nécessairement le dernier mot. En effet, les deux systèmes prévoient un recours contre la
décision du jury, ce qui paraît judicieux. Dans les deux pays ce recours est porté devant un
collège purement professionnel : la Cour suprême de Justice en Espagne et la Cour suprême
de la Fédération russe. En Espagne, l’appel peut émaner du ministère public ou des parties,
tant contre les ordonnances préalablement rendues par le président que contre le verdict final
du jury.2683 Les fondements de l’appel sont entre autres le refus d’accepter des preuves
additionnelles, le manque de clarté ou la contradiction du verdict dans le jury, le manque
d’objectivité du juge dans son summing-up, la sévérité excessive de la peine, la participation
d’un juge ou juré qui aurait été déchargé et la violation des garanties procédurales ayant porté
atteinte à l'exercice des droits de la défense.2684 Ils concernent plutôt des questions
procédurales. Cet appel s’est tout de suite révélé indispensable, notamment pour réparer

2678
STC 246/2004, www.tribunalconstitucional.es/jurisprudencia/Stc2004/STC2004-246.html.
2679
Au 19ème siècle par contre la décision de culpabilité ou d’innocence pourrait être éludée par l’unanimité des trois
juges (S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 380).
2680
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 386-387.
2681
S.C. THAMAN, « The Nullification of the Russian Jury : Lessons for Jury-Inspired Reform in Eurasia and
Beyond », Cornell Int’l L.J. 2007, p. 416.
2682
Supra, n° 334 et infra, n° 477.
2683
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 388.
2684
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 389.

441
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

l’erreur judiciaire dans l’affaire Otegi dont l’acquittement fut attribué à la crainte de
représailles des terroristes basques.2685 En Russie, les fondements de l’appel sont la violation
substantielle des règles procédurales, l’application incorrecte de la loi, l’exclusion erronée
des preuves qui pourraient être importantes pour le résultat de l’affaire, le refus injustifié
d’examen des preuves ou la peine injuste (trop indulgente).2686 L’appel auprès de la Cour
suprême de la Fédération de Russie est possible par toutes les parties. Contrairement aux
Etats-Unis, le ministère public et la victime peuvent interjeter appel en cas
d’acquittement.2687

B — UNE ILLUSION DEMOCRATIQUE ?

416. Il résulte de notre analyse que les procédures criminelles espagnole et russe
présentent des particularités spécifiques et intéressantes. Mais cette réintroduction de la
participation citoyenne conduit-elle effectivement au changement escompté du système ? Le
jury a-t-il permis de changer les procédures défaillantes et d’obtenir des résultats
satisfaisants ? S’il est encore trop tôt pour apprécier l’efficacité et le fonctionnement du jury
dans les deux pays2688 — en Russie, il fallut plus d’une décennie pour que la nouvelle
procédure devienne la norme sur l’intégralité du territoire —, les premiers chiffres soulèvent
déjà un coin du voile. Ainsi, en Russie, le nombre d’acquittements a spectaculairement
augmenté avec l’introduction du jury.2689 Les praticiens russes sont considérés comme
davantage répressifs que les citoyens, l’indulgence des jurés étant dès lors une réaction contre
une procédure pénale extrêmement sévère. Il semble que, devant le jury, la faillite de
l’investigation et de la prosecution émergent plus facilement au grand jour. Le jury serait
plus exigeant quant aux preuves et moins enclin à condamner en cas du moindre doute.2690
Les citoyens auraient aussi davantage tendance à sympathiser avec l’underdog perçu comme
une victime de l’oppression étatique.

En pratique, il semble toutefois que la Cour suprême russe jugule cette tendance à
l’indulgence en annulant presque systématiquement les acquittements prononcés par le jury.
Cette politique menée par la Cour suprême serait sous-tendue par l’augmentation terrifiante

2685
M. JIMENO-BULNES, l.c., p. 759-775 et S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 358.
2686
S.R. PLOTKIN, l.c., p. 20-21.
2687
J.W. DIEHM, l.c., p. 34-35.
2688
En Espagne, le premier procès n’eut lieu qu’en mai 1996. La mise en œuvre de la loi était corrodée par des
problèmes organisationnels et d’infrastructure (C. GLEADOW, o.c., p. 275-276). En Russie, la première affaire fut celle
des frères Martynov (15 déc. 1993). Celle-ci démontrait d’emblée l’indulgence du nouveau système par rapport à
l’ancien (S.C. THAMAN, « The Resurrection of Trial By Jury in Russia », l.c., p. 62-63).
2689
Si ce taux se limitait auparavant à 0,4%, il grimpe à 12% avec le jury (S. MACHURA, « Fairness, Justice and
Legitimacy : Experience of People’s Judges in South Russia », Law & Policy 2003, p. 126) et même à 22,9% en 1997
(S.C. THAMAN, « Europe’s New Jury Systems : the Case of Spain and Russia », l.c., p. 257).
2690
I. DLINE et O. SCHWARTZ, l.c., p. 108.

442
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

du nombre d’assassinats depuis que le jury russe a commencé à acquitter en 1993.2691 En


particulier, la Cour suprême enfreint les règles qui ont été créées en faveur de l’accusé, et
cela même sua sponte sur des arguments non soulevés par les parties.2692 En effet, il n’est en
principe pas nécessaire de soulever en première instance des incidents quant aux défaillances
procédurales.2693 En particulier, il semble que la nouvelle procédure pénale russe permette au
ministère public et au juge de « planter eux-mêmes les graines des annulations »2694. En
effet, ils peuvent introduire intentionnellement des erreurs dans la phase préliminaire ou lors
du procès pour faciliter cette ‘rébellion au jury’. Cette tactique est même souvent utilisée.
Ainsi que nous l’avons déjà avancé, le président de la cour d’assises pourrait manipuler la
liste des questions ou rédiger une motivation incompatible avec la décision prise par les jurés.
Le procureur pourrait, pour sa part, soulever un préjudice relevé par un certain membre du
jury mais uniquement en appel contre un acquittement.2695

La Cour suprême de la Fédération russe porte par conséquent ouvertement atteinte à


l’indépendance et à l’autorité de la nouvelle instance du jury. Il s’agit dès lors de s’interroger
sur la fonction réelle du jury : s’agit-il seulement d’une institution décorative ; d’une façade
derrière laquelle le système soviétique continue de fonctionner comme auparavant ? Le jury
ne peut remplir la mission pour laquelle il a été instaurée : celle d’un catalyseur visant à la
mise en œuvre de la procédure accusatoire. La pratique ancienne d’une « no-acquittal
justice » survit dès lors dans la pratique, ce qui conduit à une perversion des droits de
l’homme.2696 Pour y mettre un terme, une solution pourrait consister à cantonner la Cour
suprême aux questions de droit ou aux arguments soulevés par les parties au procès en
première instance. Il faut en outre que s’opère un véritable changement dans les mentalités.
L’appel de la partie civile devrait en tout cas se limiter à ses seuls intérêts civils. De manière

2691
S.C. THAMAN, « Jury Trial and Adversary Procedure in Russia : Reform of Soviet Inquisitorial Procedure or
Democratic Window-dressing? », l.c., p. 169.
2692
Sur les 406 affaires en 1998, l’accusé fut acquitté dans 20,6% des cas. Parmi ces acquittements, 66% furent
annulés en appel (S.C. THAMAN, « Jury Trial and Adversary Procedure in Russia : Reform of Soviet Inquisitorial
Procedure or Democratic Window-dressing? », l.c., p. 168).
2693
Cependant, les objections concernant le summing-up du président et en particulier la présomption de partialité de
ce dernier doivent être soulevées lors du procès en première instance et pas seulement en appel. Si le juge ne laisse
pas suffisamment du temps aux parties de soulever une telle objection, cela peut constituer un argument d’annulation
(S.C. THAMAN, « Jury Trial and Adversary Procedure in Russia : Reform of Soviet Inquisitorial Procedure or
Democratic Window-dressing? », l.c., p. 175).
2694
S.C. THAMAN, « Jury Trial and Adversary Procedure in Russia : Reform of Soviet Inquisitorial Procedure or
Democratic Window-dressing? », l.c., p. 175.
2695
Souvent invoqué est par exemple le fait qu’un juré avait omis d’informer la cour qu’une des membres de sa
famille avait déjà encouru une condamnation, même si cela ne constitue pas en soi une raison d’exclusion du juré en
question. Pour d’autres exemples, v. S.C. THAMAN, « Jury Trial and Adversary Procedure in Russia : Reform of
Soviet Inquisitorial Procedure or Democratic Window-dressing? », l.c., p. 166-167.
2696
S.C. THAMAN, « Jury Trial and Adversary Procedure in Russia : Reform of Soviet Inquisitorial Procedure or
Democratic Window-dressing? », l.c., p. 146.

443
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

plus radicale, on pourrait envisager d’abolir le droit d’appel contre un acquittement mais, au
regard de l’analyse développée dans notre première partie, cela ne nous semble pas opportun.

417. Dans la procédure pénale espagnole, l’introduction du jury n’a pas donné lieu à
un accroissement du nombre d’acquittements. Le pourcentage d’acquittements prononcés par
les jurés est similaire à celui des professionnels. Pour Carmen Gleadow, il semble que, depuis
sa réintroduction, cinq verdicts émanant du jury ont donné lieu à une polémique. Parmi ceux-
ci, l’affaire Otegi où l’acquittement d’un jeune révolutionnaire ayant assassiné deux policiers
basques heurta profondément l’opinion publique espagnole, dans la mesure où il donnerait
carte blanche aux jeunes révolutionnaires.2697 L’affaire Otegi a-t-elle mis le jury espagnol sur
la sellette ? Si certains y voient une preuve de la fragilité du jury2698, cette affaire est perçue,
par d’autres, comme une aberration compte tenu du contexte particulier de la situation
basque.2699 Dès son instauration, le jury espagnol n’échappe donc pas aux critiques et aux
fortes incitations à la réforme visant à pallier la réitération d’erreurs aussi grotesques.2700
Sporadiquement, des appels incitent à l’instauration d’un système mixte en invoquant des
arguments visant à une efficacité accrue.2701 Avec l’annulation par la Cour suprême de la
décision prise dans l’affaire Otegi, les émotions et critiques s’estompèrent.2702 Pourtant, les
sondages publics semblent révéler la fragilité de cette institution : 43,2% des Espagnols
seraient pour ; 42,4% contre.2703 Il en est de même en Russie. Les citoyens sont très réticents
à remplir la tâche de juré (seulement 30% des personnes citées donneraient suite à cet
appel).2704 Or, le soutien public n’est-il pas un préalable nécessaire pour réaliser la réforme
démocratique escomptée ? Peut-être faut-il davantage de temps pour que cette institution
s’enracine et gagne en légitimité. La question reste cependant de savoir si cette institution,

2697
C. GLEADOW, l.c., p. 69 ; v. également S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 405-406.
2698
S.C. THAMAN, « Europe’s New Jury Systems : the Case of Spain and Russia », l.c., p. 258. Pour protéger les jurés
dans ce contexte particulier, des mesures spécifiques furent prises, telles que la non-révélation de l’identité des jurés,
l’interdiction de les photographier, la destruction des documents dévoilant leur identité et le report du moment de la
lecture du verdict pour permettre aux jurés de quitter le bâtiment. Ces mesures n’ont pourtant pas jugulé la peur de
condamner. A cet égard, il est incompréhensible que certains jurés aient accepté d’être interviewés par la presse en
dévoilant leurs identité et points de vue (S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 381).
2699
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 358. Si le terrorisme est en effet soumis à l’Audiencia
Facional, l’assassinat des policiers incombe encore au jury en tant que crime contre la vie humaine.
2700
Parmi les propositions de réforme figurent la modification de la compétence du jury, en excluant les affaires
impliquant des policiers et d’autres officiers publiques et l’exclusion de la question de culpabilité des prérogatives du
jury (S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 405).
2701
M. JIMENO-BULNES, l.c., p. 774-775.
2702
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 411.
2703
S.C. THAMAN, « Spain Returns to Trial by Jury », l.c., p. 412.
2704
Selon un sondage effectué en mai 2006 seulement 31% des interrogés avaient un regard positif à l’égard de la
participation citoyenne, 32% considéraient le jury adéquat pour la Russie, 39% souscrivaient l’opinion inverse. 51%
considéraient qu’il serait difficile pour le jury de rester objectif et que le risque de corruption ou d’angoisse soit
imminent. 43% essaieraient d’éviter ce devoir et 38% l’effectueraient soit avec plaisir, soit avec indifférence (S.C.
THAMAN, « The Good, the Bad or the Indifferent : 12 Angry Men in Russia », l.c., p. 807-808).

444
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

créée en tant que réaction contre un régime despotique, réussira à s’émanciper de son passé
dictatorial.

Section 2
La participation comme contrepouvoir à une professionnalisation introvertie :
l’exemple néerlandais

418. A la différence de l’Espagne et de la Fédération de Russie, il est remarquable de


constater que la question du jury populaire émerge également dans un pays qui, épargné d’un
passé troublé, connaît une démocratie bien établie et applique presque depuis deux siècles
une justice purement professionnelle : les Pays-Bas. En effet, si la tendance à la
marginalisation de l’institution du jury populaire gagne progressivement mais sûrement dans
les trois pays étudiés dans la première partie, rares sont pourtant ceux, dont les Pays-Bas, qui
ont résolument franchi ce pas. Ils occupent ainsi une position (quasi) unique au monde.2705
Au lieu d’impliquer les citoyens ordinaires dans l’œuvre de la justice, les Néerlandais
accordent traditionnellement une grande confiance aux professionnels et experts. Toutefois,
la justice criminelle n’y récolte pas non plus des louanges effrénées. Des incitations à la
réforme et à l’implication des citoyens dans la fonction de juger en matière pénale se sont
récemment fait entendre. Il est alors intéressant de constater qu’au moment où les pays
voisins cherchent à limiter la portée du jury populaire, les Pays-Bas se demandent si et
comment la participation de simples citoyens pourrait améliorer la justice criminelle. Mais,
au lieu de cerner l’opposition de cette façon, il est peut-être possible d’y percevoir une quête
commune ; soit la recherche, par les différents pays, d’une justice qualitativement meilleure
et d’un équilibre idéal entre le monde judiciaire et la société civile pour endiguer la
criminalité contemporaine.

Pour comprendre la particularité néerlandaise par rapport aux autres pays ainsi que
son intérêt récent pour la participation citoyenne, il convient d’abord d’analyser l’origine de
sa justice purement professionnelle ainsi que les problèmes qu’elle rencontre (§ 1 – Les
faiblesses d’un système de justice professionnelle clos). Ensuite, il s’agira de savoir si,

2705
Un autre exemple constitue le Grand Duché de Luxembourg où d’abord, en 1814 et en 1856, le jury et ensuite, en
1987, la cour d’assises furent abolis, notamment en raison de l’absence de motivation et d’appel (A. SPIELMAN, l.c., p.
719-733 ; supra, note 2563).

445
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

compte tenu de cet enracinement de la spécialisation, il est nécessaire et überhaupt opportun


d’envisager cet investissement gigantesque2706 induit par une plus grande implication des
citoyens à la fonction de juger. C’est la question de la rencontre du droit et de la tradition et
celle des mérites potentielles d’une implication citoyenne (§ 2 — L’ouverture vers une
participation citoyenne : la plus-value d’une justice plus lente).

§ 1 — LES FAIBLESSES D’UF SYSTEME DE JUSTICE PROFESSIOFFELLE CLOS

419. Aux Pays-Bas, les crimes sont jugés dans un contexte purement professionnel
par trois juges de carrière qui expliquent les raisons sous-tendant leur jugement. Les
décisions de ce collège peuvent être annulées en appel. Le système néerlandais est très
économe quant à l’apport de simples citoyens.2707 Le jury criminel n’existe pas et, si on fait
usage de non-professionnels dans la phase du procès, ceux-ci sont désignés pour leur
contribution d’expertise non juridique, tel qu’en témoignent le conseil de bail et le conseil
d’assurance sociale. En tant que non-professionnel, le citoyen n’est impliqué dans la
procédure pénale que par le biais du processus législatif et, dès lors, de manière indirecte par
représentation. La mise en œuvre des règles établies par le Parlement incombe aux procureurs
et aux juges. La place de la victime est très réduite dans la procédure pénale néerlandaise. La
victime n’a pas d’impact au stade de la poursuite et ne peut pas initier une affaire pénale. Elle
peut uniquement se joindre en tant que « partie lésée » (benadeelde partij) à l’initiative du
ministère public pour déclencher l’action publique.2708

La différence avec les trois pays analysés dans la première partie et surtout avec la
Belgique et la France ne peut pas être plus grande. Comment est-il possible que ce voisin des
Belges manie une conception radicalement différente de la justice criminelle ? Son histoire
est-elle totalement différente ? D’où vient en fait cette culture de spécialistes (A — Culture
des spécialistes) ? Et quels sont les inconvénients qui ébranlent plus spécifiquement un tel
système de justice ? Il sera intéressant de voir, d’une part, que les caractéristiques qui valent
traditionnellement des louanges aux Pays-Bas sont actuellement en butte des critiques et,
d’autre part, que derrière le débat sur la participation citoyenne s’en cache un autre,
davantage punitif (B — Crise de confiance et populisme pénal).

2706
Th.A. DE ROOS, o.c., p. 97-98.
2707
Le rejet du referendum et la méfiance à l’égard du maire choisi en témoigneraient également (T. CLEIREN et Th.A.
DE ROOS, « Democratisering van de strafrechtspleging » in K. BOONEN, T. CLEIREN, R. FOQUE et Th.A. DE ROOS, De
weging van ’t Hart : idealen, waarden en taken van het strafrecht. Liber Amicorum voor prof. A.C. ’t Hart, Deventer,
Kluwer, 2002, p. 180).
2708
T. CLEIREN et Th.A. DE ROOS, l.c., p. 174-176 et p. 183.

446
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

A — CULTURE DES SPECIALISTES

420. Dans un bref épisode de leur histoire juridique, les Pays-Bas ont connu le
système du jury populaire. En effet, à partir de 1810, les Pays-Bas, annexés par la France,
furent contraints d’adopter la législation hexagonale. A partir du 1er mars 1811, le jury
populaire y fut en vigueur.2709 Aussitôt une hostilité importante émergea à l’égard de cette
institution et de l’idée du judicium parium. L’une des premières réalisations du Roi
Guillaume I, prince d’Orange, après la défaite de Napoléon le 18 octobre 1813 et
l’indépendance du Royaume uni des Pays-Bas, fut la suppression du jury par la Gesel et
Worgbesluit2710 du 11 décembre 1813 (art. 16)2711 et le retour aux institutions anciennes. Il
convient de remarquer qu’avec la mort du jury populaire, finalement consacrée par l’arrêté du
15 décembre 18132712, les Hollandais mirent corrélativement un terme au principe de la
publicité des débats devant la cour d’assises (art. 18 Gesel et Worgbesluit).2713 Ils
entérinèrent dès lors le huis clos général. Certains considéraient la publicité des débats
comme une composante essentielle du système du jury. Son apparition, perçue comme liée à
l’avènement des jurés, elle parut inutile en cas d’abrogation du jury.

421. L’une des questions intéressantes à cet égard consiste à s’interroger sur l’origine
et les causes de cette impopularité de l’institution du jury aux Pays-Bas. A-t-on toujours
accordé à l’expertise, présumée moins suggestive et moins émotionnelle, une plus grande
confiance qu’à l’institution du jury ? Le rejet du jury résultait-il de considérations financières
et de la réticence considérable des citoyens à l’égard de ce devoir civique ?2714 Ou était-elle
induite par des sentiments hostiles à l’égard de la France, voire par une certaine haine2715 à
l’égard des institutions françaises et par une opposition à la domination d’un souverain
étranger dont le ‘présent exotique’ portait atteinte aux institutions libres ?2716 Après la
libération, on s’empressa en effet d’effacer les souvenirs du passé français.2717 Mais, faute de
sources2718 et compte tenu du silence notable de l’arrêté de 1813, il est difficile d’en cerner

2709
M. MALSCH, « De leek als rechter en de rechter als leek », JV 2003, n° 1, p. 49.
2710
Arrêté de « fouet et étrangelement », puisqu’il annonce le retour au système pénal de 1809 (G. BOSSERS, Welk
eene natie die de jurij gehad heeft, en ze weder afschaft!, Amsterdam, Eburon Delft, 1987, p. 89).
2711
G. BOSSERS, o.c., p. 89.
2712
Le dernier procès eut lieu le 28 mars 1814 (G. BOSSERS, o.c., p. 137).
2713
M. MALSCH, « De leek als rechter en de rechter als leek », l.c., p. 49.
2714
G. BOSSERS, o.c., p. 92-93. Selon R.J.C. Cornegoor il n’y avait pas de preuves d’abus à cet égard (R.J.C.
CORNEGOOR, « Opmerkingen over de jury in Nederland tijdens de Franse inlijving », TvR 1956, p. 200).
2715
Selon Moll Schnitzler « il n’y avait aucune institution moins populaire que le jury. Elle était l’institution la plus
détestée de la France ». Naber l’adoucissait en disant que le jury populaire était « une des institutions les plus
détestées » (R.J.C. CORNEGOOR, l.c., p. 196).
2716
G. BOSSERS, o.c., p. 92.
2717
G. BOSSERS, o.c., p. 93.
2718
Contrairement à la situation en France, il y avait peu de publicité de l’activité judiciaire, probablement aussi en
raison des sanctions à l’égard des médias trop négatifs. En général, les justiciables étaient mal informés au sujet de la
justice (G. BOSSERS, o.c., p. 137 et M. MALSCH, « De leek als rechter en de rechter als leek », l.c., p. 47-48).

447
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

les vrais motifs. Selon Geert Bossers, l’élimination du jury n’était pas (seulement) inspirée
par l’impopularité de cette institution2719 ou par la hostilité à l’égard de la domination
française qui, par Napoléon, introduisit les jurés sur son sol. En effet, il ne faut pas oublier
que Napoléon lui-même était, pendant la Révolution française, un grand adversaire du jury
populaire qu’il souhaitait même abolir. Au lieu d’une suppression radicale, il suffit cependant
de mutiler le jury en supprimant le jury d’accusation et en conservant le jury du jugement en
guise de consolation pour le peuple français.2720 Pour s’assurer de l’élection de ‘bons’ jurés
de jugement, Napoléon soumettait leur sélection au contrôle des préfets et, dès lors, du
Gouvernement.2721

L’aversion obstinée des Néerlandais à l’égard de toute forme de participation


citoyenne fut souvent attribuée à la mentalité des régents2722 et au passé oligarchique de leur
Gouvernement à la fin du 18ème siècle. Pourrait également être invoqué le sentiment naturel
d’aversion des juges aristocratiques à l’égard du peuple, ceux-ci ayant tendance à assimiler le
jury à une institution anti-professionnelle.2723 Pour les auteurs défendant cette opinion, la
suppression du principe de la publicité des débats visait à préserver les magistrats de la
nécessité de rendre des comptes, et à leur épargner tout rapprochement avec le peuple.2724
D’après Rudolph J.C. Cornegoor, peu convaincu du bien fondé de l’argument de haine à
l’égard des institutions françaises, il était plutôt question d’une généralisation radicale de la
tendance à limiter la compétence du jury, les créateurs du Gesel et Worgbesluit étant tous des
fonctionnaires du Roi.2725 Hormis les sentiments nationalistes, la suppression du jury était
peut-être simplement liée au bon fonctionnement des anciens tribunaux et cours.2726

422. Compte tenu de son existence fugace, le jury ne s’est jamais enraciné aux Pays-
Bas. Le retour de la publicité des débats en 1838 ne s’est pas accompagné d’une
réintroduction du jury populaire.2727 Il semble même qu’après son élimination en 1813,
l’intérêt pour cette institution a totalement disparu,2728 hormis pour quelques exceptions

2719
Pendant la période limitée de son existence sur le sol néerlandais, le jury a, selon G. Bossers, bien fonctionné (G.
BOSSERS, o.c., p. 136).
2720
G. BOSSERS, o.c., p. 93.
2721
Pour éviter le risque de révocation, les préfets avaient bien un intérêt à suivre les suggestions gouvernementales.
L’exécution gardait ainsi la main sur la procédure criminelle (A. VITU, « La collaboration des personnes privées à
l'administration de la justice criminelle », l.c., p. 700).
2722
C. H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 132.
2723
G. BOSSERS, o.c., p. 94 et Th.A. DE ROOS, o.c., p. 65.
2724
G. BOSSERS, o.c., p. 94 et P. DE HERT, « Leve de republiek, leve de jury. Historische, bewijstechnische,
democratische en politieke argumenten » l.c., p. 468.
2725
R.J.C. CORNEGOOR, l.c., p. 200-201.
2726
O.R. DELANGE, l.c., p. 26.
2727
M. MALSCH, « De leek als rechter en de rechter als leek », l.c., p. 49-50.
2728
G. BOSSERS, o.c., p. 98.

448
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

concernant notamment les délits de presse2729 et l’émergence de quelques voix dissidentes


s’interrogeant sur la pertinence de la suppression du jury2730. Il s’agit d’une différence patente
avec la Belgique qui, pour sa part, a réintroduit le jury en 1830, dès son indépendance, en tant
que réaction contre le règne du Guillaume I2731, d’abord pour les délits de presse puis plus
globalement en matière criminelle. Cela témoigne à nouveau de la force de cette institution
en tant qu’élément de réaction contre un système oppressif. Les Pays-Bas qui, pour leur part,
ne subirent plus l’oppression de quiconque, ont toujours été convaincus que la justice était
affaire de professionnels, tant sur le plan politique que sur celui de la doctrine juridique. De
plus, il semble qu’une méfiance directe et naturelle existe quant à l’idée de déléguer à un
autre que le magistrat de robe le soin de se prononcer sur le sort d’un citoyen, voire que
s’exprime un réflexe anti-jury, comme si la présence de non-professionnels empêchait ou
diminuait la qualité de la justice.2732 Le jury étant considéré comme « un défaut tenace dont
on a été épargné »2733, il semble que le sujet relève déjà d’une cause perdue aux Pays-Bas. Le
silence constitutionnel semble avoir toujours plaidé pour le rejet de l’institution du jury sur le
sol néerlandais.2734 Pour Chrisje H. Brants nombre d’arguments défavorables à la
participation citoyenne relèveraient d’une crainte ‘d’américanisation’ de la société
néerlandaise.2735 Par rapport à la procédure américaine, les Pays-Bas se considéraient comme
plus civilisés et évolués ; mais l’aversion entre les deux pays est réciproque. En effet, si
l’introduction du jury sur le sol néerlandais semble impensable, la suppression de cette
institution est inenvisageable pour les Américains.2736

423. Avec la modification de la Constitution en 1983, la question du jury populaire


semble avoir été définitivement proscrite aux Pays-Bas. Selon la Commission Cals-
Donner2737, il n’est pas opportun d’avoir un jury : il est perçu comme étranger à la tradition
néerlandaise, comme trop émotionnel et arbitraire, et son caractère transitoire rend ses

2729
Ainsi, la question d’un retour au jury surgit sur l’agenda politique dans les périodes parlementaires 1828-29 et
1829-30. La très grande opposition du nord du pays parvint à la contrer (G. BOSSERS, o.c., p. 99 et p. 118).
2730
P.P.T. BOOVEND’EERT, « Burgers, democratie en rechtspraak », FJB 2002, p. 1701 et G. BOSSERS, o.c., p. 103.
2731
Décret du 19 juillet 1831, Bull. Off., IV, n° 183 et procédure réglée par la loi du 15 mai 1838 sur le jury, Bull. Off.,
n° 16 (P. DE HERT, « Leve de republiek, leve de jury. Historische, bewijstechnische, democratische en politieke
argumenten », l.c., p. 466) ; supra, n° 420.
2732
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 132.
2733
J.C.M. Leijten, cité par Th.A. DE ROOS, o.c., p. 13.
2734
D’autres considéraient, en revanche, qu’en l’absence d’une interdiction explicite rien ne s’opposait à l’existence
du jury (G. BOSSERS, o.c., p. 114 et 138). La Constitution de 1917 disposait néanmoins clairement que « le pouvoir
judiciaire n’est exercé que par des juges désignés par la loi » (trad. pers.).
2735
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 132.
2736
Th.A. DE ROOS, o.c., p. 12-13 ; P. KLIK et P.J. VAN KOPPEN, « De democratie van de jury. Theorie en praktijk in
de Verenigde Staten », FJB 1991, p. 768.
2737
Commission d’Etat d’avis concernant la Constitution et la loi électorale, instaurée le 26 août 1967.

449
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

fonctions foncièrement instables.2738 Toutefois, cette modification ne s’est pas accompagnée


d’une réflexion accrue sur la question. La Constitution préservait en outre une ouverture pour
le système mixte d’échevinage.2739 L’article 116 alinéa 3 de la Constitution néerlandaise
dispose en effet que « la loi peut déterminer qu’à l’œuvre de juger par l’ordre judiciaire
peuvent aussi participer des personnes n’y appartenant pas ».2740 L’usage du mot « aussi »,
qui suppose une coopération entre professionnels et non-professionnels, exclut donc
expressément l’indépendance du jury populaire, sans pour autant interdire toute participation
citoyenne. La contradiction avec la Belgique est alors intégrale : si, en Belgique, la
Constitution refuse la suppression du jury, la Constitution néerlandaise s’oppose à son retour
aux Pays-Bas. Il se dégage cependant un point commun : ainsi que nous l’évoquerons
ultérieurement2741, l’article 150 de la Constitution belge ne semble pas non plus s’opposer à
une délibération mixte. Pour les Pays-Bas, il est assez remarquable qu’ils rejettent
catégoriquement toute participation citoyenne pourtant prévue constitutionnellement, alors
que le système allemand use d’une large participation citoyenne mais sans garantie
constitutionnelle.2742

424. Bien évidemment, le caractère professionnel de la justice criminelle a de


répercussions consistantes sur le niveau dogmatique de la science juridique et la culture
pénale néerlandaise. En premier lieu, la professionnalisation aurait donné lieu à des notions et
concepts juridiques précis, détaillés et approfondis qui, autorisant de subtiles nuances
judiciaires raffinées, seraient impossibles à saisir par des non-professionnels.2743 Ainsi, il ne
fait pas de doute que les multiples significations du concept de culpabilité, du concours et de
la notion d’auteur complexifient le jugement des faits et leur imputabilité. Mais le fait que les
Néerlandais estiment leurs verdicts plus sophistiqués s’avère pour le moins prétentieux.2744
D’autres pays dogmatiquement très complexes, tels que l’Allemagne, s’en sortent bien avec
des échevins.

2738
Chambre II 1979-80, 16 162, n° 3, p. 18 ; P.P.T. BOOVEND’EERT, « Jury en lekenrechtspraak in een vergelijkend
perspectief » in P.P.T. BOOVEND’EERT, J.W.A. FLEUREN et C.A.J. KORTMANN, Grensverleggend staatsrecht,
Deventer, Kluwer, 2001, p. 19.
2739
S.H.E. JANSSEN et M.T. CROES, Fiet-rechterlijke actoren in de rechtspraak van Federland, Denemarken en
Duitsland, La Haye, WODC, 2005, p. 8.
2740
Une disposition similaire figurait dans la Constitution de 1922 (art. 156 al. 2), mais sa portée fut équivoque
(P.P.T. BOOVEND’EERT, « Jury en lekenrechtspraak in een vergelijkend perspectief », l.c., p. 16).
2741
Infra, n° 178.
2742
P.P.T. BOOVEND’EERT, « Jury en lekenrechtspraak in een vergelijkend perspectief », l.c., p. 18 et 20 (infra, n°
475).
2743
M. MALSCH, F. VAN DEN BERG, I. DE BRUIJN, H. BUIST, J. DE KEIJSER et H. NIJBOER, « De ideale rechtbank :
openbaarheid en gerichtheid op de buitenstaander », RdW 2002, p. 130.
2744
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 138.

450
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Deuxièmement, la procédure pénale néerlandaise où la question de la vérité


n’incombe qu’aux juristes procède moins d’un combat entre parties que de l’application du
modèle inquisitoire. Par souci d’efficience, le combat ouvert est rejeté. Le juge dispose d’un
pouvoir important, même s’il se limite souvent à résumer et à vérifier les écrits du dossier
élaboré dans la phase préliminaire. Les procès-verbaux jouissent de facto d’une grande
autorité et les témoins ne sont en principe pas entendus à l’audience2745, ce qui réduit le
principe de l’immédiateté des preuves à néant. Une grande autorité émane également des
experts dont l’avis est souvent suivi sans discussion.2746 Bien évidemment, un tel système
professionnel et clos a également des répercussions sur la conduite des protagonistes du
procès et surtout sur le langage utilisé. En effet, entre techniciens les débats sur les détails
processuels sont souvent ésotériques et peu compréhensibles. En y ajoutant sa procédure
solennelle et ses rituels particuliers, la justice criminelle néerlandaise crée elle-même déjà les
causes de la critique principale à son encontre, à savoir celle d’une trop grande distance.2747

Or, la perte de compréhension induit par l’introversion du système néerlandais, n’est-


elle pas largement rétablie par la motivation des décisions ? En effet, en nous référant à notre
analyse dans le deuxième titre de la première partie, il semble que la procédure criminelle
purement professionnelle néerlandaise a, par rapport à ses voisins du sud, le mérite de
garantir une motivation des décisions ainsi qu’un appel hiérarchique au sens de la CESDH.
Nous verrons toutefois ci-dessous que ce respect formel des droits de l’homme est loin d’être
réellement satisfaisant.

B — CRISE DE CONFIANCE ET POPULISME PENAL

425. Si l’absence de motivation sur le plan criminel est un grand défaut à nos yeux,
son existence aux Pays-Bas n’est pas exempte de critiques. Il y existe formellement une
motivation des décisions judiciaires, mais celle-ci souffre de facto d’une anémie. En
n’utilisant que des formules standards et en ne renvoyant, sans explication, qu’aux
dispositions légales, le contenu des motivations est souvent succinct et médiocre.2748 Au lieu
d’apporter des éclaircissements, la motivation est source de confusion et d’incertitude. Elle
ne remplit donc souvent pas sa fonction explicative à l’égard des parties et de la société
civile.2749 En outre, le Code d’instruction criminelle permet au juge pénal de se limiter à une
2745
G.P.M.F. MOLS, « Juryrechtspraak in Nederland », Vl. Jurist 1992, p. 35.
2746
En cas de divergence entre experts, des discussions préliminaires visent souvent à présenter au juge une opinion
unanime écrite (M. MALSCH, F. VAN DEN BERG, I. DE BRUIJN, H. BUIST, J. DE KEIJSER et H. NIJBOER, l.c., p. 118) ;
infra, n° 513 pour notre analyse du Centre Pieter Baan.
2747
Th.A. DE ROOS, « Burger en strafrechtspleging : is het strafrechtelijk discours passé ? », JV 2003, p. 64.
2748
M. MALSCH, T.J. LAVENDER et J.F. NIJBOER, « Van kop tot staart. Helpt de motivering bij het begrijpen van
schriftelijke strafvonissen ? », FJB 2006, p. 366.
2749
M. MALSCH, « Lekenrechtspraak : snelle oplossing voor onduidelijk probleem », RdW 2006, p. 52.

451
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

motivation « kop-staart » (tête-queue). Dans ce cas le juge n’explicite son raisonnement et


les preuves spécifiques sous-tendant sa décision que si l’une des parties interjette un recours
contre la décision (art. 365a CIC)2750. La priorité du juge n’est dès lors ni la compréhension
des parties, ni la communication de la décision à la société ; il privilégie la survie de son
jugement en appel.2751 Bien évidemment, la pénurie des moyens et le manque du temps y
jouent un rôle non négligeable. Faute de temps et de moyens, la plaidoirie pour une
motivation plus élaborée paraît par avance vouée à l’échec.

Mais à quoi sert-il d’avoir de jure une obligation de motiver les décisions judiciaires
si on ne l’utilise pas de facto pour remplir les fonctions pour lesquelles elle a été créée, à
savoir la communication, l’explication, la transparence et l’accessibilité ? Si la motivation
devrait relier le monde judiciaire à la société civile, elle semble, dans la justice pénale
pragmatique néerlandaise, se contenter de nourrir une jurisprudence introvertie. Les critiques
à l’égard des juges trop distants, secs, impersonnels et loin d’être de bons représentants de la
société, déteignent sur une justice pénale suspectée d’être cloisonnée, fermée, monumentale
et trop éloignée des citoyens. A cet égard, nous ne pouvons pourtant pas occulter l’usage des
« juges-remplaçants » qui renforcent le corps judicaire de l’extérieur en endossant
périodiquement, à côté de leur occupation ordinaire, la fonction de juge (art. 8, 40 al.1 d et 58
al. 1 d Wet op de Rechterlijke Organisatie). Faute de formation à l’intérieur du corps
judiciaire, ces juges-remplaçants ne sont pas des initiés. Cependant, il s’agit de juristes dotés
d’une longue et probante expérience. Ce ne sont donc pas de vrais non-professionnels. En
outre, il est très probable qu’ils se conforment rapidement aux habitudes et à la culture de
magistrats de carrière. De plus, leur raison d’être n’est pas d’impliquer des juges non
professionnels, mais de contribuer au désengorgement de l’ordre judiciaire.

La justice pénale néerlandaise souffre dès lors d’une trop grande impersonnalité qui
érode la confiance accordée par les citoyens aux institutions2752, jusqu’à creuser un fossé
entre les juges et les justiciables. Pour y faire face, la participation citoyenne à l’œuvre de

2750
Cet article dispose : « 1. Tant qu’une voie de recours ordinaire n’est pas interjetée, on peut se contenter d’un
jugement en forme abrégée. 2. Un jugement en forme abrégée contre lequel un recours ordinaire a été interjeté, est
complété par les moyens de preuve de l’art. 359 al. 3 ou, dans la mesure où il est question d’appliquer l’art. 359 al. 3
deuxième phrase, une indication des moyens de preuves, sauf si le recours est instauré plus de trois mois après la
décision [...] » (trad. pers.). La CEDH n’a pas sanctionné cette pratique dans l’affaire Zoon c. Pays-Bas. Les éléments
de preuves ayant servi de fondement à la condamnation n’ont pas été énumérés dans le jugement abrégé. Mais ceux-ci
n’étaient pas contestés par le requérant qui, d’ailleurs, n’a jamais nié être l’auteur des faits. De surcroît, il n'apparaît
pas que sa condamnation se fondait sur des preuves qui n'auraient pas figuré au dossier et n'auraient pas été produites
à l'audience (CEDH 7 déc. 2000, Zoon c. Pays-Bas, n° 29202/95, § 47 et s.). Une seule lecture de la peine et des
dommages-intérêts infligés, sans référence aux infractions retenues et aux textes législatifs appliqués, ne peut, en
revanche, pas suffire (CEDH, 24 juill. 2007, Baucher c. France, n° 53640/00, § 46).
2751
N.J.H. HULS, P.A.M. MEVIS et N. VISSCHER, « De kloof tussen rechtspraak en samenleving. Hoe klantvriendelijk
is de rechter? », JV 2003, p. 20.
2752
M. DE VOOGD, « Naar invoering van lekenrechtspraak », RdW 2006, p. 45.

452
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

juger mérite, selon certains courants politiques, une considération particulière.2753


L’implication de simples citoyens dans la justice, qui exige que la « tour d’ivoire soit
remplacée par une maison vitrée »2754, serait susceptible d’accroître la compréhension et, par
ricochet, la légitimité et la confiance accordée à la justice. Une telle réforme aurait non
seulement un effet éducatif (discutable)2755 pour les citoyens qui percevraient dès lors
différemment la justice, mais bonifierait également l’attention accordée aux questions de
victimes. De plus, elle aurait une plus-value pour les juges professionnels qui, avec cette
injection d’humanité dans leur justice ‘froide’, ne se figeraient pas dans leurs habitudes.2756

En somme, si le droit et la procédure pénale néerlandais sont traditionnellement trop


spécialisés pour collaborer avec de simples citoyens, cela semble aujourd’hui constituer
paradoxalement la raison pour laquelle il faut les impliquer.2757 En effet, la rationalisation de
la jurisprudence implique une connaissance impérative des règles légales, mais a une
influence répulsive sur la participation de citoyens ordinaires. Or, avec l’accroissement de la
tension entre la règle légale formelle et l’équité — entre le vrai et le juste — qui risque de
résulter de cette rationalisation, l’élément non-professionnel pourrait de nouveau contribuer à
minorer cette tension. C’est précisément là que s’enracine, peut-être, l’explication de
« l’existence tenace »2758 du concept d’échevinage. L’ouverture explicitement laissée par la
Constitution néerlandaise semble en témoigner et invite à prendre la question en
considération.2759 En 1995, l’appel lancé par le Gouvernement pour renforcer la participation
et l’implication des citoyens s’inscrit en tout cas dans cette volonté.2760

426. La pertinence actuelle de cette question est démontrée par son introduction sur la
scène politique néerlandaise lors des élections de 2006, ainsi que par sa présence dans
nombre d’études2761. Toutefois, en se penchant sur la question, il semble qu’un autre débat se

2753
J. EERDMANS lors du colloque La participation des citoyens à la fonction de juger en matière pénale du 30 nov.
2006, La Haye (organisé par le Conseil pour la jurisprudence). Pour un compte-rendu de ce colloque, v. L.
GYSELAERS, RSC 2007, p. 208-210.
2754
Introduction, « Le juge et la société », JV 2003, p. 6.
2755
A juste titre A. Masset s’oppose à un tel argument énonçant que « l’accusé et la victime dans un procès d’assises
ne sont pas là pour le bénéfice du juré et la formation permanente des citoyens ne se dispense pas dans une salle de
délibérations » (A. MASSET, « Propos pour la suppression de la cour d’assises », l.c., p. 909).
2756
H. BOUTELLIER et K. LUNNEMAN, « Burgers over rechters : over de beleving van de rechtspraak » in X, Leken en
rechtspraak : moet, mag en wil de burger meedoen?, Rechtstreeks 2007, n° 1, p. 54-56.
2757
Th.A. DE ROOS, o.c., p. 5.
2758
Van Hamel, cité par O.R. DELANGE, l.c., p. 35.
2759
P.P.T. BOOVEND’EERT, « Jury en lekenrechtspraak in een vergelijkend perspectief », l.c., p. 22.
2760
P.P.T. BOOVEND’EERT, « Jury en lekenrechtspraak in een vergelijkend perspectief », l.c., p. 21.
2761
Parmi entre autres : J. W. DE KEIJSER, P.J. VAN KOPPEN et H. ELFFERS, Op de stoel van de rechter. Oordeelt het
publiek net zo als de strafrechter ?, Raad voor de rechtspraak, 2006, n° 2, 79p. ; Th.A. DE ROOS, o.c., 109p. ;
INTERNATIONAAL JURIDISCH INSTITUUT, Lekenrechters in Europa. Onderzoek naar deelname van leken aan de civiele
en administratieve rechtspraak, Raad voor de Rechtspraak, 2006, 97p. ; M. MALSCH, Democracy in the Courts : Lay
Participation in European Criminal Justice Systems, Surrey, Ashgate, 2009, 232p. ; P.J.P. TAK, Rechters zonder toga.
Over lekenrechters en lekenrechtspraak in Europa, Nijmegen, 2006, 56p. et B. VAN DELDEN, « Wat is de rechter
waard ? », Rechtspraaklezing 2006, Rechtstreeks 2006, p. 7-20. Les voyages en Belgique organisés pour que les

453
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

profile : celui sur la sévérité des peines. L’abîme entre les magistrats de carrière et les
citoyens s’avère dès lors plutôt comme un abîme ‘punitif’. En effet, selon différents sondages
et études, la société civile se plaint de la mansuétude injustifiée des juges professionnels et
souhaiterait des peines largement plus sévères. Ainsi, l’étude réalisée par Jan W. De Keijser
et Peter J. Van Koppen en 2004, et intitulée « op de stoel van de rechter » (sur le siège du
juge) révèle que 84% des personnes interrogées estiment que les crimes ne sont pas
suffisamment punis aux Pays-Bas. La majorité d’entre elles n’attribue pourtant pas ce déficit
punitif au juge, mais au législateur qui prévoit des lois trop indulgentes.2762 Cependant,
malgré l’image relativement positive attribuée au juge pénal, 81% des interrogés
souhaiteraient être plus sévères que ce dernier.2763

Au motif que cette constatation pourrait entamer la légitimité du pouvoir judiciaire et


des juges professionnels2764, quelques partis politiques (CDA, PvdA et LPF) n’ont pas hésité
à s’en servir pour fonder leur programme électoral et proposer la participation des citoyens à
l’œuvre de la justice pénale.2765 Notons, à cet égard, que les Pays-Bas se distinguent ici de la
procédure pénale russe où, contrairement aux attentes implicites des Néerlandais en ce qui
concerne la participation citoyenne — des peines plus sévères en tant que réaction contre des
magistrats présumés trop indulgents —, c’est plutôt contre le caractère trop punitif des
tribunaux que l’on souhaite2766 lutter. Bien évidemment, quelques malheureuses erreurs
judiciaires nourrissant l’impression que quelque chose de fondamental ne marche pas,
alimentaient les discussions et propulsaient ces questions au cœur de l’agenda politique.2767
Tout récemment, le président de la République française, Nicolas Sarkozy, s’alignerait à cette
volonté punitive en réfléchissant à l'opportunité d'installer des jurys populaires dans les
tribunaux correctionnels afin de « rapprocher le peuple de la justice » et puisque « les

professionnels puissent éprouver en direct un procès d’assises en témoignent également (P.J.A. DE HERT, « Jury en
leken in Nederland : een identiteitsonderzoek », FJB 2006, p. 2227). Pour sensibiliser les citoyens, pensons aussi à
l’émission de télévision « 16 million juges » qui permettait aux citoyens de juger eux-mêmes des affaires véridiques et
de confronter leur opinion au jugement effectivement prononcé par un juge professionnel.
2762
J.W. DE KEIJSER, P.J. VAN KOPPEN et H. ELFFERS, o.c., p. 20.
2763
J.W. DE KEIJSER, P.J. VAN KOPPEN et H. ELFFERS, o.c., p. 21. Des résultats similaires ont été procurés par une
étude de 2006 selon laquelle 87% des interrogés trouvent que les peines infligées sont empreintes d’une indulgence
injustifiée, 57% appréciant toutefois favorablement les juges (M. KOOMEN, Lekenparticipatie in de strafrechtspleging.
Het beeld van de Federlandse bevolking, Amsterdam, TNS Nipo, WODC, 2006, p. 8-9).
2764
S. BOES, A. DEKKERS, A.F. GOEDEGEBUURE, M. KAMPEN et M. VAN PROOIJEN, « Trapt de rechtsprekende burger
door twijfel in de valkuil ? Experimenteel onderzoek naar de invloed van de kracht van het bewijs en de
maatschappelijke onrust op de bewijsbeslissing en de straftoemeting », Panopticon 2009, p. 36 et p. 39.
2765
Th.A. DE ROOS, o.c., 109p.
2766
Supra, n° 426.
2767
Il s’agissait en particulier de la condamnation d’un innocent dans l’affaire Schiedammer parkmoord (M.
GROENHUIJSEN, « Pleidooi voor professionele rechtspraak door beroepsrechters », Rechstreeks 2007, n° 1, p. 18).

454
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

sanctions sont en général moins lourdes lorsqu’elles sont rendues par des magistrats
professionnels ».2768

427. Plutôt qu’un système de jury populaire, c’est le modèle mixte calqué sur
l’exemple allemand qui est privilégié dans les débats néerlandais. Dans un tel système, plus
proche de la culture et de l’histoire néerlandaises, et qui n’implique pas de modifier la
Constitution2769 — il suffirait d’adapter quelques conditions propres aux juges-remplaçants
dans la loi sur l’organisation judiciaire —, les citoyens auraient les mêmes droits et un
pouvoir équivalent à celui des juges de carrière, sans toutefois exercer ces fonctions de
manière professionnelle. Les citoyens-juges feraient office de caisse de résonance pour les
professionnels qu’ils pourraient épauler dans la mesure où leur mission dépasse des
compétences strictement juridiques.2770 Par ailleurs, la présence des citoyens inciterait les
professionnels à rester sur leur garde. Il s’agit également du système le plus compatible avec
les exigences de motivation et de recours. Bien évidemment, l’instauration des règles
particulières seraient nécessaire pour la sélection et le recrutement des non-professionnels.

428. Il s’agit toutefois de savoir si l’accroissement de la confiance accordée à la


justice qui découlerait du nouveau système mixte de justice résorberait ‘l’abîme’. Tel que l’a
fait remarquer Marc S. Groenhuijsen, l’insatisfaction exprimée à l’égard de la procédure
pénale a toujours existé et n’a pas spectaculairement augmenté.2771 La distance entre la
justice et les justiciables est d’ailleurs peut-être inévitable.2772 En effet, rendre la justice, c’est
parfois savoir prendre des décisions impopulaires. Plaire au citoyen n’est pas une tâche qui
incombe au juge, souligne-t-il. Le juge a parfois également « le devoir de déplaire »2773. Or,
le non-professionnel saura-t-il garder une neutralité et une distance nécessaire pour déplaire ?

Il nous semble ensuite regrettable que la question de la participation citoyenne soit


principalement examinée sous le prisme d’un autre fil rouge : celui du malaise quant à la
punition et, plus particulièrement, d’une opinion populiste estimant que « les professionnels
sont des ‘softies’ qui prononcent des peines trop indulgentes ».2774 Nous pouvons observer

2768
Ch. Vanneste in X, « Nicolas Sarkozy envisage des jurys populaires au niveau correctionnel », Le Monde 10 sept.
2010.
2769
B.J. EERDMANS, « Het debat over lekenrechtspraak : de politieke opmaat » in X, Leken en rechtspraak : moet,
mag en wil de burger meedoen?, Rechtstreeks 2007/1, p. 9-10.
2770
J. ALLARD, « Un consensus en faveur des juridictions mixtes », Journ.proc. 2003, n° 468, p. 7.
2771
M. GROENHUIJSEN, « Pleidooi voor professionele rechtspraak door beroepsrechters », l.c., p. 16.
2772
M. GROENHUIJSEN, « Pleidooi voor professionele rechtspraak door beroepsrechters », l.c., p. 21.
2773
E. DE MONTGOLFIER, o.c., 343p.
2774
Th.A. DE ROOS, o.c., p. 5 (trad. pers.). Souvent confrontés aux récidivistes, les juges sont peut-être moins
convaincus de l’utilité de la peine. Ils sont sans doute moins impressionnés que les échevins par le dossier pénal (J.W.
DE KEIJSER, P.J. VAN KOPPEN et H. ELFFERS, o.c., p. 44). Bien évidemment, il ne faut pas oublier que dans une
recherche ‘gratuite’ il n’y ait ni de vraie responsabilité, ni d’interaction avec les parties concernées, de sorte qu’il est
facile de se montrer plus sévère (J.W. DE KEIJSER, P.J. VAN KOPPEN et H. ELFFERS, o.c., p. 42). Il est tout autre chose

455
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

une tendance assez contradictoire à celle constatée dans la première partie : si l’insécurité
conjoncturelle amène la France et la Belgique à réduire la portée du jury populaire, elle
propulse, aux Pays-Bas, la question de la participation citoyenne au premier plan. Marijke
Malsch précise à juste titre que la discussion est influencée par la politique, la presse, les
émotions et la lutte contre la criminalité ; amalgame désigné par le terme de « penal
populism »2775, et auquel la justice est plus que toute autre institution confrontée. On conclut
qu’avec une participation citoyenne, les peines concorderont davantage avec les sentiments
de la société.2776 S’il d’agit de savoir si tel est effectivement le cas2777, il faut en outre veiller
à ne pas devenir la proie d’une « démocratie du drame »2778. L’insatisfaction du peuple et le
malaise sont souvent dramatisés par les médias de masse qui les renforcent. « La démocratie
est facilement en l’otage des paniques morales ».2779 Il est vrai que « l’autorité des autorités »
est en train de se transformer et que les justiciables n’acquiescent plus sans se poser de
questions.2780 Plus que jamais, les protagonistes professionnels sont contraints de descendre
de leur tour d’ivoire et de rendre des comptes. Il s’agit toutefois de savoir si cela suffit pour
bouleverser le système en vigueur. A une époque où l’on prône l’avènement d’une justice
plus sévère, il serait peut-être judicieux d’opter pour une justice davantage professionnelle.
Les professionnels sont moins influencés par l’idée qu’une répression accrue résout tous les
problèmes et peuvent ainsi préserver plus facilement l’uniformité et la sécurité juridique.2781

de décider et punir soi-même dans une affaire réelle avec toutes ses circonstances aggravantes et atténuantes (C.H.
BRANTS, « Mag het volk ook meedoen ? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 138).
2775
M. MALSCH, « Lekenrechtspraak : snelle oplossing voor onduidelijk probleem », l.c., p. 51.
2776
Dans le même ordre d’idées, la proposition de peines minimales pour certaines infractions particulièrement
sévères vise à diminuer le pouvoir discrétionnaire du juge.
2777
W.A. Wagenaar estime que les citoyens sanctionnent à peu près aussi sévèrement que les juges professionnels,
confirmant ainsi la « thèse d’information » en vertu de laquelle la sévérité des simples citoyens serait inversement
proportionnelle à la quantité et à la qualité des informations portant sur une affaire particulière. Avec davantage
d’informations, le verdict des citoyens ordinaires serait moins punitif (W.A. WAGENAAR, « Strafrechtelijke oordelen
van rechters en leken. Bewijsbeslissingen, straffen en hun argumentatie », Raad voor de Rechtspraak 8 oct. 2008,
www.rechtspraak.nl/FR/rdonlyres/15661973-5AA3-4A70-9F18-3F750C230540/0/Strafrechtelijkeoordelen.pdf).
Toutefois, les citoyens seraient également moins exigeants que les juges sur le plan des preuves et du raisonnement,
de sorte qu’il pourrait être dangereux de les laisser décider seuls. L’étude de J.W. De Keijser, P.J. Van Koppen et H.
Elffers souligne en revanche que les citoyens, s’ils sont moins sévères, restent encore largement plus punitifs que les
juges professionnels (J.W. DE KEIJSER, P.J. VAN KOPPEN et H. ELFFERS, o.c., p. 33 ; v. également F. JENSMA, « Het
publiek gelooft heilig in harde straf », FRC Handelsblad 14 oct. 2007).
2778
M. ELCHARDUS, De dramademocratie, Tielt, Lannoo, 2002, 208p.
2779
D. SALAS, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Paris, Hachette Littératures, 2005, p. 16.
2780
H. BOUTELLIER et K. LUNNEMAN, l.c., p. 45 et s.
2781
T. SPRONKEN, « Lekenrechtspraak in strafzaken? », FJB 2002, p. 1703.

456
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

§ 2 — L’OUVERTURE VERS UFE PARTICIPATIOF CITOYEFFE : LA PLUS-VALUE


D’UFE JUSTICE PLUS LEFTE

429. Il est clair que quelque chose dysfonctionne dans la justice professionnelle
néerlandaise. Plusieurs auteurs se tournent donc vers l’étranger pour étayer des propositions
visant à impliquer les citoyens dans la justice criminelle néerlandaise. Ils apportent ainsi leur
pierre à l’édifice classique et connu des arguments convertibles en faveur ou en défaveur du
jury populaire. Marc S. Groenhuijsen, horrifié par l’actuel « réflexe pro-jury »2782, juge en
revanche cette discussion sur les avantages et désavantages impertinente. Il s’agit de culture
et de société (A — Culture et droit). Des systèmes étrangers tels que le modèle mixte
allemand, analysé ultérieurement2783, peuvent en effet présenter des avantages séduisants.
Toutefois, le droit comparé ne risque-t-il pas de devenir un instrument dangereux si on
envisage simplement l’importation des dispositions et systèmes en vigueur à l’étranger en les
coupant des racines historiques et culturelles du système juridique ? En effet, dans quelle
mesure le choix entre juges-citoyens et juges-juristes est-il rationnel ?2784 Compte tenu de la
spécificité culturelle et du passé néerlandais qui n’a pas connu les mêmes tumultes
révolutionnaires que d’autres pays, serait-il opportun d’évoluer vers un système
d’échevinage, voire vers un jury (B — Une justice plus démocratique versus une justice
qualitativement meilleure) ?

A — CULTURE ET DROIT

430. Chaque système pénal est enraciné dans sa propre culture. L’institution du jury
populaire est liée aux fondements historiques et politico-philosophiques. En effet, si l’histoire
du jury coïncide souvent avec l’opposition à un régime dictatorial ou à une domination
coloniale, les Pays-Bas furent pour leur part épargnés de ces écueils. La méfiance éprouvée à
l’égard du Gouvernement et des professionnels fut en effet relativement inexistante comparé
à d’autres pays. En France par exemple, une organisation professionnelle hiérarchique a
conduit à la destruction du Gouvernement local et à l’augmentation de la stratification
sociale, ce qui fut l’un des éléments déclencheurs de la Révolution.2785 Le peuple s’opposa
aux privilèges de la noblesse et du clergé. A l’époque, le jury émergea plutôt comme le
produit d’un achèvement politique que d’une réforme juridique.2786 Aux Pays-Bas, par
contre, cette contradiction fut moins forte, notamment en raison de la forte influence du

2782
M. GROENHUIJSEN, « Pleidooi voor professionele rechtspraak door beroepsrechters », l.c., p. 20.
2783
Infra, n° 440 et s.
2784
O.R. DELANGE, l.c., p. 27.
2785
O.R. DELANGE, l.c., p. 31.
2786
E. TAMAN, « Lay Participation in Criminal Justice : Enhancing Justice System Legitimacy in Post-Conflict
States », Dalhousie J. Legal Stud. 2003, p. 44.

457
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

calvinisme.2787 Sur base des principe de méritocratie2788, les juges y seraient recrutés de
manière hétérogène sans se cantonner aux seules couches supérieures de la société et à
certaines opinions politiques.2789 Le corps judiciaire étant indépendant et démocratique,
l’instauration d’un contre-pouvoir au Gouvernement ne serait pas nécessaire. Cette ‘logique’
ne tient toutefois pas suffisamment pour justifier le rejet de la participation citoyenne,
d’autres pays également peu méfiants à l’égard des institutions en place ayant pour leur part
instauré une participation citoyenne. Ainsi, tel que nous le verrons ultérieurement, l’idée des
schöffen allemands n’est pas née après la première ou la seconde guère mondiale ;
l’échevinage prospère en Allemagne depuis le Moyen âge.2790

Selon Chrisje H. Brants, il ne s’agit pas de savoir si un système est mieux qu’un
autre ; il faut s’interroger sur l’adéquation entre le système en vigueur — pour les Pays-Bas,
la jurisprudence purement professionnelle — et les attentes de la société civile.2791 En effet,
la procédure pénale fonctionne à la lumière de la société qu’elle sert. En cas de divergence, il
faut envisager d’autres formules. Dans une optique similaire, Marc S. Groenhuijsen considère
que le droit comparé n’apporte rien de plus.2792 Mais, si Chrisje H. Brants en déduit que le
citoyen actuel, compte tenu des processus d’émancipation, d’individualisation et d’érosion de
l’autorité naturelle, exige sa place dans la démocratie représentative2793, Marc S.
Groenhuijsen estime que, pour étayer la crédibilité de la justice, la dernière priorité doit être
donnée à l’instauration d’une forme de justice populaire.2794

En effet, comparé à d’autres pays, la situation des Pays-Bas n’est pas aussi
dramatique qu’il n’y paraît à première vue.2795 Ainsi, en Belgique, malgré la tradition de la
participation citoyenne, ou en Allemagne, berceau par excellence de l’échevinage, la
confiance accordée à la justice n’est pas plus élevée qu’aux Pays-Bas.2796 Par rapport à
d’autres institutions gouvernementales (le ministère public, la police), les juges néerlandais
bénéficieraient même de la plus grande confiance.2797 Le bouleversement du système
juridique néerlandais ne risquerait-il pas, dès lors, d’être subversif ? En outre, selon l’étude

2787
O.R. DELANGE, l.c., p. 26.
2788
M. MALSCH, o.c., p. 114 et 202.
2789
P.P.T. BOOVEND’EERT, « Jury en lekenrechtspraak in een vergelijkend perspectief », l.c., p. 16.
2790
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 140.
2791
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 141.
2792
M.S. GROENHUIJSEN, « Jury en andere vormen van lekenparticipatie. Over onbehagen, legitimiteit, onderbuik en
cultuur », DD 2005, p. 840.
2793
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 144.
2794
M.S. GROENHUIJSEN, « Jury en andere vormen van lekenparticipatie. Over onbehagen, legitimiteit, onderbuik en
cultuur », l.c., p. 840.
2795
Th.A. DE ROOS, « Lekenrechtspraak : een hot issue inmiddels alweer afgekoeld? » in X, Leken en rechtspraak :
moet, mag en wil de burger meedoen?, Rechtstreeks 2007, n° 1, p. 30.
2796
Th.A. DE ROOS, o.c., p. 86.
2797
67% des citoyens accordent une grande confiance aux juges (M. KOOMEN, o.c., p. 6-7).

458
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

empirique de Hans Boutellier et de Katinka Lunneman sur la perception de la société civile


d’une jurisprudence élaborée par des pairs, le citoyen néerlandais adopte une position plutôt
ambivalente par rapport au droit : il veut de la confiance, mais reste résolument méfiant.2798 Il
veut se rapprocher de la justice sans toutefois coïncider avec elle. S’il n’accorde pas
confiance aux juges, il fait encore moins confiance à ses concitoyens. A cet égard, Rick L.P.
Van der Velden, qui redoute que les citoyens ne prennent conscience des conséquences
importantes d’une peine privative de liberté sur la vie d’un individu, s’interroge sur
l’opportunité de confier sa plus grande possession, à savoir sa liberté, au « boucher du coin
de la rue ».2799 Une difficulté particulière relèverait, à cet égard, de l’hétérogénéité de la
société néerlandaise. Contrairement aux Etats-Unis où les citoyens sont tous « proud to be an
american » (fière d’être américain), les citoyens néerlandais ne partageraient pas les mêmes
valeurs et normes.2800 Est-il dès lors pertinent de s’engager dans cette voie, même si les
citoyens ne semblent pas convaincus ? En effet, selon Hans Boutellier et Katinka Lunneman,
il ne se dégage aucun consensus en faveur d’une participation citoyenne chez les citoyens.2801
La plupart des personnes entendues semblent moins favorables à une adjonction à la fonction
directe et déterminante de juger qu’à une fonction informative de conseil, en guise d’appui ou
de soutien.2802 L’opinion des citoyens changera peut-être en cas d’insatisfaction permanente
et profonde sur le plan de la jurisprudence.2803 Les quelques erreurs judiciaires néerlandaises
n’ont, à cet égard, pas eu un impact écrasant.

431. Réfutant les arguments démocratiques2804, politiques et historiques favorables au


jury populaire, Marc S. Groenhuijsen ne retient, en guise d’argument favorable à la

2798
H. BOUTELLIER et K. LUNNEMAN, l.c., p. 60.
2799
« Est-ce qu’on va aussi confier un maçon avec la perceuse d’un dentiste ou un charpentier dans la salle
d’opération d’un chirurgien ou un professeur de français pour la maintenance d’une voiture ? » (R.L.P.
VANDERVELDEN, « Lekenrechtspraak : weg naar nieuw vertrouwen of simpel scoren ? », FJB 2006, p. 1695-1696).
2800
P. RUIJS, « Lekenrechtspraak bevorderen ? », FJB 2002, p. 1702.
2801
Selon l’étude de M. Koomen 37% des interrogés seraient partisans d’une participation citoyenne (dont 8%
seraient totalement pour), 39% seraient contre (dont 20% seraient radicalement contre) et 25% seraient indécis (M.
KOOMEN, o.c., p. 11-12) ; v. aussi A. KLIJN et M. CROES, « Public Opinion on Lay Participation in the Criminal
Justice System of the Netherlands. Some Tentative Findings from a Panel Survey », Utrecht Law Review 2007, p.
168.
2802
L. GYSELAERS, compte-rendu du colloque La participation des citoyens à la fonction de juger en matière pénale
du 30 nov. 2006, La Haye (organisé par le Conseil pour la jurisprudence), l.c., p. 210. Tels sont également les résultats
du sondage effectué par TNS/NIPO, Lekenrechtspraak : burgers willen betrokkenheid, geen verantwoordelijkheid,
sept. 2007, www.tns-nipo.com/pages/nieuws-pers-vnipo.asp?file=persvannipo\lekenrechtspraak07.htm.
2803
G.P.M.F. MOLS, l.c., p. 33-34 et Th.A. DE ROOS, o.c., p. 81.
2804
L’argument selon lequel le jury augmenterait la légitimité démocratique de la justice pénale dans une sorte de
« responsable citizenship » (P.P.T. BOOVEND’EERT, « Jury en lekenrechtspraak in een vergelijkend perspectief », l.c.,
p. 17 et Th.A. DE ROOS, o.c., p. 77-78) est réfuté au motif que la notion de démocratie recouvre plusieurs
significations et qu’aucune d’entre elles ne jouit d’un consensus décisif. Sur le plan de la sélection, le jury, qui n’est
pas choisi par un mécanisme démocratique, ne sera jamais un échantillon représentatif de la société. Sa volonté ne
peut donc être que celle de ceux qui sont tirés au sort. Dans le sens de participation, la démocratisation ne semble pas
non plus effective, la portée du jury populaire étant extrêmement limitée et son rôle souvent passif (P. DE HERT,
« Leve de republiek, leve de jury. Historische, bewijstechnische, democratische en politieke argumenten », l.c., p.
482-483). Il est vrai que sa quantité moindre contraste résolument avec l’importance conséquente qu’elle revêt dans la

459
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

participation citoyenne, que l’avantage d’une justice plus lente et, dès lors, davantage
approfondie.2805 De l’inexpérience des non-professionnels découlerait notamment un
traitement plus lent de l’affaire. De cette lenteur résulterait ensuite un traitement plus
approfondi dont témoigne incontestablement la procédure d’assises2806. Ainsi que nous
l’avons déjà avancé, la procédure néerlandaise s’appuie essentiellement sur l’examen du
dossier sans accorder une grande importance au principe de l’immédiateté des preuves. Il
manque ainsi à la procédure pénale néerlandaise ce que la procédure d’assises a en trop,
rappelons-nous du nombre illimité de témoins, tant de fait que de moralité qui peuvent être
appelés2807. Aux Pays-Bas, on considère par contre que l’enquête préliminaire a été
impartiale ; le juge peut donc l’accepter sans réserve. Une telle manière d’opérer a une
influence positive sur la célérité de la procédure, mais négative sur sa profondeur. La
participation citoyenne pourrait y remédier. En effet, la présence des citoyens pousse les
professionnels à mener les débats avec oralité et immédiateté.2808 En outre, un changement de
langage serait nécessaire, ce qui rendrait les débats davantage accessibles. En raison de la
présence des jurés/échevins, la procédure impersonnelle et écrite serait ainsi, selon les mots
prêtés à Gerard E. Mulder, « retirée de son ciel juridique pour être mise sur le niveau et la
réalité de tous les jours, plus conforme à la ‘middlemindness’ de la plupart des gens ».2809
Pourtant, ainsi que nous l’aborderons plus loin, le recours à une participation citoyenne à
l’œuvre de la justice pénale ne peut pas, à notre égard, être inspiré par la volonté de
simplification. Une détechnocratisation à grande échelle ne peut pas saisir la grande
complexité du droit et n’est dès lors pas souhaitable.

conscience juridique des justiciables. L’Allemagne et la France prouvent toutefois que d’autres formules sont
parfaitement envisageables (Th.A. DE ROOS, « Lekenrechtspraak: een hot issue inmiddels alweer afgekoeld? », l.c., p.
41). En termes de fonctionnement, il ne peut pas non plus s’agir de démocratie au sens d’une délibération et d’un
résultat rationnel et justifié, l’absence de motivation, presque partout assimilée au jury populaire sauf en Espagne et
récemment en Belgique, est de nature à entacher la légitimité et l’acceptation de la décision (M. ADAMS, « Lettres
Persanes. De jury van Dutroux », FTR&R 2004, p. 57-58). Finalement, s’il est à tort et à travers avancé en matière de
justice criminelle, l’argument démocratique fait défaut à d’autres domaines très professionnalisés, tels que
l’éducation, le soin médical et la défense du pays (M. GROENHUIJSEN, « Pleidooi voor professionele rechtspraak door
beroepsrechters », l.c., p. 21). P. De Hert demeure néanmoins un fervent partisan du jury populaire en reliant la notion
de démocratie à celle de confiance (P.J.A. DE HERT, « Jury en leken in Nederland : een identiteitsonderzoek », l.c., p.
2228 et p. 2238-2239).
2805
Cet argument fut d’abord avancé par P. DE HERT (P. DE HERT, « Jury en leken in Nederland : een
identiteitsonderzoek », l.c., p. 2230). Notons, à cet égard, le contraste avec le Japon où le ‘jury’ fut réintroduit en mai
2009. L’une des raisons sur lesquelles se fonde cette réintroduction est curieusement la vitesse, contrairement aux
Pays-Bas. En présence de citoyens ordinaires tous dotés de vies et d’occupations propres, la justice japonaise est
notamment obligée d’aller plus vite (Entretien avec le juge japonais, M.T. USHIJIMA à Louvain, le 2 oct. 2008).
2806
Supra, n° 184 et s.
2807
Supra, n° 188 et s. En Belgique, le président peut depuis la loi du 21 décembre 2009 exercer un contrôle marginal.
2808
T. CLEIREN et Th.A. DE ROOS, l.c., p. 187-188.
2809
Th.A. DE ROOS, o.c., p. 11 ; G.E. MULDER, « Twelve men (women) Good and True. Enkele gedachten over de
juryrechtspraak », DD 1981, p. 243 (trad. pers.).

460
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Plus de lenteur signifie toutefois aussi plus de longueur, ce qui fait à nouveau émerger
l’argument pragmatique de l’efficacité. Certes, ainsi que le notent Chrisje H. Brants et Paul
De Hert, les idéaux de participation, démocratie, confiance et légitimité, ne sauraient être
enterrés par un argument budgétaire.2810 Il paraît toutefois étrange de plaider pour une
jurisprudence plus lente à une époque où la justice est obligée de ‘courir’. Comment les Pays-
Bas peuvent-ils nager à contre-courant à une époque marquée par une critique massive de
l’incapacité des systèmes judiciaires quant à la gestion du flux titanesque des affaires ?
Faudrait-il, par exemple, cantonner l’implication des citoyens à la décision de poursuivre (art.
12 SV.) et créer une sorte de jury d’accusation, au risque cependant d’altérer la politique de
poursuite ?2811 Ou, ainsi que l’avance Paul De Hert, faudrait-il limiter le nombre d’affaires
soumises au jury ?2812 Mais la plus-value de la participation citoyenne concerne-t-elle alors
uniquement ces affaires ? Selon Bert Van Delden, on risque en outre le cercle vicieux : si,
avec l’introduction de non-professionnels, la longueur des procès augmente, la nécessité
d’une rapide et efficiente gestion du flux des affaires — pour lesquelles les Pays-Bas sont
souvent loués — reste la même. Il faudrait, dans cette optique, aussi accroître le nombre de
juges professionnels, ce qui aurait nécessairement un impact sur le plan budgétaire.2813
L’introduction de la participation citoyenne sur le sol néerlandais conduirait donc,
paradoxalement, à une spécialisation accrue. En effet, si celle-ci devait être introduite, tous
sont convaincus qu’elle ne doit pas remplacer la justice professionnelle ; elle doit la
renforcer.2814

B — UNE JUSTICE PLUS DEMOCRATIQUE VERSUS UNE JUSTICE


QUALITATIVEMENT MEILLEURE

432. Si certains partis politiques envisagent de restaurer la confiance en la justice et


surtout d’exaucer les vœux du public quant à une répression accrue, la doctrine est
essentiellement axée sur la recherche d’une justice qualitativement meilleure. Cela soulève
deux questions. D’abord, il s’agit de savoir ce qu’on envisage par une justice qualitativement
meilleure. Ensuite, il faut savoir dans quelle mesure la justice populaire pourrait y contribuer.

2810
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 139 et P.J.A. DE
HERT, « Jury en leken in Nederland : een identiteitsonderzoek », l.c., p. 2232.
2811
G.J.M. CORSTENS, « Introduction » in X, Leken en rechtspraak : moet, mag en wil de burger meedoen?,
Rechtstreeks 2007, n° 1, p. 3-4.
2812
P.J.A. DE HERT, « Jury en leken in Nederland : een identiteitsonderzoek », l.c., p. 2230-2231.
2813
B. VAN DELDEN, « Wat is de rechter waard? », l.c., p. 9.
2814
Th.A. DE ROOS, « Burger en strafrechtspleging : is het strafrechtelijk discours passé ? », l.c., p. 68. Si les non-
professionnels sont moins onéreux, il faut également considérer la perte de temps induite par leurs sélection, accueil,
formation et instruction (B. VAN DELDEN, « Wat is de rechter waard ? », l.c., p. 9).

461
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

433. De l’analyse du professeur Groenhuijsen il découle que la justice professionnelle


néerlandaise manque de profondeur et de transparence, deux caractéristiques qui s’avèrent
également défaillantes en Belgique et en France dans la procédure correctionnelle, ainsi que
nous l’esquisserons plus loin. Pour éviter des dérapages, il conviendrait de renforcer les
garanties du procès en accordant une place plus importante au principe de l’immédiateté des
preuves, par exemple sur le plan du nombre et de l’interrogation des témoins, tout en
diminuant l’importance accordée au dossier ; bref, en introduisant un peu plus d’accusatoire
dans une procédure largement inquisitoire. Pour ce faire, Groenhuijsen défend toutefois qu’il
ne faille pas ajouter un obstacle étranger et exotique à la tradition néerlandaise. La justice
pénale néerlandaise n’aurait à son sens pas besoin de simples citoyens pour être plus lente et
plus approfondie.2815 Pourquoi commencer avec un retard pour compenser un retard,
s’interroge-t-il ? Mieux vaut commencer avec de l’avance, notamment avec un juge
professionnel qui procède de manière plus minutieuse.

L’introduction du jury étant une mission impossible, celui-ci devrait quand même
servir de source d’inspiration. Selon Gerard E. Mulder : « il faut une justice qui se comporte
comme s’il y avait un jury ».2816 Il s’agit néanmoins de savoir si une telle sorte de procédure
‘pseudo-accusatoire’ devant des professionnels est susceptible d’atteindre l’objectif souhaité.
En revanche, sur le plan de la transparence, les juges professionnels seraient eux-mêmes
capables de se prononcer de manière plus compréhensible sans la présence d’échevins.2817
Certes, il convient de les sensibiliser sur ce point. Peu importe de modifier l’article 359 du
Code de procédure pénale ; c’est aux juges qu’il incombe de modifier leurs attitudes et
habitudes. Mais, pour ce faire, il faudrait que les mentalités changent.2818

L’amélioration de la justice pénale implique en premier lieu dès lors le renforcement


des magistrats de carrière. Dans une telle conception, une justice meilleure n’est donc pas
nécessairement une justice plus participative. Paul De Hert se trompe par conséquent
lorsqu’il énonce : « dans un pays sans jury, la démocratie libérale a failli ».2819 La plus-value
potentielle des citoyens peut être redoutée dans la mesure où les académiciens ne peuvent
même pas trouver un consensus sur leurs contributions respectives. Alors que Johannes C.M.

2815
M. GROENHUIJSEN, « Pleidooi voor professionele rechtspraak door beroepsrechters », l.c., p. 23.
2816
Ainsi l’officier de justice pourrait mettre à la disposition de l’accusé un résumé des faits rédigé dans un langage
accessible (G.E. MULDER, « De voorbeeldige jury. Een repliek », l.c., p. 351). Pour une critique, v. D.C.I. VAN DELFT,
« De voorbeeldige jury », DD 1982, p. 24-28.
2817
Ou pour utiliser l’expression du prof. Groenhuijsen dans le langage de « Jip & Janneke » (‘Monsieur tout le
monde’) ; M.S. GROENHUIJSEN, « Jury en andere vormen van lekenparticipatie. Over onbehagen, legitimiteit,
onderbuik en cultuur », l.c., p. 838 ; v. également Th.A. DE ROOS, o.c., p. 18.
2818
G. DE VRIES, « Rechter gaat vonnis beter uitleggen », FRC Handelsblad 22 août 2008.
2819
P. DE HERT, « Leve de republiek, leve de jury. Historische, bewijstechnische, democratische en politieke
argumenten », l.c., p. 460.

462
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Leijten préfère que les citoyens se prononcent seuls sur la question de culpabilité tandis que
le juge professionnel se prononcerait sur la peine, J.T. Degenkamp défend la position
inverse.2820

Pour Groenhuijsen, les citoyens ne sont dès lors pas nécessaires pour rendre la justice
plus approfondie, ni plus transparente, ni plus démocratique. Ils ne contribueraient ensuite
pas non plus sur le plan de performance. Comme dans un jeu d’échecs, avance-t-il, un ‘vieux
de la vieille’ observera par son éducation spécifique et son expérience particulière en un clin
d’œil tout le jeu ; le débutant, pour sa part, ne considérera que les pions les plus importants et
fondera son jugement sur leur tour de force.2821 Afin d’éviter les erreurs judiciaires
auxquelles les Pays-Bas seront certainement confrontés, il ne faut dès lors pas un système
dont on sait par avance que le nombre de décisions erronées ne diminuera pas.2822

Il faudrait donc une plus grande ‘spécialisation des spécialistes’, avec des juges
spécialisés dans certains types d’affaires (mineurs, économiques-financiers, ...) ainsi qu’une
optimisation de l’occupation des postes, tant en première instance qu’en appel.2823 Lors du
Colloque du 30 novembre 2006 sur la participation des citoyens à l’œuvre de la justice, Bert
Van Delden se demandait, par contre, si une ‘généralisation’ du savoir juridique avec le
transfert des civilistes aux chambres criminelles et inversement ne s’avèrerait pas plus
judicieuse qu’une spécialisation.2824 Le regard ‘frais’ des juges civilistes dans les chambres
criminelles permettrait notamment d’éviter des jugements aveugles et routiniers.2825 Une
autre piste consisterait dans l’extension du concept des juges-remplaçants pour qu’ils n’aient
pas seulement des connaissances juridiques, mais également des savoirs extra-juridiques à
l’instar des échevins dans les tribunaux de travail et de commerce belges qui semblent
fonctionner de manière fort satisfaisante2826.

Une attention particulière devrait en tout cas être portée à la motivation des décisions.
Motiver, c’est communiquer. Les Pays-Bas devront se défaire du prototype du juge
individualiste qui ne s’intéresse qu’aux arrêts juridico-techniques. Le juge d’aujourd’hui doit

2820
JCM. LEIJTEN, « Het Nederlandse strafprocesrecht in 2050 een utopie ? », DD 2006, p. 780 et J.Th. DEGENKAMP,
« Wozu eigentlich Laienrichter ? », FJB 2006, p. 2011-2012.
2821
M. GROENHUIJSEN, « Pleidooi voor professionele rechtspraak door beroepsrechters », l.c., p. 19.
2822
M.S. GROENHUIJSEN, « Jury en andere vormen van lekenparticipatie. Over onbehagen, legitimiteit, onderbuik en
cultuur », l.c., p. 832.
2823
Il ne faut pas réserver l’expérience à l’instance d’appel dans la mesure où juger en première instance est souvent
plus difficile (M. GROENHUIJSEN, « Pleidooi voor professionele rechtspraak door beroepsrechters », l.c., p. 24).
2824
L. GYSELAERS, compte-rendu du colloque La participation des citoyens à la fonction de juger en matière pénale
du 30 nov. 2006, La Haye (organisé par le Conseil pour la jurisprudence), l.c., p. 209.
2825
Ibid.
2826
90% des interrogés sont favorables à leur maintien, ce qui est plus que réconfortant (G. FRANSSEN, J. VAN
HOUTTE, G. VAN LOON, D. CUYPERS et J. LAENENS, De arbeidsgerechten en hun lekenrechters, Antwerpen,
Intersentia, 2005, 196p.). Pour un commentaire de cet ouvrage, v. P. DE HERT, « Lekenrechtspraak in België : het
insidersperspectief », RdW 2006, p. 71-74.

463
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

être réceptif aux sentiments de la société et, de cette façon, devenir une sorte de
« spokesmen » de la société2827, tout en faisant office de filtre entre la justice et la société.
Cela implique un équilibre ténu pour éviter tant la fameuse ‘tour d’ivoire’ que le
populisme.2828 Pour optimiser cette communication, des exigences spécifiques doivent porter
sur le contenu et la forme. Les Pays-Bas font déjà figure de précurseurs avec la mise à
disposition du public, en version électronique, des décisions judiciaires après le prononcé.2829
Les projets d’amélioration de la motivation des arrêts judiciaires (Promis I et Promis II), qui
visent à éviter la routine et les formules standards, ont amorcé un pas dans la bonne
direction.2830 Récemment, certains juges ont adjoint à leurs motivations des considérations
supplémentaires et non strictement nécessaires afin d’anticiper d’éventuelles réactions
négatives à l’égard de la décision.2831 Tout cela s’inscrit dans la volonté de diminuer l’abîme
entre la justice et les justiciables. La motivation est-elle toutefois susceptible de combler cet
abîme ? Tant que le Hoge Raad (Conseil supérieur) ne pose pas d’exigences spécifiques et
accrues, et que les juges professionnels ne sont pas contraints de changer leur mentalité, la
question de la participation citoyenne restera, pour certains, résolument légitime.2832

434. Le 13 juillet 2007, le ministre de la Justice Ernst Hirst Ballin semble cependant
avoir définitivement mis un terme à ce débat en rejetant formellement toute participation
citoyenne. En décembre 2007, la deuxième chambre s’est ralliée à ce point de vue.2833 Le
ministre s’est essentiellement fondé sur le rapport de Theo A. De Roos.2834 Selon ce dernier,
la participation des citoyens à la fonction de juger en matière pénale ne devrait être

2827
Th.A. DE ROOS, o.c., p. 20.
2828
L. GYSELAERS, compte-rendu du colloque La participation des citoyens à la fonction de juger en matière pénale
du 30 nov. 2006, La Haye (organisé par le Conseil de la jurisprudence), l.c., p. 210.
2829
N.J.H. HULS, P.A.M. MEVIS et N. VISSCHER, l.c., p. 19.
2830
M. GROENHUIJSEN, « Pleidooi voor professionele rechtspraak door beroepsrechters », l.c., p. 26. Ces projets
entrepris en 2004-05 et en 2006 envisagent d’augmenter la qualité des décisions judiciaires. Ils avancent une
motivation ‘sur mesure’ (v. pour Promis I, www.rechtspraak.nl/FR/rdonlyres/AD2F3540-788C-425B-85CB-
1CC3DD98A8C1/0/PROMIS_samVERSLAG_WTdef.pdf et www.rechtspraak.nl/FR/rdonlyres/9ED97897-BDD5-
4A1B-AB7E-3F1142888813/0/IntegraaleindrapportPromis_def.pdf pour Promis II.
2831
N.J.H. HULS, P.A.M. MEVIS et N. VISSCHER, l.c., p. 22-23. Bien évidemment une motivation trop ‘touffue’ perd sa
force rhétorique. Il est en effet à douter que la société civile comprenne une motivation excédant les cent pages, tel
que cela fut par exemple le cas dans l’affaire Lucia B (Y. BURUMA, « Rechtspreken in de dramademocratie.
Kanttekeningen bij lekenrechtspraak en motiveringsvereisten », DD 2006, p. 1085-1086).
2832
P.J.P. TAK, « Toezicht op de strafrechter » in P.P.T. BOOVEND’EERT, L.E. DE GROOT-VAN LEEUWEN et Th.J.M.
MERTENS, De rechter bewaakt : over toezicht en rechters, Deventer, Kluwer, 2003, p. 176 et T.M. SCHALKEN, note
sous Hoge Raad 8 nov. 2005, FJ 2006, p. 5186 et s.
2833
W.M. van den Bergh regrette vivement cette décision. Selon lui, la question de la participation citoyenne doit être
remise à l’ordre du jour sur l’agenda politique pour être sérieusement prise en considération (W.M. VAN DEN BERGH,
« Leek oordeelt net zo goed als een rechter », FRC Handelsblad 14 avr. 2008) ; un appel entendu par Rita Verdonck
qui réintroduit la question sur la scène politique avec le mouvement « Trots op Nederland » (Th.A. DE ROOS,
« Strafoplegging door het volk ? » in S. FRANKEN, M. DE LANGEN et M. MOERINGS, Constante waarden. Liber
amicorum prof.mr. Constantijn Kelk, La Haye, Boom Juridische uitgevers, 2008, p. 363).
2834
Th.A. DE ROOS, o.c., 109p.

464
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

considérée que lorsqu’il y a une raison impérative de l’introduire2835, tel que cela fut le cas
aux Etats-Unis, en France, et plus récemment en Espagne et en Russie. Ces exemples, fondés
sur la méfiance, témoignent de l'enracinement historique et idéologique du phénomène de la
justice populaire, ce qui n’est pas le cas aux Pays-Bas. Prime donc une nouvelle fois
l’argument de la tradition : tant que la justice reste performante, il ne faut pas adopter
précipitamment un système inconnu. Or, faut-il attendre qu’il y ait des drames pour
réformer ?2836 Selon Theo A. De Roos, une évolution vers le modèle mixte allemand, en
l’occurrence le plus proche du système néerlandais sur les plans historique et culturel,
impliquerait une refonte conceptuelle et organisationnelle radicale du procès pénal, sans
compter le coût exorbitant en termes d’énergie et de ressources.2837 Rien ne prouve par
ailleurs que l’ajout des citoyens bonifie la confiance.2838

Conclusion du chapitre I

435. Après ce tour d’horizon pour cerner d’autres systèmes, originaux et parfois
radicalement différents, il apparaît que la (re)considération de l’une ou l’autre forme de
participation ne naît jamais du néant. Elle émerge toujours en tant que réaction, soit contre un
régime oppressif — ce qui démontre que le recours à la participation citoyenne dans la
fonction de juger s’inspire dès lors plutôt d’arguments de nature politique que juridique —,
soit contre un système professionnel cloisonné, ce qui a également un impact non négligeable
sur la plus-value escomptée d’une participation citoyenne : une justice plus démocratique
versus une justice plus transparente. De plus, il semble que la participation citoyenne peut
être considérée sous le prisme de raisons contradictoires : soit on vise une punition plus
sévère comme aux Pays-Bas, soit on souhaite davantage d’indulgence comme en Russie. Au
final, on pourrait avoir l’impression que lorsque la confiance accordée à la justice est en
cause, la participation citoyenne est souvent sortie tel un lapin du chapeau ou une panacée à
contenu et plus-value variables. Bien évidemment, des erreurs judiciaires spécifiques
auxquelles les systèmes sont confrontés jouent à cet égard un rôle important. On voit partout
qu’un dérapage peut ébranler la confiance souvent fragile accordée à la justice, et inciter à
amorcer une réflexion plus ou moins approfondie sur le changement ou même sur le

2835
Le fait qu’il n’y ait pas de modification du système en vigueur, en dépit de quelques erreurs judiciaires
particulières (Puttense moordzaak, Schiedammer parkmoord), prouve que cette contrainte n’est pas encore présente
en droit hollandais.
2836
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 130.
2837
L. GYSELAERS, compte-rendu du colloque La participation des citoyens à la fonction de juger en matière pénale
du 30 nov. 2006, La Haye (organisé par le Conseil pour la jurisprudence), l.c., p. 209.
2838
Th.A. DE ROOS, o.c., p. 101-102.

465
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

bouleversement du système existant. Puisque la justice professionnelle ne sera probablement


jamais sans critique, la question de la participation des citoyens à l’œuvre de juger n’est
jamais loin. Chaque erreur des magistrats de robe, chaque critique émise contre la justice,
ramènera inévitablement cette question sur l’avant-plan, tel qu’une ombre. Toutefois, quelle
que soit la forme de la participation citoyenne, sa portée est d’emblée limitée — pensons au
jury waiver en droit pénal russe et à la liste limitative de compétence ainsi qu’au conformidad
en droit espagnol — et encadrée par des professionnels, avec comme apogée, un appel
purement professionnel. Est-ce alors le dilemme de la participation citoyenne, qu’on peut
difficilement imaginer une justice transparente et qualitative sans ni avec l’implication des
simples citoyens ?

Une deuxième constatation concerne le poids de la tradition. La question de savoir si


le système du jury populaire serait fructueux semble, à côté des aspirations plus globales,
déterminée par la culture et l’histoire spécifiques des pays. Si, avec la réintroduction du jury,
la Russie et l’Espagne souhaitent s’engager — même parfois de manière mensongère — dans
la voie démocratique après des années de dictature, les Pays-Bas témoignent qu’une
procédure démocratique, efficace et libérale est bien possible sans jury. Leur exigence d’une
raison impérative avant même de considérer un changement de leur justice professionnelle
témoigne du même attachement à la tradition que nous retrouvons en Belgique ou Angleterre
à l’égard de leur système du jury. Preuve, s’il en fallait, que l’avenir est incontestablement
tributaire du passé.

Hormis ces considérations, les pays aspirent tous à une justice qualitativement
meilleure. Si on veut modifier le système en vigueur, il semble inévitable de faire des
concessions en s’affranchissant parfois de certaines évidences et traditions. En tous cas, il
faut oser faire le deuil de la sacro-sainteté de son propre système. En effet, « l’étonnement sur
ce qui est nouveau doit s’accompagner d’une réflexion critique sur ce qui est familier ».2839
Remarquable à cet égard est surtout la tentative espagnole quant à la création d’un
« accountable jury ». Bien avant la condamnation de la Belgique par la CEDH dans l’affaire
Taxquet du 13 janvier 2009 et le revirement de la jurisprudence de la cour européenne des
droits de l’homme, le législateur espagnol a essayé de concilier une institution ancienne avec
les droits de l’homme dans la justice pénale contemporaine. Or, si cette solution est bien
critiquable, elle a le mérite d’illustrer la flexibilité et le dynamisme du concept de la
participation.

2839
P.J.A. DE HERT, « Jury en leken in Nederland : een identiteitsonderzoek », l.c., p. 2232 (trad. pers.).

466
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Chapitre II

LES OUVELLES EXIGECES D’UE JUSTICE PEALE


COTEMPORAIE : PROXIMITE, TRASPARECE ET PARTICIPATIO

« Il paraîtrait sans doute surprenant qu’une personne, quand elle juge,


vît mieux avec deux yeux ou entend mieux avec deux oreilles ou agit
mieux avec deux mains et deux pieds, qu’une pluralité d’individus avec
de multiples organes »
[ARISTOTE, La politique, III, 16, n° 1287b, traduction par J. TRICOT,
Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1982, p. 251]

436. Si les Pays-Bas ont finalement abandonné la piste d’un échevinage criminel et a
fortiori celle d’un jury populaire, l’étude de leur système purement professionnel témoigne
néanmoins de l’importance de la proximité de la justice, en particulier lorsque celle-ci
éprouve des difficultés de communication. Synonyme de dialogue, de transparence et de
compréhensibilité, la ‘proximité’ envisage de rapprocher la justice de ses justiciables. Cette
proximité revêt plusieurs aspects : si elle vise à une meilleure motivation des décisions
judiciaires, ainsi que le préconise le professeur néerlandais Marc S. Groenhuijsen, elle se
traduit également par une plus grande implication de la société civile, à l’instar du système
anglais qui fait manifestement figure de prototype. En droit anglais, la participation citoyenne
à la fonction de juger ne se limite pas au jury populaire. Interviennent également des lay
magistrates, juges non professionnels et non rémunérés, qui jouissent d’une compétence
étendue y compris pour des infractions sévères. Or, si nous souhaitons aborder la question de
la participation citoyenne à la fonction de juger en matière pénale, cette forme de justice
quasi unique au monde mais largement sous-estimée par rapport au jury populaire, mérite
d’être analysée ; celle-ci a notamment inspiré, récemment, le législateur français pour créer
une institution similaire : le juge de proximité.

Sur le continent, la participation devient également, par la volonté de ‘proximité’, une


notion phare de la politique criminelle et une exigence accrue de la justice contemporaine.
Plutôt qu’une marginalisation de la participation citoyenne qui gagne, en l’occurrence,
progressivement en ampleur dans la sphère criminelle, l’implication des citoyens à l’œuvre
de la justice semble émerger à d’autres échelons comme un enrichissement auquel il faut
davantage recourir (Section 1 — L’ascension de la société civile). En effet, si l’institution du
jury populaire, sous-tendue par la légitimité démocratique et la confiance publique, paraît
menacée dans une justice tributaire de contingences budgétaires et rationnelles, le recours

467
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

accru à d’autres formes de participation de non-professionnels vise incontestablement à éviter


l’enfermement de la justice dans un monde opaque et clos. La justice contemporaine se
trouve dès lors au carrefour de contraintes multiples, voire contradictoires en termes
d’efficacité, de transparence et d’implication. Serait-il dès lors étonnant de voir émerger
davantage de formes de collaboration, de multidisciplinarité et de liaisons entre
professionnels et non-professionnels (Section 2 — La quête de collégialité: une perspective
partagée de réforme) ?

Section 1
L’ascension de la société civile

437. Le concept en vogue dans la politique criminelle contemporaine est celui de la


proximité. Ainsi que nous l’avons déjà annoncé, cette notion témoigne d’un polymorphisme
particulier qui recouvre diverses significations. Si l’art de juger tend à s’épandre hors des
palais2840, la société civile envahit également les prétoires : « plus l’Etat étend sur l’individu
son empire, moins il peut agir sans cet homme ».2841 En France, cette tendance semble
atteindre son apogée avec, à l’instar des magistrates’ courts anglais, la création d’une
juridiction particulière : la ‘juridiction de proximité’. Avec cette « nouvelle étoile au ciel
judiciaire »2842, constituée d’un juge-citoyen non professionnel, le législateur français
s’éloigne de la conception traditionnelle d’une magistrature de robe. Comparé au côté distant
du juge de carrière, le juge non professionnel aurait le mérite naturelle de la proximité (§ 2 —
Le juge de proximité français et le magistrate anglais : une participation citoyenne sous-
estimée ?). Si une telle présomption est déjà intéressante à analyser, il s’agit en outre de
savoir si cette ascension de la société civile relève réellement de la plus-value attribuée à
l’implication des citoyens dans la fonction de juger, notamment en termes de légitimité
démocratique, de dialogue et de compréhension. Ou peut-être s’agit-il plutôt d’une solution
confortable visant à endiguer les écueils gestionnaires et la pénurie que nos systèmes pénaux
combattent, tout en déchargeant et en valorisant le ‘vrai juge’ : le magistrat de carrière (§ 1 —
La proximité : un avatar du ‘managérialisme’ ?) ?

2840
L. ASSIER-ANDIEU, « Le juge, la loi et le citoyen » in X, La qualité des décisions de la justice. Etudes réunies par
P. Mbongo, Ed. du Conseil de l’Europe, 2007, www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/series/Etudes4Qualite_fr.pdf, p.
14.
2841
A. VITU, « La collaboration des personnes privées à l’administration de la justice criminelle française », l.c., p.
707.
2842
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 9.

468
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

§ 1 — LA PROXIMITE : UF AVATAR DU MAFAGERIALISME2843 ?

438. Avant de se pencher sur cette nouvelle juridiction française ‘de proximité’, qui
met clairement en exergue que la notion de ‘juge’ recouvre une pluralité de postures,
d’engagements et d’expériences et une grande variété de juges non professionnels (B — Une
pluralité des mondes judicaires), il convient de noter que l’exigence de proximité existait
déjà avant la création d’une juridiction ad hoc. La recherche d’une justice plus proche exista
de tous temps et par divers biais. Ces derniers temps, cette quête semble étroitement corrélée
à des contingences d’ordre sécuritaire (A — L’implication des citoyens, un repère dans « une
utopie de sécurité » ?).

A — L’IMPLICATION DES CITOYENS, UN REPERE DANS UNE « UTOPIE


SECURITAIRE » ?

439. Bien que l’on puisse s’enorgueillir de ce que notre justice pénale contemporaine
soit plus évoluée, moderne et respectueuse des droits des justiciables que celle de nos
ancêtres, elle est souvent décriée. Il est même question de la « misère judiciaire ».2844 Si la
justice est rendue au nom du peuple, elle est en effet loin d’être appréciée. Elle serait
notamment trop complexe et trop éloignée des préoccupations des citoyens. Les délais
seraient trop longs, les procédures trop lourdes et les coûts souvent prohibitifs.2845 L’Etat se
rend compte de ses limites pour garantir et maintenir l’ordre public. En découle une crise
d’efficience, d’efficacité et de confiance prompte à nourrir l’ère de populisme punitif.2846
Nombre de personnes se trouvent en outre menacées par ce que l’on qualifie de « temps de
l’insécurité ». L’insécurité ou en tout cas le sentiment d’insécurité, a pris du poids dans la vie
quotidienne. En effet, si la justice semble lointaine, la criminalité est un souci close to home.
Cette perception est bien évidemment nourrie par quelques affaires douloureuses, presque
signe du temps, de violence ‘gratuite’. Pensons à titre d’exemple aux affaires belges de Joe
Van Holsbeeck de 2006 et B. Bonroy de 2007.2847

2843
A. WYVEKENS et J. FAGET, La justice de proximité en Europe. Pratiques et enjeux, Paris, Edition Erès, 2001,
176p.
2844
M. BOISSAVY et Th. CLAY, Reconstruire la justice, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 12.
2845
J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05) relatif aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de
proximité et du tribunal de grande instance, fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation
et de l’administration générale de la République, www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1971.asp.
2846
A. CRAWFORD, « Public Participation in Criminal Justice », CJ Review 1999-2001,
www.leeds.ac.uk/law/ccjs/homepage.htmloc.
2847
Joe Van Holsbeeck (17 ans) a été poignardé aux heures de pointe à la gare Centrale de Bruxelles par un jeune
d’origine polonaise et son complice qui voulaient lui dérober son lecteur MP3. B. Bonroy a été mortellement blessé
par un agresseur (âgé de 18 ans) et cela probablement pour une cigarette.

469
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

440. Si de telles pages noires de notre histoire juridique soulèvent nombre de


questions, notamment quant à l’âge souvent très bas des agresseurs2848 et à l’impact des
médias, qui risquent souvent d’amplifier le sentiment d’insécurité, nous nous intéressons ici
particulièrement à la métamorphose de la politique criminelle qui en résulte. Les moyens
traditionnels de protection, manifestement obsolètes, cèdent le pas à la recherche
d’alternatives, de nouvelles réponses à l’explosion de la conflictualité et des violences. Des
réponses standardisées à un phénomène hypercomplexe ne peuvent suffire ; il faut diversifier
la palette de réponses, diminuer les distances superflues2849 et élever le degré d’implication
du public. La responsabilité partagée dans la lutte contre la criminalité étant vitale,
l’implication dans le système de criminal justice s’accroît.2850

Cette transformation va de pair avec une politique criminelle davantage orientée vers
la prévention de la criminalité qui symbolise la justice dans la cité. Le modèle nord-américain
de Community policing, où les policiers s’occupent des dérangements perturbant la vie
quotidienne2851 ainsi que l’exemple anglais de Feighourhood watches — comités de citoyens
ou collectivités locales responsables de la politique de prévention et de l’exécution des
sanctions dans la cité —, en sont les sources d’inspiration. Aux Pays-Bas existent également
des initiatives de « Justitie in de buurt » (justice dans le quartier). Pour pallier le sentiment
d’insécurité, on en appelle à la citoyenneté en investissant les citoyens en tant que partenaires
contre le crime.2852 Par le truchement de la proximité, on favorise dès lors une socialisation
du droit pénal. La justice est appelée à agir en partenariat avec des organes autres que
judiciaires. En France, ce mouvement de prévention de la criminalité et l’implication de la
société civile furent relevés par le rapport Peyrefitte de 1977 qui instaura des comités
départementaux ainsi qu’un comité national de prévention de la violation et de la
criminalité.2853 En 1982, le rapport Bonnemaison accentua le rôle des maires en préconisant
des conseils communaux de prévention de la délinquance.2854 La recommandation du Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe sur la participation du public à la politique criminelle
va dans le même sens.2855 Parmi les axes prioritaires figurent notamment la prévention de la
criminalité, la réinsertion pénale des délinquants et la promotion des mesures de substitution

2848
Infra, n° 489.
2849
D. PEYRAT, « La justice pénale de proximité : faire plus ou faire mieux ? », Gaz. Pal. du 13 oct. 2001, p. 1542.
2850
L. EDWARDS, « Public Involvement in the Criminal Justice System », CJM 2002, p. 17.
2851
M.C. RIVIER, « Les justices de proximités en droit comparé », Gaz. Pal. du 30 oct. 2003, p. 2866.
2852
G. METAIRIE, La justice de proximité : une approche historique, Paris, PUF, 2004, p. 1.
2853
Rapport A. PEYREFITTE, Réponses à la violence, Paris, La Documentation française, juill. 1977,
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/774023100/0000.pdf.
2854
Rapport G. BONNEMAISON, Face à la délinquance. Prévention, répression, solidarité, Paris, La Documentation
française, déc. 1982, http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/834037801/0000.pdf.
2855
Recommandation n° R(83)7 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la participation du public à la
politique criminelle, https://wcd.coe.int/.

470
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

aux peines privatives de liberté, telle que la peine de travail d’intérêt général.2856 Pensons en
outre aux maisons de justice (art. 7-12-1-1 COJ)2857 et aux antennes de justice.2858 En
Angleterre les anti-social behavior orders (ASBO)2859 et les citizens juries2860 s’inscrivent
dans une optique similaire. Toutes ces initiatives témoignent de la volonté de rapprocher
justice et citoyens, de faciliter l’accès au droit et d’accompagner les demandes de justice.2861

441. Hormis la proximité ‘géographique’, la proximité s’exprime également de


manière temporelle et humaine. Sur le plan temporel, il convient de rapprocher la décision
judiciaire de la commission des faits ou de la demande de justice. Toutes les mesures
alternatives aux poursuites telles que la composition pénale et la comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité en France, ou encore la procédure de transaction et la
procédure accélérée de comparution immédiate en Belgique, s’inscrivent dans cette volonté.
Humainement, la proximité permet de rapprocher les citoyens. Si l’accroissement du
contradictoire dans le procès pénal et l’avènement d’une procédure davantage participative
du point de vue de la défense en sont incontestablement le gage2862, nombreux sont
également les domaines de contractualisation et de modification de l’intervention de l’Etat.
Songeons aux formes de justice ‘douce’2863 avec les conciliateurs et médiateurs de justice.2864
Songeons également, en France aux délégués du procureur qui ont été créés par le décret du

2856
Loi française n° 83-466 du 10 juin 1983 portant abrogation ou révision de certaines dispositions de la loi n° 81-82
du 2 février 1981 et complétant certaines dispositions du code pénal et du code de procédure pénale, JORF 11 juin
1983, p. 1755 et loi belge du 17 avril 2002 instaurant la peine de travail comme une peine autonome en matière
correctionnelle et de police, MB 7 mai 2002.
2857
Loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, JORF 22
déc. 1998, p. 19343. En droit belge, les maisons de justice ont été mises en place par la loi du 7 mai 1999 modifiant
certaines dispositions du Code pénal, du Code d'instruction criminelle, de la loi du 17 avril 1878 contenant le Titre
préliminaire du Code de procédure pénale, de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l'égard des anormaux et des
délinquants d'habitude, remplacée par la loi du 1er juillet 1964, de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le
sursis et la probation, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, de la loi du 5 mars 1998 relative à
la libération conditionnelle et modifiant la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l'égard des anormaux et des
délinquants d'habitude, remplacée par la loi du 1er juillet 1964, MB 29 juin 1999, p. 24383.
2858
J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c.
2859
Ces mesures furent mises en place par la s. 1 Crime and Disorder Act de 1998. Elles ont pour objectif de cibler les
comportements anti-sociaux et incivils, tels que par exemple les graffitis.
2860
Ce type de jury se penche sur des questions importantes d’intérêt général, par exemple en ce qui concerne la santé
nationale. Il fait ainsi office de baromètre pour les politiciens et le législateur. Bien évidemment, la participation des
citoyens à la fonction de juger diffère de la collecte d’opinions auprès de citoyens dans une sorte de sondage formel et
collectif. Avec le jugement, on a aussi des responsabilités (v. à cet égard, M. HILDEBRANDT et S. GUTWIRTH, « Public
Proof in Courts and Jury Trials : Relevant for pTA Citizen’s Juries? », Science, Technology and Human Values 2008,
p. 582-604).
2861
O. ROTHE, « Justice et proximité », ISPEC 2007, p. 84-87.
2862
A. VITU, « La collaboration des personnes privées à l’administration de la justice criminelle française », l.c., p.
681.
2863
A. ROGER, « Défense de l’échevinage : l’exemple des tribunaux mixtes de commerce », JCP G 1996, Etude n°
3905, p. 71.
2864
Loi française n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, JORF 4 janv. 1993, p. 215 (art.
41-1, 5° CPP) et loi belge du 10 février 1994 organisant une procédure de médiation pénale, MB 27 avr. 1994, p.
11195 (art. 216ter CIC).

471
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

29 janvier 20012865 afin de décharger les parquets et de mettre en œuvre, sous contrôle du
procureur de la République et en son nom, des nouvelles mesures alternatives au procès, telle
que la composition pénale.2866 Ces nouveaux acteurs sont particulièrement intéressants dans
la mesure où il ne s’agit pas de magistrats de carrière mais des bénévoles indemnisés. Ni
diplôme, ni formation ne sont requis. La plupart du temps, il s’agit de policiers ou de
gendarmes à la retraite.2867

Hormis les formes alternatives à la poursuite et au jugement, il en découle que la


recherche de proximité donne également lieu à l’émergence de nouveaux acteurs, de
nouveaux ponts entre deux mondes et de nouveaux rapports qui transforment le paysage
traditionnel de la justice. Pourtant, ainsi que nous l’esquisserons ci-dessous, cette
‘horizontalisation’ de l’intervention judiciaire semble plus liée à des contingences
gestionnaires qu’à un idéal de participation démocratique des citoyens à la justice ; en
l’occurrence, elle semble sous-tendue par une inquiétude croissante quant aux capacités de la
justice à absorber l’augmentation des contentieux.2868

B — UNE PLURALITE DES MONDES JUDICIAIRES

442. « Un élément modeste »2869 de cette justice de proximité qui tente de la


représenter dans ses différentes expressions — temporelle, géographique et humaine — est le
‘juge de proximité’. Ce nouveau juge français fut mis en place par la loi du 9 septembre
20022870. Il s’agit d’un juge non professionnel qui s’ajoute au corps judiciaire ; preuve qu’il
n’y a pas une justice judicaire singulière, mais une « pluralité des mondes judiciaires ».2871
En effet, si la notion de ‘juge’ dénote une certaine spécialisation juridique, le nombre des
juges non professionnels s’accroît progressivement. Hormis les jurés populaires, il existe
notamment des juges consulaires en matière commerciale, des citoyens-juges assesseurs dans
le domaine de délinquance des mineurs, dans le domaine d’exécution des peines et de

2865
Décret n° 2001-71 du 29 janvier 2001 modifiant le code de procédure pénale (deuxième partie : Décrets en
Conseil d'Etat) et relatif aux délégués et aux médiateurs du procureur de la République et à la composition pénale,
JORF 30 janv. 2001, p. 1595.
2866
A l’exception de la mise en œuvre d'une mesure de médiation pénale (art. 41-1 à 41-3 CPP) ; v. J.-P. JEAN, Le
système pénal, o.c., p. 90.
2867
Les délégués du procureur ne peuvent pas exercer une activité judiciaire à titre professionnel, ni avoir fait l’objet
d’une condamnation, incapacité ou déchéance. Pour les conditions d’habilitation, v. les art. R 15-33-30 à 15-33-37
CPP. Bien évidemment ils doivent présenter des garanties d’impartialité et de compétence (Ch. COINTAT, Rapport n°
345 (2001-02) sur l'évolution des métiers de la justice, fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par la mission d'information (2),
www.senat.fr).
2868
A. PELICAND, « Les juges de proximité : la création difficile d’une figure judiciaire » in H. MICHEL et L.
WILLEMEZ (dir.), La justice au risque des profanes, Paris, PUF, 2007, p. 53.
2869
H. DALLE, « Le juge et la justice de proximité », Gaz. Pal. du 30 oct. 2003, p. 2878 et R. MARTIN, La juridiction
de proximité — Statut de la juridiction, statut des juges de proximité, Aix-en-Provence, Edilaix, 2004, 72p.
2870
Loi d’orientation et de programmation sur la justice du 9 septembre 2002, D. 2002, p. 2584, dite « Perben I ».
2871
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 9.

472
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

l’indemnisation des victimes de certaines infractions, des lay magistrates et des juges de
proximité.2872 Si ce mouvement socialise, voire popularise la fonction de juger, il interroge
plus particulièrement sur les frontières de la ‘professionnalisation’ et sur les finalités de la
justice.2873

Si la fonction de juger est accessible à de simples citoyens, une hétérogénéité


importante émerge ensuite quant aux différentes formes de participation citoyenne, tant sur le
plan national que sur celui du droit comparé comme cela est notamment le cas pour le jury
populaire. Ainsi, les juges non professionnels se distinguent concernant le mode de
sélection2874 et en ce qui concerne leur fonctionnement. A titre d’exemple, contrairement aux
autres juges sans robe, le juge de proximité statue, en règle générale et à l’exception de
l’article 398 alinéa 5 du Code de procédure pénale, à juge unique (art. 232-1 COJ). Une
différence émerge ensuite sur le plan du rapport avec les magistrats de carrière. Si les juges
non professionnels sont majoritaires dans certaines juridictions, ils peuvent être minoritaires
dans d’autres.2875 En ce qui concerne la raison d’être de l’usage des juges-citoyens, la variété
est aussi élevée que le nombre même des non-professionnels. La participation peut être
envisagée en tant que mouvement de démocratisation de la justice, en tant que tentative pour
restaurer la confiance ou en tant qu’ajout d’un know how technique spécifique. Elle peut être
l’expression d’une méfiance à l’égard des juges de robe ou d’une confiance accordée à
l’expertise technique de certains citoyens.2876 A l’origine de la nouvelle juridiction de
proximité se trouve la campagne présidentielle de 2002 soucieuse de la nécessité de
rapprocher les citoyens de la justice, cette préoccupation étant devenue lancinante depuis une
bonne dizaine d’années.2877 D’une part, elle cherchait à améliorer l'accès des citoyens à la
justice car « bon nombre de litiges de la vie quotidienne […] ne sont pas soumis à
l'institution judiciaire pour des raisons de coût, de démarches jugées trop complexes ou de
délais estimés trop importants » et parce que « cette situation engendre une incompréhension

2872
Infra, n° 482.
2873
H. MICHEL et L. WILLEMEZ, « Introduction » in H. MICHEL et L. WILLEMEZ (dir.), La justice au risque des
profanes, Paris, PUF, 2007, p. 7.
2874
Les jurés d’assises sont sélectionnés par le tirage au sort ; pour les conseils prud’homaux et les baux ruraux, on
s’appui sur le système électif démocratique ; pour les assesseurs des tribunaux pour enfants il s’agit d’une désignation
par le ministre de la Justice sur proposition du premier président de la cour d’appel (infra, n° 504).
2875
Si, dans les tribunaux d’application des peines belges, les juges non professionnels sont majoritaires, cela n’est pas
le cas dans la Commission française d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) ; infra, n° 482.
2876
L’avènement de la cour d’assises date d’une époque marquée par la quête de l’indépendance du juge ; il s’agissait,
en l’occurrence, de donner corps à la réaction contre les juges de robe de l’Ancien régime. Les conseils de
prud’hommes ainsi que les tribunaux de baux ruraux qui impliquent des gens issus du monde commercial et financier
mettent l’accent sur la conciliation et la confrontation d’intérêts. La CIVI, tout comme les tribunaux pour enfants
cherchent une assistance des non-professionnels particuliers par une cohabitation prolongée avec les magistrats (A.
CHRISTIN, « Jurys populaires et juges professionnels en France ou comment appréhender le jugement pénal », Genèses
2006, p. 149 ; v. C.P. MOULEVRIER, J.-N. RETIERE et Ch. SUAUD, La volonté de juger. Les juges non professionnels
du tribunal des baux ruraux, du tribunal pour enfants et de la commission d'indemnisation des victimes d'infraction,
GIP Mission de recherche Droit et Justice, 2005, p. 104 ; infra, n° 482).
2877
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Paris, Litec, 2010, p. 197, n° 157.

473
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

et un sentiment d'inadéquation de la réponse sociale et institutionnelle au besoin de


justice »2878 ; d'autre part, elle semblait poursuivre le mouvement d'ouverture de la fonction
de juger à des juges non professionnels.2879

443. A première vue, la France semble avoir propulsé un nouvel acteur sur la scène
pénale, ce qui contraste avec le droit anglais où l’archétype du juge de proximité, le lay
magistrate, est le rejeton d’une longue évolution historique. La common law semble en effet
bâtie sur un pilier participatif qui contribue largement à la création du droit. En particulier,
les magistrates datent de l’époque de Richard Cœur de Lion qui désigna les premiers
gardiens de la paix publique (justices of the peace) en 1195. Leur rôle fut ensuite consacré
par le Justice of the Peace Act de 13612880, en l’occurrence plusieurs siècles avant la
naissance de la profession légale et de la police. Depuis, les lay magistrates font
intégralement partie de la justice pénale anglaise2881, leurs compétence et rôle ayant
progressivement gagné en ampleur.2882

Pourtant en France, il ne s’agit pas non plus d’un phénomène récent, ni d’un
phénomène de mode2883. Le législateur a toujours été en quête d’une justice proche des
citoyens et dite ‘de proximité’2884, pratiquement depuis l’origine de la France bien qu’on n’ait
jamais autant parlé de proximité qu’aujourd’hui.2885 A une cadence accélérée, divers projets
virent ainsi le jour afin de réconcilier les Français avec leur justice. Notamment, en février
1994, la Commission sur la justice de proximité et les missions des juges préconisa, sous la
direction de Jean Arthuis et de Hubert Haenel, de renouer avec la justice de paix2886
remplacée par les tribunaux d’instance par l’ordonnance du 22 décembre 19582887. Dans une

2878
J. LEDARD-MOUTY, « Vers une justice approximative », Justice 2003, p. 3 et H. MOUTOUH, « La juridiction de
proximité : une tentative attendue de déconcentration judiciaire », D. 2002, p. 3218.
2879
Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité » in X, Répertoire de droit pénal et de procédure
pénale, Ed. Dalloz 2008, www.dalloz.fr.
2880
J. SPRACK, Emmins on Criminal Procedure, o.c., p. 76.
2881
B. BLACKBURN et Ph. JENKINSON, « Les « Magistrates’ Courts » en Angleterre. Une justice rendue par des édiles
de proximité », Gaz. Pal. du 7 août 1997, p. 1045.
2882
Supra, n° 60.
2883
H. DALLE, l.c., p. 2880.
2884
G. METAIRIE, o.c., p. 8.
2885
J. BEAUCHARD, « La justice judiciaire de proximité », Justices 1995, n° 2, p. 36.
2886
Créés par l’Assemblée constitutive en 1790, les juges de paix étaient les anciens juges de proximité. Proches du
justiciable, ils statuaient à juge unique, en équité, sans frais ni écritures. Leur compétence s’étendait aux domaines
civil et pénal. Ce n’est qu’en 1926, avec le mouvement de professionnalisation de la magistrature, qu’il fallait
disposer de connaissances juridiques. La transformation de la société réduisit progressivement l'activité de la justice
de paix. En matière pénale, la création des tribunaux de police (loi du 27 janv. 1873) retire aux juges de paix la
compétence de juger les contraventions (J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c.). En Belgique, les juges de
paix existent encore mais connaissent uniquement des litiges civils. Ils sont choisis parmi des juristes (docteur ou
licencié en droit) ayant une expérience professionnelle préalable. Dans d’autres pays, tels que l’Italie, l’Espagne et la
Russie, les juges de paix ont des compétences en matière civile et aussi en matière contraventionnelle (D. CHARVET et
J.-C. VUILLEMIN, Rapport du groupe de travail sur les juridictions de proximité (septembre 2003-novembre 2005) -
Bilan et propositions, Paris, Ministère de la Justice, 2005, p. 13 et s., www.justice.gouv.fr).
2887
En 1958, la volonté de réformer la justice est forte et la justice de paix est supprimée (ord. n° 58-1273 du 22 déc.
1958, JORF 23 déc. 1958, p. 11551).

474
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

optique similaire, Charles Jolibois et Pierre Fauchon2888 défendirent, en 1996, une solution
simple et originale visant au renforcement des tribunaux d'instance et à une remise à plat de
la répartition des compétences des juridictions de première instance2889 par un système calqué
sur le modèle de justice locale et rapide des magistrates’ courts2890. Un rôle pivot devrait
incomber au juge d'instance chargé de répartir les affaires entre des juges non professionnels
issus de la société civile en fonction de leur profil.

Cependant, les tribunaux d'instance ayant hérité des caractéristiques essentielles des
juges de paix2891 (accessibilité simple et proximité géographique), on s’interrogea aussitôt sur
la nécessité de créer un nouveau type de juge cloné sur le juge d’instance. En tant que
successeur du juge de paix, le juge d’instance devrait faire office de juge naturel de
proximité. De surcroît et de manière plus globale, les magistrats de carrière ne devraient-ils
pas tous présenter la vertu de la proximité ? En effet, si, dans l’approche d’Antoine Garapon,
de Julie Allard et de Frédéric Gros sur les vertus du juge, un juge professionnel est censé
prendre du recul pour mieux saisir la réalité et la vérité objective et obligé de faire preuve
d’un certain désintérêt2892 ; s’il doit respecter une certaine distance pour juger dans
l’indépendance des institutions politiques et faire preuve d’impartialité à l’égard des parties
en cause, il doit en même temps veiller à ne pas devenir impitoyable et inapte aux sentiments.
Au-delà de la distance, il faut également ménager proximité, dialogue et compassion. La
distance altère peut-être davantage le jugement que la proximité.2893 Toutefois, une trop
grande proximité n’est pas exempte de risques, dont celui d’une trop grande déjudiciarisation.
Elle serait également néfaste pour « la sérénité d’esprit du juge et par là même à la
crédibilité de la justice ».2894 « Bien juger, parfois, c’est justement introduire de la distance
là où il n’y en a pas assez ».2895 La mission de la justice consiste à trouver le juste milieu :
elle doit à la fois savoir être au palais et dans la cité.2896 Ce difficile équilibre illustre la
complexité de l’acte de juger.

2888
P. FAUCHON, Rapport n° 49 (1996-97) « Quels moyens pour quelle justice ? », fait au nom de la mission
d'information chargée d'évaluer les moyens de la justice, www.senat.fr/rap/r96-49/r96-49.html.
2889
P. FAUCHON, Rapport n° 66 (2004-05) sur la proposition de loi relative aux compétences du tribunal d’instance,
de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, fait au nom de la commission des lois,
www.senat.fr/rap/l04-066/l04-066.html.
2890
H. MOUTOUH, « La juridiction de proximité : une tentative attendue de déconcentration judiciaire », l.c., p. 3218.
2891
J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c.
2892
A. GARAPON, J. ALLARD et F. GROS, o.c., p. 35 et s. Dans le même sens R. Perrot énonce que « l’acte de juger est
un acte d’autorité qui implique un certain recul par rapport à des plaideurs imbus de leurs certitudes » (R. PERROT
« Les illusions de la proximité judiciaire », Procédures 2004, comm. 5, p. 3).
2893
D. Hume, cité par J. ALLARD lors de la conférence inaugurale du 9 octobre 2006 relative au sujet « Le jugement
entre application de la loi et l’arbitraire », Paris, Centre Pompidou.
2894
R. PERROT, « Les illusions de la proximité judiciaire », l.c., p. 3.
2895
D. Peyrat, cité par O. ROTHE, « Justice et proximité », l.c., p. 90.
2896
O. ROTHE, « Justice et proximité », l.c., p. 90.

475
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

A cet égard, la création d’un nouveau juge, dit de proximité, ne risque-t-elle pas de
dévaloriser le juge professionnel ? Pour quels motifs le juge d’instance professionnel n’a-t-il
pas été privilégié par rapport à l’instauration d’un nouveau type de juge non professionnel ?
Le non-professionnalisme contribue-t-il, d’une certaine manière, à un accroissement de la
proximité et de la qualité de la justice ? Tel qu’Antoine Vauchez et Laurent Willemez le font
remarquer, la question du rapport entre professionnels et non-professionnels, ainsi que la
question de la participation citoyenne, sont absentes en tant que telles des différentes
réformations de la justice pénale.2897 En fait, la justice de proximité intervient moins pour
« réinsuffler une légitimité populaire à la justice […] que comme une solution parmi d’autres
pour désengorger les tribunaux et recentrer le véritable juge, le magistrat
2898
professionnel ». En assurant à moindre coût un plus grand accès à la justice, les juges de
proximité permettraient d’alléger la charge des tribunaux de police et des juges d’instance2899
qui, en raison de leurs attributions étendues, peinent à faire face à un véritable contentieux de
masse, à un alourdissement des tâches ainsi qu’au manque de temps.2900 L’échec relatif de la
mission de conciliation des parties qui en découle menace leur proximité temporelle et
humaine et les éloigne de leur vocation initiale de juridiction de proximité, d’où la nostalgie
du juge de paix.2901 En effet, la disparition de celui-ci ne semble comblée ni par les tribunaux
d'instance accessibles aux justiciables, ni, en dépit de leur dévouement, par les nouveaux
acteurs dédiés à la proximité tels que les conciliateurs de justice.2902 Ainsi, la proximité
émerge comme un avatar du ‘managérialisme’ ; comme incarnation de l’exigence de
l’efficacité. En dépit de ses racines historiques, la justice de proximité a donc tout d’une
institution moderne. C’est un « retour vers le futur »2903, un nouvel intérêt pour un
phénomène ancien.

444. Il est dès lors intéressant et résolument paradoxal de constater que, dans la
première partie de notre étude, le besoin accru d’efficacité et de gestion conduit à une
marginalisation du système lourd de la participation en matière criminelle, tandis que ces
mêmes exigences sous-tendent la croissance des systèmes plus souples de participation à
d’autres échelons de la justice pénale contemporaine. Y a-t-il dès lors une évolution
commune vers le pôle opposé à celui du juge non-professionnel ; vers le magistrat de carrière
que l’on charge d’affaires d’une gravité exponentielle avec la correctionnalisation et que l’on

2897
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 55.
2898
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 256.
2899
Pour la compétence du juge de proximité, v. infra, n° 453 et s.
2900
M. VERICEL, « Réflexions sur la mise en place des juridictions de proximité », l.c., p. 2873.
2901
J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c.
2902
P. FAUCHON, Rapport n° 66 (2004-05), l.c. et A. GIUDICELLI, « Proche du justiciable, loin du droit ? De
l’administration de la preuve devant le juge de proximité », RSC 2005, p. 596.
2903
H. MOUTOUH, « La juridiction de proximité : une tentative attendue de déconcentration judiciaire », l.c., p. 3218.

476
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

décharge des affaires d’une gravité moindre ? Contrairement aux objectifs affichés, le
magistrat de carrière s’en sort-il finalement non pas dévalorisé mais plutôt renforcé ? Si les
formes de participation apparaissent de plus en plus comme des « maillons indispensables » à
la marche de la justice2904, ne s’agit-il en effet pas de poudre aux yeux ? Afin de répondre à
ces questions de portée presque accusatrices, il convient d’analyser la figure et les
attributions du juge de proximité, ainsi que ses différences par rapport au magistrate anglais.

§ 2 — LE JUGE DE PROXIMITE FRAFCAIS ET LE MAGISTRATE AFGLAIS : UFE


PARTICIPATIOF CITOYEFFE SOUS-ESTIMEE ?

445. Si le juge de proximité auquel le législateur français eut recours pour renforcer le
corps judiciaire est inspiré du modèle anglais de justice of the peace, ces deux juges divergent
quant à leurs compétences (B — Paradoxes sur le plan des compétences) et quant à
l’interprétation de la notion de non-professionnalisme. Pourtant, sous la diversité des mots
peuvent se cacher des points communs2905, parmi lesquels le plus important : dans les deux
pays le non-professionnalisme n’est pas absolu (A — Un non-professionnalisme à
relativiser). Contrairement au jury populaire, il n’est peut-être pas vraiment question de
participation des ‘citoyens’ à la fonction de juger.

A — UN NON-PROFESSIONNALISME A RELATIVISER

446. A l’instar du magistrate anglais, le juge de proximité français est avant tout un
citoyen non professionnel. Emergent toutefois de grandes différences entre les deux quant à
la notion de ‘non-professionnalisme’. Si, en droit anglais, il s’agit de bénévoles pour lesquels
aucune condition juridique n’est requise2906, le droit français exige de son juge de proximité
quand même certaines qualités juridiques ou expériences judiciaires. La fonction de juge de
proximité ne concerne que les personnes ayant un certain lien avec le monde judiciaire en
activité (avocats, juristes d’entreprise, fonctionnaires judicaires, ...) ou à la retraite (anciens
magistrats).2907 En outre, l'acquisition de connaissances juridiques est incontournable pour

2904
P. MOULEVRIER, J.-N. RETIERE et Ch. SUAUD, o.c., p. 6.
2905
M.C. RIVIER, l.c., p. 2865.
2906
En revanche, il n’est pas non plus interdit aux avocats ou juristes de briguer cette fonction.
2907
Afin de recruter le plus largement possible parmi les personnes de la société civile, cinq catégories de personnes
peuvent être recrutées en tant que juge de proximité (art. 14-17 ord. n° 58-1270 du 22 déc. 1958) : 1) d’anciens
magistrats de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif qui sont limitativement énumérés à l'art. 1 ord. du 22 déc.
1958 ; 2) des personnes âgées de 35 ans au moins qui peuvent justifier d’au moins 4 années d'exercice professionnel
dans le domaine juridique, soit par le biais de diplômes, ce qui rend la fonction accessible aux juristes d'entreprises, de
syndicats ou d'associations ainsi qu’aux universitaires, soit par l’exercice d’une profession libérale juridique et
judiciaire réglementée, tels qu’avocats, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers de justice, notaires, … (cette
catégorie est soumise à certaines interdictions en raison des principes d'indépendance et d'impartialité des juges) ; 3)
des personnes justifiant de 25 années au moins d'activités dans des fonctions impliquant des responsabilités de
direction ou d'encadrement dans le domaine juridique ; 4) des anciens fonctionnaires des services judiciaires des

477
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

accéder à la fonction de juge de proximité.2908 Si le juge de proximité français se démarque


de cette façon du modèle le plus abouti de participation citoyenne — le jury populaire —, il
se distingue également des autres juges non professionnels. Le Conseil constitutionnel a
même censuré les dispositions du projet de loi initial qui envisageaient d’élargir la fonction
de juge de proximité aux personnes « issues du domaine administratif, économique ou
social » et, par conséquent, étrangères au domaine juridique. La seule mention des qualités
professionnelles du candidat ne suffirait pas à prouver son « aptitude à rendre la justice »
avec l’impartialité et l’indépendance requises.2909 Le législateur aurait dû, selon le Conseil,
préciser le « niveau de connaissances ou d'expériences juridiques » exigé. A défaut, il ne
peut conclure qu’à la violation du principe d'égalité des justiciables devant la loi, contenu
dans l'article 6 de la Déclaration de 1789.

En pratique, et bien qu’il s’agisse, parfois, de fonctionnaires ou de conciliateurs de


justice, les avocats (ou ex-avocats) et juristes d'entreprise étaient, en 2005, majoritaires parmi
les juges de proximité (80%).2910 Cette prépondérance était toujours patente en 2007.2911 Cela
empêche toutefois d’atteindre un de ses objectifs fondamentaux, à savoir l’association d’un
nombre accru de citoyens.2912 Le non-professionnalisme du juge de proximité est dès lors à
redouter.

447. Ainsi que nous l’avons déjà observé, cela constitue une différence notable avec
les magistrates anglais. A priori accessible à tous les candidats représentatifs de la société
civile — il peut s’agir du facteur, du chef d’entreprise, de l’enseignante à l’école primaire, ...
—, ceux-ci ne disposent en effet pas nécessairement de compétences juridiques. Pourtant,
voire heureusement, le recrutement de ces citoyens-juges ne concerne ni tout le monde, ni
n’importe qui. La fonction de lay magistrate étant bénévole et non-rémunérée2913, elle n’attire

catégories A et B, dont l’expérience qualifie pour l'exercice des fonctions judiciaires, tel que les anciens greffiers et
greffiers en chef ayant exercé au sein des juridictions, de l'administration centrale et des services déconcentrés et
finalement 5) des conciliateurs de justice ayant exercé leurs fonctions pendant au moins 5 ans (v. H. MOUTOUH, « La
juridiction de proximité : une tentative attendue de déconcentration judiciaire », l.c., p. 3221 et J.E. SCHOETTL, « Les
juges de proximité passent pour la troisième fois rue de Montpensier », (note sous Cons. const. 20 janv. 2005), PA
2005, n° 23, p. 7). Pour le profil sociologique et les motivations pour devenir juge de proximité, v. A. PELICAND et J.-
Ph. TONNEAU, Les juges de proximité : une étude de recrutement, MSH et CENS, mars 2009, 126p.
2908
Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.
2909
Cons. const. n° 2003-466 du 20 févr. 2003, JORF 27 févr. 2003, p. 3480, n° 14.
2910
Les anciens magistrats représentaient 8,5% de l'ensemble des juges de proximité en fonction. Les personnes
justifiant de 25 années au moins d'activités dans des fonctions impliquant des responsabilités de direction ou
d'encadrement dans le domaine juridique représentaient 6,5% ; les fonctionnaires 1,5% et les conciliateurs 3,6%
(Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.).
2911
R. PIASTRA, « Actualité de la justice de proximité (A propos du rapport Charvet sur la juridiction de proximité) »,
l.c., p. 2).
2912
M. LERNOUT, « Les premiers juges de proximité entrent en fonction », Gaz. Pal. du 30 oct. 2003, p. 2854-2855.
2913
Les magistrates reçoivent seulement le remboursement de certains frais de déplacement, de repas et de perte
directe de salaire (s. 10 JPA 1997 et s. 15 CA 2003). Cela met clairement en exergue leur caractère volontaire.
Pourtant, la position de lay magistrate, considérée comme un grand honneur, est très prisée en Angleterre.

478
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

en effet que ceux qui peuvent temporairement se libérer de leur emploi2914 et s’avère
dissuasive pour nombre de postulants.2915 Nombreux sont d’ailleurs les freins à la
participation volontaire : manque de temps, obligations familiales, difficultés
professionnelles, ... En réalité, les magistrates anglais sont essentiellement issus des classes
et tranches d’âge moyennes. Ils ont réussi dans leur carrière et font preuve de maturité,
d’équité et d’indépendance.2916 Pour mieux saisir la justice locale, le droit anglais ajoute une
contrainte géographique : seuls les hommes et femmes résidant et travaillant dans la
circonscription judiciaire de la magistrates’ court peuvent faire acte de candidature. En
revanche, une quasi-obligation de non résidence s’impose aux juges de proximité français
afin d’éviter toute interférence entre vie personnelle et professionnelle2917.

448. Une deuxième différence se dégage sur le plan du fonctionnement. Afin


d’encadrer les citoyens-juges dans leur fonction de juger et, dans une certaine mesure, de
rationaliser ainsi leur implication, le droit anglais a instauré des garde-fous spécifiques.
Ainsi, et contrairement au juge de proximité français, les magistrates siègent toujours en
collégialité, soit dans un collège de trois juges non professionnels, soit en formation
d'échevinage, avec un district judge professionnel qui, rappelons-le, est en pleine
ascension.2918 Ils sont en outre assistés par un professionnel du droit (le justices clerk ou
court legal adviser)2919, qui remplit un rôle cardinal. Celui-ci endosse le rôle de greffier-
conseiller. Il conseille les citoyens-juges sur les points de droit et de procédure et les aide à
formuler des motivations2920. Penser que les magistrates pourraient prendre eux-mêmes une
décision sur le droit relèverait en effet de la fiction légale. Toutefois, le clerk ne peut
intervenir qu’à la demande des lay magistrates et ceux-ci ne sont pas obligés d’accepter son
avis.2921 Sur les faits, le clerk n’a ensuite aucun pouvoir ; ceux-ci relèvent en effet de
l’appréciation des juges non professionnels.2922 Dépourvu d’autorité, le clerk ne peut ni
délibérer avec les magistrates, ni voter.2923 Contrairement au jury populaire, il s’agit dès lors
d’une participation encadrée.

2914
Les magistrates anglais travaillent au moins 26 demi-journées par an et effectuent en moyenne environ 35
sessions par an (B. BLACKBURN et Ph. JENKINSON, l.c., p. 1044).
2915
B. BELL et Ch. DADOMO, « Les Magistrates’ Courts : un modèle de justice de proximité pour la France ? », RSC
1996, p. 614.
2916
A.J. BULLIER et F.J. PANSIER, « Les magistrates », Gaz. Pal. du 12 avr. 2003, p. 851 et G. WILLIAMS, o.c., p. 351.
Les policiers, militaires et les personnes ayant commis de graves crimes sont exclus.
2917
Infra, n° 450.
2918
Supra, n° 62 et infra, n° 455.
2919
Le clerk doit en théorie disposer de 5 ans de qualifications légales. Pourtant en pratique, seuls certains sont des
barristers/sollicitors (P. DARBYSHIRE, « Magistrates » in M.J. McCONVILLE et G. WILSON, The Handbook of the
Criminal Justice Process, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 304) ; v. également supra, n° 62 et 100.
2920
J.P. GOFFINON, « Les juges de paix anglais », Journ.proc. 1999, n° 373, p. 11.
2921
T. INGMAN, The English Legal Process, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 49.
2922
A.J. BULLIER et F.J. PANSIER, l.c., p. 851.
2923
Pourtant, son emprise et ses pouvoirs ne cessent de croître. Pour une critique, v. P. DARBYSHIRE, « A Comment on
the Powers of Magistrates Clerks », Crim. L.R. 1999, p. 377.

479
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Un autre garde-fou concerne la formation impérative des lay magistrates. Ils


bénéficient notamment d’une formation sur les principes de base concernant le droit et les
preuves, les différents types de sanctions, le rôle et les spécificités des différents acteurs de la
justice. Sur le plan pratique, des visites aux cours et tribunaux sont organisés. Pour siéger
dans la youth court, il faut par ailleurs avoir bénéficié d’un apprentissage spécifique. En
France, les juges de proximité sont également censés suivre une formation de douze jours qui
comprend un enseignement sur les principes fondamentaux relatifs à la profession de
magistrat (déontologie), à la procédure (principes de la procédure et fonctionnement des
juridictions), aux techniques judiciaires (tenue d'une audience, technique de rédaction des
jugements).2924 En poste, ils doivent suivre une formation continue de cinq jours par an,
obligatoire pendant les trois premières années (art. 35-13 décret 7 janv. 1993, modifié par
décret 4 janv. 2007). En vertu de la loi du 5 mars 2007 les candidats sont soumis à un stage
probatoire, qui comporte un stage en juridiction.2925

449. Malgré cette formation limitée, le juge de proximité, recruté sans concours, est
censé décider selon la même procédure et par les mêmes moyens que les magistrats de
carrière. La procédure ordinaire est transposable dans sa totalité aux juridictions de
proximité.2926 En effet, « les règles concernant la compétence, l'organisation et le
fonctionnement de la juridiction de proximité statuant en matière pénale sont fixées par le
Code de procédure pénale et, en ce qui concerne les mineurs, par l'ordonnance n° 45-174 du
2 février 1945 relative à l'enfance délinquante » (art. 231-6 COJ). C’est précisément la raison
pour laquelle le Conseil constitutionnel a validé cette juridiction.2927 Le juge de proximité
doit donc bien maîtriser les règles procédurales, même pour juger une petite affaire. A titre
d’exemple, la question des preuves s’administre selon les mêmes règles et avec les mêmes
restrictions que devant le tribunal de police. Une méconnaissance de l’article 537 du Code de
procédure pénale qui déroge à la liberté de preuves (art. 427 et art. préliminaire CPP) ainsi

2924
Art. 35-9 et 35-10 du décret 7 janvier 1993, remplacés par décret 4 janvier 2007, JORF 6 janv. 2007. A titre
exceptionnel, la durée de la formation peut être réduite en fonction de l’expérience du candidat.
2925
Loi n° 2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, JORF
6 mars 2007, p. 4184. À titre exceptionnel, en fonction de l’expérience du candidat, le CSM peut dispenser celui-ci de
la formation probatoire.
2926
Une des règles fondamentales du procès pénal est par exemple que « le prévenu ou son avocat auront toujours la
parole en dernier » (art. 460 CPP auquel renvoie l’art. 536 pour le tribunal de police et la juridiction de proximité). La
méconnaissance de cette règle par la juridiction de proximité est sanctionnée par la Cour de cassation (Crim. 18 oct.
2006, Bull. crim. 251). La représentation de l’avocat n’est toutefois pas nécessaire.
En droit anglais, les magistrates qui jugent tant des questions de fait que du droit et statuent à la différence des jurés
de la cour d’assises tant sur la culpabilité que sur la peine, appliquent la procédure accusatoire. En cas de plaider
coupable, ils appliquent une procédure succincte qui mène directement à la peine. Pour la détermination de la peine, il
existe des directives spécifiques.
2927
Puisque les règles en vigueur sont celles qui sont applicables aux tribunaux de police, il n’y a pas de violation de
l'art. 16 DDHC (Cons. const. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, JORF 10 sept. 2002, p. 14953, n° 17 et n° 51 pour ce
qui concerne les principes constitutionnels propres à la justice des mineurs qui ont également été transférés (H.
MOUTOUH, « La juridiction de proximité : une tentative attendue de déconcentration judiciaire », l.c., p. 3220)).

480
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

qu’à l’intime conviction en disposant que les contraventions sont prouvées soit par procès-
verbal soit par témoins et qui font foi jusqu’à preuve contraire, doit alors nécessairement
donner lieu à une violation.2928 La force probante qui s’attache au procès-verbal interdit en
effet de faire naître dans l’esprit du juge le doute qui doit normalement profiter au
prévenu.2929

Il n’est dès lors pas étonnant que cette nouvelle juridiction fasse couler beaucoup
d’encre et éveille amertume et inquiétudes, surtout au sein d’un corps judiciaire prompt à
accuser le nouveau juge d’amateurisme. S’il s’avère « proche du justiciable », est-il en effet
« loin du droit » ?2930 En d’autres termes, la justice de proximité donne-t-elle lieu à une
justice ‘approximative’ ? Hormis ses profils disparates, on s’interroge en particulier sur
l’aptitude du juge de proximité à respecter le principe du contradictoire et la nécessité de
motiver. Malgré leurs qualifications juridiques ou expérience judiciaire, la réprobation
corporatiste de la part de la magistrature est grande. « Un front s’est constitué qui a montré
que la magistrature se vivait comme une forteresse assiégée ».2931 Infimes sont ceux qui
jugent, en revanche, que la technicité ne constitue pas un souci, les affaires portées devant la
juridiction de proximité ne requérant pas d’éminents juristes, mais avant tout des hommes
probes.2932

450. S’agit-il au fond alors de vrais juges ? Sur le plan de la dénomination, le droit
anglais opère une distinction entre le terme « judge », exclusivement utilisé pour désigner des
professionnels, et celui de « magistrate » que l’on réserve aux non-professionnels. Mais
contrairement à ce que cette terminologie suggère2933, ces derniers ne sont pas des
‘magistrats’ au sens français du terme. En droit anglais, il ne s’agit pas d’un corps de
fonctionnaires siégeant dans des juridictions inférieures. En droit français, il s’agit bien d’un
‘juge’ de proximité ainsi que l’atteste son statut qui relève de la loi organique du 26 février

2928
A. GIUDICELLI, « Proche du justiciable, loin du droit ? De l’administration de la preuve devant le juge de
proximité », l.c., p. 596.
2929
Ibid.
2930
Ibid. « Fi leur formation insuffisante, ni leur profil professionnel, ni le fait qu’ils jugent le plus souvent en dernier
ressort et pour les litiges de moindre valeur, ne permettent de valider ce système. Et que dire de certaines décisions
comme celle-ci : ‘X est effectivement coupable d’un excès de vitesse, en foi de quoi je le relaxe au bénéfice du
doute’ ». Il conviendrait alors mieux de supprimer ou de remplacer ces juges (M. BOISSAVY et Th. CLAY, o.c., p. 168-
169). Moins radical, l’Equipe de Recherche pour la Politique criminelle de Montpellier I propose de prévoir le renvoi
de l’affaire au tribunal de police statuant en tant que juridiction de proximité lorsque le juge de proximité se heurte à
une difficulté juridique sérieuse portant sur l’application d’une règle de droit et cela d’office ou à la demande du
ministère public, du prévenu, de la partie civile (D. THOMAS et A. PONSEILLE, Les juges de proximité - Synthèse,
Université de Montpellier I, GIP Mission de recherche Droit et Justice, nov. 2008, p. 10).
2931
Ph. BILGER, Pour l’honneur de la justice, Paris, Flammarion, 2006, p. 110.
2932
V. la synthèse de V. FORTIER, M. FABRE, D. BRUNEAU, A. BIDOT et C. SIMONET, Le juge de proximité, une
nouvelle offre de justice ?, Mission de recherche Droit et Justice, avr. 2007.
2933
B. BLACKBURN et Ph. JENKINSON, l.c., p. 1043 ; aux yeux de certains praticiens seuls les juges de la Crown Court
semblent être des « real judges » (A. MCBRIDE, o.c., p. 32).

481
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

20032934. Le juge de proximité n’est pourtant pas membre du corps judiciaire. Il ne porte pas
la robe2935. L’absence de cette caractéristique vestimentaire sur laquelle se fonde entre autres
le législateur pour opérer une distinction (art. 331-7 COJ), rend le contact moins solennel et
conforte l’impression de proximité. Mais « s’il suffit de déshabiller le juge pour lui accorder
la proximité, le signe est bien mince ».2936

Bien évidemment, à l’instar des magistrats de carrière, les juges non professionnels
sont censés être objectifs, indépendants et impartiaux ainsi que l’avance le Conseil
constitutionnel pour évaluer la conformité de la nouvelle juridiction de proximité avec la
Constitution.2937 Afin de garantir leur indépendance, les juges de proximité sont nommés
pour une durée de sept ans non renouvelable et selon une procédure de nomination
particulière (art. 41-19 al. 1 ord. 22 déc. 1958).2938 A la différence des magistrats
professionnels, le juge de proximité n’exerce cette fonction qu’à titre temporaire. Si, selon la
décision du Conseil constitutionnel du 20 février 2003, les juges de proximité doivent être
soumis aux mêmes droits et obligations que les magistrats de carrière, c’est « sous réserve
des dérogations et aménagements justifiés par le caractère temporaire de leurs fonctions et à
leur exercice à temps partiel ».2939 Par dérogation au premier alinéa de l'article 8 de
l'ordonnance du 22 décembre 19582940 les juges de proximité peuvent donc exercer une autre
activité professionnelle (art. 41-22 al. 1 ord. 22 déc. 1958).

2934
Loi organique n° 2003-153 du 26 février 2003 relative aux juges de proximité, JORF 27 févr. 2003, p. 3479. Cette
loi a été promulguée après la réserve émise par le Conseil constitutionnel lors de la validation de la loi de 2002. En
vertu de cette réserve, le législateur devait en particulier déterminer les règles relatives au recrutement et au statut de
ces futurs juges dans une loi qui garantit l’impartialité, l’indépendance et la capacité appropriée aux fonctions de
proximité « permettant de satisfaire au principe d'indépendance […] et aux exigences de capacité découlant de
l'article 6 de la Déclaration de 1789 » (Cons. const. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, JORF 10 sept. 2002, p. 14953,
n° 15).
2935
Le juge de proximité ne peut porter qu’une médaille à l'audience et lors des cérémonies publiques. Parmi les
autres juges non professionnels, certains portent la robe, tel que les juges consulaires du tribunal de commerce ainsi
que les parlementaires de la Cour de Justice de la République. Les conseillers prud’homaux, pour leur part portent un
insigne tandis que les assesseurs aux tribunaux pour enfants ainsi que les jurés de la cour d’assises ne portent aucun
signe distinctif (P. CHEVALIER et T. MOUSSA, « Le décret relatif à la juridiction de proximité », JCP 2003, Etude n°
181, p. 2129 ; v. également J.S. BOEDELS, « Le costume des juges de proximité », Gaz. Pal. du 22 mai 2003, p. 1472).
2936
R. MARTIN, o.c., p. 7.
2937
Cons. const. n° 2003-466 DC du 20 févr. 2003, JORF 27 févr. 2003, p. 3480, n° 4.
2938
A l'instar des magistrats professionnels, les juges de proximité sont nommés par décret du Président de la
République sur proposition du garde des Sceaux et après avis conforme de la formation compétente du CSM. Ils
bénéficient en outre d’une inamovibilité temporaire (art. 41-20 al. 3 ord. 22 déc. 1958).
La durée de sept ans est identique à celle des magistrats à titre temporaire (art. 41-12 al. 1 ord. 22 déc. 1958). Une fin
prématurée n’est possible qu’à la demande du juge de proximité en question ou en cas de sanction disciplinaire.
Remarquons que les juges de proximité sont évalués tous les deux ans (R. MARTIN, o.c., p. 33 et s.). Cette évaluation
obéit quasiment aux mêmes règles que celles qui sont applicables aux magistrats de carrière (art. 12-1 ord. 22 déc.
1958). Bien évidemment les juges de proximité ne peuvent recevoir aucun avancement de grade.
2939
Cons. const. n° 2003-466 DC du 20 févr. 2003, JORF 27 févr. 2003, p. 3480, n° 5. Le juge de proximité français
exerce ses fonctions à 10% d’un plein temps : il est en effet prévu le recrutement de 3.300 juges de proximité pour
accomplir le travail qu'auraient effectué 330 magistrats de carrière à temps plein (R. MARTIN, o.c., p. 39 et s.).
2940
En vertu de cette disposition, « l'exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l'exercice de toutes
fonctions publiques et de toute autre activité professionnelle ou salariée ».

482
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Ainsi que nous le verrons ultérieurement, le Conseil constitutionnel avait déjà, dans
les années 1990, autorisé l’usage de juges à titre temporaire n’appartenant pas au corps
judiciaire, à condition que ceux-ci présentent des garanties appropriées d’indépendance et
qu’ils soient soumis aux mêmes droits et obligations que les magistrats de carrière (bien
qu’ils exercent leur profession à titre temporaire).2941 Bien évidemment, le cumul des
fonctions obéit à certaines conditions et emporte certaines conséquences.2942 Dans deux cas
de figure, le renvoi du litige devant un autre juge de proximité du ressort du tribunal de
grande instance est prévu : « lorsque le litige présente un lien avec leur activité
professionnelle » (ce qui peut se produire fréquemment, au regard des professions visées par
les conditions de recrutement) et « lorsqu'ils [les juges de proximité] entretiennent ou ont
entretenu des relations professionnelles avec l'une des parties » (art. 41-22 al. 4 ord. 22 déc.
1958).2943

Hormis la temporalité de leur fonction, les juges de proximité français ne reçoivent


qu’une indemnité de vacation forfaitaire (art. 41-21 ord. 22 déc. 1958).2944 Leurs frais de
déplacement ainsi que ceux des candidats à cette fonction sont également indemnisés.2945
Mais au final les conditions financières s’avèrent peu attractives2946. En ne leur accordant que
des vacations, on dévalorise les juges de proximité et on nie leur expérience professionnelle.
En outre, pour cause de rémunération moindre, certaines catégories socioprofessionnelles
n’accèdent pas à cette fonction. Adversaires ou partisans, tous s’accordent dès lors sur la

2941
Cons. const. n° 92-305 DC du 21 févr. 1992, JORF 29 févr. 1992, p. 3122 et Cons. const. n° 94-355 DC du 10
janv. 1995, JORF 14 janv. 1995, p. 727 (H. MOUTOUH, « La juridiction de proximité : une tentative attendue de
déconcentration judiciaire », l.c., p. 3220 ; infra, n° 460).
2942
L’activité exercée ne peut pas être de nature « à porter atteinte à la dignité de la fonction et à son indépendance »
(art. 41-22 al. 1). La loi organique du 26 février 2003 prévoit certaines garanties à cet égard. Ainsi, les membres des
professions libérales juridiques et judiciaires soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est
protégé (art. 41-17, 2° ord. 22 déc. 1958), ainsi que leurs salariés, ne pourront pas exercer les fonctions de juge de
proximité dans le ressort du TGI où ils ont leur domicile professionnel, ni corrélativement effectuer un acte de leur
profession dans le ressort de la juridiction de proximité à laquelle ils sont affectés (art. 41-22 al. 1 ord. 22 déc. 1958).
Les juges de proximité « ne peuvent exercer concurremment aucune fonction d'agent public, à l'exception des
fonctions de professeur et de maître de conférence des universités » (art. 41-22 al. 2 ord. préc.). Un changement
d'activité professionnelle nécessite un réexamen (art. 41-22 al. 3 ord. préc.). Les juges de proximité ne participent pas
au fonctionnement des institutions supérieures de la magistrature (art. 20 al. 2 ord. préc.). Ainsi, ils ne peuvent être ni
membres du CSM et de la commission d'avancement, ni participer à la désignation de leurs membres (v. Ch.S.
ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.). Pour des critiques relatives à l’exercice d’une fonction
parallèle, notamment sur le plan de l’indépendance, v. R. MARTIN, o.c., p. 40.
2943
Cette décision est insusceptible de recours.
2944
Le taux unitaire est fixé à vingt-cinq dix millièmes du traitement brut annuel moyen d’un magistrat de second
grade. Le plafond annuel du nombre de vacations s’élève à 200 (art. 35-14 al. 1 décret n° 93-21 du 7 janv. 1993).
Ainsi, en vertu du circulaire 19 mai 2003, un juge de proximité perçoit au maximum 1053 € par mois, soit 9267 € par
an (circulaire 19 mai 2003 portant instructions relatives à la réception et à l'instruction des candidatures aux fonctions
de juges de proximité, Bulletin officiel n° 90). Pour les magistrates anglais, supra, note 2913.
2945
Décret n° 90-437 du 28 mai 1990, JORF 30 mai 1990.
2946
T. POTASZKIN, « Les nouveaux intervenants non professionnels de la justice pénale : juge de proximité et délégué
du procureur », Dr. pén. 2007, n° 9, p. 20. Sur le plan de rémunération, des améliorations sont à faire (Ch.S.
ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.)

483
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

nécessité d’être davantage exigeant sur la formation requise2947 et plaident pour


l’augmentation des rémunérations.2948 Il en est de même en droit anglais où la magistrates’
court est, selon Lord Bingham, « a jewel beyond price » (un bijou hors de prix) qui a
toutefois besoin d’un polishing up afin que la société se reconnaisse dans sa réflexion.2949
Ainsi, le rapport « Support magistrates’ courts to provide justice » propose d’améliorer la
procédure de recrutement pour que le magistrate soit représentatif et davantage relié à la
communauté.

451. Si, pour le droit anglais, l’implication des citoyens issus de la société civile est
bien réelle, ceux-ci ne se ‘professionnalisant’ qu’en exerçant la fonction de juger,
l’engagement de la société civile semble minime en droit français. On joue sur l’image du
profane pour bousculer une magistrature perçue comme éloignée et hermétique. Mais les
critères à remplir par les personnes souhaitant exercer les fonctions de juge de proximité
favorisent l'expérience juridique professionnelle. De facto « les carrières les plus proches de
celles des magistrats professionnels sont privilégiées ».2950 Le Conseil supérieur de la
magistrature veille tout particulièrement à recruter des candidats ayant prouvé leur capacité à
appliquer le droit et à mener les débats à l'audience. Cette exigence expliquerait partiellement
le rythme de recrutement moins rapide que celui annoncé par la loi du 9 septembre 2002,
laquelle prévoyait l'installation de près de 3.300 juges en cinq ans2951. La censure du Conseil
constitutionnel quant à l’ouverture de cette fonction à des non-juristes en témoigne
également. De cette manière, le juge de proximité se distingue non seulement de son collègue
anglais, mais également d’autres juges non professionnels français. En raison du mode de
sélection, des modalités de l’exercice de sa fonction de juge à titre temporaire et de sa
rémunération par vacations, ce juge sans robe n’est pas non plus assimilable au juge
professionnel. Son profil est atypique : il ne s’agit ni d’un vrai juge, ni d’un vrai profane,
mais d’une sorte de ‘citoyen-juge professionnel’. Il en découle qu’en droit français,
l’implication pure et simple de citoyens ordinaires dans la fonction de juger semble plutôt
rare2952 : soit ils sont encadrés par des professionnels dans une délibération commune, à

2947
La loi n° 2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats est
intervenue à cet égard (supra, n° 448). Le rapport effectué en mars 2005 par D. Charvet et J.-C. Vuillemin
recommande également de « donner plus de contenu à la notion de proximité », à travers, notamment, la tenue
d'audiences foraines et de transports sur les lieux. (R. PIASTRA, l.c., p. 2).
2948
R. PIASTRA, l.c., p. 2.
2949
T. GROVE, « A light on the Lay Magistracy », CJM 2002, p. 25.
2950
A. PELICAND, l.c., p. 66.
2951
La première campagne de recrutement a commencé en avril 2003 et les premiers juges de proximité sont entrés en
fonction en automne de cette année. En mars 2005, 346 juges de proximité étaient effectivement en fonction (Rapport
du groupe de travail sur les juridictions de proximité). Fin 2007 ce nombre s’élèverait à 822 juges de proximité
(www.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10030&article=12407).
2952
Les juges consulaires du tribunal de commerce sont la seule exception.

484
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

l’instar du jury français, soit, s’ils jugent seuls, ils présentent nécessairement un profil
juridique.

B — PARADOXES SUR LE PLAN DES COMPETENCES

452. Concernant les compétences, la différence entre les magistrates anglais et les
juges de proximité est encore plus nette. En Angleterre, l’immense majorité des affaires est
traitée par les lay magistrates (95%)2953, y compris celles qui requièrent des sanctions sévères
(offences triable either way, ce qui correspond généralement à notre catégorie de délits). De
plus, depuis l’abolition du grand jury (jury d’accusation), le traitement de toutes les affaires
criminelles débute devant les magistrates non professionnels2954, ce qui stupéfie notamment
les observateurs étrangers. Les lay magistrates traitent presque toutes les infractions
commises par des mineurs délinquants — pour lesquelles il faut bien évidemment respecter
quelques garanties particulières, notamment ce qui concerne le huis clos et la publicité2955 —,
à l’exception de celles qui revêtent une gravité particulière.2956 En outre, dans une formation
collégiale avec le juge professionnel de la Crown Court, ils peuvent siéger en tant que
juridiction d’appel contre les décisions de la magistrates’ court. Alors qu’ils ne sont en
principe ni juristes, ni rémunérés, les magistrates anglais traitent dès lors 99% des affaires
pénales.2957

S’il ne fait aucun doute que cette juridiction est très importante si l’on se réfère au
volume d’affaires qu’elle traite, son ascension, due au glissement important et radical du jury
vers la summary jurisdiction, est néanmoins largement méconnue.2958 Le public connaît peu
les magistrates’ courts et sous-estime la proportion d’affaires entendues et traitées par elles.
Nombreux sont ceux qui pensent que la grande majorité des affaires sont traitées par le jury.
Cette impression n’est pas seulement alimentée par la presse ; elle émane également de la
doctrine. En effet, les louanges adressées aux lay magistrates sont aussi rares que les
louanges faites au jury sont évidentes.2959 La restriction des pouvoirs du jury est souvent
même considérée comme une vraie menace pour la justice, ce qui donne l’impression que le

2953
Supra, n° 60 et s.
2954
Les magistrates prennent connaissance de toutes les infractions au stade de l’instruction (I.F. REICHERT, « The
Magistrates’ Court : Lay Cornerstone of English Justice », Judicature 1973-74, p. 138). Pour la procédure du mode of
trial, v. supra, n° 100.
2955
Infra, n° 523.
2956
B. BLACKBURN et Ph. JENKINSON, l.c., p. 1044 (infra, n° 498).
2957
Les magistrates ont également des compétences concernant sur le plan de la libération provisoire, de l’extradition
et de la perquisition.
2958
P. DARBYSHIRE, « An Essay on the Importance and Neglect of the Magistracy », Crim. L.R. 1997, p. 630.
2959
P. DARBYSHIRE, « For the New Lord Chancellor - Some Causes for Concern about Magistrates », l.c., p. 861. Pour
des caricatures des magistrats non professionnels, v. M. Nupkins (in Ch. DICKENS, The Pickwick Papers, 1836) et
Justice Shallow et Justice Silence (W. SHAKESPEARE, Henry IV, Part 2) ; J.P. GOFFINON, « Les juges de paix anglais,
de Richard Cœur de Lion à T. Blair », Journ.proc. 2003, n° 466, p. 14 et T. GROVE, « A light on the Lay
Magistracy », l.c., p. 24.

485
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

jury est supérieur aux magistrates. William Blackstone, qui partageait cette opinion, estimait
qu’il fallait abolir les magistrates’ courts en faveur des Crown Courts et du jury
populaire.2960 En dépit des changements indéniables de la justice par rapport à l’époque de
Blackstone, les études scientifiques et les académiciens continuent à présenter
malencontreusement le jury comme la juridiction ordinaire.2961 Une telle tunnel vision est
également partagée par le législateur qui développe le droit comme si les magistrates
n’existaient pas, ainsi que par la jurisprudence qui occulte le fait que les décisions, par le jeu
des précédents, doivent également être appliquées par les citoyens-juges.2962 En attribuant
une attention accrue au jury populaire dans la première partie, notre étude pourrait également
nourrir cette impression. Il est certain que la gravité et le caractère parfois choquant des
affaires traitées devant le jury, ainsi que leur couverture médiatique, jouent un rôle non
négligeable. Pourtant, la magistrates’ court connaît parfois également des affaires très
sérieuses qui, en droit continental, auraient été renvoyées devant la cour d’assises ou traitées
par une formation collégiale de trois juges professionnels du tribunal correctionnel.2963 La
responsabilité des magistrates n’est donc pas moindre comparée à celle des jurés.

453. En France, en revanche, la juridiction des juges de proximité est cantonnée aux
litiges de moindre importance. Selon l’exposé des motifs, ils sont principalement compétents
pour trancher certains petits litiges civils et pénaux qui « touchent les citoyens au quotidien »
et qui étaient auparavant dévolus aux juges d'instance et de police. A l’origine, la liste
limitative des infractions relevant de leur compétence comprenait les contraventions des cinq
classes (art. R. 53-40 CPP).2964 En pratique, ces infractions font souvent l'objet d'une
procédure d'amende forfaitaire ou peuvent être jugées selon la procédure simplifiée de
l'ordonnance pénale (art. 524 CPP).2965 Ensuite, les juges de proximité ont également acquis
la compétence pour valider les mesures de composition pénale. Afin de privilégier une
réponse pénale rapide, une composition pénale peut être proposée par un délégué du
procureur à une personne qui reconnaît avoir commis certains délits et contraventions punis,

2960
P. DARBYSHIRE, « For the New Lord Chancellor - Some Causes for Concern about Magistrates », l.c., p. 861.
2961
P. DARBYSHIRE, « An Essay on the Importance and Neglect of the Magistracy », l.c., p. 627.
2962
P. DARBYSHIRE, « An Essay on the Importance and Neglect of the Magistracy », l.c., p. 634. Les tests
jurisprudentiels sont généralement élaborés pour la procédure devant le jury. Qui préservera les juges non
professionnels des preuves illégalement obtenues ? Et quid par exemple de la procédure de trial within trial devant la
magistrates’ court (P. DARBYSHIRE, « An Essay on the Importance and Neglect of the Magistracy », l.c., p. 635-636)?
2963
Songeons à l’attentat à la pudeur, l’enlèvement, le viol et l’emprisonnement d’une fille, menacée à mort, par le
couple West. Poursuivis pour assault occasioning grieviously bodily harm et indecent assault, ils ont été condamnés à
une amende de 25 £ pour ces deux accusations par la magistrates’ court. L’accusation de viol fut retirée. Cette affaire
ne constitue pas un cas isolé (P. DARBYSHIRE, « An Essay on the Importance and Neglect of the Magistracy », l.c., p.
630-632).
2964
Il s’agit par exemple du non respect des arrêts municipaux, des violences, des tapages injurieux et nocturnes, des
mauvais traitements des animaux, des contraventions des 4 premières classes du Code de la route, Code de la santé,
… (art. R. 53-40 CPP ; pour les mineurs, v. art. 21 ord. 2 févr. 1945 relative à l’enfance délinquante).
2965
Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.

486
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

à titre de peine principale, d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement inférieure ou égale
à cinq ans.2966 Elle peut ensuite être validée par les juges de proximité (art. 41-2 CPP).2967 Il
en résulte que la composition pénale peut s’exécuter en dehors de la magistrature
professionnelle.

Avec la loi du 26 janvier 20052968, le législateur a cherché à redéfinir et à rationaliser


les compétences pénales de la juridiction de proximité dans un souci de simplification. A
cette fin, il confia à cette dernière l’ensemble du contentieux relatif aux quatre premières
classes de contravention (art. 521 al. 2 CPP ; il s’agit d’infractions que la loi punit, en vertu
de l’art. 131-13 CPF, d'une amende inférieure ou égale à 750 €) commises tant par une
personne physique, majeure ou mineure2969, que par une personne morale, en faisant du
tribunal de police2970 la juridiction des contraventions de la cinquième classe2971. Les
contraventions de la cinquième classe sont les plus graves ; ce sont les seules qui entrent en
ligne de compte au titre de la récidive et qui sont susceptibles de faire l'objet d'une inscription
au casier judiciaire.2972 Cette loi confirmait également la compétence du juge de proximité en
ce qui concerne les compositions pénales en lui attribuant désormais une compétence
propre.2973 Dès lors, il faut considérer que le juge de proximité est, de fait, compétent pour
valider les procédures de composition pénale proposées à la suite de la commission de
contraventions des quatre premières classes et que le juge de police l’est lorsque la

2966
Loi n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale, JORF 20 oct. 1999, p. 15647 et D.
1999, p. 311 (art. 41-2 CPP pour les délits et art. 41-3 pour les contraventions).
2967
P. CHEVALIER, l.c., p. 2130. En droit pénal belge existe la procédure de transaction en matière répressive (art.
216bis CIC), mais celle-ci n’implique aucune validation d’un juge de fond.
2968
Loi n° 2005-47 du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité
et du tribunal de grande instance, JORF 27 janv. 2005, p. 1409.
2969
En ce qui concerne le jugement des mineurs, les juridictions de proximité sont compétentes pour les
contraventions des quatre premières classes commises par les mineurs (art. 21 in fine ord. 2 févr. 1945). A l'instar du
tribunal de police, le juge de proximité pourra, soit admonester le mineur (sauf si celui-ci a moins de 13 ans), soit
prononcer la peine d'amende prévue par la loi. S'il estime qu'une mesure de surveillance doit être prononcée, il devra
transmettre le dossier au juge des enfants après le prononcé du jugement (S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure
pénale, Paris, Litec, 2010, p. 198, n° 158 ; infra, note 3200).
2970
B. MATHIEU, «L’extension de la compétence des juges de proximité devant le Conseil constitutionnel : une
tempête dans un verre d’eau », D. 2005, p. 449. En vertu de l'art. 521 al. 3 CPP, le tribunal de police reste pourtant
compétent pour certaines contraventions des quatre classes, parmi lesquelles la diffamation et l’injure non publique
prévue par l'art. R. 621-1 resp. R. 621-2 CPF (contraventions de 1er classe) et la diffamation et l’injure non publique
présentant un caractère raciste ou discriminatoire prévue par l'art. R. 624-3 resp. R. 624-4 CPF (contraventions de 4ème
classe). Le tribunal de police disposerait d’un régime procédural spécifique pour ces contraventions dites ‘de presse’,
prévu par la loi du 29 juill. 1881. En vert de l'art. 521 al. 4 CPP le tribunal de police est compétent en cas de poursuite
concomitante d'une contravention relevant de sa compétence avec une contravention connexe relevant de la
compétence du juge de proximité (S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 198, n° 158).
2971
Les contraventions de la 5ème classe ne représenteraient qu'un peu moins de 25% de l'ensemble des contraventions.
Ainsi, la majorité du contentieux contraventionnel incomberait aux juridictions de proximité (J.-P. GARRAUD, Rapport
n° 1971 (2004-05), l.c.).
2972
Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.
2973
Alors que l’ancien art. 706-72 CPP octroyait au juge de proximité la compétence de valider la procédure de
composition pénale, sous réserve de délégation du président du tribunal, l'art. 41-3 in fine CPP dispose que « la
requête en validation est portée, selon la nature de la contravention, devant le juge du tribunal de police ou devant la
juridiction de proximité, sauf si le juge de proximité est désigné par le président du tribunal aux fins de validation de
l'ensemble des compositions pénales contraventionnelles ».

487
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

proposition concerne la commission d'une contravention de la cinquième classe. Toutefois,


dans ce dernier cas, le juge de proximité peut également être compétent, sous réserve de
délégation à cet effet par le président du tribunal de grande instance.2974

454. Ainsi que cela fut jugé en 20022975, la loi du 26 janvier 2005 ne contredit pas,
aux yeux du Conseil constitutionnel, l’article 64 de la Constitution relatif à l'indépendance de
la magistrature.2976 L’article 64 de la Constitution2977 n'interdit pas la création de juridictions
dont les membres ne sont pas des magistrats de carrière, dans la mesure où les juges de
proximité « exercent une part limitée des compétences dévolues aux tribunaux d'instance et
aux tribunaux de police ». Le transfert des compétences des magistrats de carrière à des juges
non professionnels ne porte donc pas atteinte à l'indépendance de la magistrature. Le Conseil
constitutionnel rejette également la violation du principe constitutionnel de l'article 66 de la
Constitution2978 en vertu duquel l’autorité judiciaire est le gardien des libertés individuelles et
qui réserve la compétence de juger exclusivement aux magistrats de carrière, dès lors que les
juges de proximité n'ont pas le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté. Cela
constitue une grande différence avec le magistrate anglais qui pourra imposer, en vertu de la
CJA 2003, des peines privatives de liberté de moins douze mois.2979 Pourtant, en validant des
compositions pénales comportant notamment des mesures restrictives de liberté, les juges de
proximité exercent également le rôle de « gardien de la liberté individuelle », cette dernière
pouvant excéder la seule liberté d'aller et venir. De cette manière, le rôle du juge de proximité
dépasse incontestablement le cadre des ‘petits litiges’ de la vie quotidienne et revient, comme
cela a pu être souligné, à faire entrer ce magistrat dans la sphère de compétence du juge de
carrière2980. En outre, si la composition pénale ne fait plus intervenir un professionnel de la
justice pénale, ne faut-il pas qualifier cette réponse de ‘para-pénale’ ou ‘quasi-pénale’ ?2981

Au-delà de cette redéfinition des compétences et ainsi que nous l’aborderons


ultérieurement, la loi du 26 janvier 2005 a profondément innové en permettant au juge de

2974
Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.
2975
Cons. const. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, JORF 10 sept. 2002, p. 14953, n° 16 ; v. également Cons. const. n°
2001-445 DC du 19 juin 2001, D. 2002, somm. p. 1947, obs. V. LANISSON et JORF 26 juin 2001, p. 10125, n° 41 :
« aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle ne s’oppose à la création, par la législation organique,
de nouveaux modes de recrutement des magistrats de l’ordre judiciaire ».
2976
Cons. const. n° 2004-510 DC du 20 janv. 2005, JORF 27 janv. 2005, p. 1412, n° 3.
2977
« Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Il est assisté par le Conseil
supérieur de la magistrature. Une loi organique porte statut des magistrats. Les magistrats du siège sont
inamovibles ».
2978
« Ful ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le
respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».
2979
Supra, n° 123.
2980
C. COLENO et J.-J. BARBIERI, « De minimis curat praetor [à propos du juge de proximité] », PA 2003, n° 146, p. 6
et T. POTASZKIN, l.c., p. 20-21.
2981
T. POTASZKIN, l.c., p. 22.

488
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

proximité non professionnel de siéger en qualité d’assesseur au sein des formations


collégiales du tribunal correctionnel.2982

455. Si le nombre d’affaires traitées par le juge de proximité a spectaculairement


augmenté2983, son champ d’activité est peu important comparé à celui des magistrates
anglais. Il convient toutefois de remarquer que ces derniers, s’ils ont incontestablement gagné
du terrain sur un autre juge non professionnel, à savoir le juré, cèdent lentement des
compétences aux juges professionnels. En effet, dans les villes métropolitaines susceptibles
de juger d’un nombre important d’affaires, le droit anglais recourt davantage à des juges
professionnels ayant au moins sept ans d’expérience en tant que barrister ou sollicitor2984 :
les district judges (s. 78 Access to Justice Act de 1999 ; auparavant connus en tant que
stipendiary judges).2985 Hormis des contingences gestionnaires, pragmatiques et politiques —
accroissement du contentieux et incapacité à recruter des citoyens ordinaires2986 —, un
recours accru à ce type de juge se justifie également par une certaine méfiance éprouvée à
l’égard des citoyens-juges et, notamment, le risque de corruption ou de trafic d’influence qui
guette toute fonction bénévole. En effet, le fait que les magistrates soient traditionnellement
recrutés parmi les notables, catégorie sociale fréquemment dotée d’importants réseaux
relationnels, risque d’entamer leur représentativité et leur neutralité.2987

A la différence des lay magistrates, les district judges travaillent à plein temps et sont
rémunérés.2988 Ils peuvent juger seuls et dès lors plus rapidement. En théorie, les district
judges ont une juridiction nationale, mais ne siègent que localement en pratique, dans la
même juridiction que les magistrates qui sont dès lors dotés d’une compétence concurrente.
En l’absence de règles impératives concernant la répartition des affaires entre ces deux types
de juges, le fait d’être jugé par un juge professionnel ou par un lay magistrate est
aléatoire.2989 Cela pourrait toutefois avoir des répercussions importantes compte tenu de la

2982
Infra, n° 459 et s.
2983
Le nombre d’affaires traitées s’élevant à 42.565 en 2003, il saute à 366.841 en 2004 et à 307.295 en 2006
(Annuaire statistique de la Justice, Direction de l’Administration générale et de l’équipement, 2009, p. 135 ; J.-P.
GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c.).
2984
R.M. JACKSON, « Stipendiary Magistrates and Lay Magistrates », M.L.R. 1946, p. 2.
2985
T. INGMAN, o.c., p. 48. Les premiers Stipendiary judges en dehors de Londres et Manchester ont été autorisés par
s. 99 Municipal Corporation Act de 1835 ; v. également le Stipendiary Magistrates Act de 1863 (P. SEAGO, C.
WALKER et D. WALL, « The Development of the Professionnal Magistracy in England and Wales », Crim. L.R. 2000,
p. 631).
2986
Bon nombre de juridictions ne trouvent pas suffisamment de magistrats pour le contentieux à gérer (P. SEAGO, C.
WALKER et D. WALL, l.c., p. 650).
2987
J. LEDARD-MOUTY, l.c., p. 3. Au 18ème siècle, les magistrates étaient soupçonnés de vendre leurs peines et de trop
se fier aux policiers, d’où le cachet de ‘Police Courts’ (P. DARBYSHIRE, « For the New Lord Chancellor – Some
Causes for Concern about Magistrates », Crim. L.R. 1997, p. 862).
2988
J.P. GOFFINON, « Les juges de paix anglais, de Richard Cœur de Lion à T. Blair », l.c., p. 14.
2989
A. SANDERS, « Core Values, the Magistracy and the Auld Report », J.L.S. 2002, p. 330.

489
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

disparité présumée des sanctions et des modalités de détention provisoire.2990 Ainsi que nous
l’avons déjà avancé, les district judges prennent plutôt en charge, en pratique, les affaires
plus complexes et longues ainsi que les affaires plus sensibles.2991

456. En dépit de cette évolution et compte tenu de la portée et de l’enracinement des


juges ‘locaux’ — en 2008, il y avait environ 30.000 justices of the peace2992 —, leur
importance ne fait aucun doute. Or, il ne semble pas en être de même pour le juge de
proximité français qui empiète sur le domaine du juge d’instance. En effet, en y regardant de
plus près, il ne s’agit pas d’une grande nouveauté. Si l’on se réfère à son domaine de
compétence, il s’agit d’une juridiction jumelle du tribunal d’instance qui se place sous la
responsabilité de celui-ci. La question se pose même de savoir si ce nouvel échelon de
compétence ajouté au paysage judiciaire français2993 déjà encombré, notamment en première
instance, ne risque pas de compliquer les choses au lieu de les simplifier, d’autant qu’il y a
partage des moyens humains et matériels avec le tribunal d’instance. En effet, la juridiction
de proximité est une juridiction à part entière mais qui est privée de moyens spécifiques. Elle
n’a aucune autonomie fonctionnelle et matérielle et partage par exemple les locaux et le
greffe.2994 Une nouvelle répartition des compétences risque en outre de causer de nouveaux
conflits de compétence induisant « un contentieux parasite ».2995 En termes de bilan, les
juridictions de proximité ne semblent pas contribuer à désengorger les tribunaux d’instance ;
elles risquent plutôt de participer à la désorganisation de ceux-ci.2996 Au lieu de soulager les
juges d’instance, elles ont induit du travail supplémentaire sur le plan de la formation et de
l’organisation des audiences. De cette façon, elles paraissent donc aller à l’encontre des
objectifs ciblés lors de leur création : clarté et lisibilité des compétences et accès effectif au
juge.2997 Certes, avec une nouvelle juridiction « censée être entièrement vouée à la
proximité »2998, on donne l’impression de changer effectivement les choses. Mais la volonté
politique se contente de s’attaquer à la notion de proximité sans jamais envisager
sérieusement l’établissement d’une autre justice.2999

2990
Le prononcé d’une détention provisoire serait plus probable devant un district judge (R. MORGAN, « Magistrates :
the Future According to Auld », J.L.S. 2002, p. 314).
2991
J. SPRACK, o.c., p. 79-80 (supra, n° 62).
2992
Judicial and Court Statistics 2008, Londres, the Stationery office, 2009, p. 137.
2993
Ce n'est pas un nouveau degré de juridiction, mais une nouvelle porte d'entrée au stade de la première instance (J.-
P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c.).
2994
C. COLENO et J.J. BARBIERI, « De minimis curat praetor [à propos du juge de proximité] », l.c., p. 6.
2995
J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c. et R. MARTIN, o.c., p. 14 et s. Lorsque la juridiction de proximité
est saisie d'une affaire relevant du tribunal de police, elle doit se déclarer incompétente et renvoyer automatiquement
devant le tribunal compétent. Une règle identique est prévue lorsque le tribunal de police est saisi à tort d'une affaire
relevant de la juridiction de proximité (S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 198-199, n° 158).
2996
J. COIGNARD, « Juges de proximité cherchent occupation », Libération 17 sept. 2004.
2997
V. BUCK, « Les juges de proximité : décisions du Conseil constitutionnel », RSC 2003, p. 602.
2998
A. PELICAND, l.c., p. 62.
2999
A. PELICAND, l.c., p. 67.

490
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Les incitations à la réforme ne se firent donc pas attendre. Afin d’absorber un


contentieux pénal croissant et d’augmenter la lisibilité de l’organisation judiciaire, d’autres
pistes furent avancées telles que le renforcement des juges d'instance ; la réaffectation des
juges de proximité dans les tribunaux d’instance3000 et l'échevinage des juridictions
correctionnelles (sur le modèle du tribunal pour enfants) qui permettrait d'augmenter le
nombre d'affaires traitées sous la présidence d'un magistrat professionnel tout en répondant
au souci d'ouverture de la justice pénale vers d'autres professions.3001 Cette dernière piste, qui
s’inscrit dans une évolution générale visant à une collégialité accrue, est particulièrement
intéressante. Ainsi que nous l’esquisserons dans la section ci-dessous, elle pourrait en effet
constituer une perspective de réforme partagée entre, d’une part, le droit anglais, marqué par
une forte tradition participative — une justice locale ancrée dans les usages —, ainsi que par
une évolution vers une spécialisation accrue ; et, d’autre part, le droit français, pour lequel la
participation de non-professionnels est un phénomène ancien qui jouit actuellement d’un
regain d’intérêt. Les deux pays peuvent-ils dès lors converger vers un modèle similaire ?

Section 2
La quête de collégialité : une perspective partagée de réforme

457. Si un système pénal purement professionnel n’est pas satisfaisant, l’analyse


développée ci-dessus démontre qu’une justice purement profane, qu’elle soit dotée d’une
longue tradition ou récemment envisagée, peut également être en butte aux critiques. Ces
deux cas de figure opposés présentent chacun des avantages incontestables, mais également
nombre d’inconvénients. Les professionnels seraient certes plus à même d’affronter la
sophistication des lois, la complexification des contentieux, l’essor de la science et de la
technologie ainsi que l’accroissement des interventions et des modes d’organisation qui en
découlent. Mais la spécialisation risque inévitablement d’accentuer la distance entre la justice

3000
C'est l’une des 65 propositions de la part de la Commission Guinchard. Cette Commission fut créée le 18 janv.
2008 afin de réfléchir sans a priori et dans l’indépendance totale sur la réforme de la carte judiciaire. Dans le chapitre
sur l’organisation judiciaire, l’axe primaire visait à une simplification. Une des propositions à cet égard concerne
« l’enterrement » des juridictions de proximité — la création de cette juridiction ayant brouillé la lisibilité de la carte
judiciaire, elle est considérée comme une ‘connerie’ —, sans pour autant faire tabula rasa des juges de proximité.
Formulé positivement, la Commission Guinchard envisage le ‘mariage’ entre les tribunaux d’instance et les
juridictions de proximité. Par l’intégration, il y aurait une simplification de la justice. Les juges de proximité seraient
dans cette proposition rattachés au TGI et auraient les mêmes compétences (X, « Entretien avec Serge Guinchard :
l’ambition raisonnée d’une justice apaisée », D. 2008, p. 1749 et s. et S. GUINCHARD, lors de la conférence organisée
par l’EDDC à Paris, le 9 déc. 2008).
3001
Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.

491
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

et les justiciables.3002 Quant à la justice non professionnelle qui devrait se distinguer, de son
côté, par sa proximité, son accessibilité, sa transparence et le recours au dialogue, elle risque
de poser des problèmes en terme de performance. Il s’agit dès lors de savoir s’il ne serait pas
opportun de réunir ces deux formes de justice afin de trouver le juste équilibre entre défis et
logiques contradictoires ; entre une justice ayant naturellement vocation à devenir une justice
de proximité et une justice de plus en plus distanciée et spécialisée.3003

Confrontés au malaise de la justice pénale contemporaine, les différents systèmes


convergent en effet vers la nécessité d’une collégialité accrue. Le renforcement du travail en
équipe semble être l’un des objectifs essentiels des dernières réformes législatives. Si la
volonté de redresser la carte judiciaire témoigne incontestablement de cette quête partagée
visant notamment à une plus grande implication des simples citoyens dans la justice (§ 1 —
Un nouveau dessin de la carte judiciaire), il s’agit pourtant de savoir si cette perspective de
collaboration n’est pas utopique (§ 2 — L’illusion d’une immixtion fructueuse ?).

§ 1 – UF FOUVEAU DESSIF DE LA CARTE JUDICIAIRE

458. Le droit pénal anglais, s’il connaît effectivement trois types d’infractions, ne
dispose, rappelons-le, que de deux juridictions répressives : la Crown Court, juge naturel des
indictables offences, et la magistrates’ court, juge des summary offences. Les infractions de
la troisième catégorie, les offences triables either way, sont réparties entre ces deux types de
juridiction même si elles sont parfois trop sévères pour être confiées à l’appréciation des
seuls lay magistrates ou insuffisamment graves pour être attribuées au jury populaire. Afin
d’optimiser le traitement de ces affaires et de valoriser l’usage des juges professionnels, Lord
Auld proposa, dans sa réforme des cours pénales anglaises de 2001, d’instaurer une
juridiction intermédiaire mixte octroyant aux lay magistrates anglais le soutien d’un district
judge (B — Vers un ‘middle tier of justice’ anglais). En France, la loi du 26 janvier 2005
relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal
de grande instance3004 ouvre dans un mouvement inverse la justice correctionnelle
professionnelle au juge de proximité (A — Vers un échevinage correctionnel français).

3002
H. DALLE, l.c., p. 2880.
3003
Ibid.
3004
Loi n° 2006-64 du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité
et du tribunal de grande instance, JORF 27 janv. 2005, p. 1409. V. la proposition de loi n° 41 (J.-J. HYEST, Ch.
COINTAT et F. ZOCCHETTO) relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du
tribunal de grande instance, déposée le 26 oct. 2004. Un texte identique fut remis au bureau de l'Assemblée nationale
à l'initiative de P. Clément et collègues, ce qui illustre la convergence de vues entre les deux assemblées (Proposition
de loi n° 1900 (P. CLEMENT, X. DE ROUX, J.-L. WARSMANN, A. MARSAUD, J.-P. GARRAUD, G. GEOFFROY et E.
BLESSIG) relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande
instance, déposée le 4 nov. 2004, www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion1900.asp).

492
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

A — VERS UN ECHEVINAGE CORRECTIONNEL FRANCAIS

459. Si elle consacre le juge de proximité instauré trois ans plus tôt et tend à optimiser
son champ d’intervention, le plus grand apport de la loi française du 26 janvier 2005
concerne incontestablement la participation de ce juge non-professionnel aux formations
collégiales du tribunal correctionnel en tant qu’assesseur (art. 5 de la loi ; art. 398 al. 5 CPP).
Cette loi, entrée en vigueur le 1er avril 2005, permet notamment au président du tribunal de
grande instance de dresser avant le début de l'année judiciaire la liste des juges de proximité
de son ressort qui sont susceptibles de siéger en qualité d'assesseur.3005

460. Il convient de remarquer que l’idée d’un tel échevinage correctionnel n’est pas
entièrement nouvelle ; elle s’inscrit dans la même visée que celle du législateur français dans
les années 1990 en ce qui concerne les magistrats à titre temporaire.3006 En particulier, la loi
organique du 25 février 1992 permettait de nommer des conseillers et des avocats généraux
en service extraordinaire à la Cour de cassation, pour une durée non renouvelable de cinq
ans. Les personnes susceptibles d'être nommées doivent justifier d'au moins vingt-cinq
années d'activité professionnelle et remplir les conditions exigées pour accéder au corps
judiciaire.3007 La voie fut également ouverte aux professeurs et maîtres de conférence des
universités auprès des tribunaux de grande instance et de la cour d’appel pour une durée non
renouvelable de cinq ans. Par la loi organique du 19 janvier 1995 portant modification du
statut de la magistrature, la nomination de magistrats exerçant à titre temporaire dans les
tribunaux d’instance et les tribunaux de grande instance est rendue possible pour une durée
non renouvelable de sept ans.3008 Ainsi que nous l’avons déjà avancé, le Conseil
constitutionnel avait considéré que le statut de ces différents juges temporaires devait être
semblable à celui des juges professionnels « sous la seule réserve des dispositions spécifiques
qu'impose l'exercice à titre temporaire de leurs fonctions ».3009 En pratique, le recrutement
des magistrats temporaires fut toutefois un échec. Faute de volonté politique, la mise en place
de ce type de juges resta quasiment lettre morte.3010 On compte en effet moins d'une
3005
La désignation s'inspire du droit en vigueur (art. 710-1 COJ). Elle se fera par ordonnance prise avant le début de
l'année judiciaire (J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c.). L’art. 804 CPP exclut cette possibilité expressis
verbis pour la Nouvelle Calédonie, la Polynésie française et les îles Wallis-et-Fortuna.
3006
Loi organique n° 92-189 du 25 février 1992 modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi
organique relative au statut de la magistrature, JORF 29 févr. 1992, p. 3086. Ces magistrats peuvent exercer les
fonctions de juge d'instance ou d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux de grande instance tout en
assumant concomitamment une autre activité professionnelle (P. FAUCHON, Rapport n° 66 (2004-05), l.c.).
3007
En droit belge, l'art. 322 C. jud. dispose qu’à « défaut de juges suppléants en nombre suffisant, le président de la
chambre peut, pour compléter le tribunal, appeler à siéger un ou deux avocats âgés de trente ans au moins, inscrits
au tableau de l'Ordre ».
3008
Loi organique n° 95-64 du 19 janvier 1995 modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au
statut de la magistrature, JORF 20 janv. 1995, p. 1042 ; J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c. et H.
MOUTOUH, « La juridiction de proximité : une tentative attendue de déconcentration judiciaire », l.c., p. 3221.
3009
Cons. const. n° 94-355 DC du 10 janv. 1995, JORF 14 janv. 1995, p. 727, n° 8.
3010
Loi organique n° 92-189 du 25 février 1992 portant modification du statut de la magistrature (P. FAUCHON,
Rapport n° 120 (2004-05) sur la proposition de loi relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction

493
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

quinzaine de magistrats recrutés à titre temporaire depuis 1998. Cela n’empêche pas que ces
lois ont ouvert la porte à une plus grande participation des citoyens (bien que juristes
professionnels), un mouvement que la présente loi vient de conforter.

461. En allant plus loin dans l’histoire juridique, il s’agit de savoir si on peut y voir un
retour au projet d’échevinage généralisé qui faisait vif débat à la fin du 19ème siècle. En effet,
si l’intérêt porté au tribunal correctionnel était moindre à l’origine — celui-ci n’était qu’une
simple juridiction d’exception, toutes les infractions graves qui sont actuellement portées à sa
connaissance relevant traditionnellement de la compétence de la cour d’assises —, le 19ème
siècle révèle différents projets visant à une extension de la participation citoyenne. L’ancien
droit3011 et l’expérience dans les colonies françaises3012 jouèrent à cet égard un rôle important.
En particulier, la loi de 1791 sur la police correctionnelle envisageait, en matière
correctionnelle, le recours à un jury plus simple dont la composition fluctuerait en fonction
de l’envergure de la ville et dont la mission — juger tant du fait que du droit — s’éloignerait
des prérogatives usuellement dévolues au jury.3013 Le premier projet législatif visant à
instaurer un jury correctionnel data de 1848. Il envisageait un jury composé de huit citoyens
et présidé par un juge délégué et compétent pour toutes les affaires passibles d’une peine
correctionnelle.3014 Alors que Portalis et Dupin3015 combattirent ce projet en soulignant sa
mise en œuvre difficile, Méaulle s’érigeait en fervent partisan. Ce dernier, reconnaissant
qu’un jury correctionnel serait une nouvelle cause de dérangement pour les citoyens, souligna
que si on veut jouir des avantages de la démocratie, il faut savoir en supporter les charges.3016
Théodore Bac y voyait en outre une heureuse opportunité permettant de mettre un terme aux
abus de la correctionnalisation dont l’ampleur permettait à l’Empire de confier autant
d’infractions que possible à une « magistrature qu’il croyait tenir sous sa main ».3017 Après
la chute de Napoléon, la littérature traitant du jury correctionnel abonda, notamment avec les
propositions de Versigny (1877), Aymard-Duvernay (1880), Simon (1881), Martin-Feuillée
(1882 et 1883), Boysset (1882), St-Romme, Deluns-Montaut (1883) et Dreyfus (1884).3018 A
la différence du jury criminel, l’échevinage correctionnel, bien qu’il diffère selon les projets,
envisageait une collaboration intégrale entre les professionnels et les citoyens sur les faits et
le droit. Il mettait dès lors un terme à l’insoutenable séparation du fait et du droit et était pour

de proximité et du tribunal de grande instance, fait au nom de la commission des lois, www.senat.fr/rap/l04-120/l04-
120.html et B. MATHIEU, l.c., p. 449).
3011
R. MONICAT, Le jury correctionnel et l’échevinage, Thèse, Dijon, 1903, p. 11-34.
3012
R. MONICAT, o.c., p. 43 et s.
3013
R. MONICAT, o.c., p. 35.
3014
H. DUROS, o.c., p. 269.
3015
H. DUROS, o.c., p. 273-274 et R. MONICAT, o.c., p. 124.
3016
H. DUROS, o.c., p. 272 et R. MONICAT, o.c., p. 122-123.
3017
H. DUROS, o.c., p. 274 et R. MONICAT, o.c., p. 125-127.
3018
R. MONICAT, o.c., p. 132 et s.

494
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

cette raison particulièrement loué.3019 D’autres avantages concernaient l’influence réciproque


des deux types de juges, la motivation des décisions et la divulgation de la connaissance du
droit.3020 Ce système permettrait en outre d’économiser, de juger plus lentement et
corrélativement d’être plus rigoureux sur les preuves. Ce sont en bref les raisons qui mettent
l’échevinage au premier plan à chaque création de nouvelles juridictions et à chaque réforme
de juridictions existantes.3021 L’époque étant toutefois encore frileuse, cette réforme n’a
jamais été mise en œuvre.3022

462. Qui aurait pensé que, plus d’un siècle plus tard, le législateur français franchirait
un grand pas en direction d’un échevinage correctionnel ? Bien évidemment, la loi du 26
janvier 2005, qui permet aux juges de proximité de siéger à côté des magistrats de métier au
tribunal correctionnel, n’a pas échappé à l’attention du Conseil constitutionnel.
Premièrement, le fait qu’un non-professionnel puisse participer au prononcé d'une peine
privative de liberté porterait atteinte à l'article 66 de la Constitution3023. Ainsi que le
remarque Michel Dreyfus-Schmidt dans son amendement à la loi visant à supprimer cette
disposition novatrice, le juge de proximité peut, en cas de partage des voix au tribunal
correctionnel, entraîner la décision ou en tout cas peser sur la délibération et se prononcer
ainsi sur une peine privative de liberté.3024 De cette manière sa compétence excèdera le
domaine des « petits litiges de la vie quotidienne ».3025 La comparaison à cet égard avec les
jurés d’assises fut réfutée en raison du manque de légitimité citoyenne des juges de proximité
qui disposent nécessairement de compétences techniques et d’expériences
professionnelles.3026 Deuxièmement, le principe d'égalité des citoyens devant la justice serait
remis en cause, le président du tribunal de grande instance pouvant « choisir arbitrairement
ceux des juges appelés à remplir la fonction d'assesseur » et les justiciables pouvant être
jugés « par des formations composées différemment en raison des disparités de recrutement
des juges de proximité ».3027 En effet, ainsi que le soulignait Michel Dreyfus-Schmidt, il n’y a
pas partout des juges de proximité, de sorte que l’association de ce juge au tribunal

3019
R. MONICAT, o.c., p. 199 ; v. également Favre, Prévos-Paradol, Spuller et la Société des prisons en 1899-1900 ;
contra Soland (R. MONICAT, o.c., p. 129).
3020
R. MONICAT, o.c., p. 179 et s. et p. 187. Larnaude en revanche considérait l’introduction d’un élément profane
comme un pas en arrière, comme une importation étrangère (R. MONICAT, o.c., p. 202 et p. 207-209).
3021
R. MONICAT, o.c., p. 206 et A. ROGER, l.c., p. 71.
3022
Actuellement cette piste serait relancée par le Président de la République française en réponse à une question sur
de récents faits divers comme le meurtre d'une joggeuse par un homme déjà condamné pour viol (supra, n° 426).
3023
Supra, n° 286.
3024
Amendement n° 16 présenté par R. BADINTER, M. DREYFUS-SCHMIDT, J.-P. SUEUR, C. GAUTIER et les membres
du groupe socialiste, apparentés et rattachés ; v. également l’amendement n° 9 présenté par N. BORVO, J. MATHON, E.
ASSASSI et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen
(www.senat.fr/seances/s200411/s20041124/s20041124004.html#section991).
3025
M. VAXES in CR AN n° 131 [2] du 8 déc. 2004 (session ord. 2004-2005), www.assemblee-
nationale.fr/12/pdf/cri/2004-2005/20050094.pdf.
3026
Ibid.
3027
Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.

495
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

correctionnel n’est pas garantie de manière uniforme et l’égalité des justiciables n’est
certainement pas garantie sur ce point3028.

Par sa décision du 20 janvier 2005, ces arguments furent réfutés par le Conseil
constitutionnel. Si l'article 66 de la Constitution s'oppose à ce que le pouvoir de prononcer
des mesures privatives de liberté soit confié à une juridiction composée uniquement de juges
non professionnels, « il n'interdit pas que ce pouvoir soit exercé par une juridiction pénale de
droit commun au sein de laquelle siègent de tels juges ».3029 Pour le Conseil constitutionnel,
la présence du juge de proximité au sein d'une juridiction collégiale ne lui donne pas le
pouvoir de prononcer des peines privatives de liberté ; cela lui attribue seulement une voix
délibérative susceptible de conduire à une peine privative de liberté prononcée par le tribunal
correctionnel, au même titre que tout magistrat professionnel. Ainsi, la loi respecte
parfaitement les réserves d'interprétation précitées émises par le Conseil sur la loi du 9
septembre 20023030. Le jugement des délits continuera donc de relever du tribunal
correctionnel, et non du juge de proximité.3031 Rappelons à cet égard que le Conseil introduit
toutefois une réserve d'interprétation, en vertu de laquelle la proportion des juges non
professionnels doit rester minoritaire au sein de la formation collégiale du tribunal
correctionnel qui se prononce à la majorité des voix. Ainsi, il impose la présence de deux
magistrats professionnels à côté d'un juge de proximité dans cette formation. Contrairement
au tribunal pour enfants qui connaît deux assesseurs-juges non professionnels, l’accès au
tribunal correctionnel est dès lors limité à un seul non-professionnel (art. 331-5 COJ). Cela
exclut également qu'il puisse siéger avec un assesseur juge temporaire.3032 En outre, il ne
pourrait siéger qu'en qualité d'assesseur, sans pouvoir présider l'audience. Cette précision a
toute son importance compte tenu des prérogatives particulières du président de la formation
collégiale, lequel joue un rôle prépondérant dans la direction des débats.3033 Par ailleurs, la
limitation à un du nombre de juges de proximité siégeant en qualité d'assesseurs respecte le
cadre constitutionnel selon lequel « des personnes qui n'entendent pas pour autant embrasser
la carrière judiciaire » peuvent exercer des fonctions normalement réservées à des magistrats
de carrière, à condition que ce soit « pour une part limitée ».3034

3028
Amendement n° 16 présenté par R. BADINTER, M. DREYFUS-SCHMIDT, J.-P. SUEUR, C. GAUTIER et les membres
du groupe socialiste, apparentés et rattachés, préc.
3029
Cons. const. n° 2004-510 DC du 20 janv. 2005, JORF 27 janv. 2005, p. 1412, n° 16.
3030
Supra, n° 450.
3031
P. FAUCHON, Rapport n° 120 (2004-05), l.c.
3032
Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.
3033
P. FAUCHON, Rapport n° 66 (2004-05), l.c.
3034
Cons. const. n° 94-355 DC du 10 janv. 1995, JORF 14 janv. 1995, p. 727 et Cons. const. n° 2002-461 DC du 29
août 2002, JORF 10 sept. 2002, p. 14953.

496
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Quant au choix du président du tribunal de grande instance3035, le Conseil estime que


les risques éventuels d’arbitraire et de subjectivisme3036 et d’inégalité des citoyens devant la
loi susceptibles d’en résulter ne sont pas problématiques : les prévenus sont en effet jugés par
une formation collégiale du tribunal correctionnel qui, indépendamment de sa composition,
applique les mêmes règles de procédure et de fond.3037 La nouvelle loi n'a pas pour effet de
permettre au président de la juridiction de renvoyer une affaire de même nature soit devant
un juge unique, soit devant une formation collégiale. Les compétences du tribunal
correctionnel statuant en formation collégiale ne sont en effet pas modifiées. Le présent
article n'affecte en rien le principe de la collégialité mais se borne à diversifier la composition
de la formation collégiale. Il est donc conforme au principe d'égalité des citoyens devant la
justice.3038 De plus, la liberté du président du tribunal de grande instance quant à
l’établissement de la liste des juges de proximité de son ressort qui sont susceptibles de siéger
en qualité d'assesseur a pour finalité de lui permettre de choisir au mieux ceux qui vont
remplir cette fonction.3039 Bien évidemment ce choix doit être inspiré par le souci d’une
bonne administration.

463. Tout comme la raison d’être sous-jacente des juges de proximité, il est toutefois
stupéfiant que l’association des juges de proximité aux formations collégiales du tribunal
correctionnel soit davantage sous-tendue par la volonté de désengorger la justice et les
tribunaux d’instance, plus que par celle de favoriser la participation de non-professionnels à
l’œuvre de la justice. En effet, hormis l’incidence pédagogique et le gain en termes de
formation pour le juge de proximité qui découleraient de cette association — il bénéficiera du
savoir-faire des professionnels, ce qui améliora sa conduite à l’audience, ses réflexions
procédurales et sa connaissance de l'échelle des infractions et des peines3040 —, l'accès des
juges de proximité aux formations correctionnelles permettrait en particulier de renforcer les
capacités de traitement des affaires pénales.3041 Selon les informations fournies par le
ministère de la Justice, cette proposition répondrait à une « demande maintes fois exprimée
par les juridictions ».3042 Elle permettrait notamment de libérer des magistrats professionnels
et assurerait plus particulièrement « un retour vers le domaine de prédilection » de nombreux
juges civilistes, ayant été affectés aux tâches pénales en particulier par la création d’un appel

3035
B. MATHIEU, l.c., p. 449.
3036
J.-E. SCHOETTL, « Les juges de proximité passent pour la troisième fois rue de Montpensier », (note sous Cons.
const. 20 janv. 2005), l.c., p. 16-17.
3037
Ibid.
3038
J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c.
3039
Ch.S. ENDERLIN et J.-P. CEREE, « Juridiction de proximité », l.c.
3040
J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c. et J.E. SCHOETTL, « Les juges de proximité passent pour la
troisième fois rue de Montpensier », l.c., p. 7.
3041
J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1971 (2004-05), l.c.
3042
P. FAUCHON, Rapport n° 66 (2004-05), l.c.

497
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

en matière criminelle et la création d’un juge des libertés et de la détention.3043 De cette


façon, la proximité devient un gage d’efficacité et un synonyme d’adaptabilité et de
flexibilité.3044 Au lieu d’y voir la cristallisation du malaise de la profession judiciaire3045,
l’association du juge de proximité au tribunal correctionnel s’inscrit au fond dans la volonté
explicite de renforcer et de consacrer le magistrat de carrière pour ses tâches prioritaires. De
ce point de vue, l’attachement du Parlement au jury criminel pour les crimes semble de prime
abord paradoxal ou, pour le moins, difficile à comprendre. Toutefois, la confiscation
progressive des pouvoirs du jury et le renforcement corollaire du pouvoir des magistrats qui
en découlent, s’inscrivent parfaitement dans cette évolution.3046

464. Ce qui surprend encore davantage, c’est le fait que cette réforme n’ait pas fait
couler beaucoup d’encre. Hormis l’hostilité exprimée lors des débats parlementaires3047, la
doctrine reste quasi-muette sur cette nouveauté. Toutefois, l’association d’un non-
professionnel au tribunal correctionnel nous apparaît comme une petite révolution. Une telle
réforme est peut-être moins choquante en France compte tenu de la bonne expérience des
tribunaux pour enfants.3048 Il existe en outre un système similaire et satisfaisant dans l’une de
ses collectivités territoriales rattachées, la Nouvelle-Calédonie. En particulier, afin d’associer
la société coutumière à la justice, et compte tenu de sa diversité géographique et culturelle, le
tribunal de première instance en formation collégiale y est, depuis la loi du 13 juin 1989,
complété par deux assesseurs (art. 836 CPP).3049 Ceux-ci sont choisis pour une période de
deux ans parmi des personnes de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans,
jouissant des droits civiques, civils et de famille et présentant des garanties de compétence et
d'impartialité (art. 562-10 COJ). Ils ont une voix délibérative (art. 562-9 COJ). En pratique, il
semble que ce modèle d’association introduite par la loi du 26 janvier 2005 est peu utilisé,
compte tenu notamment du difficile recrutement des juges de proximité.3050

3043
J.-P. GARRAUD in CR AN n° 131 [2] du 8 déc. 2004 (session ord. 2004-05), www.assemblee-
nationale.fr/12/cri/2004-2005/20050094.asp. Pourtant, le fait d’atteindre à peine 600 juges de proximité en 2008
empêche qu’ils puissent véritablement contribuer au désengorgement des tribunaux.
3044
V. la synthèse de V. FORTIER, M. FABRE, D. BRUNEAU, A. BIDOT et C. SIMONET, o.c.
3045
Ibid.
3046
F. LOMBARD, l.c., p. 780.
3047
V. en particulier les amendements n° 16 présenté par R. Badinter et collègues et n° 9 présenté par N. Borvo et
collègues (supra, n° 462 et s.) et l’opposition de N. Rudloff qui redoute notamment le regard frais des juges de
proximité compte tenu de leur profil très semblable au magistrat de carrière. Elle se pose en outre des sérieuses
questions concernant la comparaison avec le tribunal pour enfants puisque celui-ci présente des caractéristiques
particulières pour remplir sa vocation éducative (Audition de N. RUDLOFF, secrétaire générale de Force ouvrière-
magistrature au Sénat, séance du 3 nov. 2004, www.senat.fr/commission/loi/lois041105.html#toc5).
3048
Infra, n° 503 et s.
3049
Loi n° 89-378 du 13 juin 1989 portant diverses dispositions relatives à l’organisation judiciaire en Nouvelle-
Calédonie, JORF du 15 juin 1989, p. 7442 (R. LAFARGUE, « La justice outre-mer : justice du lointain, justice de
proximité », RFAP 2002, p. 99).
3050
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 33.

498
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

Une appréciation positive se lit sous la plume de Serge Guinchard et Jacques Buisson.
En critiquant l’ajout de la nouvelle juridiction de proximité à l’organisation judiciaire, ceux-
ci énoncent que : « les textes aient été écrits trop rapidement [...] sans recul par rapport à
l’existant ; en outre, L’hypothèse de créer des assesseurs non professionnels des juges
d’instance, dans le cadre d’une vaste réforme de toutes les juridictions de première instance,
réunies en un seul tribunal départemental, aurait mérité d’être creusé. La loi n° 2005-47 du
26 janvier 2005 corrige partiellement ces défauts de jeunesse ».3051 En dépit des
imperfections inhérentes à toute innovation, Pierre Fauchon se félicite de la mise en place
d'un échevinage en matière correctionnelle. Il renvoie à l’initiative des années 1990 précitée
quant à l’instauration de magistrats recrutés à titre temporaire pour compléter les formations
collégiales des tribunaux de grande instance. Le Sénat avait déjà encouragé l'ouverture de
l'institution judiciaire.3052 La mixité permettrait de rétablir la collégialité pour le jugement des
délits pour lesquels le juge unique avait été institué, « mais aussi de l'enrichir en faisant
participer des citoyens porteurs d'une certaine expérience de la vie et d'un regard extérieur
non juridique ».3053 En 2002, la mission sénatoriale d'information sur l'évolution des métiers
de la justice partageait la même opinion3054. Pierre Fauchon souligne finalement que
l'actualité judiciaire a démontré que la justice correctionnelle n’est pas à l’abri des critiques.
L'échevinage étant porteur d'améliorations potentielles bienvenues, il « mérite, à tout le
moins, d'être expérimenté ».3055

465. Plus ambitieux, Matthieu Boissavy et Thomas Clay avancent dans leur ouvrage
intitulé « Reconstruire la justice » la possibilité d’une généralisation de la formule
échevinale.3056 Selon ces auteurs il s’agirait de développer des regards croisés sur les mêmes
affaires. Le système néo-calédonien pourrait servir d’exemple.3057 Qu’y aurait-il de
scandaleux à placer un conseiller-juré dans les tribunaux correctionnels aux côtés de deux
magistrats professionnels, se demandent-ils ? Lors de l’élaboration de la loi du 5 mars 2007
tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, un amendement allant dans le même
sens a d’ailleurs été déposé par Alain Marsaud en tant qu’« appel pour lancer la
réflexion ».3058 Ce dernier se félicite notamment du premier pas franchi avec l’ajout des juges
de proximité aux formations collégiales correctionnelles, mais se rend aussi compte que

3051
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Paris, Litec, 2010, p. 197, n° 157.
3052
P. FAUCHON, Rapport n° 66 (2004-05), l.c.
3053
Ibid.
3054
Ch. COINTAT, Rapport n° 345 (2001-02), l.c., p. 203 et 204.
3055
P. FAUCHON, Rapport n° 66 (2004-05), l.c.
3056
Proposition 31 (M. BOISSAVY et Th. CLAY, o.c., p. 170 et p. 232).
3057
M. BOISSAVY et Th. CLAY, o.c., p. 174.
3058
G. GEOFFROY, Rapport n° 3505 sur le projet de loi n° 3393 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale,
fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la
République, www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r3505.asp.

499
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

l’adhésion à son amendement nécessiterait de nombreuses coordinations dans le Code de


procédure pénale. Si une telle réforme fondamentale ne devrait pas être réglée par un simple
amendement, elle doit également veiller à respecter la décision précitée du Conseil
constitutionnel du 20 janvier 2005 en vertu de laquelle il serait impossible d’avoir une
majorité de juges non professionnels dans un tribunal correctionnel. En raison de ce problème
constitutionnel et de la difficile mise en œuvre procédurale, la proposition fut finalement
abandonnée. Le même sort était déjà réservé à la proposition visant, dans un mouvement
inverse, à élargir le modèle mixte en matière commerciale ainsi que l’avait naguère suggéré
Robert Badinter et comme cela existe de manière satisfaisante en Belgique.3059 Le
mouvement est donc double : d’un côté, il s’agit d’adjoindre des assesseurs non-
professionnels à des juridictions exclusivement professionnelles ; de l’autre côté il s’agit
d’associer un ou plusieurs magistrats professionnels aux juges profanes siégeant seuls afin de
renforcer leurs compétences techniques. Cela a également été envisagé de l’autre côté de la
Manche, en droit anglais, comme nous le verrons dans le point suivant.

Depuis peu, la perspective d’un échevinage correctionnel jouit d’un regain d’intérêt
avec le rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale — le ‘rapport Léger’ —, remis au
Président de la République le 1er septembre 2009. Si le comité est majoritairement favorable
à l’échevinage en matière correctionnelle dans l’objectif de rapprocher les citoyens de la
justice, les esprits sont divisés sur les rapports entre magistrats de carrière et juges non
professionnels.3060 Certains membres adhèrent à la proposition visant à créer des tribunaux
correctionnels composés d’un magistrat professionnel, d’un juge de proximité non
professionnel et d’un citoyen-assesseur. La décision du Conseil constitutionnel ne
constituerait, à leur yeux, pas un obstacle dans la mesure où la prépondérance numérique des
non-professionnels n’a jamais posé de problèmes au sein de la cour d’assises et les tribunaux
pour enfants.3061 D’autres membres du Comité ‘Léger’, en revanche, préféraient une
prépondérance des professionnels.

3059
En effet, contrairement à la procédure belge qui connaît le système mixte des juridictions sociales et
commerciales, la France consacre à l’heure actuelle un système insatisfaisant de séparation : en première instance il
n’y a que des juges consulaires, en appel il ne s’agit que des juges professionnels. Il en découle qu’« en première
instance une analyse purement technicienne et en appel une analyse exclusivement juridique présente deux fois le
risque d’analyses partielles, qui plus est contradictoires entre les deux instances puisque la probabilité de
coïncidences entre les deux analyses est réduites » (Th. CLAY, lors de son entretien avec E. FILIBERTI, « La réforme
de la justice doit être abordée sans tabou », PA 2006, n° 118, p. 4 et s.). En introduisant une mixité dans les deux
ressorts, on n’aurait dès lors qu’à gagner : « la présence de magistrats dans les juridictions consulaires, gage de
transparence et de compétence, serait relayée par l’arrivée de juges consulaires, dans les tribunaux de grande
instance et dans les cours d’appel, gage de connaissance et de compréhension des us et coutumes du commerce » (Th.
CLAY, l.c., p. 4 et s.).
3060
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 33-34.
3061
Ibid.

500
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

B — VERS UN MIDDLE TIER OF JUSTICE ANGLAIS

466. Si les juges professionnels ne sont pas nombreux en droit anglais, la volonté
d’optimiser leur usage a conduit Lord Auld à proposer une ‘middle tier of justice’ — la
District Division —, une juridiction intermédiaire entre la magistrates’ court et la Crown
Court qui consisterait en un juge professionnel3062 et deux lay magistrates.3063 Cette
juridiction serait compétente pour la plupart des affaires de gravité moyenne, ainsi que pour
les affaires triable either way qui ne sont pas suffisamment sévères pour justifier un procès
lourd et onéreux devant le jury, mais assez graves pour mériter la collégialité d’un mixed
bench.3064 La compétence punitive de cette juridiction pourrait aller jusqu’à deux ans de
privation de liberté. Pour le reste, elle emprunterait sa procédure à la Crown Court qu’elle ne
tente pas de remplacer. Pourtant, à la différence de cette dernière, la District Division jugerait
la culpabilité en collège. Il s’agit donc bien de la création d’une nouvelle juridiction. Le ratio
sous-jacent à cette mixité pour les affaires de sévérité moyenne consiste à combiner les atouts
des deux types de juges, ainsi qu’à étayer la recherche de cohérence en procédant à une
meilleure attribution des affaires.3065 De cette manière, la District division permettrait de
pallier le risque de voir de facto les clerks exercer les fonctions juridictionnelles et devenir
les véritables maîtres du tribunal. Un mixed bench permettrait également de recruter un
nombre suffisant de juges professionnels et présenterait, par une meilleure attribution des
affaires, des avantages en termes de délais et de coûts.3066 Emergent par conséquent à
nouveau des prospectives coûts-bénéfices.

Toutefois, Lord Auld envisageait encore bien une séparation entre le fait et le droit.
Dans sa proposition, le juge professionnel et les lay magistrates décideraient ensemble sur les
faits comme un tribunal unique à la majorité des voix. Toutes les voix auraient le même poids
et, les magistrates étant déjà habitués au langage juridique et à la procédure, le summing-up
ne serait pas nécessaire. De cette façon, les procès seraient plus courts et structurés, la
motivation des décisions par le juge professionnel les rendant en outre plus rationnels et
transparents. Cependant, le professionnel prendrait seul en charge les questions de la phase
préliminaire ainsi que toutes les questions de droit, de procédure, de détention et d’admission
des preuves, si nécessaire en l’absence des lay magistrates.3067 Il est évident que la procédure
en vigueur devant le jury a servi d’exemple. La détermination de la peine incomberait aussi

3062
En principe, il s’agirait d’un district judge, mais pour des affaires complexes ou des affaires impliquant des
enfants la désignation d’un High Court judge ou d’un Recorder serait possible.
3063
R. AULD, o.c., chap. 7, n° 21.
3064
R. MORGAN, « Magistrates : the Future According to Auld », l.c., p. 308.
3065
R. AULD, o.c., chap. 7, n° 26 et s.
3066
J. JACKSON, « Modes of Trial : Shifting the Balance Towards the Professional Judge », l.c., p. 257-262.
3067
R. MORGAN, « Magistrates : the Future According to Auld », l.c., p. 320.

501
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

exclusivement au juge professionnel, à l’instar de la procédure criminelle. Pour Rod Morgan,


cela reviendrait à insulter les juges non professionnels ayant exercé maintes fois et avec verve
cette mission devant la magistrates’ court. Ne seraient-ils dès lors pas non plus aptes à
remplir leur mission actuelle, s’interroge-t-il ?3068 Cette séparation est peut-être liée à des
contingences d’ordre pratique. En effet, le droit anglais permettant une scission entre la
culpabilité et la peine, le prononcé de la peine après une enquête de personnalité est ajourné
plusieurs mois après la décision sur la culpabilité, de sorte qu’il ne serait pas pratique
d’impliquer des non-professionnels dans cette décision : on pourrait difficilement leur
demander de revenir plusieurs mois après.

467. Une large partie de la doctrine a exprimé son adhésion à une telle juridiction
mixte.3069 Si la District Division autoriserait une meilleure attribution des affaires, elle
permettrait également une motivation des décisions. Le recours à des magistrats de carrière et
à des non-professionnels assurerait en outre une justice de qualité.3070 A la différence de Lord
Auld, certains proposent pourtant d’instaurer une collaboration intégrale pour les décisions
sur la culpabilité et la peine.3071 Il convient de remarquer que dans les années 1960 Glanville
Williams privilégiait déjà une solution intermédiaire consistant, à l’instar de l’exemple
allemand, en un juge professionnel et deux lay magistrates ou, pour des affaires plus graves,
en quatre ou six lay magistrates. Afin d’éviter que les professionnels ne soient outvoted,
Glanville Williams se prononçait en faveur de l’unanimité des voix.3072 Il ne s’opposait en
outre pas au fait que les assesseurs soient des experts ou des spécialistes dans certains
domaines tels que les domaines économique, financier et psychologique, ce cas de figure
étant également applicable à la justice des mineurs.

Contrairement au système français, le temps n’était pas encore mûr pour une réforme
de cette ampleur en droit anglais. La proposition d’un middle tier of justice est en effet
considérée par certains comme une façon de restreindre indirectement la portée de
l’institution du jury et, dès lors, l’équité démocratique de la justice criminelle. On reprochait
à Lord Auld de se conformer exagérément à la volonté du Gouvernement de marginaliser le
jury.3073 Selon les chiffres présentés par Lee Bridges, l’introduction d’un middle tier of
justice diminuerait le nombre de jury trials de 28.000 à 11.000 ; la charge de cette juridiction

3068
Ibid.
3069
V. notamment P. DARBYSHIRE, « Magistrates », l.c., p. 292 et s. ; R. MORGAN, « Magistrates : the Future
According to Auld », l.c., p. 308-323 ; A. SANDERS, « Core values, the Magistracy, and the Auld Report », l.c., p. 334-
341 et A. SANDERS, Community Justice : Modernising the Magistracy in England and Wales, Londres, Institute for
Public Policy Research, 2001, 50p.
3070
A. SANDERS, « Core Values, the Magistracy and the Auld Report », l.c., p. 335.
3071
R. MORGAN, « Magistrates : the Future According to Auld », l.c., p. 319.
3072
G. WILLIAMS, o.c., p. 299.
3073
A. SANDERS, « Core Values, the Magistracy and the Auld Report », l.c., p. 337.

502
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

irait de 95.000 à 27.000.3074 La District Division deviendrait la nouvelle juridiction criminelle


avec 70.000 affaires et 20.000 procès par an, ce qui poserait des questions organisationnelles
et de légitimité.3075 Certains suggèrent par conséquent de le rendre « judge-jury like » sans en
diminuer l’efficacité, ce qui témoigne à nouveau de l’attachement au système du jury
populaire.3076 Penny Darbyshire, en revanche, souligne que cette proposition ne vise pas à
abolir le jury criminel. Sur le plan quantitatif, ce dernier est déjà largement remplacé. Le jury
semble même consacré dans la mesure où il ne se penchera que sur les affaires les plus
graves.

D’autres objections parfois contradictoires concernent le rôle des juges non


professionnels dans la nouvelle juridiction : soit les justices of the peace se cantonneraient à
une fonction décorative, soit on craint de les voir perdre les qualités pour lesquelles ils sont a
priori loués et de devenir des « legal insiders » (des initiés légaux).3077 En effet, des craintes
furent énoncées à propos de la dominance du juge de carrière, quel que soit le nombre de
juges non professionnels.3078 Lord Auld ne nie pas ce risque mais, faute de preuves, il en
minimise le caractère tangible. En outre, comment procède-t-on en droit comparé et dans les
autres formations mixtes anglaises telles que la Crown Court, qui siège avec un président
professionnel et deux juges non professionnels, comme instance d’appel contre la
magistrates’ court ? Cette composition, qui prouve que la mixité n’est pas totalement
inexistante en Angleterre, est-elle dès lors synonyme de perte de temps ?
Il convient de souligner à cet égard que dans la proposition de Lord Auld comme en
droit français, les assesseurs ne seront pas de simples citoyens ; il s’agit de magistrates déjà
dotés d’une solide expérience dans la fonction de juger.3079 Loin d’être considérés comme des
« surrogate jurors » ( des ‘erszatz’ jurés), les magistrates flanqués d’un juge professionnel
aborderaient vraisemblablement l’évaluation des preuves avec davantage de
professionnalisme que les jurés populaires.3080 Une option pourrait consister en l’attribution
de la présidence à un jeune magistrat de carrière assisté par deux magistrates expérimentés.
Ce jeune magistrat pourrait assurer la qualité des décisions mais, faute d’expérience
suffisante, ne pourrait pas (encore), sur ce point, exercer une forte influence.3081 Une
formation particulière dispensée aux profanes, une structuration efficiente du délibéré, ainsi
3074
L. BRIDGES, « Conviction without principle », CJM 2001-02, p. 10-11. Selon J. Jackson, le droit à un jury périrait
meme dans approximativement 90% des affaires (J. JACKSON, « Modes of Trial : Shifting the Balance Towards the
Professional Judge », l.c., p. 257-262).
3075
L. BRIDGES, « Conviction without principle », CJM 2001-02, p. 10-11.
3076
A. SANDERS, « Core Values, the Magistracy and the Auld Report », l.c., p. 334.
3077
A. SANDERS, « Core Values, the Magistracy and the Auld Report », l.c., p. 332.
3078
P. DARBYSHIRE, « Magistrates », l.c., p. 292-293.
3079
R. MORGAN, « Magistrates : the Future According to Auld », l.c., p. 308 et A. SANDERS, « Core Values, the
Magistracy and the Auld Report », l.c., p. 336.
3080
J. JACKSON, « Modes of Trial : Shifting the Balance Towards the Professional Judge », l.c., p. 257-262.
3081
B. BELL et Ch. DADOMO, l.c., p. 618.

503
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

qu’une organisation flexible visant à faciliter le recrutement des lay magistrates, y compris
pour les procès de longue durée3082, s’avéreraient en tout cas indispensables.

§ 2 — L’ILLUSIOF D’UFE IMMIXTIOF FRUCTUEUSE ?

468. A la question de savoir si un échevinage généralisé ne relèverait pas de l’utopie,


Thomas Clay a prudemment répondu que c’est effectivement le cas, mais qu’il fait ne jamais
de mal de rêver d’une justice meilleure.3083 Si, dans une ère où prime le souci d’efficacité, il
semble bouleversant et choquant pour notre justice pénale d’introduire à chaque échelle des
juges non professionnels, il serait toutefois possible d’imaginer des arguments susceptibles de
justifier une telle révolution. La justice correctionnelle, même si elle constitue la part
majoritaire de notre justice pénale, n’est pas satisfaisante. Certes, sur le plan formel, elle
assure le respect de certaines garanties indispensables au justiciable telles que la motivation
des décisions et l’appel. Toutefois, certains garde-fous propres aux assises lui font défaut (A
— Juger les juges). En outre, si l’instauration d’un système pénal mixte semble trop radical
pour nos systèmes, il s’agit pourtant d’une réalité quotidienne, voire d’une règle de droit
commun en Allemagne (B — Le modèle allemand) ainsi que dans d’autres pays, tels que la
Norvège, la Suède, le Danemark, la Grèce, la Suisse et plus récemment le Japon. Si l’étoile
du jury pâlit à l’échelle mondiale, celle des tribunaux mixtes scintille.

A — JUGER LES JUGES

469. En dehors de la procédure d’assises, où les affaires sont mises à nues, le


traitement des affaires à l’audience est peu dynamique.3084 En premier lieu et ainsi que nous
l’avons déjà analysé, le principe de l’immédiateté des preuves — règle selon laquelle les
preuves doivent être procurées à une audience publique et contradictoire afin que le juge ne
fonde son intime conviction que sur celles dont il a vérifié lui-même la qualité3085 — ne joue
pas (pleinement) devant le tribunal correctionnel. Si le Code d’instruction criminelle ne fait
pas d’exception à cet égard, il n’est pas d’usage, au niveau correctionnel, d’entendre à
l’audience des témoins et experts. Il s’agit, rappelons-le, d’une différence notable par rapport
à la procédure criminelle.3086 En correctionnelle, le juge fonde son intime conviction sur des

3082
P. DARBYSHIRE, « Magistrates », l.c., p. 293.
3083
Th. Clay, lors de son entretien avec E. FILIBERTI, « La réforme de la justice doit être abordée sans tabou », l.c., p.
4 et s.
3084
B. DE SMET, « Het ondervragen van getuigen en deskundigen op de terechtzitting » in Y. POULLET et H. VUYE
(éd.), Liber amicorum Jean du Jardin, Deurne, Kluwer, 2001, p. 241.
3085
B. DE SMET, « Het onmiddellijkheidsbeginsel in het strafproces : een anachronisme of een waarborg voor een
kwalitatief goede rechtspleging », RW 1996-97, p. 65.
3086
Supra, n° 184 et s.

504
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

déclarations écrites collectées lors de la phase préparatoire du procès.3087 Il se base alors


essentiellement sur les procès-verbaux et les documents versés au dossier.3088 Contrairement
aux assises, les articles 153 et 190 du Code d’instruction criminelle disposent que le greffe
est obligé, en correctionnelle et devant le tribunal de police, de lire les déclarations écrites
reçues lors de la procédure préparatoire. La Cour de cassation n’a toutefois pas hésité à
prendre distance par rapport au caractère oral de l’instruction à l’audience en jugeant que les
ces dispositions ne sont pas prescrites à peine de nullité.3089 Il n’est dès lors pas obligatoire de
porter les preuves et les déclarations à l’audience dans la mesure où elles se trouvent dans le
dossier.3090 Il est en effet pratiquement impossible de refaire toute l’instruction à l’audience,
au risque d’arriéré judiciaire et de prescription. Le juge peut en outre refuser la demande
d’une des parties d’entendre des témoins dans l’intérêt de la vérité.3091 Les témoins et les
experts sont seulement entendus à l’audience si le juge estime que leurs déclarations écrites
ne lui permettent pas de se former une intime conviction.3092 Le dénouement d’une affaire
dépend donc souvent de la phase préparatoire, ce qui laisse peu de place à l’oralité de
l’audience.3093 Bien évidemment l’avalanche d’affaires pénales contribue à l’étiolement de
ces principes clés de la procédure d’assises ou empêche qu’ils puissent jouer pleinement.3094

Une telle manière de procéder a également des répercussions sur le temps consacré à
l’affaire. En l’absence des témoins, le juge professionnel peut avancer plus vite. Mais cela ne
risque-t-il pas d’être dommageable sur le plan qualitatif ?3095 Si le témoin ne se présente pas à
l’audience, des déformations ou erreurs faites à la phase préparatoire ne pourront pas être
détectées.3096 En outre, ainsi que nous l’avons déjà avancé, la communication non-verbale
peut également jouer un rôle important dans l’appréciation de la véracité des déclarations. Le
juge doit donc être en mesure d’appeler le témoin à l’audience lorsqu’il hésite quant à la
fiabilité des déclarations.3097 A défaut, il ne peut ni poser de questions supplémentaires, ni
confronter les témoins à d’autres preuves ou à la défense.3098 Il ne fait ensuite pas de doute
qu’une procédure essentiellement écrite n’inspire pas réellement confiance, tel qu’en

3087
Ibid.
3088
A. MASSET, « La procédure au stade de jugement », l.c., p. 663.
3089
Cass. 14 mars 1960, Pas. 1960, I, p. 829 et Cass. 11 mars 1986, Pas. 1986, I, p. 871.
3090
B. DE SMET, « Het onmiddellijkheidsbeginsel in het strafproces : een anachronisme of een waarborg voor een
kwalitatief goede rechtspleging », l.c., p. 66.
3091
Cass. 25 sept. 1899, Pas. 1899, I, p. 356 et Cass. 6 nov. 1985, Pas. 1986, I, p. 263.
3092
B. DE SMET, « Het ondervragen van getuigen en deskundigen op de terechtzitting », l.c., p. 241.
3093
Ibid.
3094
B. DE SMET, « Het ondervragen van getuigen en deskundigen op de terechtzitting », l.c., p. 242.
3095
R. MONICAT, o.c., p. 99.
3096
B. DE SMET, « Het onmiddellijkheidsbeginsel in het strafproces : een anachronisme of een waarborg voor een
kwalitatief goede rechtspleging », l.c., p. 75.
3097
Ibid.
3098
Ibid.

505
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

témoigne le système néerlandais. Le défaut d’administration publique des preuves, empêche


le contrôle démocratique du fonctionnement des tribunaux.

Sans refaire l’entière instruction à l’audience, il convient d’interpréter le principe de


l’immédiateté des preuves de manière flexible. Selon la pensée de Bart De Smet, le juge doit
être en mesure d’analyser à l’audience les preuves importantes et décisives, à savoir celles
qu’il estime nécessaires pour pouvoir se former une opinion. Bien évidemment, insiste-t-il, il
convient de protéger certains témoins menacés.3099 S’il y a des avantages à la participation
citoyenne, c’est peut-être parce que la présence de citoyens aux côtés d’un juge professionnel
ralentirait la cadence et permettrait, ainsi que le suggère le professeur néerlandais Marc S.
Groenhuijsen, de procéder de manière plus approfondie.

470. Hormis les défauts procéduraux, une critique adressée aux juges professionnels
concerne ensuite leur plus grand ‘ennemi’ : la routine juridique susceptible d’induire un
scepticisme regrettable. Cicéron écrivait déjà : « car lorsqu'à tout instant de nouvelles
atrocités viennent fatiguer nos yeux et nos oreilles, la pitié s'éteint dans les cœurs les plus
compatissants : à force de voir des malheureux, nous devenons insensibles ».3100 De même,
le propos tenu par Jacques-Guillaume Thouret au 19ème siècle est singulièrement d’actualité :
« autant le long exercice de la justice est utile pour former un bon juge civil, autant
l’habitude de juger au criminel y rend moins propre, en détruisant les qualités morales
nécessaires pour cette délicate fonction ».3101 Et il poursuit, « prenons un magistrat au début
de sa carrière et voyons-le deux ans après. Quel changement ! Quand il avait pour la
première fois la redoutable mission de se prononcer sur la liberté, l’honneur, les intérêts les
plus sacrés de ses semblables, il était inquiet, hésitant, minutieux jusqu’au scrupule,
épouvanté du ministère qu’il allait remplir ; les preuves ne lui paraissaient pas assez
convaincantes, assez nombreuses ; il préférait cent fois mieux courir le risque d’acquitter un
coupable que de condamner un innocent. Mais la pratique a eu vite changé ces bonnes
dispositions ; il est devenu insouciant et dur. Se décidant sur les premières impressions,
tranchant après un trop rapide examen les difficultés les plus graves, il n’a plus pour les
prévenus cette bienveillance des premiers jours qui s’est changée en indifférence, pour ne
pas dire en hostilité ».3102 En outre, persistant dans la même manière de juger, « les erreurs

3099
B. DE SMET, « Het onmiddellijkheidsbeginsel in het strafproces : een anachronisme of een waarborg voor een
kwalitatief goede rechtspleging », l.c., p. 76.
3100
M.T. CICERON, Pro Sexto Roscio Amerino, § 154 (trad. française sous la direction de M. NISARD, Œuvres
complètes de Cicéron, tome II, Paris, Librairie de Firmin Didot frères, 1840).
3101
H. DUROS, o.c., p. 289-290 et R. MONICAT, o.c., p. 96.
3102
J.-G. Thouret, cité par H. DUROS, o.c., p. 289-290 et par R. MONICAT, o.c., p. 96-97.

506
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

peuvent arriver à faire jurisprudence, et ceci soit par négligence, soit par entêtement de
caste ».3103

471. S’il ne faut pas mettre tous les juges dans le même panier, une décision
collégiale pourrait remédier au manque d’esprit frais. Une formation collégiale présente
notamment l’avantage de protéger les juges de leurs a priori, de leurs préjugés, de leurs
faiblesses ou de leurs convictions trop hâtives.3104 Elle écarterait ainsi le risque de
subjectivisme. Plusieurs regards voyant mieux qu’un3105, un échange et un délibéré commun
permettrait de croiser les points de vue et regards par une approche collective du dossier. La
discussion permettrait ainsi d’éviter des erreurs judiciaires grâce à une justice davantage
éclairée. Par ailleurs, elle permettrait de prévenir des dysfonctionnements tout en améliorant
la responsabilisation de chacun.3106 En outre, une décision émanant de plusieurs juges
bénéficierait d’une autorité accrue.

Si l’on assiste, dans la justice pénale contemporaine, à une nette évolution vers une
collégialité accrue au stade de l’instruction3107, le travail en équipe semble toutefois déjà faire
office de règle au stade du jugement. Ainsi, en France le tribunal correctionnel siège en
principe avec trois magistrats de carrière.3108 En vertu de la loi du 29 décembre 1972
modifiée et complétée par la loi du 8 février 19953109, le juge unique est exclusivement

3103
H. DUROS, o.c., p. 293 et R. MONICAT, o.c., p. 108.
3104
J.-M. HAYAT, l.c., p. 28.
3105
M. AUTESSERRE, « L’évolution française de l’échevinage au Tribunal pour enfants », RICPTS 2000, p. 193.
3106
J.-M. HAYAT, l.c., p. 28.
3107
En particulier, la collégialité au stade de l’instruction deviendra obligatoire pour toute l’information judiciaire à
partir du 1er janvier 2011, date à laquelle les nouvelles dispositions de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 entreront en
vigueur. Pour chaque instruction seront désignés trois juges, dont un jouissant d’une expérience professionnelle plus
grande (art. 83 CPP à partir du 1er janv. 2011) et qui occupera les fonctions de juge coordonateur (C. AMBROISE-
CASTEROT, « Le procès pénal, entre mythe et réalité », PA 2007, n° 139, p. 22 et s., www.lextenso.com). Dans une
première phase, des pôles de l’instruction seront mis en place afin de rompre l’isolement. Pour une critique, v.
notamment J. LEBLOIS-HAPPE, « Quelle collégialité pour l’instruction en 2010? », D. 2008, p. 2101, www.dalloz.fr.
D’autres exemples du retour en force de la collégialité concernent la création en France des pôles spécialisés, tel que
le pôle économique et financier de Paris et les JIRS.
3108
En Belgique, le tribunal correctionnel siège en principe à juge unique. Le renvoi à une chambre de trois juges est
obligatoire (art. 92 C. jud.) en cas d’appel contre les jugements rendus par le tribunal de police ; pour les crimes et
délits contre l’ordre des familles et la moralité publique (à l’exception des infractions visées aux art. 391bis, 391ter
CPB) ou pour les atteintes aux mineurs, aux incapables et à la famille (à l’exception des art. 431 et 432 CPB) ; pour
les affaires en connexité de celles qui doivent obligatoirement être renvoyées ; pour les poursuites des mineurs à
l’égard desquelles une décision de dessaisissement a été prise conformément à l’art. 57bis de la loi sur la protection de
la jeunesse en cas d’un délit ou d’un crime correctionnalisable ; pour les affaires en matière répressive relatives aux
crimes passibles d'une peine de réclusion supérieure à vingt ans. Par la loi du 3 août 1992, le système de renvoi à une
chambre de trois juges a été modifié. En vertu de l’art. 91 al. 2 C. jud., le ministère public dispose de l’opportunité de
citer devant une chambre de trois juges, tant en cas de citation directe qu’en cas de citation après renvoi par la
juridiction d’instruction et, par conséquent, également pour une convocation par PV. La même opportunité revient au
prévenu, à l’exception de la partie civile et de la partie civilement responsable. S’il est question d’une instruction
judiciaire, l’affaire est nécessairement présentée devant la chambre du conseil pour le règlement de la procédure. Le
prévenu est censé y demander le renvoi lors de sa comparution. Si le prévenu décide de ne pas comparaître devant
cette chambre, il semble perdre ce droit.
3109
Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et
administrative, JORF 9 févr. 1995, p. 2175.

507
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

obligatoire pour les délits énumérés à l’article 398-1 du Code de procédure pénale (art. 398
al. 3 et 4 CPP).3110 Pourtant, même pour ceux-ci, le jugement par formation collégiale de trois
magistrats est exigé dans deux hypothèses : lorsque le prévenu se trouve en état de détention
provisoire lors de sa comparution et lorsqu'il est poursuivi selon la procédure de comparution
immédiate quand une peine d'emprisonnement est prévue (art. 398-1 dernier al. CPP). Il est
vrai que l’option du juge unique a par la suite été étendue par les lois du 9 septembre 2002
(délit de rébellion), du 9 mars 2004 (par exemple pour le délit de racolage et l’attroupement
dans des halls d’un immeuble), du 12 décembre 2005 (délit de port et transport d’armes de la
6ème catégorie) et du 5 mars 2007 (certains délits prévus par le Code de l’environnement).
Mais depuis la loi du 23 juin 1999, l’article 398-2 du Code de procédure pénale dispose que
le juge unique peut décider, si la complexité de l'affaire le justifie, de renvoyer l'affaire
devant la formation collégiale, soit d'office, soit à la demande des parties ou du ministère
public. Cette décision est une mesure d'administration judiciaire non susceptible de
recours.3111 Cette option a été maintenue et élargie par la loi du 12 décembre 2003 qui ajoute
également comme raison de renvoi l’importance de la peine susceptible d'être prononcée, la
compétence du juge unique correctionnel étant limité à une peine d'emprisonnement ferme
d’une durée inférieure à cinq ans.

472. Si la collégialité est déjà de règle, en quoi pourrait consister la contribution des
non-professionnels ? Il nous semble qu’il s’agit de pallier l’écueil d’une collégialité purement
professionnelle. Pour Serge Guinchard notamment, il convient d’analyser « le mythe de la
collégialité » avec circonspection : le résultat escompté ne sera en effet pas automatiquement
bonifié en introduisant le travail en équipe.3112 Il faut en effet veiller à ne « pas céder à
l’illusion du texte, [...] en croyant que celui-ci induira en quelque sorte mécaniquement des
comportements vertueux rendant le système efficace ».3113 Présenté comme une panacée, le
regard pluriel solidaire et habitué risque de devenir homogène et de se figer dans une
conception unique.3114 Pour que les choses changent, il faudrait selon Janine Franseschi-
Bariani, mettre un terme à la trop grande solidarité des juges entre eux3115 ; à la propension au
corporatisme et au manque d’autocritique.3116 En réalité, c’est en abusant d’un système

3110
Le recours au juge unique semble surtout inspiré des considérations économiques et budgétaires. Pourtant, « juger
seul n’est pas forcément juger plus vite, ni mieux juger » (Y. CARDEPON, « Le juge du siège et l’évolution de la
procédure pénale : juger ou contrôler ? », Dr. pén. 2007, n° 9, p. 11 ; v. également J. ROBERT, « La loi du 29
décembre 1972 et l’évolution du droit pénal », JCP 1973, I, n° 2525 et G. ROUJOU DE BOUBEE, « Le juge unique en
matière pénale. Essai d’un bilan provisoire » in X, Les droits et le droit. Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Paris,
Dalloz-Sirey, 2006, p. 1006.
3111
C. FRAZIER, « Tribunal correctionnel » in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, www.dalloz.fr.
3112
S. GUINCHARD lors du débat « l’efficacité au service de la justice pénale », Gaz. Pal. du 27 nov. 2007, p. 3763.
3113
Ch. JAMIN, « Rapport de synthèse », Gaz. Pal. du 27 nov. 2007, p. 3769.
3114
Ph. BILGER, o.c., p. 69.
3115
J. FRANSESCHI-BARIANI, « Plaidoyer pour une justice pénale moderne », Gaz. Pal. du 31 oct. 2006, p. 4 et s.
3116
E. DE MONTGOLFIER, Le devoir de déplaire, Neuilly-sur-Seine, 2006, 343p.

508
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

judiciaire aveugle, déshumanisé et sans contrôle véritable pour cause de solidarité entre les
juges, que certains ont perdu le sens de la contradiction. Cela fut le cas dans l’affaire
d’Outreau où la mise en accusation individuelle des magistrats révéla un dysfonctionnement
déplorable et intégral de la justice.3117 Cette affaire amorça notamment un tournant après
deux décennies d’emprise de la rationalisation gestionnaire sur l’activité judiciaire ; en
l’occurrence, on assista à une inversion des critères caractérisant la bonne justice, ainsi qu’à
une revalorisation des qualités extra-juridiques et extra-bureaucratiques dont le juge doit faire
preuve.3118 Cette affaire révéla, sans commune mesure, les écueils dans lesquels peut sombrer
la technocratie juridique : l’insensibilité et la déshumanisation d’un métier irréductiblement
humain3119 : « ni le respect des garanties procédurales formelles du procès équitable, ni
l’excellence technicienne des magistrats concernés, tous passés par l’EFM et tous bien notés,
n’auront permis d’empêcher ce naufrage judiciaire ».3120 Au contraire, « la maîtrise
théorique du droit et des techniques d’enquête acquise à la faculté de droit et à l’EFM
pourrait bien finir par menacer plus qu’assurer l’indépendance même du magistrat », surtout
s’il agit seul.3121 Le caractère solitaire et fermé de l’enquête expose la justice au risque d’une
défaillance humaine. Le ‘suivisme juridique’ crée ensuite une chaîne d’irresponsabilités
individuelles.3122

Ce ‘jugement des juges’ constitue le point de départ d’une reformulation des enjeux et
objectifs. La revalorisation des qualités profanes et personnelles du juge, telles que la
sagesse, la sérénité et l’humanité, ouvre la voie à un retour en force du modèle profane, à
l’introduction de nouveaux registres : « à travers la critique de l’insensibilité et l’arrogance
du juge […] s’amorce un renversement aussi intense qu’éphémère des représentations de la
crise de la justice ».3123 La présence d’un non-initié, d’un non-professionnel dans le monde
clos de la justice et dans une vraie collégialité, pourrait peut-être constituer un élément de
contrôle et un renforcement de la responsabilité3124. A cet égard, le droit comparé pourrait
nous apporter des enseignements utiles.

3117
J. FRANCESCHI-BARIANI, l.c., p. 4 et s. Les soixante juges ayant été associés à un titre ou à un autre à ce dossier
n’ont pas réussi à empêcher l’erreur judiciaire. Le respect des garanties objectives du bon procès n’a en rien garantit la
justesse (A. VAUCHEZ, « Le juge, l’homme et la « cage d’acier ». La rationalisation de l’activité judicaire à l’épreuve
du « moment Outreau » in H. MICHEL et L. WILLEMEZ (dir.), La justice au risque des profanes, Paris, PUF, 2007, p.
45).
3118
A. VAUCHEZ, l.c, p. 32-33.
3119
Ibid.
3120
A. VAUCHEZ, l.c, p. 45.
3121
A. VAUCHEZ, l.c, p. 46.
3122
F. Chéreau, cité par A. VAUCHEZ, l.c, p. 46-47.
3123
A. VAUCHEZ, l.c, p. 33.
3124
B. de Lamy, en revanche, se demande si la diversification des acteurs de la procédure ne conduit pas à une
dilution des responsabilités (B. DE LAMY, « L’incidence des réformes de la procédure pénale sur les acteurs du
procès », Dr. pén. 2007, n° 9, p. 2).

509
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

B — LE MODELE ALLEMAND

473. Dès l’instauration du jury (Schwurgericht) en 1848 par la majorité des Etats
allemands, certains incitèrent à en réduire la portée.3125 Avec son système de questions et la
séparation entre le fait et le droit, celui-ci était en effet perçu comme un enfant de la
Révolution française qui n’a jamais réussi à prendre racine en droit allemand. Le seul
argument plaidant en sa faveur était son existence.3126 Il ne tarda donc pas à être remplacé par
une institution allemande authentique.3127 Parmi les arguments favorables à la suppression du
jury figuraient également la nature complexe du droit allemand et, dès lors, l’incompétence
présumée des simples citoyens et la recherche d’une répression accrue compte tenu du
nombre important de condamnations imméritées.3128 Entre 1919 et 1924 émergèrent en outre
des tensions politiques et sociales. La Verordnung über Gerichtsverfassung und
Strafrechtspflege du 4 janvier 19243129, ou la loi Emminger — selon le ministre de la Justice
qui en avait conçu le projet —, supprima le jury en le remplaçant par un modèle
échevinal.3130 Or, cela s’inscrit-il dans un mouvement visant à la recherche d’un modèle
uniformisé ?3131 Toutefois, la dénomination Schwurgericht perdura en hommage à la
tradition.3132

474. En particulier, le tribunal cantonal (Amtsgericht) est composé soit d’un juge
unique (lorsque la peine n’excède pas deux ans de privation de liberté), soit d’une formation
collégiale composée d’un ou de deux magistrat(s) et de deux profanes (Schöffengericht,
compétent pour des infractions passibles d’une peine privative de liberté comprise entre deux
et quatre ans, ainsi que pour des « Verbrechen » sanctionnés par au moins un an
d’emprisonnement). En général, le tribunal cantonal est compétent pour les affaires pénales
ne relevant pas de la connaissance d’une autre juridiction, dès lors qu’il n’y a pas lieu de

3125
A. KOCH, « C.J.A. Mittermaier and the 19th Century Debate About Juries and Mixed Courts », RIDP 2001, p.
347-353.
3126
Volk, cité par F. HERZOG, « Philosophical and Social View of the Jury : Could it Have a Renaissance in
Germany ? », RIDP 2001, p. 555.
3127
A. KOCH, l.c., p. 350.
3128
H.H. JESCHECK, « Considérations de droit comparé » in X, Le jury face au droit pénal moderne, o.c., p. 166.
3129
RGBI, I, p. 15.
3130
U. NELLES, « Les fondements historiques et d’organisation judiciaire de la participation des non-professionnels à
la procédure pénale », Justices 1997, p. 200-214 et Th. VORMBAUM, Die Lex Emminger vom 1924 : Vorgeschichte,
Inhalt und Auswirkungen : ein Beitrage zur deutschen Strafrechtsgeschichte des 20. Jahrhundertrs, Berlin, Duncker
& Humblot, 1988, p. 109-149. Pour les projets antérieurs à cette loi, v. P. LANDAU, « Schwurgerichte und
Schöffengerichte in Deutschland im 19. Jahrhundert bis 1870 » in A. PADOA-SCHIOPPA (éd.), Trial Jury in England,
France, Germany 1700-1900, Berlin, Duncker & Humblot, 1987, p. 290-300.
3131
P. LANDAU, l.c., p. 301.
3132
H. JUNG, « La participation des citoyens à l’administration de la justice pénale en droit comparé », RSC 1986, p.
803. Il convient pourtant de remarquer à cet égard que l’abolition de la Schwurgericht doit beaucoup au hasard
historique. Si, lors des discussions sur l’avenir du jury criminel, une proposition largement soutenue fut déposée pour
le maintien du jury, le chef du parti du centre aurait été ‘distrait’ au moment du vote ce qui aurait empêché les
membres de ce parti de voter. La majorité n’ayant pas été obtenue, le jury fut aboli (F.Ch. GRUBE, Richter ohne Robe.
Laienrichter in Strafsachen im deutschen und anglo-amerikanischen Rechtskreis, Frankfurt am Main, Peter Lang,
2005, p. 106).

510
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

s’attendre au prononcé d’une peine d’emprisonnement supérieure à quatre ans, au placement


du prévenu en hôpital psychiatrique ou à son internement aux fins de sûreté et à condition
que le ministère public n’ait pas saisi le tribunal régional. Le tribunal régional (Landgericht)
est tantôt juge de première instance, tantôt juge d’appel. Il statue soit en chambre pénale
(Strafkammer, compétente pour les infractions passibles d’une peine d’emprisonnement
supérieure à quatre ans, du placement du prévenu en hôpital psychiatrique ou d’internement
aux fins de sûreté, ainsi que pour les infractions dont le ministère public l’a saisi en raison de
leur importance particulière (§ 74 et s. GVG) ; soit en cour d’assises (Schwurgericht3133). La
chambre pénale peut comprendre deux chambres : la ‘petite chambre pénale’ (kleine
Strafkammer) qui consiste en un juge professionnel et deux échevins (compétente pour
l’appel contre le juge cantonal) et la ‘grande chambre pénale’ (grosse Strafkammer),
composée de deux ou trois professionnels et de deux échevins. La Schwurgericht est depuis
la loi du 9 décembre 1974 également composée de trois juges professionnels et de deux
échevins (§ 76 GVG).3134 Les échevins sont donc bien minoritaires, ce qui contraste avec les
cours d’assises mixtes françaises et italiennes. La compétence de la Schwurgericht qui ne
constitue qu’une chambre spéciale pénale est limitativement prévue par la loi (§ 74 II
GVG)3135 et concerne les crimes les plus sévères dont, notamment, ceux qui ont entraîné la
mort de la victime. Seuls un pourvoi en cassation (§ 312 StPO) et une « Revision » sont
envisageables contre ses décisions. Quant à l’Oberlandesgericht, elle est compétente pour les
atteintes graves à la sûreté de l’Etat énumérées par la loi, tels que le terrorisme et la trahison
(§ 120 I GVG). Cette cour siège sans participation citoyenne à cinq magistrats de robe.

475. En principe, les professionnels et laïcs collaborent à presque tous les niveaux
pénaux3136. Seule la juridiction constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) et la
Cour de cassation (Oberlandesgericht/Bundesgerichthof3137) n’ont pas recours à des juges
non professionnels.3138 A priori cette propension à faire appel aux citoyens peut étonner, la
participation n’étant pas prescrite comme telle dans la Constitution3139, bien que fortement

3133
Cette dénomination a été maintenue puisqu’elle était tellement bien intégrée (Th. VORMBAUM, o.c., p. 131).
3134
Avant cette date, elle consistait en trois professionnels et six échevins (H. SCHORN, Der Laienrichter in der
Strafrechtspflege, Münster Westfalen, Aschendorffs Juristische Handbücherei, 1955, p. 35).
3135
A. RIEG, « Les juges non professionnels en Allemagne » in X, Mélanges en l’honneur de R. Perrot. Fouveaux
juges, nouveaux pouvoirs ?, Paris, Dalloz, 1996, p. 423-424.
3136
Au total, pour l’Amtsgericht et Landgericht réunis, tant pour les majeurs que pour les mineurs, il y avait en 2005
36.029 échevins en matière pénale.
(www.bmj.bund.de/files/-/1113/2005%20Sch%C3%B6ffenstatistik%20insgesamt.pdf).
3137
Hormis sa compétence en premier ressort pour certaines infractions graves, l’Oberlandesgericht (tribunal régional
supérieur) connaît les « Revisions » contre les décisions de l’Amtsgericht et contre les décisions en appel de la
Landgericht. Au niveau fédéral, la Bundesgerichtshof est compétente pour les pourvois en cassation contre les
décisions de l’Oberlandesgericht et la Landgericht.
3138
A. RIEG, l.c., p. 421.
3139
Ibid. La Constitution qui garde le silence sur l’existence des juges non professionnels dans son chapitre IX (Die
Rechtsprechung), déclare uniquement que « tout pouvoir émane du peuple » (§ 20 (2) Constitution).

511
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

ancrée dans la tradition. L’usage des « Schöffen » (échevins) était déjà en vigueur en
Allemagne au cours du moyen âge. Si le système échevinal fut supprimé au début de la
seconde guerre mondiale, à l’exception de la Volksgerichthof3140, il fut rétabli en 1950 par la
Vereinheitlichungsgesetz3141 : « Die Frage, ob in Deutschland das Volk an der Rechtspflege
mitwirken soll, ist eigentlich keine Frage, ihre Bejagung ist selbstverständlich »3142.

476. Les juges non professionnels font dès lors intégralement partie de la justice
pénale allemande. Il s’agit en particulier, des citoyens allemands âgés de vingt-cinq à
septante ans (§ 33 (1) GVG), de bonne moralité3143 et n’exerçant pas certaines fonctions
publiques ou juridiques. Ils proposent eux-mêmes leur candidature et sont désignés pour une
durée de quatre ans (renouvelable) par une commission instituée par la loi.3144 En pratique, ils
ne siègent que douze jours par an (§ 43 II GVG)3145. Bien évidemment ils ne peuvent pas être
impliqués dans l’affaire en cause, ni avoir des liens de parenté avec une des parties (§ 22-23
StPo). En cas de présomption de partialité les juges peuvent être récusés (§ 24 (2) StPo).

Par leur désignation, les échevins deviennent des magistrats, mais non membres du
corps judiciaire. Ils jouissent des mêmes droits et obligations que les juges professionnels (§
30 I et § 77 GVG). Dans une seule délibération secrète, ils participent notamment à toutes les
décisions et se prononcent sur la question de la culpabilité, sur celle de la peine (§ 192-197
GVG) et, en principe, sur les questions de droit. Ils ont le droit de poser des questions (§ 240
StPo) et disposent d’un droit égal de vote. En principe, les juges non professionnels ont les
mêmes prérogatives qu’un magistrat de carrière sauf si la loi en dispose expressément le
contraire. En pratique, ils ne peuvent souvent pas consulter le dossier écrit, bien que la loi ne
l’interdise pas expressément. Cette question constitue l’un des aspects les plus contestés de la

3140
Ce tribunal d’exception, instauré par Hitler en 1934, consistait en deux juges professionnels et trois membres
loyaux à la philosophie de la NSDAP. Il était compétent pour les affaires de haute trahison (U. BENZ, Zur Rolle der
laienrichter im Strafprozess : eine Untersuchung über das Schöffenamt auf verfahrenspsychologischer und
gerichtsorganisatorischer Grundlage mit einem rechtsgeschichtlichen und rechtsvergleichenden Überblick, Lübeck,
Schmidt-Römhild, 1982, p. 58). Devant ce tribunal, les principes de base, tels que nullum crimen sine lege et le
principe de la non-rétroactivité, étaient mis de côté.
3141
BGBI 1950, I, p. 455.
3142
« La question de savoir si, en Allemagne, la société civile doit participer à l’œuvre de juger, ne devrait pas être
posée ; leur adhésion est évidente » (trad. pers. ; Kern JTg 135 au Konstanzer Juristentag 1947, U. BENZ, o.c. p. 199).
3143
Pour la procédure de sélection, voir § 36 GVG. Exclues sont les personnes condamnées à une peine privative de
liberté supérieure à six mois, celles ayant perdu le droit d’exercer une fonction publique et celles à l’encontre
desquelles existe une procédure pendante. Egalement écartées sont les personnes ayant déjà exercé cette fonction
durant huit ans et les personnes atteintes d’une maladie psychique ou physique les rendant inaptes à juger. Pour le
reste, il faut que les échevins disposent de la nationalité allemande, qu’ils résident au moins un an dans la commune et
ne s’occupent pas à titre principal de la procédure pénale ou de l’application de la peine. Il n’y a pas de conditions au
niveau intellectuel (V. § 32-34 GVG ; U. BENZ, o.c., p. 68 et A. RIEG, l.c., p. 427).
3144
L’intéressé est obligé d’accepter la fonction d’échevin sauf disposition spéciale de la loi. De cette manière le
législateur souhaite garantir la règles selon laquelle une personne ne peut pas être retirée de son juge naturel (§ 101 (1)
Constitution). Dans certains cas, un refus est pourtant possible (§ 35 GVG). Il s’agit ensuite d’une fonction purement
honorifique. Les échevins ne reçoivent qu’une simple indemnisation englobant la perte de revenu, les frais de
déplacement et de séjour (A. RIEG, l.c., p. 430-431).
3145
S’ils ont rempli la fonction d’échevins pendant plus de 24 audiences dans une année, ils peuvent demander d’être
rayé de la liste des échevins (§ 52 GVG).

512
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

participation des juges non professionnels à l’œuvre de juger en matière pénale. L’ancienne
Reichsgericht avait remarqué que l’accès au dossier était de facto limité puisque les non-
professionnels ne pouvaient pas prendre connaissance des résultats de l’instruction judiciaire
qui forment la deuxième partie de l’acte d’accusation. On craignait notamment que les
échevins accordent trop de poids à l’enquête menée par le Staatsanwalt et se forgent ainsi
3146
une impression erronée des personnes mises en accusation . Cette crainte était exprimée
par la doctrine qui en déduisit que la consultation du dossier était proscrite, bien que ni la
Reichsgericht, ni la Bundesgerichtshof, n’aient proclamé une telle interdiction.3147 Comme
des jurés, les échevins allemands sont alors censés statuer selon leur libre conviction
directement acquise lors de l’audience pénale (§ 261 StPO). Cela permet notamment de
préserver le caractère oral du procès et l’immédiateté des preuves, ce qui donne à ce système
un atout par rapport à notre procédure correctionnelle.

Pour faciliter la mission des juges sans robe, une partie de la doctrine et de la
Bundesgerichtshof plaident toutefois pour un libre accès au dossier3148. En effet depuis 1960,
mais plus ouvertement en 1997, la Bundesgerichtshof s’est exprimée expressément en faveur
d’un accès au dossier.3149 Elle reconnaît notamment qu’en interdisant l’accès au dossier aux
juges non professionnels, ceux-ci risquent d’être réduits à de simples figurants, surtout dans
des affaires complexes. Elle remarque ensuite que le risque d’influence ne résulte pas
seulement des déclarations écrites du dossier ; elle émane davantage des déclarations
incontrôlables de la presse. Concernant cette influence extérieure, la jurisprudence présume
que les échevins sont en mesure de garder leur impartialité. On attend aussi des échevins
qu’ils soient capables de faire abstraction de certaines preuves obtenues de manière
inadmissible pour arriver à un jugement. Or, pourquoi n’auraient-ils pas la même aptitude
pour les éléments du dossier ? De plus, si la loi ne prévoit pas explicitement que les juges non
professionnels peuvent consulter le dossier, elle n’interdit pas non plus qu’ils en prennent
connaissance, au contraire (§ 249 StPo)3150.

477. Concernant la crainte d’une trop grande influence que pourrait exercer le
professionnel, il est intéressant de voir que la décision sur la culpabilité est, en Allemagne,
prise à la majorité absolue de deux tiers (§ 263 StPO). Dans la Schwurgericht composée de
trois magistrats de carrière et de deux non-professionnels, les échevins ne peuvent donc pas

3146
U. BENZ, o.c., p. 78.
3147
H. LIEBER, Fit fürs Schöffenamt. Band 1 : das Schöffenamt - Rechte und Pflichten der Schöffen, M. Fragomeli,
Wetsfalen, 2005, p. 25 et s.
3148
Ibid.
3149
BGH 26 mars 1997, 3 StR 421/96, cité par H. LIEBER, o.c., p. 26-27.
3150
En vertu de cette disposition, il est possible de donner lecture de certaines déclarations et actes collectés dans la
phase préparatoire ou d’en faire une lecture individuelle.

513
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

décider seuls du sort de l’accusé. Afin de pallier d’éventuelles influences, le vote commence
par le plus jeune des assesseurs et se poursuit avec le professionnel qui a le moins
d’ancienneté (§ 197 GVG).3151 Dans la petite chambre de la Landgericht en revanche, les
échevins peuvent mettre en minorité les juges de métier, ce qui pourrait également avoir des
incidences sur la motivation.3152 En effet, la rédaction de la motivation et le prononcé de la
décision n’incombent qu’au seul juge professionnel (§ 275 StPo). Après la délibération, le
magistrat de carrière professionnel doit notamment exposer oralement les motifs de la
décision (§ 268 (2) StPO). Ensuite, il est tenu de rédiger la motivation écrite dans un délai de
cinq semaines après le prononcé de la décision (§ 275 (1) StPO)3153. Cela est également le cas
si ce magistrat est mis en minorité par les juges profanes dans les Schöffengerichte (§ 275 (2)
StPO). En pratique, il semble parfois que le juge refuse de se ranger à l’opinion de la
majorité. S’il maintient son opinion, il peut arguer de cette façon que l’une des parties peut y
trouver un moyen de cassation. Theo A. De Roos l’illustre par deux exemples explicites : il
évoque en premier lieu une situation où deux femmes assesseurs souhaitaient, par sympathie
pour l’accusé, ne prononcer qu’une peine provisoire alors que le juge optait pour une peine
privative de liberté. Dans sa motivation, ce dernier soulignait le besoin d’une peine privative
de liberté en énonçant ensuite que « peu importe, la cour juge opportun de donner à nouveau
une peine sous conditions ». Avec cette motivation contradictoire, il donna ainsi
explicitement un moyen de cassation au parquet. Dans le second exemple, le juge avait
directement demandé au ministère public, après l’acquittement : « vous intentez quand même
un recours ».3154 Ces exemples témoignent que le juge professionnel allemand peut quand
même exercer un pouvoir important. Ce risque pourrait, nous semble-t-il, être atténué en
exigeant que tous les juges qui participent à la décision, professionnels et non-professionnels,
acquiescent à la rédaction de la motivation. Un délai de cinq semaines pour la rédaction de la
motivation doit à cet égard être rejeté. En droit allemand, seuls les juges de carrière sont
actuellement censés signer la motivation, ce qui autorise un certain contrôle (§ 275 (2) StPO),
sauf lorsque les magistrats de robe s’érigent en bloc contre les juges non professionnels.

478. En pratique, il est difficile de mesurer l’impact des échevins allemands. Les
opinions dissidentes ne sont pas autorisées.3155 Selon l’étude empirique de Gerard Casper et
de Hans Zeisel, les juges non professionnels et les magistrats de robe divergent fréquemment
d’opinion sans que n’émane de leur part respective une tendance systématique à la sévérité

3151
U. NELLES, l.c., p. 206.
3152
Supra, n° 334 ; A. RIEG, l.c., p. 429-430.
3153
Pour des affaires d’une durée respectivement supérieure à trois et dix jours, ce délai peut être prolongé.
3154
Th. A. DE ROOS, o.c., p. 88-89.
3155
Ch. RENNIG, l.c., p. 482-483.

514
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

ou à l’indulgence.3156 En cas de désaccord entre le juge professionnel et au moins un des


assesseurs, le juge serait suivi dans 64% des cas et le juge non professionnel dans 24% des
cas. Dans 11% des cas, on arriverait à un compromis. Selon l’étude de Rennig, les échevins
n’exerceraient une influence certaine que dans 1,7% des procès.3157 Il n’empêche que, de
manière indirecte, ces outsiders ont une influence positive : leur simple présence permettrait
d’éviter que la justice ne soit rendue « vom grüner Tisch » (justice de cabinet). Les magistrats
de carrière doivent notamment veiller à être clairs et compréhensibles.3158 Globalement il
semble que le système allemand fonctionne de manière satisfaisante3159. L’abolition du jury
généra en tout cas peu de protestations. S’il y a des propositions d’amélioration, elles
concernent surtout la formation des échevins.

479. Pourtant, ainsi que nous l’avons déjà avancé, le fait que le droit comparé
témoigne d’exemples satisfaisants d’une justice pénale mixte ne permet pas de conclure qu’il
faut la généraliser en droit français, belge et en Angleterre. Interviennent également d’autres
contingences d’ordre général telles que la culture, la tradition et les mœurs d’un pays : « la
diversité du tempérament national, du climat, des conditions de vie sur un territoire donné
sont autant de facteurs qui viennent empêcher la comparaison d’être exacte ».3160 Rien ne
prouve qu’on obtienne les mêmes résultats en transposant l’échevinage d’un pays à un autre.
Mais, même s’il ne peut être exporté tel quel, l’exemple allemand peut toutefois nourrir et
constituer le point de départ d’une réflexion sur la participation.3161

Conclusion du chapitre II

480. « Il faut réfléchir à quelques idées de bon sens envisagées sans tabou ni
complaisance quitte à heurter certains conservatismes bien installés, et de s’inspirer de
solutions qui fonctionnent ailleurs, que ce soit dans d’autres pays ou dans d’autres secteurs
pour en suggérer la transposition. Osons bousculer l’institution pour la rendre meilleure.
Fous avons le devoir d’être ambitieux pour réinventer la justice. C’est une exigence
démocratique et une nécessité ».3162 En introduisant de manière modeste et presque
silencieuse une mixité au niveau correctionnel, la loi française du 26 janvier 2005 a osé
bousculer l’organisation judiciaire. La proposition ambitieuse de Lord Auld montre aussi

3156
G. CASPER et H. ZEISEL, Der laienrichter im Strafprozess : Vier empirische Studien zur rechtsvergleichung,
Heidelberg, Müller, 1979, p. 80 et s. et Ch. RENNIG, l.c., p. 484.
3157
U. NELLES, l.c., p. 214.
3158
Th. VORMBAUM, o.c., p. 131.
3159
Le 5 décembre 2007, le ministre de la Justice Zypries loua une nouvelle fois les Schöffen et Schöffinen (« Zypries
würdigt Ehrenamt in Justiz » ; v. également « Tag des Schöffen - Zypries fordert mehr ehrenamtliches Engagement »,
11 nov. 2003, www.bmj.bund.de).
3160
P. COSTE-FLORET, « Une expérience comparée du jury et de l’échevinage », RSC 1938, p. 619.
3161
J.P. GOFFINON, « Les juges de paix anglais, de Richard Cœur de Lion à T. Blair », l.c., p. 17.
3162
M. BOISSAVY et Th. CLAY, o.c., p. 14.

515
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

qu’il y a de possibles ouvertures vers la collaboration. Au-delà des nouveaux métiers du


droit, on réfléchit également à de nouveaux rapports de ces citoyens-juges avec le juge
professionnel. Deux observations sont intéressantes à cet égard : si les juges de proximité
français et les lay magistrates anglais permettent en effet une « participation des citoyens à la
fonction de juger en matière pénale », ceux-ci ne sont, contrairement aux jurés populaires,
pas des citoyens ordinaires tirés au sort. En Angleterre, les magistrats non professionnels
acquièrent une certaine expérience en siégeant régulièrement. Ils sont en outre assistés par
des professionnels du droit. En France, cette fonction est exclusivement réservée à une
population spécifique, fortement ancrée dans le monde judiciaire et dès lors « déjà habituée à
manier au quotidien les textes légaux et les interprétations jurisprudentielles ».3163 La
restriction imposée par le Conseil constitutionnel aux seuls candidats détenteurs d’une
compétence juridique certifiée amoindrit l’hétérogénéité du recrutement tel qu’il avait été
imaginé.3164 En effet, « si les candidats à la justice de proximité ne sont pas des juges
professionnels [à l’exception des magistrats professionnels retraités], il faut avouer, à
regarder leur profil social et scolaire, ils pourraient difficilement en être plus proches ».3165

D’autre part, si la cour d'assises est louée pour sa valeur démocratique et est
maintenue, pour cette raison, dans une sorte de sacro sainteté politique, la participation
semble ici envisagée sous l’angle de l’efficacité visant à désengorger efficacement les
tribunaux et recentrer, tacitement, le véritable juge (le magistrat professionnel) sur ses tâches
prioritaires. Au lieu d’introduire réellement une autre façon de rendre la justice et d’apporter
une vraie dynamique citoyenne, la contribution de ces nouveaux juges de proximité se
cantonne à assouplir l’institution judiciaire existante et à faire fonctionner les juges
professionnels, fut-ce au prix d’une complexification des modes de gestion et du traitement
des affaires.3166 Ainsi que le remarquent Antoine Vauchez et Laurent Willemez, « il est
paradoxal de valoriser la figure de l’usager et de développer des politiques d’accès au droit
pensées pour rapprocher le justiciable de la justice qui ont vice versa pour effet indirect un
renforcement de la clôture entre professionnels et non professionnels de la justice ».3167 En
témoigne également le fait que le rapport entre les magistrats professionnels et les non-
professionnels ne soit pas en soi l’objet d’une réforme, cette question étant seulement
abordée de manière incidente.3168 En droit anglais, ce constat est sans doute trop sévère même

3163
A. PELICAND et J.-Ph. TONNEAU, o.c., p. 88.
3164
LATTS, Les juges de proximité au travail. Une sociologie pragmatique et comparative, Rapport pour la Mission de
recherche Droit et Justice, déc. 2008, p. IX.
3165
A. PELICAND et J.-Ph. TONNEAU, o.c., p. 28.
3166
LATTS, o.c., p. IX et A. PELICAND et J.-Ph. TONNEAU, o.c., p. 86.
3167
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 256.
3168
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 5.

516
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

si l’on ne peut occulter le fait que les lay magistrates cèdent des pouvoirs à un corps croissant
de professionnels : les district judges.

Conclusion du Titre I

481. Si certains pays ont à nouveau recours à ce prototype de la participation


citoyenne qu’est le jury populaire, ce premier titre démontre d’abord que les législateurs
n’hésitent pas à adapter ce concept aux besoins de la justice pénale contemporaine.
L’obligation qu’ont les jurés espagnols de motiver leurs décisions, imposée avant le
revirement de la jurisprudence de la CEDH, vise à conjuguer les garanties accrues du procès
équitable et des formes non professionnelles de justice criminelle. Les lay magistrates anglais
et les juges de proximité français démontrent, en second lieu, que d’autres formes de
participation sont possibles. Pourtant, nous avons constaté que le besoin de spécialisation
n’était pas étranger à ces (nouveaux) visages de la participation citoyenne. Avec les juges de
proximité le législateur français envisage par exemple de rapprocher autant que possible le
‘vrai’ juge — le magistrat de carrière —, en exigeant certaines qualités juridiques. Il est en
outre stupéfiant de constater que ce type de participation et de collaboration — au sens d’un
échevinage correctionnel — n’est au fond pas instauré pour ses mérites. En effet, si des
contingences d’ordre gestionnaire minorent la participation citoyenne en matière criminelle,
celles-ci tendent paradoxalement à devenir l’enjeu principal des réformes de la justice de
proximité3169 et sont avancées pour accroître la participation citoyenne en matière
correctionnelle. L’ascension de la « rhétorique de l’usager » s’accompagne de celle des
préoccupations gestionnaires. La lay participation est donc un concept à la fois vieux et
résolument moderne. Elle ne contrebalance pas seulement l’évolution vers une spécialisation
accrue, mais est aussi un partenaire de cette évolution.3170

Dans les deux cas — la marginalisation de la cour d’assises et la création du juge de


proximité —, le juge correctionnel semble renforcé sur le plan quantitatif ou qualitatif.
Cependant, cette marque de confiance ne résulte pas nécessairement de l’application d’une
procédure plus garantiste ; la procédure correctionnelle n’est pas à l’abri des critiques.
Comparée à la procédure d’assises, la procédure correctionnelle apparaît en effet comme une
procédure déficitaire sur le plan des principes de l’oralité et d’immédiateté des preuves. Les
besoins de ‘performance’ et de ‘profondeur’ semblent en effet difficilement conciliables au
sein de la machine judiciaire : si la cour d'assises permet un traitement intégral de l’affaire,
elle manque de dynamisme ; or, si le tribunal correctionnel gagne inversement en
3169
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 256.
3170
Ch. COINTAT, Rapport n° 345 (2001-02), l.c.

517
TITRE I — UN ENRICHISSEMENT INCONTESTABLE ?

dynamisme, il perd en profondeur. Ne conviendrait-il pas plutôt d’envisager une nouvelle


procédure qui vise, pour un segment plus important que celui de l’actuelle cour d'assises, un
traitement efficace et minutieux des affaires ?3171 La participation des citoyens pourrait-elle y
trouver sa place ?

3171
Ou, pour citer Frank Verbruggen, « au lieu de réserver pour certains une ‘Jaguar’ et pour la majorité une
‘Trabant’, ne serait-il pas mieux de garantir pour tout le monde un ‘VW Golf’ » ? (F. VERBRUGGEN lors du débat
« The Myth of Justice by the People », Louvain, le 30 oct. 2006).

518
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

TITRE II
U ERICHISSEMET MULTIDISCIPLIAIRE

« Quel homme est assez Dieu pour rendre la justice ? »


[C. GERBET, Jury criminel ou échevinage ? Etude comparative de la question en
Suisse et en France, Thèse, Paris, 1941, p. 332-333]

482. « L’air du temps est la participation citoyenne ».3172 Ainsi que nous l’avons
analysé dans le chapitre précédent, la participation des citoyens à la fonction de juger connaît
un renouvellement, voire est érigée en une nouvelle vertu de la justice pénale contemporaine.
En y regardant de plus près, le nombre de juridictions et d’institutions siégeant avec des non-
professionnels primerait même celles qui sont exclusivement composées de magistrats de
carrière. Bien évidemment, une multiplication des intervenants dans la chaîne pénale
implique une reformulation des équilibres et une inflexion du rôle des acteurs
traditionnels.3173

Malgré la variété très grande des formes de participation profane, il est remarquable à
cet égard que dans certains domaines, mais de manière exponentielle — qu’il s’agisse
d’institutions anciennes, tels que les tribunaux français des baux ruraux et les tribunaux pour
enfants ou des institutions récentes, telles que la commission française d’indemnisation des
victimes d’infractions (CIVI)3174 et les tribunaux belges d’application des peines (TAP)3175 —,
le législateur semble favoriser l’implication des citoyens ‘spécifiques’, en quelque sorte
‘spécialisés’. En particulier, à la différence du juré qui peut être « Monsieur tout le
monde »3176, il ne s’agit dans la plupart des cas pas de citoyens tirés au sort, mais de
personnes ayant certaines qualités, expériences ou des individus dotés d’un certain profil

3172
M. PREUMONT, « La participation des citoyens au jugement des affaires pénales dans divers systèmes judicaires –
approche de droit comparé », Journ.proc. 2003, n° 466, p. 11.
3173
B. DE LAMY, l.c., p. 1.
3174
Cette commission fut créée par la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977 garantissant l’indemnisation de certaines victimes
de dommages corporels résultant d’une infraction (JORF 4 janv. 1977, p. 77), modifiée à plusieurs reprises et
dernièrement par la loi n° 2008-644 du 1er juillet 2008 (JORF 2 juill. 2008, p. 10610).
3175
Ces tribunaux furent créés par la loi du 17 mai 2006 (MB 15 juin 2006, p. 30477) pour toutes les décisions
relatives à l’exécution de peines et des modalités des peines (pas seulement la libération conditionnelle) excédant trois
ans. En dessous de ce seuil, la compétence incombe au juge de l'application des peines siégeant seul (art. 91 in fine C.
jud.) Cette distinction s’inscrit dans la continuité de la législation actuelle relative aux commissions de libération
conditionnelle qui n’interviennent, pour éviter des engorgements, que pour des peines les plus lourdes (Doc.parl.
Sénat 2004-05, n° 3-1127/1). Bon nombre de parlementaires plaidaient pourtant pour l’extension de la
multidisciplinarité, y compris pour les peines moins sévères. Pour un amendement dans ce sens, v. Doc.parl. Sénat
2004-05, n° 3-1127/4.
3176
B. FRYDMAN, « Juge professionnel et citoyen : l’échevinage à la croisée de deux cultures judiciaires », l.c., p. 24-
25.

519
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

susceptible de renforcer le corps judiciaire. L’exemple le plus parlant est sans doute
l’implication des gens issus du monde commercial ou social dans les tribunaux de commerce
respectivement les tribunaux du travail belges afin d’apporter un éclairage technique
salutaire.3177 En droit français, ce contentieux incombe même intégralement aux juges
consulaires, sans présence d’un magistrat de carrière.3178

De manière moins marquée, songeons également à la composition de la CIVI. Est


jointe à la CIVI une personne remarquée pour l’intérêt particulier qu’elle porte à la question de
la victime. Souvent, il s’agit d’une personne liée aux associations d’aide aux victimes telle
que l’INAVEM. Son implication est alors plutôt l’expression d’un prolongement de son
engagement durable pour la cause de la victime, voire du combat qu’elle mène sur le front
professionnel ou associatif.3179 En droit pénal belge, les assesseurs au tribunal d’application
des peines présentent un autre exemple récent. En vertu de l’article 78 alinéa 3 du Code
judiciaire, « les chambres du tribunal de l'application des peines visées à l'article 92 § 1
alinéa 2, sont composées d'un juge, qui préside, et de deux assesseurs en application des
peines, l'un spécialisé en matière pénitentiaire et l'autre spécialisé en réinsertion
sociale ».3180 Il paraît en effet judicieux de mettre le savoir pratique de terrain au service du
corps judiciaire. L’option d’une telle multidisciplinarité est empruntée à l’expérience
fructueuse des commissions belges de libération conditionnelle3181 inspirées, pour leur part,
de l’exemple des commissions de défense sociale3182 — les premières à exiger une

3177
Le tribunal de commerce est composé d’un magistrat de carrière et de deux juges consulaires qui sont choisis dans
le monde de l'entreprise (art. 84 C. jud.) ; le tribunal du travail se constitue d'un magistrat professionnel et des juges
sociaux issus de syndicats ou d'organisations patronales (art. 82 C. jud.). Les juges consulaires et les juges spécialisés
dans les affaires sociales sont nommés par le Roi pour une période de cinq ans (v. G. FRANSSEN, J. VAN HOUTTE, G.
VAN LOON, D. CUYPERS et J. LAENENS, o.c., 196p. et pour un commentaire, P. DE HERT, « Lekenrechtspraak in
België : het insidersperspectief », l.c., p. 71-74).
3178
Supra, n° 465.
3179
Pour le profil de l’assesseur de la CIVI, v. P. MOULEVRIER, J.-N. RETIERE et Ch. SUAUD, o.c., p. 22-25 et Ph.
POUGET, La participation des citoyens à la fonction de juger, GIP Mission de recherche Droit et Justice, févr. 2005, p.
6-13.
3180
En pratique, il n’est pourtant pas une sinécure de trouver des assesseurs de réintégration sociale. On les remplace
souvent par des assesseurs suppléants en matière pénitentiaire en faisant dès lors fi de la plus-value multidisciplinaire
du tribunal (F. PIETERS, « De strafuitvoeringsrechtbanken : waar moet dat heen ? Hoe zal dat gaan ? » in T. DAEMS, P.
PETINCX, L. ROBERT, V. SCHEIRS, A. VAN DE WIEL et K. VERPOEST (éd.), Achter tralies in België, Gand, Academia
Press, 2009, p. 228). Certains regrettent en outre l’absence d’un psychiatre dans la composition du TAP (contra F.
PIETERS, l.c., p. 234).
3181
Anciens art. 3-6 de la loi du 18 mars 1998 instituant les commissions de libération conditionnelle (MB 2 avr.
1998, p. 10041), qui fut abrogée par la loi du 17 mai 2006 instaurant des tribunaux de l'application des peines (MB 15
juin 2006, p. 30477), qui est entrée en vigueur le 1er févr. 2007.
3182
Jusqu’à l’entrée en vigueur, au plus tard le 1er janvier 2012, de la loi du 21 avril 2007 (MB 30 juill. 2007, p.
38271), ces commissions restent compétentes pour les décisions relatives à l’internement des personnes atteintes
atteintes d’un trouble mental. A l’avenir, les décisions relatives à la désignation de l’institution d’internement, le
contrôle périodique ainsi que les éventuelles modalités de l’exécution de cette mesure incomberont aux TAP. En
réunissant toutes les compétences au stade d’exécution de la peine au sein d’une seule et permanente juridiction, la
cohérence et le meilleur développement de la connaissance et de l’expertise de personnes opérationnelles dans ce
domaine peuvent être garantis (Doc.parl. Sénat. 2006-07, n° 3-2094).

520
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

composition hétéroclite3183 — ainsi que du modèle satisfaisant précité du tribunal du travail


et de commerce. Le législateur belge impose pour ces assesseurs en matière d’exécution de la
peine, une fourchette d’âge (avoir entre 30 et 65 ans au moment de la nomination) et une
condition de qualification. Les assesseurs doivent notamment disposer d’un diplôme de
master. Pour les assesseurs spécialisés en matière pénitentiaire, il faut une expérience
professionnelle d’au moins cinq ans (art. 196ter § 1 C. jud.), visant ainsi à garantir une
certaine maturité.3184 Pour la même raison les assesseurs au TAP exercent, contrairement aux
assesseurs en matière commerciale et sociale, cette fonction à plein temps pendant une durée
maximale de huit ans (art. 196ter § 2 C. jud.)3185.

Au-delà de la volonté même d’impliquer des citoyens dans l’exercice d’un des
pouvoirs fondamentaux de la nation, le législateur recourt alors au fur et à mesure à une
composition multidisciplinaire des organes judiciaires. Cela consacre l’idée selon laquelle il
convient de mettre certaines qualités ou spécialisations au service de la justice en tant que
gages de modernisation.3186 Le juge ne dispose pas de toutes les compétences requises pour
appréhender des matières menacées d’une complexification exponentielle. Pour être à la
hauteur de cette complexité ainsi que pour appréhender le phénomène pluraliste de la
criminalité3187, il ne faut pas seulement spécialiser le juge, il convient de le renforcer et de le
faire assister par des auxiliaires particuliers. Ces derniers pourraient en outre constituer un
apport précieux concernant l’individualisation de la justice pénale.

483. Retrouve-t-on la même évolution en matière pénale ? A ce propos, il convient de


mentionner la proposition de la Commission française ‘Coulon’ qui vise à la dépénalisation

3183
A côté d’un magistrat honoraire, la commission de défense sociale contient également un médecin et un avocat
(art. 12 loi de défense sociale du 1er juillet 1964, MB 17 juill. 1964, p. 19117), nommés pour trois ans. Cette
composition est inspirée par un double objectif : protéger la société et soigner l’interné. La présence du magistrat se
justifie par la nécessité d’arbitrer l’opposition potentielle entre la vision scientifique du médecin et la vision juridique
de l’avocat, ainsi que par le souci de continuité de l’œuvre judiciaire dans l’exécution de la décision d’internement (O.
VANDEMEULEBROEKE, « Les commissions de défense sociale instituées par la loi de défense sociale à l’égard des
anormaux et des délinquants d’habitude des 9 avril 1930 et 1er juillet 1964 », RDPC 1986, p. 155). La présence de
l’avocat est le fruit d’une longue discussion parlementaire et s’explique par le besoin de garantir au maximum les
droits de l’individu et les libertés individuelles (Doc.parl. Chambre, séance du 9 juin 1926, n° 335, p. 3 et 25 mai
1927, n° 211, p. 13). Nonobstant les critiques de la composition multidisciplinaire qui est considérée à la fois comme
étant trop clinique, à la fois comme étant trop juridique (O. VANDEMEULEBROEKE, l.c., p. 158-159), les commissions
de probation, instaurées par la loi du 29 juin 1964 pour l’exécution des mesures de probation, sont également fondées
sur l’exemple des commissions de défense sociale (art. 10 loi du 29 juin 1964, MB 17 juill. 1964, p. 7812). Le
médecin est cependant remplacé par un fonctionnaire, qui devrait en particulier documenter la commission du point
de vue de l’administration (Doc.parl. Chambre 1956-57, n° 598-1).
3184
Doc.parl. Sénat 2004-05, n° 3-1127/5. Pourront notamment être nommés : des avocats, des psychologues, des
chercheurs, ... En pratique, il semble pourtant difficile de trouver suffisamment de candidats. Le statut attirerait
surtout des fonctionnaires (F. PIETERS, l.c., p. 228-229).
3185
De cette manière, la fonction risque d’être peu attrayante. Après huit ans, il y a en outre une perte de know-how
déplorable, avance F. Pieters, partisan de mandats renouvelables. En général, le règlement défectueux du statut des
assesseurs corrode la continuité et la qualité des TAP (F. PIETERS, l.c., p. 228-229).
3186
S. LORVELLEC, « Etre assesseur en 2008. Réflexions sur la pratique d’un assesseur », APC 2008, p. 135.
3187
A. VITU, « La collaboration des personnes privées à l’administration de la justice criminelle française », l.c., p.
689.

521
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

du droit pénal des affaires en adjoignant à la formation collégiale, en première instance


comme en appel, deux assesseurs dotés de compétences financières et juridiques, ainsi que
d’une expérience en matière d’appel public à l’épargne et d’investissement de l’épargne dans
des instruments financiers.3188 Si, dans un tel domaine spécifique, le recours à des citoyens
‘sachants’ est incontestablement bénéfique, il s’agit de savoir si cela pourrait également être
le cas en droit pénal ordinaire et en particulier, comment la multidisciplinarité pourrait y être
réalisée in concreto. La justice criminelle des mineurs est à cet égard particulièrement
intéressante. Au-delà d’une ‘spécialisation’ accrue des juridictions compétentes pour juger
des mineurs délinquants et d’une ‘participation’ des citoyens dans cette forme de justice, elle
pose aussi la question de la ‘spécialisation de la participation’ ou de l’implication des
auxiliaires particuliers (Chapitre I — Vers une « participation spécialisée » ?).

De ce point de vue, la justice criminelle des mineurs jette, après l’analyse des
nouveaux jurys en Espagne et de la Fédération de Russie et des juges de proximité français et
lay magistrates anglais, une lumière nouvelle sur la question phare de cette recherche, celle
de la « participation des citoyens à la fonction de juger en matière pénale ». Elle apporte ainsi
sa pierre à l’édifice de l’ambition finale de cette étude : la recherche d’une justice criminelle
rationnelle, performante et ‘garantiste’. La question se pose en effet de savoir si nous
pourrons tirer des leçons de ces modèles participatifs pour la réforme de la justice criminelle,
non plus vers un modèle de pure ‘participation’, ni vers un modèle de pure ‘spécialisation’,
mais vers un modèle de ‘spécialisation participative’ (Chapitre II — Vers une
« spécialisation participative » ?) ? Au lieu d’être marginalisé, la participation des citoyens à
l’œuvre de juger en matière criminelle, pourrait-elle aussi constituer un enrichissement
multidisciplinaire incontestable ?

CHAPITRE I — VERS UNE « PARTICIPATION SPECIALISEE » ?

CHAPITRE II — VERS UNE « SPECIALISATION PARTICIPATIVE » ?

3188
Rapport de J.-M. COULON, La dépénalisation de la vie des affaires, Paris, La Documentation française, janv.
2008, http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000090/0000.pdf (v. en particulier proposition n° 11, 12
et 15).

522
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

CHAPITRE I

VERS UE « PARTICIPATIO SPECIALISEE » ?

« Le droit applicable aux mineurs est le creuset où se préparent les grandes réformes du droit des majeurs »
[G. Roujou de Boubée, cité par C. SAAS, « La césure du procès pénal pour les
mineurs : une chance à saisir ! », Gaz. Pal. 2009, nr. 13, p. 14].

484. Une dernière forme de participation citoyenne qui mérite notre attention est la
justice criminelle des mineurs. Ce modèle de justice est particulièrement intéressant puisqu’il
connaît, en France, à côté d’un jury populaire, une autre forme de participation citoyenne, la
participation des citoyens-juges assesseurs du tribunal pour enfants. La minorité ne justifie
pas uniquement « un certain particularisme du droit pénal de fond », mais également « et de
façon au moins aussi visible, une spécificité des juridictions répressives ».3189

Dans les trois pays étudiés, le droit pénal des mineurs se distingue du droit pénal
ordinaire par la spécificité de ses juridictions ou, en tout cas, par cette volonté aussi bien au
niveau structurel (Section 1 — La (non-)spécialisation organique de la justice criminelle des
mineurs) qu’au niveau procédural (Section 2 — La (non-)spécialisation procédurale de la
justice criminelle des mineurs). Cela soulève nombre de questions : pourquoi une différence
est justifiée par rapport à la justice pénale des majeurs ? Comment et dans quelle mesure une
spécialisation est en matière criminelle garantie et combinée à l’institution du jury
populaire ? Comment fonctionne le modèle mixte du tribunal pour enfants ? Serait-il
opportun et envisageable de transposer ce modèle à la justice pénale des majeurs ? Ou ne
s’agit-il que d’un trompe-l’œil, d’une spécialisation feinte qui n’échappe pas aux actuels
courants sécuritaires qui influencent, voire terrorisent, les débats relatifs à la justice pénale ?

485. La justice pénale des mineurs semble en effet une matière en pleine
transformation. En témoignent, en Belgique, la modification par la loi du 31 juillet 2009 de la
cour d’assises compétente pour le jugement de certains mineurs, et, en France, la volonté de
remplacer l’ordonnance du 2 février 1945 par un Code de la justice pénale des mineurs après
les conclusions de la Commission Varinard3190. A nouveaux des enjeux contradictoires

3189
Ph. BONFILS, « Les juridictions répressives pour mineurs », Droit de la famille 2006, n° 7, p. 25.
3190
Cette Commission a été mise en place en 2008 par le Garde des Sceaux de l’époque, Mme R. Dati, afin de
modifier en profondeur l’ordonnance de 1945 (Commission VARINARD, Entre modifications raisonnables et
innovations fondamentales : 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs, 2008,
www.presse.justice.gouv.fr/art_pix/1_RapportVarinard.pdf).

523
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

semblent se dégager : si la loi belge de 2009 envisage une ‘spécialisation’ dans ce domaine
particulier, le rapport Varinard témoigne, par sa réponse à la demande politique d’un
durcissement de la réaction pénale à l’égard des mineurs délinquants, d’une atteinte flagrante
à cette spécialisation ou pour le moins d’un discours intrinsèquement contradictoire.3191 Le
rapport entre ‘spécialisation’ et ‘participation de la société civile’ se trouve alors à la croisée
d’une matière en quête, d’une part, d’une répression efficace et d’autre part, d’une protection
particulière des mineurs délinquants. Avant d’analyser cette tension, examinons d’abord les
spécificités de la participation qu’offre le droit pénal des mineurs.

Section 1
La (non-)spécialisation organique de la justice criminelle des mineurs

486. La spécificité des juridictions pénales des mineurs est un point commun aux
différentes législations, certaines disposant également d’un magistrat particulier très proche
du juge des enfants français.3192 La protection des mineurs émerge alors comme un objectif
mutuellement poursuivi qui permet de déroger au droit pénal ordinaire. A la fin du 19ème
siècle, le système anglo-saxon recourait pour le jugement des mineurs à des personnes
étrangères au monde judiciaire. En France, les premières juridictions spécialisées, les
« tribunaux pour enfants et adolescents », furent créées par la célèbre loi du 22 juillet
19123193 dans le sillage du mouvement positiviste de la fin du 19ème siècle.3194 La même
année, le discours du ministre de la Justice belge, Henri Carton De Wiart, prononcé lors des
débats parlementaires menant à la loi du 15 mai 1912 sur la protection de l’enfance3195,
témoigne d’un souci de défense sociale. En justifiant la nécessité d’un régime particulier pour
les mineurs délinquants âgés de moins de seize ans, il ne se fondait en effet pas sur l’intérêt
de l’enfant, mais sur la nécessité de protéger la société contre la délinquance des mineurs :
« c’est la marée montante de la criminalité infantile et sa répercussion sur la criminalité
générale qui ont imposé peu à peu l’idée de la juridiction spéciale. […] La situation dont
nous sommes témoins […] oblige le législateur attentif à s’efforcer de faire ce que le Code
pénal n’a pas fait : stériliser, dans l’intérêt de la société, le germe morbide révélé par le

3191
Infra, n° 527.
3192
Ph. BONFILS, « Les juridictions répressives pour mineurs », l.c., p. 25.
3193
Loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée, JORF 25 juill. 1912,
www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/loi1912.pdf.
3194
Ph. BONFILS, « Les juridictions répressives pour mineurs », l.c., p. 25.
3195
Loi du 15 mai 1912 sur la protection de l'enfance, MB 27-29 mai 1912, p. 3457.

524
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

méfait de l’enfant ».3196 Ainsi que nous le verrons ultérieurement, un tel souci qui détourne le
droit pénal des mineurs de son objectif protecteur, regagne tout son intérêt dans le droit pénal
contemporain.

487. En France, l’autonomie du droit pénal des mineurs est particulièrement exprimée
par la « charte de l’enfance délinquante » que constitue l’ordonnance du 2 février 1945.3197
Si cette ordonnance n’a jamais été intégrée ni au Code pénal ni au Code de procédure pénale,
elle constitue (pour le moment) le texte de base du droit pénal des mineurs en dépit de
nombre de réformes non négligeables. L’ordonnance de 1945 a connu pas moins de 34
modifications depuis son origine avec une inflation législative ces dernières années (lois du 2
septembre 2002, du 9 mars 2004, du 5 mars 2007 et du 10 août 2007).3198 Actuellement elle
fait l’objet d’un projet de loi portant création d’un Code de la justice pénale des mineurs.3199
Si ce Code envisage de renforcer la lisibilité et l’efficacité des procédures et cherche à
trouver des réponses adaptées à la réalité de la délinquance des mineurs, il réaffirme son
attachement au principe de la spécificité de la justice pénale. Ce principe de base, qui
constitue l’origine de l’ordonnance de 1945, est alors consacré.

Il est en particulier énoncé à l’article 1 de l’ordonnance de 1945 que : « les mineurs


auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit ne seront pas déférés aux
juridictions pénales de droit commun, et ne seront justiciables que des tribunaux pour
enfants ou des cours d'assises des mineurs. Ceux auxquels est imputée une contravention de
police de cinquième classe sont déférés aux juridictions pour enfants […] »3200. Ainsi que
Philippe Bonfils le précise à juste titre, une telle spécificité se limite aux seuls mineurs
auteurs d'infractions. La qualité de victime ne permet pas, à elle seule, l’accès aux
juridictions pénales des mineurs ; si un mineur a été victime d’une infraction non commise
par des mineurs, l’affaire est traitée devant les juridictions pénales des majeurs, avec bien
évidemment quelques dispositions spécifiques propres à l’audition du mineur.

3196
Doc.parl. Chambre 1911-12, n° 252, Pasin. 15 mai 1912, p. 317.
3197
Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, JORF 4 févr. 1945, p. 530.
3198
P. PEDRON, « Traitement de la délinquance des mineurs : pour une rationalisation du droit et des pratiques
éducatives sur le fondement des propositions de la Commission Varinard », RPDP 2009, p. 30-33.
3199
www.justice.gouv.fr/art_pix/cjpm300309.pdf.
3200
Il découle de cette disposition que seules les contraventions des quatre premières classes sont déférées à la
juridiction de droit commun, à savoir au juge de proximité (art. 21 in fine ord. 2 févr. 1945) qui juge sans
spécialisation. Selon A. Gouttenoire, cela constitue un « lézarde supplémentaire au principe de la spécialisation des
juridictions » (A. GOUTTENOIRE, « Les principes du droit processuel relatif au mineurs délinquant », AJpénal 2005, p.
49). Le Conseil constitutionnel, en revanche, n’y voit pas une atteinte aux principes constitutionnels dans la mesure où
le juge de proximité applique les mêmes règles de procédure et de fond que le tribunal de police ; qu’il peut
uniquement prononcer une admonestation et que la publicité restreinte y est également d’application (Cons. const. n°
2002-461 DC du 29 août 2002, JORF 10 sept. 2002, n° 51).

525
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

488. Un tel mouvement est bien sûr inspiré et encouragé sur le plan international et
européen. En effet, le 20ème siècle connaît une émergence, en Europe et au-delà de ses
frontières, d’une justice pénale des mineurs qui s’autonomise de la justice pénale des adultes.
Elle préconise une vocation préventive et éducative, souvent autour d’une magistrature
spécialisée et d’une procédure d’exception.3201 Ainsi, le principe de spécialisation est
clairement posé par l’article 2.3 des règles minima des Nations unies concernant
l’administration de la justice des mineurs du 29 novembre 1985 (Beijing) : « on s'efforcera
d'établir, dans chaque pays, une série de lois, règles et dispositions expressément applicables
aux délinquants juvéniles et des institutions et organismes chargés de l'administration de la
justice pour mineurs et destinés : a) à répondre aux besoins propres des délinquants
juvéniles, tout en protégeant leurs droits fondamentaux; b) à répondre aux besoins de la
société; c) à appliquer effectivement et équitablement l'ensemble de règles ci-après ». En
vertu de l’article 40 alinéa 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant3202, les
Etats sont encouragés à créer des procédures particulières pour des mineurs délinquants3203 :
« les Etats parties s'efforcent de promouvoir l'adoption de lois, de procédures, la mise en
place d'autorités et d'institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou
convaincus d'infraction à la loi pénale ». Les principes directeurs des Nations unies pour la
prévention de la délinquance juvénile (principes directeurs de Ryiad) du 14 décembre 1990
ont repris et développé ce principe dans ses articles 5.b et 58.3204 De manière encore plus
explicite, la recommandation R (87)-20 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe du
17 septembre 1987 dispose dans la clause 5 qu’il faut éviter « le renvoi des mineurs vers la
juridiction des adultes, quand des juridictions des mineurs existent ». Le principe 9 de la
même recommandation demande une formation spécialisée de tous les intervenants (police,
avocats, procureurs, juges, travailleurs sociaux) en matière de justice des mineurs.

489. S’il existe un consensus relatif en ce qui concerne la nécessité de se conformer


aux instruments internationaux et européens, une grande différence existe entre les trois pays
étudiés sur le plan du champ d’application de cette justice pénale des mineurs. En effet, bien

3201
F. BAILLEAU et Y. CARTUYVELS, « Introduction », Déviance et Société 2002, n° 3, p. 279.
3202
Cette Convention du 20 novembre 1989 a été ratifiée par la France le 7 août 1990, par la Belgique le 4 décembre
1990 et par le Royaume-Uni le 16 décembre 1991.
3203
B. DE SMET, « Het nieuwe jeugdrecht gewikt en gewogen door het Grondwettelijk Hof », RW 2008-09, p. 130-
141.
3204
En vertu de l’art. 5 b, la politique de prévention de la délinquance devrait comporter « l’adoption de conceptions
et de méthodes spécialement adaptées à la prévention de la délinquance et concrétisées par des textes législatifs, des
processus, des institutions, des installations et un réseau de services visant à réduire la motivation, le besoin et les
occasions de commettre des infractions et à éliminer les conditions donnant lieu à un tel comportement ». En vertu de
l’art. 58, « il faudrait donner au personnel (hommes et femmes) des organes chargés de faire respecter la loi et autres
organes compétents la formation nécessaire pour qu’ils sachent répondre aux besoins particuliers des jeunes et
connaissent et utilisent autant que faire se peut les possibilités et les programmes de prise en charge qui permettent
de soustraire les jeunes au système judiciaire ».

526
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

que l’âge de la majorité pénale soit fixé, dans les trois pays, à dix-huit ans, celui de la
responsabilité pénale des mineurs diffère considérablement. Ainsi, en droit belge, le mineur
en dessous de l’âge de la majorité pénale est en principe soustrait de l’application de la loi
pénale.3205 Dans certains cas, il peut, à partir de l’âge de seize ans, néanmoins être jugé
comme un adulte. En dessous de cet âge, aucune peine n’est envisageable en droit belge. En
France, si l’âge de la responsabilité pénale n’est pas fixé par le législateur — il est établi en
fonction du discernement du mineur —, des sanctions pénales sont possibles à partir de l’âge
de treize ans.3206 Afin de se conformer aux engagements internationaux et dans un souci de
clarté, la Commission Varinard propose de fixer l’âge de la responsabilité pénale à douze ans
(proposition nr. 8) avec l’interdiction d’incarcérer un mineur de moins de quatorze ans sauf
en matière criminelle (proposition 12).3207 Le droit anglais va encore plus loin. L’âge de la
responsabilité pénale est fixée à dix ans (s. 16 (1) Children and Young Persons Act de 1963).
Dans certaines conditions, même un mineur de dix ans peut comparaître devant la Crown
Court des majeurs.3208

Nous pourrions argumenter que la nécessité de spécialisation est inversement


proportionnelle à l’âge de l’auteur, hypothèse que nous analyserons ci-dessous (§ 2 — A la
recherche d’une multidisciplinarité). Il semble qu’en matière criminelle, certains pays
consacrent un système plus dérogatoire, mais également davantage protectionniste que
d’autres. A cet égard, il importe de rester vigilant quant aux pièges du droit comparé. Avant
de copier des institutions étrangères telle que la cour d’assises française des mineurs, il
convient de s’assurer du caractère effectif – et non chimérique – de leurs apports (§ 1 — Les
pièges du droit comparé).

§ 1 — LES PIEGES DU DROIT COMPARE

490. Le 31 juillet 2009 le législateur belge a promulgué une loi visant à modifier la
composition de la cour d’assises ordinaire lorsqu’elle est compétente pour des mineurs.3209
Après des années de renvoi du mineur criminel devant la cour d’assises des majeurs, la Cour
constitutionnelle belge a usé de l’opportunité de son contrôle de la loi sur la protection de la
3205
TH. MOREAU, « La responsabilité pénale du mineur en droit belge », RIDP 2004, p. 162, p. 151-200.
3206
En dessous de cet âge, aucune peine n’est envisageable. Pour la catégorie des mineurs âgés de dix à treize ans,
seules des mesures et des sanctions éducatives sont possibles (art. 122-8 al. 2 CPF et art. 2 al. 2 ord. 2 févr. 1945). Des
peines ne sont envisageables que pour les treize à dix-huit ans.
3207
Commission VARINARD, o.c., p. 70 et s.
3208
Pour une critique, v. Th. CROFTS, « Catching up with Europe : Taking the Age of Criminal Responsibility
Seriously in England », Eur. Journ. Crime Cr.L.Cr.J. 2009, p. 267-291.
3209
Loi du 31 juillet 2009 modifiant l’article 119 du Code judiciaire et l’article 57bis de la loi du 8 avril 1965 relative
à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la
réparation du dommage causé par ce fait, MB 18 août 2009, p. 54562 ; v. aussi Doc.parl. Chambre 2007-08, n° 52-
1149/1.

527
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

jeunesse du 13 juin 20063210 afin d’exiger une certaine spécialisation de la justice criminelle
des mineurs. Si la Belgique, à la suite de cette décision semble s’aligner sur l’exemple
français de la cour d’assises des mineurs, il faut toutefois veiller à ne pas surestimer la
spécialisation de cette instance. En effet, si la France connaît déjà, depuis 1951, une cour
d’assises spécifique aux mineurs, la spécialisation de cette juridiction semble nécessairement
se limiter à la composante professionnelle par ailleurs potentiellement redoutable (A — La
composition des juridictions criminelles des mineurs). La même vigilance est judicieuse
concernant la compétence de la cour d’assises des mineurs. Celle-ci étant élargie, par souci
d’efficacité, aux majeurs co-auteurs ou complices des mineurs, il s’agit de savoir si la
spécialisation n’est dès lors pas entravée (B — La compétence de la cour d’assises des
mineurs) ?

A — LA COMPOSITION DES JURIDICTIONS CRIMINELLES DES MINEURS

491. En droit belge, la discussion sur l’opportunité d’une cour d’assises spécialisée a
été déclenchée par la décision d’inconstitutionnalité partielle de la nouvelle loi du 13 juin
2006 modifiant celle du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse. Si Henri Carton
de Wiart justifiait l’existence des juridictions spécialisées par la défense sociale, la loi du 8
avril 1965 s’appuie surtout sur une philosophie protectrice en considérant, notamment, que
les mineurs ne sont pas pénalement responsables, mais influencés par une mauvaise
éducation ou une personnalité immature. Le tribunal de la jeunesse, une chambre spéciale du
tribunal de première instance, n'impose dès lors pas de peines aux jeunes criminels ; il prend
des mesures à leur encontre3211. Pourtant, la loi instaurait un garde-fou pour les mineurs âgés
d’au moins seize ans ne pouvant être rééduqués, à savoir la procédure de dessaisissement.3212
Selon une décision du Tribunal de jeunesse de Bruxelles du 26 août 1982 « […] le
dessaisissement autorisé par l'article 38 de la loi du 8 avril 1965 est une mesure
exceptionnelle qui a pour effet de soustraire le mineur aux dispositions protectrices prévues
pour les justiciables de son âge et de l'exposer aux rigueurs de la répression ».3213 En cas de
dessaisissement notamment, le mineur est considéré comme pénalement responsable et peut

3210
Loi du 13 juin 2006 modifiant la législation relative à la protection de la jeunesse et à la prise en charge des
mineurs ayant commis un fait qualifié infraction, MB 19 juill. 2006, p. 36088 et entrée en vigueur le 1er octobre 2007.
3211
Sont ainsi possibles des réprimandes, un placement dans une famille d'accueil ou un institut spécialisé, un travail
d’intérêt général, ...
3212
B. DE SMET, « De uithandengeving » in A. VANDEPLAS et P. ARNOU (éd.), Strafrecht en strafvordering :
commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, Anvers, Kluwer, 2007, p. 3.
3213
Tribunal de jeunesse de Bruxelles, 26 août 1982, cité par J. MOENS et P. VERLYNDE, Juridiction jeunesse : les
mesures à l’égard des mineurs, les mesures à l’égard des parents, Bruxelles, Bruylant, 1988, p. 231.

528
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

subir les mêmes peines qu’un majeur à l’exception, en vertu de la loi du 15 mai 2006, d’une
peine privative de liberté à perpétuité devant la cour d’assises (art. 12 CPB).3214

Afin de restreindre la portée de cette procédure, le dessaisissement est seulement


possible pour des mineurs d’au moins seize ans au moment des faits. Il doit en outre s’agir de
mineurs dont l’incorrigibilité permet de les juger comme des adultes suivant la procédure
ordinaire. Le dessaisissement est dès lors fondé sur un critère négatif : l’inadéquation des
mesures de protection.3215 Cela revient dès lors à avouer l’échec du système spécial des
mineurs.3216 Toutefois, l’ouverture au mécanisme de la répression ne peut être prononcée que
de manière exceptionnelle. Le juge des enfants ne peut prononcer le dessaisissement que sur
requête du parquet3217 et dans le respect de certains délais spécifiques. En vertu de l’article
57bis de la loi du 8 avril 1965, inséré par l’article 21 de la loi du 13 juin 2006, le juge des
enfants prend en considération la personnalité, la maturité et les conditions de vie du mineur.
En principe, il demande l’avis d’un expert psychiatre sur la personnalité du mineur.3218 Pour
limiter la possibilité de dessaisissement, au moins une des deux conditions suivantes doit être
remplie. En premier lieu, si le mineur a déjà fait l’objet d’une mesure de protection dans le
passé, la procédure de dessaisissement est envisageable pour chaque délit et crime.3219 En
l’absence de récidive, un dessaisissement est deuxièmement uniquement possible pour l’une
des infractions sévères mentionnées dans la liste de l’article 57bis précité.3220 Il s’agit de
l’infraction d’attentat à la pudeur (art. 373 CPB), du viol (art. 375 CPB), du meurtre et ses
diverses espèces (art. 393-397 CPB), des coups et blessures prévus aux articles 400 et 401 du
Code pénal, de la torture et du traitement inhumain (art. 417ter et 417quater CPB), des vols
qualifiés (art. 471-475 CPB) ou d’une tentative afférente à l’un des faits prévus aux articles
393-397 du Code pénal. Le législateur ne prend donc pas uniquement en compte la
personnalité des mineurs, mais également la nature et la gravité des faits.

3214
Loi du 15 mai 2006 modifiant la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, du Code d'instruction
criminelle, le Code pénal, le Code civil, la nouvelle loi communale et la loi du [24 avril 2003] réformant l'adoption,
MB 2 juin 2006, p. 29028 ; B. DE SMET, « De strafrechtelijke verantwoordelijkheid van minderjarigen en de
strafprocedure na de nieuwe jeugdwet » in X, Verantwoordelijkheid en recht, Malines, Kluwer, 2008, p. 206.
3215
L’utilité des mesures de protection est jugée au moment du prononcé de la décision.
3216
Doc.parl. Chambre 2004-05, n° 51-1467/001.
3217
La victime n’a pas d’initiative sur ce point (R. VERSTRAETEN, S. DE DECKER et T. VAN HOOGENBEMT, « De
strafrechtelijke gevolgen van de uithandengeving en de behandeling van de zaak door de jeugdrechtbank en door het
hof van assisen », FC 2008, p. 158).
3218
Dans trois cas le tribunal de la jeunesse peut se dessaisir d'une affaire sans disposer du rapport de l'examen
médico-psychologique : lorsque l'intéressé se soustrait à cet examen ou refuse de s'y soumettre ; en cas de récidive
pour certaines infractions graves et en cas de poursuite après l’âge de dix-huit ans pour une infraction punie d’au
moins vingt ans commis après l'âge de seize ans (B. DE SMET, « De strafrechtelijke verantwoordelijkheid van
minderjarigen en de strafprocedure na de nieuwe jeugdwet », l.c., p. 206).
3219
Les contraventions sont encore traitées par les juridictions de droit ordinaire.
3220
Pour une critique de cette liste et en particulier son caractère fixe par rapport à une société changeante et son
risque de l’oubli de certaines infractions graves (tel que de l’incendie volontaire), v. R. VERSTRAETEN, S. DE DECKER
et T. VAN HOOGENBEMT, « De strafrechtelijke gevolgen van de uithandengeving en de behandeling van de zaak door
de jeugdrechtbank en door het hof van assisen », l.c., p. 147.

529
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

Après le dessaisissement, le mineur est confié au ministère public qui garde sa


souveraineté pour la suite de la procédure : il peut classer sans suite ou requérir devant le
juge compétent, soit devant la cour d'assises ordinaire et (à l’époque) non spécialisée pour les
crimes non correctionnalisables, soit, en cas de crime correctionnalisable3221, devant la
chambre spéciale du tribunal de la jeunesse comprenant trois juges (art. 92 § 1, 7°C. jud.),
dont deux doivent obligatoirement avoir suivi la formation spécialisée particulière visée à
l’article 259sexies § 1, 1° al. 3 du Code judiciaire.3222 Pour la cour d'assises aucune mesure
équivalente de spécialisation n’était en vigueur.3223 En effet, les magistrats de la cour
d’assises ne devaient pas être des spécialistes en matière de protection de la jeunesse (art.
57bis loi du 8 avril 1965). Il convient de remarquer qu’en droit anglais, où la Crown Court
n’est qu’exceptionnellement saisie3224, mais cela même pour des mineurs de dix ans, cette
cour siège avec la même composition que la Crown Court pour majeurs et ne connaît sur ce
point aucune spécialisation.

492. Si le Conseil supérieur de la Justice a considéré que les mineurs devaient


bénéficier d’une protection particulière et que la création de chambres spécifiques
s’imposait3225, la non-spécialisation de la cour d’assises était une cause d’exaspération aux
yeux de la Cour constitutionnelle belge. Elle estimait notamment que la nouvelle procédure
de dessaisissement, qui ouvre la porte à une chambre spécialisée de juges pour les crimes
correctionnalisables3226 et à la cour d’assises ordinaire et non spécialisée pour les crimes non
correctionnalisables, s’avère contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution pour violation
du principe d’égalité des justiciables mineurs devant la loi. Elle pose d’ailleurs des problèmes
du point de vue de l’article 40 alinéa 3 précité de la Convention internationale des droits de
l’enfant. Pour pallier ces critiques, la loi belge du 31 juillet 2009 exige que la cour d’assises
compétente pour un crime non-correctionnalisable après dessaisissement du juge des enfants,
comprenne, pour être valablement composée, deux magistrats ayant suivi la formation
spécialisée requise pour l’exercice des fonctions de juge au tribunal de la jeunesse, visée à

3221
Sur le caractère contraignant de cette dénaturation, supra, n° 111.
3222
Le troisième magistrat est nécessairement un juge au tribunal correctionnel. Sur la composition, la compétence et
la procédure de ces chambres spéciales du tribunal de la jeunesse, v. R. VERSTRAETEN, S. DE DECKER et T. VAN
HOOGENBEMT, « De strafrechtelijke gevolgen van de uithandengeving en de behandeling van de zaak door de
jeugdrechtbank en door het hof van assisen », l.c., p. 150 et s.
3223
C.C. n° 49/2008 du 13 mars 2008 (consid. B.30.4), JLMB 2008, p. 864, note A. VERVOIR, FjW 2008, p. 825, note
J. PUT, RW 2008-09 (résumé), p. 142, note B. DE SMET et TJK 2008, p. 219, note R. DEFRANCQ, S. VAN RUMST et G.
DECOCK.
3224
Infra, n° 498.
3225
Doc.parl. Chambre 2004-05, n° 51-1467/2.
3226
Rappelons que la loi du 21 décembre 2009 a étendu le nombre de crimes susceptibles de correctionnalisation en
doublant la liste de l’art. 2 de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes. Ces dispositions sont entrées
en vigueur le 1er mai 2010 (supra, n° 38).

530
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

l'article 259sexies § 1, 1°, alinéa 3 du Code judiciaire.3227 Avec cette loi, le législateur n’a pas
attendu la refonte globale de la cour d’assises de droit commun qui était conjointement
pendante devant les assemblées parlementaires et qui aboutirait à la loi du 21 décembre 2009.
Dans le cas de renvoi d’un mineur devant la cour d’assises, il part de l’hypothèse qu’il y a
trois magistrats de carrière ; une option qui fut toutefois remise en cause par les premiers
projets de réforme de la cour d’assises de droit commun.3228 La loi du 31 juillet 2009
s’inspire à cet égard du système français doté, depuis longtemps déjà, d’une telle composition
‘spécialisée’.

493. Depuis la loi du 24 mai 19513229, la France connaît une cour d’assises des
mineurs compétente pour les crimes commis par les mineurs âgés d’au moins seize ans au
moment des faits. Sur le plan de la composition, la spécialisation de cette juridiction, vantée
par le législateur belge, se limite nécessairement à la composante professionnelle. La cour
d’assises des mineurs comprend, hormis le président qui est un conseiller à la cour d’appel,
deux assesseurs choisis — « sauf impossibilité » — parmi les juges des enfants du ressort de
la cour d’appel3230 ainsi que neuf (en première instance) et douze (en appel) jurés, tirés au
sort dans la liste de la cour d’assises des majeurs (art. 20 al. 2 ord. 2 févr. 1945).

Sur le plan de la composition, la spécialisation s’avère par conséquent limitée. Le jury


n’a aucune spécificité en fonction de l’âge des personnes poursuivies (art. 20 al. 5 et 6 ord. 2
févr. 1945) et n’est en rien différent du jury de droit commun. Il serait en effet difficile de
solliciter la spécialisation des jurés, sauf à exiger un jury technique.3231 Un jury
d’adolescents, composé d’enfants du même âge que celui du mineur en question, et qui
s’imposerait du point de vue du judicium parium, semble pour le moins difficilement
réalisable.3232

Quant au président de la cour d’assises des mineurs, il n’a aucune spécialisation par
rapport au président de la cour d’assises des majeurs.3233 Il est désigné selon les mêmes
3227
Une autre option aurait été de supprimer les chambres spéciales du tribunal de la jeunesse, mais celle-ci ne
semblait pas opportune au point de vue de l’intérêt des mineurs.
3228
Il y avait notamment la piste de supprimer les assesseurs (Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-924/1 et Doc.parl
Chambre 2008-09, n° 52-2127/001 ; supra, n° 282).
3229
Loi du 24 mai 1951 portant modification de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, JORF
2 juin 1951, p. 5821.
3230
Il est donc aussi possible d’impliquer des juges des enfants d’un tribunal autre que celui de tenue d’assises (Crim.
27 nov. 1985, Bull. crim. 384 ; H. ANGEVIN, La pratique de la cour d’assises : traité formulaire, Paris, Litec, 2005,
4ème éd., p. 40, n° 101).
3231
Infra, n° 509.
3232
Ch. LAZERGES, La cour d’assises des mineurs et son fonctionnement : étude sociologique et juridique, Paris,
Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1973, p. 297.
3233
Les fonctions du ministère public auprès de la cour d'assises des mineurs sont remplies par le procureur général ou
un magistrat du ministère public spécialement chargé des affaires de mineurs (art. 20 al. 3 ord. 2 févr. 1945 ; H.
ANGEVIN, o.c., p. 97-98, n° 261).

531
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

modalités qu’en droit commun (art. 244 à 247 CPP). Le conseiller délégué à la protection de
l’enfance, qui préside la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel, ne peut accéder à
cette fonction dans la mesure où il siège obligatoirement en tant que membre de la chambre
de l’instruction lorsqu’un mineur est en cause, soit seul, soit avec des coauteurs ou complices
majeurs (art. 23 ord. 2 févr. 1945 et art. 253 CPP). La spécialisation du président de la cour
d’assises des mineurs devrait pourtant primer, nous semble-t-il, la spécialisation effective du
magistrat de la chambre de l’instruction.3234

Sur le plan de la composition, la spécialisation doit donc nécessairement provenir des


assesseurs. En effet, ceux-ci doivent en principe être des juges des enfants (art. 20 al. 2 ord. 2
févr. 1945). En matière de terrorisme, deux des six assesseurs de la cour d'assises spéciale des
mineurs sont des juges des enfants du ressort de la cour d’appel, conformément aux
dispositions de l'article 20 de l'ordonnance du 2 février 1945 (art. 706-25 CPP). Toutefois,
par cette petite phrase déstabilisante — « sauf impossibilité » —, le mineur peut finalement
comparaître devant une cour d’assises de droit commun, notamment lorsqu’il est impossible
de trouver des assesseurs-juges des enfants. Initialement, cette exception s’explique par la
volonté du législateur de prendre en considération l’organisation de la cour d’appel de Bastia
qui manque de juges des enfants.3235 Mais en réalité, cette expression dépasse ce cas
limité.3236 En effet, contrairement au juge des enfants qui peut cumuler les fonctions
d'instruction, de jugement, et depuis la loi Perben II du 9 mars 2004 celles qui sont relatives à
l’application des peines3237 — ce qui semble peu compatible avec le principe d'impartialité
objective ou fonctionnelle au sens de l'article 6-1 CESDH3238 —, la séparation des fonctions
est bien maintenue devant la cour d’assises des mineurs. Aucun juge des enfants ayant
participé à l’instruction et effectué des actes d’instruction ne peut siéger comme assesseur à
la cour d’assises des mineurs (art. 253 CPP),3239 ce qui peut réduire à néant le caractère
spécialisé de cette institution.

3234
Ch. LAZERGES, o.c., p. 226.
3235
Ibid.
3236
Crim. 5 avr. 1954, Bull. crim. 142 et Crim. 8 déc. 1971, Bull. crim. 344.
3237
Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JORF 10 mars
2004, p. 4567.
3238
Cette exception est pourtant validée, tant par la Cour de cassation (Crim. 7 avr. 1993, Bull. crim. 152, D. 1993, p.
553, note J. PRADEL, JCP G 1993, II, n° 22151, note M. ALLAIX, RSC 1994, p. 67, obs. M. HUYETTE et RSC 1994, p.
75, obs. Ch. LAZERGES), que par la CEDH (CEDH 24 août 1993, Fortier c. Pays-Bas, n° 13924/88, D. 1994, somm.
p. 37, obs. S. BECQUERELLE et RTDH 1994, p. 429, note J. VAN CAMPERNOLLE) ; v. BONFILS, « Les juridictions
répressives pour mineurs », l.c., p. 27 et R. OTTENHOF, « La spécialisation des fonctions et des juridictions en droit
pénal des mineurs » in X, Droit pénal contemporain. Mélanges en l’honneur d’André Vitu, Paris, Ed. Cujas, p. 415).
Le Conseil constitutionnel a reconnu le caractère essentiel de spécialisation des magistrats chargés à juger les mineurs
(Cons. const. n° 93-326 DC du 11 août 1993, JORF 15 août 1993, p. 11599, n° 29). Il souligne ainsi que la
spécialisation prévaut sur le principe de la séparation entre l’instruction et le jugement (A. GOUTTENOIRE, « Les
principes du droit processuel relatif au mineurs délinquant », l.c., p. 49).
3239
Il s’agit cependant de savoir ce qu’on entend spécifiquement par actes d’instruction. La transmission d’une copie
du PV en qualité de juge n’est pas un acte de poursuite, ni d’instruction (Crim. 3 oct. 1968, JCP 1970, II, n° 16272,

532
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

Le cas échéant, l’impossibilité de trouver des assesseurs dans la catégorie prescrite


par la loi doit, à peine de nullité, être constatée par ordonnance du premier président.3240
Pourtant, la simple constatation de l’impossibilité — par exemple « juge des enfants,
empêchés, ont été remplacés » — suffit sans que doivent être précisées les circonstances dont
elle résulte.3241 Ou avec les mots de Claude Garçin, « la censure de la Cour de cassation
n’intervient que s’il manque sur le PV : ‘les juges des enfants, empêchés, …’ ».3242 En
pratique, au moins un des assesseurs est souvent empêché, ce qui est extrêmement
condamnable dans la mesure où la cour d’assises des mineurs, prétendument spécialisée et
louée à cet égard, devient dès lors une cour d’assises de droit commun, dépourvue de
spécialisation, ce qui risque d’amorcer un retour vers la situation d’avant 1945.3243

494. Si la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme3244, créant une
cour d’assises spéciale des mineurs, n’a pas saisi l’opportunité d’enlever de manière générale
cette exception contenue dans l’article 20 alinéa 2 de l’ordonnance de 19453245, il est heureux
de constater que l’avant-projet du Code de la justice pénale des mineurs, ne prévoit dans sa
version du 30 mars 2009 plus de clause d’exception (art. 122-15 al. 2 projet).3246 La nouvelle
disposition disposera que « les deux assesseurs seront pris parmi les juges des mineurs3247 du
ressort de la cour d’appel ». De cette façon, la spécialisation du professionnel sera toujours
garantie. Il est également heureux de constater que le législateur belge a eu la sagesse de ne
pas prévoir une exception similaire à la disposition française « sauf impossibilité ». Le nouvel
article 119 alinéa 2 du Code judiciaire dispose désormais : « si les poursuites sont exercées
contre au moins une personne ayant fait l’objet d’une décision de dessaisissement, en
application de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, à la prise en
charge de mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage
causé par ce fait, dans le cadre d’un crime non correctionnalisable, la cour d’assises, pour
être valablement composée, doit comprendre deux magistrats ayant suivi la formation
organisée dans le cadre de la formation continue des magistrats, visée à l’article 259sexies §

obs. Ph. ROBERT ; Ch. LAZERGES, o.c., p. 227). V. également A. GOUTTENOIRE, « Les principes du droit processuel
relatifs au mineur délinquant », l.c., p. 50.
3240
Crim. 8 déc. 1971, Bull. crim. 344.
3241
Crim. 17 juill. 1980, inéd., cité par H. ANGEVIN, o.c., p. 41, n° 101.
3242
C. GARCIN, o.c., p. 655.
3243
Ch. LAZERGES, o.c., p. 226-227.
3244
Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à
la sécurité et aux contrôles frontaliers, JORF 24 janv. 2006, p. 1129.
3245
Notons à cet égard la différence avec l’art. 705-25 CPP.
3246
www.justice.gouv.fr/art_pix/cjpm300309.pdf.
3247
La Commission Varinard préfère cette dénomination à celle de juge des ‘enfants’. Elle est également retenue par
l’avant-projet du Code de la justice pénale des mineurs du 30 mars 2009
(www.justice.gouv.fr/art_pix/cjpm300309.pdf). Ch. Lazerges remarque à cet égard à juste titre qu’une telle
modification terminologique ne change pas fondamentalement les choses, mais mettrait en péril l’harmonie avec la
Convention internationale des droits de ‘l’enfant’ (Ch. LAZERGES, « Lectures du Rapport Varinard », l.c., p. 227).

533
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

1, 1°, alinéa 3, requise pour l’exercice des fonctions de juge au tribunal de la jeunesse ».
Selon Jean-Luc Cottyn, qui justifie l’usage des juges spécialisés par la meilleure motivation
des peines qui en découlerait, il s’agira dans la plupart des cas des juges de la jeunesse.3248 La
crainte de surcharge des juges de la jeunesse serait à relativiser vu le nombre limité des
mineurs dessaisis en faveur de la cour d’assises3249.

495. La question se pose cependant de savoir si les deux juges de la jeunesse


pourraient avoir une plus-value réelle dans le système belge où les douze citoyens tirés au
sort décident seuls sur la question de la culpabilité. Le rôle des juges ‘spécialisés’ ne peut
alors s’exercer qu’au moment de la détermination de la peine. La séparation entre le fait et le
droit, qui a été maintenue dans la procédure criminelle belge3250, rend la ‘spécialisation’ de
facto fortement réduite. Ne reste-t-il alors pas une discrimination déplorable entre les mineurs
renvoyés devant la chambre spéciale du tribunal de la jeunesse comprenant trois magistrats
de carrière qui jugent collégialement la question de la culpabilité et la peine et où les juges
spécialement formés ont une majorité de deux tiers3251 et les mineurs renvoyés devant la cour
d’assises où cette ‘spécialisation’ ne peut jouer qu’au moment de la détermination de la
peine ? La Cour constitutionnelle ne s’est pas prononcée sur ce point. Semble-t-elle alors, de
manière indirecte, consacrer le jury populaire non spécialisé ? A cet égard, l’exemple français
qui connaît un seul délibéré mixte pour les questions de culpabilité et de la peine, semble
préférable. Toutefois, même dans l’hypothèse où les deux assesseurs français sont bien des
juges des enfants, il y a seulement deux ‘spécialistes’ contre dix (neuf jurés et un président en
première instance) ou treize (douze jurés et un président en appel) non-spécialistes. Compte
tenu des règles de la majorité de la cour d’assises qui accordent, par la « minorité de
faveur »3252 une prééminence aux jurés, le mineur pourrait être privé de son juge spécialisé,
tandis que la Convention internationale des droits de l’enfant entend une spécialisation
totale.3253 Les mineurs criminels de moins de seize ans, qui sont jugés en France devant le
tribunal pour enfants conjointement par un magistrat de carrière et deux assesseurs non
professionnels, semblent donc jouir d’une meilleure protection, bien que la non-séparation
entre le juge des enfants et le juge d’instruction qui s’y applique soit étrangement considérée
comme une protection supplémentaire.3254 Avant d’aborder ce modèle de justice criminelle

3248
T. YSEBAERT, « Jeugdrechters assisteren bij assisen », De Standaard 21 août 2009.
3249
Selon le rapport fait au nom de la Commission de la Justice, il s’agissait dans le passé d’un ou deux mineurs par
an (Doc.parl. Chambre 2004-05, n° 51-1467/12, p. 56).
3250
Supra, n° 285.
3251
V. également J. FIERENS, « Un box des accusés enfants admis ? », JDJ 2008, n° 277 p. 3.
3252
Supra, n° 288.
3253
Ch. LAZERGES, o.c., p. 427-431.
3254
A. CARCY, o.c., p. 32.

534
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

des mineurs, il convient de souligner que la spécialisation de la cour d’assises des mineurs
pourrait également être menacée par la présence de majeurs qui comparaissent devant elle.

B — LA COMPETENCE DE LA COUR D’ASSISES DES MINEURS

496. En France, l’assimilation à la cour d’assises de droit commun se dessine


également, à première vue, sur le plan de la compétence. La cour d’assises des mineurs
française est compétente pour les crimes et délits/contraventions connexes commis par les
mineurs âgés de seize à dix-huit ans au moment des faits. L’arrêt de renvoi est en principe
attributif de compétence (art. 231 CPP). Pourtant, contrairement à la cour d’assises de droit
commun qui ne peut être compétente que pour des majeurs, la cour d’assises des mineurs
n’est pas exclusivement réservée aux mineurs.3255 Depuis la loi du 24 mai 19513256, cette
institution n’est pas uniquement compétente pour les crimes commis par un mineur âgé de
seize à dix-huit ans3257, mais également, afin d’éviter les inconvénients liés à une disjonction
des affaires, pour des majeurs coauteurs/complices de ces mineurs (art. 9 al. 3 ord. 2 févr.
1945)3258. D’ailleurs, « c’est ce problème de la disjonction qui est à l’origine de la création
de la cour d’assises des mineurs ».3259 Les mineurs âgés de seize à dix-huit ans ainsi que
leurs complices/coauteurs majeurs peuvent donc être jugés ensemble et, si une disjonction
reste possible,3260 la jonction des affaires est dans la plupart des cas privilégiée.3261 Depuis la
loi du 23 janvier 2006, cela est également le cas devant la cour d’assises spéciale des mineurs
en matière notamment de terrorisme et du trafic des stupéfiants.3262

3255
Bien évidemment, si la cour d’assises des mineurs est uniquement saisie des faits commis au temps de la minorité
de l'accusé, elle ne peut pas juger l'intéressé pour les faits perpétrés après sa majorité (Crim. 25 oct. 2000, Bull. crim.
312).
3256
Avant cette loi un crime conjointement commis par un majeur, un mineur de seize à dix-huit ans et un mineur de
moins de seize ans était nécessairement portée devant trois juridictions : les majeurs devant la cour d'assises de droit
commun ; les mineurs âgés de seize à dix-huit ans devant la cour d'assises des mineurs et les mineurs de moins de
seize ans devant le tribunal pour enfants (art. 9 al. 2, 4° et 13° ord. 2 févr. 1945). Aucune des décisions n’ayant
autorité de chose jugée sur les autres, des contradictions entre les décisions rendues étaient bien possibles (A. VITU,
« Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants » in X, Problèmes contemporains de procédure pénale.
Recueil d’études en hommage à M.L. Hugueney, Paris, Sirey, 1964, p. 247).
3257
L’âge est jugé au moment des faits et peut être prouvé par tout moyen (Crim. 1er déc. 1999, Bull. crim. 289).
3258
« Si le mineur a des coauteurs ou complices majeurs ces derniers seront, en cas de poursuites correctionnelles,
renvoyés devant la juridiction compétente suivant le droit commun ; la cause concernant le mineur sera disjointe
pour être jugée conformément aux dispositions de la présente ordonnance. En cas de poursuites pour infraction
qualifiée crime, il sera procédé à l'égard de toutes les personnes mises en examen conformément aux dispositions de
l'article 181 du code de procédure pénale ; le juge d'instruction pourra, soit renvoyer tous les accusés âgés de seize
ans au moins devant la Cour d'assises des mineurs, soit disjoindre les poursuites concernant les majeurs et renvoyer
ceux-ci devant la cour d'assises de droit commun ; les mineurs âgés de moins de seize ans seront renvoyés devant le
tribunal pour enfants ».
3259
Ch. LAZERGES, o.c., p. 219 ; v. également H. DONNEDIEU DE VABRES, « La révision de l’ordonnance du 2 févr.
1945 (loi du 24 mai 1951) », D. 1951, chron. XXVII, p. 115.
3260
Crim. 16 févr. 1954, Bull. crim. 74 et Crim. 28 févr. 1973, Bull. crim. 103 (jonction).
3261
A. VITU, « Juridiction compétente pour juger, en cas de crime, un mineur et des co-accusés majeurs », RSC 1990,
chron., p. 59.
3262
Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à
la sécurité et aux contrôles frontaliers, JORF 24 janv. 2006, p. 1129; H. ANGEVIN, o.c., p. 57, n° 135.

535
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

En vertu du principe de plénitude de juridiction, la cour d’assises des mineurs pourrait


même maintenir sa compétence, ainsi que sa procédure sui generis avec ses règles
dérogatoires en ce qui concerne la publicité3263, pour le majeur lorsque le mineur a ‘disparu’.
L’arrêt de la Cour de cassation du 4 juillet 1989 allait dans ce sens.3264 André Vitu par contre
ne manque pas de souligner que le fondement de l’ordonnance de 1945 est la séparation
complète : pas de mineurs devant les juridictions propres aux majeurs, pas de majeurs devant
les juridictions des mineurs.3265 Si l’unique mineur est, par exemple, décédé depuis l’arrêt de
renvoi, la cour d’assises des mineurs est incompétente pour juger le majeur 3266. Dans ce cas,
la Cour de cassation est tenue de régler le conflit de compétence entre la décision de renvoi et
l’arrêt d’incompétence de la cour d’assises des mineurs. Avant la loi du 15 juin 2000 qui
supprime le double degré d’instruction3267, le majeur était de nouveau renvoyé devant la
chambre d’accusation en vue d’un nouvel arrêt de renvoi devant la cour d’assises de droit
commun. La cour d’assises de droit commun recouvre également sa compétence si, après le
jugement devant la cour d’assises des mineurs d’un mineur âgé de seize à dix-huit ans et d’un
majeur, seul le majeur interjette appel.3268

497. La prééminence que la Cour de cassation attribue à la cour d’assises des mineurs
est à sens unique : lorsqu’un mineur est renvoyé devant une cour d’assises ordinaire, celle-ci
doit nécessairement se déclarer incompétente, sauf pour le majeur co-auteur ou complice.3269
Le principe de plénitude de juridiction de la cour d'assises ordinaire s'efface alors devant les
règles applicables au jugement des infractions commises par les mineurs en vertu de la
maxime « lex specialis derogat generalis ».3270 Si un mineur usurpe par exemple l’identité
d’un majeur et est jugé par un tribunal de droit ordinaire des majeurs, il doit être rejugé par
une juridiction des mineurs.3271 Il nous semble que cela est également le cas en Belgique avec
la nouvelle loi du 31 juillet 2009. Le cas échéant, la cour d’assises des majeurs ne peut pas
renvoyer l’affaire de sa seule autorité devant la cour d’assises des mineurs compétente. Le
conflit de compétence susceptible d'exister entre la décision d'une chambre de l'instruction et

3263
Infra, n° 523.
3264
Crim. 4 juill. 1989, Bull. crim. 285 : « attendu qu'aux termes de l'art. 594 CPP, en matière criminelle, l'arrêt de
renvoi de la chambre d'accusation, devenu définitif, fixe la compétence de la cour d'assises ; qu'il en résulte que la
cour d'assises des mineurs demeure compétente à l'égard d'un accusé majeur en cas de disjonction des poursuites
ordonnée en raison de l'absence des accusés mineurs ».
3265
A. VITU, « Juridiction compétente pour juger, en cas de crime, un mineur et des co-accusés majeurs », l.c., p. 60.
3266
Crim. 18 déc. 1973, Bull. crim. 470.
3267
Supra, n° 376.
3268
Crim. 15 févr. 2001, Bull. crim. 44 (A. CARCY, o.c., p. 24). En revanche, si après une décision de la cour d’assises
des mineurs, seul le mineur se désiste de son appel, la cour d’assises des mineurs en appel resterait compétente en
raison du caractère attributif de compétence.
3269
Crim. 22 mai 1991, Bull. crim. 214.
3270
A. VITU, « Juridiction compétente pour juger, en cas de crime, un mineur et des co-accusés majeurs », l.c., p. 60.
3271
Crim. 30 mars 1999, Bull. crim. 62 et Dr. pén. 1999, p. 130 et Crim. 11 sept. 2002, Bull. crim. 164.

536
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

celle d'une cour d'assises est porté devant la chambre criminelle de la Cour de cassation,
compétente pour le règlement de juges (art. 659 CPP).3272

498. A cet égard une différence intéressante se dégage avec le droit anglais. En droit
anglais, il existe pour les mineurs de moins de dix-huit ans une présomption en faveur de la
juridiction de la youth court, « which is designed for their special needs ».3273 C’est une
forme de summary jurisdiction. Contrairement aux majeurs qui, pour une indictable offence,
ne peuvent jamais être jugés de manière sommaire, les mineurs ne sont en principe pas jugés
devant le jury populaire. Les mineurs ne bénéficient pas d’un right to a jury trial. La Crown
Court, qui est inévitablement atteinte d’un plus grand formalisme, est réservée aux
infractions particulièrement sévères. Un renvoi à cette juridiction n’est possible
qu’exceptionnellement (s. 24 MCA 1980), notamment pour les infractions suivantes :
assassinat/meurtre ; certaines infractions d’armes à feu (s. 51 (A) Firearms Act de 1968 et s.
29 (3) Violent Crime Reduction Act de 2006) et certaines infractions graves punissables d’une
peine d’emprisonnement excédant quatorze ans (s. 91 PCCA 2000) pour lesquelles la youth
court considère que, si le mineur est trouvé coupable, ses pouvoirs de punition (vingt-quatre
mois : douze mois privation de liberté et douze mois contrôle) seraient insuffisants.3274 Un
renvoi à cette juridiction d’adultes est également possible lorsque le mineur est accusé
ensemble avec un majeur et qu’il est dans l’intérêt de la justice — pour éviter des doubles
témoignages et des décisions inconsistantes — de les juger conjointement. En tenant compte
du fait qu’un procès devant la Crown Court peut être extrêmement traumatique pour le
mineur, beaucoup des choses dépendent de la gravité de l’acte, de l’implication du mineur
dans l’infraction et de son plea. Si le mineur n’avait qu’un rôle infime et plaide coupable, il
ne peut y avoir qu’un procès sommaire.3275 Si, en revanche, le mineur plaide non coupable et
il est impliqué dans une affaire ensemble avec un majeur, il est, contrairement au système
français, traduit devant les juridictions ordinaires compétentes pour les majeurs et perd dès
lors la spécificité de la youth court.3276 Ainsi que nous le verrons plus loin, la procédure est
dans ce cas adaptée sur certains points.

3272
Crim. 15 mars 2006, Bull. crim. 83.
3273
« Qui est construit pour leurs besoins particuliers » (R (H) v Southampton youth court [2005] 2 Cr. App. R. (S)
30 ; trad. pers.).
3274
Il n’est pas nécessaire que la Crown Court prononce effectivement une peine excédant deux ans (R (CPS) v
Redbridge youth court [2005] 169 JP 393). Une réelle possibilité de détention de plus de deux ans suffit (R (C) v
Balham youth court [2004] 1 Cr. App. R. (S) 22.
3275
Afin de mettre les lay magistrates, compétents pour l’allocation des affaires, en mesure de prendre la décision du
renvoi à la Crown Court, ils devraient être informés des condamnations préalables du mineur en question (R (Tullet) v
Medway magistrates’ court [2003] 167 JP 541) et des éventuels facteurs mitigeants, tel qu’un plaider coupable du
mineur (R (W) v Brent youth court [2006] JP 198).
3276
S’il est question d’une infraction non-indictable conjointement commises par un majeur et un mineur, les deux
sont en principe jugés par la magistrates’ court.

537
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

499. Si, en droit français, la spécificité du droit pénal des mineurs prévaut sur la
plénitude de juridiction de la cour d’assises ordinaire, il convient de souligner que la
plénitude de juridiction de la cour d’assises des mineurs3277 connaît aussi une exception,
notamment dans le cas où un mineur de moins de seize ans est impliqué. Pour cette catégorie
de mineurs, le tribunal pour enfants est exclusivement compétent.3278 La disjonction reste
alors la règle si un crime a été commis conjointement par un mineur de moins de seize ans et
un mineur âgé de seize à dix-huit ans et, a fortiori, par un mineur de moins de seize ans et un
majeur.3279 Pour la victime qui doit comparaître devant différentes juridictions, cela témoigne
d’une violence inouïe. Pensons à l’exemple d’un viol commis en bande par des mineurs de
douze à dix-huit ans. Dans ce cas, la victime doit comparaître pour le même crime devant le
tribunal pour enfants pour les mineurs de moins de seize ans et devant la cour d’assises des
mineurs pour les mineurs de la catégorie de seize à dix-huit ans.3280 Des témoignages sous
serment d’un mineur contre un co-inculpé devant une autre juridiction pourraient alors
entraver l’interdiction de témoigner contre soi-même. Le risque que les juridictions
appliquent, au détriment de la qualité de la justice, une appréciation différente concernant la
compétence ou de l’implication des différents auteurs de la même infraction est en outre
tangible.3281 Ce conflit pourrait être évité si le président du tribunal pour enfants avait
également siégé dans la cour d’assises des mineurs. Ainsi, il pourrait inciter les deux
assesseurs à ne pas contrecarrer la décision de la cour d’assises des mineurs. Mais, ainsi que
l’avance André Vitu, cela ne constitue pas une solution fiable dans la mesure où les
assesseurs peuvent s’y opposer.3282 Ce ‘palliatif’ n’est en outre pas envisageable lorsqu’une
affaire est traitée disjointement par une cour d’assises des majeurs et un tribunal pour enfants.

500. Le danger de contradiction se pose également en cas de délits commis


conjointement par un mineur et un majeur. Ainsi, dans une affaire de vol commis par un
mineur et jugée devant le tribunal pour enfants, et de recel du père jugé devant le tribunal
correctionnel et la cour d’appel, la condamnation du père heurte de plein fouet l’acquittement
du mineur pour l’infraction de base.3283 En effet, l’infraction de recel étant un délit de

3277
Crim. 4 juill. 1989, Bull. crim. 285.
3278
Crim. 21 mars 1957, Bull. crim. 281 ; confirmé par un arrêt du 29 juill. 1963, Bull. crim. 268 (v. Ch. LAZERGES,
o.c., p. 220).
3279
En Belgique, cela est également le cas pour un crime non correctionnalisable commis conjointement par un
mineur de moins de seize ans et un mineur de seize à dix-huit ans. Pensons à l’assassinat, en juillet 2009, d’une mère
par le compagnon (dix-sept ans) de sa fille (quinze ans). C’est la fille de quinze ans qui aurait demandé à son ami de
tuer sa mère.
3280
P. PEDRON, « Traitement de la délinquance des mineurs : pour une rationalisation du droit et des pratiques
éducatives sur le fondement des propositions de la Commission Varinard », l.c., p. 36.
3281
A. VITU, « Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants », l.c., p. 247.
3282
A. VITU, « Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants », l.c., p. 248.
3283
Crim. 9 févr. 1956, Bull. crim. 148 et JCP 1956, II, n° 9574, note J. LARGUIER. La chose jugée de la juridiction
des mineurs ne lie pas le tribunal correctionnel. La Cour de cassation ne peut que casser (A. CARCY, o.c., p. 24).

538
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

conséquence, elle suppose une infraction préalable. S’il ne convient pas de traiter les mineurs
de moins de seize ans devant la juridiction des majeurs, la question se pose alors de savoir
s’il faut traduire des majeurs devant la juridiction des mineurs, à savoir devant le juge des
enfants ou le tribunal pour enfants ? Afin de ne pas priver le majeur de la collégialité, un
renvoi devant le juge des enfants semble exclu.

Aux yeux d’André Vitu, la seule solution consisterait en la création d’un tribunal
mixte composé de trois juges professionnels et de deux assesseurs compétents pour juger
conjointement le mineur et le majeur.3284 Le modèle d’échevinage semble alors le modèle
recherché, maintenant pour éviter le nombre de disjonctions entre deux juridictions spéciales
des mineurs — le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs — et entre une
juridiction spéciale des mineurs — le tribunal pour enfants — et la juridiction des majeurs. Il
convient de remarquer que cette proposition recèle dès lors, à l’état de germe, non seulement
un discours de spécialisation, mais également un argument d’efficacité, à savoir la volonté
d’éviter des disjonctions et, par conséquent, un nombre élevé d’audiences. Dans une visée
similaire mais aboutissant à une solution différente, la Commission Varinard3285 propose de
maintenir la compétence de la cour d’assises des mineurs pour les faits connexes commis
avant l’âge de seize ans. La cour d’assises des mineurs ne serait donc pas uniquement
compétente pour les crimes et délits connexes commis par des mineurs de seize à dix-huit ans
avec un majeur, mais également pour les faits commis par le mineur avant son seizième
anniversaire qui forment avec le crime principalement poursuivi un ensemble indivisible.
Cette proposition de simplification de la procédure pénale et de protection de la victime est
également retenue par l’avant-projet du Code de la justice pénale des mineurs du 30 mars
2009 (art. 122-18 projet).3286

501. Il s’agit toutefois de savoir s’il convient, dans la proposition d’André Vitu, de
retirer les personnes accusées d’un crime de cette « conquête démocratique intangible » que
constituerait le jury populaire.3287 En vertu de l’article 40 alinéa 3 de la Convention
internationale des droits de l’enfant, il faut opérer une distinction entre le droit pénal des
mineurs et le droit pénal des majeurs, avec une spécialisation pour le premier. Cette
disposition n’est-elle dès lors pas remise en cause lorsque des mineurs et des majeurs se
retrouvent devant la même juridiction des mineurs ? Cette question est notamment soulevée
par Raf Verstraeten, Stef De Decker et Tim Van hoogenbemt au sujet d’une jonction des
mineurs et majeurs devant la cour d’assises belge. Selon ces auteurs, une telle jonction est

3284
A. VITU, « Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants », l.c., p. 249.
3285
Supra, note 3207.
3286
www.justice.gouv.fr/art_pix/cjpm300309.pdf.
3287
A. VITU, « Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants », l.c., p. 249.

539
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

uniquement envisageable lorsque la cour d'assises compétente pour juger des mineurs n’est
qu’une forme particulière de la cour d'assises ordinaire et, par conséquent, qu’une adaptation
des juridictions de droit commun. Si, par contre, elle constitue de façon plus déterminante
une nouvelle instance de la pyramide avec une procédure spéciale, un traitement des majeurs
devant la cour d’assises des mineurs heurte la volonté de ladite disposition internationale.3288

En requérant la composition spéciale de la cour d’assises si « au moins une personne


ayant fait l’objet d’une décision de dessaisissement », mais sans prévoir de dispositions
spéciales sur le plan de la procédure et, par conséquent, sans envisager une nouvelle
institution sui generis dans la pyramide des institutions, la nouvelle loi belge du 31 juillet
2009 semble opter pour un dérivé de la cour d’assises ordinaire.3289 La cour d’assises des
mineurs est une juridiction de droit commun à composition spéciale qui peut alors également
être compétente pour des majeurs. Contrairement à la chambre spéciale du tribunal de la
jeunesse, compétente pour les crimes correctionnalisables, devant laquelle il y a toujours une
disjonction de l’affaire conjointement commise par un majeur et un mineur dessaisi avec
toutes les difficultés et contrariétés que cela peut entraîner3290, la jonction est bien possible
devant la cour d’assises d’un crime non correctionnalisable conjointement commis par un
majeur et un mineur dessaisi. Au niveau procédural, cette cour ne présente aucune différence
par rapport à la cour d’assises de droit commun. Cela semble témoigner d’une différence par
rapport à la procédure française dont la nature concrète sera analysée ultérieurement.3291 Sur
le plan de la composition et de la compétence, nous pouvons dès à présent conclure que, si la
cour d’assises des mineurs française sert d’exemple à d’autres pays, il n’est question que
d’une spécialisation imparfaite. Avant de copier ce système, il faut veiller à ce que le droit
comparé ne se contente pas d’œuvrer superficiellement.

§ 2 — A LA RECHERCHE D’UFE MULTIDISCIPLIFARITE

502. Si, en ce qui concerne la composition, la spécialisation de la cour d’assises des


mineurs française est très modeste, les choses sont différentes pour les crimes commis par
des mineurs de moins de seize ans. Pour ceux-ci, il existe notamment un modèle original
mixte devant le tribunal pour enfants qui témoigne du vent de multidisciplinarité soufflant

3288
R. VERSTRAETEN, S. DE DECKER et T. VAN HOOGENBEMT, « De strafrechtelijke gevolgen van de uithandengeving
en de behandeling van de zaak door de jeugdrechtbank en door het hof van assisen », l.c., p. 158.
3289
V. également Doc.parl. Chambre 2007-08, n° 52-1149/2.
3290
Par exemple en ce qui concerne les témoignages sous serment contre un co-inculpé devant un autre juge et
l’interdiction de s’incriminer soi-même (v. R. VERSTRAETEN, S. DE DECKER et T. VAN HOOGENBEMT, « De
strafrechtelijke gevolgen van de uithandengeving en de behandeling van de zaak door de jeugdrechtbank en door het
hof van assisen », l.c., p. 157-158).
3291
Infra, n° 520 et s.

540
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

depuis peu au sein de la justice pénale (A — L’exemple du tribunal pour enfants). La question
se pose de savoir dans quelle mesure cette multidisciplinarité, dont le tribunal pour enfants
fait preuve, pourrait être conciliée avec l’institution du jury populaire devant la cour d’assises
des mineurs, voire la cour d’assises des majeurs (B — L’utopie d’un jury technique ?).

A — L’EXEMPLE DU TRIBUNAL POUR ENFANTS FRANCAIS

503. Ainsi que nous le venons d’analyser, l'incompétence de la cour d'assises des
mineurs est absolue pour les moins de seize ans, même en cas de pluralité avec des accusés
mineurs âgés de seize à dix-huit ans.3292 Pour les mineurs de moins de seize ans au moment
des faits, il existe, en France depuis déjà un demi-siècle3293 une symbiose fructueuse entre
l’élément professionnel et l’élément profane au tribunal pour enfants.3294 La France connaît
donc bien un modèle d’échevinage à part entière en matière criminelle. En particulier, en
vertu des articles 251-1 et suivants du Code de l’organisation judiciaire, ce tribunal est
composé d'un juge des enfants, président, et de deux assesseurs (art. 251-3 COJ énonce
‘plusieurs’ assesseurs)3295, magistrats non professionnels et choisis en fonction de l'intérêt
particulier qu'ils portent aux questions de l'enfance ainsi que de leurs compétences dans ce
domaine. Lorsque le juge des enfants préside le tribunal pour enfants, il est alors assisté par
des juges-citoyens présentant un certain profil.3296

Par cette composition originale, la prééminence de l’éducatif sur le répressif et


l’idéologie philanthropique sont clairement attestées.3297 Les assesseurs sont considérés
comme des ‘piliers indispensables’ de ce tribunal ou comme des ‘maillons incontournables’
dans l’organisation de la justice des mineurs, voire comme des ‘gardiens’ des valeurs
essentielles protectionnistes de l’ordonnance de 1945.3298 En particulier, la présence des
assesseurs au sein du tribunal pour enfants délibérant collégialement permettrait de
compenser le risque de partialité qui pourrait résulter de la double fonction du juge des

3292
Crim. 23 janv. 1989, Bull. crim. 26.
3293
Cette juridiction collégiale spécialisée en matière de mineurs fut créée par l'ordonnance de 1945 dans la lignée du
tribunal pour enfants et adolescents (Ph. BONFILS, « Les juridictions répressives pour mineurs », l.c., p. 25).
3294
Ce tribunal est également compétent pour les délits et les contraventions de la cinquième classe commis par les
mineurs de moins de dix-huit ans pour lesquels le juge des enfants est d’opinion qu’il faut prononcer une peine.
3295
Les assesseurs furent créés par la loi du 27 juillet 1942 relative à l’enfance délinquante, JORF 13 août 1942. Cette
loi n’est jamais entrée en vigueur, faute de décret d’application, mais a été reprise par l’ordonnance de 1945 (infra, n°
533).
3296
Le caractère législatif de l’art. 5 ord. du 22 décembre 1958 relatif à l’organisation des juridictions pour enfants a
été reconnu par le Conseil constitutionnel qui soulignait le besoin de règles relatives au mode de désignation, à la
durée de fonctions et aux garanties d’indépendance des assesseurs (Cons. const. n° 64-31 loi du 21 déc. 1964, JORF
30 déc. 1964).
3297
M. AUTESSERRE, « L’évolution française de l’échevinage au tribunal pour enfants », l.c., p. 183 et S. LORVELLEC,
l.c., p. 136.
3298
S. LORVELLEC, l.c., p. 137.

541
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

enfants, juge d’instruction et juge de jugement.3299 Pourtant, à l’instar des lay magistrates
anglais3300, ce type de participation citoyenne ne jouit que d’un moindre intérêt doctrinal et
jurisprudentiel.3301 Ce n’est que récemment, avec les études de Philippe Pouget — « La
participation des citoyens à la fonction de juger »,— et de Pascale Moulevrier, Jean-Noel
Retière et Charles Suaud — « La volonté de juger. Les juges non professionnels du tribunal
des baux ruraux, du tribunal pour enfants et de la commission d’indemnisation des victimes
d’infraction » —, que cette forme de participation citoyenne suscite un regain d’intérêt.3302
En outre, cette plus-value ne vaut qu’en première instance, l’appel contre les décisions du
tribunal pour enfants étant porté devant un collège purement professionnel. Si le président de
la chambre spéciale des mineurs de la cour d'appel est un conseiller délégué à la protection de
la jeunesse (art. 312-6 COJ et art. 122-20 avant-projet du Code de la justice pénale des
mineurs3303), les deux autres magistrats de robe ne bénéficient d’aucune spécialisation3304, ce
que déplore fréquemment la doctrine.3305

504. En particulier, les assesseurs sont des citoyens français de plus de trente ans qui,
contrairement aux jurés, doivent satisfaire aux exigences de technicité (art. 251-4 COJ ajoute
« et pour les compétences ») sans que leur soit toutefois imposées, contrairement aux juges
de proximité, des qualifications juridiques.3306 Les assesseurs du tribunal pour enfants se sont
déjà signalés, par leur formation et leur expérience, par leur bonne connaissance du monde de
l’enfance et de l’adolescence (art. 251-4 COJ). Souvent il s’agit de personnes issues du tissu
associatif et de la médiation sociale. Le corps enseignant et les métiers sociaux sont
fortement représentés.3307 Contrairement aux membres de la CIVI, les femmes sont
prépondérantes dans cette fonction. Si les femmes semblent généralement davantage
concernées par les questions afférentes à l’enfance et à l’éducation3308, ceci n’est peut-être
pas étranger au processus de féminisation du corps des magistrats.3309

3299
Crim. 7 avr. 1993, Bull. crim. 152, D. 1993, p. 553, note J. PRADEL, JCP G 1993, II, n° 22151, note M. ALLAIX,
RSC 1994, p. 67, obs. M. HUYETTE et RSC 1994, p. 75, obs. Ch. LAZERGES.
3300
Supra, n° 452.
3301
M. AUTESSERRE, « Audition de la FNAPTE devant al commission Varinard », RSC 2009, p. 359.
3302
P. MOULEVRIER, J.-N. RETIERE et Ch. SUAUD, o.c., 185p. et Ph. POUGET, o.c., 85p.
3303
www.justice.gouv.fr/art_pix/cjpm300309.pdf.
3304
A. GOUTTENOIRE, « Les principes du droit processuel relatif au mineurs délinquant », l.c., p. 49.
3305
Infra, n° 534.
3306
M. AUTESSERRE, « L’évolution française de l’échevinage au tribunal pour enfants », l.c., p. 204.
3307
Sur le profil de ce type de juge, qui semble socialement discriminant — « la volonté de juger ne tombant pas du
ciel » —, v. in extenso P. MOULEVRIER, J.-N. RETIERE et Ch. SUAUD, o.c., p. 25-31 et J.N. RETIERE, « La (bonne)
volonté de juger des assesseurs au tribunal pour enfants » in H. MICHEL et L. WILLEMEZ (dir.), La justice au risque
des profanes, Paris, PUF, 2007, p. 166-167.
3308
Ph. POUGET, o.c., p. 6-7.
3309
J.N. RETIERE, l.c., p. 168-169. En pratique, il ne semble pas question d’un large éventail de recrutement. Les
circulaires de 1987, de 1993 et de 2001 et 2006 souhaitent y remédier. Afin de diversifier la composition au niveau
socioprofessionnel, culturel et géographique, elles plaident pour une ouverture de cette fonction au-delà des personnes
qui se consacrent à l’éducation et au traitement des jeunes (J.N. RETIERE, l.c., p. 166-167).

542
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

Contrairement aux jurés qui sont tirés au sort et appelés à remplir cette fonction
pendant la durée d’une session, les assesseurs sont nommés pour une durée de quatre ans
renouvelable par moitié tous les deux ans, ce qui assure une certaine pérennité. La
nomination des assesseurs s’effectue notamment par une sélection par arrêté du Garde des
Sceaux, ministre de la Justice, sur une liste de candidats présentée par le premier président de
la cour d'appel (art. 251-4 al. 2 COJ). Ils ne subissent donc pas d’épreuves jalonnant le
parcours professionnel. Soit les assesseurs portent eux-mêmes leur candidature auprès du
tribunal pour enfants (4/10), soit ils sont sollicités par le juge des enfants ou recommandés
par un tiers (6/10).3310 Alors que la dimension civique est louée pour le jury populaire, la
candidature spontanée ou la cooptation des assesseurs témoigne d’un investissement
personnel.3311 Pour échapper à un bénévolat souvent synonyme d’absence de
professionnalisme et de compétence, les assesseurs reçoivent, pour cette fonction, une
indemnité forfaitaire par jour d’audience au tribunal pour enfants.3312 Une formation
préalable n’est pas obligatoire.3313

505. La distinction avec le jury populaire se manifeste aussi sur le plan du


fonctionnement des assesseurs. Contrairement aux jurés les assesseurs prennent, comme des
juges à part entière, connaissance du dossier préalablement à l’audience.3314 Bien
évidemment l’audience est menée par le président, juge professionnel. Les assesseurs
peuvent poser des questions par son intermédiaire et demander des compléments
d’information, mais leur participation effective à l’audience semble minime. Leur degré
d’intervention dépend de facto de leur relation personnelle avec le juge professionnel.3315 Au
délibéré, chacun des deux assesseurs a un pouvoir de décision égal à celui du juge des
enfants. Le professionnel pourrait alors être mis en minorité. Comme pour tous les modèles
échevinaux, il s’agit toutefois de savoir dans quelle mesure il pourrait être question d’une
collégialité véritable et d’un droit de vote à pied d’égalité. A cet égard, certains avancent
qu’en matière du droit pénal des mineurs, la maîtrise de la règle juridique aurait une
importance moindre puisque l’accent est mis sur la personne à juger plutôt que sur l’acte
accompli. Cela diminuerait par conséquent l’incidence des compétences juridiques sur les
compétences humaines, l’examen de la personnalité des mineurs ne nécessitant pas de
recourir à des compétences juridiques particulières. Ainsi que l’avance pourtant à juste titre

3310
P. MOULEVRIER, J.-N. RETIERE et Ch. SUAUD, o.c., p. 72.
3311
M. AUTESSERRE, « L’évolution française de l’échevinage au tribunal pour enfants », l.c., p. 190.
3312
Les frais et indemnités de transport et de séjour sont également rémunérés (S. LORVELLEC, l.c., p. 140).
3313
M. AUTESSERRE, « Audition de la FNAPTE devant al commission Varinard », RSC 2009, p. 364.
3314
Avec la montée de la violence, ils sont de plus en plus confrontés à des audiences criminelles pour les moins de
seize ans. Dans ces cas, il est important que les assesseurs prennent préalablement connaissance du dossier.
3315
J.-N. RETIERE, l.c., p. 176.

543
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

André Vitu, « les difficultés juridiques sont nombreuses, en cette matière comme ailleurs ».
En pratique, Soizic Lorvellec constate, au délibéré, l’expression d’un réel respect pour les
assesseurs, ainsi qu’une véritable discussion à trois. Elle ajoute également que, comme dans
toute relation humaine, certaines personnes peuvent prendre de l’ascendant et tenter
d’imposer leurs idées.3316 Cette image participative3317 est, en revanche, altérée par Jean-Noël
Retière qui note que neuf assesseurs sur treize avouent adapter leur attitude en fonction de
celle qu’adopte le magistrat.3318

506. En droit anglais, le modèle participatif est également consacré. En principe, les
lay magistrates sont compétents pour la justice pénale des mineurs. La première juridiction
fut créée, dans ce domaine, par le Children Act de 1908. Il s’agissait d’une magistrates’ court
spéciale siégeant à huis clos.3319 Afin de mieux prendre en considération le bien-être de
l’enfant et de spécialiser les magistrates chargés de juger les mineurs âgés à l’époque de huit
à seize ans, cette loi fut modifiée par le Children and Young Persons Act de 1933 (CYPA).3320
D’autres réformes intervinrent en 1948, 1963 et 1969, afin d’éviter le châtiment corporel, de
ramener l’âge de la responsabilité pénale de huit à dix ans et de réserver les poursuites
pénales donnant lieu à une peine privative de liberté aux auteurs présumés coupables d’une
infraction grave.3321 En 1989, le Children Act, créant des juridictions aux affaires familiales
(Family Proceedings Courts), mettait un terme au lien unissant, devant le même juge,
l’enfant en danger et l’enfant délinquant.3322 Les magistrates n’avaient plus de pouvoirs de
protection. Par le Criminal Justice Act de 1991, la dénomination de juvenile court fut
convertie en youth court (s. 70 (1) CJA 1991). Ainsi que nous l’avons déjà dit, cette
juridiction est en principe compétente pour le jugement des mineurs, même en cas
d’indictable offences. Elle est composée de lay magistrates qui siègent en principe à trois,
dont au moins un homme et une femme3323. Le district judge peut siéger seul. En vertu de
Schedule 2 CYPA 1933, les juges de la youth court ont obtenu une formation particulière.

507. Récemment, le législateur anglais sembla porter atteinte à la juridiction de la


youth court et, par conséquent, à celle des lay magistrates en ne retenant leur intervention

3316
S. LORVELLEC, l.c., p. 143.
3317
98% déclarent participer à la discussion ; 22% avouent des divergences fréquentes et 30% participeraient à la
rédaction du jugement (J.-N. RETIERE, l.c., p. 176).
3318
3/10 dénient toute influence des magistrats sur leur propre conduite ; 7/10 l’admettent ; 13% se plaignent de voir
leur parole confisquée et trop assujettie à celle du président (J.-N. RETIERE, l.c., p. 175-177).
3319
O. CAHN, « La justice pénale des mineurs en Grande-Bretagne », APC 2008, n° 30, p. 238.
3320
O. CAHN, « La justice pénale des mineurs en Grande-Bretagne », l.c., p. 239.
3321
Ibid.
3322
C. BALL, « Youth Justice ? Half a Century of Responses to Youth Offending », Crim. L.R. 2004, p. 28.
3323
Birmingham justices ex p F [2000] 164 JP 523. Depuis la décision Ashton 2007, il convient cependant de
s’interroger si, en cas d’irrégularité procédurale, le Parlement avait l’intention que cette irrégularité soit fatale pour
tout ce qui en découle (Ashton [2007] 1 W.L.R. 181 ; v. P. MURPHY, Blackstone’s Criminal Practice 2010, Oxford,
Oxford University Press, 2009, p. 1869).

544
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

qu’en cas de récidive et pour les infractions nécessitant une peine privative de liberté. Il
recourut toutefois à des équipes pluridisciplinaires dans le ressort de chaque autorité locale,
favorisant ainsi encore davantage le modèle de justice participatif. En particulier, par le
« referral order » (mesure de renvoi dans certaines conditions automatique pour les dix à
dix-sept ans)3324, le Youth Justice and Criminal Evidence Act de 1999 initiait une refonte
importante de la justice pénale des mineurs. Cette loi plaçait la réinsertion du délinquant au
cœur de la justice pénale afin de prévenir la criminalité (v. également s. 37 et 41 (5) (b)
Crime and Disorder Act de 1998).3325 En particulier, un mineur sans passé judiciaire3326
plaidant coupable et pour lequel le juge n’envisage ni acquittement, ni peine privative de
liberté ou internement, doit obligatoirement être renvoyé par la youth court à une commission
pour jeunes délinquants, mieux connue en tant que YOP (Youth Offender Panel ; s. 17 (1)
PCC(S)A 2000).3327 Cette commission est constituée d’un membre du Youth Offender Team
(YOT) et de deux volontaires de la communauté. Les volontaires, âgés d’au moins dix-huit
ans3328, sont bien évidemment des représentants de la communauté au service de laquelle ils
souhaitent se mettre, ce qui témoigne d’une impulsion démocratique. Ils présentent les
qualités requises pour administrer une justice réparatrice. Mais, contrairement aux assesseurs
du tribunal pour enfants français, il n’y a aucune exigence particulière à cet égard.

En termes d’objectifs, il s’agit de prévenir la commission d’autres infractions et


d’offrir au mineur, à la victime et aux membres de la communauté, un cadre moins formel
que celui du tribunal afin de favoriser le dialogue. Le renvoi devant le YOP porte sur une
durée comprise entre trois et douze mois en fonction de la gravité de l’infraction ; il consiste
en un contrat entre le mineur et le YOP qui contient toujours la réparation de la victime ainsi

3324
En dessous de dix ans, seulement des mesures éducatives sont possibles.
3325
C. BALL, « Youth Justice ? Half a Century of Responses to Youth Offending », l.c., p. 30 et A. CRAWFORD, « La
réforme de la justice des mineurs en Angleterre et Pays de Galles », Déviance et Société 2002, n° 3, p. 387.
3326
Le manque de discrétion de la cour qui en découlait est déploré par la doctrine. Il serait de nature à ébranler
l’objectif des dispositions légales (J. GREENHOW, « Referral Orders : Problems in Practice », Crim. L.R. 2003, p. 266-
268) et constituerait un « abîme ironique entre intention et réalisation » (C. BALL, « The Youth Justice and Criminal
Evidence Act 1999 Part I : A Significant Move Towards Restorative Justice or A Recipe for Unintended
Consequences ? », Crim. L.R. 2000, p. 212). Le Criminal Justice Immigration Act de 2008 veut y remédier. Si,
auparavant, n’importe quelle condamnation ou citation en justice était suffisante pour exclure le mineur de ce renvoi,
cette loi a étendu la portée du referral order.
3327
A CRAWFORD, « La réforme de la justice des mineurs en Angleterre et Pays de Galles », l.c., p. 393. Un tel renvoi
est pourtant exclu pour les infractions punissables d’une peine fixe (tel que l’assassinat). Dans des circonstances
exceptionnelles une dérogation est possible (s. 2 et 3 Crime Sentencing Act de 1997).
Si le mineur a commis deux ou plusieurs infractions, plaide coupable pour au moins l’une d’elles et en conteste au
moins une, la cour n’est pas obligée, mais a l’opportunité de renvoyer (s. 17 (2) PCC(S)A de 2000).
3328
La majorité est d’âge moyen. Fin 2002, un chiffre de 5.130 volontaires a été rapporté, dont 65% de femmes —
elles sont peut-être plus enclines à se porter volontaires pour des postes concernant les jeunes — et 89% de blancs (T.
NEWBURN, A. CRAWFORD et d’autres, The Introduction of Referral Orders into the Youth Justice System, Rapport
2001, Research Paper n° 70, Londres, Home Office, p. 61, www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs/occ70-youth.pdf). Pour le
profil de ces volontaires, v. également F. BIERMANN et A. MOULTON, Youth Offender Panel Volunteers in England
and Wales, Online Report n° 34/03, Londres, Home Office, déc. 2002 14p.,
http://rds.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs2/rdsolr3403.pdf.

545
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

qu’un programme d’activité visant à prévenir la criminalité3329 selon les principes de justice
restauratrice. Si le mineur a subi cette ‘mesure’, celle-ci n’est pas mentionnée dans son casier
judiciaire. S’il n’est pas d’accord ou refuse d’honorer le contrat, le mineur est renvoyé à la
youth court pour être rejugé, sa réticence pouvant dès lors être appréciée en sa défaveur.

Hormis les doutes sur la compatibilité de cette mesure de renvoi avec l’article 6
CESDH pour cause de non-représentation par l’avocat devant le YOP3330, l’implication des
volontaires et leur compétence à se prononcer sur ce point soulèvent des questions.3331 Un
inconvénient notable concerne par ailleurs le volume du nombre de renvois3332, d’autant que
le Criminal Justice Immigration Act de 2008 (CJIA), dès le 27 avril 2009, étendit le champ
d’application du referral order.3333 Reste à mesurer l’impact de ces modifications sur la
régression de la délinquance juvénile et la réintégration sociale des jeunes délinquants. Ces
modifications annoncent-elles une nouvelle ère de la justice participative ou, à l’inverse,
sont-elles porteuses d’un « éclectisme brouillon » ?3334 L’extension du referral order, en
2008, témoigne en tout cas de la croyance du législateur en l’efficience de cette mesure pour
endiguer la délinquance des mineurs.

508. En France, une proposition similaire était avancée par la Commission Varinard :
la déjudiciarisation du traitement de la première infraction en la confiant à une émanation des
conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance
(proposition 16).3335 En sus des craintes concernant les garanties légales et le respect des
droits de l’homme, Christine Lazerges juge le déshabillage des délégués du procureur et des
assesseurs du tribunal pour enfants qui en résulte très contestable.3336 Au lieu d’inventer de
‘nouveaux’ juges, mieux vaut conforter ces formes de participation existantes et d’ailleurs
positivement appréciées.3337 Il semble que l’avant-projet du Code de la justice pénale des
mineurs n’a pas repris cette étrange volonté de la Commission Varinard de garantir une

3329
Ce programme peut concerner : une médiation avec la victime ; un travail pour la communauté ; la participation à
certains programmes d’activités par exemple relatifs à l’alcoolisme, aux stupéfiants (C. BALL, « The Youth Justice
and Criminal Evidence Act 1999 Part I : A Significant Move Towards Restorative Justice, or A Recipe for
Unintended Consequences ? », l.c., p. 214). Il est impossible de combiner le renvoi avec une peine privative de liberté,
une amende ou une liberté sous conditions, ni avec une forme de surveillance électronique ou des « wherabouts » (J.
GREENHOW, l.c., p. 267).
3330
C. BALL, « The Youth Justice and Criminal Evidence Act 1999 Part I : A Significant Move Towards Restorative
Justice, or A recipe for Unintended Consequences ? », l.c., p. 2220-221.
3331
A. CRAWFORD, « Involving People in Criminal Justice », Criminology and Public Policy 2004, p. 694 et s.
3332
V. à cet égard, C. BALL, « The Youth Justice and Criminal Evidence Act 1999 Part I : A Significant Move
Towards Restorative Justice, or A recipe for Unintended Consequences ? », l.c., p. 218.
3333
V. s. 35-37 CJIA 2008 qui modifient les s. 16-32 Sch. 1 PCCA 2000.
3334
A. CRAWFORD, « La réforme de la justice des mineurs en Angleterre et Pays de Galles », l.c., n° 3, p. 399.
3335
Commission VARINARD, o.c., p. 102 et s (proposition n° 16).
3336
Ch. LAZERGES, « Lectures du Rapport Varinard », RSC 2009, p. 235.
3337
Ibid.

546
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

meilleure implication de la société civile en portant atteinte à son implication (bénéfique)


déjà existante.3338

B — L’UTOPIE DU JURY TECHNIQUE ?

509. S’il découle du point précédent que la justice pénale des mineurs s’ouvre bien, en
raison de la spécificité du contentieux et des personnes impliquées, à une plus grande
implication de la société civile, cela se limite pourtant à des affaires de moindre importance
ou à une catégorie spécifique de mineurs tels, en France, ceux de moins de seize ans en
matière criminelle. Il s’agit maintenant de savoir si un traitement multidisciplinaire n’est pas
non plus envisageable devant la cour d’assises des mineurs, voire devant celle des majeurs.
Cela pose inévitablement la question de l’articulation entre l’institution du jury populaire et
l’exigence de jugement spécialisé. Pourrions-nous envisager, dans un domaine si important
pour la liberté individuelle, l’instauration d’un jury technique consistant en un collège de
juges disposant de certaines qualités particulières ? Pourrions-nous envisager l’implication de
jurés ‘spécialisés’ ?

510. Ainsi que nous l’avons déjà avancé, la spécialisation, pour autant qu’elle soit
effective, se limite devant l’institution de la cour d’assises nécessairement au professionnel.
Dans les systèmes en vigueur, la spécialisation fait généralement défaut aux jurés. Cela
constituerait d’ailleurs, paradoxalement, l’un de ses mérites. Par le tirage au sort, on
favoriserait une composition représentative. Dans le passé, le droit anglais ainsi que les
systèmes continentaux ne permettaient qu’aux nantis, présumés mieux dotés en terme de
bagage socioculturel3339 d’accéder à la fonction de juré. Parfois une certaine expérience a été
poursuivie, telle qu’en témoigne le discours de Gérard Blanc de limiter le tirage au sort des
jurés en appel à un échantillon de personnes ayant déjà assumé la fonction de juré dans les
années précédentes « afin de garantir au moins une certaine expérience des jurés ».3340 Pour
le reste, seul l’ancien droit anglo-américain recèle des exemples de jurys composés de
manière spécifique : le jury « de medietate linguae »3341 et le « jury de ventre
inspiciendo ».3342 Dans quelques Etats des Etats-Unis, il est fait usage d’un « Blue Ribbon

3338
www.justice.gouv.fr/art_pix/cjpm300309.pdf.
3339
Supra, n° 136.
3340
G. BLANC, « La souveraineté populaire en question », l.c., p. 309. Dans le sillage de J.-M. Fayol-Noireterre, une
telle option devrait être réfutée : « cela risquerait d'introduire l'idée de jurisprudence qui est à bannir en matière
criminelle. Chaque cas est différent et doit être traité de manière spécifique » (Entretien avec J.-M. Fayol-Noireterre,
par G. BLANC, JCP G 1996, Entretien n° 3951, p. 306).
3341
Supra, n° 148.
3342
Le « jury de ventre inspiciendo » ou le jury de matrones était en usage en Angleterre et aux Etats-Unis depuis le
17ème siècle pour juger le fameux « plea of the belly ». Il s’agit d’un jury composé exclusivement de femmes afin de
vérifier si l’accusée, condamnée à la peine de mort, était enceinte (« quick with child of a quick child »). Le cas
échéant, une suspension de l’exécution de cette peine et éventuellement un pardon pouvaient être ordonné. Afin de
pallier la sévérité des peines, il y avait des nombreux exemples d’abus. Ce type de jury spécialisé a disparu à la fin du

547
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

Jury »3343, un jury spécial qui serait mieux à même de saisir la complexité de certaines
affaires. Bien que ce type de jury semble constitutionnel3344, l’élitisme qui en découle soulève
des questions en termes de représentativité.3345 Dans les années 1977, l’usage croissant de
preuves scientifiques, techniques, médicales, commerciales, … ainsi que la complexité
croissante de la tâche du jury ressuscitèrent l’idée d’un jury technique.3346 On suggéra en
effet de recourir à une « science court » composée d’un groupe d’experts mandatés au
traitement des preuves techniques et scientifiques, ainsi qu’à l’évaluation des divers
arguments. Cette idée n’est pas nouvelle3347, mais contrairement aux anciennes propositions,
elle fut davantage envisagée comme une alternative plutôt que comme un complément du
jury ordinaire.

511. Sur le continent l’idée d’une certaine spécialisation des jurés fut parfois
évoquée.3348 Pour l’école positiviste italienne, la participation des citoyens ordinaires serait
contraire au principe sociologique de la spécialisation des organismes. Estimant que la justice
a besoin d’une rationalité cartésienne et méthodique, le mouvement positiviste proposa de
remplacer le jury par un corps d’experts en tous genres ; par une sorte de jury technique.3349
Un tel collège serait plus enclin à individualiser la peine, ce qui est capital pour une bonne
administration de la justice. Parfois il fut également proposé de compléter le système existant
par un collège d’experts (médecins, toxicologues, graphologues, ... selon les besoins du
procès pénal) afin d’instaurer une sorte de jury technico-populaire. Henri Donnedieu de
Vabres théorisa sur ce système hybride. Samuel Stern, en revanche, estimait que la présence
de jurés ‘ignorants’ est inutile, les magistrats et experts pouvant assurer l’éclairage sur tous
les éléments du procès.3350 Pour étayer cette proposition, Stern avança la « loi de

19ème siècle en raison du développement de la science (s. 86 Juries Act de 1927 ; J. OLDHAM, o.c., p. 80 et p. 113-114
et J.C. OLDHAM, « On Pleading the Belly : A History of the Jury of Matrons », Crim. Justice History 1985, p. 1-64).
Plus généralement, s. 28 (1) Juries Act de 1949 dispose : « no issue or question shall be tried or determined by a
special jury and no person shall be cited or summoned to serve as a special juror for the trial or determination of any
issue or question, and any enactment requiring the preparation of a roll of special jurors or of a special jury book or
the inclusion in a jury of special jurors shall cease to have effect » (« aucune question ne sera jugée ou determinée
par un jury spécial et aucune personne ne sera citée en tant que juré spécial pour le procès ou la détermination d’une
question, et une disposition exigeant la preparation d’une liste de jurés spéciaux ou l’inclusion de jurés spéciaux dans
le jury cessera d’avoir de l’effet » ; trad. pers.).
3343
G.P. DU BOIS Jr., « Desirability of Blue Ribbon Juries », Hast. L.J. 1961-62, p. 479-489 ; N. HOWLIN, « Special
Juries : A Solution to the Expert Witness ? », IsLR 2004, p. 19-47.
3344
Fay v FY [1947] 332 U.S. 261 (J. GOBERT, Justice, Democracy and the Jury, Aldershot, Dortmouth, 1997, p. 66).
3345
A. GARAPON et I. PAPADOPOULOS, o.c., p. 195.
3346
N. HOWLIN, l.c., p. 24 et s.
3347
V. par exemple J.A. MARTIN, « The Proposed Science Court », Mich. L.Rev. 1977, p. 1058 et s. et A.
KANTROWITZ, « The Science Court Experiment », Jurimetrics J. 1976-77, p. 332-341.
3348
V. notamment la deuxième question avancée au Congrès de Palerme de 1932 : « Les jurys d’honneur et le délit de
diffamation », RIDP 1931, p. 331-344.
3349
P. BUQUET, l.c., p. 254-255.
3350
Il réfute l’argument que la société souhaite être représentée au jugement criminel ; la procédure pénale ne devant
pas dépendre des sentiments de la foule, ni de l’attachement de l’opinion publique, il ne faut pas occulter que nombre
de citoyens jugent ce devoir dur et ennuyeux et souhaitent y échapper (S. STERN, Le jury technique : (esquisse d'une
justice pénale rationnelle), Thèse, Paris, 1925, p. 109-110).

548
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

professionnalisation » qui s’impose de tout temps comme une « loi inébranlable de


l’évolution ascendante de l’univers ».3351 Bien que son étude fût écrite au début du 20ème
siècle, Stern pointait déjà la progression de la spécialisation et la ‘scientification’ de la
procédure criminelle. Il considérait le jury technique en particulier comme la prochaine étape
de l’évolution de la justice pénale. Après la phase primitive de vengeance-défense, la phase
religieuse avec les ordalies et le duel judiciaire, la phase législative favorisant les preuves
légales et la phase sentimentale de l’intime conviction, le temps est venu, à ses yeux,
d’aborder la phase scientifique.3352 A ce stade, des constatations individuelles et sociales
relatives à la personne du délinquant seraient déterminantes. Pour connaître le criminel, il
conviendrait d’appréhender toutes les causes du crime (sociales, personnelles, physiques, ...),
ce qui souligne l’importance de la médecine légale, de la criminologie, de la toxicologie, de
la psychologie, de l’anthropologie, du milieu social, du peuple qui naît, vit et meurt dans ce
milieu, du pays, de son histoire, de sa géographie, de ses statistiques et de sa science
pénitentiaire.3353 Avant d’être une science juridique, le droit serait surtout une science
sociale.

Dans l’optique de Samuel Stern, le jury criminel serait constitué de trois magistrats
juristes, de deux médecins légalistes dotés d’une connaissance spécifique de l’anthropologie
criminelle, de deux aliénistes et de trois directeurs d’établissements pénitentiaires. La
présence de ces dix personnes serait obligatoire pour tous les procès pénaux. Les magistrats
apporteraient un éclairage sur le jugement du fait ; les médecins et les aliénistes
psychiatriques se focaliseraient sur la personne de l’auteur ; la peine serait proposée par les
directeurs d’établissements pénitentiaires. Facultativement, dans certaines affaires nécessitant
des connaissances spécifiques, l’ajout de deux spécialistes (magistrats ou experts) serait
envisageable.3354 Il pense notamment au recours à des toxicologues pour les affaires
d’empoisonnement.

Contrairement à la conception de Raymond Saleilles qui proposait de juxtaposer le


jury technique et le jury ordinaire, le premier n’étant compétent que pour le choix de la
peine3355, Samuel Stern envisageait de supprimer le jury ordinaire pour éviter le risque de
contradiction. Hormis l’avantage de l’individualisation de la peine dans les meilleures
conditions, son collège technique permettrait de garantir les droits de la défense parmi
lesquels la motivation des arrêts dont le défaut lui semblait « un des plus grands torts imputés

3351
S. STERN, o.c., p. 61-62.
3352
S. STERN, o.c., p. 62-63.
3353
S. STERN, o.c., p. 73-74.
3354
S. STERN, o.c., p. 120.
3355
Cité par S. STERN, o.c., p. 105-107.

549
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

aux jurés »3356. Au-delà d’un remède visant à contrer l’impersonnalité du procès pénal, le
jury technique permettrait dès lors de pallier l’incompétence des jurés, l’arbitraire des
verdicts non motivés et l’impuissance de la justice.3357 Quelques années plus tard, Quintiliano
Saldana partageait cette opinion en envisageant les jurés techniques comme les jurés
d’avenir.3358

En matière de justice criminelle des mineurs, Samuel Stern proposa, dans une visée
similaire, d’instaurer un jury technique composé d’un magistrat spécialisé dans les questions
de l’enfance, de deux médecins, de quatre membres de l’enseignement, de deux directeurs
d’établissements des mineurs, d’un représentant d’une société de patronage, de deux experts
ès connaissances spéciales et de deux experts facultatifs. Cela porterait le nombre
d’intervenants à douze ou quatorze personnes, dont seulement un magistrat.3359

512. S’il s’agit de savoir où trouver un nombre suffisant de techniciens, une


spécialisation excessive pourrait s’avérer dangereuse ou au moins inquiétante, ainsi que
l’avance à juste titre Christine Lazerges. Si, a priori, les spécialistes ne jugeront pas le
mineur pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il est, la présence d’un seul magistrat fausse la
dénomination de ‘juridiction’ : « elle est aussi effrayante par sa spécialisation que l’est la
cour d’assises par sa non-spécialisation ».3360 L’excès de technicité n’est pas exempt
d’écueils. Le caractère représentatif du jury, sur lequel se fonde son utilité, disparaîtrait.

513. L’expert doit donc rester un auxiliaire de la justice ; sa mission est d’éclairer, pas
de former. Pourtant, si le médecin légal, le psychiatre, le toxicologue, … sont des auxiliaires
indispensables aux juges criminels et si l’importance de leur contribution ne fait aucun doute,
leur spécialisation est également susceptible d’effets pervers. En effet, « if litigation stakes
are high enough there never seems to be a shortage of impressively credentialed experts
arrayed on opposing sides ».3361 Au lieu de faciliter l’acte de juger, le désaccord et a fortiori
la contradiction entre experts n’ajoute que de la complexité. S’il convient alors de spécialiser
les juges professionnels, il faut également optimiser l’expertise en matière criminelle.

3356
S. STERN, o.c., p. 145-149.
3357
S. STERN, o.c., p. 311.
3358
Q. SALDANA, l.c., p. 8.
3359
Ch. LAZERGES, o.c., p. 285.
3360
Ibid.
3361
« si les enjeux du procès sont suffisamment importants, il ne semble jamais manquer d’experts hautement qualifiés
rassemblés des deux côtés » (Heerey, cité par N. HOWLIN, l.c., p. 20 ; trad. pers.). V. aussi la réponse d’un médecin à
la question de savoir si la personne examinée feint la maladie : « I wouldn't be testifying if I didn't think so, unless I
was on the other side, then it would be a post traumatic condition » (« Je ne témoignerais pas si je ne le croirais pas,
sauf si je serais [l’expert] de la partie adverse, alors il s’agirait d’une condition post-traumatique » ; Ladner/Higgins
71 So. 2d 242, 244 (La. Ct. App. 1954), cité par X, « Confronting the New Challenges of Scientific Evidence »,
Harv.L.Rev. 1994-95, p. 1481 ; trad. pers.). V. également supra, n° 200.

550
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

Intéressant à cet égard est la proposition de la Commission de réforme de la cour


d’assises belge de mettre en place le Centre pénitentiaire de recherche et d'observation
clinique (CPROC) ou le POKO (« Penitentiair Onderzoeks- en Klinisch Observatiecentrum »),
dont la création était annoncée depuis la fin des années 19903362. Ce centre aurait entre autres
pour mission la réalisation d’expertises et d’examens cliniques de personnes posant des
problèmes particuliers en termes de diagnostic, de risque de récidive et de traitement, compte
tenu des faits imputés, notamment en matière d’abus sexuel. Cela favoriserait l’expertise
psychiatrique ou psychologique obligatoire de l’inculpé.3363 Aux Pays-Bas le Centre Pieter
Baan, qui est l’émanation des principes de l’école d’Utrecht3364, remplit déjà, depuis 19493365
une mission similaire. En particulier, ce centre effectue, à la demande du rechter-
commissaris (art. 197-198 CIC), une analyse multi-méthodique et multidisciplinaire des
personnes suspectées de faits sévères tels que l’atteinte à la vie, l’incendie volontaire, une
infraction aux mœurs, … Pendant une période de sept semaines3366 un panel d’experts issus
de différentes disciplines3367 examine la part de responsabilité de l’auteur présumé au
moment des faits. Leur rapport, construit sur la base d’un cadre fixe, comporte une enquête
sur le milieu de la personne suspectée, un rapport de séjour, un rapport somatique et
psychologique, un rapport psychiatrique.3368 Il s’agit d’un outil indispensable au juge pour
qu’il puisse se prononcer sur le sort de l’accusé.3369 La grande autorité qui émane de ce
centre, internationalement considéré comme un unicum et qui occupe une place indispensable
dans la chaîne pénale3370, résulte également de l’adhésion du juge à l’avis des experts dans
environ 95% des cas. Ce centre Pieter Baan illustre l’enchevêtrement inextricable du droit

3362
Arrêté royal du 19 avril 1999 portant création et érection en établissement scientifique de l'Etat du Centre
Pénitentiaire de Recherche et d'Observation Clinique (MB 8 mai 1999, p. 16035), modifié par celui du 25 septembre
2002 (MB 13 févr. 2003, p. 7239).
3363
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 59.
3364
Cette école met la personne suspectée au cœur de la justice dans une approche multidisciplinaire, surtout s’il
existe un risque d’atteinte d’un trouble mental. L’objectif est d’augmenter l’humanité de la procédure pénale (C.
KELK, « De veelzijdige functies van het Pieter Baan Centrum » in F.A.M. BAKKER, F.A.M.M. KOENRAADT et
A.W.M. MOOIJ, Om ernstige zaken. De rapportage pro justitia, Deventer, Gouda Quint, 1999, p. 59).
3365
A cette époque dénommé POK, « Psychiatrische Observatie Kliniek » (C. KELK, l.c., p. 59).
3366
Ce Centre effectue environ 22 enquêtes par an. Il a une capacité limitée de 32 places pour ses quatre départements
(M. DROST, « Het Pieter Baan Centrum in de forensische psychiatrie van de 21e eeuw » in F.A.M. BAKKER, F.A.M.M.
KOENRAADT et A.W.M. MOOIJ, o.c., p. 173-174).
3367
Le panel d’experts comporte un psychiatre et un psychologue qui effectuent des entretiens personnels avec la
personne suspectée et éventuellement avec ses proches ; un assistant social ; un juriste chef du panel qui dresse le
bilan du passé judiciaire et des faits reprochés et veille à la progression du rapport final et un psychiatre indépendant
qui suit toute la période d’observation et donne des commentaires (www.dji.nl/inrichtingen/main.asp?pid=1843).
3368
O. NAUTA et G. DE JONGE, Gedragskundige rapportage en advisering in de strafrechtspleging voor volwassenen,
WODC, 2008, p. 116.
3369
M. DROST, l.c., p. 174.
3370
C. KELK, l.c., p. 65 et L.C.P. GOOSSENS et C.M.T. ERADUS, « Het Pieter Baan Centrum 50 jaar en verder » in
F.A.M. BAKKER, F.A.M.M. KOENRAADT et A.W.M. MOOIJ, o.c., p. 71.

551
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

pénal et de la psychiatrie légale dans une symbiose fructueuse et sert pour cette raison
comme source d’inspiration pour différents pays.3371

Ainsi que nous l’avons avancé plus haut, le législateur belge a tenté d’optimiser
l’expertise et l’instruction à l’audience d’assises avec la loi du 21 décembre 2009.3372 En
particulier, s’il résulte de l’instruction que le crime reproché à l’inculpé paraît relever de la
compétence de la cour d’assises, le juge d’instruction ordonne dans les plus brefs délais, en
plus de l’expertise psychiatrique ou psychologique de l’inculpé ordonnée sans délai par le
juge d’instruction (art. 62quater § 2 CIC), une enquête de moralité (art. 62quater § 1 al. 2
CIC). Celle-ci rassemble des informations pertinentes issues de l'entourage de l'accusé ou de
la victime dans une perspective sociologique et criminologique. Contrairement à la
Commission de réforme qui confierait, dans une perspective de spécialisation, cette mission à
un assistant social ou un criminologue attaché aux services du SPF Justice3373, la loi
maintient la compétence de la police sur ce point.

La question se pose cependant de savoir si, au-delà d’une expertise spécialisée et


multidisciplinaire indéniablement fructueuse, il serait envisageable, en matière de droit
criminel des mineurs, de spécialiser la procédure applicable devant la cour d’assises.

Section 2
La (non-)spécialisation procédurale de la justice criminelle des mineurs

514. Compte tenu de la spécialisation limitée en termes de composition, la


particularité de la justice criminelle des mineurs devrait surtout se manifester sur le plan de la
procédure. Une analyse approfondie révèle, à cet égard, de grandes différences entre les trois
pays. Si, en droit belge, la procédure applicable aux majeurs est intégralement utilisée pour le
jugement des mineurs dessaisis en faveur de la cour d’assises ‘spécialement’ composée3374, le
Royaume-Uni a, sous la pression de la CEDH, essayé d’adapter sa procédure à l’âge du
mineur qui comparaît exceptionnellement devant la Crown Court. Il s’agit toutefois de savoir
si de simples retouches à la procédure criminelle ordinaire, pour cause de jeune âge de
l’accusé, suffisent à garantir une participation effective du mineur au procès, ou s’il convient

3371
C. KELK, l.c., p. 68.
3372
Supra, n° 206 et s.
3373
Art. 8 proposition de loi du 25 septembre 2008, Doc.parl. Sénat, n° 4-924/1.
3374
Si l’art. 311 CIC prescrit des règles particulières relatives à l’audition des témoins mineurs prévues aux art. 92-
101 CIC (enregistrement audiovisuel), aucune disposition spécifique n’est prévue pour un accusé mineur.

552
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

d’aller plus loin, en l’occurrence jusqu’à la suppression du système en vigueur au profit


d’une nouvelle juridiction spécialisée des mineurs. Le système français qui modifie la
procédure criminelle ordinaire sur quelques points clés — la présence de l’accusé, le système
des questions et le principe de publicité des débats —, semble aller plus loin dans la
spécialisation. Pourtant, elle veille également à ne pas glisser vers une trop grande dérogation
qui pourrait soulever la connotation péjorative de ‘procédure d’exception’ (§ 1 — Justice
ordinaire, justice d’exception ou justice spécialisée ? En tout cas, justice sous menace). Sa
‘spécialisation’ pour mieux appréhender la question de la délinquance des mineurs ne
l’épargne toutefois pas des actuelles tendances répressives et sécuritaires qui tendent à botter
en touche l’idée fondatrice de l’ordonnance de 1945, à savoir la protection des mineurs. Ces
menaces, qui planent sur la spécialisation de la justice criminelle des mineurs, ont également
des répercussions sur la participation de non-professionnels à l’administration de la justice.
Elles font renaître l’intérêt d’un modèle multidisciplinaire d’échevinage (§ 2 — Le regain du
modèle d’échevinage).

§ 1 — JUSTICE ORDIFAIRE, JUSTICE AUTOFOME, JUSTICE D’EXCEPTIOF OU


JUSTICE SPECIALISEE ? EF TOUT CAS, JUSTICE MEFACEE

515. La matière à juger et la manière de juger sont étroitement liées.3375 Si par rapport
au système belge les procédures criminelles anglaises et françaises ont le mérite d’adapter
leurs dispositions criminelles lorsque la personne poursuivie est mineure, il faut observer une
certaine vigilance avant de verser sur ces procédures de tonitruantes louanges. Si la procédure
pénale anglaise ‘adaptée’ peine à subir avec succès l’épreuve des exigences européennes (A
— L’insuffisance d’une simple adaptation), il semble, de manière plus inquiétante, que la
philosophie philanthropique et protectrice qui sous-tend la justice spécialisée des mineurs
française s’érode (B — Effritement du modèle protecteur).

A — L’INSUFFISANCE D’UNE SIMPLE ADAPTATION

516. En droit pénal anglais, la youth court et le YOP, deux instances composées de
non-professionnels, traitent la grande masse des affaires des mineurs. La Crown Court des
adultes est compétente pour le jugement des mineurs auteurs d’un crime très grave, même
s’ils n’ont que dix ans. Ainsi, dans l’affaire Bulger de 1993, deux accusés, âgés de dix ans au
moment des faits (onze au moment du jugement), furent poursuivis devant le jury pour
l’enlèvement et l’assassinat d’un enfant de deux ans. Cette affaire, qui fit l’objet d’une

3375
R. OTTENHOF, « La spécialisation des fonctions et des juridictions en droit pénal des mineurs », l.c., p. 405.

553
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

couverture médiatique massive nonobstant l’ordre du juge de restreindre la publicité, aboutit


à la condamnation du Royaume-Uni le 16 décembre 19993376 par la Cour européenne de
Strasbourg dans l’affaire T et V c. Royaume-Uni. Il s’agit d’une des premières fois où le
Royaume-Uni fut critiqué en cette matière pour sa procédure lors du procès, plutôt que pour
ses phases pré- ou post jugement.3377 Hormis les considérations portant sur les articles 3 et 5
CESDH3378, le traitement public devant le tribunal des adultes de si jeunes enfants et selon la
procédure ordinaire, même adaptée — parmi les aménagements, il y avait en particulier des
visites préalables de la salle d’audience et un raccourcissement de la durée de l’audience —,
constituait aux yeux de la CEDH une violation du procès équitable. En particulier, la
présence du public peut être traumatisante au point d’empêcher les mineurs de participer à
leur défense.3379 Le jeune âge pourrait en outre provoquer des difficultés de compréhension
qui gêneraient l’exercice des droits de la défense. Si, selon la Cour de Strasbourg, « le procès
d’un enfant sous le coup d’une accusation pénale, même s’il n’est âgé que de onze ans », ne
« constitue [pas] en soi une violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 §
1 » (§ 84), la procédure criminelle ordinaire doit être plus compréhensible et moins
intimidante pour que l’enfant puisse participer à son procès de manière aussi effective que
possible. Il faut traiter l’accusé mineur en tenant compte de son jeune âge, de son niveau de
maturité et de ses capacités intellectuelles et émotionnelles (§ 84). Avec cette affaire la
CEDH reconnaît alors l’autonomie processuel du droit pénal des mineurs.

517. Après l’affaire T. et V. c. Royaume-Uni qui fut à l’origine d’un spectaculaire


tournant répressif dans les années 19903380, des directives particulières furent émises par les
Practice Directions (Trial of Children and Young Persons in the Crown Court) de 2000 afin
d’assister le mineur délinquant dans la compréhension des procédures et de réduire le volume
d’intimidations, d’humiliations et de stress qui va de pair avec un procès devant le jury.3381
Pour améliorer l’accessibilité, des visites préalables de la salle d’audience sont
recommandées. Afin de faciliter la communication du mineur avec son conseiller, ceux-ci

3376
CEDH 16 déc. 1999, T. et V. c. Royaume-Uni, n° 24724/94 et 24888/94, § 88, Crim. L.R. 2000, p. 187, comm.
A.J. ASHWORTH.
3377
E. HENDERSON, « The European Convention and Child Defendants », (note sous CEDH, T. et V. c. Royaume-Uni
du 16 déc. 1999), C.L.J. 2000, p. 238.
3378
Selon la CEDH il n’y a pas violation de l’art. 3 CESDH. Dans d’autres pays, l’âge de responsabilité des mineurs
est également très bas.
3379
Une autre violation de l’art. 6 CESDH découle du fait que le Home Secretary, compétent pour la fixation du tarif
de détention de l’enfant at Her Majesty’s pleasure (pour la durée qui plaira à Sa Majesté) — et donc de durée
indéterminée — n’était pas un « tribunal impartial et indépendant » au sens dudit art. 6 (C. McDIARMID, « Children
Who Murder : What is Her Majesty’s Pleasure », Crim. L.R. 2000, p. 547). L’absence de contrôle périodique de la
légalité du maintien en détention par une institution judiciaire constitue une méconnaissance de l’art. 5-4 CESDH.
3380
En témoignent le rapport « Misspent Youth » de 1996 et le livre blanc « Fo more excuses – A new Approach to
tackle Youth crime in England and Wales » de 1997 (A. CRAWFORD, « La réforme de la justice des mineurs en
Angleterre et Pays de Galles », l.c., p. 390-391).
3381
Practice Directions - Trial of Children and Young Persons in the Crown Court [2000] 2 All E.R. 285.

554
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

doivent être proches l’un de l’autre dans la salle d’audience. Si le mineur en exprime le
souhait, il doit en outre pouvoir avoir à ses côtés des membres de sa famille ou des
proches.3382 La compréhension du procès doit ensuite être facilitée par l’usage d’un langage
accessible par tous les protagonistes du procès et des explications compréhensibles du
développement de la procédure. Afin d’éviter des troubles de concentration du mineur, des
suspensions régulières sont à prévoir. Ensuite des mesures sont nécessaires afin de renforcer
le caractère informel du procès : tous les acteurs devraient, dans la mesure du possible, être
placés au même niveau ; robes et perruques doivent être évitées. Il en est de même pour la
présence visible de la police dans la salle d’audience. Finalement, afin de favoriser au mieux
la sérénité au procès, la cour peut n’autoriser l’accès à la salle d’audience qu’à un nombre
limité de personnes concernées directement par l’affaire en cause. A fortiori, elle pourrait
restreindre le nombre de journalistes présents à l’audience, tout en respectant bien
évidemment le droit du public à être informé. En cas de couverture médiatique particulière,
une protection policière peut être envisagée.3383

518. Malgré ces directives, le Royaume-Uni fut une deuxième fois condamné en
2004, dans l’affaire S.C.3384 Dans cette affaire de tentative de vol avec violence (robbery)
commise par un accusé de onze ans et connu de la police, la youth court considéra que ses
pouvoirs de punition étaient inadéquats et renvoya le mineur devant la Crown Court. Deux
expertises antérieures au procès indiquaient le niveau intellectuellement faible de l’accusé,
tout en soulignant que celui-ci était probablement conscient de ses actes et de leur nature
prohibitive. Le mineur était donc apte à plaider à condition que le procès lui soit clairement
expliqué. Bien que le procès eut lieu avant l’élaboration des Practice Directions mentionnées
ci-dessus, différentes mesures furent prises afin de s’assurer au mieux du caractère informel
du procès : le mineur n’était pas obligé de prendre place dans le box des accusés et bénéficia
d’un soutien social permanent ; il y eut des suspensions régulières du procès qui se déroula
sans robes ni perruques. Toutefois, après sa condamnation à deux ans et demi de détention,
l’assistant social déclara que l’accusé, malgré toutes ces retouches, n’avait qu’une
compréhension faible du procès et ses conséquences. Contrairement à la Cour d’appel qui
refusait une telle déclaration comme nouvelle preuve3385, la CEDH a suivi cet argument. Le

3382
En vertu de s. 34 (A) (1) CYPA 1933 un mineur de moins de seize ans comparant devant une juridiction pénale
doit être accompagné par un parent ou gardien pendant toute la procédure sauf si, au regard des circonstances de
l’affaire, la présence de celui-ci s’avère non raisonnable.
3383
Practice Directions - Trial of Children and Young Persons in the Crown Court [2000] 2 All E.R. 285. Dans la
youth court, la procédure est moins formelle. Il y est interdit de faire usage des notions ‘conviction’ et ‘peine’ (s. 59
CYPA 1933) ; un témoin ne doit pas ‘jurer’ de dire la vérité, mais ‘promettre’ de dire la vérité (s. 28 (1) CYPA 1963).
3384
CEDH 25 juin 2004, S.C. c. Royaume-Uni, n° 60958/00 ; v. aussi CEDH 20 janv. 2009, Guveç c. Turquie, n°
70337/01, § 124.
3385
C. OVEY et A.J. ASHWORTH, « Case comment », Crim. L.R. 2005, p. 130-131.

555
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

seul fait de poursuivre pénalement un mineur de seulement onze ans n’est pas en soi une
violation du droit à un procès équitable3386 à condition que le mineur ait eu la possibilité de
participer à son procès de manière effective. Or, c’est précisément là que le bât blesse selon
la Cour européenne. Une participation effective implique la compréhension de la nature du
procès et de ce que l’on risque, notamment en ce qui concerne la peine encourue. En
particulier, l’accusé doit être en mesure de suivre les témoignages, d’exposer sa propre
version des faits à son conseiller, de pointer les déclarations qu’il désapprouve et d’indiquer
tout ce qu’il trouve important pour sa défense. Le cas échéant, il convient de lui octroyer la
présence d’un interprète, d’un avocat, d’un assistant social ou même d’un ami (§ 29). Compte
tenu des déclarations de l’assistant social qui pointent le défaut de compréhension de l’accusé
concernant sa situation et, pire, son ignorance de la peine encourue — « et, même alors que
la condamnation avait été prononcée et qu'il était conduit dans une cellule, il semblait
désorienté et pensait pouvoir rentrer à la maison avec son père nourricier » (§ 33) —, la
CEDH doit constater que l’accusé n’était pas en mesure de participer effectivement à son
procès.3387

Ce besoin de ‘participation effective’ du mineur est également avancé dans l’affaire R


(P) v West London youth court de 2006.3388 Dans cette affaire d’un mineur de quinze ans
ayant des capacités intellectuelles d’un enfant de huit ans, la Divisional Court considérait que
le procès pénal d’un mineur très jeune n’est pas en soi une violation de l’article 6 CESDH, à
moins que le tribunal soit capable d’adapter sa procédure pour garantir une participation
effective au procès. Au minimum il faudrait que le mineur comprenne l’accusation à son
encontre et le caractère répréhensible de ses actes, qu’il soit au courant des éventuelles
défenses qui sont possibles, qu’il ait une opportunité raisonnable de faire des observations,
qu’il soit capable de suggérer des questions à son conseiller et de répondre aux questions. Au
fur et à mesure, l’exigence de la CEDH d’une participation effective fut donc également
reconnue par les cours anglaises.

519. Il résulte de l’analyse de cette jurisprudence que la CEDH avance non seulement
la spécialisation des instances et du droit des mineurs, mais également un principe plus
fondamental : celui de la protection de l'intérêt de l'enfant. Les considérations de la Cour de
Strasbourg sont fondées sur la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Dans
la plupart des pays, il ne serait pas possible de poursuivre un enfant de onze ans. Il n’est donc

3386
Sur ce point la CEDH ne prend pas position. Elle prend en compte les différences entre les pays.
3387
Si la majorité des juges concluait à une violation de l’art. 6 CESDH, deux juges exprimaient une opinion
dissidente en vertu de laquelle la déclaration procurée par l’assistant social n’est pas suffisante pour conclure à un
procès non équitable (C. OVEY et A.J. ASHWORTH, « Case comment », l.c., p. 130-131).
3388
R (P) v West London youth court [2006] 1 Cr. App. R. 25.

556
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

pas étonnant que la Cour européenne insiste sur un standard élevé concernant la participation
effective, s’il y a effectivement un procès.3389 A cet égard, peut-être faudrait-il, ainsi que le
suggère la CEDH, instaurer un ‘tribunal spécialisé’, capable de se montrer pleinement attentif
aux ‘handicaps’ du délinquant mineur, et doté d’une procédure propre.3390

B — L’EFFRITEMENT DU MODELE PROTECTEUR

520. En droit français, le Conseil constitutionnel a érigé l’existence d’une procédure


spéciale ou de juridictions spécialisées propres aux mineurs au rang du principe
constitutionnel. Dans sa décision du 29 août 2002 relative à la loi Perben I du 9 septembre
20023391, il a précisé que le jugement du mineur doit être assuré par des juridictions
spécialisées ou selon des procédures appropriées.3392 Hormis l’atténuation de la
responsabilité pénale des mineurs en raison de leur âge, la réponse des pouvoirs publics à la
délinquance des mineurs doit rechercher, « autant que faire se peut, leur relèvement éducatif
et moral par des mesures prononcées, en fonction de leur âge et de leur personnalité, par des
juridictions spécialisées ou selon des procédures adaptées ».3393 Ce faisant, le Conseil
constitutionnel donne donc à l'autonomie du droit pénal des mineurs une valeur
constitutionnelle ; une valeur qui fut d’ailleurs reconnu par le projet de refonte globale de
droit pénal des mineurs du 30 mars 2009. Mais en quoi consiste cette spécialisation de la
procédure pénale des mineurs ?

521. En général, le droit commun s’applique devant la cour d’assises des mineurs
française. L’article 20 de l’ordonnance du 2 février 1945 renvoie aux articles 191 à 218 et
231 à 379-1 du Code de procédure pénale. Ainsi, par exemple la procédure de défaut créée
par la loi du 9 mars 2004 pour remplacer la procédure de contumace (art. 379-2 à 379-6
CPP)3394, s’applique également aux mineurs en dépit du silence du législateur sur ce point.3395
Le dixième alinéa de l’article 20 de l’ordonnance précitée n’inclut pas expressément une
référence aux articles 379-2 à 379-6 du Code de procédure pénale, mais il ne ressort pas non
plus des travaux parlementaires une volonté explicite d’exclure le mineur.3396 En outre,

3389
C. OVEY et A.J. ASHWORTH, « Case comment », l.c.
3390
CEDH, S.C. c. Royaume-Uni, préc., § 35.
3391
Cons. const. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, JORF 10 sept. 2002, n° 26 et Gaz. Pal. du 4-5 sept. 2002, p. 1306,
note J.-E. SCHOETTL.
3392
Ph. BONFILS, « Les juridictions répressives pour mineurs », l.c., p. 25.
3393
Ibid.
3394
Cette procédure (v. H. ANGEVIN, o.c., p. 433-435, n° 1224 et s.) qui se caractérisait par l’impossibilité de
représentation par l’avocat et l’impossibilité d’un pourvoi en cassation, fut abrogée après la condamnation de la
France par la CEDH dans l’affaire Krombach (CEDH 13 févr. 2001, Krombach c. France, n° 29731/96). Pour le droit
d’être représenté par un avocat, v. l’arrêt récent de la Cour de cassation belge du 24 mars 2010 (Cass. RG
P.10.0284.F, 24 mars 2010).
3395
Crim. 21 mars 2007, Bull. crim. 92 et AJpénal 2007, p. 322, note F. MOLINS.
3396
F. MOLINS, « Jugement par défaut. Le droit commun est applicable aux mineurs », AJpénal 2007, p. 322.

557
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

l’article 20 précité continue de renvoyer aux articles 231 à 280 du Code de procédure pénale
parmi lesquels figure encore l’article 270. Cette disposition renvoie aux articles 379-2 à 379-
6 du même Code. Ainsi que le souligne François Molins, en l’absence de disposition
spécifique concernant les mineurs, la procédure ordinaire s’applique.3397 Malheureusement il
en découle également que toutes les anomalies de cette procédure pénale, telle que l’absence
de motivation des décisions criminelles, sont également d’application devant la cour d’assises
des mineurs. A nouveau les mineurs de moins de seize ans qui sont traduits pour crime
devant le tribunal pour enfants bénéficient de plus de garanties. En vertu des articles 15 et 16
de l’ordonnance de 1945, ce tribunal mixte est notamment obligé de se prononcer par
décision motivée. Dès lors, en cas de crime commis conjointement par un mineur de quinze
ans et un mineur de dix-sept ans — situation qui nécessite, rappelons-le, une disjonction de
l’affaire — le mineur de quinze ans sera jugé par le tribunal mixte pour enfants et obtiendra
une décision motivée ; le mineur de dix-sept ans, en revanche, qui sera jugé par la cour
d’assises des mineurs, ne recevra qu’un simple ‘oui’ ou ‘non’.3398

522. Nonobstant l’application de la procédure pénale ordinaire, le législateur français


a explicitement opté pour quelques dispositions procédurales dérogatoires, notamment en ce
qui concerne la présence de l’accusé mineur, le principe de publicité des débats et le système
des questions.3399

Concernant la présence de l’accusé mineur, l’ordonnance de 1945 prévoit une


dérogation au principe ordinaire de présence obligatoire de l’accusé pour l’intégralité des
débats. Afin d’éviter un traumatisme supplémentaire, la présence des mineurs devant la cour
d’assises est facultative et laissée à la libre appréciation du président.3400 Après son
interrogatoire, il est possible que le mineur se retire pour tout ou une partie des débats (art. 14
al. 3 et art. 20 al. 9 ord. 2 févr. 1945).3401 Cela ne constitue pas une violation des droits de la
défense puisque cette disposition concerne uniquement le mineur et non son avocat. Dès que
les débats sont clos, la présence du mineur est obligatoire. L’arrêt doit être rendu en public et
en présence du mineur (art. 14 in fine ord. 2 févr. 1945).

3397
Ibid.
3398
R. VERSTRAETEN en L. GYSELAERS, « De grensoverschrijdende en juryondermijnende impact van
Taxquet/België », l.c., p. 602.
3399
Dans la phase préliminaire existent bien évidemment aussi des règles spécifiques aux mineurs : l’assistance
obligatoire d’un avocat dès les premiers stades de la procédure (art. 4-1 ord. 2 févr. 1945) ; l’enregistrement des
interrogatoires du mineur placé en garde à vue (art. 4, VI ord. 2 févr. 1945) ; des conditions plus strictes et des durées
moins longues par rapport aux majeurs pour la garde-à-vue, le contrôle judiciaire et la détention provisoire (v. Ph.
BONFILS, « Les juridictions répressives pour mineurs », l.c., p. 27).
3400
A. CARCY, o.c., p. 43.
3401
Crim. 23 déc. 1955, Bull. crim. 608 (H. ANGEVIN, o.c., p. 153, n° 429).

558
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

523. En second lieu, et afin d’éviter aux mineurs l’impact potentiellement


traumatisant de la présence du public tout en favorisant leur participation réelle au procès, il
existe sous peine de cassation3402 une publicité restreinte devant la cour d’assises des mineurs
et le tribunal pour enfants (art. 14 et 22 ord. 2 févr. 1945). Contrairement à l’article 6-1
CESDH3403 et à l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui prescrivent le principe
de la publicité des débats, le jugement des mineurs délinquants est soumis à une publicité très
restreinte. « Plus encore », ainsi que le souligne Philippe Bonfils, « la publicité est ici même
considérée comme contraire au procès équitable ».3404 Il convient en particulier de protéger
le mineur des regards, souvent acerbes, du public et de favoriser autant que possible leur
réinsertion future, deux objectifs prioritaires de l’ordonnance du 2 février 1945.3405 En vertu
de la règle de publicité restreinte, qui est protégée par le Conseil constitutionnel3406, seules
certaines personnes, ayant un intérêt direct dans l’affaire en cause, sont admises à assister à
l’audience. Il s’agit notamment de la victime3407, qu'elle se soit ou non constituée partie
civile, des témoins de l'affaire, des proches parents, du tuteur ou du représentant légal du
mineur, des membres du barreau, des représentants des sociétés de patronage et des services
ou institutions s'occupant des enfants et des délégués à la liberté surveillée (art. 14 al. 2 et 20
al. 8 ord. 2 févr. 1945). Cette liste est interprétée de manière stricte par la Cour de
cassation3408. Elle permet d’évacuer les jurés de session qui n’ont pas été tirés au sort ainsi
que les personnes étrangères à la cause, tels que des journalistes.3409

Il convient de remarquer que la règle de publicité restreinte n’exclut pas la possibilité


de prononcer un huis clos dans les conditions de l’article 306 du Code de procédure pénale si
la publicité peut s’avérer dangereuse pour l’ordre public ou les mœurs3410 ou que la victime
3402
Crim. 19 mars 1969, JCP G 1970, II, n° 16327, obs. Ph. ROBERT et Crim. 24 juin 1998, Bull. crim. 205 et Dr. pén.
1999, comm. 15, note A. MARON. La constatation de la publicité restreinte est nécessaire tant pour l’interdiction de
l’accès aux personnes non autorisées par la loi que pour l’autorisation de ceux qui ont libre accès (Crim. 27 juin 1973,
Bull. crim. 304).
3403
Si « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement », ce droit n’est pourtant pas absolu dans
la mesure où « l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une
partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société
démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou
dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité
serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».
3404
Ph. BONFILS, « Les juridictions répressives pour mineurs », l.c., p. 27.
3405
F. BAROIN, Rapport n° 2275 (2009-10) sur la proposition de loi visant à modifier la procédure du huis clos devant
la cour d’assises des mineurs, fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de
l’administration générale de la République, www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r2275.asp.
3406
Cons. const. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, JORF 10 sept. 2002, n° 51 et Gaz. Pal. du 4-5 sept. 2002, p. 1306,
note J.-E. SCHOETTL.
3407
Avant la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (JORF 10 sept.
2002, p. 14934), la victime qu'elle soit ou non constituée partie civile, était nécessairement considérée comme témoin
au sens des art. 14 et 20 ord. 2 févr. 1945 (Crim. 15 déc. 1993, Bull. crim. 393).
3408
Crim. 16 janv. 1993, Bull. crim. 10 (Ch. LAZERGES, o.c., p. 235).
3409
Crim. 24 juin 1998, Bull. crim. 205 et Dr. pén. 1999, comm. 15, note A. MARON.
3410
Crim. 2 mars 1955, Bull. crim. 129 et JCP 1955, II, n° 8760, obs. J. PIERRON et Crim. 28 févr. 1973, Bull. crim.
103.

559
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

d’un viol le demande3411. La publicité restreinte et le huis clos étant ordonnés pour des
raisons différentes et entraînant des conséquences variables, il est possible de combiner les
deux procédures.3412 Par toutes ces mesures, les mineurs semblent convenablement
protégés.3413 Le législateur belge qui s’est contenté de modifier le composant professionnel
pour avoir une spécialisation aux assises, aurait dû envisager une disposition similaire pour sa
cour d’assises des mineurs. En Belgique, la publicité est la règle3414, à moins que cette
publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les mœurs (art. 148 Constitution). Le cas échéant,
la juridiction de jugement peut ordonner le huis clos.3415 En vertu de l’article 277 in fine
juncto article 190 du Code d’instruction criminelle, la juridiction de jugement peut en cas de
poursuites pour viol ou attentat à la pudeur (art. 372 à 378 CPB), ordonner le huis clos à la
demande de l'une des parties ou de la victime, notamment en vue de la protection de leur vie
privée. En Belgique, il n’existe pas de règle générale de publicité restreinte. Cela constitue
également une différence avec la youth court anglaise qui connaît également une accessibilité
restreinte (s. 47 (2) CYPA 1933). En vertu de l’article 281 § 1 in fine du Code d’instruction
criminelle, le président de la cour d’assises belge ne peut admettre à des places réservées des
personnes dont la présence ne serait pas justifiée, soit par l’instruction de la cause ou le
service de l’audience, soit à raison de leurs fonctions ou professions.3416

En ce qui concerne le champ d’application, la dérogation française au principe


traditionnel de la publicité s’applique ratione temporis pendant l’intégralité des débats et
concerne également les débats relatifs à l’action civile3417. Antérieurement et après la clôture
des débats, l’audience se déroule de manière entièrement publique.3418 Il en est de même pour
les arrêts incidents ayant un caractère contentieux3419, la lecture des questions, les réponses
du jury3420 et l’arrêt final. Ratione personae, les règles de la publicité restreinte s’appliquent

3411
Crim. n° 96-84763, 24 sept. 1997, inéd. ; v. également la décision d’irrecevabilité, CEDH 7 juin 2007, Tamburini
c. France, n° 14524/06 : « le huis clos des débats devant la Cour d’Assises a été commandé par la circonstance
particulière que la victime en avait formulé la demande, et cette mesure correspondait à un besoin manifeste de
protection de la vie privée de la victime partie civile, rendue nécessaire par les faits de l’espèce, ce qui entre dans le
champ des restrictions à la publicité des débats énumérées à l’article 6 § 1 de la Convention ».
3412
Crim. 2 mars 1955, Bull. crim. 129 et JCP 1955, II, n° 8760, obs. J. PIERRON.
3413
Ch. LAZERGES, o.c., p. 238-239.
3414
Bien évidemment le président peut, en vertu de son pouvoir de police d’audience, faire retirer des perturbateurs.
En vertu de l’art. 75 de la loi du 8 avril 1965, les mineurs n'ayant pas atteint l'âge de quatorze ans ne peuvent assister
aux audiences des cours et tribunaux sans l’accompagnement d’un parent, de leur tuteur ou d’une personne qui en a la
garde, que pour l'instruction et le jugement des poursuites dirigées contre eux, ou lorsqu'ils ont à comparaître en
personne ou à déposer comme témoins, et seulement pendant le temps où leur présence est nécessaire. Le président
peut interdire à tout moment la présence des mineurs à l'audience, notamment en raison du caractère particulier de
l'affaire ou des circonstances dans lesquelles l'audience se déroule ; v. également en droit anglais, s. 36 CYPA 1933.
3415
Il n’existe pas d’obligation d’ordonner le huis clos (Cour ass. Brabant 8 févr. 1993, RDPC 1993, p. 689).
3416
Le nombre de places réservées peut être limité par le président (Cass. 20 mai 1913, Pas. 1913, I, p. 254).
3417
Crim. n° 98-85057, 23 juin 1999, inéd. et Crim. n° 00-82660, 6 déc. 2000, inéd.
3418
Crim. 8 nov. 1967, Bull. crim. 287.
3419
Crim. 11 mai 1988, Bull. crim. 210.
3420
Crim. 17 juin 1959, Bull. crim. 317.

560
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

également aux majeurs qui comparaissent devant la cour d’assises des mineurs3421. Toutefois,
le législateur a prévu une exception à cet égard. Eu égard aux longs délais d’instruction et
d’audiencement des affaires devant la cour d’assises, beaucoup de mineurs poursuivis devant
le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs sont devenus majeurs avant
l’ouverture des débats.3422 Il en découlerait même que devant la cour d’assises des mineurs,
paradoxalement, ne comparaissent qu’exceptionnellement des mineurs.3423 Pour offrir aux
jeunes majeurs la possibilité de bénéficier de la publicité des débats, la loi du 4 mars 20023424
a complété les articles 306 et 400 du Code de procédure pénale.3425 Le mineur devenu majeur
avant l'ouverture des débats peut solliciter la publicité des débats au plus tard avant leur
ouverture. Cette demande est cependant soumise à une double condition : la publicité des
débats n’est pas possible s’il existe dans l’affaire un accusé toujours mineur, ni si un mineur,
devenu majeur entre temps, s’oppose à la publicité des débats.3426

A la suite d’une affaire particulièrement atroce, l’affaire Fofana de 20063427, une


proposition de loi a été déposée afin d’atténuer le caractère (quasi) absolu de la règle de
publicité restreinte lorsqu’il s’agit d’un mineur devenu majeur avant l’ouverture des
débats.3428 Cette proposition réaffirme le principe de la publicité restreinte devant la cour
d’assises des mineurs (art. 306 CPP) et le tribunal pour enfants (art. 400 CPP) et envisage dès
lors de préserver cette spécificité du droit pénal des mineurs en tenant compte de l’âge de
l’auteur au moment des faits, mais retire la possibilité de publicité des débats au gré des
désirs de l’accusé devenu majeur. En vertu de cette proposition, toutes les parties, le
ministère public et la partie civile aussi, devraient être en mesure de formuler cette demande,
sauf s'il existe dans l’affaire un autre accusé toujours mineur. En cas d’opposition, la cour
déciderait en prenant en considération les intérêts de chacune des parties ainsi que ceux de la

3421
Crim. 24 nov. 1954, Bull. crim. 347 et Crim. 4 juill. 1989, Bull. crim. 285.
3422
Selon les chiffres avancés par F. Baroin, seulement 4 des 237 accusés renvoyés à la cour d’assises des mineurs en
2008 étaient encore mineur lors de l’ouverture des débats (F. BAROIN, Rapport n° 2275 (2009-10), l.c.).
3423
F. BAROIN, Rapport n° 2275 (2009-10), l.c.
3424
Loi n° 2002-307 du 4 mars 2002 complétant la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes, JORF 5 mars 2002, p. 4169.
3425
Le majeur régulièrement renvoyé devant la cour d’assises des mineurs sans avoir sollicité la disjonction, ne peut
pas s’opposer à la publicité restreinte (Crim. n° 07-80084, 7 mars 2007, inéd.). L'art. 306 al. 6 CPP réserve cette
possibilité aux seuls accusés mineurs au moment des faits, devenus majeurs lors de l'ouverture des débats (Crim. 10
oct. 2007, Bull. crim. 242).
3426
La cour n'a pas à statuer sur cette question ; il suffit que cette contestation soit constatée dans le procès-verbal des
débats pour que l'audience se déroule conformément aux règles de publicité restreinte prévue par l'ordonnance de
1945.
3427
Dans cette affaire, aussi connue comme l’affaire du « gang des barbares », un jeune français de confession juive a
fut enlevé, séquestré et torturé à la mort par un groupe de vingt personnes. Le procès s’est déroulé en 2009 devant la
cour d’assises des mineurs selon les règles de la publicité restreinte en raison de la minorité de deux accusés au
moment des faits.
3428
Proposition de loi n° 1816 (F. BAROIN et J. LANG) visant à modifier la procédure de huis clos devant la cour
d'assises des mineurs, déposée le 8 juill. 2009, www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1816.asp.

561
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

société civile.3429 La cour devrait en tout cas ordonner que l’audience sera soumise au régime
de la publicité restreinte si la personnalité de l’accusé mineur au moment des faits rend
indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics. Si la réception de cette
proposition de loi de circonstance, « écrite sous coup de l’émotion » n’a pas été sans critiques
en raison de la perspective d’une refonte fondamentale du droit pénal des mineurs3430,
l’Assemblée nationale n’en a pas moins adoptée cette réforme.3431

524. Afin de protéger la divulgation de l’identité des mineurs jugés par des
juridictions pour mineurs et compte tenu des dispositions actuelles insuffisamment
dissuasives, la proposition de loi française du 16 février 2010 vise également à uniformiser et
augmenter les amendes prévues par l’article 14 de l’ordonnance du 2 février 1945 et la loi du
29 juillet 1881 en matière de divulgation de l’identité de personnes victimes d’infractions.
Des dispositions similaires existent en droit anglais, mais elles envisagent la protection des
mineurs en général et non seulement du mineur accusé. En vertu de section 49 (1) CYPA
1933, la publication de l’identité d’un enfant ou mineur impliqué dans une procédure pénale
en tant qu’accusé ou témoin ainsi que des informations de nature à révéler son identité
(adresse, école, …) sont interdites. Toutefois, cette interdiction automatique prend un terme
dès que le mineur atteint l’âge de dix-huit ans3432, ce qui est critiqué par John R. Spencer.3433
Si le mineur comparaît devant les juridictions pénales ordinaires (magistrates’ court ou
Crown Court), les restrictions de la publicité ne sont pas automatiques, mais facultatives. Le
juge peut interdire la publication totale ou partielle de l’identité du mineur et des
informations de nature à révéler son identité (s. 39 CYPA 1933 ; s. 45 YJCEA 1999 n’est pas
encore en vigueur). En vertu de la décision prise dans l’affaire Central Criminal Court ex
parte S de 1999, il faut une bonne raison pour ne pas révéler l’identité du mineur qui
comparaît devant la juridiction des adultes.3434 L’ordre doit être clair et non équivoque.3435 Si
le juge omet d’imposer de telles restrictions, les médias sont libres.

3429
La proposition initiale visant à inverser la règle actuelle de sorte que la publicité des débats serait la règle pour les
accusés mineurs devenus majeurs avant l’ouverture des débats, sauf si la cour, saisie d’une demande de l’accusé
mineur, décide que les débats se déroulent à huis clos, fut abandonnée. Cette proposition, qui n’envisageait pas le
tribunal pour enfants, créerait une disparité non souhaitable et mettrait un terme à l’une des spécificités du droit pénal
des mineurs. Le huis clos n’est d’ailleurs pas à assimiler à la publicité restreinte (F. BAROIN, Rapport n° 2275 (2009-
10), l.c.).
3430
F. BAROIN, Rapport n° 2275 (2009-10), l.c.
3431
Proposition de loi n° 418 adoptée par l’Assemblée nationale relative au régime de publicité applicable devant les
juridictions pour mineurs, déposée le 16 févr. 2010, www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0418.asp.
3432
T v DPP, Forth East Press Ltd [2004] 168 JP 194.
3433
J.R. SPENCER, « Can Juvenile Offenders Be “Named and Shamed” When They Are Adults? », Justice of the Peace
2006, p. 644-647.
3434
Central Criminal Court ex parte S [1999] 163 JP 776.
3435
Briffet & Bradshaw v DPP [2002] 166 JP 841.

562
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

525. Finalement, une troisième dérogation aux règles de procédure pénale ordinaires
concerne le système français des questions posées. Afin de tenir compte de l’atténuation de la
responsabilité des mineurs, le président de la cour d’assises des mineurs est censé, si l'accusé
a moins de dix-huit ans, soumettre aux jurés sous peine de nullité deux questions
supplémentaires au-delà des questions habituelles : 1° « Y a-t-il lieu d'appliquer à l'accusé
une condamnation pénale ? »3436 et dans l’affirmative 2° « Y a-t-il lieu d'exclure l'accusé du
bénéfice de la diminution de peine prévue à l'article 20-2 ? » (art. 20 al. 11 ord. 2 févr. 1945).
Si la réponse à la seconde question est négative, la minoration de la peine est obligatoire. En
particulier, la peine ne peut pas, sous peine de cassation3437, excéder la moitié de celle qui est
prévue par la loi (vingt ans en cas de réclusion criminelle à perpétuité). Dans l’affirmative, le
mineur peut être condamné à la même peine qu’un adulte.3438 Une atténuation de la peine est
possible, à condition qu’elle soit motivée. Bien évidemment, ces dispositions ne sont pas
applicables aux majeurs qui comparaissent devant la cour d'assises des mineurs.

La loi du 10 août 2007 relative à la lutte contre la récidive3439 a modifié cette matière
en dérogeant au principe de l’excuse de minorité en ce qui concerne les mineurs récidivistes
de plus de seize ans. De cette façon, elle permet d’assimiler certains mineurs à des majeurs,
ce qui remet en cause la spécificité de la justice pénale des mineurs.3440 Notamment, en cas
de récidive légale pour l’une des infractions les plus graves (crime d’atteinte volontaire à la
vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne, délit de violences volontaires,
agressions sexuelles, délits commis avec la circonstance aggravante de violences), la
deuxième question est rédigée de manière positive : « 2° Y a-t-il lieu d'appliquer à l'accusé le
bénéfice de la diminution de peine prévue à l'article 20-2 ? ». Il en découle que,
contrairement au système en vigueur sans récidive — dans lequel l’application du bénéfice
de la diminution de la responsabilité pénale est la règle ; l’exclusion est l’exception —,
l’atténuation de la responsabilité pénale est en principe écartée, à moins que la juridiction
criminelle n’en décide pas autrement. Par les décisions du 3 mars 2007 et du 9 août 2007, le
Conseil constitutionnel a validé cette atteinte au principe de la diminution des peines qui
devient aisé à écarter pour les mineurs de seize à dix-huit ans en état de récidive légale, ce

3436
Etant relative à la personnalité du mineur, cette question ne doit être posée qu’une seule fois, peu importe le
nombre de crimes ayant donné lieu à la condamnation du mineur (Crim. 1er févr. 1951, JCP G 1951, II, n° 6107, obs.
J. BROUCHOT). En cas de réponse négative, des mesures éducatives énumérées aux art. 16 et 19 ord. 2 févr. 1945 ou
des sanctions éducatives de l’art. 15-1 ord. 2 févr. 1945 sont possibles ; en cas de réponse positive, une peine doit être
prononcée. Pour ce faire, il faut une majorité de huit voix sur douze (Crim. 8 janv. 1960, D. 1960, somm. p. 42).
3437
Crim. 4 mai 1983, Bull. crim. 128.
3438
A. CARCY, o.c., p. 44.
3439
Loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, JORF 11 août 2007, p.
13466.
3440
A. CARCY, o.c., p. 44.

563
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

qui faciliterait et occasionnerait une augmentation de l’emprisonnement des mineurs.3441


L’autonomie et la singularité du droit pénal des mineurs sont à nouveau soulignées, alors
qu’est contrecarré le modèle protecteur et que s’opèrent un durcissement et une
déspécialisation potentielle du droit pénal des mineurs.3442 Ce durcissement de la réaction
pénale à l’égard des mineurs qui est également consacré par la Commission Varinard
(proposition n° 48) et le projet du Code de la justice pénale des mineurs (art. 222-5) aura sans
doute des répercussions sur la cour d’assises des mineurs.3443 Si la spécificité de la justice
pénale des mineurs ne saurait être une garantie d’impunité pour les récidivistes, la question se
pose de savoir si le droit pénal processuel reste suffisamment imprégné de l’objectif de
protection des mineurs.3444

526. Si ce n’est pas par le biais du système des questions, un durcissement touche
également le modèle globalement satisfaisant du tribunal pour enfants.3445 Ainsi que nous
l’avons déjà avancé, ce modèle de justice mixte constitue une illustration ancienne de
l’évolution vers une ouverture à la société civile qui prend actuellement de l’ampleur.
Pourtant, ce modèle souffre actuellement d’un changement de cap.3446 La montée en
puissance, depuis quelques années, des soucis liés à l’insécurité ainsi que de la notion de
risque et de tolérance zéro remettent en cause le modèle éducatif et protecteur du droit pénal
des mineurs et ainsi, indirectement, la présence des assesseurs non professionnels.3447 Cette
érosion progressive et continue des principes fondateurs de la justice des mineurs, voire
l’effritement sinon « mutation du modèle protectionniste » induit par une « frénésie
sécuritaire »,3448 est presque inéluctablement annoncée par la loi Perben I de 20023449 qui
conforte la tendance répressive. Hormis le rôle ascendant du parquet qui, par le
développement des procédures alternatives, fragilise l’institution judiciaire et, en particulier,
les institutions compétentes en matière de mineurs — par, à titre d’exemple, la composition

3441
Cons. const. n° 2007-553 DC du 3 mars 2007, JORF 7 mars 2007, p. 4356, n° 24 et s. et Cons. const. n° 2007-554
DC du 9 août 2007, JORF 11 août 2007, p. 13478, n° 21 et s.
3442
Ch. LAZERGES, « La mutation du modèle protectionniste de justice des mineurs », RSC 2008, p. 200.
3443
www.justice.gouv.fr/art_pix/cjpm300309.pdf.
3444
A. GOUTTENOIRE, « Les principes du droit processuel relatif au mineurs délinquant », l.c., p. 49.
3445
S. LORVELLEC, l.c., p. 135.
3446
Ch. LAZERGES, « La mutation du modèle protectionniste de justice des mineurs », l.c., p. 200.
3447
F. BAILLEAU, « La justice pénale des mineurs en France ou l’émergence d’un nouveau modèle de gestion des
illégalismes », Déviance et Société 2002, p. 404.
3448
Ch. LAZERGES, « La mutation du modèle protectionniste de justice des mineurs », l.c., p. 206 resp. 200.
3449
Par la loi Perben I du 9 septembre 2002 l’accent est mis sur les mesures à visée répressives. La réforme du
contrôle judiciaire et de la détention provisoire, la création du jugement à délai rapproché et la création des sanctions
éducatives qui ressemblent à des sanctions pénales, en témoignent. Par la loi Perben II du 9 mars 2004 les règles de
garde-à-vue furent modifiées (possibilité de garde-à-vue de 96h à seize ans), des nouvelles sanctions éducatives et
pénales ont été introduites. Cette loi permettait en outre un transfert de compétences du juge d’application des peines
au juge des enfants et mettait un terme à l’effacement de condamnation à la majorité.

564
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

pénale3450 —, le durcissement de la répression à l’égard des mineurs atteint son apogée avec
la loi du 5 mars 20073451 relative à la prévention de la délinquance et celle du 10 août
20073452 relative à la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Si les assesseurs ne
sont pas directement ciblés par des réformes parfois turbulentes, leur place et leur
fonctionnement risquent d’être fragilisés.3453

En mettant notamment l’accent sur l’acte et le degré apparent de dangerosité3454 plutôt


que sur la personne du mineur, la défense de l’ordre public supplante les préoccupations liées
à la protection de l’enfance.3455 Les peines planchers issues des lois précitées qui visent à
prévenir la récidive et à renforcer la certitude d’une peine en témoignent.3456 La récidive
constitue une préoccupation particulière du législateur contemporain. Il en est de même en
droit belge et anglais. En Belgique, la nouvelle procédure de dessaisissement permet
d’exclure certains mineurs récidivistes du modèle protectionniste. En droit pénal anglais la
mesure de renvoi au YOP ne peut pas être appliquée en cas de récidive. De cette manière, le
droit pénal des mineurs tient compte des évolutions dans le domaine de la délinquance des
mineurs3457 : « où domine la culture du risque et de l’insécurité, il n’est guère étonnant que le
droit des mineurs suive une courbe de pénalisation et de responsabilisation ».3458

Si de tels renforcements et accélérations de la réponse pénale ne remettent pas


directement en cause l’autonomie du droit pénal des mineurs, mais traduisent surtout le souci
de responsabiliser les mineurs3459, ils induisent indirectement un rapprochement du droit
pénal des mineurs et du droit pénal des majeurs. Pour le droit français en particulier, il s’agit
alors de cerner la légitimité des assesseurs dans un système qui trahit l’esprit de l’ordonnance
de 1945 en ne se fondant plus sur la protection de l’enfance, mais sur la seule répression des
actes. La présence des citoyens-juges se justifie par le fait que le mineur doit être jugé sur ce

3450
Avec le délégué du procureur (supra, n° 441) et le juge de proximité, la réponse à l’infraction pénale n’échappe
pourtant pas à la société civile.
3451
Loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, JORF 7 mars 2007, p. 4297.
3452
Après la loi Perben I et Perben II, cette loi est la troisième réforme directe du droit pénal des mineurs au cours
d’une même législature (C. SULTAN, « La réforme de l’ordonnance de 1945, a-t-elle eu lieu ? », AJpénal 2007, p.
215). Ce ‘surarmement pénal’ par des nouvelles réformes en vigueur avant qu’il ne soit possible d’évaluer la
pertinence des réformes précédentes, a soulevé une tempête de protestations. V. en particulier, Ch. LAZERGES, « La
mutation du modèle protectionniste de justice des mineurs », l.c., p. 200 et s.
3453
S. LORVELLEC, l.c., p. 144.
3454
Ch. LAZERGES, « La mutation du modèle protectionniste de justice des mineurs », l.c., p. 201.
3455
A. CARCY, o.c., p. 15-16.
3456
A. CARCY, o.c., p. 78.
3457
B. DE SMET, « De strafprocedure voor minderjarigen na de wetten van 15 mei 2006 en 13 juni 2006 :
Jeugdbeschermingsrecht met een vleugje jeugdsanctierecht », RW 2006-07, 366-367.
3458
Y. CARTUYVELS, « Les horizons de la justice des mineurs en Belgique : vers un retour « soft » au pénal »,
Déviance et Société 2002, n° 3, p. 294.
3459
Ph. BONFILS, « La réforme de l’ordonnance de 1945 par la loi de prévention de la délinquance », AJpénal 2007, p.
209.

565
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

qu’il est plutôt que sur ce qu’il a fait. Cette mutation ôterait alors toute pertinence à leur
présence.3460

527. Dans le même ordre d’idées, on pourrait y ajouter la proposition de la


Commission Varinard concernant l’instauration d’une quatrième instance compétente à
l’égard des mineurs délinquants : un tribunal correctionnel spécialement composé et
susceptible d’être une passerelle entre la justice des mineurs et celle des majeurs.3461 Avec ce
tribunal, la Commission Varinard pense consacrer les principes de l’ordonnance de 1945, tout
en instaurant un échelon supplémentaire dans la progressivité des sanctions : « si la
progression des sanctions doit suivre la progression des infractions », il est « important que
la formation du jugement suit la même progression ». Si certains mineurs peuvent se voir
infliger des peines pour leur « délinquance qui, malheureusement, n’est plus guère spécifique
par rapport à celle des adultes »3462, il est normal qu’ils comparaissent devant une juridiction
pour majeurs. La perspective du renvoi devant un tel tribunal aurait un effet dissuasif. Il
permettrait en outre de redonner une certaine solennité à la justice pénale des mineurs, le juge
correctionnel revêtant la robe.

En ce qui concerne la composition du tribunal correctionnel des mineurs, il n’y aurait


plus d’assesseurs non professionnels. Le seul élément de spécialisation consisterait en la
présence d’un ‘juge des mineurs’ (actuel juge des enfants) parmi les trois magistrats
professionnels. Aux yeux de la Commission Varinard, la présence d’un seul juge spécialisé
serait suffisante dans la mesure où la spécialisation est également limitée aux assises.
L’évincement de la participation citoyenne témoigne clairement de l’altération du principe de
spécialisation.3463 Ce tribunal serait exclusivement compétent pour les délits commis par des
mineurs multirécidivistes âgés de seize à dix-huit ans, pour des mineurs poursuivis
conjointement avec des majeurs, ainsi que pour des mineurs devenus majeurs au moment du
jugement.3464 Il pourrait en outre juger les jeunes majeurs dans l'année qui suit leur majorité.
De facto, ce tribunal correctionnel des mineurs prendrait dès lors en charge les infractions
commises par les majeurs avant la fin de leur dix-neuvième année.3465 Cette catégorie de
jeunes majeurs rencontrerait notamment des problèmes sensiblement similaires à ceux des

3460
S. LORVELLEC, l.c., p. 144.
3461
Commission VARINARD, o.c., p. 144 et s. (proposition n° 33).
3462
S. GUINCHARD et J. BUISSON, o.c., p. 231, n° 190.
3463
A. GOUTTENOIRE, « Pour une formulation des principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs », AJpénal
2009, p. 13 et s.
3464
Pour cette catégorie la finalité éducative peut encore avoir beaucoup d’intérêt.
3465
En Allemagne, le Jugendrecht ne prend pas seulement en compte les mineurs, mais également les
« Heranwachsenden » (les adolescents), à savoir le groupe de jeunes entre dix-huit et vingt ans. Cette catégorie
comparaît également devant la Jugendschöffengericht ou la Jugendkammer de la Landesgericht, qui sont tous les deux
composés conjointement de magistrats de carrière et de juges non professionnels (H. LIEBER, o.c., p. 14).

566
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

mineurs, le passage à l’âge de la majorité pénale ne leur apportant pas nécessairement la


maturité et la responsabilité personnelle requises.3466 Un tribunal envisageant d’atténuer la
césure entre mineurs et majeurs, permettrait de prendre en compte cette catégorie. En raison
de sa violation des engagements internationaux, celui-ci doit cependant être combattu avec
vigueur.

En considérant les mineurs de plus de seize ans comme des adultes et leur réservant
formellement un jugement similaire à celui des adultes, même si le droit des mineurs leur
reste applicable, le tribunal correctionnel des mineurs suscita nombre de critiques3467, même
pour les cas de poursuites mixtes. Il ajouterait une nouvelle juridiction au paysage judiciaire,
ce qui peut s’avérer dommageable en termes de lisibilité et d’organisation judiciaire. Il
requerrait la mobilisation de trois magistrats de carrière tout en déconsidérant et limitant, par
ailleurs, le rôle des assesseurs du tribunal pour enfants à des affaires de moindre importance,
ce qui témoigne de la marginalisation de l’implication des citoyens et sape l’idée de
rapprochement entre justice et société civile. En réduisant la spécialisation de ce tribunal à un
seul juge professionnel, cette proposition met clairement l’accent sur la finalité répressive.
L’intérêt pour les questions de l'enfance ne semble plus prioritaire. Les mineurs devenus
majeurs au moment du jugement et qui relèvent dès lors d’un système répressif plus sévère
risqueraient en outre de faire les frais d’éventuelles lenteurs judiciaires. En raison de critiques
acerbes, l’avant-projet de loi portant création d’un Code de la justice pénale des mineurs du
30 mars 2009 abandonne avec raison cette proposition de la Commission Varinard.

528. Ainsi, si une simple adaptation de la procédure criminelle semble insuffisante,


une procédure criminelle sui generis n’échappe pas non plus aux tendances répressives et aux
éventuels changements du forum. Pour le droit français en effet, les transformations de la
justice pénale et criminelle des mineurs sont moins liées à la volonté de pallier une
insatisfaction directe quant à la procédure et aux intervenants qu’à un renforcement de la
répression. Pour le moment, cette évolution n’a de conséquences qu’en ce qui concerne les
peines infligées aux mineurs. Sa radicalisation aura certainement un impact sur la
spécialisation de la justice pénale des mineurs et, dès lors, sur la présence de non-
professionnels.

3466
Commission VARINARD, o.c., p. 148.
3467
Au sein même de la Commission il n’y avait pas non plus de consensus sur cette proposition. Elle n'a été acquise
qu'à une voix.

567
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

§ 2 — REGAIF DU MODELE D’ECHEVIFAGE

529. La ‘spécialisation’ procédurale de la cour d’assises est réduite, voire menacée.


La recherche d’une alternative favorise à nouveau l’émergence d’un modèle collégial et
multidisciplinaire d’échevinage (A — Une nouvelle conception de la youth court et B — Un
tribunal pour enfants élargi).

A — UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA YOUTH COURT

530. Afin de se conformer véritablement à la spécialisation requise par la CEDH,


celle-ci allant au-delà d’un simple aménagement de la procédure criminelle des adultes,
Andrew Ashworth suggère d’abolir le jury anglais pour ce type d’affaires et de le remplacer
par la youth court composée, le cas échéant, d’un juge président et des lay magistrates.3468
Dans un but similaire, Lord Auld proposait de réformer la procédure criminelle anglaise.
Déjà, avant la seconde condamnation du Royaume-Uni dans l’affaire S.C. en 20043469, ce
dernier mettait en cause les Practice Directions de 2000 en s’interrogeant sur l’opportunité
de changer de forum, notamment pour les très jeunes mineurs.3470 Contrairement aux mineurs
témoins pour lesquels existent des dispositions particulières de protection3471 en vertu du
Criminal Justice Act de 1991 et du Youth Justice and Criminal Evidence Act de 1999, il
n’existait pas de dispositions spéciales pour les mineurs accusés de crime. Selon Lord Auld,
une telle disparité était illogique et indéfendable. La House of Lords s’opposait également à
la non-application des mesures spéciales du Youth Justice and Criminal Evidence Act aux
mineurs délinquants. Cette chambre a saisi la première occasion pour enjoindre les juges de
fond d’utiliser leur juridiction pour appliquer non seulement les procédures spéciales aux
mineurs témoins, mais également aux mineurs délinquants.3472 En 2006, la section 47 du
Police and Justice Act (en vigueur depuis le 15 janvier 2007) envisage de permettre à certains
accusés d’utiliser un vidéo-lien direct lorsque leurs capacités intellectuelles et leur
fonctionnement social compromettent leur participation effective au procès (s. 33A YJCEA
1999).3473 En 2007, le groupe de réforme « Improving the Criminal Trial Process for Young
Witnesses » qui proposait la mise en œuvre d’un « manuel de droit des mineurs délinquants »
avec un résumé des mesures spéciales, suggérait d’ajouter un soutien à la défense afin de

3468
CEDH, T.v. c. Royaume-Uni, préc.
3469
Supra, n° 518.
3470
J. JACKSON, « Modes of Trial : Shifting the Balance Towards the Professional Judge », l.c., p. 265.
3471
Dans la mesure où les droits de la défense sont respectés dont, notamment, le droit de la défense de contester les
preuves à charge et d’interroger les témoins (art. 6-3 CESDH), la CEDH ne s’oppose pas à ce que les preuves de ces
témoins vulnérables ne soient pas données directement à l’audience publique (CEDH 20 déc. 2001, P.S. c. Allemagne,
n° 33900/96, § 21 et s.).
3472
R. (D) v Camberwell Green youth court [2005] 1 W.L.R. 393.
3473
CJS, Improving the Criminal Trial Process for Young Witnesses, Londres, 2007, p. 25, www.cjsonline.gov.uk ;
L.C.H. HOYANO, « The Child Witness Review : Much Ado About too Little », Crim. L.R. 2007, p. 860.

568
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

s’assurer que le mineur délinquant comprend effectivement la procédure et puisse réellement


participer. Depuis le Coroner’s and Justice Act de 2009 les accusés mineurs et, dans certaines
conditions, les accusés majeurs peuvent utiliser des ‘intermédiaires’ pour leur témoignage
dans la Crown Court ou la magistrates’ court (s. 33BA YJCEA 1999). Pour accéder à ces
special measures il existe toutefois des différences importantes entre les mineurs témoins et
les mineurs délinquants.3474

531. Selon Lord Auld, il y a pourtant d’autres écueils du système en vigueur. Ainsi, le
jury, constitué de douze citoyens sélectionnés de manière aléatoire, est dépourvu
d’expérience en termes d’évaluation des preuves en général et des preuves des enfants en
particulier, notamment dans les affaires traumatiques. Il semble étrange que des exigences
particulières en termes de spécialisation et d’expérience soient imposées devant la youth
court, aux lay magistrates, alors qu’aucune contrainte n’encadre la fonction de jurés
inexpérimentés et non familiarisés avec la procédure, leur rôle, ainsi que l’examen des
preuves fournies par les jeunes. Dans la solution alternative proposée par sa Review of the
Criminal Courts of England and Wales, les accusés devraient avoir la possibilité d’opter pour
un procès sans jury. Lord Auld privilégie en outre un modèle où un High Court Judge,
Circuit Judge ou Recorder et au moins deux lay magistrates fonctionneraient côte à côte pour
l’intégrale juridiction dont dispose actuellement la Crown Court mais selon une procédure
moins formelle. Dans son unified Court, cette cour pourrait être considérée comme une partie
de la District Division. Elle serait également compétente si le crime, normalement jugé
devant la juridiction de la Crown Court, a été conjointement commis par un mineur et un
majeur et ce dernier plaide coupable.3475

Pour soutenir cette ‘attaque’ contre le jury populaire, Lord Auld s’appuyait sur le
large consensus international concernant le traitement spécifique des mineurs. Il insiste
également sur la nécessité de traiter ces affaires avec rapidité et efficacité. Le délai peut
entamer la qualité des preuves avancées au procès et affecter la possibilité d’un accusé
mineur de participer à son propre procès et de bénéficier d’un procès équitable.3476 Par
conséquent, s’il faut adapter la procédure, des standards plus rigoureux concernant les délais
(statutory time limits), dans le respect des articles 5-3 et 6 CESDH, sont à envisager. La
charge de travail de la Crown Court serait par ricochet minorée. Contrairement aux affaires
de fraude complexe pour lesquelles, nous le rappelons, une suppression est également

3474
Pour une analyse approfondie, v. L.C.H. HOYANO, « Coroner’s and Justice Act 2009 : Special Measures
Directions Take Two: Entrenching Unequal Access to Justice », Crim. L.R. 2010, p. 345-367.
3475
R. AULD, o.c., chap. 7, n° 35.
3476
J. JACKSON, J. JOHNSTONE et J. SHAPLAND, « Delay, Human Rights and the Need for Statutory Time Limits in
Youth cases », Crim. L.R. 2003, p. 516.

569
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

envisagée3477 mais qui sont peu nombreuses, le nombre d’affaires impliquant des mineurs est
considérable3478. Selon John Jackson, en revanche, la nécessité de traiter ces affaires de
manière plus rapide n’entame en rien la légitimité du jury.3479 Ne serait-il pas préférable
d’évaluer préalablement la performance du jury avant d’envisager la mise en œuvre de
réformes aussi radicales, se demande-t-il ?3480 Par ailleurs, si on envisage de supprimer le
jury, ne faut-il pas en faire de même pour tous les cas où un mineur est impliqué, non en tant
que mineur délinquant, mais comme témoin ?

En raison de critiques nombreuses, cette proposition de Lord Auld ne fut pas retenue.
Comme sa proposition d’une District Division3481, l’option d’une composition
multidisciplinaire de la youth court fut balayée. Cette optique s’avérait toutefois intéressante :
elle présentait des similitudes avec les appels français pour un tribunal pour enfants élargi.

B — UN TRIBUNAL POUR ENFANTS ELARGI

532. En France, la ‘non-spécialisation’ des cours d’assises des mineurs est considérée
comme un défaut majeur. Selon plusieurs voix doctrinales, si le modèle de droit commun a
été respecté, il l’a été de manière excessive.3482 « Une personne accusée de faits commis
avant ses dix-huit ans, c’est-à-dire un enfant au sens du droit international, n’aura jamais sa
place aux assises ».3483 Hormis les risques liés au défaut d’élément spécialisé sur le plan de la
composition — la séparation des fonctions empêchant certains juges des enfants de siéger en
tant qu’assesseurs —, les jurés ne seraient pas aptes à apprécier les diverses questions
pédagogiques, psychologiques, médicales, ...3484 Le non-accès des juges populaires au dossier
de personnalité de l’accusé, qui comporte l’enquête sociale, la synthèse du centre
d’observation et les conclusions des médecins (347 al. 3 CPP), est également considéré
comme problématique.3485

533. Afin de pallier ces critiques et d’instaurer une réelle spécialisation, différentes
pistes furent passées au crible. Ainsi, l’association française des magistrats de la jeunesse et
de la famille proposa de tirer au sort les jurés parmi les assesseurs des tribunaux pour
enfants.3486 L’avant-projet de Pierre Arpaillange de 1990 proposait, pour sa part, de

3477
Supra, n° 221.
3478
En 1999, 4.718 mineurs délinquants furent traduits devant la Crown Court (J. JACKSON, « Modes of Trial :
Shifting the Balance Towards the Professional Judge », l.c., p. 265-266).
3479
J. JACKSON, « Modes of Trial : Shifting the Balance Towards the Professional Judge », l.c., p. 265.
3480
J. JACKSON, « Modes of Trial : Shifting the Balance Towards the Professional Judge », l.c., p. 265-266.
3481
Supra, n° 466.
3482
Ainsi par exemple A. VITU, « Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants », l.c., p. 239.
3483
J. FIERENS, « Un box des accusés enfants admis ? », JDJ 2008, n° 277 p. 3.
3484
W. ROUMIER, L’avenir du jury criminel, Paris, LGDJ, 2003, p. 289-290, n° 538.
3485
A. CARCY, o.c., p. 38.
3486
A. CARCY, o.c., p. 37.

570
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

transformer la cour d’assises des mineurs en formation spéciale du tribunal pour enfants,
celle-ci étant composée de deux juges des enfants et de trois assesseurs. André Vitu avait
également beaucoup de sympathie pour une suppression de la cour d’assises et une
généralisation du modèle du tribunal pour enfants qui, le cas échéant, pourrait être élargi.3487
Ce tribunal serait également compétent pour juger les majeurs co-auteurs et complices de
mineurs, une disjonction étant uniquement nécessaire en cas de participation de majeurs de
plus de vingt-cinq ans. Ainsi, André Vitu amorçait déjà une transition entre le droit pénal des
mineurs et le droit pénal des majeurs en proposant une juridiction pour jeunes adultes et
adolescents.3488 Les majeurs perdraient dès lors la garantie du jury, si garantie il y a.

Christine Lazerges, pour sa part, estimait qu’un tel système mixte présente des
avantages, notamment pour les infractions les plus graves et les mineurs les plus âgés. Elle
écartait par ailleurs le système actuellement en vigueur, ainsi que le jury technique de Samuel
Stern en se référant à la loi du 27 juillet 1942.3489 Cette loi, qui n’est jamais entrée en vigueur
faute de décret d’application, prévoyait une juridiction composée de trois magistrats
(spécialisés) et de deux personnes compétentes dans les questions relatives à l’enfance.
Christine Lazerges soulignait, à cet égard, l’importance des juges spécialisés en matière
d’enfance, mais également la nécessité de ne pas pousser la spécialisation jusqu’à
l’élimination de tout magistrat.3490 Un tel système permettrait en outre de mettre un terme à la
pratique qui « amenuise le rôle de la cour d’assises et la réduit à ne plus être qu’une
juridiction d’apparence, réservée aux causes sensationnelles », la correctionnalisation.3491 En
effet, l’envergure-même prise par la correctionnalisation condamne non seulement la cour
d’assises ordinaire, mais touche, avec une même ampleur, la cour d’assises des mineurs qui
repose également sur une classification tripartite artificielle.

Christine Lazerges proposait que les crimes commis par les mineurs de seize à dix-
huit ans et les jeunes majeurs jusqu’à vingt-et-un ans ainsi que leurs co-auteurs et complices
majeurs soient jugés par un président, deux magistrats spécialisés, deux assesseurs laïcs du
tribunal pour enfants et deux assesseurs supplémentaires appartenant à certaines catégories
socioprofessionnelles (médecins, psychologues, éducateurs, enseignants). Il s’agirait donc
d’un tribunal composé de sept personnes, dont quatre assesseurs, dont deux assesseurs
permanents du tribunal pour enfants, et deux personnes tirées au sort et dotés d’une
compétence spécifique. Trois seraient des juges professionnels ; tous bénéficieraient d’une
3487
A. VITU, « Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants », l.c., p. 245 (supra, n° 500).
3488
Ch. LAZERGES, o.c., p. 287.
3489
Ch. LAZERGES, o.c., p. 286. Remarquons la proximité temporelle entre la publication de la loi du 25 novembre
1941, qui limite le nombre de jurés aux assises, et l’introduction de l’échevinage (supra, n° 267 et s.).
3490
Ch. LAZERGES, o.c., p. 285.
3491
Ch. LAZERGES, o.c., p. 282.

571
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

forme de spécialisation dans le champ de la minorité. Le président serait le conseiller délégué


à la protection de l’enfance ; les deux assesseurs, des juges des enfants.3492 La décision serait
prise à la majorité qualifiée de cinq voix sur sept. La volonté de créer une sorte de droit pénal
de l’adolescent et des jeunes adultes est manifeste. Il s’agit de savoir si une telle juridiction,
dans la mesure où elle serait également compétente pour des majeurs, est conforme à
l’exigence de l’article 40 alinéa 3 de la Convention internationale de l’enfant concernant la
spécialisation du droit pénal des mineurs. En tout cas, s’il faut qu’il y ait changement, cette
dernière proposition est préférable à celle du tribunal correctionnel pour mineurs de la
Commission Varinard. D’un point de vue gestionnaire et organisationnel, il convient
néanmoins de s’interroger sur l’opportunité d’instaurer des tribunaux composés de sept juges.

534. Hormis ces propositions ouvertes qui visent à un élargissement du modèle du


tribunal pour enfants en matière criminelle, les apports d’un tel système mixte sont également
soulignés sous un angle d’attaque différent, notamment par ceux qui déplorent l’absence des
assesseurs non-professionnels en appel.3493 L’avant-projet du Code sur la justice pénale des
mineurs du 30 mars 2009 pour sa part, envisage une composition renforcée du ‘tribunal des
mineurs’ lorsque le procès est de nature à entraîner de longs débats (art. 122-10 projet). Le
cas échéant, le président du tribunal des mineurs peut décider qu’un ou plusieurs assesseurs
supplémentaires assisteront aux débats.

Conclusion du chapitre I

535. En guise de conclusion, nous pouvons affirmer que la « participation des


citoyens à la fonction de juger » est un concept hétéroclite. Souvent, il ne s’agit pas
simplement d’impliquer la société civile, mais de mettre à la disposition du juge
professionnel des auxiliaires particuliers et de chercher ainsi une « participation spécialisée ».
La justice pénale des mineurs constitue, à cet égard, un exemple éminent. Pourtant, si ce
modèle questionne l’opportunité d’une généralisation, cette spécialisation n’est pas aussi
importante qu’il n’y paraît — notamment pour la cour d’assises des mineurs — et serait
même menacée par une tendance accrue à la répression. Tel est également le cas au
Royaume-Uni. Cela n’empêche pas que sous la menace de tendances contradictoires et
conflictuelles — protection de l’enfant versus répression du mineur délinquant —, le modèle
multidisciplinaire participatif d’échevinage s’impose résolument comme solution. Avant
3492
Ch. LAZERGES, o.c., p. 295-296.
3493
Plusieurs y voient une nécessaire extension. Environ 50% des assesseurs des TPE ont condamné leur absence en
appel (Ph. POUGET, o.c., p. 65-66) ; v. aussi R. OTTENHOF, « La spécialisation des fonctions et des juridictions en droit
pénal des mineurs », l.c., p. 414 et A. VITU, « Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants », l.c., p. 244
(infra, n° 566).

572
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

d’envisager une modification de la cour d’assises compétente pour juges des mineurs
dessaisis dont la spécialisation se limite à l’ajout de deux juges des enfants au composant
professionnel de la cour, sans que ceux-ci puissent influencer la délibération sur la
culpabilité, ni la décision prise par les seuls jurés, le législateur belge aurait dû prendre en
considération ces évolutions. Il serait en effet dommageable de plagier une juridiction
controversée dans son pays d’origine.

En y ajoutant qu’une tendance similaire émerge dans un autre domaine spécifique —


celui de la justice pénale des affaires avec le rapport Coulon —, le modèle échevinal est ainsi
considéré comme un gage de modernisation de la justice pénale, d’où l’intérêt de la prendre
aussi en compte pour les majeurs.

573
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

CHAPITRE II

UE SPECIALISATIO PARTICIPATIVE

« Les institutions mères de notre vie juridique ne résistent pas au caractère impératif du changement »
[Q. SALDANA, « Le jury technique », RIDP 1933, p. 7-8]

536. Si notre analyse de la première partie nous invitait à envisager une justice
purement professionnelle, il s’agit à présent de savoir si, ainsi que nous l’avons analysé dans
la seconde partie, les tendances et évolutions qui marquent la justice pénale contemporaine
peuvent inspirer une réforme de la procédure criminelle. Pensons notamment aux tendances
favorables à la multidisciplinarité et à la collaboration. Sont-elles susceptibles de mener vers
la création d’une nouvelle cour criminelle ?

537. Dégageons en quelques lignes les pistes de réflexion qui découlent de notre
analyse précédente. En premier lieu, nous avons constaté que les législateurs des trois pays
étudiés n’ont pas hésité à ‘plumer’ la cour d’assises de ses attributions et à porter atteinte à
cette institution par divers biais, aussi bien de manière extrinsèque, par le besoin de limiter
cette procédure onéreuse et lourde aux crimes les plus sévères, que de manière intrinsèque,
par la nécessité de se conformer aux engagements internationaux. Extrinsèquement, par la
technique de la correctionnalisation à laquelle les législateurs français et belge recourent de
manière exponentielle, le jury est presque botté en touche. En France, avec la consécration de
la correctionnalisation judiciaire, il s’avère moins aisé de contester la compétence du tribunal
correctionnel. En Belgique, malgré l’espoir suscité par les rapports de la Commission de
réforme de la cour d’assises et les propositions de lois qui en découlèrent quant à l’abolition
de cette technique ‘d’esquive’, la loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour
d’assises élargit malencontreusement encore sa portée. De cette façon, nos Codes pénaux se
fondent tacitement sur une douteuse pratique gestionnaire sans laquelle le système ne pourrait
toutefois fonctionner. Il en découle que nos Codes contiennent nombre de dispositions qui ne
correspondent plus à la réalité. En Angleterre, une tendance ‘managériale’ similaire et un
affaiblissement du jury se profilent avec la technique des guilty pleas dont une extension en
matière criminelle est, d’une certaine manière, également envisagée en France. Il en résulte
que la plus-value de la cour d’assises — l’oralité de la procédure et l’immédiateté des
preuves — ne vaut que pour un segment dérisoire de crimes.

575
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

Pour ce segment dérisoire, de bouleversantes réformes furent introduites ou


envisagées sous l’impulsion des droits de l’homme jusqu’à ébranler, intrinsèquement, les
bases-mêmes du système du jury populaire. Le système français est à cet égard l’exemple par
excellence de créativité et de flexibilité. Si, par souci de diminuer le nombre élevé
d’acquittements dits ‘scandaleux’, la France a abandonné la séparation traditionnelle entre le
fait et le droit en faveur d’une collaboration non seulement sur le plan de la détermination de
la peine, mais également concernant la question de la culpabilité, elle a, dans une logique des
droits de l’homme, permis de remettre en cause la décision du jury populaire en instaurant un
appel tournant en matière criminelle. Le jury d’autrefois fut tellement modifié qu’il n’en reste
plus que le nom. Pourtant, ainsi que nous l’avons évoqué plus haut, le système français
conserve quelques traces de cet ‘héritage révolutionnaire’ qui l’empêche de se mettre en
conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme.3494 L’absence de
motivation des décisions criminelles demeure indéfendable. En droit criminel belge, la
conformité du jury au sens strict du terme avec les droits de l’homme semble davantage
problématique. En témoignent l’impossibilité de créer un véritable appel criminel
hiérarchique ainsi qu’un disgracieux grand écart au niveau de la délibération sur la question
de la culpabilité à laquelle se plie le législateur pour maintenir à tout prix la souveraineté du
peuple et permettre quand même une motivation des décisions criminelles3495. Ainsi que nous
l’avons analysé, ce méandre législatif belge fournit, par le nouvel article 336 du Code
d’instruction criminelle, une arme importante aux juges de carrière et risque de remettre en
cause la souveraineté du jury populaire, non pas par le législateur, mais par les magistrats de
carrière.3496 En droit anglais, le manque de motivation constitue un obstacle au droit du
condamné à interjeter appel contre la décision rendue par le jury populaire. En l’absence des
motifs de sa condamnation, celui-ci ne peut en effet pas évaluer ses chances en appel. La cour
d’appel pour sa part ne peut pas contrôler la décision de première instance. Si elle ignore les
motifs des jurés, elle ne peut pas vérifier si leur décision est entachée d’erreur. En pratique, la
leave to appeal ne serait souvent donnée qu’en cas d’erreur procédurale, ce qui confère toute
valeur à la souveraineté populaire.

Il en résulte que la cour d’assises offre moins de garanties que le tribunal


correctionnel. En effet, dans la variation des systèmes, la difficile réponse aux exigences
internationales du procès équitable apparaît comme une constante. Si la participation des
citoyens à l’œuvre de la justice n’est pas en soi en cause, la façon dont elle est exercée l’est

3494
Supra, n° 288.
3495
Supra, n° 334.
3496
Supra, n° 254 et n° 337.

576
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

davantage.3497 « Si la forme de la justice s’oppose à son objectif, libérons-nous de la forme »,


disait Antoine Garapon.3498 Ou, ainsi que le soulignaient Adrien Masset et Damien
Vandermeersch : « si l’on veut toucher aux éléments essentiels de la cour d’assises, il faut
nécessairement se demander si cette institution a encore quelque utilité, sinon légitimité, et
ne pas écarter a priori la question d’en envisager la suppression ».3499 Faudrait-il dès lors
envisager un système purement professionnel : une extension et une généralisation du
système français de la cour d’assises spéciale ou un alignement sur le droit néerlandais ?

En second lieu, dans la deuxième partie de cette étude, nous avons constaté
l’émergence des nouvelles formes de participation et de multidisciplinarité. Contrairement à
ce que laisse penser la marginalisation de la participation en matière criminelle, y a-t-il alors
de réels atouts à une plus grande implication des citoyens à l’œuvre de juger ? Et, le cas
échéant, pourrions-nous nous fonder sur ces mérites pour améliorer la justice criminelle ?
Tout d’abord et ainsi que nous l’avons analysé plus haut, il convient d’observer une certaine
vigilance. En effet, il ne s’agit pas de tendances contradictoires et conflictuelles. Ce n’est pas
parce que le législateur français institue un juge de proximité et recourt à des délégués du
procureur qu’il reconnaît la plus-value d’une participation citoyenne. En effet, les nouvelles
formes de participation véhiculent paradoxalement une connotation économique et
budgétaire. Hormis pour les formes de justice pénale spécialisée tels que le droit pénal des
mineurs, la plus grande implication des citoyens semble sous-tendue par des contingences
gestionnaires ainsi que par la volonté de libérer les professionnels pour les cantonner aux
affaires importantes. L’argument de l’efficacité est dès lors à double sens : si, en matière
criminelle, l’obsession ‘managériale’ aboutit à une restriction de la participation citoyenne et
à une augmentation du professionnalisme, elle génère, aux niveaux inférieurs, de nouvelles
formes de participation visant à réserver les affaires importantes aux ‘vrais’ juges : les
magistrats de carrière. Cela sert dès lors tout autant à éviter la participation des citoyens qu’à
renforcer l’implication de la société civile.

Toutefois, l’ascension du professionnel qui en découle dans les deux cas n’est pas non
plus exempte de risques ; c’est précisément là que se pose la question d’une symbiose entre
‘spécialisation’ et ‘participation’, ainsi que celle de l’ambition ambiguë et double d’une
justice qui oscille entre professionnalisation et proximité.3500 En effet, s’interroger sur la

3497
J. BARD, o.c., p. 146.
3498
A. GARAPON, Bien juger : essai sur le rituel judiciaire, o.c., p. 256.
3499
A. MASSET et D. VANDERMEERSCH, « La loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises :
première lecture critique », JT 2010, p. 222.
3500
M.C. RIVIER, l.c., p. 2865.

577
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

participation des citoyens à la fonction de juger implique également un questionnement sur la


légitimité des juges professionnels.

538. Dans ce dernier chapitre, nous tenterons de saisir cette symbiose en matière
criminelle afin de concilier les deux discours à la mode qui semblent mis en exergue dans les
deux parties de cette étude : la nécessité d’une justice ‘managériale’ avec une diminution des
coûts (appel à l’efficacité et à une rationalisation de la justice) et la volonté d’une justice
locale (appel à une participation accrue). Pourrait-on imaginer, en matière criminelle, un
système collégial et multidisciplinaire qui respecte toutes les garanties prévues par les textes
internationaux telles que la motivation des décisions et l’appel hiérarchique, et qui organise
sa compétence sans devoir recourir à des moyens ‘d’esquive’ (Section I — Une nouvelle
juridiction criminelle : logique nationale de tradition versus logique internationale des droits
de l’homme) ? Ce modèle idéal de justice pourrait-il ensuite être appliqué dans les trois pays
étudiés pour réconcilier le citoyen avec la justice pénale et organiser sa plus grande
implication ? Ou la force de la tradition continue-t-elle de brider les exigences du procès
équitable et l’évolution poursuivie par la Cour européenne (Section II — Mérite de la logique
des droits de l’homme, victoire de la logique de tradition ?) ?

Section 1
Une nouvelle juridiction criminelle : logique nationale de tradition versus
logique internationale des droits de l’homme

539. Pour améliorer, alléger et rationnaliser la justice criminelle, nous pourrions


envisager deux voies : la voie traditionnelle et nationale du procès ‘démocratique’ et la voie
internationale du ‘procès équitable’.

540. La première voie érige le jury populaire au rang de conditio sine qua non et
d’évidence. Consciente de la nécessité d’une réforme, elle tente ensuite de moduler la
procédure tant bien que mal afin de concilier cette présupposition avec les exigences accrues
du procès équitable. Dans un tel schéma, les garanties fondamentales du procès équitable ne
se posent qu’en second lieu ; elles sont subordonnées, voire sacrifiées, à la présence de
citoyens. Partant de la nécessité de sauvegarder le jury populaire on essaie ensuite
d’organiser cette forme de justice pour qu’elle se conforme au mieux aux engagements
internationaux. C’est la voie traditionnelle du procès ‘démocratique’, suivie par la politique

578
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

contemporaine belge et anglaise pour réformer leur justice criminelle, ainsi que tout
récemment par la France où le ministre de la Justice3501 annonça la réforme de la cour
d’assises tout en s’engageant à ne pas la supprimer. Ce fut également la voie privilégiée lors
du Congrès de Palerme de 1932-33 dont l’une des conclusions avançait que si le jury incarne
la tradition du pays, il faut le maintenir tout en l’amendant dans son recrutement et dans son
fonctionnement.3502 L’échevinage ne devrait être considéré que pour les autres pays. Il s’agit
d’un vrai jugement de Salomon.3503

541. Pour défendre cette voie traditionnelle, nous pourrions, sans même évoquer
l’attachement nostalgique des législateurs à cette « fille de la Révolution », nous lancer dans
le sempiternel débat sur le sens/non-sens du jury populaire et l’apport des non-professionnels
à l’administration de la justice. Nous pourrions dès lors mettre en évidence le besoin d’un
regard extérieur et non juridique, articuler l’éducation civique qui découlerait d’une
participation citoyenne à la fonction de juger et philosopher autour des concepts de
communication3504, d’ouverture, de gage démocratique, de confiance publique, … le tout en
soulignant qu’avec cet élément participatif, la décision gagnerait en légitimité, tout comme
l’acceptation de la décision juridique par les parties en cause et la société civile.3505 Une
répression exercée par les seuls professionnels risque en effet d’empêcher les citoyens de se
reconnaître dans la décision. Il y a de ce point de vue non pas seulement et prioritairement
des avantages à avoir une participation citoyenne, mais aussi et surtout des risques à ne pas
l’avoir.

542. Nous pourrions donc bien trouver des arguments pour justifier la logique
nationale du maintien du jury populaire. Toutefois, cette logique contraint les législateurs à
faire des sacrifices en ce qui concerne les exigences du procès équitable ou à créer, pour
sauvegarder, contre vents et marées, la souveraineté du peuple, des procédures dérivées qui
risquent de porter atteinte à la nécessité de cohérence et au principe d’égalité. Pensons, en
droit criminel belge, au découplage du délibéré sur la culpabilité afin d’habiller
juridiquement et a posteriori le verdict du jury, ou à l’appel circulaire non hiérarchique
devant un autre jury en droit criminel français. Ces sacrifices sont même justifiés par le
caractère intouchable de cette institution ancienne qu’est le jury populaire. Il nous semble, en
revanche, judicieux de suivre l’approche inverse. Au lieu de subordonner la qualité de la
justice à une vision hypnotisée par le maintien d’une participation citoyenne à l’œuvre de
3501
X, « Michèle Alliot-Marie assure que les cours d’assises ne seront pas supprimées », Le Monde 11 juin 2010.
3502
Conclusion du Congrès de Palerme sur la question « Faut-il admettre en matière criminelle le système du jury ou
celui de l’échevinage ? », RIDP 1932-33, p. 159-160.
3503
B. LESNODORSKI, « Juges professionnels et élément populaire », RIDC 1968, p. 296.
3504
A. CRAWFORD, « Public Participation in Criminal Justice », l.c.
3505
T. BROOKS, l.c., p. 206-207.

579
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

juger, mieux vaut réfléchir à l’ontologie du procès pénal, à une nouvelle architecture de la
procédure criminelle à la lumière des exigences de la CEDH. C’est la deuxième voie, celle du
‘procès équitable’.

543. Si la première voie privilégie surtout la logique de la tradition et donne lieu à des
procédures criminelles intimement liées à l’histoire de chaque pays, ceux-ci étant souvent
très conservateurs quant à leurs institutions — rappelons-nous notre analyse du droit
néerlandais —, la seconde voie permettrait d’effectuer une approche plus internationale à
partir des droits de l’homme indispensables au procès équitable. Elle permettrait dès lors
d’aller au-delà de la seule spécificité d’un pays donné. Si les droits de l’homme et les
principes définis par le Conseil et les Cours constitutionnels, ainsi que par la Cour
européenne de Strasbourg, constituent un « horizon commun réformateur »3506, ne pourrait-
on dès lors pas envisager une base commune, un noyau dur du procès criminel pour les
différentes nations présentant des développements analogues ? En dépit de la grande
variation entre les différents systèmes, il nous semble en effet intéressant d’essayer de
dégager un droit commun du procès criminel dans un cadre qui se conforme aux standards
d’équité procédurale (§ 1 — Fidèle aux nouvelles exigences d’une justice criminelle
contemporaine). Il faut « sortir la procédure de son ghetto technique pour l’amener à ce
droit commun du procès ».3507

Au lieu de présupposer une participation citoyenne et de moduler le procès criminel


afin de le rendre tant bien que mal conforme aux exigences internationales, nous privilégions
l’angle inverse. Il convient plus précisément de s’interroger sur les droits et garanties
essentiels du procès criminel, sur le minimum minimorum indispensable au procès pénal
équitable, même si cela implique le sacrifice du jury souverain. La question de la
participation est dès lors reléguée au second plan. Elle se pose à la lumière des garanties
essentielles d’un procès criminel. Bien évidemment, cela aura un impact sur la structure et la
conception du procès pénal (§ 2 — Répercussions bienvenues d’une justice délibératoire).

§ 1 — FIDELE AUX FOUVELLES EXIGEFCES D’UFE JUSTICE CRIMIFELLE


COFTEMPORAIFE

544. A la recherche du minimum minimorum du jugement criminel, les garanties


procédurales de l’article 6 CESDH et celles dégagées par la CEDH se présentent comme un
tronc commun entre les différents pays. Il faut dès lors conceptualiser le procès pénal de telle

3506
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 211.
3507
S. Guinchard et d’autres, cité par A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 216.

580
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

manière qu’il permette d’augmenter les objectifs des droits de l’homme (A — Du besoin
d’une motivation vers une délibération commune), même si cela implique des nouveaux
rapports entre les jurisconsultes et les justiciables (B — D’une délibération commune vers
une composition multidisciplinaire). En effet, si ces garanties essentielles du procès pénal
sont difficilement compatibles avec un jury souverain, peut-être vaut-il mieux moduler le
concept de participation au lieu de rogner sur les exigences minimales de la Cour de
Strasbourg. L’évolution de la procédure pénale vers un accroissement des droits de la
défense, ne peut plus être paralysée par la présence du jury populaire. « Le discours de
justification de la présence de magistrats non professionnels entre en collision avec celui qui
définit ces grands principes contraignants du procès ».3508 Tue-t-on alors le jury en
protégeant l’accusé ?3509

A — DU BESOIN D’UNE MOTIVATION VERS UNE DELIBERATION


COMMUNE

545. Il découle de notre première partie que la motivation des décisions judiciaires est
l’un des points essentiels, voire le point d’articulation de la justice criminelle et un défi
imposé par la CEDH, opinion qui semble d’ailleurs majoritairement et exponentiellement
partagée par la doctrine internationale.3510 La justice criminelle serait une justice qui explique
le cheminement de ses décisions judiciaires. Pourtant, et dans la continuité de notre analyse
précédente, la motivation a du mal à s’épanouir dans un contexte non professionnel. Le jury,
qui se prononce seul sur la question de la culpabilité, est rebelle à toute justification de son
verdict. Il n’est pas jurisconsulte et il ne peut pas pénétrer le monde technique du droit pour
rédiger une motivation formelle de ses décisions. Les réponses à des questions, mêmes
précises et nombreuses, n’expliquent pas le ‘pourquoi’ et risquent, pour les procès monstres à
multiples accusés, multiples accusations et multiples victimes, de compliquer la tâche de
juger. L’affaire belge Habran avec sa durée de près de six mois, ses 415 questions et son
renvoi à une autre cour d’assises pour défaut de motivation3511, est souvent avancée pour
mettre le doigt sur la plaie et pointer ce défi visant à mettre en œuvre une justice
« accountable » dans un temps ‘managérialiste’. A cet égard, la solution espagnole qui
consiste à confier la rédaction de la motivation aux simples citoyens, ne nous semble pas
opportune dans la mesure où ceux-ci ne sont pas formés pour effectuer cette exigence
juridique. Elle risque au contraire de frayer plus fréquemment la voie à la Cour de cassation.

3508
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 218.
3509
C. ROBIN, « La réforme de la cour d’assises : entre mort et résurrection d’une institution, le jury », PA 1996, n°
128, p. 18.
3510
Supra, n° 320 et 325.
3511
Supra, n° 319.

581
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

La motivation d’une décision de justice relevant d’un ‘art’, elle suppose un apprentissage
particulier.3512 Les non-professionnels ne peuvent pas être livrés à eux-mêmes.

546. Si nous estimons qu’une motivation des décisions criminelles s’avère


indispensable, cela implique dès lors l’assistance ou, en tout cas, l’implication à un moment
ou à un autre d’un juge de métier familiarisé avec les exigences propres à la rédaction d’une
motivation juridique. En d’autres termes, la rédaction de la motivation doit nécessairement
être effectuée par un magistrat de carrière, professionnel du droit. Mais c’est précisément là
que le bât blesse. Pour préserver la souveraineté du peuple, garantie essentielle contre le
pouvoir judiciaire, il semble inenvisageable d’introduire un élément professionnel dans la
salle de délibération. Cela semble en tout cas patent en droit belge et en droit anglais.
L’absence de motivation criminelle était, ou est encore, la conséquence logique du monopole
de la délibération sur la culpabilité entre les mains de citoyens ordinaires. Une motivation par
le jury est simplement impossible ou ne peut, comme cela est le cas en droit belge, s’effectuer
qu’a posteriori après une délibération en deux temps, d’abord par les jurés seuls sur la
question de la culpabilité et, ensuite, par les jurés et les magistrats de carrière sur la
formulation des motifs sous-jacents à cette décision. Ainsi que nous l’avons analysé plus
haut, un tel découplage ne peut pas être satisfaisant.3513

547. Si nous souhaitons que la motivation des décisions en matière criminelle ne soit
pas distillée a posteriori par le professionnel de la décision d’un jury souverain, il faut soit
envisager un modèle purement professionnel, soit un modèle mixte de collaboration entre les
juges de carrière et les juges non professionnels dès la délibération sur la culpabilité.

Compte tenu de notre analyse du système néerlandais, on pourrait avancer qu’une


justice purement professionnelle régie par une caste de magistrats et fonctionnant en vase
clos risque de s’enfermer dans un monde judiciaire hermétique et de s’isoler dans
l’interprétation de subtiles formules juridiques en ne rédigeant que des motivations de style,
incompréhensibles pour les justiciables. Néanmoins compte tenu de la complexité
exponentielle des affaires et du droit, une simplification à grande échelle pour adapter le
procès aux non-juristes n’est pas souhaitable. La plus-value d’un système mixte ne peut pas
résider dans la détechnocratisation des débats. Le procès criminel ne doit pas perdre en
technicité.3514 Si le législateur est convaincu des mérites d’un système mixte, ce doit être pour
d’autres raisons. En particulier, l’ajout d’un élément ‘étranger’, non atteint par la déformation

3512
P. Mimin et P. Estoup, cités par C. ROBIN, l.c., p. 19.
3513
Supra, n° 334.
3514
V. aussi H. LAMON, « Laat de rechtstaal maar onverstaanbaar zijn, als de ‘burger’ het maar begrijpt », Ad Rem
2009, p. 21.

582
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

professionnelle, pourrait constituer un contrepoids à l’assouplissement susceptible d’être


induit par l’habitude et la routine.3515 Il permettrait de détourner le droit répressif d’une
répression abstraite et d’éviter une justice opaque.3516 Il pourrait lutter contre le corporatisme
judiciaire, contre une justice de cabinet et éviterait ainsi que le droit n’échappe à la société.
Un tel mérite était d’ailleurs attribué au jury populaire : « l’organisation du jury apparaît
moins à la recherche d’une amélioration de la technique de l’art de juger mais à celle de
meilleure sauvegarde de la liberté par le contrepoids réciproque des pouvoirs divisés ».3517
La présence de non-professionnels implique l’explication minutieuse du cheminement d’une
règle de droit et constitue dès lors un défi pour les magistrats de carrière. Ou, selon les propos
saisissants d’un juge allemand : « Ich möchte keine Stunde dieser gemeinsame Arbeit missen,
nicht nur, weil ich davon überzeugt bin, dass die Mitarbeit von ehrenamtliche Richterinnen
und Richter in de Strafgerichtsbarkeit ein Teil der demokratischen Legitimation dieses
Arbeitsfeldes ist, sondern weil die Mitwirkung der Laien den Berufsrichter zu einer klaren
und gründlichen Durchführung des Verfahrens zwingt sowie dazu, deren mögliche Einwände
von vornherein zu bedenken und ihnen gegebenenfalls Rechnung zu tragen. Darin allein liegt
schon der Wert selbst einer scheinbar passiven Mitwirkung des Laienrichters ».3518 Ou
encore « die Mitwirkung von Laien [vermag] nicht nur der Betriebsblindheit der
Berufsrichter entgegenzuwirken, sondern die Anwesenheit von Schöffen zwingt [...] den
Berufsrichter dazu Überzeugungsarbeit leisten und sich dabei selbst prüfen zu müssen ».3519
En effet, la présence de non-professionnels contraint les juges de robe à un autocontrôle.3520
Selon Montesquieu, « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est
portée à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Pour qu’on ne puisse abuser du
pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir ».3521 Si, en
raison de l’influence inévitable des professionnels, la plus-value d’un système mixte n’est pas
directement perceptible dans la prise de décision par des citoyens ordinaires, elle permet, de
manière indirecte, une démystification des débats et du droit et un décloisonnement du

3515
B. FRYDMAN, « Juge professionnel et citoyen : l’échevinage à la croisée de deux cultures judiciaires », l.c., p. 27.
3516
L. BRAFFORT, « Le jury et l’échevinage », RIDP 1932, p. 115.
3517
R. CHARLES, « Rapport » in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de la troisième Journée d’études
juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 25.
3518
« A aucun moment je ne voudrais juger sans cette coopération mutuelle non seulement puisque je suis convaincu
que la participation des juges-citoyens à l’administration pénale constitue une partie de la légitimation démocratique
de ce domaine, mais parce que la coopération des juges laïques force les magistrats de carrière à un
accomplissement clair et approfondi du procès ainsi qu’à considérer dès le début les éventuelles objections. C’est là
déjà toute la plus-value d’une coopération, même apparemment passive, des juges non professionnels » (H.-A.
Blumenstein, cité par H. LIEBER, o.c., p. 17 ; trad. pers.).
3519
« […] la coopération des juges non professionnels ne sert pas seulement de contrepouvoir à la routine judiciaire,
mais la présence des juges laïques force les magistrats de carrière à convaincre et à s’interroger soi-même » (trad.
pers. ; H.-A. Blumenstein, cité par H. LIEBER, o.c., p. 17).
3520
F.Ch. GRUBE, o.c., p. 93.
3521
Cité par R. CHARLES, « Rapport » in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de la troisième Journée
d’études juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 24.

583
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

monde judiciaire. De plus, elle permet de diminuer la tension entre l’application rigide de la
règle légale formelle et l’équité susceptible d’être marginalisée dans un système purement
professionnel. Rappelons qu’aux yeux de Van Hamel, cela expliquerait « l’existence tenace »
des systèmes échevinaux au fil du temps.3522 Lorsque la confiance accordée aux juges
s’érode, on crée les germes d’une coopération (multidisciplinaire).

548. Nous pensons dès lors qu’un système de collaboration entre professionnels et
citoyens mérite d’être pris en considération, mais différent de ce qui fut récemment avancé
par le législateur belge. Au lieu de ne considérer une collaboration qu’après la prise de la
décision sur la culpabilité en vue de rédiger a posteriori la motivation de celle-ci, il nous
semble nécessaire que la justification de la décision se construise au fil de la délibération
avant la prise de la décision. La délibération est un procès interactif et dialectique où thèse et
antithèse se confrontent pour tendre vers la synthèse. Chacun est obligé de présenter et de
soutenir ses points de vue pour arriver à un consensus. La nécessité de motiver y pourrait
constituer une aide précieuse : « du fait de l'obligation de motivation, la discussion peut être
structurée et les motifs qui étayent la décision peuvent être affinés par le débat. En d'autres
termes, c’est en motivant que se dégage une décision. Le débat préalable porte donc
également sur la motivation, permettant ainsi de contrôler la validité de la décision vers
laquelle le jury s'oriente ».3523 La solution retenue par la loi belge du 21 décembre 2009 de
contraindre les magistrats de carrière (‘la cour’) à rédiger une motivation du verdict du jury
sans que ceux-ci soient impliqués dans la délibération sur la culpabilité, ne semble donc pas
opportune. Même si la délibération avec les professionnels a lieu directement après celle des
jurés seuls sur la culpabilité, il ne semble pas simple de ‘reconstruire’ correctement a
posteriori le véritable processus de prise de décision.3524 La signature par le chef du jury de la
motivation rédigée par les professionnels n’empêche pas ces derniers, s’ils constatent que les
raisons du jury sont incompatibles avec la décision ou qu’elles sont juridiquement
insuffisantes ou incohérentes, de faire une application plus large du nouvel article 336 du
Code d’instruction criminelle.3525 Si le renvoi à un autre jury, qui en découle nécessairement
n’est pas opportun du point de vue organisationnel, cette nouvelle disposition dote les juges
professionnels d’une arme importante : ils peuvent facilement remettre en cause la
souveraineté du peuple.

3522
Van Hamel, cité par O.R. DELANGE, l.c., p. 35.
3523
Rapport intermédiaire du 8 nov. 2005, p. 32.
3524
A fortiori une rédaction de la motivation par le professionnel dans les cinq semaines qui suivent la décision, sans
interaction avec les juges non professionnels, tel que cela est le cas en Allemagne, n’est pas préférable (supra, note
2177).
3525
Supra, n° 334.

584
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

549. Une autre option susceptible d’évacuer la question épineuse de la motivation en


matière criminelle est le jury waiver ou la possibilité pour l’accusé d’opter pour un tribunal
purement professionnel. De cette façon, il pourrait choisir que son affaire soit traitée soit par
un jury énigmatique, soit par des magistrats de carrière qui justifient leur jugement. Cette
piste, auquel le législateur belge n’a pas pensé lors de la réforme en 2009, aurait permis de
conserver le jury au sens strict du mot, mais serait incompatible avec la CEDH qui, depuis
l’affaire Taxquet c. Belgique, requiert une motivation des décisions criminelles. Même si
l’accusé a donné son accord pour être traduit devant la cour d’assises, la motivation en tant
que « rempart contre l’arbitraire » reste nécessaire.

B — D’UNE DELIBERATION COMMUNE VERS UNE COMPOSITION


MULTIDISCIPLINAIRE ?

550. Le besoin d’une motivation et la volonté d’une participation citoyenne nous


conduisent alors vers une délibération commune et nous invitent à réfléchir sur le
fonctionnement de l’instance compétente en matière criminelle, et notamment sur la
composition optimale de la nouvelle juridiction. Le système français, qui connaît déjà cette
délibération mixte, démontre qu’il ne suffit pas en soi d’ajouter des professionnels à la
délibération sur la culpabilité pour être en mesure de se conformer aux exigences de la
Convention européenne. Si un modèle mixte offre des perspectives prometteuses, un nombre
de citoyens porté à neuf, voire à douze, ce qui consacre théoriquement la supériorité des
juges d’un jour sur les professionnels, n’est pas de nature à faciliter une délibération
fructueuse, ni a fortiori une motivation. Il ne semble dès lors pas suffisant d’ouvrir la porte
de la salle de délibération aux professionnels, il convient de repenser les rapports entre ceux-
ci et les juges-citoyens ainsi que la structure de la délibération criminelle.

551. Le système allemand, analysé plus haut, pourrait servir d’exemple. Nous
pouvons également nous inspirer du droit suisse du canton de Genève où le jury fut
récemment remis en cause par la création d’un nouveau Code de procédure pénale fédéral
envisageant d’unifier les différentes législations cantonales en la matière.3526 Ce Code qui
entrera en vigueur le 1er janvier 2011 impose le droit d’appel et l’obligation de prendre
connaissance du dossier d’instruction préalablement aux débats ; deux exigences peu
compatibles avec l’institution du jury populaire. Face à cette perspective, le Grand conseil a
modifié la Constitution genevoise en janvier 2009.3527 Avec une majorité de 64,2% cette

3526
www.admin.ch/ch/f/ff/2007/6583.pdf.
3527
Loi constitutionnelle du 23 janvier 2009 modifiant la constitution de la République et canton de Genève
(Adaptation au code de procédure pénale suisse) (Cst-GE) (10327), FAO 2 févr. 2009 ; Tribune de Genève, 24 janv.
2009 (www.geneve.ch/grandconseil/data/texte/PL10327A.pdf).

585
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

modification fut approuvée par référendum impératif le 17 mai 2009. De cette manière, la
majorité des citoyens ont condamné à mort le jury populaire. Avec la nouvelle loi du 9
octobre 2009 sur l’organisation judicaire (LOJ)3528, le législateur suisse opte pour un tribunal
criminel mixte en guise d’alternative. A l’instar du modèle allemand, ce système est
particulièrement intéressant en raison du nombre limité des citoyens-juges non
professionnels. Si une collégialité est indispensable, il semble en effet opportun, pour faciliter
la discussion et la motivation, que le nombre des membres du collège ne soit pas trop élevé.
S’accorder à douze ou à quinze personnes sur les motifs sous-jacents à la décision ne relève
en effet pas d’une sinécure.3529

552. Pour endiguer le risque d’ascension du professionnel, plusieurs auteurs, partisans


d’un délibéré conjoint, avancent toutefois une prépondérance numérique des citoyens-
juges.3530 Une majorité de magistrats de carrière par rapport aux juges non professionnels, à
l’instar de la Schwurgericht allemande — trois juges professionnels et deux citoyens—, ne
leur semble pas opportune. Il ne serait dans ce cas question que d’une institution
professionnelle flanquée d’une sorte de sensibilité sociale, ce qui soulèverait dans plusieurs
pays dont l’Espagne, la question de l’inconstitutionnalité puisque la participation ne serait
qu’une pure fiction.3531 Certains proposent que le nombre d’échevins soit deux fois plus
important que celui de professionnels, option également retenue par le Congrès de Palerme
de 1932-1933 dans l’hypothèse où le jury serait remplacé par un système mixte3532 ainsi que
par le système mixte japonais, introduit en mai 2009 (« saiban-in ») ; d’autres vont plus loin
en exigeant au moins trois laïcs pour chaque juge professionnel. Toutefois, si la plus-value
apportée par des non-professionnels réside plus dans leur rôle de ‘contrepoids’ que dans la
prépondérance de leurs voix lors de la décision, leur supériorité numérique serait moins
contraignante. La seule présence d’un non-professionnel suffirait pour garder le professionnel
« on his toes » (sur ses gardes). D’un point de vue psychologique, il pourrait cependant être
important, pour les citoyens-juges, de ne pas se retrouver seuls face à un collège de
professionnels. Remarquons que la prépondérance des juges non professionnels est
également effective au tribunal pour enfants français composé d’un magistrat de carrière et
de deux citoyens-assesseurs, ainsi que dans les tribunaux du commerce et du travail belges

3528
RS Ge E 2 05.
3529
Supra, n° 327 et s.
3530
Ch. YOTIS, « Faut-il admettre en matière criminelle le système du jury ou celui de l’échevinage ? », RIDP 1932, p.
355. Lors des débats parlementaires sur le jury espagnol, Gimeno Sendra estima par contre que les laïcs tenteraient
d’imposer leur opinion au juge et qu’il fallait augmenter le nombre de juges professionnels et réformer les règles de
majorité en faveur des juges professionnels (C. GLEADOW, o.c., p. 222).
3531
Soriano, cité par C. GLEADOW, o.c., p. 224 (supra, n° 404).
3532
Conclusion du Congrès de Palerme sur la question « Faut-il admettre en matière criminelle le système du jury ou
celui de l’échevinage ? », RIDP 1932-33, p. 159-160.

586
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

qui se composent d’un juge professionnel et de deux assesseurs consulaires (art. 84 al. 2 C.
jud.)/sociales (art. 81 al. 3 C. jud.). Dans le canton de Genève, la nouvelle loi du 9 octobre
2009 prévoit un tribunal criminel composé de trois juges professionnels et de quatre
assesseurs (art. 99).

553. En ce qui nous concerne, le recours à deux professionnels et à trois citoyens-


juges mérite d’être étudié. Tel était également une piste de réflexion avancée par la
Commission de réforme de la cour d’assises belge, lorsque celle-ci avait encore carte
blanche.3533 De cette façon, les non-professionnels seraient majoritaires et le nombre de juges
resterait limité à cinq. Concernant le composant professionnel et par rapport à la procédure
d’assises actuelle, qui comporte trois juges de robe, un magistrat de carrière serait ‘débloqué’.
L’option d’un juge unique ne semble par contre pas opportune compte tenu de la gravité des
affaires et de la complexité potentielle des questions non seulement relatives à l’action
publique mais également à l’action civile. Le collège déciderait conjointement, y compris sur
les incidents procéduraux3534, à égalité des voix.3535 Pour prendre une décision défavorable à
l’accusé, il nous semble opportun d’exiger une majorité de trois voix sur cinq, dont la voix
d’au moins un magistrat de carrière. De cette manière, aucune décision préjudiciable à
l’accusé ne pourrait être prise, ni par les seuls magistrats de robe, ni vice versa par les seuls
juges non professionnels. Les juges-citoyens ne seraient ainsi pas en mesure d’outrepasser les
magistrats de carrière. S’il convient d’un côté d’éviter « la dictature de la foule »3536, il ne
faut pas non plus craindre la technicité du professionnel. Il serait notamment quasi impossible
pour le juge professionnel de rédiger un verdict dans lequel il aurait été mis en minorité, sauf
à autoriser la pratique de motivations dites ‘suicidaires’ analysée ci-dessus3537, celles-ci
consistant à rédiger une motivation qui a toute les chances d’être renversée en appel.

554. En ce qui concerne le profil des juges non professionnels, trois options sont
envisageables : il peut s’agir de citoyens ordinaires, de citoyens ‘spécialisés’ (criminologues,
sociologues, psychologues, ...) ou présentant certaines qualités, ou d’un système mixte. Si, à

3533
Rapport intermédiaire du 8 mars 2005, p. 13. Sur l’éventuelle non-conformité de cette proposition avec la décision
du Conseil constitutionnel français du 20 janv. 2005, v. infra, n° 607.
3534
Il en serait ainsi pour le huis clos, pour le report de l’affaire, pour l’inadmissibilité de certaines preuves, … Nous
pourrions pourtant bien imaginer que certaines décisions n’incomberaient qu’au magistrat de métier, président du
tribunal. Ce dernier resterait notamment responsable de la police de l’audience. En droit allemand, l’audition des
témoins de moins de seize ans incombe également au président (§ 241 a (1) StPo).
Bien évidemment et en dépit des informations préalables à l’entrée en fonction, les citoyens-assesseurs ne sont pas
familiarisés avec toutes les règles juridiques procédurales. Ils devraient donc être instruits par le président. En droit
allemand, celui-ci est toujours censé de désigner la disposition légale en vertu de laquelle une preuve doit être par
exemple exclue pour cause de nullité (« wo steht das » ?). Avancer que « c’est de la jurisprudence constante » ou
qu’« on fait toujours comme ça » ne suffit pas (H. LIEBER, o.c., p. 15).
3535
Pour garantir autant que possible l’indépendance des citoyens-juges, ceux-ci devraient voter en premier. Le
président ne devrait exprimer son opinion que lors de la délibération et après que les assesseurs ont donné la leur.
3536
C. GERBET, o.c., p. 300.
3537
Supra, n° 334.

587
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

l’instar de l’exemple des assesseurs du tribunal pour enfants, l’option d’une « participation
spécialisée » est très intéressante dans certains domaines tels que la délinquance des mineurs
ou la délinquance en col blanc, elle est plus difficile à imaginer pour les crimes passionnels
‘ordinaires’. Du point de vue de la participation démocratique, le recours à des citoyens
ordinaires semble préférable. Ainsi que nous l’avons avancé dans le chapitre précédent, il est
plus judicieux que les médecins, psychiatres, psychologues, criminologues, ... restent des
experts et ne remplissent pas le rôle du juge, notamment pour éviter ‘l’expertocratie’.3538 Il
nous semble d’ailleurs qu’un expert sera plus libre d’exprimer son opinion s’il ne participe
pas à la prise de la décision. S’y ajoutent également des considérations pratiques : où trouver
des experts disponibles pour siéger à plein temps et avec quelle rémunération ? Quels seront
les critères de sélection ? Pour les mêmes raisons, la sélection des juges profanes parmi les
avocats spécialisés3539 ne paraît pas opportune. Exiger certains diplômes paraît en outre
difficile : se pose en effet la question des critères et niveaux d’étude à retenir. Une solide base
intellectuelle, une haute intégrité morale et un dévouement à la fonction sont par contre
indispensables. Pour assurer une bonne représentativité, il faut tâcher de couvrir une palette
variée de milieux sociaux. Une rémunération raisonnable est à cet égard indispensable.

555. Au nom des principes d’indépendance et d’impartialité, une attention rigoureuse


doit bien évidemment être accordée au recrutement des citoyens-assesseurs. A l’instar des
jurés d’assises3540, il faut empêcher certaines personnes de remplir (temporairement) ce
mandat en raison d’une incompatibilité. Devraient en tout cas être exclues (pendant la durée
de leur fonction), les personnes appartenant au corps judiciaire. La Commission de réforme
de la cour d’assises belge souhaitait, dans sa première proposition, y ajouter de manière
générale tous les juristes, à savoir ceux qui disposent d’un diplôme de droit.3541
L’incompatibilité absolue s’étendrait ensuite aux membres du pouvoir législatif et exécutif,
conformément au principe de la séparation des pouvoirs. Hormis ces incompatibilités
fonctionnelles, les personnes ayant un rapport particulier avec l’affaire en cause, par exemple
par alliance ou par participation à l’enquête ou à l’instruction en tant que témoin ou policier,
… devraient être exclues. Bien évidemment les personnes ayant déjà subi une condamnation
pénale peuvent difficilement être qualifiées pour cette fonction. Leur expérience (négative)
de la justice risque de corroder leur verdict et d’entamer ainsi l’impartialité et l’indépendance
chères à la Cour européenne des droits de l’homme.

3538
Supra, n° 512.
3539
L. BRAFFORT, l.c., p. 118.
3540
Supra, n° 138 et s.
3541
Rapport intermédiaire du 8 mars 2005, p. 13.

588
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

556. En ce qui concerne la procédure de sélection, différents procédés sont


envisageables, tel qu’en témoigne la grande variété des formes de participation citoyenne. A
la différence des jurés, les citoyens-assesseurs pourraient être désignés pour une période
déterminée. Sur le plan organisationnel, cela permettrait de transformer la juridiction
criminelle en juridiction permanente, ce qui présente incontestablement des avantages,
notamment sur le plan de l’audiencement des affaires.3542 Il ne serait plus nécessaire de
composer à chaque fois le jury populaire, ce qui constitue quand même une cause de
ralentissement de la procédure. Si, en droit belge, le jury ne compte que douze jurés effectifs
pour le jugement d’un crime, il faut néanmoins convoquer au minimum soixante personnes
afin de pouvoir constituer le jury. Une certaine pérennité de la fonction permettrait en outre
aux citoyens-assesseurs de profiter de leur expérience pour des affaires ultérieures.3543

Afin d’éviter routine et technocratisation, la période de désignation des juges non


professionnels ne peut pas être trop longue. Pour éviter des problèmes organisationnels, elle
ne peut pas non plus être trop courte.3544 Un tirage au sort de toutes les personnes figurant sur
les listes électorales et remplissant les conditions d’aptitude n’est donc pas souhaitable. Il
semble en effet difficile de contraindre un citoyen à siéger pendant une période déterminée,
allant, sans doute, au-delà du jugement d’une seule affaire ou d’une session. Une élection
comme pour les juges-citoyens du Conseil des prud’hommes et des baux ruraux ne semble
pas non plus opportune compte tenu du risque soulevé en termes d’indépendance. Un
concours semble par ailleurs difficile à organiser compte tenu de l’absence de conditions de
diplôme. Il serait donc peut-être opportun de proposer un système combiné en vertu duquel
les personnes intéressées et présentant les conditions d’aptitude ainsi que les garanties de
compétence et d'impartialité requises pourraient faire acte de candidature et être désignées
par le Garde des Sceaux/ministre de la Justice sur proposition du Conseil supérieur de la
magistrature/Justice. Une désignation similaire, sur candidature volontaire, est utilisée pour
les assesseurs connus pour leur action éducative au tribunal pour enfants français. Bien
évidemment, les juges professionnels ne devraient en aucun cas influencer le choix des non-
professionnels devant siéger à leurs côtés. Il convient en outre d’examiner les mobiles qui

3542
Pour des critiques, v. pourtant infra, n° 588.
3543
F.Ch. GRUBE, o.c., p. 94.
3544
Une grande variation existe à cet égard. Si le projet Toubon français (infra, n° 580) proposait pour les citoyens-
assesseurs un mandat de trois ans, renouvelable une fois, la Commission de réforme de la cour d’assises belge optait
pour une désignation d’un an. Le mandat des juges de proximité dure en principe sept ans. Les assesseurs des
tribunaux pour enfants sont désignés pour une période de quatre ans (tel est également le cas pour les Schöffen
allemands) renouvelable par moitié tous les deux ans. Ce dernier système nous semble particulièrement intéressant
puisque cette période correspond également avec l’établissement des listes de jurés en Belgique. Il pourrait être
judicieux de déterminer annuellement un nombre fixe d’audiences successives pour que les citoyens-juges puissent se
libérer plus facilement de leurs occupations habituelles. Pour la durée de la fonction l’employeur devrait dispenser son
employé.

589
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

poussent ces personnes à se porter volontaires. Les individus déjà condamnés (les prévenus
de hier) et leurs proches susceptibles de vengeance, tout comme les inactifs animés d’un
esprit violemment répressif et d’autodéfense ne devraient pas être qualifiés pour cette
fonction.3545 Comme cela fut déjà dénoncé dans les comédies « Les Guêpes »
d’Aristophane3546 et « Les Plaideurs » de Racine3547, il convient d’être vigilant concernant les
personnes avides de pouvoir et d’autorité ou promptes à juger autrui.

Pour s’assurer de l’impartialité dans une affaire particulière, il pourrait ensuite s’agir
d’un tirage au sort de personnes figurant sur la liste et désignées pour les différentes
audiences. Un tirage au sort offre en effet une certaine légitimité et permet d’éviter toute
suspicion ou manipulation.3548 A l’instar des juges de carrière, une récusation motivée serait
envisageable en cas de conflit d’intérêt. Pour garantir la qualité et optimiser la participation
des citoyens-assesseurs, une formation préalable et permanente est primordiale. Cette
formation devrait être conçue comme celle qui est envisagée pour les jurés, tout en veillant à
ne pas dénaturer les juges non professionnels. A l’instar du droit allemand, le président serait
tenu de procurer toutes les informations utiles aux citoyens-assesseurs.3549

557. En même temps, l’occasion devrait être saisie de spécialiser le magistrat de


carrière. Compte tenu de la complexité des matières auxquelles il est confronté, le juge
criminel doit avoir des notions de sciences criminelles, de médecine, de psychologie, … Il
conviendrait par conséquent d’accroître ses connaissances scientifiques. Pour les affaires
impliquant un mineur, il convient d’exiger une formation particulière des magistrats de
carrière. Présents dans la salle de délibération, ils pourraient ainsi partager leurs
connaissances avec les citoyens-juges. De cette manière, la délibération commune ne
présenterait pas seulement des avantages concernant la motivation ; elle permettrait
également d’expliciter certains concepts juridiques. En mettant un terme aux inconvénients
qui découlent de la séparation entre le fait et le droit, elle éviterait les pièges dans lesquels les
citoyens peuvent tomber lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes. Ainsi que nous l’avons avancé
précédemment, une collaboration de ce type permettrait ensuite de mettre un terme au

3545
J.-M. GIRAULT, Rapport n° 275 (1996-97), l.c.
3546
Cette comédie qui date de 422 av. J.-Ch fustige le désir des citoyens athéniens d’être juge au tribunal populaire et
accuse l’irrépressible manie de juger. Avec une soif exacerbée de justice et une folie procédurière, on y juge
finalement le chien, accusé de vol (ARISTOPHANE, Les guêpes, Paris, Belles Lettres, 1998).
3547
Comédie de 1669, inspirée de celle d’Aristophane, mais sans la portée politique (J. RACINE, Les plaideurs, Paris,
Gallimard, 2006).
3548
M.-H. GOZZI, l.c., p. 9.
3549
En Allemagne, le président est en particulier tenu d’informer les juges non professionnels, au début de chaque
audience publique, des parties en cause, des principales preuves et des témoins (n° 126 (1) de la directive RiStBV).
Dans les affaires complexes impliquant de multiples accusés et témoins, il met à leur disposition et ce pendant la
durée de l’audience publique une copie de l’acte d’accusation. De cette manière les citoyens-juges sont mieux à même
de suivre l’audience. Traditionnellement, les résultats de l’instruction judiciaire ne sont pas communiqués. V.
toutefois supra, n° 476.

590
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

système rigoureux et peu flexible des questions, de sorte que des qualifications alternatives
pourraient plus facilement être analysées.3550

§ 2 — LES REPERCUSSIOFS FRUCTUEUSES DE LA FOUVELLE JUSTICE


DELIBERATOIRE

558. Le délibéré commun aurait un impact non négligeable sur la procédure. Il


permettrait en particulier d’opérer un rapprochement entre la procédure correctionnelle (trop)
succincte et fermée et la procédure d’assises (trop) onéreuse, tout en cumulant les avantages
de ces deux procédures. Ainsi que cela fut déjà avancé par la Commission de réforme de la
cour d’assises belge, le système proposé permettrait, en adjoignant l'expérience de juges
professionnels au regard frais des citoyens, d'évoluer vers un système plus stable, plus
performant et multidisciplinaire, davantage efficace et rapide. Il pourrait être intéressant pour
un nombre accru d’affaires par rapport à celles qui sont actuellement renvoyées devant la
cour d’assises (A — Une rationalisation de la procédure, une objectivation de la
compétence). La voie serait en outre ouverte à un véritable appel hiérarchique, dont nous
avons déjà souligné l'importance cardinale3551 (B — Un véritable appel hiérarchique).

A — UNE RATIONALISATION DE LA PROCEDURE, UNE OBJECTIVATION


DE LA COMPETENCE

559. Le remplacement du jury souverain par un nombre limité de citoyens assurant


une certaine continuité de la juridiction permettrait de redessiner et surtout d’alléger
considérablement la procédure complexe et lourde qui caractérise actuellement la cour
d'assises. L’échevinage de type allemand envisage en effet un tout autre concept de justice
criminelle. Les citoyens-juges décideraient tout conjointement avec les magistrats de carrière.
Afin d’homogénéiser les deux types de juges, il convient d’autoriser les citoyens-assesseurs,
dès le début du procès, à accéder au dossier complet, y compris pour les déclarations des
témoins et les rapports d'expertise. De cette manière, ils pourraient se préparer à l’avance et
seraient en mesure de mieux apprécier la véracité de certains témoignages. La procédure à
l’audience pourrait d’ailleurs être allégée. En valorisant le travail d’instruction, un tel accès
au dossier, auquel — rappelons-le — ni le législateur allemand, ni la Bundesgerichtshof ne
s’opposent, permettrait notamment de restreindre le nombre illimité de témoins à l’audience.
L'audition des témoins resterait bien évidemment toujours possible et même indispensable
pour les témoins principaux. Mais il ne serait plus nécessaire de refaire entièrement
3550
Supra, n° 312.
3551
Supra, n° 394.

591
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

l’instruction à l’audience. De cette manière, la consultation du dossier permettrait de moduler


les principes d’oralité et d’immédiateté des preuves de manière plus rationnelle, sans pour
autant les sacrifier. En effet, la présence des juges non professionnels obligerait à aller au-
delà du simple dossier et à consacrer ces principes, mais de manière plus encadrée. C’est une
épreuve d’équilibre. La proposition de la Commission de réforme belge concernant
l’établissement d’un rapport multidisciplinaire pour compléter l’information des magistrats
de carrière et, dans le système proposé, celle des juges non professionnels, mérite ensuite
toute considération.3552 Elle permettrait d’éviter des témoignages de moralité démesurés.
Pour ce faire, la création d’un centre de recherche multidisciplinaire calqué sur l’exemple du
Centre Pieter Baan néerlandais devrait être érigée au rang de priorité.3553

560. Bien évidemment, un délibéré mixte implique également une réflexion sur le rôle
des professionnels. Contrairement à son homologue présidant actuellement la cour d’assises,
le président de la nouvelle juridiction ne pourrait disposer, avant le début de l’audience, d’un
large pouvoir discrétionnaire exercé de manière unilatérale et non contradictoire.3554 Ce
rapprochement avec le juge d’instruction, défendable lorsque le président ne participe pas à la
délibération sur la culpabilité, serait difficilement tenable devant la nouvelle juridiction
collégiale au regard des exigences d'impartialité, du droit à un procès équitable au sens de
l'article 6 CESDH, et des différences par rapport au juge correctionnel.

561. Il ne fait aucun doute que la présence d’un élément étranger au monde judiciaire
obligerait les professionnels à avancer plus lentement et, espérons-le, de manière plus
approfondie, ce qui serait également souhaitable pour nombre d’affaires actuellement traitées
de façon expéditive par le tribunal correctionnel. En effet, à côté d’une rationalisation et d’un
allègement de la procédure, le nouveau système mixte de justice criminelle pourrait, de
manière plus ambitieuse, avoir un impact non négligeable sur la répartition des affaires entre
les cours et tribunaux. Contrairement à la cour d’assises lourde et trop chargée, la juridiction
mixte pourrait juger un nombre de crimes plus élevé, notamment ceux qui sont actuellement
détournés de la cour d'assises et renvoyés au tribunal correctionnel. En effet, il nous semble, à
première vue, judicieux de soumettre également à cette nouvelle juridiction certaines affaires
qui, en Belgique et en France, sont systématiquement correctionnalisées. De cette manière
une dénaturation de leur caractère criminel et un contournement de la loi ne seraient plus
nécessaires. Ainsi, le système permettrait une plus grande sécurité juridique et l’égalité des
justiciables devant la loi. Les crimes auraient à nouveau une juridiction. Les accusés

3552
Rapport intermédiaire du 8 mars 2005, p. 13.
3553
Supra, n° 513.
3554
Art. 283 CPP et 255 CIC (ancien art. 298 CIC) ; v. supra, n° 282.

592
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

obtiendraient, quant à eux, le ‘droit’ d’être jugés par la juridiction mixte ; les victimes
seraient reconnues en tant que victime d’un crime et non d’un délit.

Si le retrait frauduleux de nombre de crimes à la cour d’assises au profit du tribunal


correctionnel entame de plus en plus la participation citoyenne à la fonction de juger, le
système proposé permettrait de la revaloriser. De cette manière, il n’y aurait pas seulement un
traitement plus approfondi dans un nombre accru d’affaires, mais également une extension
indéniable de l’implication des citoyens dans l’œuvre de juger. Par un modèle mixte de
coopération, la logique des droits de l’homme favorise-t-elle alors davantage la participation
citoyenne que la logique traditionnelle ? Devant la nouvelle instance mixte l’implication des
citoyens serait en effet moins prononcée que devant un jury populaire, mais elle serait
garantie pour un nombre accru d’affaires. Se pose ensuite la question épineuse des critères
devant sous-tendre la distribution des affaires. Comment évaluer si la nature, la gravité, et les
conséquences d’un fait justifient la saisine d’une juridiction criminelle ? Si le critère utilisé
pour déterminer la compétence du futur tribunal criminel genevois, à savoir les infractions
pour lesquelles le ministère public entend requérir une peine privative de liberté supérieure à
dix ans (art. 100 LOJ), paraît intéressant, il laisse toutefois une grande marge d’appréciation
au parquet. Le seuil criminel fixé à dix ans par le législateur français pourrait être arrêté. En
dessous de ce seuil, le tribunal correctionnel serait compétent ; au-dessus, la compétence
incomberait à la nouvelle juridiction criminelle. Ainsi que nous le verrons ultérieurement, un
tel critère inviterait le législateur à mener une réflexion globale sur les échelles de peines
prévues dans le Code pénal.3555 Bien évidemment cela lui impose un défi énorme : il ne faut
pas seulement perfectionner l’ouvrier, il faut aussi perfectionner l’outil.3556 En tout cas, il
semble opportun de maintenir la qualification criminelle qui a une forte charge émotionnelle.

562. Mettre un terme à la correctionnalisation judiciaire, permettrait d’éviter qu’en


correctionnelle il y ait des rôles submergés par soixante affaires par audience. Si cela semble
fort désirable, une telle (ré)distribution des affaires n’est toutefois pas sans soulever certains
soucis. La présence des citoyens-assesseurs ralentirait en effet nécessairement le cours de la
procédure. Si cela peut permettre de traiter de manière plus approfondie un nombre plus
important d’affaires, il faut toutefois veiller à ce que les affaires qui bénéficient actuellement
d’une procédure plus rapide — celles qui sont portées devant les juges correctionnels —, ne
fassent pas les frais d’un prolongement injustifiable de la détention provisoire et d’une
violation du principe de traitement dans un délai raisonnable. En effet, si, par rapport à la
procédure d’assises actuelle, la nouvelle juridiction mixte permettait d’accélérer la procédure

3555
Infra, n° 593-594.
3556
S. STERN, o.c., p. 225.

593
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

et de raccourcir les délais de la détention provisoire, elle risque d’induire le contraire pour les
affaires actuellement correctionnalisées. Une réflexion approfondie doit donc être menée sur
ce point. La nouvelle juridiction doit être en mesure d’avancer dans les meilleurs délais. La
recherche d’alternatives à la détention provisoire, dont témoigne par exemple la loi
pénitentiaire française du 24 novembre 20093557, s’impose en même temps. Cela soulève bien
évidemment l’épineuse question de la disponibilité et de la réorganisation des moyens. La
question de la participation citoyenne continue de se poser à la lumière de soucis
organisationnels.

B — UN VERITABLE APPEL HIERARCHIQUE

563. Une autre répercussion judicieuse du système proposé serait la possibilité d’un
véritable double degré de juridiction. En effet, la motivation des décisions criminelles ouvre
la porte à un contrôle de celles-ci. Par ailleurs, l’existence d’un appel invite à une meilleure
justification de la décision. Même si ce droit fondamental n’est pas imposé par le Protocole
n° 7 à la CESDH3558, il constitue une protection indispensable contre des verdicts erronés.

564. La première question qui vient alors à l’esprit concerne la nature même de ce
double degré de juridiction. Quelle instance serait compétente pour juger en second ressort
les décisions prises par un modèle mixte de justice pénale ? S’agirait-il d’un modèle
purement professionnel ou d’un modèle mixte ? Le droit comparé fait à cet égard preuve
d’une grande diversité.3559 Dans sa proposition initiale d’un modèle criminel mixte, la
Commission de réforme de la cour d’assises belge, s’appuyait sur le système appliqué en
Belgique en matière commerciale et sociale. Dans ces deux matières mixtes, il existe bien un
double degré de juridiction. Pourtant, une grande différence se dessine concernant l’instance
compétente au second degré : si la cour du travail comporte également des citoyens-juges3560,
l’appel contre les décisions du tribunal de commerce est porté devant la chambre civile de la
cour d’appel ordinaire dépourvue d’élément laïque. Cette différence notable ne traduisait
toutefois pas la volonté initiale du projet de loi instituant le Code judiciaire. Initialement, il

3557
Cette loi prévoit notamment l'assignation à résidence avec surveillance électronique et ainsi une modification de
l’art. 137 CPP (loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, JORF 25 nov. 2009, p. 20192).
3558
Supra, n° 355.
3559
A titre d’exemple, au Japon où le modèle mixte de coopération a été introduit par la loi du 28 mai 2004 (Lay
Assessor Act), il n’y a pas de citoyens-juges en appel ; le Danemark connaît en appel trois magistrats de carrière et
trois juges non professionnels ; en Suède seuls les magistrats de carrière ont un vote de majorité en appel (S. KUTNJAK
IVKOVIC, « Exploring Lay participation in Legal Decision-Making : Lessons from Mixed Tribunals », Cornell Int’l
L.J. 2007, p. 433). En droit allemand, un appel est uniquement possible contre les décisions de l’Amtsgericht qui siège
à juge unique et contre celles de la Schöffengericht composée, hormis le juge professionnel également des juges non
professionnels. L’instance en appel (kleine Strafkammer des Landesgericht) est en l’occurrence également constituée
de juges non professionnels. Pour les affaires plus graves et les décisions de la Landesgericht et de la Schwurgericht
(cour d’assises) seul un contrôle de droit et des règles procédurales (Revision) sont envisageables.
3560
En vertu de l’art. 104 al. 1 C. jud. « la cour du travail est divisée en chambres qui siègent au nombre d'un
conseiller à la cour du travail et, selon le cas, de deux ou quatre conseillers sociaux ».

594
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

était prévu d’étendre le principe consulaire à la cour d’appel aussi bien en matière sociale
qu’en matière commerciale : « ce qui paraît sage au premier degré devrait logiquement être
tenu pour utile à l’échelon d’appel ».3561 Etaient notamment prévus, à côté d’un membre de
la cour d’appel, deux conseillers-assesseurs commerciaux/sociaux. Dans le projet amendé on
a pourtant renoncé aux chambres commerciales mixtes auprès de la cour d’appel.3562

Le Conseil d’Etat belge faisait à cet égard remarquer que le recrutement des
conseillers-assesseurs des cours d’appel soulevait des objections d’ordre constitutionnel,
notamment en raison des anciens articles 99 et 100 (actuel art. 152) de la Constitution qui
consacrent la nomination à vie et l’inamovibilité des juges de carrière.3563 Si les juges
consulaires délibèrent sur un pied d’égalité, ces articles ne leur sont pas applicables de plein
droit. Les conseillers-assesseurs ne sont nommés que pour une période déterminée. Cela
s’applique également aux juges-assesseurs en première instance, avec cette différence que le
tribunal de commerce et le tribunal du travail bénéficient d’une certaine autonomie. Au
niveau de l’appel, en revanche, les chambres commerciales et sociales font partie de la cour
d’appel ; ceux qui sont appelés à la fonction de juger sont tous des conseillers à la cour
d’appel. Or, aux yeux du Conseil d’Etat, seul l’un des conseillers aurait été nommé dans le
respect des articles 99 et 100 de la Constitution.

A cet égard, il reste toutefois étrange que le législateur ait finalement opté pour des
conseillers en matière sociale et non en matière commerciale. Cette différence et l’absence
d’unité qui en découle, donnèrent lieu à des critiques sévères, notamment sur le plan de la
conformité des cours du travail avec la Constitution. Le Commissaire royal reconnut que,
d’un point de vue strictement logique, cette différence pouvait susciter des critiques.3564 Mais
la Constitution n’ayant déterminé ni la forme, ni la nature des institutions que le législateur
pouvait instituer, le problème constitutionnel pouvait être évacué. La solution retenue
constituerait l’aboutissement de négociations difficiles, de sorte que faute de majorité pour
revenir au texte initial, on se limita à déplorer cette incohérence.3565 Il en résulte que les
affaires du tribunal mixte de commerce sont jugées en deuxième degré par un collège

3561
Ch. VAN REEPINGHEN, Rapport relatif au projet de loi instituant le Code judiciaire, Doc.parl. Sénat 1963-64, n°
60.
3562
C. DE BAECK, Rapport relatif au projet de loi contenant le Code judiciaire, fait au nom des Commissions de la
justice et de l’emploi, du travail et de la prévoyance sociale, Doc.parl. Sénat 1964-65, n° 170, p. 43.
3563
Avis du Conseil d’Etat, Doc.parl. Sénat 1963-64, n° 60, p. 791-792 et p. 798.
3564
F. HERMANS, Rapport relatif au projet de loi contenant le Code judiciaire, fait au nom de la Commission de la
justice, Doc.parl. Chambre 1965-66, n° 59/49, p. 30-31.
3565
Ibid. Lors des débats parlementaires relatifs à la proposition de loi tendant à permettre l’intervention d’un
conseiller unique pour connaître des appels des décisions rendues en matière commerciale par le tribunal de
commerce, l’idée de faire appel aux juges consulaires n’a ni été exclue, ni été retenue (Doc.parl. Chambre 1996-97,
n° 1017/6, p. 46 ; v. également F. ERDMAN et G. DE LEVAL, Les dialogues Justice,
www.just.fgov.be/img_justice/publications/pdf/1.pdf, p. 58).

595
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

purement professionnel tandis que celles qui relèvent de la compétence du tribunal du travail
bénéficient de la mixité à deux degrés.

565. Le fait que la présence de citoyens-juges à l’échelon d’appel ne soit pas


automatiquement retenue concerne également le système français où l’appel contre les
décisions prises par le tribunal pour enfants — compétent pour les crimes commis par des
mineurs âgés de moins de seize ans et qui siège avec deux assesseurs non professionnels3566
—, est porté devant une chambre spéciale de la cour d’appel exclusivement composée de
magistrats de carrière.3567 Le législateur semble dès lors opérer une distinction entre premier
et second degré, même si celle-ci reste résolument obscure. Notons que nombre d’auteurs
déplorent l’absence d’assesseurs non professionnels en appel et la dépréciation de la justice
non professionnelle qui en découle.3568 Pourquoi la spécialisation devrait-elle cesser en
appel ? Le côté humain et la primauté éducative tendent-ils à disparaître en appel ? Pour
justifier cette différence, il est souvent avancé que le jugement en appel est plutôt un combat
juridique orchestré par des professionnels.3569 Une plus grande expérience et légitimité ainsi
qu’un niveau plus élevé de connaissances juridiques seraient alors nécessaires. S’y ajoutent
également des arguments relatifs à la tradition et à la disponibilité des assesseurs. Ces
explications manquent toutefois de fondement, voire sont incompréhensibles au regard du
maintien, en France, du jury criminel en appel.

566. La Commission de réforme de la cour d’assises belge, considérait que l’appel,


s’il devrait être de pleine juridiction, devrait être porté devant une juridiction comportant
également des non-professionnels.3570 Elle s’appuyait donc de facto sur le système appliqué
en Belgique en matière sociale. Il serait en particulier difficile de confier le contrôle de la
décision à une instance purement professionnelle. Cela pourrait induire, chez les
professionnels de première instance, le sentiment qu’une vraie coopération avec les citoyens
n’est pas nécessaire puisqu’un appel est toujours possible. Par ailleurs, si des magistrats de
carrière pouvaient contredire une décision conjointement prise avec des citoyens-juges, cela
ne serait pas bon signe. Une telle logique a également été suivie en Angleterre où l’appel
contre les décisions de la magistrates’ court est porté devant la Crown Court en l’occurrence

3566
Supra, n° 503 et s.
3567
Supra, n° 503.
3568
En Italie, par contre, le composant non professionnel est également garanti en appel. En matière de délinquance
des mineurs, l’instance d’appel est composée de trois magistrats professionnels et de deux assesseurs non
professionnels (première instance deux magistrats professionnels et deux assesseurs). En France, plusieurs y voient
une nécessaire extension. Environ 50% des assesseurs des TPE condamnent leur absence en appel (Ph. POUGET, o.c.,
p. 65-66). V. également la Commission P. MARTAGUET, « Le nouveau droit pénal des mineurs », RICPTS 1984, p.
421 ; R. OTTENHOF, « La spécialisation des fonctions et des juridictions en droit pénal des mineurs », l.c., p. 414 et A.
VITU, « Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants », l.c., p. 244.
3569
Ph. POUGET, o.c., p. 68.
3570
Rapport intermédiaire du 8 mars 2005, p. 15.

596
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

composée d’un magistrat de robe et de deux magistrats non professionnels. Dans le canton
suisse de Genève, l’appel contre les jugements du tribunal criminel mixte sera porté devant la
Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice qui s’adjoint quatre assesseurs
(art. 129 LOJ).

567. L’instance compétente en appel devrait donc idéalement comporter également


des juges non professionnels. Les critiques à l’égard de l’appel tournant français — « le
peuple ne peut pas désavouer le peuple » et « rien ne permet de croire que la décision du
second jury serait plus fiable ou « meilleure » que celle du premier » — ne peuvent pas être
extrapolées au système mixte proposé. Devant la cour d’assises, la prépondérance numérique
des citoyens accorde encore au jury une apparence de souveraineté. Si le verdict final est pris
lors d’une délibération commune, l’exigence d’une majorité de huit voix sur douze pour une
condamnation empêche de rendre cette décision sans l’aval de la majorité des jurés. En
revanche, le nombre de jurés s’élevant à neuf, ils n’ont pas besoin de l’adhésion des
professionnels pour prendre eux-mêmes cette décision. Ce résidu de souveraineté populaire
est en outre accentué par l’absence de motivation. La cour d’assises ne prend ses décisions
que sur la base de son intime conviction et condamne ou acquitte sans phrases. Il en découle
que le nouveau jury désigné en appel ne peut pas exercer un contrôle effectif sur la décision
du premier ressort et ne peut que rejuger intégralement l’affaire, selon la même procédure et
sur base de son intime conviction, sans explication. A cet égard, l’interrogation sur la plus
grande légitimité du peuple en appel est justifiée. Dans le système mixte proposé, la décision
ne pourrait par contre pas être prise sans l’adhésion des deux tiers de ses membres, ce qui
implique toujours l’accord d’au moins un juge professionnel. Il s’agirait nécessairement
d’une décision prise conjointement et motivée, ce qui permettrait un contrôle effectif.

568. Consciente de la lourdeur, des ralentissements et du coût élevé inhérents à


l’appel ‘classique’, la Commission de réforme de la cour d’assises s’interrogeait sur
l’opportunité de prévoir un filtre. En particulier, le recours pourrait être limité aux erreurs
manifestes : erreur de droit, erreur de fait manifeste, peines manifestement excessives. Le
contrôle marginal pourrait être confié à un collège de juges professionnels, soit une chambre
de la cour d’appel — le cas échéant composée de cinq magistrats professionnels —, soit la
deuxième chambre de la Cour de cassation, à laquelle serait ainsi attribuée une compétence
limitée pour exercer un contrôle de fait sur le fond de l'affaire.3571 A l’instar des critiques
prononcées à l’encontre du système anglais de leave to appeal3572, la Commission de réforme

3571
Rapport intermédiaire du 8 mars 2005, p. 15. En cas d'intervention de la Cour de cassation, l'affaire devrait être
renvoyée à une autre instance. En cas d’intervention d'une chambre (étendue) de la cour d'appel, celle-ci pourrait juger
elle-même l'affaire après la constatation d'une irrégularité.
3572
Supra, n° 369.

597
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

craignait qu’un tel filtre s’avère problématique au regard des articles 10 et 11 de la


Constitution en raison de sa différence avec la procédure correctionnelle. Il s’agit en effet de
déterminer les critères sur lesquels la chambre spéciale pourrait se fonder pour décider
d’accepter ou de rejeter un appel.3573

569. Reste alors l’option d’un appel de pleine juridiction devant une instance
hiérarchiquement supérieure composée de magistrats de carrière et de juges non
professionnels. Si nous pensons qu’il faut effectivement une progression entre le premier et le
deuxième ressort, il n’est, en revanche, pas nécessaire que cette supériorité s’exprime par le
nombre. Il est important d’avoir une supériorité qualitative. « La légitimité d’une juridiction
ne provient pas seulement du nombre de ses membres […] mais aussi de la légitimité
personnelle de l’individu, de l’autorité que l’on veut bien lui conférer ».3574 Pour preuve, le
fait qu’il y ait trois magistrats de carrière dans le TGI et le tribunal correctionnel, ainsi que
trois magistrats à la cour d’appel. Pour le composant professionnel, il convient d’envisager le
recours à des magistrats d’un rang hiérarchiquement supérieur. Recrutés en premier ressort
parmi les juges de première instance, les magistrats de carrière en appel devraient relever du
niveau de la cour d’appel. Sur le plan organisationnel, il convient d’avoir en premier ressort
un ‘tribunal criminel’ et une ‘cour criminelle’ en appel. Pour les citoyens-juges, il s’agit de
savoir si, et comment, une supériorité pourrait être envisagée. S’agit-il d’une supériorité
numérique, comme cela est le cas devant la cour du travail belge ? Ou devrait-on exiger que
les assesseurs aient, en appel, certaines qualités dont par exemple le fait d’avoir déjà jugé un
certain nombre d’affaires ? Pour notre part, il ne nous semble pas opportun d’imposer de
quelconques qualifications aux citoyens-assesseurs de l’échelon d’appel. D’une part, il est
difficile, voire impossible, d’imaginer des critères imperméables à la critique, d’autre part, si
la plus-value des citoyens-assesseurs se trouve dans la démystification des débats et le
contrôle des professionnels, l’augmentation de leur nombre en appel n’est pas indispensable.

570. En somme, plutôt qu’un modèle de pure ‘participation’ ou de ‘spécialisation’3575,


nous envisageons, en première instance comme en appel, un modèle de ‘spécialisation
participative’ avec des juges professionnels spécialisés et l’implication de citoyens
ordinaires. La nouvelle juridiction criminelle, compétente pour un spectre plus large
d’affaires par rapport à la cour d’assises actuellement en vigueur donnerait, tout en respectant
les droits de l’homme, un autre contenu au concept de la participation citoyenne à la fonction
3573
Ph. TRAEST in F. DELPEREE et T. VAN PARYS, l.c., p. 40).
3574
P. Bourdieu, cité par C. ROBIN, l.c., p. 20.
3575
Entre parenthèses, une justice purement professionnelle a naturellement été exclue comme troisième option lors
des Congrès internationaux, tel que celui de Palerme de 1932-1933 : s’y posa exclusivement la question de savoir s’il
fallait admettre, en matière criminelle, le système du jury ou celui de l’échevinage. A l’égard des professionnels il
semble exister un soupçon d’obéissance au pouvoir (P. REUTENAUER, l.c., p. 146).

598
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

de juger. Non en tant que jury populaire, mais encadré dans une formule mixte, trois
citoyens-juges ordinaires pourraient être adjoints à deux magistrats de carrière spécialisés.
Pour certaines affaires particulières — dans le domaine de la délinquance des mineurs ou en
droit pénal fiscal, social et des affaires — il pourrait s’agir de personnes présentant certaines
connaissances spécifiques, certains talents particuliers. Contrairement aux jurés, les
assesseurs auraient accès au dossier et disposeraient de tous les droits et obligations des juges
professionnels. La décision serait prise à la majorité de deux tiers lors d’une délibération
commune au cours de laquelle devrait également naître la motivation de la décision. L’appel
serait porté devant une juridiction mixte comprenant des magistrats d’un rang hiérarchique
supérieur. Ce modèle permettrait de concilier les exigences accrues de la CEDH et une
participation citoyenne. Il s’agit maintenant de savoir si et dans quelle mesure cette formule
pourrait être envisageable dans les trois pays étudiés.

Section 2
Mérite de la logique des droits de l’homme, victoire de la logique de tradition ?

571. Si la démarche s’avère courageuse et vraisemblablement difficile, l’introduction


d’un tel système mixte rencontrerait moult objections et obstacles. Hormis les soucis
budgétaires non négligeables et la crainte d’une toute-puissance accordée au dossier et à la
procédure écrite qui découlerait de ce modèle de justice, la critique la plus acerbe
concernerait l’incompatibilité des deux types de juges — l’un étant focalisé sur l’arsenal
spécifiquement scientifique ; l’autre ne pouvant apporter que son expérience de vie et son
bon sens — entre lesquels nous tentons de nouer des liens de collaboration plus étroits.3576 Le
métissage recherché serait trop pénible.3577 Certains parlent du « mariage de la carpe et du
lapin ».3578 Au lieu d’une coopération fructueuse, il y aurait rivalité. « En effet », affirme
André Roger, « en physique comme dans la cité, le mélange des genres donne parfois des
résultats… explosifs ! ». Mais, ajoute-t-il aussitôt, « c’est aussi lui qui permet les alliages les
plus résistants et les sociétés les plus dynamiques ».3579

3576
B. FRYDMAN, « Juge professionnel et citoyen : l’échevinage à la croisée de deux cultures judiciaires », l.c., p. 29.
3577
MEGALOS A. CALOYANNI, « Faut-il admettre en matière criminelle le système du jury ou celui de
l’échevinage ? », RIDP 1933, p. 52.
3578
J. BARD, o.c., p. 135.
3579
A. ROGER, l.c., p. 75.

599
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

572. La question se pose toutefois de savoir si cet alliage ne serait pas fictif. Y aura-t-
il un véritable dialogue mené sur un pied d’égalité ou ne serait-il question que d’une
collégialité feinte ? La seule association des deux types de juges suffit-elle pour instaurer une
réelle collégialité ? Ou la présence et l’œil d’un professionnel modifient-ils le degré
d’implication des citoyens au point d’induire des censures ?3580 C’est la critique traditionnelle
et d’allure quasi universelle contre toute atteinte à la souveraineté du jury criminel. Elle est
évoqué en Belgique pour s’opposer à une délibération commune au sein de la cour d’assises ;
en Angleterre pour attaquer le middle tier of justice ; en Espagne pour privilégier le système
du jury pur sang plutôt que l’échevinage criminel. En bref, elle est formulée pour sauvegarder
ou favoriser le jury populaire ; ou, inversement, pour consacrer une justice purement
professionnelle comme aux Pays-Bas. On craint notamment que les juges non professionnels
ne soient influencés par le magistrat de carrière, technicien du droit, qui « knows best ».3581
Les citoyens-assesseurs, qui occupent temporairement cette fonction, ne seraient que des
« puppets on a string »3582 aux mains des juges professionnels ; ou encore des « demi-juges
frottés de science juridique comme le rôti l’est de l’ail »3583 ou des « figures de potiches »3584
ne comptant que « pour du beurre » face aux magistrats de robe.3585

573. Croire que les citoyens-assesseurs auraient une réelle voix égale à celle des juges
professionnels nous paraît absurde.3586 Certes, un juge honnête respectera les sentiments des
non-professionnels, mais ne faut-il pas craindre que la plupart du temps son assurance
professionnelle triomphe, même à son insu ?3587 Les simples citoyens seront nécessairement
influencés. Mais cela n’est-il pas également le cas pour de jeunes juges qui intériorisent la
manière dont ils devront se comporter à l’audience ?3588 De plus, dans chaque délibération et
quelles que soient les personnes, certains individus en influencent d’autres par leurs
expériences, qualités personnelles et leur attitude pendant les délibérations.3589 Cela n’est pas
différent pour un jury populaire, a fortiori si celui-ci délibère avec un corps de jurisconsultes.

3580
P. MOULEVRIER, J.-N. RETIERE et Ch. SUAUD, o.c., p. 9.
3581
En Allemagne, des études empiriques démontrent en effet qu’en cas de désaccord entre le professionnel et les
juges-citoyens, le professionnel a le dernier mot. La voix des professionnels est dès lors plus forte que celle des non-
professionnels (S. KUTNJAK IVKOVIC, l.c., p. 441-442).
3582
A. KOCH, l.c., p. 353.
3583
J. GRAVEN, « Evolution, déclin et transformation du jury » in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de
la troisième Journée d’études juridiques Jean Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 95.
3584
M.-H. GOZZI, l.c., p. 8.
3585
Ph. LEMAIRE, l.c., p. 12.
3586
Selon l’étude de Ph. Pouget, les juges non professionnels se voient comme complémentaires et estiment que c’est
réciproque. La majorité ressent quand même le besoin d’une meilleure formation, tant en droit qu’en sciences
sociales. Beaucoup admettent que les juges professionnels exercent une influence qui serait notamment induite par
leurs connaissances juridiques (Ph. POUGET, o.c., p. 38 et s.).
3587
W. MITTERMAIER, « Le jury et l’échevinage », l.c., p. 281.
3588
C.H. BRANTS, « Mag het volk ook meedoen? De leek en het Nederlandse strafproces », l.c., p. 136.
3589
Ch. YOTIS, « Faut-il admettre en matière criminelle le système du jury ou celui de l’échevinage ? », l.c., p. 354.

600
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

Une affaire belge datant de 2003 fait à cet égard figure de triste exemple. Après le verdict, un
juré avait claironné, dans la presse, avoir influencé ses collègues jurés pour obtenir
l’acquittement de l’accusé afin de se venger de la justice pour ‘l’injustice’ dont son père
aurait jadis fait les frais.3590 Un autre juré témoignait de l’influence du chef du jury qui,
simplement par son ‘aura’ de chef, peut prendre l’ascendant sur ses homologues ou de celui
de l’ancien juré, ayant déjà siégé.3591 Le système en vigueur n’est donc ni infaillible, ni
irréprochable. La question se pose par ailleurs de savoir si l’influence du professionnel
constitue par définition un défaut ? En France, l’ajout de professionnels à la délibération des
jurés en 1941 fit tout de même chuter le nombre d’acquittements immérités de 20 à 9%.3592 Si
le magistrat est privé d’influence, pourquoi est-il encore appelé à siéger dans les cours
criminelles ?3593 Il est tout même spécialiste en la matière. La formation et la déontologie des
magistrats ne constituent-elles pas des garde-fous pour que ceux-ci respectent les exigences
du délibéré, lequel n’est « jamais aussi indispensable et enrichi que dans les juridictions
échevinales » ?3594 Pourquoi un magistrat de carrière devrait-il perdre toute confiance dès
qu’il siège à la cour d’assises, alors qu’il la recouvre pour la détermination de la peine ?3595

574. Bien évidemment, les non-professionnels peuvent également s’opposer,


aveuglément et sans motifs, à l’avis des magistrats de carrière par esprit de réfutation et
d’indépendance. Dans les deux cas, — « soit soumission sans conditions, soit obstination
têtue par esprit de contradiction et désir d’émancipation »3596 —, il s’agirait d’un ballast
inutile du point de vue de la magistrature. La présence de non-professionnels causerait aux
juges nombre d’écueils et rendrait les délibérations difficiles.3597 Il n’est donc pas étonnant
que ces derniers soient généralement hostiles à cette participation et préfèrent « l’entre
soi ».3598 La marginalisation des figures alternatives au juge et la monopolisation du débat sur
la réforme de la justice par les initiés ne semblent pourtant pas justifiées : les juges traversent

3590
En particulier, son père a été condamné en 1981 pour excitation à la débauche avec mineur.
En 2009, le parquet de Bruxelles a ouvert une enquête à l’encontre du fameux 'juré n° 6' pour violation du secret de
délibération et du serment (ancien art. 312 CIC). Aucun document ne peut contenir ce qui s’est passé dans la salle de
délibération (v. également en France, Crim. 22 juin 1988, Bull. crim. 285). L’acquittement étant définitif, celui-ci ne
pouvait pas être renversé (v. X, « Parket opent onderzoek naar ‘mol’ in de jury », De Standaard 30 mars 2009).
3591
N. HOUSSA, « Le point de vue d’un juré » in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil, Quel avenir
pour le jury populaire en Belgique ?, o.c., p. 213.
3592
Supra, n° 251.
3593
C. GERBET, o.c., p. 143.
3594
A. ROGER, l.c., p. 74.
3595
Ibid.
3596
S. STERN, o.c., p. 104.
3597
J. BARD, o.c., p. 135.
3598
Communication de la note « La participation des citoyens à la fonction de juger. Proposition de faire participer des
citoyens comme assesseurs pour le jugement de certaines affaires pénales et civiles », par J.P. JEAN, déc. 2006, p. 2.

601
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

eux aussi une crise de confiance. L’appel visant à « désingulariser les mondes judiciaires »
lancé par Antoine Vauchez et Laurent Willemez mérite donc d’être considéré.3599

575. Beaucoup dépend en outre de nos attentes. On ne peut pas attendre des non-
professionnels qu’ils participent aussi activement que les jurisconsultes. Il faut accepter que
leur rôle soit différent. Sinon, on pourrait sérieusement mettre en doute les qualités des juges
professionnels. Ainsi que nous l’avons déjà avancé, la plus-value de la présence des citoyens-
juges ne relève pas en premier lieu de leur participation effective à la prise de la décision
judiciaire et de l’injection de valeurs sociales et morales dans la justice pénale, mais plutôt
dans la démystification de la justice. De cette manière, la ‘passivité’ des citoyens-juges
pendant le procès et la délibération, soulignée par plusieurs études empiriques3600, ne
constituerait pas un obstacle. Ainsi que le démontre l’étude effectuée en 2006 sur le
fonctionnement des juridictions sociales belges et leurs juges non professionnels, la
participation de ces derniers accroîtrait en effet la confiance accordée à la justice
indépendamment de leur contribution effective à la prise des décisions.3601 L’option d’une
formule mixte mériterait par conséquent d’être creusée et encouragée.

576. Pour chacun des pays étudiés, il convient maintenant de sonder le poids des
objections traditionnelles susceptibles de faire triompher la voie de la tradition sur la nouvelle
voie avancée des droits de l’homme (§ 1 — Faisabilité et opportunités de la nouvelle
juridiction criminelle dans les trois pays étudiés). La nouvelle formule mixte pourrait-elle
être implantée en France, en Belgique et en Angleterre ? La réponse à ces questions, que nous
aborderons ci-dessous, ne semble pas seulement dépendre de considérations technico-
juridiques mais mobiliserait plutôt des arguments d’ordre émotionnel. L’attachement au jury
populaire, ancré dans le paysage judiciaire, par l’opinion publique et ainsi inévitablement par
le monde politique en témoigne (§ 2 — La force de la ‘foule’). La réforme de la procédure
criminelle reste-t-elle dès lors prisonnière d’une tradition obsolète ?

§ 1 — FAISABILITE ET OPPORTUFITES DE LA FOUVELLE JURIDICTIOF


CRIMIFELLE DAFS LES TROIS PAYS ETUDIES

577. Avant d’évaluer les chances d’instauration de la nouvelle formule mixte —


chances qui diffèrent manifestement selon que l’on envisage la procédure française (A —

3599
A. VAUCHEZ et L. WILLEMEZ, o.c., p. 253 et s.
3600
S’ils font des interventions, celles-ci seraient moindres, ce qui n’est pas attribué à leur manque d’intérêt mais
plutôt à leur manque de connaissance légale et de compréhension des normes juridiques. Le problème essentiel est dès
lors l’aspect ‘lay’ in ‘lay judges’ (S. KUTNJAK IVKOVIC, l.c., p. 441).
3601
G. DECLERCK et R. BOONE, « Lekenrechters in arbeidsgerechten hebben vooral symboolfunctie. Interview »,
Juristenkrant 2006, n° 128, p. 10-11.

602
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

Plus grande ouverture de la procédure française) ou les systèmes anglais et belge (B —


Difficile implémentation dans la procédure anglo-belge) —, notons que si un tribunal au sens
de l'article 6 CESDH ne doit pas être exclusivement composé que de magistrats
professionnels, de juristes ou d'experts3602, les engagements internationaux ne requièrent pas
non plus explicitement que la participation des citoyens à la fonction de juger soit incorporée
dans le pouvoir judiciaire.3603 S’appuyant sur une interprétation large3604, quelques
dispositions plaident néanmoins en faveur d’une lay adjucation. Ainsi, le droit de chaque
citoyen de participer au Gouvernement du pays ou à la gestion des affaires publiques, est
reconnu par l’article 21 (1) de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :
« toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays,
soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ». Une
disposition similaire figure dans l’article 25 (a) du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques de 1966 : « tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des
discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables: a) de prendre part à
la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants
librement choisis ».

A — PLUS GRANDE OUVERTURE DE LA PROCEDURE FRANCAISE

578. Contrairement au droit anglais et au droit belge, la procédure criminelle française


a connu de multiples systèmes, allant du jury populaire autonome se prononçant seul sur la
question de culpabilité, par l’association des jurés à la détermination de la peine, au système
mixte consacrant des nouveaux équilibres entre les magistrats professionnels et les jurés,
jusqu’à l’absence totale de jury dans la cour d’assises spéciale qui a été instituée en 1982 et
dont les compétences furent graduellement élargies avec le terrorisme et le trafic des
stupéfiants. La France n’a jamais cessé de changer les modalités de son organisation3605 et
avec le rapport Léger et l’avant-projet du futur Code de procédure pénale le jury vogue
toujours. Elle semble posséder neuf vies.

579. A première vue, le système français actuel dispose déjà de l’ingrédient


indispensable à notre proposition : la délibération commune entre les professionnels et les
citoyens. Cette immixtion semble même exister sans critiques fondamentales.3606 Toutefois,

3602
Comm. EDH 29 juin 1994, Zarouali c. Belgique, n° 20664/92 ; v. également CEDH 13 janv. 2009, Taxquet c.
Belgique, n° 926/05, § 71-74 et Cass. 6 mai 2009, RDPC 2009, p. 945.
3603
Comm. EDH 10 oct. 1980, X et Y c. Irlande, n° 8299/78 : art. 6 CESDH qui garantit le procès par un tribunal
indépendant et impartial n’exige pas un procès par le jury.
3604
J.D. JACKSON et N.P. KOVALEV, l.c., p. 87.
3605
M.-L. RASSAT, « Le jury populaire en France » in ULB Ecole de sciences criminologiques Léon Cornil, Quel
avenir pour le jury populaire en Belgique ?, o.c., p. 139-140.
3606
Infra, n° 601.

603
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

bien que le système français ne dispose plus d’un jury au sens strict du terme et semble par
conséquent moins éloigné de notre piste de réflexion, le législateur français n’a pas poussé la
réforme du jury populaire jusqu'au bout. Ainsi que nous l’avons déjà avancé, il a gardé
quelques traces particulières de l’institution du jury populaire. En effet, si la souveraineté du
peuple semble anéantie par la présence de professionnels dans la salle de délibération et la
possibilité d’appel, elle regagne en vigueur par les rapports numériques entre professionnels
et citoyens, et les règles de majorité.3607 Compte tenu du vote secret et de l’absence de
justification aux deux degrés, la cour d’assises échappe à tout contrôle. Le fait d’énoncer que
l’échevinage ne serait qu’une « cour d’assises portant un nouveau costume »3608, méconnaît
pourtant l’impact de la fin de la séparation entre le fait et le droit. En effet, bien qu’il ne
s’agisse que d’une mise à mort très masquée du jury et qu’on puisse « toujours tenir le
discours de la continuité — le fameux ‘héritage de la Révolution’ » —, cela n’empêche pas
qu’il n’y a « rien de commun entre le jury des Constituants et l’échevinage actuel »3609,
hormis l’absence de motivation. La motivation étant incontournable — nonobstant la forte
résistance de la Cour de cassation3610 —, le législateur français a tout intérêt, voire
l’obligation, nous semble-t-il, de se mettre en conformité avec le revirement de la
jurisprudence de Strasbourg3611 et de reconsidérer sa justice criminelle. Mais, la souveraineté
du peuple n’étant pas totalement anéantie, cette démarche semble périlleuse et peu aisée.
Requérant une compétence juridique spécifique, la motivation fut en effet écartée dans la
mesure où elle renforcerait le leadership des professionnels et déplacerait le centre de gravité
du pouvoir vers ceux qui maîtrisent l’art de ‘mettre en forme’.3612

580. Entre 1995 et 1996, Jacques Toubon puis le Haut comité consultatif sur la
procédure de jugement en matière criminelle (le Haut comité Deniau), soulevèrent néanmoins
cette lacune du droit criminel français. Afin de créer un véritable double degré de juridiction
devant une instance supérieure ainsi qu’une motivation des décisions criminelles, Jacques
Toubon proposa l’instauration d’un ‘tribunal criminel départemental’ composé de trois
magistrats professionnels — un président, juge au TGI ou à la cour d’appel et deux
assesseurs, juges aux TGI — et deux citoyens-assesseurs. Ce tribunal serait compétent, en
première instance, pour le jugement des crimes. A la différence des jurés, les citoyens-
assesseurs du tribunal criminel départemental siégeraient pour une période de trois ans et

3607
Supra, n° 288.
3608
Ch. YOTIS, « Faut-il admettre en matière criminelle le système du jury ou celui de l’échevinage ? », l.c., p. 351.
3609
F. LOMBARD, l.c., p. 797.
3610
Supra, n° 320.
3611
Supra, n° 318.
3612
L. GRUEL, l.c., p. 73.

604
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

seraient non pas tirés au sort, mais nommés par le Garde des Sceaux.3613 L’option d’une
juridiction exclusivement professionnelle fut explicitement rejetée pour préserver la tradition
de la participation citoyenne, pour éviter la toute-puissance des juges et pour garantir un
examen plus attentif de l’affaire grâce à la présence de juges profanes. Notons que ces
arguments sont plus politiques que juridiques.3614 Calqué sur le modèle applicable aux
tribunaux pour enfants, ce projet offrait une consécration légale à la disparition officieuse de
la séparation du fait et du droit et débouchait logiquement sur la motivation.3615 Dans un
système d’échevinage l’absence de motivation n’a en effet plus de raison d’être ; au contraire
motivation s’impose.

Au niveau procédural, le tribunal criminel départemental conceptualisé par Jacques


Toubon resterait très proche de la cour d’assises actuellement en vigueur, celui-ci favorisant
un examen minutieux et approfondi de l’affaire avec la même solennité qu’un procès
d’assises, sauf que le collège mixte devrait, par le besoin de motiver ses décisions3616, avoir la
possibilité de consulter le dossier dans la salle de délibération.3617 La diminution du nombre
de juges non professionnels — leur nombre étant porté à deux en première instance —,
faciliterait la rédaction de la motivation des décisions criminelles et favoriserait la supériorité
et dès lors la légitimité de l’instance en appel : « un nombre supérieur rendrait illusoire la
possibilité d’exiger la motivation du jugement »3618, une vision que nous partageons.

Accueilli avec enthousiasme sur le fond — la nécessité d’un appel en matière


criminelle et d’une motivation —3619, ce projet révolutionnaire rencontra une grande hostilité
quant à sa mise en œuvre. Le maintien de la cour d’assises — avec trois magistrats
professionnels et neuf jurés — en tant qu’instance d’appel s’avère insuffisante selon plusieurs
auteurs. Cela impliquerait en effet que cette dernière n’intervienne plus nécessairement pour
les crimes.3620 Cet argument nous paraît toutefois étrange dans la mesure où cette juridiction
n’est pas non plus garantie en raison de l’usage d’un moyen beaucoup moins orthodoxe : la
correctionnalisation judiciaire. L’infériorité patente des citoyens-assesseurs par rapport aux
professionnels, la composition hybride faisant des magistrats les seuls décisionnaires, ainsi
que les modalités et critères sous-tendant le choix des assesseurs, suscitèrent aussi de

3613
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/964101700/0000.pdf.
3614
F. LOMBARD, l.c., p. 789.
3615
F. LOMBARD, l.c., p. 781.
3616
Après des critiques acerbes sur la non-motivation des décisions de la cour d'assises en appel, l'avant-projet est
remanié sur ce point : une motivation est prévue, mais seulement en cas de condamnation à la suite d’un appel du
parquet sur un acquittement (M. LEMONDE, « L’appel et le jury en France : quelle réforme ? », La Revue Tocqueville
1997, p. 88).
3617
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/964101700/0000.pdf.
3618
Ibid.
3619
C. ROBIN, l.c., p. 16.
3620
Ph. LEMAIRE, l.c., p. 11-12.

605
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

nombreuses critiques. Les citoyens-juges assesseurs deviendraient notamment des semi-


professionnels et perdraient leur « regard candide »3621 ; il s’agirait surtout de notables,
comme dans le système napoléonien où les jurés, sélectionnés dans une liste de notables,
étaient désignés par le préfet.3622

581. Le remaniement de ce projet par le Haut comité Deniau sur la procédure


criminelle annonça peu après le retour au jury.3623 Entre l’ensevelissement et la résurrection
du jury3624, le choix fut aisé. Le nombre de jurés fut cependant réduit à cinq pour obtenir une
supériorité en appel où le nombre est maintenu à neuf. Cette diminution du nombre de jurés
en première instance — taxé de « jury squelettique » par la doctrine3625 — faciliterait non
seulement la motivation — ou plutôt « la mise en forme des raisons » du jugement —3626,
mais renforcerait également la légitimité de la cour d’assises en appel. Par rapport au système
en vigueur, la prétendue ‘souveraineté’ des jurés dans la salle de délibération serait en outre
entachée : une décision défavorable à l’accusé ne pourra en effet être prise qu’à une majorité
de six voix sur huit, ce qui implique l’adhésion d’au moins un magistrat de robe. Pour cacher
cette nouvelle atteinte à la souveraineté, le Haut comité préféra parler de ‘tribunal d’assises’
plutôt que de ‘tribunal criminel’, cette terminologie s’avérant « plus classique et moins
inquiétante ».3627 Le retour au jury fut donc hypocrite. Parler de tribunal ‘d’assises’ n’y
change rien. En appel cependant, une majorité de huit voix sur douze suffirait, le peuple
pouvant décider seul : à ce niveau, sa ‘souveraineté’ est en quelque sorte regagnée.

582. En dépit de l’approbation explicite du Parlement, ce projet périclita avec la


dissolution de l’Assemblée nationale par décret du 21 avril 1997. Il ne fut pas repris sous la
nouvelle législature et les choses demeurèrent en état, pérennisant la scandaleuse non-
motivation des décisions en matière criminelle. Il est quand même heureux de constater que
des précédents français visèrent à instaurer prudemment un équilibre entre une tradition
démocratique imposant le maintien du jury et une défense des droits du justiciable exigeant la
possibilité d’un appel et la motivation des décisions.3628 L’usage du terme ‘prudemment’
n’est pas anodin, les deux projets n’osant pas privilégier la logique internationale des droits
de l’homme. Dans les deux projets, la progression des droits de l’homme n’est pas associée à
la régression du jury populaire : ainsi, le jury est maintenu en tant qu’instance d’appel dans le

3621
C. ROBIN, l.c., p. 19.
3622
M.-H. GOZZI, l.c., p. 9.
3623
Consultez ce rapport sur, http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/964075300/0000.pdf.
3624
C. ROBIN, l.c., p. 19-20.
3625
C. ROBIN, l.c., p. 16. Moins de jurés populaires, cela ne signifierait pas moins d’irrationalité, mais moins de
contrepoids aux juges professionnels (L. GRUEL, l.c., p. 73).
3626
Supra, note 2175.
3627
C. ROBIN, l.c., p. 20.
3628
C. ROBIN, l.c., p. 16.

606
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

système Toubon ; par le comité Deniau, il fut — sous forme restreinte — restauré en
première instance. Ce raccrochement à la logique de tradition semble encore davantage
favorisé dans le projet Léger remis le 1er septembre 2009, celui-ci renvoie à la motivation a
posteriori avancée par le Haut comité Deniau sans restreindre le nombre de jurés. Face à la
déplorable affaire d’Outreau, Ph. Edmond-Mariette et B. Lavielle considèrent la piste
consistant à diminuer le nombre de jurés pourtant intéressante pour restreindre les délais
d’audiencement entre l'ordonnance de mise en accusation et l'audience ainsi que les délais de
détention provisoire et les coûts.3629

583. Compte tenu de l’échec de ces avant-projets, notre proposition, plus ambitieuse,
ne sera sans doute pas accueillie avec enthousiasme. Plus proche de l’avant-projet Toubon,
nous optons pour une mixité en première instance et en appel, mais non pour un jury
populaire. Une réduction du nombre de citoyens-juges nous semble indispensable pour la
motivation des décisions. Par la diminution du nombre des citoyens pour faciliter la
délibération et la rédaction de la motivation3630, le peuple sera privé du dernier composant de
sa souveraineté populaire. De plus, à la différence du projet Deniau, nous ne proposons pas
seulement de diminuer le nombre de jurés ; nous envisageons d’écarter définitivement le jury
populaire.

584. D’un point de vue constitutionnel, il convient de remarquer que le jury n’est pas
expressément prescrit par la Constitution française. L’article 3 de la Constitution dispose
uniquement que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses
représentants et par la voie du référendum ». Les représentants n’étant pas tirés au sort, cette
disposition ne semble pas applicable aux jurés populaires. Seules les autorités législatives
sont titulaires d’un mandat de représentation. L’argument avancé dans la décision du Conseil
constitutionnel du 20 janvier 2005, selon lequel les magistrats de carrière devraient être
majoritaires devant le tribunal correctionnel professionnel afin d’éviter notamment une trop
grande implication citoyenne3631, pourrait s’avérer problématique, les non-professionnels
étant majoritaires dans notre proposition. Cependant, il convient de remarquer que nous
cherchons ici une alternative, non pas à une justice purement professionnelle mais au jury
populaire. De ce point de vue, le fait d’exiger certaines connaissances juridiques du juge de
proximité, et non pas des citoyens-assesseurs de la nouvelle juridiction proposée, ne semble

3629
Pourquoi ne pas réduire le composant professionnel au premier degré à deux magistrats et le nombre de jurés à
cinq (sept en appel), se demandent-ils ? Ils prendraient leur décision à la majorité absolue et en cas de peine maximale
à l’unanimité (Ph. EDMOND-MARIETTE et B. LAVIELLE, l.c., p. 163).
3630
Ph. EDMOND-MARIETTE et B. LAVIELLE, l.c., p. 159-163.
3631
Supra, n° 286 et 462.

607
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

pas non plus problématique. Devant le tribunal pour enfants dont s’inspire notre proposition,
le composant non professionnel est également majoritaire.

585. Au-delà des questions concernant les rapports numériques entre professionnels et
profanes ainsi que les obstacles constitutionnels surmontables, cela n’empêche pas que dans
l’esprit le modèle proposé engagerait une réforme révolutionnaire ; une rupture avec un
acquis incontestable de la Révolution. L’échevinage de type allemand conçoit la justice
criminelle différemment. Les citoyens-assesseurs auraient les mêmes droits et obligations que
les magistrats de robe. Ils devraient avoir accès aux déclarations faites antérieurement.
L’accès au dossier étaye la délibération et la motivation des décisions. Une plus grande place
serait accordée au dossier écrit, non seulement dans la salle de délibération, mais également
avant l’audience, ce qui risque d’exaspérer le législateur français pour cause d’altération du
principe d’oralité des débats. Rappelons toutefois que ce principe n’est pas absolu.3632
L’absence de dossier lors du délibéré aboutit à ce que les Français semblent étrangement
refuser : la prépondérance du président sur les non-professionnels, celui-ci étant le seul à
avoir pris connaissance du dossier. Remarquons que dans le canton de Genève, la plus grande
place accordée au dossier dans la nouvelle procédure criminelle (art. 330 al. 2 CPP) fait
partie des raisons qui ont motivé l’abolition du jury populaire.3633 Hormis les inconvénients
pratiques, le fait de consulter le dossier serait notamment incompatible avec la présence de
douze citoyens issus du peuple et poserait des problèmes en termes de confidentialité. Le
rapport Léger ne veut pas aller aussi loin, mais propose quand même, afin de pouvoir statuer
dans les meilleures conditions, de donner aux assesseurs ainsi qu’aux jurés, à tout moment et
jusqu’à la clôture des débats, accès à toute pièce du dossier.3634 Cette proposition fut
positivement accueillie par la doctrine.3635 Selon le rapport remis en 2005 par le groupe de
travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l’affaire dite ‘d’Outreau’
(rapport Viout), les assesseurs devraient, dans les procès d’envergure et au nom de la quête
de collégialité et de regards croisés, avoir accès au dossier.3636

586. Le remplacement d’un jury par un système mixte à part entière aurait pourtant
des avantages indéniables pour la France. Si l’appel criminel existe déjà dans la procédure
française, il prend une forme singulière et insatisfaisante. Désormais, dans la formule
envisagée, un appel de pleine juridiction devant une instance supérieure serait possible. La
perspective de mettre un terme à la technique contestable de la correctionnalisation constitue
3632
Supra, n° 222.
3633
Dans la nouvelle procédure, la plupart des témoins ne seront plus entendus à la barre. Désormais seuls ceux
choisis par le président de la Cour seront appelés à comparaître.
3634
Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, o.c., p. 39.
3635
M. HUYETTE, « Quelles réformes pour la cour d'assises ? », l.c., p. 2439-2440.
3636
Ph. EDMOND-MARIETTE et B. LAVIELLE, l.c., p. 163.

608
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

une avancée importante et un autre argument de taille pour donner à ce modèle de justice
toute sa considération. En particulier, le nouveau tribunal criminel pourrait être compétent
pour toutes les affaires actuellement octroyées à la cour d’assises. Sa compétence serait en
outre plus étendue puisqu’il n’y aurait plus besoin de disqualifier des infractions pour les
retirer à la cour d’assises. Ainsi, on n’aurait plus besoin de nier une circonstance aggravante
pour commuer un vol aggravé en vol simple. Il ne serait plus nécessaire d’écarter certains
éléments matériels de l’infraction pour commuer un viol en attentat à la pudeur ou pour
métamorphoser une infraction intentionnelle en infraction involontaire. A cet égard, nous
nous réjouissons de la proposition de résolution présentée le 18 décembre 2009, par Jean-
Paul Garraud, Patrick Beaudouin et collègues, afin de reconsidérer l’instauration d’un
‘tribunal d’assises départemental’ préconisé par Jacques Toubon3637. Selon ces auteurs, le
système de doubles cours d’assises qui mobilise beaucoup d’énergie, de temps et d’argent,
contraint les protagonistes judiciaires à ce pis-aller que constitue la correctionnalisation
judiciaire. Cette pratique de « l’oubli » et du « déni partiel du crime » qui prive les victimes
d’une reconnaissance pour les faits dont elles ont été réellement victimes, pourrait être évitée
en simplifiant la procédure criminelle de premier ressort. « Il est en effet inadmissible qu’au
moment où le législateur criminalise des faits contre lesquels il convient de lutter
vigoureusement, l’autorité judiciaire ne puisse faire autrement que de correctionnaliser ces
crimes ».3638 En traitant ces affaires non pas au niveau correctionnel, mais par le tribunal
criminel départemental, les victimes seraient reconnues en tant que victimes de faits
criminels et non délictuels.3639 La procédure serait d’ailleurs accélérée dans le respect des
droits de la défense. Tel est également la teneur de la récente piste lancée par le ministre de la
Justice, Mme Alliot-Marie et confiée à un groupe de réflexion de remplacement de la cour
d’assises en première instance par un tribunal criminel départemental. Malheureusement,
cette proposition n’envisage une réforme que sous l’angle de la gestion des affaires et ne
saisit pas l’opportunité de l’envisager sous l’angle de la motivation des décisions criminelles.
Elle maintient en outre la cour d’assises actuelle en tant qu’instance d’appel, ce qui constitue,
au regard de notre analyse précédente, une approche insatisfaisante.

587. Contrairement au projet Toubon, qui conservait le régime particulier des affaires
militaires, de terrorisme, de stupéfiants et d'espionnage, en prévoyant, le cas échéant, des
tribunaux criminels spécialisés composés de cinq magistrats professionnels, nous n’écartons
pas a priori le modèle mixte. Tel qu’il découle de notre analyse de la première partie, les

3637
Proposition de résolution appelant à un débat public sur l’instauration d’un tribunal d’assises départemental,
présentée par J.P. GARRAUD, P. BEAUDOUIN et collègues, le 18 décembre 2009, AN 2009-10, n° 2171.
3638
Ibid.
3639
Ibid.

609
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

cours d’assises purement professionnelles ne sont pas non plus exemptes de critiques. La
candidature volontaire des citoyens-assesseurs enlève-t-elle la raison d’être de ces
juridictions françaises ? Rappelons en effet que le législateur a créé ce type de juridiction
pour couper cours aux intimidations et menaces contre les jurés qui altéreraient la sérénité du
procès. La sélection des citoyens-assesseurs permettrait, en revanche, de ne retenir que des
personnes ayant choisis de remplir cette fonction. Or, ceux-ci acceptent-ils, à l’instar des
juges professionnels, les ‘risques du métier’ ?

Appliqué aux mineurs délinquants âgés de seize à dix-huit ans, le modèle mixte
calqué sur le tribunal pour enfants, constituerait aussi une avancée notable. Au lieu d’un juge
et de deux assesseurs, le système pourrait recourir à deux juges professionnels dotés d’une
formation spécialisée ad hoc pour exercer les fonctions de juge des enfants, ainsi qu’à trois
citoyens-juges dont deux auraient des connaissances propres à l’enfance. La procédure
adaptée, avec une publicité restreinte, devrait être maintenue. Pour ces affaires, il
conviendrait aussi de mettre un terme à cette technique ‘d’accomodement’3640 que constitue
la correctionnalisation judiciaire.

588. En outre, en organisant de manière plus objective la compétence en matière


criminelle, le système proposé pourrait également contribuer à un meilleur audiencement des
affaires, ce qui aurait par ricochet des répercussions judicieuses sur la détention provisoire.
En France, le délai moyen entre l’infraction et le jugement criminel s’élevait, en 2005, à 57,6
mois. La durée moyenne de la phase d’instruction était de 24,8 mois ; celle de
l’audiencement de 11,4 mois.3641 Ces chiffres accusent une légère baisse par rapport aux
années précédentes. La durée moyenne entre la commission de l’infraction et le jugement
était en effet de 60 mois en 2004. En 2006, cette tendance repart une nouvelle fois à la hausse
avec une durée moyenne de 60 mois.3642 La durée entre la date de l’arrêt de la cour d’assises
de premier ressort et celle de la cour d’assises d’appel s’élevait à 17 mois en 2006. Il s’agit là
d’une augmentation graduelle. Les procès eux-mêmes prennent en moyenne quelques jours.
Chaque année, une dizaine d’affaires comparaissent devant la cour d’assises spéciale. Ces

3640
Ibid.
3641
Annuaire statistique de la Justice, Direction de l’Administration générale et de l’équipement, 2008, p. 127.
Etrangement les annuaires statistiques présentent pour l’année 2005 une durée de 56,2 mois pour la durée moyenne
entre la commission de l’infraction et le jugement criminel (Annuaire statistique de la Justice, Direction de
l’Administration générale et de l’équipement, 2007, p. 125).
3642
Ibid. Selon J. Pradel l’étude effectuée par la Commission pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) révèle « un léger
préjugé en défaveur de la France » par rapport aux autres pays, bien que l’étude se limite à un nombre réduit de pays
(J. PRADEL, « Notre justice inspire-t-elle encore la confiance ? » in X, Liber amicorum Henri-D. Bosly : loyauté,
justice et vérité, Bruxelles, La Charte, 2009, p. 297).

610
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

procès durent au moins cinq jours et peuvent être prolongés jusqu'à six semaines si l’affaire
s’avère complexe, à l’instar de l’affaire Colonna.3643

Ainsi que nous l’avons déjà avancé, le législateur français essaya d’accélérer
l’audiencement des affaires criminelles en accordant un pouvoir plus étendu au procureur
général.3644 La France est pourtant régulièrement en butte aux condamnations européennes
pour détentions provisoires excessives. En vertu de l’article 181 alinéa 8 du Code de
procédure pénale, l'audience de la cour d'assises sur le fond doit nécessairement débuter
avant l'expiration du délai d'un an à compter, soit de la date à laquelle la décision de mise en
accusation est devenue définitive si l’accusé était alors détenu, soit de la date à laquelle il a
été placé en détention provisoire. A défaut, l’accusé doit être remis en liberté. Ce n’est qu’à
titre exceptionnel, par une décision rendue conformément à l'article 144 du même Code, que
la chambre de l’instruction peut ordonner la prolongation de la détention provisoire pendant
six mois en mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de
l'affaire (art. 181 al. 9 CPP) ; cette prolongation peut être renouvelée une fois dans les mêmes
formes. Contrairement à certains arrêts de la Cour de cassation3645, la CEDH réfute
l’engorgement de la cour d’assises comme motif de prolongation au sens de cette
disposition : « un délai long ne saurait trouver sa seule justification dans la préparation du
procès, fût-il, comme en l'espèce, d'une certaine ampleur, ni davantage dans le
dessaisissement de la cour d'assises du Val-de-Marne pour des mesures de sécurité ».3646 La
CEDH estime notamment qu’il incombe aux Etats « d'agencer leur système judiciaire de
manière à permettre à leurs tribunaux de répondre aux exigences de l'article 5 ».3647 Le 2
septembre 2009, la Cour de cassation française s’est prononcée de la même manière. La
surcharge du rôle de la cour d’assises ou de la cour d’assises spéciale, écueil organisationnel,
qui était largement retenue par sa jurisprudence ancienne comme moyen de prolonger

3643
U. WEISS, « Cour d’assises spéciale : mode d’emploi »,
www.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10030&article=13837.
3644
Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, JORF 6 mars 2007, p.
4206.
3645
Voir parmi d’autres, Crim. n° 06-84068, 26 juill. 2006, inéd. ; Crim. n° 08-84031, 2 sept. 2008, inéd. et Crim. n°
09-80802, 29 avr. 2009, inéd.
3646
CEDH 8 oct. 2009, Faudo c. France, n° 35469/06, §46 et CEDH 8 oct. 2009, Maloum c. France, n° 35471/06, §
44, D. Actualité 22 oct. 2009, obs. M. LENA. Dans l’affaire Paradysz du 29 oct. 2009, la CEDH avance également que
sur les quatre années de détention provisoire, deux périodes d'une année chacune sont marquées par l'inactivité des
autorités judiciaires. La première est imputable au retard d'un an de l'expert psychiatre pour déposer son rapport ; la
seconde concerne le délai écoulé entre l'ordonnance de renvoi devant la cour d’assises et l'audiencement de l'affaire
devant cette juridiction. Même si le requérant a fait preuve d'un comportement parfois obstructif, multipliant les
demandes de mise en liberté et recours, la Cour conclut à la violation de l'art. 5-3 CESDH (CEDH 29 oct. 2009,
Paradysz c. France, n° 17020/05, § 74, D. Actualité 12 nov. 2009, obs. M. LENA).
3647
CEDH 3 sept. 2005, Gosselin c. France, n° 66224/01, § 34 et CEDH 23 janv. 2007, Cretello c. France, n°
2078/04, § 36, D. 5 févr. 2007.

611
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

exceptionnellement la détention provisoire3648, ne peut plus, sans chercher si l’autorité


compétente avait apporté « une diligence particulière à la poursuite de la procédure »3649,
être valablement invoquée.3650 Les seules difficultés récurrentes du fonctionnement de la cour
d'assises ne sont donc guère suffisantes pour justifier le prolongement de la détention
provisoire.

589. Ces condamnations obligent le législateur à recourir à des techniques


contestables telles que la correctionnalisation ou la simplification de la procédure lorsque
l’accusé plaide coupable, ou à imaginer des alternatives à la détention provisoire pour que le
système soit gérable. La nouvelle juridiction mixte que nous proposons présenterait l’intérêt
— en tout cas pour les affaires actuellement traitées par la cour d’assises — de mettre un
terme à ces mécanismes tout en constituant une avancée en termes de légalité et d’égalité des
justiciables devant la loi. Au niveau organisationnel, elle permettrait, par une composition
moins étendue et l’accès de tous les juges au dossier, davantage de célérité. Il n’en est pas
nécessairement de même pour les affaires actuellement transférées au juge correctionnel, qui
seraient alors redirigées vers le niveau criminel. Une réflexion approfondie à cet égard est
indispensable.

B — DIFFICILE IMPLEMENTATION DANS LA PROCEDURE ANGLAISE ET


BELGE

590. Par rapport au droit français, les procédures criminelles belge et anglaise
semblent moins enclines à entamer la souveraineté du jury populaire.

591. Le système anglais semble le plus éloigné de notre modèle puisqu’il continue
d’appliquer une séparation (stricte) entre le fait et le droit pour la délibération sur la
culpabilité et la détermination de la peine. Si, en droit anglais, de (vaines) tentatives visent
régulièrement à diminuer la portée de la Crown Court, cette institution est tellement ancrée
que son avenir semble assuré. L’impasse dans laquelle se trouvent les propositions de
réforme3651 témoigne en effet de la force de l’institution du jury. Celle-ci se manifeste de
différentes manières. A titre d’exemple, rappelons que dans le modèle mixte de coopération
qui est compétent pour les appels contre une autre juridiction non professionnelle, la

3648
Il incombe aux juridictions d’apprécier souverainement que la durée de la détention provisoire n’excède pas le
délai raisonnable (Crim. n° 03-82726, 23 juill. 2003, inéd. ; Crim. n° 04-85960, 5 janv. 2005, inéd. et Crim. n° 05-
82096, 8 juin 2005, inéd.).
3649
Critère avancé par la CEDH (CEDH 26 juin 1991, Letellier c. France, D. 1992, somm. 328, obs. J. RENUCCI et
RSC 1991, p. 805, obs. L.E. PETTITI et CEDH 17 mars 1997, Muller c. France, n° 21802/93, § 35.
3650
Crim. 2 sept. 2009, D. Actualité 29 sept. 2009, obs. M. LENA et Dr. pén. 2009, n° 11, comm. 145, A. MARON et
M. HAAS.
3651
Pour le jury waiver, v. supra, n° 52 ; pour l’abolition du right to a jury trial, v. supra, n° 102 et pour l’abolition du
jury en matière de fraude complexe, v. supra, n° 222-223.

612
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

magistrates’ court, le modèle du jury criminel fut importé, ce qui entraîna l’exclusion des
magistrats non professionnels du jugement de droit.3652 La proposition d’un middle tier of
justice envisagée par Lord Auld, n’est pas une alternative au jury tel que nous l’envisageons,
mais un système intermédiaire. Or, cela semble néanmoins déjà impossible. Une juridiction
qui se situe entre la summary jurisdiction et la Crown Court ôterait au jury nombre de ses
compétences, même si cela s’avérerait fructueux sur le plan de l’attribution des affaires.
Hormis le cas du jury tampering qui n’est envisageable que dans des conditions très
strictes3653, le jury semble dès lors intouchable.

592. Toutefois, ainsi que nous l’avons vu dans la première partie, le Criminal Justice
Act de 2003 autorise une certaine professionnalisation à l’intérieur du jury populaire en
n’excluant plus d’office les magistrats, avocats, policiers, ... de la fonction de juré.3654 Le cas
échéant, si un juge de métier fait partie des jurés, il y aura dès lors aussi une certaine
coopération, non pas avec le président de l’affaire en cause, mais peut-être avec l’un de ses
collègues, également un praticien du droit. Si cette situation serait en réalité plutôt rare, elle
pourrait cependant exister. Toutefois, compte tenu de l’absence de motivation et du secret de
la délibération, il est impossible de savoir si, partie prenante au jury, le professionnel a
réellement influencé ses homologues jurés. Nous guettons en outre avec impatience la
manière dont le droit criminel anglais organisera l’exigence de motivation imposée par la
CEDH dans l’affaire Taxquet c. Belgique du 13 janvier 20093655 ; le recours au système
continental des questions ne peut pas suffire.

593. En Belgique, même avant la condamnation par la (petite chambre) de la Cour


européenne dans l’affaire Taxquet, on semblait conscient de la nécessité de rompre avec le
status quo pour mettre notamment un terme au caractère énigmatique de la procédure
d’assises. Le refus catégorique d’une délibération commune empêche néanmoins de réaliser
la motivation telle qu’elle devrait être à nos yeux : née lors de la délibération et non pas après
la prise de la décision. Pour cette raison une alternative mérite d’être étudiée. Comme pour le
droit français, le modèle imaginé présente l’avantage de rationaliser le principe d’oralité, de
rendre la justice plus équitable sur le plan des droits de l’homme, ainsi que plus stable et plus
performante. Il serait notamment possible d’élargir la participation citoyenne et de traiter de

3652
La même symbiose était également envisagée par le Civil Liberties Trust pour remplacer les magistrates’ courts.
Les magistrates non professionnels seraient seuls compétents pour la question de culpabilité ; le district judge
résoudrait les questions de droit et de procédure et déterminerait la peine (THE CIVIL LIBERTIES TRUST, Magistrates’
Courts and Public Confidence. A Proposal for Fair and Effective Reform of the Magistracy, Londres, 2002, p. 4-6). Il
en est de même en matière économique et financière avec le Fraud Trials Tribunal.
3653
Supra, n° 180.
3654
Supra, n° 140.
3655
Supra, n° 318.

613
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

manière plus approfondie un nombre plus important d’affaires. En Belgique, la nouvelle


instance pourrait par exemple ratione materiae être compétente pour certaines affaires de
mœurs, ce qui permettrait d’éviter une éventuelle banalisation causée, dans le système en
vigueur, par la correctionnalisation quasi-automatique de ces affaires. Si nous nous référons
au seuil arrêté en France, à savoir les infractions pour lesquelles le législateur requiert une
peine de réclusion supérieure à dix ans, le nouveau tribunal criminel serait compétent, en
Belgique, pour tous les crimes actuellement non correctionnalisables ainsi que pour ceux qui
relèvent de la liste du nouvel article 2 de la loi sur les circonstances atténuantes dont le taux
législatif dépasse dix ans. Ces affaires seraient suffisamment sévères pour mériter un
traitement détaillé et approfondi. De cette manière, la compétence de la nouvelle juridiction
serait plus étendue que celle de la cour d’assises actuelle, la correctionnalisation par les
juridictions d’instruction et le parquet n’étant par ailleurs plus nécessaire.

Hormis l’allongement de la détention provisoire, cela pourrait induire, pour certaines


infractions, une aggravation progressive de la répression. Prenons l’exemple d’une prise
d’otage qui, en vertu de l’article 347bis du Code pénal, est punissable d’une réclusion allant
de vingt à trente ans. En vertu de l’ancien article 2 de la loi de 1867 sur les circonstances
atténuantes (avant la loi du 21 décembre 2009), ce crime était correctionnalisable lorsque la
prise d'otages n'avait causé aux otages qu'une incapacité permanente physique ou psychique ;
quel que soit l'âge de la personne prise en otage. Dans ce système, le juge correctionnel
pouvait prononcer une peine correctionnelle maximale de dix ans (ancien art. 25 al. 1 CPB).
En vertu de la nouvelle loi du 21 décembre 2009, qui modifie le contenu dudit article 2 de la
loi de 1867, le juge correctionnel, désormais mieux ‘armé’, pourra prononcer un
emprisonnement maximal de vingt ans. Dans la proposition, le tribunal criminel pourrait
prononcer les peines prévues par la loi. Il en résulte que ce crime toujours correctionnalisé
sous l’ancien régime et passible de dix ans maximum pourrait désormais écoper d’une peine
maximale de trente ans.3656 Il convient de souligner à cet égard que le tribunal criminel
dispose bien de la faculté d’accorder des circonstances atténuantes dans tous les cas
opportuns. Si on craint toutefois qu’il use de manière injustifiée des larges échelles de peines
qui, en l’absence de correctionnalisation préalable, seraient mises à sa disposition, il faut

3656
Il en est de même, par exemple, pour un vol avec violence ou des menaces avec effraction, escalade ou fausses
clés et l’usage d’un véhicule pour assurer sa fuite (art. 472 CPB, punissable de quinze à vingt ans). Si, dans l’ancien
système le juge correctionnel, compétent après correctionnalisation, ne pouvait prononcer qu’une peine privative de
liberté de dix ans maximum, la loi du 21 décembre 2009 lui accorde le pouvoir de prononcer une peine
d’emprisonnement maximale de quinze ans. Dans le modèle du tribunal criminel, la peine législative de quinze à vingt
ans serait possible.

614
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

inciter le législateur à (ré)évaluer l’adéquation des taux de peine existants pour certaines
infractions.3657

594. Aussi, notre proposition risque-t-elle d’avoir un impact non négligeable (voire
indésirable) au niveau correctionnel. Si, à l’instar du système français, le tribunal
correctionnel belge était directement et automatiquement compétent pour les infractions
passibles d’une peine maximale de dix ans, le seuil des délits serait doublé et la catégorie de
crimes passibles d’une peine comprise entre cinq et dix ans disparaîtrait. La métamorphose
automatique en délits de certains faits actuellement qualifiés de crimes (ceux qui sont
punissables de cinq à dix ans) —, avec le maintien des taux de peine exprimés en termes
d’emprisonnement plutôt que de réclusion — aurait en outre un impact énorme voire
inopportun. Le crime de faux en écritures (art. 196 CPB) par exemple3658, actuellement
passible d’une peine de réclusion comprise entre cinq et dix ans mais toujours
correctionnalisé, deviendrait un délit punissable des mêmes peines, le tribunal correctionnel
pouvant désormais prononcer une peine maximale de dix ans d’emprisonnement au lieu de
cinq, et de vingt ans en cas de récidive. Cela aurait également des conséquences pour la
personne morale responsable, dont l’amende dépend du maximum de la peine privative de
liberté. Au lieu de 120.000 €, une amende de 240.000 € serait possible. Autres conséquences
de la métamorphose des crimes en délits : la tentative ne serait plus automatiquement
punissable (art. 53 CPB) ; la partie civile pourrait intenter une citation directe ; la prescription
de la peine serait désormais de cinq ans, sauf si la peine prononcée dépasse le seuil de trois
ans (dans ce cas, elle s’élèverait à dix ans ; art. 92 CPB).

Afin d’éviter un tel renforcement de la répression pour nombre de crimes


actuellement punissables de cinq à dix ans de réclusion et, après correctionnalisation, d’un
emprisonnement compris entre un mois et cinq ans, il faut que le législateur (ré)évalue
l’adéquation des taux de peine existants. S’il juge en outre inopportun de les soustraire aux
conséquences de la qualification criminelle, il pourrait soumettre, à l’instar du droit pénal
français, ces ‘anciens crimes’ aux règles spécifiquement applicables aux crimes et ainsi faire
naître une catégorie hétérogène d’infractions : les ‘délits-crimes’. Si le législateur considérait
qu’une telle catégorie de ‘pseudo-crimes’ n’est pas opportune, il pourrait opter pour la
solution de la Commission de réforme de la cour d’assises, proposant de maintenir la
qualification de ‘crime’ pour cette catégorie : « crime relevant de la compétence du tribunal
correctionnel ».3659 Cette solution paraît quand même bouleversante dans la mesure où le

3657
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 316.
3658
Il en serait également de même pour d’autres infractions telles que le viol d’un majeur, actuellement punissable
d’une réclusion de cinq à dix ans.
3659
R. VERSTRAETEN et L. GYSELAERS, « Naar een hervorming van de assisenprocedure ? », l.c., p. 315.

615
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

nouveau tribunal criminel ne disposerait plus du monopole des crimes. Une réflexion
approfondie sur cette question semble dès lors indispensable.

595. En ce qui concerne les délits de presse, l’occasion pourrait et devrait être saisie
de permettre le jugement et, le cas échéant, la condamnation des journalistes. En Belgique, la
nouvelle juridiction devrait également être compétente pour les délits de presse qui relèvent
actuellement de la juridiction de la cour d’assises, mais restent de facto impunis.3660 La
lourdeur de la cour d’assises, les effets contre-productifs de la publicité excessive des débats
et la volonté de réserver la cour d’assises aux crimes les plus graves, empêchent en effet les
parquets d’organiser des procès de presse devant la cour d’assises.3661

596. Contrairement à la situation en France, un tel bouleversement de l’organisation


judiciaire nécessiterait une modification de la Constitution. L’article 150 de la Constitution
dispose actuellement que « le jury est établi en toutes matières criminelles et pour les délits
politiques et de presse, à l'exception des délits de presse inspirés par le racisme ou la
xénophobie ». Si cette disposition ne semble pas s’opposer à une délibération mixte — le
texte ne dit pas qu’une autre personne ne peut collaborer avec le jury, ni qu’il ne peut lui être
adjoint certaines personnes en vue de la motivation —, elle empêche néanmoins la
suppression du jury.

597. Avec la nouvelle réforme de la cour d’assises, le législateur belge privilégie


néanmoins la voie de la tradition à l’instar de la Commission pour le droit de la procédure
pénale.3662 La proposition de la Commission de réforme belge d'une cour criminelle mixte
qui consacre la participation des citoyens, non sous la forme d'un jury souverain mais par la
contribution substantielle de juges non professionnels, spécialisés ou non,3663 est
définitivement enterrée. La suggestion du Conseil supérieur de la Justice, estimant à l’instar
de la Commission que les arguments favorables à la suppression de l’actuelle cour d'assises
pèsent plus lourds que ceux qui plaident pour son maintien et qui avance prudemment
l’option d’une chambre spéciale du tribunal correctionnel3664, tombe aussi dans l’oreille d’un
sourd. Un argument de taille en faveur du maintien du jury populaire serait l’adhésion
davantage aisée de l’opinion publique à la décision du jury populaire. Certains verdicts
auraient davantage prêté le flanc à la critique s’ils avaient été prononcés par des magistrats de

3660
Supra, n° 110.
3661
Q. VAN ENNIS, « Le délit de presse sur internet : la cohérence et rien de plus ? », l.c., p. 48.
3662
Doc.parl. Sénat 2003-04, n° 3-450/1.
3663
F. Erdman et G. de Leval y voient en outre des perspectives dans leur rapport de synthèse rédigé en 2004 à la
demande du vice-président et ministre de la Justice de l’époque, L. Onkelinx (F. ERDMAN et G. DE LEVAL, o.c.).
3664
Avis du 11 février 2009 du Conseil supérieur de la Justice, Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4-924/2, p. 20.

616
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

carrière. Il s’agit désormais de s’interroger sur les fondements de cet attachement à


l’institution du jury populaire et sur la question de savoir si celui-ci est inconditionnel ?

§ 2 — LA FORCE DE LA ‘FOULE’

598. En dépit de la marginalisation non négligeable de l’institution du jury tant de


manière explicite qu’implicite, tant de facto que de jure, l’idée du jury populaire ne semble
en rien privée de son aura mythique. S’il est loin d’être souverain, il est toutefois symbolisé
comme tel. « Il est frappant de constater combien, dans notre société contemporaine, cette
expression de « jury populaire » va de soi, combien ces termes de « jury » et « populaire »
sont accolés l’un à l’autre avec une apparence de naturalité si évidente qu’elle empêche
toute interrogation sur sa réalité sociale ».3665 Les assises colonisent l’imaginaire de la
société.3666 Cet attachement à l’idée de la cour d’assises découle également du maintien de
cette terminologie pour les cours d’assises françaises purement professionnelles.3667 Compte
tenu de la grande réticence à toucher à cette ‘coqueluche du public’, il s’agit de s’interroger
sur ce qui fonde le salut de l’institution du jury.

En premier lieu, l’argument de la tradition joue un rôle non négligeable dans la


pérennité ou la réapparition du jury populaire. Un conservatisme touchant et presque
inébranlable pousse souvent à conserver des institutions sans s’interroger sur leur adéquation
avec la société moderne. L’intégration, dans certains pays, de cette institution dans le bloc de
la constitutionnalité en témoigne également. On conteste fortement la suppression du jury,
celui-ci étant aussi consubstantiellement lié à la République que la Marseillaise ou le drapeau
tricolore.3668 De par son origine mythique il constitue un symbole irréductible, parfaitement
intégré « dans notre tissu institutionnel ».3669 Les projets de réforme de la cour d’assises se
heurtent tous à l’impossible suppression de cette instance.3670

Il convient dès lors, en second lieu, d’analyser la ‘popularité’ du ‘jury populaire’ et


son enracinement dans l’opinion publique. En effet, alors que la confiance accordée à la
justice et plus particulièrement aux magistrats vacille, il serait dangereux d’imposer des
restrictions au jury ou de proposer son remplacement par un système mixte sans s’interroger
sur la position du public face à cette institution. Si l’attachement au jury s’avère important,
des réformes visant à restreindre sa portée pourraient mettre en péril la légitimité de la justice

3665
F. LOMBARD, l.c., p. 782.
3666
F. CHAUVAUD, o.c., p. 31.
3667
M.L. RASSAT, « Le jury populaire en France », l.c., p. 149.
3668
JOAF CR du 21 janv. 1997, p. 21 et p. 30.
3669
F. LOMBARD, l.c., p. 775.
3670
C. ROBIN, l.c., p. 15-16.

617
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

et saper la confiance publique. Quel homme ou femme politique élu pourrait prétendre à une
réélection en ignorant la volonté manifeste des citoyens, surtout en ce qui concerne des
questions émotionnelles et pertinentes telles que le jury populaire ? Il s’agit bien évidemment
d’une question essentielle dont les enjeux dépassent largement les seuls aspects de la
technique juridique et procédurale. Elle touche directement aux facteurs les plus profonds de
la cohésion sociale.3671 Mais quelle est l’ampleur de cet attachement du public à l’institution
du jury ? S’agit-il d’un amour inconditionnel qui rend la justice criminelle « prisonnière de
l’idéologie qui l’a fait naître »3672 (A — Jury et opinion publique : un amour
inconditionnel ?) ou d’un coup de foudre aveugle découlant d’une conception nostalgique
mais vulnérable aux erreurs judiciaires de la justice (B — Ou simple coup de foudre
aveugle ?) ?

A — JURY ET OPINION PUBLIQUE : UN AMOUR INCONDITIONNEL ?

599. Si l’on se réfère à notre analyse du système néerlandais, la confiance publique


accordée à l’administration de la justice jouit d’une importance ardue et élevée.3673
Paradoxalement, les recherches sur la position de l’opinion publique par rapport à la justice
pénale, le talon d’Achille de nos institutions, et en particulier par rapport au jury populaire
sont rares. L’analyse anglaise réalisée en 2007 par Julian V. Roberts et Michael Hough,
intitulée « Public Opinion and the Jury : an International Literature Review », tente de
combler cette lacune.3674 En Belgique, le deuxième baromètre de la Justice réalisé la même
année à la demande du Conseil supérieur de la Justice s’est également penché sur cette
question.3675 Les résultats sont importants pour les réformateurs à venir.

600. Pour analyser l’attachement des citoyens à l’institution du jury populaire,


différentes approches sont envisageables. On pourrait mesurer, en droit anglais, l’importance
que les citoyens accordent au fait d’être jugés par un jury. Le British Social Attitudes Survey
de 2005 a ainsi révélé que 72% des répondants considéraient ce droit comme très important ;
même plus important que le droit à la vie privée ou à la liberté d’expression.3676 L’analyse du
State of the Fation Survey, réalisée en 2000 et 2006, aboutit à un constat similaire. A la
question de savoir quels droits il faudrait nécessairement inclure dans une Bill of Rights, une

3671
JOAF CR du 21 janv. 1997, p. 11.
3672
A. TOULEMON in X, Le jury face au droit pénal moderne. Travaux de la troisième Journée d’études juridiques
Jean Dabin (19-20 mai 1967), o.c., p. 48.
3673
Supra, n° 425 et s. et 430.
3674
J.V. ROBERTS et M. HOUGH, Public opinion and the jury : an international literature review, ministère de la
Justice 2009, www.justice.gov.uk/publications/public-opinion-and-the-jury.htm, 60p.
3675
CSJ, Les Belges et la justice en 2007. Résultats du deuxième baromètre de la Justice, Bruxelles, Bruylant, 2007,
71p.
3676
J.V. ROBERTS et M. HOUGH, o.c., p. 12.

618
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

grande majorité mentionne le droit à un jury. A la question concernant les droits à exclure de
ce Bill, seuls 2% des interrogés évoquent le jury.3677 Toutefois, à l’égard des affaires de
terrorisme cet attachement au jury populaire s’émousse. En particulier, le British Social
Attitudes Survey de 2002 démontre que 50% des répondants pourraient adhérer à une
suppression du droit à un jury comme prix à payer pour la lutte contre le terrorisme. Ce
chiffre fut confirmé en 2005. La confiance accordée au right to a jury trial peut donc
s’affaisser face à la guerre contre la terreur.3678

601. D’un autre point de vue, on pourrait interroger les citoyens quant à leur souhait
d’être jugés par un juge professionnel ou par un jury populaire si, un jour, ils étaient accusés
d’un crime. Selon le sondage du Bar Council en 2002, 64% préféreraient être jugés par un
jury ; seulement un quart opterait pour un magistrat professionnel.3679 En Belgique, par
contre, les résultats du deuxième baromètre de la Justice témoignent d’un constat étonnant :
74% des personnes interrogées ne voyaient aucun inconvénient à être jugées par un magistrat
de carrière. Ce pourcentage chute à 57% pour le jury populaire.3680 Concernant l’adhésion
des citoyens au jury criminel, la réponse est majoritairement affirmative (68%), mais ce
résultat est légèrement moindre que celui recueilli par le baromètre de 2002 (73%).3681
Contrairement à la confiance accordée à la justice en général qui connaît une hausse
spectaculaire par rapport au premier baromètre réalisé cinq ans plus tôt3682, celle accordée au
jury semble en baisse. Il s’agit d’une différence notable avec l’Angleterre où l’étude du Bar
Council révèle que la confiance accordée au jury et à la police est équivalente et surpasse
celle qui concerne d’autres institutions.3683 En France, un sondage effectué en 1996 pour le
Haut comité Deniau — « Les Français et la procédure de jugement en matière criminelle »
— démontrait que 82% des Français étaient favorables à la cour d’assises, celle-ci constituant
notamment l’un des seuls liens entre la justice et le grand public (36%) et les affaires
criminelles ne devant être laissées à la seule appréciation des magistrats de carrière (34%).3684

3677
J.V. ROBERTS et M. HOUGH, o.c., p. 13.
3678
J.V. ROBERTS et M. HOUGH, o.c., p. 22.
3679
J.V. ROBERTS et M. HOUGH, o.c., p. v.
3680
Il est à cet égard remarquable de constater que les répondants diplômés de l’enseignement supérieur préfèrent plus
souvent un magistrat de carrière au jury populaire, à l’inverse de ceux qui n’ont qu’un diplôme de l’enseignement
secondaire. Les Wallons optent plus souvent pour un jury populaire. Ceux qui ont déjà eu affaire à la justice dans une
affaire civile sont plus réticents à l’égard du juge professionnel. Ceux qui travaillent pour la justice sont plus souvent
opposés à l’idée d’un jugement rendu par un jury populaire (CSJ, o.c., p. 28-29).
3681
Remarquons, à cet égard, que les Flamands sont plus négatifs que le Belge moyen (CSJ, o.c., p. 47).
3682
On constate une augmentation significative (60%) de la confiance accordée à la justice. 64% des personnes
interrogées, qu’elles soient flamandes ou wallonnes, estiment que la justice a tiré des conséquences de l'affaire
Dutroux. Le même vent positif souffle également pour d’autres institutions — l’enseignement, la police, le Parlement
—, mais de manière moins spectaculaire (CSJ, o.c., p. 9-11).
3683
J.V. ROBERTS et M. HOUGH, o.c., p. 14-15.
3684
HARRIS, L., Les Français et la procédure de jugement en matière criminelle. Synthèse de l’étude quantitative,
Paris, La Documentation française, 1996, http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/964084700/0000.pdf, p.
16-17.

619
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

Il convient de remarquer ici que cette adhésion concerne le modèle mixte français et non le
jury populaire au sens strict. Soulignons en outre que le modèle mixte proposé présente les
mêmes avantages auxquels s’ajoutent d’autres sur le plan du procès équitable.

602. De manière plus générale, Julian V. Roberts et Michael Hough dégagent un


consensus cross-jurisdictional : en dépit de la grande variation des systèmes de participation
citoyenne ou de jury dans les différents pays, l’attitude positive du public constituerait une
constante dans les différents pays. Le support pour le concept de trial by jury transcenderait
la variation locale concernant le fonctionnement du jury.3685 Pourtant, la participation de
simples citoyens à l’œuvre de juger suscite des questions. Ainsi, 54% des Français interrogés
critiquaient le caractère malléable des jurés non professionnels, 64% considérant que les
personnes tirées au sort ne sont « pas toujours capables de juger des cas difficiles ».
L’observation d’une certaine vigilance à l’égard des données est donc souhaitable.

B — OU COUP DE FOUDRE AVEUGLE ?

603. D’autres raisons incitent également à une certaine vigilance. En premier lieu, il
convient de souligner que le public connaît peu l’institution du jury. Souvent, le public donne
une appréciation positive à l’idée abstraite du judicium parium sans réellement connaître son
fonctionnement et sa portée. Le sondage français de 1996 semble contredire cette crainte.
S’ils avouent peu connaître le fonctionnement du système judiciaire français (69%), les
citoyens connaissent relativement bien l’institution de la cour d’assises. Ainsi, 66% des
personnes interrogées savent que les affaires criminelles sont jugées par un collège mixte,
75% que les jurés sont tirés au sort sur les listes électorales, et 51% que le jury est également
impliqué dans la détermination de la peine.3686 En ce qui concerne les pratiques
systématiques ‘d’esquive’ de la cour d’assises, les connaissances semblent moins établies.
Une étude réalisée par Banks, Maloney et Willcock en 1975, démontre que la majorité des
interviewés sait que le jury est instauré pour les affaires les plus sévères, seulement un tiers
étant toutefois au fait des procédures par juge unique.3687 Cette méconnaissance est
également de mise pour les propositions actuelles de réforme du jury, en dépit d’une large
couverture médiatique. L’étude du Bar Council de 2002 révèle que le public est globalement
peu conscient des propositions visant à restreindre la portée du jury.3688 La « thèse de

3685
J.V. ROBERTS et M. HOUGH, o.c., p. 5 et p. 39.
3686
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/964084700/0000.pdf, p. 2.
3687
J.V. ROBERTS et M. HOUGH, o.c., p. 5.
3688
Plus de la moitié des personnes interrogées n’avaient rien entendu sur ce point (54%) ; 24% étaient peu au
courant ; 18% en avaient entendu parler. Seuls 4% étaient tout à fait au courant (J.V. ROBERTS et M. HOUGH, o.c., p.
41).

620
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

l’information »3689 pourrait s’avérer idoine : si, pour les Néerlandais la sévérité des simples
citoyens à l’égard de certains crimes serait inversement proportionnelle à la quantité et à la
qualité des informations procurées sur une affaire particulière — les citoyens seraient moins
répressifs lorsqu’ils reçoivent plus d’informations sur les circonstances d’une affaire —, en
serait-il de même pour le jury populaire, mais en sens inverse, à savoir que l’opinion
favorable du public s’amenuiserait avec l’accroissement des informations sur sa portée et son
fonctionnement ?3690

604. En second lieu, et tel que l’illustre l’exemple espagnol dans l’affaire Otegi3691,
l’attitude publique et la confiance peuvent très facilement basculer à l’issue d’une affaire
scandaleuse, en tout cas dans un pays où l’histoire du jury n’est pas constante.3692 En 1997, à
la suite de cette affaire controversée, les citoyens espagnols préféraient largement le juge
professionnel. Il faut dès lors se méfier des conclusions fondées sur les statistiques. Le public
réagit émotionnellement et différemment selon les cas. La moindre erreur peut briser une
confiance souvent versatile et ténue. Il serait donc judicieux de dépassionner le débat, surtout
dans la mesure où notre proposition n’envisage pas de supprimer la participation citoyenne.
Bien évidemment, le caractère fragile de la confiance publique concerne également, et peut-
être davantage, la justice professionnelle. Ainsi, après les récents scandales belges à propos
de magistrats corrompus3693, la confiance accordée aux juges professionnels a pris du plomb
dans l’aile. C’est d’ailleurs également le cas en France, tel que le révéla le fiasco judiciaire
d’Outreau. L’époque est peut-être à l’avènement d’un nouveau concept de justice criminelle,
ainsi que le suggère explicitement le référendum impératif rendu en mai 2009 dans le canton
de Genève qui sacrifie le jury populaire aux exigences du nouveau Code de procédure pénale
fédérale.3694

605. Ce qui demeure remarquable, c’est la grande différence sur ce point entre la
France et la Belgique : si la réforme française de 1941 est bien entrée dans les mœurs, la
Belgique adhérerait au jury populaire au sens propre du mot et serait, contrairement au
système français, résolument hostile à la coopération. En France, plusieurs tendances
plaideraient en faveur d’une collégialité multidisciplinaire. Les résultats du sondage effectué
en 1996 par l’Institut Louis Harris révèlent que cette adhésion n’est pas attribuable à

3689
Supra, note 2777.
3690
J.V. ROBERTS et M. HOUGH, o.c., p. 41.
3691
Supra, n° 414.
3692
Supra, n° 425 et s.
3693
Pensons à l’affaire dénommée ‘Fortisgate’ dans laquelle l’indépendance de la magistrature aurait été mise à mal
par le pouvoir exécutif et à l’affaire de corruption d’un président du tribunal de commerce (affaire F. De Tandt). Il ne
fait pas de doute que ces affaires portent « un coup à la confiance dans la justice » (CSJ, Communiqué de presse du
28 août 2009).
3694
Supra, n° 551.

621
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

l’ignorance, une large majorité étant manifestement au courant de la composition mixte du


collège qui rend la décision sur la culpabilité. Si l’histoire judiciaire française fait preuve
d’audace et de modernité en remettant en cause des institutions, la France étant dès lors le
pays le plus proche du système proposé, la Belgique semble encore fort éloignée d’une telle
démarche, une coopération entre professionnels et citoyens, a fortiori une suppression du jury
au sens strict du mot, semblant impensable. Malgré plusieurs propositions visant à un
système davantage cohérent et efficace, la cour d’assises est ‘sauvée’ par la politique.3695 Si
on ne sait pas où va la cour d’assises belge, on sait quand même où elle ne va pas.

La nouvelle loi du 21 décembre 2009 fait cependant preuve d’une certaine


incohérence, voire d’hypocrisie. Le même Parlement qui, prétextant de l’attachement du
public, refuse a priori et sans réflexion toute atteinte à ce qu’il considère comme l’institution
démocratique par excellence et n’ose pas considérer un système plus cohérent, ne recule pas
devant des propositions visant en amont, par une correctionnalisation débridée, à anéantir la
portée de cette institution. En aval, la souveraineté du peuple est en cas de condamnation
tributaire du bon vouloir des juges professionnels, par la sortie de secours de l’article 336 du
Code d’instruction criminelle. Ceux-ci, prenant connaissance des motifs parfois sans doute
irrationnels des jurés, sont amenés à écarter plus fréquemment la décision de condamnation
prise par le jury populaire. Si le jury ne meurt pas3696, il s’étiole inéluctablement. Pour
épargner la tradition et la vindicte de l’opinion publique, la Belgique préserve une institution
de façade qui, dans le nouveau système, jugera même moins de 0,01% des affaires.
Toutefois, d’après les résultats du baromètre, cette réticence de l’opinion publique ne serait
pas insurmontable.3697 De plus, si la suppression du jury est tellement taboue, ne faut-il pas
avoir l’audace de le restituer dans le sens propre du mot, avec ses attributions
traditionnelles ?3698

Pour la France, une pareille critique peut être adressée à l’égard des ardents
défenseurs du maintien de la cour d’assises qui se sont soulevés immédiatement après la

3695
B. FRYDMAN, « La contestation du jury populaire. Symptôme d’une crise rhétorique et démocratique » in M.
ANGENOT, C. BIET, A. BOUVIER, P. BRETON et Y. THANASSEKOS, Question de communication 2007. Crises
rhétoriques, crises démocratiques, Nancy, PUN, 2008, p. 104.
3696
C. ROBIN, l.c., p. 21.
3697
Pour le droit civil, celui-ci démontre que 80% des interrogés estiment qu’il y a une plus-value dans la participation
des simples citoyens, spécialistes du terrain, à l’œuvre de la justice afin d’assister le juge dans son jugement. J.-F.
Funck se rallie à cette optique et propose à la proposition d’étendre cette forme de juridiction mixte à d’autres
domaines, parmi lesquels le contentieux familial, de consommation, de construction, … (CSJ, o.c., p. 35).
L’importance des experts est reconnue, même si cela est de nature à allonger la durée des affaires et à augmenter les
frais. En France, selon l'enquête sur la satisfaction des usagers de la justice vis-à-vis de l'institution judiciaire de 2001,
les Français sont très favorables à la proposition d’un échevinage généralisé, à condition que les assesseurs soient
désignés ou tirés au sort, mais pas élus (Entretien écrit avec J.P. JEAN, « La participation des citoyens à la fonction de
juger. Proposition de faire participer des citoyens comme assesseurs pour le jugement de certaines affaires pénales et
civiles », déc. 2006, p. 2).
3698
M. LEMONDE, « L'appel en matière criminelle. Le beurre et l'argent du beurre ? », l.c., p. 97.

622
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

« piste de réflexion » lancée en juin 2010 par le ministre de la Justice, Mme Alliot-Marie, de
supprimer la cour d’assises. En effet, leur position est paradoxale. « Au nom de la défense de
la démocratie, ils entérinent une situation [le recours massif à la correctionnalisation] qui
lui est résolument contraire ».3699 La déclaration apaisante du ministre du la Justice assurant
en tout cas la survie de la cour d’assises est également regrettable. Elle empêche tout débat
franc sur l’avenir de cette institution.

Conclusion du chapitre II

606. A la recherche d’une justice criminelle respectueuse des droits de l’homme, il


nous semble judicieux de déserter les sentiers battus. La cour d’assises ne peut plus être
maintenue. La voie traditionnelle et nationale qui présuppose le jury populaire comme un
acquis indispensable ne conduit, sous les gifles de la Cour européenne des droits de l’homme,
qu’à des habillages procéduraux, certes créatifs, mais insatisfaisants. « Un travail partiel de
démolition laisse debout quelques piliers de l’édifice qui semble en être encore suffisamment
soutenu »3700, mais donne lieu à des procédures dérogatoires, à des sacrifices sur le plan du
procès équitable.

Mieux vaudrait s’aligner sur la voie internationale des droits de l’homme essentiels à
chaque procès criminel. Cette voie ne postule pas la participation du jury populaire comme
une évidence, mais la module en fonction des exigences internationales indispensables tels
que la motivation, l’appel hiérarchique et la procédure contradictoire autour d’un principe
d’immédiateté encadrée. Compte tenu de la nécessaire motivation des décisions criminelles,
il semble impossible de continuer avec un jury au sens strict du mot, c’est-à-dire avec douze
citoyens décidant seuls de la culpabilité. La rédaction de la motivation doit être confiée à un
professionnel du droit. Si le législateur juge opportun d’avoir encore une participation
citoyenne, les citoyens et magistrats de carrière doivent collaborer. Au lieu de l’actuel
modèle français qui permet cette collaboration mais consacre de facto la souveraineté du
peuple en lui accordant une supériorité numérique, notre option puise dans le modèle
allemand et dans le futur tribunal criminel mixte du canton de Genève. Ces modèles réduisent
de manière considérable le nombre de juges-citoyens et permettent d’assurer une certaine
continuité de fonctionnement, présentant ainsi d’incontestables avantages au niveau
organisationnel. Ils donnent aux citoyens-assesseurs les mêmes droits et obligations que ceux
des juges professionnels et permettent ainsi non seulement une collaboration à part entière,

3699
D. REBUT, « Correctionnalisation - Quelle place pour la cour d’assises ? », JCP G 2010, n° 887, p. 1654.
3700
M. D’AMELIO, « Faut-il admettre en matière criminelle le système du jury ou celui de l’échevinage », RIDP 1931,
p. 390.

623
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

ainsi qu’une procédure plus rationnelle et performante, une délibération plus efficace et une
motivation soutenant le verdict. A nos yeux, ce modèle permettrait également un contrôle de
la décision et une meilleure répartition des compétences : les crimes auraient à nouveau une
juridiction.

607. Concernant la faisabilité d’un tel modèle de justice criminelle, beaucoup dépend
des coups déjà portés à la souveraineté du peuple et de l’existence d’autres tribunaux
multidisciplinaires et coopératifs. La France, avec son délibéré conjoint, son appel circulaire
en matière criminelle ainsi que ses tribunaux pour enfants, son juge de proximité assesseur à
la justice correctionnelle et ses expériences Outremer, semble être allée de l’avant. Au regard
de l’audace déjà déployée, il semble toutefois étrange qu’elle n’ait pas osé aller jusqu’au
bout, d’autant que les cours d’assises spéciales purement professionnelles jugent également
sans motivation. Il semblerait que ce soit ‘l’héritage révolutionnaire’ qui l’empêche d’asséner
le coup de grâce au jury. Pourtant, à l’époque, le jury était radicalement différent de celui de
la procédure criminelle contemporaine. Seul son esprit — le contrepouvoir démocratique à
une justice professionnelle oppressive — demeure. Mais cette plus-value peut encore être
réalisée avec un système mixte tel que nous l’envisageons.

Conclusion du Titre II

608. Le jury n’est pas l’essentiel ; l’essentiel est de permettre au condamné pour
crime d’obtenir une explication pour ce verdict et de disposer de la possibilité de voir sa
condamnation réexaminée au fond. Ainsi, Marcel Lemonde remarque qu’« il ne faut pas que
le remède soit pire que le mal, sous prétexte de tout concilier » (l’appel et la ‘souveraineté’
du jury, le jury et la motivation, la motivation sans dossier ou bien, à l’inverse, le dossier en
délibéré avec l’oralité des débats).3701 Le seul domaine où le législateur français l’a compris,
est le droit criminel des mineurs âgés de treize à seize ans qui sont jugés, non pas par un jury
populaire, mais par un système mixte de coopération, le tribunal pour enfants. A la lumière
des exigences accrues de la CEDH, ce modèle de « participation spécialisée » est
particulièrement intéressant pour inspirer le droit criminel des majeurs. Il ne suffit pas de
dénoncer le mal ; il faut essayer (humblement) de trouver quelques remèdes. L’un d’entre
eux pourrait consister à instaurer un jury ‘technique’ ou ‘spécial’ (« participation
spécialisée »), mais celui-ci reste toujours incompatible avec les garanties du procès
équitable, la motivation et l’appel. Si le législateur demeure convaincu de la nécessité d’une
participation citoyenne en matière criminelle, il pourrait considérer un modèle plus franc et

3701
M. LEMONDE, « L’appel et le jury en France : quelle réforme ? », l.c., p. 96.

624
TITRE II — UN ENRICHISSEMENT MULTIDISCIPLINAIRE

logique de « spécialisation participative » : le remplacement de la cour d’assises par un


tribunal et une cour criminels. Il s’agit en particulier d’une tentative d’élaborer la piste
avancée, dans un premier temps, par la Commission de réforme de la cour d’assises belge.

Si, pour la Belgique et l’Angleterre, le modèle mixte que nous proposons, est sans
doute trop déstabilisant, il s’agit de savoir si, pour la France, il ne pourrait pas être considéré
comme l’étape finale de la réappropriation de la justice criminelle par la magistrature, étape
qui, loin d’être déstabilisante, irait dans le sens de l’histoire. En effet, cette optique ne
s’intègre-t-elle pas dans une législation qui tend à professionnaliser la prise de décision
pénale et envisage tant d’accélérer — pour la matière criminelle — que de ralentir — pour
les affaires correctionnalisées — le traitement des affaires ? Eu égard à la création d’une
mixité au niveau correctionnel et aux propositions d’une formule échevinale généralisée et
uniformisée comme solution de modernisation, il s’agirait plutôt d’un gain de force de la
collégialité et de l’immixtion entre élément professionnel et élément populaire. En
considérant une participation citoyenne pour un nombre plus élevé d’affaires et cela aussi
bien en première instance qu’en appel, la valeur démocratique, bien qu’envisagée
différemment, ne semble pas anéantie. Le modèle mixte témoignerait-il d’une maturité de la
démocratie ?3702 Grâce à la présence de non-professionnels sur la scène judiciaire, les
principes de mixité et de collégialité peuvent être revalorisés ; la motivation peut être
réalisée.3703

3702
J. ALLARD, « Un consensus en faveur des juridictions mixtes », l.c., p. 6-7.
3703
F. ERDMAN et G. DE LEVAL, o.c., p. 54.

625
Conclusion de la deuxième partie

609. Dans la première partie, deux contraintes contemporaines de la justice pénale —


la contrainte gestionnaire et la contrainte du procès équitable — semblent menacer la
participation citoyenne à la fonction de juger en matière criminelle, jusqu’à susciter des
interrogations sur un divorce potentiel et radical entre ‘participation’ et ‘spécialisation’ en
faveur d’une professionnalisation accrue.

610. La deuxième partie offre, en guise de contrepoids, une autre tendance


incontestable, partagée par les trois pays étudiés : la tendance apparemment inverse de
proximité, de transparence et de rapprochement entre justice et justiciables afin de consolider
la confiance de ceux-ci. Elle démontre, en premier lieu, que la tendance de marginalisation
du jury populaire, esquissée dans la première partie, ne semble pas universelle. Les pays
privés de cette institution montrent qu’un système purement professionnel n’est pas non plus
satisfaisant. En effet, si la professionnalisation est louée, valorisée et considérée comme
indispensable dans d’autres secteurs importants, tel que par exemple la médecine, on s’en
méfie en justice. La récente réintroduction du jury en droit espagnol et russe en témoigne.

En deuxième lieu, cette seconde partie s’attache à analyser l’émergence de nouvelles


formes multidisciplinaires de participation, qui introduisent de nouveaux acteurs dans le
monde judiciaire et dans le jeu juridique. Outre la CIVI, le juge de proximité français calqué
sur l’exemple des lay magistrates anglais en constitue un exemple. Les « Youth Offender
Panels » anglais et les tribunaux de l’application des peines belges, constitués de manière
multidisciplinaire, s’inscrivent dans le même ordre d’idées.

A la lumière de ces nouvelles formes alternatives et multidisciplinaires de


participation, il semble que l’évolution vers une spécialisation accrue peut également être
enrichie par l’implication citoyenne ; qu’il y a des mérites, y compris gestionnaires, à avoir
une participation citoyenne ; et, à l’inverse, qu’il y a des inconvénients à avoir une justice
purement professionnelle. Il nous semble par conséquent judicieux de chercher une autre
alternative en matière criminelle, non en tant que « spécialisation absolue », ni en tant que
« participation souveraine », mais en tant que « spécialisation participative ».

627
CONCLUSION GENERALE

COCLUSIO GEERALE

611. Au terme de cette étude comparative, nous plaidons pour une suppression de la
cour d’assises, telle qu’elle existe en Belgique et en Angleterre sous la forme d’un jury
souverain et indépendant et telle qu’elle est actuellement en vigueur en France en tant que
système mixte de collaboration. Politiquement légitime, le jury est juridiquement une
institution qui ne va pas de soi.3704 Il est né sur le continent sous l’influence d’événements
purement politiques, en tant que réaction contre l’arbitraire des gouvernements absolus et
contre une magistrature trop puissante. Mais « avec le cours du temps, quand les conditions
politiques tout à fait changées atténuèrent l’importance du jury comme acquisition, on
commençait, de plus en plus rapidement, à l’apprécier au point de vue de l’utilité juridique.
Et de ce moment date la chute lente du jury ».3705

Tel qu’il découle de notre première partie, cette ‘chute’ se manifesta dans les trois
pays étudiés de manière extrinsèque — par érosion —, en ôtant aux cours d’assises française
et belge, ainsi qu’à la Crown Court anglaise, un nombre sans cesse accru d’affaires —, et de
manière intrinsèque avec l’ascension des exigences des droits de l’homme. La cour d’assises
peine en effet à concilier les deux exigences apparemment contradictoires qui envahissent le
droit pénal contemporain : efficacité et qualité de la justice.

612. Le temps n’est-il alors pas mûr pour réinterpréter cet héritage démocratique, de
le « sortir du mythe devant lequel on s’incline par confort ou que l’on ignore par
stratégie » ?3706 Les législateurs contemporains n’en semblent pas convaincus. Avec la loi du
21 décembre 2009, le législateur belge estime que la cour d’assises n’est pas encore arrivée
au bout des améliorations et modifications et qu’elle peut encore épouser son temps. Pour la
deuxième fois en une décennie, il rafistole la procédure criminelle pour la moderniser et la
rendre davantage conforme aux exigences des droits de l’homme. En France et en Angleterre,
les réformes en matière de procédure pénale se succèdent également à un rythme effréné,
jusqu’à bouleverser le fonctionnement de la cour d’assises. Pourtant, bien que la mort du jury
populaire ait été annoncée à plusieurs reprises, il est encore là.3707 Sa survivance et son
dynamisme dans une justice qui n’échappe pas au règne de la spécialisation, de la
technocratisation et du professionnalisme sont en soi pour le moins remarquables. On n’est
jamais parvenu à éliminer le jury. On se heurte « à une limite incontournable, à

3704
L. GRUEL, l.c., p. 72.
3705
S. GLASER, « Le jury et l’échevinage », RIDP 1932, p. 150.
3706
D. SALAS, l.c., p. 8.
3707
B. FRYDMAN, « Juge professionnel et citoyen : l’échevinage à la croisée de deux cultures judiciaires », l.c., p. 22.

629
CONCLUSION GENERALE

l’impossibilité de délier la légitimité du pouvoir et le respect des institutions symbolisant


depuis la Révolution française des « points de non-retour » en matière d’expression de la
souveraineté populaire et de garantie des citoyens contre une répression aléatoire ».3708 Soit
on ignore sur certains points l’évolution de la CEDH, par exemple concernant la motivation
des décisions criminelles, soit on invente des procédures dérogatoires pour maintenir à tout
prix le jury populaire. La piste de réflexion récemment lancée par le ministre de la Justice
français de remplacer la cour d’assises par un ‘tribunal criminel départemental’ sous le seul
angle d’un pragmatisme utilitariste, tout en consacrant la cour d’assises actuelle en tant
qu’instance d’appel en semble une parfaite, mais déplorable illustration.

Le résultat d’autant de conservatisme est qu’un prévenu devant le tribunal


correctionnel bénéficie de plus de garanties qu’un accusé devant la cour d’assises. Les
faiblesses de la participation citoyenne en matière criminelle, plaident-elles dès lors en faveur
d’un système plus franc et plus cohérent de professionnalisation intégrale ? Mais si tel est le
cas, la justice criminelle n’occulte-t-elle pas ainsi les écueils dont souffre notre système
correctionnel ? Par ailleurs, celle-ci n’irait-elle pas à l’encontre d’une autre évolution
touchant d’autres échelons de notre justice pénale, à savoir celle d’une participation accrue ?
En effet, sous les termes de ‘transparence’, de ‘proximité’ et de ‘confiance’, les législateurs
créent de nouveaux acteurs et de nouvelles formes de justice. Si celles-ci ne sont pas
étrangères aux contingences gestionnaires et semblent paradoxalement conduire à un
renforcement des ‘vrais’ juges, les magistrats de carrière, elles s’inscrivent dans l’évolution
vers une collégialité et une multidisciplinarité accrues qui pourraient également être
bénéfiques en matière criminelle.

En matière criminelle, une symbiose entre « participation » et « spécialisation »


pourrait donner lieu à une « spécialisation participative », c’est-à-dire à une spécialisation qui
s’inscrit dans la tendance actuelle de faire front à la réalité pénale qui ne cesse de devenir
plus complexe, sans perdre de vue la plus-value d’une participation des citoyens à l’œuvre de
la justice et le lien essentiel entre la justice et la société civile. Le clef de voûte de ce modèle
consiste en la suppression de la cour d'assises actuelle, telle qu’elle existe dans les trois pays
étudiés, sans pour autant évoluer vers un système purement professionnel de l’administration
de la justice pénale. Dans notre proposition finale de tribunal criminel (et d’une cour
criminelle en appel) la participation des citoyens est consacrée, mais avec un nouveau
contenu, non comme conditio sine qua non sous la forme de jury souverain, mais comme
contribution substantielle de non-professionnels sous forme d’une mixité multidisciplinaire.

3708
L. GRUEL, l.c., p. 71.

630
CONCLUSION GENERALE

De cette manière il serait possible de cumuler les avantages des magistrats professionnels —
connaissance juridique et expérience — et la participation enrichissante des juges non
professionnels, tout en comblant les lacunes inhérentes au jury. Cela permettrait d’éviter les
pièges où risquent de tomber les citoyens s’ils sont livrés à eux-mêmes. La question soulevée
au début de cette étude, celle de savoir si l’ascension des droits de l’homme implique
nécessairement le déclin de la participation citoyenne, devrait, à notre avis, alors recevoir une
réponse affirmative, mais nuancée : oui en tant que jury populaire ; non pour une forme
métamorphosée du concept de la participation.

Par rapport au jury populaire, le modèle mixte offrirait des avantages non
négligeables : la voie serait ouverte à la motivation et à une voie de recours, dont nous avons
souligné l'importance cardinale. Le caractère permanent de la nouvelle juridiction criminelle
permettrait en outre un système plus stable, plus efficace et plus rapide. Ce modèle serait
même intéressant pour un spectre plus large d’affaires, permettant, d’une part, de sonner le
glas de la correctionnalisation judiciaire qui est devenue le credo, et, d’autre part, d’assurer
un traitement plus lent et, espérons-le, plus approfondi et multidisciplinaire des affaires les
plus sérieuses. De cette manière et dans le cadre d’une attribution équilibrée des moyens
disponibles, il devient possible de mettre un terme à la discordance entre la procédure
d’assises lente et coûteuse, mais minutieuse et la procédure correctionnelle rapide et efficace
mais souvent trop sommaire. Toutefois, une extension au-delà de la matière effective des
assises, ne pourrait avoir lieu sans réflexion rigoureuse sur les échelles pénales prévues par la
loi et sur la portée de la nouvelle juridiction. En effet, un traitement plus lent des affaires qui
sont actuellement correctionnalisées pourrait entraîner des inconvénients sur le plan du délai
raisonnable et de la détention provisoire, sans doute plus longue. Dans ce modèle le
législateur devrait donc également soupeser et équilibrer les contingences économiques et les
exigences de procès équitable. En effet, le discours sur la participation demeurant
inextricablement lié à celui sur le ‘managérialisme’, ce modèle ne peut pas seulement se
présenter sous l’angle du nombre de garanties. Il doit aussi s’évaluer à l’aune de l’efficacité.
L’idée que « you can’t put a price on justice » (on ne peut pas mettre de prix sur la justice)
est erronée. On peut, on le fait et on devrait aussi le faire.3709

613. Vu l’amour incantatoire pour la cour d’assises et la grande réticence de la


supprimer au niveau politique, notre proposition risque de rester un « ballon juridique » qui
s’envolera sans devenir réalité.3710 Un tel sort fut également réservé à la proposition de la
Commission de réforme de la cour d’assises belge concernant une nouvelle cour criminelle, à

3709
A. SANDERS, « Core Values, the Magistracy and the Auld Report », l.c., p. 327.
3710
G. VANDEWAL et J. HERINGA, « Een juridische luchtballon », FJB 2006, p. 1317.

631
CONCLUSION GENERALE

la proposition de Lord Auld portant sur un middle tier of justice, ainsi qu’aux propositions
néerlandaises visant à permettre une participation citoyenne à l’œuvre de juger. Si le malaise
contemporain de la justice pénale génère pléthore de propositions de réforme et de rapports,
ceux-ci ne sont-ils pas tous menacés, « après leur remise en grande pompe, avec tambours et
trompettes, chaleureuses félicitations et émouvantes effusions, de jaunir au fin fond d’un
tiroir situé dans le recoin d’un bureau perdu à l’extrémité d’un couloir désaffecté […] » ?3711

Si un tel sort semble pour le moment réservé à la proposition d’une formule mixte en
matière criminelle, pouvons-nous toutefois oser prédire que ce modèle combiné de magistrats
de carrière et de citoyens-juges réapparaîtra un jour ? Avec le poids croissant accordé aux
droits de l’homme et l’impact de la Cour européenne, de nouvelles formes de justice seront
indispensables. Avec le progrès de la science, la demande de professionnalisation gagne
continuellement en ampleur. Pourtant, les magistrats de carrière ne bénéficieront
probablement jamais de l’entière confiance de la société civile, ce qui contribue au
dynamisme des formules mixtes de coopération. De ce dynamisme découle alors une double
méfiance : une méfiance à l’égard des simples citoyens et une méfiance à l’égard des
magistrats de robe. Peut-être que cette double méfiance qui semble de tous temps, assurera
l’avenir d’une coopération entre professionnels et laïcs et gardera la justice en balance ? A la
lumière de cette constatation, notre proposition ne constitue bien évidemment qu’une
première piste de réflexion, un point de départ. L’élaboration concrète d’un tel modèle reste à
déterminer, à développer et à affiner en fonction des besoins propres aux différents pays et
des enseignements issus de la pratique.

3711
F. ROME, « Rapports à gogo », D. 2008, p. 1881.

632
BIBLIOGRAPHIE

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Criminal Cases Review Commission ex p Hamza [2006] Crim. L.R. (2007) 320, note D.
Pearson [2000] 1 Cr. App. R. 141 ORMEROD
Cristini [1987] Crim. L.R. 504 Hanson [2002] J.Crim.L. 6-11
Crosdale v R [1995] 1 W.L.R. 864. Hanson [2005] EWCA Crim 824
Cunningham [2003] EWCA Crim 1769 Hardy [2004] 2 Cr. App. R. (S) 48
D, Potter et Heppenstall [2007] EWCA Crim Harrington [1976] 64 Cr. App. R. 1
2485 Hart [1998] Crim. L.R. 417, comm. J.C.S.
Daniels [2008] EWCA Crim 498 Hazell [1985] Crim. L.R. 513
Danvers [1982] Crim. L.R. 680 Hazeltine [1967] 2 Q.B. 857
Davinder Singh Bhogal [1985] 81 Cr. App. R. Head & Warrener [1961] 45 Cr. App. R. 225
45 Hembling [2005] Crim. L.R. 586, comm. D.C.
Davis [2001] 1 Cr. App. R. 115 ORMEROD
Davis [2008] 1 A.C. 1128 Hendry [1988] 88 Cr. App. R. 187
Day [2003] EWCA Crim 1060 Hepworth [1910] 4 Cr. App. R. 128
De Haan [1968] 2 Q.B. 108 Hepworth & Fearnley [1955] 39 Cr. App. R.
Derek William Bentley [2001] 1 Cr. App. R. 152
21 Herbert [1991] 94 Cr. App. R. 230
Diedrich [1997] Crim. L. R. 58 Highton [2005] 1 W.L.R. 3472, Lord Woolf
Donoghue [1987] 86 Cr. App. R. 267 Hill & Hall [1989] Crim. L.R. 136, comm.
Doosti [1986] 82 Cr. App. R. 181 J.C.S.
Dosetter [1998] Crim. L.R. 16 Hircock [1969] 53 Cr. App. R. 51
Dover Justices ex p Pamment [1994] Crim. Hollington & Emmens [1985] 7 Cr. App. R.
L.R. 471 (S) 364
Dpp v Stonehouse [1978] A.C. 55 Hollyman [1979] Crim. L.R. 60
Duffin [2003] EWCA Crim 3064 Hood [1968] 52 Cr. App. R. 265
Duffy [2006] EWCA Crim 205 Hopper [1915] 2 KB 431
Dunlop [2006] EWCA Crim 1354 Horncastle et d’autres [2009] EWCA Crim
Edwards [2004] EWCA Crim 2102 964 et 2010, 2 W.L.R. 47
El Faisal [2004] EWCA Crim 456 Hoult [1990] Crim. L.R. 664, comm. X
Ellis [1973] 57 Cr. App. R. 571 Howell [2003] EWCA Crim 01
Ellis v Deheer [1922] 2 K.B. 113 Howells [1998] Crim. L.R. 836
Ely [2005] ECWA Crim 3248 Hussain [2002] Crim. L.R. 327, comm. D.A.
Essa [2009] EWCA Crim 43 THOMAS
Evans [1990] 91 Cr. App. R. 173 Jackson [1966] 50 Cr. App. R. 127
F [2009] EWCA Crim 805 Jackson [1992] Crim. L.R. 214
Fairbanks [1986] 1 W.L.R. 1202 Jalil [2009] Crim. L.R. 443, obs. N.W.
Farr [1999] Crim. L.R. 506, comm. D.C.O TAYLOR
Fearon [1996] Crim. L.R. 212, comm. X Jeneson [2005] EWCA Crim 1984
Ford [1989] 89 Cr. App. R. 278 Jobe [2004] EWCA Crim 3155
Foster [2008] 1 W.L.R. 1615 Jones [1999] Times 17 févr. 1999
Fraser [1982] 4 Cr. App. R. 254 Kalu [2007] EWCA Crim 22
Frazer [1987] Crim. L.R. 418. Karakaya [2005] Crim. L.R. 574, note D.
Galbraith [1981] 73 Cr. App. R. 124 TAUSZ et N.W. TAYLOR
Gilbert [1978] 66 Cr. App. R. 237 Karim [2005] EWCA Crim 533
Gisbourne [2005] Crim. L.R. (2006) 363-364, Kearley [1992] 2 A.C. 228
comm. D.A. THOMAS Keeton [1995] 2 Cr. App. R. 241
Goodson [1975] 1 W.L.R. 549 Kelly [2002] 1 Cr. App. R. 11
Goodway [1993] 4 All E.R. 894 Kelly [2007] EWCA Crim 1715
Goodyear [2005] Crim.L.R 659 Kent justices ex p Machin [1952] 2 Q.B. 355
Gordon [2002] EWCA Crim 1 Khan [2008] Crim. L.R. 641, comm. N.
Gorman [1987] 2 All E.R. 435 TAYLOR
Gough [1993] A.C. 646 Kray [1969, 53 Cr. App. R. 412
Grafton [1993] Q.B. 101 Kumar [2005] EWCA Crim 1979, comm. D.C.
Grealish et autres [2006] EWCA Crim 1095 ORMEROD
Grice [1977] 66 Cr. App. R. 167 L [1999] Crim. L.R. 489
Hambery [1977] Q.B. 924 L & F [2004] EWCA Crim 1414

680
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Lamb [1974] 59 Cr. App. R. 196 Momodou et d’autres [2005] J.Crim.L. 19,
Lambert [2006] Crim. L.R. 995, comm. A.J. comm. L. McGOWAN
ROBERTS Montgomery v HM Advocate [2001] 2 W.L.R.
Larkin [1943] 29 Cr. App. R. 18 779
Last [2005] 2 Cr. App.R. (S) 64 Morris [1988] 10 Cr. App. R. 216
Law [1961] Crim. L.R. 52 Morris [1991] 93 Cr. App. R. 102
Lawrence [1982] A.C. 510 Morrison [2009] EWCA Crim 1457
Lawson [2007] 1 Cr. App. R. 277 Moustakim [2008] EWCA Crim 3096
Lawson [1998] Crim. L.R. 883, comm. D.J.B. Mullen [2000] 2 Cr. App. R. 143
Lee [1985] Crim. L.R. 798 Fazham & Fazham [2004] EWCA Crim 491
Leer [1982] Crim. L.R. 310, comm. D.J.B. Forth Essex Justices ex p Lloyd [2001] Crim.
Ley [2007] 1 Cr. App. R. 325 L.R. 145
Livesey [2007] 1 Cr. App. R. 35 Forth Sefton Magistrates’ Court ex p Marsh
Llewellyn [1978, 67 Cr. App. R. 149 [1995] 16 Cr. App. R. (S) 401
Lowe [1977] 66 Cr. App. R. 122 Forthampton Magistrates’ Court ex p
Lucas [1981] 2 All E.R. 1008 Commissionners of Customs and Excise
Makanjuola [1995] 3 All E.R. 730 [1994] Crim. L.R. 598
Malinina [200] EWCA Crim 3228 Forwich Magistrates’ Court ex p v Elliot
Manchester Magistrates’ Court ex p [2000] 1 Cr. App. R. 152
Kaymanesh [1994] Crim. L.R. 401 Fottingham Magistrates’ Court ex p Davidson
Maloney [1996] 2 Cr. App. R. 303 [2000] 1 Cr. App. R. (S) 167
March [2002] Crim. L.R. 509 O’Donnell [1917] 12 Cr. App. R. 219
Marr [1989] 90 Cr. App. R. 154 Okee & West [1998] Cr. App. R. 199
Marshall [2007] EWCA Crim 35 Okinikan [1993] 14 Cr. App. R. (S) 453
Marshall & Crump [2007] Crim. L.R. 562, Onufrejzk [1955] 1 All E.R. 247
note N.W. TAYLOR Oosthuizen [2006] Crim. L.R. 979, obs. D.A.
Martin [1973] 57 Cr. App. R. 279 THOMAS
Martin [2006] EWCA Crim 1035 Orpin [1974] 59 Cr. App. R. 231
Mason [1981] Q.B. 881 Osman [1996] 1 Cr. App. R. 126
Maxwell [1990] 1 W.L.R. 401 Patel [2009] EWCA Crim 1161
McCalla [1986] Crim. L.R. 335 Pattenson & Exley [1996] 1 Cr. App. R. 51
McCann [1991] 92 Cr. App. R. 239 Payton [2006] Crim. L.R. 997, comm. A.J.
McClean ex p Metropolitan Police ROBERTS
Commissionner [1975] Crim. L.R. 289 Pennington [1985] 81 Cr. App. R. 217
McCluskey [1993] 98 Cr. App. R. 216 Pico [1971] Crim. L.R. 599
McDonald [2007] Crim. L.R. 737, comm. D. Pigg [1983] 1 All E.R. 56
THOMAS Pitman [1991] 1 All E.R. 468
McGreevy v DPP [1973] 1 W.L.R. 276 Poole [2003] Crim. L.R. 60, note G.
McIlkenny [1992] 93 Cr. App. R. 287 UNDERHILL et D.C. ORMEROD
McKenna [1960] 1 Q.B. 411 Power [1919] 14 Cr. App. R. 17
McKechnie [1992] 94 Cr. App. R 51 Prime [1973] 57 Cr. App. R. 632
McKeown [2004] EWCA Crim 461 Quinn [1983] Crim. L.R. 475
McVey [1988] Crim. L.R. 127 R (C) v Balham youth court [2004] 1 Cr. App.
Mears v R [1993] 1 W.L.R. 818 R. (S) 22
Mendy [1992] Crim. L.R. 313 R (CPS) v Redbridge youth court [2005] 169
Miell [2008] 1 W.L.R. 627 JP 393
Miller v Minister of Pensions [1947] 2 All R. (D) v Camberwell Green youth court [2005]
E.R. 372 1 W.L.R. 393
Mills [2003] Crim. L.R. 896, comm. D.A.T. R (Dowsett) c. CCRC [2007] EWCA Crim
Mirza & Connor [2004] Crim. L.R. 921, note 1923
D.C. ORMEROD et R. PERCIVAL et Crim. R (H) v Southampton youth court [2005] 2 Cr.
L.R. 1041, note C. BARSBY et A.J. App. R. (S) 30
ASHWORTH R (Malik) v Central Criminal Court [2007] 1
Mitchell [1994] Crim. L.R. 66 W.L.R. 2455
Mitchell v R [1998] 2 Cr. App. R. 35 R (P) v West London youth court [2006] 1 Cr.
App. R. 25

681
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

R (Tullet) v Medway magistrates’ court [2003] Stockwell [1993] 97 Cr. App. R. 260.
167 JP 541 Stone [2001] Crim. L.R. 465, note D.C.
R (W) v Brent youth court [2006] JP 198 ORMEROD et T. REES
Radak [1999] 1 Cr. App. R. 187 Sukadeve Singh [2006] 2 Cr. App. R. 12
Rafferty [1998] Crim. L.R. 433, comm. X Summers [1952] 36 Cr. App. R. 14
Raviraj [1987] 85 Cr. App. R. 93 Sutton [1969] 53 Cr. App. R. 504
Re Medicaments and Related Classes of Swain [1986] Crim. L.R. 480
Goods [2001] 1 W.L.R. 700 Sykes [1957] Cr. App. R. 688
Reynolds [2008] 1 W.L.R. 1075 T [2009] Crim. L.R. (2010) 82, obs. N.W.
Richardson [1979] 1 W.L.R. 1316 TAYLOR
Roberts [1984] 80 Cr. App. R. 89 T v DPP, Forth East Press Ltd [2004] 168 JP
Robin [2002] EWCA Crim 551 194
Rose [1982] 1 W.L.R. 614 Taylor [1994] 98 Cr. App. R. 361
Russel-Jones [1995] 1 Cr. App. R. 538 Taylor [2006] Crim. L.R. 639, note D.C.
Ryan [1977] 67 Cr. App. R. 177 ORMEROD
S [2009] EWCA Crim 104 Teeluck [2005] UKPC 14
Sang [1979] 69 Cr. App. R. 282 Tharakan [1995] 2 Cr. App. R. 368
Schofield [1993] Crim. L.R. 217 Thomas [1983] Crim. L.R. 745, comm. D.J.B.
Secretary of State for the Home Department ex Thomas et d’autres [1989] 88 Cr. App. R. 370
p Khawaja [1984] A.C. 74 Thompson [1962] 1 All E.R. 65
Sed [2005] 1 Cr. App. R. 4 Thompson [2004] EWCA Crim. 3377
Seddon [2008] 2 Cr. App. R. (S) 174 Togher [2001] 1 Cr. App. R. 457
Sehitoglu & Ozakan [1998] 1 Cr. App. R. (S) Trickett et Trickett [1991] Crim. L.R. 59
89 Turnbull [1976] 63 Cr. App. R. 132
Sellick [2005] Crim. L.R. 722, note S. LEAKE Turner [1970] 54 Cr. App. R. 352, 360
et D.C. ORMEROD Van Dongen [2005] 2 Cr. App. R. 632
Sharkey & Daniels [1995] 16 Cr. App. R. 257 Vickers [1975] 61 Cr. App. R. 48
Sheffield Crown Court ex p Brownlow [1980] Vye [1993] 1 W.L.R. 471
3 All. E.R. 444 W. [2009] EWCA Crim 476
Sheffield magistrates’ Court ex p Ojo [2001] Walhein [1952] 36 Cr. App. R. 167
Crim. L.R. 43 Wang [2005] Crim. L.R. 645, comm. C.P.
Sheppard [1773] 1 Leach 101 WALKER
Shields [1997] Crim. L.R. 758, comm. D.J.B. Ward v James [1966] 1 All E.R. 563
Sivan [1988] 10 Cr. App. R. (S) 282 Watmore [1998] 2 Cr. App. R. 46
Skilton & Blackham [1982] Crim. L.R. 123 Watson [1988] Q.B. 960
Slater [1995] 1 Cr. App. R. 584 Weaver [1967] 51 Cr. App. R. 77
Smith [1986] 85 Cr. App. R. 197 West [1996] 2 Cr. App. R. 374
Smith [2003] Crim. L.R. 634, note D. TAUSZ Williams [1997] 2 Cr. App. R. 221
et D.C. ORMEROD et 1 W.L.R. 2229 Williams v Beesly [1973] 3 All E.R. 144
Smith & Mercieca [2005] Crim. L.R. 476, note Wilson [1984] A.C. 242
N.W. TAYLOR et T. REES Wilson [1991] Crim. L.R. 838, comm. J.C.S.
Soanes [1948] 32 Cr. App. R. 136 Wirral Borough Magistrates’ Court and CPS
South Hampton Magistrates’ Court ex p [2005] EWHC 3166
Sansome [1999] 1 Cr. App. R. (S) 112 Wirral Magistrates’ Court ex p Jermyn [2001]
South Ribble Magistrates ex p Cochrane Crim. L.R. 45, comm. X
[1996] 2 Cr. App. R. 544 Wood [1996] 1 Cr. App. R. 207
Sparks [1964] A.C. 964 Wood & Fitzsimmons [1998] Crim. L.R. 213
Spencer [1987] A.C. 128 Woolmington v DPP [1935] A.C. 462
Springfield [1969] 53 Cr. App. R. 608 Wootton [1990] Crim. L.R. 201
Stabler [1984] 6 Cr. App. R. 129 Wright [2000] Crim. L.R. 510, comm. J.C.S.
Stafford & Luvaglio [1968] 53 Cr. App. R. 1 Yam [2008] EWCA Crim 269
Stevens [2006] All E.R. 23 Yap Chuan Ching [1976] 63 Cr. App. R. 7
Stephens [2002] EWCA Crim 1529 Yemoh [2009] EWCA Crim 930
Stewart [1996] 1 Cr. App. R. 229 Young [1995] Q.B. 324
Stirland v DPP [1944] A.C. 315

682
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

BELGIQUE

Cass. 23 déc. 1831, Pas. 1831, p. 341 Cass. 19 janv. 1982, Pas. 1982, I, p. 608
Cass. 24 mars 1832, Pas. 1832, p. 92 Cass. 9 juin 1982, Pas. 1982, I, p. 1166
Cass. 8 janv. 1844, Pas. 1844, I, p. 107 Cass. 21 sept. 1983, Arr.Cass. 1983-84, p. 63
Cass. 24 nov. 1947, Pas. 1947, I, p. 499 et Cass. 1er févr. 1984, Pas. 1984, I, p. 616 et RW
RDPC 1947-48, p. 384 1984-85, p. 1250, note
Cass. 11 déc. 1848, Pas. 1849, p. 47 Cass. 16 oct 1984, Pas. 1985, I, p. 243
Cass. 7 avr. 1849, Pas. 1849, p. 181 Cass. 11 déc. 1984, Pas. 1985, I, p. 452
Cass. 7 mai 1850, Pas. 1850, p. 399 Cass. 18 juill. 1985, Pas. 1985, I, p. 141
Cass. 12 mai 1851, Pas. 1851, p. 381 Cass. 6 nov. 1985, Pas. 1986, I, p. 263
Cass. 25 janv. 1864, Pas. 1864, p. 37 Cass. 12 nov. 1985, Pas. 1986, p. 283 et RW
Cass. 23 sept. 1864, Pas. 1865, I, p. 358 1985-86, p. 2549, note A. VANDEPLAS
Cass. 26 oct. 1868, Pas. 1869, I, p. 224 Cass. 4 févr. 1986, Pas. 1986, I, p. 677 et RW
Cass. 19 juin 1884, Pas. 1884, p. 238 1986-87, p. 583, note A. VANDEPLAS
Cass. 25 sept. 1899, Pas. 1899, I, p. 356 Cass. 26 févr. 1986, Pas. 1986, I, p. 805
Cass. 25 mars 1901, Pas. 1901, I, p. 179 Cass. 11 mars 1986, Pas. 1986, I, p. 871
Cass. 25 avr. 1910, Pas. 1910, I, p. 240 Cass. 9 avr. 1986, Pas. 1986, I, p. 961 et
Cass. 2 mai 1910, Pas. 1910, I, p. 220 RDPC 1986, p. 712
Cass. 20 mai 1913, Pas. 1913, I, p. 254 Cass. 27 mai 1986, Pas. 1986, I, p. 1175
Cass. 6 avr. 1914, Pas. 1914, I, p. 171 Cass. 25 nov. 1986, Pas. 1987, I, p. 381
Cass. 3 avr. 1916, Pas. 1917, p. 75 Cass. 10 févr. 1987, Pas. 1987, I, p. 689
Cass. 4 nov. 1929, Pas. 1930, I, p. 15 Cass. 18 févr. 1987, JT 1987, 233 et Pas.
Cass. 20 juin 1934, Pas. 1934, I, p. 329 1987, I, p. 721
Cass. 31 déc. 1935, Pas. 1935, I, p. 105 Cass. 25 févr. 1987, RDPC 1987, p. 694, note
Cass. 16 oct. 1939, Pas. 1939, I, p. 418 J.S.
Cass. 17 déc. 1945, Pas. 1945, I, p. 290 Cass. 4 mars 1987, Pas. 1987, I, p. 807
Cass. 24 nov. 1947, Pas. 1947, I, p. 499 et Cass. 4 mars 1987, Pas. 1987, I, p. 798 et
RDPC 1947-48, p. 384 RDPC 1987, p. 701
Cass. 15 nov. 1948, Pas. 1948, I, p. 635 Cass. 19 mai 1987, Pas. 1987, I, p. 1148
Cass. 13 févr. 1950, Pas. 195, I, p. 406 Cass. 30 sept. 1987, Pas. 1988, I, p. 134
Cass. 3 nov. 1952, Pas. 1953, I, p. 129 Cass. 10 févr. 1988, Pas. 1988, p. 687 et
Cass. 1er déc. 1958, Pas. 1959, I, p. 328 RDPC 1988, p. 693
Cass. 1er déc. 1958, Arr.Cass. 1958-59, p. 327 Cass. 2 mars 1988, Pas. 1988, I, p. 794 et
Cass. 14 mars 1960, Pas. 1960, I, p. 829 RDPC 1988, p. 807
Cass. 7 oct. 1963, RW 1963-64, p. 1651 Cass. 22 juill. 1988, Pas. 1988, I, p. 1343, avis
Cass. 23 août 1965, Pas. 1965, I, p. 1201 DECLERCQ et RDPC 1988, p. 1088, note
Cass. 17 oct. 1966, Pas. 1966, I, p. 227 Cass. 16 nov. 1988, Pas. 1989, I, p. 280 et
Cass. 6 févr. 1967, Pas. 1967, I, p. 690 RDPC 1989, p. 209
Cass. 9 oct. 1967, Pas. 1968, I, p. 186 Cass. 7 mars 1989, Limb.Rechtsl. 1989, p. 121
Cass. 9 oct. 1967, Pas. 1968, I, p. 189 Cass. 26 avr. 1989, JLMB 1989, p. 970, note
Cass. 19 janv. 1970, Arr.Cass. 1970, p. 450 P.H. et RDPC 1989, p. 769, note
Cass. 26 janv. 1970, Pas. 1970, I, p. 442 Cass. 31 mai 1989, Pas. 1989, I, p. 1038 et
Cass. 4 janv. 1971, Arr.Cass. 1971, p. 426 RW 1989-90, p. 1250, note A. VANDEPLAS
Cass. 12 juin 1973, Pas. 1973, I, p. 948 Cass. 13 juin 1989, Pas. 1989, I, p. 1104 et
Cass. 9 oct. 1973, Pas. 1974, I, p. 145 RW 1989-90, p. 231, note L. ARNOU
Cass. 17 févr. 1976, Pas. 1976, I, p. 676 Cass. 3 oct. 1989, Pas. 1990, I, p. 137
Cass. 21 sept. 1976, Pas. 1977, I, p. 78 Cass. 17 janv. 1990, JLMB 1990, 412, note F.
Cass. 14 févr. 1977, Arr.Cass. 1977, p. 657 JONGEN et Journ.proc. 1990, p. 33, note M.
Cass. 2 mai 1978, Pas. 1978, I, p. 997 HANOTIAU
Cass. 21 févr. 1979, Pas. 1979, I, p. 750 Cass. 20 févr. 1990, Pas. 1990, I, p. 709
Cass. 27 nov. 1979, RW 1979-80, p. 2965, Cass. 28 févr. 1990, Pas. 1990, I, p. 760 et
note RDPC 1990, p. 684, note J.S.
Cass. 7 avr. 1981, Pas. 1981, I, p. 863 Cass. 22 mai 1990, Pas. 1990, I, p. 1077
Cass. 8 avr. 1981, Pas. 1981, I, p. 874

683
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Cass. 13 juin 1990, RDPC 1990, p. 1020, note Cass. 13 juill. 1998, Arr.Cass. 1998, p. 793
et RW 1990-91, p. 1232, note C. D’HAESE Cass. 8 sept. 1998, Arr.Cass. 1998, p. 871
Cass. 19 juin 1991, Pas. 1991, I, p. 915 Cass. 1er oct. 1998, Arr.Cass. 1998, p. 933
Cass. 20 août 1991, Pas. 1991, I, p. 951 et RW Cass. 16 févr. 1999, RDPC 1999, p. 1181
1991-92, p. 847, note A. VANDEPLAS Cass. 27 avr. 1999, R.Cass. 2000, p. 121, note
Cass. 4 févr. 1992, Pas. 1992, I, p. 491 P. TRAEST, RDPC 2000, p. 359 et T.Strafr.
Cass. 5 mai 1992, Pas. 1992, I, p. 782 2001, p. 118, note F. VERBRUGGEN
Cass. 30 sept. 1992, Pas. 1992, p. 1098 et Cass. 28 avr. 1999, Arr.Cass. 1999, p. 586
RDPC 1993, p. 94 Cass. 11 mai 1999, Arr.Cass. 1999, p. 652
Cass. 10 nov. 1992, Pas. 1992, I, p. 1247 Cass. 7 déc. 1999, Arr.Cass. 1999, p. 1592
Cass. 4 mai 1993, Pas. 1993, p. 429 et RW Cass. 12 janv. 2000, Arr.Cass. 2000, p. 86
1993-94, note A. VANDEPLAS Cass. 14 juin 2000, RW 2000-01, p. 1306, note
Cass. 5 mai 1993, Pas. 1993, I, p. 434 A. VANDEPLAS, RDPC 2001, p. 128 et
Cass. 19 juill. 1993, RW 1993-94, p. 820, note T.Strafr. 2001, p. 84
A. VANDEPLAS Cass. 5 sept. 2000, T.Strafr. 2001, p. 86
Cass. 29 sept. 1993, Pas. 1993, I, p. 768 Cass. 13 déc. 2000, JT 2001, p. 358
Cass. 1er mars 1994, RW 1994-95, p. 123, note Cass. 9 janv. 2001, Pas. 2001, p. 49
Cass. 1er mars 1994, Pas. 1994, I, p. 220 et RW Cass. 30 janv. 2001, Pas. 2001, p. 192
1994-95, p. 534, note A. VANDEPLAS Cass. 21 févr. 2001, Pas. 2001, p. 345
Cass. 11 mai 1994, Pas. 1994, I, p. 461 et RW Cass. 14 mars 2001, Pas. 2001, p. 131
1994-95, p. 636, note A. VANDEPLAS Cass. 14 mars 2001, Pas. 2001, p. 404
Cass. 7 juin 1994, Pas. 1994, I, p. 566 Cass. 28 mars 2001, Pas. 2001, I, p. 510 et
Cass. 15 juin 1994, Pas. 1994, p. 599 et RDPC RDPC 2001, p. 1000
1995, p. 266 Cass. 28 mars 2001, Pas. 2001, I, p. 511 et
Cass. 7 sept. 1994, Pas. 1994, I, p. 693 RDPC 2001, p. 1002
Cass. 1er févr. 1995, Pas. 1995, p. 117 et RW Cass. 29 mars 2001, Pas. 2001, p. 511 et
1996-97, p 741, note A. VANDEPLAS RDPC 2001, p. 1002
Cass. 22 mars 1995, Pas. 1995, p. 342 et Cass. 4 avr. 2001, Journ.proc. 2001, p. 27,
R.Cass. 1995, p. 278, note F. D’HONDT note F. KUTY et Pas. 2001, p. 598, concl.
Cass. 30 mai 1995, Pas. 1995, I, p. 563 LOOP
Cass. 31 mai 1995, Pas. 1995, I, p. 567 et Cass. 24 avr. 2001, Pas. 2001, p. 683 et RW
R.Cass. 1996, p. 97, note F. D’HONT 2001-02, p. 1572
Cass. 21 juin 1995, Pas. 1995, I, p. 672 Cass. 16 mai 2001, Pas. 2001, p. 881
Cass. 22 août 1995, Pas. 1995, I, p. 736 et Cass. 13 juin 2001, RDPC 2002, p. 104, concl.
RDPC 1996, p. 424 DU JARDIN
Cass. 2 nov. 1995, RDPC 1996, p. 240 Cass. 9 janv. 2002, JT 2002 (verkort), p. 366,
Cass. 6 févr. 1996, Pas. 1996, I, p. 171 note O. KLEES et RDPC 2002, p. 684
Cass. 5 avr. 1996, Pas. 1996, I, p. 283 Cass. 13 févr. 2002, Pas. 2002, p. 419
Cass. 17 avr. 1996, Pas. 1996, I, p. 349 et Cass. 27 févr. 2002, Pas. 2002, p. 601
RDPC 1997, p. 214 Cass. 11 juin 2002, Pas. 2002, p. 1332 et RW
Cass. 8 mai 1996, JLMB 1996, p. 1285 et Pas. 2002-03, p. 706, note A. VANDEPLAS
1996, I, p. 444 Cass. 23 juill. 2002, Pas. 2002, p. 1509
Cass. 15 mai 1996, Pas. 1996, I, p. 487 Cass. 10 sept. 2002, Pas. 2002, p. 1597
Cass. 25 juin 1996, Pas. 1996, I, p. 692 Cass. 2 oct. 2002, Pas. 2002, p. 1822
Cass. 27 août 1996, Pas. 1996, I, p. 745 et RW Cass. 1er juill. 2003, Pas. 2003, p. 1310
1996-97, p. 1394, note A. VANDEPLAS Cass. 23 sept. 2003, Pas. 2003, p. 1453, RW
Cass. 11 sept. 1996, Pas. 1996, I, p. 786 2004-05, p. 63, note A. VANDEPLAS
Cass. 7 janv. 1997, Pas. 1997, I, p. 34 Cass. 17 déc. 2003, Pas. 2003, p. 2037
Cass. 28 janv. 1997, Pas. 1997, I, p. 120 Cass. 17 déc. 2003, Pas. 2003, p. 2040
Cass. 17 juin 1997, Pas. 1997, I, p. 686 Cass. 13 janv. 2004, Pas. 2004, p. 73 et RW
Cass. 16 déc. 1997, Pas. 1997, I, p. 1460 2004-05, p. 741, note S. VANDROMME
Cass. 10 févr. 1998, RW 1999-00, p. 537, note Cass. 20 janv. 2004, Pas. 2004, p. 119
A. VANDEPLAS Cass. 28 janv. 2004, Pas. 2004, p. 180 et
Cass. 12 mai 1998, Arr.Cass. 1998, p. 536 RDPC 2004, p. 938
Cass. 26 mai 1998, P&B 1998, p. 300, note H. Cass. 3 mars 2004, Pas. 2004, p. 359
VAN BAVEL

684
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Cass. 17 mars 2004, JT 2004, p. 475, concl. Cass. 19 févr. 2008, Pas. 2008, p. 483 et
M.P. et RDPC 2004, p. 953, concl. J. T.Strafr. 2008, p. 459, note
SPREUTELS Cass. 9 avril 2008, JT 2008, p. 403, note J.
Cass. 21 avr. 2004, JT 2004, p. 520, note et VAN MEERBEECK et T.Strafr. 2008, p. 215,
Pas. 2004, p. 683 note
Cass. 16 juin 2004, JLMB 2004, p. 1137, Cass. 17 juin 2008, FC 2008, p. 284, concl. M.
RDPC 2005, p. 106 et T.Strafr. 2005, p. 277, DE SWAEF et RABG 2009, p. 14, note D.
note S. VANDROMME VAN DER KELEN et L. GYSELAERS
Cass. 14 sept. 2004, Pas. 2004, p. 1332 Cass. 8 oct. 2008, JLMB 2009, p. 636, note O.
Cass. 6 oct. 2004, Pas. 2004, n° 462 MICHIELS et RDPC 2009, p. 88, concl. LOOP
Cass. 7 déc. 2004, RDPC 2005, p. 1265, note Cass. 27 janv. 2009, FC 2009, p. 202 et RW
G. ROSOUX 2008-09, 1262, note E. DE BOCK
Cass. 15 déc. 2004, JT 2004, p. 4, note, FC Cass. 11 févr. 2009, JLMB 2009, p. 886, note
2006, p. 44, concl. M.P. et RDPC 2005, p. et RDPC 2009, p. 728, concl. D.
331, concl. R. LOOP VANDERMEERSCH
Cass. 9 août 2005, Pas. 2005, p. 1512 Cass. 17 févr. 2009, JLMB 2009, p. 889
Cass. 6 sept. 2005, T.Strafr. 2006, p. 129, note Cass. RG P.09.0006.N, 10 mars 2009
T. DECAIGNY Cass. 6 mai 2009, RDPC 2009, p. 945
Cass. 13 sept. 2005, RDPC 2006, p. 574 Cass. 10 juin 2009, JLMB 2009, p. 1394, note
Cass. 11 oct. 2005, Pas. 2005, p. 1898 et RW A. JACOBS
2007-08, p. 1238, note A. VANDEPLAS Cass. 10 juin 2009, JT 2009, p. 431, concl. D.
Cass. 7 déc. 2005, Pas. 2005, p. 2439 en RW VANDERMEERSCH
2008-09, p. 360, note A. VANDEPLAS Cass. RG P.09.0498.N, 23 juin 2009
Cass. 18 janv. 2006, FC 2007, p. 367 et Pas. Cass. 30 sept. 2009, JLMB 2009, p. 1640 et JT
2006, p. 181 2009, p. 691, note J. VAN MEERBEECK
Cass. 21 mars 2006, FC 2006, p. 206 et Pas. Cass. RG P.09.1005.F, 14 oct.2009
2006, p. 658 Cass. RG P.09.0903.N, 17 nov. 2009
Cass. 11 oct. 2006, Pas. 2006, p. 2026 et Cass. RG P.09.1697.F, 10 févr. 2010
RDPC 2007, p. 249 Cass. RG P.10.0262.F, 3 mars 2010
Cass. 31 oct. 2006, T.Strafr. 2007, p. 48, Cass. RG P.09.1741.F, 17 mars 2010
concl. M. TIMPERMAN Cass. RG P.10.0284.F, 24 mars 2010
Cass. 15 nov. 2006, Pas. 2006, p. 2343 et Cass. RG P.10.0119.N, 27 avr. 2010
RDPC 2007, p. 504, note X
Cass. 31 oct. 2006, Pas. 2006, p. 2226 Cour ass. Namur 6 oct. 1986, Journ.proc.
Cass. 9 janv. 2007, Pas. 2007, p. 49 1986, n° 94, p. 31
Cass. 30 janv. 2007, FC 2008, p. 64 et Cour ass. Brabant 12 nov. 1990, RDPC 1991,
T.Strafr. 2007, p. 313, note p. 282, note J.P.S.
Cass. 13 févr. 2007, T.Strafr. 2007, p. 315, Cour ass. Brabant 8 févr. 1993, RDPC 1993,
note p. 689
Cass. 19 avr. 2007, RW 2006-07, p. 1721, note Cour ass. Brabant 19 avr. 1993, RDPC 1993,
G. MAES et T.Strafr. 2007, p. 376, note P. DE p. 912, note
HERT et J. MILLEN Cour ass. Luxembourg 19 oct. 2009, JLMB
Cass. 19 sept. 2007, RDPC 2008, p. 284 2009, p. 1736
Cass. 10 oct. 2007, RDPC 2008, p. 150
Cass. 19 févr. 2008, FJW 2008, p. 179, p. 256,
note E. BREWAEYS, Pas. 2008, p. 480,
T.Strafr. 2008, p. 110, note

FRACE

Crim. 29 oct. 1812, S. 1813, I, p. 242 Crim. 15 juin 1827, Bull. crim. 146
Crim. 4 sept. 1813, Bull. crim. 199 Crim. 13 oct. 1832, Bull. crim. 414
Crim. 24 déc. 1813, Bull. crim. 261 Crim. 25 juin 1840, Bull. crim. 187
Crim. 17 août 1821, Bull. crim. 155 Crim. 18 nov. 1841, Bull. crim. 328
Crim. 24 sept. 1825, Bull. crim. 192 Ch. réunies 25 nov. 1841, S. 1842, 1, p. 93
Crim. 7 oct. 1825, Bull. crim. 199 Crim. 19 mai 1842, Bull. crim. 124

685
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Crim. 26 août 1842, Bull. crim. 221 Crim. 20 mars 1956, D. 1957, p. 33, note L.
Crim. 14 juill. 1853, Bull. crim. 359 HUGUENEY
Crim. 18 janv. 1855, Bull. crim. 13 Crim. 21 mars 1957, Bull. crim. 281
Crim. 3 nov. 1855, D. 1855, p. 442 Crim. 4 mars 1958, Bull. crim. 208
Crim. 29 août 1863, Bull. crim. 238 Crim. 4 nov. 1958, Bull. crim. 663
Crim. 28 mai 1868, Bull. crim. 137 Crim. 17 juin 1959, Bull. crim. 317
Crim. 10 févr. 1870, Bull. crim. 34 Crim. 16 déc. 1959, Bull. crim. 557
Crim. 2 août 1872, Bull. crim. 203 Crim. 8 janv. 1960, D. 1960, somm. p. 42
Crim. 16 janv. 1873, Bull. crim. 14 Crim. 21 janv. 1960, Bull. crim. 38
Crim. 17 avr. 1874, Bull. crim. 118 Crim. 16 nov. 1960, Bull. crim. 525
Crim. 14 déc. 1877, Bull. crim. 260 Crim. 14 févr. 1961, Bull. crim. 90
Crim. 8 déc. 1881, Bull. crim. 256 Crim. 27 avr. 1962, Bull. crim. 101
Crim. 22 mars 1883, Bull. crim. 80 Crim. 29 juill. 1963, Bull. crim. 268
Crim. 1er juin 1883, Bull. crim. 134 Crim. 6 févr. 1964, Bull. crim. 44
Crim. 29 juill. 1886, Bull. crim. 279 Crim. 1er févr. 1966, Bull. crim. 28
Crim. 21 sept. 1893, Bull. crim. 264 Crim. 19 juill. 1966, Bull. crim. 203
Crim. 14 déc. 1895, Bull. crim. 331 Crim. 7 déc. 1966, Bull. crim. 282
Crim. 19 mars 1896, Bull. crim. 107 Crim. 28 févr. 1967, Bull. crim. 79
Crim. 19 févr. 1897, Bull. crim. 66 Crim. 5 oct. 1967, Bull. crim. 241
Crim. 2 avr. 1898, Bull. crim. 144 Crim. 8 nov. 1967, Bull. crim. 287
Crim. 27 août 1903, Bull. crim. 323 Crim. 19 déc. 1967, Bull. crim. 333
Crim. 18 juill. 1907, Bull. crim. 331 Crim. 20 déc. 1967, Bull. crim. 337 et RSC
Crim. 31 juill. 1909, D. 1912, I, p. 79 1968, p. 653, obs. J. ROBERT
Crim. 23 juin 1910, Bull. crim. 329 Crim. 25 avr. 1968, Bull. crim. 123
Crim. 22 juill. 1910, S. 1914, I, p. 49, note J.A. Crim. 3 oct. 1968, JCP 1970, II, n° 16272,
ROUX obs. Ph. ROBERT
Crim. 29 août 1912, Bull, crim. 468 Crim. 29 oct. 1968, JCP 1969, II, n° 16014,
Crim. 21 juin 1923, Bull. crim. 240 obs. M.C. FAYARD
Crim. 11 sept. 1924, S. 1925, I, p. 92 Crim. 21 nov. 1968, Bull. crim. 314
Crim. 28 août 1926, Bull. crim. 223 Crim. 19 mars 1969, JCP G 1970, II, n°
Crim. 14 mai 1927, Bull. crim. 114 16327, obs. Ph. ROBERT
Crim. 13 févr. 1932, Bull. crim. 38 Crim. 25 févr. 1969, Bull. crim. 95
Crim. 15 juin 1933, Bull. crim. 127 Crim. 4 juin 1969, Bull. crim. 187
Crim. 23 mars 1939, Bull. crim. 63 Crim. 13 nov. 1969, Bull. crim. 298
Crim. 3 déc. 1943, D. 1943, p. 24, note P. Crim. 12 mai 1970, Bull. crim. 158 et D. 1970,
MIMIN et JCP 1943, n° 2159, obs. J. p. 515-520, note F. CHAPAR
BROUCHOT Crim. 1er déc. 1971, JCP 1972, II, n° 16987,
Crim. 24 mars 1944, Bull. crim. 84 obs. X
Crim. 31 mai 1946, Bull. crim. 127 Crim. 8 déc. 1971, Bull. crim. 344
Crim. 11 juin 1949, JCP 1949, n° 5173, obs. J. Crim. 25 mai 1972, Bull. crim. 170
MAGNOL Crim. 31 mai 1972, Bull. crim. 185
Crim. 30 juin 1949, Bull. crim. 222 Crim. 8 nov. 1972, Bull. crim. 330
Crim. 2 nov. 1949, D. 1950, p. 75 Crim. 28 févr. 1973, Bull. crim. 103
Crim. 16 févr. 1950, Bull. crim. 62 Crim. 27 juin 1973, Bull. crim. 304
Crim. 1er févr. 1951, JCP G 1951, II, n° 6107, Crim. 18 déc. 1973, Bull. crim. 470
obs. J. BROUCHOT Crim. 9 janv. 1974, Bull. crim. 8
Crim. 28 févr. 1952, Bull. crim. 64 et S. 1953, Crim. 12 juin 1974, Bull. crim. 216
I, p. 81, note HUGUENEY Crim. 19 juin 1974, Bull. crim. 226 et D. 1974,
Crim. 16 févr. 1954, Bull. crim. 74 p. 705, note F. CHAPAR
Crim. 5 avr. 1954, Bull. crim. 142 Crim. 16 oct. 1974, Bull. crim. 296
Crim. 24 nov. 1954, Bull. crim. 347 Crim. 30 oct. 1974, Bull. crim. 309 et RSC
Crim. 2 mars 1955, Bull. crim. 129 et JCP 1975, p. 432, obs. J. ROBERT
1955, II, n° 8760, obs. J. PIERRON Crim. 29 oct. et 16 nov. 1976, Bull. crim. 298
Crim. 23 déc. 1955, Bull. crim. 608 et 327
Crim. 9 févr. 1956, Bull. crim. 148 et JCP Crim. 7 déc. 1976, Bull. crim. 351
1956, II, n° 9574, note J. LARGUIER Crim. 11 janv. 1977, Bull. crim. 12

686
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Crim. 8 mars 1977, Bull crim. 89 Crim. 7 déc. 1988, Bull. crim. 413
Crim. 27 avr. 1977, Bull. crim. 141 Crim. 23 janv. 1989, Bull. crim. 26
Crim. 18 mai 1977, Bull. crim. 180 Crim. 26 janv. 1989, Bull. crim. 32, D. 1989,
Crim. 6 août 1977, Bull. crim. 276 p. 207, note H. ANGEVIN
Crim. 14 déc. 1977, Bull. crim. 397 Crim. 14 mars 1989, Bull. crim. 123
Crim. 11 oct. 1978, Bull. crim. 268 Crim. 4 juill. 1989, Bull. crim. 285
Crim. 30 janv. 1979, Bull. crim. 46 Crim. 19 sept. 1989, Bull. crim. 321
Crim. 16 mai 1979, Bull. crim. 177 Crim. 4 janv. 1990, Bull. crim. 1
Crim. 3 oct. 1979, Bull. crim. 270 Crim. 3 juill. 1990, Bull. crim. 423
Crim. 28 nov. 1979, Bull. crim. 340 Crim. 17 oct. 1990, Bull. crim. 344
Crim. 17 juill. 1980, inéd. Crim. 19 déc. 1990, Bull. crim. 443
Crim. 18 déc. 1980, Bull. crim. 357 et D. Crim. 6 févr. 1991, Bull. crim. 61 et RSC
1981, p. 312, note F. CHAPAR 1992, chron., p. 65, obs. A. VITU
Crim. 8 janv. 1981, Bull. crim. 7 Crim. 21 févr. 1991, Bull. crim. 90 et RSC
Crim. 28 janv. 1981, Bull. crim. 41 1992, chron., p. 776, obs. A. BRAUNCHWEIG
Crim. 19 mars 1981, Bull. crim. 100 et D. Crim. 21 févr. 1991, Bull. crim. 90 et RSC
1982, p. 605, note H. FENOUX 1992, chron., p. 65, obs. A. VITU
Crim. 12 juin 1981, Bull. crim. 198 et RSC Crim. 6 mars 1991, D. 1992, somm. p. 96,
1982, p. 800, obs. J. ROBERT note J. PRADEL, Dr. pén. 1991, comm. 213,
Crim. 4 juin 1982, Bull. crim. 148 note A. MARON et RSC 1991, p. 350, note A.
Crim. 6 juill. 1982, Bull. crim. 180 BRAUNSCHWEIG
Crim. 23 févr. 1983, Bull. crim. 66 Crim. 3 avr. 1991, Bull. crim. 154
Crim. 14 mars 1983, Bull. crim. 77 Crim. 22 mai 1991, Bull. crim. 214
Crim. 4 mai 1983, Bull. crim. 128 Crim. 28 oct. 1992, Bull. crim. 347
Crim. 1er juin 1983, Bull. crim. 167 Crim. 9 déc. 1992, Bull. crim. 413 et D. 1993,
Crim. 29 févr. 1984, Bull. crim. 84 somm. p. 205, obs. J. PRADEL
Crim. 21 mars 1984, Bull. crim. 121 Crim. 16 janv. 1993, Bull. crim. 10
Crim. 10 oct. 1984, Bull. crim. 297 Crim. 3 févr. 1993, Bull. crim. 57, D. 1993, p.
Crim. 5 déc. 1984, Bull. crim. 386 515, note J.-F. RENUCCI et JCP 1994, II, n°
Crim. 27 févr. 1985, Bull. crim. 96 22197, note P. CHAMBON
Crim. 17 avr. 1985, Bull. crim. 147 Crim. 24 mars 1993, Bull. crim. 131
Crim. 30 avr. 1985, Bull. crim. 165 Crim. 7 avr. 1993, Bull. crim. 152, D. 1993, p.
Crim. 14 nov. 1985, Bull. crim. 355 553, note J. PRADEL, JCP G 1993, II, n°
Crim. 27 nov. 1985, Bull. crim. 384 22151, note M. ALLAIX, RSC 1994, p. 67,
Crim. 5 mars 1986, Bull. crim. 92 obs. M. HUYETTE et RSC 1994, p. 75, obs.
Crim. 9 avr. 1986, Bull. crim. 120 et D. 1986, Ch. LAZERGES
somm. p. 305, obs. J. PRADEL et H. Crim. 26 juill. 1993, Bull. crim. 251
ANGEVIN, p. 188 Crim. 27 juill. 1993, Bull. crim. 251
Crim. 7 mai 1986, Bull. crim. 157 Crim. 1er déc. 1993, Bull. crim. 366
Crim. 19 nov. 1986, Bull. crim. 350 Crim. 15 déc. 1993, Bull. crim. 393
Crim. 11 févr. 1987, Bull. crim. 69, D. 1987, Crim. 9 mars 1994, Bull. crim. 93
p. 215, note H. ANGEVIN et RSC 1987, p. Crim. 21 mars 1994, Bull. crim. 107
463, note A. BRAUNSCHWEIG Crim. 30 mars 1994, Bull. crim. 127
Crim. 25 mars 1987, Bull. crim. 142 Crim. 6 avr. 1994, Bull. crim. 133
Crim. 7 mai 1987, Bull. crim. 186 Crim. 4 mai 1994, Bull. crim. 166, D. 1995, p.
Crim. 7 mai 1987, Bull. crim. 187 80, note J.-F. RENUCCI et JCP 1994, p.
Crim. 14 janv. 1988, Bull. crim. 20 et D. 1988, 22349, note P. CHAMBON
p. 206, note H. ANGEVIN Crim. 5 mai 1994, Bull. crim. 171
Crim. 3 févr. 1988, Bull. crim. 55 Crim. 5 mai 1994, Bull crim. 172
Crim. 27 avr. 1988, Bull. crim. 185 Crim. 1er juin 1994, Bull. crim. 20
Crim. 11 mai 1988, Bull. crim. 210 Crim. 14 déc. 1994, Bull. crim. 410, Dr. pén.
Crim. 1er juin 1988, Bull. crim. 242 1995, comm. 84, note M. VERON et RSC
Crim. 1er juin 1988, Bull. crim. 243 1995, chron., p. 367, obs. J.-P. DINTILHAC et
Crim. 22 juin 1988, Bull. crim. 285 p. 574, obs. B. BOULOC
Crim. 23 nov. 1988, Bull. crim. 398 Crim. 22 mars 1995, Bull. crim. 121
Crim. 7 déc. 1988, Bull. crim. 415

687
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Crim. 25 oct. 1995, Bull. crim. 319 et Dr. pén. Crim. 15 déc. 1999, Bull. crim. 307 et 308 et
1996, comm. 51, p. 18, note A. MARON Dr. pén. 2000, comm. 93, note A. MARON
Crim. 6 déc. 1995, Bull. crim. 368 et RSC Crim. 23 févr. 2000, Bull. crim. 81
1996, p. 397, obs. J.P. DINTILHAC Crim. n° de 99-85.684, 19 avr. 2000, inéd.
Crim. 13 déc. 1995, Bull. crim. 381 Crim. 25 oct. 2000, Bull. crim. 312
Crim. 20 déc. 1995, Bull. crim. 391 et RSC Crim. 8 nov. 2000, Bull. crim. 334
1996, p. 687, obs. J.P. DINTILHAC Crim. n° 00-82660, 6 déc. 2000, inéd.
Crim. n° 95-82.696, 17 janv. 1996, inéd. Crim. n° 00-84244, 6 déc. 2000, inéd.
Crim. 24 janv. 1996, Bull. crim. 42 Crim. 20 déc. 2000, Bull. crim. 385 et Dr. pén.
Crim. 31 janv. 1996, Bull. crim. 56 2001, comm. nr 53, note A. MARON
Crim. 21 févr. 1996, Bull. crim. 82 Crim. 23 janv. 2001, Bull. crim. 20
Crim. 20 mars 1996, Bull. crim. 121 Crim. 15 févr. 2001, Bull. crim. 44
Crim. 29 avr. 1996, Bull. crim. 172 Crim. 28 mars 2001, Bull. crim. 84
Crim. 30 avr. 1996, Bull. crim. 181 et RSC Crim. 3 avr. 2001, D. 2001, p. 2227, note F.
1996, p. 877, obs. J.P. DINTILHAC DEFFERRARD
Crim. 22 mai 1996, Bull. crim. 212 Crim. 23 mai 2001, Bull. crim. 133 et RSC.
Crim. 16 juill. 1996, Bull. crim. 297 2001, p. 836, obs. D. COMMARET
Crim. 4 nov. 1996, Bull. crim. 390 Comm. rév. 25 juin 2001, D. 2001, somm. p.
Crim. 11 déc. 1996, Bull. crim. 461 2878
Crim. 29 avr. 1997, Bull. crim. 155 Crim. 2 oct. 2001, Bull. crim. 197
Crim. 6 mai 1997, Bull. crim. 173 Crim. n° 01-86061, 4 avr. 2002, inéd.
Crim. 20 août 1997, Bull. crim. 289 Crim. 26 juin 2002, Bull. crim. 145
Crim. 20 août 1997, Bull. crim. 288, Dr. pén. Crim. 11 sept. 2002, Bull. crim. 164
1997, comm. 148, obs. A. MARON et D. Crim. 23 oct. 2002, Dr. pén. 2003, comm. 40,
1998, somm. p. 177, obs. J. PRADEL p. 23, obs. A. MARON et M. HAAS
Crim. n° 96-84763, 24 sept. 1997, inéd. Crim. 12 févr. 2003, Bull. crim. 35 et Dr. pén.
Crim. 15 oct. 1997, Bull. crim. 335 2003, comm. 79, note A. MARON
Crim. 29 oct. 1997, Bull. crim. 360 et D. 1998, Crim. 12 févr. 2003, JCP 2003, I, n° 162, p.
somm. p. 172, obs. J. PRADEL 1624, obs. A. MARON
Crim. 3 déc. 1997, Bull. crim. 410 Crim. 26 mars 2003, D. 2003, inf. rap. p. 1480
Crim. n° 97-80.993, 10 déc. 1997, inéd. Crim. 7 mai 2003, Dr. pén. 2003, comm. 138,
Crim. 17 déc. 1997, Bull. crim. 431 p. 25 note A. MARON
Crim. 21 janv. 1998, Bull. crim. 26 Crim. 21 mai 2003, D. 2003, p. 1944
Crim. 28 janv. 1998, Bull. crim. 34 et Dr. pén. Crim. 18 juin 2003, Bull. crim. 125 et RSC
1998, comm. 57, p. 18, note A. MARON 2004, p. 137, obs. A. GIUDICELLI
Crim. 18 févr. 1998, Bull. crim. 69 Crim. n° 03-82726, 23 juill. 2003, inéd.
Crim. 22 avr. 1998, Bull. crim. 37 Crim. 23 juill. 2003, Bull. crim. 140 et
Crim. 6 mai 1998, Bull. crim. 155 Procédures 2003, comm. 261, note J.
Crim. 24 juin 1998, Bull. crim. 205 et Dr. pén. BUISSON
1999, comm. 15, note A. MARON Crim. 3 sept. 2003, Bull. crim. 151
Crim. 22 sept. 1998, Bull. crim. 231 Crim. 15 oct. 2003, Bull. crim. 191
Crim. 9 déc. 1998, Bull. crim. 337 Crim. 28 janv. 2004, Bull. crim. 22
Crim. 30 mars 1999, Bull. crim. 62 et Dr. pén. Crim. 3 mars 2004, Bull. crim. 56
1999, p. 130 Crim. 31 mars 2004, AJpénal 2004, p. 247,
Crim. 31 mars 1999, Bull. crim. 65 obs. J. LEBLOIS-HAPPE
Crim. 14 avr. 1999, Bull. crim. 81, D. 1999, Crim. 28 avr. 2004, Bull. crim. 101
somm. p. 323, obs. J. PRADEL Crim. 17 mars 2004, Bull. crim. 68
Crim. 12 mai 1999, Bull. crim. 96 Crim. 2 mai 2004, AJpénal 2005, p. 163
Crim. 9 juin 1999, Bull. crim. 131 Crim. 24 nov. 2004, Bull. crim. 296 et RSC
Crim. 23 juin 1999, Bull. crim. 147 2005, p. 332, obs. D.N. COMMARET
Crim. n° 98-85057, 23 juin 1999, inéd. Crim. n° 04-85960, 5 janv. 2005, inéd.
Crim. 6 oct. 1999, RSC 2000, p. 387, obs. B. Crim. 2 févr. 2005, Bull. crim. 39
BOULOC Crim. 2 févr. 2005, Bull. crim. 40
Crim. 20 oct. 1999, Bull. crim. 225 Crim. 25 mai 2005, AJpénal 2005, p. 333
Crim. 4 nov. 1999, D. 2000, inf. rap. p. 21 Crim. n° 05-82096,8 juin 2005, inéd.
Crim. 1er déc. 1999, Bull. crim. 286 Crim. 7 juill. 2005, Bull. crim. 204

688
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Crim. 2 sept. 2005, Bull. crim. 216 Crim. 24 juin 2009, AJpénal 2009, p. 413, obs.
Crim. 28 sept. 2005, RSC 2006, p. 108, note G. ROUSSEL
A. GIUDICELLI Crim. 2 sept. 2009, D. 2009, p. 2349, obs. M.
Crim. 7 déc. 2005, Bull. crim. 329 LENA
Crim. 4 janv. 2006, Bull. crim. 8 Crim. 2 sept. 2009, D. Actualité 29 sept. 2009,
Crim. 15 mars 2006, Bull. crim. 83 obs. M. LENA et Dr. pén. 2009, n° 11, comm.
Crim. n° 05-82553, 28 mars 2006, inéd. 145, obs. A. MARON et M. HAAS
Crim. 23 mai 2006, AJpénal 2006, p. 416, obs. Crim. 14 oct. 2009, AJpénal 2009, p. 495, note
G. ROUSSEL J. LASSERRE CAPDEVILLE et D. 2009, p.
Crim. 23 mai 2006, Bull. crim. 143 2778, note J. PRADEL
Crim. 24 mai 2006, AJpénal 2006, p. 316, obs. Crim. 25 nov. 2009, AJpénal 2010, p. 85, obs.
C. GIRAULT L. ASCENSI et D. Actualité 20 janv. 2010,
Crim. n° 06-84068, 26 juill. 2006, inéd. obs. C. GIRAULT
Crim. 18 oct. 2006, Bull. crim. 251 Crim. n° 08-87172, 9 déc. 2009, inéd.
Crim. 31 oct. 2006, D. 2007, p. 84 Crim. n° 08-87981, 09-80772, 09-82459, 08-
Crim. 15 nov. 2006, AJpénal 2007, p. 35, obs. 88112, 09-82243, 20 janv. 2010, inéd.
G. ROYER Crim. 20 janv. 2010, Bull. crim. 13 et 14, D.
Crim. n° 05-86266, 15 nov. 2006, inéd. Actualité 26 févr. 2010 et 3 mars 2010, obs.
Crim. n° 06-81707, 15 nov. 2006, inéd. C. GAYET et Procédures 2010, comm. 129,
Crim. 31 janv. 2007, Dr. pén. 2007, comm. 68, obs. A.-S. CHAVENT-LECLERE
p. 29, note M. VERON Crim. n° 09-84451, 3 févr. 2010, inéd.
Crim. n° 07-80084, 7 mars 2007, inéd. Crim. 3 févr. 2010, JCP 2010, p. 758, note S.
Crim. 21 mars 2007, Bull. crim. 92 et AJpénal DETRAZ
2007, p. 322, note F. MOLINS Crim. 16 févr. 2010, D. Actualité 18 mars
Crim. n° 06-81286, 4 avr. 2007, inéd. 2010, obs. S. REVEL
Crim. 31 mai 2007, Bull. crim. 147 Crim. n° 09-84825 et n° 09-84377, 17 févr.
Crim. n° 06-88832 et n° 06-85477, 31 mai 2010, inéd.
2007, inéd. Crim. 2 mars 2010, D. Actualité 26 avr. 2010,
Crim. 13 juin 2007, Bull. crim. 160 obs. C. GIRAULT
Crim. 13 juin 2007, AJpénal 2007, p. 442, obs. Crim. 13 avr. 2010, Bull. crim. 71 et 72 et D.
S. LAVRIC Actualité 21 avril 2010, obs. L. PRIOU-
Crim. 22 août 2007, Dr. pén. 2007, comm. ALIBERT
146, p. 44-45, obs. A. MARON Crim. 19 mai 2010, D. Actualité 1er juin 2010,
Crim. 10 oct. 2007, Bull. crim. 242 obs. S. LAVRIC
Crim. 7 nov. 2007, AJpénal 2008, p. 95, obs. Crim. 19 mai 2010, D. Actualité 2 juin 2010,
S. LAVRIC obs. L. PRIOU-ALIBERT
Crim. 30 janv. 2008, Bull. crim. 26 Crim. 4 juin 2010, D. Actualité 9 juill. 2010,
Crim. 13 févr. 2008, AJpénal 2008, p. 239, obs. L. PRIOU-ALIBERT
obs. S. LAVRIC
Crim. 27 mars 2008, Bull. crim. 84 CRD pén. 30 nov. 2000, JCP 2001, II, 10642,
Crim. 21 mai 2008, Bull. crim. 129 et AJpénal note J. LEFEBVRE
2008, obs. M. HERZOG-EVANS, p. 334 CRD pén. 15 févr. 2001, JCP 2001, II, 10642,
Crim. 10 août 2008, D. Actualité 2 févr. 2009 note J. LEFEBVRE
Crim. n° 08-84031, 2 sept. 2008, inéd. CRD pén. 4 oct. 2001, Bull. crim. 200
Crim. 10 déc. 2008, AJpénal 2009, p. 137, CRD pén. 6 déc. 2001, Bull. crim. 25
obs. L. ASCENSI CRD pén. 24 janv. 2002, Bull. crim. 1
Crim. n° 08-82880, 10 déc. 2008, inéd. CRD pén. 30 mai 2002, Bull. crim. 3
Crim. 4 févr. 2009, AJpénal 2009, p. 232
Crim. 18 févr. 2009, AJpénal 2009, p. 232, CJR 9 mars 1999, D. 1999, inf. rap. p. 86
obs. G. ROYER
Crim. 24 mars 2009, Bull. crim. 60 Reims 9 nov. 1978, D. 1979, note J. PRADEL,
Crim. n° 09-80802, 29 avr. 2009, inéd. p. 94
Crim. 10 juin 2009, Bull. crim. 119

689
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

CEDH

CEDH 21 mars 1975, X c. Royaume-Uni sur la CEDH 19 avr. 1994, Van de Hurk c. Pays-Bas,
recevabilité, n° 5574/72 n° 16034/90
CEDH 27 févr. 1980, Deweer c. Belgique, n° CEDH 9 déc. 1994, Ruiz Torija c. Espagne, n°
6903/75 18390/91
CEDH 1er oct. 1982, Piersack c. Belgique, n° CEDH 9 déc. 1994, Hiro Balani c. Espagne,
8692/79 n° 18064/91
CEDH 26 oct. 1984, De Cubber c. Belgique, CEDH 10 févr. 1995, Allenet de Ribemont c.
n° 9186/80 France, n° 15175/89
CEDH 24 nov. 1986, Unterpertinger c. CEDH 8 févr. 1996, Murray c. Royaume-Un,
Autriche, n° 9120/80 n° 18731/91
CEDH 12 juill. 1988, Schenk c. Suisse, n° CEDH 23 avr. 1996, Remli c. France, n°
10862/84 16839/90
CEDH 6 déc. 1988, Barbera, Messeque et CEDH 10 juin 1996, Pullar c. Royaume-Uni,
Jaberdo c. Espagne, n° 10590/83 n° 22399/93
CEDH 20 nov. 1989, Kostovski c. Pays-Bas, CEDH 17 déc. 1996, Saunders c. Royaume-
n° 11454/85 Uni, n° 19187/91
CEDH 27 sept. 1990, Windisch c. Autriche, n° CEDH 25 févr. 1997, Gregory c. Royaume-
12489/86 Uni, n° 22299/93
CEDH 19 déc. 1990, Delta c. France, n° CEDH 17 mars 1997, Muller c. France, n°
11444/85 21802/93
CEDH 12 janv. 1991, Isgrò c. Italie, n° CEDH 23 avr. 1997, Van Mechelen et autres
11339/85 c. Pays-Bas, n° 21363/93
CEDH 26 avr. 1991, Asch c. Autriche, n° CEDH 19 déc. 1997, Helle c. Finlande, n°
12398/86 157/1996/776/977
CEDH 26 juin 1991, Letellier c. France, D. CEDH 19 févr. 1998, Higgins c. France, n°
1992, somm. p. 328, obs. J. RENUCCI et RSC 20124/92
1991, p. 805, obs. PETTITI CEDH 21 janv. 1999, Garcia Ruiz c. Espagne,
CEDH 29 nov. 1991, Vermeire c. Belgique, n° n° 30544/96
12849/87 CEDH 2 févr. 1999, Saric c. Danemark, n°
CEDH 15 juin 1992, Lüdi c. Suisse, n° 31913/96
12433/86 CEDH 25 mars 1999, Pelissier et Sassi c.
CEDH 27 août 1992, Tomasi c. France, n° France, n° 25444/94
12850/87 CEDH 20 mai 1999, Bladet Tromso et
CEDH 16 déc. 1992, Hadjianastassiou c. Stensaas c. Forvège, n° 21980/93
Grèce, n° 12945/87 CEDH 16 déc. 1999, T. et V. c.Royaume-Uni,
CEDH 24 févr. 1993, Fey c. Autriche, n° n° 24724/94 et 24888/94, Crim. L.R. 2000, p.
14396/88 187, note A.J. ASHWORTH
CEDH 25 févr. 1993, Funke, Cremieux et CEDH 18 janv. 2000, Pesti et Frodl c.
Miailhe c. France, n° 10828/84 Autriche, n° 27618/95 et 27619/95
CEDH 23 juin 1993, Ruiz-Mateos c. Espagne, CEDH 21 mars 2000, Dulaurans c. France, n°
n° 12952/87 34553/97 et JCP 2000, II, p. 1034, note A.
CEDH 24 août 1993, Fortier c. Pays-Bas, n° PERDRIAU
13924/88, D. 1994, somm. p. 37, obs. S. CEDH 27 avr. 2000, Haser c. Suisse, n°
BECQUERELLE et RTDH 1994, p. 429, note J. 33050/96
VAN CAMPERNOLLE CEDH 2 mai 2000, Condron c. Royaume-Uni,
CEDH 20 sept. 1993, Saïdi c. France, n° n° 35718/97
14647/89, JCP G 1994, II, n° 22214, note P. CEDH 9 mai 2000, Sander c. Royaume-Uni,
CHAMBON et RSC 1994, p. 142, obs. L.E. n° 34129/96, Crim. L.R. 2000, p. 767
PETTITI CEDH 30 mai 2000, Loewenguth c. France, n°
CEDH 27 oct. 1993, Dombo Beheer c. Pays- 53183/99
Bas, n° 14448/88 CEDH 22 juin 2000, Coëme et d’autres c.
CEDH 25 nov. 1993, Holm c. Suède, n° Belgique, n° 32492/96
14191/88 CEDH 13 juill. 2000, Scozzari et Giunta c.
Italie, n° 39221/98 et 41963/98

690
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

CEDH 7 déc. 2000, Zoon c. Pays-Bas, n° CEDH 13 juin 2006, Vaturi c. France, n°
29202/95 75699/01
CEDH 13 févr. 2001, Krombach c. France, n° CEDH 20 juin 2006, Zarb Adami c. Malte, n°
29731/96. 17902/02
CEDH 27 févr. 2001, Luca c. Italie, n° CEDH 7 juill. 2006, Papa c. Grèce, n°
33354/96 21091/04
CEDH 20 mars 2001, Telfner c. Autriche, n° CEDH 26 sept. 2006, Miraux c. France, n°
33501/96 73529/01
CEDH 5 avr. 2001, Priebke c. Italie décision CEDH 26 sept. 2006, Labergère c. France, n°
sur la recevabilité, n° 48799/99 16846/02
CEDH 26 avr. 2001, Meftah c. France, n° CEDH 17 janv. 2007, Farhi c. France, n°
32911/96 17070/05
CEDH 27 sept. 2001, Hirvisaari c. Finland, n° CEDH 23 janv. 2007, Cretello c. France, n°
49684/99 2078/04, D. 5 févr. 2007
CEDH 15 nov. 2001, Papon c. France CEDH 6 févr.2007, Mentes c. Turquie, n°
décision sur la recevabilité, n° 54210/00 36487/02
CEDH 20 déc. 2001, P.S. c. Allemagne, n° CEDH 7 juin 2007, Tamburini c. France, n°
33900/96 14524/06
CEDH 8 oct. 2002, Beckles c. Royaume-Uni, CEDH 24 juill. 2007, Baumet c. France, n°
n° 44652/98 56802/00
CEDH 5 nov. 2002, Wynen c. Belgique, n° CEDH, 24 juill. 2007, Baucher c. France, n°
32576/96 53640/00
CEDH 5 déc. 2002, Craxi c. Italie, n° CEDH 27 juill. 2007, Pisano c. Italie, n°
34896/97 36732/97
CEDH 13 nov. 2003, Rachdad c. France, n° CEDH 31 juill. 2007, Ekeberg et autres c.
71846/01 Forvège, n° 11106/04
CEDH 25 juin 2004, S.C. c. Royaume-Uni, n° CEDH 4 oct. 2007, Sanchez Cardenas c.
60958/00 Forvège, n° 12148/03
CEDH 19 oct. 2004, Makhfi c. France, n° CEDH 8 nov. 2007, Leliève c. Belgique, n°
59335/00, D. 2005, p. 472, note D. ROETS 11287/03
CEDH 17 déc. 2004, Pedersen et Baadsgaard CEDH 17 janv. 2008, Ryakib Biryukov c.
c. Danemark, n° 49017/99 Russie, n° 14810/02
CEDH 13 janv. 2005, Capeau c. Belgique, n° CEDH 27 mars 2008, Delespesse c. Belgique,
42914/98 n° 12949/05, FC 2008, p. 260, note J. ROZIE
CEDH 10 févr. 2005, Graviano c.Italie, n° CEDH 13 janv. 2009, Taxquet c. Belgique, n°
10075/02 926/05, JLMB 2009, p. 204 et JT 2009, p.
CEDH 7 avr. 2005, Dimitrellos c. Grèce, n° 284, note J. VAN MEERBEECK
75483/01 CEDH 20 janv. 2009, Al-Khawaja et Tajeri c.
CEDH 2 juin 2005, Goktepe c. Belgique, n° Royaume-Uni, n° 26766/05 et 2228/06
50372/99, JLMB 2005, p. 1556, note N. CEDH 20 janv. 2009, Guveç c. Turquie, n°
COLETTE-BASECQZ, JT 2005, p. 713, note P. 70337/01
RENSON, RABG 2005, p. 1465, note D. CEDH 17 sept. 2009, Scoppola c. Italie, n°
VANDERKELEN et L. GYSELAERS, RDPC 10249/03
2005, p. 1247, note M. NEVE et T.Strafr. CEDH 8 oct. 2009, Maloum c. France, n°
2006, p. 78, note P. HERBOTS 35471/06, D. Actualité 22 oct. 2009, obs. M.
CEDH 3 sept. 2005, Gosselin c. France, n° LENA
66224/01 CEDH 8 oct. 2009, Faudo c. France, n°
CEDH 14 sept. 2005, Mayali c. France, n° 35469/06
69116/01 CEDH du 29 oct. 2009, Paradysz/France, n°
CEDH 17 janv. 2006, Barbier c. Franc, n° 17020/05, D. Actualité 12 nov. 2009, obs. M.
76093/01, D. 2006, p. 1209 LENA

691
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Comm. EDH

Comm. EDH 22 mars 1972, X c. Autriche, n° Comm. EDH 30 mars 1992, W.R c. Belgique
4622/70 décision sur la recevabilité, n° 15957/90
Comm. EDH 23 mars 1972, X c. Royaume- Comm. EDH 9 sept. 1992, Fielsen c.
Uni, n° 5076/71 Danemark, n° 19028/91
Comm. EDH 8 juill. 1978, Ensslin, Baader et Comm. EDH 29 juin 1994, Zarouali c.
Raspe c. Allemagne, n° 7572/76 Belgique, n° 20664/92
Comm. EDH 10 oct. 1980, X et Y c. Irlande, Comm. EDH 15 mai 1996, Planka c. Autriche
n° 8299/78 décision sur la recevabilité, n° 25852/94
Comm. EDH 9 mars 1987, G. Hodgson, D. Comm. EDH 20 mai 1998, Saussier c. France,
Woolf Productions Ltd. et Fational Union of n° 35884/97
Journalists c. Royaume-Uni 1987, n° Comm. EDH 22 juin 2000, Deperrois c.
11553/85 France, n° 48203/99

COSEIL COSTITUTIOEL (fr)

Cons. const. n° 64-31 loi du 21 déc. 1964, Cons. const. n° 2001-445 DC du 19 juin 2001,
JORF 30 déc. 1964, p. 43 D. 2002, somm. p. 1947, obs. V. LONISSON
Cons. const. n° 80-127 DC du 19-20 janv. et JORF 10 sept. 2002, p. 14953
1981, JORF 22 janv. 1981, p. 308 Cons. const. n° 2002-461 DC du 29 août 2002,
Cons. const. n° 84-182 du 18 janv. 1985, JORF 10 sept. 2002 et Gaz. Pal. du 4-5 sept.
JORF 20 janv. 1985, p. 819 2002, p. 1306, note J.-E. SCHOETTL
Cons. const. n° 86-213 DC du 3 sept. 1986, Cons. const. n° 2003-466 DC du 20 févr.
JORF 5 sept. 1986, p. 10786 2003, JORF 27 févr. 2003, p. 3480
Cons. const. n° 92-305 DC du 21 févr. 1992, Cons. const. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004,
JORF 29 févr. 1992, p. 3122 JORF 10 mars 2004, p. 4637
Cons. const. n° 92-316 DC du 20 janv. 1993, Cons. const. n° 2004-510 DC du 20 janvier
JORF 22 janv. 1993, p. 1118 2005, JORF 27 janv. 2005, p. 1412
Cons. const. n° 93-326 DC du 11 août 1993, Cons. const. n° 2005-532 DC du 19 janv.
JORF 15 août 1993, p. 11599 2006, JORF 24 janv. 2006, p. 1138
Cons. const. n° 94-355 DC du 10 janv. 1995, Cons. const. n° 2007-553 DC du 3 mars 2007,
JORF 14 janv. 1995, p. 727 JORF 7 mars 2007, p. 4356
Cons. const. n° 98-408 DC du 22 janv. 1999, Cons. const. n° 2007-554 DC du 9 août 2007,
JORF 24 janv. 1999, p. 1317 JORF 11 août 2007, p. 13478
Cons. const. n° 2000-433 DC du 27 juill.
2000, JORF 2 août 2000, p. 11922

COUR COSTITUTIOELLE (be)

C.C. n° 60/96, 7 nov. 1996, JLMB 1996, p. C.C. n° 7/2007, 11 janv. 2007, RDPC 2007, p.
1692 et RDPC 1997, p. 667 850
C.C. n° 51/2002, 13 mars 2002, MB 2002, p. C.C. n° 49/2008, 13 mars 2008, JLMB 2008,
23101 et T.Strafr. 2003, p. 197 p. 864, note A. VERVOIR, FjW 2008, p. 825,
C.C. n° 187/2005, 14 déc. 2005, JLMB 2006, note J. PUT, RW 2008-09 (résumé), p. 142,
p.540, note N. BANNEUX note B. DE SMET et TJK 2008, p. 219, note
R. DEFRANCQ, S. VAN RUMST et G. DECOCK

692
TABLE DE LA JURISPRUDENCE

AUTRES

Allemagne State of Louisiana v James Williams, n°


BGH 26 mars 1997, 3 StR 421/9 64409, 375 So.2d 1379
State of Louisiana v Joe L. Walker Jr, n° Cr
Ecosse 97-1180, 710, So.2d 304
Transco Plc v HM Advocate [2005] 1. J.C. 44 Williams v Florida [1970] 399 U.S. 78
Beggs v HM advocate [2010] HCJAC 27
Irlande
Etats-Unis CCPR 4 avr. 1998, Joseph Kavanagh c.
Ballew v Georgia [1978] 435 U.S. 223 Irlande, n° 819/1998
Colgrove v Battin [1973] 413 U.S. 149
Fay v FY [1947] 332 U.S. 261 Pays-Bas
Patton v US [1930] 281 U.S. 1930, 276 Breda, 7 oct. 2007, n° 2126.
Hoge Raad 1er juill. 2008, FJB 2008, p. 1957

693
INDEX

IDEX

Les chiffres renvoient aux numéros de paragraphe

A - Cour d’assises ordinaire, 210, 238,


Abîme punitif, 426 585
o Suppression, 282-284, 364
Acquittement - Cour d’assises des mineurs, 493, 495,
- Appel, 32, 261, 352, 366, 381 503-504
- Directed acquittal, 261, 410 - Cour d’assises spéciale, 493
- Motivation - Cour d’assises spéciale des mineurs,
v. Motivation 494
- Ordered acquittal, 257, 261, 345 - Tribunal pour enfants, 329, 484, 503-
- ‘Pervers’, 38, 56, 92, 97, 105, 158, 505, 527, 532-534, 554, 556
161, 245, 250, 272, 300, 413, 537
- Pourvoi en cassation Audience préliminaire
v. Voie de recours - Admissibilité des preuves, 409
- Tainted, 32, 92 - Jury waiver, 406
- Questions procédurales, 207-209
Appel - Liste des témoins, 210-211
- Absence, 171
- Caractéristiques
o Effet dévolutif, 378-380 B
o Effet suspensif, 378-379 Bench trial, 51-52
o Hiérarchique, 4, 359-363, 370,
377, 388-393, 586 Beyond a reasonable doubt, 178, 201, 260,
o Limité à la peine, 366, 380, 305
385
o Reformatio in pejus, 35, 37,
378 C
o Tournant, 4, 98, 254, 325, Causes d’excuse
363, 377, 393, 537 v. Correctionnalisation
- CESDH/CEDH
v. CESDH/CEDH Centre Pieter Baan, 513
- Contre
o Acquittement, 32, 179, 261, CESDH/CEDH
352, 366, 381 - Composition du tribunal, 577
o Arrêts incidents, 261, 345, - Délai raisonnable, 3, 54, 59, 68, 353,
366 357, 362, 364, 376, 387, 562, 588-589
o Crown Court, 366-369 - Double degré de juridiction, 171, 340,
o Magistrates’ Court, 242, 366, 355-357, 366, 381, 388, 392
452, 467, 566, 591 - Droit à la vie privée, 153
- Double degré d’instruction, 98, 343- - Droit d’appeler des témoins, 188-189,
344, 357, 376, 387, 496 199, 210
- Enregistrement, 371, 374, 380, 385 - Droit de la défense, 144, 150-154,
- Leave to appeal, 351, 353, 356, 362, 159, 166, 192, 199, 207, 210, 265,
365-369, 537, 568 309-310, 339, 342, 344, 353, 362,
- Recevabilité, 392 369, 522
- Taux, 387 - Droit d’interroger des témoins, 80,
191, 198-199, 210, 215
Assesseurs - Droit d’élire et d’être élu, 142

695
INDEX

- Egalité des armes, 154, 188, 192, 214, Compétence


381, 404 - Division tripartite, 19-23, 33, 35, 66-
- Incrimination de soi-même, 81, 499 67, 87, 97, 104, 107, 118, 125
- Interdiction de discrimination, 71, 83, - Ordre public, 23, 37, 65
102, 135-136, 499
- Interdiction de travail forcé, 136 v. aussi Correctionnalisation, cour
- Liberté d’expression, 128, 402 d’assises, cour d’assises des mineurs, cour
- Mineurs, 516, 518-519 d’assises spéciale, cour d’assises spéciale
- Motivation, 171, 227, 313-320, 323 des mineurs, Crown Court, Diplock Court,
- Participation au procès, 516, 518-519 District Division, juge de proximité,
- Présomption d’innocence, 79, 128, magistrates’ court, tribunal correctionnel,
155, 167, 173, 405 tribunal criminel/cour criminelle, tribunal
- Publicité antérieure, 128, 153, 259 pour enfants, youth court
- Publicité des débats, 82, 523
- Silence, 81, 173, 260, 316, 405 Composition pénale, 441, 453-454
- Standard de preuve, 262
- Tribunal d’exception, 167 Conseil/Cour constitutionnel, 39, 166, 168,
- Tribunal indépendant et impartial, 83, 173, 286, 295, 320, 341-342, 361, 363, 382,
142, 151, 154-157, 167-174, 180, 227, 414, 446, 449-451, 454, 460, 462, 465, 480,
230, 313, 353, 353, 577 490, 492, 495, 520, 523-525, 584

Chambre d’accusation, 376 Corpus juris, 229-232, 330, 369

Chambre de l’enquête et des libertés, 376 Correctionnalisation


- Appel, 36, 39, 41, 74
Chambre de l’instruction, 36, 67, 98, 208, - Causes d’excuse, 38, 118
376, 387, 493, 497, 588 - Circonstances atténuantes, 34, 38-39,
61, 68, 75, 89, 93-97, 105, 111, 115,
Chambre des mises en accusation 118-119, 230
- Correctionnalisation - Critiques
v. Correctionnalisation o Abus, 37-38, 68, 104, 118,
- Purge de nullités, 196, 207-209 125, 461, 533
- Renvoi, 40, 65, 98, 285, 343-344, 376 o Principe de légalité, 33, 35,
64-67
Chiffres, 16, 33, 37-40, 50, 58-60, 88, 122, o Principe d’égalité, 64, 68-71,
251, 271, 367, 386-387, 416, 426, 467, 478, 89
588, 600-601 o Séparation des pouvoirs, 73-
77
Circonstances atténuantes, 79, 96, 249-251, - Finalités, 56-57
278, 290 - Incompétence, 35-37, 39
v. aussi Correctionnalisation - Règlement de juges
v. Règlement de juges
CIVI, 482, 504 - Types
o « A posteriori », 2930-32, 90,
Clerk, 62, 100, 242, 329, 448, 466 310
o Judiciaire, 28-29, 33-40, 53,
Collégialité, 52, 62, 148, 174, 329, 448, 452, 56, 59, 75, 77, 98, 103-104,
457-472 107-108, 118, 164, 230, 272,
325, 357, 372, 461, 537, 580,
Comité de réflexion sur la justice pénale 586-587, 589
v. Rapports de réforme (Rapport o Législative, 38, 56, 75, 86-87,
Léger) 105-108, 114, 250
o Par juridictions d’instruction,
Commission de réforme de la cour d’assises 38, 73-74, 76-77
v. Rapports de réforme o Par juridictions de jugement,
65, 87-98, 103

696
INDEX

- Procédure, 52, 91, 166, 172-173, 290-


Cour d’assises 291, 312, 320
- Compétence - Surcharge, 588
o Liste positive, 69, 118, 406
o Pour crime, 15 Cour d’assises spéciale des mineurs
v. Correctionnalisation, - Compétence, 168, 496
Compétence (division - Composition, 171, 493-494
tripartite)
o Pour délits politiques/presse, Cour de Justice de la République, 328, 342
106, 109, 422, 595
- Composition, 238 Cour de sûreté de l’Etat, 163-164
v. Assesseurs, Jury, Président
- Contumace, 521 Cracked trial
- Cour proprement dite, 196, 236, 256 v. Guilty plea
- Débats
v. Débats Crimes-délits
- Délibération v. Tribunal correctionnel
v. Délibération
- Intime conviction Criminal Cases Review Commission
v. Intime conviction v. Voie de recours
- Jury
v. Jury Cross-examination, 52, 185, 191-192, 198,
- Plénitude de juridiction, 65, 97, 163, 213, 215, 227, 257, 411
310, 346, 497
- Président Crown Court
v. Président - Appel
- Questions v. Appel
v. Système de questions - Beyond a reasonable doubt
- Motivation v. Beyond a reasonable doubt
v. Motivation - Compétence, 15, 19, 99, 102, 107,
121, 458, 591
Cour d’assises d’appel v. aussi Bench trial, guilty
- Composition, 362, 383 plea, jury waiver
- Désignation, 382 - Composition, 19, 238
- Procédure, 384 v. aussi Juré, jury, président
- Débats
v. aussi Appel v. Débats
- Délibérations
Cour d’assises des mineurs v. Délibérations
- Compétence - Détermination de la peine, 122
o Dessaisissement, 70, 109, - Histoire, 15
491-492, 526 - Majorité
o Disjonction, 168, 496, 499- v. Majorité
500 - Mineurs
o Jonction, 496, 501 v. Mineurs
- Composition, 491-493, 495, 501 - Portée, 58, 60, 107
- Plénitude de juridiction, 65, 496-497, - Right to a jury trial
499 v. Jury
- Procédure, 520-525
CRPC, 54, 83
Cour d’assises spéciale
- Appel, 171-172, 363, 377
- Compétence, 126, 164-168 D
- Composition, 168, 171 Débats
- Origine, 159, 162-163, 578, 587 - Continuité, 154, 174, 183-184, 282,
- Plénitude de juridiction, 172 320, 333-334

697
INDEX

- Contradictoire, 52, 78, 80, 184, 191- v. Compétence


192, 195, 199, 230, 305-306, 310,
353, 392 Diplock Court
- Enregistrement, 371, 374, 385 - Compétence, 165, 169
- Oralité, 135, 171-172170, 174, 183- - Composition, 162, 171
186, 189, 199, 210, 214, 222, 229, - Origine, 159-161
305, 362, 371, 404, 469, 476, 537, - Procédure, 172, 316
585, 593
- Publicité, 404, 420-422, 523 Droit étranger
- Système allemand, 329, 415, 424, 427,
Délai raisonnable 429-430, 434, 467, 473-479, 551-552,
v. CESDH/CEDH 556, 559, 585
- Système espagnol, 279, 283, 305, 329,
Délégué du procureur, 398, 441, 453, 508 334, 399-402, 404, 406-415, 417, 434,
545, 552, 604
Délibérations - Système genevois, 279, 551-552, 561,
- Consultation du dossier, 185 566, 585, 604, 606
- Contempt of court, 157 - Système italien, 325, 414, 474
- Découplage de délibération, 4, 334, - Système néerlandais, 227, 230, 321,
537, 542, 546 399, 418-434, 469, 537
- Délibéré mixte - Système russe, 279, 283, 399-401,
o Sur la culpabilité, 4, 140, 151, 403, 405-413, 415-416, 434
189, 192, 195, 200, 205, 236,
251, 254, 266-267, 269-275,
279, 300, 303, 305, 312, 320, E
332, 346, 363-365, 390, 495, Echevinage correctionnel, 286, 456, 459-
537, 550, 579, 593 465, 584
o Sur la peine, 90, 92-93, 236,
242, 248-251, 330 Emprunt de criminalité, 309
- Majorité v. Système de questions
v. Majorité
- Sans désemparer, 157, 278 Enquête de moralité, 210, 513
- Sans dossier, 185, 276
- Scission, 278, 330, 466 Erreur judiciaire, 102, 157, 277, 300, 337,
- Secret, 157, 199, 202, 250, 276, 299- 339, 349-350, 363, 383, 386, 388, 415, 471
301, 335, 337, 362, 367, 579, 592
Espérance légitime, 122
v. aussi Séparation entre fait et droit
Expert, 200
Délits-crimes
v. Tribunal correctionnel

Délits de presse F
v. Cour d’assises (compétence) Fraude complexe, 202, 221-225, 531

Détention provisoire, 188, 325, 344, 379,


387, 470, 562, 582, 588-589 G
v. aussi CESDH/CEDH (délai Guilty plea
raisonnable) - Conformidad, 410-411
- Cracked trials, 45-46, 57, 101-102
District Division - Critique, 64, 67, 71, 78-85
v. Middle tier of Justice - Définition, 42
- Indication de la peine, 45-47
District judge, 52, 62, 448, 455, 458, 506 - Mode of trial, 100
- Origine, 78
Division tripartite des infractions - Plea bargaining, 42, 100

698
INDEX

- Plea before venue, 49, 124 - Statut, 450-451


- Réduction de la peine, 45, 48, 78, 81,
96 v. Echevinage correctionnel
- Types
o Charge bargaining, 43, 48, 53, Juré
67, 74, 82 - Compréhension, 140, 198, 200, 202,
o Fact bargaining, 43, 48, 53, 82 219, 222, 233
o Sentence bargaining, 43-45, - Eligibilité, 132-137, 408
48, 82 - Empêchement, 156
- Exclusion
v. aussi CRPC, procédure simplifiée en o Inéligibilité fonctionnelle,
cas de RPC 139-140, 154
o Inéligibilité personnelle, 141-
142
H - Dispense, 133, 143
Haut comité consultatif - Intimidation, 158, 161-166, 168, 177-
v. Rapports de réforme 181, 591
- Nombre, 130, 224, 281-285, 383-384,
Huis clos, 178, 420, 452, 523 389, 408
- Manifestation d’opinion, 154, 156
- Protection, 169, 177-180179
I - Race, 146, 148, 153, 157
Incident contentieux, 282, 310, 312, 314, - Recrutement/composition
523, 553 o Composition préalable, 211
o Général, 127, 129-130
Infraction o Juré supplémentaire/
- De mœurs, 59, 122, 198, 216, 272 suppléant, 132, 156, 256
- On indictment, 15-16, 19-20, 23, 43, o Parité sexuelle, 136
99, 103, 458, 506 o Serment, 92, 135, 140, 150,
- Only summary, 19-20, 99, 458 153-155, 195, 198, 201, 300,
- Terrorisme, 158-162, 167-168, 181 (v. 305, 346
Terrorisme) o Session d’information, 143
- Triable either way, 16, 19-20, 41, 43, o Tirage au sort, 130, 133-134,
47, 49, 51, 71, 99-101, 107, 121-122, 136, 144-145, 148, 153, 162,
452, 458 177-178, 389, 510
- Récusation
Internement, 290, 330, 474 o Par le président, 136
o Péremptoire, 51, 136, 142,
Intime conviction, 154, 156, 201, 245, 298- 144-152, 162, 384
299, 302-306, 315, 318, 325, 511, 567 o Pour cause, 153, 155
o Stand-by, 147, 162
o Suppression, 146, 152
J - Remplacement, 155-156
JIRS, 171, 230 - Sanction de juré défaillant, 143
- Voir dire, 153
Juge de l’enquête et des libertés, 376
Juridiction d’exception, 17, 158-159, 169,
Juge de proximité 181
- Compétence, 453 v. Cour d’assises spéciale, Diplock
- Désignation, 450 Court
- Formation, 448
- Indemnisation, 450 Jury
- Origine, 443 - Chef du jury, 277, 312, 334
- Procédure, 449 - Décharge du jury, 156
- Profil, 437, 442, 446-447, 451, 504, - Hung jury, 178, 292-293, 362, 412
584 - Jury civil, 16, 252

699
INDEX

- Jury correctionnel, 461 o Lay justices (v. Lay


- Jury d’accusation, 16, 421, 431, 452 magistrate)
- Jury de session, 143 - Formation, 123
- Jury equity, 52, 92, 107, 245, 305, - Jugement, 242
321, 413 - Mode of trial, 19, 71, 98, 100
- Jury européen, 229 - Motivation, 329
- Jury spécial - Renvoi pour peine, 50, 100, 102, 107,
o Blue ribbon jury, 510 113, 121-124
o Citizen jury, 440
o Jury de ventre inspiciendo, Majorité
510 - Absolue, 290, 330
o Jury de medietate linguae, - Cour d’assises spéciale, 173
148, 510 - Minorité de faveur, 288, 495
o Jury technique, 493, 509-512 - Qualifiée, 178, 253, 287-293, 320,
o Self-informing jury, 99, 141, 384, 533, 567
301 - Simple, 173, 255, 279, 287-289, 335,
- Jury tampering 337, 346, 412
v. Juré (intimidation) - Unanimité, 178, 292, 412, 467
- Jury vetting, 147
- Jury waiver, 41, 51-52, 406, 411, 549 Middle tier of justice, 268, 458, 466-467,
- Origine, 240 531, 613, 572, 591
- Représentativité, 110, 129, 136, 140,
143, 145, 148, 169, 222, 298, 300, Mineurs
363, 510, 512 - Compétence
- Right to a jury trial, 41, 44, 52, 61, 68, o Crown Court, 491, 498, 516-
71, 75, 88, 99-103, 107, 222, 230, 517
406, 498, 600 o Cour d’assises des mineurs (v.
Cour d’assises des mineurs)
v. Souveraineté populaire o Cour d’assises spéciale des
mineurs (v. Cour d’assises
spéciale des mineurs)
L o Magistrates’ court, 60, 506
Lay magistrate o Tribunal pour enfants (v.
- Fonctionnement, 448 Tribunal pour enfants)
- Formation, 448 o Tribunal correctionnel des
- Origine, 443 mineurs, 527
- Profil, 62, 436, 446-447, 451 o YOP, 507, 526 (v. Referral
- Rémunération, 447 order)
- Statut, 450 o Youth court, 498, 506-507,
530-531
- Divulgation de l’identité, 524
M - Formation, 448, 491-492, 506
Magistrates’ court - Procédure
- Attribution des affaires, 50, 71, 100- o Publicité restreinte, 516, 523,
103, 121-123, 466-467 387, 587
- Appel o Questions spéciales (v.
v. Appel Système de questions)
- Compétence, 16, 19, 49, 62, 86, 99,
102, 107, 121, 123-124, 452-453, 458, Minorité ethnique, 71, 102, 136, 148
466
v. aussi Guilty plea Mode of Trial
- Composition, 62 v. Magistrates’ court
o Clerk (v. Clerk)
o District judge (v. District Motivation
judge)

700
INDEX

- Absence, 4, 171, 185, 199, 202, 227, - Pouvoirs


296-298, 316, 362, 367, 380, 388, o Admissibilité des preuves,
537, 579, 592 197
- CESDH/CEDH o Discrétionnaire, 185, 188,
v. CESDH/CEDH 238, 282, 560
- De la culpabilité, 251, 331, 333-337, o Instructions, 200
414, 424, 427, 467, 477 o Interrogation, 282
- De la peine, 226, 320, 330, 494 o Liste des témoins
- Délibéré mixte, 273 v. Audience préliminaire
- Intime conviction, 4, 304-306, 315 o Police et de direction des
v. Intime conviction débats, 192, 238, 282
- o Prononcé de la peine, 92, 252,
- Motivation a posteriori, 333-337, 477, o Récusation, 136
542, 546-548 o Système de questions, 31, 90,
- Motivation ‘suicidaire’, 334, 416, 477, 308, 310-311
553
- Nécessité, 325, 445 Presse, 128, 178, 333, 428, 440, 452, 476,
- Système des questions 516-517, 524
v. Système des questions
- Tête-queue, 425 Preuves
- Admissibilité, 196, 213-214, 217, 222,
227, 257, 367
 v. Trial within trial
e bis in idem, 31-32, 352 - Audience préliminaire
v. Audience préliminaire
ouvelle Calédonie, 464 - Bad character, 212, 216-217, 252
- CESDH/CEDH
ullités, 195-197, 207-209 v. CESDH/CEDH
- Corroboration, 172, 198-199, 215,
v. aussi Audience préliminaire et 260, 367
chambre des mises en accusation - Expert, 200
- Hearsay, 185, 199, 212-214, 242, 469
- Illégales/inadmissibles, 156, 195-196,
O 207, 227, 256
Opinion publique, 60-61, 245, 271, 325, 417, - Immédiateté, 305, 404, 407, 431, 433,
430, 452, 599-605 469, 476, 537
- Légales, 303-304
Oralité des débats - Mauvaise réputation,
v. Débats - No case to answer, 261, 366, 410
- Nullités, 195-197, 207-208
Ordonnance de renvoi, 36, 39, 98 - Purge complète, 196, 208
- Standard de preuves, 201, 260, 362
- Summing-up
P v. Summing-up
Partie civile, 145, 149, 152, 154
Privilège de juridiction, 341
Plénitude de juridiction
Procédure simplifiée en cas de RPC, 54, 83,
v. Cour d’assises, cour d’assises des
282, 380
mineurs, cour d’assises spéciale
Présomption d’innocence
Prescription, 115-116, 120
v. CESDH/CEDH
Président
Publicité restreinte
- Désignation, 238
v. Mineurs
- Formation, 203, 238

701
INDEX

Souveraineté populaire, 4, 30, 32, 235, 240,


Q 254-255, 268, 270-272, 274, 279, 295, 298,
Question prioritaire de culpabilité, 173, 320 300, 334, 337, 339, 349, 359-365, 377, 390,
537, 542, 546, 567, 572, 579, 591

R Summing-up, 92, 140, 200, 215, 218, 257-


Rapports de réforme 259, 262-264, 301, 303, 307, 316, 367, 410,
- Criminal Courts Review (Lord Auld), 466
52, 62, 92, 140, 217, 222, 264, 268,
312, 316 Système de questions
- Haut Comité consultatif, 326, 333, - Abolition, 312, 557
363, 369, 580-581 - CESDH/CEDH, 313-319
- Rapports Commission de réforme de - Circonstances aggravantes objectives,
la cour d’assises, 11, 59, 77, 110, 118, 309, 353
142, 152, 162, 181, 192, 206-207, - Feuille de questions, 315
210, 268, 272-274, 278-279, 282-283, - Incidents, 308, 310
289, 294, 306, 312, 317, 325-327, - Incompatibilité des réponses, 309,
332, 334, 338, 360-365, 369-375, 409, 315, 413
513-514, 537, 464, 555, 469-559, 564, - Lecture, 312, 380
566, 568, 594, 597, 608, 613 - Mineurs, 525
- Rapport Coulon, 483 - Motivation
- Rapport Guinchard, 456, 613 v. Motivation
- Rapport Léger, 14, 37, 54, 83, 149, - Pouvoirs du président
185, 192, 234, 282, 320, 326, 333, v. Président
376, 380, 465, 578, 582, 585 - Types de questions
- Rapport Varinard, 485, 489, 500, 508, o Questions complexes, 309
527 o Questions conditionnellement
- Rapport Viout, 585 obligatoires, 311
o Questions obligatoires, 90,
Recrutement des jurés 309, 413
v. Juré o Questions spéciales, 310
o Questions subsidiaires, 31-32,
Referral order, 507, 526 310, 335

Règlement de juges, 37, 39, 40, 98, 496-497


T
Renvoi de l’affaire à session suivante, 156, TAP, 482
254, 315, 337, 339, 343, 347, 375, 446
Témoin
Résumé - Absent, 214-215
v. Summing-up - Anonyme, 199, 318, 327, 337, 370
- CESDH/CEDH
v. CESDH/CEDH
S - Enquete de moralité, 210
Schwurgericht - Intimidation, 214-215
v. Droit étranger (système allemand) - Liste des témoins
v. Audience préliminaire
Secret de la délibération - Restrictions, 188-189, 210
v. Délibération
v. aussi Cross-examination,
Séparation du fait et du droit, 56, 91, 200, Tribunal correctionnel
235-237, 239-246, 249-252, 270, 279, 404,
408, 461, 466, 473, 495, 537, 557, 579, Terrorisme
591580 v. Cour d’assises speciale, Diplock
Court et juré (intimidation)

702
INDEX

Trial within trial, 197, 207, 257, 346 - Criminal Cases Review Commission,
300, 351, 362, 366
Tribunal correctionnel - Double degré d’instruction
- Appel, 378-380, 382, 386, 393 v. Appel
- Audition des témoins, 469 - Opposition, 380
- Compétence, 16, 18-19, 28, 62, 86, - Pourvoi en cassation, 348-349
500, 537, 558 o Cassation élargie, 370-375
o Crimes-délits, 117-120 o Cassation immédiate, 65, 98,
o CRPC 207
v. CRPC - Réexamen d’une décision pénale, 353
o Délits-crimes, 115-116 - Réouverture de la procédure, 309, 353
o Délits de presse, 106, 108-110 - Révision, 348, 350
o Seuil de peine correctionnelle,
113-114, 593-554, 612 Vote
v. Correctionnalisation - Bulletins écrits, 135, 276, 327
- Composition - Majorité
o Collégialité, 120, 471-472 v. Majorité
o Echevinage correctionnel - Réponse aux questions
v. Echevinage correctionnel v. Système des questions
o Juge de proximité (v. Juge de - Secret, 289, 320, 327, 579
proximité) - Sur culpabilité, 278-279, 289, 294,
o Juge unique, 471 327, 364
o Jury correctionnel (v. Jury) - Sur peine, 277, 290
- Défauts, 468-469
- Motivation, 322, 325, 330
- Procédure, 183, 188, 192, 208-209, Y
238, 278, 282, 312, 354, 369, 371- Youth Offender Panel (YOP)
372, 433, 469-470, 560-562 v. Mineurs

Tribunal criminel/Cour criminelle Youth Court


- Appel, 563-569 v. Mineurs
- Compétence, 561-562
- Composition, 550-557
- Critiques, 571-575
- Motivation, 545-549
- Procédure, 559-560, 585

Tribunal criminel départemental, 59, 391,


580, 582, 586

Tribunal pour enfants


- Appel, 503, 534
- Compétence, 65, 499-500
- Composition, 462, 464-465, 499, 502-
504
v. aussi Assesseurs
- Délibéré mixte, 495
- Fonctionnement, 505
- Motivation, 329
- Procédure, 521-523, 526

V
Voie de recours
- Appel
v. Appel

703
TABLES DES MATIERES

TABLES DES MATIERES

SOMMAIRE .......................................................................................................................................... i

ABREVIATIOS ................................................................................................................................ iii

ITRODUCTIO ................................................................................................................................ 1

PREMIERE PARTIE — UE PARTICIPATIO MARGIALISEE PAR L’EVOLUTIO


VERS PLUS DE SPECIALISATIO .............................................................................................. 13

Titre I — UE MARGIALISATIO EXTRISEQUE ......................................................... 17

Chapitre I — LA SPECTACULAIRE COQUÊTE PAR LE JUGE CORRECTIOEL


ET LE MAGISTRATE AGLAIS .......................................................................................... 21

Section 1 — UNE PRATIQUE D’UTILITARISME ILLICITE ? .......................................... 26


§ 1 — Nécessité des alternatives ........................................................................................ 27
A — Variété des techniques ........................................................................................... 27
1. Rôle central des autorités de poursuite et d’instruction en droit continental ......... 28
a) Pratique désuète postérieure au jugement de fond............................................. 28
b) Pratique courante antérieure au jugement de fond ............................................ 31
2. Rôle central de l’accusé en droit anglais ................................................................ 45
a) Pratique de guilty plea ....................................................................................... 46
b) Proposition de jury waiver................................................................................. 57
B — Unité des finalités et des conséquences ................................................................. 62
1. A l’épreuve d’un nouveau défi ............................................................................... 62
2. Vers une professionnalisation de la justice pénale ? .............................................. 65
§ 2 — Défaillance des alternatives ..................................................................................... 70
A — Reproches communs .............................................................................................. 70
1. Atteinte au principe de légalité............................................................................... 70
2. Atteinte au principe d’égalité ................................................................................. 73
B — Critiques spécifiques .............................................................................................. 78
1. Une pratique continentale à contre-pied de la séparation des pouvoirs ................. 78
2. Une pratique anglaise à contre-pied les garanties de la Convention européenne des
droits de l’homme ? .................................................................................................... 81

Section 2 — UNE POLITIQUE DU PENDULE LEGITIME ................................................ 88


§ 1 — Volonté indispensable de mitigation ........................................................................ 89
A — Une atténuation attribuée par les juridictions de fond ........................................... 89
1. En aval : la correctionnalisation ‘contemporaine’ au jugement ............................. 90
a) Disqualification lors de la décision sur la culpabilité ........................................ 90
b) Disqualification lors de la détermination de la peine ........................................ 93
2. En amont : l’abolition du right to a jury trial ? ...................................................... 97
a) Le right to a jury trial : un droit relatif .............................................................. 98
b) Un droit voué à l’extinction ? .......................................................................... 101
B — Une atténuation envisagée par le législateur ........................................................ 103
1. Vagues de décriminalisation en droit français et droit anglais ............................. 104
2. Interventions ponctuelles en droit belge ? ............................................................ 108
§ 2 — Réalité non-négligeable de répression ................................................................... 113
A — Elargissement du seuil correctionnel traditionnel ................................................ 114
1. Des « délits-crimes » en droit français ................................................................. 114

705
TABLES DES MATIERES

2. De « crimes-délits » vers de simples « délits » en droit belge.............................. 117


B — Diminution des committals for sentence .............................................................. 121
1. Déclin fréquent des magistrates anglais ............................................................... 122
2. Extension des pouvoirs en réaction aux abus de pouvoir ..................................... 123

Conclusion du chapitre I ............................................................................... 125

Chapitre II — LA CRÉATIO DES « JURIDICTOS D’EXCEPTIO » ...................... 127

Section 1 — LA MENACE D’INTIMIDATION DES JURES ............................................ 128


§ 1 — Garde-fous internes : la difficile entente entre représentativité et impartialité ...... 131
A — La quête législative d’un jury impartial et représentatif ...................................... 131
1. Les conditions d’aptitude au service de la représentativité du jury ...................... 131
2. Les exclusions législatives au service de l’impartialité du jury ........................... 136
a. Inéligibilité fonctionnelle ................................................................................. 137
b. Incompatibilité personnelle .............................................................................. 139
B — La quête des parties de ‘leur’ jury ........................................................................ 144
1. Récusation péremptoire comme expression essentielle du droit de la défense .... 145
a. Une (quasi)-inégalité des armes en droit anglais.............................................. 145
b. Une (quasi)-égalité des armes en droit franco-belge........................................ 148
2. Récusation pour cause et ses équivalents comme garde-fou d’impartialité ......... 152
§ 2 — Solutions externes surabondantes : la difficile entente entre spécialisation et égalité
........................................................................................................................................... 162
A — Recours à la spécialisation en réponse à une menace supposée........................... 163
1. Une dérogation jalonnée en pleine évasion ? ....................................................... 164
a. Le dédoublement de la procédure en réponse au phénomène croissant du
terrorisme ............................................................................................................. 164
b. L’extension vers un amalgame d’autres infractions......................................... 168
2. Une dérogation ‘emprisonnée’ dans une procédure de droit commun ? .............. 173
a. La transposition caricaturale d’une logique accusatoire dans un monde
professionnel ........................................................................................................ 173
b. Un déficit accusatoire ? .................................................................................... 176
B — Recours à des mesures ponctuelles en réponse à une menace démontrée............ 179
1. Un consensus sur la nécessité de protéger les jurés ............................................. 179
2. L’abolition du jury comme ‘ultimum remedium’ ................................................. 183

Section 2 — LE RISQUE D’INCOMPREHENSION DES JURES ..................................... 186


§ 1 — Les principes fondateurs de la procédure criminelle : sa plus-value incontestable, sa
menace déplorable............................................................................................................. 186
A — Une justice à coups de théâtre.............................................................................. 189
1. Quantité et qualité des témoins ............................................................................ 189
2. Force des protagonistes ........................................................................................ 192
B — Une justice à complexité progressive................................................................... 198
1. A l’épreuve de la preuve ...................................................................................... 199
2. A l’épreuve de la technicité du droit criminel ...................................................... 205
§ 2 — Les tentatives entamées vers une rationalisation accrue ........................................ 212
A — Retouches internes valorisant le jugement populaire........................................... 212
1. Voie de méfiance en droit belge ........................................................................... 213
a) Une audience préliminaire pour les questions procédurales ............................ 213
b) Une audience préliminaire pour la liste des témoins ....................................... 217
2. Preuve de confiance en droit anglais .................................................................... 219
a) Libéralisation de hearsay evidence (preuves par oui-dire) .............................. 219
b) Libéralisation de bad character evidence (preuves de mauvaise réputation) .. 222

706
TABLES DES MATIERES

B — Solutions externes manifestant l’européanisation ? ............................................. 224


1. Impasse nationale en matière de fraude complexe ............................................... 224
2. Impulsions européennes en matière de fraude communautaire............................ 229
a. Le droit pénal face à une criminalité transfrontalière ...................................... 229
b. Emancipation du droit pénal à travers le Corpus juris ? .................................. 232

Conclusion du chapitre II ............................................................................. 235

Conclusion Titre I .......................................................................................... 236

Titre II — UE MARGIALISATIO ITRISEQUE ....................................................... 239

Chapitre I — L’ISOUTEABLE SEPARATIO DU FAIT ET DU DROIT ................ 241

Section 1 — LA SEPARATION DU FAIT ET DU DROIT : CHRONIQUE D’UNE MORT


ANNONCEE ? ...................................................................................................................... 242
§ 1 — L’artificiel d’une séparation toute naturelle ........................................................... 244
A — Le jury, l’incarnation de l’indépendance, le juge, l’incarnation de la technicité . 244
B — Une simplisme mythique toujours d’actualité ?................................................... 248
§ 2 — Des passerelles visant à une symbiose fructueuse entre les juges professionnels et
les jurés ............................................................................................................................. 253
A — L’immixtion réciproque des jurés et des juges professionnels en droit continental
...................................................................................................................................... 253
1. L’association des jurés dans la détermination de la peine.................................... 253
2. L’implication des juges professionnels dans le domaine de la culpabilité........... 258
B — L’intrusion unilatérale du juge professionnel en droit anglais ............................. 262
1. Le summing-up du président anglais .................................................................... 262
2. La frontière floue entre ‘conseiller’ et ‘diriger’ ................................................... 266

Section 2 — INTENSIFICATION DES INTERDEPENDANCES ET CHANGEMENT DES


ROLES ........................................................................................................................................
§ 1 — Le délibéré conjoint, une nouvelle conquête du corps professionnel ?.................. 273
A — Divergence de justifications ................................................................................ 274
B — Divergence de rôles ............................................................................................. 279
§ 2 — Le délibéré conjoint, la prédominance encadrée du jury ?..................................... 284
A — Le nombre de jurés .............................................................................................. 284
B — Les règles de majorité .......................................................................................... 292

Conclusion du chapitre I ............................................................................... 298

Chapitre II — L’ISOUTEABLE ABSECE DE GARATIES FODAMETALES


DU PROCES EQUITABLE ................................................................................................... 301

Section 1 — L’ABSENCE DE MOTIVATION CRIMINELLE .......................................... 303


§ 1 — Un ilôt d’irrationalité dans une société en quête de justification ........................... 304
A — La souveraineté du peuple : une légitimité intrinsèque sous attaque ................... 306
1. Le peuple souverain, le peuple divin ? A la recherche de la notion du « jury
populaire »................................................................................................................ 306
2. L’intime conviction, un laissez-passer des sentiments ? ...................................... 309
B — Une souveraineté encadrée par le système des questions .................................... 317
1. Canaliser les sentiments dans une rigueur des questions ..................................... 317
2. Une atteinte injustifiable aux exigences supranationales finalement reconnue par la
CEDH ....................................................................................................................... 325
§ 2 — La quête d’une rationalité inévitablement ‘destructive’ ? ...................................... 336

707
TABLES DES MATIERES

A — Un consensus sur la nécessité d’une motivation criminelle ................................. 336


B — Un consensus sur une mise en œuvre épineuse .................................................... 340
1. La motivation du jugement : œuvre collective ? .................................................. 340
2. Rédaction : œuvre professionnelle ? .................................................................... 348

Section 2 — l’ABSENCE D’(UN) VRAI APPEL EN MATIERE CRIMINELLE .............. 357


§ 1 — La nécessité de protéger contre un verdict erroné .................................................. 358
A — La ‘supériorité’ de la procédure criminelle ? ....................................................... 358
1. En amont et pendant le procès criminel ............................................................... 360
2. En aval du verdict du jury .................................................................................... 362
B — La conformité de la procédure criminelle aux exigences supranationales ........... 371
§ 2 — Des tentatives prometteuses mais insatisfaisantes ................................................. 376
A — Approche « souverainiste-traditionnelle » en droit belge et anglais .................... 376
1. Le jury et l’appel : un duo antinomique ?............................................................. 377
2. Une cassation déguisée en appel, un appel déguisé en cassation ? ...................... 383
a. La solution anglaise de leave to appeal............................................................ 384
b. La solution belge d’une cassation élargie ........................................................ 388
B — Approche « souverainiste-moderniste » en droit français ? ................................. 392
1. Le recours criminel français : un appel ‘putatif’ ? ............................................... 394
2. A la recherche d’un appel hiérarchique à part entière : une victoire à la Pyrrhus ?
.................................................................................................................................. 400

Conclusion du chapitre II ............................................................................. 408

Conclusion du Titre II ................................................................................... 410

Conclusion de la première partie ................................................................. 413

DEUXIEME PARTIE — UE SPECIALISATIO ERICHIE PAR L’EVOLUTIO VERS


PLUS DE PARTICIPATIO .......................................................................................................... 410

Titre I — U ERICHISSEMET ICOTESTABLE ? ..................................................... 421

Chapitre I — LA REAISSACE COTEMPORAIE DU JURY POPULAIRE ........ 423

Section 1 — LA PARTICIPATION COMME PROTECTION CONTRE LE DESPOTISME


ET LA DICTATURE : LES EXEMPLES ESPAGNOL ET RUSSE ................................... 424
§ 1 — Le jury comme « baromètre de la situation politique et sociale ».......................... 424
A — Un passé dictatorial.............................................................................................. 425
B — Une démocratisation contemporaine : la genèse des lois instituant le jury populaire
...................................................................................................................................... 428
§ 2 — Le caractère hybride des nouvelles procédures pénales ......................................... 433
A — Une procédure accusatoire ‘encadrée’ ................................................................. 433
B — Une illusion démocratique ?................................................................................. 442

Section 2 — LA PARTICIPATION COMME CONTREPOUVOIR A UNE


PROFESSIONNALISATION INTROVERTIE : L’EXEMPLE NEERLANDAIS ............. 445
§ 1 — Les faiblesses d’un système de justice professionnelle clos .................................. 446
A — Culture des spécialistes ........................................................................................ 447
B — Crise de confiance et populisme pénal ................................................................. 451
§ 2 — L’ouverture vers une participation citoyenne : la plus-value d’une justice plus lente
........................................................................................................................................... 457
A — Culture et droit ..................................................................................................... 457
B — Une justice plus démocratique versus une justice qualitativement meilleure ...... 461

708
TABLES DES MATIERES

Conclusion du chapitre I ............................................................................... 465

Chapitre II — LES OUVELLES EXIGECES D’UE JUSTICE PEALE


COTEMPORAIE : PROXIMITE, TRASPARECE ET PARTICIPATIO.......... 467

Section 1 — L’ASCENSION DE LA SOCIETE CIVILE.................................................... 468


§ 1 — La proximité : un avatar du ‘managérialisme’ ....................................................... 469
A — L’implication des citoyens, un répéré dans une ‘utopie sécuritaire’ ................... 469
B — Une pluralité des mondes judiciaires ................................................................... 472
§ 2 — Le juge de proximité français et le magistrate anglais : une participation citoyenne
sous-estimée ? ................................................................................................................... 477
A — Un non-professionnalisme à relativiser ............................................................... 477
B — Paradoxes sur le plan des compétences ............................................................... 485

Section 2 — LA QUETE DE COLLEGIALITE : UNE PERSPECTIVE PARTAGEE DE


REFORME ............................................................................................................................ 491
§ 1 – Un nouveau dessin de la carte judiciaire.................................................................. 492
A — Vers un échevinage correctionnel français .......................................................... 493
B — Vers un middle tier of justice anglais ................................................................... 501
§ 2 — L’illusion d’une immixtion fructueuse ?................................................................ 504
A — Juger les juges ...................................................................................................... 504
B — Le modèle allemand ............................................................................................. 510

Conclusion du chapitre II ............................................................................. 515

Conclusion du Titre I .................................................................................... 517

TITRE II — U ERICHISSEMET MULTIDISCIPLIAIRE......................................... 519

CHAPITRE I — VERS UE « PARTICIPATIO SPECIALISEE » ? ............................ 523

Section 1 — LA (NON-)SPECIALISATION ORGANIQUE DE LA JUSTICE


CRIMINELLE DES MINEURS ........................................................................................... 524
§ 1 — Les pièges du droit comparé .................................................................................. 527
A — La composition des juridictions criminelles des mineurs .................................... 528
B — La compétence de la cour d’assises des mineurs ................................................. 535
§ 2 — A la recherche d’une multidisciplinarité ................................................................ 540
A — L’exemple du tribunal pour enfants français ....................................................... 541
B — L’utopie du jury technique ? ................................................................................ 547

Section 2 — LA (NON-)SPECIALISATION PROCEDURALE DE LA JUSTICE


CRIMINELLE DES MINEURS ........................................................................................... 552
§ 1 — Justice ordinaire, justice autonome, justice d’exception ou justice spécialisée ? En
tout cas, justice menacée ................................................................................................... 553
A — L’insuffisance d’une simple adaptation ............................................................... 553
B — L’effritement du modèle protecteur ..................................................................... 557
§ 2 — Regain du modèle d’échevinage ............................................................................ 568
A — Une nouvelle conception de la youth court ......................................................... 568
B — Un tribunal pour enfants élargi ............................................................................ 570

Conclusion du chapitre I ............................................................................... 572

CHAPITRE II — UE SPECIALISATIO PARTICIPATIVE........................................ 575

709
TABLES DES MATIERES

Section 1 — UNE NOUVELLE JURIDICTION CRIMINELLE : LOGIQUE NATIONALE


DE TRADITION VERSUS LOGIQUE INTERNATIONALE DES DROITS DE L’HOMME
............................................................................................................................................... 578
§ 1 — Fidèle aux nouvelles exigences d’une justice criminelle contemporaine............... 580
A — Du besoin d’une motivation vers une délibération commune.............................. 581
B — D’une délibération commune vers une composition multidisciplinaire ? ............ 585
§ 2 — Les répercussions fructueuses de la nouvelle justice délibératoire ........................ 591
A — Une rationalisation de la procédure, une objectivation de la compétence ........... 591
B — Un véritable appel hiérarchique ........................................................................... 594

Section 2 — MERITE DE LA LOGIQUE DES DROITS DE L’HOMME, VICTOIRE DE


LA LOGIQUE DE TRADITION ? ....................................................................................... 599
§ 1 — Faisabilité et opportunités de la nouvelle juridiction criminelle dans les trois pays
étudiés ............................................................................................................................... 602
A — Plus grande ouverture de la procédure française ................................................. 603
B — Difficile implémentation dans la procédure anglaise et belge ............................. 612
§ 2 — La force de la ‘foule’ .............................................................................................. 617
A —Jury et opinion publique : un amour inconditionnel ? .......................................... 618
B — Ou un coup de foudre aveugle ?........................................................................... 620

Conclusion du chapitre II ............................................................................. 623

Conclusion du Titre II ................................................................................... 624

Conclusion de la deuxième partie................................................................. 627

COCLUSIO GEERALE.......................................................................................................... 629

BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................... 633

TABLE DE LA JURISPRUDECE ............................................................................................... 679

IDEX ............................................................................................................................................... 695

TABLES DES MATIERES ............................................................................................................. 705

710

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