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THOMAS David

Université Catholique de l'Ouest


Institut de Psychologie et de Sociologie Appliquées
Année universitaire 2007 - 2008
MASTER 2

MEMOIRE DE RECHERCHE
 
SPECIALITE Psychologie Clinique
Parcours : psychopathologie
 

LE SIGNIFIANT PRIS A LA LETTRE DANS LE


TRANSFERT HYSTERIQUE

 
Directeur de mémoire : Claude SAVINAUD
Session : Juin 2008
Charte de non-plagiat

Je, soussigné(e) ...David THOMAS........étudiant à l'IPSA en....Master 2 de psychopathologie


clinique…. certifie que le texte présenté comme dossier (validé officiellement dans le cadre d'un
diplôme d'Etat) est strictement le fruit de mon travail personnel. Toute citation (sources internet
incluses) doit être formellement notée comme telle, tout crédit (photo, illustration diverse) doit
également figurer sur le document remis. Tout manquement à cette charte entraînera la non prise en
compte du dossier.

                        Fait à ..................... le ...........................

                                        Signature
Remerciements

Je tiens à remercier Monsieur Savinaud pour m’avoir guidé dans ma réflexion, pour
m’avoir orienté vers des pistes de travail très intéressantes. Ses remarques pertinentes ont élargi
mon champ d’analyse, d’introspection, et m’ont amené à beaucoup de questionnements dans une
sereine dynamique.

Je remercie ma tutrice de stage et mon groupe d’analyse de la pratique qui m’ont aidé à
pouvoir verbaliser sur ce suivi clinique et à m’ouvrir à de nouvelles perspectives.

Merci à l’institution du stage qui m’a offert une expérience clinique très enrichissante et
très formatrice.

Merci aussi à mes parents, sans qui je ne pourrais certainement pas avoir la chance de
présenter ce mémoire.

Un grand merci à Marie pour son soutien tout au long de la rédaction du mémoire, pour sa
relecture et surtout sa patience.
Table des matières

Introduction 1

PARTIE I : La clinique 3
1. Présentation de la patiente......................................................................................3

2. Les demandes.........................................................................................................4

3. Thèmes abordés en entretien et enjeux relationnels...............................................6

PARTIE II : Problématiques et processus identificatoires chez un


sujet hystérique 13
1. Diagnostic d’une névrose hystérique....................................................................13

2. Le déclenchement de l’hystérie : le traumatisme.................................................18

3. Le complexe d’Œdipe dans les théories de Freud et de Lacan.............................24


1.1 Le complexe de castration et le penisneid chez Freud 24
1.2 Les trois temps logiques de l’Œdipe dans la théorie de Jacques Lacan 25

4. La métaphore paternelle.......................................................................................27
4.1 Panique dans la métaphore paternelle chez Evelyne 27
4.2 De la métaphore paternelle et du phallus métaphorique 28

5. L’identification phallique à la mère......................................................................32


5.1 Identification au phallus de la mère 32
5.2 Une identification hystérique par procuration : similitudes avec le cas Dora 35
5.3 Le phallus métonymique 39
5.4 L’identification au trait unaire 41

PARTIE III : Les effets d’une demande signifiante dans le transfert


46
1. Le signifiant est une parole qui marque la coupure du sujet................................46
1.1 Une parole de l’Un qui doit advenir en un Un-en-moins 46
1.2 Le sujet subit une coupure signifiante 49
1.3 L’hystérique dit le phallus 52

2. L’adresse de la demande au clinicien dans le transfert :......................................53


2.1 La nécessité d’un au-delà et d’un semblant dans la demande 53
2.2 Une recherche de désir de désir insatisfait 63
2.3 L’hystérique fait du clinicien son maître 68
PARTIE IV : D’une barrière à la signification : la résistance au
transfert 74
1. Barrière entre le signifiant et le signifié : l’hystérique est un sujet barré.............74

2. Témoignage d’une volonté frustrante à une défiance...........................................78

3. Résistance au transfert : répétition et jouissance..................................................82


3.1 Résistance et refoulement 82
3.2 Résistance et répétition 85
3.3 Résistance et jouissance 87

4. Effets du contre-transfert......................................................................................89

PARTIE V : La lettre d’Evelyne en souffrance dans le transfert 94


1. La lettre d’Evelyne est un signifiant.....................................................................94

2. « La lettre volée ».................................................................................................95

3. Le sens de la lettre pour Evelyne..........................................................................96

4. Garder la lettre à portée de main..........................................................................98

5. L’automatisme de répétition dans la chaîne signifiante.......................................99

6. La lettre comme piège du regard........................................................................100

7. C’est la possession de la lettre qui implique son déplacement...........................101

8. La lettre porte l’énigme de la féminité...............................................................103

9. Dupin analyste ?.................................................................................................103

10. Le destin de la lettre........................................................................................104

Conclusion 106

Bibliographie 110

Résumé et mots clés 1


Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

Introduction

L’hystérique est pour J-D Nasio l’enfant magnifique de la psychanalyse. Mais est-elle une
création de la psychanalyse ou est-elle à l’origine de la refente de la psychanalyse ? L’hystérie a
traversé les âges, se modelant aux différents maîtres qu’elle rencontrait et qui annulaient
progressivement sa condition féminine : Hippocrate et la migration utérine, Galien et la semence, le
prêtre et l’emblème du démon du moyen âge, Charcot et le traumatisme, Bernheim et l’hypnose,
Janet et la dissociation, et aujourd’hui serait-ce la masse média et les plateaux de télévision style
« çà se discute » qui alimentent son symptôme ? Entre temps est venu Freud et la psychanalyse, la
psychanalyse s’est vu transformée au fur à mesure des rencontres de Freud avec l’hystérique : la
cure de parole et l’association libre avec Breuer, puis le renoncement à l’hypnose, la signification
du symptôme, le transfert / contre-transfert (Dora)... L’originalité de cette conception fut de dire
que le traumatisme qui engendrait la pathologie était d’ordre sexuel et avait un rôle prédominant.
Après avoir présenté la clinique d’Evelyne, une patiente rencontrée en centre de
consultation en libéral et présentant diverses demandes (frigidité, manque de confiance, problème
familiaux), j’essaierai de m’appuyer sur les concepts psychanalytiques développés par Freud et
Lacan, notamment, afin de discuter de mon hypothèse de départ : Evelyne est une hystérique. Cette
première partie plutôt théorique, mais toujours en lien avec la clinique, nous permettra d’entrevoir
le nœud du problème au niveau du complexe d’Oedipe et des processus identificatoires qui
supportent la défaillance de l’assomption de la métaphore paternelle.
Nous entamerons ensuite une réflexion théorique sur ce que nous aurons extrait de notre
élaboration sur la clinique d’Evelyne, c'est-à-dire, le signifiant phallique. Ce signifiant phallique,
produit d’une coupure, s’inscrit dans un acte langagier où s’articule chez Evelyne l’ambigüité d’être
dite ou de dire le phallus. Nous rendrons compte ensuite de l’intensité chez l’hystérique du clivage
et de l’inadéquation entre la demande et le désir, qui nécessite de poser du semblant dans la
demande afin de laisser voiler ce qu’il en est du véritable désir, ce qu’il en est de la vérité sur la
castration.
Par la suite, nous nous attacherons à la singularité de la clinique d’Evelyne dans la relation
transférentielle, afin de comprendre comment elle cherche à capter le regard de l’autre, à faire
désirer l’autre, pour mieux créer de l’insatisfaction. Par exemple, il sera intéressant de nous appuyer
sur deux exemples concrets de sa clinique comme : le « décolleté » et la « frigidité » ; et sur son
désir de savoir qui ne demandera qu’à être déçu, puisque le maître (qu’elle nomme) ne serait être

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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
qu’impuissant pour lui apporter la vérité qu’elle attend vainement.
Je vous aurai ainsi présenté quel positionnement clinique j’ai adopté pendant ce travail
psychothérapeutique, mes difficultés, et mes erreurs face à Evelyne. J’aborderai donc les raisons qui
ont pu provoqué l’arrêt précipité de la psychothérapie chez la patiente, se disant malgré tout aller
suffisamment bien pour pouvoir poursuivre son chemin : les résistances au transfert, les difficultés à
vivre les frustrations induites par la pratique clinique d’inspiration psychanalytique, les marques de
défiance… Nous supposerons des causes ayant rapport avec le refoulement, avec la barrière érigée
sur la signification, la jouissance et l’automatisme de répétition. Nous n’excluront surtout pas les
effets du contre-transfert, qui sont à percevoir en premier lieu dans ce type de travail. Je ferais ainsi
certains rapprochements avec le cas Dora, développé par Freud - pour maintenir une certaine
réserve de ma part, que je pense justifier dans ce type de travail - pour témoigner des rapports de
séduction et de mort dans la relation transférentielle.
Dans une dernière partie, nous apporterons une réflexion sur les éléments théoriques et
cliniques en l’illustrant par un autre élément de la clinique d’Evelyne, une « lettre », qui vient se
signifier et se déplacer métonymiquement dans le transfert. Nous soutiendrons alors les dernières
tentatives de réponses sur la nécessité pour l’hystérique de recréer une structure de fiction (un
semblant) pour à la fois maîtriser l’angoisse, se prémunir du phallus, châtrer le maître ou celui qui
se croit en être possesseur, s’arrêter sur la question de la castration, résoudre l’énigme de la
féminité…afin de percevoir le jeu de déplacement du signifiant, pris à la lettre chez l’hystérique,
c'est-à-dire son désir.

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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

PARTIE I : La clinique

1. Présentation de la patiente

Il s’agit d’une jeune femme de 23 ans que je rencontre dans le cadre d’un centre de
consultation en libéral. Je lui donne comme nom d’emprunt Evelyne. C’est par le biais d’une
permanence téléphonique que j’effectue un soir entre 17 et 19h que je lui propose un entretien
exploratoire d’analyse de la demande, afin d’évaluer sa demande et de lui proposer un
accompagnement qui lui convienne. Sa demande initiale au téléphone était d’entreprendre une
thérapie comportementale et cognitive pour des problèmes qu’il lui était impossible d’évoquer car
«  trop compliqués à expliquer ». Devant un certain flou que je pouvais ressentir, et par rapport à un
manque de conviction quant au suivi spécifique comportementaliste, je lui ai donc proposé ce
rendez-vous.
Lors de notre première rencontre, elle s’inscrivit tout de suite dans un processus
psychothérapeutique ayant peu à voir avec la pratique comportementale, je lui ai donc offert mes
services. Je lui ai donc expliqué quelles différences il y avait entre les TCC et les thérapies
d’inspiration psychanalytique, dans quels domaines ces deux approches pouvaient être « efficaces »,
et qu’il me semblait intéressant pour elle par rapport à ce qu’elle m’amenait, d’entreprendre un
travail plus psychanalytique. Au début de l’entretien, il m’a juste fallu poser mon carnet de note pour
qu’elle passe rapidement sur ses demandes afin d’évoquer des souvenirs d’enfance traumatisants
pour elle, des conflits parentaux, des énigmes familiales, des questions identitaires…. A partir de ces
éléments et de ses demandes, en essayant de ne garder aucun parti pris, j’ai pensé qu’un travail
centré sur ses comportements ne lui permettrait pas de répondre à toutes ces questions.

Du point de vue du contact avec la patiente, j’ai trouvé face à moi une jeune femme plutôt
exaltée, sûre d’elle, communiquant assez facilement sur sa vie intime (bien que très sensiblement
gênée), présentant des facilités d’expression et une richesse du vocabulaire. Il faisait très froid à
l’extérieur lors de notre première rencontre, pourtant elle dévoilait un décolleté assez plongeant.
Elle se plaçait le plus souvent en avant sur sa chaise, presque penchée, les jambes toujours croisées,
ne montrant pas l’impression de pouvoir rester collée au dossier. Son visage était expressif, plutôt
souriant (même à l’évocation de souvenirs désagréables), mais elle rougissait beaucoup, ce qu’elle
essayait de cacher.

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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Au bout de quatre entretiens, et non sans signifier de nouveaux symptômes et épisodes
vécus difficilement depuis le dernier entretien, elle décida de mettre un terme à son travail
psychothérapeutique.

2. Les demandes

Lors du premier entretien, Evelyne me présenta deux demandes (« deux problèmes »)


qu’elle souhaitait résoudre par un travail psychothérapique. La première demande qu’elle m’exposa
concernait plus particulièrement sa mère. Elle avait en effet peur de reproduire les mêmes schémas
relationnels et affectifs que sa mère, c'est-à-dire, d’attendre de trouver son 3 ème compagnon de
longue durée pour pouvoir être enfin heureuse. Evelyne est à présent avec le 2 ème homme important
dans sa vie et elle a des craintes quant au futur de sa relation avec celui-ci, tant elle fait d’analogies
entre la vie et le caractère de sa mère et les siens. Evelyne m’expliqua donc que ses parents se sont
séparés lorsqu’elle avait 7 ans, son père étant parti « du jour au lendemain » avec une autre femme,
et sa mère en avait beaucoup souffert. Evelyne et son frère se sont retrouvés pratiquement « sans
père  », et ce sentiment d’abandon a perduré toutes ces années. Depuis lors, son père et elle n’ont eu
que très peu de contact. Elle me dit qu’il ne les a pratiquement pas aidé financièrement toutes ces
années, et qu’elle a mal vécu d’être habillée « comme une pauvre, d’habits qu’on nous donnait ».
Son père a refait sa vie, Evelyne ne m’a pas dit s’il avait d’autres enfants. Elle caractérise son père
comme un être éminemment narcissique, très imbu de lui-même, exerçant une certaine fascination
sur son entourage et les personnes qu’il côtoie dans son métier. D’après ce que j’ai compris, il me
semble qu’il exerce aussi dans le monde du spectacle et qu’il fait parti d’une chorale.

La deuxième demande qu’Evelyne formule concerne des problèmes de frigidité. Elle ne


l’énonce bien sûr pas ainsi, elle dit plutôt qu’elle n’a plus de désir sexuel pour son ami, et que çà
l’ennuie au quotidien. Pourtant, il me semblait déjà que ce n’était pas là que se situait vraiment le
problème. Je ne tombais pas dans ce piège d’apporter trop d’importance à ce symptôme. Elle finira
par me dire qu’en fait elle peut très bien s’en passer, qu’elle souhaiterait pouvoir vivre une relation
sans sexualité, mais que cette idée est inconcevable. Evelyne me rapporte aussi qu’elle devra
forcément « passer par là » si elle veut avoir des enfants : « Je voudrais bien avoir des enfants
quand même, il faudra bien que çà se passe ». Je sens que sa démarche sur cette question de la
frigidité vient répondre au désir de son ami, même si elle me le présente comme quelqu’un de
compréhensif. Evelyne le met cependant en cause concernant ses choix vestimentaires tels que le

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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
jogging à la maison qui représente pour elle un « tue l’amour ». Elle en vient aussi à me dire
qu’elle a déjà ressenti il y a quelques semaines une attirance sexuelle envers un de ses collègues,
lorsqu’elle et lui se sont frôlés pendant le travail. Un fait intéressant qu’elle me livre sur cette
question, est que ce problème de frigidité est déjà intervenu avec son ex-ami, et qu’il survient après
8 et 9 mois de relation.
Lors du deuxième entretien, Evelyne me dit qu’elle a eu des relations sexuelles avec son
ami - ce qui n’était pas arrivé depuis plusieurs mois - après une longue discussion avec celui-ci
après le premier entretien. Pourtant, elle n’accorda pas d’importance à ce changement dans sa vie,
peut-être par pudeur, et rebondit exclusivement sur sa troisième demande. Au troisième entretien,
elle y passa très vite et dit, de manière énigmatique que : « Le problème ne se pose plus ».

La troisième demande qu’Evelyne exprime de manière manifeste concerne ses problèmes


de confiance en soi. Ses problèmes de confiance l’ont conduite à être en difficulté dans son travail
dit-elle, bien que ses supérieurs ne se soient pas plaints de son exercice. C’est surtout dans les
étapes de création de lumières pour les spectacles qu’elle est mise en difficulté. Elle me dit ne pas
oser exposer ses idées, de peur d’être considérée négativement. Elle évoque aussi un évènement
marquant de sa vie : à son 20ème anniversaire, elle entendit ses amies la critiquer très vivement et lui
reprocher des tas de choses. Cet incident provoqua chez elle un quasi effondrement ; bien que
normalement socialisée et intégrée dans sa formation professionnelle, elle se retrouva à l’écart, ne
sachant pas si cela provenait d’elle ou des autres. Toute seule dans la cour de son école, elle me
raconta avoir l’impression de : « Je me voyais parler, Je m’écoutais parler ». Un autre évènement
l’a aussi marquée : pendant sa formation, elle eut l’impression que ses collègues remettaient en
question une bonne note (en duo avec une personne peu appréciée) reçue à un examen. Depuis, à
chaque fois qu’elle s’entend bien avec un de ses collègues et qu’il y a une certaine complicité dans
le travail, elle regrette que sa journée se termine.
Au troisième entretien, elle remarqua que c’est depuis le divorce de ses parents qu’elle
ressent un manque de confiance. Elle dit aussi que l’épisode avec ses anciennes amies fit resurgir le
premier sentiment d’abandon d’avec son père.

La succession des demandes formulées par Evelyne interroge la question de son rapport à
l’autre et à l’Autre. La demande est sans cesse réitérée chez elle, car elle ne saisit pas que ce qu’elle
demande, c’est autre chose au fond. La question de la demande est foncièrement interrogée
d’emblée dans ce type de travail, elle délimite souvent de manière structurale le sujet qui en est
l’émetteur, et la ligne du rapport à autrui de la manière dont elle est formulée. « La demande est en
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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
son fond demande d’amour – demande de ce qui n’est rien, aucune satisfaction particulière,
demande de ce que le sujet apporte par sa pure et simple réponse à la demande. »1

3. Thèmes abordés en entretien et enjeux relationnels

 La thématique du désir et de la quête identitaire

Evelyne renvoie beaucoup de choses en entretien sur la question de son désir. Elle sent en
elle une certaine ambivalence qu’elle a du mal à supporter. Elle me dit que le malaise qu’elle
ressentit suite au deuxième entretien provenait de cet éparpillement, entre ce qu’elle amenait et ce à
quoi elle ne pouvait, ni donner du sens, ni expliquer. Elle parle ainsi de deux personnalités en elle :
une, qui a tendance à s’éparpiller ; et une autre, « différente ». Il s’ensuit chez elle une forte
angoisse quand il s’agit d’être confrontée au choix de son désir : elle se demande si elle désire
toujours vouloir vivre avec son ami ou si elle va finir sa vie seule ; « Vous allez peut-être trouver
çà idiot mais je pense des fois avoir envie de faire un bébé toute seule ». Elle est tiraillée entre le
besoin d’être avec quelqu’un et l’impossibilité, en ce moment, d’envisager sur un plus long terme la
vie à deux : «  je l’aime beaucoup, il me stabilise ». C’est pour cela qu’elle exprime des regrets sur
le fait de ne pas avoir vécu «  les flirts » de l’adolescence. Au début de la relation avec son ami, il y
avait de la passion amoureuse. La routine et l’expérience du quotidien ont fait qu’elle a ressenti
moins de désir pour lui. Malgré des goûts vestimentaires qui représentent un repoussoir pour
Evelyne, elle « jouit » à me dire tous les efforts désespérés qu’ait tenté son ami pour susciter son
désir, et qui le mettait irrémédiablement en position de ridicule. C’est comme ci elle manifestait un
désir de maîtrise à la place de supporter d’être objet du désir de l’autre. Il y a peut-être là un passage
de soumission au désir de l’autre, à celle de maîtrise par le biais d’une frigidité. Elle soumettait
donc à son ami le soin d’avoir ou ne pas avoir de relation sexuelle, ce qui en soit apparaissait
comme étant une satisfaction suffisante. Evelyne se pose aussi des questions sur ses envies de revoir
son père, de renouer le contact avec lui, avec le risque que cette démarche soit uniquement
unilatérale.
Alors qu’elle me livrait des doutes sur ses choix, sur ses désirs, j’avais plutôt l’impression
qu’elle savait très bien ce qu’il en était de son désir, mais qu’à chaque fois qu’elle s’en approchait
par les mots, elle s’y dérobait. Je la trouvais très lucide. Néanmoins, il restait donc chez elle ce

1
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, Paris : Le Seuil, 1998, p. 381
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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
désir, cette quête identitaire, sur cette grande question latente : qui suis-je ? Et quel est le désir qui
me caractérise ?
Dans sa pratique professionnelle, elle a l’habitude de faire avec les désirs des autres, ils
sont beaucoup plus rassurants car, me dit-elle «  je ne prends pas le risque de me tromper, car j’ai
toujours l’impression que mes idées seront mauvaises  », « J’ai peur d’être ridicule ».
Elle ne m’a jamais dit qu’elle était venue à la demande de son ami, mais à partir du
moment où elle ne se sent pas plus inspirée que çà d’avoir plus de relations sexuelles, je peux me
permettre de penser qu’aussi à ce moment, elle répond au désir de l’autre.
Lors du troisième entretien, elle me parle d’un rêve qu’elle a fait la semaine passée. Dans
ce rêve, « beaucoup de choses s’entremêlent  » me dit-elle, mais ce qu’elle retient surtout, c’est son
désir de revendication ; c'est-à-dire, son désir de montrer à ses amies qu’elle vaut bien mieux
aujourd’hui que ce qu’elles ont pu penser autrefois, qu’elle avait changé : « Je ne suis plus aussi
cruche que je semblais l’être ». Ce rêve est important car, bien qu’elle s’y étende peu, elle y
apporte beaucoup d’importance, et laisse ses mécanismes de défense à l’écart un instant.

 La lettre

 Un des éléments importants lors des entretiens fut une lettre qu’Evelyne avait écrite à son
père lorsqu’elle avait 18 ans. Elle me raconta au premier entretien qu’elle avait envoyé cette lettre
pour «  régler mes comptes », et qu’elle n’avait eu que peu de retour de son père. Voyant bien que
cette lettre avait de l’importance, je décidais de lui demander si cette lettre avait une place chez elle,
une place importante dans sa vie. Elle me raconta qu’elle cachait cette lettre sous son lit conjugal,
qu’elle la lisait de temps en temps. A la suite de cet entretien, elle décida de la faire partager avec
son ami. Suite à cela, ils eurent des relations sexuelles.
Elle arriva au deuxième entretien avec cette lettre, dans une pochette cartonnée qu’elle
tenait sur ses genoux, puis qu’elle finit par reposer sur le sol. Comme elle ne me la proposa pas
directement à la lecture, je n’en fis pas cas, et c’est au moment où elle reposa cette lettre que son
comportement commença à changer. Elle m’annonça qu’après l’entretien elle se sentirait mal,
contrairement au premier rendez-vous, comme pour me culpabiliser de n’avoir pas prêté attention à
ce document. De mon côté, je ne voulais pas rentrer dans ce jeu, répondre à sa demande où je
faillirais de toute façon, et qui ne pouvait avoir à ce moment de la relation comme effet que de la
couper. Il est vrai aussi qu’elle se demandait à cet entretien, qu’après avoir relu cette lettre et l’avoir
trouvée chargée d’agressivité et de revendication, ce qu’en pensait son père aujourd’hui. Au

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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
troisième entretien, je fis quand même allusion à cette lettre qu’elle n’avait pas amenée. Elle me
formula qu’elle n’avait pas eu le temps de s’arrêter chez elle pour la prendre.
Bien que ce fusse une erreur de ma part de prendre des notes pendant les entretiens, son
rapport à cette écriture était particulièrement parlant. Elle abreuvait régulièrement de regards mon
carnet quand le désir que j’y note quelque chose s’en faisait ressentir. A contrario, le fait d’écrire
quand elle ne le désirait ou ne l’attendait pas, pouvait renfermer un sentiment croissant de
persécution. Forcément, le fait de ne pas lire cette lettre, comme de ne pas écrire quand elle le
souhaitait, renforçait les frustrations, comme en témoigne ces revendications, ces empressements :
« La frustration est par essence le domaine de la revendication. Elle concerne quelque chose qui est
désiré et qui n’est pas tenu, mais qui est désiré sans nulle référence à aucune possibilité de satisfaire
ni d’acquisition. »2

 Evolution des rapports avec son conjoint, son père  et son collègue au dernier
entretien

Nous évoquions plus haut les liens relationnels plutôt compliqués et ambiguës qu’Evelyne
partage avec les hommes, notamment envers son père, son ami, et l’un de ses collègues. Lors du
dernier entretien, elle évoque une situation familiale (repas de Noël) qui l’a fortement embarrassé et
dont elle est sortie meurtrie. En effet, suite à ce repas, elle tomba malade pendant trois semaines où,
me dit-elle, «  J’ai tout eu », « J’étais dans une période sans travail, et je me suis autorisée à
tomber malade. ». Bien qu’elle dénie mon hypothèse qu’il y aurait une corrélation entre ce repas et
la psychosomatique, on voit bien là une formation réactionnelle à ce qui a pu se dérouler devant elle
pendant ce repas familial, où étaient présents selon ses dires : son père, son ami, son oncle et son
petit frère. L’absence de femmes dans son discours, quoique je ne lui aie pas demandé de précision
sur les membres composant l’assemblée, pose aussi question.
Elle a alors été marquée par la ressemblance qui existait entre son père et son ami. A son
grand étonnement, son ami s’était bien entendu avec son père et son oncle, « ils étaient presque à
se taper dans le dos, j’exagère à peine  ». Elle avait déjà évoqué certains traits de la personnalité de
son ami (assurance, charisme…) qui lui faisait penser à son père et qui la mettait mal à l’aise. Déjà,
elle insistait beaucoup sur le fait que son ami avait 10 ans de plus qu’elle, et seulement 3 ans de
moins que son oncle. Evelyne me dévoilait une certaine ambivalence concernant la place que devait
avoir son compagnon à côté de son père. Son ex-petit ami était, selon elle, trop timoré, et ne pouvait
pas assez s’affirmer devant la personnalité de son père. Son ami était trop complice avec lui, et elle
2
LACAN (J), La relation d’objet, Séminaire IV, Paris : Le Seuil, 1994, pp. 136-137
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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
était encline à ce qu’il reste à sa place : « je veux le façonner » ; « il doit rester à une certaine
place  ». Face à cette ambivalence, elle se pose la question de savoir si ce sentiment est normal. Je
lui ai répondu, bien sûr, qu’il n’était pas question de normalité dans ce cadre, mais qu’elle devait se
poser la question de savoir si cette position était tenable pour un homme.
Elle évoqua ce même jour sa relation avec son père, en insistant sur une nouvelle forme de
communication avec lui. Pendant le repas, elle a pu échanger avec son père, notamment sur des
questions professionnelles (elle et son père travaillent dans le même secteur d’activité : le
spectacle). Son père lui a prêté un CD de musique, ce CD ravivait des vieux souvenirs d’enfance ;
cette musique était auparavant associée aux nombreuses sorties qu’elle et son frère devait accomplir
par obligation, pour suivre le père dans ses loisirs. Elle me dit être maintenant réconciliée avec ses
souvenirs, réconciliée avec cette musique, et qu’elle commençait à se la réapproprier de manière
positive, et même à l’apprécier. Ce qui n’était pas le cas de son frère. Derrière ce goût à la musique,
il y a aussi le passage d’un passif à un actif ; c’est elle qui a demandé à son père des renseignements
car elle en avait besoin pour un projet.
Evelyne évoque aussi une situation de travail avec l’un de ses collègues. Je pense que c’est
le collègue pour qui elle a eu un moment une attirance. Devant lui, elle se sentait intimidée quant à
ses capacités intellectuelles, impressionnée par son assurance et ses initiatives. La semaine qui a
précédé le dernier entretien, elle s’est permise lors d’un déjeuner de travail avec ce collègue, de
présenter son projet (création) et de le « piloter » dans ce qu’elle voulait qu’il fasse. Elle a insisté
sur le fait qu’elle avait apporté le déjeuner et que cela l’avait mise en confiance : « Je me suis sentie
à l’aise  et j’ai pu présenter les idées que j’avais, et que je taisais d’habitude». Elle est donc passée
d’un stade où elle répondait passivement aux injonctions de ses collègues (assistanat) à un stade où
elle maîtrisait les débats et la direction du dispositif des lumières du spectacle.
Dans tous ces liens relationnels, il y eu un retournement en son contraire qui ne peut que
nous poser question. On remarque aussi que ce passage s’affirma par une médiation de l’oralité :
repas de noël, déjeuner.

 Evolution et éléments transférentiels et contre-transférentiels engagés dans la


relation

Il y eu beaucoup d’ambivalence chez elle concernant le suivi psychothérapeutique. Dès le


deuxième entretien, elle remettait en cause l’intérêt de la psychothérapie, comme s’il était de mon
devoir de la chercher pour qu’elle s’inscrive dans ce dispositif. Ne pas s’engager vraiment dans une
relation claire, ne pas assumer les conséquences d’un engagement réel, permet à Evelyne de
Thomas David -9-
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
conserver intact un désir. J’ai donc essayé de ne pas rentrer dans son jeu, mais je fus bien obligé de
lui répondre sur des questions telles que : la notion de temps, l’essoufflement de la parole, sur la
différence de cadre entre le clinicien et ses amis… Elle exprima le désir que je règle ses
« problèmes » en une séance, pour qu’elle retrouve rapidement confiance…comme on a réglé sa
première demande. Je lui ai dit qu’il fallait qu’elle prenne ses distances avec le concept de volonté,
et je l’ai encouragée plutôt à « se laisser aller », à arrêter de chercher inlassablement de l’ordre dans
ses idées.

Derrière ses remises en question sur les bienfaits d’une psychothérapie de cet ordre, et la
nécessité qu’elle voyait de faire ce type de travail, il y avait aussi des questions sur la relation
transférentielle. Quand elle me dit au 2ème entretien avoir déjà exprimé ces dires à ses amies, «J’ai
rien contre vous. Ce n’est pas vous que je remets en cause. C’est moi », j’ai peine à la croire. Elle
essaie de me faire entrer dans son jeu désirant/désiré. On remarque une volonté affichée d’obtenir
toujours que sa demande soit satisfaite dans l’instant. Cet empressement renvoie l’autre en position
d’impuissance, dans l’impossibilité de répondre à sa demande, et à produire son insatisfaction.
Au troisième entretien, Evelyne m’expliqua aussi n’avoir pas très bien vécu un compliment
que je lui avais fais. Je lui ai dis qu’elle « ressentait » bien les choses (sensibilité et observation), et
que contrairement peut-être à l’appréciation qu’elle avait d’elle-même, elle savait bien ce qu’elle
voulait. Cette parole l’a heurté car elle n’appréciait pas qu’on lui fasse des éloges. Elle eut préféré
que ce soit sous-entendu, que ce ne soit pas trop direct, que ce soit plus de l’ordre d’« une
allusion ». Nous avons alors travaillé ensemble cette question là, c’est à dire de la nécessité de
garder le semblant sur les choses.
J’ai aussi senti par moment que je ne pouvais pas aller trop vite avec elle, être trop direct,
que c’était trop tôt peut-être. Je devais démarquer ma position par rapport à l’empressement qu’elle
me transférait. Il arriva un moment où elle demanda que je la questionne puisqu’elle ne voyait plus
quoi dire. Je lui ai renvoyé sa question. Puis peu de temps après, elle me lança une réflexion
généralisable à sa vie : « Je ne sais pas de quoi j’ai envie » - « De quoi ou de qui ? », lui répondis-
je. Elle rétorqua qu’elle n’aimait pas la question, elle rougit. Puis dit quelques instants plus tard:
«  Je ne peux pas le lâcher (son ami), On ne sait pas ce que la vie nous réserve »  ; elle y associa la
notion d’obligation. Deux faits important sont marqués ici. Le premier est qu’elle préféra que je
marque son insatisfaction en ne répondant pas ; et deuxièmement, elle s’accroche à la possible
désillusion que son petit-ami puisse voir un jour en elle.

Thomas David - 10 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Il y avait donc dans son positionnement un état de passivité durant les premiers entretiens.
Elle me donnait l’impression de subir ces entretiens, alors qu’elle en faisait à plusieurs reprises la
demande. Le changement opéré par Evelyne après le repas de noël ne fut pas sans effet sur le suivi
que je lui proposais. Elle m’annonça, lors du quatrième entretien, qu’elle allait mettre fin aux
entretiens car elle se sentait capable de conduire sa vie seule. « Je me sens plus maître de ma vie
maintenant, je peux me débrouiller toute seule. J’arrive à être dans une bonne dynamique ». Elle
me dit que des changements ont émergé chez elle suite aux entretiens, qui lui permettent de faire
face au quotidien. C’est tout ce qu’elle attendait de ces entretiens avec moi. A chaque constat de
mieux-être qu’elle me donna, elle jeta un vif regard sur mon carnet de note pour que je puisse bien
prendre note de la disparition de ses symptômes. Elle précise bien qu’elle ne se considère pas
comme guérie mais que cela lui convient comme tel. Cependant, elle indique que, peut-être dans un
mois comme dans 10 ans, elle souhaitera poursuivre ce travail sur soi. « Enfin…, ce sera plus
difficile dans 10 ans [elle esquive un sourire]….mais j’ai déjà fait un début de travail, donc je
pourrais continuer sur ma lancée, et plus facilement reprendre. ». Je lui réponds qu’ici ce n’est pas
l’histoire d’une question de temps. Elle m’a semblé faire une moue de désappointement à ce
moment. La perspective de devoir refaire une démarche difficile pourrait être source de satisfaction
chez elle.

Devant mon incompréhension, elle insista en disant que ces séances lui ont permis de se
mettre sur la voie, et qu’elle possède désormais un recul nécessaire pour appréhender un relationnel
différent avec son entourage. Je l’ai aussi sensibilisé sur des questions telles que les résistances
inconscientes, sur le refoulement, le commencement d’un travail psychothérapeutique. Sa première
démarche était d’entamer une thérapie comportementale et cognitive, et il m’apparu nécessaire de
lui signaler qu’un minimum de 10 entretiens était souvent nécessaire dans ce type de prise en
charge.
Ne pouvant la convaincre, j’ai donc valorisé tous les questionnements qui avaient fait lieu
dans nos entretiens. J’ai aussi fait état des lieux de ses différentes demandes (frigidité, manque de
confiance, difficulté affectives avec son père), tenter une explication sur la nature du symptôme
comme pouvant faire lieu d’un déplacement si le travail d’élaboration n’allait pas à son terme.
Devant ce constat, je lui ai proposé de revenir quand elle le souhaitait ; qu’il n’y aurait pas de
problème à ce qu’on puisse reprendre ce travail si des difficultés se faisaient sentir chez elle.
La raccompagnant jusqu’à la sortie et après lui avoir souhaité bonne continuation, elle me
lança : «  A une prochaine fois….peut-être ». D’une certaine manière, il y eu là une certaine mise au
défi, une certaine manifestation qui signifiait que je ne pouvais pas être apte à pouvoir l’aider. Par
Thomas David - 11 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
cet acte, elle me met en position de , car d’après Lacan, l’hystérique « vise grand A. Elle vise

l’Autre absolu. »3. Israël parle d’un défi hystérique, un défi qui nous pousse à dire « je ne sais pas »
et amène à lui seul un désir d’insatisfaction.

Il y a donc dans ce retournement quelque chose de l’ordre du transfert. Outre la répétition


d’un processus de séparation brutale symbolisé dans cet acte, son insistance à revendiquer la
volonté de conduire sa vie seule m’interrogea. Devant ses nombreuses questions sur la
psychothérapie, j’ai fait référence à un mythe traditionnel tibétain (Schambala) pour expliquer le
positionnement que je tenais pour l’aider dans ses difficultés, et ainsi ne pas l’intoxiquer de
concepts théoriques déroutants. Il s’agit de la thématique du Sherpa, non pas un guide comme on
l’entend communément, mais d’une personne qui nous aide à porter nos bagages pour emprunter
une voie que nous choisissons nous-mêmes (bien différent des TCC), pour atteindre la cité de
Schambala. Cependant, après avoir été se référer à ce mythe et m’en avoir donné son avis, ses seuls
mots ont été : «  C’était vraiment intéressant…..le guide, c’est çà. ». Je peux supposer qu’il y a pu
avoir un effet de résistance quant à cette image de guide « tout-puissant » qu’elle aurait pu lui
donner, ou tout simplement, un non-désir de partir dans cette voie.

Pendant ces entretiens, je puis dire que j’ai été très sollicité sur le plan contre-
transférentiel. Déjà, le choix de ne pas lire la lettre d’Evelyne ne fut pas facile pour moi dans
l’après-coup. Je suivais pourtant une certaine logique de travail, mais je ne pouvais m’empêcher de
me poser des questions. Pendant l’entretien, j’étais très alerte à ne pas répondre à mon désir de lire
cette lettre, ce qui n’était pas si difficile dans l’instant. Pourtant, je me demandais si je n’aurais pas
du faire entrer cette lettre dans le cadre thérapeutique, cette lettre qu’elle avait réussi à sortir de sous
son lit, et qu’elle risquait de remettre et de ne plus ressortir significativement pendant un long
moment. Pourtant, nous le verrons, la lettre était bien là.
Il y avait aussi dans cette contrariété un écho sur le champ contre-transférentiel. Il m’a
fallut trois jours pour me rendre compte que j’avais déjà vécu cette angoisse (moins manifeste
cependant) dans mon propre travail personnel avec un psychothérapeute. Je savais que cela pouvait
être dur pour la patiente d’être frustrée sur ce plan là.
Après le dernier entretien avec Evelyne, je me suis trouvé aussi en difficulté. Je m’en
voulais de ne pas avoir analysé plus au devant cette séparation qu’elle me dessinait. Il aurait été, je

3
LACAN (J), Le transfert, séminaire VII, Paris : Le Seuil, 1961, p. 293
Thomas David - 12 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
pense, très judicieux d’imposer un dernier rendez-vous pour ne pas être pris à ce dépourvu, et
entamer de part et d’autres une réflexion plus poussée.

Thomas David - 13 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

PARTIE II : Problématiques et processus identificatoires


chez un sujet hystérique

1. Diagnostic d’une névrose hystérique

Par définition, en psychiatrie4, l’hystérie est le type même de la névrose : organisation


durable caractérisée par la perturbation de l’économie pulsionnelle sans altération profonde de la
référence au principe de réalité, perturbation en rapport avec des conflits psychologiques. Il en
résulte une limitation fonctionnelle de la personnalité et des symptômes.
Dans cette conception, l’hystérie est caractérisée par un ensemble de symptômes
cliniques :
 Paroxystiques (crise, attaques, accès) ou permanents (paralysies,
anesthésie, surtout algies)
 Qui revêtent une expression somatique et sont ressentis par le sujet comme
une maladie d’origine organique,
 Qui sont sous-tendus par un moyen de défense particulier contre l’anxiété,
la conversion somatique, qui est un mode particulier de déplacement de l’angoisse.

Elle propose un caractère pathologique qu’est le caractère hystérique : que partagent


également la névrose phobique ou hystérie d’angoisse. C’est deux affections sont parfois de ce fait
considérées comme une seule organisation névrotique, la névrose hystérophobique, intermédiaire
avec la névrose obsessionnelle. Les traits essentiels du caractère hystérique : psychoplasticité,
suggestibilité, théâtralisme et mythomanie, témoignent du désir de l’hystérique de capter le désir de
l’autre, tandis que la péjoration de l’existence et l’inauthenticité apparente, sorte de décalage entre
l’émotion et son expression, signalent l’absence de réalisation profonde du désir.
Cette formulation psychiatrique est pourtant bien limitante quand il s’agit d’étudier la
structure névrotique et hystérique. En effet, elle se base sur une maladie, en l’occurrence, une
pathologie disparue depuis un siècle et découverte par Charcot. C’est pourtant ce qui est toujours
appris en IFSI.

En psychanalyse comme en psychiatrie, il est fait une différence notable entre hystérie de
conversion et hystérie d’angoisse. C’est distinction ne m’intéresse que très peu, puisqu’elle
n’engage qu’une solution d’expression du symptôme.
4
HANUS (M), LE GUILLOU-ELIET (C), Psychiatrie intégrée de l’étudiant, tome II, Paris : Maloine S.A, 1974, p.18-
30
Thomas David - 14 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
La définition de l’hystérie par la psychanalyse est presque analogue à la psychiatrie,
puisqu’en effet ces théories se basent sur les travaux de Freud, mais présente moins de stéréotypes.
Il s’agit d’une névrose caractérisée par le polymorphisme de ses manifestations cliniques.
L’hystérie de conversion est déterminée par des crises intenses émotionnelles et la diversité des
effets somatiques, qui tiennent en échec la médecine. La psychanalyse contemporaine porte l’accent
sur la structure hystérique de l’appareil psychique, engendrée par un discours donnant lieu à une
économie ainsi qu’à une éthique proprement hystérique. La conversion hystérique est le passage du
conflit psychique à l’atteinte dans le corps dont la pathologie est très plastique. Elle peut imiter
n’importe quelle autre pathologie, cela pointe le problème de la relation et du désir insatisfait.

Le caractère diagnostique d’hystérie que je présente pour Evelyne se base sur certains
éléments de la clinique que je viens de vous présenter. En effet, Evelyne nous dit que c’est depuis
une séparation brutale avec son père à l’âge de 7 ans que, d’après elle, ses symptômes ont débuté.
D’après Freud, la névrose peut être assimilée à une affection traumatique et s’explique par
l’incapacité où se trouve le malade de réagir normalement à un évènement psychique d’un caractère
affectif très prononcé. Suivant la théorie sexuelle émise par ce dernier, ces évènement ont pu
réveiller des désirs inconscients et incestueux d’avec le père et émettre des conflits psychiques : « A
partir de là, vous voyez bien que la question n’est pas uniquement celle de l’existence de scènes
infantiles, mais qu’une condition psychologique nécessaire est aussi mis en cause : ces scènes
doivent être présentes à l’état de souvenirs inconscients »5. Dans ce texte, Freud nous dit que ce
traumatisme sexuel peut s’éveiller dans l’après-coup, au moment où le sujet se trouve dans la
période post-pubertaire : « grâce au changement dû à la puberté le souvenir déploiera une puissance
qui a fait totalement défaut à l’évènement lui-même ; le souvenir agira comme s’il était un
évènement actuel. Il y a pour ainsi dire action posthume d’un traumatisme sexuel »6. Aux dires
d’Evelyne, c’est après avoir écrit cette lettre sans réponse à son père, après avoir été remise en
cause et en situation d’abandon avec ses amies qu’elle plongea littéralement dans un état de
détresse : «  C’est à ce moment là que j’aurais du déjà consulté, il m’a fallu du temps pour faire la
démarche, mais maintenant je suis là, et je ne peux plus faire machine arrière ».

Pour Freud donc, il s’agirait dans la névrose d’un conflit entre le Moi et le çà, plus
précisément entre le Moi et la sexualité 7. C’est ainsi que cliniquement je peux observer chez
Evelyne les manifestations d’un refoulement. Ce refoulement l’amène à se détourner des images
5
FREUD (S), « L’étiologie de l’hystérie », Névrose, Psychose et Perversion, Paris : P.U.F, 1999, p.103
6
FREUD (S), « l’hérédité et l’étiologie des névroses », Névrose, Psychose et Perversion, op.cit, p.57
7
FREUD (S), « Névrose et psychose », Névrose, Psychose et Perversion, op.cit, p.284
Thomas David - 15 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
inconscientes dérangeantes « J’aime pas votre question », à se désengager sur le plan de son désir
(désir d’une psychothérapie, désir de vivre avec son ami). L’hystérie est une névrose dont l’axe
principal concerne les relations à l’autre et les rapports entre amour et sexualité. Autour de cela
gravitent des questions essentielles comme celles du désir et du choix d’objet…
En résumé, c’est quand elle approche de la satisfaction d’une pulsion – susceptible par
elle-même de procurer du plaisir – qu’elle se détache de celle-ci, par peur de provoquer du déplaisir
à l’égard d’autres exigences. C’est ainsi que s’engagent d’une certaine manière la résistance au
transfert, l’évitement des compliments qu’on lui donne, car cela touche de trop près une
satisfaction : « Le moi est la puissance qui met en œuvre le refoulement contre cette participation du
çà, et le consolide par le contre-investissement de la résistance. Au service du surmoi et de la
réalité, le moi est entré en conflit avec le çà, et c’est ainsi que les choses se passent dans toutes les
névroses de transfert »8. Dans la névrose, il y a une opposition de désirs, un conflit psychique. Une
partie de la personnalité manifeste certains désirs, une autre partie s’y oppose et les repousse. « Sans
un conflit de ce genre, il n’y a pas de névrose. ». Ce conflit est provoqué par la privation. C’est la
frustration du sujet prédisposé qui déclenche la névrose. En effet, Freud, en 1912, écrit : « …
frustration. L’individu était en bonne santé aussi longtemps que son besoin impérieux d’amour était
satisfait par un objet réel du monde extérieur ; il devient névrosé dès que cet objet lui est retiré sans
qu’un substitut vienne s’offrir à la place. »9. L’entrée dans la maladie par frustration est due à
l’incapacité de s’adapter à la réalité, à savoir que la réalité refuse la satisfaction de la libido.

Dans un second temps, nous pouvons faire un rapprochement entre la pathologie


hystérique et les symptômes que nous présentent Evelyne. A travers ces nombreuses demandes et
une certaine labilité du symptôme - dans le sens, où à chaque fois qu’on s’en approche, il prend un
autre apparat - il y a la manifestation de conversion hystérique. « Le symptôme hystérique survient
comme compromis entre deux motions d’affects ou motions pulsionnelles opposées dont l’une
s’efforce de donner expression à une pulsion partielle ou composante de la constitution sexuelle
tandis que l’autre s’efforce de réprimer la première. »10.
Je peux faire beaucoup de supputations sur les éléments cliniques apportés par Evelyne, si
je me base par exemple sur les éléments théoriques d’Israël notamment. Israël fait état, par exemple,
de ce qu’il appelle le « mensonge fondamental »11. Disons qu’Evelyne, selon la thèse de l’auteur,
8
Idem
9
FREUD (S), « Sur les types d’entrée dans la névrose », in Névrose, psychose et perversion,, Paris : PUF, 2002, p .
175
10
FREUD (S), « Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité », in Névrose, psychose et perversion,
op.cit, p. 153
11
ISRAËL (L), L’hystérique, le sexe et le médecin, Paris : Masson, 1983, p. 95
Thomas David - 16 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
outre les bénéfices et satisfactions venues de la séparation de son père et sa mère, a pu épouser la
cause de la mère, un côté « vengeresse de la mère ». Pour Israël, la frigidité peut être aussi le moyen
de castrer, mesure de répression de l’homme, ce qui est en fait des reproches adressés au père par la
mère. Le reproche fondamental serait celui de l’abandon. Nous pouvons faire alors certaines
analogies avec l’histoire de la patiente : le sentiment d’abandon moral, matériel et physique, la
complicité avec sa mère. Je pense qu’Evelyne a bien conscience de cet enchaînement à la mère
puisqu’elle expose avoir peur de réitérer les mêmes schémas affectifs, et exprime la notion
d’obligation de répétitivité. Son symptôme me permet d’émettre cette hypothèse sur sa vérité.
On remarque aussi chez Evelyne, comme caractéristique d’une névrose hystérique, une
tendance à la plainte argumentée et confuse, comme ce « flou artistique » dont elle se plaint. Elle
entretient une certaine ambivalence concernant la nature de son désir, les suites à apporter à sa vie,
les sentiments dévolus à son ami, et ses envies sexuelles. Elle tente d’ailleurs de fuir ces dernières
en souhaitant «  faire un bébé toute seule ». Elle exprime aussi l’envie d’avoir des liaisons
multiples, histoire de vivre ce qui ne lui a pas été permis pendant l’adolescence, c'est-à-dire, des
«  flirts  ».
Evelyne présente aussi une labilité émotionnelle. Dans un même entretien, il lui est déjà
arrivé d’adopter des comportements, des argumentations, des sentiments et des positions subjectives
totalement opposables. Cette labilité a peut-être influencé ses amies à se détourner d’elle. Evelyne a
toujours bien évité de me raconter ce que disaient ses anciennes amies à son propos. La tendance
marquée au conflit est un trait que l’on retrouve chez beaucoup d’hystériques : elle pointe
résolument le manque chez l’autre, ceci entre autre pour s’assurer qu’il y a bien un Autre et qu’il
manque, le met à l’épreuve, et du même coup se rend insupportable : « Que l’hystérique déclenche
le conflit ou qu’il l’éteigne, qu’il soit homme ou femme, il occupera invariablement le rôle de
l’exclu. […] Ils créent une situation conflictuelle, mettent en jeu des drames, s’immiscent dans des
conflits. »12.

Elle se confond bien au paradoxe de l’hystérie : c'est-à-dire, telle une jeune femme qui
essaie d’attraper par son habillement le regard de l’autre et qui pourtant s’y refuse, doublement
animée par la provocation et la défense. Le désir qu’elle pourrait provoquer et inciter n’est pas
seulement interdit, parce que coupable, mais parce qu’il est essentiellement un désir qui sera
insatisfait. C’est pourquoi ce théâtralisme peut être vécu comme une persécution. Evelyne nous
explique comment elle s’est sentie agressé par les regards de ses collègues de classe, après qu’elle
eut été récompensée de son travail par une bonne note. Elle inventa alors un scénario mettant en
12
NASIO (J-D), L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, Paris : Payot, 2001, p. 25
Thomas David - 17 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
scène une possible désaffection de ses collègues à l’égard de ses qualités professionnelles. Mais
derrière cette question de la revendication narcissique et du regard de l’autre, nous apercevons de
loin l’énigme de la féminité, à savoir la recherche d’une position sexuée difficilement accessible
dans l’hystérie. Dans son « théâtre », l’hystérique y joue « la femme ». Elle s’y emploie en
déployant tous les artifices capables de capter le regard de l’autre, le regard de l’homme, afin qu’il
lui renvoie la facticité d’un désir suscité chez lui. Car si elle joue un personnage, c’est que
l’hystérique n’est pas, ou n’est pas sûre d’être une femme. Cette facticité mise à l’œuvre dans
l’hystérie met en jeu son côté très suggestible, et sa disposition première à se jouer d’un maître venu
affirmer une certaine position d’existence.
Enfin, pour expliquer d’où peut devenir ce manque de confiance, ce doute permanent
d’Evelyne, voici ce qui pourrait trouver une source signifiante, à partir d’une citation de Serge
André : « l’hystérique […], si l’on peut dire qu’elle souffre de refoulement, c’est dans la mesure où
ce refoulement n’est jamais complet et où le retour du refoulé aboutit à faire surgir une censure par
où un innommable, un non-refoulable, qui témoigne d’un échec, ou d’une limite de la
sexualisation. »13

Depuis quelques années, de nombreux auteurs se posent la question d’une possible filiation
de l’hystérie du côté de la psychose. Il est vrai que de nombreux cas de pathologies, dits de
psychoses hystériques, nous mettent en difficulté quant au diagnostic structurel psychose-névrose et
interroge la question des limites. Peut-être que l’hystérie est une structure limite qui aurait un
contrepied dans ces deux structures : une résolution symptomatique de l’énigme de la féminité du
côté de la névrose, une solution sinthomatique face à la forclusion du Nom-du-Père dans la
psychose. Sans parler de structure à part entière, nous pouvons interroger tout simplement la
question des limites des deux structures. Nous pourrions être surpris d’entendre Evelyne nous dire :
«  Je me voyais parler, Je m’écoutais parler  »… S’agit-il ici d’une manifestation psychotique ? Il
me semble que non. A la faveur des éléments que nous avons jusqu’à lors présentés, il ne fait nulle
doute qu’Evelyne se situe dans le registre de la névrose. Ce n’est pas ici un surgissement du réel de
ce qui est forclos dans le symbolique ? Que pourrait donc alors signifier cette effraction du réel dans
cette situation ? Freud, dans les Etudes sur l’hystérie, parle des hallucinations des hystériques
comme des « réminiscences en images animées »14, et que par conséquent, la Bejahung primordiale,
qui consiste à dire « oui » au langage, aux signifiants, a bien eu lieu.

13
ANDRE (S), Que veut une femme  ?, Paris : Le Seuil, 1995, p.108.
14
FREUD (S), BREUER (J), Etudes sur l’hystérie, Paris : PUF, 1981, p. 206
Thomas David - 18 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Se placer du côté de la névrose nous permet de disposer de l’élaboration signifiante mise à
l’œuvre dans ce mémoire et dans le travail avec cette patiente, contrairement à la psychose où le
signifiant ne s’accroche pas au signifié. C’est l’étude d’une « parole pleine », comme l’indique
Lacan, qui est rendu possible par la marque des rapports structuraux entre signifiant et signifié, et
qui tend à démontrer la personnalité du sujet névrosé, à l’écart de toute réduction au symptôme
même : « L’ensemble du comportement du névrosé se présente comme une parole, et même comme
une parole pleine […]. C’est une parole pleine, mais entièrement cryptographique, inconnue du
sujet quant au sens, encore qu’il la prononce par tout son être, par tout ce qu’il manifeste, par tout
ce qu’il évoque et a réalisé inéluctablement dans une certaine voie d’achèvement et d’inachèvement
[…] C’est une parole prononcée par le sujet barré, barré à lui-même, que nous appelons
l’inconscient. »15.

Nous aurons aussi l’occasion d’avancer que l’on retrouve dans le discours d’Evelyne les
marques d’un discours hystérique. Dans l’hystérie, il s’agit de se placer dans une position d’attendre
quelque chose de l’Autre qui ne viendra pas, pour obtenir une réparation. Evelyne nous fait savoir
par son rêve que c’est bien une réparation dont il s’agit dans son désir : réparer cette relation d’avec
le père, obtenir de lui des mots de pardon (cf. La lettre), revendiquer la cause de la mère, obtenir de
ses anciennes amies une nouvelle considération. De plus, lorsque le point d’origine se trouve dans
l’ordre du sexuel, nous avons de grande chance de nous trouver face à une hystérique, tentant
d’obtenir de l’Autre que la castration soit effacée, réparée.

2. Le déclenchement de l’hystérie : le traumatisme

Dans la question du déclenchement d’une symptomatologie hystérique, il s’avère pertinent


d’aborder la question du traumatisme, à savoir, l’origine de cette décompensation névrotique. C’est
ce que nous avons déjà approché dans le dernier point pour entamer les discussions sur le diagnostic
hystérique. Le traumatisme que nous expose Evelyne s’établit sur une succession de deux
évènements. Tout d’abord, il s’agit de la lettre qu’elle écrit à son père, et dont elle n’a pas eu un
retour suffisamment satisfaisant (vers 18- 19 ans) ; puis, peu de temps après, une situation où elle
entendit ses amies de l’époque proférer de vives critiques à son égard. Cette situation, pourtant
d’apparence très banale, l’a plongé dans un décontenancement tel, que cela a bouleversé ses
rapports affectifs et ses relations aux autres (scolarité) : « C’est à ce moment là que j’aurais du déjà
consulté, il m’a fallu du temps pour faire la démarche, mais maintenant je suis là, et je ne peux plus
15
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, pp. 474-475
Thomas David - 19 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
faire machine arrière ». Pour comprendre cette effraction traumatique que nous présente Evelyne,
nous allons l’approcher selon deux temps : le temps de la petite enfance ; le temps de maturité
sexuelle.

Après m’avoir présenté son symptôme (« problème  ») de frigidité, Evelyne apporta un


questionnement sur son origine possible, sans que je lui pose la moindre interrogation : « J’ai
essayé de me souvenir s’il s’était passé quelque chose dans mon enfance… mais je vois rien… je
vois rien qui pourrait expliquer çà ». Cette patiente évoque la possibilité qu’il puisse s’être passé
quelque chose de significatif dans son enfance, pour que cela ait causé un traumatisme. Le
développement des théories freudiennes dans notre société fait que l’on peut être prévenu de
l’origine infantile de certains troubles sexuels. Cependant, devant l’absence de la négation («  je
vois rien ») et des éléments cliniques qu’elle m’apportait, il était assez présomptueux pour moi
d’entrevoir dans ces mots une vérité de l’inconscient.
Dans sa première théorie sur la séduction et le traumatisme, Freud (1896) retient, pour
qu’il y ait déclenchement d’une symptomatologie hystérique, des souvenirs inconscients actifs se
basant sur des traumatismes extérieurs réels : « Les symptômes de l’hystérie tirent leur
détermination de certaines expériences du malade qui ont agi de manière traumatique, et qui sont
reproduites dans la vie psychique du patient sous la forme de symbole mnésique »16. A cette époque,
Freud sous-entend que ces femmes hystériques ont reçu de la part d’autrui (souvent un adulte) une
excitation sexuelle, qui aurait des répercussions à l’âge adulte. Lacan ajoute : « Chez l’hystérique,
c’est une séduction subite, une intrusion, une irruption du sexuel dans la vie du sujet »17.
Freud reviendra sur sa théorie, après avoir travaillé la question du fantasme, pour dire qu’il
ne faut pas nécessairement l’existence d’un évènement réel pour qu’il y ait des symptômes
hystériques. En 1908, Freud écrit : « Ainsi les fantasmes inconscients constituent le stade psychique
qui précède immédiatement toute une série de symptômes hystériques. Les symptômes hystériques
ne sont rien d’autre que les fantasmes inconscients trouvant par « conversion » une forme figurée,
et, pour autant ce sont des symptômes somatiques, ils sont assez souvent empruntés au domaine des
mêmes sensations sexuelles et des mêmes innervations motrices qui, à l’origine, avaient
accompagné le fantasme alors qu’il était encore conscient. »18. Ce sont alors, pour lui, par les
symptômes que les fantasmes inconscients trouvent par conversion une forme figurée. Il abandonne
donc sa Neurotica : ce passage dans sa conception théorique marque le passage à quelque chose qui

16
FREUD (S), « l’étiologie de l’hystérie », in Névrose, psychose et perversion, op.cit, p. 85
17
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 399
18
FREUD (S), « Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité », in Névrose, psychose et perversion,
op.cit, p. 151
Thomas David - 20 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
ne serait pas forcément provoqué par l’adulte : « Un hasard dans ce matériel encore rare à l’époque
m’avait fourni un nombre démesurément élevé de cas, dans l’histoire infantile desquels la séduction
sexuelle par des adultes ou par d’autres enfants plus âgés jouait le rôle capital. Je surestimais la
fréquence de ces incidents (par ailleurs indubitables), étant donné qu’au surplus à cette époque je
n’étais pas en mesure de distinguer à coup sûr les souvenirs illusoires des hystériques concernant
des traces des évènements réels, alors que depuis j’ai appris à ramener maint fantasme de séduction
à une tentative de défense contre le souvenir de l’activité sexuelle propre (masturbation infantile).
Avec cette élucidation, l’accent ne porta plus sur l’élément « traumatique » dans les expériences
sexuelles infantiles, et il en résulta l’idée que l’activité sexuelle infantile (qu’elle soit spontanée ou
provoquée) a prescrit sa direction à la vie sexuelle ultérieure après la puberté. »19. Il s’aperçoit d’une
certaine façon que la face fantasmatique est infiniment plus importante que sa face évènementielle.
Dès lors, dixit Lacan, l’évènement passe au second plan dans les références subjectives. Par contre,
la datation du trauma est à conserver car elle reste significative. 20
Ainsi, cette étape apporta une nouvelle démarche dans l’analyse freudienne. Dans son
article de 1908, Les fantasmes hystériques et la bisexualité, il avance que « l’intérêt de qui étudie
l’hystérie se détourne bientôt des symptômes pour se porter sur les fantasmes dont ils résultent. »21.
Il ne s’agit plus seulement d’une représentation inconciliable avec le moi, un traumatisme réel, mais
d’un fantasme inconscient. Ce fantasme inconscient garde néanmoins la trace du sexuel, puisqu’il
est identique au fantasme dont celle-ci s’est servie pendant une période masturbatoire pour obtenir
la satisfaction sexuelle ; le fantasme inconscient est le noyau traumatique de toutes les névroses.
C’est donc dans la période infantile que se passe le premier temps de l’évènement
traumatique, où se pose le noyau traumatique. Evelyne nous dit que le moment le plus marquant de
son enfance (6-7 ans) fut la séparation de ses parents. Après cela, elle ne garda presque plus de
contact avec son père. Un tel évènement, au sortir de l’Œdipe, pourrait avoir constitué ce noyau
traumatique ; la fascination qu’elle avait pour son père en faisait lieu.

Le déclenchement de la névrose hystérique a pourtant lieu à l’âge adulte chez Evelyne,


après qu’une répétition d’évènements la rendit fortement bouleversée. Ce dont souffre l’hystérique,
nous dit Freud, ce n’est pas des évènements en eux-mêmes : « c’est de réminiscence surtout que

19
FREUD (S), « Mes vues sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses », in Résultats, idées problèmes tome
I, Paris : PUF, 1984, p. 116-117
20
LACAN (J), Les écrits techniques de Freud, séminaire I, Paris, Le Seuil, 1975, p. 45
21
FREUD (S), « Les fantasmes hystériques et la bisexualité », Névrose, psychose et perversion, op.cit, p. 152
Thomas David - 21 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
souffre l’hystérique »22 puisque « le traumatisme psychique et, par suite, son souvenir vont agir à la
manière d’un corps étranger qui, longtemps encore après son irruption, continue à jouer un rôle
actif. »23. Le déclenchement de l’entrée dans la névrose hystérique se produit lorsque le sujet est
confronté à un évènement éveillant la trace mnésique de ces traumatismes infantiles. La trace
mnésique qui concorderait à ce retour de l’évènement traumatique serait donc la séparation d’avec
le père (le père réel, mais plus que tout, le père du fantasme), symbolisé par la lettre, un « appel au
père du fantasme ». C’est donc cette frustration, issue de la séparation brutale d’avec le père, dans
le développement de la libido qui serait ici la circonstance de cette entrée dans la névrose :
« L’individu était en bonne santé aussi longtemps que son besoin impérieux d’amour était satisfait
par un objet réel du monde extérieur ; il devient névrosé dès que cet objet lui est retiré sans qu’un
substitut vienne s’offrir à la place. »24. Ce qui suppose que le sujet ait refoulé ses scènes infantiles,
et conservé à l’état de souvenirs inconscient.

La névrose n’est pas seulement l’apanage des adultes : certaines névroses infantiles
décèlent aussi un caractère hystériforme. Il y aurait donc un argument qui ferait que l’hystérie soit
plus marquée à l’âge adulte : « elles ne développent leurs actions que pour la plus petite part à
l’époque où elles surviennent ; bien plus considérable est leur action après coup, qui ne peut
apparaître qu’à des périodes ultérieures de la maturation. »25. L’hystérie n’est donc pas sans lien
avec la puberté. A l’âgé adulte, l’appareil sexuel somatique et l’appareil psychique ont connu un
développement considérable, « et c’est pourquoi de l’influence de ces expériences sexuelles
précoces résulte maintenant une réaction psychique anormale, et des formations
psychopathologiques apparaissent. »26. Freud indique qu’il s’agit, dans cet après-coup, d’une action
posthume du traumatisme sexuel27. Le souvenir agira comme s’il est venu d’un évènement actuel.

La puberté ramène donc au conscient cette trace mnésique, déjà tombé dans l’inconscient,
puisqu’insupportable. Cette représentation est inconciliable pour le Moi, elle éveille un affect si
pénible que le sujet décide d’oublier la chose. « La violence du trauma consiste en l’émergence
d’un trop plein, d’affect sexuel non ressenti dans la conscience, mais inconsciemment reçu »28.
Ainsi, cette représentation intolérable comporterait deux éléments inconscients ; une surcharge

22
FREUD (S), BREUER (J), Etudes sur l’hystérie, op.cit, p. 5
23
Ibid. p. 4
24
FREUD (S), « Sur les types d’entrée dans la névrose », Névrose, Psychose et perversion, op.cit, p. 175
25
FREUD (S), « La sexualité dans l’étiologie des névroses », in Résultats, idées, problèmes tome I, op.cit, p. 93
26
Idem
27
FREUD (S), « l’hérédité et l’étiologie des névroses », in Névrose, psychose et perversion, op.cit, p. 57
28
NASIO (J.-D), L’hystérie  ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, op.cit, p. 34
Thomas David - 22 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
d’affect et une image suractivée. J.D Nasio précise que l’hystérie est une « maladie par
représentation » 29, déconnectée du corps imaginaire (le moi), renvoyant au corps concerné dans la
scène traumatique, et hautement investie d’une charge sexuelle. C’est pour lui la représentation de
la trace psychique surinvestie d’affect qui est la cause de l’hystérie, et non l’incident mécanique
extérieur et datable dans l’histoire du patient, c'est-à-dire le fait même de la séduction. Ce qu’alors
Freud appellera traumatique seront les « excitations externes assez fortes pour faire effraction dans
le pare-excitation. »30 ; l’activité fantasmatique rattachée à cet évènement produit de trop grandes
excitations pour être assimilée par le psychisme et engendre l’effroi dû à l’impréparation de
l’angoisse. Lors de ce surplus d’excitation et de charges affectives de l’évènement traumatique, les
capacités de maîtrise et de liaison du Moi sont submergées. L’affect et son objet échappent alors à
la représentativité et laissent un trop plein d’énergie non transformable, une trace perceptive non
liée. Cette non-élaboration du traumatisme laisse un élément en suspens, délié. Le processus de
répétition, à l’œuvre dans le transfert notamment, découle de cette incapacité pour le sujet à associer
des représentations, à mettre en mots le traumatisme.

Le fantasme dont il est question dans la névrose hystérique est une formation imaginaire et
symbolique dans laquelle est mise en jeu une jouissance, transgression d’une limite, d’un interdit
entraînant du déplaisir, et qui n’est pas mis en mots. Il s’agit donc dans le traumatisme d’une sorte
d’effraction du réel, un forçage du réel qui revient sous la forme d’un trou sans signifiant.
D’autant que c’est le fantasme qui viendra border la jouissance à l’œuvre dans
l’expérience corporelle, le trou devra lui aussi être comblé. La nécessité d’employer un fantasme
pour contrer la jouissance du corps amène à rechercher une jouissance d’une totalité à l’extérieur.
C’est au travers de son fantasme inconscient que l’enfant va tenter de retrouver l’objet perdu.
Seulement, les évènements traumatiques vont ramener l’objet de la jouissance à l’intérieur. Il y a
donc une effraction d’une parexcitation, un surgissement du réel non mis en mot. C’est ce que
Lacan appelle le plus-de-jouir et qui marquera tous les retours du refoulé : symptômes et formations
de l’inconscient. Ces évènements ont amené Evelyne à se confronter à la jouissance de l’Autre, à
être considéree comme un objet (passif) et non comme un sujet désirant. Dans la névrose, il y a une
opposition de désirs, un conflit psychique. Une partie de la personnalité manifeste certains désirs,
une autre partie s’y oppose et les repousse. « Sans un conflit de ce genre, il n’y a pas de
névrose. »31.

29
Ibid. p. 36
30
FREUD (S), « Au-delà du principe de plaisir », in Essais de psychanalyse, Paris : P.B Payot, 1981, p. 38
31
FREUD (S), « Point de vue de développement et de la régression étiologique », in Introduction à la psychanalyse,
Paris : P.B. Payot, 1974, p. 328
Thomas David - 23 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

Freud parle d’hystérie de défense puis d’hystérie de conversion. Le refoulement empêche


la représentation d’écouler sa surcharge en l’isolant. Il va y avoir tout de même un écoulement
libérateur, une sorte de compromis : investissement d’autres représentations moins dangereuses que
la représentation intolérable. On a donc ici le passage d’un état premier à un état second, de
souffrance. Ainsi, nous dit Freud : « les symptômes hystériques sont des rejetons de souvenirs
inconsciemment actifs. »32, quelque soit le cas et le symptôme dont nous partons « on finit toujours
immanquablement par arriver au domaine du vécu sexuel. »33. Le fantasme actif dans l’hystérie est
donc double : il est à la fois cause profonde et cause déclenchant. « Le déclenchement de la névrose
dans son aspect symptomatique (…) suppose sans doute un trauma qui a dû réveiller quelque
chose »34.

Face au trou, du trou-matisme, et face à l’excès du trop-matisme, le sujet n’aura que le


choix de passer par les signifiants de l’Autre. Lacan nous dit que le traumatisme a valeur
signifiante : « Le trauma c’est que certains évènements viennent se situer à une certaine place dans
sa structure. Et, l’occupant, ils y prennent la valeur signifiante qui y est attachée chez un sujet
déterminé. »35. Le trauma n’est pas seulement un évènement, il est structural. Dans son séminaire
L’angoisse36, Lacan nous dit que c’est quand « quelque chose » du « monde réel » fait irruption
dans le champ de la représentation, que le manque vient à manquer, qu’il y a trauma.
Pour introduire notre propos dans ce mémoire, on peut avancer que les évènements qui se
répètent dans le transfert et dans la lettre ont pour but de faire ressurgir ce signifiant « trauma » :
« celui-là donc, qui se désigne par un certain signifiant que seul peut supporter ce que nous
apprendrons dans la suite à définir comme une lettre, instance de la lettre dans l'inconscient,
ce grand A, l'A initial en tant qu'il est numérotable. » 37.

3. Le complexe d’Œdipe dans les théories de Freud et de Lacan

Nous allons dans ce point évoquer la période de l’enfance, traversée par tous les névrosés,
où se déroule le passage à une identification sexuée sous la forme du mythe d’Œdipe, et qui poserait
problème dans l’hystérie d’Evelyne. Le problème de l’hystérique, nous le verrons dans la partie III,
32
FREUD (S), « l’étiologie de l’hystérie », in Névrose, psychose et perversion, op.cit, p. 103
33
Ibid. p. 91
34
LACAN (J), Les psychoses, Séminaire III, Paris : Le Seuil, 1981, p. 191
35
LACAN (J), Le transfert, séminaire VIII, Paris : Seuil, 1991, p. 376
36
LACAN (J), L’angoisse, séminaire VIII, Paris : Seuil, 2004, p. 65
37
LACAN (J), L’identification, séminaire IX, 13 décembre 1961, inédit
Thomas David - 24 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
se pose à ce moment où le sujet renonce et se divise subjectivement : de part sa reconnaissance de la
différence des sexes, son identité féminine, le rôle du père et la sexualité parentale.

1.1 Le complexe de castration et le penisneid chez Freud

Au départ, nous dit Freud, la petite fille n’a pas conscience de la différence des sexes. Le
pénis est donc pour les deux sexes un attribut universel : « pour les deux sexes, un seul organe
génital, l’organe mâle, joue un rôle. Il n’existe donc pas un primat génital mais un primat du
phallus. »38. Puis, la petite fille va faire la découverte du « vrai pénis »  d’un frère ou d’un camarade
de jeu et le reconnaît immédiatement « comme la réplique supérieure de son petit organe caché
(clitoris). »39. A cette époque préœdipienne, la fille se situe dans une relation fusionnelle à la mère.
L’objet du désir de la mère étant le phallus, pour la satisfaire il suffit à l’enfant de s’identifier à cet
objet, d’être le phallus. Découvrant que sa mère elle aussi est châtrée, la fille, s’étant adressée à
cette mère phallique va se détacher de ce premier objet d’amour. D’après Freud, c’est à ce moment
que la fille va ressentir de la rancune pour sa mère, lui reprochant de ne pas l’avoir dotée de ce
phallus : « Quoi qu’il fasse en être à la fin de cette première phase du lien à la mère, le plus fort
motif d’éloignement de la mère qui émerge c’est qu’elle n’a pas donné à l’enfant un vrai organe
génital, c'est-à-dire qu’elle l’a fait naître femme. »40. Cette revendication va aussi réamorcer la haine
ressentie à l’époque du sevrage. En comprenant qu’elle est dépourvue du pénis, ainsi que les autres
femmes, elle se retrouve confrontée à la différence des sexes. C’est de ce manque que s’installe
chez elle ce que Freud appelle le penisneid, l’envie de pénis.
Dans son article de 1932 intitulé « La féminité » 41, Freud affirme qu’on ne peut pas
comprendre la femme si on ne prend pas en considération cette phase de l’attachement préœdipien à
la mère, qui ramène à toutes les fixations et tous les refoulements qui nous ramènent à l’origine des
névroses. C’est alors à partir de ce complexe de castration que la fille pourra accéder au complexe
d’Œdipe.
C’est toujours en s’identifiant au désir, ou au manque (phallus), de la mère que la fille va
porter son amour et son investissement sur le père, porteur du phallus. Elle passe donc du penisneid
au peniswunsch, désir de jouir du pénis dans le coït. Evelyne, comme toute femme (pas seulement
hystérique), doit alors devenir la rivale de sa mère, et désire donc du père d’avoir un enfant. Ce
glissement symbolique du désir de pénis au désir d’enfant n’est pas sans nous interroger dans la
38
FREUD (S), « L’organisation génitale infantile », in La vie sexuelle, Paris : PUF, 2002, p. 114
39
FREUD (S), « la disparition du complexe d’Œdipe », in La vie sexuelle, op.cit, p. 121
40
FREUD (S), « Sur la sexualité féminine », in La vie sexuelle, op.cit, p. 146
41
FREUD (S), « La féminité », in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984,
p.160
Thomas David - 25 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
clinique d’Evelyne, puisqu’en effet elle nous dit : « Vous allez peut-être trouver çà idiot mais je
pense des fois avoir envie de faire un bébé toute seule  ». Désirer un enfant alors que l’on ne tient
pas son partenaire actuel comme père escompté (car ne la comblant pas), supporte la thèse d’une
résurgence de fantasmes infantiles comprenant le désir d’avoir un enfant du père fantasmatique.
« Le renoncement au pénis n’est pas supporté sans compensation. La fille glisse – on
devrait dire le long d’une équation symbolique – du pénis à l’enfant. Son complexe d’Œdipe
culmine dans le désir longtemps retenu de recevoir en cadeau du père un enfant, de mettre au
monde un enfant pour lui. On a l’impression qu’alors le complexe d’Œdipe est lentement
abandonné parce que le désir n’est jamais accompli. »42.
Il y a donc deux mécanismes important dans le complexe d’Œdipe féminin selon Freud, à
savoir, un sentiment de haine envers la mère (le personnage châtré : l’Autre) et l’envie de posséder
le père. Il en résulte donc une séparation avec la mère en s’identifiant à elle, et une identification au
désir du père.

1.2 Les trois temps logiques de l’Œdipe dans la théorie de Jacques Lacan

Dans son séminaire : Les formations de l’inconscient, Lacan décrit le complexe d’Œdipe
en trois temps.
Lors du premier temps, l’enfant est l’objet de désir de sa mère : « ce que l’enfant cherche,
en tant que désir de désir, c’est de pouvoir satisfaire au désir de sa mère, c'est-à-dire à to be or not
to be l’objet du désir de la mère. »43. Si le désir de sa mère est le phallus, alors l’enfant va vouloir
être le phallus pour la satisfaire. Il doit d’identifier au phallus pour pouvoir combler le manque chez
sa mère.
Ensuite, découvrant que sa mère est toujours désirante et manquante de l’organe masculin,
que le père, porteur du phallus, semble combler la manque, la petite fille va investir son père. Dans
cette situation, le père va intervenir comme privateur de la mère. « L’objet du désir [de sa mère] est
souverainement possédé dans la réalité par ce même Autre à la loi duquel elle renvoie. »44. Le père
symbolique impose donc l’ordre irréductible de la castration. En tant que porteur de la loi, il
témoigne que c’est lui qui a et qui donne le phallus, que c’est de lui dont dépend la possession ou
non, par le sujet maternel, de ce phallus. Le père vient donc faire acte de coupure, symbolique. La
loi du père amène une double castration : châtrer l’Autre maternel d’avoir le phallus, et châtrer

42
FREUD (S), « la disparition du complexe d’Œdipe », in La vie sexuelle, op.cit, p. 122
43
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 191
44
Ibid. p.192
Thomas David - 26 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
l’enfant d’être le phallus. La loi symbolique, ici incarnée par le père imaginaire, « n’est pas
simplement le Tu ne coucheras pas avec ta mère adressé à l’enfant »45, mais aussi « un Tu ne
réintègreras pas ton produit adressé à la mère. »46. Lacan soutient aussi la thèse de Freud sur les
rancunes de la petite fille adressées à la mère, dues aux frustrations ressentis de ne pas posséder le
phallus et de ne pas l’avoir, à cause de la relation qu’entretiennent ses parents : « le pénis est à la
source chez la femme de toutes sortes de conflits du type conflits de jalousie. »47. M-C Hamon nous
dit que « c’est d’abord la mère qui est rendue responsable, et l’appel au père est un appel de
dédommagement. Le préjudice éprouvé est reproché à la mère. »48.
La sortie de l’Œdipe dépendra en grande partie de la troisième étape. Il s’agit de l’abandon
de l’identification phallique. Le père a montré qu’il était porteur de la loi, et qu’il peut être libre de
donner ou pas au sujet maternel le phallus. L’enfant va donc abandonner cette position et se
positionner comme sujet désirant. « Le fait qu’il a, lui, le phallus, il faut qu’il en fasse preuve. C’est
pour autant qu’il intervient au troisième temps comme celui qui a le phallus, et non qui l’est, que
peut se produire la bascule qui réinstaure l’instance du phallus comme objet désiré de la mère, et
non plus seulement comme objet dont le père peut priver »49. La fille va donc reconnaître en cet
homme qui est son père celui qui le possède. Il y a donc un passage de Etre le phallus pour la mère,
à Avoir le phallus du père. D’ailleurs, dans le séminaire sur la relation d’objet, Lacan écrit que :
« c’est en tant qu’elle [la petite fille] phallicise la situation, c'est-à-dire qu’il s’agit d’avoir ou de
n’avoir pas le phallus qu’elle entre dans le complexe d’Œdipe »50. Par la suite, la féminité aura
toujours une dimension d’alibi ; l’enjeu sera de retrouver ce phallus chez celui qui pourrait en être
porteur.
La seule personne qui est vraiment châtrée ici c’est la mère, le grand Autre. La fille, tout
compte fait, ne manque de rien, si tant est qu’elle assume la perte du phallus, si tant est qu’elle
découvre qu’elle a en elle quelque chose qui serait le lieu du désir de l’Autre. L’hystérique ne peut
suivre cette dialectique, et restera prisonnière de la quête phallique. C’est pourquoi la problématique
hystérique s’origine autour de cette castration. Nous assisterons plus loin à ce que l’identification à
la mère peut avoir à faire dans la névrose hystérique, tant quant à la séparation, qu’à la quête
« vengeresse » (pour reprendre l’expression de Lucien Israël) du désir de sa mère : « la castration
qui s’y exerce, c’est la privation de la mère et non de l’enfant »51.

45
Ibid. p.202
46
Ibid. p.192
47
Ibid. p.349
48
HAMON (M-C), Pourquoi les femmes aiment-elles les hommes ?, Paris : Le Seuil, 1992, p. 230
49
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 193
50
LACAN (J), La relation l’objet, séminaire IV, 16 janvier 1957, version AFI
51
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 192
Thomas David - 27 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

4. La métaphore paternelle

4.1Panique dans la métaphore paternelle chez Evelyne

Les quatre entretiens qui se sont déroulés dans le suivi psychothérapeutique d’Evelyne
n’ont pas été suffisants pour travailler plus en profondeur cette période de la vie infantile
correspondant à l’Œdipe. Cependant, elle me donna certains éléments allant en la faveur d’un
développement affectif plutôt compliqué avec son père. Freud insiste bien sur le fait qu’il y a dans
la névrose hystérique une fixation au complexe d’Œdipe. Le complexe d’Œdipe a bien été abordé.
Evelyne ne se situe pas dans le registre de la psychose, il n’y a pas eu forclusion du Nom-du-Père.
Mais la faille se trouve bien à ce moment là : « Dora est une hystérique c'est-à-dire quelqu’un qui
est venu au niveau de la crise œdipienne, et qui à la fois a pu et n’a pu le franchir. »52.
Evelyne nous dit en entretien que, bien avant que son père et sa mère divorcent et qu’il
quitte le foyer familial (7 ans), il brillait déjà par son absence. Elle présente son père comme un
homme charismatique, confiant, investi dans le milieu associatif, séduisant toutes celles (surtout) et
ceux qu’il rencontrait, et préférant la compagnie des autres à sa famille. Elle évoqua tous les
sacrifices que la famille (elle, son frère et sa mère) dut faire pour garder un lien avec ce père, c'est-
à-dire : l’accompagner lors des représentations et répétitions hebdomadaires de chorales, écouter
toute la journée une musique qui leur paraissait inaudible et pesante - cette musique est d’ailleurs
très marquante de cette époque de sa vie. C’est aussi par le biais de cette musique qu’Evelyne
renoua le contact avec son père lors du repas de Noël -, et supporter son absence. Pourtant, elle le
présente comme quelqu’un qui l’a toujours fascinée. De ces mots même, malgré son ambivalence,
Evelyne dit qu’elle recherchait un homme qui puisse rivaliser avec lui, autrement dit, qui puisse
prétendre à posséder la même puissance phallique. Nous avons illustré dans le point précédent que
le noyau traumatique d’Evelyne pouvait être cet évènement où il y eut séparation brutale avec le
père. Nous pouvons revenir sur cette affirmation et indiquer que cet évènement a peut être
matérialisé cette acception affective, ce sentiment de rejet. Du fait de la fascination qu’il exerçait
sur les femmes, il faisait graviter autour de lui beaucoup d’elles. Le déclin de l’Œdipe suppose le
moment où la petite fille renonce à avoir le père, à avoir un enfant du père. Par cela, la fille se
détourne de son père puisqu’il ne la comble pas. Cependant, ici, il n’y a pas eu ce travail
d’élaboration de la perte, parce que ce père, d’une certaine manière, elle ne l’a jamais eu, puisque

52
LACAN (J), La relation d’objet, séminaire IV, Paris : Le Seuil, 1994, p. 139
Thomas David - 28 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
d’autres l’avaient à sa place ; d’autres que sa mère en tout cas.
Car c’est bien dans le discours de la mère que la fonction paternelle s’inscrit comme une
instance médiatrice du désir de l’Autre au regard de la petite fille, investie dans le symbolique.
C’est ainsi que, dans le complexe œdipien de l’hystérique, la mère est châtrée par la loi symbolique.
L’hystérique tend donc à transformer l’Autre tout puissant en un Autre manquant en se faisant désir
du désir de l’Autre. Elle peut donc d’une autre manière donner à sa mère ce qui lui manque, ce
qu’elle fait aussi avec tous les hommes : « A ce niveau, la question qui se pose est - être ou ne pas
être le phallus »53. Il y a donc pour Evelyne et dans la cure de l’hystérique un double détachement à
effectuer dans : celui d’avoir le père, et celui de redevenir le phallus à défaut de l’avoir.

4.2 De la métaphore paternelle et du phallus métaphorique

Lacan reprend la découverte freudienne de façon structurale : la division ressentie par


l’hystérique apparaît lorsque qu’elle est confrontée aux problèmes de la féminité, de l’autorité et du

rapport sexuel (la femme n’existe pas [ ]; il n’y a pas d’Autre de l’Autre ; il n’y a pas de rapport

sexuel). Si ces trois éléments existent dans le réel, ils n’ont pas, par contre, leur répondant dans le
symbolique. Par conséquent, le sujet doit avoir recours à des solutions imaginaires. Toujours dans
les formations de l’inconscient54, Lacan reprend la fonction du père selon les trois registres qu’il a
conceptualisé à cette époque. Il nous dit que la menace de la castration serait de l’ordre du
symbolique et due à la personne du père réel (l’agent) : « on va te la couper ». La frustration serait
un objet bien réel provenant du père symbolique dans le discours de la mère. Et la privation, quant à
elle, serait une privation réelle par le père imaginaire, de par le désir (le manque) qu’il cause à la
mère. La fonction du père interviendrait donc favorablement au dénouement de l’Œdipe sur ces
trois registres que sont le réel, le symbolique et l’imaginaire. Lacan va toutefois insister lourdement
sur l’importance du registre symbolique dans la résolution du complexe d’Œdipe ; le père de la loi
symbolique, provoquant la frustration imaginaire est le point « nodal »55.

L’incarnation d’une loi par le biais de la parole de la mère pose le père en position
métaphorique : « Le père est, dans l'Autre, le signifiant qui représente l'existence du lieu de la
chaîne signifiante comme loi. »56. Il va se situer au dessus de la chaîne signifiante (signifiant sur
53
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, séminaire V, op.cit, p.186
54
Ibid. pp.172-173
55
Ibid. p. 192
56
Ibid. p.174
Thomas David - 29 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

signifié), comme-ceci, : . La métaphore paternelle joue là un rôle qui est bien celui qu’on

attend de la part d’une métaphore, c'est-à-dire aboutir à quelque chose qui est de l’ordre du
signifiant. Il s’agit de l’étape de l’identification métaphorique où, pour le fils d’une identification à
l’image du père, et pour la fille, à reconnaître l’homme en tant que celui qui le possède. Elle marque
le franchissement de la troisième étape de l’Œdipe telle qu’il est conceptualisé par Lacan.
La métaphore est quelque chose qui marque le signifiant pour un autre signifiant par une
substitution. Le signifiant du père, dans l’Œdipe, se substitue au premier signifiant symbolique : le
signifiant de la mère : « Selon la formule […] le père vient à la place de la mère, S à la place de S',
S' étant la mère, en tant que déjà liée à quelque chose qui était x, c'est-à-dire le signifié dans le
rapport à la mère. […]

»57
En d’autres termes il s’agit, dans ce qui a été constitué d'une symbolisation primordiale
entre l'enfant et la mère (S’), d’une subsitution par le du père (S) en tant que symbole, ou signifiant,
à la place de la mère (S’).
Il faut donc entendre dans la question de la constitution des névroses une triangulation qui
incluerait le père au dessus de la relation mère-fille ou mère-enfant. Sa bissectrice (ou sa bi-sex-
trice) vient couper la relation mère-fille, châtrer l’enfant de pouvoir être le phallus. Mais ce père qui
est mis à cette place n’est pas forcément présent dans la réalité, comme on peut l’entendre
communément, il est père par ce qu’on l’a désigné comme tel, du discours de la mère est venue la
symbolisation du « nom de père. »58. Ce que nous dit là Lacan relativise beaucoup ce que l’on a
signifié sur l’absence du père d’Evelyne. Ce « Nom-du-Père » peut évidemment prendre toutes les
formes possibles et imaginables, quelque soit la situation du père de la réalité, d’un coin à un autre
de la planète. C’est une nécessité de la chaîne signifiante, de la fonction symbolique. La métaphore
paternelle viendrait donc signifier quelque chose de l’ordre de l’universel et du phyllogénétique, qui
justifie plus largement sa coupure dans l’ontogénèse, c'est-à-dire l’interdit de l’inceste. C’est cet
élément qui caractérise au plus près le carrefour structural du sujet : le névrosé le fantasme et le
symptômatise ; le pervers le dénie et le viole ; il est forclos chez le psychotique. L’instauration du
phallus par la métaphore paternelle fait que le sujet peut sortir de l’Œdipe en sachant qu’il ne l’est
pas, ou bien qu’il le l’a pas. S’il l’est c’est qu’il ne l’a pas, donc il n’as pas droit de s’en servir ; « Et

57
Ibid. pp.175-176
58
Ibid. p.180
Thomas David - 30 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
que, d'autre part, s'il l'a - c'est-à-dire qu'il a réalisé l'identification paternelle - et bien il y a une
chose certaine, c'est que, ce phallus, il ne l'est pas! »59. Israël fait quelques rapprochements dans
«  La jouissance de l’hystérique » entre la perversion et la névrose hystérique car, en effet, se pose
chez eux l’incertitude d’avoir ou pas le phallus, et par se biais, tentent de le rechercher sur l’autre ou
en l’étant. Ils sont dans la quête de trouver ce qui manque à la mère, ce dont ils ne veulent pas
qu’elle manque. Si l’on reprend la formule plus haut de la métaphore paternelle, on se rend compte
qu’il nous reste une inconnue, le x, qui se trouve sous la barre du signifiant de la Mère.

Nous voyons bien qu’il est question du phallus dans la métaphore paternelle. Le phallus
aurait donc un certain rapport avec cet x, ce qui est signifié à l’enfant par la mère. Lacan nous dit
que ce qui est signifié à l’enfant par la mère, c’est la mère qui va, et qui vient ; ceci étant parce que
l’enfant est pris dans le symbolique, et qu’il a appris à symboliser. L’enfant se rend compte qu’il
n’y a pas que sa personne qui est engagée dans le mouvement de va et vient vers lui : « Ce qui la
travaille, c'est le x, le signifié. Et le signifié des allées et venues de la mère, c'est le phallus. »60.
Le phallus prend donc une position décisive puisqu’il crée aussi une triangulation (mère-
enfant-phallus). Le phallus, c’est cet objet qui nécessite de passer par le symbolique pour pouvoir le
penser. Substantivé de l’objet a, il est autant pierre de rebut, que pierre d’angle. Il est un
« signifiant hors système, forclos »61 qui ne peut se définir que « dans un référencement
symbolique »62. Dans cette topographie ci-dessous, on remarque qu’il y a symétrie entre le phallus,
au sommet du ternaire imaginaire, et les Noms-du-Père, au point ternaire symbolique. Le nom-du-
père est le pendant du phallus. Lacan veut indiquer que la position du Père dans le symbole se fonde
sur la position du phallus dans l’imaginaire. Et nous l’avons vu, la constitution du phallus dans
l’imaginaire se retrouve dans la traversée des trois temps logiques de l’Œdipe. La résolution du
complexe d’Œdipe comporte donc « un au-delà »63 du désir de la mère, du désir de l’Autre,
médiatisée par la position du père dans le symbolique. L’imaginaire et le symbolique tiennent
ensemble ; l’un ne peut pas aller sans l’autre, dans la métaphore paternelle.

PHALLUS

ENFANT MERE

59
LACAN (J), Le désir et son interprétation, Séminaire, 17 juin 1959, version AFI, inédit
60
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p.175
61
LACAN (J), D’un Autre à l’autre, Séminaire XVI, Paris, Le Seuil, 2006, p.321
62
LACAN (J), L’objet de la psychanalyse, Séminaire XIV, 27 avril 1966, inédit.
63
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p.183
Thomas David - 31 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

Nom-du-Père

Il s’est donc passé quelque chose dans la constitution du phallus imaginaire chez Evelyne
qui l’a conduit vers une « structuration » de type hystérique : « L’hystérique serait cet enfant qui,
n’aurait pu psychiquement dépasser ce stade [phallique], y resterait figé »64. L’assomption de la
métaphore paternelle a été entravée lors de son trajet symbolique chez l’hystérique. Nous en
resterons là de nos supputations sur les causes de cette impossible séparation d’avec la mère ; nous
pouvons seulement qu’en mesurer les effets. C’est ces effets qui seront à l’œuvre dans la
symptomatologie hystérique et dans ce mémoire.
C’est au temps deux de la logique lacanienne que se situe le nœud (nodal) du problème,
quand le père intervient pour châtrer la mère de quelque chose qu’au demeurant elle n’a jamais eu.
Le phallus est bien élevé au rang de signifiant, mais l’hystérique n’y comprend rien. La mère et
l’enfant, de ce fait, ne tiendront pas compte de l’interdit, respectivement, de faire de son enfant son
objet phallique et d’occuper cette place d’objet phallique de la mère. La question se pose de savoir
comment la jeune femme hystérique peut avoir accès à la métaphore paternelle si elle se pose
toujours en position phallique.
Malgré tout, on peut déjà conclure ici qu’on ne peut se résoudre à poser « l'intervention du
père comme la substitution d'un signifiant à un autre signifiant. »65 pour comprendre les impasses de
l’Œdipe, dans le suivi psychothérapeutique des femmes hystériques.

5. L’identification phallique à la mère

5.1 Identification au phallus de la mère

Dans le point précédent, nous avons conclu que c’est lors du deuxième temps logique que
le nœud hystérique se cristallisait. Devant le refus d’accepter la loi de prohibition de l’inceste se
cache cet indécidable entre être ou ne pas être l’objet du désir de l’Autre, faute de ne pas l’avoir ;
64
NASIO (J.-D), L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, op.cit, p. 76
65
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 176
Thomas David - 32 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
car pour accepter la castration, il faut se mettre en position de ne pas l’avoir. C’est dans cette phase
symbolique que le sujet est en position de choisir. C’est dans la castration de l’Autre que
l’hystérique est assujetti. La réalisation symbolique est donc défaillante dans l’hystérie mais, admet
Lacan, elle serait beaucoup plus compliquée chez la femme : « S’il y a beaucoup plus d’hystérique-
femmes que d’hystérique-homme – c’est un fait d’expérience clinique-, c’est parce que le chemin
de la réalisation symbolique de la femme est plus compliquée »66, en raison du trou signifiant qu’est
l’organe féminin.
Ce qui est va déterminer d’être ou ne pas être l’objet du désir de l’Autre : c’est le phallus.
Il détermine une position sexuée dans l’inconscient. L’angoisse de castration est portée sur une
partie limitée du corps. Lacan précise qu’il ne signifie pas non plus le pénis, mais bien l’idole du
pénis, pris en tant qu’objet fétiche. Le fétiche en question est donc « le substitut du phallus de la
femme [la mère] auquel a cru le petit enfant et auquel… il ne veut pas renoncer [qui…] demeure le
signe d’un triomphe sur la menace de la castration et une protection contre cette menace. » 67.
L’hystérique est donc restée à cette étape où la petite fille doit s’identifier à la mère pour rechercher
le phallus puisque sa mère « sait où il est, elle sait où elle doit aller le prendre, c’est du côté du père,
elle va vers celui qui l’a ».68

Evelyne présente cette difficulté à ne pouvoir s’échapper de l’identification à la mère :


«  J’ai peur de reproduire ce que ma mère a vécu, de répéter ses échecs….parce qu’en fait… on a à
peu près le même caractère. On se ressemble…..enfin… on dit qu’on se ressemble beaucoup. […]
Ma mère a du attendre le troisième homme dans sa vie pour être enfin heureuse, et j’ai
l’impression que çà va être la même chose pour moi. Là…. C’est le deuxième homme dans ma
vie…… je peux pas m’enlever de la tête qu’il y en aura sûrement un autre. ».
Il y a donc une extrême lucidité de sa part sur la question de l’identification à la mère, et
ceci, dès le premier entretien. Elle nous fait part de l’omnipotence de cet Ombre maternelle sur sa
vie, pesant sur ses relations avec les personnes sensées posséder le phallus. Il y a dans ces mots le
poids de l’indécidable qu’est d’accepter ou non la castration de l’Autre maternel, et son aliénation
au désir de l’Autre. « Le roman de la mère devient souvent celui de la fille. »69 : « Il [son ami] me
stabilise, comme ma mère quand elle a rencontré mon beau-père ».
On remarque des sentiments contradictoires quant à cette assertion sur l’identification à
l’objet maternel. Evelyne en a « peur  » ; elle le met à distance : « enfin…on dit qu’on se ressemble

66
LACAN (J), Les Psychoses, Séminaire III, op.cit, p. 326
67
FREUD (S), « Le fétichisme », in La vie sexuelle, op.cit, pp. 134-135
68
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p .195
69
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, Paris : P.U.F, 2001, p. 81
Thomas David - 33 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
beaucoup [beaucoup trop pour elle]  ». Nonobstant, elle s’y résout. Elle présente (globalement dans
son discours) cette identification comme une écriture phylogénétique dont rien n’y pourrait s’y
déjouer. L’absence de la négation dans le « je peux pas m’enlever de la tête » indique qu’il subsiste
pourtant la possibilité de se détacher de ce dictat héréditaire. De plus, elle vient le poser, le signifié,
à ce que représente le clinicien dans le transfert. Nous noterons aussi que la mère disparait de son
discours, passé le deuxième entretien.

Au premier entretien, Evelyne me parlait de la relation quasi-fusionnelle qu’elle entretenait


avec sa mère : « On se dit  tout, presque tout, car on a toujours été très proches. Quand mon père
est parti de la maison, çà a soudé des liens forts entre nous ». Cette relation mère-fille reflète un
amour sans mesure, qui exige une certaine exclusivité. Pour la femme qui ne sera pas qualifiée
d’hystérique, il est déjà si difficile de quitter cette fusion qu’elle en sera marquée de cette épreuve
toute sa vie : « Ainsi, s’il est vrai que Freud identifie le rapport au phallus comme le destin de la
femme, par-delà le désir, ce qui continue à briller du grand vouloir primitif-maternel. »70. Le retour
à la position d’objet du désir de la mère caractérise l’hystérique.
S’identifier à la mère permet à Evelyne de réactualiser la fusion préœdipienne, sous la
forme d’une identification en miroir. Cette identification rappelle l’identification primaire à l’objet,
survenue lors du stade du miroir (schéma L). L’identification à la mère permet ainsi de rester fidèle
au premier objet d’amour. Cette identification s’inscrira très profondément au « moi » de
l’hystérique : « La seule chose qui puisse ressembler aux parents est de l’ordre du moi, mais ce moi
n’est pas seulement ce qu’on pourrait appeler une instance psychique mais quelque chose qui
s’inscrit au niveau de la peau. »71. Lucien Israël veut dire, prenant en tâche de fond le schéma L, que
l’image où nous avons pu repérer le souci de perfection fait partie de ce « moi ». Ce « moi », situé à
la limite entre le sujet et l’autre, participe des deux et finit par refléter le sujet, mais surtout l’autre.
L’autre dont il est question, c’est le phallus en tant qu’il manque à la mère. Le sujet hystérique va
donc venir se substituer à ce manque en lui apportant son propre manque. Evelyne et sa mère vont
pouvoir se rejoindre sur ce manque dont la mère semble « châtrée » : la séparation d’avec son mari.
La mère, en refusant cette castration dans la réalité, refuse de renoncer au phallus qu’elle croyait
posséder en la personne du père. Cette image de ce qui manque à la mère dans le « moi » va
nécessairement faire émerger du désir chez Evelyne, même s’il est un objet issu d’une séduction
ratée avec le père - ce que nous avons vu dans la défaillance de la métaphore paternelle – mais
restera une béance, « un corps en proie au morcellement fonctionnel que sont les symptômes

70
ASSOUN (P-L), Freud et la femme, Paris : Calmann-Lévy, 1983, p. 121
71
ISRAËL (L), La jouissance de l’hystérique, Paris : Arcanes, 1996, p. 211
Thomas David - 34 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
hystériques, symptômes qui représentent le point où la loi n'est pas comprise par le sujet mais jouée
par lui. »72.
Evelyne, en s’identifiant au manque de phallus de la mère, sollicite le désir de désir de la
mère. Il s’agit là d’une position d’objet homosexuelle.

Le côté « vengeresse » de la mère qu’Israël incombe à l’hystérique, la conduit à rendre


compte, à témoigner de la castration chez le sujet « supposé » avoir le phallus, en se présentant elle-
même comme phallus en son manque. C’est le déni de la castration de la mère qui produit le non
référencement du signifiant phallique dans la métaphore paternelle. La mère a fait «  presque »
comme si le phallus n’existait pas et ne lui pas donné de place, c’était son rôle : « si dans les
fantasmes des années ultérieures, le père apparaît régulièrement comme le séducteur sexuel, la
responsabilité en revient, selon moi, à la mère qui ne peut éviter d’ouvrir la phase phallique de
l’enfant. Avec le fait de se détourner de la mère, l’entrée dans la vie sexuelle a été aussi inscrite au
compte du père. »73. C’est ce signifiant non solidement émis par le discours de la mère à la
métaphore paternelle qui émet l’idée d’un pénis détachable, que nous retrouverons plus loin.
« Dora est manifestement structurée de façon homosexuelle, autant que peut l’être une
hystérique »74. Lacan veut dire que Dora se positionne de manière homosexuelle mais qu’il ne s’agit
pas d’une homosexualité constituée, puisque la femme homosexuelle a renoncé au phallus paternel
en tant qu’objet de don, et que son père à elle n’est pas impuissant. Nous allons voir maintenant à
partir du cas Dora comment, d’une position homosexuelle dans l’hystérie, Evelyne s’identifie à
quelqu’un du sexe opposé au sien.

5.2 Une identification hystérique par procuration : similitudes avec le cas Dora

Le cas « Dora » développé par Freud met en scène une jeune femme hystérique se
caractérisant par une certaine place dans un quatuor incluant : son père, Mme K et Mr K. Le père
signale à Freud que « lui et sa famille avaient noué […] une amitié intime avec le couple depuis
plusieurs années. Mme K l’aurait soigné pendant sa grande maladie, et se serait, par là, acquis un
droit éternel à sa gratitude. »75.

72
LACAN (J), La relation d’objet, séminaire IV, 6 février 1957, version AFI
73
FREUD (S), « La sexualité féminine », in La Vie Sexuelle, op.cit, p. 150
74
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 369
75
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 15
Thomas David - 35 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Lacan reprend le cas Dora dans le séminaire « La relation d’objet » et positionne ce
quatuor dans son schéma L76.

Mme Mr K
K

Dora Père

C’est au départ du trio : le père, Dora et Mme K, que Lacan se pose des questions sur la
relation de complicité qu’entretiennent Dora et Mme K. Il y a un glissement du désir qui se déplace
sur la personne propre de Mme K. On retrouve ici l’identification homosexuelle à la mère que nous
avons vu plus haut. Le père de Dora va occuper la place du grand Autre en contrepoint symbolique
de la question amenée par l’hystérique dans toute relation subjective, ici représentée par Mme K,
l’objet du désir de Dora. C’est une position, une image narcissique de Dora, car elle s’identifie à sa
propre position phallique dans le désir de Mme K : « où la déception par l'objet de désir se résume
par un renversement complet de la position qui est l’identification à l'objet et qui de ce fait équivaut
à une régression au narcissisme »77. Chez Evelyne, il y aussi ce rapport aux autres femmes. Elle se
rappelle de toutes les femmes qui gravitaient autour de son père quand elle était jeune. Ces
« groupies » avaient en effet pour signe distinctif d’être impliquées dans la chorale. Il est intéressant
de noter qu’Evelyne, pour autant, s’est professionnalisée dans le domaine du spectacle. Lors du
repas de Noël, c’est par le biais de la musique qu’elle interpella son père sur le travail qu’elle
effectue hors de son champ. La demande de départ dans cette interaction entre Evelyne et son père,
c’est que ce dernier lui donne un CD qu’elle pourrait utiliser comme création de son et lumière. On
retrouve cette thématique du don essentielle dans l’hystérie et le cas Dora. L’hystérique ne peut
admettre que Mme K puisse aimer sans contrepartie, car nous l’avons vu, le nœud de l’hystérique,
c’est de ne pas pouvoir aimer ce qui est au-delà de ce qu’un être est ce qui lui manque. Dora trouve
son équilibre quand son père supplée à son impuissance et son absence virile par des dons, des
cadeaux par ailleurs distribués équitablement entre elle et Mme K. Evelyne se pose donc là comme
désir du désir du père pour une femme. Pour elle, ces « groupies » sont à la place de Mme K. C’est
dans cette situation, et seulement dans celle-ci qu’Evelyne peut aimer véritablement son père, c’est

76
LACAN (J), La relation d’objet, séminaire IV, 23 janvier 1957, version AFI
77
Ibid. 9 janvier 1957, version AFI
Thomas David - 36 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
par le biais d’une procuration : « Ce qui est certain, c'est que c'est bien là que Dora en est au
moment où elle aime son père. Elle l'aime précisément pour ce qu'il ne lui donne pas . Toute la
situation est impensable en dehors de cette position primitive qui se maintient jusqu'à la fin, mais
dont il y a à concevoir comment elle a pu être supportée, tolérée, étant donné que le père s'engage
devant Dora dans quelque chose d'autre, et que Dora semble même avoir induit. »78.
Il se pose cependant la question de l’impuissance du père dans notre comparaison entre
Dora et Evelyne. Alors que le père de Dora est impuissant, il n’est pas moins sûr de ce fait que celui
d’Evelyne le soit. La maladie du père de Dora lui rend bien service en fin de compte car ce père,
pour Evelyne, n’est certes pas impuissant. Elle le fige ainsi pour autant. C’est à sa propre totalité, sa
propre castration que cela renvoit chez Evelyne : « c'est en tant que l'imaginaire rentre en jeu, que
sur la fondation de ces deux premières relations symboliques entre l'objet et la mère de l'enfant peut
apparaître ceci, qu'à la mère comme à lui, il peut manquer imaginairement quelque chose, que
quelque chose au-delà peut exister qui est un manque, dans la mesure où lui-même a l'appréhension
et l'expérience dans la relation spéculaire d'un manque possible. »79. Evelyne fait apparaître au-delà
de ce qu'elle se constitue elle-même comme objet pour sa mère, quelque chose qu’elle ne peut
atteindre, « à savoir cette nostalgie, à savoir ce quelque chose qui se rapporte à son propre
manque. »80

Evelyne aime donc par procuration, mais dans une certaine configuration : Dora en fait
l’expérience malheureuse avec Mr K. Dans le schéma ci-dessus de Dora, elle et Mr K font leur duo
sur l’axe imaginaire, tandis que le père de Dora et Mme K se font la paire dans l’axe symbolique.
Lacan signifie là que Mme K n’est pas seulement une image narcissique de Dora, celle qu’elle
aimerait être, mais c’est aussi la question de Dora.
Lacan va poser dans ce séminaire que Mr K va venir rétablir l’équilibre puisqu’il est sensé
désirer Mme K, sensée être adoré par tous ceux qui l’entourent car elle est l’objet du désir de Dora
(phallus). Mr K intervient de manière inversée par rapport au trio Père-Dora-Mme K. Ce que
cherche à obtenir Dora, c’est l’amour de Mr K mais par delà Mme K, ce qui est pensable qu’à
condition que sa femme soit quelque chose pour lui, qu’elle soit le phallus pour lui, et par
conséquent, que lui ne l’a pas. Elle réintroduit donc l’élément masculin auquel elle s’identifie pour
pouvoir approcher Mme K. Dans l’axe symbolique Père-Mme K, il y a la représentation du manque
du phallus ; dans l’axe imaginaire se déplace le complexe de castration par une identification virile
de Dora. L’hystérique est donc quelqu’un qui aime par procuration. Evelyne et Dora font donc une
78
Ibid. 23 janvier 1957, version AFI
79
Ibid. 6 février 1957, version AFI
80
Idem
Thomas David - 37 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
identification virile dans leur moi : «  c'est en tant qu'elle est Mr K. que les hommes sont pour elle
autant de cristallisations possibles de son moi, que la situation se comprend. En d'autres termes,
c'est par l'intermédiaire de Mr. K., c'est en tant qu'elle est Mr. K., et c'est au point imaginaire que
constitue la personnalité de Mr K. qu'elle est attachée au personnage de Mme K. »81. C’est ainsi
qu’Evelyne va poser ses compagnons de vie : « j’aimerais qu’il reste à sa place ». Cela peut donc
expliquer de quelle façon Evelyne s’éprend de son collègue. Elle le désire, en tant que celui-ci peut
être attiré par quelque chose en plus d’elle, qui lui rappellerait ce que son père désire sur ses
« groupies ». Cet « en-plus » : elle le présente comme des aspects d’intelligence, de confiance dans
le travail. C’est la tâche effectuée par Evelyne dans son activité professionnelle qui lui rappelle ce
désir de désir du père qui lui semblait, à elle, avoir à faire aux traits de ces femmes. [Notons aussi
que c’est par le don de nourriture qu’Evelyne se réalise face à ce collègue].

L’épisode de la gifle va nous apprendre que Dora se rend compte que Mr K s’intéresse à
elle en tant que pur objet a du fantasme masculin, objet sexuel. Si donc Mr K ne s’intéresse qu’à
elle, alors son père aussi ne s’intéresse qu’à Mme K. C’est de la même façon qu’Evelyne me dit
qu’il arrive un moment (au bout de 8 mois) où elle se rend compte qu’elle ne peut plus avoir de
désir sexuel pour son ami. Elle se venge en s’y refusant, c’est une manière pour elle de le rendre
impuissant. Quand elle se rend compte qu’il l’aime, Evelyne doit se retrouver dans cette position
insupportable d’objet de désir de l’autre. Nous revenons donc sur ce que nous disions sur le trauma,
à savoir que cet insupportable est d’ordre purement archaïque. Lacan nous dit que Dora se voit ainsi
n’être qu’un objet d’échange pour le père qui paie ainsi la complaisance du mari de Mme K : « Si
en d'autres termes, elle n'a pas elle-même renoncé à quelque chose, c'est-à-dire précisément au
phallus paternel conçu comme objet de don, elle ne peut rien concevoir subjectivement parlant
qu'elle ne reçoive d'autres, c'est à dire d'un homme. Dans toute la mesure où elle est exclue de cette
première institution du don et de la loi dans le rapport direct du don d'amour, elle ne peut vivre cette
situation qu'en se sentant réduite purement et simplement à l'état d'objet. »82.

Nous sommes interpellés dans la clinique d’Evelyne par l’absence de la compagne du père
dans son discours. Faisait-elle partie de ces « groupies » à l’époque ? S’agissait-il d’une autre
femme qui lui rappellait celle-ci ? Elle m’a laissé une fois entendre qu’il y avait bien pourtant
quelqu’un d’autre actuellement, mais elle l’exclue. Je ne peux néanmoins dire si le père a eu
d’autres enfants de cette union.

81
Ibid. 23 janvier 1957, version AFI
82
Ibid. 6 février 1957, version AFI
Thomas David - 38 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Si justement cette période a été « traumatisante » pour elle, c’est qu’elle y éprouvait le rôle
d’exclue. « Elle sentait et agissait plutôt comme une femme jalouse, comme sa mère eut été en droit
de le faire. »83. Evelyne insiste beaucoup sur le fait que, après le divorce, ils ne recevaient pas du
père les allocations suffisantes pour pouvoir vivre convenablement ; elle était habillée « comme une
pauvre, d’habits qu’on nous donnait  ». Elle se plaint de cette façon d’avoir été exclue de la chaîne
symbolique du don par le père. Evelyne n’a pas pu trouver sa place entre cette femme (?) et son
père : « C'est parce que Mme K réalise ce qu'elle, Dora, ne peut pas ni savoir ni connaître de cette
situation où Dora ne trouve pas à se loger, pour autant que l'amour est quelque chose qui, dans un
être, est aimé au-delà de ce qu'il est, c'est quelque chose qui en fin de compte, dans un être est ce
qui lui manque, et aimer pour Dora se situe quelque part entre son père et Mme K., pour autant que
parce que son père aime Mme K., elle, Dora, se sent satisfaite, mais à condition bien entendu que
cette position soit maintenue. »84.

Evelyne et Dora ont donc la nécessité, le besoin - ou dirais-je, le désir au-delà de la


demande - du semblant de don pour pouvoir aimer le père en tant qu’il désire être le phallus pour la
mère (procuration). Elles ont besoin d’un intermédiaire (un don partagé, un homme [l’ami
d’Evelyne quand il reste à sa place] ) pour pouvoir rester dans la chaîne signifiante. Elles ne
peuvent concevoir la privation fondamentale, celle du phallus symbolique, que comme la castration
d’un objet imaginaire, c'est-à-dire, la quête dans l’imaginaire d’un objet qui ne s’y trouve pas.
L’hystérique est quelqu'un dont l'objet est homosexuel et qui aborde cet objet homosexuel par
identification avec quelqu'un de l'autre sexe.

5.3 Le phallus métonymique 

Nous avons vu qu’Evelyne, sujet hystérique, s’identifie « virilement » au père pour être le
manque de phallus de sa mère. Le père, pris en tant qu’idéal, intervient pour elle comme une excuse
pour pouvoir être le phallus pour sa mère. Cet idéal ne s’est pas ici constitué du côté du père dans la
métaphore paternelle. C’est à la sortie du complexe d’Œdipe que l’identification au père se fait,
quand il intervient en tant qu’il l’a. Cette identification au père est appelé idéal du moi. « Elle vient
s'inscrire dans le triangle symbolique au pôle où est l'enfant, dans la mesure où c'est au pôle
maternel que commence à se constituer tout ce qui sera ensuite réalité, tandis que c'est au niveau du

83
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 40
84
LACAN (J), La relation d’objet, Séminaire IV, 23 janvier 1957, version AFI
Thomas David - 39 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
père que commence à se constituer tout ce qui sera dans la suite surmoi. »85. Il faut donc que le père
soit préféré à la mère comme l’indique cette formule lacanienne [S  S'.r]86. [S’r], est donc la mère,
en tant que l’enfant étiole son idéal dans la réalité sur son objet de premier amour. Dans cette
situation, le complexe d’Œdipe peut décliner. Dans le cas d’Evelyne, la mère n’est pas venu
suffisamment manifester le père en tant que porteur du phallus, l’objet du désir de la mère n’est
donc pas suffisamment touché par l’interdiction paternelle (privation) ; ce qui en résulte c’est
qu’Evelyne reste l’objet du désir de sa mère, à défault de «  ».

Etre l’objet du désir pour la mère, chez Dora et Evelyne, amènera la possibilité de prendre
la mère comme métaphore de son désir (ou le père par procuration). Le jeune femme hystérique
substituera les insignes du père au insignes de la mère. Pourtant, il ne s’agit pas non plus d’une
véritable métaphore. Il ne s’agit pas non plus de pure substitution mais de savoir ce qui se signifie
dans cette substitution signifiante, « qu’il s'agit de savoir si pour la mère et par rapport à ce phallus
qui est l'objet de son désir, quelle est la fonction de l'enfant. »87. Lacan interroge donc le rapport de
la mère au phallus, ce qui nous permet d’expliquer comment l’hystérique peut s’identifier à d’autres
femmes (Mme K- groupies).
Lacan nous dit que l’enfant, pour la mère, n’est pas la métaphore de son amour pour le
père, mais la métonymie de son désir du phallus, qu’elle n’a pas et qu’elle n’aura jamais. C’est par
la métonymie que l’hystérique va pouvoir « substituer » (répéter) son identification phallique à la
mère du côté des autres femmes. Mais pourquoi donc l’hystérique ne se contente pas de s’identifier
à la mère ? C’est parce que la mère, prenant l’enfant comme métonymie de son désir de phallus,
l’incorpore en sa totalité, « C'est à ce moment là que commence à se produire ce qu'on appelle
l'angoisse. »88.
Au troisième temps de l’Œdipe, le père intervient pour dégager l’enfant de sa fonction
d’objet métonymique de la mère et le libérer, pour son plus grand bien, de son angoisse.
L’hystérique, quant à elle, va vouloir rester l’objet métonymique de sa mère car elle lui permet en
partie de répondre à son énigme de la féminité : «  L'enfant dans sa totalité, c'est le phallus, et au
moment où il s'agit de restituer à la mère son phallus, l'enfant phallicise, sous la forme d'un double,
la mère toute entière, il fabrique une métonymie de la mère. » 89.

85
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, séminaire V, op.cit, p. 193
86
Ibid. p. 173
87
LACAN (J), La relation d’objet, Séminaire IV, 20 mars 1957, version AFI
88
Idem.
89
Ibid. 27 mars 1957, version AFI
Thomas David - 40 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Mme K est la métaphore de Dora parce que, et c’est une raison sinéquanone, « la
métonymie est la structure fondamentale dans laquelle peut se produire ce quelque chose de
nouveau et de créatif qu'est la métaphore. » 90. Mme K n’aurait pas pu être la métaphore de Dora si
elle n’avait été la métonymie du désir de phallus de sa mère. Cette identification à Mme K, où se
produit le phénomène de métaphore, est rendue possible en raison d’une équivocité dans la chaîne
signifiante. La jeune femme hystérique va retrouver un trait équivoque dans Mme K, sensé lui faire
penser qu’elle peut être le phallus pour son père ; Evelyne va retrouver dans ces groupies la
possibilité qu’elles puissent être le phallus pour son père, par le glissement de la métonymie du
désir de la mère d’être le phallus pour son père. En somme, nous dit Lacan, la métonymie, c’est
« faire entendre quelque chose en parlant de quelque chose de tout à fait autre. »91.

La métonymie92 :

La métaphore :

L’utilisation de la métaphore permet à Evelyne et Dora de pouvoir garder du sens où réside


le non-sens, puisqu’elles ne savent pas ce qu’elles sont, à part être le phallus pour la mère : « on
dira que le passage du sens est frayé par le non-sens qui à cet instant nous étourdit et nous sidère »93.
L’articulation métaphorique et métonymique est essentielle pour comprendre que l’hystérique ne
sait même pas ce qu’elle demande puisqu’elle demande pour l’Autre. Dans la métonymie, il y a une
perte de sens ( ̶ ) au bout du compte de S à S’. La métaphore permet donc d’élever un signifiant (S’ :
Mme K ; groupies) à la place du signifiant du phallus (S : la mère), de créer du sens (+). Lacan va
parler de « métonymie régressive du névrosé » 94 pour expliquer comment le sujet est substitué à lui-
même au niveau de son désir, et qu’il ne peut demander que des substituts en croyant demander ce
qu’il désire. Il se substitue aussi à celui à qui il demande. Cet altruisme de l’hystérique l’amène à se
dévouer aveuglement « à satisfaire à ». Lacan nous dit que la formule du névrosé en présence d’un
objet, passe de $a (en tant qu’il se considère comme un Etre à part entière) à Φ  i(a), qui n’est
autre que cet autre de l’hystérique en tant qu’elle s’y situe et s’y substitue. [Φ : phallus barré]. C’est

90
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 75
91
LACAN (J), La relation d’objet, Séminaire IV, 23 janvier 1957, version AFI
92
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 16
93
Ibid. p. 86
94
LACAN (J), Le désir et son interprétation, Séminaire VI, 17 juin 1959, version AFI, inédit
Thomas David - 41 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
ce Φ qui devait se perdre dans la castration et n’exister que sous sa forme -φ marqué du signe moins
de la castration.
Il y aurait donc chez l’hystérique l’impossibilité à accéder à la métonymie de l’Etre qu’est
le désir, « au phallus comme métonymie du sujet dans l’Etre »95. Evelyne ne pourra utiliser
l’alternative, entre n’avoir pas le phallus pour l’être, et être le phallus (de manière inconsciente)
pour ne pas l’avoir : « L'ambiguïté de la position du névrosé est tout entière ici, dans cette
métonymie qui fait que c'est dans cet être pour que réside tout son pour être  .»96.

5.4 L’identification au trait unaire

Il était question de rendre compte plus haut de l’identification de l’hystérique au phallus de


la mère. Nous avons démontré qu’Evelyne et Dora s’identifiaient au manque de phallus chez la
mère, et qu’elles pouvaient substituer à cette identification à la mère une identification à un autre
objet féminin, par l’utilisation d’une construction métaphoro-métonymique. Evelyne est structurée
psychiquement comme une homosexuelle, ne l’oublions pas. Nous disions qu’Evelyne allait
chercher dans ces groupies un trait équivoque qui puisse témoigner de leur possession phallique
pour le père châtré, par le glissement de la métonymie du désir de la mère d’être le phallus pour son
père ; ou bien chercher un trait du père par procuration. C’est ce que Lacan appelle le trait unaire.

Lacan admet un lien entre le désir de l’Autre, l’idéal du moi, et le trait unaire. Dans
«  Subversion du sujet et dialectique du désir », il écrit, à propos de l’Autre défini comme lieu de
parole et surtout comme garant de la vérité - d’une vérité fragile puisqu’elle ne peut avoir structure
de fiction - une définition de l’idéal du moi : « Le dit premier décrète, légifère, aphorise, est oracle,
il confère à l'autre réel son obscure autorité. Prenez seulement un signifiant pour insigne de cette
toute-puissance, ce qui veut dire de ce pouvoir tout en puissance, de cette naissance de la
possibilité, et vous avez le trait unaire qui de combler la marque invisible que le sujet tient du
signifiant, aliène le sujet dans l'identification première qui forme l'idéal du moi. »97. Cela signifie
que l’identification du sujet est tributaire d’un assujettissement au champ de l’Autre dans son
rapport au signifiant, c'est-à-dire au trait unaire.

95
Ibid. 12 novembre 1958, version AFI, inédit
96
Ibid. 10 juin 1959, version AFI, inédit
97
LACAN (J), « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », in Ecrits II, Paris : Le Seuil,
1971, p. 168
Thomas David - 42 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Chez l’hystérique, l’idéal du moi, c’est la mère. Au départ dans le cas de Dora, c’est la
mère qui était son idéal du moi. Tout comme Dora et son jumeau, c’est dans cette première période
qu’Evelyne s’identifie à son petit frère comme moi idéal. Elle me dit que son frère ressemblait
beaucoup plus à son père : « il a mieux vécu que moi la séparation des parents… c’est pas une
critique… mais on dirait que çà lui passait au dessus…. qu’il s’en foutait un peu… il a toujours été
plus fort que moi, il a plus confiance en lui. ». Quand Mme K est l’idéal du moi pour Dora, les
« groupies » pour Evelyne, c’est le père qui est en position de moi idéal, car elles supportent le désir
de ce père se faire objet du désir pour ces substituts maternels. Pendant le repas de Noël, quand elle
demande un CD à son père, c’est lui qui reprend cette position de moi idéal. Les deux participants
« cités » par Evelyne que sont le petit ami, et le frère sont exclus de ce lien identificatoire. De cet
épisode, Evelyne présentera son ami comme ne respectant pas sa place qui lui était dévolue– c'est-à-
dire, ne pas se comparer à ce qui n’est pas comparable, pas à ce moment là du moins – et son petit
frère comme, fait surprenant, vivant très mal la situation d’écouter cette musique si « particulière »
en famille.
D’une certaine façon aussi, dans le cas de Dora, Mme K est pris en tant que moi-idéal,
objet du désir du père. Elle ne sait pas si elle aime Mme K en tant qu’image idéalisée d’elle-même,
ou si elle désire Mme K. On peut se demander qui joue la fonction d’idéal du moi dans cette
situation ? Serais-ce parallèlement Mme K ? Ou bien serait-ce le père qui jouerait cette fonction ?
La barrière n’est peut être pas complètement refermée chez l’hystérique, contrairement à la
psychose.

Qu’est ce que le trait unaire ? « Ce n’est point une identité de semblance » 98
nous dit
Lacan dans son séminaire sur L’identification. Il s’agit de quelque chose qui doit se manifester
dans une distinction. En ceci que le signifiant n’est pas un signe qui doit représenter quelque
chose pour quelqu’un. Les signifiants se manifesteront d’abord par la différence comme telle.
Le nom propre est une identification au trait unaire. Quand on s’appelle « Evelyne », c’est
pour se distinguer des autres. Quand on est appelé « professeur », c’est par la distinction qu’il
existe en face des élèves. Le trait unaire est une pure différence.
Tout tourne autour du manque dans l’identification au trait unaire. Nous avons dit que
la mère de l’hystérique la prend comme métonymie du désir de phallus et l’incorpore dans sa
totalité. La jeune femme hystérique se réalise donc en tant qu’objet du désir de la mère, c'est-
à-dire en phallus. Cette citation de Lacan - « Le désir est la métonymie du manque à être »99 -

98
LACAN (J), L’identification, Séminaire IX, 6 décembre 1961, inédit
99
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits, Paris : Le Seuil, 1966, p. 623
Thomas David - 43 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
signifie que que le sujet qui désire, manque à être l’objet du désir de sa mère. Le désir ne peut
surgir s’il ne pousse vers un manque, un vide impénétrable laissé par la Chose. Ce manque est
indispensable pour le sujet pour constituer son désir : « l’inconscient, c’est ce quelque chose qui
met toujours le sujet à une certaine distance de son être, et qui fait que précisément cet être ne le
rejoint jamais, et que c’est pour cela qu’il est nécessaire, qu’il ne peut faire autrement que
d’atteindre son être dans la métonymie de l’être qu’est le désir ».100. Dans « Subversion… », Lacan
nous dit que du lieu de l’Autre, le sujet ne se constitue qu’à s’y soustraire et à la décompléter
essentiellement pour à la fois devoir s’y compléter et n’y faire fonction que de manque.
Le trait unaire est donc la marque d’une identification primaire qui fonctionnera comme
idéal. Cet idéal d’être le phallus pour la mère est d’être le signifiant d’être l’Un du sujet. Alors que
l’Etre du sujet devrait être « la suture d'un manque »101.
« Ce signifiant pris comme trait unaire est, la première chose donc qu'il implique, c'est
que le rapport du signe à la chose soit effacé. »102. Comme le signifiant est quelque chose qui
représente un signifiant pour un autre signifiant, le sujet répond à la marque de ce qu’elle manque.
Alors donc Evelyne ne manque pas à être ce manque du phallus de la mère, c'est-à-dire le désir du
père d’être le phallus pour la mère (puisqu’impuissant).

« Ce désir est voué pour elle à je ne sais quelle impasse puisqu'elle ne peut réaliser cette
fixation du point de son désir qu'à condition de s'identifier à n'importe quoi, à un petit trait. Quand
je vous dis un insigne, Freud parle d'un trait, un seul trait, einziger Zug, peu importe lequel, de
quelqu'un d'autre chez lequel elle peut pressentir qu'il y a le même problème du désir. C'est-à-dire
que son impasse ouvre à l'hystérique toutes grandes les portes de l'autre, tout au moins du côté de
tous les autres, c'est-à-dire de tous les hystériques possibles, voire de tous les moments hystériques
de tous les autres, pour autant qu'elle pressent chez eux un instant le même problème, qui est celui
de la question sur le désir. » 103. Evelyne va donc s’identifier au manque d’être le phallus pour la
mère du père, elle s’identifie donc au trait qui lui permet de prendre cette place. (le monde du
spectacle, la musique…), en même temps qu’elle s’identifie directement à sa mère comme image
narcissique (même traits de caractère, manque de confiance…), ce qui la met un peu en état de
confusion. Sa demande vient d’ailleurs préciser ce manque de confiance en soi, une dichotomisation
en deux aspects de sa personnalité : « J’ai deux personnalités en fait…..une qui a tendance à

100
LACAN (J), Le désir et son interprétation, séminaire VI, 3 décembre 1958, version AFI, inédit
101
LACAN (J), « Résumé établi par Lacan et publié dans l'annuaire de l'École Pratique des Hautes Études », in
Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, Annexe I, inédit
102
LACAN (J), L’identification, séminaire IX, 6 décembre 61, inédit
103
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, séminaire V, op.cit, p. 435
Thomas David - 44 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
s’éparpiller […].. et une autre....[long silence] différente ». Est-ce que la souffrance rattachée à
cette différenciation pourrait être le prix d’une culpabilité ? Celle d’entrevoir la possibilité que sa
mère ne soit pas tout pour son père, qu’une partie d’elle-même soit aussi engagée ? Que refuser sa
personnalité (à l’image de la mère) serait le prix à payer pour que son père puisse en partie se
détourner d’elle et se réaliser comme objet du désir de la mère avec les insignes du père (confiance
en soi, travailler un nouvelle création artistique à partir d’un CD de son père…)

Revenons à Dora, Lacan reprend l’exemple de la toux déployée par Freud dans
«  Psychologie des foules et analyses du moi ». Sa thèse est de faire correspondre le trait unique
«  Einziger Zug », de la seconde identification freudienne, au trait unaire ; sans cesser de renvoyer
au Un unifiant et leurrant de l’identification imaginaire, à l’élaboration du trait unaire de
l’identification imaginaire. Dans cette configuration, la toux de Dora est le trait unaire emprunté au
père manquant du phallus, pour prendre la place de ce dernier auprès de Mme K. La toux est bien la
pure différence de ne pas l’avoir, cette toux, : « cette différence détachée de toute comparaison
possible, c’est à partir de cette petite différence, en tant qu’elle est la même chose que le
grand I, l’Idéal du moi, que peut s’accommoder toute la visée narcissique » ; Ce trait unaire,
nous dit Lacan, est « aléatoire » et « partiel »104. Il s’agit d’un seul trait pris sur le corps de l’autre et
qui peut prendre toutes les formes possibles et imaginables - mais qui s’illusionne d’un tout (d’être
un tout pour la mère pour l’hystérique à partir de ce trait) et qui n’est pas sans être irrémédiablement
signifiant dans le désir de la mère. C’est une identification imaginaire au petit autre du miroir dont
parle Freud dans l’identification hystérique au «  Einziger Zug  » (la lettre de rupture). [m <= i(a)].
Cependant le trait unaire relève aussi de l'ordre de la parole et du symbolique tandis que
l'Einziger Zug relève de l'identification imaginaire. Ce signifiant refoulé, qui efface la perte de
l'objet, signifiant élu, signifiant aveugle de chacun, leste le symbolique. « Ce qui reste, c'est
quelque chose de l'ordre de ce trait unaire en tant qu'il fonctionne comme distinctif, qu'il peut
à l'occasion jouer le rôle de marque »105 invisible. Isolé de tous les autres, en dehors des autres, il
permet l'opération de signifiance et, d'une certaine façon, représente le sujet pour les autres
signifiants. Ainsi, parallèlement, le moi, forme unifiante et imaginaire, est produit par une série
d'identifications imaginaires et en même temps, le sujet naît d'une identification aliénante au
signifiant refoulé. Le trait unaire témoigne du mécanisme opératoire en jeu dans l'identification,
dans la mesure où l'identification est une aliénation.

104
LACAN (J), L’identification, séminaire IX, 13 décembre 61, inédit
105
Ibid. 20 décembre 61, inédit
Thomas David - 45 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Lacan nous dira dans ce même séminaire que la position du sujet est imaginaire, le trait est
symbolique, et le symptôme est réel. Le symptôme l’identifie à ce qu’elle hystérise. Le trait unaire
met en évidence la structure de manque du sujet et le caractère aliénant de ses identifications.
Contre le « fatum » que constitue l'aliénation, l'identification du sujet à sa castration est plus qu'une
identification symbolique, consistant à être quelqu'un d'Autre, c'est le passage à l'acte du sujet « à
être ». « Le sujet […] est destiné à la Chose, mais sa loi, son fatum plus exactement, est ce
chemin, qu'il ne peut décrire que par le passage par l'Autre, en tant que l'Autre est marqué du
signifiant. Et c'est dans l'en-deça de ce passage nécessaire par le signifiant que se constituent
comme tels le désir et son objet. L'apparition de cette dimension de l'Autre et l'émergence du
sujet, je ne saurai trop le rappeler pour vous donner bien le sens de ce dont il s'agit, et dont le
paradoxe, je pense, doit vous être suffisamment articulé en ceci que le désir au sens, entendez-
le, le plus naturel, doit et ne peut se constituer que dans la tension créée par ce rapport à
l'Autre, laquelle s'origine en ceci, de l'avènement du trait unaire - en tant que d'abord et pour
commencer, de la chose il efface tout - ce quelque chose, tout autre chose que cet un qui a été,
à jamais irremplaçable. »106. C’est ainsi qu’il propose de revister la célèbre formule Freud en
transformant : Là où la Chose était, je dois advenir – par – Là, par le un en tant que un, le
trait unaire, adviendra le Je.

106
Ibid. 28 mars 62, inédit
Thomas David - 46 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

PARTIE III : Les effets d’une demande signifiante dans le


transfert

1. Le signifiant est une parole qui marque la coupure du sujet

1.1 Une parole de l’Un qui doit advenir en un Un-en-moins

Evelyne s’inscrit dans un cadre posé comme « thérapeutique » et nous formule une parole.
C’est une parole qui, sans mesure, a affaire à l’Autre. Nous avons vu qu’elle s’identifie à l’objet du
désir de la mère, et que par conséquent elle dénonce la castration chez l’Autre, en s’identifiant au
désir de la mère d’être celle qui possède le phallus. L’Etre de l’hystérique est pris comme totalité
dans le désir de la mère. C’est à partir du trait unaire qu’Evelyne voudra se compléter pour devenir
le signifiant de l’Un de la mère, le phallus pour la mère. Dans son séminaire L’identification, Lacan
propose d’articuler le trait unaire au signifiant : « La fondation de l’Un que constitue ce trait n'est
nulle part prise ailleurs que dans son unicité : comme tel on ne peut dire de lui autre chose sinon
qu'il est ce qu'a de commun tout signifiant d'être avant tout constitué comme trait, d'avoir ce trait
pour support. »107. Donc cet Un marque la pure différence et fonde le sujet dans un certain rapport
au signifiant.

Dans le banquet de Platon108, on nous présente le mythe d’Aristophane : à l’origine il y


aurait eu une sorte d’unité totale, cet Un sphérique, sans désir car sa plénitude ne manquait de rien  :
c’est l’époque de l’androgyne. Zeus, pour punir les hommes de leur orgueil et leur démesure qui les
poussent à s’attaquer aux dieux, introduit la scission, la coupure : la sexualité. La fin que vise
l’amour est depuis d’échapper au nombre 2, se confondre avec le commencement pour éviter une
nouvelle menace de la castration. Le sujet est donc marqué par une coupure et il voudra retrouver
cet Un dans l’amour. « Chacun sait, bien sûr que ce n’est jamais arrivé entre deux qu’ils ne fassent
qu’Un […] C’est de là que part l’idée de l’amour. »109. Evelyne va donc essayer de combler cette
séparation en posant ce désir d’être cet Un dans le cadre clinique, par une demande d’amour, à
partir d’une parole constamment marquée par la répétition. En quelque sorte, refuser cette division,
c’est tenter de refaire Un avec l’Autre, éviter l’annulation de la blessure qui fait de nous des
humains.
107
LACAN (J), L’identification, Séminaire IX, 22 novembre 1961, inédit.
108
Séminaire de D. Cailleteau, « Epistémologie des maladies mentales », IPSA Angers.
109
LACAN (J), Encore, Séminaire XX, Paris : Le Seuil, 1975, p. 48
Thomas David - 47 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
C’est parce que l’inconscient est structuré comme un langage, qu’il va donc falloir partir
pour le psychologue du dit, marqué par l’expressivité du trait unaire et possédant les propriétés de
signifiant. Nasio, rappelant la conception lacanienne du Un, note que « Le Un est un dit énoncé par
l’analysant à son insu, et la chaîne des autres signifiants est représentée par un ensemble de dires.
Le dit signifie l’acte d’énoncer un dire ; le dire par contre signifie ce qui va se dire, ce qui un jour
peut-être devra se dire, ou encore ce qui a déjà été dit. Ce sont des dires qui, en attendant d’être dit
ou ayant déjà été dits, restent à l’état virtuel ou inconscient.[…] En un mot, le dire peut se définir
comme un dit énoncé non encore dit ou bien comme un dit déjà dit dans le passé et en attente de
réapparaître, alors que le dit, lui, a valeur d’acte ; il est l’acte de dire. Le dit est toujours un acte
tandis que le dire reste suspendu dans la virtualité d’un passé et d’une attente. »110. Nasio conclut
que l’inconscient existe dans l’acte d’un dit, autrement dit, dans un retour du refoulé.
L’Un est donc ce signifiant que j’avais appelé « trauma », qui s’étaye sur une différence au
trait unaire, et qui vient boucher le trou du trou-matisme. C’est par l’intermédiaire des signifiants de
pure différence de l’Autre qu’Evelyne va dire cet Un du désir de la mère. Ce qu’elle vient signifier
dans le cadre clinique, c’est ce qu’elle dit du trait. L’Un représente Evelyne dans son ex-sistence.
L’Un est à la fois support de l’identité d’Evelyne, mais de part sa nature, il est aussi celui
qui la divise dans sa métonymie : « Il suffirait, ce que nous faisons, d'y rétablir ceci qui est pour
elle la méconnaissance constituante, A = A est là principe d'identité, voilà son principe. Nous
ne dirons A, le signifiant, que pour dire que ce n'est pas le même grand A. Le signifiant,
d'essence, est différent de lui-même, c'est-à-dire que rien du sujet ne saurait s'y identifier sans
s'en exclure. Vérité très simple, presque évidente, qui suffit à elle seule à ouvrir la possibilité
logique de la constitution de l'objet à la place de ce splitting, à la place même de cette
différence du signifiant avec lui-même, dans son effet subjectif. »111

L’Un est donc marqué par son extériorité. L’idéal du moi concerne un autre qui est
extérieur à soi. On n’est pas ici dans la psychose. « L’Un comme tel est l’Autre »112. Les signifiants
de l’Un sont dans l’Autre, mais paradoxalement, nous en sommes coupés. L’Un ne peut pas tenir
parce qu’il y de l’Autre. Il y a de l’Un dans l’Autre, donc on n’en a jamais fini avec la question du
désir de l’Un. C’est une quête impossible pour le névrosé de reformer cet Un originaire et mythique,
mais c’est le support de notre désir. C’est l’Un lui-même qui a laissé le trou. Nasio nous dit que le
trou est « la place vacante laissée par le signifiant qui est allé occuper provisoirement la place de

110
NASIO (J-D), Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan, Paris : P.B Payot, 2001, p. 77
111
LACAN (J), L’identification, Séminaire IX, 20 juin 1962, inédit
112
Ibid. 21 février 1962, inédit
Thomas David - 48 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
113
l’Un. » .
Nous avons dit aussi plus haut qu’Evelyne devait s’identifier au manque de son père pour
mettre à distance la Chose, afin de creuser un espace entre elle et cet objet de pure jouissance. L’Un
est donc une séparation contre cette jouissance, il induit un passage de la Chose au signifiant. C’est
dans son absence, car impossible, qu’il va laisser place au désir. Evelyne reste donc dans une
dynamique désidérative de manque, qui se révèle aussi dans le transfert, parce qu’elle ne peut se
contenter comme le psychotique, de subir le trop plein de jouissance induit par la Chose. Elle fait
donc disparaître l’objet pour donner le signifiant.

L’Autre, pour Lacan, c’est « l’Un-en-moins »114. La dite parole d’Evelyne vient donc
signifier de la difficulté de se séparer de cet Autre qui est support de son désir, qui est même son
désir, puisqu’elle s’y présente comme son objet. Au départ, nous avons dit que ce n’était pas
Evelyne qui était visée principalement par la castration, mais c’était la mère qui s’y refusait. Cette
mère ne voulait sûrement pas se priver de son objet d’amour (divorce effectif ou, bien avant, une
séparation imaginaire), et perdre ce phallus ; elle décida donc de l’avoir à défaut de ne plus l’être
pour le père. Dans la psychothérapie ou la cure de l’hystérique, il faut pouvoir entendre que c’est
dans le rapport à l’Autre que se situe le nœud du problème. L’objectif est de montrer à Evelyne que
l’Autre n’existe pas, qu’il n’y pas d’Autre de l’Autre. La séparation ne doit pas se passer entre la
mère et l’enfant, mais sur le corps de la mère, sur l’Autre. Il s’agit donc de pouvoir dérouler
quelque chose dans la thérapie d’un traitement de l’Un par un Autre qui n’existe pas - quelque
chose qui part de la lettre comme métonymie de l’Un et dont le circuit s’arrête sur cette question. La
désacralisation de l’Autre maternel, cette confusion de l’Un et l’Autre, passera par la mise en forme
de l’Un-en-moins, par le circuit symbolique de la lettre. « Et c'est bien en quoi cet Autre, cet Autre
pour autant que s'y inscrit l'articulation du langage, c'est-à-dire la vérité, l'Autre doit être barré,

barré de ceci que j'ai qualifié tout à l'heure de l'Un-en-moins. Le c'est cela que ça veut dire.

C'est en quoi nous en arrivons à poser la question de faire de l'Un quelque chose qui se tienne, c'est-
à-dire qui se compte sans être. »115.

1.2 Le sujet subit une coupure signifiante

113
NASIO (J-D), Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan, op.cit, p. 81
114
LACAN (J), Encore, séminaire XX, op.cit, p. 116
115
Ibid. p. 118
Thomas David - 49 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Nous allons maintenant aborder la question du signifiant pour rendre compte des
effets que cet Un comporte sur la dimension subjective d’Evelyne et son rapport au signifié.
Qu’est ce qu’un signifiant ? C’est un signifiant qui représente un signifiant pour un autre
signifiant, nous l’avons dit. Par contre, le sujet qui signifie n’est pas un signifiant ; il est plutôt
quelque chose qui est rejeté de la chaîne signifiante, mais qui est cependant toujours subordonné au
signifiant. Il se distingue de la trace qui n’est qu’une empreinte, mais « participe toujours quelque
peu du caractère évanescent de la trace. »116. Lacan prend pour exemple l’empreinte de « Vendredi »
que Robinson découvre lors d’une de ses promenades sur l’île. Il dit qu’elle ne devient signifiante
qu’à partir du moment où on l’efface, cette trace. « A partir du moment où l’on l’efface, où cela a
un sens de l’effacer, ce dont il y a trace est manifestement constitué comme signifié. »117. Le
signifiant témoigne donc d’une présence passée. Il en conclut alors qu’il y a aussi dans le brassage
des signifiants articulés entre eux (S1→S2), un passage à quelque chose qui est au-delà de chacun
des éléments de nature évanouissant, qui constitue la chaîne signifiante.

Si Lacan ordonne un primat du signifiant sur le signifié, c’est que parce que c’est justement
le primat du non-sens, le primat d’une parole qui attend pour se réaliser que quelque chose vienne
sous le signifiant.
Cette vision de cette liaison signifiant / signifié vient en écho de ce que l’on disait sur le dit
et les dires. Le dit, le retour du refoulé « il le note S 1, car il est 1 et toujours 1 et S, parcequ’il
est signifiant. Tandis que l’ensemble des dires, des éléments enchaînés et refoulés, il les note
S2 »118. « S1 » appartient donc à la dimension de l’Un et « S2 » appartient à la dimension de
l’ensemble. L’Un est alors en rapport d’exclusion avec l’ensemble.
La chaîne signifiante a donc pour fonction de mettre à distance la Chose car elle
induit un élément extérieur « S1 » à l’ensemble du réseau signifiant. [et d’un produit à
éliminer : l’objet a]

Schéma  : séminaire de Patrick Martin  :


Professeur à l’IPSA ANGERS.

Le « S1 », c’est donc ce qui va manquer dans l’Autre, c’est le trait unaire de
l’identification au manque de phallus dans l’autre. Il va donc chuter de la jonction du Réel et
116
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 343
117
Idem
118
NASIO (J-D), Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan, op.cit, p. 83
Thomas David - 50 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
du symbolique. Il expulse le Réel : la Chose maternelle, mais garde l’objet maternel. Il
provient de la première aliénation avec l’Autre, c’est un signifiant tout à fait particulier. Le
sujet «  commence au lieu de l’Autre, en tant que là surgit le premier signifiant. »119. L’important
dans le trait unaire et dans ce que va nous renvoyer Evelyne, c’est la nomination. Si on ne manque
pas, il n’y aura pas de « S2 ». A partir du moment où le sujet est pris dans le langage signifiant, il

doit avoir à faire avec le , l’Autre barré par le langage. Ainsi, l’hystérique essaye plutôt de se

signifier en tant que S(A) car elle récuse la castration chez l’Autre, même si la révéler chez cet
Autre la rassure.
F. Richard nous dit que l’unité structurale S/s est symbolique et dépend de la
transposition d’un signifiant pour sa signification. « La signification du signifiant « S » sera

toujours représentée par la métaphore ou la métonymie « S’ » (un autre signifiant) : S’/S, ou  »

120
.
Pourtant, l’hystérique diffère du psychotique en ce sens qu’elle se refuse à ce S2 pour
s’identifier au S1. Cela ne l’empêchera pas d’appeler métonymiquement d’autres signifiants à
partir S1. Pourtant, certains traits hystériques font entendre un rapport au langage qui a du mal
à s’organiser par la représentation phallique. La question est posée de savoir si le signifiant du
Nom-du-Père métaphorise d’emblée le signifiant maternel ?

Le signifiant naît de la coupure qui l’associe à un concept. La primauté du signifiant sur le


signifié est dû à une coupure, en ceci que son surgissement est indissociable de l’engendrement
d’un signe dans sa totalité. Il s’agit d’une coupure car le rapport du signifiant au signifié est
« toujours fluide, toujours prêt à se défaire » 121. La délimitation que l’on peut voir dans le schéma
de P. Martin plus haut est le point de capiton. Il arrête « le glissement […] indéfini de la
signification »122 en coupant, voire en recoupement. « Car aucun signifiant ne peut véritablement
être rattaché à un signifié dans la réalité, bien qu’il y ait une nécessité existentielle pour que la
circulation des signifiés soit « bloquée » à une certain point, et soit reliée à l’ordre de la réalité,
puisque sans ce blocage ou ancrage (le point de capiton de Lacan), la circulation des signifiants ne
pourrait pas produire de sens. » 123 Dans cette dimension de la coupure, nous avons la chaîne
signifiante comme première coupure qui structureront chacun des signifiants de cette chaîne
119
LACAN (J), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Séminaire XI, Paris : Le Seuil, 1973, p.180
120
RICHARD (F), « Métaphoricité du signifiant et sémantique cognitive », in Revue international de psychopathologie,
n°9, 1993, Paris : PUF, p. 50
121
LACAN, Les psychoses, Séminaire III, op.cit, p. 297
122
LACAN, « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », in Ecrits, op.cit, p. 805
Thomas David - 51 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
comme autant de coupures secondes. Dans le cas de l’hystérie, c’est le signifiant de la mère
(S1) qui va être à l’origine des coupures seconde. Le capitonnage n’est pas relié à la fonction
du Nom-du-Père ici, cela suppose un blocage primordial.

La coupure s’origine donc au stade du miroir, où le signifiant s’accroche au S


(l’Autre : la mère) en venant faire de même, de façon subversive. Le S hors signifiant n’est
plus accessible ; contrairement au moi a travers les images. Le stade du miroir est donc une
sorte de labellisation du signifiant.
Lucien Israël nous dit que la coupure apparaît dès le stade du miroir : « Cette
impossibilité de fondre le corps et l’image, cette situation de porte à faux qui nous amène à
nous saisir en tant qu’ensemble, en dehors de nous-mêmes, cette impossibilité de récupération
de l’image fournit l’un des exemples les plus palpables de ce qu’est la coupure qui chemine
tout au long dans l’hystérie. Cette coupure entre le corps et son image au miroir est une
variante de la coupure entre le corps et son image en miroir […] cette coupure qu’il y a à la
limite à franchir pour la parole pour qu’elle véhicule quelque chose qui touche le corps.
L’image dont il est question dans l’image spéculaire vient à la place d’un certain type de
parole, très exactement à la place de la parole circulante, qui circule comme une
124
marchandise. » . Israël nous dit aussi que pour guérir l’hystérique, il faut qu’elle puisse
trouver, tuer son cadavre (l’Autre n’existe pas). C’est l’horreur du cadavre qui l’oblige à
offrir qu’une partie de son corps, marqué de la coupure : « les symptômes hystériques naissent
de la coupure qu’ils reproduisent »125.
En tant que clinicien, il ne faut pas rentrer dans le jeu de cette coupure et répondre à
la première demande formulée par l’hystérique. On doit laisser en suspens cette demande. Je
n’ai pas trop prêté attention au symptôme de frigidité d’Evelyne, car j’ai bien senti qu’il y
avait quelque chose bien au-delà de cette demande, qu’il ne fallait pas prendre à la lettre cette
fois-ci, du coup…D’ailleurs, elle ne m’en parla plus, juste pour me dire qu’elle n’avait plus ce
problème, et que cela lui importait peu en fin de compte.

1.3 L’hystérique dit le phallus

123
RICHARD (F), « Métaphoricité du signifiant et sémantique cognitive », in Revue international de psychopathologie,
op.cit, p. 50
124
ISRAËL (L), La jouissance de l’hystérique, op.cit, p. 58-59
125
Ibid. p. 58
Thomas David - 52 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
L’hystérique, en se divisant sous l’effet de cette coupure que l’Autre dénie, va essayer de
faire apparaître le signifiant du phallus : « Le phallus a une certaine fonction qu’il s’agit de définir
et qui ne peut se définir que dans la référence au signifiant. »126. Le phallus est donc ce qui est dit du
sujet en raison de la barre mise sur son accession au domaine du signifiant. Lacan va dire qu’en ce
sens il s’agit d’« un objet substitutif »127 de la place qui manque dans l’Autre. Il doit être situé au

niveau du signifiant de l’Autre en tant que barré [ ], à cette place où c’est manifestée la

castration dans l’Autre, qu’on appelle complexe de castration. Chez Evelyne, son « déni » de la

castration fait, que ce phallus, elle ne peut l’élever au , ce qui est le destin de la femme, mais

va chercher à le faire apparaître : « Là est l'essence de la fonction de signifiance et si la femme


garde, conserve, porté à une puissance supérieure ce que lui donne de n'avoir pas le phallus, c'est
justement de pouvoir faire de cette fonction du phallus le parfait accomplissement de ce qu'est au
cœur de la castration le mot phallus, c'est-à-dire la castration elle-même, c'est de pouvoir en porter
la fonction de signifiance en ce point d'être non marquée. »128. Car c’est parce que la jouissance de
la femme est « pas-toute » phallique qu’elle doit accepter la castration. L’hystérique, elle, ne peut
admettre de n’être ce « pas-tout » pour l’Autre. Elle surévalue sa position phallique et phallicise
dans un même temps les relations, ce qui est mis en jeu dans le transfert.

Comment repère-t-on ce phallus dans la clinique d’Evelyne ? On ne le voit pas dans sa


forme –φ (castration), mais dans tout ce qui va y advenir à cette place. En ce sens, avec le phallus,
nous n’avons pas à faire à quelque chose de palpable : ce n’est pas le pénis, pas plus que ce n’est le
clitoris : « Il s’agit en fait du phallus pour autant qu’il occupe une certaine place dans l’économie du
développement du sujet » 129. Du fait de la coupure, c’est à des images de phallus à laquelle nous
allons avoir à faire. Lucien Israël parle de « phallus positivés »130 [+φ] pour désigner les objets
exhibés de la femme fatale. Pour lui, l’image est sous-jacente au symbole : le phallus –φ, à savoir le
signifiant d’un manque. Chez Evelyne, ces phallus positivés (ou exacerbés) se retrouvent dans ses
bijoux, son décolleté, son symptôme, la lettre…. Demeurant au stade phallique, pour l’hystérique,
« le terme du désir est ainsi le signifiant ultime du Phallus »131, c'est-à-dire le signifiant par lequel
l’Autre apparaît lui-même comme désirant, et, par là, comme désirable.

126
LACAN (J), L’objet de la psychanalyse, Séminaire XIII, 27 avril 1966, version AFI, inédit
127
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 348
128
LACAN (J), L’objet de la psychanalyse, Séminaire XIII, 27 avril 1966, version AFI, inédit
129
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 346
130
ISRAEL (L), La jouissance de l’hystérique, op.cit, p.56
131
ANDRE (S), Que veut une femme  ?, op.cit, p.108
Thomas David - 53 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Nommer ce phallus va avoir pour conséquence de border la jouissance phallique.
L’opération signifiante de substitution métaphorique que le phallus pourra trouver pour se donner
un semblant - par le symptôme notamment – viendra interdire la jouissance entre elle et sa mère.
En somme, Evelyne cherche dans une position phallique à résoudre l’énigme féminine ; à
chercher aussi bien chez les groupies, ou le père, le clinicien par procuration celui qui viendra lui
apporter cet au-delà de la jouissance phallique.

2. L’adresse de la demande au clinicien dans le transfert :

2.1 La nécessité d’un au-delà et d’un semblant dans la demande

a. Un semblant dans la demande

Nous avons énuméré les demandes successives qu’émet Evelyne lors des entretiens, à
savoir : répondre aux problèmes que pose sa frigidité, aux peurs de reproduire les mêmes schémas
relationnels que sa mère, et son manque de confiance en elle. Mais bien plus que ces demandes,
c’est sa présence dans ce cadre thérapeutique qui supporte sa demande. Elle est là parce qu’elle
demande, mais elle demande aussi parce qu’elle est là. Sa réelle demande ne peut être amorcée que
par des leurres. On se doit d’être vigilant à ne pas s’engouffrer dans des demandes qui ne seraient
que du semblant, mais plutôt s’attacher à comprendre ce que ce semblant peut signifier, car il est
bien un signifiant. « Il n’y a pas de semblant de discours. »132. Quand elle dit au clinicien qu’elle est
frigide, elle donne à voir ce qu’il en est de sa souffrance. Pouvons-nous dire qu’elle se cache ici
derrière un semblant qui n’en est pas « moins Un » ? Ou bien dirais-je que c’est cet « en plus » qui
maintient l’équilibre ? Ce qu’elle donne à voir dans l’inventaire de ses méandres, c’est de
l’angoisse. Il me semble qu’il faut laisser au semblant ce qui est au semblant, et pour cela, il faut
pouvoir laisser ce semblant en suspens. C’est une demande intransitive 133 que nous envoie le
patient, nous dit Lacan, elle ne demande aucun complément d’objet.
Il faut pourtant lui spécifier que sa demande est entendue dans un certain cadre. Dans ce
centre de consultation psychologique, il s’agit de l’analyse de la demande. Lorsqu’elle s’est
présentée au téléphone, Evelyne me disait vouloir une TCC pour régler ses problèmes, des
problèmes qu’elle avait bien du mal à clarifier et à cibler : « c’est trop compliqué à expliquer  ».
Devant ce flou, je lui proposai un entretien d’analyse de la demande ; et devant ce qu’elle me
132
LACAN (J), D’un discours qui ne serait pas du semblant, Séminaire XVIII, Paris : Le Seuil, 2006, p. 15
133
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits, op.cit, p. 617
Thomas David - 54 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
présenta, je lui indiquai qu’il serait plus judicieux pour elle de se diriger vers une démarche plus
analytique. Vouloir une TCC n’est pas sans fondement pour cette jeune femme, c’est une manière
de mettre un peu plus de semblant dans sa demande, de la masquer derrière une couche de savoirs et
de technicité. A peine lui ai-je demandé si elle souhaitait poursuivre dans un travail d’inspiration
analytique, qu’elle me répondit d’un « OUI » massif. Cela démontre bien le côté très suggestif de la
chose, de sa démarche, de ce côté abandonnique à vouloir s’épancher dans une demande qui
circulerait sans que j’y puisse quoique ce soit. Car ce qu’elle demande - qui ne serait d’apparence
que du semblant - n’en est pas moins certain pour moi qu’ici il n’en est rien de semblant ; mais cela,
elle n’est pas en mesure de le savoir, du moins consciemment. C’est de la jouissance dont il s’agit
dans la fonction du semblant : « Qui ne voit que l’économie, même celle de la nature, est toujours
un fait de discours, celui-là ne peut saisir que ceci indique qu’il ne saurait s’agir ici que de la
jouissance qu’en tant qu’elle est elle-même non seulement fait, mais effet de discours. Si quelque
chose qui s’appelle l’inconscient peut être mi-dit comme structure langagière, c’est pour qu’enfin
nous apparaisse le relief de cet effet de discours qui jusque-là nous paraissait comme impossible, à
savoir le plus-de-jouir »134. C’est bien cette impossibilité relative à la demande qui doit être
maintenue dans le semblant. Au deuxième entretien, Evelyne m’annonce qu’elle est guérie : elle
n’est plus frigide puisqu’elle a eu des relations sexuelles avec son ami le soir du premier entretien.
Ce fut seulement un semblant de surprise pour moi. Tout comme cette nouvelle information :
«  Voilà…je voudrais plutôt qu’on parte sur mes problèmes de confiance ». Il est certain qu’il s’agit
bien là d’une demande beaucoup moins matérialisable que celle qui concernait sa frigidité. Mon
discours lui aurait-il fit entrevoir la possibilité que son problème pouvait être décorticable autrement
que par l’exploration de ce symptôme ? Lacan nous dit que c’est dans la mesure où un discours (je
dirais : une demande) se centre de son effet comme impossible qu’il aurait quelque chance d’être un
discours qui ne serait pas du semblant. Il faut donc s’intéresser aux conséquences de son émergence
pour que celui-ci puisse changer. La possibilité de répondre à une demande targue d’un échec
presque assurée. La demande s’adresse donc à quelqu’un supposé savoir qu’il ne peut pas y
répondre, car la vérité ne doit pas être dévoilée. Il faut faire semblant…car l’hystérique réclame ce
dit semblant qu’est le phallus.
C’est la position de semblant que l’on doit occuper, pour Lacan. Il ne s’agit pas de se taire,
mais de se tarir d’un masque projectif. L’analyste ne doit pas jouir de cette position, ni assurer une
voie royale au plus-de-jouir. Le savoir sur la vérité est utile pour lui mais il ne faut pas le distribuer
sans mesure. Lacan met en garde contre la jouissance d’une énonciation qui ne saurait être autorisée
par l’analysant : « Il faut, bien sûr, accentuer que c’est en tant que de a que cette position du
134
LACAN (J), D’un discours qui ne serait pas du semblant, Séminaire XVIII, op.cit, p. 21
Thomas David - 55 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
semblant, il l’occupe. L’analyste ne peut rien comprendre sinon au titre de ce que dit l’analysant, à
savoir de se voir, non comme cause, mais effet de ce discours, ce qui ne l’empêche pas en droit de
s’y reconnaître. Et c’est pour ça qu’il vaut mieux qu’il soit passé par là, dans l’analyse didactique,
qui ne peut être sûre qu’à n’avoir pas été engagée à ce titre. »135. Il y a donc besoin d’aller au-delà
de la demande, dans la marge d’incompréhension qu’est le désir.
Pendant l’entretien, j’invite donc Evelyne à parler librement. Dans « la direction de la
cure…  »136, Lacan nous dit que cette parole est une parole pleine, aussi libre que pénible. L’analyste
frustre le parleur, parce que ce dernier lui demande quelque chose : de répondre justement. Mais en
fait, ces paroles, le patient ne les demande pas, car elles ne peuvent être que des mauvaises paroles.
Il ne faut donc pas céder à dire ce qui ne peut être dit d’un premier abord. Pendant le deuxième
entretien, j’ai cédé sur cette question là et ce fut, je le pense, une grossière erreur. Elle souhaitait
que je lui pose des questions car elle ne voyait plus rien à dire. J’ai laissé sa question en suspens,
mais, quelques minutes après, je n’ai pu m’empêcher de lui répondre. « Je n’aime pas votre
question ». Toutes les paroles que l’on peut donner ont peu de chances d’être de bonnes paroles, ou
bien plus encore des mauvaises. Il faut donc apprendre à ne pas dire pour pouvoir dire et entendre
les dits. Lacan nous dit que par nature, le mécanisme de la demande est le fait que l’Autre s’y
oppose pour être soutenue comme demande. Il faut donc reformuler la demande pour remodeler la
dimension du langage, car elle est exorbitante : « C'est à un Autre au-delà de celui qui est en face de
vous que la réponse à la demande, l'accord de la demande, est en fin de compte déféré. »137. Ce qui
est tenant dans la demande hystérique, c’est que plus que d’autres, elle ne cesse de déjouer la
demande de l’Autre. Elle ne sait pas qui elle est, ni qui elle veut ; par conséquent, elle demande
pour boucher le trou. Elle ne peut que demander car même si sa demande n’est qu’insatisfaction, le
tour de la demande rétablit l’équilibre. Elle prend mon -1, et espère d’un +1. Ce qui passe dans la
plainte, c’est çà justement : trouver de la satisfaction à se dire malheureuse, faire donc un tour de
plus dans la demande. Le sujet s’éclipse dans les signifiants de la demande.

b. Que demande l’hystérique ?

Israël dit que le combat de l’hystérique est un combat pour le sexe, pour une autre
sexualité ; qu’il s’agit d’une demande d’amour n’impliquant pas de sexualité, et qui prend pour
modèle le lien de la mère avec son bébé. Elle demande une preuve d’amour. N’est-il pas une plus

135
LACAN (J), …ou pire, Séminaire XIX, 10 mai 1972, inédit.
136
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir», in Ecrits, op.cit, p. 617
137
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 88
Thomas David - 56 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
belle preuve d’amour pour Evelyne que de demander à son ami l’abstinence ? N’est-ce pas là ce qui
est en jeu dans le désir d’enfant chez elle ? Pourtant, elle en est soumise à son propre paradoxe, car,
cet enfant, elle veut le faire toute seule. Que ce désir soit si vif chez elle viendrait supposer que sa
réalisation même pourrait lui apporter cette preuve d’amour qui lui manque. Mais en même temps,
nous dit Israël, par rapport au désir de la femme envers l’homme : « il est sûr qu’apporter une
preuve, l’enfant, que quelque chose s’est réellement joué dans l’amour, dispense d’avoir
constamment à prouver quelque chose : sa virilité, ses bons sentiments, son intelligence, etc., ce qui
est le lot de tous les hommes. L’homme est toujours en dette d’une preuve. D’une preuve d’amour
offerte à l’autre, il est tout au plus une preuve fournie à soi-même, preuve qu’on a aimé »138.
Evelyne se confronte donc dans sa demande à une impossible réalisation car : elle ne souhaite pas
que l’homme intervienne dans la procréation de l’enfant - « Il faudra bien en passer par là de toute
façon… » - puisqu’elle dénonce la castration de l’homme ; et de plus, elle se donne ainsi les
attributs virils de cette homme par procuration, pour être l’objet du désir de la mère : « le fantasme
latent de grossesse […] se produit chez les hystériques en fonction même de leur identification
virile. »139.
Israël nous dit aussi que ce que demande l’hystérique, c’est un homme qui sache que
l’amour n’est pas la voie du bonheur [On ne peut faire Un : « Il n’y a pas d’amour heureux »,
disait le poète Aragon], mais sachant cela, qu’il assume justement le risque de l’amour et les
souffrances que cela comporte : « N’est ce pas là ce que demande toute femme. Oui certes, toutes
celles qui sont devenues femmes. Elles le demandent en le sachant. L’hystérique, elle, ne le sait pas
encore »140. Le paradoxe de l’hystérique intervient pour préciser qu’il existe « un cul-de-sac », un
chemin à frayer au-delà du faire l’amour, dont il ne reste bien souvent qu’amertume. Evelyne est
bloquée à cette demande, la répète (puisqu’elle lui manque le sachant), et tant mieux, car elle va
pouvoir y insister le temps venu.

c. Une régression dans la demande au clinicien

Le psychologue qui ne répond pas à la demande va, de ce fait, faire remonter les demandes
les plus anciennes à la surface. Le passage dans la demande s’opère dans une régression nécessaire.
C’est une assertion tout à fait juste de Lacan. Cependant, en si peu d’entretien avec Evelyne, on ne
peut pas aller bien loin dans ce retour aux origines. Il faut que la demande puisse s’épuiser pour

138
ISRAËL (L), L’hystérique, le sexe et le médecin, op.cit, p. 214
139
LACAN (J), « Intervention sur le transfert », in Ecrits, op.cit, p. 224
140
ISRAËL (L), L’hystérique, le sexe et le médecin, op.cit, p. 214-215
Thomas David - 57 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
cela, que le sujet insiste sur sa demande. Au quatrième entretien, Evelyne part parce qu’elle n’a plus
rien à demander ; sa vraie demande peut attendre selon elle : « je sais que je ne suis pas guérie […]
je recommencerais ce travail aussi bien dans 1 mois ou dans 10 ans ». Nous discuterons plus loin
de ce qui a pu se passer dans cet arrêt. Cependant, on peut penser qu’il y a déjà là la marque d’une
castration qui n’est pas tolérable par le sujet hystérique : « c'est dans la mesure où sont épuisées
jusqu'à leur terme, jusqu'au fond du bol, toutes les formes de la demande, jusqu'à la demande des
zéros, que nous voyons au fond apparaître la relation de la castration. La castration se trouve
inscrite comme rapport à la limite de ce cycle régressif de la demande. »141.
C’est une demande d’amour que demande l’hystérique dans le transfert avec le clinicien.
Derrière ses multiples demandes ayant rapport avec son quotidien et demandant satisfaction
immédiate, se trouve en arrière plan une demande d’amour dans le transfert : « J’ai pensé à vous
l’autre jour…  » ; « Qu’est ce que vous en pensez…  » ; « Vous allez me trouver folle mais….  »
«  Çà fait longtemps que je pense à venir voir quelqu’un ». Devant ces demandes d’amour précisées
par le sujet, le clinicien ne doit pas se poser dans la suggestion, il doit rester « abstinent » pour
l’hystérique : on ne doit pas gratifier la demande. On ne doit pas faire usage d’un pouvoir qui nous
est conféré par le patient : « Le transfert est déjà en lui-même un champ ouvert, la possibilité d'une
articulation signifiante autre et différente de celle qui enferme le sujet dans la demande. »142. La
demande porte sur autre chose que les satisfactions qu’elle appelle. La demande d’amour ne répond
à aucun besoin spécifique. Ce qui importe, c’est la prise du symptôme dans le transfert par le sujet
supposé savoir. Le transfert s’est établit massivement dès le premier entretien, c’est sans doute
parce que la demande était déjà chargée d’amour bien avant qu’elle ne parvienne à l’adresse du
stagiaire psychologue : « Le « çà n’a plus de sens », par lequel le névrosé exprime son désarroi et
forme son appel, manifeste le savoir dans l’Autre et la supposition d’un sujet qui, ce savoir, le
cache. Cette attribution à un sujet supposé, d’un savoir que nul sujet ne sait encore – puisqu’il s’agit
du savoir inconscient, fonde le transfert, qu’on peut dire transfert de savoir.   On ne saurait donc
considérer que le seul fait de prendre rendez-vous avec un analyste soit déjà l’indication d’un
transfert, quand bien même l’appellerait-t-on « flottant ». »143. Le clinicien doit juste supporter cette
demande pour que réapparaissent les signifiant où la frustration du sujet est retenue : « La
régression ne montre rien d'autre que le retour au présent, de signifiants usités dans des demandes

141
LACAN (J), L’angoisse, Séminaire X, 5 décembre 1962, version AFI
142
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 428
143
WACHSBERGER (H), « Fonction des entretiens préliminaires », Chapitre « Sur le signifiant du transfert », in
Ornicar, Ed. Navarin, n°33, 1985, p 16
Thomas David - 58 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
pour lesquelles il y a prescription. »144. Car c’est après avoir attiré mon désir par sa position
phallique qu’elle va régresser dans la demande.

d. La demande se répète autour de l’objet métonymique

C’est dans la mesure où la demande se répète dans le transfert que nous entrevoyons ce qui
en est l’objet du désir. La répétition des demandes fait d’un tour ce qu’il faut pour mettre à distance
le Réel. Dans la demande adressée au clinicien, Evelyne reconnait donc un trait de l’objet de son
désir ; nous l’avons vu, il s’agit du trait unaire : « en ce trait réside l’essentiel de l’effet de ce qui
pour nous, analystes, à savoir dans le champ où nous avons à faire au sujet, s’appelle la
répétition. »145. Cette répétition du Un dans la demande permet au sujet de répéter ce qu’il ne saurait
que répéter, afin de mettre plus à distance l’unaire primitif, la vérité qui la tourmente. D’un côté, le
sujet ne peut demander autre chose que la demande qui l’anime ; d’un autre côté, il se trouve obligé
de demander pour pouvoir faire le tour et situer ce qu’il ne faut dévoiler : a. « Le Un est une
séparation »146. Le transfert du Un va permettre de faire disparaître l’objet dans le signifiant de la
demande. Le signifiant se répète et cette répétition n’est rien d’autre que la forme la plus radicale de
la demande.
Dans son séminaire L’identification, Lacan fait appel à la topologie pour comprendre ce
mécanisme de la répétition dans la demande. Il nous dit que la demande ( $  D ), où se trouve les
trésors signifiants à l’étage de l’énonciation, s’appelle aussi la Trieb, la pulsion.

Figure 3
Figure 1 Figure 2
5 Schémas tirés de Jacques Lacan, séminaire : L’identification, 30 mai 1962, inédit

Lacan précise que dans son graphe [fig.1] on ne peut trouver conjoint D et a. C’est
justement parce que la pulsion est la première modification du réel au sujet sous l’effet de la
demande que peut s’instaurer un réseau de signifiant. On peut voir d’ailleurs que dans le huit
intérieur [fig.2], ici situé dans le Tore, l’objet a surgit dans une certaine béance où se situe la
144
LACAN (J), «La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits, op.cit, p. 618
145
LACAN (J), D’un Autre à l’autre, Séminaire XVI, 22 janvier 1969, version AFI
146
LACAN (J), L’identification, Séminaire IX, 7 mars 1962, inédit.
Thomas David - 59 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
demande, dans la vacuole de la jouissance. Dans la demande hystérique, il y a aurait donc un
étalage de demandes pour pouvoir se mettre à distance de l’objet a. L’objet a, c’est ce que suppose
de vide une demande ; on ne peut donc le situer que dans sa métonymie, dans la perte de sens
qu’elle suppose [Fig.3]. Il existe donc un désir qui peut vouloir dire ce qu’aucun être ne supporte.
La nécessité pour la demande, nous dit Lacan, est de ne « jamais être satisfaite : car l’objet de la
demande étant lui-même un sujet, il ne peut-être consommé sinon il disparaît en tant qu’objet.» 147.
Le sujet cherchera par toutes les manières de poser, de marquer l’objet a dans le jeu d’une présence
et d’une absence « -a », comme le démontre son introduction dans le fantasme [$a].
Toujours dans l’identification, Lacan mettra en jeu la coupure [ce qui est en pointillé
dans la fig.2  : désir] qui se dessine dans l’image du Tore. La coupure rend saississable d’une
façon signifiante et conceptuelle, elle figure la forme, mais c’est son atopie qui permet de
constituer la demande, « si l’on peut dire l’absence d’aucun accès à la saisie à l’endroit de son
objet au niveau de la demande. »148. La demande ne peut se répéter qu’en fonction du vide
intérieur qu’elle cerne, ce vide qui la soutient et qui la constitue. Toute satisfaction
saississable fait défaut à la demande ; pour que la demande soit demande, il faut qu’elle se
repète comme signifiant. Si la demande est si marquée (plaintes) dans l’hystérie, c’est
justement du à la difficulté d’insister dans sa demande, ceci en raison de la coupure qu’elle
subit : ne pouvoir faire Un avec la mère. Il faut donc que sa demande soit déçue, sinon il n’y
aurait pas de support à sa demande. Le clinicien, par le silence de son désir, introduit la
coupure dans le cadre clinique.
Nous disions plus haut qu’il s’agissait d’une succession de semblant de demande dans
ce que peut renvoyer le patient hystérique quand il arrive en entretien. Lacan précise que cette
demande transporte ce qu’il appelle le « rien fondamental »149, distinct du vide de la demande
[fig.3]. Le « rien » provient de la répétition de la demande autour de l’objet a. Il est un trou
formé par la métonymie, le glissement même de la répétition de la demande, et engage
l’avènement de l’objet du désir. Le vide qui soutient la demande n’est pas le rien de l’objet
qu’elle cerne comme objet de désir. C’est de ce rapport au « rien fondamental » que sera
explicitée la question hystérique. «  Je ne sais pas ce que je veux  ». Se refuser au désir sexuel
de son ami, c’est garder la permanence de son désir, le garder intact. C’est désirer de ce
« rien », supporté dans la nécessaire répétition de la demande. Dans le transfert, c’est donc ce
rien qu’elle transporte, elle attend une réponse en différé quant à la vérité de celui qui porte le
phallus. C’est seulement une insatisfaction qui peut en ressortir de cette demande première,
147
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits, op.cit, p. 620
148
LACAN (J), L’identification, Séminaire IX, 30 mai 1962, inédit.
149
Idem
Thomas David - 60 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
car tout objet pour elle ne trouvera son fondement que dans son manque à être, dans ce rien.
Reste que ce rien peut apporter un plus-du-jouir, le clinicien devra donc s’en prévaloir. Lacan
nous dit en effet que le rien fait le fond de la demande d’amour 150.
Le Tore [fig.4] exprime donc bien ce qu’il en est de cette répétition du signifiant [ Un]
qui conditionnne la demande. Il s’agit du renouvellement des tours successifs des cercles
pleins sur le Tore liés à la répétition du besoin. Le cercle vide apparaissant de la succession de
tours de la demande définit donc la place de l’objet métonymique  : le phallus.

Figure 4 Figure 5

e. Statufication de la demande au lieu de l’Autre

Nous avons vu cependant que ce phallus métonymique ne pouvait être que métaphorisé par
l’Autre, que ce soit par l’intermédiaire de la métaphore paternelle ou, pour l’hystérique, par la
métonymie du désir de la mère - « la demande est définie comme le discours qui vient expressément
s'inscrire au lieu de l'Autre »151. La demande de l’hystérique va donc progresser vers le point
d’identification, c'est-à-dire au père, présentant le trait d’être le phallus de la mère (Autre supposé
par elle).
Lacan formalise cette possibilité pour le sujet de s’identifier à ce trait par la topologie du
« Tore complémentaire » [fig.5]. Il en arrive à la conclusion de sa démonstration par dire que le
second Tore, le support de l’Autre, sera une courbe superposable à la première si l’on superpose les
deux tores, une courbe qui engloberait les deux vides et les deux riens ; de sorte que le cercle du
désir du sujet (cercle vide) se confond avec le cercle de la demande de l’Autre (cercle plein). Cette
démonstration lui permet de symboliser le rapport du sujet avec l’Autre : « c’est que dans notre
transposition signifiée, dans notre expérience, que la demande du sujet, en tant qu’ici deux elle se
répète, inverse ses rapports D et a, demande et objet au niveau de l’Autre, que la demande du sujet
correspond à l’objet a de l’Autre, que l’objet a du sujet devient la demande de l’Autre. »152. C’est

150
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits, op.cit, p. 629
151
LACAN (J), Principes cruciaux pour la psychanalyse, Séminaire XII, 13 janvier 1993, inédit.
152
LACAN (J), L’identification, Séminaire IX, 30 mai 1962, inédit.
Thomas David - 61 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
ainsi qu’Evelyne va s’appuyer sur l’objet de l’Autre, pris comme support de sa demande, soit, par
une identification par procuration.
Ce qui est marqué dans cette topologie, c’est que justement, de ce second Tore, il ne
s’agit que d’une image inversée du sujet. Lacan fait un rapprochement entre le stade du miroir
et cette dissymétrie des tores. Cette impossibilité de se lier au Tore de l’Autre, renforce la
coupure du sujet de ne pouvoir faire qu’Un, et l’impasse dans laquelle son fantasme s’est
empétré : « ce que le névrosé cherche, et non sans fondement, c'est à arri ver à a par i (a). La
voie dans laquelle s'obstine le névrosé, et ceci est sensible à l'analyse de son fantasme, c'est à
arriver à a en détruisant [obcessionel] i(a) ou en le fixant  »153. On en revient aux dires d’Israël
sur la coupure existant entre le corps et l’image dans le miroir. L’objectif de la thérapie avec
Evelyne est donc de désidéaliser cette image spéculaire qui vise la réalisation du fantasme
fondamenale (inceste), et de supporter cette coupure.

Nécessairement, par cette démonstration, nous pouvons rendre compte de la


métaphoricité à partir du Tore de l’Autre. Comme l’engendrement du second Tore correspond
au cercle générateur du premier Tore, et comme ces tours sont tous différents puisque chacun
participe d’une répétition du trait unaire, « nous pouvons donc tenir le second tore de l’Autre
comme la « métaphore du trait unaire. »154. Le signifiant peut venir se substituer à lui-même.
Le sujet fait appel à l’Autre car il a besoin qu’il vienne « statufier »155 sa demande par
rapport au besoin ; dans la thérapie, il s’agit pour le clinicien à inviter le besoin à se « présentifier,
s’incarner dans le processus de la régression, à se présentifier, à s’authentifier dans la relation »156.
S’écarter de la satisfaction du besoin, et demander, c’est ne plus jouir de la Chose. L’Autre est donc
posé comme absent ou présente dans cette demande, sans que le sujet attende de lui une quelconque
une réponse qui n’en serait pas une : « la jouissance ne connaîtra pas l'autre A, sinon par ce reste a
[...] je pourrais suggérer que a vient à prendre une sorte de fonction de métaphore, du sujet de la
jouissance. »157. Le signifiant fait chuter le a, mais c’est « la jouissance qui pourtant est visée » par
le sujet.158

f. Le creusé de la demande pour désirer

153
Idem
154
Ibid. 14 mars 1962, inédit.
155
LACAN (J), Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, séminaire XII, 10 mars 1965, inédit.
156
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Ecrits, op.cit, p. 814
157
LACAN (J), L’angoisse, Séminaire X, op.cit, p. 203-204.
158
LACAN (J), D’un Autre à l’autre, Séminaire XVII, op.cit, p. 327
Thomas David - 62 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Du fait de la dissymétrie qui existe entre le Tore du sujet et le Tore complémentaire, il
devrait normalement y avoir une inversion entre le désir et la demande. Lacan nous dit que le
« désir, c’est ce qui supporte le mouvement, sans doute circulaire de la demande toujours répétée,
mais dont un certain nombre de répétitions peuvent être conçues […] comme achevant quelque
chose. »159. Cela suit donc la trajectoire du rien [fig3]. Le désir prend forme dans la marge où la
demande se déchire du besoin. C’est en fait un au-delà de la demande. Du fait de son
enchevètrement avec le cercle vide du tore de l’Autre, où se situe l’objet du désir de l’Autre, on
peut dire que le désir du sujet est le désir de l’Autre ; le désir se manifeste donc dans l’Autre comme
lieu de parole : « Au niveau de la demande, il y a entre le sujet et l’Autre une situation de
réciprocité. Si le désir du sujet dépend entièrement de sa demande à l’Autre, ce que l’Autre
demande dépend aussi du sujet […] Que le désir du sujet est d’abord repéré et trouvé dans
l’existence comme telle du désir de l’Autre, en tant que désir distinct de la demande. »160.
Nous relevons dans cette dernière citation de Lacan le problème à lequel Evelyne, en tant
que sujet structuré de manière hystérique, est confrontée. Le problème de l’hystérique, c’est qu’elle
est suspendue à ce premier clivage entre la demande et le désir. L’hystérique ne distingue pas ce
qu’il en est de son désir et celui de l’Autre, elle est supplantée par la dissymétrie qu’il existe entre
eux : « Or, il est clair qu’il n’y a aucune raison pour que le sujet [enfance] s’en aperçoive. Je veux
dire que la distinction entre l’Autre et lui-même est la plus difficile des distinctions à faire à
l’origine. »161. Ce désir demandé par l’hystérique, au point d’être confondu avec la demande, est
refoulé ou plutôt identique au refoulement ; de sorte que, par son insatisfaction, Evelyne se garde en
réalité de la castration de l’Autre beaucoup plus qu’elle ne protège son désir.

2.2 Une recherche de désir de désir insatisfait

Nous avons conclu de notre travail préalable, dans le point précédent, que la satisfaction
d’un besoin dans la demande - « Je veux… » - n’apparaît que comme le leurre où la demande
d’amour s’écrase. Nous avons déduit précédemment les principes 162 qui découlent dans la cure : le
159
LACAN (J), L’identification, Séminaire IX, 9 mai 1962, inédit.
160
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p.359
161
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p.357
162
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits, op.cit, p. 628
Thomas David - 63 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
désir est effet de discours passé du besoin dans des défilés de signifiants ; l’Autre est le lieu de
déploiement de la parole ; le désir du sujet est le désir de l’Autre. Notre propos ici est de rendre
compte cliniquement de l’assertion que nous avons fait sur le désir d’insatisfaction de l’hystérique.
Chez Evelyne, on voit apparaître un double mouvement concernant ce désir : à savoir, se protéger
de la satisfaction, de la jouissance que susciterait de faire qu’Un avec la mère, ce qui justifierait de
créer un manque chez l’Autre afin de se faire désirer ; mais aussi de créer un manque chez l’autre
pour qu’il puisse être ce phallus pour la mère, et par là aussi (par procuration), la distancer du réel
par le port de ce masque identificatoire. Nous allons aborder cette question de l’insatisfaction sur
deux temps de la vie d’Evelyne : avec son petit-ami, et avec le clinicien.

a. La frigidité : support métaphorique de cette insatisfaction

Notre position est de dire que la frigidité d’Evelyne engendre une insatisfaction répondant
à notre dessein précédent sur l’identification au manque de l’Autre. Dans le cas présent, il s’agit
pour Evelyne de mettre à la fois son ami – qui la sollicite pour des relations sexuelles – et elle, en
état d’insatisfaction. Son ami est ici l’objet de son fantasme (a), mais c’est le grand Autre qui est
visé par cette marque d’insatisfaction ; elle ne peut se contenter de ce fantasme. Pour Lacan,
l’hystérique « préfère que son désir soit satisfait à ceci, que l’Autre garde la clé de son mystère. »163.

La frigidité, si on se fie à cette définition de Lacan et à sa formule du fantasme de l’hystérique [

] viendrait voiler, masquer ce qui l’en est de son véritable désir. Elle préfère être privée de

relation sexuelle pour maintenir, réparer, réanimer, cet Autre châtré. Dans cette configuration, on
remarque qu’Evelyne abandonne sa position de sujet à celle d’objet du désir de l’Autre. La frigidité
serait donc ce qui marque Evelyne dans son identité de sujet désirant : elle substitut un a (petit ami :
objet substitutif ou métaphorique) à l’objet imaginaire qui manque à l’Autre (- φ), pour définir sa
position subjective par rapport à l’Autre. Le résultat obtenu est d’apporter la preuve de la castration
chez le sujet supposé s’en prévaloir, pour le mettre au défi de la castration. Dans ce rapport là,
Evelyne ne désire pas un objet mais un désir de désir insatisfait, le désir de désir qui insatisfait
l’Autre. Elle va y prendre appui. Chez Evelyne, de ce fantasme hystérique, il ne restera dans le moi
que des « phallus positivés », la zone génitale restera anesthésiée.
Israël nous dit que l’hystérique n’est pas incapable d’éprouver le plaisir de la chair, mais le
refuse. Le jeu qui s’instaure entre Evelyne et son ami n’a pour but que de créer de l’insatisfaction,
163
LACAN (J), Le transfert, Séminaire VIII, op.cit, p. 294
Thomas David - 64 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
pour autant que son ami y participe. Evelyne racontait en entretien qu’elle avait parfois encouragé
son ami à ce qu’il fasse des strip-teases devant elle afin de susciter son envie d’avoir des relations
sexuelles. Elle raconte aussi tous les subterfuges dont usait son ami pour faire apparaître chez elle
une excitation sexuelle ; ces dires n’avaient pour finalité que de révéler l’impuissance de son ami à
la satisfaire. La part prenante de son ami dans ce jeu démontre bien ce que Israël énonce de la
nécessite d’être deux dans une hystérie : « Il n’est pas rare non plus que l’hystérique, en relation
avec plusieurs hommes, veuille les aider à se dépasser. »164. Dans ce jeu, Evelyne anime le désir,
puis s’y dérobe, pour se nourrir de ce manque dans l’Autre. C’est de cette façon qu’Evelyne va
aborder la faille de l’Autre, elle va le réparer par le manque créé chez elle et son ami. C’est en
différé qu’Evelyne peut apporter cette marque d’insatisfaction qui subsiste chez elle et l’Autre
(mère). Car il est bien certain que malgré ses tentatives de faire de cet Autre maternel le porteur du
phallus et d’être son objet, elle ne peut s’y résoudre de part la douleur (angoisse) qu’elle subit. Elle
va se positionner au trou de l’Autre, et pour autant s’assurer que l’Autre reste châtré tel qu’il devrait
l’être. C’est tout à fait paradoxal. De cette manière, en gardant le désir de désir de l’Autre
insatisfait, elle se prémunit d’une jouissance de l’Autre. Devant le danger du rapport sexuel entre
elle et son ami, elle doit s’assurer que l’Autre souffre d’impuissance ou qu’il l’interdise de jouir. En
somme c’est par l’insatisfaction qu’Evelyne se protège. Elle se protège de jouir du corps de la mère
car cette jouissance l’amènerait vers une mort certaine. Dans le refus de l’acte sexuel, le pénis de
son ami peut représenter le corps de la mère, le réel inquiétant, et de ce fait, elle va devoir le
marquer d’impuissance, comme pour marquer l’Autre.
C’est un désir de désir portant sur le manque de l’Autre et non sur la cause de son manque
qui caractérise la névrose hystérique. Ce manque viendra s’articuler au travers de la demande au
lieu de l’Autre, c’est ainsi qu’Evelyne aura pour ambition d’être le désir de l’Autre. On peut
conclure en disant que l’hystérique pense être la seule à se réfuter de cette intolérable fait de n’être
pas pourvue de phallus ; la présence d’autre phallus n’aura d’effet que de raviver son angoisse, elle
devra donc les marquer de la castration. La frigidité d’Evelyne marquera l’échec d’être femme par
le phallus. Sans pourtant se plaindre de la non-réalisation de l’acte sexuel - « Je voudrais bien vivre
une relation sans sexualité … çà ne me dérangerait pas » - nous voyons ici une part de jouissance
qui se refuse obstinément à se laisser enfermer dans le signifiant phallique. C’est dans la mascarade
phallique (strip-tease) qu’Evelyne désacralise le porteur du phallus.

Nous pouvons dire que l’ami d’Evelyne s’inscrit dans la trame de la position paternelle.
Pour pouvoir se défaire de cette mère-ravage, l’hystérique fait appel au père pour qu’il barre de la
164
ISRAËL (L), L’hystérique, le sexe et le médecin, op.cit, p. 94
Thomas David - 65 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
castration la mère phallique. « Vous avez peut-être remarqué qu’elle [la mère] est complètement
absente du cas. Dora est confrontée à son père. C’est de son père qu’elle veut l’amour. […] C’est à
son père que s’adresse la demande, et les choses vont très bien parce que son père a un désir, et cela
va même d’autant mieux que ce désir est un désir insatisfait. »165. Mais cet appel au père ne tient pas
chez Evelyne en raison de ce qu’appelle Israël : le « mensonge fondamental. »166, elle devra alors
pointer la castration chez l’Autre paternel. Israël nous dit que le père semble complice, par son
silence et son absence, de la tentative de la mère de faire du père un être qui aurait abandonné
moralement, matériellement et physiquement la mère. Pour autant que le discours de la mère
d’Evelyne sur les hommes soit négatif, elle cherche à marier sa fille et s’éprend d’autres hommes.
Evelyne s’apprête donc à être abandonnée tout comme sa mère. Evelyne voit ici cette contradiction
et il en résulte une séduction ratée avec le père. C’est la découverte de ce mensonge parental qui
constitue le noyau traumatique causal de l’hystérie pour Israël. L’épisode de son 20ème anniversaire
vient réveiller dans l’après-coup ce qui est en jeu dans ce mensonge fondamental, l’abandon, la
duperie dont elle est victime, cela fait éclater le semblant qui s’était posé dans sa constitution.
Quand ce semblant se déchire sous ses yeux, « Je me suis permis de tomber malade », c’est
l’angoisse fondamentale qui resurgit. Elle va donc avoir recours à un objet a (son ami) qui viendra
la réparer en lui apportant son insatisfaction. Le rôle de l’ami en question est de soutenir le désir
d’Evelyne de soutenir le désir du père. Elle a besoin de cet au-delà de la demande adressée au père,
de s’adresser à un autre qui est en mesure de satisfaire son désir d’insatisfaction, de s’y reconnaître :
« parce que le désir est l’élément qui est chargé à lui tout seul de prendre la place de l’au-delà
repéré par la position propre du sujet par rapport à la demande. Parce que c’est une hystérique, elle
ne sait pas ce qu’elle demande, simplement elle a besoin qu’il y ait là quelque part ce désir au-
delà. » 167.
Cependant, c’est une position intenable pour cet homme. D’un côté, il ne faut pas que
l’ami d’Evelyne soit trop proche de son père pour représenter cet au-delà de la demande « Il n’a
pas le droit de bien s’entendre avec eux [père et oncle] Je voudrais le façonner » ; d’un autre côté,
à la différence de son ex-ami, il doit avoir en lui les insignes du père pour pouvoir le reconnaître
parmi d’autre. Elle ne peut néanmoins se défaire de cet ami qui la fait tenir : « je l’aime beaucoup,
il me stabilise ».

165
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 368
166
ISRAËL (L), L’hystérique, le sexe et le médecin, op.cit, p. 99
167
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 369
Thomas David - 66 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
b. Susciter le désir du clinicien dans le transfert 

Il y a dans le mécanisme du transfert au clinicien quelque chose ayant rapport avec le désir
d’insatisfaction. Dans le transfert, Evelyne tente de recréer une insatisfaction. Pendant un entretien,
elle me dit avoir fait un rêve : elle attise donc mon désir d’en savoir plus sur ce qui y est jeu, mais
elle s’y dérobe, elle passe à autre chose. La visée latente de ce rêve est de provoquer une
insatisfaction chez le clinicien. Je m’appuierais ici sur un seul point de la clinique (il y en d’autres) :
à savoir, « son décolleté », puisqu’il représente le masque dont s’affiche l’hystérique au domaine du
sexuel, et qu’il renvoie insidieusement à la frigidité affichée par elle. Lacan fait allusion dans son
séminaire à l’utilisation de la provocation chez l’hystérique pour constituer son désir: « c’est
quelque chose qui est présenté derrière un voile, mais qui, d’autre part, ne peut pas y être trouvé. Ce
n’est pas la peine que vous ouvriez mon corsage, parce que vous n’y trouveriez pas le phallus, mais
si je porte la main à mon corsage, c’est pour que vous désigniez, derrière mon corsage, le phallus,
c'est-à-dire le signifiant du désir. »168. A la différence de Lacan dans cette citation, je ne parlerai pas
de « provocation » chez Evelyne car il ne s’agit pas de provocation gratuite. C’est plutôt de l’ordre
de la séduction, d’un piège du regard, en ce sens que la séduction suppose un retour de la part du
clinicien. Elle me séduit de tous ces appareillages (+φ), derrière ce qui ne peut qu’être à l’état de
voile (-φ), pour que je puisse la séduire à mon tour. Ce rapport de séduction ne peut être
qu’impossible du fait de sa position de patiente, elle en tirera que de l’insatisfaction. Mais ce qu’elle
cherche avant tout, c’est mon insatisfaction. Elle pousse le clinicien à ressentir du manque, à
ressentir du désir, à partir de l’excitation sexuelle qu’elle tend à provoquer. Ce que veut Evelyne
c’est ce que l’Autre n’a pas, c'est-à-dire son manque.
En quelque sorte, elle déplace l’insatisfaction sur un autre, un petit autre il est vrai, mais
qui aura le mérite pour elle d’éprouver la castration de l’Autre. Ce que l’hystérique ne peut intégrer,
c’est qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre. Ce qui s’affiche ici dans le transfert, outre la nécessaire
circularité de la demande, c’est qu’il y a aussi la circularité du désir. On ne peut se résoudre à ne pas
faire de rapprochement entre la disparition du symptôme (frigidité) après le premier entretien, et
l’entrée dans le transfert. De sa frigidité (résolue ou pas ?) elle joue la belle indifférente. Devant ce
qu’elle me renvoie de sa sexualité, je n’essaie pas d’en savoir plus. En sorte, je lui laisse la
possibilité de s’appuyer dessus ; elle peut donc s’appuyer sur ce refus pour se placer dans un désir
qui se déploie dans le transfert. Le transfert apparaît ici comme une opportunité de déplacer
l’insatisfaction. Il y a du avoir pour Evelyne une preuve de satisfaction, de part et d’autre dans le
transfert, qui l’a sollicitée à protéger son désir. Cette satisfaction, recherchée et obtenu dans le
168
Ibid. p. 380
Thomas David - 67 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
transfert, est porteuse d’un degré d’insatisfaction qu’elle pousse sans fin. Nous revenons donc à ce
que nous disions sur la demande : je lui offre la possibilité d’engager une parole pleine de sens et de
non-sens. En somme, nous dit Lacan : « Le trait différentiel de l’hystérique est précisément celui-ci,
c’est dans le mouvement même de parler que l’hystérique constitue son désir. »169. A partir de là, la
guérison de son symptôme de frigidité peut être envisagée par elle, car d’une certaine manière, le
clinicien a posé un regard sur son désir comme désir insatisfait. Lacan nous dit cependant que dans
cette guérison rapide, la question du « pourquoi » du désir insatisfait est complètement occultée.
C’est une manière de ne pas renoncer à son désir, à son désir de rien. Ce qui compte pour Evelyne,
c’est la reconnaissance par l’Autre de son désir, pas sa réalisation ; cela lui permet d’échapper à la
jouissance. C’est l’interdiction de la jouissance qui produit le désir.

L’important aussi pour l’hystérique, c’est de faire circuler les places. Lacan nous dit
qu’elle sait glisser là où il faut le φ (phallus imaginaire). Son désir va se modeler sur celui qui aura
le pouvoir de la satisfaire et lui opposer la résistance de la réalité. Le besoin de faire circuler les
places proviendrait sans doute de l’angoisse ressentie de son désir d’être le phallus pour la mère.
« Le sujet pris dans le mouvement du signifiant doit arriver à concevoir que ce à quoi il a été
précocement confronté, le signifiant du désir qui lui soustrayait l’objet total, la mère, le phallus, il
ne l’est pas, mais qu’il est seulement soumis à la nécessité que ce phallus occupe une certaine
place. »170. L’hystérique va donc se détourner de l’Autre et du signifié de l’Autre pour arriver à se
situer par le biais d’un autre à laquelle elle s’identifie. Si j’avais répondu à Evelyne par l’offre d’un
objet, la mobilité permise par sa recherche d’un manque se serait figée, fixée.
Chez Evelyne, le « décolleté » est un voile. Derrière ce voile se cache le signifiant du
désir : le phallus ; ce qu’il ne faut pas montrer, il n’y a rien ici. C’est le signifiant du désir en tant
que le désir s’articule avec l’Autre. Lacan nous dit que nous ne pouvons pas être et avoir été le
phallus, l’hystérique va donc repousser ce qu’elle est en ne l’étant pas dans le paraître. Le transfert
hystérique va donc s’établir sur des signifiants. L’insatisfaction renvoyée dans cette situation
suppose une identification à des signifiants, à un rapport à l’objet du désir à travers sa négation,
d’où son rapport à la castration. Evelyne ne peut qu’exprimer son désir amoureux et transférentiel
qu’à travers la déception amoureuse avec l’Autre, en s’inscrivant dans la dimension phallique du
côté du manque. N’est-ce pas ce qu’elle tente de réaliser quand elle remet en cause les bienfaits de
la psychothérapie ? C’est par l’identification au trait de l’Autre qu’elle énonce sa place de sujet dans
le désir. C’est par le jeu de la présence/absence avec le clinicien qu’elle fait apparaître le trait

169
LACAN (J), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Séminaire XI, op.cit, p. 16
170
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 486-487
Thomas David - 68 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
unaire. En quelque sorte, Evelyne renvoie son désir à un substitut de père dont elle mesure la portée
à ne pas défaillir à la vérité de son énoncé. C’est aussi parce que le désir qu’elle place en l’Autre est
barré, qu’elle va reconnaître son désir barré, son désir insatisfait.

2.3 L’hystérique fait du clinicien son maître

Le désir de savoir était un fait assez prégnant dans la clinique d’Evelyne. Elle sollicitait des
savoirs sur la psychothérapie, sur elle-même. De ce fait, elle sollicitait continuellement le clinicien
par différentes questions : dont elle semblait y attendre des réponses : « Est-ce que c’est
normal ?  » ; … ; d’une manière générale, elle me poussait dans mes retranchements afin que
j’explique ma démarche et les savoirs qui pouvaient être en jeu. Je me suis rendu compte de cette
forme d’appétence de savoir dès le premier entretien. Après lui avoir expliqué qu’une démarche
analytique serait plus appropriée pour elle, elle me lança : « D’accord… c’est bien… vous avez bien
vendu votre truc ». J’avais le sentiment qu’elle me félicitait d’avoir tenu ce discours sur les
différents aspects des psychothérapies, qu’elle me remerciait de l’avoir combler d’un savoir, avec
cependant un reliquat d’amertume dans sa voix. C’est pourquoi, pour moi, elle revenait à chaque
entretien sur ces mêmes questions, comme si ce que je lui avais renvoyé n’avait pas apporté la
satisfaction attendue.
Ce désir de savoir vient faire écho à ce que nous avions dit sur la position sexuelle
d’Evelyne. Evelyne ne sait pas ce qu’elle est : un homme / une femme. Elle va chercher chez « ces
groupies » le signifiant qui aura le mérite de lui apporter la vérité sur la jouissance féminine, au-delà
de la jouissance phallique. Elle n’y parvient cependant pas, devant le corps réel de la femme et de
ce trou de signifiance. Elle se détourne donc vers l’homme en se proposant comme objet : mais là
aussi, il n’est pas en mesure de répondre à sa question : Qu’est-ce que la femme ? [L’homme n’en
sait rien, il est dans le tout phallique] Elle ne peut tirer de satisfaction à être l’objet du désir de
l’homme puisque cela la renvoie à sa propre castration.
C’est donc de la répétition du trait unaire dont il s’agit dans cette recherche de savoir et de
vérité. Dans l’envers de la psychanalyse, Lacan aborde cette question du savoir et le lie à la
répétition du trait unaire en annonçant qu’il se « trouve être le moyen de la jouissance – de la
jouissance précisément en tant qu’elle dépasse les limites imposées, sous le terme de plaisir, aux
tensions usuelles de la vie. »171. Dans cette conception, le savoir apparait comme un moyen de
jouissance ; et le trait peut s’identifier à un objet de jouissance. On retrouve donc ici ce qu’il en était
du trait unaire avec la jouissance phallique. A partir du moment où cette jouissance est marquée par
171
LACAN (J), L’envers de la psychanalyse, Séminaire XVII, Paris : Le Seuil, 1991, p. 54
Thomas David - 69 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
le signifiant, quand il subit la perte de l’objet a, il y aura un plus-de-jouir à récupérer dans la
répétition : un savoir sera mis au travail. Lacan indique qu’il existe une perte de l’abord de la
jouissance sous le mode du savoir qui n’est autre que la Vérité. Le savoir que demande Evelyne
implique donc une Vérité, un amour intangible envers cette vérité voilée qu’est celle de la
castration. Evelyne pose donc incessamment cette énigme, et c’est ce qui fait état de son multiple
questionnement. Dans le transfert, dans la demande d’amour renvoyée au clinicien, il y a donc la
formation d’une relation qui devient un échange de savoir. Elle cherche une personne qui connaisse
la vérité sur le sexe, un artisan de l’amour. [Il n’est pas sans intérêt, je crois, de signaler qu’elle
avait vu un sexologue avec de consulter un psychologue ; ce sexologue lui avait dit qu’elle n’avait
rien….quelle déception] La quête du savoir lui permet donc d’appréhender cette vérité, mais de
manière inachevée, face à l’autre. Elle me fait remarquer qu’après l’incident avec ses anciennes
amies, elle a surinvesti sa scolarité – pas dans les relations, puisqu’elle dénote d’ailleurs que ses
bonnes réalisations, ses bonnes notes, ont pu marquer un creusé avec ses collègues de classe –.
Sublimer lui a permis d’avoir une jouissance totale, sans reste, marquée par un détour qui évite le
refoulement. Cette sublimation a laissé place à une jouissance de toute limite parce que c’est la
Chose qui est visée, la satisfaction primordiale.

Discours hystérique Discours du maître Discours de l’analyste

Evelyne tient donc un certain discours qui aurait pour ambition d’obtenir du clinicien un
certain savoir sur elle-même, elle fabrique « un homme qui serait animé du désir de savoir. »172. Il
faut néanmoins se demander si on peut vraiment parler de désir de savoir, car ce qui pousse au
savoir chez l’hystérique, c’est la souffrance du corps et la castration (la division), ce n’est pas un
désir ; c’est plutôt une volonté de savoir. C’est ce que répète sans cesse Evelyne, c’est le : « Je veux
… ! [Changer, arrêter de passer du coq à l’âne…] ». Il s’agit d’un impératif de jouissance.
Dans le discours de l’hystérique, nous voyons que l’agent est le sujet divisé. Evelyne
présente donc toute sa clinique, c'est-à-dire, sa frigidité, son manque de confiance, ses
revendications, son insatisfaction…. Elle demande à un signifiant maître (S1) une vérité qui la
concerne. Sa demande porte donc sur un savoir (S2) qui pourrait lui répondre sur sa sexualité, sur
cet au-delà en jeu dans la féminité. Ce signifiant maître, elle va en faire un sujet-supposé savoir.
Elle attire le maître en se présentant comme objet, en se présentant comme objet a de celui qu’elle
met en position d’Autre, mais toujours de manière voilée (décolleté). Le savoir vient à la place de la
172
Ibid. p. 37
Thomas David - 70 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
jouissance, de la perte où nous extrayons le plus-de-jouir, et s’aliène au signifiant maître comme
étant celui que ce signifiant divise. Dans cette schématisation du discours de l’hystérique, on
remarque bien qu’Evelyne recherche un maître, mais un maître qui en sache suffisamment pour
savoir que c’est à elle de fixer les règles et qu’elle ne lui appartient pas : « Elle règne, il ne gouverne
pas »173. En ce sens, l’adresse du maître ne peut être satisfaite puisqu’il ne peut être qu’impuissant à
guérir sa production de savoir. C’est parce qu’il répond à la demande de savoir de l’hystérique
qu’elle se coupe de tout savoir ; « l’ambivalence » de l’hystérique, c’est de chercher à obtenir une
jouissance qu’elle réfute après l’avoir traversée. Le [//] signifie l’impossibilité qu’un tel savoir
puisse apporter de réponses à son énigme, puisqu’elle ne peut accepter d’être un objet tant qu’elle
n’a pas accepté sa division. Pour que cela fonctionne, il aurait fallu que le maître possède ce savoir
et qu’il s’adresse directement à un sujet castré [S1→$]. Hors, cette jouissance féminine est
inconcevable, et le maître ne peut que s’en trouver impuissant quant à sa définition. Evelyne va
chercher du savoir chez le maître, mais ne va pas de ce même pas livrer son savoir : « Elle
démasque pourtant la fonction du maître dont elle reste solidaire, en mettant en valeur ce qu’il y a
de maître dans ce qui est l’Un […], dont elle se soustrait à titre d’objet de son désir. »174. Elle est
solidaire du maître bien qu’dépit de son impuissance il reste l’Un, et le soutient, quand bien même
son discours ne lui apporte rien de plus qu’une rapide jouissance, parce que la finalité de son
discours mettra en jeu sa castration. Soutenir le désir du père, c’est donc cela qui se signifie ici : la
vérité du maître que l’hystérique incarne, c’est que le maître est châtré [$ à la place de la Vérité].
Le maître ne pourra arriver à la « dire toute » dans sa vérité. C’est ce qui s’est passé avec le
sexologue. Elle attendait surement qu’il lui dise une vérité sur elle-même, qu’il relève un détail de
perfection pour qu’elle en tire une jouissance parfaite. Lacan nous dit que ce qui importe pour
l’hystérique, c’est que l’autre qui s’appelle l’homme sache quel objet précieux elle devient dans ce
contexte de discours. L. Israël parle du besoin de l’hystérique de se donner comme un corps parfait
au maître. « C’est ce qui joue de tout fantasme d’appartenance : offrir à l’autre, et ici à l’homme, ce
qu’il n’a pas. Vous voyez par quel métabolisme la femme s’offre à l’homme en tant que phallus.
[…] elle lui offre ce qu’il n’a pas, à savoir les organes génitaux féminins qui lui manquent. Elle lui
en offre très radicalement la jouissance, non pas celle qui résulterait de l’usage apparemment
naturel de ces organes, mais là la jouissance de leur possession, au sens juridique, comme on dit
jouir d’une propriété, entrer en jouissance. C’est cela que l’hystérique offre. »175. Il s’agit pour lui de
quelque chose de l’ordre du registre de l’ordre du fantasme. Et cela ne peut être que du registre de
l’ordre du fantasme car, dans le discours du maître, il y a une impossibilité de faire tenir le
173
Ibid. p. 150
174
Ibid. p. 107
175
ISRAËL (L), La jouissance de l’hystérique, op.cit, p. 84
Thomas David - 71 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
fantasme [$◊a], il l’exclut [//].

Evelyne me met donc en position de maître par tous ces questionnements, celui qui a le
savoir et la vérité. Mais, la finalité est que je ne peux que faillir à cette place. C’est ce qu’il y a de
maître dans l’Un qui lui importe. Elle ne peut accepter d’ailleurs cet assujettissement : « Etre l’objet
de quelqu’un, c’est quelque chose qui peut être souhaitable de loin, mais lorsque la chose menace
de se réaliser, on assiste à la fuite. » 176. La position de maître est difficile à tenir et à s’en défaire
quand y est pris, il ne faut non plus céder à la jouissance, au plus-de-jouir, que cette place incombe.
La relation entre le maître et l’esclave ne peut d’ailleurs qu’aboutir à une production impuissante
car elle ne peut jamais aborder au plus prêt la castration. Un tel discours s’adresse au maître pour
lui-même et pour plus-jouir de lui-même. Cette place confinée de supposé savoir, cela a rapport à
« un Autre perpétuellement évanouissant, et qui, de ce fait même, nous met nous-mêmes dans une
position perpétuellement évanouissante.»177. Le clinicien, s’il veut faire éclater la vérité du patient,
se doit de placer la patiente dans cette position de sujet supposé savoir, pour qu’elle puisse énoncer
son savoir sur sa vérité. Nous verrons plus loin quelles ont été les difficultés issues du contre-
transfert pour se détacher de cette place de maître, puisqu’ici nous sommes aliénés par nos propres
signifiants. Néanmoins, ma démarche était celle-ci. Il s’agit en quelque sorte de se rapprocher du
discours de l’analyste. L’analyste doit se mettre en place d’objet a et se faire objet de rejet du
discours. De cette place, Evelyne peut traverser son fantasme [a◊$] et tenter de se confronter à sa
division, à sa castration. C’est ce que j’ai tenté de faire en renvoyant Evelyne à son propre
questionnement, en répondant à demi-mots à ses préoccupations, et en la renvoyant à sa propre
vérité : «  Ce n’est pas à moi de vous dire si c’est bien ou pas. Je ne vous jugerai en aucun cas.
C’est ce que vous vous en pensez qui nous intéresse ici. ». Mais, nous le verrons, se confronter à sa
propre vérité provoque bien des résistances. A ce stade-ci, je peux néanmoins évoquer la difficulté
qui réside à rester dans un silence absolu. Comment peut-on tenir cette position d’analyste à partir
du moment où il y a prise de parole de notre part, quelle qu’elle soit ? Est-ce qu’être « simplement »
psychologue nous amène à induire un discours de maître, à nous retrouver dans la suggestion ? Est-
ce cette place différente de celle de l’analyste nous empêche de pouvoir « hystériser le discours » ?
Dans L’envers de la psychanalyse, Lacan nous dit que le discours analytique va produire
une hystérisation du discours, tout simplement par l’association libre, par une production
foisonnante de S1 donc de signifiants à l’extérieur de ce « savoir qui ne se sait pas » dans le ventre
de l’Autre. L’analyste ne prenant pas la parole, il en résulte un certain nombre de choses,

176
Ibid. p. 78
177
LACAN (J), Le transfert, Séminaire VIII, op.cit, p. 206
Thomas David - 72 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
notamment qu’il occupe là, pour un temps au moins, la place du maître, jusqu’à ce qu’il en vienne à
chuter sous le forme de a. L’analyste doit alors avoir le travail, le plus-de-jouir est pour lui. Le sujet
supposé savoir ne sera donc pas l’analyste mais le patient. Cependant, le sujet ne pourra produire du
signifiant s’il n’y a pas de relation de transfert. Quand le psychologue est l’objet a, il est déjà dans
une position d’ouverture. Chez l’hystérique, il y aura donc une production de S1 d’où pourra surgit
la parole maternelle.

Nous terminerons dans ce point sur l’adresse de la demande par le discours du sujet
l’hystérique en évoquant un texte de Lacan « Subversion du sujet et dialectique du désir… ». Il
évoque ici la tendance chez le sujet névrosé à identifier le manque de l’Autre à sa demande, la
demande de l’Autre pris comme objet dans le fantasme. Lacan indique qu’il ne faut pas se laisser
aller à la facilité d’être en position de maître, et permettre à l’analysant de poser le fantasme comme
désir de l’Autre. Lacan évoque « une vacillation calculée de la « neutralité bienveillante » de
l’analyste »178 pour ouvrir le patient à découvrir qu’il n’est pour rien dans ce qui lui arrive. C’est
cela donc qui est très difficile, surtout pour un psychologue novice, car de cette angoisse provoquée
non sans provocation, « pourvu que cet affolement n’entraîne pas la rupture et que la suite
convainque le sujet que le désir de l’analyste n’était pour rien dans cette affaire. »179. Je pense
néanmoins qu’il est nécessaire de faire bousculer les choses dans un travail psychothérapeutique,
cela permet de confronter directement le patient à son imaginaire et à sa castration. Cependant, il
faut pouvoir retomber sur ses pieds, car, nous dit Lacan, ce que le névrosé ne veut surtout pas, c’est
sacrifier sa castration à la jouissance de l’Autre. L’Autre n’existe pas, « oui, mais si par hasard il
existait, il en jouirait »180. Par l’opportunité offerte par le discours analytique, Evelyne a donc cette
possibilité de passer, comme nous le démontre son ambivalence entre se donner comme objet du
désir de l’Autre et maintenir tout de même son désir insatisfait, d’osciller de a à $ pour aborder sa
castration.

178
LACAN (J), « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », in Ecrits II, op.cit, p. 187
179
Idem
180
Idem
Thomas David - 73 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

PARTIE IV : D’une barrière à la signification : la résistance


au transfert

1. Barrière entre le signifiant et le signifié : l’hystérique est un sujet


barré

Nous allons dans cette partie faire un retour sur ce dont il était question chez Evelyne
concernant sa demande à l’adresse du clinicien et sa coupure, pour en mesurer l’incidence sur ses
résistances à la psychothérapie.
Par l’intermédiaire des travaux d’Israël, nous avons évoqué qu’il y avait chez l’hystérique
la marque d’une coupure entre le corps et son image dans le miroir. C’est ce qui apparaît dans le
paradoxe que nous offre Evelyne, à savoir, une désaffection du corps génital (anesthésie sexuelle) et
une érotisation, une phallicisation du corps non-génital (décolleté…). Israël met en exergue cette
coupure dans « le cadavre » du corps réel de la mère. Ce corps sans signifiant provoque de
l’angoisse, il fait retour de la Chose. C’est une mauvaise occultation du Réel dans ce rapport à la
mère qui la marque de la castration, au manque de phallus, et qui entraîne une coupure indélébile
chez elle.
Dans le piège du regard qu’Evelyne propose à l’autre (décolleté), elle demande à l’Autre
de venir la réparer de cette Spaltung. J-D Nasio propose un fantasme inconscient visuel pour origine
de l’angoisse de castration dans l’hystérie ; plus précisément, il évoque un « fantasme féminin du
constat d’une castration déjà accomplie. »181. La thèse de Nasio est de dire que la fille est confrontée
à une Mère-phallus (monstrueuse et superbe) qui la menace dans son intégrité, et qui remet en cause
ses organes génitaux féminins. C’est le regard que pose la mère sur la fille qui est insoutenable.
Lacan nous dit que le regard est la marque de l’insaisissable et qu’il institue le besoin de voir et
d’être vu dans le désir de l’Autre, d’en être objet du désir à l’Autre. Cependant, chez Evelyne, cette
captation du regard de l’Autre demande une mise à distance sur le « devenu inquiétant » sexe
féminin. Ce regard, objet substantivé de a, doit venir représenter autre chose que ce qu’il veut
représenter : « Le regard [...], la coupure dans le vu, la chose qui ouvre au-delà du vu. »182.
Il y a donc une identification au prix de son camouflage, au manque de phallus en lui-
même tel qu’il lui est conféré par la vision du corps de la mère, à la barre de la Spaltung. Cette

181
NASIO (J-D), L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, op.cit, p. 79
182
LACAN (J), D’un Autre à l’autre, Séminaire XVI, op.cit, p. 315
Thomas David - 74 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
coupure tend à combler l’incomplétude de l’hystérique, il s’agit du « sacrifice que l’hystérique est
prête à faire pour acquérir ce qu’elle recherche, à savoir la perfection. »183.

Dans « subversion du sujet et dialectique du désir… », Lacan nous dit que l’inconscient
est une chaîne de signifiant qui se répète et qui insiste pour interférer dans les coupures que lui offre
le discours effectif ; la plus forte coupure dans le discours est la barre entre le signifiant et le
signifié. La psychothérapie doit apporter un sens, une signification au sujet sur ce qu’il en est de ces
coupures, mais il est bien plus facile de les désigner que de s’en défaire : « Ce dont le sujet a à se
libérer, c'est de l'effet aphanisique du signifiant binaire ».184. Dans la même optique, L. Israël185 va
faire une différence entre la désignation et la signification pour faire émerger une duplicité du
langage au lieu de la Spaltung fondamentale. Désigner, comme le fait Evelyne à l’usage de son
symptôme, c’est engager une cohérence entre le signifiant et le signifié tendant vers un 1, vers un
énoncé précis. La signification quant à elle, induit un rapport du signifiant sur le signifié tendant
vers l’infini, étant donné la quasi-nullité du signifié et de son aspect refoulé.
La double division du sujet, issue de la Spaltung et ce qu’on appelle la Refente, instaure
une rhétorique de l’inconscient qu’on l’a aperçu à travers la métaphore et la métonymie, du fait de
sa subordination au signifiant. Ces deux figures de style ont pour but de masquer la signification qui
se cache derrière le phallus. La barre entre le signifiant et le signifié indique l’incomplétude d’un
sujet qui ne peut être saisi d’aucune façon, qui ne peut dire lui-même qui il est, courant après une
jouissance d’être qui lui échappe constamment et qui fait de lui un être de désir (toujours
manquant).
Quand Evelyne produit un désir insatisfait, notamment dans le transfert avec le clinicien,
elle utilise la métonymie. Rappelons que la métonymie produit une perte de sens au bout compte.
Lacan nous dit que « le désir fait son lit de la coupure signifiante où s’effectue la métonymie. »186.
Autrement dit, la métonymie va s’appuyer sur la jouissance où le sujet se produit comme coupure.
Si nous reprenons la formule de la métonymie, on s’aperçoit que le signe [-] manifeste le maintient
de la barre entre le signifiant et le signifié et marque l’irréductibilité où se constitue, dans les
rapports du signifiant au signifié, la résistance de la signification. Dans ce désir d’insatisfaction, il y
a donc l’intention à ne pas renoncer à ne pas franchir la barre du signifié. Il est difficile pour moi de
dire si l’arrêt de la cure était du à une insatisfaction de sa part dans la thérapie, elle ne l’a pas
exprimé ainsi du moins. Cependant, cette réactualisation d’une séparation « avancée », de la

183
ISRAËL (L), La jouissance de l’hystérique, op.cit, p.74
184
LACAN (J), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Séminaire XI, op.cit, p. 200
185
ISRAËL (L), La jouissance de l’hystérique, op.cit, pp. 133-136
186
LACAN (J), « Positions de l’inconscient », in Ecrits, op.cit, p. 835.
Thomas David - 75 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
reconnaissance de l’Un, pointe quelque chose qui aurait à voir avec une recherche d’insatisfaction.
Elle l’exprime dans ces termes : « Je n’ai pas envie de creuser plus loin ».
Dans ses Ecrits187, Lacan indique que la métaphore apporte à contrario un effet de sens [+],
un franchissement de la barre pour l’émergence d’une signification. C’est d’ailleurs dans cette
mesure que pour le clinicien de formation analytique, la disparition du symptôme n’est pas une fin
en soi. Elle permet au contraire d’avoir un matériel à portée de main, notamment comme le rêve,
pour délier les nœuds et conflits du sujet : « La métaphore est un certain passage du sujet au sens du
désir. »188. Cependant, certains disent que le symptôme est une métaphore peu élaborée, et nous
l’avons vu dans la frigidité d’Evelyne, elle trame le désir et son insatisfaction de « père en pair ». La
disparition du symptôme après le premier entretien et la résolution de ses autres «  problèmes »
posent question quant aux résistances, quant à la signification du phallus pour Evelyne. La
métaphore n’obtient pas en fait un effet de signification, elle peut juste indiquer une place à ce qui
ne doit pas être dit. Elle offre un peu de souplesse au patient. Evelyne n’était pas sans apprécier
l’humour et le second degré pendant les entretiens, et ne serait-ce pas dans cela un franchissement
de la barre ? Elle me dit d’ailleurs de manière très perspicace, en opposition à la critique positive
que je lui avais fais au précédent entretien : « Je préfère que ce soit plus une allusion […] une
allusion, çà s’adresse à soi-même. ». L’utilisation de la métaphore lui permet de franchir la
barrière, de garder une semblance. Mais la métaphore est par définition une substitution, et dans ce
sens, il y a un reste qui ne peut se réduire en de la signification pour le sujet : « c’est en quelque
sorte un : je pense où je ne suis pas, donc je suis où je ne pense pas »189. Lacan nous dit qu’il s’agit
d’une construction qui fait que la vérité s’évoque seulement dans une dimension d’alibi où la
création prend sa vertu métonymique.
C’est donc l’articulation de la métaphore et de la métonymie qui est en jeu ici dans cet
arrêt de la thérapie. Le transfert étant une certaine métaphore de l’amour, on peut dire qu’il y a peut
être eu ce qu’on appelle un transfert négatif. En effet, la métaphore de l’amour avec le clinicien a
pour objectif d’engendrer un sens nouveau, alors qu’ici il pourrait s’agir seulement d’une
réactualisation du passé ? Le travail du clinicien aurait être du être ici d’analyser plus profondément
cette séparation avec le patient. Le travail thérapeutique et la technique interprétative provoque
aussi une coupure dans l’énonciation pour faire apparaître des signifiants inapparents dans l’énoncé,
refoulés, présents et agissant dans l’inconscient. Cette coupure, pour Evelyne déjà marquée dans
son rapport au corps, peut provoquer des effets de morcellement : « J’aime pas votre question  ! ».
Ces faits cliniques et la construction métaphoro-métonymique démontrent qu’il y a bien chez
187
LACAN (J), « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », in Ecrits, op.cit, p. 515
188
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits, op.cit, p. 622
189
LACAN (J), « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », in Ecrits, op.cit, p. 517
Thomas David - 76 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Evelyne une barrière résistante à la signification, beaucoup plus que le fait normal de recouvrir le
phallus par la barre mise sur son accession au domaine signifiant, c'est-à-dire sur sa place dans
l’Autre.

C’est justement cette surdétermination chez Evelyne à ce phallus qui provoquerait ses
symptômes hystériques et son angoisse de castration. Elle est obligée d’ériger une barrière solide
pour maintenir ce signifiant et « n’accepte pas ce renoncement pur et simple »190. Elle ne renoncera
pas non plus à son désir, c’est ce qu’elle signifie dans l’arrêt de la thérapie ; mais quelque part, elle
y a entendu que cela pouvait peut-être s’arrêter un jour. Le sujet est là, bloqué dans la métonymie,
dans le vide qui sépare deux signifiants, et assujetti à leur répétition, au manque qui la fait Etre.
« La résistance du sujet quand elle s’oppose à la suggestion, n’est que désir de maintenir son
désir. »191. Le problème dont se défend l’hystérique, c’est de subir de n’être pas le sujet en tant qu’il
parle, puisque fondamentalement : le désir du sujet est le désir de l’Autre ; elle ne peut s’en
déposséder.

Il convient de dire alors que le sujet hystérique est trop divisé, et que cette division a
apporté un frein au travail psychothérapeutique. Evelyne est venu en psychothérapie pour dire
certaines choses - « çà fait longtemps que je pense à venir voir quelqu’un » - mais ne le peux pas ;
elle ne peut consister qu’à mettre en évidence la coupure. Elle est en quelque sorte barrée dans son
énonciation. Dans « Subversion du sujet… », Lacan indique que le Je désigne le sujet de
l’énonciation, mais ne le signifie pas ; tout comme tout signifiant de l’énonciation peut manquer
dans l’énoncé. Etant donné la division de l’hystérique, on ne peut se fier à sa simple désignation
dans la demande. La clinique d’Evelyne nous témoigne que l’absence du « ne » explétif,
fréquemment employé par Evelyne, s’imprègne de la négation pour porter au jour ce qu’il en est de
sa vérité : « Je sais pas ». C’est par ce biais qu’elle peut franchir la barre de son énoncé puisque
nous l’avons vu plus haut, Evelyne est divisée entre le savoir et la vérité, en témoigne la présence de
[//], et le besoin d’élever son symptôme à la voix. L’hystérique va aussi se rabattre sur le maître en
étant sa « maîtresse », mais parallèlement, en se divisant, elle va faire apparaître le signifiant maître
comme défaillant quant à la désignation de l’objet du désir. Le maître ne pourra que renvoyer la
Spaltung en elle. On peut supposer aussi que le prix de la consultation, chez cette jeune femme ne
possédant de gros moyen financier, ait été aussi marquant dans la division du sujet. [Elle avait
d’ailleurs remis le 4ème entretien presqu’à un mois pour les fêtes de Noël.] Ou bien ce fut le

190
ISRAËL (L), La jouissance de l’hystérique, op.cit, p. 81
191
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits, op.cit, p. 636
Thomas David - 77 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
contraire ? «  Ah bon  ! Je m’attendais pour plus cher que çà ! ». Mon erreur a été de n’avoir pas
abordé cette question de l’argent avec Evelyne.

2. Témoignage d’une volonté frustrante à une défiance

Evelyne paraissait décontenancée par les entretiens, bouleversée par mes silences, par le
fait que je ne me proposait pas à lire sa lettre, que je ne notais pas sur mon carnet ce qu’elle me
disait, et par son manque d’emprise sur sa parole : « Poser moi des questions, je ne sais plus quoi
dire », « Je n’aime pas quand je suis éparpillée comme çà », « J’ai besoin qu’il y ait une certaine
logique dans ce que je dis, de mettre de l’ordre. Là, je vais dans tous les sens ». Ce besoin de
maîtrise et d’emprise nous interroge quant à la relation objectale au stade anal - « le retour de l’objet
a amène à un stade sadique anal »192 - où l’amour et la haine sont pré séant, et où s’enracine une
bisexualité psychique fondamentale. L’aspect clinique le plus marquant dans ces dires est la marque
de la frustration. On peut voir bien entendu dans cette frustration l’archétype d’un désir insatisfait,
mais ce mécanisme est propre à la jouissance. «  Je dis ces choses là à mes amis et j’ai du mal à
comprendre pourquoi çà va m’aider de les redire ici », « Je voudrais que çà aille vite ». Tous ces
dires et cet empressement ne peuvent que l’amener à éprouver de la frustration. Freud fait état du
même constat avec Dora : « La cure, disait-elle, durait trop longtemps, elle n’aurait pas la patience
d’attendre tout ce temps, tandis que, dans les premières semaines, elle était assez raisonnable pour
ne pas protester quand je lui disais que le temps nécessaire à son établissement serait d’environ une
193
année. » . Le prototype de la frustration est l’absence-présence de la mère chez l’enfant,
symbolisé dans le fort-da. La mère refuse de satisfaire à un besoin biologique, puis l’enfant anticipe
la chose comme un refus de la mère de vouloir satisfaire à la demande d’amour. La frustration est
donc le domaine de la demande, de la revendication imaginaire, mais s’étiole sur un objet réel
faisant rappel à la mère. La frustration est donc antérieure à la privation par le père. Mais la
privation engendrée par la possession du phallus par le père (l’Autre de la loi) et la non-possession
de la mère (l’Autre châtrée), nous l’avons vu, déduit des manifestations comme le manque, la
frustration et la castration chez le sujet. Dans le penisneid, le signifiant homme sera reconnu comme
frustration. La frustration est donc corollaire de l’angoisse de castration ; la majoration de ce
phénomène chez un sujet va croissant avec le refus de la castration, ce qui est typique chez
l’hystérique.

192
Séminaire de Patrick MARTIN-MATTERA, professeur à l’IPSA Angers.
193
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 89
Thomas David - 78 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
La frustration intervient dans la thérapie justement quand Evelyne ne peut maîtriser sa
castration, quand l’Autre ne peut répondre à la demande. Si nous reprenons la topologie du Tore
complémentaire [Fig.5], on se rend compte qu’il y a une impossibilité structurale à faire coïncider
l’objet du désir du sujet avec la demande adressée à l’Autre. L’hystérique reste fixée à cette
impossibilité, du fait de sa division, car elle n’admet pas qu’il n’y ait pas un Autre de l’Autre : elle
ne peut identifier sa demande avec l’objet du désir de l’Autre ou identifier son objet avec la
demande de l’Autre. Lacan nous dit que cet enchevêtrement des tores sera « le nœud où se coince
toute la dialectique de la frustration »194. A partir de là, pour Evelyne, la non-réponse, comme la
réponse ou l’occultation de la demande à l’Autre sera vécue par de la frustration. Cette frustration,
elle va vouloir l’exprimer au clinicien : « La bonne façon pour le névrosé ; là où le non-névrosé
libère sa demande de la demande de l’Autre, le névrosé, prenant acte que l’Autre ne peut rien, va au
contraire déployer tous ses efforts pour que l’autre sache. Ce dont il ne veut rien savoir. »195.
Forcément, le déroulement de la psychothérapie ne pourra pas aller comme elle veut, elle
ne peut maîtriser le maître. C’est justement ce vouloir qui provoque la plus grande résistance chez
Evelyne, c’est pourquoi je l’ai invitée à prendre des distances avec ce concept de volonté. Il y a
dans cette volonté ce qui brille toujours du grand vouloir-primitif maternel, du manque subi par
l’Autre châtré. Cette volonté fait barrage au désir, c’est en quelque sorte un déni de désir. Les
stoïciens196 avait formalisé cette volonté de frustration pour contrer le désir, ennemi irrationnel de la
sagesse. Schopenhauer voyait plutôt dans ce « vouloir-vivre » la tragédie du manque douloureux, un
envahissement par le désir. Platon, enfin, faisait une comparaison dans le Banquet au tonneau des
Danaïdes, toujours plein, toujours vide, impossible à remplir, nostalgique d’un monde divin et plein.
Evelyne est barrée dans son deuil du vouloir-primitif, du vouloir femme, qui reste la
condition à dépasser pour pouvoir désirer un homme. P-L Assoun nous dit que l’identification à la
mère permet de réguler la duplicité engendrée par les deux pôles indécidables que sont le vouloir et
le désir. Evelyne nous dit bien dès le premier entretien : «  Je sais ce que j’ai, je sais d’où çà vient.
Je n’ai pas besoin de creuser, je veux juste que çà arrête de me prendre la tête ». La
psychothérapie d’inspiration analytique sera donc, par excellence la technique de l’impossible, « où
197
l’on peut être sûr d’avance que l’effet sera décevant » du fait de la non-congruence entre le
vouloir et le désir. L’impossible désir (insatisfait) engendré par la volonté : c’est l’impossible caviar
de la Belle-Bouchère, la demande de manquer quand on ne manque de rien, c’est la barre sur la
signification du phallus. Evelyne tente donc de se faire maître d’une volonté sur le désir [regardons

194
LACAN (J), L’identification, Séminaire IX, 14 mars 1962, inédit.
195
Ibid. 21 mars 1962, inédit
196
La pratique de la philosophie de A à Z, Paris : Hatier, 2000
197
FREUD (S), Analyse finie et analyse infinie, document de travail « Le sac de sel », p. 42
Thomas David - 79 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
le discours du maître] mais se barre quant à la vérité sur sa castration, malgré tout le savoir dont elle
se fait garante : « Quoique je puisse savoir du désir, je ne peux en effet y anticiper ce que le vouloir
y mettra : telle est la vérité que la femme apprend à Freud à articuler, au bout d’un long
apprentissage. »198.

Nous avons déjà illustré pourquoi le clinicien devait supporter la demande manifeste du
patient pour que réapparaissent les signifiants où la frustration du sujet est retenue. Comme je vous
l’ai exprimé plus haut, dans ma non-réponse à ses demandes, j’ai provoqué des frustrations. Cette
frustration témoigne du bon déroulement de la psychothérapie puisqu’elle est elle-même à l’origine
de la névrose. J-D Nasio nous dit qu’il faut pouvoir recréer cette névrose de transfert pour lui
permettre de s’en défaire : « Aussi l’analyse constitue-t-elle purement et simplement une hystérie
artificielle que l’analysant et l’analyste devront ensemble résoudre. »199. Vouloir s’intéresser
exclusivement au domaine de la demande serait une résistance d’autant plus grande pour la
psychothérapie, car elle appartient à la manifestation de la frustration. Il faut donc pouvoir utiliser
cette frustration pour en mesurer les causes au niveau de la privation. La frustration vise à bloquer
l’issue pulsionnelle par recours à l’objet. En sorte, La thérapie doit être créatrice de résistances, et
non une résistance à la non-résistance. Le clinicien doit diriger sa tenace résistance contre cette
impossibilité privative chez l’hystérique. Dans le discours de l’analyste, on remarque que c’est son
identité non définissable, en raison de la scission entre le savoir et la vérité, qui engage la
frustration. Le temps d’une énonciation, Evelyne peut rentrer dans ce discours là : « Je sais d’où çà
vient  » mais la scission ne peut que la frustrer.
Malgré mon manque certain d’expérience, grâce surtout à cette figure de supposé savoir
qu’Evelyne ne peut endosser, elle s’est sentie par moment désabusée et frustrée. Je pense qu’il n’est
pas anodin qu’elle ait répété à plusieurs reprises qu’elle se trouvait inférieure aux hommes, leur
enviant leur affirmation de soi : « Je suis déstabilisée par l’assurance des autres. ». Cette
frustration là, dans le transfert et l’identification projective de l’objet [a→$], va la mettre devant sa
propre angoisse de castration et permettre une activation fantasmatique.

Ces frustrations ressenties par Evelyne ont été difficilement supportables, mal tolérées et
précipitant des coupures dans la relation transférentielle. La confrontation à l’autre dans la réalité
fait apparaître un décalage douloureux avec son fantasme. L. Israël parle d’un défi hystérique
évoquant le mécanisme de défense que peut utiliser l’hystérique contre le surgissement de

198
ASSOUN (P-L), Freud et la femme, Paris : Calmann-Lévy, 1983, p. 122
199
NASIO (J-D), L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, op.cit, p. 126
Thomas David - 80 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
l’angoisse de castration, devant la frustration, et devant celui qu’elle considère comme un maître.
« Quand surgit, pendant le traitement psychanalytique, une suite d’idées correctement fondée et
impeccable, il y a pour le médecin un instant d’embarras dont le malade profite pour poser la
question : « Tout cela est juste est réel ! Maintenant que je vous l’ai raconté, qu’y voulez-vous
changer ? » On s’aperçoit alors bientôt que de telles idées, inattaquables par l’analyse, ont été
utilisés par le malade pour en masquer d’autres qui voudraient se soustraire à la critique et à la
conscience »200. « J’ai rien contre vous. Ce n’est pas vous que je remets en cause. C’est moi ». La
volonté d’Evelyne est ici de me mettre à l’épreuve, de me faire culpabiliser de son manque
d’investissement dans la thérapie. Elle m’avance ceci d’une manière très lunatique et virevoltante, à
l’approche de la fin de l’entretien, puisqu’en effet je ne lui avais pas proposé de lire la lettre qu’elle
tenait sur ses genoux et qu’elle venait de reposer sur le sol. Puis Evelyne me dit en partant, gardant
une pointe d’énigme: « Je vais aller mal ce soir. Après le premier entretien, j’allais beaucoup
mieux, mais là, çà va pas le faire. » Elle me met par cette parole au défi de la frustration, de la
castration, du manque, avec l’effet escompté qui plus est ; et pour autant, on peut ressentir là une
perceptible volonté de se faire désirer de l’autre pendant les moments d’absence. Lacan nous offre
un autre point de vue intéressant sur ce que peut être cet acte, il prend pour exemple la vouloir de la
Belle-Bouchère : « Car c'est là une des fonctions fondamentales du sujet hystérique dans les
situations qu'elle trame, sa fonction est d'empêcher le désir de venir à terme pour en rester elle-
même l'enjeu. »201.
Il s’agit dans cet « acting-out », dans le défi hystérique, d’une vengeance adressée au
clinicien, elle symptômatise la relation transférentielle à défaut de ne plus avoir son symptôme sous
la main (frigidité). Il s’agit aussi d’un vengeance envers son ami quand elle me dit : « Il n’a pas le
droit de bien s’entendre avec eux.[…]  Il doit rester à sa place, sinon je ne pourrais pas rester avec
lui comme çà [après le repas de noël]  ». Il est aussi question d’une vengeance, d’une revendication
dans cette lettre adressée au père : Evelyne s’étonne même de sa teinte si agressive après la
relecture avec son ami. C’est le père qui est ici à l’origine de cette chaîne, de cette volonté de se
faire symptôme dans le discours du maître. C’est au père mort que s’adresse Evelyne, au Un du père
abandonnique et idéalisé : « L'hystérique fait l'homme qui supposerait la femme savoir. C'est
bien pourquoi elle est introduite dans ce jeu par quelque biais où la mort de l'homme est
toujours intéressée. »202. Les hommes suivent la trace laissée par le père, Freud sous-entend cela

200
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 23
201
LACAN (J), Le désir et son interprétation, Séminaire VI, 10 juin 1959, version AFI, inédit
202
LACAN (J), D’un Autre à l’autre, séminaire XVI, op.cit, p. 316
Thomas David - 81 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
pour Dora : « puisque tous les hommes sont si abominables, je préfère ne pas me marier, voila ma
vengeance.»203.
Sans négliger l’impact du contre-transfert, ni l’incompétence induite par l’hystérique au
« maître », ni tous les autres paramètres (argent…), la fin de la thérapie peut représenter la défiance
ultime de l’hystérique à l’adresse du clinicien. Ce défi est adressé par Dora à Freud : « Savez-vous
docteur, que c’est aujourd’hui la dernière fois que je suis ici ? »204. C’est du même acabit
qu’Evelyne m’annonce la fin de la thérapie. Elle rajoute même à la porte : « A une prochaine fois…
peut-être  ». Témoignage d’une frustration qui a germé pendant les entretiens ou d’une non-
implication toute relative ? C’est en tout cas la mort du père qui est signifié ici ; prononcer ces
paroles après en entretien très riche n’a pour ambition que d’assommer le clinicien : « le sujet-
supposé-savoir est l’effet de signification produit par l’enchaînement de ce signifiant avec le
signifiant dit « quelconque », que l’analyste présentifie, et que figure ici précisément la
« compétence ». Cet effet de signification se trouve lui-même transféré à l’analyste, qui est dès lors
le dépositaire, d’où il se retrouve inclus dans le symptôme et objet d’amour dans le transfert. »205.
La lucidité d’Evelyne est de savoir du moins qu’elle ne part pas guérie de ce cadre
thérapeutique. Lacan nous dit en effet que « de mémoire d'esclave, ça n'est jamais la mort du
maître qui a libéré quiconque de l'esclavage.» 206. Contrairement à ce qu’elle disait en début de
suivi sur le savoir qu’elle croyait posséder et qui manifestement ne suffit pas, elle admet donc en
partant qu’elle ne se sait pas si bien que çà. Ces frustrations dans le transfert ont peut-être favorisé
ce rééchelonnement.

3. Résistance au transfert : répétition et jouissance

3.1 Résistance et refoulement

Nous venons de voir quels sont les mécanismes inhérents de la relation avec le clinicien
qui provoquent la résistance à la thérapie. Cette résistance est toutefois souhaitée par le clinicien de
formation analytique car elle reproduit le noyau pathogène qui doit être traversé et dépassé par la
patiente. Cette disposition transférentielle reste donc un matériel fortement intéressant pour
travailler, vu qu’elle nous permet de visualiser l’angoisse de castration à l’épreuve chez Evelyne.
Freud explique que « le transfert se manifeste chez le patient dès le début du traitement et
203
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 89
204
Ibid. p. 78
205
KLOTZ (J-P), « Devenir psychanalysant », Chapitre « Sur le signifiant du transfert », in Ornicar, op.cit, p.25
206
LACAN (J), D’un Autre à l’autre, séminaire XVI, op.cit, p. 315
Thomas David - 82 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
représente pendant quelques temps le ressort le plus solide du travail. »207. Il s’agit toutefois d’une
démarche empirique, on ne peut définir des règles prédéfinies à l’exercice de la résistance
puisqu’elles peuvent renforcer d’autant plus l’hystérie de transfert et rendre le traitement
interminable ou le vouer à l’échec. Ces cas de figure, nous dit Nasio, représentent la défaillance à
« ouvrir la voie qui mènerait […] aux portes de l’épreuve de castration. »208. L’angoisse est pour lui
responsable de l’interruption brutale de la cure, le patient hystérique refuse d’entrer dans l’épreuve
de l’angoisse comme un refus de la castration, de la féminité. Entre le « repas de Noël » et le dernier
entretien, Evelyne nous raconte : « J’ai profité que je ne travaillais pas. Je me suis autorisée à
tomber malade […] J’ai tout eu […] çà m’a manqué de ne plus avoir les entretiens, mais au bout
de la quatrième semaine, beaucoup moins  ». Cette angoisse ressentie par Evelyne, que ses dires
rapportent aux comportements de son ami face à son père, indique cette peur de trouver en cet
homme ce phallus qu’elle revendique pour elle. Ce qu’Evelyne ne veut pas, c’est un maître qui
pourrait la dominer. Ce fut sans doute une erreur de ma part de lui proposer la lecture du mythe de
Schambala, puisqu’elle n’en a retenu que «  le guide, c’est çà… ». On peut supposer qu’elle
s’oppose dans le transfert à la position d’esclave inféré par le mot « guide », ou quelque chose qui
ne serait pas de l’aliénation. En somme, nous dit Freud, « l’analyse a buté sur l’écueil du roc de la
castration.»209. De plus, on remarque bien la forte angoisse qui s’est dégagée de ces évènements et
du besoin de maîtrise mis en exercice en abréaction pour contrer ce surplus d’affect.
Devant ce refus de se confronter à l’angoisse, il y a chez Evelyne l’intention de ne pas
renoncer à sa maladie - « je me suis autorisée à tomber malade » - préférant transférer sur son
corps le « morceau de réel tombé dans l’espace analytique. »210. Lacan nous dit que c’est une forme
de mutisme dont il s’agit ici : « l’analyse consiste justement à la faire parler, de sorte qu’on pourrait
dire qu’elle se résume, au dernier terme, dans la levée du mutisme »211.
Dans le séminaire Les Ecrits techniques de Freud212, Lacan, Mannoni et Anzieu discutent
de cette résistance dans le transfert. Il est question de dire, d’après les textes de Freud, que la
résistance est conçue comme obstable entre deux personnes, concorde avec tout ce qui entrave le
traitement, et mobise l’analyste à lutter contre elle. Pour eux, il faut absolument analyser ce
transfert, en lui-même déjà analyse du transfert et de la suggestion. Lacan dira que « La résistance
du sujet quand elle s’oppose à la suggestion, n’est que le désir de maintenir son désir. Comme telle,
il faudrait la mettre au rang du transfert positif, puisque c’est le désir qui maintient la direction de
207
FREUD (S), « Le transfert », in Introduction à la psychanalyse, Paris : Payot, 1966, p. 420
208
NASIO (J-D), L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, op.cit, p. 139
209
Ibid. p. 142
210
ASSOUN (P-L), Freud et la femme, op.cit, p. 82
211
LACAN (J), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Séminaire XI, op.cit, p. 16
212
LACAN (J), Les écrits techniques de Freud, Séminaire I, Paris : Le seuil, 1975, pp. 35-51
Thomas David - 83 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
l’analyse, hors des effets de la demande. »213. Le transfert va surgir ici dans le sens où il satisfait la
résistance. Cette résistance est une réaction de contre-réaction, de réaction de rage contre ce refus
du sujet de se rendre aux évidences qui sont en lui, de guérir, alors que le patient en a toutes les
possibilités. Il y a donc un arrêt des associations, parachevé par un possible arrêt de la thérapie.
Pourtant, bien que la mise en mot du transfert signifie une résistance, le fait qu’il nous est livré
démontre que le sujet est bien sur le chemin. En somme, d’après Freud, le transfert est à considérer
comme « le plus efficace des facteurs de réussites et le plus puissant agent de résistance »214.

Quand Evelyne s’oppose à la remémoration, c’est de la résistance : ses non-dits, son rêve à
demi-exprimé, ses provocations… Mais quand elle abolit totalement le souvenir, nous avons à faire
au refoulement : « Je voulais vous dire quelque chose aujourd’hui, mais j’arrive plus à m’en
rappeler, pourtant c’était important ». Freud nous dit que « dans l’hystérie le refoulement joue le
rôle principal. […] il s’agit de pulsions découlant de scènes primitives »215. Le moi, au service du
surmoi et de la réalité, va mettre en œuvre le refoulement contre le çà, et le consolide par le contre-
investissement de la résistance. C’est un noyau refoulé (fantasme) qui sera à l’origine de tous les
refoulements ultérieurs, à l’origine des oublis, des amnésies hystériques, de la dénégation. La
dénégation chez Evelyne, c’est ce « non » qu’elle impose devant mes maigres et rares
interprétations. On peut penser que ce manque de confiance, ce doute permanent sur ses capacités
(hormis la frustration) intellectuelles et professionnelles participe de ce refoulement. Freud, dans le
cas Dora, nous dit que les souvenirs au premier stade du refoulement sont chargés de doute,
pouvant être à l’origine de l’oubli et des faux-souvenirs.
Pour conclure, nous pouvons dire que la barre entre le signifiant et le signifié est aussi
appelée par Lacan : barre du refoulement ; de sorte que le mot signe la perte de la chose. « Dans ce
mouvement où le sujet cherche à occulter un savoir, il se désigne. »216. Pour autant, cette défense est
dangereuse pour l’économie psychique, elle s’acharne tellement contre la représentation
inconciliable qu’elle devient aussi malsaine que le noyau pathogène qu’elle prétend neutraliser.

3.2 Résistance et répétition

Dans les écrits techniques de Freud, il est dit que l’opacité du traumatisme (résistance à la

213
LACAN (J), « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits, op.cit, p. 636
214
FREUD (S), La dynamique du transfert, in La technique psychanalytique, Paris : PUF, 2002, p. 50
215
FREUD (S), La naissance de la psychanalyse, Paris : PUF, 1973, pp.115 et 175
216
MILLER (D), « Les trois transferts », Chapitre « Sur le signifiant du transfert », in Ornicar, op.cit, p.33

Thomas David - 84 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
signification) est responsable de la limite de la remémoration. De sorte que ce qui ne peut être
remémoré se répète dans la conduite. On peut donc retrouver dans le transfert ce qui participe du
concept même de répétition, de l’échec du refoulement, du retour de refoulé, livré à l’adresse du
clinicien. Nous avons jusqu’ici fait des rapprochements entre la relation qu’entretient Evelyne avec
les hommes de son entourage (père, ami) et la relation clinique avec le stagiaire psychologue. A la
lumière du concept de répétition, il s’agirait donc d’une réactualisation dans le transfert de ce
refoulé, bati sur les relations aux parents et qui se déplace métonymiquement sur le cadre
thérapeutique. Le clinicien peut donc être amené à supporter la figure du père spirituel d’Evelyne,
l’Autre châtré, l’Autre de la loi …. Que le clinicien devienne, nous l’avons vu, le symptôme de la
patiente signifie qu’il est à la place de la cause du symptôme. Je suis devenu dans un premier temps
le destinataire du symptôme, puis par la suite sa cause, d’où le besoin de mise à distance par la mise
en œuvre de ses résistances. C’est l’Autre qui est en tâche de fond dans la relation clinique avec le
patient. Quand je lui demande de quoi ou de qui elle a besoin, c’est l’Autre qui fait irruption dans le
cadre : «  J’aime pas votre question ! ». Le prompt arrêt de la thérapie réactualise en quelque sorte
la séparation brutale vécue avec le père. C’est du même ordre, mais dans le sens inverse,
qu’Evelyne se rapproche de son père. Ma surprise était grande quand elle m’a dit qu’elle avait passé
Noël avec son père, d’autant plus quand elle m’a dit ce qu’elle avait osé faire devant ce père qui
l’annihilait auparavant, mais je me suis bien gardé de lui dire. Faire un pas vers le clinicien lui a
donc permis de tenter des rapprochements avec le père, sous forme d’une nouvelle relation
hystérisante. On peut se demander aussi si les résistances n’ont pas joué dans cela. Freud nous offre
cette remarque concernant l’épisode de la gifle de Dora et Mr K : « L’enfant prend la décision de
fuir avec son père ; en réalité elle fuit vers son père, par peur de l’homme qui la séduit ; elle réveille
un attachement pour son père, attachement qui doit la préserver d’un récent attrait pour un étranger.
Son père lui-même est coupable du danger actuel, lui qui l’a abandonné à un étranger dans l’intérêt
de ses propres amours. »217. « Je me suis réconcilié avec mes souvenirs, je me les suis approprié de
manière positive ». La répétition à l’identique avec le clinicien est impossible, et retrouver l’objet
perdu est voué à l’échec, c’est ce que Lacan appelle le leurre de la Chose. Du fait aussi du
positionnement que j’ai eu, la déception d’Evelyne a du être assez grande pour se retourner vers
l’original.
Plus précisément, nous pouvons parler d’une compulsion à la répétition. « Il faut donc nous
attendre à ce que le patient cède à la compulsion, à la répétition, qui a remplacé l’impulsion au
souvenir et cela non seulement dans ses rapports personnels avec le médecin, mais également dans

217
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 63
Thomas David - 85 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
toutes ses autres occupations et relations actuelles. »218. Chez Evelyne, sa problématique réagit au-
delà de la situation transférentielle : avec ses collègues de travail, ses anciens camarades de classe.
C’est la séduction impossible qui se trame dans toutes ses histoires, des satisfactions impossibles (à
cause du mensonge fondamental), qui amène Evelyne à devenir celle à qui manque le séducteur :
«  Je ne peux pas le lâcher, je me sens obligé de rester avec lui. ». Et c’est la soumission à l’aura du
père qu’elle dénonce en entretien qui se retrouve perpétuellement répétée, d’après ses dires, dans sa
condition actuelle. Il y a dans cette répétition du même destin une part active de la patiente, elle ne
subit pas passivement ce que lui renvoie les autres. C’est en agissant sa répétition de façon
singulière qu’elle y tisse le langage de son désir et signifie ce que la scène dite de séduction a laissé
d’irréduit en elle. Il y a donc dans le transfert un automatisme de répétition du passé oublié, et c’est
au moment des tentatives de remémoration, quand elle commence à se livrer que les résistances du
sujet, nous dit Lacan, deviendront « répétition en acte. »219.

Dans le séminaire Le transfert, Lacan nous dira que cette répétition en acte, cette
manifestation du transfert, a quelque chose de créateur qui permet d’écrire un sens nouveau. Il
s’agit toutefois de quelque chose qui mobilise grandement les défenses, F. Villa nous dit que la
personne analysée opposerait à cette originaire répétition, « une autre répétition (secondaire) par
laquelle elle tenterait de ne pas disparaître ou, pour le moins, de pouvoir se reformer, presque
aussitôt qu’elle subirait une déformation. »220. Dans « Au-delà du principe de plaisir », Freud nous
dit que les patients névrosés, face à ces réactualisations passées sur la scène du transfert, aspirent à
interrompre la cure alors qu’elle est inachevée, ils savent se procurer à nouveau l’impression d’être
dédaignés et contraindre le médecin à leur parler durement et à les traiter froidement, remplacent
l’enfant jadis ardemment désiré [désir d’enfant d’Evelyne] par le projet ou la promesse d’un cadeau
le plus souvent aussi peu réel que celui-ci.

Il y a donc dans le transfert quelque chose, passant par le récit des évènements douloureux
engageant souffrances et croyances, qui enveloppe peu à peu la personne du praticien. Cela suppose
que dans le transfert, le clinicien s’inscrit dans une chaîne du discours, une chaîne de signifiants où
la problématique familiale est reconduite de génération en génération. Dans son séminaire II 221,
Lacan nous dit que dans cette répétition, dont on ne peut la penser à l’identique, il est possible d’y
218
FREUD (S), « Remémoration, répétition et perlaboration », in La technique psychanalytique, op.cit, p. 109
219
LACAN (J), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Séminaire XI, op.cit, p. 51
220
VILLA (F), « La personne du psychanalyste : obstacle à la remémoration, une résistance à accéder à l’au-delà du
principe du plaisir », in Cliniques méditerranéennes, n° 67, 2003, p 181
221
LACAN (J), Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Séminaire II, Paris : Le Seuil,
1978, pp 41-65
Thomas David - 86 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
amener de la nouveauté. C’est dans la béance entre S1 et S2, entre l’acte initial et la répétition que
la nouveauté peut émerger. Il ne s’agit pas du S1 du discours du maître, mais d’un S1 qui se fait
générateur de sens - par la présence et l’écoute du clinicien -, Un signifiant qui réintègre la chaîne
symbolique à la place du maillon manquant, et qui relance un nouveau cycle de répétition. Après
cela, le psychologue pourra prendre la place d’objet a, la place d’attente du discours analytique.
Nous retrouvons ici la marque du trait unaire, nécessaire à toute répétition, que nous avons déjà
évoqué dans l’analyse des demandes d’Evelyne. Lacan nous dit que c’est le trait unaire qui va surgir
dans l’après coup, à la place du signifiant en tant qu’il représente un sujet auprès d’un autre
signifiant. Il rajoute après cela que ce qui va surgir de cette répétition et qui se répète de la
reproduction de l’en-forme de a, « c'est d'abord cet en-forme lui-même, et ceci, c'est l'objet
a.  » 222 .
Dans le transfert, le clinicien est mis de suite en position d’idéal, avec comme attribut la
toute puissance phallique (le savoir qui pourra la faire jouir), mais cela engendre à la fois des
sentiments d’admiration, d’envie et de rivalité. Le fait de rester dans cette position d’idéal,
nécessaire cependant à l’installation du transfert - « c’est à la place de cet idéal du moi que
l’analyste sera appelé à fonctionner »223 -, peut provoquer des résistances. Lacan nous assure
cependant qu’il est plus facile de se faire aimer de l’idéal du moi que de l’objet qui a été à un
moment son original. On remarque aussi que dans le graphe du désir de Lacan [fig.4] que l’idéal (I),
c’est ce vers quoi le sujet ($) va viser son désir dans le circuit des signifiant. Dans la relation
thérapeutique, il faut cependant ne pas se placer en position de moi-idéal, car elle nous pose en tant
que maître, ou bien en tant que satisfaction narcissique. Le moi-idéal se limite à la marque de
l’Einziger Zug et participe à réactualiser la même problèmatique du patient.

3.3 Résistance et jouissance

Dans Au-delà du principe de plaisir, Freud se demande pourquoi son petit-fils répète une
situation désagréable dans le jeu du fort-da, symbolisant la présence/absence de l’objet primordial.
Il remet alors en cause le principe de plaisir : « il existe effectivement dans la vie psychique une
compulsion de répétition qui se place au dessus du principe de plaisir. »224. Nous avons déjà dit que
pour le sujet hystérique la demande porte sur tout autre chose que les satisfactions qu’elle appelle.
Dans les résistances, il y aurait donc une mise en scène d’une expérience vécue qui ne serait pas
régie par le principe de plaisir mais qui au contraire s’y opposerait, et qui représenterait en quelque
222
LACAN (J), D’un Autre à l’autre, Séminaire XVI, 28 juin 1969, version AFI
223
LACAN (J), Le transfert, Séminaire VIII, op.cit, p. 409
224
FREUD (S), « Au-delà du principe du plaisir », in Essais de psychanalyse, Paris, P.B. Payot, 2001, p. 69
Thomas David - 87 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
sorte un au-delà du principe de plaisir. Lacan nous dit que c’est la mise en acte de la pulsion de
mort par l’absence de la bobine qui provoque le o-o-o-o. C’est de la pulsion de mort qu’il s’agit ici
dans la répétition de l’absence de l’objet dans le fort-da, qui marque le sujet de sa destructivité au-
delà de sa tendance au retour à l’inanimé.
Dans la résistance au transfert, c’est la pulsion de mort qui est agit en tant qu’elle s’articule
dans la chaîne signifiante et qu’elle vise à détruire l’idéal autant qu’elle l’a créé. Freud nous dit bien
que « plus la résistance sera grande, plus la mise en actes se substituera au souvenir. »225. L’apport
de Lacan est de soutenir que cet au-delà du principe de plaisir, « ce qui nécessite la répétition, c’est
la jouissance »226 ; de sorte que dans le transfert se véhicule ce jouir à mort, le flot de jouissance
apporté par l’objet a, à partir de la répétition du Un. Cette répétition renvoie le sujet à la
récupération d’une jouissance imaginée par le biais d’une jouissance actuelle, de telle façon que le
sujet qui a perdu sa jouissance de faire Un avec la mère, tentera de la refaire exister en la perdant de
nouveau, et en la restituant à quelqu’un d’autre.
Le sujet hystérique, pour Israël, tente de maintenir cette jouissance en se privant de
quelque chose du ressort du plaisir. Chez Evelyne, c’est en gardant son désir insatisfait, en se
privant qu’elle jouit. Refuser la relation sexuelle, ce n’est pas se refuser à la jouissance, mais au
plaisir qui limite la jouissance. Quant le sexologue lui dit qu’elle n’a rien, c’est à ce noyau de
jouissance inattaquable qu’il s’attaque. Quand je lui fais un compliment – « Je n’aime pas çà » - la
satisfaction suscitée met un terme à la jouissance qu’elle a de maintenir sa privation dans le désir.
Pour l’hystérique, il faut protéger la jouissance pour que cette part de Réel soit réservée, qui fonde
le symptôme et qui fait souffrir. La quête hystérique porterait donc sur la jouissance, une jouissance
à laquelle elle ne peut pas renoncer, sous peine de devoir se soumettre à la castration, c’est-à-dire
s’exposer au double manque qui affecte l’Autre, mais aussi le sujet : le manque de signifiant et la
perte de jouissance. L’ambivalence née de cette jouissance puisqu’Evelyne la fait exister pour
désigner ce à quoi elle doit pouvoir renoncer pour désirer. Israël nous dit que « l’hystérique ne veut
227
pas appeler jouissance ce qu’elle éprouve et qu’elle attend mieux. » . Cependant, Evelyne n’y
arrive pas, elle n’arrive pas à franchir le roc de la castration, c’est pourquoi elle résiste à la thérapie
et s’éloigne de l’intolérable. En un sens, elle se protège beaucoup plus de la castration qu’elle ne
protège son désir. Elle se rend compte qu’elle ne jouit pas du clinicien, qu’il ne peut pas lui ouvrir
la voie à une jouissance qui lui dévoilera l’essence de la féminité. En d’autres termes, elle restera
insatisfaite puisque le phallus qu’elle trouvera chez le clinicien sera insuffisant pour qu’elle puisse
asseoir son identité qui la fera « pas-toute » phallique. On peut supposer que le clinicien n’a pas pu,
225
FREUD (1914), « Remémoration, répétition et perlaboration », in La technique psychanalytique, op.cit, p. 109
226
LACAN (J), L’envers de la psychanalyse, Séminaire XVII, op.cit, p.51
227
ISRAËL (L), La jouissance de l’hystérique, op.cit, p. 88
Thomas David - 88 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
ou n’a pas su pour Evelyne se distinguer de la position du maître – impliquant la possession d’un tel
savoir sur la femme –, incapable d’apporter le signifiant de la jouissance phallique permettant de
border le plus-de-jouir, et tenir cette place d’objet a : « l’objet a, c’est ce qui permet d’introduire un
petit peu d’air dans la fonction du plus-de-jouir. »228.
L. Israël nous dit que l’hystérique acceptera un jour d’être ce peu dans l’Etre, qui
emportera de se contenter d’un peu de jouir ou d’un peu de désir, mais dans l’acceptation d’un autre
incomplet existant, loin de sa déconvenue de trouver un maître qu’elle avait construite à son image
(narcissisme), pour se laisser être aimée pour son imperfection plutôt que pour une perfection
impossible : « la jouissance viendra un jour » 229. Dans l’expérience thérapeutique, ou plus encore
dans l’expérience analytique, le sujet doit pouvoir renoncer à une part de sa jouissance (celui qui
l’attache à son fantasme et à son symptôme), accepter son manque à être, sa castration et sa
division.

4. Effets du contre-transfert

L’analyse des résistances à la thérapie chez Evelyne nous ont amené à faire le constat
d’une non-volonté de sortir de la maladie, d’émettre l’hypothèse d’une volonté qui se voudrait
frustrante, d’une nécessité de répéter le refoulé dans le transfert et de maintenir une jouissance toute
phallique à laquelle elle ne veut pas renoncer. Cependant, les résistances à la thérapie ne sont pas à
mettre totalement sous la responsabilité d’Evelyne. Sans écarter ces éléments, nous allons voir que
les résistances internes au clinicien ont une influence dans la pratique et participent grandement au
possible arrêt de la thérapie. De cette façon, je livre mes erreurs et errances propre à cette clinique
singulière avec ce sujet hystérique. Dans son Intervention sur le transfert, Lacan nous dit que le
transfert indique toujours les moments d’errance et d’orientation de l’analyste ; de cette façon, notre
responsabilité est toujours à mettre en première ligne concernant l’apparition des résistances dans
un suivi psychothérapeutique : « Nous en voyons faire preuve de courage, et dire : mais comment
donc ! Le transfert, ne rejetons pas tout du côté de l’analysé comme on s’exprime « nous y sommes
aussi pour quelque chose », et comment ! »230. Dans son analyse du cas Dora, Freud indique que les
retards apportés à la guérison ou à l’amélioration ne sont en réalité dû qu’à la personne du médecin.
Lors de l’arrêt de la thérapie, à partir du moment où Evelyne me dit qu’elle ne souhaite
plus continuer ce travail, je pense que je n’ai pas su tenir le rôle qui m’étais dévolu, à savoir,

228
LACAN, L’envers de la psychanalyse, Séminaire XVII, op.cit, p. 207
229
ISRAËL (L), La jouissance de l’hystérique, op.cit, p. 87-89
230
LACAN (J), L’acte psychanalytique, Séminaire XV, 21 février 1968, inédit.
Thomas David - 89 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
analyser ce qu’il en était de cette séparation. Pour pouvoir surmonter le transfert, il faut pouvoir
montrer à la patiente les ressorts qui l’ont induite à cette prise de décision. Freud nous dit qu’il faut
montrer au patient que ses sentiments, « au lieu d’être produits par la situation actuelle et de
s’appliquer à la personne du médecin, ne font que reproduire une situation dans laquelle il s’était
déjà retrouvé auparavant. »231. Je devais donc dû lui signaler cette jouissance, l’analyser, pour
qu’elle puisse saisir vers quel renoncement se diriger. Je lui ai néanmoins fait part du processus de
refoulement et des résistances sous-tendus par cet arrêt. Freud se retrouve dans cette même
difficulté de n’avoir pas su aborder le transfert de Dora à l’origine de la fin de la cure. Il explique
surtout qu’il n’a pas été effleuré pendant le traitement, ceci en raison de l’empressement de Dora de
mettre à disposition du matériel pathogène. Evelyne a agit de cette façon, m’abreuvant de matériel
clinique, et me laissant croire qu’à un moment de l’expérience clinique je pourrais lui signifier ce
qu’elle me renvoyait de l’ordre d’un transfert. Freud pressentait qu’il avait encore le temps de
rendre maître du transfert mais qu’il avait été surpris, tout comme moi, par la vengeance de Dora
due à ce facteur inconnu qui lui rappelait Mr K. Il suppose que ce facteur inconnu se rapportait à
l’argent. Ce rapport à l’argent fut peut-être ce qui a motivé l’arrêt de la thérapie pour Evelyne, étant
donné qu’elle avait longuement insisté sur l’argent que ne donnait pas son père à sa famille pendant
sa jeunesse et qui lui manquait. Ne pas discuter de cette relation à l’argent fut une erreur de plus
dans cette fin de travail.
Nous avons déjà souligné l’appétence de l’hystérique à requérir un savoir du maître et à en
disposer quand celui-ci ne peut répondre à l’énigme de sa féminité. Bien que soucieux de ne pas
répondre à ses demandes, je n’ai pu que céder devant certaines insistances, en lui offrant un savoir
sur la conduite d’une thérapie, croyant négligemment que cela pouvait par la suite la pousser à
s’inscrire sereinement dans une libre parole. J’ai en quelque sorte céder sur sa jouissance. Lacan
nous avertit bien que « l’hystérique ne sait pas qu’il ne peut pas être satisfait dans la demande, mais
il est essentiel que vous, le sachiez. »232.  P-L Assoun a commenté cette erreur là chez Freud. Il nous
explique que Dora a pu attendre que chez Freud le phallus parle, un phallus qui ne serait pas du
semblant, et qui lui apporterait une vraie jouissance phallique. Freud, omettant l’urgence du blocage
transférentiel, travaillait sur le symptôme (dans l’éternité), tandis que Dora occupait le terrain,
« qu’elle hystérisait le temps de la cure, le ramenant à l’instantanéité, celle de la demande de
séduction, qui ne souffre pas de délai. »233.

231
FREUD (S), Introduction à la psychanalyse, op.cit, p. 541
232
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 366
233
ASSOUN (P-L), Freud et la femme, op.cit, p. 75
Thomas David - 90 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Evelyne hystérise le temps de la cure, mais aussi le clinicien. Lors des entretiens, je me
suis retrouvé en difficulté devant les frustrations données à la patiente et que je vous ai présenté
plus haut. Sans pour autant céder sur mon désir, j’ai été marqué par ses mots « Je vais aller mal ce
soir », autant que par la fin du suivi, dont je m’attribuais la faute : « Serais-je parvenu à retenir la
jeune fille si j’avais moi-même joué vis-à-vis d’elle un rôle, si j’avais exagéré la valeur qu’avait
pour moi sa présence et si je lui avais montré un intérêt plus grand, ce qui, malgré l’atténuation qu’y
eût apporté ma qualité de médecin, eût un peu remplacé la tendresse tant désirée par elle ? Je ne
sais. »234. Cet aveu de non-savoir de Freud m’a aussi traversé l’esprit, remettant en cause ma qualité
à prétendre au titre de psychologue. On peut sentir une réelle déception chez Freud quand elle le
quitte - « et… ne reparut plus. »235 - une certaine ambivalence, entre un donjuanisme qu’il réfute et
le regret de ne l’avoir pas assez séduite. P-L Assoun appuie l’idée que l’hystérique introduit un lien
redoutable entre la séduction et la mort, qu’elle relie la fatalité attachée à la mère, et qu’en ce sens
elle est strictement irrésistible. Lise Monette va plus loin en nous évoquant dans la scène d’amour
entre l’analyste et l’analysant un « plaisir voyeuriste »236, qui aurait poussé Freud à se placer
derrière ses patients, ne supportant pas de se faire dévisager. Elle émet l’hypothèse que Freud se
serait terré pour mieux jouir.
L. Urtubey nous apporte une définition très pertinente sur le contre-transfert : « Le contre
transfert n’apparait pas directement à la conscience, mais se manifeste comme signe à décrypter ni
repéré, ni compris d’emblée, surgissant sous forme d’affects, de sentiments d’associations, de
représentations de fantasmes, d’images, de lapsus, d’actes manqués, de rêves, de métaphores ou de
comparaison inattendues, tous rejetons de l’inconscient ou d’expression directes de celui-ci, certains
affects. Il se situe à l’opposé des représentations conscientes et des affects dont l’objet est d’emblée
conscient. Le décryptage constituera une des étapes essentielles du travail du contre-transfert. Celui-
ci n’est rendu conscient, mis en mot, qu’après avoir été soumis à l’auto-analyse, destinée à repérer
le latent dissimilé par le manifeste. »237. Il est bien certain que devant la difficulté à vivre ses
frustrations (concernant la non-prise en compte de la lettre notamment), il y avait bien quelque
chose qui faisait écho dans le champ du contre-transfert, et qu’il me fallait de surcroît analyser.
C’est notamment au niveau des défenses mises en place par le clinicien qu’il faut analyser
le contre-transfert. Il est par exemple assez étonnant que je me sois autant attaché à la prise de note
en entretien, alors que je ne le fais pas d’habitude : « et qui ne doit pas, pendant la séance avec le
234
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 82
235
Idem
236
MONETTE (L), « le processus contre-transférentiel comme travail de deuil », in revue Philosophique, vol. 4, n°2,
octobre 1977, p. 312
237
URTUBEY (L), « Le travail du contre-transfert », in Revue française de psychanalyse, numéro spéciale, 1994, p.
1271
Thomas David - 91 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
malade, prendre de notes parce qu’il éveillerait ainsi la méfiance de ce dernier et en serait troublé,
lui-même dans l’inassimilable des matériaux à recueillir »238. Le fait de s’inscrire dans un cadre
s’apparentant à une véritable libre pratique professionnelle y participait aussi sans nul doute. Dans
l’envers de la psychanalyse239, Lacan décrit la théorie freudienne de l’Œdipe comme le rêve de
Freud qui consiste à répondre au désir de l’hystérique, notamment l’instauration d’une figure
paternelle idéalisée qui produit un savoir ayant valeur de vérité en matière de désir, jouissance et
identité. La question est de savoir si ce n’est pas l’hystérique qui a finalement entraîné Freud dans
cette invention du meurtre du père en substitution de la castration refusée. Est-ce que c’est le refus
de castration de Freud qui a résulté de cette création de mythe ? Est-ce Evelyne qui m’a obligé à me
retrancher derrière ma prise de note ?
Du moins, ce que veut l’hystérique, c’est quelqu’un qui a le courage de reconnaître un vide
en lui, un manque où elle pourrait au moins un temps prendre place. Devant la plus faible réponse,
devant le moindre objet apporté devant elle, elle ne pourra que pointer la castration chez nous, nous
symptômiser. Il faut donc pouvoir admettre la castration, pour la faire admettre à l’hystérique. Nous
ne pourrons que suivre les recommandations de Freud, le clinicien «  doit s’être soumis à une
purification psychanalytique, avoir pris connaissance de ceux de ses propres complexes qui
risqueraient de gêner sa compréhension de ceux de ses propres complexes qui risqueraient de gêner
sa compréhension des propos de l’analysé. »240. L. Monette nous dit que l’analyste doit faire le deuil
de l’investissement d’objet, ce qui veut dire que modifier la structure de la névrose n’est possible
qu’en fonction des propres positions phallique du clinicien, pour que l’hystérique puisse se compter
comme une femme et se choisir un homme comme objet. L’analyste doit donc accepter sa part
féminine en lui. Cette épreuve demande un « travail du contre-transfert » pour que le clinicien
puisse discerner ce qu’il en est de l’identification projective du patient et les conflits non-élaborés
qui lui sont propre.

«  Le problème de l’analyse est justement celui-ci que le désir a à rencontrer, qui est le désir de
l’autre, notre désir, ce désir qui n’est que bien trop présent dans ce que le sujet suppose que nous
lui demandons, ce désir se trouve dans cette situation paradoxale que ce désir de l’autre qu’est
pour nous le désir du sujet nous devons le guider non pas vers notre désir, mais vers un autre. Nous
nourrissons le désir du sujet pour un autre que nous, nous nous trouvons dans cette situation
paradoxale d’être les entremetteurs, les accoucheurs, ceux qui président à l’avènement du
désir….que notre désir doit se limiter à ce vide, à cette place que nous laissons au désir pour qu’il
s’y situe, à la coupure ? A la coupure qui est sans doute le mode le plus efficace de l’intervention,
et de l’interprétation analytique.  »241

238
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 3
239
LACAN (J), L’envers de la psychanalyse, Séminaire XVII, op.cit, pp. 99-163
240
FREUD (S), « Conseil aux médecins », in La technique psychanalytique, op.cit., p. 67
241
LACAN (J), Le désir et son interprétation, Séminaire VI, 1er juillet 1959, version AFI, inédit
Thomas David - 92 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Jacques Lacan

Thomas David - 93 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

PARTIE V : La lettre d’Evelyne en souffrance dans le


transfert

1. La lettre d’Evelyne est un signifiant 

Nous avons présenté en préambule la lettre d’Evelyne, cette lettre envoyée quand elle avait
18 ans et adressée à son père manquant, et dont elle garde une copie. Il s’agit de cette lettre qui
échoie sous le lit conjugal, cachée, susceptible d’être vue mais qui en quelque sorte ne l’est pas
jamais vraiment. Bien que ne s’agissant que d’une copie, elle ne perd pas de sa valeur pour autant.
Evelyne la présente comme un objet fétiche, sacré, pivot de sa vie psychique : « Cette lettre m’a
servi de support ». Elle nous la propose cette lettre, mais la protège dans son porte-document ; elle
évite ainsi que son périple endommage ce que la lettre comporte. Pourtant cette lettre n’est pas là
que comme présentoir, elle en demande un retour, elle en demande restitution. « Je voudrais bien
savoir ce que mon père en pense maintenant. » ; « Je la sors des fois pour la montrer à mes
ami(e)s, pour avoir leur avis.  ». Du contenu de cette lettre, nous n’en savons rien, juste ce qu’en dit
Evelyne et la valeur symbolique qui en est rattachée. Cette lettre sans contenu apparent peut-elle
être élevée au rang de signifiant ? Comment doit-on la prendre cette lettre ?
C’est lettre est peut-être tout simplement à prendre à la lettre, au statut de la lettre que
Lacan propose dans l’inconscient. Lacan nous dit de la lettre qu’elle est la structure essentiellement
localisée du signifiant, que « la lettre est le support matériel que le discours concret emprunte au
langage. »242. Ainsi, la lettre d’Evelyne est vecteur d’un signifiant pour un autre signifiant, il peut y
avoir création d’une signification qui rend possible une étude des liaisons propre du signifiant et
rend compte de l’ampleur de sa fonction dans la genèse du signifiant. Tout comme l’effacement de
la trace de « Vendredi » par Robinson, c’est à partir du moment où le père ne vient pas à parler de la
lettre, l’annule dans sa négativité, que la lettre prend tout son sens pour Evelyne ; que la trace écrite,
non sans intérêt, devient signifiante, et qu’elle sous entend un signifié. S’accrocher à la valeur
intrinsèque de la lettre d’Evelyne, ce serait peut-être dénaturer le signifiant émis, car il peut signifier
tout autre chose que ce qui est dit. Cette lettre nous parle, elle n’échoue pas par hasard dans le cadre
- nous disions plus haut que l’Einziger Zug représente le sujet pour les autres signifiants, ce qui est
engagé dans la lettre vient désigner le Je en tant que sujet – il y a de la parole et de l’Etre, de la
lettre et de l’Etre. On peut imaginer voir sur la scène de la lettre une théâtralisation du parlêtre
(parlettre), la mise en forme tragique d’une jouissance hystérique dans sa recherche du vrai, d’une
242
LACAN (J), « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », in Ecrits, op.cit, p. 495
Thomas David - 94 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
vérité en attente d’advenir qui pourrait se contenir dans les attributs de la lettre et dans sa
circulation. Quelle pourrait être la nature de l’objet lettre dans l’inconscient ? Serait-ce cet objet
foncièrement perdu que le sujet frustré tente de retrouver pour en sentir encore les effets de la
perte ? Serait-ce cet objet qui foncièrement perdu sous le lit, retrouvé dans la thérapie, qui se doit de
circuler pour en mesurer les effets sur les autres et sur l’Autre ?
La question du signifiant pose en effet une énigme quant à la question de ce que veut la
femme, et ceci au lieu de l’Autre. L’impression qui se dégage de la présentation de la lettre par
Evelyne, c’est qu’en quelque sorte, il s’agit d’une adresse du signifiant au signifié sans en connaître
véritablement l’expéditeur et le receveur, ainsi que ce qu’elle contient. Le message de la lettre est
surplombé par l’objet lui-même : « J’ai relu la lettre, j’ai été étonné par l’agressivité dans ce que
je disais.  ». Comment donc écouter cette adresse du signifiant ? Ce qu’il faut écouter, c’est ce qu’en
dit la patiente. Le signifiant s’inscrit dans l’acte langagier, l’acte de la lettre, et se base sur quelque
chose qui est déjà là pour être lu. M. André243 met en avant les dimensions d’écoute et de la lecture
qui sous-tendent l’idée d’inscription minimale du sujet à un trait (trace). Pour lui, trois temps sont
indispensables à l’engendrement d’un signifiant : il faut un repérage d’une trace dans le sable
(l’Autre), une vocalisation où elle acquiert un statut phonétique : temps de l’équivoque entre son et
sens, et un retour favorisant l’accueil de la lettre dans la négativité qui permet de brouiller les pistes.
C’est ainsi que la lettre ordonne le signifiant qui ordonne le désir, c'est-à-dire que « le sujet cherche
à exprimer, à manifester dans un effet du signifiant en tant que tel, ce qui se passe dans son propre
abord du signifié »244.
Ce que l’on peut dire de lettre d’Evelyne, c’est qu’en tant que signifiant, elle possède les
propriétés qui marquent de manière distinctive le sujet qui en est en possession. Elle est donc
soumise au refoulement de sa signification, au principe de répétition, et permet d’y récupérer une
jouissance localisée. De sorte que ce que la lettre refoule dans l’ordre de la jouissance, elle le
récupère d’une autre façon dans sa répétition même.

2. « La lettre volée »

Dans son séminaire sur la Lettre volée245, Lacan évoque la prise signifiante d’une lettre et
son principe de répétition dans un déroulement historique. Il s’agit d’une analyse critique et
théorique de l’œuvre de Poe, «  The purloined letter », traduit en français par Baudelaire sous le titre
de « La lettre volée ». Cette nouvelle dévoile une situation « simple et bizarre »246 où la Reine se
243
ANDRES (M), Signifiant, in L’apport freudien, sous la direction de P. Kaufman, Paris : Bordas, pp. 394-395
244
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, séminaire V, op.cit, p.405.
245
LACAN (J), « Le séminaire sur « La Lettre volée » », in Ecrits, op.cit, pp.11-61
246
POE (E-A), «  La lettre volée  », traduit par C. Baudelaire, Ed.« Ebooks libre et gratuit », 2003, p. 3
Thomas David - 95 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
retrouve volée d’une lettre compromettante par le ministre (D), sous ses yeux et sans pouvoir
intervenir sous peine d’attirer l’attention du Roi, puisque (D) est le seul dans la pièce à se rendre
compte du subterfuge de la Reine. La Reine a en effet, surprise par l’entrée du Roi pendant qu’elle
lisait la lettre, laissé toute ouverte la lettre sur la table, la suscription en dessus pour masquer son
contenu. (D) remarqua l’embarras de la Reine, reconnut l’écriture de la suscription, et procéda au
même subterfuge en remplaçant sous les yeux de la Reine la lettre en question par une autre lettre
de même caractéristique. La Reine connaît donc son voleur et le voleur sait qu’il se sait voleur. (D)
fait chanter la Reine pour ce que la lettre représente, à des fins politiques et personnelles, et la cache
dans un endroit qui reste secret. La Reine envoie M. G, le préfet de police, la chercher, mais celui-ci
ne peut la découvrir malgré une mise en œuvre impressionnante et perfectionniste. Il va alors faire
appel à Dupin qui, se basant sur la personnalité du coupable (D), va trouver la lettre à l’endroit où
elle était le plus difficile à découvrir pour un esprit normatif, c'est-à-dire dissimulée à la vue de tous.
Après quoi, (D) devient le voleur qui ne sait pas qu’il a été volé, et croyant posséder cette lettre, il
va se compromettre pour avoir voulu la révéler.
Lacan pointe dans cette fiction, dans ces deux rapts de la lettre, une répétition de
l’apparemment identique qui ordonne la destination de la lettre, en vertu de l’inscription du
signifiant dans les relations intersubjectives. Il conteste la traduction de Baudelaire du titre de la
nouvelle et propose une autre formule donnant plus de sens : la lettre en souffrance. Pourtant, c’est
en déficit de sens que Lacan propose ce titre, car c’est à cause de la répétition que la lettre reste en
souffrance de sens, tel un sens qui reste volé. Lacan veut ainsi démontrer en suivant l’évolution
d’une lettre dans sa métonymie que ce parcours est déterminant pour la constitution de l’histoire
chez un sujet. Lacan nous dit qu’une lettre arrive toujours à destination ou reste en souffrance. On
peut penser que la démarche de Lacan ait été ici de montrer la division du sujet du fait même qu’un
objet le traverse. Il utilise donc une fiction qui révèle de cette manière ce que nous disions sur la
question du semblant dans la dimension du langage, dans le discours intersubjectif.

3. Le sens de la lettre pour Evelyne

Nous pouvons nous demander quel sens pourrait avoir cette lettre pour Evelyne pour
qu’elle en vienne à la cacher, à nous la faire miroiter sans pour autant nous l’offrir à la lecture. Quel
préjudice viendrait être signifié dans cette lettre au point d’en accorder autant de valeur ? Elle ne
m’a dit grand chose de cette lettre, à part qu’elle n’avait pas eu de son père le retour escompté, et
qu’elle était chargée de certaines vérités dont l’écriture avait apporté un certain effet cathartique.
Freud nous dit dans son analyse du cas Dora qu’il avait déjà remarqué que chez des personnes

Thomas David - 96 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
atteintes de mutismes hystériques, la faculté d’écrire suppléait à la parole. D’ailleurs, notre
comparaison faite entre Dora et Evelyne, toutes deux hystériques, ne s’arrête pas non plus à la
lettre. On se rappelle de la lettre retrouvée par les parents de Dora sur son secrétaire, dans laquelle
elle leur faisait ses adieux, disant ne plus supporter la vie. Freud l’avait analysé ainsi : « Cette lettre
était destinée à effrayer son père, afin qu’il quitta Mme K…ou, tout au moins, à se venger de lui si
elle n’arrivait pas à l’y dédier. […] fantasme de vengeance contre son père. »247.
La lettre d’Evelyne nous est posée comme une énigme à déchiffrer, à partir d’un
questionnement au départ qui pourrait signifier : pourquoi la lettre a-t-elle été détournée par le
père ? Pourquoi l’a-t-il dénigré ? La situation de la lettre volée nous permet d’avoir une autre
perspective : peut-être que cette lettre n’avait pour fonction que de ne pouvoir être portée à la
connaissance du père. La lettre de la Reine ne pouvait être révélée au Roi sous peine de mettre son
honneur et sa sécurité en péril. L’intérêt de cette histoire pour Lacan, c’est que la lettre est
compromettante. Elle représente un délit, et c’est le délit du délit (le vol du ministre) qui a pour
effet la mise à distance du compromettant aux yeux de la Reine. De cette façon aussi, et pour
respecter la suite, le délit du délit suggère un délit de l’autre (Roi), par le châtiment dû à
l’information compromettante. Ne reconnaît-on-pas là la figure de l’hystérique ? Pour émettre un
désir dans l’Autre, l’hystérique doit avant tout substituer son désir à un autre pour que celui-ci porte
son signifiant et l’amène à destination. Il s’agirait ici d’un désir de désir délictueux. Lacan nous
dit dans ce séminaire : « l’on pourrait admettre que la lettre ait un tout autre sens, sinon plus brûlant,
pour la Reine que celui qu’elle offre à l’intelligence du ministre. ». On remarque bien d’ailleurs que
lorsque Dupin offre la lettre à M.G, celui-ci vérifie son contenu en la lisant, ce qui signifie que la
Reine a du l’avertir de ce qu’elle comportait. On n’imagine pas un instant que la Reine ait pu
dévoiler son secret à un tiers. Seule la supposition que le Roi sache ce dont il s’agit dans la lettre la
met en danger, car lui seul pourrait déchiffrer son contenu, ou du moins supposer qu’elle ait un
sens. N’est-ce pas là ce que Evelyne vient à dire, à savoir que cette lettre en double exemplaire est
restée en souffrance, en possession de quelqu’un qui peut déchiffrer son mystère, et qui ne se laisse
pas soumettre à sa méconnaissance. Son père n’en dit Rien. Peut-être qu’elle s’inquiète pour Rien ?
La lettre d’Evelyne est probablement innocente, mais dès lors qu’elle s’inquiète, ce n’est pas rien.
De toute évidence, cette lettre était destinée à être volée puisque c’est son adresse qui supposait de
n’en rien savoir. Elle n’était pas là pour être lue dans son message consigné, mais pour être prise et
reprise dans un jeu de déplacements qui la rendait invisible là même où elle se montre et se laisse
capturer. Nous avons déjà vu dans notre description du Tore que ce désir de rien permettait à
Evelyne de garder intact son désir.
247
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 72
Thomas David - 97 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Quel est donc la nature de ce compromettant dans la lettre d’Evelyne ? Lacan rappelle dans
son séminaire « D’un discours qui ne serait pas du semblant » que ce dont la lettre parle - qui nous
paraît évident après avoir travaillé sa véhiculation dans la clinique grâce notamment aux travaux
d’Israël - c’est du phallus. La lettre pourrait s’équivaloir au sujet supposé savoir, il n’en reste pas
moins qu’elle est aussi et avant tout le phallus. Lacan nous dit que la lettre de la Reine se présente
comme un signe de jouissance, en tant que jouissance féminine, se manifestant hors de la loi, dès
lors que la loi sexuelle ne la contient que comme équivalente au phallus : « la lettre en tant qu’elle

est le signifiant qu’il n’y a pas d’Autre,  »248. C’est pour cela que cette jouissance doit être tue

au Roi. La vérité contenue dans la lettre d’Evelyne va donc souffrir de la castration : c’est la dette
implacable renforcée par sa frustration qui met Evelyne dans une totale dépendance quant à sa non-
apparition aux yeux de l’Autre. « C’est le phallus par défaut, qui fait le montant de la dette
symbolique : compte débiteur quand on l’a, - quand on ne l’a pas, créance contestée. »249. Car le
phallus, que l’on soit homme ou femme, c’est ce qui nous châtre. On peut dire qu’Evelyne
s’identifie à la lettre, en tant qu’elle est la jouissance féminine, pour dépasser la castration. En
somme le vol de la lettre, du point de vue du phallus, a pour effet de faire de ce signe de la
jouissance de la femme un signifiant en son manque, grâce à quoi elle redevient entièrement
équivalente au phallus. Mais Evelyne reste suspendue à ce refus de la castration, elle n’acceptera
pas de céder sur sa jouissance et préfère maintenir l’Autre châtré en situation d’aveuglement, en se
rendant solidaire d’un semblant, d’une jouissance sexuelle de la lettre.

4. Garder la lettre à portée de main

Evelyne tient à cette lettre comme elle tient à son phallus. Mais tout comme (D), du fait du
non-usage de la lettre qui permet à Dupin de croire que son vol ne sera pas reconnu avant que (D)

ne s’en sente déposséder, elle en vient à l’oublier. Elle l’oublie sous son lit conjugal : . On

y verrait une belle métaphore dans cette double construction métaphorique. Mais quand cette place
est pointée par le clinicien, derrière ce dévoilement, il y a quelque chose qui se « délite » justement.
Elle perd sa fixation métaphorique pour se déplacer métonymiquement en concédant une perte de
sens. En délogeant significativement cette lettre de la place où elle semblait être, elle tente de garder
les cartes en main. Elle retourne sa carte, comme la Reine devant le ministre, se leurrant de pouvoir

248
LACAN (J), «  D’un discours qui ne serait pas du semblant  », Séminaire XVIII, op.cit, p. 108
249
LACAN (J), « Du « Trieb » de Freud et du désir du psychanalyste », in Ecrits, op.cit, p. 853
Thomas David - 98 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
garder ainsi son jeu couvert du regard de l’autre. La panique s’installe chez Evelyne quand je
n’accepte pas cette lettre dans son apparat de semblance, cela lui laisse entrevoir un instant que je
puisse entrevoir au-delà du semblant ce qui se trame aux abords du signifié, et donc j’éveille ses
soupçons.
Au final, elle ne la ramènera plus cette lettre, elle l’a oubliée ailleurs : « Non, je n’ai pas
eu le temps de l’amener, je n’ai pas eu le temps de repasser chez moi. ». En même temps, Evelyne
ne veut pas perdre cette lettre, c’est un danger de l’amener tout le temps aux entretiens, elle
n’aimerait pas devoir y renoncer. Garder les cartes en main, c’est vaincre la castration, c’est ne pas
vouloir perdre.

5. L’automatisme de répétition dans la chaîne signifiante

Dans le séminaire sur la lettre volée, Lacan fait état de l’automatisme de répétition dans les
rapports intersubjectifs ordonnés par le déplacement de la lettre. Il évoque donc deux situations :
l’une qui correspond à un drame sans parole, l’autre jouant sur les propriétés du discours.
L’introduction de la lettre dans le cadre thérapeutique vient rejouer ce drame de l’adresse de la lettre
au père dans le symbolique. La lettre, bien que cachée, n’est jamais que ce qui manque à sa place,
elle est donc soumise à un déplacement régit par la répétition. La répétition, c’est revenir au même,
c’est occuper la place de l’Un.
…Un dessein si funeste
S’il n’est digne d’Atrée, est digne de Thyeste.
La référence de Poe est très subtile. Elle fait référence à l’impardonnable crime qu’a fait
Atrée en égorgeant les enfants de Thyeste et pour les avoir servi à souper à leur père, afin de se
venger de la tromperie de sa femme avec son propre frère. Cette scène n’est en fait que répétition du
crime de Tantale, leur héritage génétique, qui avait servi aux dieux par avarice son fils Pélops à
souper, et dont il avait été condamné au supplice pour cet acte monstrueux. Seul Déméter par
inadvertance avait mangé de ce plat détestable. Cette référence mythique met le principe de
répétition au cœur du drame de la lettre, à travers un déroulement tragique s’étiolant autour d’un
délit hors-la-loi, possiblement transgressif et incestueux, répondant à l’assertion lacanienne : le
signifiant matérialise l’instance de la mort. Nous pouvons noter par ailleurs que cette malédiction,
ce dessein si funeste, cessa par l’introduction de la loi symbolique, par le tribunal d’Athéna avec les
Euménides. Le théâtre de la lettre d’Evelyne rejoue cette scène première : l’immonde corps sans
nom de la mère, tel Déméter mangeant la chair, mettant le sujet face à sa castration et répétant son
effroi.

Thomas David - 99 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
6. La lettre comme piège du regard 

La lettre telle qu’elle me l’est présentée par Evelyne capte mon attention. Elle piège mon
regard sur cet objet qu’elle charge de tout son désir, et qui nous fait par là même désirer. Déposée
sur ses genoux, ceux-ci pour l’occasion décroisés, la lettre aliène tous ceux qui auraient le malheur
de croire en être en possession. Lacan fait état de trois regards différents dans la lettre volée,
conditionnés par leur place subjective par rapport à la lettre dans les deux scènes du conte. Il s’agit
premièrement d’un regard qui ne voit rien : c’est le Roi. Le deuxième regard voit que le premier ne
voit rien et se leurre d’avoir couvert ce qu’il cache : c’est la Reine puis le ministre. Le troisième
regard, qui de ces deux regards, voit qu’ils laissent ce qui est à cacher à découvert pour qui voudra
s’en emparer : c’est le ministre, puis c’est Dupin.
Dans la présentation de la lettre d’Evelyne, on va retrouver ces trois regards successifs. En
effet, Evelyne se leurre d’avoir couvert ce qu’elle cache en croyant avoir rendu aveugle le clinicien,
par le fait même d’avoir détourné son attention sur l’envers de la lettre. Cependant, elle va se rendre
compte que le clinicien ne tombe pas dans le panneau et elle pourra se sentir volé : « l’un est
aveugle et lui fera rendre les armes. L’autre est lucide, mais éveillera ses soupçons. »250.
L’office de la lettre, c’est d’exiger à quitter sa place pour y retourner circulairement, et ce
sont les sujets pris dans leur intersubjectivité qui prennent la suite. De cette façon, la lettre modèle
leurs êtres au moment où elle les parcourt dans la chaîne signifiante. Cette lettre, sans pour autant
l’accepter, sans pour autant céder sur mon désir, j’en ai été marqué. Je suis de cette façon tombé
dans son piège, aliéné par le bref regard posé, frustré par mon devoir de ne pas la lire. Et je pense
que j’ai bien fait de ne pas lire cette lettre, car je n’aurais pu que me leurrer de posséder un savoir
sur la lettre. Lacan nous dit qu’à passer sur son Ombre, on devient son reflet, c’est son sens qui nous
possède. La lettre nous hystérise et nous renvoie à la plus profonde question humaine qu’est la
castration. Tant qu’on se raccroche à la lettre, on ne peut que se leurrer de ce qu’elle contient.
Qu’est-ce que je fais dans ce mémoire ? J’agis un brin comme le ministre (D) : cette lettre
dont je me suis leurré posséder de par mon regard posé, je la retourne et je change la suscription, j’y
pose une nouvelle adresse : «  le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique ». Bien sûr,
contrairement à la Reine, au ministre et Evelyne, j’essaye de lui apporter du sens alors qu’eux ne lui
donne aucune sens symbolique, ils ne sont que dans la fascination réciproque, dans un rapport
narcissique avec la lettre ; mais il n’en est pas moins certain que cette lettre n’a fait depuis que de se
déplacer. Prenons note par exemple qu’après l’entretien où j’eus de vives réactions de frustration de
la part d’Evelyne pour ne pas avoir lu cette lettre : « Je vais aller mal ce soir. », j’ai voulu me

250
LACAN (J), « Le séminaire sur « la lettre volée » », in Ecrits, op.cit, p. 41
Thomas David - 100 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
décharger de ce lourd fardeau en séminaire d’analyse de la pratique en exprimant mon désarroi face
à cette lettre refusée et frustrante, mais inconsciemment tant désirée. Est-il étonnant que le groupe
de jeunes femmes à qui j’en avais parlé dans ce groupe m’ait répondu, presque à l’unanimité, que
j’aurais du lire cette lettre ? Je devais savoir comme elles voulaient savoir ; dans les semaines et les
mois qui suivirent, ces mêmes personnes, chacune après l’autre, sont venues m’interpeller afin de
savoir quel avait été le devenir de cette lettre. C’est bien de l’énigme de la féminité dont il est
question ici : la frustration ravive la castration, la coupure. Nous sommes tous subjugués par la
lettre parce que c’est le corps de la femme, c’est du réel, et comme il ne peut être mis en mot, on le
symbolise. On va s’identifier à la lettre en n’y imposant notre propre sceau, pour nous représenter,
mais tous nos gages virils ne pourront que nous échapper devant « l’odor di femina »251.
C’est aussi propre à l’hystérique, nous l’avons vu dans la clinique d’Evelyne, que de mettre
un autre face à sa castration. Elle demande à un sujet-supposé-savoir un savoir sur la lettre, mais un
savoir qui ne pourra que se leurrer d’avoir. Accepter cette lettre aurait pu avoir comme conséquence
soit d’occuper cette place d’aveuglement, soit de dénaturer le sens émis par Evelyne. Evelyne ne
veut pas me proposer la lettre à la lecture, mais elle veut et ne veut pas que je la subtilise devant ses
yeux. Elle me met donc, comme la Reine à son ministre, en position de maître absolu : capable de
tout ; mais qui pour Lacan relève fatidiquement d’une position de faiblesse absolue. La police ne
peut trouver la lettre, car elle se leurre derrière une technicité et un savoir préétabli sur la lettre. Ce
que l’hystérique recherche, c’est justement que l’Autre ne puisse mettre la main sur la lettre, qu’il
reste châtré, car elle seule se doit de se leurrer d’en être en possession pour en jouir.

7. C’est la possession de la lettre qui implique son déplacement

Poe nous rappelle que c’est le fait de la possession qui permet l’ascendant et non l’usage.
« Avec l’usage, l’ascendant s’évanouit »252. C’est bien la possession du phallus chez l’Autre qui
serait contestée dans le rapt de la lettre. Evelyne pourrait se dire : si mon père ne veut pas de la
lettre, si le clinicien n’en veut pas non plus, c’est qu’ils n’en ont pas besoin, c’est qu’ils l’ont déjà,
ce phallus, pour ne pas en saisir les effets de sa perte. On remarque que dans la lettre volée les
craintes de la Reine ne convergent que contre la possession de la lettre par (D), et sont un peu
exagérées, voir quelque peu paranoïaques : elle suppose la possession chez un autre, dont l’usage
mettrait un terme à son illusion et à son désir ; mais si (D) utilise la lettre, il perdrait son ascendant

251
LACAN (J), « Le séminaire sur « la lettre volée » », in Ecrits, op.cit, p. 35
252
POE (E-A), «  La lettre volée  », traduit par C. Baudelaire, Ed.« Ebooks libre et gratuit », 2003, p. 8
Thomas David - 101 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
sur la Reine, il pourrait de même être révoqué par le Roi pour avoir tenu le secret si longtemps et
avoir fait chanter la Reine. Peut-être que le désir caché de la Reine est qu’il l’utilise ?
A partir de tous ces exemples, nous pouvons dire que dans le transfert vient se rejouer la
question du phallus en fonction de sa circulation : ce phallus que tout le monde croit avoir. Il suffit
de s’en tenir à la lettre volée pour se rendre compte que le phallus est un pur signifiant et que
personne ne peut s’en prévaloir. Il ne fait qu’articuler le désir dans ses rapports symboliques. Si le
clinicien recherche la lettre, il ne viendra que défendre la position du phallus chez Evelyne : tout
comme le ministre, dont la police est sa défense.
Lacan nous dit que la lettre peut changer de main, peut circuler, car la responsabilité de
l’auteur de la lettre passe au second rang de celui de qui la détient. A chaque fois qu’on se croit
porteur du phallus, on se fourvoie, donc il est important pour le psychologue d’accepter la
castration, d’imaginer que la signification comme telle n’est jamais là où on croit qu’elle doit être.
L’hystérique fait circuler les places, elle nous renvoie en tant que possesseur de la lettre, pour après
nous « plumer le derrière ».

La lettre d’Evelyne sera et ne sera pas là où elle est, où qu’elle aille, car on ne peut la fixer,
elle est toujours en circulation. Ce « manquer-à-sa-place » profile le jeu du déplacement : là où
l’intervention du clinicien déloge la lettre de sous le lit, la lettre se voit détournée, quitte à faire
retour circulairement pour rentrer dans l’ordre aveuglant de la loi, et ainsi déterminer les sujets dans
leurs actes en fonction de la place que vient occuper ce signifiant pour eux.
Lacan nous dit que le désir est à prendre à la lettre, justement car le désir met à distance le
phallus, l’objet de son désir. C’est par la fonction de la métonymie que le sujet laisse intact le lieu
où est inscrit le a. Le circuit symbolique de la lettre vient mettre en forme l’Un-en-moins, en ceci
que l’Autre doit être barré par la castration.

253

8. La lettre porte l’énigme de la féminité

253
LACAN (J), D’un Autre à l’autre, Séminaire XVI, Paris, Le Seuil, 2006, p.248.
Thomas David - 102 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
La jouissance féminine est donc posée comme une énigme dans ce circuit de la lettre.
Toute la problématique d’Evelyne est d’être en question quant à la jouissance de la femme, elle
suppose que la femme sait ce qu’elle veut, au sens où elle le désirerait, c'est-à-dire qu’elle aurait cet
Un-en-plus, le savoir-ce-qu’il-veut. La structure du récit de la lettre volée est elle aussi amenée
comme une énigme, une enquête policière. La circulation des places vient en sorte masquer le
crime, poser un semblant. Evelyne ne dit rien de la vérité de la lettre, de son désir de refaire qu’Un,
mais on sait qu’elle est coupable, sinon elle ne viendrait pas consulter, elle ne serait pas souffrante.
Elle préfère ainsi garder son secret car il est parfois nécessaire à la paix conjugale nous dit Lacan.
Elle ne veut pas renoncer au phallus, elle ne veut rien savoir de sa vérité en fin de compte : « le
problème ne se pose plus ». Il y a donc un certain rapport entre la vérité et la lettre, pour autant que
le désir y soit impliqué. L’effet de la vérité sur le désir n’est rien d’autre qu’une obligation de passer
par l’écriture, par le défilé métonymique, sans que pour autant le désir se vérifie dans la lettre.

9. Dupin analyste ?

Lacan nous présente Dupin comme un super poète qui, d’une certaine place où il est, peut
en mettre plein la vue en voilant et dévoilant le secret de la lettre volée. Pouvons-nous dire que
Dupin prend fonction d’analyste ? Il est vrai qu’il y a plusieurs rapprochements possibles à faire.
Dans l’œuvre de Poe, Dupin nous est présenté comme un prototype, une personne chez qui on vient
consulter. Ce serait en quelque sorte un personnage atopique, car, comme nous le montre la
première partie du conte, il ne répond que sous forme d’énigme : tellement à l’opposé du savoir que
lui suppose M. G, et qui amène M. G à s’esclaffer devant ce qu’il prend pour des inepties. Dupin
préfère aussi consulter dans les ténèbres, comme pour marquer un retour aux origines. Pourtant, il a
fait exactement la même chose que le ministre : il a identifié les deux regards, décortiqué leurs
personnalités, pour que d’une illusion de regard (lunettes vertes) il puisse soustraire au ministre son
précieux.
La plus grande différence avec l’analyste, c’est que Dupin ne ramène pas la lettre à
destination ; il ne la fait pas parvenir à son adresse, c'est-à-dire à la place occupée par le Roi, le
sujet, puisque c’est là qu’elle devait rentrer dans l’ordre de la loi. En remettant la lettre à la reine,
par l’intermédiaire de (G), il met fin au questionnement sur le sens de la lettre, le crime reste
impuni. Il est vrai qu’elle arrive à une certaine destination, mais elle n’arrive que chez ceux qui ne
peuvent rien comprendre. En effet, il préfère céder à son désir de voir (D), dont il gardait déjà
quelques griefs, puni de son crime pour avoir voulu profiter du délit de la Reine. D’ailleurs, Lacan

Thomas David - 103 -


Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
nous dit que Dupin éprouve de la rage de nature féminine. Sa personnalité était déjà bien
hypertrophiée, de son arrogance et de sa confiance en lui tel un Hercule Poirot, qu’il ne lui en fallut
pas moins pour tirer profit de la restitution de la lettre à la police, soumettant de manière fallacieuse
à (G) de prendre conseil à tout prix. Il y a donc une discordance entre les remarques, les méthodes
de Dupin et la manière dont il intervient. Il n’a pas su se retirer du circuit symbolique, trop captivé
peut-être par le signifiant de la Reine. Il laisse donc en guise sur l’envers de la lettre ses mots de
rancune : «  Un dessein si funeste… »  ; Dupin en jouit, car cette chaîne répétitive n’est que jouis-
sens.
Est-ce qu’en la livrant à la police, la lettre en a-t-elle perdu de sa valeur signifiante ? Avec
l’usage de la lettre se dissipe son pouvoir. Pour l’hystérique Reine (supposons le ici), Dupin a bien
joué le maître soumis à sa cause car c’est « la plus parfaite castration qui est là démontrée. Tout le
monde est également cocu, et personne n’en sait rien. »254. La lettre risque de devenir sans
importance, elle a perdu de sa signification.

10. Le destin de la lettre

L’exemple de Dupin nous démontre bien qu’il est essentiel pour le psychologue de se
retirer du circuit symbolique de la lettre. Malgré mes quelques erreurs de positionnement dans ce
suivi, je n’ai pas cédé sur cette question. Pour ne pas éluder la question de la castration dans le
transfert, il faut ne pas intervenir, et s’en tenir à la place de la lettre. Le secret que contient la lettre
est indéfendable - la thérapie n’est d’ailleurs pas là pour cela – il s’agit plutôt d’accepter cet
insupportable fait. La rémunération comme l’envisage Dupin, à contrario du prix de la consultation
pour Evelyne, n’a pas pour effet de réduire la Reine à sa division, seul le représentant de la Loi en
sera marqué.
Je me permets de faire l’hypothèse que la lettre d’Evelyne est toujours en route, toujours en
souffrance certes, mais en route vers son père. Ce n’est pas par hasard si elle se rapproche
soudainement de son père, avec autant de charge affective. Ce qui s’est traduit dans la scène du
transfert a ravivé la lettre à sa destination, car ce que nous apprend Lacan, c’est qu’une lettre arrive
toujours à destination. Aurait-il été de bon ton d’interpréter de suite la lettre ? A la fin de ce
séminaire, Lacan nous dit que l’émetteur reçoit du récepteur son message sous sa forme inversée.
Serait-ce cela l’interprétation à donner au patient ? Pour que l’interprétation tienne dans le
symbolique, il faut que ce soit le patient qui en vienne à l’élaborer. A partir du moment où Dupin
retranscrit le message de la lettre en lui donnant un certain sens, le sien, il ne peut que s’écarter du
254
LACAN (J), «  D’un discours qui ne serait pas du semblant  », Séminaire XVIII, op.cit, p. 104
Thomas David - 104 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
message renvoyé par la Reine, ce qui ne pourra avoir comme effet que de l’annihiler. Il faut donc
être très prudent à ne pas annihiler son désir, à ne pas désigner trop hâtivement la lettre comme
objet de son désir, pour garder un peu de semblance afin que la vérité sur la castration puisse
s’élaborer.
Pourtant, est-ce que l’ignorance du texte de la lettre ne fait pas aussi le jeu du
refoulement ? On sait bien que la lettre qui circule, de par son inscription inconsciente, fonctionne à
la façon d’un refoulé qui détermine la structure, et c’est bien la levée du refoulement qui est attendu
dans un travail psychothérapeutique. La coupure pour la coupure serait obsolète si elle n’était là que
pour couper la parole.

Le transfert a structure de fiction, c’est pourquoi j’ai suivi la circulation de la lettre volée
dans le conte de Poe ; il n’y a pas grande différence entre ce que la Reine ressent pour le ministre et
ce qui se passe dans le transfert avec Evelyne. Il s’agit d’un amour entre la Reine et (D) : de
l’amour à la haine (le seul sentiment lucide pour Lacan), il n’y a qu’un pas. Si on ne parle pas du
Duc de S., c’est parce qu’ici s’écrit une nouvelle histoire d’amour. C’est l’amour de transfert qui va
permettre à Evelyne de réécrire sa vérité sur le rapport sexuel. La vérité, c’est justement ce qui
s’origine, s’énonce et s’institue dans une structure de fiction.
Nous l’avons vu par l’arrêt de la thérapie, Evelyne laisse cette énigme en suspens - comme
disait Freud pour Dora, « un certain résultat ayant été obtenu » 255 - elle ne s’abandonne pas au don
de la lettre. Son désir, elle n’y renonce pas, mais accepte d’entendre que cela peut s’arrêter un jour.
Il y a donc dans le besoin de faire circuler la lettre une attente de quelque chose qui viendrait au
bout, mais qui ne vient pas. Ce renoncement n’est pas en entier à mettre sous la responsabilité, la
volonté du clinicien, puisque nous ne sommes que les pourvoyeurs de quelque chose qui ne nous
appartient pas, « nous qui nous faisons les émissaires de toutes les lettres volées qui pour un temps
au moins seront chez nous en souffrance dans le transfert. »256

255
FREUD (S), « Dora », in Cinq psychanalyses, op.cit, p. 5
256
LACAN (J), « Le séminaire sur « la lettre volée » », in Ecrits, op.cit, p. 37
Thomas David - 105 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

Conclusion

La réflexion à l’œuvre dans cette recherche a permis d’expliquer la clinique présentée par
Evelyne, comprendre pourquoi la « pathologie hystérique » s’étaient constituée et quels processus
inconscient étaient engagés dans un certain type de discours. En effet, dans l’hystérie, on parlera
plus facilement d’un discours hystérique plutôt que d’une structuration hystérique. Nous avons donc
questionné la position subjective de la patiente afin de mettre en exergue certains processus
identificatoires.
Nous avons conclu de notre travail qu’il s’agissait pour Evelyne d’une problématique qui
tournait autour de la castration. La métaphore paternelle n’a pas tenu son rôle de séparateur entre la
mère et Evelyne, sur le corps de la mère, ce qui suppose que le signifiant phallique n’a pas été élevé
au domaine de l’avoir, c'est-à-dire porté en tant qu’objet de don chez elle. L’assomption de la
métaphore paternelle a été entravée lors de son trajet symbolique en raison sans doute d’une
séduction ratée avec le père (absence, distance…) et d’une médiation peu soutenue dans le discours
maternel. On a donc supposé face à la clinique que la patiente s’identifiait à l’objet du désir de sa
mère, le phallus, par choix d’objet d’homosexuel sous forme d’identification en miroir pour obtenir
de la mère une réparation quant à la castration. Cette position d’objet du désir de l’Autre n’est
cependant pas tenable chez elle, car la réactivation de la fusion œdipienne provoque répulsion et
angoisse. Elle voile ainsi son désir inconscient par un glissement métonymique sur d’autres femmes
(« les groupies »), ou aborde l’objet par identification à l’autre sexe par procuration. Elle veut ainsi
signifier ne pas vouloir être exclue de la chaîne symbolique du don.
C’est cette prégnance de la coupure avec la mère, avec l’image du corps de la mère, qui est
à l’origine des coupures successives dans la clinique d’Evelyne, comme par exemple entre une
désaffection du corps génital (frigidité) et une phallicisation du corps non génital (décolleté…).
C’est donc dans un semblant que le phallus est porté à l’adresse du clinicien, par la nécessité de
dire d’une manière masquée ce phallus permettant de border la jouissance phallique et possiblement
pour elle de résoudre l’énigme de la féminité. Evelyne va donc avoir besoin d’un théâtre, du cadre
clinique notamment, pour récréer la coupure qui l’angoisse et qu’elle souhaite maîtriser. Dans le
transfert, elle est suspendue au clivage existant entre la demande et le désir, de sorte que l’objet de
son désir ne peut jamais être en adéquation avec la demande adressée au lieu de l’Autre, ce qui veut
dire que la demande d’amour aura toujours un effet insatisfaisant. C’est son désir insatisfait, son
désir de rien qui a circulé dans le transfert, voilé derrière une séduction et un piège du regard afin de

Thomas David - 106 -


Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
jouir de la désacralisation du maître, afin de s’assurer qu’il reste bien châtré. C’est aussi dans la
recherche d’un savoir, sur la thérapie et sur elle-même, qu’elle vient mettre le sujet supposé-savoir
en position d’impuissance quant à sa recherche d’une vérité sur la castration et sur la jouissance
féminine.
La confrontation à la vérité sur la castration provoque bien des résistances, nous l’avons
vu, quand le sujet réfute cette division. Evelyne l’exprime fort judicieusement quand elle dit qu’il y
a deux personnalités en elle-même, une qui ressentirait le désir de guérir et une autre qui ne voudrait
pas renoncer à une part de sa jouissance. Le clinicien apporte la coupure par ses silences, fait
ressurgir des frustrations qui viennent fragiliser la barrière érigée sur la signification.
L’impossibilité de se rendre maître d’une volonté sur le désir a amené Evelyne à produire
symboliquement le « meurtre du père », sollicitant le clinicien aux mêmes frustrations, en le défiant,
par une réactualisation dans le transfert du refoulé qui se déplace métonymiquement sur le cadre
thérapeutique. Evelyne ne veut pas ce qu’elle désire, ce qui entraîne une contradiction entre ce qui
brille du grand-vouloir maternel et sa position de sujet désirant.
L’argument principal dans ce mémoire est de dire que la vérité ne peut s’évoquer
seulement que dans une situation d’alibi, à travers une structure de fiction. C’est pourquoi la
dimension de la lettre d’Evelyne, comparativement à la situation de « la lettre volée » de Poe,
s’avérait pertinente pour mettre en jeu le déplacement du signifiant phallique dans le transfert avec
un sujet hystérique, pour comprendre comment on pouvait être saisi dans le contre-transfert quand
ce signifiant pointait à notre regard, et quel sentiment d’impuissance cette position de maître
renfermait. La lettre cristallise en effet la question posée par l’hystérique sur l’énigme de la
féminité, fait circuler les places et le signifiant pour une mise en forme de l’Un-en-moins, dans une
adresse au clinicien afin de se répéter et au final d’échoir à sa signification, car le phallus n’a valeur
de vérité que de rester voilé. Ainsi, le vol de la lettre peut être vu comme la découverte, et son refus
pour Evelyne, que le rapport sexuel n’existe pas - c’est une fiction, un semblant - et qu’Evelyne ne
peut se dire toute devant le phallus.
Ainsi le signifiant, que nous avons développé en filigrane dans ce mémoire, repose chez
l’hystérique à être pris, pourrions nous dire, à la lettre. Evelyne, derrière le semblant qu’elle impose,
prend la dimension du phallus comme totalité au point de s’en résumer. Pourrions-nous dire aussi
qu’elle se terre derrière ce masque pour pouvoir mieux en jouir ? L’importance de ce signifiant dans
le transfert confirme bien sa valeur symbolique dans l’inconscient ; tel un objet a : autant pierre de
rebut que pierre d’angle.
Lacan nous dit que le désir est à prendre à la lettre, bien que d’une certaine façon nous n’en
savons que trop peu sur ce désir : l’inconscient est le sens du discours qui n’est pas dit et le désir du
Thomas David - 107 -
Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
sujet est le désir de l’Autre. La « femme » peut cependant rajouter le « sachant » tandis que
l’hystérique, en quelque sorte, prend cette lettre au premier degré. Mais, « oui », il faut prendre ce
désir à la lettre, tout le travail clinique du psychologue est ici là amoncelé, c'est-à-dire qu’il faut
porter la vérité de l’inconscient en dehors du champ de méconnaissance du moi : au sujet. Dans ce
mémoire, nous sommes partis des dires de ce qui ne peut être dit en première instance - car
l’inconscient est structuré comme un langage - à partir d’une unité linguistique que Lacan appelle
l’instance de la lettre, qui manifeste son message sous la forme de la métaphore et de la métonymie.

Ce travail avec cette patiente a été très formateur pour ma pratique. Je me suis rendu
compte notamment de l’importance des entretiens préliminaires, autrement dit de l’entretien
d’analyse de la demande. J’aurais du être plus précis quant au type de travail à effectuer avec cette
patiente, plus alerte quant à son implication de départ, éviter les « non-dits » sur la rémunération. Je
me suis rendu compte que je m’étais posé plus en tant qu’ « analyste » - sans garantir véritablement
une telle pratique - plutôt qu’en tant que « thérapeute ». J’attendais plus ou moins de sa part une
cession de jouissance, alors que dans le processus psychothérapeutique chez l’adulte on ne peut
s’attendre certainement qu’à un déplacement du mode de satisfaction par l’émergence de signifiants
nouveaux. Et c’est sans doute ce qui est arrivé : « Je me suis réconcilié avec mes souvenirs, je me
les suis approprié de manière positive », elle repart soulagée du cadre thérapeutique, les nouveaux
signifiants sont plus légers que les anciens. Dans cette configuration, on peut dire que cette
psychothérapie est après tout une réussite. Pour mieux estimer le refus de céder sur sa jouissance, il
aurait fallu interroger cette question du paiement symbolique, l’interpréter.
Guérir pour Evelyne (disparition des symptômes), c’est en quelque sorte s’opposer au
processus analytique, « c’est pouvoir rester malade de la forme qui nous rend le monde
habitable. »257, c’est trouver des formes plus acceptables qui ne la contraignent pas à céder sur sa
jouissance.

Cette rencontre clinique a été très riche, très instructive, demandant une activité réflexive
intense et constante sur le contre-transfert. Je pense que l’on peut dire en effet que l’on apprend
beaucoup plus au devant de ses erreurs, et de plus, l’hystérique nous pose devant nos propres
limites. Israël nous dit que l’hystérique permet de lever le voile sur ce qui ne va pas dans notre
société, d’apporter une refente (libération des femmes, nous rendent moins machistes donc moins
racistes…) : « Nous méconnaissons qu’à côté de ses symptômes, l’hystérique possède le revers de
257
VILLA (F), « La personne du psychanalyste : obstacle à la remémoration, une résistance à accéder à l’au-delà du
principe du plaisir », in Cliniques méditerranéennes, n°67, 2003, p. 188

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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
ses symptômes. Il y a une générosité hystérique qui revendique la « guérison » non seulement pour
elle mais pour l’entourage. »258. L’hystérique dérange, il est vrai, sauf quand on la catalogue
psychotique ou qu’on la fige par le biais des psychotropes ; mais par son défi, elle vient revivifier,
nous dit Israël, une société devenue terne de désir par excès d’objet. Selon lui, l’hystérie est une
force révolutionnaire qui représente l’anti-analité dans une société anale. Lacan se proposera de dire
aussi dans son enseignement que «  dans le rapport de l’homme au signifiant, l’hystérique est une
structure primordiale. »259

258
ISRAËL (L), Initiation à la psychiatrie, Paris : Masson, 2003, p. 99
259
LACAN (J), Les formations de l’inconscient, Séminaire V, op.cit, p. 365
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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique

Bibliographie

Œuvre de Sigmund Freud


FREUD (S), BREUER (J), Etudes sur l’hystérie (1895), Paris, PUF, 1978
FREUD (S), « l’étiologie de l’hystérie » (1896), in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 2002
FREUD (S), « l’hérédité et l’étiologie des névroses » (1896), Névrose, Psychose et Perversion, Paris, PUF,
2002
FREUD (S), « La sexualité dans l’étiologie des névroses » (1898), in Résultats, idées problèmes tome I,
Paris, PUF, 1984
FREUD (S), « Mes vues sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses » (1905), in Résultats, idées
problèmes tome I 1890-1920, Paris, PUF, 1984
FREUD (S), « Fragment d’une analyse d’hystérie : Dora » (1905), in Cinq psychanalyses, Paris : P.U.F,
2001
FREUD (S), « Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité » (1908), in Névrose, psychose et
perversion, Paris, PUF, 2002
FREUD (S), « Sur les types d’entrée dans la névrose » (1909), in Névrose, psychose et perversion, Paris,
PUF, 2002
FREUD (S), « La dynamique du transfert » (1912), in La technique psychanalytique, Paris, PUF, 2002
FREUD (S), « Conseil aux médecins sur le traitement analytique» (1912), in La technique psychanalytique,
Paris, PUF, 2002
FREUD (S), « Remémoration, répétition et perlaboration » (1914), in La technique psychanalytique, Paris,
PUF, 2002
FREUD (S), « Le transfert » (1916),, Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1966
FREUD (S), « Point de vue de développement et de la régression étiologique » (1916), in Introduction à la
psychanalyse, Paris, P.B. Payot, 1974
FREUD (S), « Au-delà du principe du plaisir » (1920), in Essais de psychanalyse, Paris, P.B. Payot, 2001
FREUD (S), « L’organisation génitale infantile » (1923), in La vie sexuelle, Paris, PUF, 2002
FREUD (S), « la disparition du complexe d’Œdipe » (1923), in La vie sexuelle, Paris, PUF, 2002
FREUD (S), « Névrose et psychose » (1924), Névrose, Psychose et Perversion, Paris, P.U.F, 2002
FREUD (S), « Le fétichisme »(1927), in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1985
FREUD (S), « Sur la sexualité féminine » (1931), in La vie sexuelle, Paris, PUF, 2002
FREUD (S), « La féminité » (1933), in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris,
Gallimard, 1984
FREUD (S), Analyse finie et analyse infinie (1937), document de travail « Le sac de sel », 1975

Thomas David - 110 -


Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Enseignement de Jacques Lacan

Ecrits :

LACAN (J), Ecrits (1966) ; Ecrits II(1971), Paris, éditions du seuil 


 « Intervention sur le transfert » (1951)
 « Le séminaire sur « La Lettre volée » » (1955, 1966)
 « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud» (1957)
 « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » (1958)
 « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien » (1960)
 « Position de l’inconscient » (1960, 1964)
 « Du «Trieb » de Freud et du désir du psychanalyste » (1964)

Le Séminaire :

LACAN (J), Livre I : Les écrits techniques de Freud (1953-1954), Le Seuil, 1975
LACAN (J), Livre II  : Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse
(1954-55), Paris, Le Seuil, 1978
LACAN (J), Livre III : Les psychoses (1955/1956), Paris, Le Seuil, 1981
LACAN (J), Livre IV : La relation d’objet (1956-1957), Paris, Le Seuil, 1994
LACAN (J), Livre IV : La relation d’objet (1956-1957), version AFI
LACAN (J), Livre V : Les formations de l’inconscient (1957-1958), Paris, Le Seuil, 1998
LACAN (J), Livre VI : Le désir et son interprétation (1958-1959), version AFI, inédit
LACAN (J), Livre VII : l’éthique de la psychanalyse (1959-1960), Paris, Le Seuil, 1986
LACAN (J), Livre VIII : Le transfert (1960-1961), Paris, Le Seuil, 1991
LACAN (J), Livre IX : L’identification (1961-1962), inédit
LACAN (J), Livre X : L’angoisse (1962-63), Paris, Le Seuil, 2004
LACAN (J), Livre X : L’angoisse (1962-1963), version AFI
LACAN (J), Livre XI : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1963-1954), Paris,
Le Seuil, 1973
LACAN (J), Livre XII : Problèmes cruciaux pour la psychanalyse (1964/1965), inédit
LACAN (J), Livre XIII : L’objet de la psychanalyse (1965/1966), version AFI, inédit
LACAN (J), Livre XV : L’acte psychanalytique (1967-1968), inédit
LACAN (J), Livre XVI : D’un Autre à l’autre (1968/1969), Paris, Le Seuil, 2006
LACAN (J), Livre XVI : L’envers de la psychanalyse (1969-1970), Paris, Le Seuil, 1991
LACAN (J), Livre XVII : D’un discours qui ne ferait pas du semblant (1971), Paris : Le Seuil, 2006
LACAN (J), Livre XIX : …ou pire (1971/1972), inédit
LACAN (J), Livre XX : Encore (1972-1973), Paris, Le Seuil, 1975

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Le signifiant pris à la lettre dans le transfert hystérique
Autres ouvrages

ANDRES (M), « Signifiant », in L’apport freudien, sous la direction de P. Kaufman, Paris, Bordas
ANDRE (S), Que veut une femme ?, Paris, Le Seuil, 1995
ASSOUN (P-L), Freud et la femme, Paris, Calmann-Lévy, 1983
HAMILTON (E), La mythologie, Paris, Marabout, 1978
HAMON (M-C), Pourquoi les femmes aiment-elles les hommes ?, Paris, Le Seuil, 1992
HANUS (M), LE GUILLOU-ELIET (C), Psychiatrie intégrée de l’étudiant tome II, Paris, Maloine
S.A, 1974
ISRAËL (L), L’hystérique, le sexe et le médecin, Paris, Masson, 1983
ISRAËL (L), La jouissance de l’hystérique, Paris, Arcanes, 1996
ISRAËL (L), Initiation à la psychiatrie, Paris, Masson, 2003
NASIO (J-D), L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, Paris, Payot, 200
NASIO (J-D), Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan, Paris : P.B Payot, 200
POE (E-A), «  La lettre volée », traduit par C. Baudelaire, Ed.« Ebooks libre et gratuit », 2003
La pratique de la philosophie de A à Z, Paris : Hatier, 2000

Articles de périodiques et de revues

RICHARD (F), « Métaphoricité du signifiant et sémantique cognitive », in Revue international de


psychopathologie, PUF, n°9, 1993
WACHSBERGER (H), « Fonction des entretiens préliminaires », Chapitre « Sur le signifiant du
transfert », in Ornicar, Ed. Navarin, n°33, 1985
KLOTZ (J-P), « Devenir psychanalysant », Chapitre « Sur le signifiant du transfert », in Ornicar,
Ed. Navarin, n°33, 1985
MILLER (D), « Les trois transferts », Chapitre « Sur le signifiant du transfert », in Ornicar, Ed.
Navarin, n°33, 1985
VILLA (F), « La personne du psychanalyste : obstacle à la remémoration, une résistance à accéder à
l’au-delà du principe du plaisir », in Cliniques méditerranéennes, n° 67, 2003
MONETTE (L), « le processus contre-transférentiel comme travail de deuil », in Philosophique,
vol. 4, n°2, octobre 1977
URTUBEY (L), « Le travail du contre-transfert », in Revue française de psychanalyse, numéro
spéciale, 1994

Thomas David - 112 -


Résumé et mots clés
Dans ce mémoire, nous évoquons le déplacement du signifiant phallique dans une structure
de fiction, c'est-à-dire dans le cadre thérapeutique proposé par le stagiaire psychologue. Dans un
premier temps, nous faisons état du diagnostic de névrose hystérique pour cette patiente, puis nous
observons où se cristallise la problématique hystérique, ainsi que les processus identificatoires en
lien avec le signifiant phallique : identification narcissique à la mère, identification par procuration
aux hommes. Le désir de refaire Un avec la mère, forcément impossible pour le sujet névrosé
(divisé), provoque autant d’insatisfaction que d’angoisse, car c’est la vision du corps réel de la mère
(sans signifiant) qui pose énigme à l’hystérique. Nous pouvons dire d’une manière globale que le
sujet hystérique est « trop » divisé : suspendue au clivage existant entre les zones génitales et non-
génitales, entre le désir et la demande, entre la volonté et le désir, entre son désir de guérir et ses
résistances à la thérapie. Notre patiente avance donc le transfert en maintenant fermement la
dimension du semblant, du voile, sur le phallus qu’elle prend, si l’on peut dire, à la lettre : tel un
reste de jouissance à laquelle on ne peut renoncer. Ce non-dit, ce vouloir dans ce qui ne serait être
que du semblant inspire chez la patiente l’écriture d’une lettre et son déplacement dans le transfert,
dont le trajet vient marquer d’impuissance ceux qui se croient en être possesseur quand elle est prise
au pied de la lettre.

In this dissertation, we refer to the displacement of the phallic signifier into a fiction
structure that is to say into the psychotherapeutic framework offered by psychologist student. At
first, we mention the diagnosis of hysterical neurosis for this patient, and then we notice where
crystallize the hysterical problems, as well as identification processes to link with phallic signifier:
narcissistic identification to the mother, identification by proxy to the men. The wish to do again
One with the mother, out of necessity impossible for (divided) neurotic subject, causes so much
discontent as anxiety, because that is the vision of the real body of the mother (while meaning)
which puts down mystery in the hysterical. We can say in a total way that hysterical subject is "too
much " divided : stroked by in the splitting existing between the genital and non-genital zones,
between wish and demand, between will and wish, between her wish to recover and her resistance
to therapy. Our patient moves forward the transference therefore in now firmly the dimension of
semblance, veiled, on the phallus which she takes, so to speak, to the letter: such a rest of
jouissance which we can’t to give up. This unvoiced feeling, this will in what would be that
semblance determines inspire to this patient the writing of a letter and its displacement in the
transference, with that itinerary comes to mark of powerlessness those which thinks to be owner
when it is literally taken, to the letter.

Mot clés: hystérie, signifiant phallique, métaphore, métonymie, demande, semblant,


transfert, désir, résistance, jouissance, castration, Spaltung, répétition, frigidité, la lettre.

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