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Dramé Patrick. Une construction identitaire dans l’Afrique postcoloniale : le projet d’États-Unis d’Afrique chez Diop et
Nkrumah. In: Outre-mers, tome 100, n°378-379,2013. Les territoires de l’histoire antillaise. pp. 295-312;
doi : https://doi.org/10.3406/outre.2013.5017
https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2013_num_100_378_5017
Patrick DRAMÉ
techniques et industriels d’un futur État fédéral d’Afrique noire 11, dans
lequel la restauration de la conscience historique africaine (chapitre 1),
son unité culturelle (chapitre 2) et ses nombreuses potentialités indus-
trielles (deuxième et troisième parties) autorisent et rendent indispen-
sable l’édification d’un État fédéral africain 12. Avec le constat de
l’échec des politiques de développement, Diop réaffirme ses concep-
tions historiques et panafricaines précédemment développées 13.
La trajectoire et la contribution de Kwame Nkrumah, premier
président du Ghana indépendant (1957-1966) et l’un des pères fonda-
teurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ressemblent par
certains aspects à celles de Diop. Après avoir fréquenté l’école des
missionnaires, puis le fameux Achimota College en 1927, Nkrumah
poursuit sa formation entre les États-Unis et Londres 14. Ce séjour
outre-mer fut le lieu d’une imprégnation du syndicalisme étudiant, de
la théorie marxiste et des idéaux panafricains et anticoloniaux. Dans
l’introduction et le premier chapitre de son étude maîtresse, Africa
Must Unite, Nkrumah se propose d’abord de revisiter le passé africain,
glorieux mais entaché et bafoué par l’esclavage et le colonialisme.
Reprenant un argumentaire déjà exposé dans sa réflexion intitulée
Towards Colonial Freedom, publiée en 1947, Nkrumah brosse un tableau
plutôt négatif des impacts et des legs socio-politico-culturels du colo-
nialisme en Afrique (chapitres 2 à 5) 15. Il s’attèle finalement dans les
sept derniers chapitres à promouvoir les voies et les moyens indispensa-
bles à l’édification d’une identité supranationale africaine par le biais de
l’unification du continent. Dans Neo-colonialism, the last stage of colonia-
lism publié en 1965, soit cinq ans après la grande vague des indépendan-
ces, Nkrumah appelle à la lutte contre le danger du néocolonialisme et
le système de domination qu’il induit et auxquels l’intégration africaine
serait le seul remède 16.
En définitive, Diop et Nkrumah se rapprochent par leur engagement
nationaliste, anti-impérialiste et panafricain et par leur attachement au
socialisme et au non-alignement. Cependant, si Nkrumah offre une
lecture exhaustive du fait colonial et du néocolonialisme, Diop, sans
11. Cheikh Anta Diop, Les fondements culturels, techniques et industriels d’un futur État
fédéral d’Afrique noire, Paris, Présence africaine 1960.
12. Diop a consacré d’autres travaux à l’étude du passé et des civilisations africains :
L’Unité culturelle de l’Afrique noire, Paris, Présence africaine, 1959 ; L’Afrique noire précolo-
niale, Paris, Présence africaine, 1960 ; Antériorité des civilisations négro-africaines, Paris,
Présence africaine, 1967.
13. Cheikh Anta Diop, Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique
noire, Paris, Présence africaine 1974 et Civilisation ou barbarie : anthropologie sans complai-
sance, Paris, Présence africaine, 1981.
14. Nkrumah fut étudiant et enseignant à Lincoln University et à l’Université de
Pennsylvanie. Il prit aussi part à l’organisation du congrès panafricain de Manchester en
1945.
15. Kwame Nkrumah, Towards Colonial Freedom. Africa in the struggle against World
Imperialism, London: Heinemann, 1962.
16. Kwame Nkrumah, Neocolonialism, the last stage of colonialism, London: Heinemann,
1965.
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Il convient de relever le fait que Diop aborde les méfaits des colonia-
lismes dans le but de replacer l’Afrique dans le cours d’une histoire
universelle qu’il juge « falsifiée » et « stoppée » par l’intrusion coloniale.
Diop propose à cet effet un changement de paradigme : il ne s’agit plus
de traiter de la « stratification des civilisations successives » mais de
chercher à rétablir la continuité par le biais du rattachement d’une
histoire africaine a priori disparate à une origine commune qui est la
vallée du Nil et la civilisation pharaonique. Le colonialisme qui occupe
d’ailleurs une place infime dans la réflexion de Diop est conçu « comme
une suspension du temps qui a tout bloqué (évolutions/échanges), tout
figé (institutions) ... » 25.
Les mécanismes de dépersonnalisation et de dépossession sont abor-
dés par ailleurs de façon plus pertinente par Nkrumah. L’esclavage, qui
a fait de l’Africain « une marchandise vivante » et vidé le continent de
20. François-Xavier Fauvelle, op. cit., p. 38-39.
21. Kwame Nkrumah, L’Afrique doit s’unir, op. cit., p. 21.
22. Cheikh Anta Diop, Nations nègres..., op. cit., Volume 1, p. 52. Diop considère que la
rencontre avec l’Europe intervient dans un contexte de vulnérabilité et d’infériorité
technique de l’Afrique.
23. Diop et NKrumah stigmatisent la part jouée par l’historiographie africaniste
européenne dans la représentation négative de l’Africain.
24. Cheikh Anta Diop, Nations nègres ..., op. cit., p. 53-54.
25. François-Xavier Fauvelle, op. cit., p. 42.
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Conclusion