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Stratégie Donald Sull est maître Rebecca Homkes est Charles Sull

de conférences à chargée de cours au est cofondateur


la Sloan School of Centre for Management et partenaire de
Management du MIT. Development Charles Thames
Il a coécrit avec de la London Business Strategy Partners.
Kathleen M. Eisenhardt School et au Centre for
« Simple Rules: How to Economic Performance
Thrive in a Complex de la London School
World » (Houghton of Economics.
Mifflin Harcourt, 2015).

POURQUOI L’EXÉCUTION
DE LA STRATÉGIE
ÉCHOUE – ET QUELLES
SONT LES SOLUTIONS ?
par Donald Sull, Rebecca Homkes et Charles Sull
1 Harvard Business Review Décembre 2015-janvier 2016
HBRFRANCE.FR

D
ŒUVRE D’ART Yayoi Kusama, Infinity Mirrored Room – The Souls of Millions
of Light Years Away, 2013, bois, métal, miroirs, plastique, panneau acrylique, caoutchouc,
lumières LED et balles en acrylique, 2,87 m x 4,15 m x 4,27 m

epuis les travaux Nous savons que l’exécution de la stratégie est


i­ mportante. Selon une étude récente réalisée auprès de
précurseurs de Michael plus de quatre cents P-DG internationaux, c’est le
­premier défi auxquels les chefs d’entreprise sont
Porter dans les années confrontés en Asie, en Europe et aux Etats-Unis, sur

1980, nous disposons une liste d’environ quatre-vingts thèmes incluant


­l’innovation, l’instabilité géopolitique et la croissance
d’une définition claire du chiffre d’affaires. Nous savons également que l’exé-
cution est difficile. Des études ont montré qu’entre
et largement acceptée deux tiers et trois quarts des grandes entreprises ont

de la stratégie – mais nous en savons du mal à mettre en œuvre leurs stratégies.


Il y a neuf ans, nous avons lancé un projet à grande
beaucoup moins sur la traduction échelle pour comprendre comment les entreprises
complexes peuvent exécuter leurs stratégies plus effi-
d’une stratégie en résultats. cacement. Dans ce cadre, nous avons mené plus de

Les ouvrages et articles consacrés 40  expériences consistant à apporter des changements


dans des entreprises et à en mesurer les effets sur l’exé-
à l’exécution de la stratégie sont bien cution. Nous avons également envoyé un question-
naire à presque 8 000 managers dans plus de 250  firmes
moins nombreux que ceux consacrés (voir l’encadré « A propos de l’étude »). Cette recherche

à la seule stratégie et ils ont tendance est toujours en cours mais offre déjà de précieuses in-
formations, la plus importante étant la suivante : plu-
à se concentrer sur la tactique ou sieurs croyances très répandues quant à la manière de
PAGE CI-CONTRE : YAYOI KUSAMA. AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE DAVID ZWIRNER, VICTORIA MIRO GALLERY, OTA FINE ARTS, KUSAMA ENTERPRISE

mettre en œuvre une stratégie sont tout simplement


à formuler des généralités à partir d’un fausses. Dans cet article, nous faisons tomber cinq

cas particulier. Que savons-nous donc idées reçues parmi les plus pernicieuses et les rempla-
çons par un point de vue plus exact qui aidera les ma-
vraiment de l’exécution de la stratégie ? nagers à exécuter la stratégie de manière efficace.

PREMIÈRE IDÉE REÇUE


Exécuter signifie aligner
Avant de leur soumettre notre enquête, nous avons
demandé à des managers issus de centaines d’entre-
prises de décrire la manière dont la stratégie est exé-
cutée dans leur firme. Leurs réponses brossent un
­tableau relativement homogène : l’exécution consiste
typiquement à traduire la stratégie en objectifs, à
­relayer ces objectifs à tous les niveaux hiérarchiques,
à mesurer les progrès et à récompenser la perfor-
mance. Lorsque nous leur avons demandé comment
ils amélioreraient l’exécution, ils ont cité des outils
tels que le management par objectifs ou le tableau de
bord prospectif, qui sont conçus pour assurer l’aligne-
ment entre les activités et la stratégie, en amont et en
aval de la chaîne de commandement. Dans leur es-
prit, exécuter signifie aligner, et la non-exécution
entraîne une r­ upture des processus qui relient la stra-
tégie à l’action à tous les niveaux de l’entreprise.
Il s’avère cependant que dans la grande majorité
des entreprises que nous avons étudiées, ces ­processus
sont solides. Les études sur l’alignement s­ tratégique
ont commencé dans les années 1950, avec le travail de

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STRATÉGIE

Peter Drucker sur le management par objectifs, et à fois sur trois, ils sont mal gérés, c’est-à-dire réglés
présent nos connaissances sur l’alignement sont avec un certain retard (38% des cas), réglés rapide-
vastes. Nos travaux montrent que les bonnes pratiques ment mais de manière i­ nefficace (14%), ou simple-
sont bien établies dans les entreprises d’aujourd’hui. ment laissés latents (12%).
Plus de 80% des managers déclarent que leurs objec- Même si les managers associent souvent l’exécu-
tifs sont limités en nombre, spécifiques et mesurables, tion à l’alignement, ils reconnaissent toutefois l’im-
et qu’ils disposent des ressources nécessaires pour les portance de la coordination lorsque la question leur
atteindre. Si la plupart des entreprises agissent conve- est directement posée. Lorsqu’on leur demande
nablement en matière d’alignement, pourquoi ont- d’identifier leur plus grande difficulté pour exécuter
elles des difficultés à exécuter leurs stratégies ? la stratégie de leur entreprise, 30% citent le manque
Pour le savoir, nous avons demandé aux per- de coordination entre les unités, juste derrière l’inca-
sonnes interrogées si elles peuvent compter sur les pacité d’assurer l’alignement (40%). Les managers
autres pour honorer leurs engagements – une ma- estiment également que le risque de ne pas atteindre
nière fiable de mesurer si ces engagements sont — leurs o
­ bjectifs de performance est nettement plus lié
effectivement tenus (voir « Promise-Based Manage- à un manque de soutien des autres unités qu’à l’inca-
ment: The Essence of Execution », de Donald N. Sull pacité de leur propre équipe à obtenir des résultats.
et Charles Spinosa, ­édition américaine de HBR d’avril Alors que les entreprises disposent de processus
2007). 84% des m ­ anagers estiment qu’ils peuvent efficaces pour relayer les objectifs à tous les niveaux
toujours ou presque toujours compter sur leur chef hiérarchiques, leurs systèmes de management des
ou leurs collaborateurs directs – un résultat qui objectifs horizontaux manquent de pertinence. Plus
­plairait à Peter Drucker mais qui n’explique pas vrai- de 80% des entreprises que nous avons étudiées sont
ment pourquoi l’exécution échoue. Lorsque nous dotées d’au moins un système formel pour gérer les
posons des questions sur l’engagement dans les fonc- objectifs entre les différents silos (comités interfonc-
tions et les business units, la réponse d ­ evient claire. tionnels, accords inter-services, bureaux centralisés
Seuls 9% des managers déclarent qu’ils peuvent de gestion de projets), mais seuls 20% des managers
­toujours compter sur les collègues des autres fonc- jugent que ces systèmes fonctionnent ­toujours ou
tions et unités, et seulement 50% estiment qu’ils presque toujours bien. Plus de la moitié d’entre eux
peuvent compter sur eux la plupart du temps. De souhaitent davantage de structure dans les processus
­manière générale, l’engagement de ces collègues de coordination des activités entre les unités – deux
n’est pas plus fiable que les promesses des ­partenaires fois plus que ceux qui désirent d­ avantage de structure
­extérieurs (distributeurs, fournisseurs). dans le système de management par objectifs.

Si les managers mettent trop l’accent


sur l’alignement, ils risquent de donner
des réponses de plus en plus compliquées
à ce qui est une mauvaise question.
Lorsque les managers ne peuvent s’appuyer sur DEUXIÈME IDÉE REÇUE
les collègues des autres fonctions et des autres Exécuter signifie s’en tenir au plan
­unités, ils compensent par divers comportements Pour élaborer une stratégie, de nombreux dirigeants
dysfonctionnels qui compromettent l’exécution : ils créent des feuilles de route détaillées spécifiant qui
perdent du temps, ne tiennent pas les promesses doit faire quoi, quand et avec quelles ressources. Le
faites aux clients, ­remettent à plus tard l’obtention de processus de planification stratégique a certes fait
leurs r­ ésultats ou passent à côté d’occasions intéres- l’objet de nombreuses critiques, mais, avec le proces-
santes. Le manque de coordination aboutit aussi à sus de budgétisation, il demeure la pierre angulaire
des conflits entre les fonctions et les unités, et, deux de l’exécution dans beaucoup d’entreprises. Selon le

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L’idée en bref
LE PROBLÈME L’ÉTUDE LES RECOMMANDATIONS
Il existe des milliers d’ouvrages Les dirigeants attribuent la Pour exécuter leur stratégie,
sur la manière de développer mauvaise exécution à un manque les entreprises doivent encourager
une stratégie, mais très peu d’alignement et à une culture la coordination entre les
sur la manière de l’exécuter de la performance insuffisante. unités et instaurer la souplesse
concrètement. Et la difficulté Il s’avère cependant que, dans nécessaire pour s’adapter
d’atteindre l’excellence en la la plupart des entreprises, à l’évolution du marché.
matière est un obstacle majeur les activités sont bien alignées
dans la plupart des entreprises. sur les objectifs stratégiques et
que les personnes qui réalisent
leurs objectifs chiffrés
sont toujours récompensées.

cabinet Bain & Company, qui enquête régulièrement sentent ou d’atténuer les menaces qui émergent
sur les outils de management utilisés par les grandes (29%), soit elles réagissent rapidement mais perdent
sociétés du monde entier, la planification stratégique de vue leur stratégie (24%). De même qu’ils sou-
est l’un des premiers outils cités. Après avoir investi haitent davantage de structure dans les processus de
beaucoup de temps et d’énergie dans l’élaboration coordination, les managers en désirent également
d’un plan et de son budget associé, les dirigeants plus dans les processus utilisés pour s’adapter aux
considèrent tout écart comme un manque de disci- évolutions du marché.
pline qui réduit la valeur de l’exécution. Il existe une solution apparemment facile qui
Malheureusement, aucun diagramme de Gantt ne consisterait à être plus efficace en matière d’alloca-
résiste à la réalité. Aucun plan ne peut anticiper tous tion des ressources. S’il va sans dire que l’allocation
les événements susceptibles d’aider ou de freiner des ressources est cruciale dans l’exécution, le terme
une entreprise dans la réalisation de ses objectifs lui-même est trompeur. Sur les marchés instables,
stratégiques. A chaque échelon, les managers et les l’affectation des ressources financières, humaines et
employés doivent s’adapter à la réalité du terrain, temporelles ne dépend pas d’une décision ponc-
surmonter des obstacles imprévus et exploiter les tuelle : elle exige au contraire des ajustements conti-
occasions qui se présentent. L’exécution de la straté- nuels. Selon une étude réalisée par le cabinet McKin-
gie, telle que nous la définissons, consiste à saisir les sey, les entreprises qui ont redistribué de manière
opportunités qui soutiennent ladite stratégie tout en réactive des dépenses d’investissement entre les
assurant la coordination continue avec les autres business units obtiennent une rentabilité moyenne
­p arties de l’entreprise. Lorsque les managers pour l’actionnaire supérieure de 30% à la moyenne
trouvent des solutions créatives à des problèmes des entreprises qui sont plus lentes à le faire.
imprévus ou qu’ils tirent parti d’opportunités inat- Au lieu de se concentrer sur l’allocation des res-
tendues, ils ­n’entravent pas la mise en œuvre systé- sources (et la notion de choix ponctuels qu’ils y
matique : ils assurent une exécution optimale. mettent), les managers devraient se concentrer sur la
Ces ajustements en temps réel demandent que les redistribution fluide des fonds, des personnes et du
firmes fassent preuve d’agilité. Dans les sociétés que temps. Nous avons observé une tendance parmi les
nous avons étudiées, le manque d’agilité est un obs- sociétés de notre échantillon : les ressources sont
tacle majeur à une exécution efficace. Lorsqu’on leur ­souvent affectées à des utilisations peu productives.
demande quel sera le plus grand défi auquel leur Moins d’un tiers des managers estiment que le redé-
­entreprise se heurtera dans les années à venir en ploiement adéquat des fonds est suffisamment ra-
matière d’exécution de la stratégie, pratiquement un pide dans leur entreprise pour être efficace. C’est
tiers des managers citent les difficultés à s’adapter à encore pire en matière de redéploiement des res-
l’évolution du marché. Ce n’est pas que les entre- sources humaines. Seuls 20% des managers déclarent
prises ne parviennent pas du tout à s’adapter : seul que leur entreprise parvient à transférer des collabo-
un manager sur dix considère que c’est là le pro- rateurs d’une unité à une autre pour soutenir les prio-
blème. Mais, dans la plupart des cas, soit les entre- rités s­ tratégiques. Les autres indiquent que les trans-
prises réagissent t­ ellement lentement qu’elles ne ferts entre unités sont rares (47%) ou, lorsqu’ils ont
sont pas capables de saisir les occasions qui se pré- lieu, qu’ils perturbent les unités (33%).

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STRATÉGIE

Lorsque l’exécution de la stratégie déraille


Ces cinq dernières Nous pouvons nous fier aux Mais la coordination est
années, les auteurs ont personnes dans la chaîne un problème : les collègues
interrogé près de hiérarchique, ce qui suggère des autres unités ne sont
que l’alignement en amont pas plus fiables que les
8 000 managers dans plus et en aval de la hiérarchie partenaires externes.
de 250 entreprises au n’est pas un problème. Part des managers qui déclarent qu’ils peuvent
sujet de l’exécution de Part des managers qui estiment pouvoir toujours ou presque toujours compter sur :
la stratégie. Les réponses toujours ou presque toujours compter sur :

brossent un tableau Leur chef Les collègues des autres départements


relativement homogène. 84 % 59%

Leurs collaborateurs directs Les partenaires externes


84% 56 %

Les entreprises ont également des difficultés à pourraient o ­ btenir d’importantes ressources pour
­ ésinvestir. Huit managers sur dix estiment que leur
d exploiter des opportunités intéressantes sans rapport
firme ne parvient pas assez rapidement à se séparer de avec leurs objectifs stratégiques. Cela peut sembler
ses activités en déclin ou à abandonner les initiatives une bonne nouvelle pour un manager, mais pour une
ratées. Ce gaspillage de ressources qui pourraient être entreprise cela pose problème et conduit à lancer plus
redéployées ailleurs nuit de toute évidence à l’exécu- d’initiatives qu’il n’est possible de soutenir. Seuls 11%
tion. Les désengagements trop lents freinent l’exécu- des managers que nous avons interrogés estiment
tion de manière plus insidieuse encore : les hauts diri- que les priorités stratégiques de leur entreprise sont
geants consacrent trop de temps et d’attention aux dotées des ressources financières et humaines
business à potentiel réduit et y envoient des managers ­nécessaires à leur succès. Un pourcentage frappant
de talent qui se brûlent souvent les ailes en tentant de qui s­ignifie que neuf managers sur dix jugent que
sauver des activités qui auraient dû être abandonnées ­certaines initiatives majeures de leur société vont
ou vendues plusieurs années auparavant. Plus les échouer faute de ressources suffisantes.
hauts dirigeants traînent des pieds, plus ils risquent de A moins de sélectionner leurs opportunités en
perdre la confiance de leurs managers intermédiaires, fonction de la stratégie de l’entreprise, les managers
dont le soutien constant est essentiel à l’exécution. consacreront inutilement du temps et de l’énergie à
Attention : les managers ne devraient pas invoquer des initiatives périphériques, tandis que les plus
le principe d’agilité comme excuse pour suivre toute ­p rometteuses d’entre elles seront privées des
opportunité qui se présente à eux. Nombre d’entre- ­ressources nécessaires à leur succès. L’agilité est
prises de notre échantillon manquent de rigueur stra- ­cruciale en matière d’exécution de la stratégie, mais
tégique lorsqu’elles décident quelles nouvelles op- elle ne doit pas dépasser les limites stratégiques.
portunités suivre. L a moitié des managers ­Autrement dit, la souplesse doit être mise en balance
intermédiaires que nous avons étudiés pensent qu’ils avec l’alignement.

A moins de sélectionner leurs


opportunités en fonction de la stratégie,
les managers consacreront inutilement
du temps à des initiatives périphériques.
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Nous ne nous adaptons pas assez Et nous investissons dans trop


vite aux évolutions du marché. de projets non stratégiques.
Part des managers qui estiment que leur entreprise Part des managers qui estiment que :
est efficace pour :

%
Transférer des fonds entre différentes unités Ils pourraient obtenir des ressources pour
%
pour soutenir la stratégie exploiter des opportunités intéressantes sans
30% rapport avec leurs objectifs stratégiques
51%
Transférer des effectifs entre différentes unités
pour soutenir la stratégie
20% %
Toutes les priorités stratégiques de
Abandonner des activités en déclin leur entreprise sont dotées des ressources
et/ou des initiatives ratées nécessaires à leur succès
22% 11%

TROISIÈME IDÉE REÇUE r­ esponsabilité est très préoccupante, mais c’est en-
Communiquer signifie comprendre core pire ailleurs. Moins d’un tiers des collaborateurs
De nombreux dirigeants pensent que le succès passe ­directs des hauts dirigeants comprennent clairement
par une communication permanente sur la stratégie. les liens entre les priorités de l’entreprise, une part
La P-DG d’une société de services professionnels basée qui tombe à 16% chez les superviseurs de terrain et
à Londres avait pour habitude de réunir son équipe de les chefs d’équipe.
direction en début de mois et de toujours commencer Les hauts dirigeants sont souvent frappés de
par un rappel de la stratégie et des grandes priorités de constater à quel point leur stratégie est mal comprise
l’année. Elle fut ravie d’apprendre dans une enquête dans leur entreprise, car ils estiment passer beaucoup
sur l’engagement des salariés que 84% des membres de temps à communiquer cette stratégie, dans un flux
du personnel étaient d’accord avec l’affirmation : « Je ininterrompu de courriers électroniques, de réunions
comprends clairement les grandes priorités de l’entre- de direction et de rencontres informelles. Or, ce n’est
prise ». Ses efforts semblaient payer. pas la quantité de la communication qui importe :
Son équipe de direction a ensuite répondu à notre presque 90% des managers intermédiaires estiment
enquête, qui leur demandait de décrire la stratégie de que la haute direction communique bien assez. Com-
l’entreprise selon leurs propres termes et d’en énu- ment une communication aussi fréquente peut-elle
mérer les cinq grandes priorités. Moins d’un tiers de générer une compréhension aussi faible ?
l’équipe a pu en citer ne serait-ce que deux. La P-DG Une partie du problème tient au fait que les diri-
fut consternée : elle discutait de ces objectifs à geants évaluent la communication en termes d’inputs
chaque réunion. Hélas, elle n’est pas la seule dans ce (nombre d’e-mails envoyés ou de réunions organi-
cas. Seulement 55% des managers intermédiaires in- sées) et non sur la base du seul indicateur qui compte
terrogés ont pu citer une seule des cinq grandes prio- vraiment, à savoir si les principaux responsables com-
rités de leur entreprise. En d’autres termes, lorsque prennent ce qu’on leur communique. Un problème
l’on demande aux responsables chargés d’expliquer connexe émerge lorsque les dirigeants diluent leurs
la stratégie aux troupes d’énumérer les objectifs stra- messages clés dans des considérations périphériques.
tégiques de leur entreprise, presque la moitié d’entre Dans une société technologique de notre échantillon,
eux ne parvient même pas à en citer un seul. par exemple, les dirigeants ont eu beaucoup de diffi-
Non seulement les objectifs stratégiques sont mal cultés à présenter la stratégie et les objectifs de l’en-
compris, mais ils semblent souvent ne pas avoir de treprise lors du séminaire annuel de la direction. Mais
corrélation entre eux et être déconnectés de la straté- ils ont ajouté onze priorités (différentes des objectifs
gie globale. A peine plus de la moitié des membres de stratégiques), une liste de compétences clés (dont
la haute direction déclare saisir clairement comment l’une assortie de neuf modèles), un ensemble de va-
s’articulent les principales priorités et initiatives de leurs ­corporate et un dictionnaire de vingt et un nou-
l’entreprise. Une telle découverte à ce niveau de veaux termes stratégiques à maîtriser. Pas étonnant

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STRATÉGIE

que les managers présents n’aient pu déceler ce qui Parce qu’une culture qui favorise l’exécution doit
importait le plus. Lorsque l’on interroge les managers reconnaître et récompenser d’autres choses égale-
intermédiaires sur les entraves à la compréhension, le ment, telles que l’agilité, le travail d’équipe et l’ambi-
trop grand nombre de priorités et d’initiatives straté- tion. Or de nombreuses entreprises ne le font pas. Au
giques est quatre fois plus cité que le manque de moment de prendre des décisions de recrutement ou
clarté dans la communication. Les hauts dirigeants de promotion, par exemple, elles attachent beaucoup
participent de cette confusion lorsqu’ils modifient moins d’importance à la capacité d’adaptation d’un
fréquemment leurs messages – un problème évoqué manager à l’évolution de la conjoncture – indiquant
par presque 25% des managers intermédiaires. qu’il a la souplesse nécessaire pour exécuter la straté-
gie – qu’à ses performances passées. Etre agile suppose
QUATRIÈME IDÉE REÇUE d’être prêt à expérimenter de nouvelles choses et de
Une culture de la performance nombreux managers évitent de le faire car ils craignent
favorise l’exécution les conséquences d’un échec. La moitié des managers
Lorsque leur entreprise ne parvient pas à traduire la interrogés pensent que leur carrière en pâtirait s’ils
stratégie en résultats, de nombreux dirigeants exploitaient de nouvelles opportunités ou des innova-
pointent du doigt une culture de la performance in- tions se soldant par un échec. Tenter de nouvelles
suffisante. Mais les chiffres disent autre chose. Il est choses suppose inévitablement des ratés, mais discu-
vrai que, dans la plupart des sociétés, la culture offi- ter franchement des difficultés augmente les chances
cielle (les valeurs fondamentales publiées sur le site de réussite à long terme. Pour autant, les cultures d’en-
Web, par exemple) ne favorise pas l’exécution. C’est treprise encouragent peu les discussions franches né-
lorsque les managers font des choix difficiles que les cessaires à la souplesse. Moins d’un tiers des managers
vraies valeurs d’une entreprise se révèlent. Et à cet indiquent qu’ils peuvent discuter de manière franche
égard, nous avons découvert que lorsque la perfor- et ouverte sur les questions les plus difficiles, tandis
mance est une priorité, elle influence les comporte- qu’un autre tiers estime que beaucoup de sujets im-
ments au quotidien. portants sont considérés comme tabous.
Les décisions relatives au personnel sont parmi Lorsque l’accent est mis de manière excessive sur la
les plus difficiles à prendre. Lorsque nous nous performance, cela peut nuire à l’exécution d’une autre
­intéressons aux facteurs qui influencent le recrute- façon, subtile mais non négligeable : quand les mana-
ment, la reconnaissance, les promotions et les licen- gers font passer la réalisation d’objectifs chiffrés avant
ciements, nous observons que la plupart des entre- tout le reste, ils ont tendance à prendre des engage-
prises p ­ arviennent à déceler et à récompenser les ments prudents en matière de performance. Lorsqu’on
performances. Les performances passées sont de loin leur demande quel conseil ils donneraient à un nou-
le premier facteur cité dans les décisions de promo- veau collègue, les deux tiers d’entre eux répondent
tion (par deux tiers des managers). Bien qu’elles qu’ils recommanderaient de prendre des engagements
soient plus difficiles à évaluer chez les nouvelles qu’ils sont sûrs de pouvoir honorer. Ils sont moins d’un
­recrues, elles figurent aussi parmi les trois principaux tiers à recommander de viser plus haut. Cette tendance
facteurs qui influencent le recrutement. Un tiers des à jouer la sécurité peut conduire les managers à préfé-
managers estiment que la performance est égale- rer les réductions de coûts à une croissance risquée,
ment t­ oujours ou presque toujours reconnue sous par exemple, ou à exploiter à fond un business existant
forme de récompenses non financières, par exemple au lieu d’expérimenter un nouveau business model.
les compliments en privé ou en public et l’accès à des Toutefois, le problème le plus urgent en matière de
offres de formation. Une chose est sûre : il est encore culture corporate est que, bien souvent, elle n’encou-
possible d’améliorer les choses, en particulier en rage pas la coordination, pourtant essentielle à l’exécu-
matière de gestion des collaborateurs qui réalisent tion. Les entreprises font constamment fausse route en
des contre-performances. Sur cette question, la la matière. Dans les procédures de recrutement, de
­majorité des entreprises que nous avons étudiées promotion ou de reconnaissance non financière, les
remettent l’action à plus tard (33%), traitent la contre- performances passées ont deux ou trois fois plus de
performance de manière incohérente (34%) ou la to- chances d’être récompensées que le fait d’avoir fait ses
lèrent (11%). Dans l’ensemble, toutefois, les ­sociétés preuves en termes de collaboration. La performance
de notre échantillon disposent d’une solide culture est cruciale, certes, mais si elle est prise en compte aux
de la performance – mais elles ont du mal à exécuter dépens de la coordination, elle peut mettre à mal
leur stratégie. Pourquoi ? ­l’exécution. Nous avons demandé ce qui se passerait

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pour un manager qui atteindrait ses objectifs mais ne i­ nterventions fréquentes et directes de la haute direc-
réussirait pas à collaborer avec des collègues d’autres tion encouragent les managers intermédiaires à faire
­unités. Seuls 20% des managers que nous avons in- ­remonter les conflits au lieu de les résoudre eux-
terrogés ont ­répondu que ce problème serait vite mêmes et, au fil du temps, ils perdent leur capacité à
traité, tandis que 60% estimaient qu’il serait résolu régler les problèmes avec leurs collègues des autres
de m­ anière incohérente ou reporté, et 20% que ce unités. Par ailleurs, si les hauts dirigeants insistent
comportement serait toléré. pour prendre eux-mêmes les décisions difficiles, ils
réduisent les compétences décisionnelles des
CINQUIÈME IDÉE REÇUE ­managers intermédiaires, leur esprit d’initiative et
L’exécution doit être menée leur a
­ ppropriation des résultats.
par la direction Dans les grandes organisations complexes, l’exé-
Dans son best-seller « Execution », Larry Bossidy décrit cution dépend d’une équipe que nous appelons des
comment, en tant que P-DG d’AlliedSignal, il a person- « leaders partagés » (« distributed leaders », en anglais,
nellement négocié les objectifs de performance avec concept né en management dans les années 2000,
les managers situés plusieurs échelons en dessous de NDLR). Cette équipe est composée non seulement de
lui et comment il a suivi leurs progrès. Ce type de dé- managers intermédiaires qui gèrent les principaux
marche renforce l’image du P-DG dynamique siégeant business et fonctions, mais aussi d’experts tech-
en haut de l’organigramme et dirigeant l’exécution. niques et spécialisés qui occupent des postes clés

Lorsque l’accent est mis de manière excessive


sur la performance, l’exécution de la stratégie
peut en pâtir.
Cette approche peut fonctionner, mais seulement un dans les ­r éseaux informels qui font avancer les
temps. Sous la présidence de Bossidy, l’action d’Allied- choses. La grande majorité de ces responsables
Signal a « surperformé » le marché. Cependant, comme ­essaient de faire ce qu’il faut. Dans notre échantillon,
il l’écrit dans son ouvrage, peu de temps après son dé- ils sont huit sur dix à déclarer faire de leur mieux
part, « l’exécution en a pris un coup » et la société a pour exécuter la stratégie, même s’ils aimeraient plus
perdu l’avance qu’elle avait dans l’indice S&P 500. de clarté sur la stratégie elle-même.
Sans compter le risque d’échouer après le départ Pour la plupart des employés, des partenaires et des
d’un P-DG d’envergure, l’approche descendante de clients, c’est l’équipe de leaders partagés, et non la
l’exécution présente des inconvénients. Afin de com- haute direction, qui représente le « management ». Ses
prendre pourquoi, il convient de se rappeler que, actions quotidiennes, en particulier la façon dont elle
dans les grandes entreprises complexes, l’exécution gère les décisions difficiles et les comportements
est soumise à d’innombrables décisions et actions à qu’elle tolère, contribuent nettement à soutenir ou à
tous les niveaux. Nombre de celles-ci nécessitent des entraver la culture corporate, et le plus souvent, elle
compromis difficiles : par exemple, collaborer avec excelle en la matière. Selon leurs collaborateurs di-
les collègues d’une autre unité peut ralentir une rects, plus de 90% des managers intermédiaires sont
équipe qui tente de saisir une occasion qui passe, tan- toujours ou presque toujours à la hauteur des valeurs
dis que trier les demandes des clients en fonction de de l’entreprise. Ils sont particulièrement efficaces
la stratégie suppose souvent de renoncer à un busi- lorsqu’il s’agit de renforcer la performance, puisqu’ils
ness lucratif. Les responsables au plus près du terrain sont environ 9 sur 10 à attribuer aux membres de leur
et pouvant réagir le plus vite sont les mieux placés équipe la responsabilité des résultats.
pour prendre les décisions difficiles. Et même si l’exécution doit être menée par les ni-
Concentrer le pouvoir au sommet peut stimuler la veaux intermédiaires, il faut qu’elle soit gérée depuis
performance à court terme, mais réduit aussi la le sommet. Nos données suggèrent que de nom-
­capacité d’exécution d’une entreprise à long terme. Les breuses équipes de direction pourraient fournir bien

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STRATÉGIE

A propos de l’étude : 7 600 managers interrogés


Il y a cinq ans, nous avons mis au point une enquête détaillée
que nous avons envoyée à ce jour à 7 600 managers
dans 262 entreprises de 30 secteurs. Nous l’avons élaborée
plus de soutien. Mais lorsque les hauts dirigeants ne en respectant les principes suivants :
communiquent pas clairement la stratégie globale de
l’entreprise, le leadership partagé peine aussi à tra- Se concentrer sur les entreprises pour évaluer si les dirigeants
duire ladite stratégie dans un langage compréhensible complexes dans des marchés communiquent bien leur stratégie,
par les équipes et les unités. Et, nous l’avons vu, un tel instables. Les entreprises de notre nous demandons aux personnes
échec n’est pas l’exception mais la règle.
échantillon sont de taille importante que nous interrogeons de citer les
(6 000 employés en moyenne priorités stratégiques de leur
Inévitablement, des conflits émergent lorsque les
pour un chiffre d’affaires annuel entreprise pour les années à venir.
différentes unités d’une entreprise poursuivent leurs
médian de 430 millions de dollars) Nous traitons ensuite les réponses
propres objectifs. Les membres de l’équipe de leader- et interviennent dans des secteurs et vérifions si elles convergent
ship partagé font les frais de ce travail cloisonné et instables (services financiers, et sont cohérentes avec les objectifs
nombre d’entre eux croulent sous le fardeau. Seule une technologies de l’information, déclarés de la direction.
minorité de managers intermédiaires anticipent et télécommunications, pétrole ou gaz).
évitent les problèmes (15%) ou règlent les conflits de Un tiers d’entre elles sont basées Impliquer les personnes interrogées.
manière rapide et efficace (26%). La plupart résolvent dans des marchés émergents. Pour éviter que les personnes
les problèmes au bout d’un certain temps seulement interrogées ne se lassent, nous varions
(37%), essaient de les résoudre mais échouent (10%) ou Cibler ceux qui savent. Nous le format des questions et en
ne s’y attaquent même pas (12%). Les hauts dirigeants
demandons aux entreprises d’identifier choisissons qui n’ont pas été posées
les principaux responsables en auparavant et que les managers
pourraient apporter leur contribution en introduisant
matière d’exécution et nous envoyons considèrent comme importantes.
des processus de coordination plus structurés. Dans de
l’enquête aux personnes citées. Plus de 95% d’entre elles terminent
nombreux cas, ils pourraient également mieux modé- En moyenne, par entreprise, trente le questionnaire et y passent environ
liser le travail d’équipe. Un tiers des membres de managers y répondent, issus de 40 minutes.
l’équipe de leadership partagé estime que des dissen- multiples échelons hiérarchiques :
sions existent au sein de la haute direction et que les membres de la haute direction (13%), Faire des liens avec des études
dirigeants se concentrent sur leur propre agenda et non collaborateurs directs (28%), autres fiables. Bien que la recherche sur
sur l’intérêt général de l’entreprise. managers intermédiaires (25%), l’exécution en général ne soit pas
superviseurs de terrain ou chefs très avancée, certains aspects de
DE NOMBREUX DIRIGEANTS ESSAIENT de régler le pro- d’équipe (20%), experts techniques l’exécution, tels que la fixation
blème de l’exécution en le ramenant à une seule di-
ou thématiques et autres (14%). d’objectifs, la dynamique d’équipe et
l’affectation des ressources, sont bien
mension. Ils cherchent à renforcer l’alignement en
Collecter des données objectives. compris. Aussi souvent que possible,
amont et en aval de la chaîne de commandement —
Si possible, nous formulons les nous nous basons sur les résultats
en améliorant les processus existants, tels que la pla- questions de façon à obtenir des de recherches pour formuler nos
nification stratégique et la gestion de la performance, informations objectives. Par exemple, questions et interpréter nos résultats.
ou en adoptant de nouveaux outils comme le tableau
de bord prospectif. Il s’agit là de mesures utiles,
certes, mais les considérer comme le seul moyen d’as-
surer l’exécution, c’est ignorer que la coordination et
l’agilité sont ­nécessaires sur des marchés instables. Si managers se tournent de nouveau vers l’outil qu’ils
les managers mettent trop l’accent sur l’alignement, connaissent le mieux et insistent une fois de plus sur
ils risquent de donner des ­réponses de plus en plus l’alignement. Résultat, les entreprises se retrouvent
compliquées à ce qui est une mauvaise question. dans un cercle vicieux où le renforcement de l’aligne-
Dans le pire des cas, les entreprises entrent dans ment pèse davantage sur les résultats. Si les idées
une dynamique que nous appelons le piège de l’ali- ­reçues sur l’exécution sont au mieux incomplètes et
gnement. Lorsque l’exécution s’enlise, les managers au pire dangereuses, par quoi les remplacer ? D’abord,
répondent en renforçant l’alignement – en surveillant il faut redéfinir l’exécution comme étant l’aptitude à
davantage d’indicateurs de performance, par exemple, saisir des opportunités cohérentes avec la stratégie
ou en convoquant des réunions plus fréquentes pour tout en assurant la coordination continue avec les
suivre les progrès et recommander des actions. Ce autres parties de l’entreprise. Redéfinir l’exécution en
type de suivi de haut en bas se transforme souvent en ces termes peut aider les managers à déceler pourquoi
micromanagement, ce qui décourage l’expérimenta- elle échoue. Dès lors que leur compréhension s’amé-
tion nécessaire à l’agilité et aux interactions de pair à liore, ils peuvent éviter les écueils tels que le piège de
pair qui favorisent la coordination. Voyant que l’alignement et se concentrer sur les facteurs les plus
­l’exécution en pâtit mais ne sachant pas pourquoi, les ­importants pour traduire la stratégie en résultats. 

9 Harvard Business Review Décembre 2015-janvier 2016

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