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De quel pays es-tu ?

« -Coucou

-Salut

-Comment vas-tu ?

-Je vais bien merci, et toi ?

-Ça va oklm.

-Je m’appelle Alex, et toi ?

-Moi je m’appelle Merveille, enchantée.

-Moi de même, Merveille. Ça te gêne si je pose des questions histoire qu'on en sache un peu
plus l'un sur l'autre ?

-Quel genre de questions ?

-Du genre : t'es dans quel pays ?

-La France. Et toi, de quel pays es-tu ? ... »

Oh non ! Pas çà ! Pas ça... Mais qu'est-ce qui m'a pris ?

"Merveille NGAMBI", une Gabonaise sans doute, ou une Congolaise, avais-je présumé. Hier
dans la soirée, je défilais le fil d'actualité lorsque je tombai sur son compte, parmi ceux que me
proposait alors Facebook. Mon pouce, sans que je ne le réalise, et avant même que je n'eus
fini de lire son nom, s'était déjà posé sur la photo de profil. « Elle est jeune. » avais-je dit, in
petto. Mais elle est aussi jolie, très jolie. Je cliquai alors aussitôt sur "Message", et lui envoyai
un "coucou". Je dus attendre jusqu'à ce matin pour recevoir la notification de sa réponse.

Lorsque je lus tout d'abord le mot "France", l'image de Leïla me traversa, avec insistance et
cynisme, l'esprit. Avec Leïla, nous nous échangions depuis bientôt un an, jusqu'à ce qu'elle me
ghoste puis me bloque, pour une raison qui m'est toujours inconnue. J'avais pourtant toujours
veillé à maintenir nos échanges et notre relation au beau fixe. Nous nous étions rencontrés sur
Twitter ; le courant est tout de suite passé. Bien qu'elle soit en France, nous étions parvenus
à créer une proximité si intense, que cela en devint quasi-addictif. Je n'arrive toujours pas à
m'expliquer ce qui a mal tourné. J'ai par la suite essayé, avec un autre compte, de prendre à
nouveau contact avec elle, afin qu'elle me dise où et comment j'avais déconné. Mais il n'en fut
rien. Elle n'a pas lu un seul de la dizaine de messages que j'avais dû lui laisser.

Puis je songeai à cette fille, sur Instagram. Cette Ivoirienne, qui après que je lui eus dit que
j'étais Béninois, s'était mise à me dérouler tout un laïus sur les raisons pour lesquelles les
habitants des autres pays ont, et doivent, avoir peur du nôtre. Elle mettait un point d'honneur
à préciser à quel point cette "peur du Béninois" est légitime, elle donnait avec hargne, de la
prépondérance à la chose. Je n'y comprenais rien. Elle ne m'avait même pas laissé en placer
une. Un lynchage pur et dur, en somme. « Moi yé suis pas dans ça. », m'avait-elle envoyé avant
de me bloquer aussitôt après.

Cela me rappela ce tweet sur lequel j'étais tombé il y a quelque temps. Ce tweet disait : « Le
Bénin est le pays avec la plus grande densité spirituelle au monde. Autrement dit, s'ils
décidaient d'entrer en guerre avec les autres pays du monde, les armes seraient inefficaces
contre eux. » J'en ris d'abord. Puis, avec du recul, je réalisai qu'en plus du fait que ces propos
n'avaient probablement nul réel fondement, ils ne faisaient que renforcer les rumeurs et
partant, l'appréhension, voire l'aversion des autres à l'égard de notre pays, à notre égard. Mais
d'un autre côté, j'en étais content. Ce pays servait au moins à quelque chose, il n'était pas bon
qu'à accumuler des dettes, finalement. Il devançait enfin les autres en quelque chose, cela me
procura quelque fierté.

J'ai pensé également aux comédiens du net. Ces influenceurs béninois qui font plus que la
fierté du pays. En effet, ils ne manquent pas une occasion d'évoquer et de mettre en scène tout
ce qui fait la puissance et la terreur de leur cher pays le Bénin. Après tout, l'occulte n'est-il pas
le seul domaine où excelle le Bénin ? Ses détenteurs, ceux-là qui parviennent à pénétrer les
arcanes de la science occulte, ne sont-ils pas capables de prouesses aussi prodigieuses que
machiavéliques ? Les autres ne nous craignent-ils pas pour ces raisons ? Alors pourquoi ne
pas enfoncer de temps à autre le clou ? Et on pousse loin la réalité, on la surfait. Du rouge
par-ci, du noir par-là, du blanc autre part, une pincée d'effets spéciaux, et le tour est joué.
Mais que voulez-vous ? Les abonnés ont besoin d'être impressionnés, les vidéos ont besoin
d'être vues et likées, et l’on a un compte à faire tourner.

Enfin, que dire de ces incontournables Gayman ? Les artisans de ce métier d'avenir qu'est la
cybercriminalité, ou plus précisément la cyber-escroquerie. C'est peu de le dire, car pour
certains d'entre nous autres les jeunes, avec la situation économique peu reluisante du pays,
l'éternelle croissance du chômage et l'accès quelque peu facile à internet ainsi qu'à bon nombre
de technologies qui y sont liées, autant dire qu'entre emprunter cette voie, et faire dans le légal,
le choix est vite fait. Et l'on ne manque pas d'ingéniosité pour arnaquer, escroquer, gruger. L'on
se fait marabout, l'on se fait devin ou faiseur de miracles, l'on se fait même femme si nécessaire
; tous les moyens sont bons pour sucer sa victime jusqu'à la moelle. Leurs proies de
prédilection restent sans aucun doute les occidentaux, apparemment plus crédules ; même si
d'autres estiment qu'il est plus aisé d'appâter les confrères africains. Ainsi, ils s'amusent à
arguer de l'esclavage et des déconvenues causées à l'Afrique, lorsque le sujet est débattu. "Les
Blancs nous ont délesté de nos biens, de nos richesses, de nombre de nos aïeuls, de notre
honneur, eh bien nous nous vengeons à notre tour en les escroquant, et tant mieux si on se
fait un peu de fric au passage", entend-t-on souvent dire. Toutefois, s'ils prennent l'argent des
Blancs, il n'en demeure pas moins qu'indirectement ils le leur rendent pas la suite. Entre les
paris sportifs sur 1xbet, les smartphones derniers cri, les voitures, les motos, les vêtements et
les chaussures hypes, les soirées en veux-tu en voilà dans les boîtes de nuit, où l'on rivalise
d'ostentation et de dilapidation, ils se retrouvent très vite fauchés.

Et si Merveille avait entendu parler de tout cela ? Et si elle croyait que j'étais l'un des leurs ?
Un cybercriminel, un arnaqueur... N’aurait-elle pas raison ? Je crois que si. De nos jours, les
relations, aussi amicales ou amoureuses qu’elles se prétendent, sont de vraies pochettes-
surprise en fin de compte.
Cela fait cinq minutes à présent. Cinq minutes qu'elle m'a dit qu'elle réside en France, cinq
minutes qu'il est marqué "lu", cinq minutes que je suis perdu dans mes pensées. Il est
malséant de prendre autant de temps pour répondre, sur les réseaux sociaux ; et il est
sacrilège que de lire un message sans y répondre. J'ai dû l'offusquer, si ça se trouve. Elle va
sûrement me rabrouer, ou alors elle pourrait décider de ne plus me répondre, de me ghoster
même. Ou pire, elle pourrait me bloquer ; exactement comme Leïla... Je suis acculé, je n'ai pas
d'autre choix, il faut lui répondre. J'ai certes commis l'irréversible, mais pas l'irréparable. Et la
seule façon de réparer cette bourde, c'est d'être franc et honnête avec elle, le lui dire sans
boniment aucun, sans détour, sans tourner autour de la tour de Pise, parce que les filles, elles
aiment pas ça. Faut que je lui dise de quel morceau du Grand Bled je suis. Mais ça consisterait
à m'asperger moi-même d'essence, à m'attacher sur le bûcher puis à lui remettre la boîte
d'allumettes ; c'est de la folie...

-Charbel ? Charbel !

-Quoi ?

-Regarde çà, lis, elle me demande de quel pays je suis.

-Et ?

-Tu ne comprends donc pas ?

-Quoi ? Tu lui dis que tu es du Bénin, et puis c'est tout. Lâche-moi la grappe.

Lui dire que je suis du Bénin...facile à dire.

Cela me prit dix minutes, mais :

« -Moi ? Je suis du Bénin.

-Ah bon ? Tu es du Bénin ? C'est cool, j'aime bien le Bénin, moi. »

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