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26/09/2021 19:23 Emmanuel Lévinas-Maurice Blanchot, penser la différence - Emmanuel Lévinas et Maurice Blanchot 

: trace, énigme et illéité - Presses universit…

Presses
universitaires
de Paris
Nanterre
Emmanuel Lévinas-Maurice Blanchot, penser la
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différence  | Éric Hoppenot,  Alain Milon
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Blanchot : trace,
énigme et illéité
Manola Antonioli
p. 319-332

Texte intégral
Après la mort d’un certain dieu habitant les
arrière-mondes, la substitution de l’otage découvre
la trace – écriture imprononçable – de ce qui,
toujours déjà passé – toujours « il » – n’entre dans
aucun présent et à qui ne conviennent plus les noms
désignant des êtres, ni les verbes où résonne leur
essence – mais qui, Pronom, marque de son sceau
tout ce qui peut porter un nom.
Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de
l’essence.
L’Autre : la présence de l’homme en ceci même que
celui-ci manque toujours à sa présence, comme il
manque à son lieu.
Maurice Blanchot, L’Entretien infini.
1
☝🍪
Le lien qui se tisse entre l’œuvre de Lévinas et celle de
Blanchot naît de l’«  amitié  », dans le sens que Blanchot
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et implique en même temps une idée de
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distance
ceux que vous etsouhaitez
une exigence de proximité. Malgré le désir
réciproque de rapprochement des deux « amis », il s’agit de
activer
deux expériences de pensée et d’écriture qui restent
✓ Tout accepter
distinctes et hétérogènes. La proximité, indéniable, entre
ces deux auteurs ne se réduit pas à un certain nombre de
✗ Tout refuser
thèmes communs (le il y a, le langage, autrui, etc.), mais
s’inscrit plutôt dans la complexité d’un questionnement
Personnaliser
philosophique
Politique partagé et dans une communauté de style et
de confidentialité
d’écriture.

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2 Je voudrais ici interroger les «  figures  » de la trace, de


l’énigme et de l’illéité qui apparaissent principalement dans
deux essais de Lévinas (« La trace de l’autre » et « Énigme
et phénomène1 ») et – sous des modalités différentes mais
comparables – dans L’Espace littéraire, L’Entretien infini
et Le Pas au-delà de Blanchot.

Une éthique de la trace


3 Dans le prolongement du questionnement éthique
inauguré par Totalité et Infini2, Lévinas analyse dans « La
trace de l’autre  » et «  Énigme et phénomène  » les
modalités de signifiance du visage, à travers les notions de
trace, diachronie, énigme. Totalité et Infini décrivait déjà
la «  non-phénoménalité  » du visage, dont la signifiance
n’est pas celle du «  signe  » (même si Lévinas n’explicitait
pas sa définition du signe). L’impossibilité de réduire le
visage à une simple fonction sémiotique, l’« abscondité » et
le «  secret  » du visage et le passé absolu dans lequel il se
situe deviennent le thème principal de ces deux essais :
Quelle peut dès lors être cette relation avec une absence
radicalement soustraite au dévoilement et à la
dissimulation et quelle est cette absence rendant la
visitation possible, mais ne se réduisant pas à l’abscondité,
puisque cette absence comporte une signifiance, mais une
signifiance dans laquelle l’Autre ne se convertit pas au

4
☝ 🍪 Même3 ?
Le visage trahit une absence (un Absent) qu’il ne révèle
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pas,donne
vous qu’illen’indique
contrôle sur pas. La signifiance du visage est liée à la
ceux que vous souhaitez
dimension activer
temporelle d’un «  passé absolument révolu  ».
Cette énigmatique signifiance est celle de la trace. On
assiste
✓ Toutdonc à un changement de perspective important de
accepter
la pensée de Lévinas : ce qui dans Totalité et Infini pouvait
encore✗ Tout
relever
refuser de la présence (le présent de la parole et la
présence du visage dans l’expression) relève maintenant
Personnaliser
d’un passé immémorial et de la trace d’une absence. Le
Politique de confidentialité
rapport au sens dans la rencontre du visage est désormais

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conçu comme un rapport oblique, « latéral » : « La relation


entre signifié et signification est dans la trace non pas
corrélation, mais l’irrectitude même [...] la signification de
la trace nous place dans une relation latérale, inconvertible
en rectitude (ce qui est inconcevable dans l’ordre du
dévoilement et de l’être) et qui répond à un passé
irréversible4 ».
5 Si la dimension ouverte par le visage est une dimension
personnelle, elle n’est jamais de l’ordre de la proximité et
de l’intimité d’une relation Je-Tu. La rencontre du visage
est rencontre à la troisième personne, rencontre d’une
troisième personne à travers le prochain, rencontre d’un
« Il ». La trace est donc toujours située dans la dimension
de l’illéité  : «  La suprême présence du visage est
inséparable de cette suprême et irréversible absence qui
fonde l’éminence même de la visitation5.  » Les mots
Transcendant, Il, Absent, gardent toujours, comme Autrui,
une majuscule qui ne peut que renvoyer en dernière
instance à un Autre divin, ou au moins à sa trace inscrite
dans le visage de l’autre.
6 Lévinas affirme que la signifiance de la trace se situe au-
delà de la phénoménologie («  la signifiance de la trace
consiste à signifier sans faire apparaître  »), mais il essaie
cependant de s’en approcher à partir de la phénoménologie
qu’elle interrompt. La trace n’est jamais un signe comme
☝🍪
un autre, mais elle peut être prise pour un signe  : le
détective examine comme signe ce qui marque l’œuvre
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volontaire ou involontaire du criminel, le chasseur suit les
vous donne le contrôle sur
traces
ceux du souhaitez
que vous gibier, l’historien étudie les vestiges des
activer
civilisations anciennes. Quand on lit les traces comme des
signes ordinaires, tout se range en un monde organisé, « où
✓ Tout accepter
chaque chose révèle l’autre ou se révèle en fonction
6
d’elle   ».refuser
✗ Tout Mais, même dans sa dimension de signe
ordinaire, la trace a encore un caractère exceptionnel  ; en
Personnaliser
effet, «  elle signifie en dehors de toute intention de faire
signe et
Politique de en dehors de tout projet dont elle serait la visée7 ».
confidentialité
La trace dérange un ordre préexistant, s’inscrit dans un

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passé irréparable et ineffaçable qui ne répond à aucun


projet, comme les traces laissées par le criminel sur le lieu
du crime. Cependant, Lévinas reconnaît que, dans ce sens,
tout signe a une dimension de trace : le signe signifie, mais
il est aussi la trace du passage de celui qui l’a délivré.
L’exemple de cette dimension de trace qui subsiste en tout
signe est choisi dans le domaine de l’écriture, domaine de
la trace par excellence  : celui qui écrit une lettre laisse sa
trace dans son écriture et son style. Cette signifiance de la
trace peut à nouveau être étudiée comme un signe
ordinaire  : un graphologue ou un psychanalyste pourront
ainsi interpréter ces traces pour déchiffrer les intentions ou
la personnalité de l’auteur de la lettre, faire de la
compréhension d’Autrui et de ses traces une
herméneutique et une exégèse. Mais, pour Lévinas, la trace
«  authentique  » ou authentiquement comprise, la vraie
trace de l’Autre, ne signifie, ne révèle et ne dévoile rien, elle
est le témoignage muet d’un passé absolument révolu.
7 Puisque Lévinas ne définit jamais précisément les
différentes acceptions du mot «  signe  » dans ce texte, on
pourrait suivre ses indications initiales et resituer la
signifiance de la trace dans l’espace phénoménologique, à
partir de la première des Recherches logiques de Husserl et
à l’aide de la lecture de ce texte développée par Derrida
dans La Voix et le phénomène8.
8
☝🍪
Husserl commence par dénoncer l’ambiguïté du mot
«  signe  » (Zeichen), qui rassemble d’une part le concept
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d’« expression » (Ausdruck) et de l’autre celui d’« indice »
vous donne le contrôle sur
(Anzeichen).
ceux Selon Husserl, l’indice ne transporte rien qui
que vous souhaitez
activer
soit une Bedeutung, terme que Derrida propose de traduire
par «  vouloir-dire  ». À l’inverse, l’expression est dotée
✓ Toutintentionnalité
d’une accepter
vivante. Ces deux dimensions du
signe✗ Tout(lerefuser
vouloir-dire de l’ex-pression et l’indication)
coexistent toujours, mais Husserl considère qu’il est
Personnaliser
toujours possible de les distinguer de droit et que cette
distinction
Politique est une distinction d’essence. Il procède ainsi à
de confidentialité
une progressive « réduction » de la dimension d’indication

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qui accompagne toute expression, puisque l’indication


ouvre la dimension d’une fragilité et d’une précarité du
sens, introduit un manque de nécessité et d’évidence
incompatible avec le projet phénoménologique. Le lien
entre un élément A et un élément B dans l’expérience, le
renvoi de l’indice (par exemple le lien entre les canaux de
Mars et la présence d’êtres intelligents, la marque à la craie
sur une ardoise et la chose qu’elle indique) n’est jamais de
l’ordre des « vérités de raison » mais de celui des « vérités
de fait », de la contingence. L’indication introduit un risque
radical pour le sens et la compréhension, une distance
entre le sujet et l’objet indiqué, entre le sujet et lui-même.
Si l’expression est une « extériorisation volontaire, décidée,
consciente de part en part, intentionnelle9  », dans
l’indication la volonté du sujet connaissant rencontre les
limites de la résistance physique du signe et d’un indiqué
qui existe de façon extérieure à l’univers de significations
maîtrisées qui fonde la connaissance.
9 La possibilité d’une expression comme « vouloir-dire » est
liée à la dimension métaphysique d’une conscience
toujours présente à elle-même : « ce qui “veut dire”, ce que
le vouloir dire veut dire, la Bedeutung, est réservé à qui
parle et qui parle en tant qu’il dit ce qu’il veut dire  :
expressément, explicitement et consciemment10  ». Tout ce
qui est involontaire (le jeu de la physionomie, le geste, le
☝🍪
visible dans la communication, le «  corps  » du signe, son
côté physique et matériel) est exclu du bedeuten, puisque le
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signe doit devenir le médium transparent d’un sens. Mais,
vous donne le contrôle sur
dans
ceux quelavous
pensée même de Husserl, celui qui interprète les
souhaitez
activer
gestes et les paroles d’un autre travaille toujours déjà dans
le domaine de l’indice, puisque hors de la sphère
✓ Tout accepter
monadique qui lui est propre, la conscience du sujet
connaissant
✗ Tout refuser n’a avec autrui que des rapports
d’apprésentation analogique. L’indice, loin de pouvoir être
Personnaliser
réduit, gagne une place toujours plus vaste et menaçante
dans ladecommunication.
Politique confidentialité

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10 Ce qui sépare l’expression de l’indice «  c’est ce qu’on


pourrait appeler la non-présence immédiate à soi du
présent vivant11  » introduite par l’indice, et cette structure
de non-présence est irréductible dans le rapport à autrui et
dans la constitution même de la temporalité, qui est
perpétuelle différance. Même si la dimension de différance
inscrite dans l’indication appartient à tout signe, elle se
révèle exemplairement dans l’écriture, qui implique le
passé, l’absence, la possibilité d’une interruption du sens et
de sa transmission. La permanence même du texte écrit
renvoie à l’absence de l’auteur et/ou à sa mort, et implique
la difficulté pour le destinataire de reconstruire le message
consigné au texte, d’accéder au « vouloir dire » qui en était
à l’origine. Pour celui qui écrit, l’écriture suppose
également la présence-absence du destinataire  : la
permanence inquiétante de l’écriture, qui survit au
destinateur et au destinataire du texte, ouvre la possibilité
d’un vide et d’une fêlure dans le sens.
11 Si donc il faut resituer – comme Lévinas le suggère lui-
même – la signifiance de la trace dans le contexte de
l’analyse phénoménologique du signe, elle semble
appartenir plutôt à la dimension de l’indication qu’à celle
de l’expression  : Autrui n’est pas un texte qui peut être
entièrement éclairé par son contexte, mais une écriture
singulière qui résiste à toute exégèse.
12
☝🍪
L’analyse de la trace marque donc un progressif
approfondissement des thèses de Totalité et Infini, où
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Autrui s’exprimait dans le visage et dans le discours, où la
vous donne le contrôle sur
voixque
ceux était
vouslesouhaitez
lieu du présent vivant et de la présence, alors
activer
que l’écriture semblait se situer entièrement du côté de la
mort et de l’absence de sens. Dans ce court essai on assiste
par✓ Tout
contre accepter
à l’élaboration d’une première étape vers la
complexité de l’entrelacs entre le Dire (visage, passivité,
✗ Tout refuser
diachronie) et le Dit (écriture, synchronie, histoire) qui se
Personnaliser
révèle en 1974 dans Autrement qu’être ou au-delà de
12
l’essence
Politique . Dans cet ouvrage le Dire et le Dit ne s’opposent
de confidentialité
plus simplement (comme la parole vivante et l’écriture

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morte et vide de sens) mais s’inscrivent dans une stratégie


complexe qui vise à ouvrir une déchirure dans la trame
compacte du texte de la philosophie occidentale, de l’Être
et du Logos qui le pense et le dit13. Paradoxalement, la
tentative d’atteindre le Dire au-delà du Dit doit se traduire
dans une extrême tension de l’écriture, dans une extrême
maîtrise du Dit, témoignant ainsi du lien essentiel qui
existe entre les deux dimensions du langage. Lévinas
abandonne dans Autrement qu’être toute apparence de
progression linéaire et choisit un lent mouvement de retour
et de reprise de l’écriture, de répétition sans redondance,
qui échappe à la prise de la pensée conceptuelle et qui rend
illusoire toute tentative d’exposition linéaire ou de récit de
la rencontre de l’Autre. Peut-être est-ce surtout cette
écriture insaisissable et incessante qui rapproche le plus
Lévinas de Blanchot, ce «  jeu du déplacement sans place,
du redoublement sans doublement, de la réitération sans
répétition14  », qui devient chez Blanchot l’enjeu même de
son questionnement du langage et de la littérature.
13 Le rapport d’indication (et donc celui à l’écriture) pourrait
paraître en mesure d’unifier les diverses dimensions de la
trace : le rapport à autrui, son retrait et son secret, le passé
immémorial d’où l’Autre provient, le passé et le passage de
celui qui s’est toujours déjà retiré. Et pourtant Lévinas écrit
que «  si signifier équivalait à indiquer, le visage serait

14
☝🍪
insignifiant15 ».
La trace authentique est pour lui toujours irréductible au
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signe, même dans sa dimension d’indice, puisque la trace
vous donne le contrôle sur
introduit
ceux que vous une dimension infinie entre le visage d’autrui et
souhaitez
activer
l’Absent auquel il renvoie.
15 Seul un être transcendant le monde peut à ses yeux laisser
une✓ trace
Tout accepter
infinie : « Ce qui dans chaque trace d’un passage
empirique, par-delà le signe qu’il peut devenir, conserve la
✗ Tout refuser
signifiance spécifique de la trace n’est possible que par sa
Personnaliser
situation dans la trace de cette transcendance16. » La trace
de l’autre
Politique est toujours la trace d’un Dieu qui ne se
de confidentialité
manifeste que par elle :

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Le Dieu qui a passé n’est pas le modèle dont le visage serait


l’image. Être à l’image de Dieu, ne signifie pas être l’icône
de Dieu, mais se trouver dans sa trace. Le Dieu révélé de
notre spiritualité judéo-chrétienne conserve tout l’infini de
son absence qui est dans l’ordre personnel même. Il ne se
montre que par sa trace, comme dans le chapitre 33 de
l’Exode  ; Aller vers Lui, ce n’est pas suivre cette trace qui
n’est pas un signe, c’est aller vers les Autres qui se tiennent
dans la trace17.

16 Trace d’un Dieu qui, comme l’a écrit Derrida, est toujours
sur le point de se convertir en « effet de trace18 ».
17 Dans « Énigme et phénomène » l’espace éthique de la trace
devient celui d’une énigme. L’énigme n’est pas une
signification équivoque ou ambiguë qui devrait être
éclaircie, mais un autre nom de la dimension de «  non
manifestation  » et d’«  invisibilité  » qui est proférée à
travers le langage. Il s’agit d’une signification qui introduit
un dérangement irréductible au « discours raisonnable » et
qui n’est pas simplement le choc provisoire d’une
«  incompréhension qui bientôt deviendra intelligence19  ».
Le discours raisonnable de la philosophie est ordonné à ce
qui se voit, à ce qui se montre et se donne dans le présent et
la présence. Il aspire à intégrer même ce qui semblait,
d’abord, pouvoir le déborder. Le passé, l’avenir, l’être et le
discours deviennent ainsi contemporains, ancrés dans ce

☝🍪
qui se repère dans le présent. Au-delà, la raison est
menacée par la folie et l’absence de sens. Et pourtant, écrit
CeLévinas, la cookies
site utilise des penséeet humaine a connu des concepts qui
vous donne le contrôle sur
opèrent au-delà de la distinction entre présence et absence,
ceux que vous souhaitez
commeactiver les notions platoniciennes du Bien et de l’Un, ou la
notion de Dieu. Il peut donc exister des concepts qui se
✓ Tout accepter
refusent à l’ordre primordial de la contemporanéité, sans
pour autant cesser aussitôt de signifier, sortir du discours
✗ Tout refuser
et sombrer dans la folie. Quand l’Autre se présente au
Même, il est également inclus dans l’ordre de
Personnaliser
contemporanéité du phénomène connaissable, et la
Politique de confidentialité
discordance qui peut ainsi se produire au sein de cet ordre

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devient un problème à résoudre, une invitation à la


recherche d’un ordre nouveau. Autrui, lui non plus, ne
saurait apparaître sans renoncer à son altérité radicale
pour rentrer dans l’ordre compréhensible de la
contemporanéité.
18 Mais, pour Lévinas, la nudité du visage introduit un
dérangement irréversible des significations préexistantes,
qui ne peut à son tour être réduit à la contemporanéité  ;
Autrui oppose ainsi à la clarté victorieuse du phénomène la
semi-obscurité de l’énigme. Le mot «  énigme  » vient en
effet du grec ainigma qui veut dire «  ce qu’on laisse
entendre », apparenté à ainos (récit, fable) et ainessesthai
(dire à mots couverts)  : l’énigme est toujours discours,
récit, mais un récit qui ne se laisse jamais entièrement
dévoiler, qui n’accède jamais pleinement à la lumière. Tout
langage est ainsi dans un certain sens énigme, de par son
ambiguïté fondamentale et à travers toutes les modalités de
ce qui se dit par un «  si l’on veut  » et un «  peut-être  »
irréductibles « à la possibilité, à la réalité et à la nécessité
de la logique formelle20 ». Mais la dimension anachronique
et infinie de l’énigme n’est possible que dans l’expérience
du « prochain qui s’approche » : le vrai lieu de l’énigme est
l’éthique. L’énigme n’appartient pas au présent, mais
introduit l’écart d’un passé qu’aucune mémoire ne saurait à
nouveau transformer en présence, un anachronisme
☝🍪
irréductible qui bouleverse la continuité temporelle de la
conscience et sa tranquille assurance. Cette façon de
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signifier qui ne consiste ni à se dévoiler, ni à se voiler,
vous donne le contrôle sur
appartient
ceux à la dimension de l’illéité, de la troisième
que vous souhaitez
activer
personne qui désaccorde tout synchronisme et transcende
toute totalité. À travers l’énigme mondaine et finie du
✓ Tout se
langage accepter
noue l’intrigue infinie qui associe la signifiance
non-visible de la trace à la diachronie absolue, au visage et
✗ Tout refuser
à l’illéité.
Personnaliser

É nigme
Politique et illéité
de confidentialité dans l’écriture

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19 Une pensée de l’énigme est très présente également dans


l’écriture de Maurice Blanchot, jusqu’à devenir un des
mots-clés de L’Entretien infini. Dans l’Esthétique de Hegel
(auteur très souvent interrogé par Blanchot) l’énigme
s’oppose au symbole à cause de la clarté de sa
signification :
Mais l’énigme fait partie du symbolisme conscient et
diffère du symbole proprement dit par le fait que celui qui
pose l’énigme en connaît bien et d’une façon très claire la
signification et qu’il a choisi intentionnellement la forme
destinée à la masquer et à travers laquelle il s’agit de la
deviner. Les symboles proprement dits restent toujours
sans solution, tandis que l’énigme porte en elle-même sa
solution21.

20 L’énigme est donc pour Hegel le fruit d’une intentionnalité


et c’est ce qui doit (et qui peut) être résolu et éclairé. À
l’inverse, chez Blanchot et chez Lévinas l’énigme devient la
tâche de la pensée justement comme ce qui ne peut pas et
ne doit pas être univoquement résolu et qui échappe à
toute intentionnalité. Il s’agit dans la pensée de Lévinas du
lieu d’une éthique, et chez Blanchot du point de départ
d’une réflexion sur l’art, le langage et la littérature qui
s’étend progressivement jusqu’à devenir une pensée de
l’autre et de l’altérité.
21 Pour Blanchot, c’est l’opacité ou la non-phénoménalité de
☝🍪
l’image littéraire qui véhicule l’«  énigme  » du langage.
Œdipe devant le Sphinx est l’un des trois mythes grecs
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(avec ceux d’Ulysse et d’Orphée22) qui illustrent dans ses
vous donne le contrôle sur
écrits
ceux que« théoriques »
vous souhaitez le rapport impossible à la fascination
activer
de l’énigme littéraire.
22 Œdipe croit pouvoir transformer l’énigme en problème et
✓ Tout accepter
le résoudre à travers la clarté de sa réponse « humaine trop
humaine  ». Le savoir d’Œdipe qui croit triompher du
✗ Tout refuser
«  langage de légèreté et de danger du Sphinx  » s’enfonce
Personnaliser
dans la nuit de la parole  : «  plus tard, trop tard, il se
crèvera
Politique les yeux pour tenter de réconcilier clarté et
de confidentialité
obscurité, savoir et ignorance, visible et non-visible, les

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deux régions adverses de la question23  ». Ulysse triomphe


apparemment du chant dangereux et inhumain des
Sirènes, en ayant recours à la ruse et à la technique, mais
les Sirènes vaincues l’attirent dans le mouvement obscur
du récit et transforment son épopée en roman. L’énigme
cachée en toute parole reste l’indécidable et l’improbable,
ce qui se manifeste tout en se cachant et qui constitue
l’origine mystérieuse d’un infini s’entretenir, suspendu
entre la question et la réponse, le langage et le silence.
23 Dans un important essai consacré au surréalisme24,
Blanchot analyse le sens de « la rencontre », à partir de ce
roman de la rencontre par excellence qu’est Nadja d’André
Breton. La rencontre d’autrui est pour Blanchot le lieu
privilégié de l’énigme, rencontre qui reste toujours
fondamentalement impersonnelle. Toute vraie rencontre se
situe au départ dans la continuité du monde, mais elle
interrompt cette continuité en instaurant un intervalle, un
arrêt ou une ouverture, le dérangement ou le
désarrangement de l’ordre habituel. Elle se situe ailleurs et
dans un autre temps : « la rencontre nous rencontre », elle
est la simple présence, sans justification et sans preuve, de
« ce qui exige l’attente et que l’attente attend, mais n’atteint
pas25 ». Nadja est le nom énigmatique et inassignable de la
« rencontre de la rencontre » : fascination, danger, hasard,
déraison, dissymétrie et discordance entre les deux êtres en
☝🍪
présence l’un de l’autre. Il s’agit de l’événement paradoxal
dans lequel ce (celui, celle) qui nous aborde de face est
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détourné, où se crée un rapport sans rapport, une unité
vous donne le contrôle sur
aléatoire
ceux que vouset non unifiable. C’est l’espace d’un risque
souhaitez
activer
essentiel, un pari sans garantie, où la mésentente «  n’est
pas un effet accidentel, regrettable, d’une rencontre par
✓ Tout accepter
ailleurs merveilleuse  ; elle en est l’essence et comme le
26
principe  ».
✗ Tout refuser
24 Le paradoxe de la rencontre est toujours déjà prêt à devenir
Personnaliser
écriture et récit, puisque le récit en partage la structure  :
d’une de
Politique part il appartient à la vraisemblance, est situé dans
confidentialité
un lieu et un temps souvent clairement précisés, de l’autre

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sa réalité propre ne se manifeste qu’en se déployant dans


l’espace littéraire et le mouvement d’une narration.
25 Chez Blanchot c’est l’œuvre littéraire, avant tout, qui fait
glisser le «  je  » et le «  tu  » dans le «  il  », qui met en jeu
l’illéité. Dans L’Espace littéraire, il écrivait déjà que
«  écrire c’est passer du Je au Il  »  : «  Il c’est moi-même
devenu personne, autrui devenu l’autre, c’est que, là où je
suis, je ne puisse plus m’adresser à moi et que celui qui
s’adresse à moi, ne dise pas “Je”, ne soit pas lui-même27. »
Celui qui écrit renonce à dire «  je  »  : l’expérience
d’effacement du sujet dans l’écriture manifeste
exemplairement l’impersonnalité qui habite tout sujet
parlant.
26 Dans L’Entretien infini, l’essai consacré à «  La voix
narrative » esquisse toute une histoire de la narration, dans
laquelle il s’agit de savoir ce qui est en jeu «  quand écrire
répond à l’exigence de ce “il” incaractérisable28  ». Pour le
conteur épique le «  il  » se situe dans l’entre-deux qui
sépare la mémoire du chant, inaugure un acte mystérieux.
Très vite le « il » mystérieux de l’institution épique devient
la plénitude temporelle d’une histoire, qui a une dimension
de cohérence dans son existence presque magique. Don
Quichotte introduit en littérature le désenchantement,
l’opposition entre l’univers clos et autosuffisant de
l’histoire et la banalité du réel, et inaugure l’époque du
☝🍪
réalisme  : le «  il  » se multiplie dans une foule de petits
« ego », les personnages. Cet itinéraire est pour Blanchot le
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lieu d’une progressive entropie de la puissance mystérieuse
vous donne le contrôle sur
du récit.
ceux que vous Flaubert
souhaitezouvre l’époque du roman impersonnel et
activer
de la distance esthétique à travers laquelle l’auteur vise à
supprimer tous les rapports directs entre lui-même et le
✓ Toutetaccepter
roman à laisser l’œuvre d’art dan son être achevé et
autonome, dans un monde hors du monde. Thomas Mann
✗ Tout refuser
occupera dans ses romans une nouvelle position, celle du
Personnaliser
narrateur ironique, contestant la possibilité de la narration
à l’intérieur
Politique même du roman  : «  raconter allait de soi.
de confidentialité
Raconter ne va pas de soi29.  » Raconter devient l’enjeu

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d’une conscience privilégiée, d’un point de vue, même si


limité et fini  ; narrer c’est encore projeter, dévoiler, et le
récit relève de la transparence d’une conscience. Mais
entre-temps Kafka a écrit  : la distance qui séparait
l’écrivain du lecteur entre désormais dans la sphère même
de la narration, appelle le lecteur, distancie le personnage
de lui-même, décentre l’œuvre. La distance qui était
extérieure à l’œuvre et qui autorisait le désintéressement
de la contemplation esthétique devient appel du dehors à
l’intérieur du récit, déplace l’identité des personnages, met
en cause la notion même d’identité  : le «  il  » entame
irrémédiablement le «  je  » et sa maîtrise du réel. Toute
identification devient impossible, le récit devient le lieu du
non-concernant et de l’insituable, et la narration cesse
d’être ce qui donne à voir. Le récit de Kafka met en jeu le
neutre  : la troisième personne n’est pas simplement une
personne, ni le signe de l’impersonnalité du narrateur. Le
«  il  » ne prend pas la place d’un sujet, mais «  il modifie,
fragmentation mobile, ce qu’on entend par place : lieu fixe
unique ou déterminé par son emplacement30 ». Le « il » est
un défaut de place, et en même temps une place en excès,
lieu d’une atopie et d’une hypertopie.
27 La réflexion de Blanchot sur le statut des pronoms dans la
narration n’est pas simplement une théorie critique du
roman, mais une proposition philosophique qui concerne
☝🍪
le statut de l’identité. Si pour Lévinas la trace relève
toujours du personnel («  Il est troisième personne31  »), le
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« il » dont parle Blanchot est impersonnel, le « il » du il y a
vous donne le contrôle sur
ou que
ceux du vous
neutre, la forme non-personnelle de la flexion
souhaitez
activer
verbale. L’expérience de l’écrivain et le «  il  » du roman
ébranlent l’idée même d’un sujet comme substance et
✓ Tout personne.
comme accepter
L’étrange autonomie du récit littéraire
nous laisse
✗ Tout pressentir que ce qui se raconte n’est raconté
refuser
par personne. Les personnages, au lieu d’être des porteurs
de Personnaliser
parole ou des sujets d’action sont dans un rapport de
non-identification
Politique de confidentialitéavec eux-mêmes. Ils perdent le pouvoir
de dire «  je  » et de maîtriser ce qui leur arrive et ses

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conséquences. Ce «  il  » impersonnel et anonyme devient


l’un des centres du questionnement du Pas au-delà32 . Le
«  il  » détient une pluralité qui ne se réduit à aucune
marque extérieure de pluralité  : «  “ils” désignerait encore
un ensemble analysable, par conséquent maniable33  ».
Dans l’espace ouvert par le « il », c’est le « je » qui accepte
de n’avoir qu’une identité « de fonction ou de fiction ». La
fiction littéraire et la narration ne sont donc jamais très
éloignées de la pensée et de l’écriture qui essaient
d’interroger cette dimension impersonnelle  : l’identité
fictionnelle d’un «  je  » qui se sait désormais illusoire
demande à être racontée. Le «  il  » est donc le lieu d’un
risque, d’un danger constant au bord du langage, la marque
d’un changement de sens qui surviendrait à l’intérieur de
tout «  moi  »  ; «  il  » est le nom anonyme du dehors qui
habite le dedans du sujet.
28 Si le « il » échappe à la loi du Même qui régit l’identité, il
ne peut cependant devenir simplement l’autre en tant
qu’autre moi, relation toujours facilement dialectisable et à
son tour réductible à l’identité et à la ressemblance.
L’indétermination du «  il  » devrait plutôt constituer le
rapport même de l’un à l’autre, un rapport infini,
discontinu, toujours en déplacement : « un mot peut-être,
rien qu’un mot, mais un mot en surplus, un mot de trop
que pour cela manque toujours. Rien qu’un mot34  ». Le
☝🍪
« il » (toujours attiré par le neutre) ne serait donc ni le moi,
ni un autre que moi (un autre moi), mais le lieu du rapport
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entre un «  moi  » devenu hypothétique et fictif et l’altérité
vous donne le contrôle sur
insaisissable
ceux d’un autre qui par avance fracture et morcelle
que vous souhaitez
activer
l’identité de tout « moi ».
29 Le «  il  » est le lieu du «  on  » et de l’anonymat, mais
✓ Tout accepter
Blanchot souligne à plusieurs reprises que «  l’anonymat
après le nom
✗ Tout n’est pas l’anonymat sans nom »35. Il s’agit de
refuser
la loi générale qui sous-tend tous les «  concepts non
Personnaliser
conceptualisables  » réunis sous le nom de neutre  : on ne
peut de
Politique simplement
confidentialité renoncer au pouvoir, à l’Un, à la
continuité et à la totalité du sens, à la présence, aux dieux,

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au sujet, à la parole vivante et au logos pour accéder au


non-pouvoir, à la passivité, à la différence, au discontinu,
au fragmentaire et au dehors.
30 L’anonymat ne peut donc pas effacer le nom, mais il le
traverse. Si le «  il  » est le lieu d’un vide au cœur de tout
nom et de tout sens, il ne s’agit pas d’un vide qui serait prêt
à être rempli par un sens infini, mais d’un vide qui reste tel
et qui traverse tous les sens, tous les noms, le lieu d’une
interruption qui dérange constamment tout langage, toute
écriture et toute action, qui en constitue la condition
impossible : « l’anonymat est porté par (il) qui dit toujours
le nom par avance oublié36 ». Le « il » est le nom sans nom
de « l’hôte inhospitalier qui nous a toujours précédés dans
notre maison ou dans notre moi37  ». On ne sera donc
jamais quitte du nom et de sa loi, l’anonymat nous est
donné dans le nom même, il est réaffirmé dans chaque
signature, qui nous désapproprie de notre identité tout en
l’affirmant, qui fait du nom propre un nom toujours
impropre. La forme la plus adéquate pour situer cet
imperceptible déplacement de toute parole, de toute
pensée, de toute identité, serait (peut-être) le peut-être. Le
peut-être (comme le neutre, comme le «  il  ») n’est ni le
«  oui  », ni le «  non  », ni affirmation, ni négation  : il
annonce et permet la chance, l’aléa, le hasard, le jeu, il est
la condition impossible de tout événement et de toute
☝🍪
rencontre. Un peut-être infini «  dédit  » de l’intérieur
l’écriture de Blanchot.
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L e que
ceux neutre ’
et l impersonnel
vous souhaitez
activer
31 Pour Blanchot, «  la voix narrative porte le neutre  »  : elle
✓ Tout
parle toujours
accepterà distance, sans rien révéler ni rien cacher,
se soustrayant à l’opposition visible/invisible,
✗ Tout refuser
lumière/ombre. Lévinas croit reconnaître à plusieurs
38
reprises dans le neutre de Blanchot la même
Personnaliser
impersonnalité qu’il attribue à l’être heideggerien, mais le
Politique de confidentialité
neutre blanchotien est plutôt une dimension anonyme du

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langage qui tend à suspendre le rapport à l’être, c’est


l’impensable qui doit être pensé, proche de ce qui est non-
humain dans l’humain, de la fatigue, de la mort, de la
souffrance, de la nuit. Les analyses de l’il y a, de la mort, de
l’expérience impossible de la fatigue et de la souffrance
dans les textes des années quarante de Lévinas39
exploraient ce même territoire de l’expérience, mais les
deux itinéraires de pensée se séparent à partir du moment
où Lévinas humanise la mort à travers la fécondité et
retrouve un espace personnel et une voie d’évasion dans
l’éthique.
32 L’impersonnel chez Blanchot n’est pas simplement un
attribut de l’être et de la pensée ontologique qu’il faudrait
aspirer à surmonter dans l’éthique, mais ce qui est toujours
à l’œuvre dans la rencontre de l’autre, dans l’expérience
littéraire, dans les échanges linguistiques.
33 Un «  humanisme de l’autre homme  » serait très
improbable dans la perspective de Blanchot, puisque la
dimension humaine et personnelle du langage côtoie
toujours le non-humain et l’impersonnel. L’illéité et
l’énigme constituent ainsi une dimension du langage (mise
en œuvre dans la littérature) avant d’être le lieu d’une
éthique. C’est pourquoi cette pensée doit devenir récit,
roman, fiction, doit trouver dans la littérature son temps
sans origine et son espace impossible. Chez Blanchot le
☝🍪
statut du sujet est pensé jusqu’à ses limites, jusqu’à une
dimension nomade et anonyme.
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L’impersonnel,
34 vous l’anonyme et l’effrayant sont à l’origine de
donne le contrôle sur
l’itinéraire
ceux philosophique de Lévinas comme de celui de
que vous souhaitez
activer
Blanchot, mais Blanchot ne s’en éloignera jamais : le « je »
et l’autre (« qu’il faut se garder d’honorer d’une majuscule
qui✓ le
Tout accepter
fixerait dans un substantif de majesté comme s’il
40
avait quelque
✗ Tout refuserprésence substantielle, voire unique   »), le
langage et le sens seront toujours pensés par Blanchot à
Personnaliser
partir de ce non-lieu originaire et sans origine.
Politique de confidentialité
Notes

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1. « La trace de l’autre » (1963) et « Énigme et phénomène » (1965), in


En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger (1949), Paris,
Vrin, 1967, p. 187-202 et p. 203-216.
2. Lévinas Emmanuel, Totalité et Infini (1961), Paris, Le Livre de poche,
« Biblio/Essais ».
3. « La trace de l’autre », op. cit., p. 197.
4. Ibid., p. 198.
5. Ibid., p. 199.
6. Ibid., p. 199.
7. Ibid., p. 199.
8. Derrida Jacques, La Voix et le phénomène, Paris, PUF, 1967.
9. Ibid., p. 35.
10. Ibid., p. 36.
11. Ibid., p. 40.
12. Lévinas Emmanuel, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence,
Paris, Le Livre de poche, « Biblio/Essais », 1974.
13. À ce sujet, je renvoie à la lecture de Paul Ricœur dans Autrement,
Paris, PUF, 1997.
14. Blanchot Maurice, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p.
497.
15. « La trace de l’autre », op. cit., p. 197-198.
16. Ibid., p. 201.
17. Ibid., p. 202.

☝🍪
18. Voir à ce sujet Derrida Jacques, « Violence et métaphysique. Essai
sur la pensée d’Emmanuel Lévinas  », in L’Écriture et la différence,
Paris, Seuil, 1967, p. 117-128.
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19. donne
vous « Énigme et phénomène »,
le contrôle sur op. cit., p. 210.
ceux que vous souhaitez
20. Ibid., p. 209.
activer
21. Hegel G.W.F., Esthétique, t. 2, Paris, Flammarion, «  Champs  »,
✓ Tout
1979, p.116.
accepter
22. Pour Œdipe, voir Blanchot Maurice, L’Entretien infini, op. cit., p.
✗ Tout refuser
21-24 ; pour le mythe d’Ulysse voir Le Livre à venir, Paris, Gallimard,
1959, p. 9-18 et pour Orphée, voir L’Espace littéraire, Paris, Gallimard,
Personnaliser
1955, p. 225-232.
Politique de confidentialité
23. Blanchot Maurice, L’Entretien infini, op. cit., p. 23.

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24. « Le demain joueur », in Blanchot Maurice, L’Entretien infini, op.


cit., p. 597-619.
25. Ibid., p. 608.
26. Ibid., p. 612.
27. Blanchot Maurice, L’Espace littéraire, op. cit., p. 23.
28. Blanchot Maurice, L’Entretien infini, op. cit., p. 558.
29. Ibid., p. 561.
30. Ibid., p. 561, note 1.
31. « La trace de l’autre », op. cit., p. 201.
32. Blanchot Maurice, Le Pas au-delà, Paris, Gallimard, 1973.
33. Ibid., p. 10.
34. Ibid., pp. 12-13.
35. Ibid., p. 52.
36. Ibid., p. 53.
37. Ibid., p. 55.
38. « Nous avons ainsi la conviction d’avoir rompu avec la philosophie
du Neutre : avec l’être de l’étant heideggerien dont l’œuvre critique de
Blanchot a tant contribué à faire ressortir la neutralité impersonnelle,
avec la raison impersonnelle de Hegel qui ne montre à la conscience
personnelle que ses ruses » (Totalité et Infini, op. cit., p. 274).
39. Lévinas Emmanuel, De l’existence à l’existant (1947), Paris, Vrin,
1978 ; Le Temps et l’autre (1948), Paris, PUF, « Quadrige », 1983.
40. Blanchot Maurice, L’Entretien infini, op. cit., p. 564-565.

Auteur ☝🍪
Manola Antonioli
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Manola Antonioli

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Docteur en philosophie et
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sciences sociales à l’EHESS,
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ancienne responsable de
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séminaire au Collège

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International de Philosophie
(Paris). Elle a publié  : L’Écriture
de Maurice Blanchot. Fiction et
théorie (Kimé, 1999)  ; Deleuze et
l’histoire de la philosophie
(Kimé, 1999) et Géophilosophie
de Deleuze et Guattari
(L’Harmattan, 2004). Elle a
également collaboré aux ouvrages
collectifs Aux sources de la
pensée de Gilles Deleuze I (dir.
Stéfan Leclercq) (Sils Maria/Vrin,
2005) et Gilles Deleuze, héritage
philosophique (dir. Alain
Beaulieu) (PUF, 2005). Elle a
codirigé (avec Pierre-Antoine
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Chardel et Hervé Régnault) le
Cevolume Gilles
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Guattari
ceux que vous souhaitezet le politique (Éditions
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du Sandre, 2006) et dirigé
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L’Abécédaire de Jacques Derrida
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(Sils Maria/Vrin, 2007).
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Ritournelle et phonotope in La
petite musique des territoires,
CNRS Éditions, 2014
Nietzsche et Blanchot  : parole
de fragment in Maurice
Blanchot et la philosophie,
Presses universitaires de Paris
Nanterre, 2010
Dessiner des cartes, tracer des
lignes in Cartographier,
Presses de l’Université Saint-
Louis, 2018
© Presses universitaires de Paris Nanterre, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


ANTONIOLI, Manola. Emmanuel Lévinas et Maurice Blanchot : trace,

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énigme et illéité In : Emmanuel Lévinas-Maurice Blanchot, penser la
différence [en ligne]. Nanterre  : Presses universitaires de Paris
CeNanterre, 2008
site utilise des (généré
cookies et le 25 septembre 2021). Disponible sur
Internet 
vous donne le: contrôle
<http://books.openedition.org/pupo/897>.
sur ISBN  :
ceux que vous souhaitez
9782821826885. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pupo.897.
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Référence électronique du livre


✓ Tout accepter
HOPPENOT, Éric (dir.) ; MILON, Alain (dir.). Emmanuel Lévinas-
Maurice
✗ ToutBlanchot,
refuser penser la différence. Nouvelle édition [en ligne].
Nanterre : Presses universitaires de Paris Nanterre, 2008 (généré le 25
septembre
Personnaliser2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pupo/845>. ISBN  : 9782821826885.
Politique de confidentialité
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pupo.845.
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Emmanuel Lévinas-Maurice Blanchot,


penser la différence
Ce livre est cité par
Ramírez Zuluaga, Luis Antonio. (2016) Una relación sin poder:
alteridad y ética del testimonio en Blanchot. Estudios de
Filosofía. DOI: 10.17533/udea.ef.n55a07

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