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Gaston Bachelard (1950) La dialectique de la durée 66

rier. Son effort d'analyse le conduit plutôt à « rendre à leur tâche de


spectateurs impassibles le temps et l'espace où sont les choses, et (à)
désespérer du devenir et de son intelligence ». Mais le même déses-
poir n'atteint pas l'acteur des synthèses [60] scientifiques, le savant
qui, en associant les formes diverses de la causalité, finit par construi-
re de toutes pièces des phénomènes précis et prévus. La science
contemporaine dispose de la variable temps comme de la variable es-
pace ; elle sait rendre le temps efficace ou inefficace à propos de qua-
lités distinguées. Peu à peu, quand la technique des fréquences sera
mieux connue, on arrivera à peupler le temps d'une manière disconti-
nue comme l'atomisme a peuplé l'espace.
À un certain point de vue, une technique du devenir doit pouvoir
suspendre l'action du temps. Pour avoir le même effet, il faut avoir la
même cause. Pour avoir la même cause, il faut que le temps n'agisse
pas sur le phénomène bien défini ; il faut qu'on puisse restituer la cau-
se dans son identité pour que l'effet soit restitué dans son identité. Or
la permanence de la cause ne saurait être clairement et sûrement réali-
sée qu'en partant de phénomènes rationalisés. On ne définit complè-
tement que ce qu'on comprend. Il n'y a vraiment que la cause bien or-
ganique qui puisse donner un effet bien défini. Le principe de causali-
té est toujours saisi comme jouant entre deux figures distinctes et très
nettes, en éliminant à la fois les accidents et les détails.
Autrement dit, il y a une hiérarchie dans le devenir comme il y a
une hiérarchie dans l'essence de l'être. Une cause déterminera d'autant
plus régulièrement son effet qu'elle réalisera plus purement son sché-
ma scientifique essentiel. Les expériences de physique qui réussissent
le mieux sont, non pas les plus simples, mais les plus organiques. Ce
sont celles où les précautions expérimentales ont été systématique-
ment prises, où le détail a été cantonné dans son rôle de détail, où l'on
est sûr du caractère non causal du détail. Quand on a conduit soi-
gneusement la polémique de la précaution, on se sent à l'abri des acci-
dents ; on se sent capable de déclencher la conduite du commence-
ment scientifique et de reporter à un temps déterminé le [61] phéno-
mène rationalisé. Il suffit de comparer les ondes entretenues utilisées
en T.S.F. aux étincelles toujours irrégulières et accidentelles produites
par les machines électriques du XVIIIe siècle pour comprendre ce
qu'est un phénomène temporellement maîtrisé. Le système moderne
apparaît en quelque manière comme un système temporellement clos,

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