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Plain-chant

Écriture et composition d’un recueil de Jean Cocteau

Fanny DEMEULDER
Marc DOMINICY

Laboratoire de Linguistique Textuelle et de Pragmatique Cognitive


Université Libre de Bruxelles

1. Introduction

Contrairement à la plupart des recueils de Jean Cocteau, pour lesquels on se trouve


confronté à des « dossiers de genèse »1 complexes et très fournis, Plain-chant a connu une
évolution génétique assez facile à retracer. Cependant, si les documents à prendre en compte
sont peu nombreux, leur richesse, qui nous a été révélée par les travaux — largement
inédits — de Léon Somville et de David Gullentops2, montre le cheminement suivi par
Cocteau dans l’écriture, et la composition même, de son ouvrage.
Nous commencerons donc par présenter les différents matériaux génétiques dont nous
disposons pour Plain-chant, afin de dégager ce qu’ils nous apprennent sur le processus global
qui a présidé à la création du recueil. Nous examinerons ensuite les variantes de deux
poèmes, en nous aidant des outils théoriques fournis par la théorie de l’évocation3. Cette
analyse de détail poursuit un double objectif : nous voulons d’abord établir que des liens
intimes unissent, dans Plain-chant, les niveaux microtextuel et macrotextuel ; mais aussi
illustrer les enseignements que les études de genèse peuvent livrer à toute enquête générale
sur le statut du recueil poétique.

1
Nous reprenons le terme à Pierre-Marc de Biasi pour désigner l’ensemble des « manuscrits et documents de
travail connus se rapportant à un texte dont la forme est parvenue, de l’avis de son auteur, à un état rédactionnel
définitif ou quasi définitif » (BIASI P.-M. de, « Qu’est-ce qu’un brouillon ? Le cas Flaubert : essai de typologie
fonctionnelle des documents de genèse », dans CONTAT M., FERRER D. (éds.), Pourquoi la critique génétique ?
Méthodes, théories, coll. « Textes et Manuscrits », CNRS Éditions, Paris, 1998, p. 34).
2
Léon Somville et David Gullentops se sont penchés sur le dossier de genèse de Plain-chant lorsqu’ils ont
préparé l’édition de ce recueil dans le cadre des Œuvres poétiques complètes (1999). Ils ont établi, à cette
occasion, un premier relevé de variantes dont l’apparat publié dans la « Bibliothèque de la Pléiade » n’a
conservé qu’une infime partie. Ce travail de pionnier, auquel ils nous ont très aimablement donné accès, nous a
permis d’aboutir à une description philologique très précise de notre matériel.
3
Pour plus de détails, nous renvoyons aux travaux théoriques cités en bibliographie.

1
2. Le dossier de genèse

Pour ce qui concerne Plain-chant, le dossier de genèse est principalement constitué d’un
manuscrit autographe conservé à la Bibliothèque Royale de Belgique. Ce document se
compose de trois cahiers de brouillon de même format, numérotés de « 1 » à « 3 »4 ; il
comprend trente-neuf poèmes : trente des trente-trois pièces figurant dans le recueil, ainsi que
neuf pièces qui n’ont finalement pas été retenues par Cocteau5.
Le manuscrit porte différentes indications qui, lorsqu’on les recoupe avec d’autres indices,
présents notamment dans la correspondance de Cocteau, permettent de situer assez
précisément l’époque de rédaction des trois cahiers autographes. Au début du premier cahier
apparaît la mention suivante : « Pramousquier 1921 ». Prise telle quelle, cette information
s’avère des plus problématiques. En effet, les différentes biographies de Cocteau, et en
particulier l’« Essai de chronologie détaillée » réalisé par Jean Touzot6, ne signalent aucun
séjour de l’écrivain à Pramousquier en 1921. Cette année-là, Cocteau passe l’été avec
Radiguet au Piquey. Par contre, en 1922, et après avoir séjourné au Lavandou de la mi-mai
au mois d’août, Cocteau et Radiguet partent pour Le Cap Nègre et s’installent à

4
On ne saurait affirmer que ces chiffres, écrits au crayon sur la couverture, sont effectivement de la main de
Cocteau. Quelqu’un les a peut-être ajoutés au moment où le manuscrit est sorti de la sphère privée pour entrer
dans le domaine public. Ce classement fait d’ailleurs difficulté. En effet, la numérotation des deuxième et
troisième cahiers entre en conflit avec les indications tracées par l’auteur sur les couvertures : alors qu’il est écrit
« Poème / 1922 » sur le cahier étiqueté « 3 », la couverture du cahier « 2 » porte la mention « Poème / 1922 /
Suite et fin ».
5
Voici le détail des poèmes que contient le manuscrit de Plain-chant :
1) Dans le premier cahier : « Aux Poisson-Pompadour… » (non retenu), « Je voyage bien peu… » (II, 16), « J’ai
peine à soutenir… » (III, 2), « Jetons dessus la ville… » (non retenu), « Notre entrelac d’amour… » (II, 7),
« Triste amour du corps… » (non retenu) ;
2) Dans le cahier « 2 » : « Si ma façon de chant… » (III, 4), « Ne m’interrogez plus… » (III, 6), « Lorsque mes
successeurs… » (I, 5), « Mon ange, vois, je te loue… » (I, 6), « À l’amour je retourne… » (II, 14), « Tes rires
retroussés… » (II, 12), « Je ne veux plus souffrir… » (II, 15), « Franchement je croyais… » (II, 17), « Il nous
faut dépêcher… » (II, 18), « Hélas ! vais-je à présent… » (II, 19), « Ainsi que se tournent les plantes… » (III, 1),
« Muses, qui ne songez… » (III, 8), « Gentil Francis,… » (non retenu), « Auric, Milhaud, Poulenc… » (III, 3),
« Les sœurs, comme un cheval… » (III, 7), « Malheur à celui-là qui dérange… » (non retenu), « Auric, Milhaud,
Poulenc… » (III, 3), « Les sœurs, comme un cheval… » (III, 7) ;
3) Dans le cahier « 3 » : « On m’a beaucoup haï… » (non retenu), « J’ai, pour tromper du temps… » (I, 1), « Je
n’aime pas dormir… » (II, 2), « Mon ange, laissez-moi… » (I, 3), « Je n’ai jamais d’argent… » (I, 2), « Laisse-
moi l’amour qui tue… » (non retenu), « Chaque fois que je m’amuse… » (I, 4), « Pomme j’ai mangé… » (non
retenu), « Je veux tout oublier… » (II, 1), « L’orgueil me gâche tout… » (II, 13), « Comme un bel acrobate… »
(non retenu), « Lorsque nous serons tous deux… » (II, 10), « Quand je te vois… » (II, 3), « Je regarde la mer… »
(II, 8), « Je peux regarder le soleil en face… » (II, 11), « Mauvaise compagne… » (II, 4), « Lit d’amour, faites
halte… » (II, 5).
6
TOUZOT J., « Essai de chronologie détaillée », dans Jean Cocteau. Qui êtes-vous ?, La Manufacture, Paris,
1990, p. 203-263.

2
Pramousquier, à la Villa Croix-fleurie, où ils demeurent jusqu’au 9 novembre. La genèse de
Plain-chant date donc, selon toute vraisemblance, de cette époque : le manuscrit aurait été
rédigé dans son intégralité au cours de l’été et de l’automne 1922 ; la date de « 1922 » se
trouve d’ailleurs mentionnée sur la couverture des deux autres cahiers.
La rédaction se serait ainsi placée à l’intérieur d’une période assez courte, comme en
témoigne, du reste, l’homogénéité du manuscrit — exceptionnelle, si l’on compare Plain-
chant aux autres recueils de Cocteau. Nous pouvons même nous donner un intervalle plus
précis, situé entre le mois d’août et le mois d’octobre de 1922. En effet, dans deux lettres que
Cocteau envoie à sa mère les 16 et 27 juillet 1922, le poète commente sa découverte des
origines illustres de Radiguet7, qui constituent le sujet du poème « Aux Poisson-
Pompadour… », rédigé sur la première page du cahier « 1 »8. Ce détail nous autorise à penser
que le poème a été écrit au brouillon à la même époque, sur un support quelconque, puis
recopié au net à Pramousquier, où Cocteau et Radiguet arrivent au début août. Une autre
missive de Cocteau, envoyée cette fois à Max Jacob, permet de fixer la fin de la période de
rédaction :

« Figure-toi que j’ai reçu (il n’y a pas d’autre terme) quarante
pages de poésie. Je n’en revenais pas. Je les regarde avec stupeur.
Jamais les Muses ne m’ont dicté moins moderne. M’aimeraient-
elles enfin comme je le mérite ? »9

Cette lettre suggère non seulement que le poète termine de rédiger le manuscrit de Plain-
chant au mois d’octobre, mais qu’il en écrit une grande part à cette période, et en un temps
très court. L’observation du manuscrit confirme cette conjecture. Si la rédaction du premier
cahier, où figure le poème dédié à Radiguet, a commencé au mois d’août, il n’en reste pas
moins que ce cahier se distingue nettement des deux autres par la modestie et par

7
« Madame Radiguet est une personne étonnante. […] J’ignorais qu’elle fût une Mlle d’Audifredy — donc une
Tascher, donc une parente de Joséphine. Voilà qui explique toute une partie créole du caractère de son fils. »
(Lettre de Jean Cocteau à sa mère, écrite du Piquey le 16 juillet 1922, reproduite dans le Magazine Littéraire,
numéro spécial « Jean Cocteau », n° 199, octobre 1983, p. 31) ; « Radiguet n’est pas seulement cousin de
Joséphine par sa mère, mais par son père Poisson-Pompadour. C’est inouï. » (Extrait de lettre de Jean Cocteau à
sa mère, écrite du Piquey le 27 juillet 1922, cité par Andrew Oliver dans les Cahiers Jean Cocteau, Gallimard,
Paris, n° 4, « Raymond Radiguet - Jean Cocteau », 1973, p. 43).
8
Ce poème, où il est question des origines illustres de Radiguet, est précédé de la dédicace « À R.R. » et fait
partie des quelques pièces pour lesquelles le manuscrit procure non pas un brouillon, mais une mise au net (voir
infra).
9
Lettre inédite de Jean Cocteau à Max Jacob, écrite de Pramousquier le 18 octobre 1922, citée dans KIHM J.-J.,
SPRIGGE E., BÉHAR H. C., Jean Cocteau : l’homme et les miroirs, coll. « Les Vies Perpendiculaires », La Table
Ronde, Paris, 1968, p. 142 [Mis en gras par nous].

3
l’hétérogénéité de son contenu10. Les deuxième et troisième cahiers, qui ont en commun la
mention « Poème / 1922 » inscrite sur leur couverture, contiennent en effet la majorité des
pièces de Plain-chant11. Leurs caractéristiques matérielles, et la disposition des textes,
montrent que certains groupes de poèmes ont été rédigés dans un même mouvement, ce qui
appuie l’hypothèse d’une période d’écriture très courte. Il semble donc bien que la majeure
partie de Plain-chant ait été composée pendant le seul mois d’octobre — « Octobre 1922 »
étant, de surcroît, la date imprimée à la fin du recueil dans la première édition.
Les poèmes paraissent écrits sous le coup de l’inspiration, et l’ordre dans lequel ils se
succèdent ne correspond pas à l’ordre de présentation du recueil, qui a été recomposé a
posteriori. Toutefois, si aucune vélléité de classement des poèmes ne se fait jour dans le
manuscrit, les grands ensembles qui constitueront l’organisation tripartite de Plain-chant
commencent à se dessiner dans les deuxième et troisième cahiers. Le cahier étiqueté « 2 »
comprend les poèmes de la fin de la première partie et de la deuxième partie du recueil,
auxquels il faut ajouter la quasi-totalité des poèmes de la troisième partie ; tandis que le
cahier étiqueté « 3 » contient le début des première et deuxième parties du recueil.
Le manuscrit traduit encore l’important travail de rédaction réalisé par Cocteau et rend
compte de plusieurs stades de son activité d’écriture. Tout d’abord, les cahiers offrent parfois
plusieurs versions d’un même poème ; et si la plupart des textes présents sont des premiers
jets, nous pouvons relever quelques « mises au net » de brouillons rédigés dans les cahiers ou
sur d’autres supports aujourd’hui perdus12. Ensuite, les pièces composées sur le manuscrit
même exhibent de nombreuses surcharges, ratures, biffures — avec, en fin de compte, un
grand nombre de modifications effectuées par l’auteur et des centaines de variantes. Notons
que certaines de ces révisions semblent avoir été apportées après la rédaction initiale. Ces
corrections ultérieures sont dénoncées par le changement du matériel utilisé pour écrire : les
poèmes écrits à l’encre présentent alors des modifications apportées au crayon, et
inversément. Cocteau est ainsi revenu « après coup » sur certains poèmes, mais —
phénomène intéressant — les rectifications postérieures à la première rédaction paraissent

10
Le premier cahier ne compte que dix pages (les autres ont été arrachées) et seulement six poèmes : trois
inédits, ainsi que les pièces (II, 7), (II, 16) et (III, 6).
11
Le cahier « 2 » contient seize poèmes, contre dix-sept dans le dernier (voir supra, note 5).
12
Un faisceau de facteurs convergents permet de distinguer les poèmes mis au net des brouillons : l’utilisation
d’encre, la propreté de l’écriture, l’absence ou la rareté des repentirs, ainsi que l’introduction massive d’une
ponctuation qui est utilisée de manière erratique dans les brouillons.

4
simultanées pour plusieurs d’entre eux, ce qui indiquerait qu’elles ont été introduites lors
d’une relecture globale des textes.
Le recueil, rédigé pour une grande part au mois d’octobre 1922, paraît pour la première
fois en automne 1923, aux éditions de la Librairie Stock, Delamain et Boutelleau. Cocteau a
mis à profit l’année qui s’est écoulée entre la rédaction et la publication pour modifier encore
certains textes et pour organiser définitivement le recueil. Les seules informations directes
dont nous disposions sur l’activité de l’écrivain pendant cette période nous sont fournies par
le premier jeu d’épreuves13 ; les autres documents sont aujourd’hui perdus14.
Les épreuves nous confirment que le travail de révision s’est prolongé au-delà de la
période de rédaction proprement dite. Les textes imprimés, qui présentent des différences par
rapport à la dernière version du manuscrit, portent de nouvelles corrections de la main de
l’auteur. Les poèmes sont désormais distribués en trois parties. Enfin, Cocteau ajoute deux
pièces manuscrites, à joindre à la deuxième partie du recueil15. Nous savons ainsi que, sur les
trente-trois poèmes de Plain-chant, trente ont été sélectionnés par Cocteau dans le manuscrit,
et deux autres ont été joints aux premières épreuves. Pour ce qui est du texte restant16, les
informations fournies par David Gullentops17 ne nous permettent pas de déterminer s’il a été
inséré dans le recueil lors de la mise au net définitive, et figure donc dans le premier jeu
d’épreuves sous une forme imprimée, ou s’il est annexé au deuxième jeu d’épreuves. Quoi
qu’il en soit, les adjonctions portent le nombre de poèmes à trente-trois. Sans préjuger de
l’éventuelle interprétation théologique qu’il conviendrait, ou non, d’appliquer à Plain-chant,
nous pensons que ce choix n’est pas innocent, compte tenu de l’intérêt manifesté par Cocteau
tant pour la numérologie que pour la figure christique, à laquelle il s’identifiait volontiers18.
Dès 1923, Plain-chant possède sa structure définitive, avec une division en trois parties
comprenant respectivement 6, 19 et 8 pièces. Le nombre de poèmes et leur organisation dans

13
Ces épreuves appartiennent à une collection particulière ; voir la description de David Gullentops dans {Éd.
99}, p. 1632.
14
Sur la page de garde des premières épreuves, Cocteau fait la demande explicite d’un deuxième jeu, dont on
peut dès lors supposer qu’il a bel et bien existé, même s’il a aujourd’hui disparu. De la même manière, il a dû
exister au moins un manuscrit de mise au net, et peut-être un dactylogramme, qui constitue(nt) le(s) chaînon(s)
manquant(s) entre le manuscrit composé des cahiers de brouillon et les premières épreuves.
15
Il s’agit des pièces « Rien ne m’effraye plus… » (II, 6), et « Au moment de plonger… » (II, 9).
16
Il s’agit du poème « Les muses sont de feux… » (III, 5).
17
Voir note 13.
18
Voir TOUZOT J., « Un certain J.C. », dans Jean Cocteau. Le poète et ses doubles, Bartillat, Paris, 2000, p. 142-
150.

5
le recueil ne seront plus modifiés dans les éditions ultérieures, à l’occasion desquelles
Cocteau apportera pourtant quelques corrections mineures à l’un ou l’autre texte19.

3. Du micro-textuel au macro-textuel

Tous les éléments mis en lumière par l’étude du dossier de genèse nous amènent à un seul
et même constat : Plain-chant s’est immédiatement imposé à Cocteau comme un recueil. Au
contraire d’autres œuvres, telles que Vocabulaire — dont la rédaction s’étale sur plus d’un an
et pour lequel il existe de nombreux supports —, Plain-chant a été conçu, d’emblée, comme
un tout, et les poèmes qui le constituent comme des parties de ce tout. Le travail de
structuration qui donne son architecture et sa cohérence à Plain-chant, et qui l’a fait
considérer par plusieurs critiques comme « un long poème », répond donc bien à une intention
préalable de l’auteur. Nous voudrions maintenant montrer que les modifications de détail que
Cocteau a successivement apportées au texte de ses poèmes procèdent de la même
intentionnalité, dans la mesure où elles contribuent à la cohérence du recueil en assignant à
celui-ci une portée « éthique » de mieux en mieux assurée. Pour établir le bien-fondé de cette
hypothèse, que nous avons déjà esquissée en d’autres circonstances20, nous allons procéder à
une analyse comparative des variantes relevées pour deux poèmes : « J’ai, pour tromper du
temps… » (première pièce de la première partie) et « Je n’aime pas dormir… » (deuxième
pièce de la deuxième partie)21.

3.1. « J’ai, pour tromper du temps… »

Abordons la construction sémantique et pragmatique de ce poème en partant des vers 7 et


8, qui ont connu une importante évolution :

19
Les rééditions parues du vivant de l’auteur — en 1925, dans Poésie 1916-1923, aux éditions N.R.F-Gallimard,
et en 1947, dans le troisième tome des Œuvres complètes de Jean Cocteau éditées chez Marguerat — présentent
quelques variantes lexicales, grammaticales et de ponctuation. Ces variantes, répertoriées par Léon Somville et
David Gullentops, sont signalées pour la plupart dans {Éd. 99}.
20
DOMINICY M., « La genèse textuelle d’un poème de Plain-chant », Revue des Lettres Modernes, Jean Cocteau
3: écriture et création, textes réunis et présentés par D. GULLENTOPS, Minard, Paris, 2001, p. 75-90.
21
Chacun des poèmes analysés apparaît en annexe ; la version originale, parue en 1923, est suivie d’une version,
établie sur base du manuscrit, qui reprend l’ensemble des variantes en un seul texte. C’est grâce à la précieuse
collaboration de David Gullentops, et en exploitant le premier travail de recensement des variantes qu’il a réalisé
avec Léon Somville, que nous avons pu éditer la version manuscrite des poèmes (voir DEMEULDER F., La genèse
textuelle de Plain-chant. Étude des variantes d’un recueil poétique de Jean Cocteau, mémoire de licence,
Université Libre de Bruxelles, 2001).

6
7’a Il faut que l’amour naisse au moment qu’on étonne
8’a Par un cri tendre et bref.
7’b ! Il faut qu’un long amour cent fois le cœur étonne
8’b À force d’être bref.

Dans leur état initial, ces vers traitaient d’un moment particulier — la naissance de l’amour
— en l’associant d’emblée à l’acte sexuel. Dépassant la relation d’une expérience érotique
ponctuelle, la deuxième version, qui introduit un énoncé oxymorique (l’amour est à la fois
long et bref), donne accès à une autre lecture : l’interprétation purement sexuelle s’est
opacifiée au profit d’une compréhension métaphorique du terme « amour ». Celui-ci a en
effet, dans Plain-chant, une double valeur sémantique, puisqu’il désigne à la fois la passion
amoureuse et la puissance créatrice. Les vers évoquent maintenant la figure d’un poète qui
cherche à toujours se renouveler, en accord avec une conception esthétique bien illustrée par
le fameux « Étonne-moi » que Serge de Diaghilev aurait lancé à Jean Cocteau, et qui aurait
abouti à la création de Parade22.
La modification des vers 7 et 8 témoigne également d’une évolution qui apparaîtra dans les
autres quatrains. La première version implique nettement un rapport à l’autre — puisque dans
« qu’on étonne par… », il s’agit bien d’étonner quelqu’un ; mais, dans la version revue, le
syntagme « le cœur » se laisse comprendre comme une métonymie du « moi » poète. Cette
métonymie, qu’on trouve à plusieurs reprises dans Plain-chant23, installe par ailleurs une
distance à l’intérieur même du sujet poétique ; nous y reviendrons.
Dans Le Secret professionnel, conférence donnée aux étudiants des Belles Lettres de
Genève et Lausanne en 1921, Cocteau revient, mais en termes théoriques, sur cette même
nécessité d’un perpétuel renouvellement esthétique dont l’évocation trouve progressivement
sa place au fil de nos variantes :

« Chaque année d’un poète doit avoir son automne, et chaque fois
ses fruits verts doivent faire faire la grimace et rendre malades
ceux qui croyaient n’avoir plus jamais qu’à mordre dans des fruits
mûrs. »24

22
Comme le souligne Jean Touzot, « Diaghilev est mort sans avoir eu le loisir de confirmer qu’un soir de 1913,
place de la Concorde, il a bien dit à Cocteau, en rajustant son monocle : “Étonne-moi” » (TOUZOT J., Jean
Cocteau. Le poète et ses doubles, Bartillat, Paris, 2000, p. 173).
23
Citons, par exemple : J’ai le cœur écorché et chacun le croit sec (I, 2), ou encore : La ville, grâce à vous, me
croit le cœur méchant (I, 3). Voir aussi les poèmes (I, 4), (II, 1), (II, 16), (II, 17), (III, 3).
24
COCTEAU J., Le Secret professionnel, dans Œuvres complètes de Jean Cocteau, Marguerat, Lausanne, 1950,
vol. IX, p. 181. Notons qu’un vers de Plain-chant reprenait l’image des « fruits verts », avant que Cocteau ne le

7
La récurrence d’une telle idée tant dans les textes programmatiques que dans les vers de notre
poème montre que, contrairement à un préjugé trop répandu, la démarche de Cocteau ne
saurait être taxée d’inconsistance. Proclamant le caractère impérieux d’une création sans
cesse renouvelée, Cocteau revendique le droit à une multiplicité qui n’est pas frivolité. On
comprend dès lors pourquoi, dans la version finale, il a éliminé par deux fois l’expression
« cent fois » :

2’ Chanté de cent façons


2 " Chanté de vingt façons.

7’b Il faut qu’un long amour cent fois le cœur étonne


7 " Il faut qu’un long amour souvent le cœur étonne

Si la modification apportée au vers 7 avait eu pour seul objectif de supprimer la répétition du


déterminant numéral « cent », déjà présent au vers 2, ce dernier aurait pu être maintenu en
l’état. La double correction faite par Cocteau obéit donc à une exigence plus profonde : celle
de bloquer une lecture simplement hyperbolique des vers 2 et 7. Dire que l’on a agi cent fois
de telle ou telle façon revient à adopter une formulation délibérément fausse, où le nombre
cent ne se voit mentionné que pour suggérer, par implicitation25, que tout s’est passé comme si
l’on avait agi cent fois ; ce qui importe alors, ce n’est pas la taille réelle de l’ensemble des
événements vécus, mais l’évaluation subjective que le locuteur applique à cet ensemble et aux
conséquences qui s’y trouvent associées. Toutes choses égales par ailleurs, « de vingt façons»
et « souvent » autorisent davantage une lecture littérale, où le « moi » évoque non plus les
effets que son écriture poétique aurait exercé ou devrait exercer sur lui, mais les propriétés
objectives qu’il a données, et qu’il continuera de donner, à cette pratique même.
Nous l’avons dit, Cocteau capte sa démarche de poète à l’aide d’un oxymore — mode
d’expression, proche de la maxime, dont le caractère évocatif se trouve accentué par
l’introduction du terme générique « le cœur ». Par ce moyen, l’auteur parvient à illustrer sa
position au moment précis où il l’énonce, puisqu’il définit son esthétique du changement en
recourant à une formule concise qui répond elle-même à la recherche de simplicité et de

modifie et ne crée un énoncé oxymorique qui continue d’exploiter la métaphore fruitière : Et les fruits [verts et
durs] " Et les ! nos fruits aigrelets se révèlent à point (I, 5).
25
Voir, par exemple, WILSON D., SPERBER D., « Remarques sur l’interprétation des énoncés selon Paul Grice »,
Communications, n° 30, 1979, p. 80-94.

8
brièveté qu’il préconise. Que ce laconisme relève bel et bien d’une intention consciente, Le
Secret professionnel nous le confirme :

« Que par exemple, un poète revenu, concentre dans un seul vers


ce qu’il délayait jadis en quatre strophes. »26

Dans cette perspective, la suppression de la strophe suivante ne doit pas nous surprendre.
Outre qu’ils atténuaient la force de la formule-choc précédemment utilisée, ces quatre lignes
imprimaient à tout le passage une rhétorisation excessive, qui se voyait encore augmentée par
l’emploi du connecteur argumentatif « Mais »27 à l’initiale du vers 9’. Le texte adoptait, à cet
endroit, une allure franchement déontique : après avoir énoncé ce que le poète doit faire,
Cocteau nous expliquait ce qu’il ne doit pas faire — c’est-à-dire vouloir réaliser toujours la
même chose et, lorsqu’il y parvient, en tirer de l’orgueil. Dès lors qu’il s’est débarrassé de
cette strophe gênante, Cocteau a aussi pu supprimer l’attaque inutilement argumentative du
vers 9’.
Dans sa version éditée, le vers 5 renferme une occurrence du mot « gloire » qui contribue,
elle aussi, à désactiver une interprétation uniquement érotique des vers 7 et 8 :

5’ C’est peu que l’habitude à force vous couronne


6’ Lorsqu’on a vieux le chef
5 ! C’est peu que l’habitude une gloire couronne
6 Lorsqu’elle a vieux le chef ;

Le syntagme « une gloire » peut être compris comme le complément d’objet ou comme le
sujet du verbe « couronne ». L’état originel du vers, la syntaxe et l’emploi des articles —
défini, puis indéfini — plaident pour la première possibilité (« l’habitude couronne une
gloire »), tandis que la sémantique favoriserait la seconde (« la gloire couronne une
habitude »). Il s’agit là d’un procédé d’écriture qui, partant d’un stéréotype ou d’un cliché, en
inverse les termes de manière à transférer sur une formulation inédite le poids évocatif d’une
expression traditionnelle28. Ainsi, tout en rejetant l’idée que la gloire vienne couronner
l’habitude, et donc l’absence même de renouvellement esthétique, Cocteau énonce, comme

26
COCTEAU J., Le Secret professionnel, dans Œuvres complètes de Jean Cocteau, Marguerat, Lausanne, 1950,
vol. IX, p. 204.
27
Voir, par exemple, ANSCOMBRE J.-C., DUCROT O., « Deux mais en français ? », Lingua, 43, 1977, p. 23-40.
28
Ainsi, Baudelaire écrit La musique souvent me prend comme une mer ! à partir de l’expression figée « prendre
la mer ». Voir DOMINICY M., « Pour une étude linguistique des variantes : l’exemple des Fleurs du mal », dans
HAUSMANN F.-R. et al. (éds.), Haben sich Sprach- und Literaturwissenschaft noch etwas zu sagen ?,
Romanistischer Verlag (Abhandlungen zur Sprache und Literatur, 100), Bonn, 1998, p. 69-93.

9
par une maxime, ce qui lui paraît être une condition nécessaire, mais assurément pas
suffisante, de l’accomplissement poétique : à savoir, qu’une certaine habitude sanctionne une
certaine gloire. Les vers 7 et 8 pourront alors nous dire que cette habitude doit justement
consister à ne pas se laisser emprisonner par l’habitude… Comme dans le poème qui suit
immédiatement notre texte (« Je n’ai jamais d’argent… » ; I, 2), la « gloire » dont il est
question semble préexister à son propre couronnement ; d’où un paradoxe cognitif que seule
une interprétation symbolique nous permet de lever29. Parce qu’elle est avant tout intérieure,
la « gloire » poétique ne doit pas rechercher sa justification en dehors d’elle-même — par
exemple, dans son rapport à un public. Mais, en même temps, son caractère intrinsèque, et
donc objectif, l’autorise à se détacher du sujet dans lequel elle s’incarne. L’élimination du
pronom personnel « vous » converge ainsi avec deux des modifications apportées au vers 7 :
le remplacement de « on » par « un long amour » comme sujet du verbe « étonne », et
l’introduction du syntagme « le cœur », pris en tant que métonymie distanciatrice du « moi »
poétique.
La distanciation qui s’est esquissée de la sorte se voit encore accentuée, dans la troisième
strophe, par la suppression du « moi » initialement présent aux vers 10 et 12 :

10’ Et son " mon " son livre à la main


12’ Qui me loueront " forment " formeront demain

Parallèlement, la figure du poète connaît une autonomisation progressive, déjà amorcée avec
la révision des strophes précédentes. Car la disparition du « moi » s’accompagne, au vers 12,
de l’abolition de toute dépendance vis-à-vis de l’autre : le prédicat « me loueront demain »,
qui insiste sur le rapport du poète à son public, se voit remplacé par « forment demain », puis
par « formeront demain ». Si l’expression « forment demain » soulignait bien, par son
recours au présent, le rôle actif que doit remplir le véritable avant-gardisme littéraire, elle
créait un problème métrique que le retour au futur a permis de résoudre.
L’interprétation que nous venons de proposer éclaire la modification apportée au vers 9 :

9’ Mais dédaigné de tous, libre de récompenses


9 " Alors, jeune toujours, libre de récompenses,

Dans sa première version, ce vers évoque, en accord avec la doxa romantique, les relations
qui unissent le poète au monde extérieur : il est « dédaigné de tous ». Cocteau supprime

29
Voir l’article cité en note 20.

10
ensuite l’allusion aux autres (« tous »); et le prédicat relationnel initialement présent est
remplacé par un prédicat dénotant une qualité inhérente. La deuxième caractéristique
évoquée (« libre de récompenses ») apparaissait moins, dans la première version, comme une
propriété essentielle du poète que comme le résultat du dédain que les autres manifestaient à
son égard : si le poète est dédaigné de tous, il ne peut être que libre des récompenses qui ne
lui sont pas attribuées ; mais une fois la correction effectuée, cette liberté acquiert le statut
plein et entier d’une propriété interne.
Cocteau est ainsi parvenu à lier intimement l’autonomisation acquise par la figure du poète
et le détachement que ce dernier doit manifester par rapport aux composantes purement
subjectives des expériences qu’il a vécues. Nous savons qu’au moment où il rédige Plain-
chant, Cocteau est l’une des cibles favorites des surréalistes30. Pareil acharnement l’affecte,
et l’idée qu’on le hait émerge dans les premières versions de plusieurs poèmes31. Mais le
texte publié ne retiendra aucune allusion précise à ces aspects de sa situation personnelle.
La réécriture du vers 11 nous aide à mieux saisir les corrélats cognitifs de l’évolution que
nous avons décrite jusqu’ici :

11’ Voir se former " se [nouer] " commencer les jeux, les
luttes et " les manœuvres, les danses
11 " On devine les jeux, les manœuvres, les danses,

Le verbe « voir » impose, à la différence de « deviner », que la situation dénotée par la


subordonnée infinitivale fasse l’objet d’une perception visuelle, même si celle-ci opère par
simple « imagerie mentale ». L’accès perceptuel à l’information32 implique l’extériorité du
sujet de perception: comme l’énonce Wittgenstein, l’œil n’appartient pas au champ visuel33.

30
Pendant son séjour à Pramousquier, Cocteau est l’objet de plusieurs attaques dans le magazine Littérature.
Dans le numéro de septembre, on peut lire cette critique de Jacques Baron : « Monsieur Jean Cocteau vient de
publier un livre qui est intitulé Vocabulaire. C’est tout ce qu’on peut imaginer de mieux comme saloperie ». Les
railleries se multiplient en octobre — avec, entre autres, cette virulente définition de Benjamin Péret : « Jean
Cocteau : une crotte d’ange. Raymond Radiguet : la pelle à crotte d’ange. Max Jacob : le cœur de Jésus » (cité
dans KIHM J.-J., SPRIGGE E., BÉHAR H.C., Jean Cocteau : l’homme et les miroirs, coll. « Les Vies
Perpendiculaires », La Table Ronde, Paris, 1968, p. 144).
31
La haine portée au poète constitue même le sujet d’une pièce manuscrite que Cocteau n’a finalement pas
retenue (« On m’a beaucoup haï… », En marge de Plain-chant, dans {Éd. 99}, p. 377).
32
Sur l’importance de la distinction entre accès perceptuel et accès épistémique pour l’analyse de la poésie, voir
trois articles de M. DOMINICY: « La perception dans Serres chaudes », Degrés, n° 84, 1995, p. b1-b27 ; « La
fabrique textuelle de l’évocation. Sur quelques variantes des Fleurs du mal », Langue Française, n° 110, 1996,
p. 35-47 ; « Tête de faune ou les règles d’une exception », Parade Sauvage, 15, 1998, p. 109-188.
33
WITTGENSTEIN L., Tractatus Logico-Philosophicus, traduction française par G.G. GRANGER, Gallimard, Paris,
1993, paragraphe 5.633.

11
Avec « deviner », qui a le sens intellectuel d’« appréhender les mouvements de demain, ce qui
fera demain », l’accès à l’information devient épistémique, et le processus d’acquisition de la
connaissance peut demeurer purement intérieur. Non seulement la gloire poétique ne procède
plus d’une reconnaissance par autrui, mais le processus de création se révèle lui-même
inhérent à l’activité mentale du sujet épistémique. Dans une telle perspective, le
remplacement de « luttes » par « manœuvres » constitue une nouvelle marque de cet
effacement de toute dichotomie entre le poète et le monde extérieur. Si « luttes » et
« manœuvres » nous renvoient l’un et l’autre à l’idée de guerre ou de conflit, le second terme
renferme, par le biais de son usage technique en contexte militaire, une potentialité
sémantique qui fait défaut à « luttes »: celle d’évoquer un affrontement que l’on peut feindre
en l’absence même d’un quelconque ennemi.
Dans les versions successives du vers 16 :

16’ Fidèle au " Viens à mon rendez-vous


16 " Pense à mon rendez-vous ;

le premier état renferme une ambiguïté syntaxique ; en effet, le syntagme adjectival « Fidèle
au rendez-vous » modifie soit « une grande voix », soit « mon oreille ». La correction
« Viens à mon rendez-vous » supprime l’ambiguïté, en privilégiant a posteriori la seconde
lecture. La voix, dont on apprendra dans le poème (I, 2) qu’elle est celle de l’ange, ordonne
désormais au poète de venir au rendez-vous fixé, ce qui implique un déplacement et donc une
extériorité spatiale. Dans la version éditée, où « Pense » remplace « Viens », l’ange —
puisque c’est de lui dont il s’agit — quitte la sphère extérieure pour s’intégrer au monde
intérieur de la vie mentale. La création poétique devient donc, de nouveau, un processus
inhérent au poète.
Corollairement à cette « stratégie involutive »34, les variantes témoignent encore d’un autre
phénomène : la perte progressive du contrôle que le poète pourrait exercer sur un destin
personnel dont, comme nous l’avons vu, il se distancie dans le même temps. L’ambiguïté
syntaxique du vers 16’ permettait d’envisager que le poète conserve un véritable contrôle des
événements, puisque la fidélité d’une voix présente au rendez-vous ne pouvait se concevoir
que si celui-ci était fixé par le poète. Lorsque c’est la voix qui détient cette capacité
décisionnelle — quand, désormais, c’est la voix qui fixe le rendez-vous —, l’impératif
« Viens » laisse au poète la liberté de se conformer, ou non, à l’ordre ou l’appel ainsi énoncé.

34
L’expression est utilisée dans l’article cité en note 20.

12
Mais à partir du moment où l’ange et sa voix appartiennent au monde intérieur du poète, et
règnent sur ses pensées, celui-ci perd toute indépendance de décision35.
Nous le voyons, les modifications apportées aux troisième et quatrième strophes vont dans
le même sens. À cet égard, il est intéressant d’observer que, de la version manuscrite à la
version éditée, Cocteau a remplacé « Voici » par « Voilà » au début de la quatrième strophe.
De la sorte, il a créé un lien plus étroit entre le contenu de cette strophe et ce qui la précède.
Contrairement à « Voici », qui est nécessairement cataphorique, « Voilà » autorise deux
lectures, anaphorique ou cataphorique : avec « Voilà pourquoi… », la raison évoquée peut
figurer aussi bien dans le contexte antérieur que dans ce qui suit.
Les autres révisions de la quatrième strophe conduisent, quant à elles, à un résultat
conforme aux hypothèses déjà avancées :

13’ Voici pourquoi la mort rien qu’à demi m’effraye


14’ Et m’évite " Que j’accepte les coups
13 ! Voilà pourquoi la mort également m’effraye,
14 Et me fait les yeux doux ;

Le verbe « m’effraye » est passible de deux interprétations: soit « j’ai peur de la mort »
(lecture non-agentive), soit « la mort fait tout pour me faire peur » (lecture agentive)36. Dans
la première version du vers 13, « rien qu’à demi » bloque la lecture agentive, tandis que le
prédicat qui se trouve coordonné à « m’effraye » — « m’évite les coups » — est clairement
agentif. Le vers évoque alors un « je » qui dit n’avoir qu’à moitié peur de la mort et pense —
idée quelque peu puérile — que la mort le protège en lui « évitant les coups ». La
modification du vers 14, désormais centré sur les réactions émotives d’un poète qui adopte
une attitude d’acceptation face à son destin, semble compromettre toute possibilité
d’appliquer une lecture agentive au vers 13. Mais, de façon remarquable, Cocteau va parvenir
à une synthèse dans la version définitive. En effet, l’adverbe « également », qui remplace
« rien qu’à demi », remédie au manque de cohérence qui affectait, jusque là, la coordination
des deux prédicats: puisque le second prédicat — « me fait les yeux doux » — s’avère
clairement agentif, l’utilisation d’« également », qui a ici le sens d’« à la fois », impose la
lecture agentive de « m’effraye ». On aboutit ainsi à un nouvel énoncé oxymorique : la mort

35
Remarquons que, dans le vers 11’, les prédicats « se former » et « se nouer » sont délaissés au profit de
« commencer », qui n’implique aucune prise de décision : un processus peut commencer sans l’intervention d’un
quelconque acte de volonté.
36
Voir, par exemple, RUWET N., « Les verbes de sentiment peuvent-ils être agentifs ? », Langue Française, n°
105, 1995, p. 28-39.

13
effraye et fait les yeux doux ; elle terrorise autant, et d’autant, qu’elle attire. On voit où se
situe l’évolution : alors qu’au départ, les vers évoquent l’attitude du poète face à la mort, la
personnification d’une mort qui possède désormais toute la capacité d’agir accentue l’idée que
le poète n’a aucune prise sur son destin. Cette mort qui est réservée au poète, puisqu’elle lui
accorde une attention particulière, ne dépend ni des autres, ni même de lui ; elle se produit en
lui.
Revenons enfin au premier quatrain, pour montrer que le remplacement de « relative » par
« mal-sonnante » se laisse comprendre à la lumière de tout ce qui vient d’être dit :

1’a J’ai pour du vieil hiver tromper


1’b " J’ai pour tromper du temps la relative " mal-sonnante
horloge

Si l’on se fonde sur les définitions du dictionnaire, le modificateur « relative » qualifie un


temps (mesuré par une horloge) « qui constitue, concerne ou implique une relation », « qui
n’est tel que par rapport à une autre chose, qui ne se suffit pas à soi-même, n’est ni absolu, ni
indépendant », ou encore, qui est « incomplet, imparfait, partiel ». Une « horloge relative »
ne marque pas les heures de façon fiable et régulière ; elle dote le temps d’une instabilité
somme toute artificielle. Cet emploi de « relative » demeure assez obscur et même
paradoxal : pourquoi voudrait-on « tromper » quelque chose qui est, de toute manière,
« relatif » ? Au contraire, « mal-sonnante » autorise une double lecture du vers 1. La « mal-
sonnante horloge » peut nous renvoyer au temps inadapté de l’amour : on songe à l’obsession
que — dans son « vieil hiver » — Cocteau entretenait quant à la différence d’âge qui existait
entre lui et Radiguet ; mais elle fait aussi écho à un postulat esthétique énoncé, une fois
encore, dans Le Secret professionnel :

« Qu’il y a toujours très peu de gens de leur époque, puisqu’un


précurseur ne saurait exister et qu’il suffit d’un seul de ces
prétendus précurseurs, c’est-à-dire d’un seul homme qui exprime
l’époque malgré elle, pour que, sans le savoir, toute l’époque boite
derrière lui »37

« Non que le vrai poète devance l’époque et se trouve au dessus


d’elle. Il est l’époque. Mais toute son époque retarde, se trouve au
dessous de lui.»38

37
COCTEAU J., Le Secret professionnel, dans Œuvres complètes de Jean Cocteau, Marguerat, Lausanne, 1950,
vol. IX, p. 202.
38
COCTEAU J., Le Secret professionnel, dans Œuvres complètes de Jean Cocteau, Marguerat, Lausanne, 1950,
vol. IX, p. 166.

14
3.2. « Je n’aime pas dormir… »

En lisant les variantes de ce poème, on constate rapidement qu’une modification essentielle


a affecté les quatre premières strophes. Dans les états initiaux, le texte traite d’une expérience
érotique singulière, et de la hantise que le locuteur ressent face au départ de l’être aimé. C’est
seulement au terme de multiples repentirs que la mort vient se substituer, dans le vers 3, à la
perte du bonheur, au malheur ou au chagrin :

1’ J’ai tellement aimé que ta figure habite


2’ Mon épaule et mon cœur
3’a1 Que le jour qui
3’a2 " Que si devait cesser " finir cette douceur " chance
petite
4’a Je pleurerais " souffrirais beaucoup
3’b1 ! Qu’en pensant à la fin de
3’b2 " Qu’en pensant au bonheur qui nous lâche si vite
3’b3 " Qu’en pensant au <bonh> " au mal " au chagrin " à
la mort qui nous gagne si vite
4’b Je pleure tout à coup

Encore peut-on comprendre, à ce stade, que l’état mental du sujet porte moins sur
l’éventualité même de la mort que sur la séparation qu’elle produira inéluctablement. La
version manuscrite de la deuxième strophe appuie une telle interprétation, dans la mesure où
le connecteur « Car »39 fournit une justification très naturelle à l’assertion des vers 3 et 4 :

5’a C’est plus qu’un " Car plus (que ") qu’un grand bonheur
5’b " Car plus qu’un grand orgueil " [désir] une chose
pareille
6’ Me fait atroce " donne de la peur
7’a Ne plus peut-être un jour
7’b " Ne plus en sommeillant entendre à mon oreille
8’ Ton haleine et ton cœur

Lors du passage à la version publiée, Cocteau supprime tout contraste entre les deux
premières strophes. Au départ, se succédaient une émotion ponctuellement ressentie (avec un
verbe conjugué au passé composé ; vers 1’-2’) ; une émotion soit potentielle (avec un verbe
au conditionnel ; vers 3’a1-2-4’a), soit factuelle mais répétable (avec un verbe au présent
combiné à « tout à coup » ; vers 3’b1-2-3-4’b) ; et enfin une émotion générique (deuxième

39
Nous nous fondons ici sur FRANKEN N., La théorie de la pertinence et les connecteurs, mémoire de licence,
Université Libre de Bruxelles, 1994, qui renvoie à toute la littérature antérieure.

15
strophe). À l’arrivée, on ne trouve plus qu’un ensemble d’émotions génériques, toutes
évoquées au présent, sans aucune modification adverbiale. De plus, le connecteur « Car »
s’est déplacé au vers 3, de manière à transformer profondément le rapport qui se noue entre
les émotions du locuteur et son état épistémique de pensée. Au lieu que la pensée vienne, en
s’insinuant, troubler les sentiments du poète, elle constitue désormais l’ingrédient
indispensable de ses appréhensions et de sa peur ; l’emploi de « Car » indique, en effet, que la
seule existence d’une telle pensée justifie l’assertion des vers 1 et 2, par laquelle le « je »
s’auto-attribue une émotion générique.
Parallèlement à ce travail sur la généricité des états mentaux, l’auteur a aussi exploité
l’ambivalence qui caractérise les formes pronominales ou possessives de la première personne
du pluriel. Dans la version manuscrite, la correction apportée au vers 11 :

11’ Cet endroit de chaleur d’où tout le corps " notre corps
s’allonge

montre que, derrière le couple amoureux, peut se dissimuler la généralité d’un sort commun.
On observe le même phénomène aux vers 3 et 4, où la formulation quasiment gnomique qui
s’applique à la perte du bonheur, au chagrin, puis à la mort, ne saurait se limiter à des êtres
particuliers.
Durant le cheminement qui a conduit à la version publiée, Cocteau a progressivement
éliminé le thème du départ ou de l’abandon. Comparons, à cet égard, les révisions apportées
aux vers 19 et 20 :

19’a De cette tête folle, [ensorcelée], sourde


19’b " Et reste en mon abri, folle " muette, aveugle " muette,
aveugle, sourde
20’ Jusques au premier coq
20 " Malgré le chant du coq.

En affirmant que la « tête » reste jusqu’à ce que le premier coq chante, les états initiaux du
texte suggéraient, par implicitation40, qu’elle quitte son « abri » à ce moment ; « Malgré »
indique, à l’inverse, que cette échéance temporelle ne changera pas le cours des choses. De
même, au vers 25 :

25’a Tête qui s’éveillant jamais ne se détourne


25’b " Je souffre. Je voudrais la " te nouer à ma gorge

40
Voir DOMINICY M., « La evolución del español hasta en América latina », Anuario de Letras, 20, 1982, p. 41-
90.

16
25’c " Ah ! je voudrais t’ayant noué contre ma gorge
25 " Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge,

le travail de réécriture a assez vite écarté une allusion très claire à un éloignement qui ne
devait pas se cantonner à la passivité ; car rien n’empêchait alors d’imaginer que la « tête »
fasse davantage que s’abstenir du mouvement attendu, et qu’elle se détourne activement du
locuteur.
Ces altérations globales entraînent des conséquences sur plusieurs plans. Tout d’abord, le
mouvement qui a mené la « tête coupée » vers « d’autres mondes » (vers 21) devient
purement symbolique, en ce sens qu’il ne se relie plus à une quelconque désertion amoureuse.
Du coup, tout le segment textuel constitué des vers 9 à 28 acquiert une signification
différente, dont il convient de discerner les ingrédients pas à pas.
Commençons par examiner les états successifs de la quatrième strophe :

13’ Je ne veux " peux pas penser à cette seule joie


13 " Puisse durer toujours une si grande joie
14’ Qui cesse le matin
15’ Et que " dont l’ange chargé de me faire ma voie
16’ Allège mon destin

Avant la correction de « que » en « dont », les vers 15 et 16 se laissaient comprendre comme


un énoncé optatif, et l’ensemble de la strophe comme l’expression d’un désir41 : celui de se
délivrer, ou au moins de se détacher, du plaisir sexuel — dans une tentative d’élévation qui ne
semble pas dénuée d’échos puritains. Avec « dont », le texte manuscrit prend un tour plus
volontariste, ou plus assuré, puisque l’ange vole au secours du sujet ; nous y reviendrons. En
tout état de cause, l’affranchissement vis-à-vis de l’expérience érotique est sans doute
souhaité en raison des peines que celle-ci ne manque pas de réserver au bout du compte. Le
renversement opéré dans la version définitive ne s’en révèle que plus brutal. En effet,
recourant à une formule oxymorique qui rappelle invinciblement les vers 7 et 8 de « J’ai, pour
tromper du temps… », le poète exprime maintenant le désir que la « joie » érotique puisse
durer, alors qu’elle cesse le matin42. Il en résulte que l’interprétation des vers 15 et 16 devient

41
Sur les actes de langage expressifs, voir FRANKEN N., DOMINICY M., « Épidictique et discours expressif »,
dans DOMINICY M., FRÉDÉRIC M. (éds.), La mise en scène des valeurs. La rhétorique de l’éloge et du blâme,
Delachaux et Niestlé, Lausanne-Paris, 2001, p. 79-106.
42
Entretemps, la proposition relative qui forme le vers 14 a changé de statut: alors qu’elle était « déterminative »
ou « restrictive » dans le manuscrit, avec le démonstratif « cette » utilisé cataphoriquement, l’emploi de l’intensif
« si » combiné à l’article indéfini la rend « explicative ». Il s’ensuit que la propriété de cesser le matin n’est plus
définitoire de la « joie » en question. Sur la fonction anaphorique du « si » intensif, voir PLANTIN C., « La
genèse discursive de l’intensité. Le cas du si “intensif” », Langages, n° 80, 1985, p. 35-53.

17
particulièrement délicate : en quoi l’ange peut-il alléger le destin du poète de quelque chose
dont le poète voudrait précisément que cela dure ?
Cette obscurité invite à une lecture symbolique, où des parallélismes restés jusqu’ici
inaperçus joueront un rôle déterminant. Tant que n’apparaissait aucune difficulté
d’interprétation, le participe « chargé » recevait son acception fonctionnelle (« qui a la charge
de »); mais on peut désormais exploiter l’antinomie entre « Allège » et « chargé »43, pris dans
son sens physique (« qui porte le poids de »), pour découvrir aux vers 15 et 16 un nouvel
oxymore, dont les strophes suivantes fournissent le développement. En effet, le paradoxe
n’est guère moindre au vers 17, où le poids de la « tête » n’entrave pas la légèreté de celui qui
la supporte ; et le mouvement de la « tête », si « loin » qu’il puisse la mener, n’exclut pas,
dans l’avant-dernière strophe, qu’elle « plonge dans le sommeil des racines profondes » qui la
maintiennent « près » du poète.
Si l’on regarde le détail des diverses corrections qui ont affecté cette avant-dernière
strophe, on voit que la multiplication évocative des oxymores va de pair, comme dans la pièce
précédemment examinée, avec une disparition du contrôle que le poète pourrait — ou, du
moins, voudrait — exercer sur l’autre ou sur son propre destin :

21’ Cette tête coupée, assise " allée en d’autres mondes


22’a Et " Mais pourtant contre moi
22’b " Où règne une autre loi
23’a Ayant <d>
23’b " Plongeant dans le sommeil des racines profondes
24’a Et soumise à ma loi
24’b " Et pourtant contre moi
24 " Loin de moi, près de moi.

Pour commencer, l’absence de ponctuation dans le manuscrit permettait d’envisager que le


syntagme nominal que constitue toute la strophe se construise, en tant que sujet grammatical,
avec le verbe « reste » du vers 19. La version publiée exclut cette éventualité, de sorte que le
syntagme-strophe en question flotte, syntaxiquement, à la manière dont flotterait une tête
coupée, en accord avec l’imaginaire symboliste lié à la décollation de saint Jean. Dans le
premier état de ce passage, le poète revendique encore quelque contrôle sur cet objet
insaisissable : « Et/Mais pourtant contre moi » (vers 22’a et 24’b) ; « Et soumise à ma loi »

43
Comparer avec ce passage de Rimbaud : mais tous [les ponts] tellement longs et légers que les rives chargées
de dômes s’abaissent et s’amoindrissent (voir DOMINICY M., « Les Ponts: analyse linguistique », dans GUYAUX
A. (éd.), Lectures de Rimbaud = Revue de l’Université de Bruxelles, 1982/1-2, Éditions de l’Université de
Bruxelles, p. 153-173).

18
(vers 24’a). Cette velléité s’efface dans le texte définitif, puisque la « tête » s’en va dans des
mondes « Où règne une autre loi » (vers 22) et que, de toute manière, son éloignement s’allie
à sa proximité (vers 24)44.
La dernière strophe du poème développait, au départ, le thème morbide de la décollation
— le poète voulant, à l’instar de la Salomé fin-de-siècle, « nouer à sa gorge » la « tête » qui le
dédaignait ou qui le repoussait. En remplaçant « la » et « son » par « te » et « ton » (vers 25’b
et 27’), puis en substituant au « lien plus/très fort » la « bouche qui dort » de l’amant (vers
26), Cocteau s’est débarrassé de cet arsenal désuet. Mais surtout, il a de nouveau glissé d’une
vision conflictuelle, qui fait dépendre le poète d’un monde extérieur qu’il tente de contrôler, à
une vision apaisée — sans plus de véritable souffrance — où l’être aimé participe, comme
l’ange, d’un univers essentiellement intérieur :

25’b Je souffre. Je voudrais la " te nouer à ma gorge


25’c " Ah ! je voudrais t’ayant noué contre ma gorge
26’ Par un lien plus " très fort
27’ Entendre de son cœur la machine et la " ton cœur la
délicate forge
28’ Souffler jusqu’à ma mort.
25 ! Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge,
26 Par ta bouche qui dort
27 Entendre de tes seins la délicate forge
28 Souffler jusqu’à ma mort.

On comprend, dans pareille optique, que le prédicat agentif « nouer à/contre ma gorge » ait
cédé la place à un prédicat non-agentif — « garder ton profil sur ma gorge » — qui dénote un
état que le « moi » ne cherche plus à créer ou à maintenir, mais qu’il se borne, simplement, à
appeler de ses vœux. Fait plus intéressant, l’intériorisation de l’expérience personnelle
s’accompagne, au vers 27, d’une sorte de retrait vers l’extériorité de l’amant, puisque du
« cœur », « machine » interne de la vie et des sentiments, on passe aux « seins » que soulève
périodiquement la respiration, via une discrète synesthésie du visuel et de l’auditif.
Les hypothèses que nous venons de faire expliquent, pour une bonne part, la genèse de
notre poème. Nous avons observé que, dans la quatrième strophe, la correction de « que » en
« dont » éliminait un énoncé optatif, et conférait ainsi plus de force et d’assurance à la volonté
du locuteur (« Je ne veux pas… ») ; « veux » s’est donc vu remplacé par « peux », avant que
l’ensemble de la strophe ne reçoive une forme optative. De même, l’usage des syntagmes

44
Par la même occasion, Cocteau s’est défait des connecteurs argumentatifs « Mais » et « pourtant », selon une
tendance analogue à ce que nous avons observé dans la première pièce. Pour une description de « pourtant »,
voir DOMINICY M., « Sur “La servante au grand cœur…” de Charles Baudelaire », inédit.

19
prépositionnels à valeur locative obéit à l’intention globale de ne retenir que l’extériorité de
l’amant :

19 Et reste en mon abri, muette, aveugle, sourde,

1’ J’ai tellement aimé que ta figure habite


2’ Mon épaule et mon cœur
1 ! Je n’aime pas dormir quand ta figure habite,
2 La nuit, contre mon cou ;

25’b Je souffre. Je voudrais la " te nouer à ma gorge


25’c " Ah ! je voudrais t’ayant noué contre ma gorge
25 " Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge,

7’b Ne plus en sommeillant entendre à mon oreille


8’ Ton haleine et ton cœur
7 ! Un jour ne plus entendre auprès de mon oreille
8 Ton haleine et ton cœur.

Au vers 19, Cocteau aurait pu écrire « à mon abri » ; mais cette expression n’aurait convenu
qu’à un être véritablement animé : on ne dirait pas « ???La pelle reste à mon abri », mais bien
« La pelle reste en mon abri », variante littéraire de « La pelle reste dans mon abri ». La
« tête » apparaît, de la sorte, comme un objet matériel, sans intériorité, qui « semble » — mais
n’est peut-être pas — « du même bloc » que son compagnon (vers 18). Dans les vers 1 et 2,
la « figure » de l’autre « habitait » d’abord l’épaule et le cœur du poète. La correction
« habite contre » s’accompagne de la suppression du mot « cœur » au profit de « cou », qui
fait écho à « épaule » au niveau sémantique, tout en permettant la rime avec « (-)coup » et en
reprenant l’allitération en /k/. « Habiter contre » est un état aisément attribuable à un animal
peu conscient, comme la guêpe ou le lézard ; tandis que « habiter » en emploi transitif
s’applique plutôt à des êtres conscients, presque humains (comparer « Le lézard habite contre
le mur du jardin » et « Le lézard habite cette fissure »). La non-pénétration de la « figure »
dans la sphère interne du « moi » va ainsi de pair avec une focalisation sur l’extériorité
matérielle de cet objet. La réécriture des deux strophes extrêmes se conforme, par
conséquent, à une même logique. Le syntagme « nouer à ma gorge », à la différence de
« nouer contre ma gorge » désigne un geste dont les caractéristiques spatiales sont pleinement
intentionnelles (voir « Je l’ai involontairement noué contre/???à ma gorge ») ; la modification
de « à » en « contre » diminue donc, chez le poète, une volonté de contrôle qui sera
totalement absente de la version finale. Corollairement, l’introduction de « profil » nous fait
privilégier, a posteriori, l’acception géométrique (non-animée, dès lors) du terme « figure ».

20
Enfin, dans les vers 7 et 8, le remplacement de « entendre à » par « entendre auprès »
provoque un effet similaire : si j’affirme que j’entends le bruit de mon réveille-matin « auprès
de mon oreille », je ne personnifie certainement pas l’artefact comme je le ferais en affirmant
que j’entends son bruit « à mon oreille ». Fait intéressant, ce changement de préposition, joint
à la mention de l’haleine, a permis à Cocteau de conserver le mot « cœur », qu’il a éliminé,
nous l’avons vu, à la fin du poème.
Examinons maintenant les vers 9 à 12 à la lumière de tout de que nous avons dit :

9’a J’ai mal d’imaginer ce vide


9’b " Quoi cet oiseau farouche " timide " solide et sculpté
par le songe
10’ Sortirait de ce nid
11’ Cet endroit de chaleur d’où tout le corps " notre corps
s’allonge
12’ Pourrait être " Par quatre pieds fini
9 ! Quoi ? ce timide oiseau, replié par le songe
10 Déserterait son nid,
11 Son nid d’où notre corps à deux têtes s’allonge
12 Par quatre pieds fini.

La première difficulté que soulève ce passage tient à l’emploi de « d’où » au vers 11.
Cocteau aurait pu écrire « où » ; sa préférence pour « d’où » procède, initialement, de son
souci d’évoquer le mouvement d’un corps qui s’étire au réveil, et quitte ainsi la zone du lit
qu’il a chauffée. Dans la version publiée, l’emploi de « replié », et la mention des deux têtes
et des quatre pieds, compromettent cette hypothèse de lecture, en nous concentrant davantage
sur la position — ou sur le réveil simultané — de deux corps unis. Au lieu d’un amant
« farouche » qui déserterait seul le lit, créant ainsi un vide difficile à supporter (vers 9’a),
nous avons affaire à un « oiseau timide » dans lequel nous pouvons voir, plus simplement, le
souffle de la vie. Corollairement, aux descriptions démonstratives de la version initiale (« ce
nid », « Cet endroit de chaleur »), qui autorisaient un accès perceptuel à l’information, répond
ici une double occurrence de la description possessive « son/Son nid », dont la forte
association conceptuelle avec le mot « oiseau » s’établit par avance au plan épistémique.
Cet virage évocatif installe une continuité bienvenue entre la troisième strophe et celles qui
la précèdent : ce que le poète appréhende, c’est bien la mort, et non un banal abandon.
Cependant, le poème (I, 1) nous a enseigné l’ambivalence de la mort, qui « effraye » et « fait
les yeux doux ». Cette figure oxymorique, nous la retrouvons au vers 4, avec l’étrange
expression « nous endormir beaucoup ». L’une des particularités notables de « beaucoup »
est la compatibilité qu’il permet entre la phrase qui le contient et le verbe « Je trouve

21
que… » : l’acceptabilité de « Pierre mange beaucoup » entraîne que je peux dire « Je trouve
que Pierre mange beaucoup »45. Or, un énoncé comme « Je trouve que la mort nous endort
beaucoup » paraît bizarre — sans doute parce qu’il suggère que la mort endort à un degré qui
sera diversement évalué par différents sujets de conscience. Il s’ensuit un effet
d’adoucissement, lié à l’implicitation qu’aux yeux de certains peut-être, la mort
« n’endormirait pas beaucoup »…

4. Conclusion

L’étude génétique que nous venons de réaliser nous a permis de mettre en lumière la
cohérence de la démarche adoptée par Cocteau : les modifications qu’il apporte poursuivent
des buts convergents, et participent dès lors à l’édification d’un recueil extrêmement construit.
Dans les deux poèmes, on a pu constater l’émergence, au fil des variantes, de plusieurs
formules oxymoriques. Cette prédilection de Cocteau pour un mode d’expression évocatif et
laconique cadre excellemment avec ce qu’il dit, à la même époque, lorsqu’il expose ses vues
sur le métier d’écrivain : « Le vrai écrivain est celui qui écrit mince, musclé »46.
Que ce soit dans « J’ai, pour tromper du temps… » ou dans « Je n’aime pas dormir… »,
l’expérience érotique s’intègre à l’intérieur d’une forme de vie plus large, marquée par une
posture « éthique » qui atténue l’expression de la souffrance au profit d’une revendication
paradoxale de la mort. La figure du poète s’autonomise en acquérant des qualités inhérentes
— parce qu’il ne se définit plus en fonction des autres, et que sa gloire, déjà présente et
intériorisée, devient tout à fait indépendante du monde extérieur. Enfin, au moment même où
il ne se soucie plus de dominer ou de séduire l’autre, le poète installe, entre lui-même et son
destin, une distance objectivante, bien propre à l’ethos aristocratique qu’il entend se donner.

45
Voir DUCROT O., « Je trouve que », Semantikos, 1, 1975, p. 62-88.
46
COCTEAU J., Le Secret professionnel, dans Œuvres complètes de Jean Cocteau, Marguerat, Lausanne, 1950,
vol. IX, p. 158.

22
ANNEXES

Chaque poème apparaît d’abord dans la version de l’édition originale47, avant d’être
présenté dans une version établie sur base du manuscrit de Plain-chant, et qui offre en un seul
texte l’ensemble des variantes. La mise en regard de la version éditée et de la version
manuscrite permet de visualiser rapidement toutes les modifications apportées48. Nous
adoptons les conventions de notations qui suivent :

{Éd.23} : Plain-chant, Librairie Stock, Delamain et Boutelleau, Paris, 1923.


{Éd.99} : Œuvres poétiques complètes, Gallimard, Paris, 1999.
(I, 1), (I, 2),… : poèmes présents dans la version éditée de Plain-chant ; le chiffre romain
signale la partie du recueil à laquelle le poème appartient (I, II, III), et le chiffre arabe
indique la place qu’il occupe dans la partie envisagée (de 1 à 6 pour la partie I, de 1 à 19
pour la partie II, et de 1 à 8 pour la partie III).
i, ii, iii,… : vers dans la version manuscrite ; vers présents dans une strophe non retenue.
1’a, 1’b,… : vers dans la version manuscrite ; états successifs d’un même vers.
A " B, (A") B : la flèche relie un état donné A à un état B qui lui est postérieur.
1’a1, 1’a2,… : vers dans la version manuscrite ; états successifs d’un même vers quand il
appartient à un groupe de vers qui évoluent conjointement.
A ! B : la double flèche relie un état donné A d’un groupe de vers, à un état donné B,
postérieur, de ces mêmes vers.
[abc] : mot difficilement déchiffrable.
<abc> : mot inachevé.

47
COCTEAU J., Plain-chant, Librairie Stock, Delamain et Boutelleau, Paris, 1923.
48
Nous introduisons dans le texte de l’édition originale des soulignements qui aident à apercevoir directement
les changements effectués par Cocteau entre la version manuscrite et la version éditée. La consultation des
premières épreuves nous permettrait d’établir une chronologie précise qui distinguerait : (i) les révisions faites
avant les premières épreuves (et qui sont livrées par le texte imprimé de ces épreuves) ; (ii) les corrections
manuscrites sur le premier jeu d’épreuves ; (iii) les modifications apportées entre les épreuves corrigées et la
version éditée.

23
(I, 1)

1 J’ai, pour tromper du temps la mal-sonnante horloge,


2 Chanté de vingt façons.
3 Ainsi de l’habitude évitai-je l’éloge,
4 Et les nobles glaçons.

5 C’est peu que l’habitude une gloire couronne


6 Lorsqu’elle a vieux le chef ;
7 Il faut qu’un long amour souvent le cœur étonne
8 À force d’être bref.

9 Alors, jeune toujours, libre de récompenses,


10 Et son livre à la main,
11 On devine les jeux, les manœuvres, les danses,
12 Qui formeront demain.

13 Voilà pourquoi la mort également m’effraye,


14 Et me fait les yeux doux ;
15 C’est qu’une grande voix murmure à mon oreille :
16 Pense à mon rendez-vous ;

17 Laisse partir ces gens, laisse fermer la porte,


18 Laisse perdre le vin,
19 Laisse mettre au sépulcre une dépouille morte ;
20 Je suis ton nom divin.

24
1’a J’ai pour du vieil hiver tromper
1’b " J’ai pour tromper du temps la relative " mal-sonnante horloge
2’ Chanté de cent façons
3’ Ainsi de l’habitude évitai-je l’éloge
4’ Et les nobles glaçons

5’ C’est peu que l’habitude à force vous couronne


6’ Lorsqu’on a vieux le chef
7’a Il faut que l’amour naisse au moment qu’on étonne
8’a Par un cri tendre et bref.
7’b ! Il faut qu’un long amour cent fois le cœur étonne
8’b À force d’être bref.

i Il ne faut pas tomber toujours en même place


ii Comme la goutte d’eau
iii Et [nous enorgueillir]49 que l’eau creuse une trace
iv À chaque pleur nouveau50

9’ Mais dédaigné de tous, libre de récompenses51


10’ Et son " mon " son livre à la main
11’ Voir se former " se [nouer]52 " commencer les jeux, les luttes et " les manœuvres, les danses
12’ Qui me loueront " forment " formeront demain

13’ Voici pourquoi la mort rien qu’à demi m’effraye


14’ Et m’évite " Que j’accepte53 les coups
15’ C’est qu’une grande voix murmure à mon oreille
16’ Fidèle au " Viens à mon rendez-vous

17’ Laisse partir ces gens, laisse fermer la porte,


18’ Laisse pourrir" [moisir] " perdre le vin
19’ Laisse mettre au sépulcre une dépouille morte
20’ Je suis ton nom divin.

49
Hypothèse émise par David Gullentops pour ce groupe de mots difficilement déchiffrable dans le manuscrit.
50
Strophe non retenue, supprimée dans les premières épreuves.
51
« récompenses » remplace un mot illisible.
52
« se [nouer] » est remplacé par un mot illisible.
53
David Gullentops propose « Et que j’accepte les coups ». Il y a deux objections à cette hypothèse : (i) le
« Et » est biffé ; (ii) la dernière version manuscrite du vers serait métriquement incorrecte (7 syllabes).

25
(II, 2)

1 Je n’aime pas dormir quand ta figure habite,


2 La nuit, contre mon cou ;
3 Car je pense à la mort laquelle vient si vite
4 Nous endormir beaucoup.

5 Je mourrai, tu vivras et c’est ce qui m’éveille !


6 Est-il une autre peur ?
7 Un jour ne plus entendre auprès de mon oreille
8 Ton haleine et ton cœur.

9 Quoi ? ce timide oiseau, replié par le songe


10 Déserterait son nid,
11 Son nid d’où notre corps à deux têtes s’allonge
12 Par quatre pieds fini.

13 Puisse durer toujours une si grande joie


14 Qui cesse le matin,
15 Et dont l’ange chargé de me faire ma voie
16 Allège mon destin.

17 Léger, je suis léger sous cette tête lourde


18 Qui semble de mon bloc,
19 Et reste en mon abri, muette, aveugle, sourde,
20 Malgré le chant du coq.

21 Cette tête coupée, allée en d’autres mondes,


22 Où règne une autre loi,
23 Plongeant dans le sommeil des racines profondes,
24 Loin de moi, près de moi.

25 Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge,


26 Par ta bouche qui dort
27 Entendre de tes seins la délicate forge
28 Souffler jusqu’à ma mort54.

54
David Gullentops signale que le poème est profondément remanié dans le jeu d’épreuves qui a été conservé
pour Plain-chant ({Éd. 99}, p. 1632).

26
1’ J’ai tellement aimé que ta figure habite
2’ Mon épaule et mon cœur
3’a1 Que le jour qui
3’a2 " Que si devait cesser " finir cette douceur " chance petite
4’a Je pleurerais " souffrirais beaucoup
3’b1 ! Qu’en pensant à la fin de
3’b2 " Qu’en pensant au bonheur qui nous lâche si vite
3’b3 " Qu’en pensant au <bonh> " au mal " au chagrin " à la mort qui nous gagne si vite
4’b Je pleure tout à coup55

5’a C’est plus qu’un " Car plus (que ") qu’un grand bonheur
5’b " Car plus qu’un grand orgueil " [désir] une chose pareille
6’ Me fait atroce " donne de la peur
7’a Ne plus peut-être un jour
7’b " Ne plus en sommeillant entendre à mon oreille
8’ Ton haleine et ton cœur

9’a J’ai mal d’imaginer ce vide


9’b " Quoi cet oiseau farouche " timide " solide et sculpté par le songe
10’ Sortirait de ce nid
11’ Cet endroit de chaleur d’où tout le corps " notre corps s’allonge
12’ Pourrait être " Par quatre pieds fini

13’ Je ne veux " peux pas penser à cette seule joie


14’ Qui cesse le matin
15’ Et que " dont l’ange chargé de me faire ma voie
16’ Allège mon destin

17’ Léger, je suis léger [de] " sous cette tête lourde
18’ Qui semble de mon bloc
19’a De cette tête folle, [ensorcelée]56, sourde
19’b " Et reste en mon abri, folle " muette, aveugle " muette, aveugle, sourde
20’ Jusques au premier coq

55
Le vers 4’b apparaît une première fois, mais biffé, avant le vers 3’b2. David Gullentops propose l’ordre
suivant : 3’b3/3’b1/3’b2. Or, le groupe 3’b!/4’b qui apparaît à droite de 3’a1/3’a"/4’a, et donc au-dessus du groupe
3’b1/3’b"/4’b, est entièrement biffé. Il est donc, très probablement, antérieur aux vers 3’b!/4’b rédigés. Une telle
disposition à droite, et non pas dans l’alignement des strophes, s’observe pour plusieurs modifications
ultérieures.
56
Hypothèse émise par David Gullentops pour ce mot difficilement déchiffrable dans le manuscrit. Cette
hypothèse est intéressante dans la mesure où elle fait du vers un 12-syllabe ; en effet, dans la poésie du
vingtième siècle, le schwa précédé d’une voyelle peut apparaître devant une consonne initiale de mot, tout en
étant considéré comme une voyelle métrique. Toutefois, si ce traitement est attesté chez certains poètes, il
n’apparaît dans aucun vers de Plain-chant.

27
21’ Cette tête coupée, assise " allée en d’autres mondes
22’a Et " Mais pourtant contre moi
22’b " Où règne une autre loi
23’a Ayant <d>
23’b " Plongeant dans le sommeil des racines profondes
24’a Et soumise à ma loi
24’b " Et pourtant contre moi

25’a Tête qui s’éveillant jamais ne se détourne


25’b " Je souffre57. Je voudrais la " te nouer à ma gorge
25’c " Ah ! je voudrais t’ayant noué contre ma gorge
26’ Par un lien plus " très fort
27’ Entendre de son cœur la machine et la " ton cœur la délicate forge
28’ Souffler jusqu’à ma mort.

57
L’auteur a écrit, puis biffé « Je " J’ai [tenu] », noté au-dessus de « Je souffre », qui est également biffé.

28
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30

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