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Bulletins de La Société Des Sciences Naturelles de Saône-et-Loire
Bulletins de La Société Des Sciences Naturelles de Saône-et-Loire
(Suite)
1. Cet excellent garçon, un cœur d'or. que des déboires avaient, à 30 ans,
poussé en Indo-Chine, dix ans plus tôt, mourut quelques mois après notre
excursion, d'un accès pernicieux, à Tracou, dans la province de Bïenhoa, sur
la frontière de l'Annam, où il avait été chargé d'établir un poste administratif
y créant un centre à la population moï de la région. C'est revenant de chercher
".le corps d'un de ces sauvages, tué par les éléphants qui, quotidiennement, rava-
geaient sa station, qu'il fut terrassé par l'implacable fièvre. Et ce fut au milieu
des pleurs de ces gens simples et doux, dont il avait su se faire chérir, qu'il
s éteignit", comme H. Mouhot, seul, loin de tous les siens.
revenir déjeuner. La course nous procura une unique
poule sauvage et pas mal de fatigue. H. M., inlassable
chasseur; moins que Jame et moi, docile aux sollicitations
de l'estomac, mettait parfois le nôtre à rude épreuve.
De Hon-quan à Phu-lo, l'étape fut ce qu'avaient été les
précédentes. Nous allions le fusil à la bretelle, souvent
même simplement un bâton à la main, bien en avant de
notre convoi, accompagnés de quelques sauvages, la ha-
che ou l'arbalète sur l'épaule. Nous marchions sans grande
hâte, nous arrêtant pour décrocher une orchidée, regar-
der quelque arbre ou plante, oublieux de l'heure et du
temps, ne sachant plus au juste ni le jour ni le quantième
du mois. Ce qui a bien son charme.
A Phu-lo nous nous trouvâmes en pays slieng; le vil-
lage, comme disposition et comme construction, ne diffé-
rait en rien des agglomérations mois que nous avions
traversées, mais les habitants, sensiblement plus grands et
plus forts, les traits plus réguliers, le nez moins large,
plus droit, le teint plus clair, le front plus lumineux,
sont très visiblement proches parents des anciens Cambod-
giens. Chez nombre d'entre eux, j'ai reconnu les traits
des statues et bas-reliefs khmers : d'Angkor-Wat, d'Ang-
kor-Thom, de Préa-Kan.
En ce village de Phu-lo, j'ai rencontré un indi vid u
mince, plus petit que ses voisins, ayant la forme de tète
caractéristique de la race aztèque. Un autre Stieng, atteint
d'une maladie épidermique, avait le corps entier comme
saupoudré de farine blanche.
Le R. P. J. Poinat, auquel je citai le cas de mon homme
à la tête pyriforme, me dit avoir vu, dans je ne me sou-
viens quel village des rives du haut Song-Bè, un enfant
esclave, de huit à dix ans, dont la coloration de l'épiderme,
les traits et l'énorme chevelure laineuse, rappelaient
le type classique du Papoua.
Les Stiengs ont les cheveux coupés courts à la mode cam-
t
bodgienne, -- et le sampot. Aux armes des autres Moïs, ils
ajoutent le couteau cambodgien à lame épaisse, enfermée
h
FORMATION ET TRACÉ
DU
RÉSEAU HYDROGRAPHIQUE ENTRE DIJON ET CHALON
Par M. C. ROUYER
(Suite et fin)
1. Dunkerque, 1906.-
"2. Paris. Colin, 1905.
3. Nancy. Borger-Levrault, 1905.
4. Paris. Cornély, 1907.
5. Paris. Hachette, 1907.
noient les fondations; le tas de fumier est toujours devant
la porte, de sorte que le moindre vent en entraîne les odeurs
et les poussières microbiennes dans la maison; ses infiltra-
tions souillent le puits voisin. Telles sont les conditions
hygiéniques de l'habitation rurale. en France; elles sont
semblables en Allemagne, pires encore en Italie et en
Espagne. Seule, l'Angleterre à réalisé de sérieux progrès.
Il résulte de cet état de choses que la salubrité, si Vantée,
de la vie à la campagne n'est qu'un préjugé. En France,
la mortalité urbaine en 1902 était de 19,1 pour 1.000 et
la mortalité rurale de 19,7. Cette anomalie, qui semble
paradoxale, tient aux efforts que les villes ont fait, depuis
un demi-siècle, pour s'assainir. Il nous faudra absolument
abandonner notre individualisme nuisible. Il appartient
à l'Etat d'imposer l'hygiène comme l'instruction. Les
moyens ne lui manqueront pas, sans même qu'il recoure
à la création des inspectors of nuisances et des survcjiors
qui existent depuis longtemps en Angleterre. Il lui suf-
fira d'imposer aux collectivités rurales les travaux et la
surveillance nécessaires, ce qui sera facile quand la loi
du 22 mars 1890, organisant les syndicats de communes,
aura été modifiée dans le sens d'une extension du pouvoir
social.
On voit par ce rapide aperçu quels problèmes intéressants
sont posés par MM. Imbeaux et Rolants et quelle relation
ils ont avec la géographie, base de tous les phénomènes so-
ciaux. L'étude remarquable des deux savants hygiénistes
n'est pas sans doute, à proprement parler, un travail de
géographie humaine; mais elle est un répertoire de faits
intéressant l'homme, considéré comme vivant et évoluant
dans un cadre géographique.
Paul PRIVAT-DESCHANEL.
BIOGRAPHIE
DU
(Suite J1
Premières difficultés.
A son arrivée il se promena avec son bagage, dans la
ville bâtie en terre. Il traversa des cours, où aux murs,
comme des oignons séchés, pendaient des têtes de vaincus;
il flâna au marché des esclaves où la vente se fait à l'encan,
et où le vieux serviteur dont il avait besoin lui serait
revenu dans les 200 francs; il répugnait à ce trafic. Il
prit une bonne allemande, mais voilà bien l'effet de la civili-
1. Il fut accueilli avec empressement pur Mme et M. Falcon, directeurs des
Ecoles de l'Alliance israélite. Reçu avec bienveillance dans cette maison hospi-
talière, c'est encore de cette même maison que, à dix-huit mois d'intervalle,
son corps sortira pour être porté à la Côte. #
sation, ce fut lui qui en devint l'esclave et il dut renoncer
à ses services autoritaires et insuffisamment fidèles. Le
plus difficile fut d'abord de se loger; on accueillait l'étranger
à coups de pierres, et de tous les seuils on le repoussait.
Un jour alors tranquillement il prit la clef d'une maison
vide, et pour toute réponse au propriétaire, offrit un large
loyer. On voulait le contraindre à quitter ses vêtements
européens : « Je ne m'y résoudrai pas », répondit-il. Il
venait montrer la France et non la dissimuler sous un
burnous.
Mais n'anticipons pas, laissons-le raconter lui-même ses
premières impressions.
Marrakech, 30 octobre 1906. — « Arrivés avant-hier
soir, samedi, à 6 heures, à Marrakech, par un beau soleil
couchant qui nous a fait traverser l'immense palmeraie
précédant la ville comme dans une apothéose de féerie.
C'était superbe. Mais les bêtes étaient éreintées et nous
avions très faim; heureusement la table était mise pour
nous recevoir. ,.
Hier soir a commencé le Rhamadan avec un beau tu-
multe, au moment où l'on a vu la lune : chants, cris,
coups de feu. L'immense minaret est à 150 mètres de
ma maison, et prend sous le soleil des tons rouges superbes,
rehaussés de l'émail vert de ses sculptures : c'est de
là qu'est parti le signal hier soir.
» Il y a énormément à faire ici! Je suis d'ailleurs
fort bien; j'ai déjà commencé aujourd'hui de voir trois ma-
lades gravement atteints. »
Du 8 novembre. — « On avait, en effet, répandu le
bruit que je n'étais pas médecin, mais envoyé secret du
gouvernement français pour lever des plans, faire de la
topographie et espionner en vue d'une invasion prochaine
des Français. J'ai déjà à peu près déjoué ces manœuvres,
et n'ai pas eu à souffrir beaucoup de cette hostilité fana-
tique qui s'est calmée dès qu'on a vu ouvrir les caisses
de médicaments; je les ai fait déclouer dans la rue, devant
le futur dispensaire, qui ne sera ouvert que dans une
huitaine. Une correction sérieuse infligée en plein bazar
à un individu qui tirait la queue de ma mule en m'injuriant,
a mis les rieurs de mon côté, et depuis huit jours on s'est
déjà habitué à moi dans toute la ville, où je circule tant
que je peux avec mon domestique et mon agent musulman.
Beaucoup de gens viennent me frotter la main au passage,
pour le baiser de bienvenue. Il y a loin de ma situation
actuelle aux menaces de mon arrivée.
»
Tout cela a du reste fort peu d'importance : ce
sont petites intrigues de petites gens. J'ai déjà réussi à les
annihiler par ma seule attitude. Lorsque j'aurai commencé
ma mission bienfaisante, la réplique sera complète. »
Le 8 décembre 1905, il écrivait au Comité du Maroc : —
«
J'ai réussi à aplanir bien des difficultés en y mettant
du mien tout ce que je pouvais, et à présent je suis assez
satisfait de mes seconds débuts. Le dispensaire marche
à souhait : j'ai de 30 à 40 malades à la consultation! Si
cela va en progressant, je n'y pourrai suffire. Heureuse-
ment, j'ai reçu de Tanger mon drogman arabe, qui est; in-
firmier et plus habile et plus entendu que mon drogman
israélite, que j'initie lentement à la pharmacie. J'ai, en
outre, deux domestiques arabes au dispensaire, un Ber-
bère et un Tunisien Hadj Omar, ancien caporal tambour,
aux tirailleurs, excellent, brave homme, très travailleur,
qui me fait un second infirmier.
» Les musulmans importants me
font appeler comme
médecin, notamment deux schérifs, quelques notables, même
pour leurs femmes.
»
Au dispensaire, naturellement, ce sont les israélites qui
encombrent, mais à présent, j'ai tous les deux jours de 10
à 20 Arabes. Il y vient des femmes juives et même quelques
femmes arabes. Six déjà. C'est un triomphe, surtout ici,
où Arabes et Juifs sont très fanatiques en ce qui concerne
leurs femmes. Donc, je suis content.
» J'ai d'ailleurs fait blanchir, peindre et même refaire
29 décembre 1906.
«Mon cher Père,
» Ici tout va bien. Seulement je ne puis plus suffire
à la tâche et j'attends impatiemment la fin de la conférence
pour demander qu'on me dédouble et qu'on me donne un
pharmacien. Ça prend des proportions débordantes et voilà
qu'on commence à me faire une réputation de faiseur de
miracles, surtout à propos des yeux, qui me met sur les
bras tous les aveugles du crû. et il y en a. Lorsque je
réclamerai un assistant, j'insisterai pour que ce soit un
oculiste.
» Apart cela, mes relations indigènes s'étendent; je
reçois au dispensaire quantité de notables, qui me re-
cherchent comme médecin et comme ami. Le cadi de la Mé-
dina m'a envoyé, en cadeau, toutes les bananes de (son
jardin et j'ai reçu chez lui un accueil luxueux. des
négresses m'inondaient de parfums variés avec des ai-
guières en argent, des nègres m'encensaient jusque sous
mosquée!.
mes vêtements avec des cassolettes de fumées de bois de
Protestations énergiques.
Le succès du dispensaire alla grandissant, non cependant
sans attirer au Dr E. Mauchamp des inimitiés et des jalousies
qui mirent sa vie en danger.
Voici, du reste, le témoignage du mort:
«
Monsieur le Consul, à Mogador,
»
Laissant de côté ma qualité de médecin du gouverne-
ment français, qui me paraît compter bien peu actuellement
ou plutôt qui me paraît bien encombrante, j'ai l'honneur
de m'adresser à vous comme simple citoyen français rési-
dant à Marrakech et y exerçant la profession de médecin.
y Et je vous prie de vouloir bien accueillir la plainte
en diffamation que je porte contre le sieur Holtzmann,
se disant Allemand et médecin, plainte dont je vous
expose ci-après les motifs, et à laquelle je vous prie ins-
tamment de donner, sans délai, les suites nécessaires.
»
Avant mon arrivée à Marrakech, le sieur Holtzmann
(comme M. Falcon et M. Souessia, directeur et professeur
de l'école de l'Alliance israélite, et de nombreuses per-
sonnalités arabes peuvent en témoigner) s'est efforcé de
répandre sur mon compte et sur mes intentions des bruits
6. Id. Une cour de maison de pêcheurs. — 7. Id. Un coin du bourg principal.
BF'11fiAf>J
.Il, I:HA.lO!li-S.-S
LE CAIRE. — 5. Le Nil au Caire. — 6. Le Sphinx et les Pyramides.
» connaître.
ii
Il appartient à une sorte de franc-maçonnerie fran-
» caise et
chrétienne qui a voué aux musulmans du Maroc
» une haine
impitoyable et dont les adeptes ont fait le
» serment de
détruire le plus possible de ces derniers.
»
Voici comme on procède : On choisit des médecins très
» savants, très habiles, comme le docteur
Mauchamp, et
» on les envoie parmi les populations marocaines. Là, ces
»
Le sieur Holtzmann se donne même la peine d'aller
tout exprès chez les personnages et chez les notables
arabes pour leur raconter très gravement cette absurde
fable en insistant sur ce qu'ils sont les plus menacés parce
que leur qualité les désigne plus spécialement à mon choix
(ceci à cause des avances courtoises que j'ai cru devoir
faire à quelques-uns sous forme de visite).
» Or, la crédulité des Arabes est telle que la plupart
de ceux-ci ajoutent pleine croyance à cette fantaisie extra-
vagante. Si, d'ici quelque temps, un des malades que j'ai
soignés venait à être atteint d'une maladie grave dont il
meure, on ne manquerait pas de convaincre toute cette
population crédule et superstitieuse que ce décès est le
résultat de mes médications occultes, de l'espèce d'envoû-
tement thérapeutique que je suis accusé de pratiquer, et
alors ma personne pourrait être exposée à de fâcheuses
impulsions de fanatisme que de semblables interprétations
de mes actions auraient tôt fait de soulever.
»
D'autre part, j'estime que de pareils racontars, puis-
qu'ils s'accréditent si facilement chez cette population sim-
pliste, sont de nature à faire le plus grand tort à l'in-
fluence civilisatrice dans cette importante région de Mar-
rakech, ainsi qu'à dénaturer d'une façon très dangereuse
nos intentions et nos efforts.
» Tous les médecins français établis au Maroc sont ex-
» Dr Emile MAUCHAMP. »
»
Quant à la cherté actuelle de la vie ici, je pense
qu'elle diminuera avec la fin de la famine et la cessation
des troubles qui continuent à entrechoquer les tribus, dans
toute la région. On redoute actuellement le pillage des vil-
lages des environs par les affamés.
»
On n'a pas idée de la misère des populations d'ici.
Songe que le pain vaut 0 fr. 30 la demi-livre et que
l'orge vaut 50 francs les 98 kilogs; mes deux mules in-
dispensables me coûtent autant à nourrir que moi-même
avec mon personnef! On laisse crever la plupart des bêtes
dans la ville, ou on les vend pour rièn à, la campagne,
où elles mangent l'orge en herbe. Les sauterelles cuites
valent deux sous la douzaine! et l'on pille hors des, murs
les charges de sauterelles que les villageois apportent
ici. Il y a dans les silos des propriétaires et des hauts
fonctionnaires d'immenses provisions de céréales, mais
on ne les ouvre pas, de peur de les indiquer aux caïds,
qui les mangeraient 1. De même les gens qui ont de l'ar-
gent crient misère pour ne pas attirer l'attention du
les autorités allemandes. Celles-ci ont refusé de s'associer à la propagande
faite par ce triste personnage qui a renoncé à sa nationalité et à sa religion
pour se faire musulman et devenir sujet du sultan dans l'unique but de capter
la confiance de. ses nouveaux coreligionnaires. Démasqué dans la suite, perdu
dans l'esprit de Mouley-Hafid, le vice-roi de l'empire du Sud, réduit à l'irti-
-puissance par notre pauvre docteur, ce fourbe ose se jeter à ses genoux pour
Compatriote.
implorer sa clémenqé et solliciter son amitié; plus tard, il profitera de l'ab-
sence momentanée de celui à qui il a 'voué une haine mortelle, pour ressaisir son
autorité anéantie et déchaîner -moralement des brutes contre notre glorieux
-
blent croire que tout est pour le mieux au Maroc on :
voit qu'ils n'y ont que peu d'intérêts engagés! Quant aux
craintes de soulèvement de la population en cas de réformes,
c'est à mon sens une erreur; seuls, les quelques gros
-
accapareurs et hauts fonctionnaires'enrichis aux dépens
des pauvres, seraient navrés de voir survenir un contrôle
et une justice; quant au peuple, on l'entraînerait peut-être
au début, par ignorance, mais dès qu'il comprendrait que
c'est la fin des exactions des grands et de la misère pour
lui, il rie pourrait qu'être enchanté du changement.
» J'espère
bien néanmoins que la paix européenne ne
sera pas troublée; ce serait trop horrible. Si l'on risquait
cela, il vaudrait mieux remettre à plus tard nos projets
et nos espoirs à propos du Maroc, »
4 mars 1906. — «.
D'après les dernières nouvelles,
il semble que la conférence d'Algésiras n'a plus de souffle
et qu'on va s'en tenir là. Ce sera tout à fait regrettable,
car les Marocains attendaient quelque chose en fait de
police; si on ne donne rien, l'Europe deviendra la risée
du pays qui a l'ironie facile et à qui il faut qu'on en
impose. Comme c'est l'Allemagne qui aura fait échec à
toutes les puissances, on en conclura que' c'est la plus
forte, aussi fera-t-elle et obtiendra-t-elle tout ce qu'elle
voudra désormais et l'on se moquera de la France, sinon
des Français, car je pense que ceux qui sont au Maroc ne
permettront pas individuellement aux indigènes de se mo-
quer d'eux.
»
Pour moi, je défends notre cause tant que je puis, et
je sens qu'actuellement et désormais je pourrai maintenir,
avec mon propre prestige, celui de mon pays. Tout le monde
me respecte au moins ostensiblement, et ceux qui ne le
font pas par sympathie le font par crainte; je ferai mon
possible pour que ce soit par sympathie, mais je ne tolérerai
:
jamais le moindre manquement j'ai compris que c'était
une condition sine qllâ non ici.
»
En somme, tout se maintient et chaque semaine j'ob-
tiens quelque petit avantage pour un protégé ou quelque
concession de l'un d'eux aux exigences justifiées du
Maglizen.
»
Je reçois aujourd'hui une lettre de félicitations de
Mogador pour le succès obtenu dans l'affaire; du caïd
du Menabha et de notre protégé agricole qui avait été
emprisonné et volé par lui; notre protégé était relâché deux
heures après mon énergique intervention, ses troupeaux
lui étaient restitués et le caïd demandait à être mon ami
en me proposant de protéger ses propres parents!
»
Il arrive ici quelques Français qui me sont annoncés.
Tant mieux; ce n'est pourtant pas le moment de faire
des affaires avec la misère qui règne. Il meurt de faim
environ 12 personnes par jour au Mellah1 seulement, et
bien plus encore dans la ville arabe.
»
Je viens de demander à notre consul de Mogador,
si l'on ne pourrait pas faire quelque chose pour ces
malheureux; il n'ose prendre cela sur lui et en réfère à
Tanger.
»
En attendant, je fais distribuer quelques secours et de
la soupe aux plus affamés.
»
Iioltzmann se tient coi et m'envoie de temps à autre
quelqu'un qui proteste de ses bonnes intentions à mon
1. Quartier juif.
égard ! J'attends des preuves visibles pour lui accuser
réception de ses offres de dévouement. D'autant plus que
je sais à présent que malgré les dénégations du consul
allemand, il est bien agent allemand, mais non couvert et
sous sa responsabilité. »
12 mars. — « Le pays est assez troublé; les tribus se
révoltent et il y a aux environs de la ville des actes de
brigandage quotidiens. La famine conlinue et jamais, de
mémoire de Marrakechiens, on n'a vu pareille situation.
»
Je me demande si les personnes que nous attendons
pourront passer, car les routes sont coupées par les dé-
trousseurs de caravanes et même par les fractions de
tribus soulevées. »
25 mars. — « Je pars pour Tameslobt, à trois heures
d'ici, chez le fameux schérif, qui me fait appeler pour son
fils. Il m'envoie une escorte sérieuse, beaucoup plus sûre
que tous les soldats du Magbzen. »
1er avril. Je m'étais amusé à raconter -- en mémoire
de mon voyage très arrosé de Mogador à Marrakech —
que si je sortais de la ville la pluie ne manquerait pas de
tomber et que ma baraka (puissance de bénédiction qu'on
attribue aux schérifs) valait mieux que tous les jeûnes
et les prières où s'exténuaient juifs et musulmans, depuis
longtemps, pour obtenir la pluie. Je ne croyais pas être
si bien avec l'Olympe. -
»
Dès mon arrivée à Tamesloht, le vent s'est élevé et,
dans la nuit, il s'est mis à pleuvoir au point que le schérif,
à qui on avait fait part, la veille, de ma baraka, ne voulait
plus me laisser partir, afin que ses immenses propriétés
continuent d'être arrosées. Il m'a fallu recommencer les
festins de la veille; je n'ai pu, obtenir de me mettre en
route qu'à deux heures après midi, pour arriver à la nuit.
La pluie a cessé dès que je me suis mis en selle, et elle
n'est plus tombée depuis. Pas mal de, gens à qui on a raconté
cette merveille, croient sérieusement à ma baraka et deux
délégations sont venues me demander de ressortir!!! J'ai
répondu que je ne le referais que lorsque le Maghzen aurait
rétabli la sécurité. Je suis bien tranquille de ce côté et
je n'aurai pas de longtemps l'occasion d'être en défaut!
»
C'est drôle tout de même.
» D'ailleurs, j'y ai gagné un superbe étalon alezan cuivré,
8 avril. — «
Les trois mémoires dont je t'ai parlé sont
destinés à l'Académie de médecine, l'un à la section de
l'Hygiène de l'Enfance, l'autre au service de la vaccine,
le troisième au service des épidémies. Je n'ai plus que ce
dernier, le plus important, à terminer1. Je n'ai malheu-
reusement que peu de temps à cause de ce fâcheux ty-
phus, qui me donne fort à faire : un Anglais de Gibraltar
vient d'en mourir. La variole sévit en même temps. »
15 avril. — « J'ai eu la certitude que si tous les
fonctionnaires locaux se sont tout à coup montrés si carré-
ment et ouvertement hostiles, même et y compris le gou-
verneur de la Médina, qui s'y met lui-même depuis quelques
jours, c'est par ordre. Je viens même d'en avoir la confir-
mation par X., qui essaie de nous faire donner directement
satisfaction sans passer par la légation, laquelle, bien certai-
nement, ne fera rien, puisqu'elle a pris le Maroc à rebours,
ration.
» Quant à l'idée de créer ici un cours de français, elle
est excellente et réalisable dès à présent, dans la forme
que vous préconisez et à la condition d'augurer avec modé-
»
Puisque vous ne voulez rien connaître des difficultés,
je ne vous les signalerai pas et je ne vous: entretiendrai
que du possible. Voici :
» Il existe au Mellali (quartier juif très fermé) une
école double, garçons et filles, de l'Alliance israélite, fon-
dée et soutenue par le comité de Paris; les tendances en
sont nettement françaises et on n'y enseigne que le français.
Ces écoles sont prospères et bien installées. Plusieurs mu-
sulmans se sont décidés à y envoyer leurs enfants — six,
je crois, en tout — mais beaucoup d'autres que je sais,
répugnent à l'idée de l'école juive et s'abstiennent. Ils
m'ont dit, et ont dit au directeur de ces écoles, que si
une école française était ouverte dans les villes arabes,
ils y enverraient très volontiers leurs enfants. Un Arabe
éclairé a même tenté d'envoyer deux fillettes à l'école de
filles du Mellah, mais le pacha s'y est opposé.
Donc, j'estime qu'un Algérien très bon sujet, instruit
et ostensiblement bon musulman, aurait assez facilement
• une vingtaine d'élèves au moins, dont quelques-uns payants,
s'il ouvrait une petite école arabe, où l'on apprendrait
à la fois le français et le calcul: les Arabes tiennent énor-
mément à ce dernier enseignement qui servirait d'attraction
pour l'autre. Comme ils sont également très attachés à
leurs écoles coraniques et qu'ils renonceraient difficilement
à l'enseignement du Coran et de la langue arabe (qui sont
solidaires ici), par un taleb marocain, dont l'orthodoxie
est patente, il serait bon que l'école française ne soit ou-
verte que trois fois par semaine, par exemple, du moins
pour commencer; les Marocains ont, en effet, à l'égard
des Algériens une certaine défiance et ne les tiennent pas
pour de très purs et très zélés musulmans. Mais les no-
tables du lieu ont en moi une certaine confiance, et comme
je me suis attaché à les convaincre toujours de mon res-
pect et même de ma sympathie pour leur foi religieuse,
qu'ils savent que j'exige de tout mon personnel l'observance
des rites marocains, je crois qu'ils accepteront volontiers
un maître d'école que je leur présenterai et duquel je me
porterai en quelque sorte garant.
»
Mais, malheureusement, il m'est matériellement et abso-
lument impossible de trouver moi-même ce sujet rare.
En fait d'Algériens ou Tunisiens, il n'y a ici que quelques
déserteurs illettrés et quelques individus peu recommanda-
bles. Mon éloignement de tout centre, les difficultés de
comprendre et mon absence de relations avec l'Algérie,
ne me permettent pas de connaître et de choisir le pro-
fesseur convenable. D'autre part, la légation me paraît très
détachée des questions pratiques d'influence française et
assez peu désireuse pour l'instant de favoriser des initia-
tives en ce sens. Ou je me trompe fort, ou bien il faut peu
compter sur son aide pour cette création. Aussi je pense que
le mieux serait que vous vous adressiez vous-même au gou-
vernement général de l'Algérie; M. Jonnart, votre beau-
frère, pourrait sans doute découvrir et vous adresser un
sujet qui nous fournirait toutes garanties pour la mission
réellement délicate que vous lui confieriez.
:>
Inutile de vous dire que je suis à votre entière dispo-
sition et que je serai très heureux de seconder de mon
mieux les sections lyonnaises de l'Alliance, puisqu'il s'agit
de faire de l'influence française et que je suis ici
pour cela.
» Si vous envoyez ici quelqu'un pour ouvrir des cours
de français et de calcul, je me charge de l'installer, de le
présenter et même de lui procurer des élèves; en outre,
je surveillerai discrètement son école et je m'efforcerai
d'écarter de lui et de son œuvre les petites intrigues, et les
quelques difficultés que les autorités locales pourraient être
amenées à lui créer; je me suis suffisamment imposé
à ces autorités pour obtenir d'elles au moins une indiffé-
rence polie.
>>
Si vous le chargez également de quelques intérêts com-
merciaux, je l'aboucherai avec les principaux négociants
et commerçants arabes et israélites, avec lesquels je suis
généralement bien.
»
Voilà ce que je puis faire. Si les circonstances me
permettaient de faire plus, ce serait avec plaisir, mais je
préfère ne pas escompter le mieux, afin de ne pas vous
donner de mécomptes.
» Personnellement, je suis heureux de cette occasion
crits, etc.
» En outre, depuis deux mois, je ne reçois plus de traite
mensuelle !
» Allal Abdi, de Mogador, m'écrit ce matin qu'il
reçoit à l'instant les deux faucons de grande chasse que
j'ai comlnandés chez les Bédouins Eben-Rachid, en Arabie,
par l'intermédiaire du P. Janson, dominicain de l'école
biblique — celui qui vint avec nous au Sinaï — qui me
les a fait parvenir. Je t'ai dit que c'était pour le grand
caïd Si Aïssa ben Omar, caid des Abda, la seule grande
tribu restée au Maghzen du Sud. C e^L un fer\ent affolé
de fauconnerie, et différents Français : Segonzac, Gentil,
Lemoine, qui l'avaient vu, lui avaient promis de lui faire
parvenir ces volatiles qu'on ne trouve qu'en Arabie; et,
naturellement, ils n'avaient pu le faire, ne connaissant
personne chez les Bédouins. Et Si Aïssa n'était pas content.
J'ai voulu tenir la promesse faite par des compatriotes
pour prouver au fameux caïd que les Français n'ont qu'une
parole et tiennent leur engagement, étant solidaires, les uns
des autres, et quelque difficile que soit l'accomplissement
de la promesse faite. C'est Allal Abdi, le chancelier du
consulat de Mogador, qui va les lui porter en personne, de
ma part : je n'ai jamais vu Si Aïssa, mais on m'avait raconté
au consulat de Mogador cette affaire ennuyeuse, qui ris-
quait de nous aliéner les bonnes grâces de l'orgueilleux
et puissant caïd, et j'avais promis de m'en occuper. C'est
fait. Les faucons sont en parfaite santé. Ils ont voyagé
plus de quatre mois depuis le fond de l'Arabie, près du
Golfe Persique. (A suivre.)
Le Gérant : E. BERTRAND.
CHALON SUX-SAÔNE, IMPR. FRANÇAISE ET ORIENTALE DE E. BERTRAND.