Vous êtes sur la page 1sur 8

Lettre ouverte au CNSP, à la Transition et

au peuple du Mali.
Arrêter un président de la République est un événement
historique, un acte lourd. Et pourtant !En cette journée du
18 août 2020, aucun crépitement d’arme, aucune menace
sur le chef de l’Etat, simplement appréhendé avec son
Premier ministre dans une élégance leste et souple,
presque reptilienne. Les images que l’on a vues semblaient
irréelles. Pas une goutte de sang versée, pas un cheveu
arraché, aucun bruit. Seulement le tohubohu ambiant de
la foule agglutinée devant le domicile privé du président de
la République, sinon le calme, sidéral, olympien. Même
atmosphère de calme glacial dans cette ville de Bamako,
tétanisée pour la circonstance avant de se mouvoir dans
quelques scènes de liesse. On parle de coup de velours,
d’exception malienne.
La junte militaire s’est donnée le nom de Comité national pour le Salut du Peuple (CNSP),
conduite par un Colonel, Assimi Goita, et dit avoir parachevé l’œuvre du M5-RFP, comme le
26 mars 1991, où le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) de Amadou Toumani
Touré alias ATT avait dit parachever l’œuvre du Mouvement démocratique.

En effet, c’est bien le Mouvement du 5 juin- Rassemblement des Forces patriotiques (M5-
RFP), tirant son nom du grand rassemblement place de l’Indépendance du 5 juin 2020, et
comprenant quelques partis politiques, modérément représentatifs en termes de mobilisation
électorale pour la plupart d’entre eux, et des personnalités en vue de la société civile ou
d’associations de la place, qui a ouvert la brèche en acculant un pouvoir arrivé à bout de
souffle, si jamais souffle il a eu. Oui, on doit au M5-RFP, qu’on soit avec ses acteurs ou pas,
qu’on les aime ou pas, d’avoir ouvert cette fenêtre historique.

On a prêté à l’imam MahmoudDicko,le protagoniste le plus en vue de ce soulèvement, de


vouloir instaurer un Etat islamique. Le président déchu, Ibrahima Boubacar Kéita dit IBK,
misant sur l’extérieur, avait agité ce spectre d’un État islamique qui serait le dessein de
Mahmoud Dicko, au sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO tenu à Niamey le 27 juillet
2010, gageant que c’est ce qui horripile le plus l’Occident.

Et pourtant ! Mahmoud Dicko n’a jamais parlé de guerre sainte, il n’a pas placé son
mouvement sous le signe de l’islam. Il n’a pas cassé la baraque avec le baton ou le sabre du
prêcheur. Il n’a jamais clamé : « je veux instaurer la Sharia ». La sharia dont il parle est la
sharia du vocabulaire du Malien moyen, globalement musulman, qui s’esclaffe toujours,

1
lorsque l’on emprunte un chemin qui ne semble pas juste, « ni tèshariyayé ».Cela n’est pas la
sharia, ce n’est pas la  voie d’Allah.
Mahmoud Dicko se dit sage, et en tant que sage, son rôle, martelait-t-il inlassablement, est de
calmer, d’apaiser, de concilier, de réconcilier. Nonobstant, Mahmoud Dicko n’est pas un
réligieux banal. La marge est étroite entre l’imam et le politique, le sage et l’insurgé. Il est
devenu un révolutionnaire pour de vrai, mobilisant, engrangeant, draînant des foules. Il a des
adeptes qui l’idolâtrent : il est le « très respesté », le « très éclairé »imam Dicko. Le M5-RFP
lui a decerné le statut d’autrorité morale de l’organisation.

L’action de l’imam Dicko, cependant fiché ami d’IBK, qui


dit même avoir transformé les mosquées en lieux de
campagne électorale pour ce dernier en 2013, a été une
agitation de fond, une deferlante gromelante et menaçante,
hurlante et agissante, qui a agrégé les frustrations
populaires. Dans ses diatribes roboratives, Mahmoud
Dicko est dans la mobilité phraséologique et physique,
soufflant le chaud et le froid, avançant et reculant,
s’engageant et se rétractant. Il cogne, se replie, lime son
discours avant de rebondir derechef en anathèmes. Il dit et
se dédit, entre et sort, part et revient, revient et repart,
tantôt caustique, tantôt émoussé, mais toujours, en
appelant à la sagesse, au calme, à la non-violence, à ne pas
mettre à feu le Mali, à rentrer à la maison sans faire de
casses, des directives qu’un de ses lieutenants, Choguel
Maiga, responsable de parti politique pourtant, jugera
comme relevant d’une haute stratégie politique, d’une
grande tactique. Allez savoir !
Malicieux, Mahmoud Dicko appellera IBK mon frère. « Nous allons étonner le monde » !
ponctuera-t-il son discours par moment.

Sacré imam Dicko !

Quoiqu’il en soit, il revient au M5-RFP, à la tête des affaires ou pas, de jouer un rôle
inlassable de veille démocratique pour que soient anéantis tous les maux qui gangrenaient la
gouvernance renversée au nom desquels il s’est mobilisé et a mobilisé. Il y va de sa crédibilité
et de son honneur, pour le salut du peupledu Mali.

Passons au déluge.

2
La première visite de la junte, qu’elle a réservée le 30
août2020 au général Moussa Traoré alias GMT,
retransmise à la télévision nationale, a congelé mon sang.
GMT avait étonnamment un visage et un regard de félin.
Me redressant de mon siège, je me suis demandée si c’était
un nouveau syndicat qui surgissait : le syndicat des frères,
pères et grands-pères d’armes, ou si c’était la même
logique de réhabilitation de Moussa Traoré, « ce grand
républicain » qui se poursuivait. La suite éclaire, qui
corrobore la deuxième hypothèse avec l’invitation à la
partie du décès de Moussa Traoré, brutalement survenue le
mardi 15 septembre.Un deuil national de trois jours a été
décrété par la junte, les drapeaux ont été mis en berne, et
pour couronner le tout, des funérailles nationales furent
organisées, le vendredi 18 septembre, en hommage au
défunt.Convulsant!

Toute vie humaine est sacrée et mérite respect.Toutefois, le cas Moussa Traoré dérange. Son
traitement relève de l’espace public parce qu’il appartient à l’histoire du Mali. Moussa Traoré
a été gracié par le président Konaré en 2002, mais non point amnistié pour ses fautes, en
l’occurrence les « crimes économiques » et les « crimes de sang » perpétrés contre le peuple
au mois de mars 1991. Le général-président s’est refusé de demander pardon au peuple, ce qui
n’a pas empêché qu’on ait glissé vers son dédouanement.Un moment suprême de ce processus
a été ce matin du 4 septembre 2013 où, IBK, le jour de son investiture comme président de la
République, prit l’auditoire de cours avec cette sortie qualifiant le dictateur déchu de « Grand
républicain », parce tout simplement, il l’a « honoré » de sa présence à la cérémonie. Tout un
mécanisme de blanchiment était en marche, qui se boursouflera avec le temps.On aura vu de
nombreux acteurs du mouvement démocratique de mars 1991- sacrilège des sacrilèges-
affluer vers Moussa Traoré, prendre conseil auprès de lui, l’adouber, et l’installer
définitivement dans une position de sage doublé de négociateur national. Avec Assimi Goita
et la junte, on a atteint l’apothéose dans ce processus de réhabilitation.

Colonel Assimi Goita, savez-vous qu’à la mort, et dans des conditions suspectes, le 16 mai
1977, de Modibo Kéita, c’est un communiqué laconique de Radio Mali qui a annoncé la
nouvelle, comme étant simplement celle d’un « instituteur à la retraite ? » Aucune allusion à
son statut d’ancien président de la République. Ceux qui ont assisté à son enterrement ont été
dispersés à coup de grenade lacrymogène, certains emprisonnés, d’autres obligés de
s’expatrier. Il a été refusé à sa veuve Mariam Travélé de porter le deuil.

3
Il reste maintenant à organiser des funérailles nationales pour le père de notre indépendance,
Modibo Kéita. Puisse-ton m’entendre ! Le discours à la nation du 22 septembre du colonel
Assimi, dans lequel il reconnaît en Modibo Kéita  « le grand homme d’État et nationaliste
convaincu », est un indicateur d’espoir dans cette exhortation. Plus qu’une réparation, ce sera
un acte de justice.

Le 26 mars 1991, dois-je le rappeler encore, est une date sacrée. Ses martyrs sont honorés
dans la Constitution du 25 février 1992, et ce dès son préambule, qui chapeaute tous les
articles. C’est même un article singulier, qui ne se trouve dans aucune des autres constitutions
du Mali.

Ainsi est libellée la première phrase :« Le Peuple Souverain du Mali, fort de ses traditions de
lutte héroïque, engagé à rester fidèle aux idéaux des victimes de la répression et des martyrs
tombés sur le champ d’honneur pour l’avènement d’un État de droit et de démocratie
pluraliste, affirme sa volonté de préserver et de renforcer les acquis démocratiques de la
Révolution du 26 Mars 1991. »

La journée du 26 mars, où GMT a été renversé, est chômée.Chaque 26 mars depuis 1991, une
gerbe de fleurs est déposée sur la tombe des victimes par les différents présidents de la
République qui se sont succédés jusque-là.Un carré funéraire les honore, un monument est
dressé en leur honneur, un pont porte leur nom. Tout cela va-t-il s’envoler en fumée ? Comme
c’est étrange ! Pauvres victimes de mars 1991 ! Innocentes victimes du dictateur ! Si les morts
en avaient les moyens, la terre gémirait, dit l’adage bamanan.

Fort heureusement, l’Histoire a de la mémoire, même si elle peut-être cruelle pour les
mémoires ensevelies ! Nul ne me fera croire que la dictature est préférable à la démocratie,
même chiffonnée. Ne revenons pas en arrière. Que nul ne se laisse duper et enivrer par les
effluves de l’encensoir des idées négationnistes. Que nul ne se laisse manipuler par les
étrangleurs de notre mémoire. Que nul n’accepte que l’héritage héroïque de nos luttes pour la
dignité, en l’occurrence celui du 26 mars 1991, soit anéanti. Oui ! C’est bien parce que le 26
mars fut, que la voie a été frayée pour les acteurs de la IIIe république. Tout comme c’est sur
le sang des martyrs des 10 et 11 juillet 2020 que le 18 août 2020 a surgi. Ne gommons pas
notre mémoire.

 
Malheureusement, le mouvement démocratiquede 1991 est devenu un mouvement
giratoire des tourbillons du pouvoir, désespérément atone et livide par ces temps
de crise morale. En assistant, impavide, aux funérailles de Moussa Traoré, n’est-ce
pas à ses propres funérailles qu’il a assisté ?

Assurément, ce qui a fait perdre le Mali, c’est, au-delà des marges partisanes en brassant le
grand large, le laisser-aller, l’esprit de complaisance, le manque de veille, d’intransigeance
envers nous-mêmes, l’appétit effréné pour le pouvoir, ses avantages matériels et ses tristes
oripeaux.

Ce qui a fait perdre ce pays, c’est l’impunité, l’unanimisme malaisé des partis politiques, leur
mutisme terrifiant face aux dérives, leur dévorement, de manière gloutonne et sans rechigner,
de l’inacceptable, leurs alliances contre-nature au moment des votations.

4
Ce qui a fait perdre ce pays, ce sont les choix opportunistes, le népotisme et l’arrogance
outranciers, la démesure dans toute chose, avec leurs effets induits, l’ineffable impéritie et la
pusillanimité des décideurs majeurs, animés d’intentions tout autres que celles du peuple.

Enfin, ce qui a fait perdre ce pays, c’est l’extrême confusion des pouvoirs : entre les
institutions républicaines clivées sur papier entre Exécutif et Judiciaire, les souverainetés
religieuses ou dites traditionnelles, réhabilitées, instrumentalisées, et placées sous le bras de
l’Exécutif pour jouer un rôle prétendument éminent et l’incrustation informelle de ces acteurs
proclamés ou auto-proclamés gestionnaires de la République vers lesquels glissèrent
subrepticement, pour s’étoffer, des  prérogatives  qui ne sont pas les leurs ; entre la société
civile, les partis politiques, les chiens d’Ulysse, les chiens de garde, les suppôts cuirassés, les
contre-pouvoirs – la liste est longue- on ne sait plus qui fait quoi. Le Mali est dans une
cacophonie indescriptible qui n’a rien à envier à la cour du roi Pétaud, où règne confusion et
désordre.

Suite à des concertations nationales organisées en trois jours (10-12 septembre), une Charte
de la Transition a été établie. Sous l’œil vigilant de la CEDEAO, un collège a choisi un
président de la Transition, en la personne du colonel-Major Bah N’Daw qui a été investi ce
vendredi 25 septembre ; il est secondé par un vice-président, le Colonel Assimi Goita. Un
Premier ministre sera bientôt nommé par ce président, et un gouvernement instauré. La
nouvelle équipe devra assurer une transition de 18 mois.

 
Je nous invite tous, en commençant par les décideurs politiques prochains, à sortir
de l’ornière des recettes usées et des mesures que sempiternellement, dans une
grande sécheresse d’imagination et d’inspiration, on préconise pour résoudre les
crises en Afrique, à commencer par le rappel des troupes : classe politique, société
civile, syndicats, religieux, chefs traditionnels, forces dites vives. En somme, un
monde hétéroclite, dense et grouillant, aux contours imprécis, souvent mal définis,
agglutiné sous la clameur du concert vertigineux des fouetteurs d’egos que sont les
thuriféraires de tout poil. C’est cette foultitude que l’on invite, sous les injonctions
proclamatoires  copier coller sur bamad.net de la fameuse et terrifiante
communauté internationale, autour d’une soupe commune au goût mitigé: remise
du pouvoir aux civils, gouvernement de transition, gouvernement d’union
nationale, concertations nationales, dialogue inclusif, conférence nationale,
élections pluralistes, le tout noyé dans d’inlassables antiennes fredonnées à l’envi
appelés discours, assommants d’ennui. On fixe des délais dits raisonnables pour
ces élections, en ordonnant qu’elles soient crédibles et transparentes mais dont on
sait fort pertinemment qu’elles ne le seront jamais, tant que le même logiciel
continuera à les organiser. En dédaignant que les organes de régulation ont, avec
le temps, montré leur limite : leur mode de désignation, de même que leurs
accointances avec l’exécutif, en l’occurrence, interrogent. On crie au respect de la
constitution et des institutions démocratiquement élues mais peu importe que ces
institutions soient les premières à violer la constitution. Il est vrai qu’on ne peut
pas s’auto-flageller. Renversant !

5
Très vite, l’équipe de la transition devrait prendre la mesure de la situation, dans des choix
clairs et sans équivoque. Oui, en ces moments âpres et indécis, je dis que la partie qui se joue
est très sérieuse. Ce dont nous avons besoin, ce n’est ni de replâtrage et de rafistolage, ni
même de rénovation, mais d’audace, d’innovation hardie, d’invention et de réinvention. Ce
dont il s’agit, c’est une redéfinition et une reprogrammation de tous nos logiciels de gestion
républicaine et démocratique, voir une remise à plat institutionnelle.

Une clarification institutionnelle s’impose. Ainsi, par exemple, faudrait-il doter les autorités
morales – religieux et chefs traditionnels – d’un statut défini au sein de la république avec le
risque de créer la confusion ? Faudrait-il les y éloigner et les dissoudre dans l’agrégat citoyen,
dotés des mêmes droits et méritant le même respect que l’ensemble des citoyens de la
république, ou faudrait-il maintenir le statu quo ? Ce débat, qui suscite ces vives
interrogations, devrait être engagé de manière hardie et responsable.

 
Étonnons le monde !

En tout état de cause, le jeu démocratique ne saurait se rétablir que sur de nouvelles bases ;
l’autre règle automatique, mathématique, à laquelle on nous a habitués jusque-là, et consistant
à établir des listes de ministrables au nombre proportionnellement réparti entre majorité
présidentielle et opposition ne saurait prévaloir dans la situation actuelle. Le Mali est abimé ;
le nord est dans l’incertitude totale ; le centre n’existe plus. Tous les Maliens le savent et le
disent : notre pays est dans le chaos.

La grande parenthèse collaborationniste ouverte ces dernières années par des partis politiques
n’appartenant pas à la formationdu président sortant qu’ils ont rejoint pieds joints, proclamant
véhémentement qu’ils sont de sa majorité, ne devrait-elle pas être fermée ? Cet alignement,
hélas, a eu comme résultat de dévoyer ces partis, de les sortir de leur ligne idéologique et
d’entraver le débat et l’apport d’idées contradictoires nécessaires à toute démocratie. La
gestion inclusive du pouvoir, cette grande mêlée, doit être proscrite.

Pour l’heure, acceptons une gestion paritaire entre l’armée et les civils. Soyons froids et
placides, lucides et pragmatiques. L’armée est le cœur à la fois perturbateur et régulateur du
pouvoir. Et par une ironie du sort, plus l’exécutif, assurée de l’avoir avec lui, verrouille ses
portes, plus l’armée, impromptu, les déverrouille sur ses arrières ou dans l’épicentre de son
dispositif.

 
Est-il opportun de souligner que tous ces héros sublimés à travers leur épopée,
devenue notre épopée nationale, sont des seigneurs de guerre ? Tous sans
exception ont arraché le pouvoir, qui avec des flèches et des arcs, qui avec des
épées et des sabres, qui avec des fusils, des révolvers, des mousquetons d’artillerie,
qui avec des canons. Peu importe que leurs actions fussent habillées de discours
justificatifs : libération des peuples du joug de l’esclavage, de l’idolâtrie, de
l’arbitraire, de la colonisation, de la dictature des potentats de tout acabit. Tous
ont été et restent des « sauveurs », « suprêmes », pour la plupart d’entre eux. Que
cela enchante ou pas, le décochage ou le crépitement des armes est toujours là.

6
Que faire alors ? Comment composer avec la frange armée de la société ? Le
formulaire lapidaire dont on se gargarise : « il faut que les militaires rentrent
dans leurs casernes et remettent le pouvoir aux civils » suffit-il à résoudre nos
maux, à guérir nos plaies, à ramener nos victimes sur terre ? Les civils seraient-ils
des immaculés ? Suffit-il qu’ils soient au pouvoir pour garantir la paix et la
sécurité, remplir leur contrat social avec le peuple face aux défis à relever que l’on
peut loger dans le générique développement économique, social, sanitaire, éducatif
etc. ?

Mais qu’on se le tienne pour dit ! Même si la mission de la Transition est pro tempore, elle ne
devrait jamais oublier, fondamentalement, de relayer la vox populi, la voix du peuple, car les
seuls garde-fous du pouvoir sont le peuple, le peuple, forteresse inexpugnable, héros sublime
des temps ! Il peut être bridé, réprimé, mais il finit toujours par se réveiller. Aussi
intransigeant envers l’imposture qu’il l’a été à l’intimidation, le peuple du Mali, gageons-le,
restera débout sur les remparts.
La dignité du peuple, voilà le maître mot ! La problématique des valeurs, voilà la question
centrale ! Fixons un seuil de vertu républicaine dans nos actes, nos comportements, nos
rapports aux institutions, en termes de places, d’avantages, de privilèges, pour les familles, les
proches, les relations, les militants, tout en sachant que nous ne sommes ni des anges, ni des
démons. Nous sommes des humains.

Mon basique coranique m’a appris que l’homme est fait d’argile et d’eau, que les anges sont
immatériels, tout de pureté et de lumière, qu’ils n’ont pas de progéniture, au contraire des
humains. Mais oh ! Honneur des honneurs, ils reçurent d’Allah l’ordre de se prosterner tous
ensemble devant Adam, le premier homme.

 
Satan, ou Iblis, ou le Diable, le démon qu’on a personnifié, est un ange déchu, qui
n’a pas accepté de se soumettre à Adam, un banal humain de terre et d’eau pour
lui. Allah l’ayant alors chassé du paradis et maudit, il a entrepris de manipuler
Adam et Awa – l’épouse d’Adam façonnée de sa côte – et les a conduits à la faute
de la désobéissance envers Allah. Le couple originel, rongé par le remords, a
quémandé et obtenu la grâce d’Allah. Mais Satan, a dit Allah, sera toujours pour
l’Homme un ennemi évident. C’est pourquoi l’Homme doit le chasser sans
discontinuer par des formules ou par un énorme effort de volonté. La grande
affaire !!!

Nous ne sommes donc ni ange ni démon. Nul besoin de flatter en nous l’ange et de vouloir
usurper ses vertus. Nul besoin d’accuser en nous le démon et d’endosser son costume d’enfer.
Nous sommes des humains, avec nos qualités et nos défauts, nos grandeurs et nos faiblesses,
nos petites misères, nos ambitions et nos calculs, nos portions de douceur et de violence.
Malgré nos stigmates de « malédiction originelle », nous avons nos potentiels de tolérance, de
bonté, de générosité, d’empathie, de solidarité, de résignation, d’aptitude à nous ressaisir, à
accepter et à demander pardon. Ni Ange ni Démon ! Le défi de l’humain est de s’élever au-
delà de lui-même, d’aspirer à sa réserve de vertus, de la cultiver et de l’entretenir comme un
jardin. L’élévation de l’Humain au-dessus de l’Humain, là est la direction de la vertu.

7
Excellence Bah N’Daw, acteurs décisionnels du Mali, attelez-vous à atteindre cet idéal.
Peuple du Mali ! Attelle-toi à les y pousser dans ce sens !  A chacun sa part de partition.

Étonnons le monde !
Le pouvoir, la grande convoitée ! Vivons sa pratique comme une désespérante
solitude, sans grelots tintamarresques, comme un sacerdoce, sans courtisans, sans
flagorneurs, dans l’humilité la plus absolue, la plus contraignante, la tête remplie,
que dis-je, débordée à éclater de pensées pour le peuple, rien que le peuple, sans
cette démagogie phraséologique que l’hypocrisie revêt de ses miasmes. Pour
parvenir à une telle élévation, prenons garde à nous prémunir contre tous les
fléaux découlant de ces mots en ismes à connotation négative : favoritisme,
clientélisme, népotisme, populisme, angélisme, opportunisme, larbinisme, laxisme,
affairisme, triomphalisme et que sais-je encore ?
Faisons de ce temps de transition un temps de travail, de désintéressement, de rigueur et
d’humilité, un temps de vertu. De grâce ! Renonçons à toutes ces cérémonies, festivités et
commémorations budgétivores et tapageuses, à tous ces cortèges officiels de nos voitures à
tous, grosses cylindrées ou petites, motards, pick-ups, véritables bolides spectaculaires, lancés
sur nos voies à hurle-vent, sirènes stridentes et dérangeantes, héritage répréhensible d’un
pouvoir obnubilé par le m’as-tuvisme et le plein-la-vue, l’impressionnisme en un mot. Tenez-
nous en au minimum protocolaire et sécuritaire, cravatés ou gros-bouboutés, galonnés
ou grosses-bottés, gros-foulardées, perruquées ou longs-talonnées, c’est comme on veut. La
grandeur réside dans la simplicité. Moins on est visible, plus on est vu ! La clarté éblouissante
du pouvoir attire inexorablement son contraire : l’obscurité sépulcrale.
Soyons humbles. Soyez humbles, autorités de la Transition
en voie d’installation. Soyons tous humbles.
Étonnons le monde !
Bamako, le 26 septembre 2020

Adame BA KONARÉ.

Vous aimerez peut-être aussi