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Cours n°7 = La construction

européenne de 1973 à 1993 : du


premier élargissement à la mise en
place de l'UE.
La période 1973-1993 est marquée par des progrès substantiels en matière
d'intégration, que l'on pense au lancement du Système monétaire européen
(SME) en 1979, au projet de Marché unique en 1986, ou encore au Traité de
Maastricht en 1992, qui remplace la CE en UE. Ces avancées sont d'autant plus
remarquables que la période qui s'ouvre en 1973 est marquée par la fin des
Trentes glorieuses, qui avait été la toile de fond de la construction européenne,
et par une CE qui s'est élargie à 12 membres.
Comment a-t-il été possible d'amplifier le processus d'intégration, dans un
contexte économique moins florissant, et avec un nombre croissant de
partenaires, dont certains manifestaient de profondes réticences à l'égard de la
construction européenne ? Autrement dit, comment élargissement et
intégration ont-ils pu être combinés ? [La question se reposant depuis les
élargissements de 2004 et 2007]

I) Les années 1970 ont été fertiles en initiatives


destinées à favoriser l'intégration européenne.

A) Confrontés à la crise économique, les Neuf se sont


efforcés de préserver leur cohésion.

1) La crise économique n'a pas manqué d'affecter la construction


européenne.

Le premier choc pétrolier en 1973 a pris les Européens de court. Ils ont été
incapables d'élaborer une politique énergétique commune.
Parce que les années 60 avaient été marquées par l'échec de l'Euratom.
Et surtout parce que les pays européens n'ont pas été frappés de la même
façon par les chocs pétroliers. Certains comme la FR et l'Italie, très dépendants
des hydrocarbures, subissent ces chocs pétroliers de plein fouet, c'est d'ailleurs
de manière unilatérale qu'en 1974 la FR va opter pour un vaste programme
électro-nucléaire. Certains autres membres comme les Pays-Bas ou l'All ont pu
atténuer l'effet des chocs pétroliers, car ils pouvaient compter sur des
ressources énergétiques abondantes, comme le charbon pour l'All et le gaz
pour les Pays-Bas. Un pays comme le RU a même pu tirer profit du choc
pétrolier, puisque la hausse des cours a permis de valoriser les gisements off-
shore en Mer du Nord.
C'est donc le chacun pour soi qui l'emporte pour faire face à cette crise.
Il y a également eu des difficultés à coopérer sur le plan monétaire, dans la
mesure où les Européens ont été ébranlés par la disparition du système de
Bretton-Woods.
Ils ont certes signé en 1972 les Accords de Bâle donnant naissance au
« Serpent monétaire » permettant de limiter les différences entre les taux de
change. Mais la deuxième dévaluation du dollar en février 1973 est cependant
venue brisé ce Serpent en donnant la voie à un système de change flottant.
Le Franc et la Lire ont du quitté le Serpent monétaire européen, et sont de
facto devenus des monnaies flottantes. Or il existe d'importants différentiels
d'inflation entre les monnaies européennes, qui traduisent des politiques
économiques divergentes, surtout entre l'All qui privilégie la lutte contre
l'inflation, et la FR et l'Italie qui pratiquent des politiques de relance
d'inspiration keynesienne.
L'Europe est ainsi victime d'une forte instabilité monétaire, qui perturbe les
échanges intra-communautaire, et qui est source de tensions entre les
membres : on a ainsi constaté dans les années 70 un recul de l'intégration
commerciale. La PAC est très affectée par cette instabilité, l'un de ses principes
étant la définition de prix uniques à l'échelle européenne, définition difficile
quand les taux de change sont flottants.
Les Européens vont tirer les leçons de cette instabilité en 1979 en lançant le
projet de SME en 1979. Le premier projet de monnaie européenne lancé en
1969 se solde par un échec, l'Europe étant victime d'une cacophonie
monétaire.

2) Mais la crise a aussi pu stimulé le processus d'intégration.

Les Neuf se sont efforcés de faire émerger de nouvelles politiques communes,


dans trois directions différentes.

a) Une politique commune dans le domaine monétaire.

En 1979 lancement d'un ambitieux projet de SME, sous le double parrainage


de la FR et de l'All (couple Giscard d'Estaing/Schmidt).

En profitant d'un contexte géopolitique favorable.


Les années 70 ont été marquées par un recul de l'influence des EU. Le modèle
américain est battu en brèche : crise du Fordisme, crise du Watergate, défaite
du Vietnam, la percée de l'URSS dans le monde.
L'Europe dans les années 70 est devenue un poids lourd économique. Surtout
qu'on ne parle pas encore d'économie émergente : Brésil surendetté, Chine
commence seulement les réformes, Inde prisonnière d'une stratégie auto-
centrée.

Via le SME les Européens se dotaient d'une référence monétaire commune,


baptisée ECU (European currency unit), et exprimaient par là la volonté
d'émancipation du dollar.

Via le SME, les Européens s'engageaient à établir entre leurs monnaies des
taux de change fixes. C'est un véritable défi à l'époque, car les taux de change
flottant sont alors la règle.

Via le SME, les Européens s'engageaient aussi à harmoniser leur politique


économique. Faire en sorte que leurs politiques économiques poursuivent les
mêmes objectifs : priorité à la lutte contre l'inflation.
Le deuxième choc pétrolier va cependant différer cette harmonisation. En
témoigne le lancement en FR en 1981-82 (Mitterand) d'une politique de
relance d'inspiration keynesienne. Elle provoque une vigoureuse inflation, qui
dégrade la compétitivité de l'économie française, avec la persistance d'un
chômage élevé. Dans le cadre du SME les dévaluations du Franc ne peuvent
corriger que les différentiels d'inflation, d'où l'alternative qui s'offre à la FR en
1983 : sortir du SME (marginaliser la FR en Europe) ou accorder la priorité à la
lutte contre l'inflation. C'est ce dernier choix qui est fait par Mitterand en 1983
avec la politique de « désinflation compétitive », car quitter le SME c'était
laisser une place prépondérante à l'All dans la construction européenne.

b) Un soutien aux industries les plus vigoureusement touchées par la crise.

Deux activités principalement concernées : le textile et la sidérurgie. Secteurs


riches en emplois.

L'industrie textile européenne va bénéficier à partir de 1974 de l'AMF dans le


cadre du GATT.

C'est surtout la sidérurgie qui va être concernée par les plans européens. Deux
plans ont été lancés en 1977-1980 : les plans Davignon. Ils visaient à éviter
que les solutions nationales ne l'emportent pour résoudre la crise qui frappait
le secteur, et éviter ainsi que le chacun pour soi ne l'emporte au détriment des
autres : volonté d'apporter une réaction concertée à la crise.
Les plans instauraient un contrôle des aides publiques nationales pour éviter
que la concurrence ne soit faussée : des plans Davignon ainsi libéraux. Ces
deux plans favorisaient aussi une baisse concertée des capacités de production
des Neuf, en les répartissant de manière égale entre ces Neuf.
On a pu voir dans ces mesures une esquisse de politique industrielle
commune , alors qu'il avait seulement été question d'une politique agricole
commune dans les années 60. Même si cette politique présentait encore un
caractère limité : un caractère défensif, elle visait en effet à venir en aide aux
secteurs anciens plus qu'à favoriser les productions et secteurs d'avenir, dans
la mesure où la CE manque de moyen, car le budget européen se concentre
alors principalement sur la PAC. La coopération industrielle existe aussi à
travers le programme Airbus depuis 1969 : c'est un projet européen mais pas
communautaire, car il est le fruit d'un accord entre Etats.

c) Une politique régionale commune (aujd nommée la «  politique de la


cohésion »).

[Elle pèse aujd quasiment aussi lourd que la PAC].


C'est une politique que réclamait déjà l'Italie dans les années 60. Elle avait
vainement souhaité que la CE apporte son soutien aux régions du Mezzogiorno
italiennes (en fort retard de développement). L'Italie avait d'ailleurs dès 1955
donné naissance à une caisse de soutien au Mezziogorno, qui accordait des
subventions aux entreprises qui acceptaient de s'implanter dans la région.
L'Italie avait demandé une aide à la CE car elle craignait que celle-ci ne fasse
empirer les inégalités entre le Nord et le Sud de l'Italie, les politiques
européennes favorisant largement les régions industrialisées et moins celles
sous-industrialisées. Surtout que si la FR était largement favorisée par la PAC,
celle-ci ne favorisait pas l'Italie, car elle ne prenait quasiment pas en charge
les productions italiennes (fruits..).
Les exigences du RU aussi : un soutien financier de la CE pour reconvertir ses
« black countries ».

Cette double exigence italienne et britannique a favorisé en 1975 l'émergence


d'une politique régionale commune, matérialisée par le FEDER. Il disposait
cependant à l'époque de son lancement d'un budget limité : 5% du budget
européen. Ce fond avait deux missions :
- venir en aide aux régions périphériques, localisées sur les marges
méridionales (Italie) ou occidentales (Irlande : lorsqu'elle est entrée dans la CE
en 1973 son PIB était 2x inférieur à la moyenne européenne, alors qu'en 2010
elle faisait partie des 5 pays européens les plus riches) de la CE.
- lutter contre les difficultés économiques et sociales des vieilles régions
industrielles : favoriser leur reconversion.
En 1980, un premier bilan de la répartition des aides du FEDER plaçait l'Italie
en 1ère position : 40% des aides, le RU en 2e position : 30% des fonds.
Élargissement et intégration ont été ici de paire : le RU est entré dans la CE et
le FEDER est né.

Cette politique était marquée par une double volonté :


- affirmer la solidarité européenne = transfert de revenu des
régions les plus riches vers les régions les plus déshéritées.
- préserver la cohésion de la CEE = corriger les disparités
régionales pour créer un espace européen unifié et éviter que ne s'accentuent
les contrastes entre une Europe riche et une Europe pauvre, càd éviter
l'émergence d'une CEE à deux vitesses. Une Europe exclusivement fondée sur
les échanges risquaient en effet de creuser les contrastes régionales, car ces
échanges risquaient de favoriser les régions économiquement plus
développées.

B) La seconde moitié des années 1970 a été porteuse


d'avancées institutionnelles.

Le premier élargissement a fait craindre que la prise de décision ne devienne


plus difficile. La commission passait de 9 à 14 membres : crainte qu'elle perde
son rôle d'impulsion. Le Conseil de ministre passait de 6 à 9 : crainte que les
décisions soient plus difficiles à prendre, parce qu'elles se prenaient alors à
l'unanimité.

D'où la proposition française de créer à côté du Conseil des ministres un


Conseil européen. Le Conseil Européen rassemble régulièrement les chefs
d'Etat et de gouvernement des Etats membres, dans le but d’aplanir les
différends, de trouver des compromis, pour éviter que la construction
européenne ne soit paralysée, en suivant le modèle du Sommet de la Haye. Le
premier Conseil européen va se tenir en 1974.
Les enjeux de la mise en place d'un tel Conseil sont multiples. D'abord les
institutions européennes deviennent plus complexes. Ensuite il peut apparaître
comme un concurrent à la Commission. L'existence de ce Conseil relève en
outre l’ambiguïté de la construction européenne : elle présente une dimension
supra-nationale, mais ce sont les Etats qui en sont les principaux promoteurs.
Certains Conseils européens se sont montrés décisifs pour la construction
européenne :
- le Sommet européen de Copenhague en 1978 a permis de poser les
bases du SME.
- le Traité de Lisbonne en 2007 est issu du Sommet européen qui s'est
tenu dans la capitale portugaise.
D'ailleurs ce Conseil européen a fini par être institutionnalisé en 1986, dans le
cadre de l'Acte unique européen.

Les années 70 ont été à l'origine d'une autre avancée institutionnelle, toujours
à l'initiative de la FR : en 1976 la FR a proposé que le Parlement européen soit
élu au Suffrage universel direct.
L'objectif était de rapprocher les Européens de la construction européenne, de
trouver une parade à l'accusation de déficit démocratique de la CE, de faire en
sorte que la construction européenne cesse d'être une construction
technocratique : que l'ensemble des Européen soient régulièrement concernés
par les avancées de la construction.
Les premières élections au suffrage universel direct ont connu une participation
de 62%, mais celle-ci n'a cessé de baisser depuis : en 1999 elle passait en-
dessous de 50% et en 2009 de 45%. Les élections se passent dans le cadre
national, et c'est souvent un test électoral national : l'Europe passe souvent au
second plan. C'est d'autant plus regrettable que le Parlement européen
possède des pouvoirs accrus depuis les années 80.

C) L'élargissement de la CEE peut aussi finalement être


considéré comme un atout.

Le passage à 9 membres marque la fin de la Petite Europe, limitée à 6 Etats


seulement. [Ils seront même 10 à partir de 1981 (Grêce). La porte à de
nouveaux élargissements a été ouverte dans les années 70 : 1974 Révolution
des œillets au Portugal, 1975 fin du régime de Franco en Espagne ; les deux
pays ont fait acte de candidature en 1977 pour finalement entrer en 1986.]

Ce premier élargissement vient confirmer la montée en puissance de la CE.


La CE prend le pas sur l'organisation rivale qu'est l'AELE.
Le premier élargissement présente aussi des vertus géopolitiques et
géoéconomiques :
- passer à un ensemble de 250 millions d'hab : capable de faire contre-
poids aux deux grands. Surtout que l'élargissement c'est + 60 millions de
consommateurs supplémentaires à l'heure de la crise économique.
- si on exclue les échanges intra-communautaires, l'Europe représente
après l'élargissement 20% du commerce mondial. Ce qui lui permet de peser
dans les négociations du Tokyo Round (1973-79) par ex : ils y ont pesé pour
éviter que la crise économique ne fasse le lit du protectionnisme, celui-ci tente
les EU (1974 vote du Trade Act, avec la législation 301 autorisant les EU à
prendre des mesures de rétorsions unilatérales). Les Européens s'efforcent de
faire valoir une approche multilatérale des échanges.
- l'entrée du RU va aussi donner plus de consistance au groupement
d'intérêts économiques Airbus Industries, fondé en 1970 par la FR et l'All,
rejoint en 1971 par l'entreprise espagnole Casa, le premier Airbus a volé en
1972, et c'est en 1979 que British Aerospace a rejoint le consortium Airbus (à
cette date l'entreprise n'a vendu que 81 appareils) [le véritable essor d'Airbus
date des années 80, avec l'A310 et surtout en 1988 le lancement de l'A320,
qui est aujd avec le B737 l'un des deux avions les plus vendus au monde].
- l'importance du renfort britannique pour l'ASE (agence spatiale
européenne, fondée en 1975, fédère 13 pays européen dans le secteur, les
trois principaux animateurs étant la FR, le RU, et l'All), qui est à l'origine du
lancement de la première fusée Ariane en 1979 : capacité autonome de
lancement de satellites.

II) De 1979 à 1984, les exigences du RU ont affecté


le processus d'intégration.

A) Les dirigeants du RU se sont comportés en partenaires


intransigeants.

1) Le RU s'était finalement résolu à adhérer à la CEE.

Le RU a adhéré à la CE parce qu'il avait plus à perdre qu'à gagner en restant à


l'écart de la CE.

Dans les années 60, le RU peut constater que les liens qu'il entretient avec le
Commonwealth commencent à se distendre. Progressivement, les dominions
échappent à son influence. Sur le plan économique, l'Australie et la NZ
commencent à entretenir des liens des plus en plus étroits avec le Japon, alors
en plein essor économique, l'Australie pouvant lui fournir les matières
premières dont il a besoin. Sur le plan stratégique, Australie et NZ font
d'avantage confiance aux EU qu'au RU pour assurer leur sécurité, comme
l'illustre le pacte ANZUS conclu en 1952. Le Canada quant à lui a une économie
de plus en plus intégrée à celle des EU, le Canada étant un territoire de
réception des IDE américains.
Sur le plan géopolitique, le RU commence à éprouver les limites de son
influence internationale. Il a d'abord perdu son empire colonial. Ensuite, la
crise de Suez de 1956 a eu un grand impact : elle a démontré que le RU n'était
plus une grande puissance, qu'il ne pouvait plus traiter d'égal à égal avec les
deux superpuissances, et elle a également consacré le déclin définitif de
l'influence du RU au Moyen-Orient.
C'est dans ces conditions qu'il a décidé de se rapprocher de ses voisins
européens, après s'être rendu compte qu'il partageait leur destin.

La CE est un succès indéniable (alors que le RU avait programmé un échec),


dont les indices sont nombreux, les EU commencent d'ailleurs à considérer la
CE comme un rival (la reboutent même) : union douanière en 1968, la PAC, le
programme Airbus, lancement d'un projet de monnaie européenne en 1969.
Les EU sont de plus en plus portés à prêter attention à la CE, au détriment du
RU, ce qui vient contrecarrer le projet géopolitique britannique des trois
cercles. Rester à l'écart de la CE c'était donc risquer la marginalisation.
D'autant que l'AELE n'apporte pas tous les bénéfices escomptés, notamment
sur le plan des débouchés extérieurs : pas de comparaison possible avec la CE.
Dans la mesure où les membres de l'AELE sont des Etats peu peuplés, les
échanges ne peuvent réellement s'intensifier, alors que les 6 de la Petite
Europe voient leur croissance s'intensifier du fait de l'augmentation des
échanges intra-communautaires.
On en aurait la preuve en observant les performances britanniques : taux de
croissance ne dépassent pas 3%/an alors que ceux-ci sont supérieurs à 5%/an
dans la CE. Le RU risque de se faire distancer économiquement. Dans les
années 60 d'ailleurs, l'économie française dépasse l'économie britannique.
C'est à la CE que les FTN américaines destinent principalement leurs IDE, et
l'économie britannique peut en pâtir.

Pour toutes ces raisons, entrer dans la CE apparaît comme une nécessité pour
le RU.

2) L'adhésion n'a toutefois pas apporté au RU tous les bénéfices


escomptés.

Le RU peut se montrer déçu une fois l'adhésion faite.

Il faut faire référence au contexte : le RU entre en 1973, alors que s'achèvent


les Trentes Glorieuses, càd alors que ralentissent les rythmes de croissance
des pays européens. De l'ensemble des Neuf, le RU est le pays qui a été le plus
sévèrement frappé par la stagflation consécutive au premier choc pétrolier. De
telle sorte qu'à la fin des années 70, l'impact de la crise est tel que c'est l'Italie
qui est en passe de dépasser le RU, comme si en fait l'adhésion à la CE n'avait
eu aucun impact sur la croissance économique. C'est en partie du fait de ces
contre-performances économiques que M.Thatcher arrive au pouvoir en 1979,
avec un programme économique et social largement d'inspiration libéral, et
une rupture avec le keynésianisme ambiant qui prévalait depuis 1945.
Dans les années 70, l'appartenance à la CE n'a donc pas été pour le RU le
multiplicateur de puissance attendu.

Le RU a une autre raison d'être déçu : une politique régionale commune a sans
doute vu le jour grâce à elle (et à l'Italie), mais les moyens qui lui sont
attribués sont notoirement insuffisants. Le RU en impute la responsabilité à la
FR et surtout à la PAC, qui absorbe alors 80% du budget européen. Le RU
s'estime durement touché par la crise, mais estime aussi que la solidarité
européenne ne joue pas assez en sa faveur, dans ces conditions il ne peut pas
favoriser la reconversion de ses black countries où les taux de chômage sont
particulièrement élevés.

3) Les déceptions engendrées par l'adhésion ont nourri des


revendications qui n'ont cessé de s'amplifier.

A deux reprises, les dirigeants britanniques ont exigé que soit renégocié le
traité de Bruxelles (1972), qui est le traité d'adhésion du RU à la CE, qui est
une sorte de traité de Rome bis : exiger une révision de ce traité, c'est en fait
exiger une révision du traité fondateur.

La première requête est formulée dès 1974, par les Travaillistes qui viennent
d'arriver au pouvoir, alors que ce sont les Conservateurs qui avaient négocié
les conditions d'adhésion du RU.
Les Travaillistes contestent la participation du RU au budget européen, qu'ils
jugent excessive. 80% du budget sert à financer la PAC, qui profite surtout à la
FR, mais peu au RU parce que sa production agricole est modeste et que ses
agriculteurs sont peu nombreux.
C'est pour tenter de contrecarrer la critique du RU que les Neuf ont créée une
politique régionale commune : le Feder, dont le RU devait être l'un des
principaux bénéficiaires. Même si se posera le problème de son financement.

Les critiques ont pris beaucoup plus d'ampleur à partir de 1979 et l'arrivée au
pouvoir des Conservateurs, comme l'illustre la formule que M.Thatcher
utilisait : « I want my money back », M.Thatcher n'hésitait pas à demander un
« juste retour ».
L'argument est qu'à cette date, le RU est avec la RFA le seul des Neuf qui soit
« contributeur net » au budget européen, càd qui paye d'avantage qu'il n'en
reçoit. Pour M.Thatcher cette situation est une anomalie, parce que le PIB
allemand est à l'époque deux fois supérieur au PIB britannique, parce que le
RU est en difficulté économique dans les années 70, et parce qu'il bénéficie du
budget européen, mais moins que le Pays-Bas par ex, pourtant 6x moins
peuplés que le RU.
M.Thatcher exigeait ainsi une réduction de la contribution du RU au budget
européen, c'était le sens du « juste retour » qu'elle réclamait. Et surtout, elle
exigeait une réforme de la PAC, beaucoup trop coûteuse à ses yeux. Comme
les deux questions étaient liés, on a parlé d'un problème « agro-budgétaire »,
qui va profondément perturber la construction européenne de 1979 à 1984 :
période dite d'« eurosclérose ».

B) Les exigences du RU ont fortement perturbé la


construction européenne.

1) Derrière ces exigences se profile une défiance du RU vis-à-vis du


processus d'intégration.

Le RU a adhéré sans enthousiasme à la CE : il l'a fait parce qu'il ne pouvait pas
faire autrement. Une candidature qui pouvait apparaître suspecte de manière
légitime : le RU se défiait déjà dans les années 50 d'une construction qui
supposait d'importantes délégations de souveraineté.

Les critiques britanniques se focalisent sur le budget européen et sur la PAC :


les deux symboles du processus d'intégration.
Le budget instaure un principe de solidarité financière, il permet des politiques
supra-nationales, et surtout le budget est doté de ressources propres
(première fois en 1975) qui ne sont pas contrôlées par les Etats. M.Thatcher
pointe donc ces ressources propres dans sa critique du budget européen.
En outre, si la contribution du RU au budget est jugée excessive, c'est que le
RU respecte mal l'un des principes fondamentaux de la PAC : la préférence
communautaire, en 1980 les 2/3 des importations agricoles britanniques
proviennent de fournisseurs autres que ceux de la CE (pour viande et produits
laitiers : Commonwealth). Comme il ne respecte pas cette préférence, il doit
verser au budget européen des prélèvements agricoles, qui alourdissent
d'autant sa participation au budget communautaire, et ceci faute de jouer le
jeu européen. Plutôt que de s'approvisionner en Europe, le RU préfère exiger
une réduction de sa contribution, ce qui traduit une réelle défiance du RU vis-
à-vis de la PAC, qui est accusée de renchérir le coût des produits alimentaires :
pour le RU la PAC est inflationniste.
De plus, pour M.Thatcher la PAC ne présente pas un caractère suffisamment
libéral, elle bafoue les règles du marché qu'elle s'efforce de défendre au RU :
opposition idéologique.
La proposition britannique d'un « juste retour » remet en question l'existence
même du budget européen : si chaque pays exige un juste retour comme le
fait le RU, il n'y a plus de budget européen. Alors que le budget matérialise la
solidarité européenne, et qu'il apparaît ainsi comme le symbole du processus
d'intégration.

La stratégie du chacun pour-soi prônée par M.Thatcher est contraire à la


stratégie européenne.

2) La construction européenne a souffert des exigences du RU.

De 1979 à 1984, on a même pu parler d'une « Europe en panne ».

En 1984, une solution au problème agro-budgétaire a été trouvée, lors du


Conseil européen de Fontainebleau (rassemble chefs d'Etats et de
gouvernements).

Pour obtenir satisfaction à ses revendications, M.Thatcher n'a pas en 1980


hésité à opposer son veto à la proposition de la Commission d'augmenter la
part de la TVA versée par les Etats européens pour alimenter le budget
communautaire (devait passer de 1 à 1,4% de la TVA) [aujd le budget
européen représente 1% des PIB des 27 (la moitié absorbé par la PAC) : pas
de vrai budget communautaire, alors qu'aux EU par ex il y a un budget fédéral
qui vaut 25% du PIB américain].
Ce refus de voir le budget augmenter rendait impossible la mise en place de
nouvelles politiques communes, donc rendait impossible la poursuite de
l'intégration. En outre il était impossible d'envisager un nouvel élargissement,
d'autant que les candidats à l'entrée dans la CE sont des pays en retard de
développement (Espagne, Portugal, Grèce), qui vont devoir bénéficier de
subventions (de la politique régionale commune). Dans ces deux dimensions :
élargissement et intégration, la CE se trouvait bloquée.

La sortie de cette crise agro-budgétaire est passée par la satisfaction partielle


des exigences britanniques.
Dans les années 70, les Travaillistes avaient déjà obtenu des dérogations au
principe de la préférence communautaire, ce qui signifie qu'ils pouvaient
s'approvisionner hors de la CE sans verser de prélèvements. Ceci au risque
d'accroître la surproduction agricole dans la CE, particulièrement coûteuse car
les surplus sont automatiquement rachetés. M.Thatcher a obtenu une
confirmation de ces dérogations.
M.Thatcher a en plus obtenu une réduction de la contribution financière du RU
au budget communautaire : c'est ce qu'on a appelé le « rabais » (ou le
« chèque britannique »), qui correspond aux 2/3 de l'excédent britannique (ils
sont contributeurs nets, et les 2/3 de leur contribution leurs sont reversés), ce
rabais étant pris en charge par la FR et l'All (en 1985 la FR devient
contributrice nette à la CEE : donne une forme de pouvoir).

Ces décisions prises pouvaient s'avérer dangereuses.


Cela montrait que les traités qui avaient été signés pouvaient être révisés, cela
pouvait créer un précédent (même si la FR elle-même avait déjà montré la
voie avec le compromis de Luxembourg).
Le chèque britannique remettait en question l'existence d'un budget
communautaire alimenté par des ressources propres, en plus de remettre en
question la solidarité européenne.
Surtout, il faut replacer ces décisions dans le contexte : l'Europe semble à la
dérive. L'Europe semble fortement touchée par le 2e choc pétrolier, qui
aggrave la crise économique, avec la tentation de certains pays de faire
cavalier seul (à l'image de la FR en 1981-82 qui applique une politique de
relance, et qui en 1983 est au bord de quitter le SME, ce qui aurait sans doute
sonner le glas de l'aventure européenne). Le SME suppose de telles
délégations de souveraineté que le RU a refusé d'y participer.

La première moitié des années 80 est donc difficile pour la construction


européenne, ce qui alimente un courant eurosceptique particulièrement
marqué.

C) Même s'il ne faut pas exagérer les nuisances causées par


le RU.

Il est trop facile de faire du RU le bouc émissaire de la CE :


- La crise agro-budgétaire survient dans un contexte économique
difficile : 2e choc pétrolier.
- Les difficultés du SME ne sont pas dues au RU : la FR y a largement sa
part.
- Le RU n'est pas le seul perturbateur de la construction européenne : la
FR en son temps (1963-69) avait déjà freiné celle-ci.
- Les critiques formulées par M.Thatcher à la construction européenne
ont une part d'acceptabilité. Elle dénonce le poids de la PAC, qui absorbe
l'essentiel des ressources communautaires : on est au début des années 80, et
alors que s'amorce une 3e Révolution industrielle, l'Europe s'acharne à
consacrer l'essentiel de son budget aux dépenses agricoles.
- L'obstruction du RU a quand même pu être surmontée, et il faut parler
du bon côté du Sommet de Fontainebleau : il dénoue la crise agro-budgétaire,
tout en s'efforçant d'en sortir par le haut. Il y a certes acceptation des
revendications britanniques [le chèque britannique devrait disparaître à
l'horizon 2013], mais le Conseil de Fontainebleau envisageait aussi une
réforme de la PAC, en dépit des réticences françaises (elle s'était déjà opposée
à une première tentative : Mansholt). Cette réforme était cependant modeste
dans ses ambitions : elle reposait sur l'instauration de quotas laitiers, car
l'Europe souffrait alors d'une surproduction laitière (au-delà de ces quotas les
prix aux agriculteurs n'étaient plus garantis). Il s'agissait ainsi de trouver les
moyens de financer de nouvelles politiques communes.
- En 1984, M.Thatcher a accepté l'augmentation du budget européen (car
elle avait obtenu ce qu'elle souhaitait), avec une augmentation de la part de la
TVA versée par les Etats. Cette hausse allait pouvoir permettre de lancer une
nouvelle politique commune : la PCRD (politique commune de la recherche et
du développement), qui était surtout destinée à permettre aux Européens de
rattraper le retard pris dans les technologies de l'information. Cette politique
encourageait les laboratoires de recherche européens à travailler ensemble, en
utilisant des fonds communautaires : éviter que la recherche ne soit morcelée
entre les nations. C'est ainsi qu'ont émergé en 1984 les programmes Esprit et
Race. La hausse du budget européen ouvrait également la voie à l'intégration
de nouveaux membres: les pays d'Europe du Sud.
- Il était difficile de construire la CE sans le RU. Son adhésion ouvre la
voie à une intégration progressive des autres membres de l'AELE dans la CE,
et donc à une unification du continent européen sous l'égide de la CE. Grâce au
RU, l'Europe a pu faire émerger la politique régionale commune, et même si
les fonds lui étant destinés étaient alors faibles, une réforme du budget était
prévue, et les nvelles adhésions allaient doper le budget. En 1975 les Accords
de Lomé sont signés, et permettent à l'Europe de garder une influence dans
ses anciennes colonies : le Tiers Monde ; le RU et son passé colonialiste ont pu
contribuer à la réussite de cet accord, ce que l'All par ex ne pouvait pas faire.

Le ressort s'est tendu de 1979 à 84 et se détend alors : cette période passée,


l'Europe va avancer à pas de géant, comme si elle rattrapait le temps perdu.

III) De Fontainebleau (1984) à Maastricht (1992), la


construction européenne enregistre de nouvelles
avancées.

A) Le Sommet de Fontainebleau lève les obstacles à


l'élargissement de la CEE à l'Espagne et au Portugal.
1) La volonté de l'Espagne et du Portugal d'adhérer à la CEE présente
une incontestable légitimité.

Ces deux pays ont formulé leur volonté d'adhésion en 1977. L'acceptation de
ces deux candidatures semblait alors couler de source.

Il s'agissait de deux pays incontestablement européens, et qui avaient marqué


l'histoire du « Vieux continent », avec les Grandes découvertes notamment
(leur adhésion pouvait d'ailleurs être source de rapprochement entre l'Europe
et l'Amérique latine).

Il existe déjà des liens forts qui ont été noués entre ces deux pays et la CEE.
- Ce sont d'abord des liens commerciaux étroits : en 1980 l'Espagne et le
Portugal orientent déjà 50% de leurs exportations à la CE, et ils présentent
ainsi un taux d'intégration commerciale supérieur à celui du RU ! Cela
s'explique par le fait que l'Espagne et le Portugal ont signé des Accords
d'association avec la CEE dans les années 70 : accords commerciaux
préférentiels (= asymétriques), qui permettent aux deux pays de trouver des
débouchés privilégiés dans la CEE sans que la réciproque ne soit vraie ;
l'objectif recherché étant que ces pays rattrapent leur retard [de tels accords
ont d'ailleurs été répétés dans l'histoire de la CEE, ex : 1963 accord avec la
Turquie].
- Ce sont aussi des liens humains : l'accueil de touristes européens en
Espagne et au Portugal, les flux migratoires de ces deux pays vers la CEE pour
le travail (ex : dans les années 70, les Portugais représentent la communauté
étrangère la plus importante en FR).
- Ce sont enfin les flux financiers : Espagne et Portugal ont déjà
commencé à recevoir des IDE venus de la CEE.

Les candidatures espagnoles et portugaises peuvent également s'avérer


séduisantes à plus d'un titre.
- Les deux pays voient dans l'adhésion à la CE un moyen d'accélérer leur
développement économique. Ces candidatures viennent donc plébisciter le
processus d'intégration, encourager les Européens à aller de l'avant.
- Les deux pays viennent de renouer avec la démocratie (fin régime
Franco, fin régime Salazar) et veulent conforter ses assises. Ces candidatures
apportaient en qq sortes un supplément d'âme à la CE qui n'est pas seulement
une construction économique mais qu'il faut aussi regarder comme une
association de démocraties.
- Les arguments économiques n'étaient pas non plus négligeables :
l'Espagne et le Portugal pouvaient offrir de nouveaux débouchés.
- L'adhésion des deux pays pouvait permettre un rééquilibrage
géographique de la CE, au profit du Sud. En 1985 le Maroc a d'ailleurs
présenté sa candidature à la CE, celle-ci a fait l'objet d'un rejet immédiat, le
Maroc n'étant pas un pays européen ; l'ambition du Maroc était de faire en
sorte que la CE ne délaisse pas la Méditerranée, ne la considère pas comme
une frontière.
Pourquoi a-t-on alors accepté l'adhésion de la Grèce en 1981 et pourquoi a-t-
on différé l'adhésion du Portugal et de l'Espagne ?

2) Ces deux candidatures n'en inquiètent pas moins les Dix.

L'adhésion de la Grèce était plus acceptable :


- La Grèce pouvait apparaître comme le berceau de la démocratie (même
s'il y a eu le régime des Colonels..).
- La Grèce ne posait pas de problème de taille. Le Portugal ne posait pas
non plus de tel problème, mais le fait qu'il était dans le même ensemble
géographique que l'Espagne faisait que son adhésion devait se faire en même
temps que celle de l'Espagne.

Les craintes venaient surtout de la FR, de l'Italie, et de la Grèce. Ils pouvaient


craindre la concurrence des produits agricole espagnols, l'Espagne étant un
gros producteur de fruits et légumes. Ceci d'autant plus que l'Espagne allait
bénéficier de la PAC, et que les subsides allaient devoir ainsi être partagés
entre un nombre accru de membres. Surtout que la PAC avait connu une
première réforme en 1984 pour la rendre moins coûteuse : celle-ci touchait
surtout les agriculteurs français.
C'est pourquoi la Commission européenne a lancé en 1985 les PIM
(programmes intégrés méditerranéens) : aides émanant du Feder, destinées
aux agriculteurs du Sud de la FR, de l'Italie et de la Grèce, pour qu'ils
s'adaptent à la concurrence des produits espagnoles, ce qui par la même
occasion permettait de donner un nouvel élan à la politique régionale
commune.

On redoutait aussi le coût des adhésions, ce qui renvoie au problème de la


modestie du budget européen.
L'Espagne était un pays où l'agriculture occupait encore une part importante
dans le PIB et dans la population active, et les dépenses du Feoga risquaient
ainsi d'enfler démesurément, sans parler des risques de surproduction non-
négligeables (ex : pour le vin, pour l'huile d'olive).
L'Espagne et le Portugal était deux pays pauvres (le PIB/hab du Portugal était
2x inférieur à la moyenne communautaire), dans ces conditions ils allaient
bénéficier largement du Feder.
Pour ces deux raisons, l'adhésion a été impossible tant que le RU a mis son
veto à une augmentation du budget européen. L'adhésion a ainsi été
conditionnée par la résolution du problème agro-budgétaire. L'obstruction
britannique a été une aubaine pour la FR et l'Italie par ex qui différaient
d'autant l'arrivée d'une nouvelle concurrence. Les adhésions espagnoles et
portugaises sont négociées après Fontainebleau, et lors de ces négociations il a
été décidé que l'Espagne ne pourrait bénéficier de l'intégralité des aides de la
PAC qu'en 1996 : pour qu'une adhésion réussisse on ménage des périodes de
transition.

3) Les retombées de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal se sont


montrées favorables au processus d'intégration.
L'élargissement n'a pas freiné le processus d'intégration, et il a même pu le
stimuler.

Il a fallu accueillir l'Espagne et le Portugal : on savait qu'il faudrait faire un


effort financier. A ainsi été décidée une augmentation budget européen, en
deux étapes :
- au Sommet de Fontainebleau en 1984
- en 1988 une 4e ressource propre a été créée, après s'être
notamment rendu compte que le TEC et les prélèvements agricoles
rapportaient de moins en moins d'argent. Cette 4e ressource était un
pourcentage du PNB prélevé, l'All étant ainsi le principal donateur : cela crée
une solidarité européenne, car l'argent était pris des plus riches pour aider les
plus pauvres.

Sur le plan institutionnel, des progrès ont également été accomplis. On


constatait que la CEE à Douze devenait plus difficilement gouvernable.
En 1986 a été décidé le principe du vote à la majorité qualifiée au Conseil des
ministres, càd de supprimer partiellement le droit de veto dont disposaient les
Etats, même si l'unanimité restait cependant requise pour certains sujets (ex :
adhésion d'un nouveau membre). Il y aura une extension croissante du vote à
la majorité qualifiée : la supra-nationalité a triomphé.
En 1986 est aussi institutionnalisé le Conseil européen : représente chefs
d'Etats et de gouvernements, chargé d'aplanir les différends, il est aussi une
force motrice.

La décision d'accueillir l'Espagne et le Portugal est également contemporaine


de la volonté de relancer le processus d'intégration. Volonté matérialisée par le
vote de l'Acte unique européen en 1986 : il prévoyait la mise en place d'un
Marché unique, fondé sur les quatre libertés de circulation. Logique
d'approfondissement à l'oeuvre avec l'adhésion de ces deux pays à nouveau
(comme pour les autres adhésions).

B) L'Acte unique européen constitue une étape essentielle


dans la dynamique de l'intégration.

L'Acte unique est une modification des traités existants : ceux qui avaient
encadré la création de la CECA, de l'Euratom, et de la CEE. Cette modification
a été proposée par la Commission européenne (dirigée par J.Delors), qui a
joué un rôle d'impulsion indéniable. Le projet a été adopté par les Douze en
février 1986 et est entré en vigueur en juillet 1987.

1) Le Marché unique a d'abord pour vocation de relancer le processus


d'intégration.

Relancer le processus d'intégration apparaît comme une nécessité, parce que


celui-ci a été mis à mal dans la première moitié des années 80 : sortir de
l'eurosclérose supposait un projet mobilisateur. Il y a eu des précédents à ce
qui se passe dans les années 80 : chaque décennie a nécessité une relance du
processus d'intégration qui était menacé de blocage :
- années 50 => Conférence de Messine
- années 60 => Conférence de La Haye
- années 70 => Conseil européen de Copenhague (pour le SME)
Le projet de Marché unique vise aussi à faire oublier les concessions graves
pour le processus d'intégration qui ont été faites au RU.

Ce projet est un véritable défi que les Européens doivent relever, car au milieu
des années 80 les quatre libertés de circulation sont loin d'avoir été
instaurées : au sein de la CEE il existe encore d'importants obstacles aux
échanges :
→ échanges de marchandise. Même si les barrières douanières sont
tombées, les échanges sont entravés par les ONT (obstacles non tarifaires), et
notamment parce que les normes techniques varient beaucoup d'un pays à
l'autre. De plus il existe toujours des marchés publics, qui privilégient les
producteurs nationaux.
→ échanges de services. Alors que les services représentent les 2/3 du
PIB communautaire à l'époque, la production et les flux de services obéissent
encore à des logiques nationales. Dans des secteurs aussi importants que les
transports, les banques, l'assurance, les réglementations en vigueur font qu'il
est quasiment impossible pour une entreprise d'exercer son activité hors du
territoire national. Ex : le cabotage était interdit parce que les transports
intérieurs étaient entre les mains des transporteurs nationaux. Autre ex : les
services de distribution de gaz et d'électricité n'étaient pas du tout libéralisés,
dans la mesure où ils demeuraient des propriétés publiques.
→ échanges de capitaux. Dans les années 80, le contrôle des changes
reste d'actualité, pour freiner des investissements jugés indésirables, ex : en
1974 l'Etat s'était opposé au rachat de Citroën par Fiat.

Alors que le Traité de Rome prévoyait la création d'un marché commun, il


n'avait pas vu le jour, parce que les Etats n'avaient pas manifesté la volonté de
le faire naître. Le risque était grand que les Etats ne continuent d'en freiner la
réalisation et continuent de se crisper sur leurs prérogatives nationales : qu'ils
rejettent la création d'un grand marché sans frontières intérieures.
D'où la volonté de la part de la Commission Delors de dramatiser la création de
ce Marché. Le Marché unique devait entrer en vigueur le 1er janvier 1993 et à
cette date les Etats auraient du convertir en directives 300 mesures
préconisées par la Commission pour y parvenir : les Etats devaient accepter les
conséquences de leur signature. Il y avait donc l'établissement d'un compte-à-
rebours, destiné à mobiliser l'opinion européenne autour d'un objectif
commun, et donc à rendre la construction européenne plus proche des
Européens [même stratégie pour la création de la monnaie unique].

Dans l'Acte unique s'ajoutait aussi deux réformes institutionnelles :


- les directives européennes devaient maintenant être adoptées à la
majorité qualifiée pour éviter les risques de blocage.
- renforcement du Parlement européen = il pouvait désormais accepter
ou rejeter les décisions du Conseil des ministres = pouvoir de co-décision. A
partir de 1986, les Etats doivent donc partager avec le Parlement européen le
pouvoir législatif. Surtout que les députés se rassemblent par affinité politique
dans ce Parlement.
On voit ainsi que l'Acte unique européen allait dans le sens d'une plus grande
supra-nationalité.

2) Le Marché unique était également porteur de grands espoirs sur le


plan économique.

Pour ses partisans, le Marché unique devait apporter à l'Europe un supplément


de croissance, grâce aux échanges qu'il était supposé intensifier. Il devait
permettre une croissance smithienne ou ricardienne, càd reposant sur les
échanges, par opposition à une croissance schumpeterienne fondée sur
l'innovation (même si la CEE s'efforce d'innover, mais manque de
financement..).

Les attentes vis-à-vis du marché unique sont d'autant plus fortes que les
Européens ont été violemment touchés par le 2e choc pétrolier. Une économie
européenne mise en difficulté entre 1980 et 1985. A l'image de la FR qui a vu
sa politique de relance échouer en 1982-83, politique suivie d'une politique de
rigueur (politique restrictive), qui s'est traduite comme dans les autres pays
européens par une augmentation du chômage : en 1985 pour la première fois
en FR depuis la dépression des années 30 le seuil des 10% de chômeurs a été
dépassé.
Les pays européens se sont aussi rendus compte à partir des années 1980 que
les écarts en terme de PIB/hab recommencent à se creuser avec les EU, alors
qu'ils convergeaient de plus en plus depuis les années 50.
Dans ces conditions le Marché unique a été « vendu » aux Européens comme
un multiplicateur de croissance, qui devait permettre aussi à l'Europe d'éviter
de décrocher vis-à-vis des EU.

Le Marché unique doit donner aux entreprises européennes les mêmes atouts
que ceux dont disposent les entreprises américaines, à savoir le fait de
disposer d'un vaste marché intérieur unifié. Ce marché doit favoriser des
économies d'échelle par la production de masse : rendre les économies
européennes plus compétitives.
La libre circulation des capitaux (instaurée dès 1990) était censée favoriser les
fusions trans-frontalières d'entreprises européennes, en d'autres termes de
faire émerger des « champions européens » dont la taille devait permettre de
rivaliser avec les firmes américaines ou japonaises. De fait, les années 90 vont
être marquées par des fusions d'entreprises européennes, ex : Rhône Poulenc
et Hoechst donnant naissance à Aventis, autre ex : création d'EADS en 1999,
autre ex : le rachat de Seat par Volkswagen.
La constitution d'un vaste marché intérieur européen doit également stimuler
les IDE en Europe, ex : implantation de Toyota à Valenciennes en 1986.

Ce projet de Marché unique est en phase avec l'Uruguay Round, dont on peut
dire qu'il constitue une forme d'acte de naissance de la mondialisation. Dans
son cadre c'est la libéralisation de tous types d'échanges qui est à l'ordre du
jour. Avec le lancement du Marché unique il s'agit ainsi pour les Européens
d'imprimer leur marque à la mondialisation qui s'amorce, d'impulser ce
processus en montrant l'exemple d'échanges totalement libéralisés dans
l'espace européen. C'est une Europe qui aspire au statut de modèle à imiter.
Ce qui est donc aussi en jeu avec le Marché unique c'est la capacité de l'Europe
à faire valoir ses normes, et donc à apparaître comme une puissance
normative, dotée d'un Soft power à défaut de disposer d'un Hard power.

3) L'Acte unique européen conforte également l'orientation libérale de


la construction européenne.

– La dimension libérale a précédé l'Acte unique européen.


Elle est déjà présente dans le Traité de Rome. La CE souhaite se démarquer de
l'autre Europe (celle de l'Est) qui est satellisée : les Européens n'hésitent pas à
affirmer le primat de l'économie de marché. De plus le contexte dans lequel la
CE voit le jour est marqué par les Trente glorieuses : dans ces conditions
l'intensification des échanges est considérée comme le meilleur moyen de
favoriser la croissance et la hausse des niveaux de vie. Pour des raisons
financières aussi : budget communautaire trop étriqué pour favoriser un
interventionnisme économique à l'échelle européenne.

– Cette orientation libérale tolère cependant des exceptions.


Il ne faut pas négliger la dimension sociale de la construction européenne. La
CECA prévoyait par exemple d'aider les travailleurs des industries
sidérurgiques et minières à se reconvertir. La CEE prévoyait un FSE (fonds
social européen), destiné à fournir une aide pour reconvertir les secteurs en
difficultés économiques.
La CEE pouvait être libérale car un très fort interventionnisme étatique se
déployait dans les pays membres, avec le primat des idées keynésiennes, ex :
la FR des années 60 marquée par des politiques industrielles ambitieuses pour
s'adapter à l'ouverture des frontières.
Certaines politiques européennes sont prises à rebours du libéralisme. La PAC
par exemple remettait en question les mécanismes du marché.
L'orientation libérale de la CEE a pu subir des inflexions, à partir des années
70. Dans la sidérurgie avec les plans d'Avignon, qui visaient à éviter que les
aides nationales ne faussent la concurrence. Le lancement de la politique
régionale commune, visant à corriger les disparités territoriales de
développement : corriger les méfaits du marché. Le PRD en 1984.
Ces exceptions ne suffisent pas à remettre en cause l'orientation foncièrement
libérale de la CEE.

– L'orientation libérale de la construction européenne s'est trouvée


confortée dans les années 80.
Il faut tenir compte de l'entrée du RU dans la CEE mais surtout de l'arrivée au
pouvoir de M.Thatcher en 1979, qui est une intégriste de l'économie de
marché. Elle dénonce d'ailleurs en Europe tout ce qu'il peut y avoir
d'interventionniste (ex : la PAC). Elle a lancé un vaste programme libéral au
RU dans les années 80 : privatisations, déréglementation des activités. Dans
cette optique la logique du grand marché européen convient parfaitement aux
Britanniques : il correspond largement aux présupposés idéologiques de
M.Thatcher.
Le SME (lancé en 1979) a aussi un rôle dans l'orientation libérale de la CEE. A
partir de 1983, il devient un puissant outil de lutte contre l'inflation, et donc de
remise en cause des préceptes keynésiens. La FR en a fait l'expérience en
1983, avec la désinflation compétitive, qui repose sur la « desindexation des
salaires sur les prix » : il ne faut plus que les salaires augmentent plus vite que
les prix, même si cela doit se traduire par des pertes de pouvoir d'achat ; c'est
un gouvernement de gauche qui lance cela, au nom de la construction
européenne : auprès des opinions publiques l'idée européenne va
progressivement s'en trouver affaiblie.
En RFA, c'est H.Schmidt (SPD) qui va formuler le théorème de Schmidt : « les
profits d'aujd sont les investissements de demain et les emplois d'après-
demain », d'où une logique libérale de réhabilitation de l'entreprise : une
politique de l'offre au détriment d'une politique de la demande.

Ce tournant libéral des années 80 s'incarne également dans l'Acte unique


européenne.
- Il repose sur la liberté de circulation, mais surtout sur le primat de la
concurrence. C'est cette dernière qu'il s'agit d'instaurer et de faire respecter,
avec à partir de 1986 la montée en puissance d'une nouvelle politique
commune : la politique de la concurrence, confiée à la Commission. Cela va
consister à remettre en cause les aides ou les subventions accordées par les
Etats aux entreprises nationales, même en difficulté, même au nom de la
préservation de l'emploi, pour éviter que la concurrence ne soit faussée. Cela
va aussi consister à éviter que certaines entreprises européennes n'accèdent à
un statut de monopole, ce qui fait que la Commission européenne va parfois
s'opposer à des fusions [ex : Total a racheté Elfe récemment, la Commission a
alors exigé que Total cède des stations d'autoroute aux concurrents], des
fusions qui ont été empêchées et qui ont ainsi parfois pu faire entraver
l'émergence de champions européens ; la Commission a aussi pu montrer du
doigt des entreprises extra-européennes, comme Microsoft qui a eu une
amende. Ce sont aussi les monopoles nationaux qui ont du être
progressivement démantelés, ex : transport aérien (csquence : émergence
compagnies low-cost), transport ferroviaire, télécommunications, électricité..
- Le marché unique a aussi été un puissant vecteur de désarmement
fiscal, lié surtout à la libre circulation des hommes et des capitaux. Pour attirer
les talents et les capitaux, les Etats européens ont pu être tentés de réduire la
fiscalité, sur les personnes comme sur les sociétés. Ex : entre 1987 et 93 la FR
a baissé son taux d'imposition sur les bénéfices des entreprises de 50 à 33%
[En 1980, le taux marginal d'imposition est placé à la barre des 60% en FR,
aujd à 40%]. Le record est détenu par l'Irlande avec 12,5% d'imposition : pas
de pertes fiscales car petit pays, surtout qu'elle bénéficiait parallèlement des
aides du Feder (elle a ainsi pu apparaître comme un passager clandestin de la
CEE, et elle en a « payé le prix » en 2010). Il y a des déficits publiques qui se
sont accumulés et qui s'expliquent donc moins par des dépenses trop grandes
que par des rentrées trop faibles. C'est l'heure du « moins disant » fiscal qui a
sonné : on a vu se généraliser en Europe des pratiques de dumping fiscal,
d'autant plus aisées à mettre en œuvre que les décisions concernant la fiscalité
se prennent à l'unanimité : chaque Etat possède un veto. On a des Etats qui se
sont privés de ressources dans le cadre de la construction européenne : il faut
alors bien baisser les dépenses..
L'Acte unique montre en fait du doigt l'interventionnisme étatique, mais celui-
ci n'est pas remplacé par un interventionnisme européen, dans la mesure où la
CEE manque de moyens.

C) Le Traité de Maastricht s'efforce d'amplifier le processus


d'intégration alors qu'une nouvelle donne géopolitique
s'impose en Europe.

C'est un traité signé en février 1992 et qui est entré en vigueur après une
ratification difficile : entré en vigueur en novembre 1993, en même temps que
l’appellation « Union Européenne ».
En FR, le traité a été ratifié en septembre 1992 par référendum et le « oui » ne
l'a emporté que de justesse, avec à peine 51% de votes, dans un pays qui
soutenait jusqu'alors la construction européenne, mais dans lequel celle-ci ne
faisait plus l'unanimité.
Deux votes successifs ont été nécessaires pour que le Danemark ne ratifie le
traité : juin 1992 et mai 1993, ceci au prix d'amendements au traité, qui leur
donnait la possibilité de ne pas participer à la monnaie unique. On voyait ainsi
le principe de « opting out », que certains n'hésitent pas associer à une Europe
« à la carte ». C'est le principe appliqué par le RU qui n'introduit pas non plus
la monnaie unique, tout comme la Suède qui entre en 1995 .

Cette difficulté de ratification peut s'expliquer par :


- des raisons conjoncturelles, avec la conjoncture économique du
début des années 90 : ralentissement de la croissance, montée du chômage.
Certains membres peuvent se dire déçus, car le Marché unique lancé en 1987
devait être un multiplicateur de croissance. Cette ratification difficile traduit
donc des doutes faces au projet européen.
- des raisons structurelles : le traité de Maastricht prévoit une
amplification du processus d'intégration, et remet ainsi d'avantage en question
le principe de souveraineté nationale. Cela a pu soulever des réticences
importantes, on a vu se développer un courant souverainiste en FR au moment
de la ratification, qui transcendait les clivages politiques : à gauche par
JP.Chevénement (qui critiquait l'orientation libérale de la construction
européenne), à droite par Ph.de Villiers.

Les dispositions du traité suivaient le principe des piliers :


- 1er pilier : réalisation d'une UEM (union économique et
monétaire), dont le traité fixait les étapes. Cette UEM devait déboucher sur la
disparition des monnaies nationales.
- 2e pilier : mise en place d'une PESC (politique étrangère et de
sécurité commune). Ce qui signifie que l'Europe était appelée à parler d'une
seule voie sur la scène internationale.
- 3e pilier : coopération en matière policière et judiciaire.
Trois grands domaines régaliens se trouvaient donc concernés par le traité. Un
traité qui présentait donc une dimension politique plus forte que les
précédents : on a même pu dire qu'il relançait le chantier d'union politique
abandonné après l'échec de la CED.
1) Le traité s'inscrit dans la dynamique lancée par l'Acte Unique.

Comme pour le Marché unique, le traité de Maastricht introduisait un compte-


à-rebours, avec deux dates possibles : 1997 et 1999, c'est la deuxième qui a
été retenue.

La monnaie unique devait parachever le Marché unique. Celui-ci devait être un


marché sans frontières : la monnaie unique devait donc faire disparaître les
frontières monétaires. Faire ainsi disparaître les fluctuations des taux de
changes entre les monnaies européennes, qui sont des obstacles aux échanges
et qui surtout introduisent des distorsions de concurrence, qui peuvent faire
redouter un dumping monétaire qui peut être source de tensions.

Passer à la monnaie unique apparaissait comme un avenir envisageable, dans


la mesure où le SME avait fini par faire la preuve de son efficacité. Certes entre
1979 et 83 (CF doc 5), il y a eu beaucoup de réévaluation et de dévaluation de
parité, qui traduisaient des différentiels d'inflations importants entre les pays
européens, dont les économies divergeaient. Mais à partir de 1983, les
réajustements se sont espacés, et ils ont même disparu entre 1987 et 1989,
où le SME est alors vraiment devenu un système de change fixe. 1989 est
d'ailleurs marqué par le lancement du plan Delors, qui prévoyait le passage à
une monnaie unique. Entre 1989 et 1993 (CF doc construction monétaire), le
SME a cependant connu une période chaotique du fait de la spéculation liée
aux incertitudes face à la ratification du traité de Maastricht : certaines
monnaies avaient d'ailleurs été amenées à quitter le SME.

Le projet de monnaie unique est également porteur d'autres ambitions.


Il s'agit d'amplifier le rayonnement européen. L'Europe des Douze est quand
même la 1ère puissance commerciale du monde, et en toile de fond de la
monnaie unique se profile la volonté de faire contre-poids au dollar, qui
demeure le pivot du SMI sans rival. L'ambition des Européens n'est-elle pas de
« regarder le dollar en face », même si celle-ci n'est pas ouvertement
déclarée ?
Avec la mise en place de l'euro, dont le nom a été choisi en 1995, resurgit un
thème enfoui depuis 1954 : celui d'intégration politique. Le projet de monnaie
unique comporte en effet une forte dimension supra-nationale (c'est pq
courants souverainistes ont émergé) : émettre la monnaie est un pouvoir
régalien. Le traité de Maastricht demandait aux Etats qu'ils délèguent leur
souveraineté monétaire à une institution supra-nationale échappant à leur
contrôle : la BCE, dont le rôle était de déterminer les taux d'intérêt pour
l'ensemble de la zone euro, et de contrôler l'inflation (s'étant fixé comme
norme un taux d'inflation de 2,5%/an).

Le traité de Maastricht s'inscrit dans la continuité de l'Acte unique européen


également en matière de politique régionale (rebaptisé politique de la
cohésion), la monnaie unique européen lui ayant servi de tremplin :
- Parce que les promoteurs du Marché unique craignaient que
l'intensification de la concurrence ne se fasse au détriment des régions les
moins favorisées : vieilles régions industrielles en déclin, régions périphériques
en retard de développement. Ce qui était redoutait c'était une polarisation des
richesses dans les régions de la « dorsale européenne ». D'autant plus que
lorsque le Marché unique est lancé, la CEE vient d'accueillir trois nouveaux
membres, pauvres au regard des autres pays européens. D'où une nouvelle
impulsion donnée à la politique régionale commune : le budget européen a été
orienté dans un sens plus favorable à la correction des inégalités régionales,
dans le cadre d'un Paquet Delors I : programmation des recettes et de leur
utilisation, dans la période 1988-92. Durant ces années, les ressources
consacrées à la politique régionale commune ont été multipliées par deux, de
telle sorte que celle-ci absorbait le ¼ du budget en 1992. Cette augmentation
de la part avait été rendue possible par l'augmentation du budget (en 1988,
avec une nouvelle ressource propre) et par une nouvelle réforme de la PAC en
1992 et 1993, reposant sur une baisse des prix garantis versés aux
agriculteurs, dans le contexte de l'Uruguay Round qui vise à libéraliser les
échanges agricoles = éviter que l'Europe ne soit montrée du doigt, en ayant
pour objectif de rapprocher les prix européens des cours mondiaux
(subventions alors versées aux producteurs plutôt qu'à la production).
- Participer à la monnaie unique nécessitait de satisfaire à ce que le traité
de Maastricht appelait des critères de convergence (d'ailleurs refusés par les
Danois, les Suédois et les Britanniques). CF doc 6 : les critères de convergence
faisaient surtout de la lutte contre l'inflation une priorité, pour faire converger
les taux d'inflation, avec à la clé des politiques budgétaires et monétaires
restrictives. Cela risquait de pénaliser la croissance des pays déjà en retard de
développement qui ne pourraient pas appliquer les critères : pour qu'ils
participent à la monnaie unique il fallait les aider, d'où la création en 1992 d'un
fonds de cohésion, dont les ressources étaient distribuées à quatre pays (= les
« pays de la cohésion » dont le PIB/hab était inférieur à 90% de la moyenne
communautaire) = Espagne, Portugal, Grèce, Irlande. Dans le cadre du Paquet
Delors II couvrant la période 1993-99, ces quatre pays ont bénéficié de 40%
des dépenses totales au titre de la politique régionale commune, ce qui les a
aidé à participer à la monnaie unique : il fallait que l'euro soit le plus large
possible, que l'euro ne se réduise pas à une zone Mark.

2) Il apparaît aussi comme une réponse des Douze à la fin de la Guerre


Froide.

La fin de la guerre froide peut être considérée comme une rupture majeure à
plus d'un titre, et paradoxalement comme une menace pesant sur la
construction européenne. Elle exigeait donc comme parade une amplification
du processus d'intégration: le traité de Maastricht est en quelque sorte cette
parade.
Plusieurs facteurs poussent à amplifier le processus d'intégration.

a) La guerre froide a pu souvent servir d'aiguillon à la construction


européenne.

Le péril rouge était stimulant : la menace soviétique a souvent conduit les


Européens à aller de l'avant :
- la Conférence de Messine en 1956, contemporaine de l'intervention des
troupes soviétiques en Hongrie.
- le Sommet de La Haye, où l'All rentre dans le rang, après que dans les
années 60, W.Brandt a été tenté par une Ostpolitik : il a vu ses espoirs ruinés
par la répression du Printemps de Prague.

Avec la fin de la guerre froide, on redoute que la construction européenne ne


perde un aiguillon, et soit marquée par un processus apparaissant comme
moins nécessaire. Si la menace extérieure disparaît, vont-ils toujours être
poussés à aller de l'avant ? Le traité de Maastricht était une réponse à cette
interrogation, et montrait combien l'Europe était orpheline de cette guerre
froide.

b) La guerre froide est à l'origine d'un bouleversement géopolitique  : la


réunification de l'Allemagne.

Les enjeux en sont considérables. Elle a pu être un éléctro-choc, surtout pour


la FR.

Le poids de l'All se trouvait accru.


Démographiquement plus qu'économiquement, parce que l'intégration des
Länder de l'Est va supposer des efforts considérables.
L'All retrouve surtout sa pleine et entière souveraineté, lors du traité 4+2 en
1990, qui mettait en fait fin à la 2e GM (et qui mettait fin à l'occupation
militaire de l'All).

L'All n'allait-elle pas alors être tentée de faire cavalier seul ? Dès 1991, l'All,
sans consulter ses partenaires européens, avait reconnu l'indépendance de la
Slovénie, signifiant par là qu'elle voulait peut-être mener sa propre politique
étrangère, et donnant par là le pas à la guerre de Yougoslavie. Tant que l'All a
été une puissance de rang inférieur (non-réunifiée), elle a largement joué le
jeu européen, parce que celui-ci lui permettait d'être réinsérée dans le concert
des nations, mais réunifiée, l'All allait-elle encore ressentir la nécessité de la
construction européenne ? L'inquiétude est d'autant plus grande que le rideau
de fer s'est effondré, que l'URSS a disparu et que la Russie est affaiblie : l'All
retrouve son influence en Mitteleuropa, illustrée par le déplacement de la
capitale à Berlin, ou encore par le rachat par Volkswagen de l'entreprise
tchèque Skoda (qui à l'époque était convoitée par Renault).

Pour toutes ces raisons, la volonté des partenaires de l'All est d'ancrer celle-ci
d'avantage à l'Europe. C'est le sens du projet de monnaie unique, parce qu'il
fait disparaître le Deutschemark, symbole de la souveraineté allemande en
matérialisant sa réussite économique. Ce souhait a rencontré l'assentiment des
dirigeants allemands, notamment d'H.Kohl, qui reste hanté par le passé de
l'All, par la crainte que l'All ne redevienne ce qu'elle fut à l'entre deux guerres.
Cela dit, l'All a fixé ses conditions pour le passage à la monnaie unique :
- une BCE indépendante des Etats, calquée sur le modèle de la
Bundesbank, ayant son siège d'ailleurs à Francfort.
- les critères de convergence faisant de la lutte contre l'inflation
une priorité. Ils ont été pérennises dans le traité d'Amsterdam en 1997 : ils
devaient être maintenus une fois la monnaie unique réalisée, et étaient ancrés
pour ce faire dans le « Pacte de stabilité ».

c) Le traité de Maastricht posait également les fondements d'une PESC.

Alors qu'un tel projet (CED) avait déjà presque fait échouer la construction
européenne dans le passé.
La fin de la guerre froide le rend possible, et même nécessaire.

La guerre froide avait gelé les conflits en Europe : le spectre de la guerre


resurgit en Europe.
En témoignerait dès 1991 l'éclatement sanglant de la Yougoslavie (crimes de
masse au nom de l'épuration ethnique), qui est aux portes de la CE. La
question yougoslave divise les Européens, et notamment les All
(historiquement attachés à la Croatie) et les Fr (prenant plutôt le parti de la
Serbie). Il fallait que les Européens trouvent une réponse commune à des
tensions qui minaient la paix sur le continent.
Entre 1989 et 1991, du fait du démantèlement de l'URSS et du fractionnement
de la Yougoslavie, on a vu 14 000 km de frontières nouvelles venir s'ajouter
aux 20 000 km de frontières existantes, avec autant de motifs de friction à la
clé. Le tracé de ces frontières est souvent sujet à caution, d'autant qu'elles
datent la plupart du temps des lendemains des deux guerres mondiales : se
reposait la question des minorités nationales.
Les Européens sont sommés de prendre ces motifs de tension en
considération.

Les Européens peuvent également se poser la question de l'OTAN : elle avait


garanti la sécurité des Européens dans le contexte de guerre froide. N'était-il
pas temps pour les Européens de prendre eux-mêmes en charge leur sécurité,
dans la mesure où pour les EU, l'Europe perdait son caractère central ? Les EU
tournaient en effet leurs yeux vers d'autres horizons : 1991 = 1ère guerre du
Golfe, dans les années 2000 = Afghanistan, Irak, et tournent largement leur
regard vers l'Asie.

Alors que les Européens s'apprêtaient de s'émanciper des EU sur le plan


monétaire, n'était-il pas aussi le temps de le faire sur le plan sécuritaire et
militaire ? D'autant que la PESC serait un moyen pour l'Europe de s'affirmer
sur la scène mondiale autrement que sur le plan commercial ou économique,
pour affirmer les valeurs européennes (: la volonté de consensus, l'idée de
paix, de réconciliation..).

1991 consacre les EU en tant qu'hyperpuissance (H.Védrine) : on sort de la


guerre froide avec un monde que l'on croit unipolaire. Pour les Européens il y a
urgence à remédier au décalage entre le rayonnement économique européen
et une influence géopolitique notoirement insuffisante et étriquée.

3) En toile de fond du traité de Maastricht se profilent de nouveaux


élargissements.
On ne peut pas laisser entrer de nouveaux membres sans avoir auparavant
consolidé l'édifice. Cela n'est pas une nouveauté : les précédents
élargissements ont tous été précédés d'approfondissements.

L'UE vient à peine de naître que déjà se profilent de nouveaux élargissements.


Le traité de Maastricht a été signé dans le contexte de nombreux dépôts de
candidature :

- Ceux qui ont adhéré en 1995, 3 ans seulement après avoir fait un dépôt de
candidature : Autriche, Suède, Finlande.
Cette demande est motivée par la crainte de se trouver marginalisés sur le
continent européen, dans la mesure où l'UE prend de plus en plus d'envergure.
Demande motivée aussi par la crainte de perdre leur importance stratégique
alors qu'ils avaient jusqu'alors servi joué un rôle d'interface entre l'Est et
l'Ouest, en s'appuyant sur la neutralité, qui perdait de son intérêt une fois la
guerre froide terminée (faire entrer des pays neutres ne facilitait peut-être pas
la mise en place d'une PESC..).
Leur adhésion a été facilitée par : le fait qu'ils appartenaient déjà à l'AELE (lui
mettait par la même occasion un frein), le fait qu'ils étaient des pays à haut
niveaux de vie, donc pouvaient devenir rapidement des contributeurs nets au
budget européen, au moment où se profilaient la candidature des PECO eux
beaucoup plus pauvres.

- Les PECO : la disparition du rideau de fer ayant en effet vu se multiplier les


candidatures en provenance des anciennes démocraties populaires : Estonie,
Lettonie, Lituanie, Pologne, R.Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Bulgarie,
Roumanie, Slovénie, sans oublier Chypre et Malte.
Ces candidatures nombreuses ont pu apparaître comme une chance pour l'UE.
Parce qu'elles révèlent les capacités d'attraction de la construction européenne,
et qu'elles pouvaient permettre la réunification du continent sous l'égide de
l'UE. Elles allaient aussi permettre de peser d'avantage dans la mondialisation
qui s'amorçait, en dilatant le marché intérieur, en donnant plus de poids
économique et géopolitique à l'UE, au moment où à l'échelle mondiale
s'intensifie le processus de régionalisation des échanges (Mercosur, Alena,
Safta, Afta).
Et pourtant ces candidatures, plus que les précédentes, s'apparentent aussi à
un défi gigantesque qu'il va falloir relever, et c'est ce qui explique le manque
d'enthousiasme à l'accueil de ces candidatures. Celles-ci posaient des
questions. Comment faire fonctionner une communauté élargie à 27 membres,
alors que les institutions ont quand même été conçues pour fonctionner à 6 ?
Des aménagement institutionnels vont être nécessaires, il faudra attendre le
traité de Lisbonne (2007) pour que de réelles modifications ne soient
apportées. Comment intégrer autant d'Etats membres qui présentent un tel
retard économique ? En 2004 (date de l'élargissement à 25) le territoire de
l'UE augmente de 25%, sa population augmente de 20%, mais le PIB européen
n'augmente que de 4,5%. Se posait en outre le problème d'une mise à niveau
qualitative des PECO, qui n'ont alors aucune expérience de l'économie de
marché, d'où la formule employée par L.Walesa (premier président de la
Pologne post-communiste) : « on sait faire une soupe de poisson à partir du
contenu d'un aquarium, mais on ne sait pas reconstituer le contenu de
l'aquarium à partir de la soupe de poisson » : sortir du socialisme est un
chemin difficile.
Très tôt, les Européens ont pris conscience qu'il fallait épauler la transition vers
le capitalisme de ces pays. Ils avaient ainsi lancé dès 1989 le programme
PHARE (Pologne, Hongrie, aide à la restructuration économique, élargie à tous
les PECO en 1990), qui visait à guider les PECO vers l'économie de marché.
Dans cette optique, la BERD (banque européenne de reconstruction et de
développement) a été créée en 1991, dont 60 Etats sont actionnaires : EU 1ers
actionnaires (cela signifie que les EU souhaitent diffuser leur modèle auprès de
ces pays), les Douze détiennent plus de 60% du capital ; elle fournit des
conseils aux entreprises, des prêts à long termes, pour réinitier l'économie de
marché. A partir de 1991 se sont également multipliés des accords
d'association, à vocation commerciale, entre la CE et les candidats : accords
asymétriques pour favoriser le dvpmt éco des PECO.
Des candidatures qui sont loin de faire l'unanimité : la FR est directement
concernée par la fin de la guerre froide, et s'inquiète que le centre de gravité
de l'UE ne se déplace vers l'All si l'entrée des PECO se concrétise. Elle a ainsi
lancé en 1991 un projet de Confédération européenne, qui aurait fonctionné
selon la logique des cercles concentriques :
-> 1er cercle : les Douze Etats membres
-> 2e cercle : les Douze + 6 membres de l'AELE, l'ensemble
constituant un EEE (espace économique européen), qui a effectivement vu le
jour en 1992. Les 6 = Islande, Norvège, Suède, Finlande, Autriche,
Liechtenstein. L'EEE instaure entre les Douze et les 6 les quatre libertés de
circulation. Auraient pu s'en contenter des pays qui vont finalement adhérer :
Suède, Finlande, Autriche, mais ils n'auraient alors eu aucun pouvoir
décisionnel.
-> 3e cercle : les PECO et d'autres candidats éventuels, et la
Russie, liés à la CE par des accords d'association.
Cette proposition française a suscité une levée de boucliers. De la part des
PECO : impression d'être traités comme des Européens de seconde zone, alors
qu'ils se présentaient comme « l'Occident kidnappé » victime du joug
soviétique : le sort qui leur était réservé était jugé scandaleux. De la part de
l'All : si les PECO étaient maintenus à l'écart de l'Europe communautaire,
n'allaient-ils pas sombrer dans le chaos, l'Europe orientale devenant ainsi une
zone d'instabilité, aux frontières de l'All : inacceptable, surtout qu'en cas d'un
tel chaos l'All pouvait redouter d'importants flux migratoires, et surtout qu'elle
savait d'après son expérience propre (réunification) que ces pays avaient
besoin d'aide. De plus il y avait la crainte que les PECO ne suivent la voie
yougoslave : la guerre civile ou inter-étatique. De la part des Britanniques :
favorables à l'adhésion des PECO, un nombre croissant de membres présentant
l'avantage de rendre le processus d'intégration plus difficile (Etats
eurosceptiques souvent favorables à l'élargissement, Etats europhiles au
contraire, pour raison opposée).

Il fallait renforcer l'édifice communautaire : cela passait par le traité de


Maastricht, entré en vigueur en 1993. 1993 est aussi l'année du Conseil
européen de Copenhague qui fixait aux candidats des conditions d'adhésion,
qui n'avaient alors jamais été énumérées. Il y en a 3 :
- disposer d'un régime démocratique stable (Européens très
circonspects vis-à-vis de la candidature slovaque en 1997, en raison de son
président V.Meciar jugé autoritaire, mais exclu démocratiquement et la
candidature de la Slovaquie acceptée en 1999).
- disposer d'une économie de marché suffisamment solide pour
supporter la concurrence dans le cadre du Marché unique.
- être capable d'assimiler l'acquis communautaire : la totalité des
politiques communes, ce qui représente un défi de plus en plus difficile à
relever.

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