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La Cour de cassation, bâtisseur du régime du contrat de construction.

Le 6 septembre 2018, la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée non pas une,
ni deux, mais trois fois sur le contrat d’entreprise en matière de construction. Sans opérer un
bouleversement du droit positif, elle apporte néanmoins des précisions qui ont une importance pratique
incontestable.

1/ Cass. Civ 3ème 6 septembre 2018, n°17-22.026

Dans cet arrêt publié au bulletin, la Cour de cassation, constatant que ni le maître d’ouvrage ni le
constructeur ne souhaitaient poursuivre l’exécution du contrat, prononce sa résiliation aux torts
réciproques des parties, sans examiner les fautes respectives des cocontractants.

En l’espèce, un contrat de construction d’une maison individuelle est conclu entre un maitre d’ouvrage
et un entrepreneur. Après l’arrêt du chantier, l’entrepreneur assigne le couple maître d’ouvrage en
paiement du solde du marché. A titre reconventionnel, les époux demandent que le constructeur soit
condamné du fait de l’arrêt du chantier et des malfaçons constatées.

La cour d’appel de Grenoble prononce la résiliation du contrat aux torts réciproques des parties et
condamne le maitre d’ouvrage à régler à l’entrepreneur la somme de 14.83 euros au titre du solde de
tout compte.

Le maître d’ouvrage se pourvoit en cassation au motif que si la cour d’appel avait tenu compte de la
part de responsabilité de chacune des parties, elle aurait prononcé la résiliation du contrat aux torts
exclusifs de l’entrepreneur.

La Cour de cassation valide néanmoins le raisonnement de la cour d’appel dans l’attendu suivant : « les
parties n’avaient ni l’une, ni l’autre, voulu sérieusement poursuivre l’exécution du contrat après le dépôt
du rapport d’expertise, la cour d’appel, qui, sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était
pas demandée, a pu prononcer la résiliation du marché de travaux aux torts réciproques des parties ».

En conséquence, la Cour de cassation opère une distinction entre l’imputabilité de la résiliation et les
conséquences de cette dernière.

D’une part, si l’interruption du contrat découle d’une volonté commune des deux parties, la
responsabilité de la résiliation doit être partagée, de sorte que la résiliation doit être prononcée à leurs
torts réciproques – ou partagés.

D’autre part, elle apprécie les fautes contractuelles de chaque partie pour se prononcer sur les
conséquences de la résiliation. En l’espèce, elle maintient le raisonnement de la cour d’appel qui avait
conclu qu’au regard des fautes du constructeur, le coût des réparations qui lui étaient imputables
devraient être déduit de sa créance et condamne le maître d’ouvrage à régler la somme dérisoire de
14 euros au titre du solde de tout compte.
2/ Cass. Civ 3ème 6 septembre 2018, n°17-21.277

La signature récurrente par un salarié du maître de l’ouvrage de documents contractuels dans le


cadre du contrat d’entreprise permet d’en déduire une délégation de signature à son égard.

En l’espèce, une société avait confié trois chantiers à un entrepreneur. Au terme des travaux,
l’entrepreneur qui n’a pas été totalement payé assigne la société au titre du solde impayé.

En guise de défense, le maître d’ouvrage oppose à l’entrepreneur l’irrégularité des documents


contractuels qui n’auraient pas été signés par un membre du personnel disposant d’une délégation de
signature.

L’argument est rejeté par la cour d’appel et par la Cour de cassation qui considèrent que « la
confrontation des pièces contestées avec celles versées à son dossier par [le maître d’ouvrage]
conduisait à considérer que la seconde signature, qui apparaissait sur les documents en cause, était
l'œuvre d'un membre du personnel de cette société et, sans violer le principe de la contradiction que,
cette signature, ayant été apposée sur des documents contractuels aussi diversifiés que le contrat
initial, les décomptes définitifs et les procès-verbaux de réception, il y avait lieu d'en déduire que son
auteur disposait des délégations pour ce faire ».

Cette solution qui s’inscrit dans la longue liste de jurisprudences relative à la théorie de l’apparence
semble résultait du caractère récurrent de la signature du salarié, ce qui aurait dû permettre au maître
d’ouvrage de réagir si le signataire ne disposait effectivement pas d’une délégation de signature.

Néanmoins et en l’absence d’une telle récurrence, la validité d’un acte peut être remise en cause,
comme dans l’arrêt de la Chambre commerciale du 19 janvier 2016 (n°14-11.604).

Pas de changement majeur du droit positif en perspective, mais une réaffirmation de l’importance de
process internes clairs en matière de signature des contrats.

3/ Cass. Civ 3ème 6 septembre 2018, n°17-21.155

Après la réception du contrat, le contrat d’entreprise n’est plus un « contrat en cours ».

Dans cette affaire, un maître d’ouvrage confie la réalisation d’une piscine à une société X.

A la suite de la réception avec réserves de l’ouvrage, la société X est placée en liquidation judiciaire,
puis ses activités sont cédées à une société Y, à laquelle se substitue une société Z.

Suite à l’apparition de désordres, le maître d’ouvrage assigne la société Z, qui est condamnée par la
cour d’appel à procéder à la levée de la totalité des réserves, sous astreinte de 100 euros par jour, au
motif que tant que les réserves n’ont pas été levées, le contrat est toujours en cours.

La Cour de cassation ne suit pas le raisonnement de la cour d’appel et casse l’arrêt au visa de l’article
1792-6 du code civil au motif que « le contrat d’entreprise prend fin à la réception de l’ouvrage, avec
ou sans réserves » et laisse ainsi le maître d’ouvrage sans recours.

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