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La présence intégrale
Collection Non-Dualité
Remerciements
Merci à Didier Fleury, Linda Stachetti, Pierre-André Morales, Gilles Roy et
Peter Fenner. Leurs relectures, préface et traductions, ainsi que leur présence
et leur amour m'ont grandement aidé à réaliser cet ouvrage.
Table des matières
Préface
Introduction
Notions de base
Qu'est-ce que la présence ?
La simple conscience d'exister
La présence inconsciente
La présence consciente
La conscience pure
Une conscience, plusieurs formes
De la présence inconsciente à la présence consciente
L'honnêteté
La pratique
La perception pure, c'est l'éveil
Les mouvements de l'ego
L'importance du corps
L'importance de pratiquer sans enjeux
L'importance de l'insoumission
Le champ de perception
La présence à soi
La présence à l'autre
La présence à soi et à l'autre
La présence à soi et aux autres
La présence au monde
La présence à soi et au monde
La présence à soi, à l'autre et au monde
La présence intégrale
Le champ unifié de perception
Mémoire et culpabilité
Pratiquer ou ne pas pratiquer...
Notions annexes
La présence c'est l'amour
La présence c'est l'inconnu
La présence c'est l'abandon de la lutte
L'illusion de l'aboutissement
L'illusion de la mort
L'autre est moi
La présence m'aime comme je suis, là où j'en suis
Comment devenir un problème pour soi-même...
La présence se suffit à elle-même
De la « vie mentale » à la « vie perceptuelle »
De la contemplation
L'ego est un enfant
La présence est notre état naturel
Présence et action
Un individu honnête
Juste une prise de conscience
L'idée ou l'expérience
La présence est notre source d'amour
Se voir soi-même en toute chose
La libération est un deuil
Le deuil complet et le deuil de substitution
L'accueil et la lucidité
De l'intégration
Le respect des saisons
Le bonheur et le malheur
La nécessité de la conscience pure
De la foi
Le moi n'est qu'une idée
Préface
Parfois, la présence ne s'oublie pas. Elle sait consciemment ce qu'elle est. Elle
a alors un sentiment de complétude. Si elle était inconsciente auparavant, ce
qui manquait a été retrouvé.
Elle se rappelle qu'elle est à la fois cette forme relative et temporelle (être
humain avec son monde environnant) et à la fois conscience absolue et
atemporelle.
Le sentiment et la notion de séparation entre la conscience, moi et le monde
ont disparu. Tout est un. La quête est terminée.
La conscience pure
La conscience est la même pour tout le monde. C'est notre unique point
commun à tous. Ce que nous partageons tous et qui est exactement la même
pour tous.
Nous avons chacun et chacune des formes différentes. Il n'y a pas deux êtres
absolument identiques. Néanmoins, en tant que composante (invisible) de ce
que nous sommes, la conscience est absolument identique chez chacun et
chacune.
Si les formes sont multiples, la conscience est unique.
La présence vit plusieurs vies en même temps. Elle joue tous les rôles que
d'habitude nous appelons moi, lui, elle, eux, nous, le monde, etc.
La présence est simultanément tout le monde, chaque individu, et chaque être
animé ou « inanimé ».
Et, en tant que conscience pure, elle est sans pour autant être quelque chose
comme une personne ou une énergie ou une idée.
Elle n'est rien ni personne, et en même temps, tout le monde, toute chose,
toute pensée, toute énergie.
La présence est un paradoxe insoluble pour la pensée logique. Elle est à la
fois une chose et son contraire. Ainsi, nous ne pouvons l'appréhender
totalement avec notre seule pensée...
De la présence inconsciente à la présence consciente
Cette partie pratique propose des principes aidant et des techniques simples
afin de commencer à s'exercer à la présence.
Il existe d'autres techniques et astuces ou prétextes qui nous permettent
d'expérimenter la présence. Je m'en suis tenu à de grandes lignes, qui
néanmoins à elle seules, peuvent amplement suffire comme pratique
quotidienne.
N'essayez pas de parvenir à faire à tout prix ce qui est proposé ici. Faites ce
qui vous convient.
L'approfondissement de la présence est un phénomène naturel, aussi, nous
avons tout intérêt à cultiver respectueusement la graine ou le germe d'être
éveillé que nous sommes, plutôt que d'essayer d'en faire la culture intensive
avec une obligation de rendement toujours plus important...
La perception pure, c'est l'éveil
Autant il est important de laisser faire, de laisser être ce qui est, autant il est
important de ne pas se laisser faire par ce qui est.
J'entends par là, que l'observation et l'accueil, ne signifient pas être fasciné,
envoûté, aliéné par le contenu de la conscience.
Il faut être là et bien là. Si nous sommes trop mous, nous nous endormirons
ou nous serons hypnotisés par de pseudo-rêves ou des films dont nous
sommes le héros...
Nous pouvons aborder la pratique sans gravité, tout en ayant à l'esprit que
nous ne sommes pas là pour nous enivrer d'illusions spirituelles, d'états
modifiés de conscience ou d'états énergétiques exceptionnels.
Nous sommes là pour percevoir sans concession ce qui a lieu ici et
maintenant. Nous observons avec une grande acuité nos mouvements internes
d'attractions et de répulsions par rapport à ce qui est. Nous sommes là pour
nous libérer des contraintes de la conscience mentale et nous familiariser
avec la conscience « éveillée » ou non-duelle.
Les états internes et les systèmes de pensées, aussi subtils ou élaborés qu'ils
soient, ne sont pas l'expérience non-duelle de la présence.
Ils prennent place dans la présence, mais ne sont pas la présence en tant que
telle.
Le champ de perception
C'est l'association des deux points précédents, et l'on pourrait aussi bien
l'appeler « présence à la relation » ou « relation consciente ».
Il s'agit d'y être à l'écoute de soi et de l'autre simultanément ou par séquences
(regard alternativement chez moi puis chez l'autre).
Percevoir ce que génère à l'intérieur de vous la communication de l'autre
(même si elle est silencieuse).
Voir cela et laisser faire. Apprendre à voir et à accueillir la réaction que la
communication de l'autre a réveillée en moi.
Percevoir chez l'autre ce que votre communication génère en lui ou elle. Voir
et laisser faire.
Prendre votre temps (très important).
S'amuser à cela de manière formelle ou informelle dans un maximum de
lieux et de situations différentes.
En fonction de la nature plus ou moins intime de votre relation, vous pouvez
y ajouter toute la dimension du toucher, de la sensation et du corps.
Si vous êtes si intime que ça, pratiquer cela également pendant les relations
sexuelles (sans pour autant trop refroidir l'ambiance).
La présence accueille la relation entre nous telle qu'elle est à ce moment-là, et
ne demande pas à ce qu'elle change ou reste la même.
La présence à soi et aux autres
Observer le monde, tout, les arbres, les fleurs, les chiens, les chats, les poules,
les maisons, les rues, les voitures, les gens, les nuages, la nourriture, les
magasins, la lune, les étoiles, le riche, le pauvre, la joie, les sourires, la peur,
la colère, les larmes, les cris, la musique, etc.
Percevoir cela simplement, sans but, gratuitement et sans effort... contempler
la vie et son spectacle ahurissant et merveilleux.
Vous pouvez faire ça, partout, tout le temps. Un état de perception intense
n'empêche aucune action.
Une fois de plus, il est important de se centrer, d'être « posé » en soi, le plus
profondément possible, dans un état de calme intérieur.
Et c'est d'ailleurs un préalable à toutes ces pratiques. Être là, ici et
maintenant.
On pratique la présence grâce à la présence.
La présence accueille le monde tel qu'il est, au moment où il l'est, et ne lui
demande pas de changer ou de rester le même.
La présence à soi et au monde
Idem, c'est comme pour le point précédent, avec en plus la présence à soi.
C'est-à-dire la présence à notre relation avec le monde.
Conscient des interactions qui ont lieu entre votre corps-esprit et
l'environnement, et observer leurs effets.
Laisser être.
La présence accueille la relation qu'il y a entre le monde et moi à ce moment-
là, et ne lui demande pas de changer ou de rester la même.
La présence à soi, à l'autre et au monde
Comme le point précédent, avec la nuance qu'on ne sépare pas les choses.
C'est-à-dire percevoir toutes ces choses comme étant un seul corps, un seul
champ unifié de perception.
Ainsi, j'inclus le corps-esprit que j'ai, dans le paysage. Il n'y a plus moi,
l'autre et le monde, mais seulement le champ unifié de perception, un seul
« Tout ».
Les sensations et les pensées sont vues comme des parties du monde, des
informations perçues, tout autour de la conscience centrale que je suis.
Alors, le corps-esprit, les autres, le monde et leurs interactions permanentes
apparaissent comme un système dynamique et autonome. Les différents
éléments sont reliés par la relation dynamique qu'il y a entre eux. Aucun
élément n'est exclu, chaque élément est relié à tous les autres directement ou
indirectement.
La présence accueille ce qui est, ici et maintenant, tel que c'est (comme un
seul corps) et ne lui demande pas de changer ou de rester tel qu'il est.
Le champ unifié de perception
Chaque élément est entièrement défini et conditionné par ses relations avec
les autres éléments. Le monde me crée et je crée le monde.
Les éléments eux-mêmes apparaissent alors, comme des sous-ensembles de
relations. Par exemple, le corps-esprit n'est qu'un ensemble de relations
relativement stables entre les différents éléments qui le composent. (Os,
organes, dermes, etc., émotions, énergies, pensées, etc.)
Ce que l'on croit être un individu, une entité distincte, est en fait un ensemble
de relations, lui-même sous partie d'une entité plus grande (la Terre par
exemple) composée d'un ensemble de relations, etc., etc. Nous pouvons
constater cela en allant vers l'infiniment grand et vers l'infiniment petit.
Avec ce constat, je ne peux que comprendre que ce que j'appelle « moi », est
aussi bien les atomes, les cellules, les sentiments, les pensées, les réactions
etc. qui composent ce corps-esprit, que le monde qui l'entoure et l'univers qui
l'englobe.
Nous comprenons ainsi aisément, sans aucune croyance, que les séparations
entre les éléments sont
illusoires et que tout est un. Les éléments se fondent alors l'un dans l'autre. Ils
disparaissent en tant qu'éléments séparés et distincts. Seules demeurent les
relations, ou mouvements d'énergies. Il reste une entité, composée d'un
nombre incalculable de relations, qui finalement, sont un seul mouvement,
une seule symphonie.
À ce moment-là, il n'existe qu'une seule conscience et qu'un seul corps, qui
en définitive, deviennent totalement indistincts. C'est-à-dire que je n'ai plus
de représentations mentales venant catégoriser ou fragmenter la nature de ce
qui est perçu, de la réalité.
Il n'y a plus la conscience d'un côté et le corps de l'autre.
La réalité est à la fois matière et vide infinis. A la fois substantielle et « non
substantielle », réelle et irréelle, inestimable et gratuite... en fait, rien de ce
qui puisse être pensé ou conceptualisé intégralement.
La conscience et le corps sont indissociables. Corps et conscience sont des
mots que l'on met sur la partie qui est perçue et sur la partie qui perçoit. En
fait, il n'y a qu'un acte de perception, et là est le coeur.
Mémoire et culpabilité
Nous savons que nous sommes totalement présents lorsque toute quête de
quoi que ce soit a disparu de notre intériorité. Nous sommes alors complets et
unis à tout être et toute chose, avec tranquillité et attention.
Aussitôt, toute nécessité de pratiquer quoi que ce soit pour arriver à quelque
chose s'est dissoute.
La nécessité de pratiquer réapparaît dès que le sentiment de complétude
s'efface, dès que la pensée est de nouveau prise au sérieux, dès que
l'identification avec ce qui nous compose redevient active.
L'identification est une tension, un attachement, la libération une détente, un
lâcher-prise.
Ces deux mouvements sont naturels et ont leurs propres inerties. Si bien que
les mouvements de tension émergent d'eux même, sans effort de notre part,
comme une habitude, un mouvement inconscient. De même, après un certain
temps de pratique de la présence, le mouvement d'ouverture, de libération,
apparaît de lui-même, sans effort.
Aussi, en début de pratique, notre intention et notre volonté sont nécessaires,
puis au fur et à mesure que le temps passe, nous avons de moins en moins
besoin d'agir volontairement pour « retrouver » la présence. Enfin, nous
prenons conscience que la présence correspond à un état d'être sans effort.
Notons bien au passage, que cet « état » sans désir et sans effort, n'est
absolument pas dénué d'action ou de créativité. Les charges psychologiques
et affectives dont étaient investies notre volonté et nos actions se sont
dissoutes. L'action et la création sont libérées du poids de leurs enjeux
égotiques, mais ne disparaissent pas pour autant. Ainsi, elles deviennent plus
légères, simples, perspicaces, gratuites et d'autant plus savoureuses.
Nous pouvons donc pratiquer tant que nous percevons que nous sommes
attachés, fixés ou fascinés, par des aspects agréables ou désagréables de notre
quotidien (de notre champ de perception).
Enfin, être présent redevient notre état naturel, « normal », nous sommes la
présence. Etre vivant et pratiquer se fondent l'un dans l'autre.
Notions annexes
Ces notions annexes pourront être utiles en tant que ponts entre notre
quotidien et les notions de bases citées au début de cet ouvrage.
Ce sont des représentations parfois plus élaborées que les notions de base.
Elles visent à offrir d'autres prétextes à la compréhension intuitive et à la
réalisation de la présence. C'est un panaché pédagogique tantôt logique et
duel, tantôt paradoxal et non-duel, plus ou moins direct.
Aussi, ne nous étonnons pas d'y trouver des points de vues unilatéraux, des
caricatures, des répétitions, des impossibilités conceptuelles ou des
affirmations sérieuses et sans concessions. Tout cela afin de mettre en
lumière d'une part, certaines structures et dynamiques de l'ego et d'autre part,
ce qui se passe lorsque la présence redevient consciente.
Nous trouverons également une insistance à universaliser et dépersonnaliser
l'être humain que nous sommes (également). Il s'agit d'un procédé délibéré
visant à relativiser ou contrebalancer l'égoïsme et le « séparatisme »
prépondérant dans lequel nous sommes encore éduqués.
Nous sommes aussi bien quelqu'un, que personne ou tout le monde. Individu,
univers, néant, sont des concepts et ne définissent pas ce qui est. Affirmer
que l'on est tout et à la fois rien, ne sera intéressant, ici, que dans la mesure
où cela affaiblira notre unique conviction selon laquelle « Je suis quelqu'un ».
Dans l'expérience non-duelle, affirmer « Je suis tout » ou « Je ne suis rien »
ou « Je suis tout et rien », etc., aura le même degré de réalité que d'affirmer
« Je suis quelqu'un ». Car, en définitive, quoi que l'on soit, limité ou illimité,
quelque chose ou rien, tout est la présence. Il n'y a que la présence.
La présence c'est l'amour
Il est un domaine de la vie dans laquelle il est utile et nécessaire de savoir des
choses et de s'en servir. Les savoirs et les techniques sont très importants
concernant les aspects pratiques de nos vies humaines.
Cela étant, dans le domaine de l'existence et de la réalité, le savoir intellectuel
agira, à partir d'un moment, non plus comme une aide, mais comme une
limite, un frein.
En effet, on ne peut côtoyer, et encore moins tutoyer l'absolu en utilisant la
pensée mentale et le savoir intellectuel acquis.
On ne peut pas penser la réalité. Néanmoins, la réalité peut penser.
La réalité, la présence, est transcendante, c'est-à-dire au-delà de toute
conception et de tout jugement. On peut donc y « accéder » en « s'élevant »
au-delà ou en amont de toute représentation mentale.
La présence étant également « immanente », on y « accède » en « pénétrant »
les phénomènes jusqu'à leur essence, grâce à la perception pure.
D'une manière ou d'une autre, c'est un plongeon dans l'inconnu, un espace où
la pensée et le langage deviennent impuissants, inutiles, voire superflus.
La présence est une « dimension » où l'on ne sait pas, et où l'on ne saura
jamais. C'est l'inconnu absolu.
Dès que l'on sait, nous n'y sommes plus. Dans cette dimension nous sommes
ignorants, « pauvres », innocents et vulnérables. Nul pouvoir volontariste n'y
peut séjourner.
Il s'agit de ce point de vue, d'une absence (« d'une pauvreté ») de contrôle
mental, de notion de possession ou d'ambition de devenir.
La présence c'est l'abandon de la lutte
Tant que nous voulons obtenir, gagner, comprendre, les portes de la présence
restent closes. Nous restons inconsciemment présents et ne goûtons pas la
plénitude de la présence.
Toute ambition de pouvoir, de maîtrise ou de devenir agira comme une
énergie dénaturant et polluant la nature douce et transparente de la réalité.
Vouloir attraper ou gagner la présence est une illusion, une impasse. De
même que si, volontairement, nous tentons d'éteindre les énergies de lutte et
de pouvoir en nous ou autour de nous, ce ne sera encore qu'une autre manière
de vouloir contrôler ou influer sur ce qui est.
Aussi, la seule chose que nous puissions faire est justement de ne rien faire.
C'est-à-dire observer ce qui est, ce qui émerge en nous et autour de nous sans
avoir de projet quant à l'intérêt ou l'utilité de pratiquer une telle observation.
Notre attention, notre présence, doit être gratuite, sans espoir d'obtenir un
quelconque bonheur ou une quelconque maîtrise grâce à elle. Observons
simplement tous ces mécanismes et structures variés que prend l'ego, qui sont
en fait des variations sur un même thème : il manque quelque chose.
L'ego, naturellement, lutte pour ou contre quelque chose, faisant passer ainsi
en arrière-plan de la conscience, la plénitude et l'amour qui sont déjà là. Il
faut avoir « des yeux pour le voir ». Nos représentations, nos émotions et
notre volonté personnelle agissent en quasi-permanence comme des verres
déformants, nous empêchant de percevoir la simple et mystérieusement belle
réalité.
L'illusion de l'aboutissement
Il y a savoir, et il y a vivre.
Tant que l'on sait, on ne vit pas.
Vivre, c'est percevoir ce qui est, sans prendre pour vraies les représentations
que la pensée en fait.
Ce qui nous empêche de vivre, c'est la compulsion incessante que nous avons
à vouloir savoir, expliquer et diriger la vie.
Ce qui nous empêche de vivre, c'est la peur incessante de ne pas savoir, de ne
pas pouvoir expliquer ni contrôler la vie.
Nous refusons de nous perdre. Nous voulons nous trouver, nous améliorer.
Nous croyons que nous sommes incapables ou que nous maîtrisons la
situation.
Nous croyons que l'abandon de la lutte va nous transformer en fainéant, en
mauviette ou en animal.
Nous croyons, nous croyons, nous croyons...
Être présent, percevoir ce qui est sans préjugés, ni suppositions nous permet
d'en goûter la substantifique moelle. Vivre, c'est avant tout percevoir
consciemment. Si nous ne sommes plus conscients, l'essentiel demeure voilé,
et nous errons comme des enfants égarés à la recherche de l'amour ou du
bonheur.
La libération, la présence est une question de perception, et non une question
de conception. La pratique désintéressée de la présence nous ouvre
instantanément la porte de la réalité. La pratique de la présence, c'est nous
réhabituer à être conscients de ce qui arrive dans l'instant présent, c'est tout.
De la contemplation
La contemplation est un état naturel d'être avec les choses et les personnes,
d'être avec la vie, d'être la vie.
La contemplation est l'état d'unité de la vie qui se perçoit elle-même. Il n'y a
ni observateur, ni monde observé, mais uniquement l'acte de percevoir, de
contempler.
La contemplation c'est de la présence à l'état pur, c'est l'heureux mariage, la
réalité retrouvée, l'équilibre optimal du corps et de la conscience. En ce fait, il
n'y a alors aucune résistance, ni aucun problème d'aucune sorte, la pensée est
tout simplement hors jeu, dépassée.
Il ne manque plus rien. Plus rien à obtenir, plus rien à perdre. Tout est
accompli.
L'ego est un enfant
Une fois encore, il ne s'agit pas d'arriver à quelque chose, ou de devenir quoi
que ce soit, mais bien de ne plus croire en ces pensées qui nous disent que ce
n'est pas là, que c'est pour plus tard, qu'il faut encore plus de ceci ou de cela,
etc. Ces conceptions limitées ne sont que la conséquence d'un amour limité
de soi et de ce qui est.
La vie est déjà complète, ici et maintenant. Nous n'avons que la croyance et
le sentiment que ce n'est pas le cas.
Ouvrons les yeux, percevons ce qui est, pleinement, sans présuppositions ni
conclusions, et expérimentons ce qui se passe. Faisons notre propre
expérience de ce qui se passe réellement pour nous maintenant... cela a-t-il le
moindre rapport avec ce que nous pensons qui est en train de se passer ?
Pouvons-nous penser intégralement ce qui se passe maintenant ? Qu'est-ce
que c'est que tout ça ?
Où est la morale ? Où est Dieu ? Où est la libération ? Où est le problème ?
Où est mon histoire ? Qu'est-ce qui est là ? Que sais-je réellement à propos de
tout ce qui se passe ici et maintenant ?
Je n'ai pas de réponse.
Seulement, dans l'observation, dans la contemplation de ce spectacle,
j'éprouve de la joie, de la douceur, un plaisir à être cette présence mystérieuse
et tranquille.
Juste une prise de conscience
Nous pouvons constater que dans la présence consciente nos manques et nos
quêtes s'atténuent ou disparaissent.
La présence est comme la nourriture essentielle de notre existence. Sans elle,
nous ne sommes jamais réellement et complètement rassasiés sur le plan
existentiel.
Avec elle, nous expérimentons la satiété existentielle. C'est-à-dire que nous
n'avons plus faim sur le plan psychologique, nous n'éprouvons plus de
manque affectif ou de manque existentiel.
Connaissez-vous cette insatisfaction perpétuelle, ce trou noir intérieur infini,
cette soif d'absolu, qu'aucune compensation, si puissante qu'elle soit, ne peut
entièrement et durablement combler ?
En rencontrant la présence, notre « manque infini » est embrassé par ce « don
infini » qu'est notre essence.
Ainsi, vivre la présence, c'est rencontrer l'amour, la source d'amour
inconditionnel qu'est notre nature essentielle. Avec cette expérience, avec
cette rencontre de la réalité, toutes nos vieilles structures de demande de
reconnaissance, d'attention et d'amour sont remises en question... Nous ne
sommes plus un demandeur, nous sommes un donneur.
En effet, lorsque nous sommes enfin apaisés, comblés, nous n'avons plus
besoin que le monde nous estime pour survivre affectivement. Nous
devenons un rayonnement, un soleil d'amour et d'humanisme, prodiguant une
lumière apaisante et gratuite à tout ce que nous percevons.
Ayant redécouvert notre source d'amour, nous devenons de plus en plus
autonomes affectivement et « existentiellement ». Nous pouvons alors, étant
remplis, commencer à donner, à prodiguer, à enseigner.
Nous sommes alors une source de lumière et d'amour pour les autres et toutes
les formes de vie. Alors, ici, et ici seulement, nous commençons à créer une
société et un monde nouveau. Et cela débute par un rapport neuf et honnête
avec soi-même, puis avec les autres. Une relation consciente avec soi, les
autres et le monde.
Nous pouvons dès à présent prendre conscience de ce qui est pour nous une
source d'amour à l'extérieur de nous. Voir à quel point nous sommes
dépendants (et donc pas libres) de certaines relations avec des personnes, des
animaux, des objets, des lieux, des idées, des actes, des habitudes...
Ces relations exclusives sont typiquement ce qui se substitue à notre source
d'amour intérieur... Et plus nous avons de dépendances, d'attachements à
l'extérieur, au moins nous sommes reliés à notre propre source.
Sur le plan physique, nous dépendons de beaucoup de choses, naturellement.
Sur le plan psychologique, la dépendance est génératrice de souffrance.
S'il y a une liberté, une indépendance, ce ne peut être que celle de l'esprit. Et
il ne s'agit pas de la liberté de penser, mais de la liberté par rapport à la
pensée.
L'avantage de se libérer de nos attachements est que notre bonheur affectif et
existentiel ne dépend plus de quelque chose d'autre que de nous-mêmes, que
de notre propre présence à nous-mêmes.
Les relations, les sentiments, les idées, les objets sont tous des phénomènes
impermanents, vivants, bougeant. En nous associant de trop à eux, nous leur
donnons le pouvoir de faire notre bonheur et notre malheur. Notre sérénité,
notre amour, notre vie dépendent d'eux... Nous sommes possédés.
La présence nous permet de passer de la relation de demande d'amour
inconscient, à la relation de don d'amour conscient.
Pour percevoir les relations dans lesquelles il y a cette demande d'amour,
nous pouvons nous poser la question : « Pourrais-je vivre et être tranquille
avec ou sans elle (lui, cet animal, cet objet, cette équipe de foot, ce parti
politique, ce travail, cette maison, cette philosophie...) ? »
À partir de là, nous pouvons constater nos attachements, là où nous sommes
« déconnectés » de notre source, là où nous avons peur, là où il y a un
manque et un désir. Nous pouvons définir ainsi, avec qui ou quoi, quand,
comment et à quelle intensité nous sommes inconscients et dépendants.
Cela étant, pas d'affolement, la dépendance, le désir et la peur sont les
structures naturelles et nécessaires de notre psychologie égotique, et il n'y a
rien d'anormal à cela.
D'autant plus qu'il ne s'agira pas forcément d'arrêter ces relations, mais
simplement de les comprendre, de les « alléger » de leurs charges affectives
et émotionnelles, grâce à notre présence consciente et sans jugement.
Donner et partager l'amour, c'est percevoir ce qui est, sans projection, ni
attente.
Aimer, ce n'est pas désirer quelqu'un ou quelque chose, c'est accueillir ce qui
est, c'est être un avec ce qui est.
Encore une fois, il ne s'agit pas de valoriser en bon ou en mauvais ce qui est,
mais simplement de le constater, de le voir. Percevoir la réalité de notre
intériorité, percevoir les phénomènes internes, sans en faire des histoires, leur
enlève leur pouvoir de fascination.
Notre « travail » consiste simplement à passer, avec le temps et les moyens
qui nous seront nécessaires, de cette psychologie égotique vers la présence
consciente.
Dans la présence consciente, nous ne sommes plus à notre propre service,
mais au service du tout, qui est alors à notre service.
En définitive, nous sommes la vie qui est au service d'elle-même.
Se voir soi-même en toute chose
Nous devons faire le deuil de notre bonheur futur, d'une relation affective
idéale, d'un travail idéal, d'une maison idéale, d'un monde idéal, etc.
Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que ces choses ne se réaliseront
pas, mais simplement que nous n'y sommes plus attachés sérieusement. Si
cela arrive, très bien, si cela n'arrive pas, très bien aussi.
Ce qui nous permet de lâcher prise quant à nos illusions sur la réalité, de
passer de « voilà ce qui devrait être » à « voilà ce qui est ».
Le deuil complet et le deuil de substitution
Dans la présence, ce n'est pas parce que l'on accueille toujours plus, que l'on
se laisse manipuler par notre propre imagination ou par les idées collectives.
Ce n'est pas parce que l'on est toujours plus lucide, que l'on combat
violemment l'illusion ou le monde.
L'accueil est un aspect fondamental de la présence, tout autant que la lucidité.
C'est même l'accueil vrai, total, qui permet une intense lucidité.
Si j'appréhende un phénomène, une situation avec le filtre de mes idées, de
mes préjugés, je n'accueille pas intégralement le fait, je négocie avec lui, je
lui enlève déjà une bonne partie de ce qu'il est, je ne le perçois pas tel qu'il
est, je reste en partie insensible.
Je ne peux pas être lucide, comprendre un fait, communier avec un aspect de
la vie, tant que je ne m'ouvre pas à lui sans réserve, sans crainte, sans attente.
La lucidité permet de faire la différence entre la réalité et l'illusion. La
lucidité me fait percevoir ce qui est et ce qui n'est pas. Dès qu'une
représentation s'interpose entre ce qui est perçu et ce qui perçoit, l'accueil ne
peut pas être total, pur ou innocent, et du coup, la lucidité non plus.
La lucidité me montre clairement les limites de mon accueil, de mon
ouverture à ce qui est. Je perçois sans détour les réactions qui émergent dans
le corps-esprit avant, pendant et après, quand je suis en train d'observer et de
vivre quelque chose.
La lucidité est notre capacité d'éveil, d'émancipation. Percevoir les fixations,
les attachements sous quelque forme que ce soit, nous en libère dans l'instant.
Cela ne veut pas dire qu'elles disparaissent chaque fois instantanément,
certaines peuvent persister durant des années. Cela veut dire qu'à partir du
moment où j'observe lucidement et que j'accueille une réaction, un blocage,
une « souffrance », alors je cesse instantanément de l'alimenter, de lui donner
du poids, d'y croire. Alors, sur le champ, j'en suis libre. Cette chose, ce
phénomène, n'a plus le pouvoir de me contrôler, de me faire croire que
quelque chose va de travers.
La libération de la souffrance ne signifie pas nécessairement l'absence de
phénomènes désagréables, mais le fait que la présence ou l'absence de tel ou
tel type d'énergie n'est plus jugé en tant que bien ou mal, en tant que cela
devrait être ou ne devrait pas être.
Je ne suis plus le jouet des états agréables ou désagréables qui émergent dans
la conscience, j'en suis à la fois l'expérimentateur et le spectateur. Les jeux et
les histoires de l'ego n'ont plus le pouvoir de me déstabiliser, de me faire
croire que la présence n'est pas là, que je suis séparé de la vie ou que quelque
chose manque.
Plus je suis conscient (que j'accueille et que je suis lucide), plus je suis libre.
L'accueil augmente la lucidité.
La lucidité augmente l'accueil.
De l'intégration
Pour moi, quelque chose que j'intègre, c'est quelque chose qui me laisse libre.
C'est-à-dire que je peux faire avec ou sans. Il s'agit bien sûr d'une liberté,
d'une indépendance psychologique. Sur le plan physique, nous restons
dépendants de beaucoup de choses, naturellement.
Il y a dans la vie différentes énergies, et quand je dis énergies, ce sont les
pensées, les sentiments, les émotions, les sensations, les relations, les autres,
les animaux, les objets, bref, tout.
Nous avons un certain type de relation avec chacune des énergies que nous
rencontrons, que nous expérimentons. Cette relation peut être plus ou moins
agréable, désagréable ou neutre. Lorsqu'une relation est agréable ou très
agréable, j'ai alors besoin qu'elle soit là et qu'elle se répète (car rappelez-vous,
quelque chose manque...). Si une chose est désagréable ou très désagréable,
j'ai alors besoin qu'elle ne soit pas là et de moins en moins...
Si quelque chose est neutre, la question ne se pose pas, c'est juste comme ça.
Je peux prendre conscience de la dynamique de mes relations (en attraction
ou répulsion) vis-à-vis des évènements, des autres, de la « société », des
objets, de la nourriture, du corps, des émotions, des pensées, etc.
Comme nous l'avons déjà vu, le simple fait d'être conscient (lucide et sans
jugement) de ces relations, leur permettra de se détendre et de se fluidifier,
voire de se neutraliser.
Une relation ou une énergie intégrée, c'est être en paix avec elle. C'est ne pas
vouloir à tout prix qu'elle soit là ou qu'elle ne soit pas là. C'est l'accueillir
quand elle vient, la laisser partir quand elle s'en va, et ne pas l'attendre
lorsqu'elle n'est pas là.
Le plus important, il me semble, est d'intégrer les réactions qui émergent en
nous, d'intégrer tous les phénomènes que nous appelons « moi ». Les
sensations physiques, l'image dans le miroir, les émotions, les sentiments, les
pensées, les angoisses, les exaltations, les « peurs », les humeurs, etc.
En pratiquant la présence à soi, c'est ce que nous faisons. Nous accueillons
lucidement tous les phénomènes qui composent le corps-esprit. Nous
intégrons, nous donnons une place à ce qui est, à ce qui arrive, pour qu'il
puisse être. Nous laissons être ces phénomènes, bien que certains soient
« désagréables ». Nous pratiquons alors l'inclusion, nous arrêtons de juger les
phénomènes de la vie en imposant notre oui ou notre non présomptueux à
tout ce qui arrive.
Ainsi nous intégrons, nous incluons de plus en plus de phénomènes dans la
conscience que nous sommes. Nous sommes alors de moins en moins
« dérangés » par ce qui arrive ou n'arrive pas.
Pour autant, il ne s'agit pas de neutralité ou d'indifférence, mais plutôt
d'équanimité. La tranquillité par rapport à ce qui est n'est pas vide, plate ou
morne. Il y réside un magnifique sentiment de plénitude, de douceur et de
lumière. Nous sommes dans une relation d'amour gratuit avec ce qui est, dans
la communion.
Le respect des saisons
Tant que nous ne nous sommes pas ouverts à notre dimension absolue, nous
ne pouvons pas être véritablement tranquilles. La dimension qui transcende
toutes les autres dimensions qui nous composent est une réalité et est tout
aussi importante que les autres, voire primordiale.
Ne pas connaître cette dimension, c'est comme ne pas connaître nos
sensations ou nos émotions ou notre pensée... Il manque une pièce au puzzle.
La conscience pure est une de nos composantes, la nier, c'est nier notre nature
absolue, inconditionnée.
Elle nous permet de mettre de l'espace là où il n'y en a pas, elle nous permet
de mettre de l'accueil là où il n'y en a pas, elle nous permet de mettre de la
lucidité là où il n'y en a pas, elle nous permet de mettre de la paix là où il n'y
en a pas, elle nous permet de mettre de l'amour vrai là où il n'y en a pas.
Elle est la faille dans le mur de la prison, elle est le rayon de soleil au travers
des nuages, elle est la vérité au coeur de l'illusion.
La conscience pure est aussi nécessaire à votre esprit que l'air et l'eau le sont
à votre corps.
On ne peut connaître ni la plénitude, ni la paix, ni l'amour vrai, ni la réalité si
nous ne sommes pas présents consciemment.
De la foi
Seule la vie existe, « vous » et la vie êtes une seule et même chose ; vous êtes
la vie.
Il n'y a rien que nous soyons qui ne soit pas l'univers, la vie.
Il n'y a qu'une seule conscience, qu'un seul corps, qu'un seul mental, qu'un
seul cœur, celui de la vie.
Il n'y a qu'une seule souffrance, qu'une seule action, qu'une seule évolution,
celle de la vie.
Il n'y a qu'une seule présence, celle de la vie.